La politique du Paraguay: Identité de cette politique avec celle de la France et de la Grande-Bretagne dans le Rio de La Plata
D
A Son Excellence lord Stanley, Principal Secrétaire d'Etat des affaires étrangères de Sa Majesté Britannique.
Légation du Paraguay, Paris, 2 avril 1868.
Milord,
J'ai eu l'honneur de recevoir la note du 25 mars dernier, par laquelle Votre Excellence a bien voulu me faire savoir que le gouvernement de Sa Majesté britannique ne cesserait pas d'employer ses bons offices pour amener la fin des hostilités dont le Rio de la Plata est le théâtre, si les deux parties belligérantes en manifestaient le désir, et si les conditions de la paix paraissaient raisonnables à Votre Excellence et offraient des probabilités d'être acceptées par les deux parties.
C'est avec plaisir, Monsieur le Ministre, que je me hâte d'exprimer à Votre Excellence la reconnaissance que ne manquera pas de ressentir mon gouvernement, pour la généreuse et noble disposition du gouvernement de Sa Majesté Britannique à employer ses bons offices en faveur de la paix, ce dont je m'empresserai d'informer mon gouvernement à la plus prochaine occasion.
En attendant, je dois aussi m'empresser de déclarer à Votre Excellence, que je n'ai ni instruction ni autorisation spéciale et directe pour solliciter aucune médiation, ou une démarche quelconque d'une puissance amie. Toutefois, j'ai la conviction que le Paraguay, ainsi qu'il l'a prouvé déjà plus d'une fois pendant la durée de la guerre actuelle, ne repousserait aucun moyen honorable d'arriver à la paix.
Mais, sachant qu'il faut un long temps pour écrire au Paraguay et pour en recevoir les réponses officielles, je me crois autorisé par les circonstances et par les intérêts même de mon gouvernement, à déduire de l'histoire même de la question et des documents les plus autorisés, quelles seraient les bases de la discussion que ne manquerait pas d'accepter le Paraguay, le jour où la paix lui serait offerte par l'entremise d'une puissance amie.
La première, et, peut-être, la seule clause sur laquelle il faudrait statuer, est la confirmation et la consolidation de l'indépendance de l'Etat Oriental de l'Uruguay, par les deux gouvernements qui lui ont donné indirectement l'administration qu'il possède aujourd'hui. Cette administration n'a été établie qu'en violation du traité de 1828, conclu sous la médiation de Sa Majesté britannique. Comme l'indépendance de l'Etat Oriental est une garantie géographique de la libre navigation des affluents de la Plata, le Paraguay qui ne peut exister comme Etat souverain, sans cette liberté, n'a pas pu s'empêcher de regarder l'occupation militaire de la République Orientale par le Brésil, comme une menace ou même une attaque dirigée contre sa propre sécurité et sa propre indépendance. Il a dû considérer comme lui étant destiné le sort qui était fait à l'Etat Oriental.
Cette condition ne saurait manquer de paraître raisonnable au gouvernement de Votre Excellence qui a inspiré la création de l'Etat Oriental, et les ennemis du Paraguay, signataires du traité de 1828 que, de concert, ils violent aujourd'hui, ne sauraient regarder comme inacceptable ce que déjà ils ont accepté et signé.
Mais les conséquences inévitables et complémentaires de cette première clause, seraient l'évacuation immédiate du territoire du Paraguay par les armées et les escadres des alliés, et l'évacuation totale des pays de la Plata par les armées et les escadres du Brésil.
Sans cette condition, l'indépendance de la République Orientale ne serait qu'un simple mot.
Comme conséquence de cette évacuation, le Paraguay ferait cesser son occupation de Matto-Grosso, laquelle, ainsi que l'a déclaré le Paraguay dans son ultimatum du 30 août 1864, n'a été qu'une mesure de représailles que le Brésil, en envahissant le territoire oriental, l'avait mis dans la nécessité de prendre.
L'adoption d'un principe de compensation, largement interprété et appliqué, ferait disparaître toute réclamation réciproque pour pertes et préjudices subis.
Il va de soi que le Paraguay ne pourrait abandonner son attitude défensive que si ses agresseurs donnaient des garanties d'un désistement formel et définitif de leurs projets militaires, consignés dans le traité du 1er mai 1865.
Contre ce traité ont protesté explicitement toutes les Républiques du Pacifique, et, implicitement, les puissances maritimes de l'Europe et de l'Amérique.
L'abandon total et absolu de cette convention ne saurait donc être considéré comme une condition inadmissible et déraisonnable.
La garantie la plus efficace qui pourrait être donnée de ce désistement et de la sincérité des belligérants, dans la conclusion de la paix sur la base déjà indiquée, serait la ratification et la confirmation du principe de la libre navigation des affluents de la Plata, pour tous les pavillons. Ce principe serait celui du traité de 1853, contre lequel avait protesté Buenos-Ayres. A ce traité devraient adhérer maintenant, tant le Brésil, la République Orientale et la Confédération Argentine, dont Buenos-Ayres fait actuellement partie, que l'Angleterre et toute autre puissance commerciale qui le voudrait accepter.
Le Paraguay, comme principal intéressé à cette garantie, s'empresserait de souscrire le dit traité, bien qu'il ait déjà son traité de libre navigation avec les États maritimes de l'Europe et de l'Amérique.
Ceux qui ont invoqué le principe de la libre navigation fluviale pour porter la guerre contre le Paraguay, ne pourraient le renier quand il serait invoqué en faveur de la paix. Mais il ne suffirait pas qu'ils déclarassent que ce principe est consigné dans leurs lois intérieures et dans des traités entre riverains. L'expérience a prouvé que tout principe de ce genre, qui n'est pas consigné dans des traités avec une ou plusieurs puissances commerciales de l'Europe, ne peut être considéré comme pourvu de garanties suffisantes.
Pour assurer la paix, Milord, il est indispensable de bien connaître ce qui l'a troublée et ce qui s'oppose à son rétablissement. Le Brésil ne serait pas dans la Plata, si sa présence et sa coopération n'avaient été et n'étaient encore nécessaires à l'existence du gouvernement faible et fragile que la République argentine a reçu des mains de Buenos-Ayres qui rêvait un monopole inconciliable avec les libertés commerciales que l'Europe désire dans ces contrées. Et comme la guerre est indispensable au maintien de l'alliance qui retient le Brésil dans la Plata, le gouvernement argentin actuel qui ne vit que par cette alliance, persistera dans une guerre qui lui donne sa raison d'être. C'est là ce qui a rendu vaines, jusqu'ici, toutes les tentatives de médiation, faites d'abord pour prévenir et, plus tard, pour terminer cette guerre.
En appuyant un gouvernement qui fait de la guerre son moyen d'existence, en l'appuyant surtout aux dépens du Paraguay et des pays intérieurs de la Plata qui ont les mêmes intérêts et la même destinée que le Paraguay, un pouvoir ami donnerait involontairement son concours à la guerre qu'il désire éviter, et à la politique restrictive qui est opposée à ses vues de libre trafic. Je me permets de signaler à l'attention de Votre Excellence cet obstacle à la paix, pour qu'elle ne croie pas que toutes les difficultés viennent du Brésil. Bien que moins ostensibles, les plus tenaces viendront d'un autre côté, et cette considération me persuade, M. le ministre, que si une médiation ne doit avoir lieu qu'à la condition d'être demandée par toutes les parties belligérantes sans exception, elle courra le danger de n'être jamais tentée.
Maintenant, Milord, il me reste à parler d'une condition qui relève de Votre Excellence, condition de laquelle dépendra le sort entier de toute négociation. Je me réfère aux dernières paroles de la note de Votre Excellence du 25 mars, à laquelle j'ai l'honneur de répondre. Si le gouvernement de Sa Majesté Britannique croyait, comme préliminaire à l'exercice de ses bons offices, devoir insister sur la sortie des sujets anglais employés par le Paraguay, il serait plus que probable que le Brésil n'admettrait plus aucune proposition de paix, du moment qu'il pourrait encore nourrir l'illusion de remporter quelque victoire, par suite de la perte pour le Paraguay de cet élément de force. Je me flatte, Milord, que cette grave considération contribuera à vous maintenir dans la sage réserve, avec laquelle Votre Excellence a su conduire jusqu'ici cet incident délicat, qui intéresse à un haut point un pays ami passionné de la Grande-Bretagne.
Votre Excellence me permettra aussi d'insister respectueusement sur ce fait que, par un malentendu involontaire, on a pu représenter comme détenus les individus qui sont allés librement au Paraguay, qui y ont renouvelé librement leurs contrats, qui sont libres de sortir aujourd'hui même du Paraguay par sa frontière occidentale, sans nécessité de toucher le territoire de ses ennemis. On répond à cela que la voie de la Bolivie est impraticable; et pourtant, Milord, cette voie a été suivie pendant deux siècles, car le Paraguay, comme tous les établissements formés dans cette contrée, a reçu de l'Espagne tous ses habitants et les premiers éléments de sa colonisation, à travers presque tout le territoire de l'Amérique du Sud, par Puerto Bello (Panama), qui est beaucoup plus éloigné qu'Arica et Cobija de la ville de l'Assomption. Seulement, l'immense supériorité de la voie directe fait passer pour impraticable ce chemin qui, pendant des siècles, a été considéré comme le plus naturel. Et loin de préférer le vieux système, le gouvernement du Paraguay a pris lui-même l'initiative du système moderne, en signant son traité de navigation fluviale du mois de mars 1853.
Quant aux Anglais, en très-petit nombre, qui servent au Paraguay, Votre Excellence me permettra d'ajouter qu'aucun d'eux n'a été employé au service militaire, qu'aucun d'eux n'est soldat. Ils ont été engagés comme ingénieurs et mécaniciens en Angleterre, en temps de paix, et cela pour se livrer aux oeuvres et aux travaux de la paix, qu'ils continueront après la guerre. Or, la vapeur et les machines servent à la production industrielle, et ni les machines ni les mécaniciens ne peuvent être considérés comme contrebande de guerre, bien que leurs travaux contribuent à augmenter la force d'un pays belligérant.
Veuillez, Milord, agréer la nouvelle assurance de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être, Monsieur le Ministre,
De Votre Excellence, le très-humble et très-obéissant serviteur,
Le Chargé d'affaires du Paraguay,
Signé: Gregorio Benitès.
E
Extrait du Blue Book (Livre Bleu.)
A Son Excellence lord Stanley, Principal Secrétaire d'Etat des affaires étrangères de Sa Majesté Britannique.
Légation du Paraguay.--Paris, le 13 mars 1868.
Milord,
La lecture de la Correspondance présentée au Parlement anglais par le gouvernement de Sa Majesté Britannique, m'a suggéré quelques réflexions que j'ai l'honneur de soumettre à la bienveillante attention de Votre Excellence, afin de remplir les recommandations de mon gouvernement, et de ne laisser échapper aucune occasion de prouver combien il désire rendre de plus en plus étroites ses relations d'amitié avec le gouvernement de Sa Majesté Britannique, que représente si dignement Votre Excellence.
L'importance attachée, par la correspondance dont il s'agit, aux avantages que le Paraguay, dans les circonstances actuelles, peut retirer des services professionnels des sujets anglais qui y résidaient dès avant la guerre, amène naturellement à cette conclusion que si le Paraguay se trouvait tout à coup privé de ce secours, ses moyens de défense seraient considérablement affaiblis. Si les services de ces sujets anglais avaient, en effet, l'importance capitale qu'on leur attribue, leur sortie du Paraguay, réclamée, bien entendu, sans la moindre intention hostile par un gouvernement neutre et ami, pourrait ainsi contribuer à la ruine du pays, et être regardée comme l'une des solutions désirées d'une guerre qui touche si fortement aux intérêts des neutres. Mais je crois, Milord, moi qui connais les ressources de mon pays, que cette solution, si elle était possible, aurait plus d'inconvénients que n'en offre une autre, déjà recommandée par le succès avec lequel elle a été plus d'une fois employée par le gouvernement de Sa Majesté Britannique, pour la pacification des Etats de la Plata.
Depuis trois ans déjà, l'honorable M. Thornton a annoncé, dans des notes qui ont été communiquées au Parlement, que cette guerre allait être facilement et promptement terminée. Il y a aujourd'hui six mois que l'honorable M. Gould a écrit, dans le Paraguay même, son mémorandum du 10 septembre sur l'état des opérations, mémorandum dans lequel il considère comme imminente la chute du maréchal Lopez.
Je crains, Milord, que les prophéties de ce genre, qui n'ont d'autre cause que le malheur qu'a mon pays de n'être connu même d'aucun de ses voisins, ne se renouvellent plus d'une fois avec le même résultat, si, comme je l'espère fermement, les alliés se voient déçus dans leur espérance d'un secours éventuel que pourrait leur apporter un différend avec l'Angleterre; mais, heureusement, ce différend n'existe pas et n'existera jamais, puisqu'il n'a ni cause ni raison d'être.
Dans cette persuasion, et voyant la juste anxiété que la prolongation de la guerre jette dans le commerce de tous les neutres, j'ai l'honneur de me permettre de signaler à l'attention de Votre Excellence un moyen de solution que, cette fois, la diplomatie pourrait peut-être employer avec le même succès qu'a obtenu plus d'une fois déjà, dans la Plata, le gouvernement de Sa Majesté Britannique. Ce moyen serait d'amener par des conseils le Brésil à s'abstenir. Or, ces conseils, le gouvernement de Sa Majesté Britannique a le droit de les donner, en vertu des traités de 1827, conclus par sa médiation. Par ces traités, le Brésil a renoncé à ses projets traditionnels d'annexion et de domination sur les pays de la Plata, et il a consenti à la formation de l'Etat Oriental, dont l'indépendance a été et est appelée à être la meilleure garantie de la libre navigation des affluents de la Plata, contre le monopole de Buenos-Ayres et du Brésil. Et comme le Paraguay, dans son ultimatum du 30 août 1864 (que je me permets d'envoyer ci-joint à Votre Excellence), n'a demandé au Brésil que de respecter et de ne pas occuper par ses armées l'Etat Oriental, dont l'indépendance est la garantie de celle du Paraguay lui-même, l'Angleterre verrait toutes les exigences de la justice satisfaites et tous les intérêts du libre commerce sauvegardés dans ces contrées, si elle obtenait du Brésil ce que déjà elle a obtenu de lui par son attitude puissante en 1827 et 1856, à savoir: que le Brésil retirât ses troupes des pays de la Plata, à des conditions honorables que jamais le Paraguay ne repousserait pourvu que des deux parts l'honneur fût sauf.
Le simple examen du traité d'alliance secret du 1er mai 1865, que le gouvernement de Sa Majesté a fait connaître au Parlement, fait voir que la guerre actuelle, par son but et par son objet, avoués dans ce document, est une dérogation virtuelle aux traités de 1827 et aux déclarations que le Brésil a faites plusieurs fois, de ne pas projeter des conquêtes territoriales dans les pays de la Plata.
Le Paraguay, Milord, ne demande autre chose dans cette guerre que le respect et le maintien d'un fait qui doit son existence à l'inspiration libérale de l'Angleterre: c'est-à-dire, l'indépendance de la Bande Orientale de la Plata contre les ambitions--naguère divisées, aujourd'hui alliées--de Buenos-Ayres et de Rio-de-Janeiro, sur l'embouchure de la Plata, qui est la clef du commerce direct entre l'Amérique intérieure et les puissances commerciales de l'Europe et du monde.
Je crois, Milord, pouvoir ajouter que cette solution serait aussi agréable à toutes les Républiques sud-américaines, que leur serait pénible celle que, peut-être, les alliés voudraient voir adopter et qui ne produirait, en dernier résultat, que le rétablissement indirect de la fermeture des affluents de la Plata, par la main la plus intéressée à écarter les embarras.
Il n'est pas difficile de croire, Milord, que les alliés désirent et sollicitent aujourd'hui une médiation des puissances neutres, qui leur fournisse le moyen de sortir avec avantage de leur position désespérée: mais il est à craindre qu'ils ne recherchent, par cette médiation, la même solution qu'ils ont poursuivie en vain par la guerre, c'est-à-dire l'affaiblissement ou la ruine de la puissance du Paraguay.
Le prétexte est de servir les intérêts de la liberté, bien qu'il s'agisse en réalité de servir les intérêts du monopole et de la routine, et, pour le dire aussi, les intérêts anti-britanniques dans lesquels Buenos-Ayres et Rio-de-Janeiro prétendent succéder aux anciennes métropoles des colonies, Madrid et Lisbonne, contrairement aux aspirations progressives du nouveau régime d'Amérique.
Que Votre Excellence daigne ne pas oublier qu'un gouvernement qui cherche avec tant de sollitude les émigrants Anglais, ne peut être accusé de vouloir la tyrannie ni le despotisme, car chaque Anglais apporte avec soi comme un fragment de la constitution britannique, cette charte de la liberté de l'homme.
D'autre part, pourquoi s'étonner, Milord, que le Paraguay empêche les étrangers de passer de son territoire sur celui de ses ennemis, lorsque ceux-ci, en bloquant le Paraguay, ne font autre chose que d'empêcher le passage des étrangers qui résident dans leurs territoires respectifs sur celui du Paraguay? Là est toute la pensée de la mesure prise par le Paraguay, mesure qui fait l'objet de la discussion. Il ne s'agit donc pas de faire du pays la prison de personne, mais d'empêcher que le moyen ordinaire de communication, que lui donne sa position géographique, ne devienne pas, dans les circonstances exceptionnelles où il se trouve, un privilége pour ses ennemis et un désastre pour lui-même.
C'est avec plaisir, Milord, que je profite de cette occasion pour renouveler à Votre Excellence l'assurance de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être, Monsieur le Ministre,
De Votre Excellence,
le très-humble et très-obéissant serviteur,
Le Chargé d'affaires du Paraguay,
Signé: Gregorio Benitès.
F
Réponse du maréchal Lopez, Président du Paraguay, aux généraux alliés qui l'avaient sommé de se rendre.
Quartier général de Piquisiry, le 24 décembre 1868, à trois heures du soir.
Je devrais peut-être me dispenser de répondre par écrit à Vos Excellences. Le langage inusité et blessant de Vos Excellences, pour me dire qu'elles croient opportun de me sommer de déposer les armes, dans le délai de douze heures, afin de terminer une lutte prolongée, et sous peine de faire retomber sur moi, devant mon pays, devant les nations représentées par Vos Excellences et devant le monde civilisé, la responsabilité du sang versé déjà et celui qu'il faudra verser encore, n'est pas de nature à m'en faire un devoir; cependant, je veux m'en faire un devoir; je veux ainsi rendre un éclatant hommage à la générosité de tous ceux, amis ou ennemis, qui ont versé ce sang précieux, aux sentiments religieux que Vos Excellences invoquent, et à la civilisation.
Telles sont précisément les considérations qui m'ont amené, il y a plus de deux ans, à faire taire en moi les scrupules que pouvaient y susciter les procédés peu courtois dont on a toujours usé officiellement envers, je ne dirai pas ma personne, mais l'élu de ma patrie. Alors je cherchais à Yataity-Corá, dans une entrevue avec S. E. le général en chef des armées alliées, président de la République Argentine, brigadier général D. Bartolomé Mitre, la réconciliation de quatre Etats souverains de l'Amérique du Sud qui, déjà, avaient commencé à s'entre-détruire d'un manière cruelle; je la cherchais avec une loyale et généreuse ardeur, et mes efforts n'ont rencontré chez les gouvernements alliés que silence et mépris, et chez leurs représentants armés, ainsi que Vos Excellences se qualifient, que dispositions pour de nouvelles luttes plus destructives encore.
Alors, je vis plus clairement la tendance de la guerre chez les alliés; je ne doutai plus un seul instant de leurs intentions touchant l'existence de la République du Paraguay et, tout en déplorant les maux de cette lutte si longue et si acharnée, je dus garder le silence à mon tour; je dus, m'en remettant au Dieu des nations du sort de ma patrie et de ses généreux enfants, combattre ses ennemis avec énergie et loyauté, comme je l'ai fait et comme je le ferai encore, jusqu'à ce que les armes prononcent définitivement entre nous.
Vos Excellences ont jugé convenable de me faire savoir qu'elles connaissent mes ressources, dans l'hypothèse, sans doute, que je connais les leurs et la faculté qu'elles ont de les augmenter sans cesse. Je ne connais qu'une chose, et c'est une expérience de plus de quatre ans qui me l'a apprise: les forces numériques de Vos Excellences et toutes leurs ressources n'ont jamais découragé le soldat paraguayen, qui se bat avec la résolution et l'abnégation d'un citoyen dévoué, d'un chrétien disposé à mourir, avant de souffrir que sa patrie soit humiliée.
Vos Excellences ont bien voulu me faire observer que le sang versé à Ytasoro et Avahy aurait dû me conseiller d'éviter qu'il en fut versé encore le 21 courant. Vos Excellences ne voient pas que dans ce même sang versé du côté des Paraguayens, se trouve la preuve éclatante de l'abnégation de mes compatriotes, pour qui chaque effusion nouvelle d'un sang si cher devient une nouvelle et plus impérieuse obligation. Et devant ces exemples si beaux, les menaces de Vos Excellences pourraient m'intimider! Non; ces menaces, fussent-elles même aussi chevaleresques qu'elles le sont peu, n'auraient jamais cette puissance sur mon pauvre coeur.
Vos Excellences sont mal venues à m'accuser devant mon pays que j'ai défendu, que je défends encore et que je défendrai toujours. C'est lui qui m'a imposé ce devoir, et je le remplirai religieusement jusqu'à la fin. Quant au reste, l'histoire en jugera et je n'en dois compte qu'à Dieu. Si le sang doit encore être répandu, Dieu en imputera la responsabilité à qui elle est due.
Pour ma part, j'ai toujours été et suis encore disposé à traiter de la paix sur des bases également honorables pour tous les belligérants; mais je ne suis nullement disposé à écouter une sommation de déposer les armes. En transmettant cette résolution à Vos Excellences, j'accomplis un devoir sacré envers la religion, l'humanité et la civilisation, en même temps que je suis l'écho du cri unanime que je viens d'entendre, poussés par mes généraux, officiers et soldats, auxquels j'ai communiqué la note de Vos Excellences, et que j'obéis à ce que me prescrivent à moi personnellement l'honneur et ma dignité.
Vos Excellences voudront bien me dispenser de citer la date et l'heure de la sommation que j'ai reçue dans mes retranchements, à 7 heures et un quart de ce matin, car la note de Vos Excellences n'a apporté ni la date ni l'heure de son expédition.
Que Dieu garde Vos Excellences!
Signé: Francisco S. Lopez.
A LL. Exc. MM. le maréchal marquis de Caxias, le colonel major D. Enrique Castro et le brigadier général D. Juan A Gelly y Obes.
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS
I.--MM. Alfred du Graty. Martin de Moussy, Santiago Arcos, John Le Long
II.--Les télégrammes brésiliens. Attitude nouvelle de la presse en France et en Angleterre
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER
LA POLITIQUE DU PARAGUAY
I.--Les deux époques: Francia et Rosas
II.--Le Paraguay contraint à faire la guerre
CHAPITRE II.
LE CONFLIT PLATÉEN
I.--Provocations du Brésil
II.--Provocations de Buenos-Ayres
CHAPITRE III
MARCHE INCESSANTE DES PORTUGAIS ET DES BRÉSILIENS
VERS LA PLATA
I.--La tradition portugaise
II.--But de la politique brésilienne
CHAPITRE IV
ANTAGONISME ENTRE BUENOS-AYRES ET LES 13 AUTRES
PROVINCES ARGENTINES
I.--Prétentions exorbitantes de la province de Buenos-Ayres
II.--Le programme arrêté à Rio-de-Janeiro et à Buenos-Ayres
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE PREMIER
LA POLITIQUE DE LA FRANCE ET CELLE DE L'ANGLETERRE DANS LA PLATA
I.--Le Congrès de Vienne et la Liberté des fleuves
II.--Origine du commerce français dans la Plata
III.--Politique commerciale et humanitaire de la Grande-Bretagne dans la Plata
IV.--Le traité Mackau et ses conséquences
V.--Etablissement de l'équilibre platéen
CHAPITRE II
CARACTÈRE DE BARBARIE IMPRIMÉ PAR LES ALLIÉS
A LA PRÉSENTE GUERRE
I.--Florida, Paysandù, Yatay, Uruguayana
II.--La capitulation du Chaco
III.--Enrôlements des esclaves et des forçats
CHAPITRE III
LA CONSPIRATION PARAGUAYENNE
I.--Mouvement circulaire des alliés et évacuation de l'Assomption
II.--M. Washburn
III.--Le maréchal Caxias
CHAPITRE IV
Le pillage de l'Assomption
NOTES
A.--Circulaire adressée aux puissances neutres, par M. Caminos, ministre des affaires étrangères du Paraguay, en date du 29 octobre 1868, au sujet de la guerre, et de la conspiration découverte à l'Assomption.
B.--Note de M. Andrès Lamas, ministre de la République Orientale, à Rio-de-Janeiro, adressée au ministre des affaires étrangères du Brésil, en date du 28 février, et relative à l'offre de médiation faite par les Etats-Unis aux belligérants.
C.--Note de M. Lamas adressée, le 7 mars, au ministre des affaires étrangères du Brésil, sur le même sujet.
D.--Note de M. Grégorio Benitès, Chargé d'affaires du Paraguay, adressée à lord Stanley, Principal Secrétaire d'Etat des affaires étrangères, à propos de la guerre et de quelques nationaux anglais résidant au Paraguay.
E.--Note du même Chargé d'affaires, adressée à lord Stanley sur le même sujet.
F.--Réponse du maréchal Lopez, président du Paraguay, aux généraux alliés qui l'avaient sommé de se rendre.
Paris. Imprimerie A.-E. Rochette, 72-80, Bd Montparnasse.