La politique du Paraguay: Identité de cette politique avec celle de la France et de la Grande-Bretagne dans le Rio de La Plata
CHAPITRE III
La Conspiration paraguayenne
I
Mouvement circulaire des alliés et évacuation
de l'Assomption
Au mois de septembre de l'année dernière, une nouvelle émouvante et, de plus, entourée de circonstances mystérieuses, fut mise en circulation par les feuilles qui défendent, des deux côtés de la Manche, la cause de la triple alliance. Une bouteille, contenant des révélations curieuses, aurait été pêchée dans le rio Paraguay. Un billet, déposé dans cette bouteille, annonçait qu'une grande conspiration tramée contre le gouvernement de la République du Paraguay venait d'être découverte, et que de nombreuses arrestations avaient été opérées.
Au commencement de septembre, les feuilles dévouées se contentèrent de tar iner sur le fait de cette conspiration, à laquelle auraient pris part des hommes considérables du pays; naturellement, l'entente de ces hommes pour renverser un pouvoir détesté, prouvait que le président Lopez était abandonné par l'opinion publique, et qu'il ne se maintenait à la tête de l'Etat qu'à l'aide de la terreur qu'il inspirait.
La République était fatiguée des sacrifices qu'elle faisait depuis plus de trois ans; elle voulait la paix, et c'est pour donner satisfaction à la volonté, comprimée, de la nation, que des citoyens courageux avaient juré la perte du tyran. Le mécontentement devait être et profond et général, puisque dans le complot étaient entrés des membres de la famille du président: ses deux frères, ses deux beaux-frères et l'évêque de l'Assomption.
D'un côté, le despotisme implacable du maréchal Lopez qui empêchait les voeux de ses concitoyens d'arriver jusqu'à lui, et son ambition insensée qui l'aveuglait au point de consommer la ruine du pays, par la prolongation d'une guerre que cette même ambition avait provoquée: de l'autre côté, le libéralisme des alliés et leur désintéressement si loyalement proclamé au début de cette lutte, qu'ils n'avaient engagée que malgré eux, et uniquement pour briser les fers de leurs frères du Paraguay; tel était le canevas sur lequel les organes de la triple alliance ne cessèrent, pendant tout un mois, de broder de fantaisistes variations.
Dès le mois d'octobre, les télégrammes de source brésilienne fournirent un nouvel aliment à la curiosité publique. La conspiration était bien réelle, et Lopez venait de donner la preuve qu'il était bien l'homme sinistre qui avait été dénoncé à l'opinion des peuples civilisés. Des exécutions sommaires avaient eu lieu; c'était dans les flots de sang qu'avait été noyée une entreprise généreuse, inspirée par le plus pur patriotisme, puisque le but poursuivi était la délivrance de la nation paraguayenne par la mort du despote.
Les détails étaient aussi précis que possible. C'est par fournées de 25 que les conspirateurs avaient été fusillés au camp de Tebicuary, et, au départ du courrier, le nombre des victimes qui avait été relevé atteignait le chiffre de 500.
L'effet de ces publications fut grand sur les deux rives de l'Atlantique. Les sympathies acquises à la cause paraguayenne, furent un instant ébranlées par ces horribles nouvelles, extraites des rapports officiels brésiliens. Un de ces rapports disait même qu'après l'évacuation du camp de Tebicuary par Lopez, les alliés avaient trouvé sur les rives du fleuve des cadavres sans sépulture. Parmi ces cadavres, le maréchal Caxias aurait reconnu ceux du vice-président, M. Sanches, du ministre des affaires étrangères, M. Bergès, du Dr Carreras, ancien ministre des affaires étrangères de Montevideo, de Benigno Lopez, frère du président, et enfin les cadavres d'autres personnages haut placés.
Comme si ces nouvelles ne suffisaient pas pour surexciter les esprits, les plumes dévouées accusaient encore le tyran d'avoir méconnu les immunités diplomatiques, au point de violer la légation des États-Unis et de faire saisir par des officiers de police des individus appartenant à cette légation.
Le but de ces articles était, naturellement, de déconsidérer le gouvernement du Paraguay, et de représenter le maréchal Lopez comme un barbare pour qui rien n'était sacré, ni le droit des gens, ni l'honneur national, ni même les liens de famille.
Bien que nous sussions par une expérience personnelle et par les recommandations du Moniteur officiel, qu'il convenait de se tenir en garde contre les rapports des généraux alliés, cependant, tout en faisant la part de l'exagération, nous admettions qu'il pouvait y avoir quelque chose de vrai au fond de la situation indiquée.
Dans les circonstances critiques que traverse la société paraguayenne, la concentration des pouvoirs entre les mains du président est une nécessité suprême. Quel est le peuple qui, à l'exemple des premiers Romains et à un moment donné, n'a pas dû laisser voiler la statue de la Liberté, soit pour sauver sa nationalité menacée par l'étranger, soit pour empêcher l'ordre et la fortune publique d'être engloutis par le flot toujours montant des passions subversives? Pour ne citer que la France, notre immortelle Convention n'a-t-elle pas pris la dictature dans le but de résister tout à la fois à la Coalition des puissances qui s'avançaient vers nos frontières, à l'insurrection vendéenne qui faisait momentanément échec à la Révolution, et aux intrigues des partis hostiles qui compromettaient la tranquillité intérieure?
En juin 1848, l'Assemblée nationale n'investit-elle pas le général Cavaignac de la dictature, afin de mieux constituer l'unité d'action qui, seule, pouvait efficacement protéger la société contre la protestation armée d'une population égarée?
Du reste, la Constitution paraguayenne a prévu le cas où la dictature pourrait être déférée au président de la République. L'article 1er du titre VII, qui règle les attributions de ce magistrat, porte textuellement que:
«L'autorité du président est extraordinaire dans les cas d'invasion et de commotion intérieures, et toutes les fois que cela sera nécessaire pour conserver l'ordre et la tranquillité publiques.»
Le fait de la conspiration étant admis, le pays se trouvait, certes, dans les deux conditions indiquées par l'article 1er du titre VII, et, conséquemment, le maréchal Lopez avait reçu de la loi «l'autorité extraordinaire» nécessitée par les circonstances.
Le président devait commencer par «conserver l'ordre et la tranquillité publics,» afin de pouvoir, conformément à l'article III du titre IV de la susdite Constitution jurée par lui, défendre «l'intégrité et l'indépendance de la nation.»
Or, une répression sévère, énergique et rapide, pouvait seule amener le rétablissement de l'ordre, et permettre ainsi d'utiliser toutes les forces de la nation pour repousser l'invasion étrangère. Qui aurait osé reprocher au président paraguayen d'avoir usé des pouvoirs «extraordinaires» que lui accorde le règlement du 13 mars 1844, pour livrer au glaive de la loi les traîtres qui avaient vendu leur patrie à l'ennemi?
Si, dans les conditions exceptionnelles où le pays se trouvait placé, le maréchal Lopez, chassé de sa capitale, délogé de ses lignes, poursuivi par les forces de la triple alliance, et obligé, pourtant, d'organiser sur de nouvelles bases la résistance nationale, avait traduit devant une cour martiale les misérables dont il s'agit et parmi lesquels se trouvaient des membres de sa famille, ce n'est pas à Néron, déclarons-le hautement, qu'il aurait fallu le comparer, mais bien à Brutus qui sacrifia son sang à la patrie.
Salus populi, suprema lex, telle est la formule qui a inspiré l'article 1er du titre VII et dont doit s'inspirer, à son tour, celui à qui le Paraguay a confié ses destinées.
Si un chef d'Etat, légalement reconnu, a toujours le droit de défendre son pouvoir menacé par une minorité factieuse; ce droit devient un impérieux devoir, lorsque l'autorité du chef de l'Etat est une loyale émanation de la souveraineté du peuple.
Ce double cas est celui du maréchal Lopez. Ce magistrat, qui est l'élu du pays et autour duquel la nation tout entière s'est pressée au cri patriotique de: Independencia ó muerte, a tout à la fois le droit et le devoir de se considérer comme le représentant légitime de cette nation, et, partant, de défendre énergiquement envers et contre tous l'ordre qu'elle a établi.
Donc, nous avons cru un instant, nous ne faisons aucune difficulté pour l'avouer, que, forcé de se retourner contre des conspirateurs audacieux qui s'avançaient dans l'ombre, armés de la torche et du poignard, au moment même où, malgré les difficultés de la position qu'ils lui avaient faite, il maintenait haut et ferme, en face de l'ennemi, le drapeau national; le président avait voulu faire un exemple, en abandonnant les chefs des traîtres au sort qu'ils avaient mérité. Dans ce cas encore, il faut bien l'apprendre à ceux qui l'ignorent, le maréchal Lopez n'aurait fait qu'obéir à la Constitution de son pays, dont le titre X édicte la peine de mort contre quiconque aura attenté à la loi fondamentale et à l'indépendance de la République.
Mais, même dans cette hypothèse d'une expiation suprême, accomplie sous le coup d'une incontestable nécessité, nous considérions comme une imputation mensongère l'affirmation des rapports brésiliens, relativement à ces exécutions sommaires qu'aucun jugement contradictoire n'aurait précédées.
Les nouvelles reçues dès le mois de novembre donnèrent un démenti formel, à cet égard, aux organes de la triple alliance. Le fait de la conspiration était confirmé; mais, à l'époque où des centaines de personnes auraient été mises à mort, après un simulacre de jugement, aucune exécution,--aucune, entendez-vous?--n'avait eu lieu sur les rives du Tebicuary. Ce qui était vrai, encore, c'est que la justice était saisie et que le procès des traîtres s'instruisait régulièrement.
Quant à la violation de la légation des États-Unis, c'était encore une accusation calomnieuse, imaginée par le principal complice des conspirateurs, exploitée par la diplomatie brésilienne et propagée, en Europe, par les agents de cette diplomatie.
L'invention des fusillades, exécutées par fournées de 25 hommes, restait donc à la charge des ennemis du Paraguay, au même titre que la découverte de 200 cadavres de Brasilo-Argentins, entassés dans une ferme des environs de Villeta (San-Fernando) et qui auraient été ceux d'autant de prisonniers alliés barbarement égorgés. Renseignements obtenus, ces 200 victimes, parmi lesquelles des femmes et des enfants, étaient des Paraguayens surpris dans un poste avancé, et passés par les armes sur l'ordre du chef d'une colonne brésilienne.
La civilisation a inscrit ces 200 cadavres, y compris les enfants et les femmes, au passif des soldats esclavagistes. Peut-être leur en demandera-t-elle compte un jour.
Il nous reste à dire, et par qui avait été formée la conspiration qu'ont dénoncée les rapports brésiliens, et comment elle fut découverte.
On a justement comparé l'importance d'Humaïta à celle de Sébastopol et de Richmond. C'était là une citadelle de premier ordre, renfermant dans sa vaste enceinte une garnison de 10,000 hommes, des magasins de vivres et d'habillements, des dépôts de munitions et de nombreuses familles paraguayennes. Ce point stratégique, admirablement choisi déjà sur le rio Paraguay, avait été savamment fortifié et, aussi, ses alentours. Plus de 400 pièces d'artillerie garnissaient ses puissants remparts, et un formidable système d'estacades, d'ouvrages en terre et de tranchées dissimulées, défendait le rivage contre toute surprise. Ajoutons qu'une énorme chaîne traversait le rio Paraguay, en face d'Humaïta, et que cet obstacle devait nécessairement arrêter sous le feu plongeant de la batterie dite la chaîne, les navires qui auraient échappé aux torpédos semés dans le lit de la rivière.
Voilà pour la route fluviale.
Des marais, réputés impraticables, entouraient la place du côté de l'est et du sud, et en interdisaient l'approche à l'ennemi. Au nord, se trouve le rio Paraguay.
En somme, Humaïta représentait, après le patriotisme de ses enfants, la principale défense du Paraguay; de sorte que, tant que cette clef du fleuve se trouverait entre ses mains, le maréchal Lopez pourrait braver les efforts impuissants des ennemis de son pays.
Cette appréciation est confirmée par l'inaction dans laquelle restèrent si longtemps les forces du Brésil, par crainte des canons de la citadelle paraguayenne. L'attaque infructueuse de Curupaïty--un simple avant-poste--avait fortifié cette opinion, qu'un échec bien autrement désastreux serait la conséquence d'un mouvement agressif contre Humaïta.
Devant cette double impossibilité de franchir le redoutable passage du fleuve, et de s'engager dans les plaines marécageuses de l'intérieur, dans le but de couper les communications de la forteresse avec l'armée nationale, les confédérés se trouvaient condamnés à une impuissance radicale, en dépit de la supériorité et de leur nombre et de leur armement. Tant qu'Humaïta resterait debout, aucune opération ne pouvait être tentée, dont le succès rapprocherait le terme de la lutte.
L'armée alliée était donc menacée de rester indéfiniment dans ses campements, jusqu'à ce que les exhalaisons malfaisantes des marais, le choléra et le typhus eussent accompli dans ses rangs les ravages que, vu la distance, les projectiles paraguayens ne pouvaient produire. De cette façon, le siége d'Humaïta aurait duré un peu plus que celui de Troie, ou celui de Montevideo, et les confédérés, semblables à ce paysan qui attendait, pour passer la rivière à sec, que l'eau eût cessé de couler, seraient devenus la risée du monde entier.
Au ridicule qui tue, le marquis de Caxias, qui venait de succéder dans le commandement de l'armée brésilienne au général Polidoro, préféra la honte qui tache, l'infamie qui souille.
A l'exception de la journée du 3 novembre, où les alliés, forcés dans leurs retranchements de Tuyuty, eurent 3,000 hommes mis hors de combat, une partie de l'année 1867 se passa sans amener de changement notable dans la situation. Les envahisseurs n'avaient pas fait un pas en avant; ils n'étaient les maîtres que du terrain sur lequel ils campaient.
Vers les derniers mois de l'année, un fait se produisit qui devait avoir des conséquences considérables. Ces marais que l'on croyait infranchissables venaient d'être franchis, et les alliés, obliquant sur leur droite, s'étaient rapidement portés vers le nord. Maîtres de Tayí, ils fortifièrent cette position et purent ainsi intercepter les communications fluviales entre l'Assomption et Humaïta.
Le passage à travers les terrains défoncés, n'était connu que de quelques personnes de l'entourage du maréchal Lopez; c'était là un secret d'État, dont la découverte devait forcément enlever au Paraguay un de ses principaux éléments de résistance. La question posée par le mouvement circulaire de l'ennemi était donc celle de savoir si ce mouvement était l'effet d'une inspiration heureuse, ou bien s'il avait été exécuté d'après des indications précises.
Le cas était d'une gravité extrême, on le comprend; mais, à quoi servirait d'être un homme supérieur, si on ne parvenait pas à percer l'ombre qui entoure les causes d'un événement, resté inexplicable pour le vulgaire? Sans méconnaître les difficultés de solution que présentait le problème, le maréchal Lopez, qui savait son Caxias par coeur, flaira une trahison. Dès lors, sa vigilance redoubla d'activité. Si ses soupçons étaient fondés, il fallait à tout prix découvrir le misérable qui venait, en guidant les envahisseurs dans leur marche à travers le pays, de vendre le sang de ses frères et de compromettre ainsi l'indépendance, peut-être, même, l'existence de la République.
Un nouveau mouvement des alliés, qui n'était qu'une conséquence du premier, acheva d'accuser le plan du marquis de Caxias. Nous voulons parler de la manoeuvre accomplie le 19 février 1868. Profitant, tout à la fois, d'une crue extraordinaire du rio Paraguay et d'une nuit obscurcie par les brouillards, l'amiral brésilien Ignacio franchit le redoutable passage d'Humaïta et atteignit, à la pointe du jour, avec plusieurs cuirassés, la position de Tayí, occupée, nous venons de le dire, par les confédérés.
Par le succès de cette opération toute communication était désormais impossible, soit par le fleuve, soit par la route à travers le Chaco, entre les nouvelles lignes paraguayennes de Tebicuary et Humaïta; dès lors cette citadelle, ne pouvant plus être régulièrement ravitaillée, devait infailliblement succomber sous les étreintes de la famine. Les lignes de Tebicuary avaient été établies, immédiatement après l'occupation de Tayí par les alliés.
C'est dans ces lignes, nous l'avons constaté déjà, que se retira une partie de la garnison d'Humaïta, avec son commandant, le colonel Alen. Nous ne rappellerons que pour mémoire, l'horrible destin réservé aux débris de cette héroïque phalange, après la capitulation, disons mieux, après le guet-apens infâme que le maréchal Caxias leur avait tendu dans le Chaco, à l'aide d'une mise en scène sacrilège.
Humaïta ne fut évacuée que le 24 juillet 1868; mais, dès le mois de février, l'Assomption avait été déclarée place de guerre, et la capitale transférée à Luque. Aussi, lorsque les cuirassés de l'amiral Ignacio se présentèrent devant la première de ces villes pour la bombarder, ils n'y trouvèrent plus d'habitants, mais seulement quelques batteries bien servies qui les forcèrent à rétrograder.
L'évacuation de l'Assomption fut marquée par divers incidents qui, remplissant le rôle du fil d'Ariane, conduisirent le maréchal Lopez à la découverte de la conspiration.
Les représentants des puissances avaient suivi à Luque, comme c'était, du reste, leur devoir, le gouvernement auprès duquel ils étaient accrédités; seul, M. Washburn, ministre des États-Unis, refusa de suivre cet exemple et s'obstina à demeurer à l'Assomption.
Le motif de cette conduite ne tarda pas à être pénétré. M. Washburn avait lieu de ne pas être fort rassuré pour son propre compte et, de plus, il se proposait de donner un asile, dans les vastes dépendances de sa légation, aux malheureux qu'il avait compromis. M. Washburn, oubliant la circonspection que lui commandait son caractère diplomatique, était l'intermédiaire des conspirateurs avec le maréchal Caxias.
II
M. Washburn
Nous n'ignorons pas que ce diplomate, si sympathique d'abord à la cause paraguayenne, si profondément rempli d'admiration pour le maréchal Lopez, nie le fait de la conspiration dont il était, pourtant, le pivot. Il le nie, en insultant grossièrement, en outrageant de la plus révoltante manière celui dont l'amitié l'honorait naguère; celui qu'il appelait «l'illustre magistrat et commandant en chef qui s'est acquis un renom des plus remarquables dans les fastes militaires 66.»
M. Washburn oublie que le 3 août 1868, quelques jours après avoir tenu ce langage, il affirmait lui-même l'existence de la conspiration, puisque, en constatant que «le complot avait échoué,» il chargeait M. Bénitès «de transmettre ses félicitations au maréchal Lopez»; et il ajoutait: «Je me souviens de l'horreur et de l'exécration qu'il (le maréchal) manifesta à la nouvelle de l'assassinat du président Lincoln. Ces sentiments sont ceux que doit exciter le complot qui avait été tramé contre son gouvernement.»
On est donc bien mal inspiré, quand on a écrit les lignes qui précèdent, de traiter de voleur et d'assassin le chef de l'Etat Paraguayen et de déclarer «qu'il n'y a jamais eu de conspiration 67.» Ajoutons immédiatement que M. Washburn n'a osé formuler ces odieuses accusations que lorsqu'il n'a plus foulé le sol de la République, et, aussi, lorsqu'il s'est vu confondu par les déclarations de ses complices. Il comptait également sur le blocus pour intercepter la réponse du Paraguay. Ayant seul la parole, il entraînerait l'opinion à sa suite. Ces calculs ont été trompés par la publication, à Buenos-Ayres, même, de la correspondance échangée entre lui et le gouvernement auprès duquel il était accrédité.
Nous croyons devoir reproduire à cette place, et en entier, la proclamation du maréchal Lopez à son armée. Cette proclamation est authentique; avons-nous besoin de le déclarer? Elle établit le fait de la conspiration, en même temps qu'elle signale à notre admiration le rôle magnifique des femmes paraguayennes et qu'elle affirme l'inébranlable résolution des hommes «de sauver la patrie avec son honneur et sa gloire, ou de mourir.»
A tous ces titres, la pièce en question mérite d'être placée sous les yeux des lecteurs.
«A la nation et à l'armée Paraguayennes:
»Il y a six ans que le Congrès me confia, en votre nom, les destinées de la patrie. Je jurai devant Dieu et devant les hommes de conserver son indépendance et sa liberté. Son indépendance et sa liberté ont été menacées; l'honneur national a été outragé, et un cri unanime m'a demandé de venger celui-ci et de garantir ceux-là.
»Le même congrès qui m'éleva à la première magistrature m'a imposé la guerre. J'ai obéi à son ordre souverain. Pendant plus de trois ans, vous m'avez toujours vu à la tête de nos légions. Comme soldat, j'ai partagé avec joie les fatigues et les dangers de mes compagnons d'armes; comme magistrat, le bien du peuple a été mon occupation la plus chère, au milieu des hasards de nos luttes sanglantes.
»Soldats!
»Ce fut un sujet de grande satisfaction et de confiance non moins grande pour tous que votre bravoure et votre décision devant l'ennemi. Vous êtes devenus plus braves et plus décidés encore, en voyant nos familles prendre la résolution éminemment patriotique d'abandonner leurs foyers, pour courir aux armes à vos côtés. Mais cette résolution n'était pas nécessaire; n'êtes-vous pas là? Cependant, elle vous imposa de nouvelles obligations, de nouveaux devoirs. Nous jurâmes tous de sauver ces femmes magnanimes qui, oubliant la faiblesse de leur sexe, voulaient faire, comme vous, de leurs poitrines, une muraille contre l'ennemi.
»Nous avons gémi en secret, de voir dans les rangs de nos ennemis quelques enfants du pays outrager le drapeau de leur patrie et donner la mort à nos héroïnes; mais il ne serait venu à la pensée d'aucun de vous que, parmi nous, dans nos rangs, un seul pourrait renier son propre sang, son pays, pour le livrer à la servitude et à l'extermination! Et, pourtant, la réalité est là pour nous désabuser; elle nous montre des hommes misérables, naguère ardents, décidés, enthousiastes parce que la fortune nous était propice et qui prévariquent devant la perspective de moments moins heureux; elle nous montre nos ennemis exploitant leur lâcheté et en faisant des traîtres.
»Soldats!
»Tandis que bravant gaiement l'ennemi, vous versiez votre sang sur les champs de bataille; tandis que vos mères et vos épouses se courbaient sur la charrue pour nourrir vos enfants et vous nourrir vous-mêmes; tandis que le pays tout entier ne songeait qu'à sa défense et à son salut, quelques hommes ligués avec des étrangers auxquels nous avons donné une hospitalité franche et généreuse, avec la jouissance entière de leurs droits et la plus entière liberté; quelques hommes conspiraient contre vous, vidaient le trésor national à leur profit et au profit de nos ennemis, négociaient la servitude de la patrie et votre extermination. Ceux d'entre vous qui auraient survécu à tant de malheurs auraient été livrés aux mêmes ennemis qui nous combattent aujourd'hui, pour grossir leurs rangs, sans autre drapeau que celui de l'esclavage que vous auriez porté à nos frères du Pacifique. Plus malheureux encore que les citoyens orientaux que, sous vos coups, vous avez vus disparaître des rangs de nos envahisseurs, pour n'y laisser qu'un drapeau soutenu par des mains étrangères, vous auriez porté vous-mêmes l'avilissante bannière de l'esclavage!
»Tels sont les infâmes projets des hypocrites, des traîtres, qui se disaient Paraguayens comme nous. Pour déguiser leur infamie, ils prétendaient que la patrie était fatiguée de la guerre. La guerre, une fois qu'elle est commencée, s'arrête-t-elle quand on veut? N'avez-vous pas fait tout ce qui dépendait de vous pour l'abréger? N'ai-je pas fait en votre nom des propositions conciliantes à nos adversaires? Faudrait-il que la République du Paraguay demandât à ses ennemis l'aumône d'une paix ignominieuse? N'êtes-vous pas tous là pour la sauver tout entière avec son honneur et sa gloire?
»Oui, vous êtes là, et moi avec vous. Nous sommes tous là pour sauver la patrie avec son honneur et sa gloire; ou nous mourrons tous, comme tant d'illustres victimes dont les âmes se sont envolées vers le ciel, dans cette sainte croisade.
»L'heure est venue pour nous des dures épreuves; mais les esprits faibles et lâches sont tombés; il n'existe plus que les âmes nobles et généreuses, et, plus que jamais, nous montrerons au monde combien nous adorons la patrie et la liberté; combien nous est chère chaque victime immolée sur leurs autels, et combien son souvenir nous est sacré.
»Compatriotes!
»Nous avons échappé au plus grand des malheurs, par une évidente protection de la Providence. Elevons nos mains vers le ciel; mettons en lui notre confiance, et croyons toujours à sa protection. Remplissons nos devoirs envers la patrie et, Dieu aidant, ainsi que nos armes, la postérité verra encore la République du Paraguay grande et glorieuse.
«Francisco S. Lopez,
»Quartier général de Pikisiry. 16 octobre 1868.»
Mieux que ne pourrait le faire une biographie minutieuse, ce document nous fait connaître à fond l'homme remarquable auquel le Paraguay a confié ses destinées. Le grand caractère du maréchal Lopez se révèle tout entier dans ces lignes, empreintes tout à la fois d'une douleur profonde, d'une énergie virile, d'une résignation noble, digne, éminemment chrétienne. Après les avoir lues, quelle confiance peut-on accorder aux violentes et grossières protestations de M. Washburn?
La proclamation n'a dit que la vérité, et cette vérité est navrante.
«Tandis que les mères et les épouses se courbaient sur la charrue»; tandis que les hommes «bravant gaiement l'ennemi, versaient leur sang sur les champs de bataille; tandis que le pays tout entier ne songeait qu'à sa défense et à son salut» une conspiration était tramée à l'Assomption, dont le chef, Benigno Lopez, était le plus jeune des frères du président de la République. Parmi les membres importants du complot se trouvaient: l'autre frère du président, Venancio Lopez, et aussi ses deux beaux-frères Bedoya et Barrios, un de ses ministres, Bergès, un certain nombre de hauts fonctionnaires, soit civils, soit militaires, et des Argentins et des Orientaux réfugiés au Paraguay.
Aussitôt après l'arrestation de ces conspirateurs, quelques-uns de leurs complices, redoutant le sort qu'ils avaient mérité, s'empressèrent de chercher un refuge auprès de M. Washburn qui les accueillit à sa légation, dans l'espoir de les couvrir de ses immunités diplomatiques.
Déclarons tout de suite que ceux-ci, réclamés aussitôt par la justice paraguayenne, se livrèrent d'eux-mêmes, comptant davantage sur la générosité du maréchal Lopez que sur l'interprétation, faite par M. Washburn, dans sa correspondance officielle, des textes de Grotius, de Vattel, de Martens, de Chambrier d'Oleires, d'Hauterive et autres écrivains diplomatiques.
Une instruction s'ouvrit alors et la vérité, la triste vérité fut connue.
Sous prétexte de mettre fin à une guerre qui désolait le pays et qui devait fatalement le conduire à sa ruine; mais, en réalité, poussés par un mobile fort peu patriotique, des hommes appartenant à la riche bourgeoisie et à la haute administration avaient conçu la pensée de traiter avec l'ennemi sur la base du traité secret d'alliance du 1er mai 1865.
L'ambition, une ambition effrénée, dévorait Benigno Lopez, qui voulait prendre la place de son frère, dût-il marcher dans son sang pour arriver plus vite à la présidence de la République.
Les complices de Benigno formaient deux catégories bien distinctes. Loin de posséder la moindre parcelle de cette flamme sacrée qui animait la masse de la nation, ces hommes, corrompus par le bien-être, doutaient du succès d'une guerre soutenue avec des forces si disproportionnées. La perspective d'une lutte longtemps prolongée, qui les condamnerait à de dures privations et à d'incessants sacrifices, effrayait ces mauvais citoyens, tandis que, de leur côté, les fonctionnaires d'un ordre élevé tremblaient à la pensée de perdre, par la chute, inévitable à leurs yeux, de Lopez, les places lucratives qu'ils occupaient.
La première catégorie ne comprenait donc que des Paraguayens décidés à trahir leur patrie pour le mieux de leurs intérêts personnels; la deuxième se composait d'étrangers--Orientaux et Argentins--que la nécessité, le patriotisme, la haine du Brésil, avaient conduits à passer du côté du Paraguay. Croyant, eux aussi, au triomphe définitif des alliés, ces réfugiés étaient bien aises de se ménager une amnistie, en favorisant les projets de celui qui plaiderait leur cause auprès des chefs de la triple alliance.
Il résulte de cet exposé que, comme notre révolution de 1830, l'évolution projetée devait s'accomplir au profit exclusif de la bourgeoisie, sans bénéfice aucun pour le peuple, qui continuait, lui, massé dans le camp, autour du chef qu'il avait élu, à verser son sang pour la défense du territoire national.
Le but poursuivi par l'accord des passions malsaines des conjurés est tellement celui que nous indiquons ici, que Benigno Lopez n'a pas craint de déclarer à M. Washburn lui-même, qu'une fois élevé sur le fauteuil présidentiel, il maintiendrait la nation sous le joug du despotisme actuel.
A la demande de M. Washburn, si, «une fois la guerre terminée, il donnerait une constitution au pays,» le déclarant répondit que cela ne semblait pas opportun, au sortir d'une situation si cruelle 68.
Et cet homme, M. Washburn, qui prétendait avoir reçu de son gouvernement l'ordre de «faire tout ce qui est possible pour la liberté des peuples de l'Amérique,» manquait ainsi doublement à son devoir, en aidant à un bouleversement qui ne devait diminuer en rien l'oppression sous laquelle gémissait, à son avis, la nation paraguayenne.
La déposition des conjurés est accablante pour M. Washburn, comme pour eux-mêmes.
Le mouvement circulaire du maréchal Caxias est ainsi expliqué par Benigno Lopez, dans son interrogatoire:
«Le déclarant (Benigno) n'hésita plus à lui communiquer (lui, c'est M. Washburn) la pensée d'un changement de gouvernement, auquel il travaillerait pour sa part, à la condition que le marquis de Caxias enverrait les bases d'un arrangement définitif...
»A Paso-Pacu, un moment avant que Washburn ne se rendit au camp ennemi, le déclarant alla le voir à son logement et là, interrogé sur la situation de l'armée, il répondit que celle-ci était dans une mauvaise situation, mais qu'elle se trouverait dans une situation plus mauvaise encore, si Caxias étendait ses lignes de Tuyuty jusqu'à la rivière Paraguay pour l'envelopper.
»En disant cela, le déclarant s'inclina pour dessiner le mouvement sur le sol; il signala la position des deux armées et montra qu'au moyen de l'opération qu'il indiquait, l'intérieur de la République se trouvait ouvert, qu'on pouvait passer le Tébicuari dans le département de Caapucú, s'avancer rapidement jusqu'au Paraguari qui n'est pas éloigné, et se mettre en rapport avec la Révolution. On serait maître alors des points les plus importants de la République, y compris la capitale, dont on occuperait le chemin de fer.
»Washburn, désirant bien comprendre ce plan, tira un crayon de la poche de son gilet et le passa au déclarant. En même temps, il dit à son secrétaire privé, Meineke, qui était dans la chambre, de se retirer un moment, ce que fit Meineke, mais après s'être aperçu du sujet de la conversation et de la figure que le déclarant traçait sur la terre avec le doigt. Meineke étant sorti, le déclarant termina sa description avec le crayon de Washburn; et, ensuite, celui-ci partit pour le camp ennemi, emportant la même description reproduite sur le papier.
»L'intention du déclarant, en dessinant cette opération, était que Washburn la communiquât à Caxias; et s'il ne lui demanda pas explicitement de le faire, c'est qu'il savait parfaitement qu'il le ferait. Sa prévision fut, en effet, justifiée, non-seulement par le fait postérieur de la réalisation du plan ainsi communiqué, mais encore par cet autre fait que Washburn, à son retour, apporta au déclarant la communication de Caxias, avec les bases demandées pour accomplir le changement de gouvernement, comme il a été déclaré ci-dessus.»
M. Washburn s'est rendu plusieurs fois au campement du maréchal Caxias, sous prétexte d'offrir sa médiation, au nom du gouvernement des Etats-Unis; mais, en réalité, pour servir d'intermédiaire entre les conspirateurs et les alliés. C'est lui qui portait les dépêches des Paraguayens, et aussi les lettres des Orientaux et des Argentins; c'est sous son couvert que les réponses parvenaient à leurs destinataires.
D'après les explications qui précèdent, on comprend le mobile,--mobile abject et vil, assurément--qui faisait agir les chefs du complot; mais, sous quelle influence M. Washburn compromettait-il son caractère et assumait-il sur sa tête une aussi lourde responsabilité, en trahissant ensemble son devoir et un gouvernement auquel il s'était montré jusqu'alors favorable?
Hélas! cette influence est la même que celle qui poussa l'amiral américain Coé à livrer à Buenos-Ayres l'escadrille que Urquiza, général des autres provinces de la Confédération, lui avait confiée: un sordide intérêt, auri sacra fames.
L'instruction est explicite à cet égard.
Benigno Lopez avoue avoir donné à M. Washburn «mille onces d'or monnayées et quinze mille piastres en billets du pays, lui disant que, s'il lui fallait davantage, il ne se fît aucun scrupule de l'en aviser, car il pouvait disposer de trois mille onces.»
Dans une autre occasion, il lui dit:
«Si on arrive au terme désiré de l'entreprise, vous pouvez compter sur un demi-million et une centaine de mille francs par dessus le marché.»
Tel est l'usage que le chef de la conspiration faisait des sommes recueillies pour subvenir aux frais de la guerre; il s'en servait pour rémunérer les honteux services de M. Washburn. Celui qui avait introduit l'ennemi au sein de la République, et livré ainsi le chef de l'Etat, son frère et ses compatriotes, au couteau des noirs brésiliens et aux chaînes des mulâtres de Rio-Grande, restait dans son rôle infâme, en pillant le trésor national!
Et ce n'est pas seulement la déclaration, si précise de Benigno Lopez qui flétrit le caractère de M. Washburn; un autre conspirateur, le juge Jose Vicente Urdapilleta, tient du même Benigno, qu'un deuxième présent de 500 onces et de 10,000 piastres en billets, a été fait au même M. Washburn pour «les services très-importants qu'il rendait à la conspiration.» Enfin, l'émigré oriental Francisco Rodriguez Larreta, ami intime de Washburn, affirme dans son interrogatoire que celui-ci lui a avoué avoir reçu 140 mille piastres en billets dans les derniers jours de février 1868.
«Le déclarant a vu lui-même, une fois, deux femmes, domestiques de Benigno, apporter l'argent à la maison. M. Washburn, qui en avait reçu l'ordre, a-t-il dit, de Benigno Lopez, offrit 40,000 piastres au déclarant et à Carreras, qui ne les touchèrent pas, ne pouvant en faire usage, et qui restèrent par conséquent entre les mains de Washburn 69.»
M. Washburn ne se contentait pas des sommes énormes qu'il soutirait au chef des conspirateurs; il se faisait encore grassement payer par la triple alliance dont il servait également les intérêts. Comme un courtier habile, il touchait une double commission. Aucun doute n'est possible à ce sujet, lorsqu'on sait que la lettre qui accompagnait le papier contenant les bases demandées par Benigno Lopez et envoyées par le marquis de Caxias, déclarait «que le porteur Washburn serait un collaborateur efficace et qu'il s'en allait (du camp brésilien) bem cheio,» rempli, bondé d'argent.
Nous avons montré M. Washburn reconnaissant, puis niant l'existence de la conspiration. En présence des aveux accablants des principaux conjurés, l'ex-ministre de Washington se voyant démasqué et, par conséquent, perdu, essaye d'un dernier moyen pour ramener l'opinion qui l'avait condamné. Dans la lettre qu'il a écrite le 12 septembre 1868, à bord du Wasp au maréchal Lopez, lettre qu'ont publiée les journaux platéens, M. Washburn déclare que les paroles de ses accusateurs «leur ont été arrachées par la torture». Il conseille ironiquement au maréchal de «tuer, non seulement les personnes qui ont fait ces déclarations, mais encore celles qui les leur ont arrachées par la force.»
En vérité, on se demande si c'est sérieusement qu'un personnage investi d'un caractère diplomatique, à pu compter sur l'effet d'une pareille rengaîne (qu'on nous pardonne ce mot trivial qui rend si bien notre pensée) pour faire reculer la juste réprobation qui l'a frappé!
Comment! un chef d'Etat qui est en train d'acquérir une renommée immortelle, tout en illustrant son pays; un général dont la défaite, s'il succombe sous le nombre, sera plus glorieuse que la victoire de ses ennemis, aurait interrompu ses héroïques travaux pour inventer une conspiration? Mais dans quel but l'aurait-il fait? Voilà ce que M. Washburn et, après lui, l'auteur du pamphlet intitulé: les Républiques de la Plata et la guerre du Paraguay, ont oublié de nous apprendre.
Et ce même homme, remarquable à tant de titres, transformé en romancier, amoureux de son oeuvre, aurait poussé sa démonstration, par amour de l'art, sans doute, jusqu'à faire emprisonner ses deux frères, ses deux beaux-frères, le vénérable évêque de l'Assomption, des personnages considérables de l'administration, un de ses ministres, des émigrés qu'il avait élevés à de hautes positions? Puis, le romancier, devenu tout à coup bourreau, aurait déchiqueté avec des tenailles rougies au feu la chair grésillante de ces infortunés qu'il savait innocents!
Oui, vous avez bien lu, les tortures--mot vague--de M. Washburn, ont pris une forme plus arrêtée sous la plume autrement haineuse de M. Le Long.
«La question aux tenailles entre dans la politique traditionnelle de la dynastie des Lopez 70,» déclare simplement, carrément, M. Le Long, comme si une chose aussi monstrueuse n'avait pas besoin d'être démontrée. L'écrivain bilieux et fantaisiste ignore-t-il donc que le bon sens public, comme la conscience humaine, se révoltent justement contre celui qui, ayant formulé une pareille accusation, ne l'appuie pas sur des preuves irréfragables?
L'absurde ne se discute pas: passons.
Quant à M. Washburn, nous lui demanderons s'il trouve quelque ressemblance entre le tigre à face humaine, ou le fou furieux qu'il nous présente et, «l'illustre magistrat» qui lui inspirait naguère une admiration que nous avons tout lieu de croire sincère; entre le maréchal Lopez de sa lettre du 12 septembre 1868, et «l'homme extraordinaire» de l'Albion, «le héros,» de M. Rouher.
Et les nombreux personnages, jusqu'alors considérés de tous, que le monstre en question aurait soumis--les sachant innocents--à une horrible torture, ils auraient inventé, eux, aussi, des faits hideux dont la publication les déshonore à tout jamais, en imprimant une tache sur le front de leurs descendants?
Allons donc! Votre calomnie, messieurs de la triple alliance, a, une fois encore, dépassé le but. Lorsqu'on a la conscience et les mains pures, on n'avoue pas qu'on a vendu son pays à l'étranger, qu'on a pillé le trésor national, et qu'on a voulu renverser le chef de l'Etat «par la faim ou par le poignard 71.»
La forte trempe du caractère paraguayen nous est désormais connue. Si donc ceux que la justice a saisis n'avaient point tramé des complots abominables, nous dirions volontiers, sacriléges, en raison des cruelles épreuves que traverse leur pays, ils se seraient laissés égorger, comme l'ont été leurs frères du Yatay; mais ils n'auraient pas signé leur condamnation et leur honte.
Et puis, enfin, vous avez oublié, ô publicistes peu candides, certes, mais trop étourdis encore pour votre âge, qu'en évoquant ces sinistres appareils de supplice, empruntés à l'arsenal de l'Inquisition, vous enveloppiez dans vos impostures les hommes honorables qui représentent, auprès du gouvernement du Paraguay, la France, l'Italie et les Etats-Unis. Vous ne pouvez pas ignorer que tous les représentants des puissances étrangères, à l'exception de M. Washburn, ont suivi le maréchal Lopez à sa nouvelle capitale. Ils se trouvent encore à Luque, à cette heure, ou à Cerro-Leon, et, avec eux, le général Mac-Mahon, le nouveau ministre américain.--Pousserez-vous l'audace, ou l'aberration, jusqu'à prétendre que ces diplomates auraient autorisé, par leur présence, les hécatombes humaines--la question aux tenailles--surtout, que le dictateur paraguayen a, suivant vous, ordonnées; ou, du moins, s'ils n'avaient pu les empêcher, qu'ils n'auraient pas hautement protesté, au nom de la civilisation, contre des atrocités d'un autre âge?
Eh bien! Répondez. Montrez-nous les protestations des chefs de légation. Nous croirons alors aux exécutions sommaires, aux fusillades par séries, aux prisonniers torturés; mais, dans tous les cas, nous n'admettrons jamais la parfaite innocence des malheureux que MM. Washburn et Le Long essayent de couvrir de leur impuissante protection.
Seul, le mouvement circulaire des confédérés, mouvement qui a produit les résultats désastreux que l'on connaît, affirme l'existence d'une conspiration. Depuis deux ans, les lecteurs le savent, les alliés restaient immobiles dans leurs lignes, tenus en respect par les canons d'Humaïta. S'ils ont fini par tourner la position, en traversant des marais réputés impraticables, c'est que le secret du passage leur a été révélé.
Le plan dressé par Benigno Lopez, avec le crayon de M. Washburn, et transmis par celui-ci au général brésilien, est, en effet, une des pièces les plus importantes du procès. En expliquant, en justifiant la manoeuvre, imprudente, en apparence, du maréchal Caxias, cette pièce suffit pour ne laisser aucun doute sur l'existence du complot tramé à l'Assomption.
On ne saurait trop le répéter: les alliés étaient réduits à l'impuissance, depuis l'attaque de Curupaïty et, dès lors, suivant l'énergique expression de M. Lamas, la paix devenait pour eux une «nécessité suprême». Le passage à travers les marais a changé du tout au tout la situation. L'abandon d'Humaïta, les massacres du Chaco, la retraite de Tébicuari, les sanglants assauts de Villeta et d'Angostura, la ville de Pilar brûlée, les pertes considérables faites par l'armée nationale, la détresse de la population, la ruine du pays, en un mot, telles sont les conséquences du secret livré par les conspirateurs aux chefs de la triple alliance.
Et, en présence de ces immenses calamités, on s'apitoyerait sur le sort des misérables qui les ont produites! On reprocherait à celui qui a juré de sauver la République ou de périr avec elle, d'avoir sacrifié au génie de la patrie, les ingrats et les infâmes qui ont noyé dans des flots de sang l'indépendance nationale!
Il faut que la société se défende, a dit un jour M. Guizot, à propos de l'ingérance hostile de Rosas dans les affaires intérieures, et de l'État Oriental, et de la province brésilienne, alors insurgée, de Rio-Grande. Si jamais ce principe d'ordre public a dû être appliqué rigoureusement et d'urgence, c'est bien dans la position où a placé le Paraguay l'accord des traîtres et des confédérés.
On n'a que des détails incomplets sur la répression de la conspiration bourgeoise de l'Assomption; mais, s'il est vrai que le maréchal Lopez ait élevé ses sentiments patriotiques à cette hauteur, où le salut du pays commande de ne plus distinguer entre les coupables; la condamnation des citoyens parricides, parmi lesquels se trouvent des membres de sa propre famille, confirmera aux yeux de la postérité les éloges enthousiastes donnés par M. Washburn à «l'illustre magistrat.»
L'auteur du pamphlet intitulé: les Républiques de la Plata et la guerre du Paraguay, a imaginé une singulière tactique pour venir en aide à l'ex-ministre américain. Désireux d'établir que cet homme politique n'était point dans le cas de commettre la noire trahison qui lui est reprochée, M. John Le Long n'a pas craint de le présenter à ses lecteurs comme «un caractère faible et pusillanime 72.» Quelques pages plus loin, il a la charitable pensée de mettre en relief «l'inqualifiable faiblesse de M. Washburn 73.»
Ce procédé rappelle beaucoup le pavé que lance si lourdement l'ours de la fable.
Pourquoi, puisqu'il se trouvait en belle veine d'éloquence, l'avocat de Buenos-Ayres et de l'empire esclavagiste n'a-t-il pas appelé idiot l'ex-ministre des États-Unis? Cela aurait été peu parlementaire, sans doute; mais l'appréciation: caractère faible et pusillanime, est-elle bien respectueuse? Dans ce cas, du moins, M. Le Long aurait pu soutenir que si M. Washburn avait reçu de l'argent de toutes mains, des conspirateurs comme des alliés, c'était sans intention mauvaise de sa part, puisqu'il était incapable de distinguer une once espagnole d'une cruzade brésilienne.
En somme, nous ne pensons pas que ce diplomate se déclare satisfait du moyen employé pour prouver son innocence.
Pour en finir avec le client suspect de M. Le Long, nous reproduirons ici le jugement formulé sur son compte, par une feuille de Buenos-Ayres dont l'impartialité ne saurait être contestée.
A propos du rappel du général Mac-Mahon qui avait été envoyé auprès du président Lopez «pour faire le contraire de ce qu'a fait M. Washburn» Le Courrier de la Plata ajoute:
«Or, tout le monde sait quel rôle a joué cet homme, qui a laissé parmi nous la réputation d'un agent diplomatique, se servant de son pavillon pour couvrir des affaires personnelles de la plus mauvaise senteur.
»Vraie ou fausse, l'accusation est restée debout et les lettres de M. Benitès, le ministre paraguayen, ont trouvé plus de crédit dans le public, que celles de M. Washburn, l'envoyé des Etats-Unis 74.
III
Le maréchal Caxias
L'effet produit, à Buenos-Ayres et à Montevideo, par la publication des documents paraguayens a été si défavorable aux alliés, que le maréchal Caxias a éprouvé le besoin, lui, aussi, de repousser la part de responsabilité que l'interrogatoire des conspirateurs faisait peser sur sa tête. Mais sa défense n'a pas été plus heureuse que celle de M. Washburn. Les lecteurs vont en juger.
Dans une dépêche adressée à son gouvernement le généralissime brésilien nie qu'une correspondance ait existé entre lui et Benigno Lopez, Bergès et Carreras. Si ces déclarations ont été faites, «elles ont dû être arrachées par la torture et par les sévices les plus barbares.»
Nous connaissons le thème. Poursuivons:
«Ayant étudié les choses et les hommes du Paraguay, dès mon arrivée sur le théâtre de la guerre, j'ai acquis la pleine conviction que nous ne pourrions jamais obtenir des avantages dans la lutte engagée, que par la voie des armes.»
Cette appréciation du caractère paraguayen, en général, confirme celle que nous en avons faite ci-dessus, en même temps qu'elle est un hommage que le vieux maréchal, plus que tout autre, était en mesure de rendre. Nous dirons bientôt pourquoi.
«Dans tout autre pays et dans d'autres conditions, je n'aurais pas hésité à me servir contre l'ennemi, comme arme de guerre, d'une réaction venant du peuple. Cela s'est pratiqué dans tous les temps, et les nécessités de la guerre l'ont justifié.»
Que dire de ce mot réaction, pour exprimer la manoeuvre par laquelle un ennemi corrupteur excite les mauvaises passions d'un pays et pousse à s'entre-égorger dans l'ombre les citoyens de ce même pays?
Et c'est cette provocation aux complots ténébreux que vous prétendez, monsieur le maréchal, être justifiée par les nécessités de la guerre! Cela a pu se pratiquer dans tous les temps et même dans le nôtre, nous n'y contredirons point; mais la morale publique s'est modifiée, depuis que la religion du Christ a remplacé le polythéisme brutal; elle a fait de nouveaux progrès, sous l'influence de la philosophie, ainsi que l'atteste la double proclamation des Droits de l'homme et de la Solidarité des peuples. Aujourd'hui, la morale publique plane souverainement dans les pures régions de la justice et de l'honneur; aussi, repousse-t-elle avec une indignation mêlée de mépris, une doctrine comme la vôtre, monsieur le maréchal, qui approuve tous les moyens, les plus vils comme les plus odieux, en vue du but à atteindre.
Dans notre siècle, lorsque deux peuples civilisés se font la guerre, ils tirent à l'envi des coups de canon et se tuent le plus d'hommes qu'ils peuvent. Cela se pratique en plein jour, sur les champs de bataille. Les surprises ont lieu la nuit, quelquefois, nous en convenons; mais l'ennemi est averti; c'est à lui de se tenir sur ses gardes. Dans tous les cas, on se bat loyalement des deux côtés, et l'on n'emploie que des armes qui ne laissent de tache ni aux mains, ni à l'honneur de ceux qui s'en sont servis.
«La guerre a ses règles dictées par la raison, l'humanité et la civilisation; ces règles sont sacrées, parce qu'elles tendent à diminuer l'effusion du sang, à restreindre l'oeuvre de destruction.»
Vous connaissez, sans doute, monsieur le maréchal, les belles paroles de M. Andrès Lamas, que nous avons reproduites plus haut. Eh bien! nous prenons la liberté de vous demander si les réactions--pour employer votre langage--qui mettent la torche et le couteau dans les mains d'une partie d'un peuple, pendant que l'autre partie fait face à l'ennemi, doivent être comprises parmi les règles que dictent la raison, l'humanité et la civilisation? Loin d'être restreinte, l'oeuvre de destruction qu'accomplissent les belligérants, se complique de guerre civile et, dès lors, au lieu d'être diminuée, l'effusion du sang prend des proportions effrayantes. Sans compter que dans l'espèce, la tactique que vous appelez réaction, n'est rien moins qu'un exécrable guet-apens; or, l'honneur qui défend d'attaquer traîtreusement l'homme que l'on hait, ne permet pas davantage de dresser, sous prétexte de guerre, un guet-apens nocturne à une généreuse nation qui combat «avec énergie et loyauté» 75 en présentant sa poitrine au feu de ses ennemis.
Le Paraguay a tiré l'épée pour défendre son indépendance qui répond des libertés platéennes. Chargez-le par devant, avec l'épée qui est l'arme glorieuse du soldat, et non point par derrière, avec le poignard qui est l'arme vile de l'assassin.
Évidemment, le maréchal Caxias n'a pas suivi les cours de M. Frank. Le pacificateur de Rio-Grande n'est pas de son siècle; mais il subit l'influence des moeurs de son pays, et dans ce pays, nous le savons, on sacrifie sans trop de peine au but ses derniers scrupules... quand on en a.
Le-Vieux-de-la-montagne, les Borgia, et Rosas invoquaient également cet ultima ratio que le maréchal appelle euphoniquement: les nécessités de la guerre, lorsqu'ils se débarrassaient perfidement de leurs ennemis; mais ni le couteau de l'un; ni le poignard et le poison des autres n'ont trouvé grâce devant l'histoire. La civilisation ne justifie pas davantage la violation des capitulations, l'égorgement des prisonniers, ou leur réduction en esclavage.
Si ce beau système, basé sur les nécessités de la guerre, était admis, il faudrait vanter l'extrême générosité des brésiliens, pour ne pas avoir empoisonné les sources et les fontaines du Paraguay. Et, en effet, par ce moyen expéditif, d'extermination leur illustre chef aurait plutôt couronné son front glorieux du laurier de la victoire.
Il résulte donc des paroles mêmes du marquis de Caxias, que la doctrine de la réaction provoquée à prix d'argent, ou, pour mieux dire, de la trahison soudoyée dans le camp ennemi et employée, comme arme de guerre, ne répugne en rien à la délicatesse de ce maréchal brésilien. Les raffinés d'honneur crieront au cynisme, et ils n'auront pas tort; mais, du moins, ils ne pourront s'empêcher de reconnaître que le généralissime des noirs et des mulâtres a le courage de ses opinions.
De son propre aveu, le marquis de Caxias était capable de solliciter, d'encourager, d'aider les chefs de la conspiration; en un mot, de s'entendre avec eux, en vue du but commun à atteindre. S'il n'a pas agi dans ce sens, ce n'est pas qu'il n'ait point songé à le faire; c'est, uniquement, parce qu'il était convaincu qu'il ne trouverait personne à corrompre dans les rangs paraguayens.
La défaite est habile; néanmoins, elle ne blanchira ni le maréchal Caxias, ni ses complices eux-mêmes, dont les procédés sont connus. Le Nestor de l'armée confédérée appartient essentiellement à cette vieille école philosophique qui, de Perse, fut introduite en Grèce, par Philippe de Macédoine, et dont la formule est celle-ci:
»Il n'y a pas de forteresse imprenable, quand un mulet chargé d'or peut y entrer.»
Dans notre étude intitulée: L'ouverture de l'Amazone, nous avons eu l'occasion de rappeler la formidable insurrection de Rio-Grande. Pendant douze ans, cette province qui s'intitulait déjà: République de Rio-Grande, soutint le choc de toutes les forces de l'Empire, sans que ces forces pussent vaincre sa résistance. En désespoir de cause, le gouvernement central confia la conduite de cette guerre au général Caxias. Il n'y eut plus de combats et, cependant, la rébellion fut abattue. Les insurgés, privés tout-à-coup de leurs principaux chefs, furent obligés de se soumettre.
Le succès avait donc été complet. Voici comment nous l'expliquions dans la note de la page 34, du travail sus-indiqué:
»Le général Caxias, aujourd'hui, maréchal, qui opère contre le Paraguay, pourrait nous dire le prix auquel a été obtenue la pacification de cette province. Là, aussi, le principal rôle a été rempli par le mulet historique dont il vient d'être parlé, à propos du commandant de Curupaïty. La force n'avait pu vaincre la résistance des Rio-Grandenses; mais, grâce aux arguments dont il était chargé, l'animal gagna la cause du pouvoir central auprès des chefs de la révolte!»
Mon Dieu! oui. On avait distribué généreusement des titres de baron, des décorations et de l'argent, de l'argent surtout, et la réaction s'était naturellement opérée; et la République de Rio-Grande avait cessé d'exister.
S'il n'est pas un grand foudre de guerre, le marquis de Caxias est, du moins, un habile négociateur. Son futur biographe devra enregistrer un deuxième succès de ce genre, qu'il obtint, au retour de Caseros, où le concours d'Urquiza venait de lui donner la victoire. Sommé par le nouveau président de la République Argentine, de retirer de Montevideo les troupes qui l'occupaient, le général Caxias évacua la place; mais il y laissa Florès, élevé par ses manoeuvres au pouvoir présidentiel; Florès, dont le dévouement, soldé par le trésor brésilien, était acquis à la politique de l'Empire.
Nous ignorons si le marquis de Caxias avait un profond mépris pour ceux qui lui livraient ainsi à prix d'argent leurs aspirations et leur patriotisme; ce qui nous paraît indiscutable, toutefois, c'est que la réussite de ses deux premières opérations devait l'avoir entièrement convaincu de l'excellence de son système. En conséquence, nous trouvons tout naturel de sa part que, en prenant le commandement des troupes, après le désastre de Curupaïty, il ait essayé d'introduire le fameux mulet macédonien dans la forteresse dont, ni Mitre, ni Tamandaré, ni Polidoro n'avaient pu s'emparer. Nous devinons le désappointement du vieux sceptique, lorsqu'il apprit que les portes de Curupaïty étaient restées fermées devant l'avocat ordinaire du roi Philippe, et qu'on le lui ramenait avec cette hautaine réponse du commandant paraguayen:
«Me prend-on pour un Florès, qu'on ose me proposer de vendre mon pays!»
Néanmoins, cet échec ne découragea point, ne pouvait pas décourager un homme dont la confiance restait absolue, dans la supériorité de son système. Du reste, les nécessités de la guerre l'obligeaient à provoquer une réaction; pour obtenir cette réaction, il ne trouva pas de meilleur moyen que de corrompre le colonel Alen, qui commandait dans Humaïta.
Une entrevue eut lieu entre le maréchal et le colonel. Le premier offrit au second 2 millions 500,000 francs, et le grade de général dans l'armée paraguayenne, pour le décider à livrer la place confiée à son honneur.
Le colonel lui répondit railleusement:
«Je regrette, maréchal, de ne pouvoir, à votre exemple, vous offrir des grades et des millions; mais, si vous consentez à me livrer votre armée, je m'engage, au nom du président de la République, à vous donner la couronne impériale du Brésil.»
Que ce double insuccès ait inspiré au maréchal Caxias une haute idée du caractère paraguayen, c'est ce qui ressort du paragraphe, précédemment reproduit, de la lettre qu'il a écrite à son gouvernement; mais croire que le maréchal ait renoncé pour cela à trouver des traîtres dans la nation paraguayenne; surtout, lorsque la complicité de M. Washburn a été acquise, c'est ne tenir aucun compte de cette phrase caractéristique, à propos d'une réaction venant du peuple:
«Cela s'est pratiqué dans tous les temps, et les nécessités de la guerre l'ont justifié.»
C'est oublier, aussi, la situation tout à la fois ridicule et désespérée dans laquelle se trouvait l'armée confédérée, après l'assaut infructueux de Curupaïty. Seule, la trahison pouvait sauver cette armée et rétablir les affaires de la triple alliance. M. Washburn s'en est allé bem cheio et le Paraguay a été livré à ses ennemis.
Toutes les dénégations, intéressées, on le comprend, de MM. Washburn et Caxias, ne ramèneront pas l'opinion qui les a condamnés.
Cependant, le maréchal possédait un moyen certain pour établir sérieusement son innocence et, du même coup, celle de M. Washburn et aussi celle de Benigno Lopez et des autres chefs de la conspiration; c'était de prouver que le mouvement circulaire qui lui a ouvert l'intérieur du Paraguay, est bien une conception de son génie. Cette démonstration n'a pas été faite... et pour cause.
Nous avons donc le droit de dire que, sur ce point encore, le procès est jugé, et jugé sans appel.
CHAPITRE IV
Le Pillage de l'Assomption
I
Le Pillage de l'Assomption
Au moment où nous terminons ce travail, une nouvelle désastreuse nous parvient. L'Assomption, capitale du Paraguay, a été occupée et saccagée par les Brésiliens.
L'Assomption, les lecteurs ne l'ont pas oublié, a été abandonnée depuis tantôt huit mois par ses habitants. Lorsque nous aurons ajouté que les soldats chargés de la défendre avaient rejoint, par ordre, l'armée nationale, on comprendra que cette place n'a pu opposer aucune résistance. L'ennemi est donc entré dans une ville déserte, sans avoir brûlé une cartouche. Et, cependant, la capitale du Paraguay a été traitée comme les Huns et les Vandales traitaient les villes qu'ils avaient prises d'assaut.
Le pillage a duré trois jours.
Le général argentin, Emilio Mitre, a refusé, dit-on, de laisser entrer les troupes qu'il commande, afin de repousser d'avance toute solidarité avec les noirs et les mulâtres de l'empire esclavagiste.
Ce nouvel acte de barbarie ne saurait surprendre ceux qui connaissent le mode de recrutement adopté par le Brésil. Des malfaiteurs qu'on a tirés du bagne pour les enrôler, ne peuvent pas, en effet, se comporter comme d'honnêtes gens. Après avoir brûlé la ville de Pilar, sans que leurs officiers les en aient empêchés, ces profonds logiciens ont pensé que la capitale leur était livrée au même titre--le droit des plus forts--et ils l'ont saccagée.
En se retirant, les habitants de l'Assomption avaient laissé dans leurs demeures la plus grande partie de leur mobilier; les négociants y avaient laissé leurs marchandises: tous plaçant, ainsi, leur fortune privée sous la sauvegarde du droit des gens. Les résidants étrangers avaient eu, de plus, cette précaution d'inscrire leur nom et leur nationalité sur la porte des maisons qui leur appartenaient. Rien n'a fait obstacle à la cupidité féroce de la soldatesque. Toutes les maisons ont été forcées et dévastées. Les objets qui ne pouvaient pas être emportés, ont été brisés et détruits. Le butin a dû être considérable; le dégât, immense.
Les légations et les consulats eux-mêmes n'ont pas été respectés. Au moment de l'évacuation de la ville, la légation américaine, les consulats français et italiens avaient reçu en dépôt tout ce que leurs nationaux possédaient et, encore, ce que possédaient d'autres résidants étrangers: Anglais, Allemands, Espagnols, Boliviens, etc., etc. Ces résidants avaient pris ce parti, dans la conviction que leurs biens seraient protégés par les immunités dont jouissent, chez tous les peuples civilisés, les locaux diplomatiques. Chacun de ces locaux avait été scellé du cachet paraguayen et du cachet de l'agent qui l'abandonnait momentanément, pour suivre le chef du gouvernement auprès duquel il était accrédité.
Les soldats brésiliens ont passé outre. Les sceaux ont été brisés, les portes enfoncées, et la légation des États-Unis, tout comme les consulats de France et d'Italie ont été violés, saccagés, sans plus de façon que les maisons particulières. L'argent et les objets précieux soustraits dans cette légation et dans les deux consulats représentent, seuls, une valeur de deux cent mille piastres, au moins. Les galériens-soldats ont fait une bonne journée; mais nous doutons que leur joie soit longtemps partagée par ceux qui ont laissé accomplir cette besogne honteuse.
La Tribuna de Buenos-Ayres nous apprend, en effet, que M. Noël, ministre plénipotentiaire de France près la République Argentine, s'est hâté, à la première nouvelle de cette violation des immunités diplomatiques, de partir pour l'Assomption, afin d'y procéder à une enquête qui sera suivie, nous n'en doutons pas, d'une éclatante réparation.
On est fondé à croire que le général Mac-Mahon, ministre des États-Unis, imitera cet exemple; et, aussi, que le ministre italien prendra, à son tour, sous son énergique protection, les intérêts de ceux de ses compatriotes qui ont été ruinés par les Brésiliens.
N'est-ce point le cas de rappeler les dispositions contenues dans l'article 7 du traité du 1er mai 1865, et d'après lesquelles la guerre actuelle n'est pas dirigée «contre le peuple du Paraguay, mais contre son gouvernement?»
Appartenaient-ils au maréchal Lopez tous ces magasins, toutes ces maisons, y compris la légation américaine et les consulats de France et d'Italie, qui ont été saccagés?
Ces excès, il faut bien qu'on le sache, ont été commis sous les yeux des généraux et des officiers brésiliens, par leur ordre peut-être, ou, tout au moins, avec leur consentement, puisque aucune mesure n'a été prise pour en empêcher l'accomplissement.
Le pillage a duré TROIS JOURS; TROIS JOURS! qu'on ne l'oublie pas!
C'est donc dans le sens d'une licence effrénée, que les chefs de l'armée impériale ont interprété l'article 4 du susdit traité? Cet article dit textuellement:
«La discipline (quelle ironie!) militaire intérieure et l'administration des troupes alliées ne dépendront que de leurs chefs respectifs.»
Quelle est donc cette discipline, mon Dieu! qui tolère de pareils attentats contre le droit des gens, la civilisation et l'humanité?
L'histoire à la main, nous comparerons la conduite des Kosaks et les Kaiserliks, en 1815, à celle des Brésiliens, en 1869. Paris, qui s'était défendu, fut respecté par ceux qu'on appelait alors les barbares du Nord. Pilor qui n'a opposé aucune résistance, a été brûlé; l'Assomption dont les portes--celles de la ville, bien entendu--étaient ouvertes, a été mise à sac par de prétendus civilisés!
Ah! c'est que les chefs de ces barbares faisaient une guerre de principe et qu'ils avaient grand souci de leur renommée, tandis que les chefs de la triple alliance ne se sont unis que pour réaliser, à travers la ruine des populations et des flots de sang de honteux projets de conquête: quant à leur honneur, les feuilles le plus dévouées à leur politique vont nous apprendre ce qu'il est devenu.
On aura beau chercher dans la convention conclue, en 1814, par les puissances coalisées contre la France, on n'y trouvera point le cynique article 3 du protocole brésilien, qui n'est rien autre chose qu'une violente excitation au pillage et au meurtre.
Le sac de l'Assomption devait soulever une égale et générale réprobation en Europe et en Amérique. Toutefois, l'ignominie de cet acte était si profonde, que les alliés eux-mêmes du Brésil en ont pâli de colère et de honte.
Le général Emilio Mitre qui a remplacé le général Gelly y Obes dans le commandement des Argentins, ne s'est pas contenté d'éloigner de ses soldats toute responsabilité; il a protesté, en leur nom et au sien, contre ce débordement de passions abjectes et brutales. L'indignation du contingent argentin a retenti sur les deux rives de la Plata, et y a trouvé un vigoureux écho. Tous les organes de la publicité, à Buenos-Ayres, comme à Montevideo, sans exception de couleur, flétrissent la conduite les Brésiliens et demandent à l'envi la rupture de l'alliance. Le ton général de ces feuilles sera suffisamment indiqué par les lignes suivantes extraites de la Tribuna, journal semi-officiel de la présidence et, par conséquent, très-hostile au Paraguay.
«De tous côtés nous arrivent des nouvelles concernant le Paraguay, qui compromettent gravement les chefs de l'armée brésilienne, en particulier, et tous les alliés, en général.
»La ville de l'Assomption a été mise à sac.
«Les meubles des maisons, les marchandises des magasins; en un mot, tout ce qui constitue la fortune privée des habitants de l'Assomption, a été pillé sous les yeux du marquis de Caxias qui a laissé faire.
Le «Standard» dit que le piano du cercle La Liberté de l'Assomption se trouve à bord du navire cuirassé Le Bahia.
«Nous sommes heureux de dire que l'armée argentine est restée étrangère à cet acte de vandalisme. Il paraît que le général Mitre n'a pas voulu entrer à l'Assomption, pour ne pas en accepter la responsabilité.
«Mais peut-on dire que la responsabilité de la République argentine soit ainsi sauvée, voire même au moyen de la protestation qu'on attribue à son général? En aucune manière. La République Argentine est une des puissances alliées, et l'ordre, la pacification du pays, le respect dû à la vie des citoyens paisibles et à la fortune privée, sont des conditions fondamentales de la triple alliance.
«Le sac de l'Assomption déshonore les alliés devant l'étranger. Cet acte est de nature à les rendre odieux aux Paraguayens et, aussi, à ruiner un pays que leur politique avait mission de relever et de civiliser.....
«La loi des alliés se trouve dans le droit des gens, observé par tous les peuples civilisés. C'est elle que nous invoquons pour condamner le sac de l'Assomption et demander que le gouvernement national élève la voix, pour le condamner à son tour.
«En tout cas, il convient que nous protestions, formellement et énergiquement, contre le procédé criminel des forces brésiliennes, procédé qui ne peut s'expliquer que par l'indiscipline des soldats brésiliens.
«L'honneur des puissances alliées est compromis, et nous espérons que le gouvernement argentin prendra à cette occasion les mesures que lui commande sa dignité.»
Nous aurions lieu de nous étonner qu'un journal qui justifiait, dans son numéro du 7 septembre 1865, la réduction en esclavage des prisonniers faits à la bataille du Yatay, se souvienne aujourd'hui, enfin, qu'il existe un droit des gens; nous serions également fondé à demander si le rédacteur de la Tribuna, qui proteste avec tant de véhémence contre le sac de l'Assomption, n'est pas le même publiciste qui, pendant la lutte électorale, prenait l'engagement, au nom du candidat Sarmiento, de rompre l'alliance et de faire la paix. Si cet engagement avait été tenu, le susdit publiciste ne serait pas réduit, à cette heure, à déplorer la ruine d'un pays que la politique des alliés «avait mission de relever et de civiliser,» (civiliser nous paraît fort), et aussi à craindre que «le procédé criminel des forces brésiliennes» ait pour effet, «de rendre les alliés odieux aux yeux des Paraguayens.»
Nous répondrons au rédacteur naïf de la feuille présidentielle, que la nation paraguayenne n'a pas attendu le pillage de sa capitale, pour vouer aux sombres vainqueurs du Yatay et d'Uruguayana, des sentiments qui ne pèchent point par un excès d'amour et de reconnaissance.
Quant à l'honneur et à la dignité de ses patrons, ils sont, nous en convenons avec lui, sérieusement compromis. Toutefois, l'atteinte qui leur a été portée, ne date pas du sac de l'Assomption, mais bien du jour où a été signé le traité d'alliance avec l'ennemi séculaire de la race espagnole.
A tout péché miséricorde! cependant à condition que le repentir sera sincère.
Par leur pacte avec l'empire esclavagiste, les deux Républiques de la Plata ont causé au Paraguay et à elles-mêmes un tort immense. Dieu veuille que la rupture de ce pacte abominable n'arrive pas trop tard, pour qu'elles puissent dégager entièrement leur liberté et leur indépendance, prises, également, avec leur honneur, dans l'engrenage brésilien!
Qu'est devenu le maréchal Lopez?
Après sa retraite de Cumbarity, le maréchal s'est dirigé vers Cerro-Leon, au pied des Cordillières, où il concentre les forces disséminées dans l'intérieur. Le Brasilian-Times nous apprend qu'auprès de lui se trouvent les représentants diplomatiques et consulaires des Etats-Unis, de la France et de l'Italie. Ces représentants ne considèrent donc pas la guerre comme terminée, par l'occupation de la capitale du Paraguay? De plus, leur présence auprès du chef légal de l'Etat suffit pour ruiner d'avance le projet conçu par les confédérés, d'instituer à l'Assomption un gouvernement provisoire, dont le premier acte serait de prononcer la déchéance du maréchal Lopez, peut-être même de mettre hors la loi le héros paraguayen.
Pressées de se ruer sur le butin que leur réservait l'Assomption, les troupes esclavagistes ne se sont pas souciées de poursuivre les débris de l'armée nationale. Ces débris représentent encore, d'après le Brasilian-Times, un effectif de 5,000 hommes des trois armes, et d'après nos renseignements particuliers, ils s'élèvent au chiffre de 10,000 soldats.
Quant à la nation, elle s'est dérobée tout entière, à l'approche des barbares. A l'exemple des vaillants compagnons du cacique Sepe Tyarazu, qui préférèrent abandonner le territoire des ancêtres, plutôt que de subir le joug détesté des Portugais, leurs descendants se sont momentanément éloignés des rives aimées du Rio-Paraguay, aujourd'hui occupées par les éternels ennemis de leur race. Ils ont suivi dans l'intérieur du pays le chef glorieux qu'ils ont placé à leur tête et qui, plus que jamais, possède leur confiance.
C'est assez dire que les Hispano-Guaranis n'ont pas renoncé à la lutte qu'ils soutiennent, depuis plus 4 ans, déjà, avec tant d'héroïsme.
«Le soldat paraguayen» dit le maréchal Lopez dans sa réponse du 24 décembre 1868, à la sommation de se rendre, «le soldat paraguayen se bat avec la résolution et l'abnégation d'un citoyen dévoué, d'un chrétien disposé à mourir, avant de souffrir que sa patrie soit humiliée.»
Et le Président ajoute pour son propre compte:
«Vos Excellences sont mal venues de m'accuser devant mon pays que j'ai défendu, que je défends encore, que je défendrai toujours. C'est lui qui m'a imposé ce devoir, et je le remplirai religieusement jusqu'à la fin. Quant au reste, l'histoire en jugera et je n'en dois compte qu'à Dieu. Si le sang doit encore être répandu, Dieu en imputera la responsabilité à qui elle est due 76.»
Voilà de fières, de dignes paroles, qui font autant d'honneur aux pays qui les inspire, qu'au général qui les prononce.
Commandés par «l'homme extraordinaire» de l'Albion... et de l'histoire, les Hispano-Guaranis périront tous avec lui, ou, avec lui, il reconquerront le sol où ils sont nés, qu'ils ont illustré ensemble, et qui, dès lors, leur appartient doublement.
Una salus victis nullam sperare salutem.
Ce vers de Virgile est devenu la devise des Paraguayens.
La guerre de position est finie; la guerre de partisans va commencer, ainsi que le déclare très-explicitement M. Andrès Lamas dans les lignes suivantes, extraites de sa correspondance officielle, avec M. Coelho da Sa é Albuquerque:
«Alors, vraisemblablement, commencera la guerre contre les obstacles de la nature, contre les déserts et les dévastations du sol, contre le fanatisme et contre le patriotisme de la population. Alors, commencera la guerre sans repos ni trêve, qui décoche la mort d'une invisible main, du fond de l'impénétrable fourré, du haut de l'inaccessible rocher, du milieu de l'inguéable marais.
«Alors, nous aurons tout à porter avec nous, et la nourriture de nos soldats, et celle de nos bêtes de somme. Nos chevaux, nos troupeaux devront être innombrables; leurs haltes devront être fréquentes, puisque le travail de l'acclimatation et la constitution du sol affaibliront et débiliteront les animaux en peu de temps 77.»
Le ministre oriental a très-sainement, très-judicieusement apprécié la situation que créerait, sur la rive droite du Paranà, la cessation de la guerre régulière.
A cette heure, grâce à leurs bâtiments cuirassés, les alliés sont maîtres du littoral; mais, malheur à eux s'ils osent sortir de l'Assomption et pénétrer dans un pays où, suivant l'énergique expression d'une feuille brésilienne, le Jornal do Commercio, l'air qu'ils respirent «leur est hostile 78.»
Note 78: (retour) Les dernières nouvelles de la Plata nous apprennent que les alliés se sont décidés à tenter une expédition dans l'intérieur, avec l'intention d'écraser définitivement une résistance qui stérilise tous les avantages obtenus jusqu'à ce jour.C'est le comte d'Eu, le fils du duc de Nemours devenu le gendre de l'empereur Dom Pedro II, qui commande les forces esclavagistes.
«Nous ne le félicitons pas d'avoir sollicité le commandement» dit la Gazette de France du 25 mai dernier.
La feuille parisienne ajoute:
»Le départ de l'armée alliée a été précédé par un fait monstrueux, que nous devons signaler. Des quinze cents prisonniers paraguayens faits à Angostura, quatre ou cinq cents n'avaient pu réussir encore à s'échapper et à aller rejoindre le maréchal Lopez. Les généraux alliés leur ont signifié que la prudence ne leur permettait pas de les laisser en arrière. Craignant qu'en l'absence de l'armée, ils ne s'emparassent de l'Assomption et n'y relevassent le drapeau paraguayen, ils les ont, en conséquence, enrôlés de force dans une légion dite paraguayenne, les obligeant à aller se battre contre leurs compatriotes, et leur donnant à entendre que, s'ils ne s'y résignaient pas, on serait obligé, par mesure de précaution, de les passer par les armes.»
L'accusation, si formelle, de la Gazette de France n'ayant pas plus été démentie que la double déclaration du colonel Palleja et du secrétaire de Florès, Julio Herrera, l'histoire fera justement retomber la responsabilité, toute la responsabilité, de l'acte odieux qui vient d'être commis à l'Assomption, sur la tête de celui qui l'a ordonné, ou qui, pouvant l'empêcher, l'a laissé s'accomplir. Celui-là, c'est le commandant en chef de l'armée impériale.
Ce nouvel abus de la force victorieuse n'établit-il pas péremptoirement la funeste influence des institutions malsaines! Par le fait seul de son mariage avec une princesse de Bragance et de son séjour prolongé au Brésil, un prince français, un d'Orléans, a pu renier deux fois, à Uruguayana et à l'Assomption, les généreux principes de la civilisation moderne et les traditions libérales de sa famille, au point d'adopter les idées rétrogrades et les abominables préjugés de l'empire esclavagistes.
Nous estimons que la vice-royauté de l'Uruguay, s'il en obtient jamais l'investiture, aura coûté cher, trop cher, certes, au petit-fils de Louis-Philippe.
Ce n'est pas l'air seulement; c'est aussi la terre, c'est encore l'eau croupissante des marais, qui vont conspirer contre les envahisseurs.
Désormais, chaque buisson cachera un piège. Des branches de l'arbre touffu, partira le coup de feu qui tue; de chaque monticule s'allongera le lasso qui terrasse, en étranglant. Le rocher se détachera de sa base pour écraser la colonne en marche, et les traînards de cette colonne tomberont, à leur tour, sous le couteau silencieux. L'herbe de la prairie, les joncs flexibles du ruisseau, la vase de la lagune, la ride du terrain, deviendront autant d'embuscades, d'où le chasseur nocturne s'élancera pour saisir sa proie humaine. Bref, le génie du Paraguay prendra toutes les formes, même celle de la peste, pour atteindre sûrement ses ennemis. Présent partout et partout invisible, il rôdera nuit et jour autour des villes et des campements; rampant, s'effaçant, disparaissant, revenant, épiant sans cesse l'occasion favorable; toujours aux aguets, toujours prêt à frapper, insaisissable enfin, mais laissant en tous lieux des traces sanglantes de son passage.
Les Paraguayens connaissent le sort qui leur est réservé: l'esclavage ou la mort. Ils préfèrent la mort, mais précédée de la vengeance.
Ecoutez encore cette déclaration, contenue dans le document sus-indiqué du 24 décembre et qui constate, une fois de plus, l'accord parfait du chef et des soldats:
«Pour ma part, j'ai toujours été et je suis encore disposé à traiter de la paix, sur des bases également honorables pour tous les belligérants; mais je ne le suis nullement à écouter une sommation de déposer les armes. En transmettant cette résolution à Vos Excellences, j'accomplis un devoir sacré envers la religion, l'humanité et la civilisation, en même temps que je suis l'écho du cri unanime que je viens d'entendre, de mes généraux, officiers et soldats, auxquels j'ai communiqué la note de Vos Excellences, et que j'obéis à ce que me prescrivent, à moi, personnellement, l'honneur et ma dignité.»
Une nation dont tous les membres: hommes, femmes, vieillards et enfants, sont unis dans un double sentiment d'amour pour la patrie et de haine contre l'étranger, au point de faire résolûment le sacrifice de leur vie; cette nation affirme magnifiquement son droit de vivre libre, et ce droit mérite d'être respecté.
Nous ajouterons que celui-là ne saurait être un tyran féroce qui, par l'exemple de son abnégation personnelle, inspire à ses compatriotes l'idée d'un dévouement sublime, digne d'être comparé à celui des habitants de Sagonte, de Palmarès et de Sarragosse.
Nous avons parlé de la solidarité des peuples, à laquelle un orateur estimé rendait, naguère, du haut de la tribune française, cet éclatant hommage:
«Il y a aujourd'hui une telle solidarité entre les nations, un droit des gens tellement arrêté, qu'une nation qui viendrait tout-à-coup à se jeter sur une autre, serait immédiatement mise au ban de la civilisation.
«La force ne peut être mise qu'au service du droit 79.
Certes, M. Frank n'eût pas dit mieux.
Ce sont là de belles paroles, sans doute, et qui deviendront, assurément, la loi de l'avenir; mais, en présence des attentats accomplis dans ces derniers temps en Allemagne, et, aujourd'hui même, sur les bords des fleuves platéens, contre des nationalités faibles,--attentats restés impunis!--on est en droit d'affirmer que les paroles de l'orateur français, bien qu'elles soient généralement approuvées, manquent encore, cependant, d'une sanction réelle. Hélas! La politique ne conforme pas toujours ses actes, tant s'en faut! aux maximes et aux préceptes de la morale, ni aux règles de la philosophie. Néanmoins, on est fondé à soutenir que le principe de la solidarité des peuples n'est que le développement harmonieux du principe chrétien de la solidarité des individus. Celui-ci procède du sentiment fraternel; celui-là constitue la condition essentielle de l'ordre universel. Il suffit d'une tête innocente qui tombe pour troubler la conscience publique; mais quelle perturbation profonde apporte, dans les relations internationales, l'iniquité qui a pour but le meurtre d'une nation! Voyez la Pologne que les trois grandes puissances du nord ont dépecée, avant de sceller sur elle la pierre du tombeau. L'héroïque martyre n'est pas morte, pourtant, et à chacune des convulsions de son agonie, l'ordre factice établi par ses bourreaux vacille sur sa base.
L'égorgement du Paraguay compromettrait au même titre la sécurité des sociétés latines du Nouveau-Monde.
Le temps est passé des sympathies stériles et des protestations diplomatiques non suivies d'effet. Chaque jour, la situation s'aggrave. Les grandes puissances maritimes doivent agir et agir au plus tôt, si elles ne veulent pas, en se désintéressant du présent, engager irrévocablement l'avenir.
A leur tour, les Républiques du Pacifique comprendront-elles que si Montevideo est la première étape de l'empire esclavagiste, l'Assomption n'en est que la seconde? Nous engageons ces Républiques à méditer profondément sur le passage suivant de la proclamation du maréchal Lopez. Après avoir parlé des conspirateurs qui «négociaient la servitude de la patrie et l'extermination» de ses défenseurs, le maréchal ajoute:
«Ceux d'entre vous (les soldats) qui auraient survécu à tant de malheurs, auraient été livrés aux mêmes ennemis qui nous combattent aujourd'hui, pour grossir leurs rangs, sans autre drapeau que celui de l'esclavage, que vous auriez porté à nos frères du Pacifique.»
Ces paroles du président Lopez rendent parfaitement notre pensée.
L'heure est solennelle pour les Etats hispano-américains, y compris, certes, la Confédération Argentine. Que ces Etats y pensent: Les convoitises du Brésil sont excitées outre-mesure, et si l'Assomption est plus rapprochée de La Paz que Rio-de-Janeiro, il y a moins loin aussi de Montevideo à Buenos-Ayres, à Valparaiso et à Lima.
Résumons-nous:
Naguère, nous avons poussé ce cri d'alarme:
«Les Barbares s'avancent; la civilisation est en danger!»
Nous disons maintenant:
Les Barbares sont arrivés!
Le dernier rempart des libertés platéennes est détruit. Maîtres de l'Assomption, les confédérés dominent, à la faveur de l'escadre cuirassée, sur tout le cours des rivières et jusqu'à l'embouchure de la Plata.
C'en est fait de la libre navigation fluviale, si les puissances signataires du traité du 4 mars 1853 ne se hâtent pas d'intervenir; c'en est fait de la civilisation, pour un siècle au moins, dans tout le bassin platéen, si ces mêmes puissances laissent supprimer la nationalité paraguayenne, et si elles livrent ainsi la terre des héros et des femmes enchanteresses 80 aux égorgeurs du Yatay, aux violateurs de la capitulation d'Uruguayana, aux comédiens sacriléges du Chaco, aux brûleurs de Pilar, aux saccageurs de l'Assomption.
Note 80: (retour) Dans l'ouvrage intitulé: Voyage pittoresque sur les rios Paranà, Paraguay, San-Lorenzo, par Bartolomé Bossi, on lit cette appréciation des Paraguayennes:Las mugeres son felices como en ninguna parte, libres como las aves, seductoras, communicativas.
Et les époux, les fils et les frères de ces séduisantes créatures seraient des êtres abrutis et cruels! Aux écrivains esclavagistes il appartenait de nier la divine loi d'amour.
L'histoire apprendra alors aux générations futures que le Paraguay, attaqué par des frères égarés, abandonné par des voisins égoïstes et jaloux, entamé par la trahison de quelques-uns de ses enfants et d'un ministre étranger, écrasé par le nombre de ses ennemis, a fini par succomber dans la lutte disproportionnée qu'il soutenait contre l'empire du Brésil, Montevideo et Buenos-Ayres.
L'histoire ajoutera que le Paraguay n'avait pris les armes qu'afin de défendre la politique, inaugurée dans la Plata, pour le plus grand avantage du commerce et de la civilisation, par la France et par l'Angleterre.
FIN
NOTES
A
Ministère des affaires étrangères
Luque, le 29 octobre 1868.
Monsieur le ministre,
La nature de la guerre dans laquelle la République est engagée depuis près de quatre ans est bien connue; mais s'il était nécessaire d'en rappeler les causes à Votre Excellence, il suffirait de citer deux documents qui l'expliquent parfaitement, à savoir: la protestation de mon gouvernement, en date du 30 août 1864, et le traité secret des alliés du 1er mai 1865. A la vue de ces documents, on sait infailliblement où est la justice. D'un côté, plusieurs nations coalisées qui provoquent et font la guerre dans un but de conquête; de l'autre, un peuple qui défend son autonomie, sa souveraineté, sa liberté, son honneur, sa vie. Par leur protestation du 9 juillet 1866, des Républiques du Pacifique ont montré de quel côté étaient leurs sympathies et quel jugement elles portaient sur cette guerre odieuse.
Mon gouvernement, empêché par le blocus de ses côtes d'entretenir des relations régulières avec celui de Votre Excellence, s'est reposé des ennuis et des embarras d'un pareil empêchement dans la confiance que lui inspirait la justice de sa cause; et, en attendant que des communications plus faciles puissent s'établir avec le dehors, il a compté sur l'impartialité des peuples avec lesquels il n'a cessé d'être en paix et en bonne harmonie. Cependant, il croit devoir aujourd'hui rompre le silence forcé auquel il est condamné, afin de porter à la connaissance directe de Votre Excellence un fait d'une extrême gravité, non-seulement pour la République, mais encore pour tous les peuples civilisés.
En novembre 1864, M. Charles A. Washburn, ministre résidant des Etats-Unis d'Amérique dans la République, prit congé du gouvernement pour se rendre temporairement dans son pays. Les sentiments du ministre américain à l'égard de mon gouvernement étaient alors des plus bienveillants. Il n'en pouvait pas être autrement, chez un homme qui avait été témoin impartial de nos actes à une époque normale, et en présence des graves événements dont le Rio de la Plata était le théâtre, depuis l'intervention armée du Brésil dans l'Etat Oriental de l'Uruguay.
L'absence de M. Washburn, seul agent diplomatique des puissances amies du Paraguay, fut pour mon gouvernement un sujet de regret à un moment pareil; aussi, son retour, en 1866, fut-il accueilli avec une véritable satisfaction. Le peuple et le gouvernement lui donnèrent en cette occasion les plus vifs témoignages d'estime et de sympathie; mais, déjà, on pouvait pressentir que ses sentiments personnels avaient changé à notre égard, car, en passant devant le quartier général de notre armée, il négligea de s'y arrêter pour y saluer le chef de l'Etat, tandis que celui-ci, au contraire, veillait à ce que rien ne lui manquât pour son voyage à l'Assomption, et poussait la générosité jusqu'à ne pas remarquer l'inconvenance qui venait d'être commise envers lui.
Cette conduite insolite devait s'expliquer plus tard. Mais avant de passer à l'examen des faits qui la montreront comme une chose ayant sa raison d'être dans un plan prémédité, il est bon de remarquer que, pour se rendre des Etats-Unis au Paraguay, où ses fonctions l'appelaient, M. Washburn dut toucher à plusieurs ports du Brésil, notamment à Rio-de-Janeiro, où il semble avoir été retenu quelque temps; ensuite, il passa à Montevideo et à Buenos-Ayres, où il fut encore retenu; de là il se rendit à Corrientes. Il visita alors l'escadre et l'armée des alliés et fit un long séjour auprès de leurs chefs. Enfin, il retourna à Buenos-Ayres. Plusieurs mois se passèrent ainsi avant qu'il atteignît le terme de son voyage et ne commençât à s'acquitter de la mission pour laquelle il avait été envoyé.
Quatre mois environ après son retour à l'Assomption, M. Washburn déclara qu'il était chargé spécialement par son gouvernement d'offrir ses bons offices aux belligérants en vue de la paix, et, en conséquence, il offrit de se rendre au quartier général pour y complimenter le chef de l'Etat et l'entretenir de sa mission.
Mon gouvernement répondit, à son ouverture, en termes qui témoignaient de sa reconnaissance pour l'intérêt amical que nous montrait le gouvernement américain. Il ajouta que M. Washburn, personnellement, pouvait apprécier tout ce que nous avions fait pour la paix du continent sud-américain depuis l'invasion du Brésil dans l'Uruguay, et même après que la guerre avait éclaté, pour lui enlever le caractère cruel que les pratiques de l'ennemi lui avaient imprimé dès le commencement. Il rappela notamment que S. Exc. le maréchal président s'était rendu au camp des alliés pour leur offrir une paix honorable, en leur déclarant que le sang versé jusque-là était plus que suffisant pour laver les injures que les belligérants pouvaient se reprocher réciproquement. M. Washburn savait, en effet, que la guerre soutenue par le Paraguay n'avait en vue que l'indépendance des Républiques de la Plata et le respect de cette indépendance par le Brésil, et que, dès lors, toute intervention pacifique qui assurerait un objet si légitime, pouvait compter sur notre adhésion et notre concours.
M. Washburn se rendit donc au quartier général, et là, il demanda l'autorisation de passer au camp ennemi. S. E. le maréchal président lui témoigna son étonnement, en apprenant qu'il se proposait de voir pour la médiation le marquis de Caxias, général en chef par intérim de l'armée des alliés, alors que, suivant une déclaration expresse de S. E. le président Mitre, général en chef de ladite armée au mois de septembre précédent, les gouvernements seuls étaient compétents pour traiter de cette matière; mais M. Washburn répondit que le marquis de Caxias avait pleins pouvoirs pour faire la paix ou continuer la guerre, et l'autorisation lui fut accordée. Il resta au camp ennemi tout le temps qui lui parut convenable, et, sans rien communiquer à S. Exc. le maréchal président du résultat de sa mission, il revint à sa résidence de l'Assomption.
Voilà déjà une série de faits qui parlent d'eux-mêmes à l'esprit le moins soupçonneux. Je les résume ainsi: M. Washburn revient des États-Unis, chargé d'offrir ses bons offices aux belligérants pour les amener à un arrangement pacifique; pendant son voyage, il communique avec les gouvernements alliés et fait de longs séjours auprès d'eux; il communique également avec les chefs de leurs armées de terre et de mer; il est d'ailleurs parfaitement au courant de tous les antécédents de la guerre; il est donc en mesure d'accomplir sa mission immédiatement, et son devoir est évidemment de l'accomplir au plus vite; cependant, il n'en fait rien. Sa correspondance officielle avec les alliés n'en dit pas un mot; il ne s'en souvient que quatre mois après son retour à l'Assomption, c'est-à-dire sept ou huit mois après qu'il aurait pu s'en occuper efficacement; et quand il s'en souvient, c'est pour témoigner du besoin qu'il éprouve de communiquer avec l'ennemi, avec un général en chef provisoire, un général brésilien qui ne devait pas avoir les pouvoirs nécessaires pour traiter de la paix. Que penser de tout cela? Il n'y a pas à hésiter en présence de faits ultérieurs qui nous montrent dans M. Washburn le promoteur actif et l'agent principal d'une conspiration dont l'ennemi est l'instigateur, et dont le foyer était au coeur du pays.
On ne peut qualifier trop sévèrement la conspiration dont M. Washburn est l'agent essentiel. Elle ne tendait à rien moins qu'à l'assassinat du chef de la République et de beaucoup de citoyens distingués, à la destruction de la République elle-même, qui aurait été livrée aux envahisseurs, non comme un pays malheureux tombé sous les coups d'un ennemi plus fort que lui, mais comme le repaire d'une race dégénérée, maudite et indigne de figurer dans la famille des nations.
Pour arriver à de pareilles fins, M. Washburn se fit le centre d'un cercle de traîtres, composé de Paraguayens et d'étrangers résidant au Paraguay. Ces derniers avaient reçu de mon gouvernement toutes les garanties désirables pour le légitime exercice de leurs droits; ils avaient même des immunités, et le peuple paraguayen, que cet exemple autorisait, leur accordait à son tour de la considération, du respect et de la bienveillance. M. Washburn alla plus loin: oubliant son caractère de ministre des États-Unis, il s'érigea ou se laissa ériger en plénipotentiaire de l'ennemi, pour concerter et signer une convention avec les conspirateurs de l'intérieur, au nom et comme représentant des puissances alliées.
Il se servit du cachet de la légation des États-Unis pour ses communications avec les mêmes conspirateurs et pour celles qu'il entretenait avec l'ennemi, au moyen de parlementaires demandés à mon gouvernement, sous prétexte d'envoyer et de recevoir ses correspondances officielles avec Washington. Couvert de son caractère diplomatique, il se rendit au camp ennemi pour y comploter, avec un général brésilien, la destruction du gouvernement auprès duquel il était accrédité, l'anéantissement de la République, la conquête des autres Républiques de l'Amérique du Sud.
M. Washburn a corrompu et poussé au crime des citoyens paraguayens et des étrangers. Ceux-ci n'avaient qu'à se louer de leur position dans le pays, même au sein des embarras et des difficultés de la guerre. Tandis que les nationaux se consacraient à la défense de la patrie, les étrangers se livraient exclusivement aux occupations productives du commerce, dans la mesure que comportait la situation. Les uns sacrifiaient tout à leurs institutions, à leurs droits, à leur indépendance; les autres vivaient tranquillement et prospéraient sous la protection des citoyens et du gouvernement.
Les conspirateurs pillaient le trésor national, et M. Washburn recevait d'eux des sommes considérables pour payer les services qu'il rendait en préparant la révolution.
Cette monstrueuse conspiration a dû d'être découverte à la protection toute spéciale de Dieu qui veille sur les peuples, bien plus qu'à la vigilance des hommes. Ses auteurs, armés de poignards et de torches incendiaires, allaient procéder à son accomplissement, quand leurs menées arrivèrent à la connaissance du chef de l'Etat.
Sans cette abominable trahison, Monsieur le Ministre, la guerre qui afflige encore notre pays en épuisant le sang le plus pur de nos concitoyens aurait cessé depuis longtemps, et les plaies qu'elle a envenimées et multipliées seraient déjà cicatrisées. La défaite de Curupaïty avait complétement déconcerté les plans et les espérances de l'ennemi. Avec les restes impuissants de son armée démoralisée, il s'était renfermé, immobile, dans ses retranchements de Tuyuty; son escadre avait perdu quelques-uns de ses meilleurs vaisseaux cuirassés et n'osait pas se présenter devant nos batteries. Il ne connaissait pas notre territoire, ni les ressources que nous en tirions, ni les moyens d'attaque dont nous disposions. Il ne savait rien des positions que nous occupions. D'un autre côté, les événements de la guerre le forçaient à nous respecter et à nous craindre, et la résolution de nous subjuger, si obstinée jusque-là, était fortement ébranlée. La guerre lui paraissait donc sans avantage désormais, et la paix devenait pour lui une nécessité.
En pareilles circonstances, la mission pacifique de M. Washburn, conduite convenablement, honorablement, comme il convenait au ministre d'une grande nation de la conduire, ne pouvait pas manquer de réussir; malheureusement, M. Washburn alla chercher ailleurs les inspirations qui le dirigeaient, et il fut cause que la guerre, qui allait finir, continua plus désastreuse que jamais. Pour la première fois, et à son instigation, on vit surgir dans la République l'idée d'une conspiration à laquelle plusieurs membres importants de l'administration se mêlèrent. Dès ce moment l'ennemi se reprit à croire au succès de sa cause.
M. Washburn ne se contenta pas de raviver les espérances éteintes de l'ennemi, en l'assurant de la puissante coopération de personnes influentes qu'il avait corrompues; il lui fit passer des cartes, des plans topographiques de la République; il lui fit connaître nos positions, nos ressources et nos moyens de défense; il lui suggéra des plans d'opérations combinés avec ses complices, ayant pour objet: d'assiéger nos armées dans leurs positions de Paso-pucu, pousser les troupes alliées en avant par terre jusqu'à Tuyucué et Tayi, forcer à une heure désignée et par des moyens indiqués le passage d'Humaïta à l'aide de l'escadre cuirassée qui irait se placer en avant de cette forteresse, couperait nos communications avec l'intérieur de la République et nous affamerait; enfin mettre l'ennemi en communication directe avec les conspirateurs, en poussant des expéditions, soit par eau, soit par terre, jusqu'à l'Assomption, siége de la conspiration, qui, de la sorte, éclaterait ouvertement et terminerait la lutte.
Tous ces plans furent adoptés par l'ennemi et en partie exécutés. Trois navires cuirassés purent arriver jusqu'en vue de l'Assomption avec des drapeaux blancs, signal convenu; les autres dispositions devaient s'exécuter à leur tour, quand S. E. le maréchal président commença la série des opérations militaires qui ont déconcerté tous les plans de l'ennemi et des conspirateurs.
L'ennemi avait déjà donné des preuves de sa cruauté dans la malheureuse cité orientale de Paysandù, et il en avait donné d'autres postérieurement à Corrientes; c'était donc un devoir impérieux pour le gouvernement de mettre à l'abri de ses atteintes la population de l'Assomption, ville située sur les bords du fleuve Paraguay, et par conséquent, exposée aux coups de la flotte cuirassée du Brésil. Dans ce but, il décréta que la capitale de la République serait transférée provisoirement à Luque, et que, en attendant, la ville de l'Assomption deviendrait place de guerre et que ses habitants l'abandonneraient.
Les habitants de l'Assomption, nationaux et étrangers, comprenant les motifs du gouvernement, abandonnèrent effectivement la ville et allèrent se réfugier dans l'intérieur du pays.
Les consuls étrangers, à l'exception du consul portugais, compromis dans la conspiration, ne firent aucune opposition à cette mesure et abandonnèrent également la ville. M. Washburn, au contraire, prétendit rester à l'Assomption, malgré les observations amicales que lui fit le gouvernement à cette occasion, et il reçut chez lui des étrangers qui venaient y chercher asile pour échapper à la responsabilité de leur complicité dans la conspiration.
M. Washburn ne voulait pas se soumettre à une mesure qui dérangeait ses plans, et pour cela il ne craignait pas, en violation de la souveraineté du pays où il résidait, de maintenir sa résidence dans une place forte où ne siégeait plus le gouvernement auprès duquel il était accrédité.
On sait qu'une place de guerre, une escadre, une fortification, même en temps de paix, mais particulièrement en temps de guerre, et, surtout, pendant une guerre de conquête et d'extermination, ne peuvent être, je ne dis pas habitées, mais simplement visitées par des étrangers sans une permission spéciale. M. Washburn, qui croyait la nationalité paraguayenne expirante, grâce à ses menées criminelles, crut pouvoir mépriser ce principe. Il espérait que la conspiration allait triompher et qu'elle couvrirait sa conduite devant les peuples civilisés, solidaires des infractions au droit des gens, quelque part qu'elles se commettent.
Il violait ainsi toutes les lois sociales, celles de son propre pays comme celles du pays auprès duquel il était accrédité; il n'était plus le représentant d'une nation amie chez une nation amie; il descendait à la condition de criminel, trahissant l'hospitalité d'un peuple généreux qui n'avait eu pour lui et pour la grande nation des États-Unis que du respect et de la sympathie. Sa résidence était devenue l'asile des criminels, un abri pour y tramer impunément la ruine du pays.
Toutefois, ses espérances furent trompées; ses plans avortèrent; la conspiration fut découverte et étouffée; mais il n'en continua pas moins son oeuvre détestable. Tandis que l'ennemi voyait ses combinaisons déconcertées par les opérations stratégiques de S. Exc. le maréchal président, et que la justice instruisait l'affaire des conspirateurs, lui se tenait dans sa résidence comme dans un retranchement, et couvrait ses manoeuvres du drapeau des Etats-Unis.
La justice nationale ayant affaire fréquemment avec les conspirateurs réfugiés chez lui, je dus m'adresser à lui plusieurs fois pour faciliter les opérations des juges, et même pour obtenir que les coupables fussent mis à leur disposition, conformément à notre droit public. Plusieurs de ces coupables étaient des hommes instruits, des professeurs de droit, qui savaient que ma réclamation était parfaitement fondée; cependant, M. Washburn prétendit les soustraire à l'action de la justice; et c'est malgré lui, dans l'espérance, peut-être, de dissimuler leur crime, qu'ils abandonnèrent sa résidence et se constituèrent prisonniers.
M. Washburn ne cessa de faire à la justice nationale une opposition systématique et obstinée. A toutes mes réclamations il répondit par des sophismes, laborieusement tirés du droit international et des usages diplomatiques interprétés d'une manière captieuse. Je ne crains pas de dire, et Votre Excellence reconnaîtra avec moi, sans doute, que, sans violer l'esprit, ni même la lettre du code des nations civilisées, ce ministre pouvait avoir perdu à nos yeux le caractère public dont il avait été revêtu, comme représentant d'une nation amie et neutre; cependant, mon gouvernement n'a cessé de lui témoigner toutes les considérations qui sont dues à ce caractère. On ne pouvait pousser plus loin la modération et le respect des priviléges diplomatiques.
Mon gouvernement, qui désire donner aux Etats-Unis un témoignage éclatant d'estime et de respect; qui ne doute pas, d'ailleurs, de la justice du gouvernement de cette grande République, a cru devoir abandonner à sa discrétion la cause de son ancien ministre, M. Charles A. Washburn. Il a donc renoncé au droit qu'il avait de soumettre ce ministre à une instruction judiciaire préalable qui l'aurait accompagné dans son pays, et il l'a laissé librement s'embarquer sur la canonnière Wasp.
Un dernier témoignage, à l'appui des faits et des doctrines que j'ai l'honneur d'exposer dans la présente, ressort de la conduite de M. Washburn au moment de prendre congé de moi, et aussitôt après avoir quitté le territoire paraguayen.
En prenant congé de moi, il ne trouvait pas d'expressions suffisantes pour montrer l'estime et la reconnaissance qu'il devait, disait-il, à S. Exc. le maréchal président de la République; mais il n'avait pas plus tôt franchi nos lignes, qu'il écrivait au maréchal une lettre pleine d'injures. A Buenos-Ayres, il a renouvelé ses injures dans une lettre datée du 24 septembre dernier, adressée à M. Stuart, ministre de la Grande-Bretagne, et qui fut publiée par les journaux de la Plata.
Le langage de cette dernière lettre, les circonstances dans lesquelles elle a été rendue publique, le contenu de la présente et de la brochure qui l'accompagne, où se trouvent toutes les notes officielles échangées avec M. Washburn, me dispensent de développer plus longuement devant Votre Excellence les preuves évidentes que ce ministre a manqué de la manière la plus révoltante à toutes les lois de l'amitié et de la neutralité qu'il avait mission de respecter, sinon de faire respecter, dans ma patrie.
Je saisis cette occasion pour offrir à Votre Excellence les assurances de la haute considération, avec laquelle j'ai l'honneur d'être, Monsieur le Ministre, etc...
Le Ministre des affaires étrangères,
Signé: Luis Caminos.
B
A Son Excellence Monsieur le Conseiller Antonio Coelho de Sa é Albuquerque, Ministre secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, etc.
Légation de la République Orientale de l'Uruguay.
Rio-de-Janeiro, 28 février 1867.
Monsieur le Ministre,
Par une dépêche de M. William H. Seward, ministre des affaires étrangères des Etats-Unis d'Amérique, datée du 20 décembre 1866, le cabinet de Washington a soumis à l'appréciation de mon gouvernement les propositions reçues déjà par celui de Votre Excellence, pour mettre fin à la guerre du Paraguay.
Mon gouvernement s'est borné à accuser réception de cette communication, le 13 courant, en déclarant que pour y répondre, il devrait d'abord se mettre d'accord avec ses alliés.
En conséquence et sans préjudice de ce qui, pour arriver à cet accord, a lieu aujourd'hui dans le Rio de la Plata, et qui devra être soumis à l'approbation du gouvernement impérial, j'ai été autorisé par une note de mon gouvernement, à ladite date du 13 courant, à un échange d'idées avec Votre Excellence sur cet important sujet.
Mon intention était de vous proposer des conférences verbales, mais elles sont actuellement impossibles, par le motif que le devoir m'a été imposé de ne pas me présenter aujourd'hui, ainsi que je le désirerais, au secrétariat d'Etat. Votre Excellence voudra me permettre de lui communiquer par écrit, et sans aucune réserve, les opinions que j'entretiens et que je suis autorisé à lui exprimer, ainsi qu'il a été mentionné plus haut.
L'honorable prédécesseur de Votre Excellence m'a appris, à propos de l'ouverture pacifique faite par le gouvernement du Paraguay, que le gouvernement de S. M. était résolu à ne traiter ni avec le général Lopez, ni avec aucun membre de sa famille, ni avec aucun gouvernement soumis à son influence. Et cette résolution serait tellement extrême, tellement absolue, qu'elle s'étendrait jusqu'aux capitulations purement militaires.
A tous les points de vue, cette résolution n'est pas considérée; elle est même insoutenable.
Le traité de la triple alliance ne l'autorise pas, car ce traité se propose d'obtenir la réparation des injures et dommages reçus du Paraguay, et des garanties de paix et de sécurité pour l'avenir.
La guerre n'est et ne peut être que le moyen d'arriver à cette fin; et ce terrible moyen ne se justifie qu'autant qu'il est absolument nécessaire. S'il s'en présente un autre qui nous donne satisfaction, le repousser au préalable, c'est dépouiller la guerre de toute légitimité et de toute justification.
La guerre convertie en vengeance, en satisfaction donnée à l'orgueil et à la haine, au désir de ruine et de destruction, c'est un crime et une atrocité.
Ecouter des propositions, ce n'est pas céder, ce n'est pas transiger sur des choses qui ne comportent pas de transaction.
La guerre a ses règles dictées par la raison, l'humanité et la civilisation.
Ces règles sont sacrées, parce qu'elles tendent à diminuer l'effusion du sang, à restreindre l'oeuvre de destruction. Et toutes ces règles sont violées, quand on se refuse à écouter des propositions qui pourraient faire arriver aux fins de la guerre, sans autre effusion de sang; quand on se refuse à traiter avec l'ennemi, à accepter des arrangements.
D'autre part, le traité de la triple alliance doit être interprété conformément aux principes éternels de la raison et de la justice, aux principes sur lesquels se fondent l'indépendance et les droits constitutifs de toutes les nations: ce qui veut dire, que le traité doit être interprété de manière à concilier toutes les dispositions avec l'autonomie du Paraguay; il le doit d'autant plus qu'il stipule et garantit l'indépendance du Paraguay.
Attenter en quelque façon à cette indépendance, c'est violer le traité d'alliance. Ce traité ne s'occupe ni de la famille de Lopez, ni des gouvernements futurs qui pourront se former et être soumis à son influence.
En disant qu'il ne traitera avec aucun gouvernement soumis à l'influence de Lopez, le Brésil se réserve, sans aucun contrepoids, l'appréciation intime des conditions personnelles et des situations morales dans lesquelles pourront le trouver les hommes qui auront à gouverner le Paraguay.
Tenir un droit pareil et l'exercer peut, en fait, équivaloir au droit de choisir soi-même le gouvernement du Paraguay; puisqu'il permet d'annuler, comme soumise à l'influence de Lopez toute élection qui ne tomberait pas sur une personne désignée par les alliés.
Je ne crois pas que telles soient les intentions du Brésil. Néanmoins, la chose se déduit logiquement de la résolution mentionnée plus haut. Si elle devait être maintenue, l'indépendance du Paraguay serait anéantie, et tous ces pays seraient livrés à la loi du plus fort.
En ma qualité de représentant d'une nation relativement faible, je me rattache de toutes mes forces aux principes tutélaires de l'autonomie des peuples.
Il ne faut pas perdre de vue que le traité d'alliance est, comme toutes les oeuvres et toutes les combinaisons humaines, sujet aux changements que conseillent les informations nouvelles que font surgir les convenances et les nécessités résultant des nouveaux événements.
Or, le traité a été négocié sous l'empire d'une illusion que les événements subséquents ont complétement et douloureusement fait évanouir.
Votre Excellence me permettra de lui rappeler que je n'ai pu participer à cette illusion et que je n'y ai point participé.
Dans les archives de votre ministère, Votre Excellence verra qu'elle était mon opinion, dans une note écrite en 1848, et publiée dans le Relatorio de 1852. Je disais au gouvernement de Votre Excellence, que le Paraguay formait le vrai soldat-machine, et qu'il pourrait s'y créer l'armée la plus disciplinée et la plus aguerrie de l'Amérique.
Je savais cela et davantage encore, quand par fidélité au drapeau de mon pays et sans illusion aucune, j'ai accepté un rôle officiel dans la guerre où, à tort ou à raison, il est maintenant engagé.
Que cela me serve de titre pour être écouté avec bienveillance.
Ce traité a été donc, comme je le disais, conclu sous l'empire d'une illusion. On croyait à une guerre sans résistance, et par suite, à une guerre courte et peu sanglante, dont l'issue était infaillible et prochaine;--on s'attendait à une simple promenade militaire.
De là vient que le traité met de pair avec des stipulations d'un intérêt essentiel, d'autres clauses qui n'ont qu'un intérêt secondaire et d'autres encore que, dans cet acte-ci, il ne convient pas de qualifier.
Mais aujourd'hui, nous sommes en présence des plus terribles réalités.
Sous le commandement de Lopez, la population paraguayenne s'est battue et se bat comme un seul homme. Elle s'est battue ainsi jusqu'aujourd'hui. Se fera-t-on cette illusion de croire qu'elle ne se battra pas de même jusqu'à la fin?
Pour ce qui me concerne, je découvre et respecte, dans cette population peu éclairée, l'énergie qui ailleurs fit réduire Moscou en cendres et qui, en Espagne, brisa le pouvoir colossal du premier Napoléon, pouvoir contre lequel l'Europe n'avait pu jusque-là résister.
Je ne veux pas mettre en doute le triomphe sur le Paraguay, mais je redoute la perte de temps et les sacrifices que ce triomphe peut exiger.
Après avoir franchi les fortifications qui nous arrêtent, nous pourrons gagner de grandes batailles, mais il n'est pas probable qu'elles mettront fin à la guerre.
Alors vraisemblablement commencera la guerre contre les obstacles de la nature, contre les déserts et les dévastations du sol, contre le fanatisme et contre le patriotisme de la population. Alors commencera la guerre sans repos ni trêve, qui décoche la mort d'une invisible main, du fond de l'impénétrable fourré, du haut de l'inaccessible rocher, du milieu de l'inguéable marais.
Alors nous aurons à porter tout avec nous, et la nourriture de nos soldats et celle de nos bêtes de somme. Nos chevaux, nos troupeaux devront être innombrables, leurs haltes devront être fréquentes puisque le travail de l'acclimatation et la constitution du sol affaibliront et débiliteront les animaux en peu de temps.
Quelle perspective s'ouvre devant nous! Que de temps, que de sang, que de sacrifices pour arriver au terme de la voie douloureuse dans laquelle nous sommes entrés!
Nous finirons par y arriver sans doute.
Mais si nous y arrivons, qu'aurons-nous obtenu?
C'est là une des plus grosses questions parmi celles qu'a fait surgir la résistance du Paraguay.
Si le Paraguay continue à nous résister, comme il l'a fait jusqu'à présent, nous sommes condamnés à détruire la population mâle du Paraguay, presque tous les habitants, puisque la tenacité de Lopez nous oblige déjà à tuer jeunes et vieux. Je ne serais nullement surpris que nous ayons à tuer des femmes!
A la fin, nous nous trouverons en face du cadavre du Paraguay. Ce sera, certes, un triste et déplorable résultat!
Le traité de la triple alliance a stipulé et garanti l'indépendance du Paraguay, parce que cette indépendance est la condition de paix entre les nations alliées.
Si le Paraguay n'est plus qu'un cadavre, ces conditions-là sont profondément troublées.
Et la victoire que le fer et le feu pourront enfin nous donner, se transformera infailliblement en une cause de discorde et de trouble perpétuel entre les alliés actuels. Cette grande guerre donnera naissance à d'autres guerres.
En tenant compte de ces considérations d'une importance suprême; en réfléchissant: aux immenses sacrifices que ces populations ont fait et qui déjà grèvent leur avenir; aux nouveaux sacrifices que leur imposera la prolongation de la guerre; aux troubles intérieurs qui compromettent à cette heure la situation du Rio de la Plata par suite de la résistance obstinée du Paraguay; aux complications extérieures dans lesquelles nous pouvons être engagés avec le Chili, le Pérou et la Bolivie; et enfin aux graves inconvénients qui tôt ou tard pourraient résulter d'un refus direct de la médiation proposée par les Etats-Unis--je suis d'avis que ladite médiation doit être acceptée dans les termes que j'indiquerai ci-après.
Cette médiation peut-être pour nous une intervention providentielle.
Nous la pouvons accepter sans armistice immédiat. Cela signifie que si pendant les négociations préliminaires, c'est-à-dire pendant quelques mois, nous pouvons triompher par la voie des armes, comme l'espère Votre Excellence, la victoire mettra fin aux conférences.
Si dans cet intervalle nous n'obtenons pas l'avantage, aucune paix ne sera préférable à celle qui aura été négociée sous la garantie des Etats-Unis; car si une garantie internationale peut être efficace, c'est bien celle-là.
Les bases de la négociation devront être modifiées, en conséquence du changement qui s'est opéré dans la situation que nous occupions ou que nous nous faisions l'illusion d'occuper, quand a été conclu le traité du 1er mai 1865.
Distinguons ce qui est juste et ce qui est essentiel, de ce qui ne l'est pas.
Abandonnons ce qui coûterait plus cher qu'il ne vaut. Par exemple, un seul mois de guerre nous impose des sacrifices supérieurs à tout ce que le Paraguay pourrait réellement nous payer dans quatre ou six générations, à titre d'indemnités et dépenses de guerre. La paix ne peut dépendre de question de limites, de fragments de déserts. C'est chose vraiment insensée que des territoires ainsi dépeuplés achèvent de se dépeupler, afin d'augmenter la superficie de leurs solitudes. Le Brésil n'a pas même pu explorer tous les territoires qu'il possède. Ces questions de terres non habitées doivent se discuter à part et s'arranger en dehors de toute coaction militaire.
En acceptant la médiation des Etats-Unis nous pourrons déclarer en même temps quelles sont les clauses que nous regardons comme essentielles.
Une satisfaction d'honneur--si l'on ne trouve pas que l'honneur ait été satisfait par notre occupation militaire et par nos nombreux et glorieux faits d'armes sur le territoire du Paraguay.
Des garanties de paix et de sécurité contre des agressions nouvelles. Ces garanties peuvent être diverses. On peut les abandonner à la discrétion du médiateur. On indiquerait seulement que la plus agréable de toutes pour nous serait l'établissement dans le Paraguay d'un gouvernement de publicité et de libre discussion.
Des garanties pour la libre navigation par tous les pavillons des fleuves Paraguay et Paranà.
Après avoir énuméré les conditions que nous regardons comme essentielles, on déclarerait que nous reposant avec la plus entière confiance sur l'honneur, la loyauté et les principes libéraux du peuple et du gouvernement des États-Unis, nous leur confions le dépôt de notre honneur et de nos intérêts, les autorisant à proposer ou accepter les conditions que ces États proposeraient ou accepteraient, s'ils étaient mis en notre lieu et place; les dits États-Unis se constituant garants de tout ce qui serait arrêté et conclu.
Telles sont mes opinions, loyalement et amicalement énoncées, et que je suis autorisé à vous communiquer.
Votre Excellence leur donnera la considération qu'elles méritent et la suite qu'elle jugera convenable.
J'ai l'honneur de réitérer à Votre Excellence les assurances de ma plus haute considération.
Signé: Andrès Lamas.
C
A Son Excellence Monsieur Antonio Coelho da Sa é Albuquerque, ministre secrétaire d'État aux affaires étrangères, etc.
Légation de la République Orientale de l'Uruguay.
Rio-de-Janeiro, 7 mars, 1867.
Monsieur le Ministre,
J'ai l'honneur de recevoir de Votre Excellence la note confidentielle qui porte la date du 3 courant.
Votre Excellence a la bonté de me faire savoir que pour le motif qu'elle indique, elle juge devoir s'abstenir de toute discussion dans cette ville, sur la médiation proposée par les États-Unis.
Ma note confidentielle du 28 février, dont Votre Excellence m'accuse réception, n'était que la communication des opinions que j'ai pu me former sur cet important sujet.
Je disais expressément: «Telles sont mes opinions, loyalement et amicalement énoncées, et que je suis autorisé à vous communiquer. Votre Excellence leur donnera la considération qu'elles méritent et la suite qu'elle jugera convenable.»
Votre Excellence, mécontente, sans doute, d'opinions qui ne cadrent pas avec l'inflexible dessein que son gouvernement se propose--dessein périlleux et même funeste, pour autant qu'il est inflexible et inexorable--a pris une résolution que je n'ai point provoquée et qui témoigne comme elle le fait, de peu de bienveillance envers le ministre d'une puissance amie, pouvaient amener de graves inconvénients.
Ce que j'ai fait, moi, ministre, en vertu de l'autorisation que j'ai reçue de mon gouvernement, d'échanger avec vous mes idées, sans autorisation de personne, tout homme public aurait pu le faire, tout citoyen de l'un de ces pays, du sang, de la fortune, de l'avenir desquels on dispose autocratiquement sans le consulter.
J'énonçais mes opinions, rien de plus. Je me bornais ainsi à une simple manifestation, en laissant expressément à votre jugement, le soin de décider de l'importance et des suites que vous jugeriez à propos de lui donner.
En ces termes, si ma note confidentielle ne méritait pas d'être prise en considération ou de servir de point de départ à quelque négociation, elle n'exigeait qu'un simple accusé de réception, comme on l'aurait donnée à tout homme public, même sans fonction officielle.
Représentant d'un pays dont on m'a si cruellement fait sentir la faiblesse dans ma présente mission; représentant d'un gouvernement que le Brésil considère comme sa créature, je me suis vu forcé, bien contre mon gré, à hausser le ton pour faire entendre, dans les lieux élevés, la voix du droit et de l'honneur d'un peuple viril et indépendant, la voix aussi de mon gouvernement qui, j'en ai la confiance, ne cessera pas de consulter le droit, la dignité, et les intérêts de la patrie.
Nos pays nous jugeront, Monsieur le Ministre, et quand un jour on leur répétera mes paroles vibrantes d'indignation contenue et de profonde amertume, je montrerai comment des actes qui m'offensaient gratuitement et m'atteignaient dans ma dignité, m'ont arraché des paroles comme celles que j'ai prononcées, et comme celles que le traitement que je reçois de Votre Excellence m'a fait prononcer aujourd'hui.
Je suis toujours l'homme, l'ami qu'a connu le Brésil. Mais je ne retrouve plus la même considération pour mon pays, le même respect de ses droits, la même équité à l'égard de ses intérêts, la même bienveillance pour ses susceptibilités naturelles qui, en une glorieuse époque, nous firent réunir nos efforts, facilitèrent nos relations, établirent des rapports d'une fraternité non moins sincère qu'avantageuse, entre le ministère oriental avec lequel Votre Excellence ne se soucie plus de s'entendre, et les illustres hommes d'État du Brésil qui préparèrent conjointement avec ce ministère et conclurent l'immortelle alliance de 1851.
Je le répète, nos pays nous jugeront, Monsieur le Ministre.
Les fâcheuses conséquences de la résolution que, sans y être aucunement obligé, Votre Excellence daigne me communiquer, pourront se dérouler très-prochainement.
Il est possible que l'envoyé extraordinaire du Brésil auprès des gouvernements de la Plata, ne réussissant pas à s'accorder avec eux, les ministres de ces gouvernements accrédités auprès de cette Cour, reçoivent l'ordre de s'entendre avec Votre Excellence, de faire un échange d'idées, et d'entrer dans une négociation ayant pour objet de mener à bonne fin l'accord désiré.
Votre Excellence, en leur fermant par avance les portes de son cabinet, les met dans l'impossibilité de remplir leur mission.
J'attends par le prochain steamer quelques communications sur cet important sujet. Comment m'acquitterai-je du message que je pourrai avoir à vous transmettre?
Ne pas m'entendre, cela équivaudrait à refuser d'écouter mon gouvernement.
Votre Excellence, je ne puis que le redire, a commis, sans nécessité aucune, un acte fort grave.
Ainsi que je l'ai déjà dit, l'énoncé de mon opinion n'exigeait de votre part qu'un simple accusé de réception. Mais Votre Excellence a préféré décliner absolument toute discussion en cette Cour.
Le droit du gouvernement de Votre Excellence ne diffère en aucune façon du droit des gouvernements du Rio de la Plata.
Si ces gouvernements veulent se faire entendre-là, s'ils veulent discuter ici, est-ce que Votre Excellence déniera leur droit?
Ces Républiques ne sont-elles pas souveraines autant que l'Empire? Ne sont-elles pas égales en droit?
....................................................................
Pourquoi, Monsieur le Ministre, provoquer ces interrogations?
Toutefois, je passe par dessus ce point, et je prie Votre Excellence de me permettre de ne pas prendre congé d'elle, sans avoir mieux éclairé les sérieux et importants motifs qui ont inspiré la communication confidentielle antérieure à celle-ci.
Le jour même qu'est parvenue ici la première nouvelle du désastre de Curupaïty, M. le ministre argentin et moi nous avons exprimé à l'honorable prédécesseur de Votre Excellence la nécessité d'envoyer un nouveau corps d'armée.
Depuis cette conférence, le Brésil a envoyé de nombreux mais de petits contingents. Néanmoins, cet effort du gouvernement impérial suffit à peine pour réparer les pertes qu'a subies et que subit encore l'armée des alliés, et la manière dont ces renforts sont expédiés n'est pas de nature à produire le moindre effet moral.
En sollicitant l'envoi d'une armée nouvelle, mon intention, je ne veux point le dissimuler, était de mettre à l'étude, sur le terrain le plus pratique et le plus matériel, la grande question de la paix ou de la guerre.
Il est démontré, au moins pour moi, que l'armée actuelle est, par le nombre, par la composition et la direction, incapable de donner à la guerre une prompte fin.
Est-ce que les alliés pouvaient remonter à la cause ou aux causes de cette insuffisance?
L'armée alliée qui s'est aventurée dans la campagne du Paraguay a-t-elle des réserves?
Si elle n'en a pas, peut-elle en avoir en temps utile?
Si elle n'en a pas et ne peut en avoir en temps utile, peut-elle aventurer tout au seul hasard des combats que nous allons livrer au Paraguay et qui, suivant Votre Excellence, peuvent être décisifs?
Si l'ennemi victorieux déborde sur nos territoires, comment, avec quoi l'arrêterons-nous? Dans quelle attitude traiterons-nous avec lui et sous quelles garanties?
Lorsque, dans plusieurs de nos conversations, j'ai soumis à Votre Excellence ces diverses questions, je n'ai pu, malheureusement, parvenir à ébranler l'optimisme qui domine le gouvernement impérial, ni la résolution à laquelle il s'est asservi, sans changer cette guerre en un duel à mort entre le Brésil, un État, et Lopez, un homme.
Aujourd'hui, moins que jamais, Votre Excellence ne croit pas, et, ce qui est pire, Votre Excellence se refuse à croire, et même elle est fermement résolue à ne pas croire à la possibilité d'un échec sérieux pour l'armée alliée.
Nous sommes condamnés à aller étourdiment devant nous comme depuis le commencement de la guerre, tombant d'une surprise dans une autre «au jour le jour.»
Votre Excellence me disait une fois: «Dieu me garde d'avoir même la pensée que notre armée puisse essuyer une déroute.»
Il est certain, Monsieur, que cette pensée n'a rien d'agréable, mais un homme d'Etat ne doit ni fermer les yeux ni se boucher les oreilles, par la raison qu'il verrait ou entendrait des choses désagréables.
Gouverner, c'est prévoir. Et le gouvernement qui ne veut pas prévoir, abdique.
Pour prévoir, il est nécessaire de supposer toute les hypothèses, et le plus sûr est d'admettre les pires.
Mais si le gouvernement impérial ne se soucie pas de prévoir, ses alliés qui ont dans cette guerre autant de droits et autant d'intérêts que le Brésil, peuvent, ils doivent même prévoir pour eux-mêmes. Et quand il leur plaît de communiquer leur prévision au gouvernement impérial, celui-ci doit se résigner à les entendre et à les écouter.
Notre alliance est entre égaux.
Il entre dans les possibilités que l'armée des alliés subisse un désastre; et admettre cette possibilité n'est pas proclamer la probabilité d'un triomphe.
Waterloo a dépendu d'un accident, d'un ordre mal compris, mal exécuté, ou qui a rencontré dans son exécution des obstacles imprévus.
L'accident que le génie de Napoléon n'a pu prévoir ni réparer, avec l'aide de ses meilleures troupes et de ses plus illustres capitaines, au moment même de la victoire lui arracha la victoire.
Si le gouvernement impérial ne se soucie pas de prévoir, il ne doit pas être surpris que ses alliés, auxquels il n'est pas permis ab irato et par complaisance pour l'empire, de risquer par un coup de dé le sang et les destins de leurs peuples, usent de leur droit de prévoir.
Puisqu'il était en notre droit d'interroger: Etant donné un malheureux accident, qu'y a-t-il de prêt pour le réparer? Comment pourra-t-on le réparer? et quelles pourront en être les conséquences?
Ne fabriquons pas, Monsieur le Ministre, des vérités de convention, d'amour-propre, ou de courtoisie.
La vérité est que l'armée n'a pas réellement de réserves convergeant sur son plan d'opération et, ce qui est plus grave, elle ne peut en avoir.
Dans la situation intérieure du Rio de la Plata, situation amenée par la guerre actuelle, les deux républiques alliées ne peuvent envoyer de troupes nouvelles; au contraire, elles retirent une partie de celles qu'elles avaient déjà expédiées sur le Paraguay.
Le Brésil n'a pas de réserves, ni de quoi en avoir, puisque l'ardeur qui poussait à la formation de légions de volontaires s'est attiédie et, depuis, on n'a pas pris à temps les grandes mesures qui auraient pu procurer les réserves.
Que Votre Excellence ne se blesse pas d'entendre la vérité; qu'elle me permette de dire ce que je vois.
Aujourd'hui, le Brésil forme les contingents qu'il envoie dans le Paraguay par trois moyens seulement.
1º L'enrôlement forcé, accompagné de menaces d'une extrême violence. De mes propres yeux, j'ai vu les recrues qu'on amenait de la province de Minas. Elle viennent sous escorte, avec un carcan et une chaîne de fer qui les prennent au cou. Jamais je n'ai vu un spectacle plus douloureux!
2º Les esclaves libérés, en échange de titres de noblesse et des décorations honorifiques.
3º Les condamnés au bagne.
Ces moyens (et, présentement, je n'en vois pas d'autres) ne peuvent pas produire grand chose. Ce serait un miracle si, à l'avenir, ils nous aidaient à réparer nos pertes.
Et ces mêmes moyens ne peuvent pas augmenter l'armée d'un seul homme, au moins pendant quelques mois, si (ce qu'à Dieu ne plaise) l'épidémie qui nous menace vient à éclater.
En effet, bien que j'aie entretenu de ce sujet Votre Excellence, on n'a pas préparé, on ne prépare point d'étapes que les contingents puissent suivre jusqu'à leur point de destination, sans risques pour les populations et pour l'armée.
Dieu veuille que nos craintes ne se réalisent pas, que le choléra ne frappe pas l'armée, qu'il ne se répande pas; parmi les populations et que les dévastations de la peste ne suivent pas ainsi celles de la guerre!
En cela, comme pour tout le reste «au jour le jour.» Tout se fera à la dernière heure, tout coûtera cher, et ce qu'il y a de plus triste, tout sera insuffisant.
Donc, l'armée des alliés est dépourvue de réserves et ne peut en avoir en temps opportun.
Notre destinée, celle de tous ces pays-ci, ne dépend que d'un accident.
Nous ne sommes soutenus par aucune sympathie internationale. Pourquoi se faire illusion sur toutes choses? Nous avons contre nous l'hostilité latente des Républiques qui nous entourent. Et les populations du Brésil lui-même sont lassées des sacrifices si mal rémunérés que leur a coûtés la présente guerre.
Telle est notre situation. Et c'est en ce moment-ci que s'offre à nous la médiation de l'Amérique du Nord.
Cette médiation, la plus considérable en elle-même qu'il puisse y avoir, est encore appuyée par la force morale que lui a donné l'opinion, hautement exprimée, de la France et de l'Angleterre.
La puissante République s'étant engagée dans l'oeuvre de pacification qui est l'objet des désirs du monde entier, de l'Europe comme de l'Amérique, le général Lopez se remettant entre ses mains, comme il a déjà fait, ou ne manquera pas de le faire, et se montrant disposé à conclure la paix et à la garantir, il m'est difficile de concevoir que le Brésil ne redoute pas d'assurer la responsabilité d'un refus non justifié et non justifiable.
Dans l'intérêt le plus égoïste du Brésil lui-même, du Brésil dont je suis l'ami et dont je souhaite la paix et la prospérité, je supplie son gouvernement de s'arrêter un instant et de mesurer la profondeur de l'abîme qui s'ouvre à ses pieds.
Si je ne me trompe, ma lettre confidentielle, antérieure, signalait à Votre Excellence des mesures qui sauvegardaient à la fois le droit et la dignité.
Par exemple, si au lieu de manifester contre la médiation une répulsion radicale et préconçue semblable à celle de Votre Excellence, les alliés s'exprimaient ainsi:
«Le général Lopez nous ayant attaqué par surprise ne nous offre aucune garantie. Ce défaut de garantie a fait naître et justifie l'article du traité par lequel nous déclarons ne pas vouloir négocier avec lui. Néanmoins, par amour de la paix et par une déférence au désir des Etats-Unis, nous sommes prêts à traiter, acceptant dès aujourd'hui leur médiation, si ces Etats se portent garants du pacte à conclure; s'ils nous donnent la garantie que, ne nous heurtant pas à Lopez, nous pouvons immédiatement désarmer et vivre sur le pied de paix.»
Cette déclaration, qui serait irréprochable, concilierait le respect de notre dignité avec ce qui est juste et raisonnable, et préviendrait toute mésintelligence avec les Etats-Unis.
Si les Etats-Unis réservaient leur garantie (et je n'ai aucun motif de le croire) au pis aller, leur refus nous condamnerait à une paix armée. Et il resterait acquis que l'article qui nous interdisait de traiter avec Lopez, provenait d'un manque de garantie et n'était point une attaque à la volonté souveraine du peuple paraguayen.
Si les Etats-Unis accordaient leur garantie, comme je crois qu'ils le feraient, nous entrerions en négociation. Cette garantie nous donnerait une base large et solide, sur laquelle nous devrions traiter avec un ardent désir de la paix, de la paix que réclament l'humanité et la civilisation, de la paix qui est la nécessité suprême, car à aucun orgueil d'homme il n'est permis de verser inutilement le sang des peuples.
La médiation ayant été acceptée sans armistice, et les plénipotentiaires ayant été envoyés à Washington, V. Exc. aurait du temps devant elle, plus de temps même qu'elle ne croit aujourd'hui nécessaire, pour s'assurer de la victoire.
Si au lieu du triomphe survenait un désastre, ou la prolongation de la guerre (ce qui serait le plus grand des désastres), eh bien! les propositions du Paraguay seraient alors sur le tapis.
En ce cas, au lieu de nous soumettre douloureusement à la loi du vainqueur, le revers nous trouverait cheminant déjà dans les voies qui aboutissent à la paix.
Si nous avions bientôt la victoire décisive qu'attend Votre Excellence, et que je désire sans l'espérer, si dans le mois de mai, ou pendant la prochaine session législative du Brésil, l'illustre marquis de Caxias pouvait, après avoir terminé la guerre, occuper son siége au Sénat, nous n'aurions rien perdu à donner un gage de notre amour de la paix, de notre respect pour la vie humaine, de notre considération pour les États-Unis.
De l'acceptation de la médiation, telle que je l'ai proposée à Votre Excellence, résulterait la légitimation de la guerre et une paix sûre autant qu'honorable.
Après ces éclaircissements, nous pouvons nous soumettre au jugement de nos pays respectifs, moi et Votre Excellence qui me ferme sa porte et son oreille.
J'ai fini. Il ne me reste plus qu'à prendre congé de Votre Excellence, en lui réitérant les assurances de ma haute considération.
Signé: Andrès Lamas.