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Le cycle du printemps

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ACTE TROISIÈME

PRÉLUDE DE CHANT

(L’hiver est démasqué ; sa jeunesse cachée prêle à apparaître.)

La scène principale s’éclaire, laissant voir l’Hiver et les hérauts du Printemps.

CHANTS DES HÉRAUTS DU PRINTEMPS

Comme il a l’air grave ; combien ridiculement vieux, combien solennellement tranquille au milieu de ses préparatifs de mort !

Venez, amis, aidons-le à se reconnaître avant qu’il n’atteigne sa demeure.

Changeons sa robe de pélerin contre le vêtement radieux de la jeunesse chantante.

Arrachons-lui son sac de vieilleries et confondons ses calculs.

(Un autre groupe chante.)

Le temps approche où le monde saura que tu ne disparais pas sans laisser de traces.

Ton cœur éclatera en torrents libéré de son cadenas de glace ;

Et ton vent du nord tournera sa face contre le repaire des fantômes voltigeants.

Alors battra le tambour magique.

Et le Soleil, avec un rire étincelant, attendra de voir tes cheveux gris devenir verts.

(Le soir descend.)

(La Scène supérieure est dans l’ombre, la lumière de la scène principale est obscurcie et devient d’un gris sombre.)

(Une bande de jeunes gens.)

Il est là ; il est là — et, quand nous le cherchons, nous ne trouvons plus que de la poussière et des feuilles sèches.

J’ai cru apercevoir un reflet du drapeau de son char à travers les nuages.

Il est difficile de suivre sa trace. Tantôt on croit la voir à l’est, tantôt à l’ouest.

Nous sommes fatigués, poursuivant des ombres tout le jour, et notre journée est perdue.

En vérité — La peur nous saisit à mesure que s’approche la nuit.

Nous nous sommes trompés, la lumière du matin murmurait à nos oreilles : « Bravo, Marchez. » Et à présent le crépuscule se moque de nous.

Nous avons peur d’être déçus. Nous commençons à avoir un plus grand respect pour les vers de Dada. Bientôt nous serons tous assis par terre occupés à composer des quatrains.

Alors tous les voisins viendront en foule autour de nous, et ils trouveront un si grand profit dans notre sagesse que jamais plus ils ne voudront nous quitter.

Et nous nous installerons ici, comme un gros bolide froid et immobile.

Et les gens s’accrocheront à nous comme un épais brouillard.

Qu’est-ce que notre maître penserait de nous à présent s’il pouvait nous voir ?

Sûrement c’est notre maître qui nous a laissés nous égarer. Il nous a fait travailler pour rien tandis que lui-même se reposait paresseusement.

Retournons en arrière et luttons contre lui.

Disons-lui que nous ne voulons plus avancer d’un pas, que nous resterons assis les jambes croisées.

Nos jambes sont d’infortunés vagabonds. Elles ne font qu’arpenter les routes.

Nous nous tiendrons les mains derrière le dos.

Le mal ne vient pas par derrière, il vient par devant.

De tous nos membres le dos est le plus véridique. Il nous dit : « Couche-toi ».

Quand nous sommes jeunes notre poitrine se gonfle avec orgueil, mais quand nous devenons vieux nous ne pouvons plus que nous étendre sur le dos.

Nous songeons au petit ruisseau qui coule dans notre village. Ce matin, il semblait nous dire : En avant, en avant ! mais en réalité il disait : Fausseté, fausseté ! Le monde n’est que fausseté.

Notre docteur avait coutume de nous parler ainsi.

A notre retour nous irons de suite revoir le Docteur.

Jamais plus nous ne ferons un pas sans consulter les écrits du Docteur.

Quelle erreur nous avons faite ! Nous avons cru qu’il était héroïque d’agir.

Mais ce qui est vraiment héroïque c’est de rester tranquille, parce que l’immobilité est un défi à l’univers entier qui n’est que mouvement.

Braves rebelles que nous sommes, nous ne bougerons pas. Nous aurons l’audace de rester tranquillement assis et de ne pas bouger d’une ligne.

La vie et la jeunesse s’envolent, disent les Écritures. Que la vie et la jeunesse aillent au diable ; nous ne bougerons pas. L’esprit et la fortune passent, ajoute l’Écriture. Laissons-les passer et restons assis.

Retournons à notre point de départ…

Mais pour cela il nous faudrait bouger.

Alors ?

Alors restons assis là où nous sommes.

Et imaginons-nous que nous y avons été avant d’y être jamais venus.

Oui, oui, ceci apaisera notre esprit. Car si nous pensions être venus d’ailleurs, alors notre âme languirait pour cet ailleurs.

Le pays d’« ailleurs » est un dangereux pays.

Le sol y bouge et aussi les routes. Quant à nous :

(Ils chantent.)

Nous nous cramponnons à nos sièges et nous ne bougeons pas.

Nous permettons aux fleurs de se faner en paix et de s’éviter la peine de porter des fruits.

Nous laissons aux blasons des étoiles leur éternelle folie ;

Nous éteignons nos flammes.

Nous laissons la forêt frémir et l’océan mugir ;

Nous, restons muets.

Nous laissons venir de la mer l’appel de la marée :

Nous, restons immobiles !

Entendez-vous ces rires !

Oui, en effet ce sont des rires.

Quel soulagement ! Voilà des siècles que nous n’avions plus entendu rire.

Nous étouffions du désir d’entendre rire.

Ce rire nous arrive comme une pluie d’Avril.

Qui rit ainsi ?

Ne devinez-vous pas ? C’est notre Chandra.

Quel don merveilleux de rire il a !

Son rire est comme une cascade qui projette hors du chemin toutes les pierres noires.

Il est comme la lumière du Soleil. Il coupe le brouillard comme une épée.

A présent tout danger de la fièvre de quatrains est passé ! Levons-nous.

Dès maintenant nous ne songerons plus qu’à travailler. Comme disent les Écritures : « Tout passe dans ce monde et celui-là seul vit qui fait son devoir et conquiert la renommée ».

Pourquoi cette citation ? Souffririons-nous encore de la fièvre des quatrains ? Que signifie la renommée ? La rivière prend-elle souci de son écume ? La renommée est l’écume de la rivière du temps.

(Entre Chandra avec le Ménestrel aveugle.)

Eh bien, Chandra, qu’est-ce qui te rend si Joyeux ?

CHANDRA. — Je suis sur la trace du Vieil Homme.

LES JEUNES GENS. — Qui te l’a donnée ?

CHANDRA. — Ce vieux Ménestrel.

Il paraît aveugle.

CHANDRA. — Oui, c’est pour cela qu’il n’a pas besoin de chercher sa route.

Que dis-tu ? Ménestrel pourras-tu nous conduire ?

MÉNESTREL. — Oui…

Mais comment ?

MÉNESTREL. — Je puis entendre la trace des pas.

Nous avons des oreilles, mais…

MÉNESTREL. — J’entends avec tout mon être.

CHANDRA. — Tous se levaient avec frayeur quand je demandais des nouvelles du Vieil Homme ; seul ce Ménestrel n’eut pas peur. C’est parce qu’il ne voit pas qu’il n’a pas peur, je suppose.

MÉNESTREL. — Savez-vous pourquoi je n’ai pas peur ? Quand le Soleil de ma vie se coucha et que je devins aveugle, la sombre nuit me révéla toutes ses lumières, et depuis ce jour je n’ai plus eu peur de l’obscurité.

Alors partons. L’étoile du soir est levée.

MÉNESTREL. — Je chanterai et vous, marchez et suivez-moi pendant que je chante. Je ne puis trouver mon chemin si je ne chante pas.

Que veux-tu dire ?

MÉNESTREL. — Mes chants me précèdent. Je les suis.

(Il chante.)

Doucement, mon ami, marchez doucement vers votre calme demeure.

Je ne connais pas la route, je n’ai pas de lumière ;

Sombre est ma vie et sombre est le monde pour moi.

Je n’ai que le son de vos pas pour me guider dans ma solitude.

Doucement, mon ami, marchez doucement le long de la sombre plage.

A travers la nuit, porté par la brise d’Avril, laissez venir dans un murmure l’appel de la route.

Je n’ai que le parfum de votre guirlande de fleurs pour me guider dans ma solitude.

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