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La Suggestibilité

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Genres de suggestions

Suggestibilité
immédiate.
Suggestibilité
médiate.
Position anormale
Forme anormale
Écran coloré
Encadrement
Couleur suggérée verbalement
Rang suggéré verbalement
47.8
43   
38.1
30.4
28.8
19.4
22.2
13.8
  5.8
  5.3
  4.4
  0.5

Ces chiffres montrent que la suggestion immédiate a toujours été plus forte que la suggestion médiate. Ils montrent aussi que la suggestion verbale, qui est directe, a toujours été moins efficace que la suggestion provenant des circonstances de forme et de position. Sidis en conclut qu'à l'état normal, la suggestion directe a moins de succès que la suggestion indirecte; cela est vrai pour le cas présent. Il est à regretter que Sidis n'ait point interrogé ses sujets après les expériences pour leur faire rendre compte pourquoi ils avaient été sensibles à telle suggestion et non à telle autre.

Nous ne savons pas encore quel parti on pourrait tirer de tout cela pour la psychologie individuelle.

Les prestidigitateurs, que Sidis ne cite pas, font depuis longtemps des expériences analogues aux siennes.

Les prestidigitateurs ont le secret d'un moyen qui permet d'agir sur le choix d'une personne à son insu; mais l'effet de cette expérience est, paraît-il, si inconstant qu'on commettrait une faute en y comptant trop; on opère de la manière suivante: trois objets rangés à côté les uns des autres, trois cartes, trois muscades, trois oeufs, enfin trois objets quelconques, sont présentés à une personne pour qu'elle en désigne un; on n'ajoute rien, on n'exerce aucune pression avec le geste ou la parole; ceux qui ont eu l'occasion de présenter ainsi des objets disent que le plus souvent c'est l'objet du milieu qui est choisi. Pourquoi? Je n'ai pas pu en deviner la raison. Un prestidigitateur, M. Arnould, m'a proposé l'explication suivante, qui est fort ingénieuse: on désigne le plus souvent l'objet du milieu, dit-il, parce que c'est l'objet le plus facile à désigner. Dans cette expérience, l'opérateur et le spectateur sont face à face; si le spectateur désigne l'objet de gauche, il faudra ajouter qu'il entend parler de la gauche de l'opérateur ou de sa gauche à lui; comme on ne lui demande qu'un mot, il désigne l'objet du milieu; c'est plus commode.

On peut également prévoir le choix s'exerçant entre vingt et trente objets différents; la difficulté paraît cependant beaucoup plus grande. Decremps nous en fournit un exemple. Cet ancien auteur décrit un tour dans lequel on étale sur une table quinze paquets de deux cartes chacun, et on prie les spectateurs de penser chacun à un paquet au hasard; peu importe que plusieurs pensent le même ou non. Or, remarque bien ingénieuse, si l'on a formé un paquet de deux cartes notables et de même couleur, telles que le roi et la reine de coeur, on est presque assuré que sur cinq à six spectateurs, il y en aura deux ou trois qui penseront à ce paquet. Pourquoi? Parce qu'ils trouveront, dit Decremps, plus facile de retenir dans leur mémoire le roi et la dame de coeur, que deux autres cartes mal accouplées, telles que le sept de carreau et l'as de pique. On voit que c'est toujours le même principe. Entre plusieurs actes possibles, quand tous sont indifférents, on choisit celui qui présente le plus de facilité d'exécution.

Je terminerai en exposant, pour la première fois, une série d'expériences que j'ai faites sur des adultes et des enfants d'école, relativement à des mouvements et à des actes très simples, qui peuvent être prévus d'avance. Ce sont des expériences très analogues à celles de Sidis; elles ont été faites il y a environ quatre ans, et je n'avais pas encore eu jusqu'ici l'occasion de les faire paraître.

1° LA LIGNE DROITE

Si on prie une personne de tracer une ligne droite sur une feuille de papier, sans ajouter d'autre indication à cette invitation, on pourra constater déjà, dès cette première expérience si simple, que les individus sont soumis à un grand nombre d'habitudes communes et que tous ou presque tous se comportent de la même façon; la ligne droite demandée sera tracée de la main droite (par tous les droitiers); elle sera tracée le plus souvent dans le sens horizontal et non dans le sens vertical; ou pour être plus exact, nous dirons que le sens suivi est légèrement oblique de gauche en haut; elle sera tracée de gauche à droite, sens ordinaire de notre écriture et de notre lecture; tout cela est fait machinalement, sans volonté délibérée. La longueur de la ligne tracée, quoiqu'elle paraisse dépendre entièrement des caprices de notre volonté, est au contraire soumise à des conditions aussi étroites que la direction de la ligne; seulement quelques-unes de ces conditions varient avec: 1° l'âge des individus: 2° la position de leur corps; 3° la grandeur du papier. Je ne veux parler ici que de la position du corps. Pour se rendre compte de son influence sur la grandeur de la ligne et des lettres tracées, je citerai seulement l'expérience suivante: le sujet est assis à une table, la main appuyée, il trace une lettre ou une ligne; on le prie, sans changer la position de sa main et de son avant-bras, de rapprocher ses yeux du papier, aussi près que possible, et on lui fait écrire la même lettre; ensuite, on lui fait éloigner autant que possible la tête du papier, il la porte en arrière, la position de la main restant invariable, et on lui fait écrire de nouveau la même lettre; dans ce cas on observe que le deuxième spécimen d'écriture est plus petit que le premier, et que le troisième est beaucoup plus grand; la différence de grandeur dépend de l'état d'esprit du sujet, il peut soit écrire machinalement sans se préoccuper de la grandeur qu'il donne à sa lettre ou à son trait, soit faire un effort pour conserver dans toutes les positions la même amplitude; dans ce dernier cas la différence de grandeur est moins considérable, mais elle subsiste, ce qui prouve qu'il y a là un fait d'adaptation qui ne peut pas être complètement supprimé par la volonté. Je ne me rends pas un compte exact du mécanisme de cette adaptation. Il faut remarquer qu'on peut disposer l'expérience de manière à ce que ce soient les mêmes muscles de l'avant-bras qui entrent en jeu dans tous les cas; ce n'est donc pas une différence dans la nature des muscles qui explique les différences de grandeur; l'effet tiendrait plutôt à une adaptation à la distance de vision; on écrirait en donnant aux lettres la grandeur nécessaire pour qu'elles puissent être lues à la distance où se trouve la tête du scripteur; par conséquent on ferait de plus grandes lettres quand on écrit de loin, le bras tendu.

2° UNE LIGNE DROITE COUPÉE EN TRAVERS PAR UNE AUTRE LIGNE DROITE

Je trace sur une feuille de papier une ligne épaisse, de gauche à droite; je donne à cette ligne horizontale une longueur de 2 à 3 centimètres; puis, je me tourne vers une personne présente, qui a suivi mon mouvement, et je la prie «de tracer une autre ligne en travers de la première». La plupart des personnes tracent la seconde ligne de manière à former une croix avec la première (fig. 1). En réalité, on aurait pu obéir à la demande de l'expérimentateur en faisant une figure tout à fait différente. Or, remarquons à combien de suggestions le sujet a obéi sans s'en douter: 1° il fait la seconde ligne au milieu de la première; 2° il la fait perpendiculaire à la première; 3° de longueur égale à la première, en général un peu plus courte; 4° les deux moitiés de la ligne ajoutée sont égales entre elles. Toutes ces suggestions n'opèrent pas constamment en bloc; certaines peuvent faire défaut; ainsi, il est arrivé deux fois seulement qu'on a fait une oblique au lieu d'une perpendiculaire; deux fois aussi l'oblique s'est arrêtée à la ligne sans la couper; dans tous les cas l'oblique était dirigée de haut à gauche.


Fig. 1.—Expérience de suggestion consistant à tracer une seconde ligne en travers de la première. Au-dessous de chaque figure est noté le nombre de fois qu'elle a été réalisée par des personnes différentes.

L'état mental des sujets dans les expériences de ce genre est facile à décrire d'une manière générale; quand on leur demande pourquoi ils ont dessiné une croix plutôt que telle autre figure, ils ont en général l'une ou l'autre de ces deux réponses: «Vous m'aviez dit de faire une croix», ou bien: «J'ai tracé la croix machinalement, sans y penser, parce que cela m'était plus commode.» Dans les autres expériences que nous décrirons, l'état mental du sujet est de même nature; c'est en somme un état de subconscience, d'automatisme. Comment expliquer cette uniformité des dessins? J'ai imaginé deux explications:

a. La première invoque une tendance à la symétrie.

Nos yeux sont habitués dès l'enfance à la symétrie des formes; notre corps, celui de la plupart des animaux, les organes des plantes, les objets que nous fabriquons et dont nous nous servons habituellement présentent à des degrés divers, une symétrie bilatérale ou radiaire; nous sommes en outre habitués à attacher une idée de beauté à la symétrie. Si donc nous avons une tendance à dessiner une figure symétrique c'est parce que l'habitude a fourni notre mémoire d'un grand nombre de figures de ce genre, et qu'en outre nous attachons à ces sortes de figures un sentiment de plaisir esthétique. Cette première explication est un peu vague. En voici une seconde qui me paraît plus précise.

6. La première ligne, tracée par l'expérimentateur, rappelle le premier bras d'une croix, et donne la suggestion de cette figure, qui est connue de tout le monde; on a une tendance à réaliser l'image évoquée, puisqu'il n'y a pas de motif spécial pour la repousser, et par conséquent on trace la seconde ligne de manière à ce qu'elle forme une croix avec la première.

L'incertitude sur le vrai mobile de l'acte montre à quel point nos actes habituels se produisent en dehors de notre conscience claire.

3e UN POINT DANS UN CERCLE

Je fais tracer un cercle au crayon, en suivant le contour d'une pièce de monnaie, puis je demande à ce qu'on trace dans le cercle un point aussi léger que possible, à peine visible. Quatorze sujets sur quinze ont tracé leur point au centre, ou rapproché du centre. Ils ont obéi, je suppose, à un besoin de symétrie, peut-être aussi à l'habitude que nous avons d'attacher de l'importance au centre du cercle. Beaucoup de personnes avant de marquer le point demandent s'il faut le marquer au centre; au lieu de répondre directement on insiste sur la nécessité de faire un point à peine visible.

4º LIGNES DANS UN CARRÉ

On trace un carré ayant 3 centimètres de côté, puis on demande à une personne de tracer une ligne droite dans ce carré; la ligne faite, on en demande une seconde, et ainsi de suite jusqu'à cinq (fig. 2). Pour comprendre les résultats qu'on obtient, il faut d'abord se rendre compte des suggestions que provoque l'aspect d'un carré: on pense le plus facilement à des lignes passant par le milieu du carré, c'est-à-dire à une ligne verticale, à une ligne horizontale partant toutes deux du milieu d'un côté, et à une diagonale. Dans la majorité des cas, les sujets tracent une ligne verticale ou une ligne horizontale pour commencer, et non une diagonale; et cela se comprend, car l'une ou l'autre des deux premières lignes donne à la figure un aspect satisfaisant, tandis que le diagonale donne une impression de figure inachevée. Telle est donc la première suggestion à laquelle on obéit, et il faut remarquer que cette suggestion résulte d'une tendance à la symétrie. Les quatre autres lignes qu'on trace sont également le développement d'une idée de symétrie; mais le type choisi varie avec les individus; les uns se bornent à des lignes parallèles, les autres font un quadrille, les autres font intervenir les diagonales. Ce qu'il y a de curieux, c'est que lorsque l'idée de symétrie qui a dirigé les premières lignes est épuisée, le sujet s'arrête avec embarras; nous l'avons observé notamment dans le cas de symétrie des figures 3 et 4; la cinquième ligne est dans ce cas difficile à trouver parce qu'il faut adopter une idée différente.

Deux personnes seulement ont fait des lignes au hasard, semble-t-il, dans l'intérieur du carré; mais on trouve encore dans ces lignes quelques traces de symétrie: quelques-unes en effet sont parallèles. Si on interroge les personnes qui ont fait ces dessins de type aberrant, elles avouent le plus souvent que leur première idée a été de faire un dessin symétrique, mais que pour une raison ou une autre elles ont résisté à cette idée, au lieu de s'y conformer. Leur cas n'est donc pas une négation de l'habitude.


Fig. 2.—Expérience de suggestion, consistant à tracer des lignes droites dans un carré. Au-dessous de chaque carré est un chiffre indiquant le nombre de fois que la figure a été réalisée par des personnes différentes.

Comme il est tout à fait vraisemblable que l'idée de la symétrie a guidé la main des sujets, j'ai voulu savoir comment se comporteraient des personnes auxquelles l'idée de la symétrie ne serait pas imposée par les habitudes de l'écriture et du dessin. Je me suis adressé à une classe de 43 enfants d'école primaire, ayant en moyenne six ans, et ne sachant pas encore écrire autre chose que des barres. Je leur fais tracer un carré, et ensuite des lignes dans le carré, à leur fantaisie; l'expérience est faite collectivement. Or, dans toutes les figures, sauf deux, le dessin des lignes traduit la symétrie la plus nette; les lignes sont tracées d'un bout à l'autre du carré; dans 34 figures, il y a des horizontales, dans 38 des verticales, et dans 10 seulement des diagonales (ce qui prouve que l'idée de la diagonale est plus complexe que celle de l'horizontale et de la verticale). Ces expériences démontrent par conséquent que la tendance à la symétrie dans les dessins est antérieure à la période d'instruction. (Voir p. 78 la série de figures qui ont été dessinées; nous indiquons au-dessous de chacune le nombre d'enfants qui l'ont dessinée.)

Pour compléter nos renseignements sur cette expérience, ajoutons que les feuilles de papier sur lesquelles les enfants ont fait leurs dessins avaient 16 centimètres sur 10 centimètres; les carrés qu'ils ont tracés ont en moyenne deux centimètres de côté.

5° LES DEUX CERCLES

On trace un petit cercle d'un centimètre de diamètre, et on prie le sujet de tracer, exactement à 3 centimètres de distance, un second cercle. La tendance spontanée et presque universelle est de tracer un second cercle égal au premier. On recommence en faisant un cercle assez grand, de 6 centimètres de diamètre, et la personne, en cherchant à garder cette même distance de 3 centimètres, se conforme de nouveau au modèle qu'on lui fournit et fait un cercle de 6 centimètres environ; rien n'est plus curieux et comique que ces changements que le sujet fait subir au cercle qu'il trace pour imiter l'expérimentateur. Si on analyse avec grand soin son état mental, on voit qu'il ne s'est pas imaginé nettement qu'on lui avait dit de faire des cercles semblables; il peut le soutenir à tort; en réalité, il n'a pas cru se conformer à une demande expresse, il a fait cela machinalement, en se laissant impressionner à son insu par l'image du cercle qu'il avait sous les yeux. C'est de la même façon qu'on élève la voix pour parler à quelqu'un qui parle fort ou qu'au contraire on se met à l'unisson de quelqu'un qui parle bas et lentement, ou qu'on racle sa gorge dans une bibliothèque quand on entend quelqu'un en faire autant.

Notons en passant que la copie se fait d'ordinaire à droite du modèle, et que la distance placée entre les deux cercles croît avec la grandeur de ceux-ci; mais ce sont là des effets tenant à d'autres causes que l'imitation; nous ne les examinerons pas ici.

6° LE CHOIX D'UN CARRÉ

On prend une feuille de papier de dimensions ordinaires (17 sur 22 centimètres), on la divise en seize carrés égaux en la pliant, on montre la feuille dépliée à une personne, et on lui demande de marquer un point au crayon dans le centre de l'un des carrés; peu importe le carré, lui dit-on, l'essentiel est que le point en occupe exactement le centre.

A priori on pourrait supposer que le sujet a seize carrés qui sont tous également à sa disposition, et qu'il peut, à son choix, prendre le premier, ou le septième, enfin l'un quelconque de ces seize carrés; mais, en réalité, si on fait l'expérience, on trouve que la plupart des personnes choisissent les carrés du milieu; en numérotant les carrés de haut en bas, par colonnes descendantes, et en commençant par les colonnes de gauche, on trouve que les carrés choisis le plus souvent sont le sixième, le septième, le dixième, le onzième, c'est-à-dire les quatre du centre (fig. 3) 33. Voici quelques chiffres; nous indiquons, en face de chaque carré, par combien d'élèves il a été choisi.

Note 33: (retour) La figure 3 est explicative, rien de plus; il est évident que lorsqu'on a fait l'expérience, tous les carrés étaient vides, aucun n'était pointillé; de plus, les points marqués sur la figure 3 indiquent seulement le nombre de fois que tel carré a été choisi; ils ne reproduisent pas la position des points qui ont été réellement marqués.
12 sujets
8 sujets
4 sujets
5 sujets
2 sujets
4 sujets
7e carré
6e carré
11e carré
10e carré
1er carré
2e carré


Fig. 3.—Expérience de suggestion consistant à marquer un point au centre d'un des 16 carrés au choix. Les chiffres inscrits à la gauche et en haut de chaque carré donnent le moyen de reconnaître les Carrés; c'est une notation artificielle faite après les expériences, et qui par conséquent n'a pas pu guider les sujets.

Les carrés centraux ont été choisis le plus souvent, et parmi les centraux ceux qui se trouvent à gauche du centre. Il y a donc eu une sorte d'attraction exercée par le centre de la figure. Probablement aussi on a marqué les carrés du centre parce qu'ils offrent plus de commodité à la main. Notons aussi la tendance à écrire sur la partie latérale gauche de la feuille, ce qui provient certainement de l'habitude qu'on a d'écrire en commençant par la gauche de son papier.

Les expériences précédentes montrent qu'il existe un déterminisme de nos actes habituels, automatiques, c'est-à-dire des actes que nous exécutons avec une demi-conscience, sans exercer d'une manière particulière notre attention et notre volonté. Le hasard des recherches m'a mis sous les yeux toute une série d'expériences qui montrent avec une pleine évidence que ces actes, en apparence capricieux et sans règle, s'exécutent avec une telle uniformité qu'on peut le plus souvent les prévoir d'avance. La démonstration expérimentale de ce que j'avance tient dans la proposition suivante: tout individu placé dans certaines conditions, et croyant agir librement, se comporte en réalité de la même manière que les autres individus; ce qu'ils ont en commun, c'est l'activité automatique. Mais précisément parce que cette activité automatique est commune aux individus, elle ne peut servir à la psychologie individuelle.




CHAPITRE II

L'IDÉE DIRECTRICE


Les expériences dont le récit va suivre ont été faites principalement dans une petite école primaire élémentaire de Paris; le nombre des élèves n'y dépasse pas 150, ils sont répartis en quatre classes. J'ai choisi cette petite école parce que j'avais besoin d'avoir des renseignements nombreux et intimes non seulement sur l'intelligence mais sur le caractère des élèves, et un directeur de petite école connaît mieux ses élèves qu'un directeur d'une école plus importante. Autant que possible, il ne faut rien laisser au hasard. Quand on fait un travail pour lequel on a besoin d'un grand nombre de sujets, par exemple dans les études anthropologiques sur la taille, la force musculaire, les relations entre l'intelligence et certaines qualités physiques, il faut préférer les écoles nombreuses; pour les recherches dans lesquelles on a besoin d'expériences délicates, prolongées sur un petit nombre de sujets bien connus, il faut aller dans les petites écoles.

Toutes les expériences ont eu lieu dans le cabinet du directeur et en présence de celui-ci; le directeur n'a été absent que deux ou trois fois. Il restait dans la pièce avec nous, et le plus souvent s'occupait de son côté à un paisible travail de bureau. Il agissait donc par action de présence; quelquefois il a surveillé une expérience, répétant à un élève la question que je lui avais posée, quand l'élève semblait ne pas la comprendre; mais c'était assez rare. Jamais il n'a grondé les enfants à propos des expériences. C'est un maître qui me semble doué de sérieuses aptitudes pédagogiques, il a beaucoup de douceur et de fermeté et sait se faire obéir sans élever la voix et sans punir.

Chaque élève entrait seul dans le cabinet du directeur, où il était envoyé à son tour par le professeur de la classe. Les enfants étaient calmes, polis, curieux des expériences. Je n'ai eu à réprimer aucun acte d'indiscipline, et ce n'est pas étonnant, puisque chacun d'eux restait en tête à tête avec moi. J'ai donc pu me laisser aller à une certaine familiarité avec eux, pour éveiller leur sympathie et dissiper leur timidité. On sait que lorsqu'on expérimente collectivement sur un groupe, il faut se surveiller davantage, car la familiarité de l'expérimentateur provoque facilement l'impertinence des enfants. Mais ce danger était écarté, car jamais un enfant n'a attendu dans le cabinet son tour de passer à l'expérience; ceux qui attendaient restaient en classe, par conséquent chaque élève était parfaitement bien isolé.

La petite école dont je parle a donc été mon centre d'opérations. Mais de temps en temps, je l'ai quittée pour aller répéter mes expériences dans une autre école primaire, située dans un autre quartier de Paris. Cette seconde école était pour moi une école de vérification. Les recherches par la suggestion sont très délicates; une indiscrétion d'élève peut quelquefois les fausser; je désirais donc me transporter parfois dans un milieu nouveau, pour rechercher si j'y obtiendrais les mêmes résultats 34.

Note 34: (retour) Je prie MM. Baltenweck et Pichorel de bien vouloir accepter mes remerciements pour la complaisance inépuisable avec laquelle ils ont favorisé mes recherches.

Enfin, quand toutes les expériences sur les enfants furent terminées, je jugeai utile de reprendre le travail sur des adultes, pour éclaircir quelques points douteux, et je fis des recherches dans deux écoles primaires supérieures de Paris, et dans une école normale d'instituteurs de province.

Je passe tout de suite à la description de mes expériences. Je vais d'abord parler de celles que j'ai faites sur l'influence d'une idée directrice.

Dans les pages précédentes, on a lu le compte rendu de plusieurs expériences dans lesquelles la suggestion donnée aux personnes était à peu près affranchie de toute action morale; cependant l'exclusion de l'action morale n'était pas complète; on n'était pas encore arrivé à la réduire à zéro. Par exemple, dans les études que nous avons faites en collaboration avec M. Henri, nous demandions à un certain moment à l'élève de chercher dans un tableau la ligne que nous lui avions montrée isolée. Cette ligne ne se trouvait pas dans le tableau; et cependant l'élève croyait souvent l'y trouver. Pourquoi commettait-il cette erreur? La principale raison, sans contredit, c'est que ce même élève avait déjà, dans deux expériences antérieures, cherché dans le tableau une autre ligne, et avait pu l'y reconnaître, car cette ligne existait réellement au tableau; l'élève était donc déterminé par ses essais antérieurs à croire qu'il pourrait trouver une troisième fois la ligne cherchée; les deux essais antérieurs créaient une présomption. Voilà la première raison, mais il y en a une autre, c'est la confiance que l'élève a dans les expérimentateurs. Quand nous le prions de chercher dans le tableau la ligne que nous lui montrons, l'élève n'a pas l'idée de soupçonner que nous lui tendons un piège, il nous croit sur parole, il se persuade que nous lui disons la vérité. Il y a donc dans cette expérience, sous une forme un peu indirecte il est vrai, une action personnelle, morale de l'expérimentateur sur son sujet.

On peut faire les mêmes remarques à propos des expériences de Seashore, que nous avons décrites en détail; le plan de ces expériences est très simple, avons-nous dit; il consiste à faire deux à quatre expériences sincères, puis, quand la routine est venue, quand l'habitude s'est formée, on fait une expérience à blanc, et le sujet se laissant entraîner par les essais antérieurs se comporte comme si la dernière expérience était sincère. Mais il est facile de comprendre que le succès dépend en bonne partie de la présence de l'expérimentateur et de la confiance qu'il inspire, ainsi que du milieu moral dans lequel il opère; le sujet ne songe pas que l'expérimentateur cherche à le tromper; s'il avait cette idée, il serait peut-être encore exposé à la suggestion, mais il ne s'y laisserait pas prendre aussi souvent.

J'ai donc cherché à imaginer un dispositif nouveau dans lequel toute influence morale provenant de l'expérimentateur serait rigoureusement exclue; et si je ne suis pas parvenu à atteindre complètement le but, je crois m'en être beaucoup plus rapproché qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Le dispositif auquel j'ai pensé est destiné à faire exécuter par une personne un petit travail qui fournit trés rapidement à cette personne une idée directrice. Cette idée directrice, c'est la personne elle-même qui la conçoit, par une opération d'auto-suggestion, et la suite de l'expérience montre jusqu'à quel point la personne a été sensible à cette idée directrice qui l'entraîne à des erreurs d'observation. Des épreuves ainsi imaginées présentent un intérêt véritable pour ce qu'on peut appeler la critique scientifique; car il est bien rare que les hommes de science observent et expérimentent sans avoir pour guide une idée directrice, dont ils poursuivent la vérification; et il est par conséquent utile d'avoir une méthode qui pourrait à l'occasion nous apprendre quelle est l'impartialité d'observation que possède un individu, et quelles sont ses aptitudes scientifiques. Du reste, l'intérêt de ces études ne se confine pas dans le domaine des sciences; elles ont une application pratique beaucoup plus large, car à chaque instant dans la vie nous sommes appelés à observer, et à tirer des conclusions de nos observations. Ne serait-il pas dès lors intéressant de savoir jusqu'à quel point nos facultés d'observation et de jugement peuvent être altérées par une idée préconçue? Idée directrice, idée préconçue, préjugé, parti pris, influence de la tradition, esprit conservateur, misonéisme des vieillards, tels sont les noms sous lesquels on désigne, suivant les circonstances, le phénomène mental que nous allons chercher à étudier, en l'isolant et en le grossissant.

Description de l'expérience.—Supposons qu'on nous montre successivement et isolément plusieurs lignes de longueur croissante, qu'on nous invite à les examiner, et à reproduire de mémoire chacune de ces lignes après l'avoir examinée pendant quelques secondes. Si l'accroissement des lignes est très net, très apparent, ce fait nous frappera, et se logera dans notre esprit comme une idée directrice; avant qu'on ne découvre l'une quelconque des lignes suivantes, nous nous attendrons à voir une ligne plus longue que la précédente. Voilà la suggestion. Remarquons bien que cette suggestion provient de l'examen des lignes et de la comparaison que le sujet fait entre les lignes successives; c'est une suggestion qui ne résulte pas de l'influence morale exercée par l'expérimentateur, et on pourrait à la rigueur, si c'était nécessaire, faire l'expérience en laissant le sujet seul, en présence d'un appareil qui découvrirait une série de lignes dans un ordre de succession. Je crois bien que dans ce dispositif expérimental la suggestion est aussi dépersonnalisée que possible; elle provient mécaniquement des choses matérielles qui impressionnent les sens du sujet.

Pour que la suggestion d'accroissement des lignes opère efficacement, il faut que l'ordre croissant des premières lignes soit tout à fait saisissant, même pour l'oeil le plus distrait.

J'ai adopté deux modèles d'expérience. Le second modèle me paraît être un perfectionnement du premier; je les décrirai tous deux, voulant décrire successivement tous mes essais; même les moins heureux peuvent nous apprendre quelque chose.

Ce chapitre sera consacré à la description du premier modèle.

Après quelques tâtonnements, j'ai adopté la série des 12 lignes suivantes:

TABLEAU DES LIGNES DESTINÉES À PROVOQUER UNE SUGGESTION D'ACCROISSEMENT
Ordre des lignes
Longeur
Ordre des lignes
Longueur

1
 2
 3
 4
 5
Piège 6


12 mm
24
36
48
60
60
7
Piège 8
9
Piège 10
11
Piège 12


72 mm
72
84
84
96
96

On remarquera, en examinant ce tableau, que les lignes n'augmentent pas suivant une progression géométrique, mais seulement suivant une progression arithmétique; la différence entre les lignes successives est constante, elle est de 12 millimètres. J'avais d'abord eu l'idée d'adopter une progression géométrique dont l'avantage est que les lignes successives sont toujours dans le même rapport, présentent la même augmentation relative de longueur. D'après la loi de Weber, de telles lignes présentent la même difficulté d'appréciation; mais à la réflexion, il m'a semblé que si la différence de longueur entre les premiers termes de la série géométrique est rendue assez forte pour créer rapidement une suggestion puissante, d'autre part, lorsqu'on arrive au terme où la progression doit cesser, la progression reste si forte qu'on ne pourrait probablement pas l'altérer—pour les besoins de la suggestion—sans éveiller l'attention de beaucoup de sujets. Pour ce motif, j'ai donné la préférence à la série qui suit une progression arithmétique.

L'expérience de suggestion consiste à briser brusquement cet ordre régulier dans l'accroissement des lignes; on n'interrompt pas l'ordre tout de suite, dès le début de la série, parce qu'alors le sujet n'est pas encore assez fortement impressionné par la suggestion d'accroissement pour que cette suggestion puisse l'entraîner à des erreurs. J'ai mis le piège à la 6e ligne, à la 8e, à la 10e et à la 12e.

Le piège consiste en ce que la 6e ligne est égale à la 5e. la 8e est égale à la 7e, la 10e est égale à la 9e, et la 12e est égale à la 11e. (Voy. le tableau, p. 88.) Lorsque le sujet examine ces quatres lignes spéciales, dont chacune est égale à la précédente, il se trouve soumis à deux impulsions de sens contraire; il a d'abord la suggestion générale de l'accroissement des lignes, suggestion qui s'exerce sur lui depuis le début de l'expérience; il a d'autre part, ou il peut avoir la perception directe de la ligne qu'on lui montre, perception qui, si elle se fait exactement, lui apprend que cette ligne n'est pas plus longue que la précédente.

Dans ces épreuves de suggestion, il faut régler avec le plus minutieux détail comment on opère, car beaucoup de circonstances qui paraissent à première vue insignifiantes peuvent exercer une grande influence sur les résultats. Il est incontestable que le sujet doit ignorer qu'on pratique sur lui une expérience de suggestion; pour rendre cette ignorance bien certaine, je pense convenable de donner à l'expérience un motif inexact.

Voici comment je la présente: «Nous allons, mon ami, faire une expérience de coup d'oeil; nous allons voir si vous êtes capable de vous rendre compte de la longueur d'une ligne; je vais vous montrer une ligne qui a par exemple 5 centimètres, et vous la reproduirez ensuite de mémoire; nous verrons ainsi si vous avez le coup d'oeil juste. Il y a des gens dont le coup d'oeil est si mauvais qu'ils reproduisent la ligne de 5 centimètres en lui donnant une longueur de 10 centimètres; c'est une erreur énorme. D'autres ne lui donnent que la longueur de 2 centimètres. Vous allez faire de votre mieux, j'espère que vous réussirez très bien, etc.». Puis j'explique au sujet comment il doit reproduire les lignes; il a à sa disposition du papier quadrillé, formé de lignes d'un gris bleuté qui sont distantes de 4 millimètres 35.

Note 35: (retour) Le quadrillage de 4 millimètres est une mesure usuelle en France; on fabrique cependant du papier avec un quadrillage de 5 millimètres. Ce quadrillage de 5 millimètres est loin d'être exactement observé sur toutes les feuilles et sur toutes les parties d'une même feuille; il se produit parfois des irrégularités qui peuvent dépasser 2 à 3 millimètres sur 10 centimètres.

J'ai employé le papier quadrillé pour deux raisons: la première raison est que par suite du quadrillage il est très facile à l'expérimentateur de calculer la longueur relative et les différences des lignes marquées, sans se servir d'un décimètre; la seconde raison est que le quadrillage du papier exerce une suggestion supplémentaire sur les sujets. C'est une chose curieuse que lorsqu'on a à faire sur une feuille quadrillée des points pour marquer une distance, on a une tendance à marquer ces points de préférence à l'intersection des lignes; c'est une suggestion à laquelle bien peu de personnes sont soustraites 36. Il était donc intéressant de rechercher dans quelle mesure les sujets seraient sensibles à la suggestion du quadrillage. Par suite de cette suggestion, les longueurs indiquées varient au minimum de 4 millimètres, elles sont faites à 4 millimètres près.

Note 36: (retour) C'est par un phénomène analogue que, comme Galton l'a montré, on a une tendance, lorsqu'on fait une estimation quelconque, à prendre le chiffre rond, 12 par exemple au lieu de 13; et si quelqu'un objectait que ces petites remarques sont d'une rare insignifiance, il serait facile de le réduire au silence en lui faisant remarquer, toujours d'après Galton, que cette tendance agit très fortement sur la fixation de la durée des peines par les juges: il est fort probable que l'individu qu'on condamne à dix ans de prison ne doit pas trouver insignifiant d'être condamné plutôt à neuf ans de prison; cette différence de durée, qui certes lui paraîtrait fort appréciable, est précisément due à la petite habitude mentale qui consiste à fixer l'attention de préférence sur des nombres ronds.

La feuille de papier mise a la disposition des élèves a 20 centimètres sur 15 centimètres; à 1 centimètre de son bord gauche est tracée une marge à l'encre; c'est à partir de cette marge que le sujet doit indiquer la longueur de la ligne qu'on lui présente; pour l'indiquer, il n'a pas à la tracer; il doit se borner à marquer un point à une certaine distance de la marge, ce point indique l'extrémité de la ligne, dont l'autre extrémité est supposée commencer à la marge.

Deux mots maintenant pour expliquer l'utilité de ces prescriptions. Toutes les lignes à tracer doivent partir de la marge; c'est pour que leur différence de longueur soit bien visible pour le sujet, car cette différence de longueur se manifeste spécialement par la position du point track. Si les lignes n'étaient pas bien alignées, si certaines partaient par exemple à 2 centimètres de la marge et d'autres à 5 centimètres, leurs différences réelles de longueur ne sauteraient pas immédiatement à la vue, d'où un affaiblissement de la suggestion relative à l'accroissement des lignes. Quant à la prescription de noter la longueur de chaque ligne par un point, au lieu de la tracer entièrement, elle a pour but, dans ma pensée, d'attirer l'attention du sujet sur la différence de longueur des lignes plutôt que sur la longueur absolue de chacune d'elles. Lorsqu'un sujet, après avoir vu une ligne quelconque et marqué sa terminaison, en regarde une seconde qui lui paraît plus longue que la précédente, il marque son point un peu plus à droite que le point de terminaison de la ligne précédente; s'il avait été obligé de tracer entièrement la ligne par un trait continu, son attention se serait portée tout spécialement sur la longueur absolue de la ligne, et cela aurait pu affaiblir l'effet produit par ce jugement que la seconde ligne est plus grande que la première.

Voici quelques détails sur les lignes modèles que je montre: elles sont tracées à l'encre sur une longue feuille blanche, leur épaisseur est de 1 millimètre; je les ai tracées les unes au dessous des autres parallèlement, en laissant entre elles un espacement de 2 centimètres; cet espacement est suffisant pour montrer une ligne isolément, en cachant les autres. La feuille des lignes modèles a une largeur de 14 centimètres; elle est posée à plat sur une grande table, devant moi, et de manière à ce que l'élève les voie à une distance de 50 centimètres de son oeil, et dans le sens horizontal; pour isoler les lignes je place dessus deux grandes feuilles de papier blanc très épaisses, bien unies, ne fournissant aucun point de repère; je déplace ces deux grandes feuilles de manière à découvrir successivement, dans l'intervalle qu'elles laissent libre, une des lignes du modèle.

Dès qu'une ligne a été perçue par le sujet, je la cache, pour qu'il ne puisse pas la regarder de nouveau après l'avoir reproduite, dans l'intention de contrôler ce qu'il a fait. Je l'avertis du reste qu'il ne doit point regarder deux fois la même ligne. Lorsque le sujet a reproduit une ligne et qu'il reporte les yeux vers le modèle, alors seulement je découvre la suivante, que j'avais tenue cachée jusque-là; je la découvre à ce moment, pour donner au sujet l'impression que c'est une ligne nouvelle; il pourrait, sans cette précaution, être tenté de croire qu'on lui montre toujours la même ligne. Parfois le sujet est très lent, très réfléchi, ou engourdi, et met beaucoup de temps à regarder les lignes et à les reproduire; d'autres sont au contraire très vifs. Je presse un peu les premiers, je ralentis un peu les seconds, pour que les intervalles entre les diverses présentations soient d'environ 7 secondes. Pendant toutes ces opérations, j'adresse quelques mots au sujet, afin de tenir son attention en éveil; mes paroles ne contiennent pas, c'est entendu, une suggestion précise; elles sont comme le bruit du fouet qu'on fait entendre au cheval pour l'animer. À chaque ligne que je découvre, je dis: Voici la première! Voici la seconde! et ainsi de suite. Dès que l'enfant a marqué son point, je dis: Bien! Je ne change point le ton, je n'excite pas davantage l'attention à un moment qu'à un autre.

Interprétation des résultats de l'expérience.—J'ai fait cette expérience, individuellement, sur 45 élèves appartenant à deux écoles primaires différentes. Ces 45 élèves se répartissent dans les 4 classes de leurs écoles, ils diffèrent beaucoup d'âge et d'instruction, les plus âgés sont presque des adultes, ils ont déjà leur certificat d'études, les plus jeunes viennent de quitter l'école enfantine. Il y en a:

2 de quatorze ans
7 de treize ans
10 de douze ans
6 de onze ans
8 de dix ans
3 de neuf ans
6 de huit ans
3 de sept ans

Tous les résultats, sans exception, qui m'ont été donnés par ces 45 élèves sont inscrits dans le tableau I, p. 94, où j'ai indiqué en millimètres la longueur que chaque élève a donnée à la première ligne, et les différences qu'il a données aux lignes suivantes. Ainsi, le premier élève, Nil..., a donné à la première ligne la longueur de 16 millimètres; la différence entre la première et la seconde ligne (qui était réellement de 12 millimètres) a été reproduite comme étant de 8 millimètres, de sorte que la seconde ligne reproduite par cet élève a 16 + 8 = 24 millimètres; et ainsi de suite; en suivant la colonne horizontale, on trouve toutes les différences de longueur marquées par ce même élève pour les autres lignes; ces différences sont des accroissements, quand elles ne sont précédées d'aucun signe; le signe + est alors sous-entendu; quand une ligne est marquée plus courte que la précédente, la différence est précédée du signe -. Pour que les lignes-pièges soient reconnaissables, les différences marquées à leur sujet sont écrites en caractères gras.

L'examen de ces chiffres nous suggère quelques remarques.

Parmi les lignes modèles montrées successivement, la plupart (8 sur 12) présentent une augmentation de longueur relativement à la ligne précédente. Ces accroissements réels de longueur ont été perçus par nos sujets: sauf l'exception d'un seul cas, nos sujets ont toujours marqué des accroissements de longueurs dans leurs reproductions, quand l'accroissement existait dans les lignes modèles. C'est ce que montre notre tableau I; toutes les différences de longueur indiquées par les élèves sont positives, quand les différences de longueur des lignes modèles étaient positives; il n'y a qu'une seule exception, commise par Delans., et elle est due sûrement à un moment d'inattention.

TABLEAU I.—Première expérience sur l'influence de l'idée directrice.



Remarquons aussi que tout en tenant compte de cet accroissement de longueur des lignes du modèle, les sujets ont diminué la valeur de cet accroissement dans leurs reproductions; il était constamment de 12 millimètres; les sujets l'ont fait parfois de 16, parfois de 12, et bien plus souvent de 8; ils ont donc à la fois perçu et diminué cet accroissement.

Cette diminution ne s'est pas faite au hasard; du moins, si, négligeant les cas individuels, on prend les moyennes, on voit que les élèves n'ont point donné la même valeur à tous les écarts, bien qu'en réalité ceux-ci eussent tous la même valeur; ainsi que c'est indiqué dans la dernière colonne horizontale de notre tableau I, le premier écart a reçu la valeur de 13mm,6; pour les autres écarts, la valeur a été diminuée; elle passe par une série d'irrégularités, elle est d'abord de 8, puis de 9, puis de 7; dans l'ensemble, elle tend à diminuer, ce qui est conforme à cette règle de psycho-physique que nous ne percevons pas les différences absolues, mais seulement les différences relatives des sensations; il n'y a pas lieu de chercher ici une plus grande précision de la loi psycho-physique, car elle est très probablement contrariée par des influences complexes.

Ainsi, en résumé, nous observons que les élèves ont reproduit les accroissements successifs des lignes modèles; mais ils ont reproduit ces accroissements en les diminuant, et cette diminution a été d'autant plus forte, en général, que la longueur absolue des lignes était plus grande.

Ce n'est pas tout; nous pouvons dégager en outre, dans nos résultats, une autre influence, celle de la suggestion; et il est bien curieux de voir que le simple trace d'une longueur de ligne obéit à tant d'influences diverses, et qu'on peut établir l'existence de chacune de ces influences avec certitude, si on ne peut pas l'évaluer quantitativement. La suggestion, disons-nous, a eu une influence sur le tracé de l'accroissement des lignes; nous parlons ici seulement des lignes du modèle dont l'accroissement est réel, et non des lignes-pièges qui sont pour le moment hors de question. Pour ces lignes du modèle dont l'accroissement est réel, le sujet a eu une tendance à augmenter leur longueur; s'étant aperçu en les copiant qu'elles étaient en ordre croissant, il a reçu de cette idée une impulsion inconsciente à augmenter les longueurs. C'est ce dont nous avons pu nous convaincre en priant ces mêmes élèves, dans une autre circonstance, de copier isolément une seule ligne. Nous leur avons montré une ligne unique de 60 millimètres, et nous la leur avons fait copier sur du papier quadrillé, par le procédé qui nous sert dans nos expériences; or cette ligne copiée isolément, sans idée directrice d'accroissement, est presque toujours beaucoup plus courte que la ligne 5, de 60 millimètres aussi, que le sujet copie après avoir été entraîné par la copie des lignes 1, 2, 3 et 4, qui sont plus courtes. Nous ne reproduisons pas toutes nos expériences; voici les résultats pris sur 14 élèves. Dans un seul cas, la ligne faite en copie isolée a été plus grande que la ligne tracée par entraînement (c'est-à-dire après avoir copié les lignes 1 à 4); dans les autres cas elle est plus courte, et la différence est même notable.

Longueur donnée à une ligne de 60 mm.


Lac.
Blas.
Poue.
And.
Sag.
Breiw.
Uhl.
Hub.
Obr.
Boul.
Mart.
Dié.
Vanderp.
Tix.
Par entraînement
52
48
56
52
52
48
44
52
56
56
47
44
44
52
En copie isolée
36
48
44
48
40
36
40
36
32
44
28
52
36
32

Il serait facile d'établir sur cette base une mesure de la suggestibilité individuelle; nous avons fait ce calcul de la manière suivante: rendant égale à 100 la longueur de la ligne 5 (60 millimètres) reproduite isolément, nous rapportons à cette mesure la longueur que l'élève a donnée à cette ligne, quand il la reproduisait après les lignes 1 à 5. Les résultats de ce calcul sont au tableau I. Ils sont indiqués sous le titre de coefficient de suggestibilité pour les longueurs de lignes. Nous verrons qu'on peut calculer d'autres coefficients.

Parlons maintenant des lignes-pièges. En moyenne, ces lignes (qui étaient réellement égales aux lignes précédentes) ont été faites plus grandes: ainsi la première ligne-piège, qui ne devrait pas différer de la précédente, présente une différence égale à 7mm,5; et il en est de même pour les trois autres lignes-pièges. Cette différence de 7mm,5 en plus représente exactement l'effet de la suggestion. Mais, pour mieux connaître cet effet, il faut abandonner les moyennes et regarder les cas individuels.

Parmi ces 45 sujets, aucun n'a su éviter les quatre pièges tendus, ce qui cependant n'est pas impossible, puisque j'ai rencontré des adultes qui y sont arrivés. Il y a seulement 3 de nos élèves qui ont réussi à éviter deux des pièges, et 7 élèves qui ont réussi à en éviter un. Ces dix élèves qui se sont montrés les plus habiles, les plus perspicaces de tous, sont en général parmi les plus âgés; voici leurs âges: il y en a 1 de neuf ans, 3 de dix ans, 1 de onze ans, 1 de douze ans, 3 de treize ans, 1 de quatorze ans. On voit qu'aucun des élèves de sept et de huit ans n'est compris dans ce nombre. Ce petit fait se trouve conforme à cette idée générale que la suggestibilité diminue avec l'âge, dans certaines limites au moins, et qu'un enfant de sept à huit ans est d'ordinaire plus suggestible qu'un enfant de douze ans.

Le piège le plus souvent évité n'est point le quatrième et dernier, et c'est bien étonnant, car on pouvait supposer que la sujet deviendrait plus perspicace à mesure que l'expérience se prolongerait. Le premier piège a été évité 3 fois le second 6 fois, le troisième 4 fois, le quatrième jamais.

Il y a deux manières d'éviter le piège: la première, la seule exacte, consiste à faire la ligne-piège égale à la ligne précédente, à faire la ligne 6, par exemple, égale à la ligne 3. Ce cas est rare; il ne s'est présenté que chez 6 élèves; l'un seul d'entre eux a fait deux fois la ligne-piège égale à la ligne précédente; il a donc été le plus perspicace de tous; il mérite une mention.

C'est Lac..., âgé de treize ans, appartenant à la deuxième classe; c'est un garçon à figure d'adulte, de caractère rétif, ayant ses opinions personnelles, et jouissant d'une grande liberté. Ses parents le laissent aller seul à bicyclette de Paris à Versailles. Il s'est montré, pour toute la série d'expériences de suggestion, très avisé et très peu suggestible. Son portrait est dans la planche II; si la physionomie peut refléter un caractère réfractaire à la suggestion: celle-ci doit être parlante.

Voici la série d'écarts qu'il a marqués entre les différentes lignes; je les reproduis en plaçant à gauche les écarts réels.

Numéros des lignes

Différence de     1 à 2
Différence de     2 à 3
Différence de     3 à 4
Différence de     4 à 5
Piège de     5 à 6
Différence de     6 à 7
Piège de     7 à 8
Différence de     8 à 9
Piège de    9 à 10
Différence de  10 à 11
Piège de   11 à 12
Écarts réels

12
12
12
12
  0
12
  0
12
  0
12
  0
Écarts indiqués
par l'élève Lac.
16
8
8
8
8
4
0
8
0
4
4

Quatre autres élèves qui ont échappé à un ou deux des pièges, ont fait la ligne-piège plus petite que la ligne précédente, qui était égale: ils l'ont diminuée de 4, de 8 et même de 12 millimètres. A quoi tient cette méprise singulière? Je pense pouvoir l'expliquer ainsi; le sujet, conduit par la suggestion d'allongement des lignes, s'attend, chaque fois qu'on découvre une ligne nouvelle, à la trouver plus grande que la précédente; quand on lui en montre une qui réellement est moins grande que celle qu'il attend, il peut soit la croire réellement plus grande (il est alors victime de la suggestion) soit s'étonner que son attente soit trompée; s'apercevant que la ligne est plus petite que celle qu'il attend, il subit un effet de contraste d'autant plus fort que son attente est plus vive, et ce contraste lui fait paraître la ligne plus petite qu'elle n'est en réalité. Je donne cette explication en des termes qui feraient croire que l'opération mentale est entièrement consciente, et qu'elle se compose d'une attente, d'un démenti à cette attente, et d'un étonnement qui modifie le jugement du sujet. J'ignore si le sujet a toujours conscience de cette série de phénomènes; mais il est certain que dans quelques cas, que j'ai pu analyser avec soin, le sujet opère machinalement, sans se douter de la complexité de l'état de conscience qui dirige sa main. J'en citerai un exemple. M. F... publiciste distingué, âgé environ de 35 ans, se soumit un jour à cette expérience pendant une visite qu'il faisait à mon laboratoire (le 25 mars 1899); il a raccourci très régulièrement chaque ligne-piège de 4 millimètres; voici ses chiffres:

Numéros des lignes

Ligne             1
Différence de     1 à 2
Différence de     2 à 3
Différence de     3 à 4
Différence de     4 à 5
Piège de     5 à 6
Différence de     6 à 7
Piège de     7 à 8
Différence de     8 à 9
Piège de    9 à 10
Différence de  10 à 11
Piège de   11 à 12
Écarts réels

12
12
12
12
12
  0
12
  0
12
  0
12
  0
Écarts indiqués
par M. F.
16
12
12
12
12
-4
12
-4
20
-4
16
-4

Dès l'expérience terminée, j'interroge M. F... pour savoir ce qui l'a conduit à raccourcir les lignes-pièges; il me répond simplement que s'il a fait les lignes 6, 8, 10 et 12 plus courtes que les précédentes, c'est qu'il a cru qu'elles étaient plus courtes dans le modèle. Certes, la réponse paraît naturelle, suffisante et péremptoire pour ceux qui ne se doutent pas des dessous de l'expérience. Mais j'insiste, je découvre à M. F... que ces lignes 6, 8, 10 et 12 étaient égales aux précédentes, je lui demande s'il a eu conscience d'une attente, puis d'une déception, qui a eu pour effet de déprécier en quelque sorte la longueur de ces lignes. M. F... écoute mon explication, il admet que les choses se sont probablement passées ainsi, que les lignes-pièges lui ont paru plus courtes parce qu'il s'attendait à les trouver plus grandes, mais il me déclare en même temps qu'il n'a eu absolument conscience de rien. J'ai cité cette expérience tout au long, parce qu'elle m'a paru curieuse. Nous rencontrerons plusieurs autres exemples d'opérations qui, sous l'influence de la suggestion, se font sans conscience ou avec une demi-conscience.

En mettant à part les 10 élèves qui ont su éviter au moins un des pièges, il en reste 35 qui ne les ont pas évités. Examinons le cas de ces 35 élèves. Il n'est pas juste de dire que tous ont subi complètement la suggestion; le plus souvent, comme cela résulte de nos chiffres de moyenne, ils ont donné aux lignes-pièges un accroissement de longueur moins grand qu'aux autres lignes. Ils ont composé, en quelque sorte, entre une perception exacte et l'entraînement de la suggestion. C'est le cas du plus grand nombre; mais les différences individuelles sont nombreuses, presque indéfinies. Comment en tenir compte? Nous pensons que puisqu'il s'agit de lignes, qui se mesurent au millimètre près, et puisque la suggestion opère en amenant des allongements mesurables de ces lignes, il est possible de donner, par un chiffre précis, la mesure de la suggestibilité de chacun.

Voici quel procédé de calcul nous proposons pour la mesure de cette suggestibilité particulière.

Il faut faire la moyenne des écarts suggérés et la comparer à la moyenne des écarts perçus. J'entends par écarts suggérés les écarts marqués par le sujet pour des lignes, comme 5-6, qui ne présentent en réalité aucun écart, puisqu'elles sont égales; et j'appelle écarts perçus, les écarts que le sujet a indiqués pour des lignes qui sont réellement inégales. Les écarts perçus dans ce dernier cas par le sujet, et notés par lui sur la feuille d'observation, ne sont pas nécessairement égaux aux écarts réels; les moyennes de nos tableaux montrent même qu'ils sont constamment inférieurs; mais il faut tenir grand compte de ces écarts perçus, car ce sont eux qui opèrent la suggestion. Un exemple nous fera comprendre. Voici un sujet qui donne aux écarts perçus la valeur de 6 millimètres, alors que les écarts réels entre les lignes du tableau sont, comme on le sait, de 12 millimètres; si ce sujet donne aux écarts suggérés la valeur de 6 millimètres, il sera évident que la suggestion aura produit sur lui son plein effet, puisqu'elle aura produit un effet égal à celui de la réalité même; la suggestion aura réussi à produire la même conséquence que produit cette différence réelle des lignes que la suggestion avait pour but d'imiter. On ne pourra donc pas dire, dans ce cas, que le sujet, en donnant à l'écart suggéré la valeur de 6 millimètres, a lutté contre la suggestion, sous prétexte qu'il aurait dû porter l'écart jusqu'à 12 millimètres, valeur de l'écart réel; on ne pourra pas dire cela, parce que l'écart réel n'a donné lieu qu'à une perception d'écart de 6 millimètres.

Appliquons à un cas particulier cette notation toute conventionnelle, et voyons ce qu'elle nous donne. Pour faire le calcul des écarts perçus, je pense qu'il ne faut pas faire entrer dans la moyenne les écarts existant entre les premières lignes, antérieures à 4, car la longueur absolue de ces lignes est très inférieure à celle des lignes-pièges et par conséquent ce serait rapprocher des choses qui ne sont pas comparables; je me bornerai donc à prendre les écarts perçus entre les lignes 4-5, 6-7, 8-9, 10-11, parce que ces lignes sont comparables, comme longueur absolue, aux lignes-pièges.

Voici donc le tableau des écarts pour un des élèves, Desva ...




Numéros des
lignes.

4-5
6-7
8-9
10-11

   Moyenne
ÉCARTS PERÇUS

Valeurs des
écarts

12mm
  8mm
12mm
16mm

12mm



Numéros des
lignes.

5-6
7-8
9-10
11-12

   Moyenne
ÉCARTS SUGGÉRÉS

Valeurs des
écarts

4mm
4mm
4mm
4mm

4mm

Ainsi, pour les lignes-pièges, le sujet a marqué un écart de 4 millimètres; cet écart de 4 millimètres a été le produit de la suggestion; mais il est moins considérable que les écarts que le même élève a marqués, lorsque les lignes différaient réellement; il a donc lutté partiellement contre la suggestion, qui aurait dû lui faire accepter des écarts de 12 millimètres; sa suggestibilité peut donc être considérée comme partielle, fractionnaire; il aurait fait un écart de 12 millimètres, si la suggestion avait été complète, si elle avait pleinement réussi; il n'a fait en réalité qu'un écart égal au tiers de la suggestion totale. On peut calculer sa suggestibilité comme on calcule un indice en céphalométrie; on rapporte la moyenne des écarts suggérés à la moyenne des écarts perçus, ceux-ci étant rendus égaux à 100. Pour ce calcul, on applique l'équation suivante, dans laquelle e.s. exprime l'écart suggéré, e.p. l'écart perçu, et x la valeur de l'écart suggéré rapporté à l'écart perçu quand celui-ci est égal à 100.

       e.s.        x
       ------  =  ----
       e.p.       100

Ainsi, si l'écart suggéré est égal à 4 et l'écart perçu est égal à 12, on a:

          4         x
        ----   =   ----
         12        100

d'où:

         4 x 100
  x =   ---------  = 33,33...
           12

On pourrait comparer chaque écart suggéré à l'écart perçu qui le précède immédiatement; mais nous avons trouvé plus expéditif de faire la moyenne de quatre écarts suggérés et de les comparer aux quatre écarts perçus qui les précèdent immédiatement.

Le nombre 33,33 exprime, pour cette expérience particulière, la suggestibilité du sujet; il donne la mesure de sa suggestibilité.

Ici s'élève une question théorique, que nous rencontrerons souvent en psychologie individuelle, et dont nous devons dire un mot. Est-il possible de mesurer, dans le sens physique du mot, une qualité mentale, la suggestibilité par exemple? On serait tenté de le croire, lorsqu'on voit le plus ou moins de suggestibilité d'une personne se traduire par une longueur plus ou moins grande de ligne tracée, et il est tout naturel de supposer qu'en mesurant cette ligne on mesure la suggestibilité. Sans doute, cette mensuration est permise, mais à la condition qu'on s'entende d'abord sur la signification du mot mensuration. Lorsqu'on mesure un objet physique, une longueur de route par exemple, et qu'on trouve que cette route a une longueur de 300 mètres, on exprime par un nombre non seulement que cette route est plus longue qu'une route de 30 mètres par exemple, mais encore qu'elle est 10 fois plus longue. Toute mensuration physique, quand elle est précise, donne non seulement un classement des objets mesurés, mais encore l'indication du nombre de fois qu'un objet est plus grand, plus lourd, etc. qu'un autre, c'est-à-dire l'indication du nombre de fois que telle quantité contient l'unité. Il n'en est pas de même dans une mensuration psychologique; aussi, je pense que ce n'est pas une mensuration véritable: c'est tout simplement un classement. Donner à une personne A un coefficient de suggestibilité égal à 60 veut dire que cette personne A a été plus suggestible qu'une personne B, dont le coefficient dans la même expérience a été seulement de 30; on classe donc ces personnes l'une par rapport à l'autre; mais on ne peut pas savoir si A est deux fois plus suggestible que B parce qu'on ne sait pas si la différence entre les coefficients 30 et 31 est égale à la différence entre les coefficients 60 et 61; on sait que certains coefficients sont plus forts que d'autres et voilà tout. Il est donc bien entendu que tous les chiffres dont nous nous servons sont des chiffres de classement et non des chiffres de mensurations.

Revenons maintenant sur la manière dont nous établissons notre coefficient dans l'expérience particulière qui nous occupe; nous avons pour l'élève Desva... accepté le coefficient 33,33; mais en réalité, ce chiffre n'est pas absolument exact, il doit être un peu trop faible; voici pourquoi: pour évaluer les écarts suggérés, nous les avons rapportés aux écarts perçus, et nous avons supposé que ces derniers sont perçus sans aucune espèce de suggestion; mais il est certain, nous l'avons montré, que ces derniers ont été un peu agrandis par la suggestion, car le sujet a eu l'idée que les lignes présentent un accroissement régulier, et cette idée a dû influer même sur la valeur des écarts réels, et a dû augmenter cette valeur au delà de ce qu'elle aurait été sans cette idée directrice. Par conséquent, il est certain que si toute suggestion avait été supprimée, les écarts perçus eussent été plus petits, et par conséquent, les écarts suggérés eussent été relativement plus grands.

La mesure que nous venons de donner est la seconde de celles qui peuvent rendre compte de la suggestibilité de l'élève dans notre expérience, mais comme c'est la plus importante de toutes, c'est à elle que nous donnerons le nom de coefficient de suggestibilité, tout en déclarant qu'un chiffre brutal est loin de résumer fidèlement toutes les nuances d'une expérience de psychologie. Dans notre tableau I, nous avons calculé cette valeur pour chaque élève.

Les différences individuelles de coefficients sont extrêmement grandes; ils varient entre 7,6 et 120.

On peut trouver étrange que certains coefficients, étant donné le calcul qui les établit, soient supérieurs à 100; il y en a 6 dans ce cas. Quand un coefficient est supérieur à 100, cela veut dire que les écarts suggérés ont été marqués plus grands que les écarts réellement perçus. J'attribue cette supériorité à ces causes d'erreur insignifiantes qu'on peut appeler hasard. Représentons-nous bien comment l'expérience se fait. Un enfant peut hésiter ou se tromper entre deux carrés de papier quadrillé, et marquer son point 4 millimètres plus près ou plus loin qu'il n'aurait fallu; c'est un défaut d'attention qui s'il se produit pour les écarts suggérés change complètement la valeur de l'indice. Ainsi, Théven..., qui a 116 comme coefficient de suggestibilité a marqué tous les écarts suggérés de même longueur que les écarts perçus, sauf dans un cas où il a marqué l'écart réel égal à 4 millimètres et l'écart suggéré égal à 8 millimètres, et cette petite différence, qui probablement est un défaut d'attention, a élevé son coefficient au dessus de 100.

Parmi les élèves qui ont de grands coefficients de suggestibilité, on en rencontre un certain nombre qui sont très jeunes, qui appartiennent à la dernière classe de l'école, et qui probablement doivent à leur jeune âge d'avoir succombé à la suggestion. Je signalerai, comme étant dans ce cas les n° 35, 37, 38, 41 et 42. Le n° 38 est un jeune enfant très intelligent, très bavard surtout, qui en classe prend sans cesse la parole, se met en avant, veut tout savoir et tout décider. Je pense que c'est son âge qui l'a rendu suggestible. Il en est d'autres, au contraire, plus âgés que les précédents, plus avancés dans leurs études, et qui ont des indices très élevés aussi; je crois que ces derniers sont réellement suggestibles. Il serait imprudent de juger leur suggestibilité par une épreuve unique et très courte, comme la nôtre; mais la suite montrera que dans les autres épreuves ils ont également succombé par excès de suggestibilité. Parmi eux, je signalerai d'abord Poire (n° 27), dont je donne le portrait (planche I). Ce garçon est un type achevé de suggestibilité, il l'est pour toutes les expériences sans exception. Le directeur de l'école n'a pu me donner beaucoup de renseignements sur lui. C'est un élève docile qui n'attire pas l'attention: il est travailleur, ce qui lui a permis, malgré une intelligence modeste, de parvenir jusqu'à la première classe; il a douze ans et demi. Tout aussi suggestible est And. (n° 33) qui n'a que onze ans, et qui n'est encore que dans la troisième classe; il est donc en retard dans ses études. C'est aussi un élève docile, silencieux, qui ne fait pas parler de lui, et qui n'a pas d'histoire. Je le considère comme un enfant d'une extrême suggestibilité. Un troisième exemple est fourni par Bout. (n° 40), un enfant doux et timide, qui rougit facilement, mais qui est peut-être plus éveillé que Poire et And. Ses aptitudes intellectuelles sont modestes, et à peine supérieures à celles de ses deux camarades. C'est un enfant bien élevé, affectueux; il a douze ans, il est en première classe. Ces trois élèves, étant donné leur âge, se sont montrés dans la suite des expériences, les plus suggestibles de tous. Leur portrait à tous trois se trouve à la planche I.

Quand les coefficients de suggestibilité sont supérieurs à 80 et s'élèvent même à 110, on peut se demander si les élèves n'ont point succombé entièrement à la suggestion, et s'ils ont eu seulement l'idée de se rendre compte de la longueur réelle des lignes. En regardant la manière dont ils se sont comportés pendant l'expérience, on comprend quelle orientation ils ont donné à leur attention. J'ai noté qu'un grand nombre d'élèves marquaient leurs points sur le papier quadrillé en regardant seulement le point marqué précédemment, et sans reporter leur regard vers la marge pour apprécier la longueur de la ligne dont ils indiquaient l'extrémité. Cette conduite indique clairement que ces élèves tenaient surtout compte des différences de longueur des lignes. Chez quelques-uns, mais beaucoup plus rarement, il s'est produit un défaut d'attention tout à fait significatif; l'élève a marqué le point avant que je lui eusse montré la ligne modèle. Entraîné sans doute par cette routine qui lui faisait marquer les points toujours plus à droite, il était persuadé d'avance que chaque nouvelle ligne était plus grande que la précédente; par suite de cette persuasion, il ne jetait plus qu'un regard vague et distrait sur le modèle; puis, à un certain moment, il a fait comme si ce regard était inutile, il a marqué le point sans même regarder le modèle.

Ceci nous amène à parler d'un second caractère de suggestibilité, qui n'est point indiqué par notre coefficient. Il y a des élèves qui se comportent comme de vrais automates.

Le sujet automate ne tient pas compte que les lignes du modèle ne croissent pas, relativement, de la même quantité; il ne tient pas compte que parmi les lignes qu'on lui montre quelques-unes sont égales aux précédentes; il obéit à une suggestion, et il y obéit avec la plus grande régularité. En d'autres termes, nous appelons automate, dans nos expériences, le sujet qui présente les caractères suivants: 1° les écarts qui lui sont suggérés ont exactement la même valeur que les écarts réels perçus par lui, par conséquent sa suggestibilité est complète, elle va aussi loin qu'elle peut aller, elle est égale à 100; 2° les écarts qu'il marque sont tous égaux entre eux; il n'a point été distrait, troublé, irrégulier; il n'a pas eu de doutes, son sens critique ne s'est pas éveillé ou en tout cas n'a pas influencé sa main; s'il a adopté 8 millimètres par exemple comme écart, il a marqué toutes les fois ce même écart, pour n'importe quelle ligne; sa variation moyenne est donc égale à 0; 3°, enfin, depuis le début de l'expérience, il ne s'est pas aperçu que la croissance relative des longueurs diminuait, et depuis le premier point marqué jusqu'au dernier, il a toujours conservé le même écart.

Nous citerons un seul exemple de cet automatisme parfait, c'est celui d'And..., que nous avons déjà signalé. Dès la première ligne, il a fait un écart de 8 millimètres et il l'a conservé jusqu'au bout. On voit que la suggestibilité d'And... est égale à 100, puisque les écarts suggérés sont égaux aux écarts perçus, sa variation moyenne est égale à 0 puisque tous les écarts marqués ont été égaux, et enfin la direction des écarts est restée invariable; il est donc impossible d'y découvrir le moindre indice de sens critique. Fait à noter: entraîné par la suggestion, cet élève a une fois marqué son point avant de regarder la ligne modèle qu'on lui présentait.

L'automatisme peut se réaliser dans d'autres cas sans atteindre cette perfection toute schématique; il est altéré par exemple par une légère irrégularité dans les écarts. Le sujet ne marque pas toutes les fois un même écart, mais de temps en temps il marque un écart un peu plus grand ou un peu plus petit; ces écarts ne sont point en relation avec les écarts réels des lignes, et par conséquent ils ne trahissent pas une perception exacte des lignes; la suggestibilité est donc aussi grande que dans l'automatisme parfait, mais elle joue avec un peu moins de régularité.

Nous en citerons un exemple, celui de Die... (n° 42), enfant de huit ans, appartenant à la quatrième classe. Les points qu'il a marqués ne se suivent pas avec des écarts égaux. La série d'écarts depuis la ligne 1 est la suivante:

8—4—12—8—8—8—8—8—8—4—8

Dans la liste que nous donnons, les écarts suggérés sont en caractères gras. On voit que le deuxième écart, le troisième et le onzième sont distincts des autres, tantôt plus grands, tantôt plus petits; mais ces variations ne portent sur aucun des écarts suggérés; elles portent une fois sur un des écarts perçus (le onzième) que nous comparons d'habitude aux écarts suggérés, et comme cet onzième écart a été diminué, il se trouve que, fait paradoxal, les écarts suggérés sont en moyenne, chez cet élevé, plus grands que les écarts perçus. C'est ce qui explique que son coefficient de suggestibilité soit supérieur à 100; il est de 114. On peut faire les mêmes remarques sur Mart. (n° 44).

Ce serait donc une erreur de croire que l'extrême suggestibilité soit synonyme d'automatisme. On l'a pensé souvent, mais ce n'est pas juste.

L'automatisme est fait de deux choses, une suggestibilité complète, et en outre une très grande régularité de réaction; or, cette régularité de réaction, qui probablement fait partie du caractère de l'individu, peut manquer chez une personne très suggestible; cette personne sera donc à la fois suggestible et irrégulière.

CHAPITRE III

L'IDÉE DIRECTRICE (Suite)

Description de l'expérience.—J'ai fait cette seconde expérience sur les mêmes élèves que la première, et immédiatement après; elle repose comme la précédente sur une idée directrice d'accroissement des lignes; il serait dangereux d'employer, dans la même séance, une idée directrice opposée, qui pourrait troubler les résultats; mais j'ignore si cette seconde épreuve profite de l'impulsion donnée par la première 37. La série de lignes qu'on montre est au nombre de 36, 38 voici leurs longueurs:

TABLEAU DES LIGNES DESTINÉES À
PROVOQUER UNE SUGGESTION D'ACCROISSEMENT

Ordre des lignes

1
2
3
4
5 à 36
Longueur

12mm
24mm
36mm
48mm
60mm
Note 37: (retour) Ce profit me paraît très douteux, voici pourquoi: Les deux expériences ont une partie commune, ce sont les 5 premières lignes qui sont reproduites sans autre suggestion que celle résultant de leur accroissement régulier de longueur; or, si on compare la longueur donné à une de ces lignes, par exemple à la 5e, dans les deux Expériences par une même personne, on est surpris de remarquer que le plus souvent la longueur donnée à la 5e ligne est plus grande dans la première expérience que dans la seconde.
Note 38: (retour) À la moitié environ des sujets je n'ai présenté que 20 lignes au lieu de 36. Cette irrégularité provient de ce que mes expériences sont surtout des tâtonnements, des recherches à la poursuite des meilleures méthodes; il en résulte que les coefficients de suggestibilité, tels que je les établis plus loin, ne sont pas absolument rigoureux, car les uns résultent de calculs faits sur 20 lignes, les autres de calculs sur 36 lignes. Il suffit que je signale ces irrégularités, qui n'ont aucune importance pour le but que je me propose.

Fig. 4.—Figure schématique représentant les points qu'un sujet devrait marquer pendant la seconde expérience sur l'idée directrice, s'il avait le coup d'oeil absolument juste, et s'il était insensible à la suggestion.

Ces lignes sont tracées parallèlement sur une grande bande de papier qui est longue de 60 centimètres et large de 12 centimètres; ces lignes sont tracées parallèlement, mais elles sont à des distances variables des marges, pour empêcher le sujet d'évaluer d'après ces distances les longueurs des lignes; la présentation de chaque ligne se fait isolément; du reste, tous les détails de l'expérience, présentation des lignes et reproduction, sont pareils à ceux que nous avons décrits dans le chapitre précédent. Je donne dans la figure 4 le schéma d'une expérience dans laquelle un sujet associerait une absence complète de suggestibilité à une justesse absolue de coup d'oeil; le point 5 est accompagné de son numéro, car c'est en ce point que les lignes successives cessent de croître; à partir de la sixième ligne et jusqu'à la trente-sixième toutes les lignes sont égales, et si le sujet continue à marquer un accroissement des lignes en les reproduisant, c'est qu'il obéit à l'impulsion acquise, comme une bille qui continue à rouler longtemps après le choc qu'elle a reçu. S'il n'était soumis à aucune suggestion, il marquerait les points comme dans la figure 4.

Les sujets sur lesquels les expériences ont été faites sont au nombre de 42; ce sont les mêmes élèves que les précédents.

J'ai donné dans le tableau II la mesure exacte, à 1 millimètre près, de toutes les lignes tracées par les sujets dans cette expérience; ce sont les résultats bruts. Il m'a paru nécessaire de les publier, parce que ce sont des points de repère qui permettront aux autres auteurs de comparer leurs résultats aux miens.

Reproduction des lignes 1 à 5.—Je ne dirai qu'un mot de la reproduction des lignes 1 à 5, qui constitue l'opération suggestive. Ces lignes, je le rappelle, ont comme longueur successive 12 millimètres, 24 millimètres, 36 millimètres, 48 millimètres, 60 millimètres. Or, en jetant un coup d'oeil sur le tableau II, on voit qu'il est bien rare que les sujets donnent à la cinquième ligne sa valeur de 60 millimètres: une fois, un élève a fait la ligne égale à 60 millimètres; une fois elle a été égale à 67; toutes les autres fois, la ligne a été inférieure à 60. Voici du reste le tableau complet:

Ligne au-dessous de 30mm
Ligne de 30 à 35
Ligne de 36 à 40
Ligne de 41 à 45
Ligne de 46 à 50
Ligne de 51 à 55
Ligne de 56 à 60
Ligne de 67
3 fois
2 ---
9 ---
8 ---
7 ---
9 ---
3 ---
1 ---

Au contraire, la première ligne, la ligne de 12 millimètres, est le plus souvent reproduite exactement.

Ligne au-dessous de 12mm
Ligne de 12
Ligne de 13 à 16
Ligne de 17 à 20
Ligne de 21 à 24
6 fois
25 ---
9 ---
1 ---
1 ---

Il résulte de cette double constatation que les élèves ont une tendance à augmenter la ligne de 12 millimètres, et à diminuer la longueur de 60 millimètres; c'est d'autant plus curieux que ces sujets sont sous l'influence de l'idée de l'accroissement des lignes, idée qui les suggestionne, et qui les fait ensuite tomber dans de grandes erreurs, à partir de la cinquième ligne; ainsi, bien qu'ils ressentent très fortement, comme les résultats le montrent, la suggestion de l'accroissement des lignes, ils diminuent, dans leur reproduction, la valeur réelle de cet accroissement.

L'exactitude avec laquelle les sujets ont reproduit les cinq lignes n'est pas sans relation avec leur suggestibilité; on peut remarquer d'une manière générale que ceux qui ont fait par exemple la ligne 5 avec une différence minima sont parmi les moins suggestibles. Voici un petit calcul qui servira à nous en convaincre. Si on prend les élèves dans l'ordre indiqué par leur coefficient de suggestibilité (coefficient dont nous expliquerons plus loin le calcul), qu'on divise les élèves en 8 groupes, de 5 élèves chacun, et qu'on calcule pour chaque groupe la longueur moyenne donnée à la ligne de 60 millimètres, on trouve:

Longueur moyenne donnée à la 5e ligne, de 60mm.

1er groupe d'élèves, le moins suggestible
2e -- ....................................
3e -- ....................................
4e -- ....................................
5e -- ....................................
6e -- ....................................
7e -- ....................................
8e groupe, le plus suggestible
51,6
50,4
45
48,8
37,4
47,4
37,2
42,4

On voit par conséquent que les groupes les plus suggestibles ont fait en moyenne la ligne la plus courte, la plus différente du modèle; en somme, ce sont ceux qui ont fait preuve de la mémoire et de la perception les moins exactes. On sera donc tenté de supposer que la justesse d'appréciation des longueurs influe un peu sur la suggestibilité. Je ne le nie pas; mais je ferai remarquer que la résistance à la suggestion doit dépendre très probablement beaucoup plus de l'attention portée aux lignes que de la justesse de l'appréciation.

Il est bien certain que lorsqu'un enfant extrêmement suggestible comme And., arrive à faire à la fin de cette expérience une ligne de 30 centimètres pour en copier une de 6 centimètres, cette erreur formidable ne vient pas de ce qu'il n'a pas l'oeil juste, mais bien de ce qu'il n'a pas regardé la ligne modèle avec attention.

Calcul du coefficient de suggestibilité.—On a vu dans le chapitre précédent comment nous avons calculé le coefficient de suggestibilité; ce calcul ne présente en lui-même aucune difficulté, puisqu'il porte sur des lignes mesurables à un millimètre près. Nous pourrions employer pour notre nouvelle expérience le même procédé de calcul que précédemment, en faisant les petits changements nécessités par les conditions un peu différentes de l'expérience; mais nous avons préféré un procédé différent. La base de notre calcul sera l'excédent de distance entre le point 5 et les points que la suggestion a fait éloigner de la marge.

Mais il y a plusieurs façons de comprendre et de calculer cet excédant de distance; comme les points qui ont subi l'effet de la suggestion sont nombreux (il y en a plus de 30 dans une expérience complète) et que chacun d'eux est à une distance différente de la marge, on peut tenir compte soit de la distance du point le plus éloigné, distance maxima,— soit de la distance moyenne de tous les points,—soit de la distance du point le plus rapproché, distance minima; on peut tenir compte de la variation moyenne de ces distances, la variation moyenne indiquera la régularité avec laquelle le sujet a opéré; on peut encore prendre en considération l'évolution de la suggestion; c'est un caractère très important, qui se retrouve dans toutes les expériences de psychologie comportant une mesure; mais on ne peut pas le calculer aussi facilement que la moyenne ou la variation moyenne, et souvent on le néglige. Nous entendons par évolution les changements que subit l'effet de la suggestion au cours de l'expérience; la suggestion peut aller s'affaiblissant, ou augmentant, ou rester stationnaire, ou enfin présenter des combinaisons de ces trois effets principaux; chacun de ces effets pourrait se traduire par un graphique, car il est exprimé très clairement par la position des points marqués sur la feuille; quand les points se rapprochent de la marge, c'est que la suggestion décroît, et quand ils s'en éloignent, c'est qu'elle reste stationnaire, ou, suivant les cas, qu'elle croît.

Dans le tableau III, qui contient l'analyse des résultats fournis par cette expérience, il y a une colonne ou se trouve indiquée simplement par une initiale l'évolution de la suggestion pour chaque élève; C signifie que la suggestion a présenté une croissance d'intensité; D indique qu'elle a décru, et S qu'elle est restée stationnaire; ce tableau III contient en outre la longueur donnée à la ligne 5. Ce sont des éléments essentiels pour notre calcul de la suggestibilité.

Mais quelle que soit la manière dont on combine ces divers éléments, il faut être bien persuadé qu'ils ne sauraient rendre la physionomie de l'expérience, ni surtout son fond intime. C'est une conviction qui vient naturellement lorsqu'on regarde le sujet travailler. Dès qu'il a marqué son cinquième point, l'impulsion qu'il a reçue jusque là cesse brusquement, et il est alors livré à lui-même. Que de choses peuvent se passer à partir de ce moment! Que de réflexions, de remarques, d'émotions, ou bien encore quel automatisme aveugle, quelle absence d'idées! Le sujet marque tout cela par de petits points sur le papier, et cette notation qui paraît sans doute à première vue si élémentaire et bien insuffisante pour exprimer des états de conscience qui sont généralement très complexes, devient au contraire pour celui qui sait la lire une description extrêmement curieuse et suggestive de ce qui se passe dans l'esprit du sujet. On pourra en juger dans un instant. Mais pour le moment, il est certain que l'on éprouve quelque embarras à exprimer par un chiffre brutal toutes les oscillations d'une pensée; le chiffre ne peut avoir qu'une précision trompeuse; comment en effet pourrait-il résumer ce qui aurait besoin de plusieurs pages de description! Nous croyons nécessaire d'insister fortement sur cette question; la suggestibilité d'une personne ne peut pas s'exprimer entièrement par un chiffre, alors même que ce chiffre correspondrait exactement au degré de sa suggestibilité: il faut en outre compléter ce chiffre par la description de tous les petits faits qui complètent la physionomie de l'expérience.

Sous ces réserves expresses, nous allons indiquer quel procédé nous employons pour calculer le coefficient de suggestibilité; nous calculons la distance du point qui est à la distance maxima de la marge; ce point est rarement le sixième, il est parfois le dernier, il occupe souvent un rang quelconque; il représente le maximum de suggestion produit par l'expérience, et nous pensons qu'on peut le retenir, pour les mêmes raisons que lorsqu'on fait une série de mesures de la force musculaire avec un dynamomètre, on retient le chiffre maximum de pression. Le numéro de ce point varie beaucoup avec les sujets, ainsi que le montre la liste suivante.

Aucun sujet n'a marqué son point maximum au point
1 sujet a marqué
1 sujet a marqué
3 sujets ont marqué
8 sujets ont marqué
7 sujets ont marqué
6 sujets ont marqué
3 sujets ont marqué
4 sujets ont marqué
8 sujets ont marqué
6
7
8
9
10 à 15
16 à 20
21 à 25
26 à 30
31 à 35
36

La date du point maximum semble, à première vue, avoir une signification; on peut croire qu'elle indique à quel moment le sujet a montré le plus grand effet de la suggestion, d'où on pourrait conclure que tel sujet a été plus lent qu'un autre à résister à la suggestion, etc.; mais ces interprétations, si elles sont exactes pour certains élèves, sont inexactes pour d'autres, car elles ne tiennent pas suffisamment compte de la valeur du point maximum, et d'une foule d'autres circonstances, que nous examinerons dans un instant.

Nous donnons (tableau III) la liste de nos élèves, avec leur coefficient de suggestibilité; ce coefficient a été calculé en prenant le rapport entre la distance du point maximum à la marge et la distance du point 5 à la marge, cette dernière distance étant rendue égale à 100. Par conséquent, un sujet dont le coefficient serait égal à 100 (aucun n'a été dans ce cas, mais à la rigueur ce cas pourrait se présenter) un tel sujet a fait son point maximum à la même distance exactement que le point 5; un sujet dont le coefficient est de 200 a fait son point maximum à une distance double de celle du point 3, et ainsi de suite.

Dans cette liste, le coefficient le plus faible est de 109; comme 100 représente l'absence de suggestibilité (par rapport à l'expérience sus-dite, car évidemment il ne s'agit point d'une absence absolue de suggestibilité, tout le monde étant plus ou moins suggestible), 109 indique une suggestibilité extrêmement faible, peut-être même douteuse; avec les nombres qui suivent, 121 et 125, les doutes sont levés, la suggestibilité devient certaine, tout en restant assez faible. A la fin de la liste, nous atteignons de très gros coefficients; il y a 16 élèves dont le coefficient est supérieur à 200, dont par conséquent la suggestion a pu doubler la ligne et au delà; les derniers termes atteignent 400, 500 et même 600. Ce sont des coefficients énormes, et cependant ils sont encore inférieurs à la réalité; ils appartiennent à des élèves qui ne se sont jamais repris, qui ont prolongé la ligne continuellement avec régularité, et qui n'ont cessé de la prolonger que parce que l'expérience a pris fin; je regrette un peu d'avoir terminé l'expérience pour eux au point 36; il aurait fallu la pousser jusqu'au bout, jusqu'à ce que l'enfant se corrigeât. Ainsi le nommé And., que nous avions déjà signalé, est arrivé à faire une ligne de 30 centimètres, en reproduisant une ligne de 6 centimètres; il eût été curieux de savoir s'il aurait continué indéfiniment, s'il serait allé jusqu'au demi-mètre ou jusqu'au mètre. 39

Note 39: (retour) J'ai dû m'arrêter à 36 parce que mes modèles de ligne étaient de ce nombre; mais il y a un procédé qui permet de continuer indéfiniment l'expérience, ce procédé consiste à dessiner les lignes sur un disque recouvert d'un écran percé d'une fenêtre, par lequel on découvre chaque ligne isolément.

Pendant que le sujet marque des points, il peut de temps en temps faire une réflexion à haute voix; le plus souvent, il change de physionomie, fronce le sourcil à un certain moment, rougit, paraît embarrassé; ces jeux de physionomie sont pour nous faciles à comprendre, par la raison que nous avons déjà vu toute une série d'élèves passer par le même chemin, et se comporter de la même manière devant les obstacles. Tout ceci doit être noté avec soin. On notera également la lenteur et la rapidité des mouvements, les artifices que certains emploient pour mieux se rappeler la longueur des lignes, etc.

Enfin, quand l'expérience est terminée, il reste à interroger le sujet. Il faut lui poser un certain nombre de questions précises. Cette partie de la recherche est peut-être la plus instructive de toutes: c'est la première fois que dans les écoles j'ai eu recours à l'introspection. Je croyais jusqu'ici que lorsqu'on faisait des expériences sur des élèves d'école primaire élémentaire, il était inutile de les interroger sur les expériences, et de recueillir avec soin leurs impressions, comme on le fait pour les adultes; je supposais que des enfants aussi jeunes, aussi faciles à troubler et à suggestionner, aussi prompts au mensonge, ne pourraient que donner des réponses suspectes, qui loin d'éclairer les questions pourraient égarer l'expérimentateur. Sans doute, tout cela est vrai; mais sur la conclusion à en tirer j'ai changé d'opinion; je me suis convaincu, par la recherche que j'expose en ce moment, qu'il est possible de provoquer l'introspection même chez des enfants de huit à dix ans, à la condition bien entendu qu'on évite plusieurs causes d'erreurs, comme: 1e la timidité de l'enfant, laquelle provoque souvent le mutisme; 2e la difficulté pour l'enfant de comprendre des termes qui n'appartiennent pas à son langage ordinaire; 3e sa suggestibilité, qui lui fait varier ses réponses suivant la nature des questions qu'on lui pose; 4e ses mensonges; 5e ses erreurs d'imagination et de jugement.

Fig. 5.—Expérience de suggestibilité sur Delans., âgé de treize ans et demi. 1re classe. Coefficient du suggestibilité: 109. Il est douteux que cet élève ait subi une suggestion quelconque, car à partir du point 5, il n'a point marqué l'ensemble des autres points plus éloignés de la marge.

Description des résultats d'expérience.—Je passe maintenant à l'examen des résultats, obtenus en expérimentant sur 42 élèves d'école primaire élémentaire.

Nous ferons notre description en commençant par les élèves qui ont montré le moins de suggestibilité.

DELANS.—Coefficient: 109. Ce sujet a-t-il été suggestionné? On peut en douter (fig. 5) 40. À partir du point 5, il a marqué le point 6 à peu près à la même distance, c'est-à-dire à 43 millimètres de la marge; le point 7 a été marqué à 45 millimètres: c'est un écart bien petit; la suggestion a été assez faible; puis, à partir du point 7, il est revenu vers la marge, ensuite il s'en est éloigné, dessinant une ligne serpentine irrégulière qui, dans sa direction générale, est à peu près parallèle à la marge; probablement le sujet a compris que les lignes cessaient de s'accroître; en tout cas, il s'est affranchi de la suggestion D'accroissement.

Note 40: (retour) Cette figure, comme toutes celles de ce chapitre, est la Reproduction exacte des feuilles d'expérience, sauf la modification suivante: on n'a pas reproduit la feuille entière, qui avait 12 centimètres de largeur, mais seulement la partie de cette feuille qui est occupée par les points que le sujet a marqués.

Alors, demandera-t-on, pourquoi n'a-t-il pas fait toutes les lignes égales, et n'a-t-il pas aligné tous ses points sur une ligne parallèle à la marge? C'est un fait qu'aucun sujet n'a tracé plus de cinq ou six points en ligne droite. Pourquoi? Sans doute, parce qu'il est extrêmement difficile de décider qu'une série de lignes, montrée successivement, est d'égale longueur. On peut bien s'apercevoir qu'elles n'ont aucune tendance à augmenter ou à diminuer, mais il serait téméraire de certifier leur égalité. Ensuite, remarquons que le seul fait de montrer des lignes différentes éveille la suggestion que ces lignes sont de longueur différente. Quand une personne marque toutes les lignes égales, il est possible que cette personne ait su, par un moyen détourné, que les lignes étaient égales. En voici un exemple. Pendant qu'un des sujets, Monne, fait la copie des lignes, je communique à demi-voix au directeur, présent dans le cabinet, la réflexion que si les sujets font d'ordinaire les lignes différentes de longueur, c'est que comme ces lignes sont distinctes, l'élève ne peut croire qu'elles sont égales. Tout ceci est dit à demi-voix, et il fallait que l'élève fût bien attentif pour m'entendre; il m'a entendu, c'est certain, sa feuille d'observation le prouve, car aussitôt après, à partir du neuvième point, il a, sans ombre d'hésitation, aligné tous ses points parallèlement à la marge.


Fig. 6.—Expérience de suggestibilité sur Monn., âgé de douze ans et demi, 1re classe. Influence d'une parole dite à voix basse. Au moment où le sujet marquait le 8e point, il a surpris quelqu'un disant que les lignes étaient égales.

Delans...., celui qui a le coefficient de suggestibilité le plus faible, s'était également montré très peu suggestible dans la première expérience. C'est un des garçons les plus âgés de l'école, il a quatorze ans passés, il est en 1re classe, il a une physionomie d'adulte; un peu en retard dans ses études, il vient d'obtenir cette année seulement son certificat d'études. On ne le range point parmi les élèves dociles; il a une tendance à résister.

Les élèves suivants ont tous une suggestibilité plus grande.

MIEN. C'est un enfant assez jeune, faisant partie de la 3e classe. Son coefficient de suggestibilité est de 121. Il s'est laissé entraîner par la suggestion jusqu'au point 7, ce qui fait un entraînement de 12 millimètres; puis il s'est corrigé, avec le point 8; et on peut se demander si à partir de ce point 8 il a subi à quelque degré l'influence de la suggestion, ou au contraire s'il est parvenu à y échapper. C'est un point d'interrogation qui se pose: pour tous les sujets dont la suggestibilité est faible; la question a donc une portée générale et elle vaut la peine d'être examinée avec soin. Pour la résoudre, il faut faire un examen minutieux de chaque point, et alors on arrive à constater un fait extrêmement curieux: c'est que l'influence d'une suggestion faible se manifeste par des caractères tellement nets qu'on ne peut pas en révoquer l'existence. Voici comment nous faisons cette constatation; tout point que l'élève marque peut se trouver, par sa position, plus éloigné de la marge que le point précédent, ou plus rapproché de la marge: le premier genre d'écart se fait dans le sens de la suggestion, puisque la suggestion a pour but de faire paraître les lignes plus grandes qu'elles ne le sont en réalité; et tout écart de la seconde espèce se fait dans le sens d'une lutte contre la suggestion. Maintenant, j'ajoute bien vite qu'il n'est pas absolument prouvé qu'un écart vers la droite est un écart de suggestion, et qu'un écart vers la gauche est un écart de correction, car il existe aussi incontestablement ce qu'on pourrait appeler des écarts de hasard. Le sujet indécis doit de temps en temps marquer certains points, au hasard, sans y attacher d'importance. On ne peut donc pas, lorsqu'on cherche à établir la signification d'un point en particulier, affirmer avec certitude qu'il est dû à une suggestion, ou à une correction, puisqu'il peut être dû simplement au hasard. Par hasard, j'entends tout simplement des causes autres que la suggestion et la résistance à la suggestion; j'entends ces petites causes, presque imperceptibles, qui agissent sur nos mouvements, et qu'il serait fort difficile de décrire en détail. Mais en revanche s'il est difficile d'éliminer la part du hasard dans l'examen individuel de chaque point, on peut faire cette élimination dans les moyennes. Groupons ensemble tous les écarts de suggestion, groupons ensemble tous les écarts de correction, cherchons si ces deux espèces d'écarts ont des caractères différents; les écarts de hasard, se trouvant répartis indifféremment dans ces deux groupes, se compenseront et s'annuleront.


Fig. 7.—Expérience de suggestibilité sur Lac., 13 ans, 2e classe. Coefficient de suggestibilité: 136. L'élève n'a cédé à la suggestion que jusqu'au point 7, il s'est ensuite repris.

Or, il apparaît nettement que les écarts de correction et les écarts de suggestion ont des caractères tout différents; les premiers sont moins nombreux que les seconds, et de plus, ils sont plus grands; ce qui signifie, traduit en termes moins abstraits, que la suggestion de l'expérience a une action douce, continue, relativement à l'effort de correction, qui est plus brusque et intermittent. C'est ce dont on peut se convaincre en faisant la somme du nombre des écarts et la somme de leur valeur. Ainsi, pour Mien, chez lequel le phénomène que nous venons de décrire est à peine sensible, on trouve:

Valeur des écarts
en millimètres.


12
9
8
7
6
4
3
2
Nombre des écarts
de correction ayant
cette valeur.

1
1
1
1
0
1
1
1
Nombre des écarts
de suggestion ayant
cette valeur.

0
0
1
1
1
4
1
0

En calculant ces chiffres, on voit que le nombre total des écarts de correction a été de 7, et le nombre total des écarts de suggestion a été de 8, par conséquent un peu plus fort; d'autre part, si on fait le total des millimètres en additionnant la valeur des écarts de chaque espèce, on trouve que les écarts de correction s'élèvent en moyenne à 6mm,4, tandis que la valeur moyenne des écarts de suggestion est plus faible, de 3mm. Ainsi les écarts de suggestion sont supérieurs en nombre, moindres en valeur. La différence est faible, et certainement il faudrait la considérer comme négligeable si on ne la rencontrait pas plus accentuée chez beaucoup d'autres élèves.

NIL.—Son coefficient est 125. Lui aussi est allé jusqu'au point 7 sans se douter de rien; il a donc fait, comme le précédent élève, 2 points avant de se corriger; puis il est revenu vers la marge, et s'y est maintenu parallèlement. Mais on peut remarquer chez ce sujet comme chez Mien., qu'il y a eu après le point 5, persistance d'une suggestion très faible d'accroissement, contre laquelle le sujet a continuellement lutté, car il a fait 10 écarts de correction et 12 écarts de suggestion; et d'autre part, la valeur moyenne des écarts do correction a été de 6mm,4, et celle des écarts de suggestion a été de 3mm,3; ainsi, cet élève, quand il s'est corrigé, a fait des écarts plus grands et plus brusques que lorsqu'il a obéi à la suggestion; celle-ci a été plus douce et plus continue.

ABRAS.—Suggestibilité faible, 125. Il s'est corrigé très vite, dès le 7e point; mais la suggestion a persisté faiblement, car il a fait 13 écarts de suggestion, contre 10 écarts de correction, et la valeur moyenne des écarts de suggestion est de 3mm,2, tandis que celle de ses écarts de correction est plus forte, 7mm,6; nous connaissons maintenant la signification de ces chiffres.

LAC.—Suggestibilité faible, 136. Sa feuille, reproduite dans la figure 7, montre qu'il n'a jamais marqué d'écarts plus grands que 4 millimètres, à partir du point 5. Probablement, il a été très méfiant. Il a subi l'influence de la suggestion jusqu'au point 7; mais, chose curieuse, il a diminué ses écarts dès le point 5; jusque là, il faisait des écarts de 8 millimètres; à partir du point 5, il diminue les écarts, il n'en fait plus que de 4 millimètres, cela indique une certaine finesse de perception. On rencontre des exemples analogues chez d'autres élèves. A partir du point 8, a-t-il été soustrait à la suggestion? C'est douteux. Il a fait 6 écarts de suggestion, contre 4 écarts de correction.

MATH.—Suggestibilité de 138. C'est au 6e point qu'il se corrige. Il avait déjà une demi-correction au 7e point qu'il avait fait de 4 millimètres comme écart, alors que tous les écarts précédents étaient de 8 ou de 12 millimètres.

GESBE.—Suggestibilité: 138. Au 9e point seulement il se corrige, puis il est légèrement repris par la suggestion et finalement il marque des points rigoureusement équidistants, dont la distance à la marge est comprise entre le point 7 et le point 8.

MARCHA.—Suggestibilité: 140. Cet élève a été très lent à s'apercevoir de l'erreur qu'il commettait; c'est au 13e point seulement qu'il est revenu en arrière; mais il semble avoir eu, avant de marquer le point 13, une demi-conscience de son erreur, car à partir du 4e point il a fait des écarts suggérés de 4 millimètres seulement, alors que les écarts précédents étaient de 12 millimètres et même de 16 millimètres. L'effort de correction (au 13e point) a été brusque et très grand, de 12 millimètres. A partir de ce 13e point, qui marque l'endroit précis où le sujet a repris possession de lui-même, il y a eu lutte entre l'automatisme de la suggestion et les efforts de correction, lutte lente dans laquelle on discerne une progression des points vers la marge. Il a eu 12 écarts de suggestion, et 9 de correction, et la valeur moyenne des premiers est égale à 5mm, tandis que celle des seconds est égale à 8,4 mm; ce qui est conforme à la règle habituelle.

En résumé, chez tous les sujets dont l'étude précède, les trois faits suivants se produisent avec plus ou moins de netteté:

1o Une suggestion se manifestant après le point 5, suggestion comprenant un nombre variable de points, et dans laquelle les écarts sont d'ordinaire rapetissés relativement à ce qu'ils étaient avant le point 5;

2o Une correction, tantôt forte, tantôt faible, tantôt brusque, tantôt progressive;

3o Après la correction, le sujet se maintient à peu près à égale distance de la marge, comme s'il était averti du péril de la suggestion auquel il vient d'échapper; l'analyse montre, il est vrai, que les écarts positifs (éloignant de la marge) sont plus nombreux et plus faibles que les écarts négatifs (rapprochant de la marge) caractères qui sont précisément ceux de l'automatisme en conflit avec le sens critique. Mais cette influence persistante de la suggestion est très faible, et il est juste de considérer tous les sujets précédents comme étant parvenus assez vite à se corriger et à se reprendre.

Les cas qui vont suivre appartiennent à une autre catégorie; ce sont des sujets chez lesquels la suggestion a une influence plus forte et suspend le sens critique. Ne pouvant décrire les réactions de tous nos sujets, nous signalerons les plus typiques, laissant de côté les cas intermédiaires, mixtes, moins bien tranchés.

DESVA.—Suggestibilité: 141. Ce cas est peut-être le plus intéressant de tous. C'est un cas type dans lequel des phénomènes, ordinairement très vagues, de lutte entre l'automatisme de la suggestion et le sens critique sont portés à un tel degré de précision qu'on ne peut plus en douter.

La suggestion, comme nous venons de le montrer, a un mode d'action faible et continu, le sens critique a un mode d'action fort et intermittent. Nous n'avons pu entrevoir cette différence dans le mode d'action des deux forces qu'en faisant le total des écarts de suggestion et des écarts de correction, et en établissant la moyenne de la valeur de ces deux espèces d'écarts; les différences numériques ont toujours été, jusqu'ici, extrêmement faibles, et si elles nous ont paru quand même importantes, c'est parce que nous les avons trouvées constantes. Jamais nous n'avons encore rencontré un élève chez lequel les écarts de correction seraient faibles et continus, et les écarts de suggestion forts et intermittents; et si ce cas peut se présenter —ce qui doit être, car toutes les variétés sont possibles— nous supposons qu'il doit être relativement rare.

Or, chez Desva (fig. 8), nous trouvons que sur 36 écarts, il y a seulement 3 corrections, et par conséquent 33 suggestions; et de plus, les 3 écarts de correction ont une valeur considérable, tandis que les écarts de suggestion sont extrêmement faibles; c'est donc la démonstration très claire d'une particularité mentale qui jusqu'ici était plutôt soupçonnée que démontrée.

Ce sujet a été très lent à se corriger; il ne l'a fait qu'au 13e point; mais dès le 6e, il a eu une demi-conscience que les lignes ne s'accroissaient pas comme auparavant; en effet, les premiers écarts qu'il marquait avaient une valeur dé 8 ou de 12 millimètres; à partir du point 5, il les réduit d'abord à 4 millimètres jusqu'au point 8; il faut suivre sur la figure le tracé de ce ralentissement; au 9e point, il diminue encore l'écart, il le fait de 2 millimètres; au 10e point il le fait encore de 2 millimètres; au 11e point, il n'ose plus avancer, ni reculer, il fait le point à la même distance que le précédent; et le 12e est à 3 millimètres à droite; ici un écart très brusque, un retour en arrière; le 13e point présente un écart de correction de 11 millimètres; le 14e point est une correction supplémentaire de 4 millimètres. Ainsi, le sujet fait là une correction totale de 15 millimètres, ce qui est beaucoup pour lui. Puis, ceci fait, il est repris par la suggestion, et celle-ci l'entraîne pendant les 9 points suivants; seulement, les écarts de suggestion sont très faibles, car avec ces 9 points il ne fait un avancement à droite que de 14 millimètres, ce qui est très peu de chose, ce qui fait moins de 2 millimètres par point. Puis, au point 24, nous voyons le retour très régulier du phénomène précédent: une correction énorme de 20 millimètres; c'est comme si le sujet se réveillait brusquement de son automatisme, rompait le charme, reprenait possession de lui-même. Et cette correction énorme une fois faite, la suggestion faible et continue reprend, elle dure longtemps, elle va du 24e ou 36e point; seulement elle s'est encore affaiblie, car elle ne fait faire que 1 millimètre de progression par point vers la droite, tandis que précédemment, avec 9 points seulement, le sujet avait fait 14 millimètres. Ici s'arrête l'expérience.

Fig. 8.—Expérience de suggestibilité sur Desv., douze ans, 1re classe. Coefficient de suggestibilité: 141. A deux reprises, après les points 12 et 23 le sujet se corrige fortement, mais aussitôt après il est repris par la suggestion.

Ce sujet est donc bien distinct des précédents, puisqu'il n'a pas réussi, comme eux, à se débarrasser de l'illusion.

Le cas de Desva... est assez rare; je n'en puis citer qu'un seul du même genre, celui de Mulle, qui a une suggestibilité très forte, de 270. Jusqu'au 16e point, Mulle a obéi à la suggestion avec une régularité très grande, et presque tous les écarts qu'il a marqués sont égaux; puis, brusquement, sans que rien avertisse de cette sorte de coup de tête, il se corrige au 17e point; la correction est énorme, de 56 millimètres; c'est une correction qu'on peut considérer comme incoordonnée. Puis, tout de suite après, le sujet est repris par la suggestion, et il marque une série de points qui sont assez régulièrement disposés en ligne droite; seulement les écarts de cette série de points sont plus petits que dans la série précédente.

Les corrections de ce genre, si fortes, et suivies aussitôt par une reprise de la suggestion, me semblent bien caractéristiques. Je les interprète de la manière suivante: le sujet, d'abord entraîné par l'automatisme, s'aperçoit brusquement que la ligne du modèle est beaucoup plus petite que les lignes qu'il pointe; jusque là, il ne s'en est pas douté, parce qu'il a regardé très vaguement la ligne du modèle. Quand il s'aperçoit de son erreur, il la corrige aussitôt en revenant vers la gauche; mais tout en se corrigeant, il conserve la suggestion que les lignes du modèle présentent un accroissement régulier de longueur: cette suggestion là, il ne la corrige pas, il en reste dupe.

Fig. 9.—Expérience de suggestibilité sur Bien..., douze ans, 2e classe. Coefficient: 192. Ce sujet s'est laissé entraîner par la suggestion, sans résister, jusqu'au point 13; ensuite, il s'est fortement corrigé, et il est revenu vers la marge, affranchi complètement de la suggestion.

Voici un mode de réaction beaucoup plus fréquent; on le rencontre chez Bien, March, Duss, Mouss, Pet, et beaucoup d'autres encore. Nous prendrons comme objet de description le cas de Bien..., qui est très net (fig. 9). L'élève a été fortement influencé par la suggestion; il s'est laissé entraîner sans résistance jusqu'au point 13, qui est fort loin de la marge; mais à ce moment, il s'est aperçu de l'erreur dans laquelle il était tombé, et il s'est corrigé très fortement; sa correction a été progressive, et l'ensemble des points qu'il a marqués l'ont ramené vers la marge. C'est un exemple de sujet qui, après avoir été très fortement suggestionné, s'est affranchi de la suggestion d'une manière complète et définitive. On peut aussi se rendre compte, d'après la figure 9, que chez lui les écarts de suggestion sont supérieurs en nombre et inférieurs en valeur aux écarts de correction.

Autre catégorie; certains sujets subissent une suggestion continue, jusqu'à la fin de l'expérience, sans se corriger nettement; ils ne cessent pas de marquer des points qui, dans leur ensemble, s'éloignent de plus en plus vers la droite; appartiennent à ce type Metz, Clou, Thève, Lenorm, Ros, Bon, Uhl. Je me bornerai à décrire le cas de Metz, qui est peut-être le plus clair et le plus typique; c'est pour cette raison que j'ai publié sa feuille (fig. 10). Il est allé jusqu'au point 10 en subissant l'action de la suggestion; à partir de ce point 10, la suggestion s'est affaiblie, elle n'a cependant pas cessé; elle continue, sans irrégularité, à se faire sentir jusqu'au trente-sixième point, produisant à peu près 1 millimètre d'écart par point. La figure 10 contient, sous forme de petits cercles, les rectifications que le sujet a faites après coup; nous reviendrons dans un moment sur ces rectifications.

Nous terminons par un groupe tout spécial d'élèves, le groupe des parfaits automates. La caractéristique du groupe est de faire des écarts de suggestion qui sont égaux entre eux, et qui sont égaux en outre aux écarts perçus, et représentés par les points 1 à 5. Il résulte de cette égalité que la série de points marquée sur le papier se développe très régulièrement en ligne droite; c'est un caractère qui saute aux yeux. Il nous avertit de suite que l'élève ne s'est nullement douté qu'il marquait des points trop loin de la marge; aucune tentative de correction n'a eu lieu: c'est de la suggestion opérant très régulièrement, et avec toute sa force. Voilà la description théorique de cette famille de sujets; mais il y en a peu, évidemment, qui ne présentent pas quelque petite irrégularité.

Fig. 10.—Expérience de suggestibilité sur Metz, dix ans, 1re classe. Coefficient: 207. Ce sujet ne s'est jamais corrigé, mais à partir du point 10, il n'a cédé que très lentement à la suggestion. Les o indiquent les rectifications faites quand l'expérience est terminée.

Fig. 11.—Expérience de suggestibilité sur Bout, douze ans, 1re classe. Coefficient: 325. Type automatique: les points sont disposés en ligne droite; seulement à partir du 9e point, le sujet a un peu diminué ses écarts. La figure est une réduction de moitié (les carrés ont 2 millimètres de côté, tandis que dans la feuille originale, ayant servi à l'expérience, ils avaient 4 millimètres de côté). Les o indiquent les rectifications faites après coup.

HENRI BOUT.—Coefficient: 325 (fig. 11). C'est l'automatisme absolu, sauf qu'à partir du 9e point il a réduit de moitié les écarts; mais il ne s'est jamais corrigé, il n'est jamais revenu en arrière. Cette suggestibilité est d'autant plus curieuse qu'il s'agit d'un enfant de douze ans, appartenant à la 1re classe. Nous avons déjà dit de cet élève qu'il avait été très suggestible dans la première expérience. Il en est de même de Diém, qui est plus jeune.

Fig. 12.—Expérience de suggestibilité sur Poire, douze ans, 1re classe. Coefficient de suggestibilité: 437. La feuille étant trop grande, nous avons été obligés, pour la reproduire, de supprimer 7 points à droite qui continuaient la direction des autres points et de réduire la feuille de moitié.

Poire.—Coefficient: 437 (fig. 12). Un des exemples les plus étonnants d'automatisme. Cet élève a marqué toujours des écarts égaux depuis le 5e jusqu'au 25e point: c'est l'automatisme schématique. Cependant cet enfant a douze ans et demi, il appartient à la 1re classe. Il devrait avoir un coefficient encore plus élevé, et même le coefficient maximum; mais l'expérience n'a été poussée pour lui que jusqu'au point 25. On se demande à quoi pouvait lui servir de regarder le modèle, sur lequel il jetait les yeux chaque fois. On se demande aussi jusqu'où il pourrait être amené à exagérer la longueur de la ligne modèle.

Il en est de même de Mas., Hube., Tix., And., Gouje. Ce sont tous de parfaits automates, ayant marqué la série de points en ligne droite. Trois de ces quatre enfants sont en 4e classe, et doivent sans doute leur suggestibilité à leur très grande jeunesse; l'un d'eux, And., est plus âgé. Nous regrettons de ne pas pouvoir publier leurs feuilles, elles sont trop grandes. Rappelons qu'And., le plus suggestible de tous, a fait des lignes dont la dernière n'a pas moins de 30 centimètres! C'est un des cas qui montrent le mieux l'utilité des méthodes nouvelles que nous présentons. Il est évident que quelques-uns de ces élèves doivent s'apercevoir de l'erreur énorme qu'ils commettent, mais ils n'osent pas se corriger.

Chez Mous, Martin, Van, ce développement automatique n'est pas indéfini, il se prolonge environ jusqu'au 20e point: puis le sujet se reprend, se corrige plus ou moins, modifie sa ponctuation; chez d'autres, l'automatisme est plus durable, plus régulier; nous n'affirmerons pas, bien entendu, que ceux que nous considérons comme des automates parfaits n'ont jamais eu un doute ni un soupçon; mais ce doute et ce soupçon, s'ils se sont produits, n'ont pas réussi à modifier la conduite de l'enfant.

INTERROGATOIRE DES SUJETS

Quand l'expérience est terminée, j'interroge d'habitude l'enfant, pour connaître les impressions qu'il a éprouvées. Je lui adresse la parole le plus amicalement possible, pour ne pas le troubler; et tout en lui parlant, j'écris rapidement au crayon les réponses qu'il me fait; ces réponses, je les reproduis textuellement, sans les abréger; j'abrège seulement mes questions, qui, comme c'est l'habitude pour le langage parlé, renferment beaucoup de redites. Cet interrogatoire a pour but de savoir jusqu'à quel point le sujet a été dupe de l'illusion, a été trompé par la suggestion de l'accroissement des lignes. Cet interrogatoire est extrêmement délicat à conduire. Si on parle avec un peu d'autorité, non seulement on fait dire aux enfants tout ce que l'on veut qu'ils disent, mais encore on réduit le plus grand nombre d'entre eux au silence. Beaucoup montrent pendant le tête-à-tête une très grande timidité, et il faut employer une patience et une douceur infinies pour délier leur langue et obtenir des aveux. L'interrogatoire prend facilement le caractère d'une confession. On s'en étonne soi-même à la réflexion, et on se demande pourquoi l'entretien suscite cette timidité et même cette fausse honte chez ces gamins de Paris. Je pense que la raison en est que l'enfant se sent vaguement pris en faute, et reconnaît que pendant l'expérience des lignes il a manqué d'attention.

Notre interrogatoire ne s'adresse pas indistinctement à tous nos sujets.

Ceux qui ont à peu près échappé à la suggestion ont été mis hors de cause. J'ai cru qu'ils n'ont point de confidences intéressantes à nous faire puisqu'ils n'ont pas obéi à la suggestion, mais je regrette maintenant cette élimination. Je n'ai interrogé que ceux qui ont été réellement suggestionnés; et les plus curieux à interroger peut-être sont ces petits enfants de sept ans qui ont obéi à la suggestion avec un automatisme parfait.

A la première question posée: «Etes-vous content de ce que vous avez fait?» Il est bien rare de recevoir une réponse négative. La question est très vague, elle a du reste une tournure optimiste, et l'enfant répond d'habitude d'un ton satisfait: «Oui, monsieur». Si on continue en précisant un peu: «Pensez-vous avoir commis des erreurs?» Alors l'enfant devient plus réfléchi, quelque peu soucieux, mais en général il ne répond pas encore; ce qu'on lui demande n'est pas assez clair pour lui. Il faut préciser davantage, et lui dire: «Avez-vous fait vos lignes trop courtes ou trop longues?» C'est là le mot décisif; à part les élèves qui réellement n'ont commis que des erreurs insignifiantes, la majorité des autres répond sans hésiter: «J'ai fait les lignes trop longues.» Bien rares sont ceux qui les trouvent trop courtes.

Cet aveu semble démontrer que le sujet a eu une demi-conscience de l'illusion que la suggestion a produite; mais cette interprétation ne me paraît pas absolument démontrée. Je crois que, quelque précaution qu'on y mette, on suggestionne un peu l'enfant en lui demandant s'il a fait des lignes trop courtes ou trop longues. Bien entendu, je me garde d'accentuer un des qualificatifs, et je les prononce tous les deux avec le même ton de voix; mais par là j'attire l'attention de l'enfant, très fortement, sur une erreur relative à la longueur des lignes, je l'aide par conséquent à prendre conscience de son erreur, et cette conscience qu'il en a maintenant, rétrospectivement, grâce à ma demande, me paraît être beaucoup plus nette que celle qu'il a pu avoir au moment même où il traçait les lignes. Je ne puis rien affirmer, touchant des phénomènes aussi intimes et aussi fuyants: je note seulement mon impression personnelle. Par l'interrogation méthodique, je crois qu'on renforce un état de conscience très faible, comme—qu'on me permette cette comparaison de photographe—en développant une plaque impressionnée on complète l'action de la lumière sur cette plaque.

Quand un enfant dit qu'il a fait les lignes trop longues, il peut vouloir dire par là que l'excès de longueur est très petit ou bien très grand; il faut s'entendre, le faire préciser; et pour éviter toute suggestion verbale, je remets la plume entre les mains de l'enfant, et je le prie de se corriger, en marquant par des cercles les endroits où les lignes auraient dû être terminées. Les figures 8, 10 et 11 contiennent des exemples de ces corrections. Il est vraiment singulier que l'enfant puisse ainsi corriger son travail, et le corriger le plus souvent dans le bon sens, alors qu'il n'a pas eu le loisir de revoir les lignes modèles. Il n'obéit pourtant pas à une suggestion précise de ma part, puisque je lui ai posé la question en termes ambigus, lui laissant la liberté de décider si les lignes étaient trop longues ou trop courtes. Pourquoi donc est-il capable de corriger et d'améliorer son travail, sans revoir le modèle? Je crois que c'est parce qu'il a cessé d'être sous l'influence de la suggestion; il n'est plus entraîné, poussé dans une certaine voie, il a repris possession de lui-même, comme un sujet qu'on réveille du sommeil hypnotique.

Quelle est donc la cause qui, dans nos expériences, réveille l'enfant et le fait échapper à la puissance de la suggestion? Certes, le mot réveil est employé ici dans un sens tout à fait métaphorique; on n'a pas à réveiller l'enfant puisqu'il n'a pas été endormi; mais quelque chose de semblable au réveil hypnotique se produit en lui. Je pense que la raison de ce changement d'état consiste dans l'interrogation qu'on lui adresse, interrogation qui a pour effet de changer l'orientation de ses idées en attirant son attention sur les erreurs qu'il a pu commettre; c'est là faire appel à son sens critique, qui a eu le tort de ne pas s'exercer suffisamment pendant l'expérience; c'est donc de son sens critique endormi qu'on provoque le réveil.

Nous donnons ici la liste de ces rectifications. Quelques élèves sont portés sur la liste comme ne s'étant pas corrigés du tout; il faut s'entendre sur ce point; en réalité, quelques-uns de ces élèves n'ont point reconnu avoir commis d'erreur, tandis qu'il y en a d'autres auxquels la question d'erreur à corriger n'a pas été posée. Cet oubli, que nous regrettons, mais qu'il n'est plus temps de réparer, tient au caractère tâtonnant de ces recherches. Voici la liste et la description des rectifications que les élèves ont faites.

LISTE DES RECTIFICATIONS FAITES PAR LES ÉLÈVES

DELANS, 0.

NIL, régularise un point quelconque.

ABRAS, 0.

MATH., allonge le 7e point de 4 millimètres, allonge un autre< point de 8 millimètres.

GESB., 0.

MARCH., raccourcit de 8 millimètres les lignes de 6 à 10 tout en les laissant croître; raccourcit aussi de 12 millimètres les points 16 et 17.

DESVA., raccourcit toutes les lignes à partir de la 7e, et les raccourcit de manière à rendre leur ensemble plus uuiforme et plus régulier, mais les laisse croissantes (voir fig. 8).

SPEN., une seule correction insignifiante.

BORE., 0.

SAGA., corrections très petites, régularisant le tracé.

PET. (H.), 0.

DUSS., corrections insignifiantes, régularisant le tracé.

FÉLI., 0.

GEFFR., 0.

MAN., régularise un peu, et d'ordinaire diminue les lignes de 4 millimètres ou de 8 millimètres, une fois de 20 millimètres.

BON., 0.

THEVE., diminue de 20 millimètres la 4e ligne et diminue de 40 millimètres la 6e ligne. Corrige énormément, d'environ 5 centimètres toutes les lignes, et les régularise, mais les laisse un peu croître.

DÉMI., 0.

MOR., corrige en moins, de 8 à 12 millimètres, 4 lignes.

PET. (E.), 0.

VASSE., 0.

BIEN., 0.

UHL., 0.

LENOR., diminue de 4 à 8 millimètres plusieurs lignes, même la 3e et la 4e.

METZ., c'est la correction la plus forte de toutes. A partir de la 6e ligne, il fait des corrections indiquant que dans sa pensée les lignes n'ont plus augmenté ou presque plus (voir fig. 10).

CLOU. Il augmente les trois premières lignes, et ensuite diminue toutes les autres; sa première série de diminutions qui est très forte, est en moyenne de 4 centimètres; elle laisse subsister l'ordre croissant des lignes; peu satisfait il recommence ensuite une seconde série de corrections qui diminuent encore de 1 à 2 centimètres la longueur des lignes mais les laissent croissantes.

ROS., 0.

OBRE., augmente 5 lignes de 4 millimètres.

MULLE., 0.

MOUSSE, diminue fortement les lignes à partir de la 11e; la diminution la plus forte est de 4 millimètres; ces diminutions ont pour effet de régulariser la série de points.

MARTI., 0.

VAN., diminue les lignes de 11 à 20; il les diminue de 8 à 20 millimètres, mais les laisse croissantes.

BOU., diminue des lignes à partir de la 9e; en marque 6 égales, puis marque les autres croissantes (fig. 11).

DIE., diminue toutes les lignes à partir de la 1re; les diminutions vont régulièrement en augmentant d'importance depuis 4 millimètres jusqu'à 24 millimètres, laisse les lignes croissantes.

AND., dans ses corrections, reproduit le type automatique; en effet, il diminue le 1er point de 8, puis les points suivants de 12, de 16, de 20, etc., de sorte que la série de corrections forme une ligne droite, qui s'éloigne progressivement de la marge, mais moins que les points marqués d'abord; la correction la plus forte est de 10 centimètres.

GOUJ., 0.

MAS., à partir du 18e point, marque des corrections en ligne droite, dont les premières ont une valeur de 4 millimètres et les autres une valeur de 12 centimètres; toutes ces corrections sont en moins.

HUB., 3 corrections en moins, de 8 millimètres chacune.

TIX., 0.

Les rectifications faites par des sujets, après la fin de l'expérience, ne doivent évidemment pas être prises au pied de la lettre. Ce n'est pas après avoir reproduit de mémoire 36 lignes qu'on peut corriger avec sûreté l'une d'entre elles; les corrections doivent donc être considérées comme la simple indication de ce que le sujet pense de son travail après l'avoir terminé, de l'idée qu'il se fait encore sur l'accroissement des lignes.

Nous ne pouvons tenir compte, pour les raisons données plus haut, que des résultats fournis par 21 sujets. Sur ce nombre, la plupart, soit 14, ont fait des corrections dans le sens de la diminution; 2 seulement ont allongé les lignes; 2 ont fait des corrections insignifiantes; et 3 ont fait des corrections qui régularisaient la position des points. Ces régularisations sont du reste fréquentes dans le cas où le sujet diminue les lignes. En résumé, on peut décrire de la manière suivante les corrections; elles se font en moins, elles régularisent l'ensemble des points, elles laissent subsister, en la diminuant, l'indication de l'accroissement des lignes.

Il s'est produit dans deux cas, pendant que le sujet s'absorbe dans la correction de sa feuille, un petit fait qui donne beaucoup à réfléchir. Le sujet commence par corriger un certain nombre de ses lignes, en marquant des cercles de la manière qu'on lui a prescrit; puis, quand son travail est terminé, il n'en est pas content, et sans aucune parole do notre part, sans aucune suggestion par geste ou autrement, il fait une seconde série de corrections, qui a pour effet de diminuer la longueur des lignes de la 1re correction. C'est par exemple le cas de Clou, qui en se corrigeant fait une série de petits cercles assez rapprochée de la série de points; ensuite, se ravisant, il fait une seconde série de cercles qui est beaucoup plus rapprochée de la marge, et dont la position est beaucoup plus exacte.

On voit donc que chez lui la conscience de l'erreur est allée, après l'expérience, en croissant d'exactitude: ce petit fait est à l'appui de l'interprétation que nous avons donnée plus haut; la conscience de l'erreur est surtout rétrospective, elle se développe par degrés quand l'expérience est terminée, et suppose que le sujet reprend possession de lui-même.

Quand un sujet a terminé ces corrections, on lui pose la question suivante: «A quel signe vous êtes-vous aperçu que les lignes que vous faisiez étaient trop longues

Beaucoup répondent par le silence timide, ce refuge si familier aux enfants; d'autres expliquent que c'est en regardant le modèle qu'ils ont compris que les lignes du modèle étaient plus courtes que celles qu'ils traçaient. Cette réponse est très juste, mais dans les termes où on nous la donne, elle est absurde; puisque l'enfant reproduisait les lignes du modèle après les avoir vues, cette perception du modèle ne pouvait pas tout à la fois lui faire reproduire des lignes trop longues et lui montrer que les lignes reproduites étaient trop longues. La réalité est que les sujets que la suggestion a entraînés fixaient toute leur attention sur la série de points qu'ils avaient déjà marqués sur la feuille, et ils marquaient un point nouveau, en se guidant d'après la position des points antérieurs; le regard qu'ils jetaient sur les lignes modèles était un regard distrait, machinal; puis, à un certain moment, par suite d'une circonstance quelconque, ils ont regardé plus attentivement le modèle, et ils ont été frappés de voir que comme longueur il était beaucoup plus petit que la ligne qu'ils traçaient. Voilà, ce me semble, l'explication exacte et complète.

Nouvelle question que nous posons au sujet: «À quel moment vous êtes-vous aperçu que vos lignes étaient beaucoup trop longues?» Quelques-uns—ils sont rares—répondent qu'ils s'en sont aperçus seulement à la fin, quand l'expérience est terminée. La plupart indiquent le moment de l'expérience où ils ont compris leur erreur; l'endroit qu'ils indiquent correspond quelquefois à une correction qu'ils ont faite; quelquefois aussi, elle ne correspond à rien de précis; certains sujets disent qu'ils ont fait leur petite découverte au moment où les points continuaient à s'éloigner régulièrement de la marge, et où l'automatisme paraissait complet. On pourrait révoquer en doute cette assertion si elle ne se produisait pas très fréquemment, ce qui semble exclure tout mensonge.

Enfin, reste la dernière question, la plus compliquée de toutes, celle qui le plus souvent n'obtient pas de réponse, et qui embarrasse beaucoup les enfants. Quand ils nous ont dit qu'ils se sont aperçus depuis longtemps, par exemple en marquant le 8e point, qu'ils faisaient les lignes trop longues, alors, tout naturellement, vient la pensée de leur demander: «Pourquoi avez-vous continué à faire des lignes trop longues, après que vous vous êtes aperçu que vous vous trompiez?» Cette question ressemble un peu à un reproche, et c'est sans doute pour ce motif que beaucoup d'enfants hésitent à répondre, rougissent ou font la moue. Du reste, ces signes de fausse honte, beaucoup d'enfants les donnent, même pendant l'expérience; j'en ai vu plusieurs qui hochaient la tête, rougissaient et paraissaient très ennuyés pendant qu'ils marquaient leurs points, c'est une chose vraiment curieuse qu'une petite expérience aussi inoffensive que celle consistant à reproduire des longueurs de lignes puisse troubler certaines têtes. C'est donc par le silence que beaucoup d'enfants se tirent d'embarras; silence obstiné, regard fuyant; il y a de grands garçons de quatorze ans qu'on ne peut pas tirer de cette attitude. D'autres répondent simplement: «Je ne sais pas», ce qui est à peu près la même chose. Les trois quarts d'enfants d'école ne trouvent pas d'autre réponse. D'autres enfin donnent un motif. Ce motif est-il exact? Dans un nombre de cas, il est manifestement faux, dans d'autres cas il est au contraire assez vraisemblable, et la nature des raisons alléguées jette un jour assez vif sur le mécanisme de la suggestion. Citons quelques exemples:

Van, enfant très jeune, très intelligent, très vif.

D.—Pourquoi as-tu continué à faire les lignes trop grandes?

R.—Parce que je voulais toujours passer un carré.

D.—Pourquoi voulais-tu toujours passer un carré?

R.—Pour que cela fasse plus beau.

Un autre, à la même question, répond naïvement: «Parce que je pensais que cela ne faisait rien qu'elles fussent grandes ou petites.»

Ce sont là probablement des motifs trouvés après coup, des justifications inventées à plaisir. D'autres élèves nous donnent des raisons qui nous paraissent assez vraisemblables; l'un, tout jeune, Diem, à qui je dis: «Pourquoi as-tu continué à faire les lignes trop grandes, quand tu t'es aperçu qu'elles étaient trop grandes?» répond: «Parce que j'avais peur que vous ne me les fissiez recommencer». Cette réponse laisse deviner une crainte de mal faire, de déplaire au professeur, en faisant des corrections qui altéreraient la régularité de la copie.

Un autre élève, beaucoup plus âgé, Clou, intelligent et appartenant à la 1re classe, s'arrête au milieu d'une expérience, pour me demander s'il est permis de marquer des points vers la marge. Il s'imaginait donc que c'était défendu. Ce sentiment de crainte a dû bien probablement peser sur plusieurs de nos sujets; il a été avoué par quelques-uns.

En résumé, notre interrogation nous permet de savoir jusqu'à quel point le sujet s'est rendu compte de l'illusion, quand on l'interroge après coup. C'est là une donnée utile qu'il faut ajouter aux autres. Beaucoup de sujets ont conscience d'avoir fait les lignes trop longues, beaucoup moins de sujets peuvent expliquer pourquoi ils les faisaient trop longues et enfin nous n'en avons pas rencontré un seul qui nous ait expliqué clairement pourquoi il a continué à allonger les lignes après s'être aperçu de son erreur. Cette inconscience plus ou moins accentuée ne saurait nous étonner, puisqu'elle est le propre de la suggestion hypnotique 41, mais il est bien curieux de la rencontrer dans une expérience scolaire.

Note 41: (retour) Voir à ce propos Magnétisme animal, par Binet et Feré, p, 154; quand un sujet suggestionne pendant une hypnotisation conserve sa suggestion à l'état de veille, il la croit spontanée et cherche à se l'expliquer.

Je reproduis quelques interrogatoires d'élèves.

INTERROGATOIRE DE DIEM ...

D.—Es-tu content?

R.—Oui, monsieur.

D.—C'est exact, ce que tu viens de tracer?

R.—Non.

D.—Pourquoi?

R.—Je les ai prises trop grandes.

D.—Corrige-les. (Il les corrige et fait les lignes plus petites).

D.—Tu penses que les lignes ne vont que jusque-là?

R.—Oui.

D.—Comment t'en es-tu aperçu?

R.—J'ai regardé.

D.—Tu t'en es aperçu en faisant les lignes, ou après les avoir faites?

R.—Je m'en suis aperçu en les faisant; je me suis dit: Je les ai faites trop grandes.

D.—Pourquoi as-tu continué à les faire trop grandes?

R.—Parce que j'avais peur que vous ne me les fassiez recommencer.

INTERROGATOIRE DE JEAN GOUJE.

D.—Es-tu content de ce que tu as fait?

R.—Oui, monsieur.

D.—Tu crois que tu ne t'es pas trompé?

R.—Si, monsieur, je me suis trompé.

D.—En quoi t'es-tu trompé?

R.—Mes lignes n'ont pas la même longueur que celles que vous m'avez montrées.

D.—Quelle faute as-tu commise?

R.—Les mesures sont plus grandes.

D.—De combien?

R.—Je ne sais pas.

D.—Si on te disait: tu peux te corriger, quelle correction ferais-tu?

R.—Je ne sais pas. En les voyant, je me disais: elles sont un peu plus grandes que celles que le monsieur me montre.

D.—Marque jusqu'où tu serais allé en te corrigeant.

R.—A peu près là. (Il raccourcit les lignes.)

D.—Pourquoi les as-tu faites trop grandes, si tu t'en es aperçu?

R.—Je ne sais pas, monsieur.

INTERROGATOIRE D'AND.

D.—Ça a bien marché?

R.—Oui.

D.—Tu penses n'avoir pas fait d'erreurs?

R.—Si.

D.—Quelle erreur?

R.—Je me suis trompé en marquant les points, parce que j'ai sauté deux lignes au lieu d'une.

D.—Comme longueur, penses-tu que tes lignes sont exactes?

R.—Oui.

D.—Où est le commencement de cette ligne-ci?

R.—Ici (la marge).

D.—Est-ce pareil à la ligne que je t'ai montrée?

R.—Non, la ligne que vous m'avez montrée était plus petite.

D.—Alors, corrige-toi.

R.—(Il se corrige). Je crois que je les ai faites toutes trop grandes. (Il rougit, parait méfiant, parle très peu, il est très lent dans ses mouvements; d'après ses corrections, les lignes gardent un ordre croissant).

D.—Quand tu travaillais, tu ne t'apercevais pas que c'était trop grand?

R.—Non.

D.—Quand t'en es-tu aperçu?

R.—Quand j'ai eu fini.

INTERROGATOIRE DE VAN.

D.—Es-tu content?

R.—Oui.

D.—Penses-tu avoir bien fait?

R.—Non.

D.—Pourquoi dis-tu cela?

R.—Je ne sais pas.

D.—Si on te permettait de te corriger, le ferais-tu?

R.—Oui (embarras).

D.—Dans quel sens t'es-tu trompé? Tu les as faites trop grandes ou trop petites?

R.—Trop grandes.

D.—Marque leur vraie grandeur. (Il rapetisse les lignes, mais leur conserve un ordre croissant.)

D.—Quand donc t'es-tu aperçu que tu les faisais trop grandes?

R.—(Nettement.) A la fin.

D.—Pourquoi les as-tu faites trop grandes? Y a-t-il quelque chose qui t'a obligé à les faire trop grandes?

R.—Parce que je voulais toujours passer un carré.

D.—Pourquoi voulais-tu toujours passer un carré?

R.—Pour que cela fasse plus beau.

D.—Comment t'es-tu aperçu tout à coup à la fin que tu faisais trop grand?

R.—Parce que les autres fois je ne regardais pas bien le modèle.

INTERROGATOIRE DE MULLE.

D.—Es-tu content de ton travail?

R.—Pas beaucoup.

D.—Quel genre d'erreur as-tu fait?

R.—J'ai fait les lignes trop longues.

D.—Pourquoi es-tu revenu deux fois à la marge?

R.—Parce que je m'étais trompé.

D.—Comment as-tu vu que tu t'étais trompé, que tu avais fait la ligne trop longue?

R.—Par celle qui suivait.

D.—Où t'es-tu aperçu que tu faisais trop long?

R.—Là. (Il montre un endroit de la feuille.)

D.—Tu le savais?

R.—Oui.

D.—Pourquoi alors as-tu continué à les faire trop longues? (Long silence.)

INTERROGATOIRE DE THEVE.

D.—Es-tu content?

R.—Oui.

D.—Es-tu content de ton travail?

R.—Non.

D.—Tu penses avoir commis des erreurs?

R.—Oui.

D.—Quelles erreurs?

R.—(Silence.)

D.—Penses-tu avoir fait les lignes plus longues ou plus courtes que le modèle?

R.—Plus grandes.

D.—Corrige-les, indique leur longueur exacte.

D.—Où as-tu fait les lignes trop longues?

R.—Ici.

D.—Comment t'es-tu aperçu que c'était trop long?

R.—Parce que c'était plus long que le trait (que le modèle).

D.—Pourquoi as-tu continué à les faire trop longues, puisque tu le savais?

R.—(Silence.) Parce que je n'ai pas osé revenir (vers la marge).

D.—Tu pensais donc que c'était défendu?

R.—Non, monsieur.

INTERROGATOIRE DE MOUSSE.

D.—Es-tu content?

R.—Oui, monsieur.

D.—Tu n'as pas fait d'erreurs dans ton travail?

R.—Je crois bien que dans ces lignes là j'ai trop éloigné (de la marge).

D.—Veux-tu essayer de te corriger?

R.—(Il se corrige et fait des différences très nettes, il raccourcit ses lignes).

D.—Quand t'es-tu aperçu que les lignes que tu faisais étaient trop grandes?

R.—Quand je vous l'ai demandé (ce sujet a demandé brusquement pendant l'expérience: peut-on reculer?)

D.—A quoi t'es-tu aperçu que tu faisais trop long?

R.—Je voyais bien que les traits sur les pages que vous me montrez n'étaient pas aussi longs que ça.

D.—Pourquoi n'as-tu pas fait plus court, alors?

R.—Je ne m'en étais pas encore aperçu.

D.—Pourquoi donc m'as-tu demandé la permission de les faire plus courtes?

R.—Sur le moment je croyais que les lignes allaient en augmentant, et alors je vous ai demandé la permission.

D.—Mais tu avais le droit de les faire plus courtes.

R.—Je n'en étais pas sûr si j'en avais le droit.

Comparaison des deux expériences faites sur l'influence d'une idée directrice.—Nous faisons cette comparaison pour savoir si deux expériences, qui ont eu le même caractère et le même but donnent en général le même classement des élèves, ou si au contraire il peut se produire des différences telles qu'un sujet quelconque, jugé très suggestible d'après la première expérience, sera jugé très peu suggestible d'après la seconde. Ce point est important. En psychologie individuelle, il importe que les épreuves donnent pour chaque personne un résultat aussi constant que possible; si le résultat était extrêmement variable, et pouvait varier dans une proportion considérable sous l'influence de causes d'erreur très faibles, et très difficiles à éviter, il faudrait évidemment rejeter cette épreuve comme peu satisfaisante. On ne s'est pas beaucoup préoccupé jusqu'ici en psychologie individuelle, de la constance des résultats; il suffit cependant d'y réfléchir un moment pour comprendre que c'est un problème de premier ordre. A quoi bon mesurer la mémoire, la force musculaire ou la sensibilité tactile d'un individu, si ces mesures, quoique faites avec le plus grand soin, varient d'un jour à l'autre dans des proportions telles qu'elles cessent de caractériser l'individu? Il y a probablement un degré de constance qui doit varier avec la nature de la fonction mesurée, et aussi avec le dispositif employé pour opérer la mesure; mais ce sont des points qui sont encore bien peu connus, et qu'on devra étudier méthodiquement.

Examinons pour un certain nombre de nos sujets s'ils se sont comportés différemment dans nos deux épreuves de suggestion. Nous rapprocherons les deux listes de noms, classés d'après l'ordre de suggestibilité croissante.

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