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La Flandre pendant des trois derniers siècles

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C'est bien en vain. Français, que vous pensez nous prendre,

Encore que tout secours nous manque au besoin;

Vous perdrez votre temps; plutost qu'on nous voye rendre,

Ce cheval mangera cette botte de foin.

Le comte de Brouay, gouverneur de Lille, fit demander à Louis XIV de lui indiquer la position du pavillon royal, afin de diriger d'un autre côté la canonnade. «Partout où est l'armée, là est le roi,» fit répondre Louis XIV. Cependant la ville fut réduite à capituler; et quand le comte de Brouay, qui l'avait défendue avec beaucoup de courage, se présenta devant Louis XIV pour le saluer, il se trouva si ému en sa présence qu'il lui fut impossible de trouver une parole; mais Louis XIV le rassura, en lui disant: «Monsieur, j'ai du déplaisir de votre malheur parce que vous êtes un galant homme qui avez fait votre devoir pour le service de votre maître, et je vous en estime davantage.»

Louis XIV ne tarda pas à se rendre à Arras, pour y offrir à la jeune reine de France les lauriers de son expédition en Flandre.

Le plus illustre de nos dieux

Et son adorable compagne

Ne pouvoient pas manquer d'être victorieux,

L'un par son bras, et l'autre par ses yeux,

Des villes et des cœurs d'Espagne [17].

Pierre Corneille chanta les mêmes victoires sur un rhythme plus élevé:

Que dirai-je de Lille, où tant et tant de tours,

De forts, de bastions, n'ont tenu que dix jours?

Ces murs si rechantés, dont la noble ruine

De tant de nations flatte encor l'origine,

Ces remparts que la Grèce et tant de dieux ligués

En deux lustres à peine ont pu voir subjugués,

Eurent moins de défense, et l'art en leur structure

Avoit moins secouru l'effort de la nature;

Et ton bras en dix jours a plus fait à nos yeux

Que la fable en dix ans n'a fait faire à ses dieux.

Ce fut la Hollande qui interposa sa méditation entre la France et l'Espagne. La Flandre ne faisait point de vœux pour la France; elle n'aimait pas plus l'Espagne, dont la domination lui était devenue si pesante, que l'on avait vu les échevins de Bruges refuser, en vertu de leurs priviléges, les clefs de leur ville au comte Salazar pour les garder eux-mêmes. Elle accueillit avec un respect mêlé d'anxiété l'échevin d'Amsterdam, Conrad van Beuningen, qui traversa ses villes pour aller remplir, à Versailles, au nom d'une petite république, les fonctions d'arbitre entre deux grandes puissances absolues. Qui eût dit, au commencement des troubles des Pays-Bas, qu'avant qu'un siècle s'écoulât, la monarchie de Philippe II serait réduite à se placer sous la protection des descendants de ceux qu'elle avait proscrits comme des rebelles?

L'échevin van Beuningen fit conclure la paix à Aix-la-Chapelle, le 2 mai 1668. La France consentit à ne pas s'étendre davantage vers les frontières de la Hollande; mais elle conserva Charleroy, Ath, Douay, Tournay, Audenarde, Lille, Armentières, Bergues, Furnes et Courtray. La Hollande n'était point rassurée; elle chercha à former contre le roi de France une confédération à laquelle accéda l'empereur.

Cependant le roi d'Angleterre, qui s'était un moment rapproché de la Hollande, s'en éloigna aussitôt pour proposer au roi de France une alliance en vertu de laquelle on lui reconnut le droit d'occuper l'île de Walcheren, le pays de Cadzand et le port de l'Écluse. Jean de Witt fut instruit de ces négociations, et il crut les déjouer en faisant offrir au roi de France, conformément au plan discuté en 1663, la cession de Cambray, d'Aire, de Saint-Omer, de Furnes, de Bergues et des châtellenies de Cassel, de Bailleuil et de Poperinghe, pourvu qu'il abondonnât à la Hollande Ostende, Bruges, Damme, Blankenberge et la Gueldre espagnole. Louis XIV comprit bien que ces propositions n'avaient d'autre but que de rompre la paix d'Aix-la-Chapelle, et il n'hésita pas à les repousser.

Louis XIV semblait prendre plaisir à étaler toute sa puissance. Il vint, escorté de trente mille hommes et entouré d'une cour brillante, visiter ses conquêtes des Pays-Bas. «La pompe et la grandeur des anciens rois de l'Asie, dit Voltaire, n'approchaient pas de l'éclat de ce voyage. Le roi, qui voulait gagner les cœurs de ses nouveaux sujets, répandait partout ses libéralités avec profusion. L'or et les pierreries étaient prodigués à quiconque avait le moindre prétexte pour lui parler. Les principales dames de Bruxelles et de Gand venaient voir cette magnificence. Le roi les invitait à sa table; il leur faisait des présents pleins de galanterie. Ce fut une fête continuelle dans l'appareil le plus pompeux.» Puis, lorsqu'il vit les Hollandais inquiets de le savoir si près d'eux, il envoya la duchesse d'Orléans presser la conclusion de son alliance avec le roi Charles II, dont elle était sœur. Un traité secret, qui confirmait toutes les prétentions du roi d'Angleterre, fut signé le 1er juin 1670.

Les menaces de Louis XIV n'éclatèrent que deux ans après. La Hollande fut envahie et presque conquise, mais ces succès isolèrent le roi de France de ses alliés. S'il insistait pour étendre entre la Meuse et le Rhin les possessions de l'électeur de Cologne, il se montrait peu empressé à livrer aux Anglais les portes de la Flandre, et voulait les engager à se contenter de Delfzyl et de vingt villages. «Il m'importe, en séparant deux puissances qui me sont légitimement suspectes, écrivait-il le 23 juin 1672 à Colbert, de ne pas les réunir en quelque sorte selon les accidents qui pourraient arriver à l'avenir par une troisième, que j'établirais en terre ferme.» Louis XIV n'avait peut-être pas assez considéré combien lui était précieuse l'alliance de l'Angleterre.

Il faut ajouter que la Hollande réclamait l'appui de l'Espagne, son ancienne ennemie. L'invasion française de 1667 avait préparé ce rapprochement fondé sur le sentiment d'un péril commun. Au mois de juillet 1668, Corneille Loots, envoyé des Provinces-Unies, se rendit à Bruxelles pour se plaindre des capres d'Ostende, qui s'emparaient des marchandises anglaises transportées sous pavillon hollandais; mais le marquis de Castel-Rodrigo répliqua que les Hollandais, au temps de leurs guerres contre l'Angleterre, s'étaient toujours attribué le droit de visiter les navires flamands et d'y saisir les marchandises anglaises, et qu'ils ne pouvaient trouver mauvais que l'on agît de même. Les Provinces-Unies insistèrent; dans une lettre du 11 août, elles adressèrent au marquis de Castel-Rodrigo des menaces de représailles auxquelles don Estevan de Gamarra, ambassadeur espagnol à La Haye, répondit par une note où on lisait: «Son Excellence trouve bien étrange que Leurs Seigneuries veuillent se servir de termes si impérieux et si despotiques contre un prince souverain, puisque c'est tout ce que Leurs Seigneuries pourroient faire envers leurs subjects, n'ayant jamais été la coutume que l'on prescrive à ceux qui ne le sont pas, des lois semblables.» Des conférences eurent lieu: elles n'amenèrent point de résultat, et la Hollande fit saisir dix-neuf capres d'Ostende aux bouches de la Tamise; mais on ne tarda point à les relâcher. On ne voulait pas, dit Aitzema, se mettre à dos les Espagnols.

En 1672 la réconciliation est complète, et le comte de Monterey retire dix mille hommes des garnisons de Flandre pour les placer sous les ordres du jeune prince Guillaume d'Orange. Louis XIV lutte contre l'Europe coalisée. Tandis que Turenne franchit le Rhin, Condé livre aux Hollandais et aux Espagnols la douteuse et sanglante bataille de Seneffe. Le prince d'Orange est forcé de lever le siége d'Audenarde. Lorsque Turenne et Condé disparaissent du théâtre des combats, l'un atteint par un boulet, l'autre chargé d'autant d'infirmités que de lauriers, c'est aux maréchaux de Luxembourg et d'Humières que passe le soin de guerroyer dans les Pays-Bas. Enfin, en 1676, le roi de France se place lui-même à la tête de son armée de Flandre. Prise de Condé et de Bouchain.

La grandeur militaire de la France a étonné les puissances confédérées. Des négociations s'ouvrent pendant l'hiver de 1677. Louis XIV demande la cession de Cambray aux Espagnols, qui répondent «qu'ils aiment autant céder toute la Flandre que cette place.» D'un autre côté il propose aux Provinces-Unies le partage des Pays-Bas: «Comme la guerre et le traité de paix, écrit-il au comte d'Estrades, ont apporté un grand changement au premier projet de 1635, vous pourriez en prendre un plan tout différent qui convînt à l'état présent des choses, et tel, toutefois, qu'il assurât une frontière forte et considérable à la Hollande. Pour cela vous pourriez convenir d'une ligne qu'il semble que la nature ait formée par les canaux et par les rivières, pour couvrir ce qui appartiendrait aux états généraux du reste des Pays-Bas, qui me demeureraient en partage. Elle devrait commencer à Ostende, suivre le canal de Bruges jusques à Gand, prendre ensuite l'Escaut jusqu'à l'embouchure du Demer et suivre cette dernière rivière en la remontant jusques à Maestricht: ce serait joindre, en cette sorte, la mer à la Meuse, et laisser dans la part des états les grandes et puissantes villes qui se trouvent sur ces rivières, particulièrement celle d'Anvers, qui est plus importante à la Hollande que toute autre par sa situation si avantageuse pour le commerce.»

Ces propositions, qui eussent eu pour résultat de faire approuver par les Hollandais dans un traité ce qu'ils s'efforçaient d'empêcher en prodiguant leur sang et leurs richesses, ne pouvaient point être accueillies.

La guerre continue. Le 17 mars 1677, Louis XIV ouvre la campagne en s'emparant de Valenciennes. Cambray, que les Espagnols lui ont refusé l'année précédente avec tant de hauteur, tombe en son pouvoir le 5 avril.—Bataille de Cassel. Le prince d'Orange, vaincu par le duc d'Orléans, est rejeté vers Bruges. Deux jours après, la garnison de Saint-Omer capitule à des conditions honorables.

Cependant l'Angleterre s'alarme de plus en plus des progrès des Français en apprenant la conquête de Valenciennes, et, le 26 mars 1677, le parlement présente à Charles II l'adresse suivante:

«Nous, très-fidèles sujets de Votre Majesté, chevaliers, citoyens et bourgeois, assemblés en parlement, nous sommes obligés, par l'attachement et la fidélité que nous avons pour Votre Majesté et pour répondre en même temps à la confiance qu'ont en nous ceux que nous représentons, de remontrer très-humblement à Votre Majesté que son peuple est extrêmement fâché et troublé du danger évident dont son royaume est menacé par la puissance et l'agrandissement du roi de France, particulièrement à cause des conquêtes qu'il a déjà faites et de l'apparence qu'il y a qu'il poussera encore plus loin ses armes dans la Flandre. Pour nous acquitter donc de notre devoir, nous croyons qu'il y va de l'intérêt de Votre Majesté et de la sûreté de votre peuple, et nous supplions respectueusement Votre Majesté d'y penser sérieusement et de se fortifier par de telles et de si étroites alliances qu'elles soient capables de secourir les Pays-Bas, et Votre Majesté calmera par ce moyen les craintes de son peuple.»

Charles II hésitait encore. Il pressait Louis XIV de consentir à restituer Charleroy, Ath, Audenarde, Courtray, Tournay, Condé; mais le roi de France se montrait bien résolu à ne pas abandonner ces trois dernières places, et il ne voulait évacuer les autres que dans le cas où les Espagnols lui auraient remis Ypres, Charlemont et Luxembourg. Il eût renoncé, toutefois, à Ypres si on lui avait accordé en Catalogne la forteresse de Puycerda. Plus tard il offrit de se retirer de Courtray si on lui cédait Menin, Cassel, Poperinghe, Bailleul, Merville, Wervicq, Warneton, Bavay et Maubeuge, de telle sorte que les villes de Condé, de Tournay, de Menin, de Bailleul, de Poperinghe et de Fumes eussent formé la frontière française. Charles II ne put dominer son parlement trop jaloux de l'ambition de Louis XIV, qui le contraignit à s'allier à la Hollande. Le prince d'Orange épousa Marie, nièce de Charles II.

Louis XIV, avec un inébranlable courage, ne vit dans l'abandon de l'Angleterre qu'un motif pour hâter le commencement de la campagne de 1678. Le maréchal d'Humières alla investir, dès la fin de l'hiver, la ville de Gand, que le duc de Villa-Hermosa avait dégarnie de troupes pour renforcer la garnison d'Ypres, et, le 4 mars, Louis XIV rejoignit son armée, qui était forte de soixante mille hommes. Don Francisco de Pardo était gouverneur de Gand. Bien qu'il n'eût avec lui que trois régiments, il s'illustra par une vaillante résistance. Il avait promis aux bourgeois de nouveaux priviléges et leur avait persuadé de prendre les armes en arborant l'antique bannière de Gand. Mais les temps étaient bien changés depuis l'époque où les trompettes du guet de Saint-Nicolas suffisaient pour mettre en fuite les chevaucheurs de Philippe de Valois. Les maréchaux de Luxembourg, d'Humières, de Lorges et de Schomberg commandaient les Français. Vauban dirigeait les travaux du siége. Enfin, le 8 mars, à onze heures du soir, quelques bombes furent lancées dans la ville, afin de répandre le désordre parmi les habitants réunis en armes dans les rues, et six coups de canon donnèrent le signal de l'assaut. Les deux demi-lunes qui couvraient la porte de Courtray, furent enlevées par le duc de Villeroy et le colonel de Saint-Georges. Parmi les volontaires qui suivaient le duc de Villeroy, se trouvait le prince d'Iseghem, de la maison de Gand, qui rentrait, l'épée à la main, dans une cité qui, berceau de ses ancêtres, leur avait donné son nom [18].

Seize jours après, Ypres capitula après un assaut où fut blessé le maréchal de Vauban.

La campagne semblait, toutefois, à peine s'ouvrir. Les Espagnols se réunissaient à l'armée du prince d'Orange; les Allemands se dirigeaient vers le Rhin, et déjà, des troupes anglaises avaient débarqué à Ostende lorsque l'habileté des diplomates français réussit à faire incliner vers la paix l'esprit des Hollandais, plus zélés pour de lointaines pérégrinations commerciales que pour les périls d'une longue guerre. La France leur offrait la restitution de Maestricht et les conditions les plus favorables. Les états généraux signèrent la paix à Nimègue le 10 août 1678, malgré les représentations de leurs alliés, et, de même qu'en 1668, la république des Provinces-Unies eut l'honneur de décider de la paix de l'Europe. Dès qu'elle se fut prononcée, toutes les autres puissances se virent réduites à suivre son exemple. Par un traité signé le 17 septembre entre les plénipotentiaires de France et d'Espagne, Louis XIV restitua en Flandre la ville de Gand, récemment conquise, et même plusieurs villes cédées à la France par le traité d'Aix-la-Chapelle, telles que Charleroy, Binche, Ath, Audenarde, Courtray; mais il conserva Bouchain, Condé, Cambray, Aire, Saint-Omer, Ypres, Wervicq, Warneton, Poperinghe, Bailleul, Cassel, Maubeuge et Bavay. Le mariage du jeune roi d'Espagne, Charles II, avec une princesse française, confirma ce traité.

Ce fut ainsi qu'en cette occasion mémorable Louis XIV sut conserver toute la gloire de ses triomphes et élever plus haut que jamais, en dépit des efforts de ses ennemis, la renommée et la puissance de la France.

(1679). Voyage de Louis XIV en Flandre. A Dunkerque, il est complimenté par John Churchill, qu'il apprendra plus tard à redouter sous le nom de duc de Marlborough. Il est reçu avec de grands honneurs à Ypres aussi bien qu'à Lille.

La paix de Nimègue ne dura que cinq ans. Louis XIV, voyant tous ses ennemis divisés, réclama le comté d'Alost, qui n'avait point été mentionné dans l'énumération des territoires sur lesquels il avait abdiqué toute prétention fondée sur le droit de dévolution. Au mois de novembre 1683, le duc de Boufflers prit Courtray. Un autre corps français s'empara de Dixmude. Au printemps suivant, le maréchal d'Humières bombarde Audenarde. Enfin, au mois de juin 1684, une trêve de vingt ans est signée sous les auspices de la Hollande. Louis XIV obtient la forteresse de Luxembourg et ne restitue Courtray et Dixmude qu'après avoir fait démanteler leurs retranchements. L'Espagne adhère à cette trêve, qui est également ratifiée à Ratisbonne par les envoyés de l'empereur et du roi d'Angleterre.

Triste situation de la Flandre, contrainte à compléter les contributions militaires que les Français ont commencé à y lever. Les Espagnols prennent eux-mêmes le prétexte de la pénurie du trésor pour mettre aux enchères toutes les fonctions publiques. Gouvernement impopulaire du marquis de la Grana et du marquis de Gastanaga. Résistance des magistrats de Gand et de Bruges.—La médiation du comte de Bergeyck prévient peut-être une insurrection.

«Bergeyck, dit Saint-Simon, étoit l'homme le plus instruict de l'état de ces pays... C'étoit un homme infiniment modeste, affable, doux, équitable et parfaitement désintéressé, mais sage et réglé... C'étoit l'homme du monde le plus hardi à dire la vérité, qui aimoit et cherchoit le plus le bien pour le bien... Il se pouvoit dire un homme très-rare... Il fut toujours adoré aux Pays-Bas espagnols.»

Vers cette époque, furent rédigés par les intendants des provinces, pour l'instruction du duc de Bourgogne, les Mémoires des généralités du royaume, mémoires que le comte de Boulainvilliers résuma en les modifiant profondément dans son Histoire de l'ancien gouvernement de la France.

L'un de ces mémoires se rapporte à la Flandre flamingante. L'auteur dépeint ainsi le caractère des habitants:

«Les Flamands sont assez laborieux, soit pour la culture de la terre, soit pour les manufactures et le commerce que nulle nation n'entend mieux qu'eux. Ils ont de l'esprit et du bon sens... et sont habiles dans leurs affaires... Les petites gens autrefois ne faisoient pas grand scrupule, dans la chaleur de leurs débauches, de se battre à coups de couteaux; ils se tuoient impunément, et les coupables se sauvoient aussi tost dans des couvents ou dans des églises, où ils estoient à couvert de la justice pendant que leurs amis taschoient d'accommoder leurs affaires... Les Flamands sont nés avec du courage, mais ils n'ayment point la guerre, tant parce que la fortune ne s'y fait point assez promptement à leur fantaisie que parce qu'ils n'ayment pas à l'achepter (eux qui sont glorieux) par une certaine sujétion qu'ils traitent de bassesse. On doit cependant juger par ce qu'ont fait les régiments de Solre et de Robec, et par toutes les belles actions des capres de Dunkerque pendant le cours de cette dernière guerre, que les Flamands ne cèdent en valeur, ny par mer, ny par terre, à aucune nation de l'Europe... Ils sont grands amateurs de la liberté et grands ennemis de la servitude, et en cela ils tiennent encore des anciens Belges, ce qui fait qu'on les gagne plus aisément par la douceur que par la force.»

Ces lignes, il est important de le remarquer, ont été écrites sous le gouvernement absolu de Louis XIV. Du reste, en 1697, la situation de la partie de la Flandre réunie à la France par le traité de Nimègue était peu favorable; tout retraçait les ravages de la guerre dont elle avait été si longtemps le théâtre. Le nombre des familles nobles qui y résidaient, était réduit à cent quatre-vingt-trois. Les habitants des villes ne se soutenaient que par une louable économie qui seule les préservait de la mendicité; les laboureurs vendaient à peine quelques chevaux, quelques vaches laitières et quelques brebis d'une race renommée dans le pays de Fumes pour sa rare fécondité. Le colza, «chou sauvage, de la graine duquel on fait l'huile à brûler,» n'était un produit avantageux que lorsque les Hollandais ne recevaient pas les huiles du Midi pour la fabrication de leurs savons; les lins étaient moins recherchés depuis que le commerce des toiles et celui du fil que l'on envoyait en Angleterre, étaient à peu près anéantis. Sous l'influence de cette détresse, la population avait diminué de moitié en quinze ans et se trouvait réduite au sixième de ce qu'elle était autrefois, et encore y comptait-on sur treize personnes une qui ne vivait que d'aumônes. Ypres, qui, au treizième siècle, renfermait deux cent mille habitants, en avait moins de douze mille [19], et de ses deux mille métiers à fabriquer le drap il lui en restait quinze; mais l'on espérait pouvoir, par des privilèges et des franchises, relever ses manufactures et repeupler son enceinte en y appelant les ouvriers catholiques de la Hollande.

Le port de Dunkerque était seul florissant: il s'était dédommagé de la perte du commerce de la morue en armant ses marins sous la direction de «monsieur le chevalier Bart, chef d'escadre.» En 1678, les capres de Dunkerque avaient, au prix de la vie de trente-deux de leurs capitaines et de trois mille matelots, enlevé trois cent quatre-vingt-quatre navires évalués à près de quatre millions, sans compter ceux qu'ils restituèrent ou qui furent reconquis. Le 8 octobre 1697, les prises effectuées dans la dernière guerre dépassaient le chiffre de dix-sept millions de livres; de plus, six cent mille livres avaient été abandonnées aux matelots pour droit de plontrage (pillage), et la renommée des capres de Dunkerque était si grande que l'on disait d'eux «que, fortifiés de quinze ou de vingt vaisseaux du roy de France, ils feroient à l'Angleterre et à la Hollande plus de mal que toutes ses armées de terre et de mer ensemble, et seroient capables, par la destruction de leur commerce, de les obliger à lui demander la paix à telles conditions qu'il leur voudroit donner.»

Les anciens usages de la Flandre communale se conservaient encore à la fin du dix-septième siècle dans quelques villes; le mémoire que nous analysons, rapporte qu'à Ypres aucun impôt ne pouvait être établi sans l'approbation de la grande commune, «conseil représentant le peuple, composé des échevins, des conseillers, de vingt-sept consaux ayant à leur teste un capitaine qu'on appelle hoofman, de quinze bourgeois, des cinq gouverneurs des tisserans de serge et des cinq principaux des moindres métiers.»

Cependant la Flandre commence à respirer: la crainte de voir la guerre se renouveler s'est effacée de tous les esprits, et la France elle-même, épuisée par ses nombreux armements, ne semble plus l'appeler de ses vœux, quand un événement imprévu en donne le signal. Le prince d'Orange, élevé par une usurpation heureuse au trône d'Angleterre sur lequel sa femme, fille de Jacques II, ne monte qu'en en précipitant son père, se déclare le rival de Louis XIV. Maître de l'Angleterre, dominant désormais en Hollande, il presse l'empereur et le roi d'Espagne de s'unir avec lui dans une nouvelle confédération.

Bataille de Fleurus gagnée par le maréchal de Luxembourg (30 juin 1690). Guillaume III débarque dans les Pays-Bas. Il est repoussé au combat de Steenkerke. L'électeur de Bavière succède au marquis de Gastanaga. Le marquis de Boufflers s'empare de Furnes et de Dixmude.—Bataille de Neerwinde. Guillaume III essaye vainement de rompre les lignes françaises devant Courtray. Ce n'est qu'après la mort du maréchal de Luxembourg que l'on voit chanceler la puissance militaire de la France. Guillaume III prend Namur et ce succès l'engage à persévérer de plus en plus dans le rôle qu'il s'attribue de libérateur de l'Europe.

Louis XIV se trouva réduit pour la première fois à conclure un traité de paix dont les conditions lui étaient défavorables. Malgré les promesses qu'il avait faites à Jacques II, il reconnut l'usurpation de Guillaume III; de plus il restitua toutes ses conquêtes. L'Espagne recouvra Mons, Luxembourg et Courtray (20 septembre 1697).

Quatre traités distincts conclus à Ryswick par la France avec l'Empire, l'Angleterre, l'Espagne et la Hollande, avaient terminé toutes les difficultés de la situation présente; mais il en était d'autres dont l'avenir ne semblait pas devoir longtemps retarder la solution et dont la gravité pouvait bientôt compromettre la paix de l'Europe, alors qu'elle venait à peine d'être rétablie. La santé languissante de Charles II annonçait que sa vie serait courte, et l'on voyait déjà l'empereur et le roi de France invoquer l'un et l'autre les liens du sang qui les unissaient au roi d'Espagne. Quel que dût être le plus heureux de ces deux rivaux, la puissance de la domination espagnole, ajoutée soit à l'Empire, soit à la France, portait avec elle, chez celui qui devait la recueillir, le sceptre de la dictature européenne. L'Angleterre et la Hollande, intéressées à maintenir un équilibre tout favorable à leur influence politique, opposèrent à des prétentions trop vastes un projet de partage qui fut signé le 11 octobre 1698. Par cette convention la France obtint le Guipuscoa et les royaumes de Naples et de Sicile; l'archiduc Charles, second fils de l'empereur Léopold, le duché de Milan. La couronne d'Espagne fut réservée au fils de l'Électeur de Bavière, gouverneur général des Pays-Bas. Cet enfant de cinq ans, issu de Philippe III par sa mère, Marie-Antoinette d'Autriche, manqua à la puissance que lui offrait la jalousie de l'Europe; il eût été remarquable de voir, à deux siècles de distance, deux princes, tous deux à peine adolescents, tous deux sortis de la maison d'Autriche, quitter les rivages de la Flandre pour aller succéder à Madrid à deux dynasties éteintes. Mais cette fois du moins il ne devait pas en être ainsi; le jeune prince de Bavière mourut à Bruxelles dans les premiers jours de février 1699.

Par un nouveau traité du mois de mars 1700, les puissances neutres, réduites à opter entre les prétentions rivales de l'Empire et de la France, se prononcèrent en faveur de l'archiduc Charles: pour offrir à la France une légère compensation, elles lui abandonnèrent la Lorraine. Louis XIV ratifia ces conventions, mais tandis que l'Europe, s'appuyant sur ces traités comme sur la base inébranlable de la paix, suivait tranquillement les progrès de l'agonie du roi d'Espagne, d'actives influences s'agitaient à son chevet, et dès qu'il eut rendu le dernier soupir on ouvrit solennellement un testament, par lequel il instituait le duc d'Anjou pour héritier de ses États. La monarchie de Charles-Quint allait passer au petit-fils de l'un des successeurs de François Ier.

Parmi les vastes territoires de la monarchie espagnole, l'article 14 de ce testament mentionnait le comté de Flandre et les autres provinces des Pays-Bas; de plus, Charles II déclarait, dans un codicille, vouloir, par extension de la clause où il réservait à la reine le gouvernement d'un royaume d'Italie, «que si elle trouvait lui convenir plus, à cause de son rang, de se retirer dans les États que nous avons en Flandre, pour y vivre, et qu'elle voulût se dédier à les gouverner, il lui en sera donné le commandement et le gouvernement par notre successeur.»

Le duc d'Anjou accepta le legs de Charles II, mais il ne paraît pas que la reine d'Espagne ait jamais songé à se prévaloir du codicille du 5 octobre 1700.

L'étonnement de l'Europe fut si profond en apprenant ce qui s'était accompli à Madrid, qu'elle garda un silence plein d'hésitation et de doute. L'Angleterre et la Hollande respectèrent le testament de Charles II. Philippe V (tel fut le nom sous lequel régna le duc d'Anjou) fut reconnu sans opposition au delà des Pyrénées. Aux Pays-Bas, le prince de Bavière, qui passait pour dévoué aux intérêts de la France depuis qu'il avait eu des difficultés avec des marchands d'Amsterdam auxquels, dans un besoin pressant d'argent, il avait remis en gage sa couronne électorale et ses plus précieux joyaux, s'était hâté de reconnaître le nouveau monarque des Espagnes, et dès le 15 novembre 1700, c'est-à-dire moins d'un mois après la mort de Charles II, il l'avait solennellement fait proclamer dans toutes les villes des Pays-Bas.

Tant de succès égarèrent l'orgueil de Louis XIV. Il mécontenta le duc de Savoie et offensa l'Angleterre, en insultant aux derniers moments de Guillaume III par la proclamation publique de Jacques Stuart, comme héritier de son père, sous le nom de Jacques III. L'empereur, qui n'avait pas abandonné les prétentions de son fils, l'archiduc Charles, au trône d'Espagne, rallia à sa cause l'Angleterre et la Hollande.

Au mois de février 1701, une armée française, dont le commandement est réservé au duc de Bourgogne, entre en Flandre comme corps auxiliaire destiné à soutenir les droits de Philippe V. Louis XIV gouverne les Pays-Bas en son nom; on lui propose d'établir une barrière composée des villes de Ruremonde, de Venloo, de Namur, de Charleroy, de Mons, de Termonde, de Damme, d'Ostende, de Nieuport, que garderont les troupes anglo-hollandaises. Refus du roi de France. Le 7 septembre 1701, les puissances coalisées concluent à la Haye un traité par lequel elles s'engagent à multiplier leurs efforts pour conquérir les Pays-Bas espagnols, afin d'y créer une barrière contre la France. Combats dans le pays de Waes. Tentative des Hollandais contre Bruges. Le duc de Marlborough conduit une armée anglaise dans les Pays-Bas. Les lignes françaises sont forcées. Défaite du maréchal de Villeroy à Ramillies (23 mai 1706). Les Anglais occupent Gand, Bruges et Audenarde. Siége d'Ostende. Cette ville, que les Anglais et les Hollandais avaient défendue autrefois contre les Espagnols pendant trois ans, ne résiste que pendant trois jours, gardée par les Espagnols contre les Hollandais et les Anglais. Les Français évacuent Courtray. Menin et Termonde capitulent. La France, vaincue à la fois à Ramillies, devant Barcelone et sous les murs de Turin, a perdu toutes ses conquêtes aux Pays-Bas, en Espagne et en Italie.

Les états de Flandre avaient reconnu l'autorité de l'archiduc d'Autriche, sous le nom de Charles III, «dans la confiance, disaient-ils dans leur déclaration du 6 juin 1706, que Sadite Majesté maintiendra cette province dans tous les priviléges, coutumes et usages, tant ecclésiastiques que séculiers.» Ce qui leur fut accordé le lendemain par les plénipotentiaires des puissances coalisées, qui se trouvaient au camp d'Aerzeele.

Trois mois après, les états de Flandre se plaignirent de ne pas être représentés dans le conseil d'État qui venait d'être établi par les gouvernements d'Angleterre et de Hollande. Ils remarquaient que la Flandre était «la province la plus considérable des Pays-Bas, qui est plus renommée parmi les estrangers que toutes les autres ensemble et qui chez eux fait porter le nom à tout le pays, qui, à l'égard de ses princes et de l'Estat, a toujours esté ce qu'est la province d'Hollande à l'esgard de la république [20].» Ces remontrances furent écoutées: la Flandre compta trois membres dans le conseil d'État, qui dès ce moment prétendit, au milieu même des armées étrangères, à toutes les prérogatives d'un pouvoir indépendant.

Cependant le maréchal de Villars sauve la France par les marches habiles qu'il multiplie pendant la campagne de 1707. En 1708, on cherche à soulever la Flandre contre les Impériaux, avec l'appui du comte de Bergeyck, et à réveiller en Ecosse le parti des Stuarts. Tandis que le fils de Jacques II s'embarque à Dunkerque pour rallier ses partisans en Ecosse, un corps français, guidé par le colonel della Faille, ancien haut bailli de Gand sous le gouvernement de l'électeur de Bavière, réussit à s'emparer de cette ville par surprise. Bruges ouvre ses portes en apprenant l'entrée des Français à Gand.—Combat près d'Audenarde, où le duc de Bourgogne montre une irrésolution qui mérite les reproches de l'archevêque de Cambray, bien qu'elle trouve un apologiste dans un abbé italien attaché au duc de Vendôme. L'archevêque de Cambray était Fénélon; l'abbé italien fut depuis le célèbre cardinal Albéroni.

(Août 1708). Le prince Eugène de Savoie assiége la ville de Lille, défendue par le maréchal de Boufflers, qui se retire dans la citadelle après soixante jours de tranchée ouverte.—Défaite du comte de la Mothe à Winendale.

La citadelle de Lille, espérant vainement les secours du duc de Bourgogne, avait prolongé sa résistance jusqu'au 9 décembre 1708. Les alliés, au lieu de congédier leurs troupes, résolurent, malgré la violence du froid, de profiter de leurs avantages et de faire une campagne d'hiver. Dès le 13 décembre, la ville de Gand se vit étroitement bloquée par les armées réunies du prince Eugène et du duc de Marlborough, qui avaient sous leurs ordres le prince de Hesse-Cassel et le duc de Wurtemberg.

«Le comte de la Mothe, dit Saint-Simon, commandait dans Gand, où il avait vingt-neuf bataillons, plusieurs régiments de dragons, abondance de vivres, d'artillerie, de munitions de guerre, et devant les yeux le grand exemple du maréchal de Boufflers.» On racontait que madame de Ventadour avait fait donner ce commandement au comte de la Mothe afin qu'il méritât le bâton de maréchal de France. En effet, après la prise de Lille, rien n'était plus important pour les armées françaises que de se maintenir à Gand, et cette tâche paraissait aisée à remplir puisque déjà le maréchal de Boufflers, le vaillant défenseur de Lille, se préparait à sauver Gand en réunissant une armée à Douay. Il était d'ailleurs permis d'espérer que l'hiver contrarierait les opérations d'un siége qu'il était impossible aux alliés de poursuivre pendant longtemps.

Chamillart écrivait au comte de la Mothe: «La conservation de Gand est d'un si grand poids que vous ne sauriez, de concert avec le baron de Capres, M. della Faille, les brigadiers et autres officiers supérieurs, vous appliquer avec trop de soins à une longue et vaillante défense, dans le cas où les ennemis se résoudraient à vous assiéger. Quoique la ville par elle-même ne soit pas forte, elle ne présente aux attaques qu'un abord étroit et difficile. Vous avez des troupes assez nombreuses pour défendre un chemin couvert et pour faire payer cher aux alliés la prise de la ville s'ils persistent dans le projet de s'en emparer. Après avoir eu le malheur de commander dans la ville d'Ostende, que les ennemis ont conquise en peu de jours, après le combat de Winendale où vous n'avez pas été plus heureux, il est de la plus grande importance pour vous comme pour Sa Majesté que l'occasion qui se présente aujourd'hui, puisse lui donner une si bonne opinion de vous que vous obteniez de Sa Majesté les marques de distinction pour lesquelles vous avez si longtemps travaillé... Si vous êtes assiégé, vous devez mettre en œuvre tous les moyens possibles pour prolonger le siége de telle sorte qu'il occasionne de grands frais aux alliés et leur disputer le terrain pied à pied, comme a fait le maréchal de Boufflers. Je connais la différence qui existe entre les fortifications de Lille et celles de Gand. Cependant cette dernière ville a un bon chemin couvert, ce qui est d'une grande utilité; après six semaines de siége, les ennemis n'étaient pas encore entièrement maîtres de celui de Lille, bien que la situation de cette ville soit moins forte que la vôtre...» Cette lettre fut interceptée: le comte de la Mothe ne se souvint du maréchal de Boufflers ni pour égaler sa glorieuse défense, ni pour imiter sa confiance dans les secours qui lui étaient promis. Il perdit le bâton de maréchal que lui faisait espérer Chamillart; car, avant même que le feu eût été ouvert contre la ville, il capitula, cédant aux vœux de ses habitants, mais sacrifiant à leur repos l'honneur de ses armes. S'il eût tenu deux jours de plus, les gelées qui se succédèrent sans interruption, eussent réduit les alliés à une inévitable retraite. Ce fut le 2 janvier 1709, de honteuse mémoire, que trente-cinq bataillons et sept régiments de cavalerie abandonnèrent, sans avoir tenté aucune résistance, une des positions les plus importantes de l'Europe. La reddition de Gand entraîna celle de Bruges et des forts de Plasschendale et de Leffinghe.

Les rigueurs mêmes de l'hiver de 1709, dont la garnison de Gand n'avait pas su profiter, mirent le comble aux malheurs de Louis XIV; elles complétèrent la misère des provinces septentrionales de la France et ruinèrent la prospérité qu'avaient conservée celles du midi. Le duc de Beauvilliers exposa dans le conseil des ministres en répandant des larmes le tableau véridique de la situation des choses. Le roi de France, jusque-là plus attaché à l'éclat de son nom qu'au bonheur de ses peuples, ne put résister à des remontrances si touchantes et si vives. Le marquis de Torcy reçut l'ordre d'aller demander humblement la paix à ses ennemis. La Haye était le centre de leurs opérations. Guillaume III, en devenant roi d'Angleterre, n'avait point abdiqué ses sympathies pour son ancienne patrie, et les états généraux des Provinces-Unies, conservant toute leur puissance, s'étaient attribué les succès de leur ancien stadthouder sans en être éblouis. Le pensionnaire Heinsius refusa la paix au roi de France et ne voulut lui accorder qu'une trêve pendant laquelle il eût été tenu de remettre en gage aux Hollandais dix villes de la Flandre, en se joignant aux alliés pour rétablir l'archiduc d'Autriche sur le trône d'Espagne. Ce fut alors que Louis XIV prononça ses paroles si connues: «Puisqu'il faut faire la guerre, j'aime mieux la faire à mes ennemis qu'à mes enfants.»

Le 12 juin 1709, le duc de Marlborough et le prince de Savoie se réunirent à Gand pour arrêter les plans de la campagne qui allait s'ouvrir. Leurs armées effectuèrent leur jonction à Harlebeke. Tandis que Marlborough établissait son quartier général à Loo, le prince Eugène se portait rapidement vers Tournay, où il entra le 30 juillet. La fortune de la France s'était voilée. Le maréchal de Villars, à la tête d'une armée pleine de confiance dans son génie, disputait la victoire aux alliés dans les bois de Malplaquet: il se vit contraint, par une grave blessure, à s'éloigner du combat et à donner le signal de la retraite, qui amena la capitulation de Mons.

Louis XIV demanda de nouveau la paix. Il offrait de renoncer à la souveraineté de l'Alsace, de combler le port de Dunkerque, d'évacuer Yprès, Menin, Furnes, Lille, Tournay, Condé et Maubeuge, barrière protectrice que garderaient les états généraux. Il consentait à reconnaître l'archiduc d'Autriche pour roi d'Espagne, mais il rompit de nouveau les conférences plutôt que de devenir le honteux instrument de la chute de son petit-fils. Cette année (1710), les alliés joignirent à leurs conquêtes Douay, Aire, Béthune, Saint-Venant; l'année suivante, ils forcèrent les lignes du maréchal de Villars et s'emparèrent de Bouchain. En 1712, ils entrèrent au Quesnoy.

La France était exposée aux plus graves périls lorsque de nouvelles conférences pour la paix s'ouvrirent à Utrecht. L'empereur d'Allemagne était mort. Une intrigue de cour avait amené la disgrâce du duc de Marlborough. L'Angleterre avait cessé la première les hostilités en se faisant remettre la ville de Dunkerque, afin qu'elle servît de gage à l'accomplissement des conditions de la suspension d'armes. La victoire de Denain, remportée par Villars le 24 juillet 1712, hâta le résultat de ces négociations, et la France, à qui la paix paraissait naguère encore plus menaçante que le fléau même de la guerre, obtint des conditions plus favorables.

Par le traité d'Utrecht du 11 avril 1713, le roi de France abandonna à la maison d'Autriche les Pays-Bas espagnols, y compris tout ce qui lui avait été cédé par le traité de Ryswick. Il consentit de plus à la démolition des fortifications de Dunkerque.

La paix d'Utrecht fut confirmée entre l'empereur et le roi de France par le traité de Rastadt, le 6 mars 1714, et entre l'empereur et le roi d'Espagne, par le traité de Vienne, du 30 avril 1725.

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CHARLES VI, MARIE-THÉRÈSE.
1713-1780

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Traité de la Barrière. —Réclamations de la Flandre. —Le commerce se ranime en Flandre. —Compagnie d'Ostende. —Pragmatique sanction de Charles VI. —Louis XV en Flandre. —Traité d'Aix-la-Chapelle. —Heureux gouvernement du prince Charles de Lorraine. —Mort de Marie-Thérèse.

Il est rare que les établissements politiques que fonde la coalition de plusieurs puissances, réciproquement jalouses l'une de l'autre, reçoivent une indépendance complète et une liberté illimitée de se développer et de se fortifier. Le plus souvent leur existence est soumise à des règles coercitives, et, par une conséquence nécessaire de leur principe, plus on s'est appliqué à veiller à ce qu'ils soient sans influence dans la politique étrangère, plus leur faiblesse est évidente dans les soins du gouvernement intérieur. Fléchissant sous un joug publiquement avoué ou enchaînés par des engagements secrets, ils subissent la loi de la décadence et de l'humiliation à laquelle ils sont condamnés. Non-seulement on les impose par la force aux peuples, mais on ne leur permet même point de faire oublier leur origine en accroissant leur prospérité: une main avare, en leur accordant la vie, a mesuré chaque souffle qui l'anime.

Telle est la position que les puissances confédérées contre la France firent à Charles VI en le soutenant contre Philippe V.

Tandis que Louis XIV expirait à Versailles en désignant, par ses dernières instructions, les troupes de Flandre comme celles qu'il était le plus urgent «de rétablir,» des conférences s'ouvraient à Anvers entre les envoyés de l'empereur et ceux des états généraux pour régler ce que l'on nommait la Barrière de messieurs les états généraux. Jamais la puissance de la Hollande ne parut plus grande que dans ces négociations. Ses plénipotentiaires présentèrent un projet préparé d'avance par lequel l'empereur consentait à la démolition de la citadelle de Liége, des fortifications de Huy, de Damme, de Rodenhuys et du fort Philippe, et leur livrait Menin, Tournay, la citadelle de Gand, Mons, Namur, Venloo et Stevensweert; ils se réservaient le droit d'augmenter les retranchements des places qui leur étaient remises et d'y entretenir telles garnisons qu'ils jugeraient convenable. Ils réclamaient aussi les revenus de toutes les villes qu'ils voulaient occuper, et, de plus, comme indemnité pour les frais de la derrière guerre, une somme de six millions de livres.

Vainement l'empereur remontra-t-il que d'après ce projet ses nouveaux sujets obéiraient moins à ses ordres qu'à ceux des états généraux. Il ne réussit pas mieux lorsqu'il essaya de les intimider en envoyant dix-huit mille hommes dans les Pays-Bas. Les prétentions les plus importantes de la Hollande furent consacrées dans le traité de la Barrière, signé à Anvers par la médiation de l'Angleterre, le 15 novembre 1715.

Ce traité portait que les états généraux tiendraient seuls garnison à Namur, à Tournay, à Menin, à Furnes, à Warneton et à Ypres;

Qu'à Termonde, il y aurait une garnison à moitié impériale et à moitié hollandaise, sous les ordres d'un gouverneur qui prêterait serment aux états généraux;

Que pour mieux assurer les frontières des états généraux en Flandre, l'empereur leur céderait tels forts et telle portion du territoire limitrophe qu'il serait besoin pour effectuer les inondations nécessaires en temps de guerre, sans qu'il fût permis de construire des écluses ou d'autres ouvrages destinés à arrêter ces inondations;

Que l'empereur payerait annuellement pour l'entretien des garnisons hollandaises la somme de 1,250,000 florins, hypothéquée sur les revenus clairs et liquides des provinces de Brabant et de Flandre, et exigible par exécutions militaires;

Que le commerce des Pays-Bas resterait soumis aux clauses du traité de Munster qui, en défendant aux Espagnols de s'étendre dans les Indes, avait réservé au profit des Hollandais la navigation exclusive de l'Escaut.

Le traité de la Barrière était sans précédents dans le droit public de l'Europe. Il sema la consternation dans toute la Flandre. Non-seulement il violait les priviléges qui avaient été sanctionnés même par Charles-Quint et Philippe II, mais il méconnaissait aussi jusqu'à ces lois naturelles de la conservation, qui ne peuvent jamais être abdiquées. Les états de Flandre s'assemblerent et adressèrent une énergique protestation au comte de Kœnigsegg, envoyé impérial, qui la repoussa comme trop tardive.

Ce même comte de Kœnigsegg avait soumis un mémoire à l'empereur, pour lui proposer de supprimer, aussitôt que s'offrirait une occasion favorable, toutes les franchises des villes de Flandre; et ses intentions hostiles s'étaient déjà révélées lorsque la ville d'Ypres, réclamant ses droits de quatrième membre, avait reçu pour réponse qu'elle les avait perdus en devenant française et qu'elle resterait désormais pays d'imposition conquis.

L'inquiétude était devenue de plus en plus vive, quand une députation solennelle fut envoyée à Vienne pour formuler de nouvelles protestations contre le traité de la Barrière. Elle était composée de Philippe Vander Noot, évêque de Gand, et de MM. Vandermeersch, Triest d'Aughem, de Grass de Bouchaute et de Peellaert de Westhove. L'évêque de Gand exposa les plaintes de la Flandre. Il remontra que la Hollande pouvait chaque jour détruire un grand nombre de riches villages, soit en ouvrant ses écluses aux flots de la mer, soit en les fermant à l'écoulement des eaux qui affluaient des parties les plus élevées de la Flandre vers les terres basses du pays de Cadzand. Il exprima la crainte de voir la jalousie commerciale de la Hollande étouffer l'industrie flamande et l'empêcher à jamais de se relever. La Hollande dominait sur nos frontières du nord et sur celles du sud. Elle régnait à Tournay sur la navigation de l'Escaut, à Namur sur celle de la Meuse. L'évêque de Gand exposa aussi que la Flandre, qui depuis tant d'années nourrissait d'immenses armées étrangères, allait être, même pendant la paix, constamment assujettie aux charges les plus accablantes. Il représenta combien était considérable le tribut réclamé par les états généraux, combien il était illégal, puisque jamais aucun impôt n'avait pu être établi en Flandre, si ce n'est par le vote des états, et surtout combien il était odieux, puisque les étrangers conservaient le droit d'en exiger le payement, en y forçant des habitants, comme en pleine guerre, par l'incendie et le pillage. Il ajouta que si la Flandre était condamnée à cet excès d'opprobre et de misère, ses ressources, qui pendant tant de siècles avaient été utiles à la cause de ses princes, loin de pouvoir encore la servir, ne suffiraient pas à soutenir de nombreuses populations réduites à un affreux dénûment.

L'empereur, dans sa réponse, allégua les intérêts généraux de l'Europe comme l'excuse des conditions exorbitantes du traité de la Barrière, et promit d'envoyer à la Haye le marquis de Prié, membre du conseil d'État, pour qu'il réclamât quelques modifications favorables près des états généraux.

Le marquis de Prié fut lui-même nommé, peu de temps après, gouverneur des Pays-Bas. Ce choix fut accueilli avec joie, car on espérait que le marquis de Prié défendrait plus vivement les intérêts d'un pays qui devait désormais être soumis à son autorité. Enfin, après trois années de pourparlers, les clauses les plus rigoureuses du traité de la Barrière reçurent quelques adoucissements. Les limites de la Flandre et de la Zélande furent soumises à une nouvelle convention, et le payement du tribut annuel de 1,250,000 florins fut dégagé de ce qu'il présentait de plus odieux (22 décembre 1718).

L'industrie belge chercha, dès ce moment, à reprendre quelque activité. Des compagnies de commerce furent créées à Ostende et à Anvers pour former des relations avec les Indes; mais la Hollande ne tarda point à s'en montrer mécontente et jalouse.

L'article 6 de l'acte du transport des Pays-Bas par Philippe II à Albert et à Isabelle défendait à leurs habitants «de tenir en aucune façon aucune manière de commerce ou trafic aux Indes orientales ou occidentales.» On n'en avait, toutefois, jamais reconnu la légalité en Flandre, attendu que les rois d'Espagne ne possédaient pas le droit de faire acte d'autorité absolue dans les questions qui importaient le plus aux Pays-Bas, pays de franchises et de priviléges, et, en 1640, le gouvernement espagnol avait senti qu'il était sage de renoncer à la prohibition de 1598. Telle était la situation des choses lorsque fut conclu, en 1648, le traité de Munster, qui porte «que les Espagnols retiendront leur navigation en telle manière qu'ils la tiennent pour le présent ès Indes orientales sans se pouvoir étendre plus avant,» clause évidemment destinée à limiter l'esprit de conquête et d'envahissement que l'on supposait aux Espagnols, bien que plus tard la Hollande dût lui donner une tout autre signification qui ne tendait rien moins qu'à éloigner les sujets du roi d'Espagne de toute relation commerciale avec les nations indépendantes de l'Asie. En effet, lorsque Chrétien Brouwer envoya un navire dans les ports de la Chine, les Hollandais lui coururent sus, et le roi d'Espagne, dominé par le sentiment de sa faiblesse, n'osa point s'y opposer.

Au moment où le traité de la Barrière vint achever la ruine de la ville d'Anvers tour à tour saccagée par les Gueux et pillée par les Espagnols, Ostende devint dépositaire des derniers débris du commerce des Pays-Bas. Dès lors on songea de plus en plus à y former quelque établissement qui pût s'ouvrir la route des Indes, source inépuisable de richesses. Un Anglais, nommé Jean Ker, exposa notamment dans un mémoire adressé à l'empereur que la Flandre était restée ce qu'elle avait été autrefois, le pays le plus avantageusement situé pour être le siége du commerce. Il était encore douteux qu'on osât mettre à exécution une si vaste et si périlleuse entreprise, quand un aventurier de Saint-Malo, nommé La Merveille, vint vendre à Ostende une cargaison réunie aux bords du Gange, et proposer au comte de Kœnigsegg de fonder à Ostende des relations commerciales avec le Bengale. Cette offre fut acceptée et l'on vit successivement des navires quitter Ostende, n'ayant d'autre chargement que des tonneaux d'argent, et y rentrer avec les produits les plus précieux des Indes, qui rendaient des sommes cent fois plus considérables que celles auxquelles s'élevaient les frais et les dépenses.

Cependant l'Angleterre et la Hollande murmuraient. Elles invoquèrent bientôt le traité de Munster. Des hostilités éclatèrent. Jacques de Wintere, ayant vu son navire capturé par des marins d'Amsterdam sur les côtes de Guinée, en équipa un autre et s'empara, par représailles, d'un bâtiment chargé de dents d'éléphant, qu'ils envoyaient en Europe. Les Anglais et les Hollandais se vengèrent en retenant d'autres vaisseaux ostendais jusqu'à ce que Charles VI résolut de prendre plus efficacement sous sa protection les expéditions de la marine flamande, en érigeant, le 19 décembre 1722, la compagnie impériale et royale d'Ostende «pour naviguer et négocier aux Indes orientales et occidentales et sur les côtes d'Afrique, tant en deçà qu'au delà du cap de Bonne-Espérance, dans tous les ports, havres, lieux et rivières où les autres nations trafiquent librement.»

Pendant quelques années, la prospérité de la compagnie d'Ostende suivit une marche progressive. Elle créa d'importants établissements aux bords du Gange et sur la côte de Coromandel.

Un membre du grand conseil de Malines, né à Ypres, Charles Patin, défendit les droits de la compagnie d'Ostende dans le livre qu'il intitula: Mare liberum. Toutes les objections soulevées par la Hollande y furent victorieusement combattues. L'exposé des faits fortifiait l'argumentation du jurisconsulte et un noble sentiment d'indignation l'inspirait quand il s'écriait, en terminant ce mémoire trop peu médité par les ministres de Charles VI: «Que tous les peuples chrétiens décident maintenant s'il n'est pas permis à nos concitoyens de réclamer la liberté naturelle de naviguer dans les Indes, non-seulement pour le bien des Pays-Bas autrichiens mais aussi pour celui de tous les peuples qui y sont intéressés. Il ne faut pas qu'une seule nation usurpe l'avantage des transactions commerciales dans le monde entier et traite toutes les autres en esclaves comme si elle était souveraine de la mer et des vents: il ne faut pas que dans la grande société des peuples il soit permis de s'attribuer un monopole moins odieux lorsqu'il frappe une seule ville que lorsqu'il s'étend à tout l'univers. Nous dirons donc comme Grotius: Ne reculez point, habitants des Pays-Bas; en maintenant votre liberté, vous défendez celle du genre humain.»

Bientôt l'Angleterre et la Hollande se réunirent dans le but commun d'étouffer les heureuses tentatives que multipliait la compagnie d'Ostende. La France, avilie par le ministère du cardinal Dubois, loin de s'opposer à leurs prétentions, semblait les soutenir. Le marquis de Prié fut rappelé, et l'archiduchesse Marie-Élisabeth reçut la triste mission de faire oublier, par la grâce et l'aménité de ses paroles, la faiblesse réelle du gouvernement impérial dans tous les actes qui exigeaient de l'énergie et de la vigueur.

Charles VI n'avait qu'une fille, nommée Marie-Thérèse. Par sa pragmatique sanction, il lui assura l'hérédité de tous ses États; et, pour la faire reconnaître par les autres puissances, il sacrifia à la douteuse consolidation de l'avenir la prospérité présente de ses peuples. En 1727, les priviléges de la compagnie d'Ostende furent suspendus, et le prince même qui l'avait établie et qui eût dû la protéger, en ordonna la suppression bientôt définitive, au mépris des lois les plus saintes des nations, qui possèdent toutes le droit de prospérer et de parcourir à leur gré l'Océan, ce champ libre auquel l'homme ne peut imposer son joug.

La compagnie d'Ostende demanda qu'il lui fût du moins permis de faire parvenir des secours et des approvisionnements dans les factoreries qu'elle avait fondées dans les Indes; mais l'Angleterre et la Hollande ne voulurent point y consentir, et les colons flamands furent égorgés par les peuplades sauvages qui les entouraient.

«N'est-ce pas un trait irréparable, écrivait le 21 décembre 1728 le comte de Calemberg, si dans les siècles futurs l'histoire doit apprendre à la postérité la plus reculée que sous le règne de l'empereur Charles VI on a aboli le droit des gens, la liberté du commerce avec des peuples indépendants, et l'usage des mers, sur des instances, si on l'ose dire, insolentes de quelque puissance, pour en priver à jamais des peuples innocents que Dieu et la nature ont mis en position d'en profiter. Disputer cette liberté, c'est vouloir renverser toutes les lois divines et humaines; c'est vouloir s'arroger un monopole et un despotisme insupportables, qui visent à des conséquences très-ruineuses pour tous les monarques et pour tous les peuples.»

Quoi qu'il en fût, la Flandre, qui n'avait pour elle que l'auréole à demi éteinte de ses souvenirs et la légitimité de ses droits, succomba dans ses efforts, et ses ports redevinrent déserts. Le traité de Séville, du 21 novembre 1729, réunit l'Espagne, la France et l'Angleterre dans les garanties accordées à la Hollande contre la compagnie d'Ostende, et elle fut de nouveau condamnée par l'article 5 du traité de Vienne, du 16 mars 1731.

Charles VI avait lui-même peu de confiance dans les promesses des puissances étrangères qui lui imposaient de si honteux sacrifices. Au mois d'octobre 1731 il s'adressa à la diète de l'Empire, pour qu'elle lui garantît contre tous, et dans l'ordre héréditaire de sa maison, la possession de ses divers États; mais les électeurs de Saxe, de Bavière et de Cologne s'y opposèrent. Ils alléguèrent que les possessions d'Italie et des Pays-Bas étaient d'un faible intérêt pour l'Empire. Celles d'Italie, séparées par les Alpes, lui étaient aussi peu utiles. «Pour ce qui est du cercle de Bourgogne ou des Pays-Bas autrichiens, disaient-ils dans leur mémoire, on sait bien que par la convention d'Augsbourg, de l'année 1548, ils ont été constitués partie de l'Empire, pour contribuer à sa défense et jouir réciproquement de sa protection, moyennant le double du contingent d'un électeur, ce qui a été confirmé par le 3e article de la paix de Munster, mais dans un sens particulier et restrictif, comme il paraît par les paroles du texte: s'il s'élevait des différends entre les royaumes de France et d'Espagne, l'obligation réciproque qui lie l'empereur et le roi de France de ne point aider leurs ennemis mutuels, conservera toute sa force. C'est pour ces raisons que dans l'année 1668 on n'assista point les Pays-Bas, attaqués par le roi de France, par droit de dévolution, quoiqu'ils envoyassent une députation solennelle à la diète pour implorer le secours de l'Empire. Tout ce qu'on fit alors est qu'on fut bien aise que les électeurs de Mayence et de Cologne, comme voisins, employassent leurs bons offices auprès de Sa Majesté Très-Chrétienne. Aussi l'Empire ne prétendit prendre aucune part à la paix qui termina cette guerre et n'envoya personne pour assister de sa part au congrès d'Aix-la-Chapelle; car il est notoire que quoique le cercle de Bourgogne, du temps de son incorporation à l'Empire, se soit engagé, en considération du profit et de l'avantage qui lui en reviendroit, au double du contingent d'un électeur, il ne l'a pourtant jamais fourni, ni contribué depuis tout ce temps-là la moindre chose à l'Empire: par conséquent il est privé lui-même du secours mutuel. Il n'est pas moins digne de considération que depuis l'introduction du cercle de Bourgogne dans l'Empire, depuis la paix de Westphalie et encore depuis peu d'années, ce cercle a tout à fait changé de face, vu que non-seulement les sept provinces unies s'en sont séparées, mais qu'il est aussi notoire que la France s'est approprié une grande partie des Pays-Bas par les traités de paix qu'elle a conclus, de sorte que ce qui en reste et appartient encore à Sa Majesté Impériale ne peut pas seulement représenter le cercle de Bourgogne, tel qu'il était du temps de l'incorporation, bien loin que l'Empire puisse s'en promettre un secours réciproque, ce qui était pourtant la condition sous laquelle il a été uni à l'Empire. A quoi il faut ajouter que même des Pays-Bas autrichiens, tels qu'ils sont aujourd'hui, la plupart des forteresses sont comprises dans la barrière de MM. les états généraux, sans que l'Empire en tire le moindre profit, et que par leur situation ils sont exposés, comme l'expérience l'a fait assez connaître, à servir toujours de théâtre de la guerre.»

Malgré l'opposition de trois électeurs, la diète de l'Empire ratifia le 11 janvier 1732 la pragmatique sanction.

Charles VI meurt à Vienne le 20 octobre 1740. Guerre de la succession. En 1742, un corps anglais débarque en Flandre pour prendre part aux luttes politiques de l'Allemagne. Mésintelligence croissante entre la France et l'Angleterre. Louis XV déclare la guerre à Georges II (mars 1744), et prend lui-même le commandement de l'armée qui envahit les Pays-Bas. Profitant du mauvais état des fortifications de toutes les places occupées par les Hollandais en vertu du traité de la Barrière, il s'empare successivement de Menin, d'Ypres et de Furnes. Le comte de Saxe, à la tête d'un corps réuni à Courtray, observe l'armée des alliés, avec laquelle le duc d'Arenberg s'est avancé jusqu'à Audenarde.

L'entrée du prince Charles de Lorraine en Alsace appela Louis XV à Metz. La mort de l'électeur de Bavière fortifia les prétentions de Marie-Thérèse. «Le parti qu'on prit, dit Voltaire, fut de se défendre en Italie et en Allemagne, et d'agir toujours offensivement en Flandre. C'était l'ancien théâtre de la guerre, et il n'y a pas un champ dans cette province qui n'ait été arrosé de sang.»

(Mai 1745). Louis XV assiége Tournay. Bataille de Fontenoy. Capitulation de Gand. Les Hollandais, privés des villes de la Barrière, s'efforcent de s'assurer une autre des garanties que leur a promises le traité du 15 novembre 1715. Malgré la résistance des paysans, ils se préparent à percer les digues de Sainte-Marguerite, lorsque le comte de Lœwendahl leur fait déclarer que le roi de France, ayant pris possession de la Flandre, ne tolérera aucune agression dirigée contre ses habitants. Prise de Bruges, d'Audenarde et de Termonde. Louis XV visite à Bruges le tombeau de Marie de Bourgogne et s'écrie: «Voilà le berceau de toutes nos guerres!» Siége d'Ostende, qui ne peut se défendre, parce que le comte de Chanclos a négligé d'avoir recours aux inondations qui arrêtèrent si longtemps les Espagnols au commencement du dix-septième siècle.

Les provinces des Pays-Bas payèrent les frais de la conquête. Au mois de novembre 1746, Louis XV fit demander aux états de Flandre deux millions six cent mille florins, en les prévenant qu'il entendait qu'on les lui accordât sans remontrance et selon l'usage des sujets du roi de France, qui obéissent sans discuter.

En 1747, la guerre s'étend au pays de Cadzand. La Hollande, craignant pour son salut, proclame le stathoudérat, qui devient héréditaire, mais elle n'en est pas moins réduite à accepter à Aix-la-Chapelle les conditions que Louis XV stipule en faveur de ses alliés. Le roi de France se montre du reste plein de générosité en tout ce qui concerne ses propres intérêts, et ses armées évacuent la Flandre.

Dans les guerres qui éclatèrent plus tard, Louis XV ne cessa plus d'être le fidèle allié de Marie-Thérèse. L'on vit une garnison française, commandée par le comte de Lamothe, occuper pendant cinq ans Ostende, afin de s'opposer aux entreprises des Anglais, et ne se retirer que lorsque la paix de l'Europe eut été définitivement affermie.

Il existe même un traité conclu le 1er mai 1757 entre la France et l'Autriche, qui porte qu'aussitôt que Marie-Thérèse aura été mise en possession de la Silésie par l'appui des armées françaises, elle cédera à Louis XV Mons, Ypres, Furnes, Nieuport et Ostende. Les autres villes des Pays-Bas devaient former un État séparé et passer au duc de Parme.

Marie-Thérèse paraissait en ce moment ajouter un faible prix à la souveraineté de nos provinces, trop éloignées de la capitale de l'Empire. Elle semblait même se préoccuper assez peu de leurs griefs et de leurs franchises, car en 1755 elle modifia essentiellement, malgré les réclamations des grandes villes, l'ancien système de vote suivi par les états de Flandre, afin d'assurer une influence plus considérable aux représentants des châtellenies, vieille tradition de la politique adoptée au moyen-âge par les comtes de Flandre.

L'épée de Frédéric II sut, en conservant la Silésie, renverser tous les projets fondés sur le traité de Versailles; d'un autre côté, les sacrifices pécuniaires que les peuples des Pays-Bas s'imposèrent dans cette guerre, firent mieux apprécier combien ils pourraient être utiles à l'Empire, et Marie-Thérèse, vivement touchée des nombreux témoignages de leur zèle, s'efforça de reconnaître que de tous ses sujets il n'en était point dont elle estimât davantage la fidélité et le dévouement.

Dès ce moment, Marie-Thérèse ne songea plus à attenter aux priviléges du pays.

Le prince Charles de Lorraine avait été chargé, par l'impératrice, du gouvernement général des Pays-Bas. Pendant plus de trente ans, la Flandre jouit des bienfaits d'une administration prudente et paternelle. Jamais elle n'avait connu une paix si longue; jamais les esprits, fatigués de guerres, ne se reposèrent avec plus de bonheur dans le repos qui permettait à l'agriculture, à l'industrie et au commerce d'associer leur féconde activité. «Quoique les Flamands, écrivait vers cette époque un voyageur anglais, ne fournissent plus l'Europe, comme autrefois, avec le produit de leur industrie, ils possèdent des fabriques et conserveront toujours la gloire d'avoir enseigné aux États voisins les arts utiles qui les ont enrichis. Les manufactures de lin de la Flandre sont supérieures dans tous les genres à celles des autres nations; mais c'est surtout l'agriculture qui a été portée en Flandre à un degré de perfection. Dans ces riches plaines, la charrue ne laisse rien stérile et le champ ne reste jamais en friche. Les récoltes de l'été ne contentent point le cultivateur; à peine la moisson est-elle achevée que la terre reçoit une nouvelle culture qui produit ses fruits pendant l'automne en attendant que le printemps permette de songer à préparer d'autres moissons. Les campagnes offrent partout un spectacle charmant: on ne voit que des champs couverts d'une récolte abondante, des prairies dans lesquelles paissent de nombreux troupeaux, des fermes construites avec soin, des villages environnés d'arbres, où se presse une population heureuse. Au milieu de ces délicieux paysages, serpentent les rivières et les canaux. L'agriculture est la base la plus solide de la prospérité nationale: on lui doit ces vertus modestes, simples et énergiques, qui arrêtent seules les progrès de la corruption des mœurs [21]

Cette prospérité vit encore dans la mémoire de quelques vieillards, mais il importe de lui assigner son véritable caractère. Dans les villes les libertés communales s'étaient reconstituées dans tout ce qu'elles possédaient d'éléments sages et pacifiques. Hors des villes, un édit du 15 mars 1720 avait appelé les châtellenies à l'administration du plat pays. Cette mesure, frappée quelque temps de stérilité par l'invasion de Louis XV, porta d'heureux fruits sous le gouvernement du prince Charles de Lorraine. «Si vos Altesses Royales, disaient quelques années plus tard les magistrats du Franc de Bruges dans un mémoire adressé au duc de Saxe-Tesschen, daignaient se faire tracer le tableau du plat pays de la Flandre tel qu'il était passé soixante-cinq ans, elles reconnaîtraient à leur grand étonnement que ce pays, aujourd'hui un des plus beaux et des plus riches de l'Europe, n'offrait alors aucun débouché d'une ville à l'autre, aucun chemin praticable dans l'intérieur des terres, ni aucune grande route qui ne fût infestée de vagabonds; que l'on voyait des champs en friche qui rendent aujourd'hui 48 florins par bonnier au-dessus des tailles; peu de villages qui acquittassent les subsides sans y être contraints par exécution, tous accablés de rentes, et l'administration que l'on appelle interne, dans un état approchant de l'anarchie; cependant il existait tant d'ordonnances souveraines, en fait de la direction, et le règlement de 1672, ce chef-d'œuvre, n'existait pas moins; mais les châtellenies étaient négligées, parce que ce fut le système d'alors de ramener constamment tous les fils de l'administration aux bureaux du gouvernement général. Le ministre enfin sentit son impuissance à pourvoir par lui-même à tant de détails. Les châtellenies furent appelées à la direction du plat pays par l'édit du 15 mars 1720. Alors commença un nouvel ordre de choses, et l'on a vu en moins de treize lustres quadrupler le rapport des propriétés territoriales, de sorte que nos ancêtres chercheraient aujourd'hui la Flandre dans la Flandre même.»

La répartition des impôts fut plus équitable. En même temps qu'une sévère économie permettait de les réduire, l'emploi des fonds qu'on en retirait, recevait une application utile sous les yeux de ceux qui les avaient payés avec empressement, certains d'en recueillir les fruits. Des routes magnifiques furent construites entre les villes, et jusque dans les hameaux les chemins furent améliorés. La police se fit avec ordre; les délits devinrent plus rares, grâce au travail qui ne manquait plus. Afin d'assurer le maintien de cette heureuse situation, on s'occupait des mesures les plus sages pour que la punition des délits ne fût plus uniquement le châtiment du coupable, mais une expiation utile à la société, pour que la mendicité, école de tous les vices, fût sévèrement interdite, pour que toutes les branches de l'ancienne industrie flamande vinssent, en exilant l'oisiveté du sein des classes ouvrières, accroître à la fois leur moralité et leur aisance. Telles furent notamment les réformes proposées en 1775 par le vicomte Vilain XIV, dont les idées sur le régime pénitentiaire trouvèrent depuis d'illustres imitateurs en Amérique.

La prospérité de la Flandre à cette époque résulta donc de ce qu'elle eut une administration nationale qui la dirigea et la gouverna selon ses besoins et ses vœux. La mémoire de Marie-Thérèse et du prince Charles de Lorraine laissera d'éternels souvenirs, parce qu'en se réservant les droits de la clémence souveraine, la protection des lettres et des arts, le soutien des misères vraiment dignes de pitié ou de sympathie, ils conservèrent à nos provinces le soin de veiller à leurs intérêts et respectèrent des priviléges qui, autrefois source de leur gloire, étaient restés les gages de leur prospérité.

Les bienfaits de ce système paisible et tranquille manquèrent aux Pays-Bas sous le règne de Joseph II, qui succéda à Marie-Thérèse le 29 novembre 1780.

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JOSEPH II, LÉOPOLD II, FRANÇOIS II.
1780-1794.

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Démêlés avec la Hollande. —Réformes. —Plaintes des états de Flandre. —Mouvement insurrectionnel. —République des États-Belgiques-Unis. —L'autorité impériale est rétablie. —Léopold II succède à Joseph II. —Sa mort. —Invasion et conquête de la Flandre par les armées républicaines françaises.

Joseph II tenait de sa mère un ferme désir de rendre sa grandeur utile à ses peuples. C'était pour lui que le comte de Nény avait rédigé les mémoires où il résumait le tableau des intérêts des Pays-Bas depuis l'époque où la Flandre avait été sous la maison de Bourgogne la métropole de la civilisation et l'entrepôt des richesses de l'univers. Mais, loin de se préoccuper des splendeurs du moyen-âge, il avait puisé dans les maximes philosophiques qui, en ce moment, envahissaient toute la littérature française, une admiration des vertus antiques quelque peu républicaine, tempérée toutefois par je ne sais quelle imitation des actes politiques de ce législateur-soldat qui accueillait Voltaire et La Mettrie, sans abdiquer comme roi les droits de l'autorité la plus absolue.

Frédéric II avait trouvé la Prusse humble, pauvre, peu civilisée; il l'avait personnifiée dans son épée, et l'avait agrandie et élevée avec lui. Le royaume de Prusse n'était qu'à Berlin; là tout se centralisait et s'absorbait dans l'unité politique du gouvernement suprême; la volonté d'un grand roi tenait lieu d'intelligence à une nation jeune qui s'ignorait elle-même et qui se laissait, malgré elle, entraîner vers ses nouvelles destinées.

Il n'en était pas de même en Flandre. Une longue expérience attestait la sagesse des institutions en même temps qu'elle avait fortifié le respect séculaire dont elles étaient entourées. Les franchises du peuple formaient le pacte qui affermissait l'autorité du prince. L'administration était régulière; l'organisation politique, complète. Pour lui rendre toute sa force, il ne fallait que relever quelques ruines: toutes les espérances de la Flandre étaient dans ces souvenirs.

Joseph II était trop porté à oublier que l'histoire est la conseillère des rois. Il méconnaissait tous les enseignements que présentent six siècles de nos annales, lorsqu'en voulant accroître la prospérité de la Flandre, il exigeait qu'elle fût l'œuvre exclusive de l'initiative du prince, arbitre unique de ses intérêts et de ses besoins.

Cependant, lorsqu'en 1781 le successeur de Marie-Thérèse visita les Pays-Bas, la franchise de son langage, la pureté de ses intentions, la sagesse de ses premières mesures lui concilièrent l'affection de leurs nombreuses populations. Témoin des honteux résultats du traité de la Barrière, et vivement ému par les plaintes qui s'élevaient de toutes parts, il fit démolir les forteresses occupées par les Hollandais. En même temps il favorisait le commerce d'Ostende, devenu port franc, et cherchait à ressusciter celui d'Anvers, en faisant rompre la fermeture de l'Escaut par un brick où flottait le drapeau impérial.

Deux grandes fautes suivirent ces heureux commencements [22]. Par l'une, il montrait qu'il tenait peu à la prospérité des Pays-Bas; par l'autre, qu'il lui était à peu près indifférent de voir se détacher de sa couronne le précieux joyau que lui avaient légué les ducs de Bourgogne. Ces deux fautes furent le traité avec la Hollande, qui acheta dix millions de florins le maintien de sa domination exclusive sur l'Escaut, et les négociations entamées avec le duc de Bavière, qui eût reçu les Pays-Bas en échange de son électorat.

Telles furent les déplorables prémisses sous lesquelles se présentèrent les projets que Joseph II avait conçus relativement à ses provinces des Pays-Bas. Les conseils du prince Charles de Lorraine, mort la même année que Marie-Thérèse, eussent pu être utiles à Joseph II; il est probable qu'il ne réclama point ceux du duc de Saxe-Tesschen et de l'archiduchesse Marie-Christine, qui avaient succédé au prince de Lorraine dans le gouvernement des Pays-Bas. Une funeste précipitation le poussait vers la dangereuse épreuve à laquelle il voulait soumettre des hommes qui, profondément pieux, attachés aux règles fixes de leurs intérêts agricoles et industriels, avaient toujours méprisé les théories et les séductions étrangères pour rester fidèles à l'exemple de leurs aïeux.

Quelques maisons religieuses possédaient en Flandre de vastes propriétés. Les priviléges dont elles jouissaient, les rendaient en quelque sorte souveraines dans leurs domaines. De plus, à une époque où de célèbres écrivains s'occupaient de l'organisation de la société, comme si elle n'eût point existé avant eux et ne dût dater que de la publication de leurs systèmes, les moines offraient aux yeux du prince, qui s'associait à ces vagues et stériles élucubrations, un tort irrémissible: celui de s'absorber dans les devoirs de la vie religieuse en restant étrangers à la vie politique. Leur suppression fut la première mesure du nouvel empereur. Le clergé s'émut: il revendiqua pour les maisons abolies des droits de propriété dont l'origine était connue, que la sanction des temps avait confirmés et qui, sous le règne des lois, sont, chez le moindre citoyen, considérés comme sacrés; les tendances irréligieuses qui agitaient la France, lui faisaient paraître cette innovation plus dangereuse. Le conseil de Flandre fit entendre les mêmes plaintes; mais les états, confiants dans les intentions de l'empereur, s'y soumirent et se contentèrent de demander que les biens des maisons religieuses supprimées servissent à fonder des établissements pour les enfants trouvés, pour les pauvres femmes près de devenir mères, ainsi que pour les insensés et les vieillards infirmes, de peur que les monastères, qui jusque-là avaient soulagé toutes ces misères, ne venant à leur manquer tout à coup, il n'en résultât une foule de crimes; ils intercédèrent en faveur des béguinages, qui, n'offrant qu'une retraite momentanée, ne séparaient point leurs habitants de la société: ils demandèrent aussi que des débris des richesses des opulents monastères on augmentât le pécule des prêtres employés dans les villes et dans les villages, qui étaient les membres les plus pauvres du clergé.

En 1784, Joseph II publia, sur les devoirs de tous les ordres de l'État, un manifeste où il insistait «sur l'application et l'exécution de tous ses principes et de tous ses ordres.» A côté de maximes générales, présentées non sans emphase, quelques phrases vagues annoncent de plus en plus l'existence d'un vaste plan de réformes. L'année suivante on commença à le connaître, et l'on craignit aussitôt qu'il ne sapât l'œuvre immortelle de Marie-Thérèse et de Charles de Lorraine. Des édits impériaux modifièrent les priviléges et jusqu'aux usages qui semblaient être inséparables de ces priviléges. Les gildes qui avaient pris part à toutes les célèbres journées du moyen-âge, nos kermesses si populaires, parce qu'en plusieurs endroits, notamment à Ypres, elles rappelaient des victoires de la vieille Flandre, furent successivement abolies (édits du 11 février et du 8 avril 1786). Les châtellenies se virent enlever la direction des chemins publics qu'elles avaient créés, afin qu'elle pût être transférée à Bruxelles (édits du 12 septembre 1785 et du 8 février 1786). Elles se défendirent toutefois vivement et démontrèrent dans un long mémoire combien le nouveau système était onéreux et impraticable, inique et illégal: après avoir exposé que les commissaires des châtellenies étaient de véritables juges, appliquant tous les jours aux difficultés que présentait l'exécution des voies publiques la jurisprudence des édits et des coutumes, elles ajoutaient: «Si on leur substitue un bureau composé en grande partie de Brabançons ou de militaires (et ce serait se faire illusion que de croire que le militaire pourra s'entendre avec le civil), on établit non-seulement de prétendus juges qui ignorent nos lois, mais on attrait virtuellement en justice les Flamands hors de leur pays, contre la teneur expresse de leurs priviléges; et si ces juges s'écartent de nos lois, quel est le tribunal de justice où le peuple avec confiance portera ses griefs? Ah! sérénissimes princes, nous avons travaillé pendant la tempête, nous avons remis pour ainsi dire le vaisseau à flot... Voilà la récompense qui nous attendait après soixante-cinq ans de veilles et de travaux. Qu'avons-nous fait pour mériter un sort aussi humiliant?... Il n'en faut pas plus pour faire évanouir l'autorité des lois et élever sur leurs débris un gouvernement militaire [23]

Pendant cette même année 1786, l'empereur ordonna la suppression des séminaires diocésains et l'établissement d'un séminaire général à Louvain: Joseph II oubliait que si l'ordre social repose sur la double base de l'autorité religieuse et de l'autorité temporelle, l'on ne peut jamais confondre leurs droits et leurs devoirs. En franchissant le seuil sacré des temples pour les soumettre à ses innovations, il ouvrait au clergé appelé à défendre ses droits l'arène des discussions irritantes des intérêts politiques. C'est ainsi que, dans le gouvernement des peuples, chaque faute porte en soi son châtiment.

Les états de Flandre avaient opposé aux envahissements de Joseph II une double protestation également éloquente: d'une part, ils ordonnèrent qu'on réimprimât les priviléges de la Flandre depuis les premiers temps du moyen-âge; d'autre part, ils décidèrent qu'en présence des édits qui avaient enveloppé les Bollandistes dans la proscription des associations religieuses, ils feraient continuer aux frais du pays la plus vaste et la plus admirable de toutes les collections hagiographiques. Si les Bollandistes étaient la plupart des religieux flamands, les Acta sanctorum étaient aussi pour la Flandre un monument tout national qui lui offrait les traces de ses premiers pas dans l'histoire de la société: les priviléges qu'on faisait publier, étaient les titres d'un autre âge et d'une autre civilisation.

La Flandre ne devait malheureusement pas rester longtemps dans ces voies où la fermeté n'excluait pas la modération.

D'autres usurpations de l'autorité impériale allaient préparer les usurpations non moins violentes de l'esprit de sédition et de révolte: Joseph II abordait sans hésiter un ordre de mesures tellement graves qu'il faudrait remonter aux plus mauvais jours de la mainbournie de Maximilien et de l'administration des gouverneurs espagnols pour en trouver un autre exemple.

Un diplôme du 1er janvier 1787 était ainsi conçu:

«Considérant les frais énormes qu'entraîne à la surcharge de nos peuples la forme actuelle des administrations provinciales, nous avons résolu de les simplifier de la manière suivante:

«Les colléges actuels des députés des états de toutes nos provinces belgiques viendront à cesser avec le dernier du mois d'octobre de cette année et resteront supprimés.

«Au lieu de ces colléges, les états de Brabant, de Flandre et de Hainaut choisiront, parmi ceux de leurs membres qui seront préalablement reconnus capables par le gouvernement, un député pour chacune de ces provinces, qui sera agrégé au conseil du gouvernement.»

Dans un autre diplôme portant la même date on remarquait les dispositions suivantes:

«Nous supprimons tous nos conseils actuels de justice aux Pays-Bas et, à leur place, nous établissons en notre ville de Bruxelles un conseil souverain de justice...»

Enfin, par un édit du 12 mars, la Flandre fut divisée en cercles et soumise à des intendants nommés par l'Empereur.

L'irritation fut extrême. La Flandre, si fidèle à Marie-Thérèse et encore pleine de respect pour l'archiduchesse Marie-Christine, semblait ne plus reconnaître l'autorité impériale représentée à ses yeux par le ministre plénipotentiaire d'Autriche, Belgiojoso, devenu depuis longtemps impopulaire par ses vexations et des exactions de toute espèce. On se souvenait qu'en 1786, le comte de Belgiojoso, chargé alors du gouvernement des Pays-Bas, avait envoyé en Flandre le colonel de Brou, dictateur militaire, qui faisait arrêter les bourgeois et prétendait disposer librement des fonds de la province pour tous les travaux qu'il jugeait utiles. Au nom du comte de Belgiojoso on joignait celui du chancelier de Brabant, Crumpipen, dont l'influence était sans limites. Des ressentiments encore récents se réveillèrent. La Flandre n'accusait que le comte de Belgiojoso et le chancelier Crumpipen; elle n'écoutait que la haine qu'elle leur portait, en résistant ouvertement à Joseph II, et elle semblait fatalement engagée dans cette voie lorsque Marie-Christine, qui appréciait mieux que son frère la situation des Pays-Bas, évita le péril par sa sagesse en suspendant l'exécution des mesures qu'elle désapprouvait.

«Chers et bien amés, portait la déclaration des gouverneurs des Pays-Bas du 4 juin 1787, nous vous faisons la présente pour vous dire que nous tenons, à l'égard de la province de Flandre, en surséance absolue et parfaite, sans limitation ni exception quelconques, toutes les dispositions contraires directement ou indirectement à la constitution de ladite province de Flandre ou aux droits, franchises, priviléges, chartres, coutumes, usages et autres droits quelconques, publics et particuliers; que de plus les infractions y faites seront aussi, sans limitation ni exception aucune, de suite redressées et remises dans le même état comme elles ont été avant ces nouveautés; qu'en outre, nous nous confions pleinement que Sa Majesté confirmera sans réserve la déclaration que nous faisons à ce sujet, et qu'au surplus nous dirigerons immédiatement, par nous-mêmes, toutes les affaires quelconques du gouvernement.»

Cette dépêche fut reçue partout avec de vifs transports d'allégresse. A Gand on apporta au marché du Vendredi des tonneaux de vin et de bière. Les cloches et le carillon ne cessèrent de résonner tant que dura cette fête, où l'on aperçut pour la première fois, au milieu des flots agités des bourgeois, quelques-unes de ces figures sinistres qui, telles que les vapeurs que condense l'orage, semblent annoncer les temps d'émeute et d'anarchie.

Il restait à obtenir de Joseph II la ratification de la déclaration de Marie-Christine. Les magistrats du Franc de Bruges prirent l'initiative près des états de Flandre, afin qu'ils fissent parvenir l'expression de leurs vœux à Vienne: «Ce n'est qu'en soupirant, disaient-ils, que nous jetons les yeux sur les chartres, jadis si précieuses, que renferment nos archives et qui nous retracent la générosité des souverains comtes et comtesses de Flandre.» S'appuyant sur leurs anciens priviléges, confirmés en 1619 par l'archiduc Albert et l'infante Isabelle, ils rappelaient l'acte d'inauguration du 31 juillet 1781, «lorsque Son Altesse Royale le duc de Saxe-Tesschen, en prêtant le serment sur les saints Évangiles à la face de toute la nation assemblée à cet effet dans la capitale de cette province, a promis solennellement, au nom de Sa Majesté, qu'elle maintiendra cette province dans ses priviléges, coutumes et usages, tant ecclésiastiques que séculiers, que Sa Majesté, comme comte de Flandre, ne souffrira point que rien ne soit altéré ou diminué en l'un ou l'autre d'iceux.»—«C'est, ajoutaient-ils, ce même pacte qui cimente la prospérité publique et fera la sûreté de l'État lorsqu'il est inviolablement observé. C'est cet engagement auguste et non moins réciproque qui doit être le garant de l'amour du peuple et qui le tient attaché au service et à l'aide de son souverain aussi longtemps qu'il en éprouve la protection.»

Le 6 juin 1787, les états de Flandre adressèrent à l'empereur des remontrances où tout décèle une irritation profonde. Ils ne rappelaient leurs serments que pour accuser l'empereur d'avoir trahi les siens. «Le dépôt de nos lois fondamentales nous a été conservé et transmis par nos pères, disaient-ils; nous nous couvririons d'un opprobre éternel si nous ne le faisions passer à nos descendants dans toute son intégrité, si nous pouvions permettre, avec la plus lâche indifférence, que le flambeau de notre constitution, dont l'éclatante lumière a de tout temps vivifié la Flandre, fût obscurci et éteint de nos jours. C'est à nous qu'est confiée la garde de ce feu sacré; nous ne pouvons souffrir, sans nous rendre parjures, qu'on en détourne même le moindre rayon.»

L'empereur Joseph II était trop fier pour que ces représentations ne le blessassent pas vivement. Il ne le cacha point dans sa déclaration du 3 juillet adressée aux états de Brabant, qui avaient fait les mêmes représentations que les états de Flandre, déclaration où il protestait d'ailleurs de son respect pour les droits et les priviléges des provinces belgiques: «Loin de prévoir de l'opposition et surtout une aussi audacieuse, y disait-il, je devais m'attendre à ce que les états de mes provinces belgiques y entreraient avec autant d'empressement que de reconnaissance, et je veux bien, en bon père et en homme qui sait compatir à la déraison et qui sait beaucoup pardonner, n'attribuer encore ce qui est arrivé et ce que vous avez osé qu'à des mésentendus ou de fausses interprétations de mes intentions, données et répandues par des personnes plus attachées à leur intérêt privé qu'au général et qui n'ont rien à perdre. Quoi qu'il en soit, je veux bien que l'exécution des nouvelles ordonnances en question reste présentement suspendue, et lorsque Leurs Altesses Royales, mes lieutenants et gouverneurs généraux, aux intentions que je leur ai fait connaître, se seront rendues à Vienne avec les députés des différents états pour me représenter de vive voix leurs griefs et apprendre mes intentions, qu'ils trouveront toujours calquées sur les principes de l'équité la plus parfaite et uniquement tendantes au bien-être de mes sujets, nous conviendrons ensemble des dispositions à faire pour le bien général selon les lois fondamentales du pays. Mais si, contre toute attente, cette dernière démarche de ma bonté envers vous fût méconnue au point que vous vous refusiez à me venir porter vos plaintes, vos craintes, vos doutes, et à m'entendre avec confiance, et que vous continuiez vos excès honteux et démarches inexcusables, alors vous en tirerez vous-mêmes toutes les malheureuses conséquences qui en résulteront sans faute, ce qu'à Dieu ne plaise.» Une lettre du prince de Kaunitz, rédigée dans le même sens, mais plus conciliante, était jointe à cette déclaration.

Au moment où l'on reçut en Flandre ces nouvelles de Vienne, l'irritation y avait fait de nouveaux progrès. Une dépêche des gouverneurs généraux du 28 juin était parvenue en Flandre avec cette mention, placée avant la signature de Marie-Christine: Crumpipen vidit. Elle provoqua une vive émotion, et, dès le 4 juillet, les états de Flandre votèrent l'adresse suivante à l'archiduchesse et au duc de Saxe-Tesschen: «Nous nous étions flattés avec la nation que du moment que vous avez repris, sérénissimes princes, les rênes du gouvernement des Pays-Bas, il ne pouvait plus y rester un pouvoir qui pût balancer ou éclipser le vôtre, et nous en étions persuadés d'autant plus que lorsque vous résolûtes d'ôter le pouvoir qui, par les nouvelles ordonnances et par la nouvelle organisation du gouvernement, était attribué à certaines personnes, vous ne vous êtes déterminé à cette démarche que parce que toutes les provinces considéraient ces mêmes personnes comme les auteurs de nos maux. Si donc la même influence continue à régner dans les conseils, si les ordres qui en sont expédiés, portent encore la même empreinte que portaient ceux qui tendaient à détruire notre liberté, quelle est la base sur laquelle vous désirez, sérénissimes princes, que nous fassions asseoir le calme de la nation? Tant que le peuple ne verra pas vos conseils formés par des personnes qui, par leurs lumières, leur conduite et leur attachement à la vraie constitution, auront mérité sa confiance, il sera bien difficile de le contenir. Nous supplions donc, avec le plus profond respect, Vos Altesses Royales de ne se départir en rien de la ferme résolution qu'elles ont prise de diriger immédiatement par elles-mêmes toutes les affaires quelconques du gouvernement et de ne pas trouver mauvais que nous envisagions la susdite dépêche du 28 comme illégale et inopérante.»

Telle était la situation des choses lorsque les états de Flandre chargèrent quelques-uns de leurs membres de se rendre à Bruxelles pour recevoir communication du message de Joseph II. Ils s'abouchèrent avec les états de Brabant, et le résultat de cette conférence fut que, bien que personne ne pût recevoir l'autorisation de traiter des droits inaliénables des provinces belgiques, la dignité du premier trône du monde exigeait qu'on envoyât à Vienne des députés qui pourraient y réitérer les remontrances des Pays-Bas. Malgré l'opposition d'un avocat nommé Henri Vander Noot, membre des états de Brabant pour le tiers état, les députés des provinces belgiques accompagnèrent à Vienne Marie-Christine et le duc de Saxe-Tesschen.

Déjà dans de nouvelles lettres adressées à l'empereur le 27 juillet, les états de Flandre étaient revenus à un langage plus modéré. On ne peut trop citer dans l'histoire de ces démêlés, encore si récents, lorsqu'on veut étudier avec soin et juger avec impartialité: «Le motif de nos réclamations dérive d'une source pure; ce sont vos intérêts, Sire, ce sont ceux de votre peuple, qui nous ont dirigés; nous vivons sous ces mêmes lois, cimentées par le serment du monarque, sous lesquelles nos pères ont été heureux. Il y a eu peu de guerres en Europe, dont les Pays-Bas n'aient été le berceau ou le théâtre; mais à peine dévastés par les fléaux qui accompagnent constamment les armées, l'on a vu ces provinces reprendre immédiatement leur antique prospérité, et ce n'est qu'à la bonté de nos lois que nous devons ces avantages. Le nouveau système, Sire, les renversait toutes... Dans des provinces civilisées depuis tant de siècles, où le peuple est industrieux, laborieux, commerçant, où des corporations établies pour éclairer le gouvernement sur ses vrais intérêts et pour garder les droits du peuple, empêchent constamment qu'aucun sujet ne soit traité autrement que par justice et sentence, devant son juge naturel, toute loi qui attribue le pouvoir exécutif à un seul, est une loi qui doit anéantir le bonheur des peuples et entraîner avec elle la ruine de l'État...

«A la vue de tant de maux, dont il dépendait de votre bonté d'arrêter les ravages, aurions-nous été fidèles sujets, Sire, si, par un silence coupable, nous eussions trahi vos intérêts et ceux de votre peuple?»

Les députés des provinces belgiques furent reçus, le 15 août, par l'empereur. L'accueil qui leur fut fait, fut plus favorable qu'ils ne pouvaient s'y attendre. Joseph II se borna à exiger, avant toute décision ultérieure, que le séminaire général de Louvain fût rétabli, que les impôts arriérés fussent payés et que les associations illégales, où s'abritaient toutes les intrigues et tous les complots (il en était une qui prétendait, à Gand, reconstituer la collace), fussent immédiatement dissoutes. Si des menaces étaient jointes à ces demandes pour le cas où elles auraient été repoussées, d'un autre côté, Marie-Christine, le prince de Kaunitz et le comte de Cobenzl assuraient les députés belges que l'empereur renonçait à ses édits sur la suppression des colléges des états et des anciennes cours de justice et sur la création des intendances. Afin de les tranquilliser davantage, le comte de Belgiojoso, ministre connu par son esprit hostile aux provinces belgiques, fut destitué et remplacé par le comte de Trautsmansdorff.

Une armée nombreuse était déjà réunie dans les Pays-Bas, et Joseph II avait annoncé, par un manifeste du 16 août 1787, qu'il emploierait la force si les moyens de conciliation étaient inutiles. Le respect qui s'attachait encore à l'autorité impériale, joint à la crainte d'une guerre civile, engagea les états de Flandre à se soumettre, le 1er septembre, à ce que l'on exigeait d'eux.

Leurs espérances ne furent pas trompées. Par une proclamation du 21 septembre 1787, le comte de Murray, gouverneur des Pays-Bas par intérim, écrivit aux états de Flandre qu'il était autorisé à déclarer, au nom de l'empereur et roi, 1o que tous les priviléges et franchises de la province de Flandre étaient maintenus tant pour le clergé que pour l'ordre civil; 2o que les nouveaux tribunaux de justice et les intendances étaient supprimés; 3o que les anciennes juridictions des villes et du plat pays subsisteraient à l'avenir sur l'ancien pied; 4o qu'à l'égard du redressement des objets contraires ou infractions à la constitution, il en serait traité avec les états, ainsi que ceux-ci l'avaient demandé.

Les états de Flandre, dans leur adresse à l'empereur, du 19 octobre, considérèrent le dernier article de la déclaration du comte de Murray comme s'appliquant aux séminaires épiscopaux; mais il était bien évident que c'était la seule question sur laquelle l'empereur défendît toute discussion.

Il est important d'apprécier l'intervention des états dans ces questions religieuses. Les deux premiers articles de la capitulation de Gand, du 1er janvier 1709, assuraient l'exercice de la religion catholique, apostolique et romaine, et l'observation des dispositions du concile de Trente, telle qu'elle avait eu lieu jusqu'à cette époque. Les mêmes garanties se trouvaient reproduites par la capitulation générale de la province du 6 juin 1706 et l'article 20 du traité de la Barrière. Or, c'était en vertu du concile de Trente que les séminaires épiscopaux avaient été établis: de là le droit de veiller à leur conservation réclamé par les états de Flandre.

Ces questions semaient, plus que toutes les autres, une profonde irritation. On avait vu d'abord des moines chassés de leurs monastères errer sans asile. Plus tard, d'autres mesures avaient été dirigées contre le clergé régulier: aux yeux du plus grand nombre, l'empereur commençait une persécution religieuse.

Un nouvel édit du 27 décembre 1787 confirma tous ceux qui se rapportaient au séminaire général de Louvain et ordonna qu'il y fût rigoureusement obéi.

«Nous rendrons à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu,» répondit l'évêque de Bruges.

«Nos alarmes se sont augmentées, disaient les états de Flandre, à la vue des dépêches du 27 décembre dernier envoyées aux états et aux évêques. Il y est dit qu'une conduite contraire à ce qui en fait l'objet, ne pourrait manquer d'entraîner des suites préjudiciables à la religion, à l'Église et à l'État même. Cette expression tend-elle donc à innover quelque chose dans la religion de nos pères? Nous prépare-t-elle au renversement de l'État?»

Pour comprendre le véritable caractère de la situation, il faut se souvenir de l'agitation qui, en ce moment, ébranlait toute l'Europe. La France voyait la royauté résister à peine aux attaques les plus violentes et chercher vainement à s'abriter sous les derniers vestiges des institutions nationales qu'elle avait appris elle-même aux peuples à oublier. Une assemblée de notables avait été convoquée, mais tout annonçait qu'il était trop tard et que de tous les monuments du passé il ne resterait bientôt que des ruines.

L'insurrection de l'Amérique avait répandu dans toute l'Europe les idées de destruction et de bouleversement, mêlées à de vagues théories républicaines: le nouveau monde, en échange de l'extermination que lui avait jadis envoyée l'Europe, lui léguait à son tour de longues discordes. Déjà la Hollande avait repris son ancienne forme de gouvernement et chassé le stathouder.

La Flandre, serrée entre la France et la Hollande, commençait à redouter la contagion des passions anarchiques. Elle attendait, dans un morne silence, que l'empereur s'éclairât sur les périls de la situation, à moins que les destinées de la domination autrichienne n'eussent irrévocablement marqué l'heure de sa fin.

Dans le Brabant, dans le Hainaut, les esprits plus ardents et plus vifs repoussaient tous les conseils de la prudence, afin de protester, quelles qu'en dussent être les conséquences, contre ce qui leur paraissait injuste et contraire à leurs droits. De leur opposition résulta ce célèbre diplôme impérial par lequel l'empereur révoqua la Joyeuse-Entrée, cette glorieuse charte du Brabant, et annonça que désormais il régnerait par la force et comme sur un pays conquis.

Un article de la Joyeuse-Entrée portait «qu'en cas de violation de la charte, les sujets n'étaient plus tenus de faire aucun service au prince, ni de lui prêter obéissance dans les choses de son besoin, jusqu'à ce que le duc eût redressé l'emprise et remis les choses en leur premier état.» Joseph II, en annulant la Joyeuse-Entrée, rendait légale et applicable la plus périlleuse et la plus extrême de ses dispositions. Vander Noot et ses amis s'en prévalurent. Un officier flamand, nommé Vander Mersch, se retira en Hollande, où il se plaça à la tête de quelques volontaires: il envahit le Brabant, et un premier succès confirma son audace; la division autrichienne du général Schrœder fut vaincue dans les rues de Turnhout.

Le vendredi, 13 novembre 1789, un grand nombre de paysans étaient réunis à Gand, où ils étaient venus apporter leurs blés au marché, lorsqu'on apprit qu'un faible détachement de volontaires patriotes, commandé par le jeune prince Louis de Ligne, ayant pénétré près de Calloo dans le pays de Waes, avait passé entre le corps d'armée du général Schrœder, qui se trouvait à Anvers, et celui du colonel Gontreuil, qui occupait Beveren, et qu'il s'approchait de Gand. On ferma aussitôt les portes de la ville, où une extrême confusion régnait. La garnison était peu nombreuse: elle abandonna, dès les premiers coups de fusil, la porte de Bruges, et les patriotes trouvèrent, au corps de garde de la place d'Armes, les fusils des soldats autrichiens, qui servirent à les armer.

Un renfort d'environ mille hommes, commandé par le colonel Lunden, était entré à Gand. Il trouva les patriotes maîtres de la plus grande partie de la ville; mais, au lieu de les attaquer, il rangea ses soldats en bataille devant le cloître Saint-Pierre, où ils se trouvaient exposés au feu qu'on dirigeait contre eux des maisons voisines.

Les Autrichiens se retirèrent et la fusillade cessa. Les patriotes étaient peu nombreux, mal armés et sans artillerie, de plus, épuisés par les fatigues de leur marche forcée à travers le pays de Waes. Les Autrichiens semblaient, toutefois, peu disposés à les attaquer, quoiqu'un corps de cavalerie fût arrivé le même soir dans le faubourg de Meulestede. Ils brisaient les maisons, s'enivraient et commettaient mille désordres semblables à ceux dont les villes prises d'assaut présentent le triste spectacle. Le colonel Lunden ne put ni les rallier sous leurs drapeaux, ni rétablir ses communications avec la citadelle, où les généraux d'Arberg et Schrœder étaient entrés avec cinq mille hommes et d'où ils lançaient par intervalles quelques bombes.

Les bourgeois, jusque-là peu favorables aux patriotes, s'armèrent en apprenant qu'on pillait leurs maisons et qu'on outrageait leurs femmes et leurs filles. Les échevins de la keure et des parchons convoquèrent l'assemblée générale du peuple, et toute la ville se leva au son du tocsin.

Cependant le général Schrœder essaya, le 15 novembre, une sortie qui fut repoussée. Le lendemain, les bourgeois se portèrent vers les casernes; elles renfermaient huit cents hommes, qui s'étaient rangés en ordre de bataille dans les cours et qui semblaient bien plus redoutables que la multitude indisciplinée qui les attaquait. Un vieux canon, trouvé sur les remparts, fut amené: à la première décharge, l'affût se rompit; mais, au même moment, on vit le colonel Lunden paraître à une fenêtre, agitant un mouchoir blanc au bout de son épée et criant de toutes ses forces: Vivent les patriotes! On eut la plus grande peine à le préserver de la colère du peuple. Ce timide et faible officier, qui n'avait su ni conduire ses troupes au combat, ni les écarter du pillage, eût mérité de périr non par la guerre, mais par l'émeute.

On força le colonel Lunden à écrire au comte d'Arberg pour lui annoncer que, s'il continuait à lancer des bombes dans la ville, les représailles des Gantois menaceraient sa vie. Ce n'était point assez d'ignominie pour les troupes autrichiennes: le comte d'Arberg sortit avec 5,000 hommes, pendant la nuit du 16 au 17, de la citadelle de Gand, où il abandonnait plus d'un mois de vivres. La perte de Gand fut la confirmation de l'échec de Turnhout, à l'occasion duquel l'empereur écrivait au comte d'Alton: «Mes soldats s'y sont comportés en brigands et s'en sont retirés en lâches.»

Les garnisons autrichiennes, en apprenant la capitulation de Gand, évacuèrent aussitôt Bruges, Ostende, Ypres et toute la Flandre.

Le 30 novembre 1789, les états de Flandre se réunirent à ceux du Brabant; un congrès fut convoqué à Bruxelles pour que toutes les provinces y envoyassent leurs députés, chargés de délibérer sur les intérêts généraux des Pays-Bas. Ceux de la Flandre furent, pour le clergé de Gand, l'abbé de Saint-Corneille et Saint-Cyprien de Ninove et le prévôt de Saint-Bavon; pour celui de Bruges, l'abbé d'Eeckhout et le chanoine De Paauw; pour la noblesse, le marquis de Rodes et le comte d'Hane de Steenhuyse; pour les villes, M. Roelants, pensionnaire de Gand, M. Pyl du Fayt, pensionnaire de Courtray, et M. de Schietere de Caprycke, bourgmestre de Bruges; pour les châtellenies, MM. de Lannoy, van Hoobrouck, De Smet et De Grave; enfin, pour la West-Flandre, l'abbé de Saint-Jean-au-Mont et MM. Vander Meersch et Vander Stichele de Maubus. Dans ce congrès, le nombre des voix fut fixé à quatre-vingt-dix, et la Flandre en reçut trente et une, c'est-à-dire plus du tiers.

Le 11 janvier 1790, le congrès proclama l'indépendance des Pays-Bas sous le nom d'États-Belgiques-Unis. Cette confédération, bornée aux questions d'utilité générale, devait être dirigée par le congrès souverain des États-Belgiques-Unis.

Chaque province contribuait aux dépenses générales par des impôts calculés sur la moyenne des dix dernières années; mais son administration intérieure n'appartenait qu'à elle seule.

En cas de conflit entre plusieurs provinces, le congrès souverain devait décider.

Quelque hardie que fût cette déclaration, on semblait ne plus avoir rien à redouter du ressentiment de l'empereur.

D'une part, le comité diplomatique de l'assemblée nationale de France encourageait le mouvement; d'autre part, l'Angleterre, la Prusse et la Hollande signaient le traité de Berlin, par lequel elles s'engageaient à soutenir les priviléges des Pays-Bas et peut-être leur indépendance.

Les États-Belgiques-Unis eurent leurs ambassadeurs à Londres, à La Haye et à Berlin. Tandis que l'Angleterre accordait un congé de dix-huit mois à ses officiers qui prendraient service à Bruxelles, la Prusse y envoyait le général Schœnfeld pour qu'il servît dans l'armée insurgée.

Le vainqueur de Turnhout, Vander Mersch, s'était créé feld-maréchal et avait fait nommer capitaine son fils, enfant de quatre ans, comme, dans les maisons royales, les princes reçoivent des épaulettes au berceau. A côté de Vander Mersch figuraient les ducs d'Arenberg et d'Ursel, qui se croyaient appelés par leur rang à une position élevée dans le nouveau gouvernement, et un grand nombre de députés des diverses provinces, dont les uns ne voyaient dans les innovations qu'un acheminement aux idées françaises, et dont les autres regrettaient que la protection du gouvernement autrichien, bien préférable à leur avis à celle des trois puissances alliées, manquât à la nouvelle constitution.

Cependant Joseph II, épuisé par une longue maladie, était mort à Vienne le 20 février 1790. Les tristes nouvelles qu'il recevait de la Belgique, avaient hâté sa fin: «Votre pays m'a tué, disait-il au prince de Ligne, Gand pris a été mon agonie, et Bruxelles abandonnée est ma mort!»

Léopold II succéda à son frère. Il alliait à une grande sagesse une noble fermeté; et, s'il eût régné dix ans plus tôt, la tranquillité des Pays-Bas n'eût jamais été troublée.

Par une déclaration publiée au mois de mars 1790, il désapprouva toutes les tentatives réformatrices de son frère, et protesta de son respect pour les anciennes lois des Pays-Bas, en promettant de les confirmer: il s'engagea même à choisir le gouverneur général parmi les Belges, à n'élever aux fonctions publiques que sur la présentation des états, à retirer toutes les troupes étrangères, à abandonner aux évêques la direction des affaires ecclésiastiques et à partager l'autorité législative avec les états généraux.

Si ces propositions eussent été acceptées, la paix eût été rétablie dans les Pays-Bas. Les funestes progrès des idées désorganisatrices ne le permirent point. Les chefs de la résistance comptaient trop sur les trois puissances alliées et oubliaient que lorsqu'une cause cesse d'être juste, il sert peu de se confier dans le stérile appui que lui offrent les jalousies étrangères.

La Prusse abdiquait déjà sa rivalité contre l'Autriche pour conjurer le péril dont la révolution qui s'accomplissait en France menaçait toutes les monarchies. L'Angleterre et la Hollande se portèrent seules médiatrices au congrès de Reichenbach. Tandis qu'on y discutait, les Autrichiens marchaient et envahissaient la Belgique.

Dans ce moment difficile, Vonck chercha à ranimer le zèle de ses amis, et Vander Mersch le seconda. Les états généraux, aussi hostiles aux démocrates qu'aux Autrichiens, le firent arrêter et lui donnèrent pour successeur le général prussien Schœnfeld. En même temps ils écrivaient au roi de Prusse pour lui rappeler qu'en s'insurgeant, ils avaient compté sur sa protection. Le roi de Prusse ne répondit pas, et le général Schœnfeld cacha, sous les apparences d'une lenteur calculée, une trahison dont il avait reçu l'ordre. Kœhler, ancien aide de camp d'un général anglais, succéda à Schœnfeld, attaqua les Autrichiens et se fit battre.

Des conférences s'étaient ouvertes à La Haye. L'Angleterre commençait à partager la tiédeur de la Prusse, de peur que l'appui qu'elle aurait donné aux patriotes brabançons, ne livrât plus tard, sans défense, les Pays-Bas à la France. Les puissances alliées, loin de soutenir les Belges, leur conseillèrent, le 31 octobre, de se soumettre, et voulurent interposer leur médiation à la faveur d'un armistice; mais les généraux autrichiens avaient ordre de le refuser.

Les états généraux tremblaient: ils crurent placer leurs villes à l'abri des attaques des armées impériales en proclamant l'archiduc Charles d'Autriche grand-duc héréditaire de la Belgique: vaine et ridicule tentative qui démontrait que, si telle était leur dernière ressource, ils étaient bien faibles. En effet, leurs principaux membres fuyaient. Les Autrichiens ne rencontraient plus de résistance; ils entrèrent le 2 décembre à Bruxelles, le 4 à Malines, le 6 à Anvers, le 7 à Gand.

Là s'arrêta la conquête, qui fut pacifique et clémente. Le comte de Mercy-Argenteau, envoyé impérial à La Haye, annonça, le 10 décembre, que l'empereur, oubliant toutes les erreurs de ses sujets des Pays-Bas, confirmait leurs priviléges, et les trois puissances alliées, pour clore leur intervention perfide à son origine et peu honorable jusqu'à la fin, déclarèrent qu'elles garantissaient à la maison d'Autriche la souveraineté des Pays-Bas, qui avait déjà reçue la meilleure des sanctions: celle de la victoire.

Vander Mersch et Vonck s'étaient réfugiés à Lille: ce fut de là qu'ils adressèrent leur soumission dans les termes les plus humbles au comte de Mercy-Argenteau, et celui-ci, à son tour, leur fit remettre une réponse fort obligeante où il louait, le premier, de sa loyauté et de sa probité dans son erreur, le second, de ses talents et de ses vertus.

L'année 1791 fut aussi calme que pouvait le permettre l'anxiété produite par la révolution qui ébranlait le trône de Louis XVI. L'année suivante vit la mort de Léopold II. François II lui succéda.

On touchait au moment où une armée française, sous les ordres de Dumouriez, allait envahir nos provinces sous le prétexte de leur rendre la liberté. Au mois de novembre 1792 la bataille de Jemmapes livra sans la moindre résistance toute la Flandre aux vainqueurs qui appelèrent partout les populations à former des assemblées populaires et à élire des administrations nouvelles. Cependant, au lieu d'une adhésion empressée aux principes de la révolution triomphante, les lieutenants de Dumouriez ne recueillirent partout qu'une courageuse et énergique protestation que la Flandre voulait maintenir ses anciennes franchises et ses libertés.

Bientôt les républicains français jetèrent le masque. Cambon monta, le 15 décembre 1792, à la tribune de la Convention, et, après avoir reproché aux Belges d'être faibles et timides et de ne pas oser avouer leurs principes, il exposa qu'il fallait leur envoyer des commissaires chargés de les aider de leurs conseils, tout en leur imposant en argent des contributions extraordinaires et en ne les payant eux-mêmes qu'en assignats. On ajouta à ce décret que nul ne serait admis à voter dans les assemblées communales sans avoir abjuré par écrit les anciennes institutions du pays. C'était prononcer l'annexion violente de la Belgique, puisqu'on lui imposait toutes les charges sans la consulter et puisqu'on ne tenait pas plus de compte de ce droit qu'on lui avait naguère si formellement reconnu de statuer seule sur ses lois et ses institutions.

D'unanimes protestations s'élevèrent en Belgique, et Dumouriez, au milieu de ses succès, en fut vivement ému. Les députés de la Flandre osèrent se présenter à la barre de la Convention, où leur langage fut plein de fierté: «Souvenez-vous, disaient-ils, que les assemblées françaises ont fréquemment mérité le reproche de poursuivre avec trop de précipitation une œuvre de destruction et de désorganisation. Il faut agir avec prudence si l'on se préoccupe de l'intérêt du peuple, et c'est ainsi qu'on prévient son mécontentement et ses plaintes.»

A cette heure néfaste, les idées de sagesse et de prudence ne pouvaient être écoutées, pas plus que le respect du droit et de la liberté d'une nation à laquelle on avait, les armes à la main, porté la fraternité. Tandis que les députés flamands attendaient qu'il plût à la Convention de prononcer sur leurs griefs, le crime du 21 janvier 1793 rougissait l'échafaud, et l'un des premiers commissaires français envoyés dans nos provinces fut Danton, qui déclara aussitôt qu'il était l'organe de la Belgique en en demandant la réunion à la France. Mensonge odieux puisqu'en ce même moment d'autres commissaires de la Convention cassaient l'assemblée provinciale de la Flandre et puisque les généraux français défendaient que les assemblées primaires se tinssent sans leur autorisation. En effet, les réunions qui devaient voter la réunion à la France, ne pouvaient être que des clubs dont les membres peu nombreux étaient choisis parmi ce qu'il y avait de plus abject. Tel fut à Gand le vote du 22 février 1793, et à Bruges celui du 1er mars suivant. Partout la violence avait écarté du scrutin les hommes les plus estimés, et l'âme honnête de Dumouriez a laissé la trace de son indignation dans la célèbre lettre qu'il adressa le 12 mars à la Convention:

«Les peuples n'échappent pas à la Providence: on a violé à l'égard des Belges les droits sacrés de la liberté; on a insulté avec impudence à leurs opinions religieuses; on vous a menti sur leur caractère et sur leurs intentions... Vous avez été trompés sur la réunion à la France de plusieurs parties de la Belgique; vous l'avez crue volontaire parce qu'on vous a menti...»

Cependant l'armée française avait essuyé des revers, et les Autrichiens rentrèrent en Belgique. François II vint en 1794 y recevoir des hommages et des vœux éphémères. Avant la fin de cette année la journée de Fleurus, aussi désastreuse pour les Autrichiens que celle de Jemmapes, ramena les Français dans la Flandre comme dans le Brabant, et le décret du 9 vendémiaire an IV prononça une seconde fois la réunion de la Belgique à la France.

Pendant un grand nombre d'années la Flandre eut à subir les malheurs et les désastres d'une domination étrangère. Parfois son agriculture et son industrie cherchaient à se relever, et le courage par lequel elle s'était signalée dans d'autres temps, brillait jusque dans les légions que les envahisseurs recrutaient sur son sol; mais ce qui, sous le régime français comme sous celui de l'Espagne et de l'Autriche, caractérisait surtout les populations flamandes, c'était le soin jaloux avec lequel elles conservaient leur langue et leurs mœurs, toujours pieuses et laborieuses, toujours fidèles à une sage et calme liberté, toujours dignes de garder le glorieux dépôt de leurs anciennes traditions jusqu'au jour où, l'indépendance nationale étant proclamée, elles seraient appelées à en former la base la plus solide et la plus puissante.


NOTES:

[1] Maximilien d'Egmont, comte de Bueren, mourut au mois de décembre 1548.

[2] J'ai retrouvé à Paris, en 1862, un texte portugais des Commentaires de Charles-Quint, et la même année j'en ai publié une traduction.

[3] Pour lui, nulle nation n'est au-dessus des Espagnols: c'est au milieu d'eux qu'il vit; ce sont eux qu'il écoute; c'est par eux qu'il se dirige en tout. En opposition à l'Empereur, il fait peu de cas des Flamands. Relation de Michel Suriano.

[4] Personne vivante ne parloit à luy qu'à genoux, pour ce qu'estant petit de corps, chacun eust para plus eslevé que luy. Mém. de Cheverny.

[5] Convenie caminar con el pie de plomo. Lettre de Philippe II.

[6] Willems. Oude vlaemsche liederen.

[7] Morillon écrivait au cardinal de Granvelle le 7 juin 1568: «Lorsqu'Egmont sortit de Gand, tout le monde ploroit... Telles sont les variétés de ce pauvre monde. Hessels m'a asseuré que le duc a dit que la maladie qu'il avoit eue, estoit procédée du commandement que luy avoit faict Sa Majesté si exprès d'exécuter ceste sentence, et qu'il avoit procuré de tout son povoir sa mitigation, mais que l'on avoit répondu que s'il n'y eut esté aultre offence que celle qui touchoit Sa Majesté, le pardon eust esté faict, mais qu'elle ne povoit remettre l'offense faicte si grande à Dieu, et j'entends d'aucuns que son Excellence a jeté des larmes aussi grosses que pois, au temps que l'on estoit sur ces exécutions... Egmont a souvent faict œuvres contraires, selon qu'il a esté ambidextre pour se servir maintenant de l'ung, maintenant de l'aultre, selon qu'il viendroit mieulx à propos.» Arch. de la Maison d'Orange, suppl., p. 81.—Richard Clough est beaucoup plus sévère: «All men muche lamenting the count of Horne, but no man the count of Egmont; for that, as the saying is, he was the first beginner.» Lettre de Richard Clough, 14 septembre 1567.—Jean le Petit rapporte que le comte de Hornes s'écria en apprenant sa condamnation: «C'est le comte d'Egmont qui est cause de tout ceci; mais il n'y a plus de remède!»

[8] Marguerite de Parme dit aussi dans une de ses lettres à Philippe II: «Il convient tousjours avoir regard que les lois et ordonnances des princes soient tellement modérées qu'elles se puissent bien exécuter.» En 1570, l'évêque de Bruges écrivait au duc d'Albe que quatre mille deux cents habitants de cette ville «s'estoient réconciliés,» et qu'il en était à peine parmi eux cent coupables de quelque délit grave d'hérésie.

[9] Nous craignons que si l'on recherche trop les confiscations et si on ne cesse de répandre le sang, on n'accuse le roi d'avarice et de cruauté... Presque tous désespèrent de la grâce royale en voyant que les procès criminels n'ont point de fin, et que déjà plus de huit mille personnes ont été proscrites et bannies, sans compter celles qui ont été frappées du dernier supplice. Nous devons prier Dieu qu'il fléchisse vers la clémence et la miséricorde le cœur du roi qu'il tient dans ses mains. Lettres de Viglius, pp. 525 et 547.—En 1572, il y eut jusqu'à quinze mille procès criminels soumis en même temps au conseil des troubles. Lettres de Viglius, p. 677.

[10] Un relevé officiel, fait en 1570, par Pedro de Arcanti, pour déterminer l'assiette de ces taxes, portait le revenu annuel des manufactures des Pays-Bas à 10,407,891, florins. Renom de France, II, 10, 1.

[11] Il sembla trop dur aux Flamans d'estre obligés non-seulement de recevoir, mais encore de nourrir eux-mesmes la servitude que le duc d'Albe vouloit introduire parmy eux, qui avoient tousjours esté gouvernés comme un peuple presque autant libre que sujet. Relations de Bentivoglio (trad. de Gaffardy, 1642).—Ut nulla gens liberior, ita suæ libertatis nulla usquam pertinacior vindex. Meyer, de Rebus Flandricis, 9.

[12] Marg. de Valois, l. II.

[13] Tanta calamitas vigebat in Flandria ut nec jura, nec leges servarentur. Nihil nisi crudelis grassatio, cædes, rapinæ, vincula, carceres, latrocinia ubique audiebantur. Homines criminibus aperti per septennium continuarunt tyrannidem tanta crudelitate ut bonos omnes vitæ suæ tæderet. Chron. Trunch., p. 660 (d'après Gerulf Borlunt, moine de Tronchiennes). Miserias Flandrorum quas ab anno 1578 usque ad annum 1580 pertulerunt, nullus crederet. Audivimus e sene per quadriennium pagos, villas, domus, ædificia vacua fuisse, agros, prata, paludes, rus universas vere desertas: agricolis dispersis omnia sylvescebant. Lupi etiam non pauci per campos vagabantur, quin et canes ut fame rabidi iis similes conjungebantur adeo ut dicerentur mixti generare. Unde et contingebat ut fierent hominivori. Hist. ep. Ypr., p. 113.—A Lokeren, dix-sept personnes furent, en un an, mangées des loups. De Somerghem à Bruges, le pays était désert et inculte. En 1584, il n'y avait à Wulveringhen que cinq habitants; à Vinckhem, on n'en comptait que trois. La situation ne s'améliora guère les années suivantes:

Het jaer vyf en tachtig viel een iegelyk zwaer,

'T jaer ses en tachtig door armoede bedorven,

En in 't jaer seven en tachtig van honger gestorven.

[14] Il faut reproduire en entier, en conservant la bizarre orthographe du duc d'Alençon, le texte de cette convention, que j'ai retrouvé à Hatfield parmi les papiers secrets de la reine Elisabeth:

«Nous, Fransois, duc d'Anjou, en ratifian la promesse que nostre cher et bien-aimé le sieur des Pruneaux a fait à mon cher cousin le prinse d'Orange, le neufiesme d'aout dernier passé, promettons audit sieur, tantost que les estas nous aron choueszy pour prinse souverain de tous les Païs-Bas, nous emploierons nostre autorité anvers les peuples pour recompanser ledit sieur prinse et l'aquiter des grans deptes dont il est hobligé en Allemagne pour la levée des armées qu'il a conduites contre les Espagnols pour la délivrance dudit païs, et en oultre à rezon des grans et incroïables travaux portés par ledit sieur prinse, avecque les pertes des grans biens qu'il a soufert, nous acorderons et acordons dès à sete heure que ledit sieur prinse et ses houers desandans en drouecte ligne demeurent prinses et seigneurs souverins de Holande et Zélande et Uutrec et en général ce qui est des dépandanses dudit gouverneman; prometons en fouez et parole de prinse le mintenir et défendre anvers tous et contre tous sans aucune exzansion, comme aussy ledit prinsse jure et promet de demeurer en bonne et ferme intelliganse, comunication, amitié saincte et parfaite avecque nous, nous faire à toutes hocasions très-humble servisse et procurer an tout et partout l'advanseman de nostre grandeur pardessus toutes chozes. Et en confirmasion de ce que dessus, nous avons souscript ce et signé les prézantes de nostre main, à Cotras, se 29 décembre 1580.»

[15] L'artillerie des assiégeants comprenait 103 pièces: elle consomma 24,000 quintaux de poudre. En moins de six mois, elle tira 160,000 coups. L'archiduc ne mit en ligne que 12,000 hommes à la fois, d'après Balinus, et jamais moins de 40,000, d'après Cheverny. Adrien de Meerbeek prétend que, lors de la capitulation d'Ostende, les assiégeants n'étaient qu'au nombre de 4,000. Bonours fixe les frais du siége à 7,000,000 de florins. Grotius porte le nombre des assiégeants qui périrent à 50,000, et ils perdirent moins de monde que les assiégés. Pompée Justiniano évalue le nombre des morts à 140,000; Bonours à 150,000, en estimant les pertes des assiégés à 77,684 personnes, dont 7 gouverneurs, 15 colonels et 565 capitaines. Voici quelles furent celles des assiégeants, d'après Grimeston: 7 mestres de camp, 15 colonels, 29 majors, 565 capitaines, 1,116 lieutenants, 322 enseignes, 1,911 sergents, 1,166 caporaux, 600 lanspisadoes, 34,663 soldats, 611 marins, 119 femmes et enfants. Total: 41,124. Trois cents navires des assiégés furent brûlés ou détruits dans la port.

[16] Lacænam æmulata. Botor., p. 242.

[17] La Campagne royale de 1667, par Dalicourt.

[18] Ainsi le roi, par sa conduite, se rend en six jours maître de cette ville si renommée, qui faisoit autrefois la loy à ses princes même, et qui prétendoit égaler Paris par la grandeur de son enceinte et le nombre de ses habitants. Racine, Précis historique.

[19] Voici quelle était, en 1697, la population des principales villes de la Flandre occupées par les Français: Ypres, 11,963 âmes; Warneton, 996; Messines, 576; Bailleul, 2,305; Hazebrouck, 3,735; Furnes, 2,650; Roulers, 699; Poperinghe, 2,300; Wervicq, 2,172; Cassel, 1,300; Watten, 166; Loo, 474.

[20] Gachard, Doc. inédits, III, pp. 257-263. Flandria una est Belgicarum provinciarum facile omnium opulentissima, a qua nationes quædam externæ Belgas omnes Flandros appellant. Boll., Acta SS. Januar., I, p. 353.

[21] Shaw, Voyage aux Pays-Bas.

[22] J'emprunterai aux Analectes, de M. Gachard, quelques données relatives à la population de la Flandre en 1784:

  Habitants
Ville de Gand suivant l'évêque 50,693
Ville de Bruges, suivant l'évêque 30,826
Ville de Courtray, suivant le magistrat 15,072
Ville de Termonde, suivant l'évêque 5,177
Ville d'Audenarde, suivant le magistrat 3,039
Ville de Nieuport, suivant le magistrat 3,039
Ville d'Ostende, suivant le magistrat 7,077
Il résulte du rapport des mêmes états que la population de la Flandre orientale, quant au plat pays, les autres villes y comprises, est de  
  492,025
  ———
  606,948
  =======
Les plus considérables de ces villes contribuant avec le plat pays sont Alost, avec son district, où il y a 9,204 âmes, et Grammont où il y a 6,050 âmes.  
Flandre occidentale.
Ville d'Ypres 12,000
Ville de Furnes 2,200
Ville de Menin 3,090
Ville de Dixmude 2,500
Le plat pays, y compris les autres villes, dont celle de Poperinghe contient, suivant le rapport du magistrat, 8,090 âmes, porte en tout  
  173,000
  ————
Ainsi il y a dans toute la Flandre occidentale  
  192,790
  =========

[23] Ce mémoire subit quelques modifications avant d'être remis.

TABLE DES MATIÈRES

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La Flandre pendant les trois dernier siècles 5
Charles-Quint (1500-1553): Naissance de Charles-Quint. —Négociations entre Philippe le Beau et Louis XII.—Mort de Philippe le Beau. —Mainbournie de Maximilien. —Gouvernement de Marguerite d'Autriche. —Alliance de Maximilien et de Henri VIII. —Neutralité de la Flandre. —Bataille des Éperons. —Bayard prisonnier en Flandre. —Siége de Térouanne et de Tournay. —Lettre de Charles à Gonzalve de Cordoue. —Sa jeunesse. —Son éducation. —Son émancipation. —Avénement de François Ier. —Charles devient roi d'Espagne, puis empereur. —Situation de l'Europe. —Appréciation du caractère politique de Charles-Quint. —Le cardinal Wolsey à Bruges. —Bruges ville littéraire. Érasme, Thomas Morus, Louis Vivès, Jacques Meyer et les savants du seizième siècle. —Prise de Tournay. —Bataille de Pavie. —Traité de Madrid. —La Flandre cesse de relever de la couronne de France. —Henri VIII se sépare de Charles-Quint. —Neutralité commerciale de la Flandre. —Traité de Cambray. —Projet de former un royaume des Pays-Bas. —Guerres contre la Flandre. —La Flandre confisquée par arrêt du parlement de Paris. —Trêves. —Projet de démembrement de l'Angleterre. —Ignace de Loyola à Bruges. —Mort d'Isabelle de Danemark et de Marguerite d'Autriche. —La suette. —Situation commerciale et industrielle de la Flandre. —Accroissement des impôts. —Résistance des Gantois. —Les Luthériens. —Les Cresers. Liévin Borluut. —Supplice de Liévin Pym. —Arrivée de Charles-Quint en Flandre. —Confiscation des priviléges de Gand. —Nouveau projet de créer un royaume des Pays-Bas. —Le duc d'Orléans. —Guerres. —Paix de Crespy. —Le comte de Bueren. —Les Pays-Bas réunis à l'Empire. —Le prince d'Espagne en Flandre. —Charles-Quint dicte ses Commentaires. —Nouvelles guerres. —Destruction de Térouanne. —Prise d'Hesdin. —Combats sur mer. —Abdication de Charles-Quint. —Son dernier séjour en Flandre 7
Philippe II (1555-1598): Renouvellement de la guerre. —Batailles de Saint-Quentin et de Gravelines. —Mort de Charles-Quint. —Départ de Philippe II. —Marguerite de Parme. —État prospère de la Flandre. —Symptômes de troubles. —Les nouveaux évêchés. —L'inquisition. —Compromis des Nobles. —Les ambassadeurs anglais aux conférences commerciales de Bruges. —Appui donné aux mécontents par Élisabeth. —Philippe II paraît céder. —Insurrection des Gueux. —Leurs dévastations. —L'ordre se rétablit. —Arrivée du duc d'Albe. —Émigrations flamandes en Angleterre. —Supplice du comte d'Egmont. —Sévérité de l'administration du duc d'Albe. —Intervention des huguenots dans les troubles des Pays-Bas. —Fureurs des Gueux à Audenarde. —Départ du duc d'Albe. —Requesens. —Gouvernement des 312 états. —Anarchie. —Pacification de Gand. —Tentatives de don Juan. —Intrigues de Marguerite de Valois. —L'archiduc Mathias. —Le duc palatin Casimir. —Puissance du prince d'Orange à Gand. —Ryhove. —Hembyze. —Arrestation du duc d'Arschoot et de l'Évêque d'Ypres. —Gand domine toute la Flandre. —Mort de don Juan. —Le prince de Parme. —Les malcontents. —Guerres. —Détresse de la Flandre. —Le duc d'Alençon est proclamé comte de Flandre. —Il quitte la Flandre après avoir honteusement échoué dans ses projets. —Mort d'Hembyze. —Élisabeth et le comte de Leicester. —Négociations du prince de Parme avec les principales villes de la Flandre. —L'autorité de Philippe II y est rétablie. —Cession des Pays-Bas à Albert et à Isabelle. —Mort de Philippe II 86
Albert et Isabelle (1598-1621): Albert et Isabelle. —Les états généraux font des réserves en faveur des priviléges des Pays-Bas. —Armements de la Hollande. —Bataille de Nieuport. —Siége d'Ostende. —Trêve de douze ans. —Préparatifs menaçants du roi de France. —Mort de l'archiduc Albert 221
Philippe IV, Charles II, Philippe V (1621-1713): Reprise des hostilités. —Le prince d'Orange devant Bruges. —Projets politiques de Richelieu. —Louis XIV. —Une armée française envahit la Flandre. —Négociations de Munster. —Tentatives pour ramener le commerce en Flandre. —Le roi d'Angleterre à Bruges. —La Flandre, attaquée par Turenne, est défendue par Condé. —Dunkerque. —Ostende. —Paix des Pyrénées. —Peste de 1666. —Louis XIV réclame les Pays-Bas en vertu du droit de dévolution. —Traité d'Aix-la-Chapelle. —Nouvelles guerres. —Siége de Gand. —Paix de Nimègue. —Situation de la Flandre. —Guerre que termine le traité de Riswick.  — Mort de Charles II. Guerre de la succession. —Paix d'Utrecht 235
Charles VI, Marie-Thérèse (1713-1780): Traité de la Barrière. —Réclamations de la Flandre. —Le commerce se ranime en Flandre. —Compagnie d'Ostende. —Pragmatique sanction de Charles VI. —Louis XV en Flandre. —Traité d'Aix-la-Chapelle. —Heureux gouvernement du prince Charles de Lorraine. —Mort de Marie-Thérèse 278
Joseph II, Léopold II, François II (1780-1794): Démêlés avec la Hollande. —Plaintes des états de Flandre. —Mouvement insurrectionnel. —République des États-Belgiques-Unis. —L'autorité impériale est rétablie. —Léopold II succède à Joseph II. —Sa mort. —Invasion et conquête de la Flandre par les armées républicaines françaises 291
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