La mère et l'enfant
CHAPITRE QUATRIÈME
A douze ans, les enfants deviennent grands et l'on se rappelle qu'ils étaient tout petits. On s'aperçoit en outre qu'ils deviennent indépendants et ça ressemble au moment où l'oiseau commence à voler. Vous savez bien: les petits oiseaux posent leurs pattes sur le bord de leur nid et regardent alentour où c'est si beau qu'ils font: Cui, cui! Ils s'élancent enfin. Voici des champs, des haies, des maisons et des rues et toute une vie qu'ils ne connaissent pas. Et puis, voici d'autres nids et d'autres oiseaux qu'ils vont connaître et qui changeront leurs idées sur le nid natal. Intelligence et vivacité, les enfants de dix à douze ans qu'on laisse aller par la ville la voient, avec ses maisons, considèrent son commerce et ses habitudes, et agitent leur cerveau avide de spectacles. C'est au point de vue des jeux et des promenades qu'ils en apprécient la beauté, car les enfants rapportent tout à eux-mêmes et leurs appréciations sont les filles de leurs plaisirs.
Avant ce temps-là, j'avais vécu une vie renfermée (comme celle des petits oiseaux, vous dis-je). Au monde il y avait moi et les sentiments qui naissaient de l'action de mes organes. Les jeux, les souffrances et mon attachement à ma mère bornaient l'horizon comme de grandes limites, et si grandes qu'au delà l'on ne comprenait pas ce qui pouvait se passer. Ma petite ville était une ville, ce quelque chose qui est fait avec des rues et des maisons et qu'on appelle une ville tout court. Ma petite maison était tout simplement une maison qui possède un seuil où l'on joue, des chambres qui sont utiles aux jours d'intempérie, et un lit, et des chaises pour la fatigue et pour la maladie. Il y avait pourtant l'école, mais l'école, ce sont des livres et des camarades.
Ma petite ville est très utile parce qu'elle est très calme. A cause du silence, nos cris ont plus de vie et parce que les rues sont solitaires, nos jeux ne comportent pas de dangers. C'est dans les rues que l'on peut faire des parties de chasse où les uns sont chasseurs, les autres chiens et où les plus malins sont des bêtes sauvages. C'est sur les places que l'on peut faire des parties de barres pleines de courses et de cris. C'est partout que l'on peut jouer à cache-cache, parmi les tonneaux du marchand de vin, dans les écuries, dans les hangars, et dans les greniers. Ainsi va le monde avec des raisons multiples et contradictoires. Nous ne comprenons pas comme le marchand de vin l'utilité des tonneaux, des écuries, des hangars et des greniers, et ceci montre que la vie a deux côtés, dont l'un est pour les hommes et dont l'autre est pour les enfants. J'ai su, depuis, qu'il y avait encore le côté réservé aux dames et le côté réservé aux messieurs.
En deux temps et trois mouvements l'on peut parcourir ma petite ville, mais il y a des jours extraordinaires pendant lesquels elle est variable et compliquée. Je parlerai d'abord des dimanches. Les dimanches de ma petite ville étaient si beaux que je les vois comme des dimanches de printemps. Le matin, avec sa messe et son marché, nous montre des paysans en blouse bleue, des paysannes en robe noire et des jeunes filles légères avec un livre de messe et une ombrelle. Voitures à âne en plus, paniers de beurre et d'œufs, allées et venues, et soupe grasse et bœuf bouilli que l'on va manger! Dimanche matin, c'est la résurrection comme au dimanche de Pâques. Les hommes et les femmes font un grand commerce, un grand bruit, et ils s'approvisionnent pour toute la semaine. Les hommes et les femmes s'approvisionnent de denrées et les enfants de douze ans s'approvisionnent de bruit et de mouvement.
Dimanche soir avec maman je me promène et nous allons voir des amies. Les maisons qui ne sont pas la nôtre présentent un caractère de nouveauté qui pour moi est charmante et instructive. La vie qui s'y mène me fait connaître les mœurs provinciales étroites et tranquilles qui comportent le travail de la semaine et le repos du dimanche. Et quand nous remontons le soir, chacun rentre chez soi. Les places deviennent plus grandes, les rues deviennent plus larges parce qu'elles se vident, et notre cœur, comme elles, s'agite encore avant de reprendre sa vie de chaque jour où de petits sentiments se promènent dans sa grande étendue.
Il y a les jours de foire et les jours de fête. Les jours de foire, ce sont des bœufs, des vaches, des veaux, et ce sont surtout des cochons. Ce sont aussi des marchands, des vieilles femmes avec des étalages qui vendent des trompettes, des gâteaux et quatre petits cochons en pain d'épice pour un sou. Il y en a du bruit, ces jours-là, et des spectacles! On voit défiler toute la vie des campagnes qui se compose de bestiaux, de fruits et de laitage et dont le travail a pour but ces achats et ces ventes qui mènent les hommes aux foires.
Les jours de fête, ce sont des jours de plaisir. C'est plus que du repos, c'est du plaisir. Chevaux de bois et loteries et auberges pleines, en voilà de l'activité! Les bals sautent et font de la musique avec tant de cris et tant de bruit qu'il semble que la vie humaine est multipliée par cent. Je vais tout voir, mais je m'attache à ce qui brille. Les chevaux de bois sont un abrégé des merveilles des cieux. Ils contiennent des dorures, de la musique et du mouvement. Je leur donne toute ma bourse, et lorsqu'elle est vide, je les regarde tourner et je leur donne tous mes sentiments. Les jours de fête sont bons comme des parents qui viennent quelquefois chez nous avec des cadeaux et de la joie et auprès desquels on oublie son travail et ses pensées.
Mais à douze ans, j'ai surtout connu ma petite maison. Enfant blessé, je devins studieux, et fils d'une bonne mère, je vécus auprès d'elle où il faisait bon. Toutes les chambres de ma petite maison ont une grande valeur, mais jusqu'ici je m'étais tenu dans la grande chambre d'en bas qui appartient à maman. Il faut que je reste auprès d'elle, puisque ses enseignements me sont nécessaires à tous les instants, et puis il faut que je reste au centre du nid pour bien m'imprégner de la vie familiale. Les petits enfants prennent la tradition de leurs parents, qui est dans les actions communes, dans les pensées communes, dans les habitudes et dans l'ordonnance du ménage. Il y avait la boutique de mon père, mais la boutique de mon père est grave et l'on y travaille à notre vie quotidienne. Un enfant ne doit pas troubler l'exercice des fonctions supérieures. Mon père est un tribunal, et je ne m'adresse à lui que pour des affaires importantes qui soient à la hauteur de son travail. Il faut qu'il s'agisse au moins d'un problème d'arithmétique.
A douze ans, je vécus dans ma petite chambre d'en haut. Elle contenait un peu d'indépendance, à cause de son isolement, mais elle se rattachait au reste de la maison dont les bruits traversaient sa cloison. Je suis chez moi et je pense, je suis chez les miens et je les entends. Un bruit d'outils sur le bois, c'est mon père; des pas qui travaillent, c'est maman; des livres et des imaginations, c'est moi. La fenêtre donnait sur un grand jardin et sur notre petite cour, sur un grand jardin, au loin, où je veux aller, et sur une petite cour, tout près, où je suis. Et vous voyez mon âme de douze ans qui s'embarque et qui reste. Je couchais dans ma petite chambre. Solitude des nuits, vous êtes noire et l'on ne vous connaît pas. C'est très bien quand je dors, mais si je m'éveille, solitude des nuits, j'entends vos bruits autour de ma vie. Il y avait de gros rats dans le grenier qui marchaient au-dessus de ma tête avec de grosses pattes. J'ai toujours cru qu'ils avaient des bottes. Soudain j'entends quelque chose, je dresse l'oreille et j'écoute. Un sentiment me dit que ce sont les rats, mais un autre sentiment me dit le contraire. Les rats n'ont pas des pas si grands et si pesants. Un homme a pu ce soir se cacher dans le grenier en attendant la nuit pendant laquelle il me tuera. Mon couteau ne me suffit pas, et il faudra que je demande la canne à épée de mon père afin de me défendre. On dirait des frôlements, et puis, il y a des craquements alentour des portes. Je commence par me dire que la prudence est mère de la sûreté. La peur arrive, mon imagination grossit. Je n'hésite plus, je saute du lit, je descends l'escalier, j'accours auprès des miens et je leur raconte cette histoire. Ils me rassurent bien vite en me démontrant qu'il ne peut pas y avoir de danger et que les malfaiteurs n'ont pas de raisons pour nous en vouloir. Ils me prennent par la fierté et me demandent si je suis un homme. Pour le leur prouver, je n'accepte pas l'offre qu'ils me font de dormir dans le lit d'à côté. Je remonte avec mon courage et mes idées calmées.
Il y avait encore l'école. L'école contient des jeux, des classes et des récompenses. M. Chevrier, l'instituteur, nous prépare au certificat d'études primaires. La vieille renommée de science qui fut toujours celle de notre école va s'accroissant sous sa direction. M. Chevrier a cinquante ans, avec une grande propreté, une grande fermeté de caractère et des connaissances fixes. Toutes ces qualités sont nécessaires. Cinquante ans, c'est du respect. Une grande propreté, c'est un bon exemple. Une grande fermeté de caractère, c'est de la crainte. Des connaissances fixes pénètrent les cerveaux et s'y installent avec précision, chacune en son endroit spécial, et toutes sont bien ordonnées. Vanité des vanités, on rencontre des personnes qui savent mille choses grâce auxquelles elles brillent dans les conversations, mais il vaudrait mieux pour elles savoir simplement quelques faits et connaître quelques dates, parce qu'alors elles brilleraient dans les examens. Voilà ce que pensait M. Chevrier.
Nous allons à l'école avant les autres, à sept heures du matin, et nous en sortons à six heures du soir. Les dictées, les problèmes, les leçons d'histoire, de géographie et les exercices de lecture se suivent et se complètent. J'ai cru, dans ce temps-là, que la science n'était pas agréable. Les dictées, prises dans les bons endroits, contenaient les fautes qu'il faut éviter et les mots qu'il faut connaître. Elles traitaient les graves questions de morale et d'économie politique qui intéressent l'homme et la société. Mais nos cerveaux de douze ans n'étaient pas des cerveaux d'hommes et ne pouvaient pas comprendre la société, c'est pourquoi les lois de la morale et de l'économie politique nous semblaient ennuyeuses comme les dictées que l'on subit. La vie est bien claire, les enfants jouent, les hommes travaillent, et nous ne voyons pas la morale et l'économie politique se mêler à leurs actions. Sciences humaines, a priori, vous ne m'avez rien appris.
L'histoire de France, c'est Charlemagne, auquel succède Louis le Débonnaire en telle année, auquel succèdent en telle autre année ses trois fils, Louis le Germanique, Lothaire et Charles le Chauve. Ce sont des dates et des noms qui entrent dans la tête et qui ressemblent à la racine carrée d'un nombre ou aux affluents de gauche de la Garonne. Les lectures parlent des mœurs des castors, de l'oisiveté qui ronge l'homme comme la rouille ronge le fer, et du petit Jean qui cause avec le vieux Thomas sur les bienfaits de la Troisième République. Nous avons appris que le grand-père du riche châtelain était serf au temps des seigneurs, et cela prouve qu'en notre siècle on peut arriver à la fortune et aux honneurs par le moyen du travail et de la probité.
Certificat d'études, je me souviens des dimanches où nous ne vous préparions pas. Beaux dimanches de rêverie, de promenades et de lecture, c'est pendant ces dimanches que s'est formée mon âme. Rêver à mille choses par la fenêtre ouverte de ma petite chambre et regarder le ciel et les fleurs et la prairie! Mes chers dimanches que j'ai dits, je me sentais vivre en vous! Aujourd'hui c'est un jour sans dictées, sans problèmes, sans histoire et sans géographie. Mon cerveau est à moi et je m'en sers à ma guise pour me donner du bonheur. Mes sens sont à moi et je les sens vivre et je les entraîne là où les conduit mon cerveau. Souvent, mon cerveau les conduisait dans de beaux voyages que l'on trouvait dans les livres. Robinson Crusoé, quand vous étiez marin et quand vous fîtes naufrage, c'était beau comme une belle aventure. Et l'île déserte, ô Robinson Crusoé, je la revois avec sa mélancolie, votre cabane, le ciel et les rivages! Vous deviez être bienheureux, Robinson Crusoé! Je ne comprenais pas votre philosophie et votre résignation. Je n'étais pas du même avis que votre perroquet lorsqu'il disait: Robinson, mon pauvre Robinson! Vous deviez être bien heureux, Robinson Crusoé! Et maintenant je suis triste parce que vous n'avez jamais existé. Vous étiez si bon et votre île était si belle que j'aurais bien voulu vous connaître tous les deux. Dormez en paix, Robinson Crusoé, loin de ce monde où vous n'avez pas vécu. Vous êtes un beau songe comme ceux des enfants de douze ans, et vous ressemblez aux songes d'un bonheur auquel je n'ai jamais goûté.
Il y avait d'autres livres encore. Il y avait des livres d'Histoire, car l'Histoire des bons livres raconte les guerres et les aventures des hommes. Elle n'est pas comme l'Histoire de l'école qui est maigre, avec des dates, des traités et des successions, mais elle montre les gestes de la France qui font du bruit et ses habits de soldats qui plaisent aux enfants. Je lisais des récits de voyage. J'ai bien connu Bougainville, La Pérouse et M. le bailli de Suffren. Les îles et les continents contiennent des aventures où l'on est fort et victorieux et d'où l'on revient plein de gloire. Le roi de France vous accueille et vous nomme amiral et chevalier de Saint-Louis. Je pensais déjà au plaisir qu'en aurait maman. Il y avait un récit dans lequel un mousse breton revient avec le grade d'officier, et sa mère a du mal à reconnaître Yvonnet dans ce beau marin bronzé par le soleil d'Afrique.
Et voici comment était le monde à l'époque de mes douze ans. Le monde palpitait et brillait. J'étais tout neuf avec mes ailes. Je n'ai jamais vu d'ombre sur les choses, car les choses de la vie sont comme les choses de notre âme, brillantes et qui palpitent. Mon expérience était petite, si petite que j'en souris parce qu'alors je la croyais grande. Mes livres l'avaient formée à leur image: les livres de voyages lui disaient qu'il faut être marin, les livres d'histoire qu'il faut être au moins général, et tous qu'il faut avoir un uniforme afin de battre les Nations. Je voyais rouge comme un soldat et j'aurais bien voulu que la terre fût bouleversée, pour montrer ma valeur et pour établir ma puissance.
Mais il était bien drôle que ce beau guerrier eût peur à coucher seul et qu'il eût encore besoin de sa mère.
Maman, c'est à douze ans que j'ai commencé à te comprendre. Je t'ai comprise ainsi que j'ai compris notre petite ville et notre maison, c'est-à-dire avec beaucoup d'idées intéressées, mais aussi avec quelques idées indépendantes. C'est à douze ans que j'ai commencé à te voir.
Maman, tu es toute petite, tu portes un bonnet blanc, un corsage noir et un tablier bleu. Tu marches dans notre maison, tu ranges le ménage, tu fais la cuisine et tu es maman. Tu te lèves le matin pour balayer, et puis tu prépares la soupe, et puis tu viens m'éveiller. J'entends tes pas sur les marches de l'escalier. C'est le jour qui arrive avec l'école, et je ne suis pas bien content. Mais tu ouvres la porte, c'est maman qui vient avec du courage et de la bonté. Tu m'embrasses, et je passe les bras autour de ton cou et je t'embrasse. C'était le jour qu'accompagnait l'école, maintenant c'est le jour que tu accompagnes. Tu es une bonne divinité qui chasse la paresse. Tu entr'ouvres la fenêtre, et l'air et le soleil c'est toi, et tu es encore le matin et le travail. Tu es, ici, à la source de mes actions, et tes gestes me donnent mes premières pensées et ta tendresse me donne mon premier bonheur.
Maman, j'ai douze ans et je commence à te comprendre. Je te distingue des autres mères comme je distingue ma maison des autres maisons. Tu devins une femme particulière dont je connus les habitudes et alors je m'aperçus que tu étais meilleure que les autres femmes. Maman, tu es travailleuse. Le travail de mon père est celui qui nous donne la vie et ton travail consiste à l'ordonner. Le bruit de ta besogne est le bruit du temps qui passe chaque jour avec des repas, du travail et du repos. Tu veux que rien ne manque, et tout ton corps, et tes mains et tes yeux et tes jambes s'occupent à ce soin et je sens que tu en as fait les serviteurs de notre vie et les ordonnateurs de notre joie. Il y a la vaisselle, il y a le ménage, il y a la cuisine. Il y a le puits plein d'eau que tu puises, il y a le balai et la lessive. Il y a les commissions chez l'épicier, chez le boucher et chez tous les marchands. Il y a le raccommodage et la confection. Ce sont des travaux simples qui s'étendent devant ta vie et que tu accomplis sans cesse. Après chacun d'eux, tu regardes le suivant et tu pars où il te conduit, docile et calme. Tu franchis le temps et tu n'as jamais les mains vides.
Et je te vois, maman. Je te vois avec ton front de bonne femme qui renferme quelques idées, avec tes yeux de ménagère qui ne regardent pas plus loin que la maison, et avec tes lèvres de mère mobiles et douces. Je te vois avec tes joues tendres où mes baisers s'enfoncent. Je vois tes mains un peu rugueuses que la vie a frottées avec tous ses travaux. Et ton bonnet entoure ton visage et limite son contour comme tes sentiments entourent ta vie et limitent ses actions. Le soir, tu te fais un peu plus belle, et tu prends un bonnet gaufré. Je préfère celui qui est orné d'un ruban de velours noir. Tu es assise, tu es bien propre, tu fais partie de la chambre, et comme elle, on dirait que tu reluis. C'est comme cela que je t'aime. Tu n'es pas belle comme une femme, puisque tu es maman.
Maman, lorsque tu es assise à la fenêtre, tu couds et tu penses. Je sais bien à quoi tu penses. Tes pensées ressemblent à une allée de vieux tilleuls où c'est toujours plein d'ombre, et tu t'y promènes en respirant. Tu t'y promènes parce que le jour est gris, parce que ton âme est calme et parce qu'une âme calme n'aime pas les changements. Tu penses à la chemise que tu couds, à un gilet, à un pantalon ou à la soupe du soir. Tu te dis: Il va falloir à cinq heures que je coupe mon oseille pour faire de la soupe à l'oseille. Tu écoutes mon père qui fait des sabots et tu causes parce que causer fait du bien. La rue entre dans ta pensée avec ses poules et ses passants. Les poules tiennent compagnie aux solitaires et les passants leur donnent des émotions. Tu penses à hier, à aujourd'hui, à demain, au temps qui marche et qui traverse les événements sans qu'on s'y attende.
Mais surtout tu penses à moi. Tes autres pensées sont les pensées de toutes les femmes qui continuent à vivre, sans savoir pourquoi, simplement parce qu'elles ont commencé. Lorsque tu penses à moi, maman, ta vie est une chose nécessaire. Tu veux vivre, non pas tant pour me voir grandir que pour m'aider à cela. Ton cœur est plein de forces et tu veux toutes les employer. Ton cœur est beau comme un monastère où tous les moines à genoux s'unissent pour envoyer à Dieu chacun sa pensée et pour lui faire entendre qu'il est le bien-aimé chez les hommes. Tu m'aimes comme la fin de toutes choses. C'est un dépôt que la nature t'avait confié et elle t'a dit: Femme, je t'ai donné un fils auquel tu apprendras mes lois, je l'ai déposé dans ton sein parce que je suis bonne et pour que tu lui apprennes à me connaître. Alors, maman, tu n'es plus une simple femme qui coud et qui pense, tu es la mère d'un enfant de douze ans, tu te recueilles et tu travailles pour l'Humanité, toi qui prépares un homme.