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La femme française dans les temps modernes

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§ VI

Mondaines et demi-mondaines.

Pour la femme mondaine, il n'y a pas de foyer domestique. Le foyer, c'est pour elle une suite de salons qu'elle a fait brillamment décorer, mais qu'elle n'habite réellement pas. Elle n'en est que l'hôte passager, et ne les traverse que pour y recevoir la cohue qu'elle retrouvera le lendemain dans une autre demeure. Si l'on excepte ces jours de réceptions, elle ne reste chez elle que le temps que le voyageur passe à l'hôtellerie: les heures consacrées au sommeil, à la toilette, à ceux des repas qu'elle prend à la maison. Les heures qu'elle pourrait se réserver dans la matinée n'existent même pas pour elle. Pour la femme qui, après avoir passé la nuit dans le monde, se lève à midi, et passe deux heures au moins à sa toilette, la matinée commence à trois heures, et cette matinée, c'est le terme consacré, cette matinée est employée aux visites, aux achats de luxe, aux courses de chevaux. Les dîners privés, les soirées, les bals, le théâtre, constituent la soirée. C'est ainsi que se multiplie à un nombre infini d'exemplaires le type de la femme qui est toujours sortie517.

Note 517: (retour) V. Sardou, la Famille Benoîton.

Dans cette vie dévorée que j'appelais ailleurs le tourbillonnement dans le vide, comment la femme mondaine remplit-elle ses devoirs d'épouse et de mère? Elle habitue son mari à se passer d'elle. Quant à ses enfants, il lui suffit de les confier à des soins mercenaires.

Avec le plaisir, une seule idée la possède: le luxe.

La fièvre de la spéculation a produit les mariages d'argent. Et la femme, abaissée, disions-nous, au taux d'une valeur financière, a voulu représenter cette valeur par un luxe dont les excès ruinent plus d'une fois le mari qui a cru s'enrichir en épousant une fille bien dotée. L'expérience date de loin: les Romains l'avaient faite avant nos pères.

«Je t'ai certainement apporté une dot plus considérable que ta fortune personnelle. Il est assurément juste de me donner de l'or, de la pourpre, des servantes, des mulets, des cochers, des valets de pied, de petits courriers, des voitures dans lesquelles je me fasse traîner518

Note 518: (retour) equidem datem ad te adtuli. Majorem multo, tibi quam erat pecunia, etc. (Plaute, Aululaire, 495-499).

Ainsi parlait la Romaine. Depuis, les chevaux ont remplacé les mulets; mais l'économie domestique n'y a rien gagné.

Je rappelais tout à l'heure que la première moitié de notre siècle avait vu renaître la simplicité. En 1814 un auguste exilé, qui revoyait la France, disait à de nobles dames en parlant d'une sainte princesse dont la jeunesse avait eu pour palais la prison du Temple: «Ma belle-fille est d'une grande simplicité; elle ne vous donnera pas l'exemple du luxe519.» Pendant près de trente-quatre ans, cette simplicité régna à la cour de France.

Note 519: (retour) Anne-Paule-Dominique de Noailles, marquise de Montagu.

Les temps sont changés. Le luxe a reparu. Des influences multiples y ont contribué. Il faut en signaler quelques-unes.

A l'aristocratie de race a succédé l'aristocratie d'argent. Il suffisait à la première de se nommer pour exercer son prestige. Cette ressource manquant à la seconde, elle ne peut briller que par l'éclat extérieur. A la suite des idées égalitaires du temps, ce luxe s'est propagé dans toutes les classes de la société. Dans les rangs les plus modestes, la femme a voulu rivaliser d'élégance avec la femme opulente; et d'après un vieil adage, ce qu'elle n'était pas, elle a voulu le paraître.

C'est dans le luxe que la femme frivole a mis sa gloire. La grande coquette aimera mieux voir attaquer son honneur que critiquer sa toilette.

Pour subvenir à ce luxe, la femme a besoin d'or. Cet or, elle sait où le chercher. Elle aussi est atteinte par l'épidémie du jour, l'agiotage; et la soif de l'or a aussi desséché sa poitrine. Elle ne se borne plus aux paris des courses.

«Signe des temps! a dit un publiciste. Les femmes apparaissent autour de la Bourse! Elles franchiront, quelque jour, triomphalement la grille et ajouteront à tous les droits qu'elles réclament le droit à la ruine!» En attendant, elles spéculent aux portes du palais. Les voici partagées en deux groupes, la bohème et l'aristocratie. La bohème, ce sont ces vieilles femmes collées aux grilles de la Bourse, lisant les journaux financiers ou tricotant («les tricoteuses de l'agio!»), s'efforçant de suivre le flux et le reflux de cette mer houleuse. L'aristocratie, ce sont ces femmes élégantes, femmes du monde et femmes du demi-monde qui, chez le pâtissier voisin, donnent leurs ordres au commis d'agent de change qui pénètre, pour leur compte, dans le temple profane d'où elles sont encore exclues520.

Note 520: (retour) Jules Claretie, la Vie à Paris. 1881.

Mais le groupe des joueuses de Bourse est encore restreint, Dieu merci. D'ordinaire, c'est en poussant le mari aux spéculations hasardeuses que la femme se procure les ressources de son luxe. Plus d'une fois, comme le disait déjà un écrivain du XVIe siècle, c'est le luxe de la femme qui non seulement ruine le mari, mais lui fait toucher à l'argent d'autrui quand le sien est épuisé. Plus d'une fois aussi, c'est pour alimenter ce luxe que l'homme, placé par les événements publics, entre le souci de garder des fonctions sociales et la crainte de manquer à son devoir, se laisse entraîner à de honteuses capitulations de conscience521.

Note 521: (retour) Mézières, Études morales sur le temps présent. 1869.

«Malheureux cet homme, disait naguère Caton le Censeur, malheureux cet homme, et s'il fléchit, et s'il demeure inexorable! Car, ce que lui-même n'aura pas donné, il le verra donner par un autre522

Note 522: (retour) Miserum illum virum, et qui exoratus, et qui non exoratus erit! quum, quod ipse non dederit, datum ab alio videbit. Tite Live, XXXIV, 4; et mon étude sur la Femme romaine.

Aujourd'hui, comme au siècle de Caton, le luxe, peut faire de la femme une courtisane. Il ne lui manque plus que ce dernier trait d'ailleurs pour appartenir à ce demi-monde qui lui donne à présent la mode et jusqu'au ton.

Comme dans toute société en décomposition, la courtisane prend à notre époque une place considérable.

Lorsqu'elle a fait son entrée dans la littérature, on l'avait montrée se purifiant, non comme Madeleine, par les pleurs du repentir et par le feu de l'amour divin, mais par une dernière chute que lui faisait faire une passion que l'on proclamait généreuse parce qu'elle n'était plus vénale. Aujourd'hui on ne se contente plus de cette étrange réhabilitation. Dans le roman, sur le théâtre, on représente la courtisane dans le triomphe même du vice. On ne fait même plus battre en elle le coeur de la femme. C'est bien réellement la fille de marbre, froide, insensible à tout, excepté au cliquetis de l'or, étalant insolemment sa honte dans les splendeurs d'un luxe scandaleux, ne possédant souvent ni beauté, ni jeunesse, ni esprit, n'ayant d'autre attrait que celui du vice, mais par la puissance de ce vice devenant la reine du jour, reine qui a la plus considérable liste civile que la vénalité de la femme ait jamais prélevée sur la corruption d'une époque.

Éclipsées par ces rivales, des femmes du monde ont voulu savoir par quels secrets les femmes du demi-monde leur dérobaient leur sceptre, et comme au XVIe siècle, il en est qui ont mis leur étude à copier ce type honteux. Elles ont pris à la courtisane ses toilettes, ses allures, son langage. Et sans doute le triomphe de la grande dame devait lui paraître complet lorsqu'elle avait réussi à être confondue avec son modèle.

Cette imitation de la courtisane par la femme du monde a produit un type qui a reçu un nom trivial que j'hésite à reproduire: la cocodette; et le langage du demi-monde, adopté dans une partie du vrai monde, recevait, il y a plusieurs années, un nom spécial, la langue verte, langue qui a eu jusqu'à son dictionnaire.

Nous le voyons: la femme qui a pris les dehors de la courtisane peut bien, pour jouir de son luxe, se procurer les scandaleuses ressources dont dispose son modèle.

Comme je viens de l'indiquer, le roman n'a que trop contribué à faire envier à la femme honnête, mais frivole, le triomphe de la courtisane. Et, par malheur, dans la vie activement désoeuvrée de la femme mondaine, la seule place que celle-ci accorde à la lecture appartient au roman, non pas même généralement au roman pur, délicat, qui a produit dans notre siècle des oeuvres exquises, mais au roman immoral dans le fond et souvent aussi dans la forme.

Quand l'héroïne de ce dernier roman n'est pas une courtisane, c'est bien souvent, ou la femme d'instinct que l'on a nommée la faunesse, ou bien c'est une de ces créatures artificielles qui, je l'espère pour nos contemporaines, n'ont pu sortir que du cerveau du romancier. Je lis peu de romans; mais lorsqu'il m'arrive d'ouvrir un de ces livres, il me semble souvent que je suis transportée dans un bal masqué. On me dit que des femmes sont là; mais je ne les reconnais pas. Derrière le masque très compliqué que j'ai sous les yeux, je cherche en vain le fond éternel de la nature humaine, ce fond que je retrouve si aisément dans la plus haute antiquité. Je plaindrais fort la femme qui ne se reconnaîtrait pas plutôt dans une Nausicaa, dans une Andromaque, dans une Pénélope, que dans ces types conventionnels où l'on prétend nous montrer nos contemporaines.

Cependant le roman actuel se pique de réalisme. La peinture, très laide généralement, s'est substituée à l'idée, et la sensation a remplacé le sentiment. Ce réalisme va jusqu'au plus abject matérialisme dans certaines oeuvres dont les innombrables éditions attestent l'immense succès. Et cependant ces ouvrages où la boue se montre à découvert, me paraissent moins dangereux encore que des romans qui se rattachent à une autre école, mais qui dissimulent sous un tapis de fleurs la même fange. Ici le vice ne se montre pas dans cette brutalité qui, après tout, inspire plus d'horreur que d'attrait; mais ce vice se présente sous les dehors qui peuvent le mieux séduire les caractères faibles et les imaginations ardentes. On a fait de l'adultère une vertu, et la vertu la plus chère au coeur de la femme: le dévouement! La suprême expression de cette vertu est la violation de la foi conjugale. Si, comme dans Jacques, la femme combat, ce n'est pas pour obéir à des lois religieuses ou civiles qu'elle ne reconnaît pas, c'est par égard pour son mari qui, par extraordinaire, est un être d'élite; et lorsqu'enfin elle tombe, elle souhaite que chaque fois que son complice et elle se réuniront pour renouveler cet outrage, ils s'agenouillent... et prient pour le mari qu'ils trompent et déshonorent! Et si ce mari sait comprendre son rôle, il accepte son malheur avec résignation, il trouve que sa femme n'a fait «que céder à l'entraînement d'une destinée inévitable... Nulle créature humaine ne peut commander à l'amour, et nul n'est coupable pour le ressentir et pour le perdre523.» Ce qui, pour ce mari, constitue la trahison conjugale, ce n'est pas l'infidélité, c'est le mensonge. Pour lui la femme n'est adultère que lorsqu'elle paraît témoigner à son mari l'amour qu'elle vient de prouver à son amant. Comment s'étonner que ce mari philosophe ait un moment la pensée de dire aux deux complices: «Je sais tout, et je pardonne à tous deux; sois ma fille et qu'Octave soit mon fils; laissez-moi vieillir entre vous deux et que la présence d'un ami malheureux, accueilli et consolé par vous, appelle sur vos amours les bénédictions du ciel524?» On croit rêver quand on lit de telles aberrations.

Note 523: (retour) Georges Sand, Jacques.

Mais au moment où le mari va demander humblement de s'asseoir à ce foyer où un autre a usurpé sa place, il est trop tard. La faute de sa femme a eu des suites qui rendent nécessaire ou la mort de la coupable, ou la mort du mari. «Tue-la,» dirait alors l'auteur de l'Homme-femme. Mais l'auteur de Jacques aime mieux dire au mari: «Tue-toi.» C'est que pour ce dernier écrivain, le suicide aussi est un dévouement... comme l'adultère; et de même qu'on peut se préparer à l'infidélité conjugale par la prière, on se prépare au suicide comme à la réception d'un sacrement525!

Note 525: (retour) Georges Sand, Jacques. Voir aussi Indiana.

L'auteur a, du reste, formulé sa théorie dans le même roman, d'où j'ai extrait mes citations. La soeur de son héros, libre esprit comme lui, lui propose de fuir avec lui dans le Nouveau-Monde, d'y élever leurs enfants dans ce qu'elle appelle leurs principes. «Nous les marierons un jour ensemble à la face de Dieu, sans autre temple que le désert, sans autre prêtre que l'amour; nous aurons formé leurs âmes à la vérité et à la justice, et il y aura peut-être alors, grâce à nous, un couple heureux et pur sur la face de la terre526

Note 526: (retour) Id., Jacques.

Oui, heureux et pur à la manière de l'Émile et de la Sophie de Rousseau...

Il est triste de penser que c'est une femme, une femme de génie, qui a donné aux femmes de semblables enseignements. Comment calculer les immenses désastres moraux qui ont suivi de telles leçons, alors que la presse à bon marché les a répandues à profusion dans tous les rangs de la société?

Tout conspire ainsi pour perdre la femme: le luxe, les mauvais exemples, les mauvaises lectures, triple contagion qui sévit jusque chez les femmes du peuple, et qui, à tous les degrés de l'échelle sociale, remplit de rêves malsains les imaginations et les coeurs. Et lorsque, à toutes ces pernicieuses influences, s'ajouteront les résultats de l'éducation athée, que deviendront nos foyers? Il y aura là des abîmes de dépravation que l'on ne peut sonder, et sur lesquels nous avons déjà arrêté nos regards attristés.

A défaut de la conscience, est-ce la crainte du châtiment qui prémunira la femme contre la violation de la foi conjugale? Nous en doutons. A moins que le mari, surprenant sa femme en flagrant délit d'adultère, ne se soit vengé lui-même, les antiques châtiments réservés à l'infidélité conjugale ont fait place à des peines infiniment moins sévères. L'épouse coupable et son complice sont punis correctionnellement d'une détention de trois mois à deux ans. Si le mari consent à reprendre sa femme, elle est rendue à la liberté.

Quant au mari infidèle, il ne peut être poursuivi que s'il a entretenu sa complice sous le toit conjugal; et encore n'est-il passible que d'une amende. Certes l'infidélité de la femme a des suites plus graves que celle du mari, puisque l'épouse adultère peut introduire dans la maison des enfants étrangers à l'époux et qui porteront son nom. Il est donc naturel que les lois humaines punissent plus sévèrement l'infidélité de la femme. Ainsi en jugeaient les anciennes législations. Mais au-dessus des intérêts humains, il y a les droits de la conscience; au-dessus des lois humaines, il y a les lois de Dieu, et devant ces lois, l'époux et l'épouse qui manquent à la foi conjugale sont également coupables: saint Jérôme le rappelait éloquemment.


§ VII

Le divorce.

A tous les maux qui rongent le foyer domestique, on oppose aujourd'hui un remède plus dangereux que le mal: c'est par la dissolution de la famille que l'on prétend combattre sa désorganisation. Le divorce est à l'ordre du jour.

Les hommes qui veulent rétablir le divorce, malgré la triste expérience que la France en a faite de 1792 à 1816, ces hommes croient qu'en le limitant à de certains cas, il en rendront l'usage moins périlleux. Mais comment arrêter le torrent lorsque la digue est rompue? Certaines législations antiques restreignaient aussi la faculté du divorce. Cependant nous voyons que si la loi du Sinaï avait dû permettre cet expédient aux Hébreux, «à cause de la dureté de leurs coeurs,» les Talmudistes en multiplièrent un jour les causes avec une profusion inconnue à la législation primitive. De même les Romains de la décadence trouvèrent au divorce des motifs dont leurs ancêtres eussent repoussé la puérilité527. Un jour vient où les matrones «divorcent pour cause de mariage et se marient pour cause de divorce,» dit Sénèque. En rappelant ailleurs cette parole, nous ajoutions: «Les matrones ne se bornent pas à suivre la supputation romaine des années, c'est-à-dire à compter le nombre des consulats: elles calculent le nombre des années d'après celui de leurs époux. Mais encore c'est trop peu dire: «Huit maris en cinq automnes,» dit Juvénal528

Note 527: (retour) La Femme biblique, la Femme romaine.
Note 528: (retour) La Femme romaine.

D'ailleurs, sans chercher de si lointains exemples, la loi que la Chambre des députés vient de voter et que le Sénat n'a pas sanctionnée, cette loi contient deux articles qui peuvent autoriser sous les plus faibles prétextes la rupture du lien conjugal: elle admet le divorce «par consentement mutuel,» ce qui permet aux époux de se quitter d'un commun accord pour aller former ailleurs de ces liaisons temporaires que crée le vice529 et que jusqu'à présent l'on nommait des ménages irréguliers. Il ne manquait plus à ces immorales associations que d'être sanctionnées par la loi.

Note 529: (retour) Fernand Nicolay, le Divorce, son histoire, son péril.

Quant aux «injures graves,» on a démontré combien la jurisprudence peut étendre le sens de cette expression. Dans les meilleurs ménages, n'y a-t-il pas de ces froissements où plus d'une fois, sous l'empire de la colère, il échappe une parole dont la portée dépasse certainement l'intention de celui qui l'a proférée? Le caractère plus ou moins impétueux de l'un des époux ne sera-t-il pas alors une cause de divorce? Le divorce «pour injures graves» aussi bien que le divorce «par consentement mutuel,» ne ramènent-ils pas implicitement le divorce pour incompatibilité d'humeur, ce divorce que le projet de loi a cependant repoussé? N'est-ce pas compromettre à jamais la paix et le bonheur des ménages que d'admettre de tels cas de rupture? «Lorsque le mariage est indissoluble, disions-nous ailleurs, chacun des époux doit, pour son propre repos, plier son caractère au caractère de l'autre; et l'habitude de vivre ensemble, l'estime réciproque, et surtout ce lien que nouent les petites mains des enfants, tout cela contribuera à établir entre le mari et la femme une harmonie souvent plus solide que celle de l'amour. Mais quand le divorce a passé dans les moeurs d'un peuple, pourquoi se donner tant de peine pour arriver à la concorde? N'est-il pas plus facile de rompre un lien que de chercher à le rendre plus léger? L'époux quittera donc alors la compagne de sa jeunesse; et, contractant une autre union, il y trouvera peut-être des déceptions qui lui feront regretter son premier mariage530

Note 530: (retour) La Femme romaine.

Les sévices ou injures graves étant une cause de divorce, ne pourra-t-il aussi arriver que le mari maltraitera exprès sa femme pour reconquérir une liberté dont il profitera pour épouser une autre femme plus jeune, plus belle, plus riche surtout, faut-il dire à une époque où la spéculation matrimoniale a passé dans nos moeurs? Nous disions plus haut: «Le mariage n'est guère autre chose aujourd'hui qu'une opération financière, et la femme n'est plus qu'une valeur sur le marché matrimonial, jusqu'à ce que, le divorce aidant, cette valeur soit cotée à la Bourse et passe de main en main.» Je ne savais pas, en écrivant ces lignes, que des paroles à peu près semblables avaient été prononcées par un orateur de la Convention, le 2 thermidor, an III:

«La loi du divorce, disait Mailhe, est plutôt un tarif d'agiotage qu'une loi; le mariage n'est plus en ce moment qu'une affaire de spéculation; on prend une femme comme une marchandise, en calculant le profit dont elle peut être l'objet et l'on s'en défait aussitôt qu'elle n'est plus d'aucun avantage: c'est là un scandale vraiment révoltant.»

Dans une autre séance, Mailhe ajoutait: «Vous ne pourrez arrêter trop tôt le torrent d'immoralité que roulent ces lois désastreuses.»

Le conventionnel Deleville s'écriait, lui aussi: «Il faut faire cesser le marché de chair humaine que les abus du divorce ont introduit dans la société531»

Note 531: (retour) M. Henri Giraud, discours prononcé à la Chambre des députés, le 6 mai 1882. (Journal officiel, 7 mai;) Fernand Nicolay, étude citée.

Sur les vingt mille divorces qui eurent lieu à Paris de 1792 à 1796, «il y en eut plus de sept mille entre les époux qui avaient déjà divorcé une première, une deuxième ou une troisième fois. Cela ne doit pas nous étonner, car ceux qui divorcent une première fois sont de mauvais maris ou de mauvaises épouses qui, probablement dans un autre mariage, ne seront pas meilleurs.»

Ces paroles étaient prononcées à la Chambre, le 6 mai dernier, par M. Henri Giraud qui rappelait aussi que dans l'exposé des motifs du projet de loi que M. Naquet présentait sur le divorce, ce dernier disait: «On s'occupe en ce moment de réduire la durée du service militaire, tandis qu'on veut maintenir l'indissolubilité du mariage.» En citant ce passage, M. Giraud ajoutait: «Vous voudriez donc qu'on réduisît aussi, au moyen du divorce, la durée du service matrimonial, et peut-être admettre le volontariat d'un an.»

Ainsi que l'affirmait Martial dans son brutal langage, c'est l'adultère légal. Nous nous acheminons ainsi vers les unions libres532, tant prônées par certains romans. Le type hideux de la femme libre s'épanouira au grand jour.

Note 532: (retour) Mgr Freppel, discours prononcé à la Chambre des députés; le 13 juin 1882.

La loi votée par la Chambre admet cependant de plus sérieuses causes de divorce que celles que nous avons indiquées: telle est l'infidélité d'un des deux époux. Ici on ne distingue plus entre la faute du mari et celle de la femme. Que le mari ait ou non entretenu sa complice sous le toit conjugal, la femme peut demander le divorce.

Dans cette loi, le divorce est encore autorisé quand l'un des époux a été condamné à une peine infamante autre que le bannissement et la dégradation civique prononcés pour cause politique.

Ah! nous comprenons ce qu'il peut y avoir de désespoir et de honte dans l'existence de l'époux ou de l'épouse qui reste seul à son foyer, tandis que celui ou celle qui porte son nom, mène une vie scandaleuse, ou, châtié par la société, subit sa peine dans un bagne même.

«Mais, dirons-nous ici avec Son Ém. le cardinal Donnet, pour quelques situations dont le divorce serait le remède peut-être, que de malheureuses conséquences533...»

Note 533: (retour) Lettre de S. E. le cardinal Donnet à M. l'abbé Falcoz, à propos de son ouvrage: la Loi sur le divorce devant la raison et devant l'histoire.

De toutes ces conséquences, la plus terrible est l'écroulement de la famille, le triste sort des enfants. On nous dit que la séparation de corps crée les mêmes dangers. Non! D'abord parce que cette séparation ne permettant pas aux époux de se remarier, est assurément moins fréquente que ne le serait le divorce. Nous ne pouvons que répéter ici que la faculté du divorce rendra inutiles les concessions mutuelles. Il est rare que l'on invente des prétextes pour la séparation, et pour avoir droit au divorce, on créera, s'il le faut, redisons-le, l'un des motifs qui le permettent. De récentes affaires judiciaires témoignent que l'adoption présumée de la, loi a déjà fait prendre à certains hommes, des précautions de ce genre534. Non seulement les sévices, les injures graves, mais l'infidélité même, tous ces moyens, et d'autres encore, seront bons pour obtenir le divorce. Les enfants seront donc plus menacés que jamais de perdre cette pierre du foyer sur laquelle ils doivent être élevés. Lorsque les parents divorcés se seront remariés, les enfants reverront auprès de leur mère un autre époux que leur père; auprès de leur père, une autre femme que leur mère; et s'ils sont conduits ainsi à plusieurs foyers successifs, quelle idée se feront-ils de la sainteté de la famille? Que deviendra à leurs yeux l'auréole de la mère, la majesté du père? Le respect filial n'existera guère davantage que dans ces sauvages contrées où règne une hideuse promiscuité; et un jour viendra où les enfants connaîtront moins encore leurs parents que les animaux qui, du moins, les voient veiller sur eux tant qu'ils en ont besoin. Que deviendra la sollicitude paternelle ou maternelle chez celui ou chez celle qui, passant d'un foyer à un autre, aura eu des enfants de toutes ces unions successives?

Note 534: (retour) Fernand Nicolay, étude citée.

Dans la séparation de corps, déjà bien douloureuse cependant et qu'il faudrait éviter au prix des plus grands sacrifices, un tel spectacle est généralement épargné aux enfants. Pour qu'un homme ou une femme ose se montrer aux yeux de ses enfants avec son complice, il faut que cet homme ou cette femme ait perdu le dernier sentiment qui subsiste dans l'être le plus dégradé: le respect que lui inspire l'innocence de son enfant. C'est à un foyer solitaire que l'enfant, qui vit avec l'un de ses parents, retrouve l'autre quand il le visite. Dans la maison où il est élevé, la place du père ou de la mère n'est pas occupée: elle manque! Et lorsque vient un jour où l'enfant a compris qu'un grand malheur a passé sur son foyer, avec quel redoublement de tendresse, de respect il se dévoue à celui de ses parents qui a du être à la fois pour lui père et mère et que sacre à ses yeux la double couronne du malheur et de la vertu!

Je ne sais si beaucoup de ménages recourront aux facilités de vie que leur promet la nouvelle loi. Mais ce que je sais bien, c'est que les femmes chrétiennes ne les accepteront jamais, et demeureront inviolablement attachées au principe d'indissolubilité qui est la loi primordiale de l'humanité et que le Christ a rappelé.

Il est de ces femmes chrétiennes, et il en est beaucoup, qui, maltraitées ou trahies par un époux, se refusent même à la séparation de corps et restent vaillamment à leur poste. Au pied de la Croix elles acceptent l'épreuve, elles la bénissent. Les enseignements de la religion leur ont fait savoir que l'épouse fidèle sanctifie l'époux infidèle; et humbles et silencieux missionnaires, elles remplissent à leur foyer, par l'exemple de leurs vertus et par leur céleste résignation, un apostolat que Dieu bénit plus d'une fois sur la terre par un tendre retour du mari coupable.

Il y en a de plus héroïques encore: il y en a qui se dévouent à un être déshonoré, condamné à une peine infamante. Ou elles le croient innocent, et alors il devient pour elles un martyr, ou bien elles le savent coupable, et elles lui restent attachées pour le relever et le sauver.

D'ailleurs, fussent-elles même privées de la foi, les plus délicats instincts de la pudeur ne leur disent-ils pas qu'elles ne peuvent vivre avec un autre mari du vivant du premier? Pour l'honneur des femmes de France, j'espère que l'on en trouvera peu parmi elles qui braveront cette honte. Comme leur aïeule, la prêtresse gauloise Camma, elles diront, non en jetant aux pieds de leur mari la tête du centurion romain, mais en repoussant la loi qui ferait d'elles des courtisanes légales: «Deux hommes vivants ne se vanteront pas de m'avoir possédée.»

Certes, répétons-le, c'est rarement en dehors de la religion que la femme a la magnanimité, la divine compassion qui font d'elle la martyre du devoir au foyer conjugal. Le christianisme seul nous apprend à souffrir, et la doctrine positiviste qui cherche à le remplacer n'apprend qu'à jouir. Aussi les hommes qui proscrivent Dieu de l'éducation, sont-ils les mêmes qui appellent le divorce. C'est logique. Ce n'est pas après avoir désarmé le soldat qu'on l'envoie à la bataille. Ce n'est pas avec la perspective du néant que l'on nous dédommage des douleurs de cette vie.


§ VIII

Où se retrouve le type de la femme française.

L'abaissement du caractère de la femme, la désorganisation du foyer, voilà ce que nous a surtout montré jusqu'à présent le XIXe siècle. Si la société française tout entière était gangrenée par cette corruption, il y aurait de quoi désespérer de notre patrie. Une seule ressource peut sauver un pays en décadence: c'est la famille avec ses traditions domestiques, patriotiques, religieuses. Grâce à Dieu, cette ressource suprême ne nous manque pas encore; et si les mauvaises moeurs sont les plus apparentes parce qu'elles sont les plus tapageuses, elles ne sont pas, disons-le bien haut, en majorité parmi nous, A toute époque le mal a existé, et à toute époque aussi le bien a poursuivi son cours.

A côté de la femme légère, corrompue même, entraînant les hommes au mal, on a vu et l'on voit toujours la femme laborieuse, unissant à la tendresse miséricordieuse le dévouement poussé jusqu'au sacrifice, la force morale qui fait d'elle pendant l'épreuve, la consolatrice de l'homme, la conseillère du plus difficile devoir. «On a dit quelquefois, avec beaucoup d'injustice, qu'au fond de toute faute de la part d'un homme, il y a une femme. Le contraire est plus près de la vérité. Dans toute action noble et désintéressée, cherchez bien, vous trouverez votre mère, ou votre femme, ou votre enfant qui vous inspire, si vous êtes vraiment un homme de coeur. Mère, épouse, fille ou soeur, oui, répétons-le, il est des inspirations qui naissent de préférence dans le coeur des femmes, où le froid calcul, les ambitieuses réserves, les secrètes convoitises ont toujours moins de prise que sur l'esprit des hommes, même les meilleurs535

Note 535: (retour) Cuvillier-Fleury, Discours de réception à l'Académie française.

Tel est le caractère, telle est l'influence de la femme fidèle au plan divin. Ce type a existé dans les plus anciennes sociétés patriarcales, il s'est même retrouvé dans la corruption païenne. Mais il a reçu dans la femme forte de l'Écriture son expression la plus accomplie avant que l'Évangile lui eût donné une plus complète puissance de rayonnement et de tendresse. Ce type, nos vieux ancêtres de Gaule et de Germanie l'ont adopté avec amour, eux qui reconnaissaient dans la femme quelque chose de divin. Pour les rudes guerriers du moyen âge, la femme, être sacré, est une image visible de la Vierge Mère de Dieu; et le respect chevaleresque qu'elle leur inspire devient l'un des traits de la civilisation française.

Ce type, la corruption des siècles l'a épargné. A une civilisation plus brillante, mais moins pure que celle du moyen âge, la femme française et chrétienne n'a donné ou pris que les traditions de bon goût littéraire, d'urbanité sociale, de bonne compagnie enfin, qui s'adaptent si bien à ses qualités natives: la grâce enjouée, la vivacité d'esprit. C'est par elle que vivent encore aujourd'hui les rares salons qui ont gardé les traditions d'autrefois. C'est plus d'une fois par elle que le sentiment du beau trouve encore de l'écho parmi nous.

A tous les degrés de l'échelle sociale, le type de la femme française existe aujourd'hui; et, si dans les classes populaires, une éducation appropriée à une modeste destinée, lui donne moins d'éclat, ses grandes lignes subsistent toujours. Par l'élévation des sentiments, la plus humble femme du peuple a une distinction innée qui frappe souvent l'attention de l'observateur.

Dans tous les rangs de la société d'ailleurs, les femmes françaises ont pour le bien un admirable élan. Enthousiastes de leur nature, elles ne se bornent cependant pas à se laisser exalter par les grandes inspirations. Avec cette tendance pratique qui est dans notre caractère national, elles sentent le besoin de traduire par des actes, les généreuses émotions qui ont passé dans leurs âmes. La charité n'a pas de plus actifs missionnaires que les femmes de France. Ce sont les femmes qui, chaque année, figurent en majorité parmi les lauréats des prix Monthyon qui récompensent les humbles héroïsmes de la charité. Pauvres elles-mêmes, elles donnent à de plus pauvres qu'elles leurs soins, leur pain, leur temps.

Dans les classes plus élevées de la société, même chaleur d'âme, même sollicitude. Il y a encore des châtelaines qui, de même qu'au moyen âge, sont les mères de leurs paysans, et demeurent au milieu d'eux pour les éclairer, les soutenir, les soigner enfin dans leurs maladies. Au sein des villes, que de femmes vont porter dans les plus misérables demeures, les tendres encouragements et les secours matériels de la charité!

Depuis qu'avec saint Vincent de Paul, la charité est surtout devenue sociale, les femmes n'ont cessé de participer aux oeuvres fondées par ce grand apôtre du bien, ou qui, animées de son esprit, sont nées dans notre siècle. A présent, comme autrefois, les femmes du monde sont les dignes émules des soeurs de la Charité et de toutes les saintes filles qui, dans les autres communautés, se dévouent aux oeuvres du bien. Comment ne pas nommer parmi celles-ci les Petites-Soeurs des pauvres, et ne pas rappeler qu'elles furent instituées par deux ouvrières et par une servante?

Sous l'inspiration de l'Évangile, les femmes de France, quel que soit leur habit, quelle que soit leur condition sociale, embrassent dans leur sollicitude l'existence humaine tout entière, depuis le moment où l'enfant commence sa vie dans le sein de sa mère, jusqu'au temps où le vieillard se traîne dans la tombe. Sociétés de charité maternelle, éducation des enfants trouvés ou délaissés, orphelinats, crèches, asiles, écoles primaires ou professionnelles, ouvroirs, patronage des jeunes ouvrières valides ou malades, patronage de cercles d'ouvriers, fourneaux économiques, hospitalité de nuit, hospices de vieillards, hôpitaux, bagnes, prisons, maisons de détention, de correction, de préservation, patronage des jeunes filles détenues et libérées, écoles de réforme pour les petits vagabonds, on retrouve partout la femme de l'Évangile, excepté dans les écoles et dans les hôpitaux d'où l'on chasse avec le Dieu qui protège l'enfant et qui secourt le malade, la sainte fille qui est la mère de l'un et de l'autre.

Entre toutes les oeuvres que je viens de signaler ici et qui mériteraient une longue étude que ne me permet pas le cadre restreint de mon travail, je ne peux résister au désir d'en désigner deux qui montrent, sous deux aspects caractéristiques, la courageuse charité des femmes de France. L'une est l'oeuvre des Dames du Calvaire. Elle réunit, «en une grande famille536,» les veuves qui cherchent en Dieu et dans la charité les seules consolations que puisse laisser le déchirement des affections humaines. Sans former de voeux, sans habit religieux, elles recueillent des femmes atteintes des plaies les plus repoussantes, les plus infectes, et ces plaies, ce sont elles qui les pansent de leurs propres mains. Voilà ce que la charité chrétienne donne de courage physique! Et voici maintenant ce qu'elle donne de courage moral.

Note 536: (retour) Manuel des oeuvres.

Parmi les communautés qui s'occupent spécialement des oeuvres pénitentiaires et au nombre desquelles j'aime à placer le nom des sours de Marie-Joseph et de Notre-Dame-du-Bon-Pasteur, «des dominicaines appartenant aux premières familles de France, ne se bornent pas à recueillir les libérées des prisons, disais-je ailleurs. Avec une charité vraiment sublime et qui confond tous nos préjugés humains, elles ouvrent leurs rangs à celles de leurs protégées qui, après cinq années d'épreuves, ont été jugées dignes de prendre place parmi les épouses de Jésus-Christ. C'est au R. P. Lataste qu'est due l'inspiration de cette oeuvre si bien nommée: l'Oeuvre des Réhabilitées, qui est également appelée: la Maison de Béthanie, admirable souvenir de l'humble demeure que visitait Jésus, et où notre Sauveur aimait à rencontrer auprès de Marthe qui n'a jamais failli, Marie qui a péché, mais à qui il sera beaucoup pardonné, parce qu'elle a beaucoup aimé537

Note 537: (retour) Extrait de mes Études pénitentiaires, publiées dans la Défense, en 1878, d'après les documents qui m'avaient été communiqués par le ministère de l'intérieur.

Ce courage qui fait surmonter à la femme française et chrétienne tous les dégoûts physiques, toutes les répulsions morales, ce courage lui fait braver tous les périls. Dans les hôpitaux ravagés par le choléra, sur les barricades, sur les champs de bataille, on voit la cornette de là soeur de charité; et sous le feu meurtrier des obus aussi bien que sous le souffle empesté de l'épidémie, elle a trouvé de vaillantes auxiliaires dans la société laïque.

Lors de nos récentes calamités nationales, la bravoure et le patriotisme des femmes de France se sont montrés à la hauteur des exemples du passé. Si Dieu n'a plus suscité parmi elles une Jeanne d'Arc, du moins elles ont prouvé qu'elles n'étaient pas indignes d'être nées dans le pays de l'héroïne. Nous les avons vues à Paris supporter gaiement les rudes épreuves du siège, la famine, la bombardement. Nous les avons vues passer les glaciales nuits d'hiver à la queue des boucheries municipales. Nous les avons vues accepter avec intrépidité la perspective d'une explosion qui aurait fait périr avec elles l'envahisseur, et demeurer calmes au milieu des obus qui, en sifflant sur leurs demeures, leur apportaient peut-être la mort. Lorsqu'un décret décida que les femmes qu'atteindraient les obus ennemis seraient considérées comme tombées au champ d'honneur, c'était dignement répondre à l'enthousiasme avec lequel les assiégées de Paris partageaient, non seulement les rigueurs, mais les périls de la guerre. Elles pouvaient avec fierté dire cette parole que je recueillais un jour sur les lèvres de l'une d'elles: «Eh bien! nous mourrons comme des soldats!»

Devant le péril de la patrie, la femme s'est senti une âme romaine, et j'ai vu la mère du soldat faire passer le salut national avant même la vie de son fils.

Quand les généreuses émotions de la guerre étrangère firent place aux poignantes douleurs de la guerre civile, les femmes se montrèrent pour sauver des proscrits. Heureuses celles qui purent, comme les dames de la Halle, préserver leur pasteur de la mort!

Rappelons-le encore ici: c'est, dans l'action de la charité, c'est dans le courage du patriotisme, c'est dans les interventions qui ont pour objet d'arracher des innocents à la mort, c'est là surtout la vraie mission publique de la femme, ou, pour mieux dire, c'est l'extension même du rôle qu'elle remplit à son foyer.

Cette mission, sociale et domestique, la femme qui sait la comprendre n'en réclame pas d'autre. Ce n'est pas elle qui prétend à l'émancipation politique. Il lui suffit de maintenir à son foyer les traditions de justice, de désintéressement, d'honneur chevaleresque et de généreux patriotisme, qui font sacrifier l'intérêt personnel à la voix de la conscience538. Elle sait aussi que la plus sûre manière de servir son pays est de lui donner dans ses fils de courageux soutiens, dans ses filles, des femmes qui seront des mères éducatrices. Et lorsqu'elle a le bonheur d'être unie à un homme digne d'elle, elle n'a pas non plus à songer à l'émancipation civile. Entourée de sa tendresse et de son respect, elle vit de sa vie, elle partage avec lui l'autorité domestique, et si la loi humaine ne lui accorde pas la plénitude de son droit maternel, elle exerce ce droit au nom d'une loi plus haute: le Décalogue.

Note 538: (retour) C'est dans ce sens que M. de Tocqueville souhaitait que la femme ne se désintéressât pas de la vie publique: «J'ai vu cent fois, dans le cours de ma vie,» écrivait-il à Mme Swetchine, «des hommes faibles montrer de véritables vertus publiques, parce qu'il s'était rencontré à côté d'eux une femme qui les avait soutenus dans cette voie, non en leur conseillant tels ou tels actes en particulier, mais en exerçant une influence fortifiante sur la manière dont ils devaient considérer en général le devoir et même l'ambition.»

C'est la famille patriarcale telle que Dieu l'a instituée au commencement du monde, et telle que le Christ l'a restaurée. Elle a traversé de bien mauvais jours, et peut-être subit-elle maintenant la crise la plus périlleuse qu'elle ait jamais eu à combattre. Ce n'est plus seulement, comme autrefois, la corruption des moeurs qui la menace; c'est l'ébranlement même des principes sur lesquels elle repose: Dieu, l'indissolubilité du mariage, l'autorité paternelle. Plus que jamais il appartient à la femme d'être à son foyer la gardienne vigilante de ces principes. Elle ne remplit pas seulement ainsi ses devoirs d'épouse et de mère, elle remplit une mission patriotique. Au milieu des ruines qui nous entourent, elle protège contre l'effondrement général, la seule pierre qui soit restée debout: la pierre du foyer. C'est sur cette pierre seulement que pourra se reconstituer la société française.

FIN



TABLE DES MATIÈRES.

CHAPITRE PREMIER

L'ÉDUCATION DES FEMMES—LA JEUNE FILLE
LA FIANCÉE
(XVIe-XVIIIe SIÈCLES)

Transformation que le XVIe siècle fait subir à l'existence de la femme.—Le courant de la vie mondaine et le courant de la vie domestique.—Les deux éducations.—Érudition des femmes de la Renaissance.—Opinion de Montaigne à ce sujet.—Les émancipatrices des femmes au XVIe siècle.—Les sages doctrines éducatrices et leur application.—L'instruction des femmes au xviie siècle.—Les femmes savantes d'après Mlle de Scudéry et Molière.—Suites funestes de la satire de Molière.—L'ignorance des femmes jugée par La Bruyère, Fénelon, Mme de Maintenon, etc.—L'éducation comprimée des jeunes filles.—Réformes éducatrices: le traité de Fénelon sur l'Éducation des filles. Mme de Maintenon à Saint-Cyr.—L'instruction professionnelle et l'instruction primaire du XVIe au XVIIIe siècles.—Caractère de l'ignorance des femmes du monde au XVIIIe siècle; leur éducation automatique.—Les théories éducatrices de Rousseau et de Mme Roland.—Les anciennes traditions.—Les résultats de l'éducation mondaine et ceux de l'éducation domestique.—La jeune fille dans la poésie et dans la vie réelle.—Les tendresses du foyer.—Mme de Rastignac.—Le sévère principe romain de l'autorité paternelle.—Les jeunes ménagères dans une gentilhommière normande.—La fille pauvre, Mlle de Launay.—Le droit d'aînesse.—Bourdaloue et les vocations forcées.—Condition civile et légale de la femme.—La communauté et le régime dotal.—Marche ascendante des dots.—Mariages d'ambition.—La chasse aux maris.—Les mariages enfantins—Mariages d'argent.—Mésalliances.—Mariages secrets.—Les exigences du rang et leurs victimes; une fille du régent; Mlle de Condé.—Mariages d'amour; Mlle de Blois.—La corbeille.—Cérémonies et fêtes nuptiales.—Le mariage chrétien.

CHAPITRE II

L'ÉPOUSE, LA VEUVE, LA MÈRE
(XVIe-XVIIIe SIÈCLES)

La femme de cour.—Le luxe de la femme et le déshonneur du foyer.—Nouveau caractère de la royauté féminine.—Tristes résultats des mariages d'intérêt.—Indifférence réciproque des époux.—L'infidélité conjugale.—Légèreté des moeurs.—Veuves consolables.—Mères corruptrices.—La femme sévèrement jugée par les moralistes.—Rareté des bons mariages.—La femme de ménage.—La femme dans la vie rurale.—La baronne de Chantal.—La maîtresse de la maison, d'après les écrits de la duchesse de Liancourt et de la duchesse de Doudeauville.—La femme forte dans l'ancienne magistrature; Mme de Pontchartrain, Mme d'Aguesseau.—La miséricorde de l'épouse; Mme de Montmorency; Mme de Bonneval.—La vie conjugale suivant Montaigne.—Exemples de l'amour dans le mariage.—De beaux ménages au XVIIIe siècle: la comtesse de Gisors, la maréchale de Beauvau.—Dernière séparation des époux.—Hommages testamentaires rendus par le mari à la vertu de la femme.—Dispositions testamentaires concernant la veuve.—La mère veuve investie du droit d'instituer l'héritier.—Autorité de la mère sur une postérité souvent nombreuse.—La mission et les enseignements de la mère.—La mère de Bayard.—Mme du Plessis-Mornay, la duchesse de Liancourt, Mme Le Guerchois, née Madeleine d'Aguesseau.—L'aïeule.—La mère, soutien de famille; Mme du Laurens.—Caractère austère et tendre de l'affection maternelle.—Mères pleurant leurs enfants.—La mère le fils réunis dans le même tombeau.

CHAPITRE III

LA FEMME DANS LA VIE INTELLECTUELLE
DE LA FRANCE
(XVIe-XVIIIe SIÈCLES)

Influence des femmes sur les arts de la Renaissance.—Leur rôle littéraire.—Marguerite d'Angoulême.—Les Contes de la reine de Navarre et la causerie française.—Vie de Marguerite, ses lettres et ses poésies.—La seconde Marguerite.—Mémoires de la troisième Marguerite.—Marie Stuart.—Gabrielle de Bourbon.—Jeanne d'Albret.—Femmes poètes du xvie siècle, la belle Cordière, les dames des Roches, etc.—Mlle de Gournay, son influence philologique.—Les salons du xviie siècle.—L'hôtel de Rambouillet; Corneille et les commensaux de la chambre bleue.—La duchesse d'Aiguillon, protectrice du Cid; écrivains et artistes qu'elle reçoit au Petit-Luxembourg.—La marquise de Sablé et les Maximes de La Rochefoucauld.—Double courant féminin qui donne naissance aux Caractères de La Bruyère.—Les conversations d'après Mlle de Scudéry.—Relations littéraires de Fléchier avec quelques femmes distinguées.—Les protectrices et les amies de La Fontaine.—Anne d'Autriche protège les lettres et les arts.—Racine et les femmes.—Productions intellectuelles des femmes du XVIIe siècle.—Les oeuvres de Mme de la Fayette.—Les lettres de Mme de Sévigné.—Mme de Maintenon.—Mme Dacier.—Femmes peintres au XVIIe et au XVIIIe siècles.—Mme de Pompadour.—Femmes de lettres et salons littéraires au XVIIIe siècle: Mme de Tencin, la cour de Sceaux; Mme de Staal de Launay, la marquise de Lambert.—Influence des femmes du XVIIIe siècle sur les travaux des philosophes et des savants.—Mme du Chatelet, Mlle de Lézardière.—Le salons philosophiques; Mme Geoffrin.—Un salon du faubourg Saint-Germain: la marquise du Deffant.—Les admiratrices de Rousseau et de Voltaire.

CHAPITRE IV

LA FEMME DANS LA VIE PUBLIQUE DE NOTRE PAYS

Quelle a été l'influence des femmes dans l'histoire des temps modernes.—Entre le moyen âge et la Renaissance: Jeanne Hachette et les femmes de Beauvais; Anne de France, dame de Beaujeu; Anne de Bretagne.—XVIe-XVIIIe siècles: Louise de Savoie et Marguerite d'Angoulême. Les favorites des Valois. Catherine de Médicis. Élisabeth d'Autriche. Anne d'Este, duchesse de Guise. La duchesse de Montpensier. La femme de Coligny. Jeanne d'Albret. Caractère violent des femmes du XVIe siècle. Une tradition du moyen âge. Les vaillantes femmes. Marie de Médicis. Anne d'Autriche. Rôle des femmes pendant la Fronde. Les collaboratrices de saint Vincent de Paul. Mme de Maintenon. Mme de Prie, Mme de Pompadour, Mme du Barry. Les conseillères de Gustave III. La mère de Louis XVI. Marie-Antoinette. Les martyres et les héroïnes-de la Révolution. Les femmes politiques de la Révolution: Mme Roland, Charlotte Corday, Olympe de Gouges. Les mégères. Les flagelleuses. Leurs clubs. Les tricoteuses; les sans-culottes. Les Furies de la guillotine. La Mère Duchesne, Reine Audu, Rosé Lacombe. Théroigne de Méricourt.

CHAPITRE V

LA FEMME AU XIXe SIÈCLE—LES LEÇONS
DU PRÉSENT ET LES EXEMPLES DU PASSÉ

§ I. L'émancipation politique des femmes jugée par l'école révolutionnaire.—§ II. Le travail des femmes. Quelles sont les professions et les fonctions qu'elles peuvent exercer?—§ III. Quelle est la part de la femme dans les oeuvres de l'intelligence et dans quelle mesure la femme peut-elle s'adonner aux lettres et aux arts?—§ IV. L'éducation des femmes dans ses rapports avec leur mission.—§ V. Conditions actuelles du mariages. Les droits civils de la femme peuvent-ils être améliorés?—§ VI. Mondaines et demi-mondaines.—§ VII. Le divorce.—§ VIII. Où se retrouve le type de la femme française.




[Note du transcripteur: Matériel reporté du début du livre.]



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