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Le Roi de Rome (1811-1832)

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The Project Gutenberg eBook of Le Roi de Rome (1811-1832)

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Title: Le Roi de Rome (1811-1832)

Author: Henri Welschinger

Release date: August 12, 2011 [eBook #37050]

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE ROI DE ROME (1811-1832) ***

Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier and the Online

Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica).

HENRI WELSCHINGER

LE ROI DE ROME

(1811-1832)

Avec portrait d'après Isabey

PARIS
LIBRAIRIE PLON

1897

[Illustration: Le Roi de Rome]

TABLE SOMMAIRE DES CHAPITRES

CHAPITRE PREMIER
LE SÉNATUS-CONSULTE DU 17 FÉVRIER 1810.

La séance du Sénat du 17 février 1810.—Lecture du sénatus-consulte par Regnaud de Saint-Jean d'Angély.—Réunion de l'État de Rome à l'Empire.—Motifs de cette réunion.—Le nouveau roi de Rome.—L'Empereur des Romains ou le chef du Saint-Empire romain.—Le prince impérial est appelé roi de Rome plus d'un an avant sa naissance.—Son futur couronnement à Rome.—Attitude de Napoléon vis-à-vis du Saint-Siège.—Lettre qu'il voulait adresser en 1810 à Pie VII.—Conséquences du mariage de Napoléon avec Marie-Louise.—Faiblesse des Officialités de Paris et de Vienne.—Soumission adulatrice de Regnaud de Saint-Jean d'Angély.—Silence de l'Europe.—Tout s'incline devant l'Empereur des Français.—Mansuétude du Pape.—Violences nouvelles de Napoléon qui préparent sa chute.—Affectation de respect pour le pouvoir spirituel du Saint-Siège.—Prières demandées à l'église en faveur de Marie-Louise.—L'oraison Pro laborantibus.—Susceptibilités de Réal.—Ignorance de Bigot de Préameneu en matière canonique.—Prières du Consistoire central des Israélites.—Vœux des poètes pour Marie-Louise: Casimir Delavigne, Lemaire et Legouvé.

CHAPITRE II

LA NAISSANCE ET LE BAPTÊME DU ROI DE ROME.

Toast de Metternich, le soir du mariage de Napoléon.—La couronne des Romains.—Le 20 mars 1811.—Lettre de Napoléon à François II.—Réponse de l'empereur d'Autriche.—Avis du Moniteur.—Procès-verbal de la naissance.—Pages et courriers.—Prières dans les églises.—Le 22e coup de canon.—Joie de l'Empereur.—Berceau offert par la Ville de Paris.—Ondoiement du roi de Rome.—Fêtes, illuminations, feux d'artifice.—Bulletins de santé.—Félicitations des sénateurs, conseillers d'État et diplomates.—Projet de lettre aux évêques.—Te Deum.—Démonstrations à l'étranger.—Théâtres de Paris.—Gratifications aux poètes.—Leurs œuvres.—Compte rendu de M. de Montalivet.—L'Université et le roi de Rome.—Adresses à l'Empereur.—Le marquis de Gallo.—Adresse des mères allemandes.—Aménophis et Sésostris.—Rapport du duc de Frioul.—Relevailles de Marie-Louise.—Ses lettres à son-père.—Le baptême du roi de Rome.—Le 9 juin 1811.—Les Tuileries et Notre-Dame.—L'Empereur et son fils.—Fête à l'Hôtel de ville.—Fêtes dans Paris.—Ovations et enthousiasme général.—Présents impériaux.—Grâces et décorations.—Ouverture du Corps législatif le 16 juin.—Discours de Napoléon.—Nouvelles menaces contre le Saint-Siège.—Craintes pour l'avenir de la dynastie impériale.

CHAPITRE III
L'ENFANCE DU ROI DE ROME.

Lettres de Marie-Louise à son amie Mme de Crenneville sur son mariage avec Napoléon.—Détails sur le roi de Rome.—Tendresse de Napoléon pour Marie-Louise.—Mme de Montesquiou, gouvernante du roi de Rome.—Le comte de Montesquiou.—La comtesse de Montebello.—Napoléon et son fils.—Le départ pour Dresde.—Apparition du général comte de Neipperg.—Le portrait du roi de Rome par Gérard.—Joie de Napoléon et de l'armée à la vue de ce portrait.—La conspiration Malet et Marie-Louise.—Le retour de Napoléon.—Dernières joies intimes.—Le récit du comte d'Haussonville.—La prière du roi de Rome.

CHAPITRE IV
LE ROI DE ROME ET L'EMPIRE EN 1813.

Lettres de Marie-Louise sur l'absence de l'Empereur et les consolations que lui donne son fils.—Portrait de Marie-Louise par Lamartine.—Opinions de M. de Laborde et de Thiers sur la beauté de l'Impératrice.—Affection que lui témoigne Napoléon.—Difficultés de la situation de l'Empereur.—Nouveaux différends avec le Saint-Siège.—Le Concordat de Fontainebleau.—Attitude de l'Autriche.—Elle refuse d'augmenter son contingent auxiliaire.—Politique secrète de Metternich.—Lettre conciliante de François II à Napoléon.—Réponse de l'Empereur.—Intrigues diplomatiques de M. de Neipperg.—Bataille de Lutzen.—Régence de Marie-Louise.—Bataille de Bautzen.—Embarras de l'Autriche.—Mission confiée au comte de Bubna.—Son entrevue à Prague avec l'Empereur.—Déclarations de Napoléon.—Hésitations de François II.—Habileté de Metternich.—Entretien de Dresde.—L'armistice.—Les négociations de Prague.—La rupture.—Menées secrètes de l'Autriche.—Le traité de Reichenbach.—La bataille de Dresde.—La bataille de Leipzig.—Le retour de l'Empereur à Saint-Cloud.—Napoléon et le roi de Rome.—Lettre de Marie-Louise à son père.—Défection de l'Autriche.—Déclaration de Francfort.—Le journal du comte Molé.—Les intrigues à l'intérieur.—Tentative de réconciliation de Napoléon avec le Saint-Siège.

CHAPITRE V
FONTAINEBLEAU, BLOIS, RAMBOUILLET.

L'invasion.—La Régence.—Cambacérès et le roi Joseph.—Le duc de Rovigo et le prince de Bénévent.—Discours de Napoléon aux réceptions de la nouvelle année (1814).—Les dernières joies de Napoléon.—Son allocution aux officiers de la garde nationale.—Il leur confie sa femme et son fils.—Retour de Pie VII dans ses États.—La campagne de France.—Efforts héroïques de Napoléon.—Dissentiments chez les alliés.—Schwarzenberg et Blücher.—Critiques violentes du généralissime autrichien contre Alexandre et Frédéric-Guillaume.—Le congrès de Châtillon.—Les combats de Champaubert, Montmirail et Vauchamps.—Exigences des alliés.—Ultimatum de Chaumont.—Nouvelles récriminations de Schwarzenberg.—Aveux de la détresse des alliés par eux-mêmes.—Napoléon accepte enfin les anciennes limites.—Refus des alliés.—Les derniers combats et la capitulation de Paris.—Intrigues de Talleyrand.—Le Sénat et le gouvernement provisoire.—La trahison du duc de Raguse.—L'abdication conditionnelle de Napoléon.—Le Sénat appelle au trône le comte de Provence.—L'abdication définitive de Napoléon.—Le traité de Fontainebleau.—Part personnelle de Metternich à ce traité.—Instructions que Napoléon avait données à Joseph pour Marie-Louise et le roi de Rome.—Le sort d'Astyanax.—Conduite de Marie-Louise durant la campagne de France.—Conseil du 28 mars.—On décide le départ de la régente.—Résistance du roi de Rome.—Le 29 mars.—Habiletés de Talleyrand.—Manifestation royaliste.—Le fils de Napoléon est exclu du trône.—Arrivée de Marie-Louise à Rambouillet, puis à Blois.—Son message à François II.—Entrevue avec le colonel de Garbois.—Proclamation de Marie-Louise.—Le 8 avril.—Manœuvres de Joseph et de Jérôme.—Arrivée de Schouvaloff et de Saint-Aignan.—Napoléon croit que Marie-Louise pourra le rejoindre à l'île d'Elbe.—L'Impératrice en a d'abord l'intention.—Sa versatilité.—Son entrevue avec M. de Saint-Aulaire.—Les exigences de M. Dudon.—Départ pour Orléans.—Lettre de Napoléon.—Départ de Marie-Louise pour Rambouillet.—Elle revoit son père.—François II et le roi de Rome.—Conseil donné à Marie-Louise d'aller momentanément à Schœnbrunn.—François II et la question de l'île d'Elbe.—Attitude rigoureuse de l'Autriche envers l'Empire déchu.—Mission de Maubreuil.—Les ordres authentiques.—Dernière lettre de François II à Napoléon.—Alexandre et Frédéric-Guillaume viennent voir le roi de Rome.—Lettres de Napoléon à Marie-Louise.—Son départ pour l'île d'Elbe.—Marie-Louise au château de Grosbois.

CHAPITRE VI

LE DÉPART POUR L'AUTRICHE.

Jugement de Napoléon sur Marie-Louise.—Hésitations de l'Impératrice à rejoindre son époux.—Elle cède aux mauvais conseils de Metternich.—Son voyage de Grosbois à Bâle.—Lettre de Napoléon.—Lettre de Marie-Louise à son père.—Arrivée à Innsbruck.—Le roi de Rome et le portrait de Joseph II.—Marie-Louise à Melk et à Saint-Poelten.—Arrivée à Schœnbrunn le 18 mai.—Lettre du général Caffarelli.—Installation au château.—Mme de Montesquiou et Mme Soufflot.—Distractions de Marie-Louise.—Entrevue avec son père à Siegartskirchen.—Entrée de François II à Vienne.—Départ de la duchesse de Montebello pour la France.—Nomenclature des Français qui restent à Schœnbrunn.—Arrivée de la reine Marie-Caroline de Naples.—Ses conseils à Marie-Louise.—L'Impératrice veut aller aux eaux d'Aix.—Elle obtient l'autorisation de s'y rendre, mais elle laissera son fils à Schœnbrunn.—Mission confiée par Metternich au général de Neipperg.—Détails sur ce personnage.—Il accompagne Marie-Louise à Aix.—Dernières lettres de Marie-Louise à Napoléon.—Le buste du roi de Rome envoyé à l'île d'Elbe.—Marie-Louise refuse d'aller en Toscane pour se rapprocher de son époux.—Napoléon l'attend toujours pour la fin d'août.—Ses lettres à Méneval et à l'Impératrice.—Attitude de Neipperg.—Courses de Marie-Louise en Suisse.—Entrevue à Berne avec Caroline d'Angleterre.—Don Juan et La ci darem la mano.—Rentrée à Schœnbrunn.—Organisation des nouveaux domaines de Marie-Louise.—François II dissuade sa fille d'aller à Parme.—Intrigues et complots.—Mort de Marie-Caroline.—Jugement de Méneval sur Marie-Louise.—Commencement du congrès de Vienne.—Fêtes, bals et festins.—Menaces contre Napoléon.—On parle déjà de l'envoyer à Sainte-Lucie, à Madagascar ou à Sainte-Hélène.—Question de l'entrée future du fils de Napoléon dans les Ordres.—Animosité du congres contre la France.—Habileté de Talleyrand, qui fait peu à peu rendre à la France son véritable rang.—Marie-Louise se tient à l'écart des fêtes.—Le berceau du roi de Rome lui est rendu.—Le roi de Rome et le prince de Ligne.—Nouveaux propos sur l'entrée du petit roi dans les Ordres.—Les armoiries impériales.—Interruption de la correspondance de Marie-Louise avec l'île d'Elbe.—Douleur de Napoléon.—Sa requête au grand-duc de Toscane.—Attitude de Talleyrand à Vienne.—Il réclame Parme pour la reine d'Étrurie.—Il propose les Açores pour y interner Napoléon.—Talleyrand, l'archiduc Charles et le roi de Rome.—Menaces d'Alexandre au sujet de la candidature possible du fils de Napoléon au trône d'Italie.—Réponse de Louis XVIII.—Mot du duc de Berry.—Marie-Louise et les Légations.—Lettre du roi Murat à Marie-Louise.—Astuce de Metternich.—Egoïsme de Marie-Louise.

CHAPITRE VII
LA COUR DE VIENNE ET LE RETOUR DE L'ÎLE D'ELBE.

Influence de Neipperg sur Marie-Louise.—François II montre aux alliés les lettres de Napoléon.—On se rit des douleurs de l'Empereur.—Louis XVII et le duc d'Enghien.—Méneval et le roi de Rome.—Éducation du petit prince impérial.—Le jour des Rois à Schœnbrunn.—Opposition de la France et de l'Autriche à l'exécution du traité de Fontainebleau.—Metternich et la reine de Naples.—Railleries de Louis XVIII à ce propos.—Pensions proposées à Marie-Louise avec quelques fiefs en Bohême.—Jugement de Talleyrand sur Metternich.—Refus de Marie-Louise d'accepter les pensions.—Conférence d'Alexandre et de Talleyrand.—Le Tsar demande pourquoi on n'exécute pas le traité de Fontainebleau.—Intervention du Tsar en faveur de Marie-Louise.—Le traité de Fontainebleau.—Talleyrand et la diplomatie russe.—Lord Castlereagh engage Louis XVIII à exécuter le traité de Fontainebleau, sous réserve d'indemnités pour la reine d'Étrurie.—Réversion des duchés sur cette reine et son fils à la mort de Marie-Louise.—Talleyrand et Alexandre.—Protestation apocryphe de Marie-Louise au congrès de Vienne.—Elle confie tous ses intérêts à Neipperg.—Elle demande la permission de le garder auprès d'elle.—Raisons qui motivent le retour de l'île d'Elbe.—L'Europe n'a pas tenu ses engagements.—Projet de déclaration contre Bonaparte.—Mémoire inédit de Talleyrand qui contient les bases de la déclaration du 13 mars.—Provocation officielle à un attentat contre la vie de l'Empereur.—Mesures prises contre sa famille.—La nouvelle du retour est connue à Schœnbrunn le 7 mars.—Opinion de l'archiduc Jean.—Inquiétudes de Marie-Louise.—Sa lettre à Metternich.—Neipperg est nommé maréchal de la cour.—Intentions secrètes de François II et de Metternich.—Le roi de Rome est conduit à la Burg à Vienne.—Renvoi de Mme de Montesquiou.—Accusations contre son fils d'avoir voulu enlever le prince impérial.—Ajournement du départ de Mme de Montesquiou.—Chagrin du roi de Rome.—Mesures sévères contre le comte Anatole de Montesquiou.—La Gazette de Vienne.—Mme de Mitrowsky remplace Mme de Montesquiou.—Émissaires envoyés de Paris à Vienne.—M. de Montrond et sa mission réelle.—Talleyrand et Caulaincourt.—Accusations non motivées de Talleyrand contre Mme de Montesquiou.—Rentrée de Napoléon aux Tuileries, le 20 mars.—Lettre confiée à M. de Stassart.—Napoléon prie François II de lui rendre sa femme et son enfant.—Refus de ce prince.—Vains efforts de Caulaincourt, ministre des affaires étrangères.—Ses lettres à Méneval, à Mme de Montesquiou, à M. de la Besnardière, au prince de Metternich.—Circulaire pacifique adressée aux agents diplomatiques.—Interception des missives à Kehl.—Inutiles protestations de Caulaincourt.—Lettre de Napoléon à Marie-Louise.—Caulaincourt et le cardinal Fesch.—Nouvelle politique de l'Empire envers le Saint-Siège.—Projet de couronnement du prince impérial.—Lettre de Méneval sur la situation à Vienne.—Méfiances des alliés contre le prince de Talleyrand.—Comment on est arrivé à modifier les intentions de Marie-Louise.—Son mauvais entourage.—Aveux de Marie-Louise à Méneval.—Elle désire une séparation à l'amiable avec Napoléon.—Ses lettres à Neipperg.—Isolement du roi de Rome.

CHAPITRE VIII
LES INTRIGUES DE FOUCHÉ ET DE METTERNICH EN 1815.

La Régence et l'Autriche.—Thiers et Metternich en 1849.—Questions historiques à élucider.—Mission du faux Werner à Bâle.—Opinion du prince Richard de Metternich.—Complications des intrigues de Metternich et de Fouché.—Étude de l'état de la France sous la première Restauration.—Mécontentement et complots.—Menées secrètes de Fouché.—Ses relations avec Talleyrand.—Ses propositions diverses au duc d'Orléans et à Marie-Louise.—Projet d'envoyer Napoléon aux Açores ou à Sainte-Lucie.—Correspondance secrète de Fouché et de Metternich.—Débarquement de Napoléon.—Fouché se croit trahi par Talleyrand.—Le duc d'Otrante reparaît le 20 mars.—Talleyrand se croit, de son côté, trahi par Fouché.—Décret impérial contre Talleyrand.—Conversation de Fouché et de Pasquier le 25 mars.—Double et triple jeu de Fouché.—Sa lettre secrète à Wellington.—L'affaire d'Ottenfels est plus qu'un incident.—Aveux incomplets de Metternich.—Confidences de Perregaux.—Arrestation du commis de la banque Eskelès et Cie.—Révélations de ce commis.—Le rendez-vous avec Henri Werner ou baron d'Ottenfels à Bâle.—Napoléon décide d'approfondir l'affaire.—Silence de Fouché.—Mission donnée par l'Empereur à Fleury de Chaboulon.—Départ de ce secrétaire.—Aveux tardifs de Fouché.—Pourquoi Napoléon ne le fait pas arrêter.—Fleury est chargé d'arriver à obtenir un rapprochement pacifique avec l'Autriche.—Prescriptions de Metternich à Werner ou Ottenfels.—Instructions écrites.—Entrevue de Fleury et du faux Werner.—Défiance réciproque des deux agents.—Confidences de Fleury.—Surprise de Werner, qui ne comprend rien au changement de politique de Fouché.—Les deux agents conviennent de se retrouver à Bâle huit jours après.—Fleury rapporte les détails de l'entrevue à Napoléon.—L'Empereur ne veut pas croire encore à la culpabilité de Fouché.—Fleury va, de la part de Napoléon, tout raconter au ministre de la police.—Surprise affectée de Fouché.—Il consent à remettre à Fleury, à son nouveau départ, une lettre pour Metternich.—Second entretien de Fouché et de Pasquier le 2 mai.—Indulgence de Napoléon pour les traîtres.—Fouché remet deux lettres à Fleury pour Metternich.—Des trois hypothèses discutées, le règne de Napoléon est seul possible.—Nouvelle entrevue de Fleury et de Werner-Ottenfels.—Confidences de ce dernier.—Les alliés consentent à la régence.—Fleury demande ce qui a été décidé pour Napoléon.—Werner répond que les alliés ne poseront pas les armes tant qu'il sera sur le trône.—Lecture des lettres de Fouché.—Surprise et défiance de Werner.—Nouveau rendez-vous fixé au 7 juin.—L'Empereur croit à une détente chez les alliés.—Il reconnaît la trahison de Fouché, mais il préfère attendre les événements pour s'en débarrasser.—Ses menaces devant Lavalette au ministre de la police.—Troisième départ de Fleury pour Bâle.—Ottenfels-Werner ne reparaît plus.—Napoléon et la Régence.—Mission de Saint-Léon à Vienne.—Lettre de Fouché en date du 23 avril 1815 à Metternich.—Talleyrand en détruit l'importance.—Conclusion à tirer de l'affaire d'Ottenfels (Werner).—Audace de Fouché.—L'Autriche et les Bourbons.—Appréciations insolentes de Schwarzenberg sur Louis XVIII, le duc d'Angoulême et le duc de Berry.—La situation telle qu'elle était en mai 1815.—Politique tortueuse des alliés.—La régence de Marie-Louise n'eût pas permis à la France de se faire respecter par l'Europe, autant que la monarchie légitime.

CHAPITRE IX
NAPOLÉON II ET LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS.

Persistance de l'espoir de Napoléon dans le retour de Marie-Louise et du roi de Rome.—Surveillance établie à Vienne et à Schœnbrunn.—Mort de la femme de Neipperg.—Départ de Méneval.—Ses adieux au roi de Rome.—Dernière entrevue de Méneval et de Marie-Louise.—Oubli et ingratitude de cette princesse.—Jugement de Méneval sur elle.—Saisie de lettres de Napoléon.—Railleries de Talleyrand à ce sujet.—Attitude de François II.—Marie-Louise obtient enfin ses duchés.—L'article 99 de l'Acte final du congrès de Vienne.—Nouvelle déclaration projetée par les alliés contre Napoléon.—Placard anglais mettant à prix la tête de l'Empereur.—Menaces de lord Castlereagh.—Conseils modérés de Caulaincourt.—Entrevue de Méneval et de Napoléon.—Note dictée par l'Empereur à Caulaincourt pour la Chambre des représentants.—Réunion des Chambres le 3 juin.—Rapports de Carnot et de Caulaincourt.—Fleurus et Waterloo.—Retour de Napoléon à l'Élysée.—L'abdication.—L'armée et le maréchal Ney.—Le prince Lucien propose aux pairs de prêter serment à Napoléon II.—Opposition de M. de Pontécoulant.—Colère et violences du colonel de Labédoyère.—Ajournement de la discussion à la Chambre des pairs.—Élection de Caulaincourt et de Quinette pour le gouvernement provisoire.—Lecture à la Chambre des représentants du dernier message de Napoléon.—Propositions diverses de Mourgues, Dupin, Garreau.—Question de la nomination de la Commission de gouvernement.—Paroles de Napoléon au bureau de la Chambre des représentants, délégué auprès de lui.—Élection de Carnot, Fouché et Grenier pour le gouvernement provisoire.—Confidences de Fouché à Pasquier.—Ses projets secrets.—Il veut empêcher la reconnaissance des droits de Napoléon II.—Motions de MM. Bérenger et Dupin.—Discours de M. Defermon.—L'Assemblée acclame Napoléon II.—Discours de Boulay de la Meurthe.—Observations de MM. Denières, général Mouton-Duvernet, de Maleville, Regnaud de Saint-Jean d'Angély, Dupin.—Habile intervention de Manuel qui fait le jeu de Fouché.—La Chambre des représentants adopte un ordre du jour motivé qui, tout en paraissant reconnaître les droits du fils de Napoléon, fait écarter le serment et la proclamation officielle.—Illusions des divers partis.—Équivoques de part et d'autre.—Le gouvernement provisoire veut traiter au nom de la nation.—intrigues de Fouché avec la cour de Gand et avec Wellington.—Talleyrand reparaît.—Lettre que lui adresse Caulaincourt.—Autre lettre du même à Nesselrode.—Attitude réservée d'Alexandre.—Menées de Talleyrand.—Ses confidences à Louis XVIII.—Il s'oppose à l'entrée de Fouché au ministère.—Habileté de celui-ci qui veut et sait se faire payer ses services.—Sa lettre à Wellington.—Lettre du prince d'Eckmühl qui accepte Louis XVIII avec la cocarde tricolore et les institutions parlementaires.—Agissements de Fouché contre Napoléon II.—Départ de l'Empereur.—Séance du 30 juin à la Chambre des représentants.—Acclamations en faveur de Napoléon II.—L'armée lui est favorable.—Projet d'Adresse aux Français.—Lettre des généraux qui repoussent les Bourbons.—Vote de l'Adresse par les deux Chambres.—Nouvelle lettre de Fouché à Wellington le 1er juillet, où Fouché paraît défendre les droits de la nation.—Ses déclarations contraires au sein du gouvernement provisoire.—Changement d'attitude du maréchal Davout.—Capitulation de Paris.—Relations de Fouetté avec Talleyrand à Cambrai.—Motion de Garat relative aux droits des Français.—Cette motion est votée le 5 juillet.—Adresse au pays.—Opposition de Manuel.—Travaux de Constitution.—Apparition des soldats étrangers au Luxembourg.—Protestations du maréchal Lefebvre.—Message de dissolution du gouvernement provisoire le 7 juillet.—La Chambre des pairs se retire.—Discours de Manuel aux représentants.—Simulacre de séance par les pairs le 8 juillet.—La cause de Napoléon II paraît perdue.

CHAPITRE X
NAPOLÉON ET LA DUCHESSE DE PARME.

Rentrée de Louis XVIII à Paris.—Serments de Fouché.—Talleyrand président du conseil.—L'Autriche abandonne les intérêts du fils de Napoléon.—Opinion de Gentz à cet égard.—Napoléon se rend aux Anglais.—On l'envoie à Sainte-Hélène.—Ce qu'en disent Chateaubriand et Lamartine.—Silence de Marie-Louise.—Générosité de Napoléon à son égard.—Mesures contre la famille Bonaparte.—Le roi de Rome est déjà considéré comme un otage.—Départ de Mme Soufflot pour la France.—Le comte Maurice de Dietrichstein gouverneur du roi de Rome.—Le capitaine Foresti.—Ses observations sur l'intelligence et l'esprit de son élève.—Indifférence de Marie-Louise pour son fils.—Elle ne songe plus qu'à Neipperg.—Attitude des alliés vis-à-vis de la France.—Manquements graves à leurs promesses.—Talleyrand et Fouché sont écartés du ministère.—Lourde tâche imposée au duc de Richelieu.—Les alliés veulent annihiler la France.—Inquiétudes que leur cause le fils de Napoléon.—Éducation du petit prince.—Opinion de Gentz.—La politique de l'Autriche.—Renonciation au titre d'Impératrice par Marie-Louise.—Mesures contre les Français restés à Vienne.—Départ du marquis de Bausset et de Mme Marchand.—Foresti et le roi de Rome.—Départ de Marie-Louise pour Parme avec Neipperg.—Incident au théâtre de Vérone.—Le baron de Vincent informe le duc de Richelieu que Marie-Louise a quitté le titre impérial.—Entrée de Marie-Louise, duchesse de Parme, dans ses États.—La nouvelle Cour.—Neipperg et la comtesse Scarampi.—Surveillance des menées bonapartistes.—Prescriptions de Metternich au sujet de la princesse Borghèse.—Marie-Louise demande qu'on interdise au prince Louis Bonaparte d'habiter Livourne.—Même demande contre le prince Lucien, qui voudrait demeurer à Gênes.—Lettres de Marie-Louise à Mme de Crenneville sur sa vie heureuse.—Réclamations de Metternich contre les titres honorifiques donnés par Napoléon à ses généraux.—Observations de M. de Caraman à cet égard.—Effervescence bonapartiste en Italie.—Mesures sévères pour la réprimer.—Déclaration de Neipperg au sujet du roi de Rome.—Manifestations napoléoniennes à Vienne et à Bologne.—Ce que Napoléon dit à Sainte-Hélène de son mariage avec Marie-Louise.—Son jugement sur François II.—Traitements indignes dont l'Empereur est l'objet.—Affaire de la boucle de cheveux du roi de Rome.—Stürmer et Welle.—Éloges de Metternich à propos de la conduite correcte de Marie-Louise.—Elle écarte les Français et sert les rancunes autrichiennes.—Défense de faire le portrait de son fils.—Haine contre Napoléon.—Le roi de Rome a conscience de son abandon.—Il interroge ses maîtres sur son père.—Tristesse secrète de l'enfant.—Désespoir de Napoléon d'être privé de nouvelles et de lettres de sa femme et de son fils.—Le buste du roi de Rome.—Lettre apocryphe de Napoléon à la maréchale Ney.—Inquiétudes nouvelles de Metternich.—Il voudrait que la France rompît toutes relations avec les Pays-Bas.—Légendes créées par l'Abeille américaine.—Le chevalier Artaud et l'Almanach militaire d'Autriche.—Suppression du titre de prince de Parme.—On ne sait comment nommer le fils de Napoléon.—Bruit de divorce entre Marie-Louise et l'Empereur.—Nouvelles mesures contre la famille Bonaparte.—Décision des alliés à propos de la succession des duchés.—Violation du traité de Fontainebleau.—Le fils de Marie-Louise ne lui succédera pas à Parme.—Marie-Louise se contentera de lui souhaiter d'être «le plus riche particulier de l'Autriche».—Surprise de Gentz à ce sujet.—Il rappelle l'intervention d'Alexandre et fait connaître une convention secrétissime passée entre l'Autriche, la Prusse et la Russie.—Par cette convention il était décidé que la question de Parme serait résolue en faveur du jeune Napoléon.—Embarras de Metternich devant les questions de lord Stewart sur ce sujet.—Aveux de Metternich.—Il regarde la Convention comme non avenue.—Alexandre cède à son tour et la succession de Parme revient au fils de la reine d'Étrurie.—Gentz admire le désintéressement surprenant de l'Autriche.—Rapprochement de la Russie et de la France.—Exigences jalouses de la Russie.—Opinion d'Artaud sur Gentz.—Le Beobachter.—Stachelberg et Metternich.—Intervention généreuse de Pie VII en faveur de Napoléon.—Les alliés n'écoutent pas le Saint-Père.—Redoublement de surveillance à Sainte-Hélène et à Schœnbrunn.

CHAPITRE XI
LE DUC DE REICHSTADT (1818-1820).

Déclaration du ministre d'Autriche à Paris le 4 décembre 1817.—Concession des terres bavaro-palatines faite par François II au fils de l'archiduchesse Marie-Louise.—Mesures prises par Marie-Louise contre les menées bonapartistes.—Sa réponse à M. de Las Cases.—Intervention de Metternich.—M. de Caraman informe le duc de Richelieu qu'on destine le roi de Rome à l'état ecclésiastique.—Satisfaction de Richelieu à cette nouvelle.—Goûts militaires du petit prince.—Défiance des Autrichiens contre tout ce qui est Français.—M. de Caraman et le prince de Metternich.—Paroles de Napoléon à O'Méara.—Recommandations pour son fils.—Le roi de Rome devient le duc de Reichstadt.—Patentes du 22 juillet 1818.—Titres et armoiries.—Signification de ce changement de nom, indiquée par Metternich.—Le fils de Napoléon demeurera quand même «prince français».—Adhésion du gouvernement de Louis XVIII à l'article 99 de l'Acte final du congrès de Vienne.—Neipperg et Marie-Louise se déclarent satisfaits du nouveau titre donné au fils de Napoléon.—L'Eau du duc de Reichstadt.—Lettre du général Gourgaud à Marie-Louise.—Il la supplie d'intervenir au congrès d'Aix-la-Chapelle en faveur de Napoléon.—Silence de Marie-Louise.—Accusation d'un journal anglais contre Gourgaud.—Réponse catégorique du général.—Intervention de Metternich.—Lettre de la mère de Napoléon aux membres du congrès d'Aix-la-Chapelle.—Le protocole du 13 novembre.—Affection de François II pour son petit-fils.—Questions de l'enfant à son grand-père.—Leçons d'équitation.—Abdul-Hassan et le peintre Lawrence.—Mot du duc de Reichstadt.—Études nouvelles.—Les sciences militaires.—Indifférence accentuée de Marie-Louise pour son fils.—Oubli de la France et de son propre règne.—Éloges de Caraman pour sa mesure et sa prudence.—Mouvements bonapartistes à Bologne.—Inquiétudes de Metternich.—Conférences de Carlsbad.—Éventualité de la mort de Louis XVIII.—Instructions de M. Pasquier à cet égard.—Napoléon prévoit sa fin prochaine.—Il réclame l'envoi de prêtres à Sainte-Hélène.—La chapelle de Longwood.

CHAPITRE XII
LE TESTAMENT ET LA MORT DE NAPOLÉON.

Préoccupations de l'Autriche au sujet de la situation faite à la France par la possibilité de la mort de Louis XVIII.—Mouvements favorables au duc de Reichstadt depuis 1817.—Émeutes à Saint-Genis-Laval.—Le capitaine Oudin.—Agitation dans le Lyonnais.—Le Dauphiné et la Franche-Comté.—Conspiration de l'Est.—Conduite de M. de Caraman à Vienne.—Ce diplomate se laisse influencer par Metternich et lui confie une note du Roi.—Mécontentement de M. Pasquier.—Politique de l'Autriche à l'égard des Bourbons.—Louis XVIII et Marie-Louise.—Les émissaires bonapartistes.—Vidal et Carret.—Le roi Joseph.—Éloges de M. de Fontenay sur M. de Neipperg.—Le roi de France fait part à Marie-Louise de la naissance du duc de Bordeaux.—Le carnaval à Parme.—Le duc de Reichstadt, cousin du duc de Bordeaux.—Lettre du préfet de l'Isère sur le duché de Parme.—L'Autriche proteste contre la sympathie qu'on lui prête pour la cause du duc de Reichstadt.—Metternich demande qu'on redouble les mesures de surveillance à Sainte-Hélène.—Napoléon est la «propriété» des alliés.—La maladie de l'Empereur s'aggrave.—Reproches de Napoléon au docteur Arnott.—L'Empereur écrit son testament.—Recommandations et legs à son fils.—Conseils dictés à Montholon pour lui.—Politique à suivre.—Conditions nouvelles du gouvernement et de la société.—Leçons à tirer de l'Histoire.—Préoccupations de Napoléon pour garantir son fils de la maladie dont il meurt.—La chapelle ardente.—Sentiments religieux de Napoléon.—Dernier entretien avec l'abbé Vignali.—L'agonie et la mort.—Émotion dans le monde entier.—Réflexions sur la mort de l'Empereur.—Metternich engage le cabinet anglais à empêcher la publication du testament de Napoléon.—Sa lettre à Esterhazy.—Le générai de Neipperg demande au chancelier des détails sur la mort de l'Empereur.—Il le prie, au nom de la duchesse de Parme, d'intervenir en ce qui concerne le testament.—Marie-Louise et la Gazette du Piémont.—Lettre de la duchesse de Parme à Mme de Crenneville sur la mort de Napoléon.—Neipperg et la Gazette de Parme.—L'Empereur est qualifié de Serenissimo.—Détails sur la cérémonie funèbre à Parme.—Deuil officiel.—Prières pour Napoléon consorti Ducis nostræ.—L'Autriche rend hommage à la parfaite mesure de la duchesse de Parme.—Elle va donner naissance à un enfant qui s'appellera le prince de Montenuovo.—Foresti apprend au fils de Napoléon la mort de son père.—Douleur de l'enfant.—Il prend le deuil, ainsi que sa Maison.—Aveux de Marie-Louise.—On l'a «détachée du père de son enfant».—Regrets et remords passagers.—Lettre de Madame Mère à lord Londonderry.—Elle réclame vainement le corps de Napoléon.—Le marquis de la Maisonfort et M. de Neipperg.—Éloges du marquis sur Marie-Louise et sur son chevalier d'honneur.—Le cœur de Napoléon.—La pension d'Antomarchi.—La duchesse ne veut pas recevoir ce docteur.—Entretien d'Antomarchi et de Neipperg.—Antomarchi aperçoit la duchesse de Parme au théâtre.—Entretien d'Antomarchi et de Madame Mère à Rome.—La mort de Napoléon n'est pas la fin du bonapartisme.—Les partisans du duc de Reichstadt et la Restauration.—Les lettres de Napoléon au banquier Laffitte et au baron de la Bouillerie.—Mission de M. de Montholon.—Le prince Esterhazy et le prince de Metternich.—Question du testament impérial.—Lettre de Marie-Louise refusant de recevoir les restes mortels de son époux.—Ses préoccupations au sujet du testament.—M. de Neipperg intervient avec elle pour défendre à cet égard les intérêts du duc de Reichstadt.—Question des fonds laissés par l'Empereur.—Marie-Louise réclame, entre autres, la propriété de San Martino.—Elle refuse de voir les exécuteurs testamentaires.—Laffitte ne veut point se dessaisir du dépôt à lui laissé par Napoléon.—Neipperg prie Metternich d'intervenir.—Instructions données au baron de Vincent.—Nouvelles instances de Neipperg au sujet du testament.—Montholon et Dupin.—Consultation des avocats Dupin, Bonnet, Tripier et Gairal.—Plaidoirie de Dupin.—Jugement et arbitrage.—Marie-Louise refuse de rendre les deux millions emportés de Paris en 1814.—Elle remet ses pleins pouvoirs au baron de Vincent.—Lettre du comte Bertrand.—Correspondance de Metternich et de Neipperg au sujet du testament impérial.—François II recommande à son ambassadeur à Paris d'agir en faveur des droits du duc de Reichstadt.—Examen des legs de Napoléon à son fils.—Réclamations de l'Autriche au ministère des affaires étrangères.—Réponse de Chateaubriand.—Nouvelles réclamations de l'Autriche et fin de non-recevoir opposée par Chateaubriand.—L'Autriche continue à réclamer.—Lettre de M. de Peyronnet.—Lettre de Metternich au baron Marschall, qui veut encore intervenir au nom de Marie-Louise.—La duchesse de Parme ne cesse ses réclamations qu'en 1837.

CHAPITRE XIII
L'ÉDUCATION DU DUC DE REICHSTADT ET M. DE METTERNICH.

Études classiques du prince avec Mathieu Collin.—Études militaires avec Foresti.—Études religieuses avec Mgr Wagner.—Examens périodiques du duc de Reichstadt.—Le professeur Collin, à sa mort, est remplacé par le baron d'Obenaus.—Leçons d'histoire et de statistique.—Précocité et fermeté d'esprit du duc de Reichstadt.—Ses boutades.—Étude des classiques français, allemands et italiens.—Ses maîtres Pina et Baumgartner.—Éducation étendue du prince.—L'histoire de Napoléon.—Entretiens avec l'impératrice.—Liaison du duc de Reichstadt avec l'archiduc François et l'archiduchesse Sophie.—Divertissements et plaisirs de Marie-Louise.—Elle va voir son père au congrès de Vérone.—Chateaubriand accepte d'elle une invitation.—Portrait qu'il en fait.—Marie-Louise et M. de Castellane.—Le cabinet des Tuileries fait part à Marie-Louise de la mort de Louis XVIII.—Le marquis de la Maisonfort est accrédité auprès d'elle.—Ses instructions.—Jugement élogieux qu'il porte sur la duchesse et sur M. de Neipperg.—Lamartine accentue encore ces éloges.—Inquiétudes nouvelles sur les agissements bonapartistes.—Les frères Le Bret de Stuttgard.—M. de Caraman et le duc de Reichstadt.—Détails donnés sur le jeune prince.—Affection de François II pour lui.—Lettres du duc à son grand-père.—Dénonciation par un sieur Poppon d'un complot bonapartiste en Suisse.—Nouvelles inquiétudes en France.—Le voyage de Dietrichstein.—La confirmation du duc de Reichstadt.—Prévisions de Talleyrand à son égard.—Études du jeune prince.—Son goût pour l'histoire.—François II invite Metternich à lui raconter l'histoire de son père.—Influence de Metternich sur M. de Montbel.—Comment Metternich eût-il pu être impartial dans ses jugements sur Napoléon?—Qualités que le chancelier veut bien reconnaître à l'Empereur.—Défauts qu'il exagère.—Il rabaisse les faits pour abaisser l'homme.—Ses récriminations et ses insinuations.—Sa conduite au sujet de Marie-Louise et de Neipperg.—Le chancelier n'avait pas ce qu'il fallait pour éclairer le duc de Reichstadt sur la vérité des événements.—Portrait de Metternich, unique et officiel représentant de l'Europe.

CHAPITRE XIV
LE «FILS DE L'HOMME» (1829).

Loisirs et délassements de Marie-Louise.—Inquiétudes subites sur la santé du comte de Neipperg.—Mort du comte.—Mausolée que lui fait élever Marie-Louise.—Sa douleur profonde.—Ses lettres à Mme de Crenneville sur «le cher défunt».—Sa lettre au docteur Aglietti.—Observations du Baron de Vitrolles sur la duchesse de Parme.—Portrait qu'il fait de Marie-Louise.—Son oubli de la France.—Le comte Portalis et ses appréciations sur Neipperg.—Nouveaux projets de Marie-Louise: dîners, réceptions, soirées, inauguration d'un grand théâtre.—Voyage en Suisse.—Poème d’Élisée Lecomte.—Surveillance de la police française.—Excursions et réceptions de la duchesse de Parme.—Entrevue avec la duchesse de Saint-Leu.—Le ministre de l'intérieur, le baron de la Bourdonnaye, fait un triste portrait de Marie-Louise.—Retour dans son duché.—Reprise de ses réceptions.—Sa fausse sensibilité.—Elle oublie d'aller revoir son fils.—Manœuvres bonapartistes.—Moyens de propagande: cocardes tricolores, cartes, pipes, mouchoirs, rubans, foulards, etc., à l'effigie du prince impérial.—La police redouble de surveillance.—Tentative de soulèvements.—Complots du 12 août 1820.—Condamnations à mort.—Complots de Belfort et de Neubrisach.—Affaire du colonel Caron à Colmar.—Complot des sous-officiers de Saumur.—Les quatre sergents de la Rochelle.—Complot de la Bidassoa.—Le colonel Fabvier et le général Vallin.—Les poètes Barthélémy et Méry.—Ils conçoivent un nouveau poème bonapartiste.—Napoléon en Égypte.—Le Fils de l'Homme.—Arrivée de Barthélémy à Vienne.—Son entrevue avec le comte de Czernine et avec le comte de Dietrichstein.—Ses aveux au gouverneur du duc.—Le comte lui refuse de lui laisser voir le prince.—Il ne remettra même pas au duc de Reichstadt l'ancien poème de Barthélémy, Napoléon en Égypte.—Nouvelle demande d'entrevue par le poète.—Refus obstinés de Dietrichstein.—Barthélémy met son voyage en vers.—Extraits du Fils de l'Homme.—Le poète est traduit en police correctionnelle.—Il présente lui-même sa défense.—Plaidoirie de Me Mérilhou.—Jugement et condamnation de l'auteur.

CHAPITRE XV
LE CHEVALIER DE PROKESCH-OSTEN.

Marie-Louise n'est occupée que de théâtres et de bals.—Voyage à Vienne.—Éducation du duc de Reichstadt.—Les examens.—Les exercices du corps.—Les exercices militaires.—Les grades du duc dans l'armée.—Son séjour à Baden.—Le docteur Hermann-Rollett et les papillons.—Portrait du prince.—Il fait la connaissance de Prokesch-Osten.—Détails sur le chevalier.—François II l'invite, à Gratz, à la table impériale.—Impression causée par le duc sur Prokesch.—Le duc a lu le mémoire de Prokesch sur Waterloo et le remercie d'avoir défendu l'honneur de son père.—Conversation sur la Grèce.—Le duc pourrait être candidat au trône de ce pays.—Ambitions plus hautes.—Conversation sur la campagne de Bonaparte en Syrie.—Aptitudes militaires du prince.—Il supplie Prokesch de rester auprès de lui.—Nouveaux entretiens.—L'Égypte et Napoléon.—Le duc demande à Prokesch ce qu'il pense de lui et de son avenir.—Relations amicales qui s'établissent entre le prince et le chevalier.—Détails sur la valeur personnelle du fils de Napoléon et la noblesse de son caractère.—La légende et la réalité.—Le duc de Reichstadt était un prince du plus grand avenir.—Motifs de sa gravité et de sa mélancolie précoces.—Études sérieuses auxquelles il s'adonne.—Amour des choses militaires.—La guerre.—Il voulait écrire l'histoire stratégique des campagnes de son père.—Nouvelles entrevues avec Prokesch.—Le prince et François II.—La bibliothèque du prince.—Le portrait de Napoléon par Gérard.—Don Carlos et le marquis de Posa.—Plutarque et César.—Le prince Eugène.—Pensées du duc de Reichstadt.—Sa candidature au trône de Pologne.—Insurrection de ce pays.—Le duc est forcé de dissimuler ses ambitions.—Tortures auxquelles est condamné son esprit.—Prokesch et lui se séparent pour quelque temps.—La médaille d'Alexandre le Grand.

CHAPITRE XVI
LE DUC DE REICHSTADT ET LA RÉVOLUTION DE 1830.

Chute du gouvernement de Charles X.—Ce que Prokesch entend dire en Allemagne sur l'avènement possible du fils de Napoléon au trône de France.—Metternich raye le nom de Prokesch de la maison militaire qu'aurait voulu se créer le duc de Reichstadt.—Motifs politiques de cette radiation.—Arrivée du général Belliard à Vienne.—Metternich refuse de le laisser approcher du duc.—Belliard aurait proposé à Maison et à divers généraux de ramener le duc à Paris.—Le fils de Fouché.—Propositions secrètes faites à Metternich au sujet du duc de Reichstadt qu'on aurait voulu faire Empereur.—Politique de Metternich.—La Russie et l'Autriche.—Nicolas Ier et la révolution de 1830.—Metternich se sert du duc de Reichstadt, et à l'insu de ce prince, comme d'un instrument.—Les divers desseins du chancelier.—Situation troublée de l'Europe.—Retour de Prokesch à Vienne.—Entrevue avec le duc de Reichstadt.—Le prince l'interroge sur les événements actuels et sur son avenir.—Doutes sur lui-même.—Il veut aller à Prague.—Prokesch parle des aptitudes du prince à Metternich.—Silence du chancelier.—Motifs de cette attitude.—Le parti du duc de Reichstadt.—Ébauche de manifestations en sa faveur.—Culte de Napoléon.—Le préfet de police Gisquet.—Ce que pense Metternich des journées de Juillet.—Inquiétudes pour la vieille Europe.—Troubles de Bruxelles.—Audience impériale accordée au général Belliard.—Illusions de ce général.—Apparences favorables de Metternich, puis récriminations contre le nouveau gouvernement.—Situation extraordinaire.—Propositions du comte d'Otrante.—Ce que serait Napoléon II.—Projet de constitution impériale.—Metternich demande des garanties.—Il ne les juge pas suffisantes.—Son dédain pour l'instabilité des esprits en France.—François II et le duc de Reichstadt.—L'empereur d'Autriche laisse entendre à son petit-fils qu'il pourrait bien monter sur le trône de France.—Metternich. dissipe ces espérances.—Son entretien avec le duc.—Démarches des bonapartistes.—Lettre de Joseph Bonaparte à François II.—Silence de l'Empereur et du chancelier.—Ladvocat et Dumoulin veulent proclamer à Paris Napoléon II.—Vaines tentatives du général Gourgaud.—François II emmène son petit-fils en Hongrie.—À son retour, la Belgique est en révolution.—Candidature possible du prince au trône de ce pays.—Arrêt rendu par Metternich.—Le prince de Dietrichstein et le duc de Reichstadt.—Encore le prince Eugène de Savoie.—Sympathie du duc pour la cause de Charles X.—François II et ce roi.—Politique de l'Europe.—Metternich refuse au duc de laisser attacher Prokesch à sa personne.—Le fils de Napoléon et le testament impérial.—Il doit et il veut rester prince français.—Origines de la maladie du duc de Reichstadt.—Abus des exercices de toute sorte.—Croissance prolongée.—Études absorbantes.—Ambitions déçues.—Incident du 2 octobre 1830 à la Chambre des députés.—Pétition relative au retour des cendres de Napoléon.—Le duc de Reichstadt et la fille de la princesse Bacciochi.—Le maréchal Marmont.—Le duc veut le connaître et s'entretenir avec lui.—Persistance de l'opposition de Metternich à toute candidature du prince à un trône quelconque.—Sa politique veut qu'il soit et qu'il reste un prince autrichien.

CHAPITRE XVII
LE DUC DE REICHSTADT ET LES MARÉCHAUX.

Séjour de Marie-Louise à Vienne et à Schœnbrunn de mai à novembre 1830.—Ce qu'elle dit de son fils à Mme de Crenneville.—Elle ne peut avoir d'influence sur lui.—Frivolité de cette princesse.—Nouvelles confidences politiques de François II à son petit-fils.—L'empereur d'Autriche agite et bouleverse son esprit ambitieux.—Le parti napoléonien.—Question de l'entrée du prince dans le monde.—Le général Hartmann.—Le prince se compose un programme politique.—Il le confie au comte de Dietrichstein.—Embarras et émoi du gouverneur.—Prokesch déchire le programme du prince.—Le maréchal Maison à Vienne.—Sa première entrevue avec Metternich.—Déclarations du chancelier sur le gouvernement de Juillet.—Le duc de Leuchtenberg candidat au trône belge.—Ce que Metternich pense de Napoléon II.—Aveux à Appony.—Mouvements bonapartistes à Modène et dans les États de l'Église.—Louis-Philippe et l'Italie.—Menaces secrètes de Metternich.—Lettres du duc de Reichstadt à son ami Prokesch.—Débuts du prince dans le monde.—Le bal de lord Cowley.—Portrait du duc de Reichstadt.—Son entretien avec Marmont.—Le duc de Raguse obtient de Metternich la permission d'aller voir le prince.—Le maréchal Maison demande des instructions à Sébastiani.—Maison et François II.—L'archiduc Charles et le trône de Belgique.—Maison et Metternich.—Éloge du duc de Reichstadt par le maréchal.—Encore le prince de Leuchtenberg.—Troubles d'Italie.—Instructions de Sébastiani à Maison.—Entrevue du duc de Reichstadt et de ce maréchal.—Conférences de Marmont.—La capitulation d'Essonnes.—La campagne de 1796.—Histoire de Napoléon.—Ce que le duc de Reichstadt pense de Marmont.—Ambitions secrètes du maréchal.—Le portrait du duc et les vers de Phèdre.—Les partisans du fils de Napoléon en Italie.—Mouvements et intrigues.—Déclarations de Metternich en faveur de Louis-Philippe.—Autres déclarations à Appony.—François II et le duc de Reichstadt.—Espérances du jeune prince favorisées par son grand-père.—Le principe de non-intervention.—Émeutes dans les États pontificaux et à Parme.—Fuite de Marie-Louise.—Nouvelles confidences de François II à son petit-fils.—Troubles de Modène, Bologne, Ferrare et Parme.—Metternich et le fils de Napoléon.—Part de la faction bonapartiste dans les affaires italiennes.—Refus de laisser le duc de Reichstadt porter secours à sa mère.—Inquiétudes et tristesses du prince.—Les deux fils de Louis Bonaparte et l'Italie.—Politique de Metternich.—Maison et Sébastiani.—Le peintre Goubeaud.—Succès du duc de Reichstadt dans le monde.—La comtesse de ***.—Le comte Maurice Esterhazy.—La chanoinesse et le comte de Dietrichstein.—Le duc de Reichstadt préférait l'ambition et la gloire aux romans.

CHAPITRE XVIII
LA MALADIE DU DUC DE REICHSTADT.

Retour de Marie-Louise à Parme.—M. de Dalberg et Casimir Périer.—La statue de Napoléon et la colonne Vendôme.—Le parti bonapartiste et les desseins secrets de Metternich.—M. de Dalberg et Talleyrand.—Réveil du bonapartisme avec les journées de Juillet.—Ignorance du duc de Reichstadt à cet égard.—Défiance de Metternich contre l'influence de Prokesch.—Mission de celui-ci à Bologne.—Lettre du duc de Reichstadt à son ami.—Adieux et présents.—Le docteur Malfatti.—Continuation d'une croissance exagérée chez le jeune prince et faiblesse de sa poitrine.—Son traitement.—Retard momentané pour le service militaire.—Amélioration passagère.—Le duc abuse des exercices.—Sa santé s'en ressent de nouveau.-Commandement des troupes et abus de l'équitation.—Ordre au duc de se rendre à Schœnbrunn pour s'y reposer.—Le duc et le docteur Malfatti.—Entretiens sur Byron et Lamartine.—L'Andromaque de Racine.—Allusions à sa situation personnelle recherchées par le duc de Reichstadt.—Le trône de Belgique.—Casimir Périer et le fils de Napoléon.—Conférence de Londres.—Manifestations à la place Vendôme.—Lettre de Victor Hugo à Joseph Bonaparte en faveur du duc de Reichstadt.—Le duc et M. de Prokesch.—Situation de l'Europe.—Le principe de non-intervention et M. de Talleyrand.—Lettre du duc à son ami.—La politique et la religion.—Réponse de Prokesch.—Sentiments religieux du duc de Reichstadt.—Il offre à son ami les Saintes Harmonies d'Albach.—Confidences intimes.—Fanny Essler et le duc de Reichstadt.—Fausseté de leurs relations.—Gentz et Fanny Essler.—Aggravation de l'état maladif du prince.—Son découragement.—Conseils de Prokesch.—Nouvelles lettres du prince.—M. Thiers et la pairie en 1831.—Le duc de Reichstadt à la Hofburg.—Indifférence de Marie-Louise pour son fils.—Débats à la Chambre des députés sur le bannissement de Charles X.—La loi du 12 juin 1816 contre les Bonaparte.—Proposition d'Isambert et de Gaëtan Murat relatives à l'abrogation de l'article 4 de cette loi.—Rapport favorable d'Abbatucci.—Nouvelle proposition de M. de Briqueville concernant le bannissement de Charles X.—Rapport d'Amilhau, qui applique la même mesure aux ascendants et descendants de Napoléon.—Discussions à la Chambre des députés et à la Chambre des pairs de novembre 1831 à mars 1832.—Intervention de Pagès, Portalis, Martignac, Duvergier de Hauranne, Rémusat, Guizot, Broglie.—Vote de la proposition Briqueville le 20 mars 1832.—Brochure de Chateaubriand contre le bannissement.—Ses observations sur la République, sur le duc de Bordeaux, le duc de Reichstadt et les Bonaparte.—Pétition du sieur Lepayen relative aux cendres de Napoléon.—Discours de Martin du Nord, du général Lamarque, de Lameth, du général Bertrand.—Renvoi de la pétition au ministre des affaires étrangères.—Conseils de Chateaubriand à un jeune prince.—Application personnelle qu'en voudrait faire le duc de Reichstadt.—Son amour de la guerre.

CHAPITRE XIX
LA MORT.

Santé précaire du duc de Reichstadt.—Les funérailles du général Siegenthal.—Le prince est obligé de renoncer encore aux exercices militaires.—Ses études historiques.—Lettres du prince à Prokesch.—Conseils de celui-ci.—Bruit des fiançailles du duc de Reichstadt avec la fille de l'archiduc Charles.—Imprudences du prince.—Le bal du maréchal Maison.—Refus du prince de s'y rendre.—Nouvelle mission diplomatique imposée à Prokesch par Metternich.—Dernier entretien des deux amis.—Le duc remet son épée à Prokesch.—Lettre de Marchand au duc.—Refus de laisser Marchand venir en Autriche.—Mélancolie du prince.—Ses vers sur un portrait d'Isabey.—Propos maladroits du général Kutschera.—Imprudences du duc de Reichstadt.—Aggravation de sa maladie.—Consultation des principaux docteurs.—Nouveaux avertissements donnés à Marie-Louise.—Indifférence et légèreté de la duchesse de Parme.—Revues, dîners, bals et spectacles en son duché.—Voyage à Naples projeté pour le duc de Reichstadt.—Permission accordée par M. de Metternich.—Transport du prince au château de Schœnbrunn.—Le château et le parc.—L'appartement du prince.—Chambre où demeurait Napoléon en 1809.—Le lit de camp.—Départ de M. de Dietrichstein.—La promenade à Laxenbourg.—Nouvelle consultation.—Pronostics inquiétants.—Le prince refuse de recevoir le maréchal Maison.—Le jardin réservé.—Confidences du prélat Wagner à l'archiduchesse Sophie.—La dernière communion du prince.—L'archiduc Maximilien.—La Kaisergruft.—La duchesse de Parme ne peut se décider à venir à Vienne.—Ses illusions sur la santé de son fils.—Aggravation effrayante.—Nouvelles données par Metternich au comte Appony.—Communications destinées à Louis-Philippe.—Craintes du chancelier au sujet du prince Louis Bonaparte.—Arrivée de Marie-Louise à Schœnbrunn.—Entrevue du fils et de la mère.—Lettre du prince Louis-Napoléon à son cousin.—Le duc de Reichstadt se sent perdu.—Son courage devant la mort.—Le berceau et la tombe.—L'orage du 21 juillet.—Chute d'un aigle à Schœnbrunn.—Agonie et mort du prince.—Douleur de l'archiduchesse Sophie.—Émotion de François II.—Jugement de M. de Méneval sur la conduite de l'empereur d'Autriche.—Le duc de Reichstadt a laissé à Prokesch le sabre de Napoléon et ses livres.—Exposition du corps du prince à Schœnbrunn.—Le masque du duc de Reichstadt et celui de Napoléon.—Le musée de Baden et le docteur Hermann-Rollett.—Autopsie du prince.—Transport de ses restes dans la chapelle de la Hofburg.—Nouvelle exposition et dernières prières.—Le cœur du prince est porté à l'église des Augustins.—Les funérailles.—Absoute en l'église des Capucins.—Descente du cercueil dans la Kaisergruft.—Deuil officiel à la cour.—Lettre du maréchal Maison à son gouvernement.—Émotion de Marie-Louise.—Sa lettre à la comtesse de Crenneville.—Elle pleure le duc de Reichstadt et le comte de Neipperg.—Tristes pressentiments qu'avait Prokesch en quittant le duc de Reichstadt.—Son séjour à Rome.—Ses relations avec le prince Gabriel et la princesse Charlotte Bonaparte.—Rappel de Prokesch.—Il consent, avant de partir, à une entrevue avec Mme Lætitia.—Ses détails sur le duc de Reichstadt.—Mission dont le charge Mme Lætitia pour son petit-fils.—La bénédiction d'une aïeule.—Prokesch apprend la mort de son ami à Bologne.—Sa douleur.—Audience que lui accorde François II.—Lettre de Prokesch à la princesse Charlotte.—Noble conduite de Prokesch.—Comment il a conquis l'amitié du prince et l'estime de tous les gens de cœur.—Causes de la mort prématurée du duc de Reichstadt.—Indifférence de l'Europe.—La presse viennoise: l'Observateur autrichien.—La presse allemande: la Gazette d'Augsbourg, le Correspondant de Nuremberg, le Journal de Francfort.—La presse anglaise: le Times.—La presse française: le Moniteur, la Quotidienne, le Constitutionnel, la Gazette de France, la Revue des Deux Mondes, la Chronique, le Temps.—L'opposition et les souvenirs de Napoléon.—Le théâtre: Le duc de Reichstadt, Le roi de Rome.—Les manifestations.

CONCLUSION

Si le fils de Napoléon eût réussi à monter sur le trône, aurait-il pu s'y maintenir?—Ce que François II pensait de son avènement probable.—Opinion du duc de Reichstadt sur les garanties qu'il aurait pu offrir à la France.—Espérances et illusions.—Puissance du nom de Napoléon.—Impossibilité du jeune prince à se prévaloir, comme son père, de gloire personnelle et de services rendus à la France.—Difficultés extérieures auxquelles il eût été exposé.—Le prince n'aurait pu se renfermer dans une politique exclusivement pacifique.—Sur quels hommes se serait-il appuyé?—Comment eût-il constitué son gouvernement?—Napoléon II et Napoléon III.—La France ne connaissait pas le duc de Reichstadt.—Légendes répandues sur lui.—Sa vraie situation à la cour d'Autriche.—Séquestration dont il était la victime.—Ambitions inassouvies.—Il ne pouvait vivre comme un simple officier ou comme un archiduc.—Faut-il regretter la perte prématurée de ce prince?—Observations du chevalier de Prokesch et du comte Maurice Esterhazy à ce sujet.—Nouveau portrait du fils de Napoléon par Prokesch.—Ressemblance physique et morale du prince avec son père.—Exposition rétrospective de l'Empire.—Souvenirs du roi de Rome.—Les jeunes princes et la destinée.—La Kaisergruft ou caveau impérial à Vienne.—Les mausolées des empereurs.—Les tombeaux des archiducs et du duc de Reichstadt.—Fin de la duchesse de Parme.—Examen des résultats du divorce de Napoléon et de son second mariage.—Les prédictions du sénatus-consulte du 17 février 1810.—Ce que l'avenir en a fait.—L'Empire et la Papauté.

FIN DE LA TABLE.

INTRODUCTION

Le fils de Napoléon a porté plusieurs noms. Celui de roi de Rome, qui lui avait été attribué avant sa naissance par le Sénatus-consulte du 17 février 1810, lui fut confirmé le 20 mars 1811. Par l'article 5 du traité de Fontainebleau en date du 11 avril 1814, l'héritier de l'Empereur reçut le titre de prince de Parme, Plaisance et Guastalla. Dans la période des Cent-jours, le 23 juin 1815, il fut proclamé Empereur sous le nom de Napoléon II par la Chambre des représentants et, avec la même qualification, dans l'Adresse au peuple français votée par les deux Chambres, les 1er et 2 juillet. Enfin il fut appelé, en 1818, duc de Reichstadt par l'empereur François II, son grand-père, et mourut, en 1832, au palais de Schœnbrunn, sous ce quatrième et dernier nom.

Pour le titre de cet ouvrage, j'ai préféré restituer au prince impérial l'appellation grandiose que son père lui avait donnée, parce que, dès le premier jour, elle a été populaire, et surtout parce qu'elle me paraît accentuer la leçon philosophique que je voudrais voir sortir de mon travail, c'est-à-dire l'inanité des prétentions humaines, quand elles offensent le droit. Non content, en effet, de dérober à Pie VII le patrimoine du Saint-Siège, Napoléon avait encore voulu prendre pour son héritier le nom de la Ville sacrée dont il avait chassé le Pape, afin d'attester devant l'Europe entière sa toute-puissance sur l'Église comme sur la société. Mais ce titre pompeux ne sera qu'un titre éphémère. Moins de cinq ans après, Pie VII rentrera à Rome en souverain, tandis que l'Empereur et son fils partiront pour l'exil, démonstration saisissante du triomphe inévitable de la Justice, même lorsqu'elle a paru succomber sous les coups de la plus formidable volonté qui ait jamais fait trembler les hommes.

Une autre leçon me paraît se dégager de l'histoire que j'ai entrepris d'écrire. J'ai dit ailleurs que, la veille d'Austerlitz, Napoléon, laissant errer sa pensée sur divers sujets, était arrivé à la question des crimes politiques et avait essayé d'en tempérer l'horreur en invoquant la nécessité ou la raison d'État. C'était le meurtre du duc d'Enghien qui obsédait alors sa mémoire. Il cherchait vainement des prétextes pour se persuader qu'il avait frappé un vrai coupable. Le remords était entré dans sa conscience et ne la quittait point. L'expiation vint un jour, et elle l'atteignit au plus intime de son être. «Napoléon, disais-je, a ressenti, lui aussi, la douleur qui arrachait au duc de Bourbon des cris de désespoir… Pendant six longues années, l'Empereur allait éprouver l'affreuse angoisse de n'avoir pu élever et former lui-même ce fils tant désiré, cet espoir et cette raison de sa vie. Dans ces peines, dans ce supplice que l'on ne saurait dépeindre, il a dû souvent regretter l'arrêt implacable qu'il avait rendu contre le duc d'Enghien et reconnaître que tout crime entraîne après lui une expiation nécessaire[1].»

La vie du fils de Napoléon, qui va si rapidement du berceau à la tombe, présente, lorsqu'on y pénètre, des détails du plus haut intérêt, des faits et des enseignements graves. Résumez-les un instant par la pensée et dites s'ils ne méritaient pas l'attention de l'historien?… La naissance d'un fils voulue et prédite par un Empereur auquel la nature et les hommes ne demandaient qu'à obéir, les acclamations de la France et de l'Europe entière à la venue de ce fils, son baptême solennel et les vœux des princes, des courtisans, des rois et des peuples, les premiers malheurs de l'Empire succédant aux jours de gloire, les dernières et inutiles victoires, puis les grands désastres, la déchéance et l'exil de l'Empereur, l'arrivée en Autriche et la séquestration de son fils, les intrigues et les dessous du congrès de Vienne, la tourmente des Cent-jours, la seconde abdication, puis Sainte-Hélène, l'éloignement des Français restés fidèles au roi de Rome, la suppression de tout ce qui peut lui rappeler la France, le remplacement de son nom par un nom allemand, la mort de Napoléon et les premières douleurs de l'enfant, ses désirs, ses ambitions, puis ses illusions et ses découragements, son constant amour pour son père et pour la France, ses dernières joies et ses derniers espoirs, ses vains efforts pour dompter un corps rebelle, enfin la maladie implacable, le suprême recours à Dieu, l'agonie et la mort en pleine jeunesse, n'y avait-il pas là matière suffisante pour contempler et étudier dans un seul être les pitoyables contrastes des grandeurs et des misères humaines?

Ce qu'on ne sait pas ou presque pas, car en cette histoire la légende a jusqu'ici prédominé sur la vérité, c'est que le fils de Napoléon a, dès les premiers moments d'une maturité précoce, eu conscience de son origine, de ses devoirs, de son avenir. Il avait beaucoup appris, il avait beaucoup médité. Dans un écrit du prince, je trouve cette pensée qui montre à elle seule combien ce jeune esprit était déjà pondéré: «Si nous commençons à juger, écrivait-il, par l'impulsion de nos passions et non d'après la raison, notre esprit perd le sentiment de la vérité, et nous devenons le jouet de nos désirs. Ceci est contraire à notre dignité.» Il avait conservé l'amour du sol natal et le respect de ses gloires. Quant aux devoirs d'un souverain, il s'en était formé l'idée la plus haute, voulant une autorité puissante et ferme, capable de satisfaire au bien moral du peuple comme à tous ses besoins, préoccupée sans trêve de l'honneur et de la grandeur de la patrie. Les lettres qui nous restent de lui attestent une générosité et une élévation d'âme vraiment peu ordinaires. Le prince cherchait à s'ouvrir la carrière des armes, la seule qui, suivant lui, convînt au fils de Napoléon, car il avait la conviction que la gloire militaire serait un acheminement plus rapide vers le trône qu'il ambitionnait. Mais il se refusait à courir les aventures. Ce qu'il voulait, c'était se rendre digne de sa grande mission par un travail assidu et par une instruction profonde. Les yeux fixés sur l'avenir, il souhaitait de n'être pas surpris quand sonnerait l'heure décisive. Aussi s'apprêtait-il à s'affranchir de tout joug importun, à voir par lui-même, à être vu et à montrer partout, comme le lui avaient prescrit les dernières volontés de son père, «qu'il était né prince français». Surveillé et observé de près par les agents de Metternich, il gardait jalousement en son cœur certains secrets. Plus d'une fois, au moment des crises politiques extérieures, des orages y grondèrent; sa physionomie demeura impassible. Cependant ces luttes pénibles finirent par briser son corps. Les souffrances morales ont en effet développé chez lui les maux physiques et les ont même aggravés. La froide détermination du chancelier autrichien qui, en détournant les occasions ainsi que les hommes propres à les seconder, s'opposa sans pitié à ses projets d'ambition, fut une des causes non discutables de son prompt dépérissement.

L'égoïsme de sa mère accrut encore ses douleurs. Comment cette princesse avait-elle pu oublier ainsi et son fils et son époux? Elle s'imagina, avec une naïveté voisine de l'impudeur, avoir le droit de rechercher d'autres affections, ne comprenant pas qu'elle ne s'appartenait plus, ayant été marquée pour une seule et même destinée. Un souvenir classique rendra ma pensée. Euripide a cru pouvoir intéresser au sort d'Andromaque en lui supposant des inquiétudes et des craintes pour la vie d'un fils qu'elle aurait eu de Pyrrhus. Racine s'en est justement étonné et a dit: «La plupart de ceux qui ont entendu parler d'Andromaque ne la connaissent guère que pour la veuve d'Hector et la mère d'Astyanax. On ne croit point qu'elle doive aimer ni un autre mari ni un autre fils, et je doute que les larmes d'Andromaque eussent fait sur l'esprit de mes spectateurs l'impression qu'elles y ont faite, si elles avaient coulé pour un autre fils que celui qu'elle avait eu d'Hector…»

Le prince Napoléon n'avait vu Marie-Louise qu'une fois. C'était en 1836, sur la grand'route près de Parme. Il était avec son père, lorsque tout à coup le roi Jérôme lui saisit la main avec une violente émotion et lui dit: «Voilà l'impératrice Marie-Louise!… Non, reprit-il, ce n'est plus l'impératrice, c'est madame Neipperg!…» Aussi le fils de Napoléon, tout en gardant à sa mère un attachement respectueux, n'a-t-il jamais pu lui témoigner une tendresse égale à celle qu'il avait vouée à son père. Il avait le culte absolu d'une mémoire sacrée, et, sans jamais prononcer un mot qui eût l'apparence d'un regret ou d'un blâme, il dut se dire plus d'une fois, avec une peine amère, que l'impératrice Marie-Louise avait disposé de sa vie contrairement à d'inviolables devoirs. Comment l'histoire ne s'attendrirait-elle pas sur les chagrins et les tortures que subit et endura ce prince, dès qu'il fut arrivé à l'âge de comprendre son infortune?

J'ai mis à profit pour mon livre les différentes pièces des Archives nationales et les dépêches du Ministère des Affaires étrangères qui m'ont été libéralement communiquées. Ayant à examiner la période historique qui s'écoule entre 1810 et 1832, et à faire l'étude des hommes et des événements de cette période, j'ai employé encore de nombreux Mémoires et des opuscules oubliés ou peu connus. Je me suis servi également des indications fournies par les journaux français et étrangers de l'époque. J'ai profité de quelques observations personnelles faites en Autriche, tout en regrettant que les archives de l'État et de la Cour soient peu abondantes aujourd'hui en documents relatifs au fils de Napoléon. Mais le voyage que j'ai fait à Vienne, à Schœnbrunn, à Baden, dans les endroits mêmes que le prince habitait ou fréquentait, m'a été fort utile pour me rendre un compte exact de sa vie intime. J'ai consulté, en outre et avec soin, la Correspondance de Marie-Louise, puis l'ancien ouvrage de M. de Montbel, sachant que M. de Metternich lui avait ouvert les Archives de la chancellerie d'État et celles de la famille impériale, alors en possession de pièces très curieuses. Mais je n'ai pas oublié que le chancelier a reconnu lui-même avoir exercé une influence décisive sur l'auteur dans toutes les parties du livre qui n'avaient pas pour objet de rendre hommage à la branche aînée des Bourbons. M. de Montbel a bien juré qu'il était demeuré indépendant; ce qui diminue un peu la valeur de son affirmation, c'est cette déclaration de Metternich faite au baron de Neumann: «Les grands points de vue politique, et surtout ce qui est relatif au bonapartisme, sont écrits sous ma direction[2]…» La princesse Mélanie, troisième femme de Metternich, a dit aussi, dans son Journal, que son mari avait chargé M. de Montbel de composer cette histoire, et lui avait fourni toutes les indications nécessaires. Elle trouvait «du charme et du piquant» à voir un ancien ministre de Charles X «entreprendre de raconter au public la courte existence de ce pauvre jeune homme». Lorsqu'elle entendit la lecture de l'ouvrage, elle se permit d'en critiquer le style. Le prince de Metternich fut plus aimable pour l'auteur, sans doute à cause de sa collaboration personnelle.

Après les pages agréables que M. Imbert de Saint-Amand, dans sa collection des «Femmes des Tuileries», a consacrées en 1885 à Marie-Louise et au duc de Reichstadt, j'ai lu avec intérêt et profit les deux excellents écrits du chevalier de Prokesch-Osten sur ses Relations avec le duc de Reichstadt et sur la mort de ce prince, ainsi que l'édition allemande qui contient plusieurs lettres non traduites dans l'édition française qu'a publiée son fils, le comte de Prokesch-Osten, en 1878.

MM. Antonin et Amédée Lefèvre-Pontalis, petits-fils de Mme Soufflot, qui fut nommée première dame du roi de Rome en 1811, puis devint sous-gouvernante en 1814, ont bien voulu m'ouvrir leurs archives de famille et me communiquer des documents précieux. Mme Soufflot, veuve d'André Soufflot, ancien membre du Corps législatif, consentit à l'exil en 1814 pour rester fidèle aux obligations qu'elle avait acceptées. Elle se rendit en Autriche avec sa fille Fanny, qui devint l'amie préférée du petit prince. Mme Soufflot, à son retour en France, reçut de nombreux et flatteurs témoignages de la haute estime qu'elle avait su inspirer à la Cour d'Autriche. Pour n'en donner ici qu'un exemple, la comtesse Scarampi, grande maîtresse de la duchesse de Parme, lui écrivait le 1er septembre 1817: «Sa Majesté a les meilleures nouvelles possibles de son auguste fils qui, à ce que le comte de Dietrichstein assure, répond parfaitement aux espérances que vous avez vues naître et que vos sollicitudes ont tant contribué à fonder en lui.»

Je remercie également Mme la baronne Chr. de Launay de m'avoir autorisé à reproduire en tête de cet ouvrage la miniature originale d'Isabey faite à Vienne en 1815, et qui est, sans contredit, le plus exact comme le plus charmant portrait du roi de Rome.

Peu de jours avant la mort du prince, un de ses amis, le comte Maurice Esterhazy se désolait de le voir disparaître sans avoir été connu et apprécié, sans avoir donné la mesure de son intelligence et de sa valeur. «Cette courte existence, disait-il, sera bientôt oubliée, ignorée un jour, et pourtant il semblait annoncer d'autres destinées.» J'ai compris ces regrets et j'ai tenu à prouver, par une étude approfondie, qu'il y avait un intérêt historique à s'occuper d'un prince français qui fut l'objet de tant de vœux et de tant d'espérances. En même temps, j'ai cru qu'après l'exposé du divorce de Napoléon, il était utile de montrer ce que l'avenir avait fait des projets ambitieux de l'Empereur. Il m'a paru nécessaire, chemin faisant, de signaler les causes de la chute du régime impérial, les machinations subtiles de ses ennemis, et plus particulièrement les intrigues et les menées du prince de Metternich, qui, usant de tous les moyens permis ou non en politique, voulut éteindre dans la lointaine captivité du père et dans l'obscurité systématique du fils le souvenir d'une alliance imposée par les circonstances, mais détestée dès son origine par l'orgueilleuse Maison des Habsbourg.

H. W.

Paris, février 1897.

LE ROI DE ROME

CHAPITRE PREMIER

LE SÉNATUS-CONSULTE DU 17 FÉVRIER 1810.

Le 17 février 1810, trois jours après l'adhésion officielle de l'empereur d'Autriche au mariage de l'archiduchesse Marie-Louise avec Napoléon, le ministre d'État, comte Regnaud de Saint-Jean d'Angély, lisait aux sénateurs réunis en séance solennelle l'exposé des motifs du sénatus-consulte qui réunissait l'État de Rome à l'Empire. Après avoir dit que les circonstances avaient forcé l'Empereur à faire la conquête du sol romain, puis à régler l'usage de cette conquête; après avoir accusé la Papauté d'être la cause volontaire de ce qu'il appelait une révolution, le ministre félicitait Napoléon de placer une seconde fois sur sa tête la couronne de Charlemagne. Il dévoilait ensuite la pensée maîtresse de son souverain: «Il veut, disait-il, que l'héritier de cette couronne porte le titre de roi de Rome; qu'un prince y tienne la Cour impériale, y exerce un pouvoir protecteur, y répande ses bienfaits en y renouvelant la splendeur des arts.» L'article 7 du sénatus-consulte, que le Sénat s'empressa de voter sans opposition comme tous les autres articles, était ainsi libellé: «Le prince impérial porte le titre et reçoit les honneurs de roi de Rome.»

Ainsi ce n'était pas assez pour l'Empereur de vouloir ressembler par sa puissance et par sa gloire à Charlemagne; il tenait encore à prendre, pour le donner à son héritier, un titre analogue à celui que la Papauté avait rétabli pour le roi des Francs. Après la dissolution de l'empire carlovingien, le titre d'Empereur des Romains ou de Chef du Saint-Empire romain était resté attaché au monarque appelé par le choix de la Diète à gouverner l'Allemagne. À partir du règne de Frédéric III, la dénomination d'Empereur élu d'Allemagne et de Chef du Saint-Empire échut, par succession, aux princes de la Maison d'Autriche. Le 6 août 1806, par suite du protectorat de l'empereur des Français imposé à la Confédération germanique, François II dut renoncer à la couronne d'Allemagne, prit le titre d'empereur héréditaire d'Autriche sous le nom de François Ier et perdit la qualification solennelle de «Chef du Saint-Empire romain, Avocat et Chef temporel de la Chrétienté» dont ses ancêtres avaient été honorés. C'est donc intentionnellement, et afin de diminuer encore le prestige de la Maison d'Autriche, que Napoléon avait choisi le titre de roi de Rome pour le futur prince impérial[3]. Il avait substitué le nom de roi à celui d'empereur par une transformation empruntée aux Grecs byzantins qui traduisaient en Βασιλεύς le mot Imperator. On peut croire aussi que dans sa pensée l'appellation de «Roi de Rome» lui paraissait plus précise, plus complète, plus autoritaire que celle d'Empereur des Romains. Il se plaisait d'ailleurs, lui qui vivait dans les grands souvenirs classiques et qui tenait à frapper les imaginations par la majesté de l'histoire ancienne, à rétablir pour son héritier le titre qu'avaient porté Romulus et ses successeurs. Mais il détruisait ainsi les illusions de ceux qui le croyaient disposé à séparer un jour la couronne d'Italie de la couronne de France, puis il inquiétait le roi Murat sur le maintien de sa propre couronne et il enlevait à son meilleur serviteur, le prince Eugène, tout espoir d'en obtenir une.

Donc, plusieurs semaines avant le mariage autrichien et de longs mois avant la naissance d'un fils, Napoléon décrétait qu'il aurait un héritier et que cet héritier occuperait dans la ville des Papes la place prépondérante; qu'il en serait le roi et qu'il en recevrait les honneurs. Il décrétait cela au moment même où Pie VII, arraché de sa capitale, était devenu son prisonnier. Que dire d'une telle confiance et d'une telle audace? Si elles nous surprennent, nous qui examinons les événements près d'un siècle après leur réalisation, comment les contemporains, qui virent les faits eux-mêmes répondre aux volontés de Napoléon, n'auraient-ils pas été frappés et stupéfiés par une telle puissance? Il leur semblait y apercevoir quelque chose de surhumain; aussi les plus sceptiques s'étonnaient-ils d'une pareille fortune. Tout, d'ailleurs, avait été si merveilleux dans sa vie que Napoléon se croyait lui-même placé en dehors des conditions imposées aux autres hommes. Il en était arrivé à ne plus admettre la moindre opposition à ses volontés, à ses caprices. Il s'était fait une loi de tout vouloir, de tout oser. Tout devait lui obéir. La religion, comme les autres institutions, n'avait qu'à s'incliner devant ses ordres. Et si elle se permettait la plus simple résistance, elle serait frappée et asservie.

L'article 10 du sénatus-consulte stipulait que les Empereurs, après avoir été couronnés à Notre-Dame de Paris, le seraient à Saint-Pierre de Rome avant la dixième année de leur règne. Comment ne pas faire observer, avant tout développement, que le roi de Rome, ayant à peine atteint l'âge de quatre ans, n'aura déjà plus de couronne et ne sera plus pour l'Europe qu'un prince autrichien?… Ainsi devaient s'évanouir les exigences impérieuses de celui qui se croyait le maître des rois. C'est en vain que Napoléon avait prétendu s'arroger un pouvoir sans contrôle et sans limites. C'est en vain que, dans le même sénatus-consulte, il avait fait donner au titre second cette rédaction orgueilleuse: «De l'indépendance du trône impérial de toute autorité sur la terre.» Il devait plier, lui comme les autres, sous l'action non pas du sort, car ce serait donner de l'importance à ce mot, mais sous l'action d'une volonté supérieure. Il avait dit dans l'article 12: «Toute souveraineté étrangère est incompatible avec l'exercice de toute autorité spirituelle dans l'intérieur de l'Empire.». Il avait voulu restreindre l'autorité papale, en édictant par l'article 13 du même sénatus-consulte que les Papes prêteraient serment, lors de leur exaltation, de ne jamais rien faire contre les quatre propositions de 1682[4]. Il avait projeté en même temps d'écrire à Pie VII une lettre où il lui manifesterait avec hauteur son exécration pour les principes des Jules, des Boniface et des Grégoire. «C'est à Votre Sainteté à choisir, disait-il orgueilleusement. Moi et la France, nous avons choisi.» Quoique cette lettre, après réflexion, n'ait pas été expédiée, elle existe cependant et elle jette un jour singulier sur la politique impériale[5]. D'après ses termes, il fallait que le Pape fût dépendant de l'Empereur, pour que celui-ci consentît à le traiter avec les honneurs dus à un prince vassal. En échange de sa soumission, en compensation du rapt de son territoire, Napoléon lui offrait, par le sénatus-consulte du 17 février, des palais partout où il voudrait résider et deux millions de revenus. On sait qu'au fur et à mesure que le différend s'accentuera entre l'Empire et l'Église, l'Empereur diminuera les revenus promis, si bien que Pie VII finira par vivre de quelques écus et sera réduit à raccommoder de ses propres mains ses pauvres vêtements.

Maintenant, si l'on veut être fixé sur l'événement précis qui va rendre plus aigu encore le conflit entre la Papauté et l'Empire, il faut se reporter au mariage de Napoléon avec l'archiduchesse Marie-Louise. C'est, en effet, ce mariage glorieux qui poussera l'Empereur à outrer ses violences contre le Pape. L'Officialité diocésaine de Paris avait eu la faiblesse de céder aux exigences de l'Empereur et de consentir à déclarer nulle son union avec l'impératrice Joséphine, quoique le cardinal Fesch eût célébré cette union en pleine validité, avec toutes les dispenses accordées en connaissance de cause par Pie VII. L'Officialité de Vienne, après une timide résistance, avait renoncé à examiner la sentence illégale d'annulation, et le comte de Metternich s'était empressé d'annoncer à Paris que son maître avait donné son consentement au mariage de sa fille avec Napoléon, tant il redoutait que l'empereur des Français, par un nouveau caprice, ne se désistât et ne fît un autre choix préjudiciable aux intérêts de l'Autriche[6]. Dès ce moment solennel, impatiemment attendu par lui, moment où sa puissance se manifestait dans tout son éclat, Napoléon ne devait plus garder le moindre ménagement avec le Saint-Père. Délivré des préoccupations d'une guerre contre l'Autriche, satisfait de la paix de Vienne, il avait songé «à finir les affaires de Rome» par un sénatus-consulte catégorique. C'est pourquoi il faisait dire par son ministre que la nécessité l'avait amené à mettre la main sur les États pontificaux. Regnaud de Saint-Jean d'Angély arrangeait les faits à sa façon. Il rappelait le refus de Pie VII d'armer la citadelle d'Ancône lorsque la flotte anglaise menaçait l'Italie vers l'Adriatique, le fanatisme de la cour de Rome qui excitait les Italiens contre la France, et il tenait à constater que «le domaine de Charlemagne avait dû rentrer dans les mains d'un plus digne héritier». Il disait cela en termes empreints de la plus solennelle emphase. Cette phraséologie n'a rien qui étonne. Chaque fois, en effet, qu'un despote viole le droit, il est assuré de trouver un courtisan qui l'approuve et qui essaye toujours de donner à ses actes iniques l'apparence trompeuse de l'équité. Regnaud de Saint-Jean d'Angély, qui n'en était pas à sa première harangue adulatrice, glorifiait donc la politique spoliatrice de Napoléon au sujet de l'ancien patrimoine des Césars. Il voyait déjà son maître réparant les fautes de la faiblesse et faisant de Rome, naguère chef-lieu d'un petit État, une des capitales du grand empire. «Elle remontera plus haut, disait-il, qu'elle n'a jamais été depuis le dernier des Césars. Elle sera la sœur de la ville chérie de Napoléon. Il s'abstint, aux premiers jours de sa gloire, d'y paraître en vainqueur. Il se réserve d'y paraître en père…» Or, Napoléon n'entra pas à Rome. Cependant il en exprima plusieurs fois le désir. Il ne put jamais le réaliser.

L'Empereur veut donc consommer la ruine politique de la Papauté et ne lui laisser que l'apparence du pouvoir spirituel[7]. Ordre est donné par lui aux évêques qui se rendront à Savone auprès du Pape pour essayer de lui arracher l'abandon de ses prérogatives, de mettre leurs paroles et leur conduite d'accord avec l'Acte officiel du 17 février. «Tout le sénatus-consulte, dira Napoléon, et rien que le sénatus-consulte[8].» Le comte d'Haussonville a fait judicieusement observer qu'aucun cabinet étranger ne protesta contre l'usurpation qui transformait Rome en seconde ville de l'Empire. Ainsi l'Autriche, qui aurait dû, avant les autres puissances, présenter des observations, ne dit mot. Elle était trop préoccupée du mariage de l'archiduchesse Marie-Louise avec l'empereur des Français, et ce n'est point même pour sauvegarder les droits du Saint-Père qu'elle eût alors soulevé le moindre conflit. Tout s'incline donc devant l'Empereur. Il commande aux hommes; il semble même commander à la nature. Des courtisans comme Séguier, Carion-Nisas et François de Neufchâteau vont en faire presque un dieu. Enfin Napoléon épouse Marie-Louise devant la France et l'Europe étonnées. Le nouvel empereur d'Occident plie à ses volontés l'ancien empereur d'Allemagne. Les rois, les princes, les membres des plus grandes familles du monde se disputent ses faveurs et ses sourires. Avec une mansuétude inouïe, le Pape oublie tout. Il souhaite que celui qui l'a spolié et emprisonné soit heureux. Il le souhaite pour le repos du monde, pour le bien de la religion[9]. Il voudrait même que le mariage autrichien, cet événement imprévu, ce mariage illégalement conclu, consolidât la paix continentale. À ces vœux si généreux Napoléon répond par la destruction des Ordres religieux dans les départements de Rome et de Trasimène, par la saisie des biens des évêques qui ont refusé de prêter serment, par d'autres violences encore. Et comme Pie VII persiste à ne pas lui céder sur le point capital de l'institution canonique, il s'en prend directement à lui. Il le fait souffrir dans sa personne et dans son entourage; il réduit presque à rien l'état de sa maison; il lui interdit toute correspondance et toute relation avec le dehors, il fait fouiller ses tiroirs et ses papiers, et saisir jusqu'à son bréviaire et son anneau. Puis, après ces odieux traitements, il osera accuser sa victime de négliger «la douceur et les bonnes manières qui auraient pu réussir auprès de lui[10]», et il menacera l'Église de s'emparer du reste de son temporel. Napoléon espère que, mis en face de violences qui ne feront que s'aggraver, le Pape, effrayé, souscrira à la suppression de son pouvoir temporel, à la réunion des États romains à l'Empire, à l'établissement, soit à Paris, soit à Avignon, d'une Papauté dépendante de l'autorité impériale. Il se trompe. Partout la politique de César sera mise en échec par un vieillard débile, abandonné de tous et livré à lui-même.

Telle est la situation exacte au lendemain du nouveau mariage de Napoléon. Il était nécessaire de l'exposer sommairement pour dissiper toutes les illusions que peut causer à cette date la fortune inouïe du vainqueur de Wagram; pour montrer la mine qui se creuse déjà sous l'édifice superbe de l'Empire et qui, dans quelques années, fera crouler de fond en comble le régime lui-même.

* * * * *

Tout en adoptant une politique résolument hostile au Saint-Siège, l'Empereur affectait cependant de respecter le pouvoir spirituel du Pape. Il prétendait n'avoir d'autre but dans ses actes que la gloire de la religion et l'autorité de l'Église, en même temps que la force de l'Empire et l'indépendance du trône[11]. Aussi c'est à l'Église qu'il va s'adresser officiellement pour la prier de répandre ses bénédictions sur la nouvelle Impératrice. Lorsqu'il eut acquis la certitude que Marie-Louise allait devenir mère, Napoléon fit envoyer à tous les évêques de France et d'Italie une lettre pour leur annoncer l'heureuse nouvelle et les inviter à prescrire des prières spéciales pour l'Impératrice. «Cette preuve de la bénédiction que Dieu répand sur ma famille, écrivait-il à la date du 13 novembre 1810, et qui importe tant au bonheur de mon peuple, m'engage à vous faire cette lettre pour vous dire qu'il me sera agréable que vous ordonniez des prières particulières pour la conservation de sa personne…[12].» Les évêques répondirent unanimement à ce désir. Voici comment, entre autres, l'évêque de la Rochelle, Mgr Paillon, annonçait l'heureuse nouvelle à ses ouailles: «Le mariage de l'archiduchesse Marie-Louise avec Napoléon le Grand, Nos très chers Frères, est sans doute un de ces événements historiques dont il serait difficile de calculer les résultats. L'Europe, ébranlée depuis vingt ans, va prendre une assiette solide, et tout lui promet que les ferments de discorde qui nous ont agités, disparaîtront pour jamais sous l'égide d'une si auguste alliance. Puisse le Tout-Puissant, avions-nous dit, bénir par une heureuse fécondité cette union, l'assurance de notre bonheur! Aujourd'hui nous venons, au nom de la religion, vous inviter à des sentiments d'allégresse. Nos vœux sont sur le point d'être exaucés…» L'évêque de la Rochelle invitait en conséquence les fidèles à remercier Dieu d'une telle grâce, et il ordonnait à ses prêtres de dire à toutes les messes l'oraison spéciale, en y ajoutant ces mots: «Pro Famula tua Maria Ludovica, Imperatrice nostra», jusqu'à l'époque de son heureuse délivrance[13]. Le cardinal Maury ordonna également des prières pour attirer la bénédiction divine «sur le premier fruit d'un mariage à jamais mémorable[14]». L'évêque d'Angers, Mgr Charles Montault, après avoir constaté dans son mandement que les vœux de la famille impériale et les siens étaient exaucés, prescrivit de dire l'oraison Pro laborantibus in partu, ce qui parut choquer le ministre des cultes. Bigot de Préameneu fît observer que cette prière ne lui semblait pas la prière convenable[15]. Il s'en tint à un blâme sévère qui indiquait, chez un ministre, fort instruit du reste, une certaine ignorance de la liturgie catholique. L'évêque de Nantes, Mgr Duvoisin, qui était pourtant en faveur à la Cour, s'attira également des observations. Il avait ordonné, comme les autres évêques, l'oraison spéciale, lorsque le sous-préfet de Savenay, qui se vantait de savoir encore le latin, crut y trouver une formule offensante pour la majesté impériale. Ce latin d'Église, murmuré aux oreilles du comte Réal, parut au vieux jacobin, devenu courtisan exalté, un latin inconvenant. Sur sa demande, on se livra à une enquête. Or, le conseiller de préfecture, qui faisait fonction de préfet, informa bientôt le ministre des cultes qu'il avait consulté un prêtre discret et savant, lequel lui avait fait lire cette oraison dans le missel parisien de 1762[16]. Il n'y avait donc là rien d'extraordinaire, et l'on ne pouvait faire de reproches à un prélat qui s'était conformé aux rites ecclésiastiques et qui, d'ailleurs, avait donné plus d'une preuve d'attachement et de dévouement à l'Empereur. Le conseiller aurait dû ajouter, mais il ne l'osa pas, qu'à côté de l'oraison incriminée s'en trouvait une autre que Napoléon aurait pu faire dire pour obtenir un fils[17], ainsi que le faisaient les rois, dont il imitait volontiers les usages, et qui suppliaient Dieu de leur donner un héritier pour la perpétuité de leur dynastie et la paix de la France. Mais il avait décrété par un Sénatus-consulte qu'il aurait un fils, et dès lors il lui semblait inutile de recourir aux prières de l'Église. Cependant il demandait d'autres prières quelque temps après. Ce sont là des contradictions bizarres auxquelles Napoléon était sujet assez souvent et qu'il ne prenait pas la peine d'expliquer. Les Israélites reçurent également la circulaire du ministre des cultes. Aussi le Consistoire central, en ordonnant des prières dans toutes les synagogues, fit-il savoir que la miséricorde divine avait exaucé les vœux de la France et de l'Europe. Les poètes tinrent à prendre part, eux aussi, à ces vœux solennels. Parmi les plus enthousiastes, il faut citer Casimir Delavigne et Legouvé, professeur au Collège de France et membre de l'Institut, qui traduisit en vers français un poème latin composé par son collègue Lemaire, professeur de poésie latine à l'Université[18]. Ce poème était écrit avec une ardeur que Bigot de Préameneu regrettait naïvement de n'avoir pas trouvée dans les mandements épiscopaux. Mais toutes ces démonstrations n'étaient rien à côté des transports qu'allait soulever la naissance du roi de Rome.

CHAPITRE II

LA NAISSANCE ET LE BAPTÊME DU ROI DE ROME.

Nul n'avait paru plus heureux que M. de Metternich, au moment de la conclusion du mariage de l'archiduchesse Marie-Louise avec Napoléon. Depuis 1807, en effet, il méditait une alliance de famille entre la maison des Habsbourg et l'empereur des Français, afin d'arrêter les coups qui menaçaient l'existence même de l'Autriche. Aussi, le soir du mariage, M. de Metternich, qui avait accepté à dîner avec Regnaud de Saint-Jean d'Angély, de Barante et autres courtisans dans une salle du Conseil d'État, s'était-il avancé au balcon et, devant une foule enthousiaste, avait-il porté ce toast, un verre de champagne à la main: «Au roi de Rome!» Barante, qui rapporte cet incident, déclare que les convives demeurèrent un moment surpris et que Regnaud de Saint-Jean d'Angély lui dit tout bas: «Nous ne sommes pas encore aussi courtisans que M. de Metternich.» M. Albert Vandal nous donne l'explication de cette observation ironique: «La maison d'Autriche avait revendiqué jusqu'au lendemain d'Austerlitz comme une distinction purement honorifique, mais conservée avec un soin jaloux, la couronne des Romains. Par cette reconnaissance anticipée d'un titre qui lui avait été ravi, elle semblait légitimer l'usurpation, abdiquer en faveur du nouvel Empire ses plus insignes prérogatives et l'établir dans ses droits. Cet acte d'audacieuse déférence retentit par toute l'Europe[19].» Il ne faut pas oublier non plus, comme je l'ai mentionné plus haut, que, lorsque la Confédération des États du Rhin prit Napoléon pour protecteur, François II renonça au titre d'empereur élu d'Allemagne et à la dignité de chef du Saint-Empire romain.

Le souhait flatteur de M. de Metternich s'était réalisé, et, le 20 mars 1811, Napoléon informait solennellement François II de la naissance du prince impérial. L'accouchement de l'Impératrice avait eu lieu dans les plus grandes angoisses, mais s'était heureusement terminé avec le plus grand succès. L'enfant se portait parfaitement bien. «Ce soir, à huit heures, disait l'Empereur, l'enfant sera ondoyé. Ayant le projet de ne le faire baptiser que dans six semaines, je charge le comte Nicolaï, mon chambellan, qui portera cette lettre à Votre Majesté, de lui en porter une autre pour le prier d'être le parrain de son petit-fils. Votre Majesté ne doute pas que, dans la satisfaction que j'éprouve de cet événement, l'idée de voir perpétuer les liens qui nous unissent ne l'accroisse considérablement…» L'empereur d'Autriche répondit par de vives félicitations personnelles et envoya l'un des grands officiers de sa cavalerie, le comte Clary, avec la mission de remettre au roi de Rome le collier en diamants de tous les ordres autrichiens. Il dit dans sa lettre à Napoléon que si les souffrances de Marie-Louise avaient été grandes, le bonheur d'avoir rempli les vœux de Napoléon et de ses peuples l'avait complètement dédommagée.

Le Moniteur du 21 mars contenait, à la date du 20, cet avis solennel: «Aujourd'hui 20 mars, à neuf heures du matin, l'espoir de la France a été rempli. Sa Majesté l'Impératrice est heureusement accouchée d'un prince. Le roi de Rome et son auguste Mère sont en parfaite santé.» En présence de l'Empereur, de Madame Mère, de la reine d'Espagne, de la reine Hortense, de la princesse Pauline, du prince Borghèse, du prince archichancelier, le procès-verbal de la naissance fut dressé par le comte Regnaud de Saint-Jean d'Angély. Le grand-duc de Wurtzbourg et le vice-roi d'Italie servaient de témoins. Lorsque le procès-verbal eut été signé, le roi de Rome, précédé par les officiers de son service et suivi par un colonel général de la garde, fut porté par la comtesse de Montesquiou, gouvernante des enfants de France, dans son appartement. L'Empereur reçut ensuite les félicitations des princes, des grands dignitaires et des ministres. Des pages furent chargés d'aller apprendre la bonne nouvelle au Sénat, au conseil municipal de Paris, au Sénat d'Italie, aux corps municipaux de Milan et de Rome. Le duc de Cadore, ministre des affaires étrangères, dépêcha des courriers extraordinaires aux ambassadeurs et ministres de l'Empereur dans les cours de l'Europe. Des lettres personnelles de Napoléon furent portées aux princes et princesses de sa famille. Enfin des messagers se rendirent dans tous les départements. Le prince de Wagram, major général de l'armée, ordonna de tirer dans les grandes villes les mêmes salves qu'à Paris. Le duc de Feltre, ministre de la guerre, donna des ordres semblables pour toutes les villes de guerre et les pays occupés, et le comte Decrès, ministre de la marine, prescrivit les mêmes mesures pour les différents ports.

Toute la nuit qui avait précédé la délivrance de l'Impératrice, les églises de la capitale s'étaient remplies d'une foule immense qui priait pour Marie-Louise et Napoléon. Lorsque le vingt-deuxième coup de canon annonça à la population la naissance du fils tant désiré, ce fut une allégresse universelle. L'enfant était venu au monde presque inanimé. Napoléon le crut mort et ne proféra pas un mot. Il ne songeait qu'à l'Impératrice et aux souffrances qu'elle venait de subir. Tout à coup le roi de Rome jeta un cri, et l'Empereur, sortant de son mutisme et de ses angoisses, vint embrasser cet enfant, ce fils qui était la consécration définitive de son Empire. Les chirurgiens Dubois, Corvisart, Bourdier et Ivan, Mmes de Montesquiou, de Montebello et de Luçay, plusieurs dames de la cour et l'archichancelier Cambacérès avaient été présents à la délivrance. Lorsque la foule se répandit en clameurs enthousiastes, Napoléon vint se placer à une fenêtre du palais et écarta les rideaux pour jouir de la joie générale. Ce spectacle l'attendrit au point qu'il versa de grosses larmes et qu'il vint de nouveau embrasser son fils. «Un instant après la naissance du Roi, raconte M. de Bausset alors préfet du Palais, je le vis porté sur un carreau par Mme de Montesquiou. Les petites plaintes qu'il poussait encore nous firent un plaisir extrême, puisqu'elles annonçaient la force et la vie[20].»

On déposa l'enfant impérial dans le berceau offert quinze jours avant la naissance par la ville de Paris. C'était une très belle œuvre d'art, dont Prud'hon avait composé le dessin, Roguet fait le modelé, Thomas et Odiot l'exécution définitive. Entouré d'un triple rang de lierre et de lauriers, d'ornements en vermeil sur fond de velours nacarat, formé de balustres de nacre et semé d'abeilles d'or, ce magnifique berceau était supporté par quatre cornes d'abondance auprès desquelles se tenaient les génies de la Force et de la Justice. La Gloire soutenait la couronne triomphale au milieu de laquelle brillait l'étoile de Napoléon. Au pied du berceau un jeune aigle fixait cette étoile et semblait vouloir s'élever jusqu'à elle. Un large rideau de merveilleuses dentelles brodées d'or recouvrait cette couchette artistique que les hasards de la fortune ont amenée et retenue à Vienne[21].

Le 20 mars, à neuf heures du soir, le roi de Rome fut ondoyé dans la chapelle des Tuileries, en présence de l'Empereur, du grand-duc de Wurtzbourg et du prince Eugène, des princes et des dignitaires, de cardinaux et d'évêques. L'ondoiement fut fait par le cardinal Fesch, assisté du prince de Rohan, premier aumônier, «le seul de son nom qui, dès le premier moment, s'était hâté de s'offrir[22]». La cérémonie se termina par le Te Deum, pendant lequel le roi de Rome, dont le duc de Conegliano soutenait le manteau, fut reconduit dans ses appartements. Puis le comte de Lacépède, grand chancelier de la Légion d'honneur, et le comte Marescalchi, grand chancelier de la Couronne de fer, déposèrent sur son berceau les grands cordons de ces deux ordres. Ceux de l'empire d'Autriche avaient déjà été apportés par M. de Metternich en personne. Un feu d'artifice et de splendides illuminations terminèrent cette mémorable soirée. Le lendemain, le général Hulin, le même qui avait présidé le simulacre de tribunal à Vincennes le 21 mars 1804, adressait un rapport enthousiaste au ministre de la guerre sur la joie de la capitale au vingt-deuxième coup de canon qui avait annoncé la naissance du fils de l'Empereur[23]. Des bulletins, affichés dans tout Paris et autour desquels se groupait une foule anxieuse, donnaient les moindres détails sur la santé du précieux enfant. L'impératrice Joséphine avait eu la bonté de féliciter elle-même Napoléon de cet heureux événement, et l'Empereur, en la remerciant, lui dit qu'il espérait bien que son fils remplirait sa destinée. Cette phrase, qu'un prochain avenir allait si étrangement souligner, il la répéta aux sénateurs qui lui apportaient leurs vœux et leurs félicitations. C'était à qui saluerait avec le plus d'empressement son heureuse fortune. Le Conseil d'État se montra aussi enthousiaste que le Sénat. Le corps diplomatique se répandit en compliments et en adulations. Quant au comte Garnier, président du Sénat, il ne crut pas sa tâche terminée et alla prononcer un discours au pied du berceau du roi de Rome, puis il offrit ses hommages et ses éloges à la gouvernante[24].

Napoléon n'oublia point l'Église en cette circonstance. Le 20 mars, il avait fait adresser aux évêques une lettre qui leur prescrivait de chanter le Te Deum pour remercier le ciel de lui avoir donné un fils qui allait fixer les destinées de l'Empire. Cette lettre brève, qui a la forme d'une circulaire, avait remplacé un projet de lettre plus étendue et qu'il importe de connaître, car elle jette un nouveau jour sur les véritables sentiments de Napoléon à l'égard du Saint-Siège. L'Empereur se félicitait de la venue d'un fils, héritier de son pouvoir. «Le roi de Rome, disait-il, lorsqu'il montera sur le trône, consolidera ce que nous avons fait. Il saura que la religion est la base de la morale, le fondement de la société et le plus ferme appui de la monarchie.» Venaient ensuite d'étranges considérations. «Il saura que la doctrine de Grégoire VII et de Boniface, doctrine destructive de la religion de Jésus-Christ, et qui portait les Papes à s'ingérer dans les affaires temporelles, doit être proscrite. Il n'oubliera pas que le fils de Charlemagne fut, à l'instigation des Papes, privé de son trône, de son honneur et de sa liberté. Ne tenant sa couronne que de Dieu, et soutenu par l'amour de ses peuples, il contiendra, il repoussera les hommes impies qui, abusant des choses les plus sacrées, voudraient fonder un empire temporel sur une influence spirituelle; il protégera l'Église, il en suivra les dogmes; il ne souffrira jamais aucune entreprise contre l'indépendance de son trône et aucune influence étrangère dans le sein de l'Église, si ceux qui seront appelés à l'exercer ne contractent l'obligation de ne rien faire dans ses États de contraire à la doctrine et aux privilèges de l'Église gallicane, conformes aux vrais dogmes et à la vraie religion de Jésus-Christ[25].» Après y avoir réfléchi, et probablement sur les sages conseils de son ministre des cultes, Bigot de Préameneu, Napoléon s'en tint à une missive plus simple où il se bornait à ordonner le chant du Te Deum. Les évêques se conformèrent à cet ordre. La plupart remercièrent Dieu de la naissance d'un héritier de l'Empire et y virent pour la France et l'Europe le gage de la paix. Invités, eux aussi, à s'associer à la joie de l'Empereur, les consistoires réformés prescrivirent des prières pour Napoléon et son fils.

À l'étranger, les démonstrations ne furent pas moins éclatantes qu'en France. À Milan, Turin, Naples, Venise, Rome, Amsterdam, Bruxelles, Francfort, Bade, Darmstadt, Wurtzbourg, Munich, Dusseldorf, Berne, Berlin, Trieste, Stockholm, partout enfin, ce ne fut que salves d'artillerie, illuminations, ovations, acclamations. À Vienne, on attendait avec impatience la nouvelle de la délivrance de Marie-Louise. Une correspondance de cette ville, en date du 26 mars, nous apprend que le dimanche 24, la dépêche reçue par l'ambassadeur de France causa une joie générale. Le 25, un courrier spécial apporta au palais impérial la nouvelle officielle, et l'Empereur d'Autriche ordonna pour le lendemain grand cercle à la cour, puis des représentations gratuites sur tous les théâtres afin d'associer le peuple à la joie du souverain.

Les théâtres de Paris s'étaient ingéniés à flatter Napoléon. L'Opéra avait donné le Berceau d'Achille de Dumaniant et Kreutzer, composé et appris en quelques jours, ce qui fut considéré «comme une sorte de prodige». L'Opéra-Comique représentait le Berceau de Pixérécourt; le Théâtre-Français, la Gageure imprévue de Désaugiers; les Variétés, la Bonne Nouvelle de Genty. Achille, Mars, Vénus, tous les dieux de l'Olympe furent mis à contribution sur les autres scènes. Les auteurs, qui s'étaient préparés à tout événement et voulaient arriver en temps opportun, avaient pris la précaution d'écrire à l'avance un double dénouement, l'un pour la naissance d'un fils, l'autre pour la naissance d'une fille[26]. Les poètes s'étaient, eux aussi, piqués d'émulation, et le censeur Sauvo, qui examina leurs œuvres, daigna parfois y reconnaître le tribut de l'admiration, de la reconnaissance et de l'amour. Il signala entre autres les compositions de Davrigny, Michaud, Baour-Lormian, de Treneuil, Delrieu, Vigée et Briffaut, fournisseurs attitrés de l'Almanach des Muses. J'ai lu tous ces poèmes. Il est impossible de rien imaginer de plus médiocre, de plus banal. Que dire des autres qui pullulèrent à l'envi? Que dire de ces milliers d'odes, de ballades, de sonnets, d'idylles, de stances, de cantates et d'églogues?… L'indulgence de l'Empereur fut grande, car tous ces vermisseaux de lettres reçurent près de cent mille francs de gratification, distribués par les mains délicates du ministre de la justice, transformé pour le moment en Apollon[27]. Les musiciens reçurent aussi leur part de cette manne généreuse[28]. M. de Montalivet, ministre de l'intérieur, avait été chargé de présenter un compte rendu détaillé de toutes ces productions. Il dut constater qu'en général les intentions étaient excellentes, mais les compositions bien mauvaises. Il eut alors l'idée d'associer l'Université aux fêtes de la naissance du roi de Rome et rappela les précédents de 1661 à 1781 pour la naissance des Dauphins. Il cita le compliment du dernier recteur, M. Charbonnel, qui vivait encore et qui avait dit au premier fils de Louis XVI: «Monseigneur, vous avez été longtemps l'objet de nos désirs. Vous l'êtes maintenant de nos espérances. Puissions-nous l'être un jour de vos bontés, comme vous le serez sans cesse de notre amour.» On ne pouvait, en réalité, conjuguer plus élégamment le verbe «être». L'Empereur repoussa le projet de harangue à l'enfant qui lui parut ridicule et n'admit qu'une chose: la célébration d'un Te Deum, auquel l'Université, les lycées et les collèges assisteraient[29].

On se pressait, on s'étouffait presque aux Tuileries pour avoir des nouvelles de la santé du roi de Rome. Dans les listes qui figuraient à l'entrée des appartements on trouve les signatures de la plus grande partie des représentants de la noblesse française. Les adresses pleuvaient par milliers. Cahiers bleus, cahiers roses, cahiers dorés, cahiers ornés de dessins à la plume, écrits par les meilleurs calligraphes, tout cela est encore aux Archives nationales. Militaires, magistrats, professeurs, fonctionnaires de tout rang, avocats, écrivains, jeunes gens, jeunes filles, enfants, tous se réunissent pour apporter des félicitations, des compliments, des vœux enthousiastes. Les grandes villes se joignent à ce concert de louanges[30]. Les diplomates offrent, eux aussi, leur tribut. Pour ne donner qu'un exemple, le marquis de Gallo écrit de Naples à l'Empereur, le 10 avril: «Voilà donc accomplis les vœux de votre cœur, Sire, et les voilà remplis par la plus grande et la plus adorable princesse qui fût digne de donner un héritier à Votre Majesté Impériale et Royale. Avoir eu l'honneur d'admirer de près les vertus de cette auguste princesse pendant son éducation, ajoute infiniment, Sire, au bonheur qui enivre mon âme à l'occasion de ce grand événement.» Il dit que ses vœux partent «d'un cœur qui admire et adore Votre Majesté Impériale et Royale depuis le commencement de sa carrière immortelle et qui n'a démenti dans aucune occasion le zèle, le dévouement et l'admiration qu'il lui a voués, depuis les heureux et mémorables jours de Leoben[31]». Les étrangers prenaient part à ces démonstrations, comme le prouve une lettre de l'ambassadeur de France à Berlin, qui écrit, le 19 avril 1811, à l'Empereur, qu'il reçoit chaque jour une foule d'écrits pour célébrer sa gloire et sa fortune. L'un d'eux mérite plus particulièrement son attention. La naissance du roi de Rome l'a dicté aux malheureux parents des jeunes gens séduits par Schill[32]. C'est un beau cahier bleu orné de faveurs jaune d'or et intitulé: «Les mères allemandes, dont les fils sont encore aux fers de France, à Napoléon le Grand, empereur de France et roi d'Italie, à l'occasion de la naissance de Sa Majesté le roi de Rome.» Les signataires de cette adresse suppliaient l'Empereur comme si elles s'adressaient à un dieu, et le priaient d'être à la fois Titus et Trajan afin que son nom vécût à jamais dans les siècles[33].

Le ministre de l'intérieur, qui tenait à perpétuer le souvenir d'un événement aussi considérable, soumettait à Napoléon un pressant rapport sur l'opportunité de gratifier les enfants nés en France le même jour que le roi de Rome. Il rappelait «l'exemple d'Aménophis, père de Sésostris, qui voulut que tous les enfants mâles—ils étaient mille sept cents—nés le même jour que Sésostris, fussent élevés avec le jeune prince»! Il proposait, «à l'imitation de l'un des plus grands hommes de l'antiquité», de faire instruire dans les écoles impériales les enfants, au nombre de deux mille, nés le 20 mars[34]. Enfin le grand maréchal du palais, le duc de Frioul, soumettait, le 9 avril, à l'Empereur, un rapport sur les fêtes qui devaient avoir lieu le jour où Sa Majesté se rendrait à la métropole pour remercier Dieu. Largesses et dons divers, grâces multiples, secours extraordinaires, mariages de jeunes filles pauvres avec d'anciens militaires, divertissements et réjouissances de toute nature, tel était le programme qui fut adopté et exécuté. Le 19 avril, Marie-Louise fit ses relevailles dans la chapelle des Tuileries. L'abbé de Pradt dit la messe; la duchesse de Montebello et la marquise de Luçay portèrent les offrandes. Le 23 avril, l'Impératrice fit part à son père de «son immense bonheur», se louant beaucoup des bontés particulières de l'Empereur et se disant émue jusqu'aux larmes, des témoignages d'affection qu'il lui avait donnés. «Quand je lui dis que vous aimez déjà cet enfant, ajoutait-elle, il en est tout ravi!…» Un mois après, Napoléon informait les évêques que le 9 juin, jour de la Trinité, il irait lui-même présenter son fils au baptême dans l'église Notre-Dame. Son intention était que, le même jour, ses peuples vinssent dans leurs églises entendre le Te Deum et unir leurs prières et leurs vœux aux siens. À la même date, le cardinal Fesch, le comte de Ségur, grand maître de la cour, l'abbé de Sambucy, maître des cérémonies de la chapelle impériale, et l'architecte Fontaine, visitèrent la cathédrale pour régler et ordonner, de concert avec l'archevêque Maury, les préparatifs de la solennité.

Le 9 juin, toutes les rues que devait traverser le cortège impérial étaient occupées par la garde et par les troupes de la garnison. La place de la Concorde, les rues, les boulevards étaient ornés de drapeaux, d'oriflammes, de festons de verdure, et les maisons d'emblèmes impériaux, d'écussons et de tapisseries. Les trottoirs et les fenêtres étaient garnis d'innombrables spectateurs qui criaient à tue-tête: «Vive l'Empereur! Vive l'Impératrice! Vive le roi de Rome!…» Le ciel était clair, la température très douce. À cinq heures du soir, le canon retentit; les portes des Tuileries s'ouvrirent. Un régiment de chasseurs de la garde parut en grand uniforme, puis les voitures impériales où se trouvaient Napoléon et Marie-Louise, le roi de Rome et Mme de Montesquiou, sa gouvernante. «Tous les regards se portaient, dit un témoin, sur l'auguste enfant dont le nom royal allait être consacré sous les auspices de la religion.» Des acclamations enthousiastes saluèrent le cortège jusqu'à l'arrivée à la cathédrale. Devant l'entrée centrale de Notre-Dame on avait disposé une tente soutenue par des lances et parée de draperies, de guirlandes et de drapeaux. Dans la tribune du chœur, à droite, se trouvaient les princes étrangers; dans celle de gauche, le corps diplomatique; dans le pourtour, les femmes des ministres et des grands officiers de la couronne; dans le sanctuaire, les cardinaux et les évêques; dans le chœur, le Sénat, le Conseil d'État, les maires et les députés des bonnes villes; dans la nef, les membres du Corps législatif, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, du Conseil de l'Université et de la Cour impériale, l'état-major et les autres invités. Au seuil de la cathédrale, le cardinal Fesch, grand aumônier, reçut Leurs Majestés, puis, aux sons des grandes orgues et de nombreux instruments, le cortège entra lentement dans l'enceinte sacrée. Vinrent d'abord les hérauts d'armes, les pages, les maîtres des cérémonies, les officiers d'ordonnance, le préfet du palais, les officiers de service du roi de Rome, les écuyers de l'Empereur, les chambellans, le premier écuyer, les grands aigles de la Légion d'honneur, les grands officiers de l'Empire, les ministres, le grand chambellan, le grand écuyer et le grand maître des cérémonies, tous en costume d'apparat. Parurent ensuite les Honneurs de l'enfant et les Honneurs des parrain et marraine. Le cierge était tenu par la princesse de Neufchâtel, le chrémeau par la princesse Aldobrandini, la salière par la comtesse de Beauvau, le bassin par la duchesse de Dalberg, l'aiguière par la comtesse Vilain XIV, la serviette par la duchesse de Dalmatie. Ces honneurs avaient été aussi enviés que jadis le privilège de remettre la chemise au roi de France. Marchaient devant le roi de Rome: à droite, l'archiduc Ferdinand et le grand-duc de Wurtzbourg, représentant son frère l'empereur d'Autriche, parrain; à gauche, Son Altesse Impériale Madame Mère, marraine, et la reine Hortense, représentant la reine de Naples. Le roi de Rome était porté par sa gouvernante, Mme de Montesquiou. L'enfant impérial était revêtu d'un manteau d'or, tissé d'argent, doublé d'hermine. Le duc de Valmy portait fièrement la queue du manteau. À droite et à gauche se tenaient les deux sous-gouvernantes et la nourrice. Sous un dais soutenu par des chanoines, on apercevait l'Impératrice portant le diadème et l'immense manteau de cour, dont le grand écuyer tenait la queue. Marie-Louise était entourée de la première dame d'honneur et de la dame d'atour, du chevalier d'honneur et du cardinal de Rohan, premier aumônier. Venaient ensuite la princesse Pauline, les dames du palais, le duc de Parme, archichancelier, le prince de Neufchâtel et de Wagram, vice-connétable, le prince de Bénévent, vice-grand électeur, le prince Borghèse, duc de Guastalla, le prince Eugène, vice-roi d'Italie, le prince Joseph Napoléon, roi d'Espagne, et le prince Jérôme, roi de Westphalie. Apparaissait enfin, sous un autre dais porté également par des chanoines, l'Empereur ayant à sa droite et à sa gauche ses aides de camp. Derrière le dais marchaient le colonel général de la garde de service au Palais, le grand maréchal, les dames d'honneur des princesses, les dames et officiers de service.

L'Empereur et l'Impératrice allèrent se placer à leurs prie-Dieu dans la partie supérieure de la nef, le roi de Rome à la droite de l'Empereur, le parrain et la marraine également à droite, puis les princes, princesses, ministres, grands officiers, grands aigles, chambellans, aides de camp et généraux autour de Leurs Majestés. Après le chant du Veni Creator, le grand aumônier se présenta à l'entrée du chœur et procéda à la cérémonie du baptême. Alors le chef des hérauts d'armes s'avança au milieu du chœur et cria par trois fois d'une voix puissante: «Vive le roi de Rome!» Tous les spectateurs répétèrent ce cri qui redoubla d'intensité, lorsque l'Empereur, élevant l'enfant dans ses bras, le présenta lui-même à l'assistance. À ce moment, un immense orchestre, dirigé par Lesueur, exécuta un Vivat triomphal qui redoubla l'émotion des spectateurs de cette scène grandiose.

Comment ne pas s'arrêter ici un instant pour se rendre compte des sentiments qui devaient remplir à cette heure solennelle le cœur de l'Empereur?… Qu'avait-il voulu avec le mariage autrichien, et que croyait-il avoir obtenu? La fondation de sa dynastie, la consolidation du pouvoir qu'il avait créé, la mise à l'abri de ce pouvoir extraordinaire contre les haines et les jalousies de sa famille qui auraient éclaté quand il ne serait plus là; enfin la défense de son œuvre contre les rancunes de l'Europe qui aurait rapidement renversé un édifice énorme, construit avec tant de labeurs, et au prix de quels sacrifices! Sans doute, sa gloire n'était pas une gloire éphémère, son nom devait durer dans l'histoire, ses institutions avaient des chances de vie, mais ce n'était pas encore assez. Il fallait une alliance, la plus haute de toutes, avec une monarchie orgueilleuse et fière de ses mariages. Il fallait que la Révolution elle-même fût couronnée et sacrée dans son chef par cette union solennelle, et que de cette union sortît un fils dont le monde reconnaîtrait tous les droits. Et voilà que ce rêve prodigieux, qu'il avait conçu depuis plusieurs années[35], il venait enfin de le réaliser. Comment n'aurait-il pas ressenti une joie profonde, comment n'aurait-il pas aveuglément compté sur ses destinées, alors que, dans cette cathédrale, la religion avec ses prêtres, la cour avec ses pompes, la société avec ses directeurs, l'Europe avec ses représentants, tout enfin s'inclinait devant lui?

Le baptême terminé, Mme de Montesquiou reprit l'enfant, fit une grande révérence à l'Empereur et sortit par la porte du sanctuaire. Elle se rendit avec le roi de Rome à l'archevêché, d'où elle repartit avec lui pour les Tuileries. Après le Te Deum et le Domine, salvum fac Imperatorem et Regem, le cardinal Fesch donna la bénédiction épiscopale et le cortège se retira, avec le même cérémonial que pour l'entrée, dans une majestueuse splendeur. Un murmure, puis une clameur d'admiration saluèrent ce prestigieux cortège qui constituait le plus beau et le plus expressif des spectacles.

L'Empereur et l'Impératrice remontèrent en voiture pour se rendre à la grande fête donnée à l'Hôtel de ville. Le préfet de la Seine, comte Frochot, les reçut à l'entrée du palais municipal, les harangua et les conduisit à l'appartement impérial où les attendaient le préfet de police, les secrétaires généraux, les sous-préfets, les maires et les adjoints de Paris. On se rendit ensuite au banquet où l'Empereur, placé sous un dais, avait à sa droite Madame Mère, à sa gauche l'Impératrice, et autour de lui les principaux personnages de l'Empire. Après le banquet, on entendit un concert; puis Leurs Majestés voulurent bien recevoir leurs invités jusque vers minuit. Un bal et un grand souper terminèrent la fête de l'Hôtel de ville, tandis qu'au dehors des illuminations nombreuses et de brillants feux d'artifice réjouissaient les Parisiens. Dès le matin de cette belle journée, les cloches et le canon n'avaient cessé de retentir; dans toutes les églises, le Te Deum avait été chanté; dans toutes les rues et sur toutes les places, des acclamations frénétiques avaient salué l'héritier de l'Empire. Et ces sonneries, ces salves, ces vivats, ces acclamations avaient éclaté aux mêmes heures dans la France tout entière, dans presque toute l'Europe. Partout, au milieu des fêtes et des réjouissances publiques, ce n'était que le même vœu exprimé par des millions de voix: «Vive le roi de Rome!» Des évêques, comme ceux de Nantes et d'Angers, avaient adressé des discours enthousiastes au peuple. «Que l'ange tutélaire de la France, disait l'évêque d'Angers, veille autour de son berceau et en écarte tous les dangers! Qu'il vive pour la gloire de la religion dans le sein de laquelle il vient de naître, et que, fidèle aux serments de son baptême, le titre de fils aîné et de protecteur de l'Église soit le plus beau de ses titres!» Les poètes se montrèrent plus enthousiastes encore, si bien que le censeur Sauvo put affirmer dans un rapport officiel: «Tous les âges, toutes les classes et presque tous les idiomes ont acquitté noblement leur tribut, sûrs d'être accueillis par l'estime due au succès, ou par l'indulgence qui sourit à l'intention.»

L'Empereur, satisfait de toutes ces ovations, se montra généreux. Le grand-duc de Wurtzbourg reçut une épaulette en diamants de 100,000 francs et des porcelaines de Sèvres d'une valeur de 42,700 francs; la marraine, un médaillon dont le prix était de 100,000 francs et des vases de Sèvres estimés 36,700 francs; la gouvernante, une parure de 60,000 francs et deux tapisseries des Gobelins, le Combat de Mars et de Diomède et Cornélie, mère des Gracques, évaluées à 57,146 francs; la reine Hortense, des porcelaines de Sèvres pour 15,440 francs; les six dames chargées des Honneurs, des bijoux dont le montant s'élevait à 120,000 francs. Le roi de Westphalie eut une tapisserie, Aria et Pætus, d'une valeur de 13,220 francs; l'archichancelier, une tapisserie de 12,500 francs. Déjà, à l'occasion des couches de l'Impératrice et de la naissance de son fils, Napoléon avait distribué en divers cadeaux plus de 500,000 francs[36]. Les premières médailles frappées à l'occasion de la naissance coûtèrent à elles seules 50,000 francs. Le vice-roi d'Italie reçut un admirable service de Sèvres, et les aides de camp des porcelaines de prix, de la même manufacture[37]. Le comte de Montesquiou, chambellan de Sa Majesté, lui présenta, quelque temps après, un rapport où il lui rappelait qu'il avait promis des «grâces» au Corps législatif à l'occasion de la naissance et du baptême du roi de Rome. Il lui soumettait une liste de soixante-cinq candidats, parmi lesquels Napoléon nomma deux officiers de la Légion d'honneur et douze chevaliers, ce qui, pour un temps où la décoration n'était point prodiguée, parut une promotion considérable.

Le 16 juin, l'Empereur ouvrait solennellement les séances du Corps législatif. On remarqua l'allure hautaine de son discours. «La paix conclue avec l'empereur d'Autriche, disait-il, a été depuis cimentée par l'heureuse alliance que j'ai contractée; la naissance du roi de Rome a rempli mes vœux et satisfait à l'avenir de mes peuples. Les affaires de la religion ont été trop souvent mêlées et sacrifiées aux intérêts d'un État de troisième ordre. Si la moitié de l'Europe s'est séparée de l'Église de Rome, on peut l'attribuer spécialement à la contradiction qui n'a cessé d'exister entre les vérités et les principes de la religion qui sont pour tout l'univers, et des prétentions et des intérêts qui ne regardent qu'un petit coin de l'Italie. J'ai mis fin à ce scandale pour toujours. J'ai accordé des palais aux papes à Rome et à Paris. S'ils ont à cœur les intérêts de la religion, ils voudront séjourner souvent au centre des affaires de la chrétienté. C'est ainsi que saint Pierre préféra Rome au séjour même de la Terre Sainte!…» Ces quelques mots dédaigneux furent dits d'une voix menaçante et répandirent une certaine émotion dans une assistance habituée cependant à toutes les surprises. Parlant ensuite de la réunion de la Hollande, Napoléon déclara qu'elle n'était qu'une émanation de l'Empire. Il avait eu soin de s'assurer les débouchés de l'Ems, du Weser et de l'Elbe. Quant à l'Espagne, que soutenaient les forces anglaises, «lorsque l'Angleterre sera épuisée, dit-il, un coup de tonnerre mettra fin aux affaires de la Péninsule». Il terminait par cette espérance: «Je me flatte que la paix du continent ne sera pas troublée.»

Les députés acclamèrent ce discours, comme ils avaient acclamé les autres. Mais plusieurs, parmi eux, se retiraient inquiets de la façon injuste et violente dont l'Empereur traitait le Saint-Père. L'heure paraissait cependant toute aux fêtes, aux réjouissances, aux ovations. La France et l'Europe avaient salué la naissance du roi de Rome, comme si le ciel eût fait descendre parmi les hommes l'Ange de la paix. Mais l'Empire n'avait que l'apparence du calme. Son maître, qui avait consommé une rupture éclatante avec le Saint-Siège, venait de convoquer à Paris un concile national qui allait s'ouvrir le 21 juin. Il en espérait une prompte et servile obéissance à ses volontés. Or, ce ne sera pas sans violences nouvelles qu'il domptera cette malheureuse assemblée; et ce qu'il en obtiendra ne mettra pas fin aux embarras considérables que la politique impériale a soulevés partout. Il espérera y remédier par d'autres exigences, d'autres menaces, d'autres colères, puis par une guerre contre la Russie. Cette fois, ce sera le signal de sa ruine. Napoléon voudra être le maître de l'Europe, comme il est en apparence le maître de la Papauté. Il ne sera longtemps ni l'un ni l'autre. Les princes, les ambassadeurs, les ministres, les maréchaux, les députés, les sénateurs, les courtisans qui l'ont félicité et adulé, les poètes qui l'ont chanté, les auteurs qui l'ont célébré et déifié, tous ceux qui ont mendié de lui la faveur d'un mot ou d'un regard, se retireront précipitamment dès qu'ils verront sa puissance ébranlée, ou viendront lâchement jeter la dernière insulte au lion affaibli.

CHAPITRE III

L'ENFANCE DU ROI DE ROME.

(1811-1812)

Le 10 janvier 1810, l'archiduchesse Marie-Louise avait écrit à son amie Mlle de Poutet: «Bude est comme Vienne, et l'on ne parle que du divorce de Napoléon. Je laisse parler tout le monde et ne m'en inquiète pas du tout. Je plains seulement la pauvre princesse qu'il choisira, car je suis sûre que ce ne sera pas moi qui deviendrai la victime de la politique[38].» Le 23 janvier, elle savait qu'à Vienne on la mariait déjà avec le grand Napoléon, et elle remerciait son amie de ses vœux, «étant la seule, disait-elle, qui ne s'en réjouirait pas». Cependant, quelque temps après le mariage, le 24 avril, elle souhaitait à son amie, qui allait épouser le comte de Crenneville, un bonheur pareil à celui qu'elle éprouvait. Le 11 mai, elle lui disait encore: «Peut-être que dans ce moment où vous êtes déjà mariée, vous goûterez un bonheur aussi inaltérable que le mien. Je suis charmée que vous vous mariiez dans le même mois que moi. Je souhaite que, comme tout se réunit pour faire se ressembler nos mariages, vous deveniez mère d'un joli enfant en même temps que moi. J'ai demandé à l'Empereur la permission de signer votre contrat de mariage. Il y a acquiescé tout de suite avec cette grâce, cette obligeance qui lui est si naturelle…[39].» Elle disait ailleurs que les moments qu'elle passait le plus agréablement étaient ceux où elle se trouvait seule avec l'Empereur. Un an après, elle se déclarait touchée des vœux de la comtesse de Crenneville pour son fils: «J'espère qu'ils se réaliseront et qu'il fera un jour, comme son père, le bonheur de tous ceux qui rapprocheront et le connaîtront… Mon fils est étonnant pour son âge. Il a l'air d'avoir trois mois et rit déjà aux éclats. Il ressemble beaucoup à l'Empereur.» Elle ajoutait avec orgueil: «Mon fils est fort et beau. L'air de Saint-Cloud, que nous habitons depuis un mois, lui fait grand bien.» Puis le 2 septembre 1811: «Mon fils profite à vue d'œil. Il devient charmant, et je crois même lui avoir déjà entendu dire «Papa». Mon amour maternel veut au moins s'en flatter.» Après un voyage de deux mois en Belgique, elle revoyait toute joyeuse cet enfant chéri: «L'émotion que j'éprouvais peut être sentie, mais pas exprimée. Je l'ai trouvé bien fortifié, ayant quatre dents et disant «Papa», mais maigri et pâle, ce qui provient de la dentition… Vous pouvez vous figurer qu'il ne m'a pas reconnue; mais peu de jours après mon retour, j'avais déjà très bien renouvelé connaissance avec lui[40].»

On voit par ces simples extraits que Marie-Louise était une épouse et une mère heureuses. Il est une légende, encore vivace, qui la représente comme une victime livrée à une sorte de Minotaure et qui prétend faire répandre des larmes sur son immolation. Certainement, son mariage a été un mariage politique, et la jeune archiduchesse a dû se soumettre avant tout, et comme bien d'autres, à la raison d'État[41]. On n'ignore pas, en effet, qu'elle avait répondu à Metternich, lorsqu'il vint la prier d'accepter la main de Napoléon: «Je suis prête à me sacrifier pour mon père et pour ma patrie.» Il va sans dire qu'au premier abord, elle ne pouvait avoir d'affection pour celui qui avait ruiné l'Autriche et vaincu plusieurs fois son père, pour le guerrier dont elle comparait les soldats aux Huns. Mais l'éditeur de sa correspondance intime nous apprend lui-même que du moment où elle fut liée par son serment, «elle ne songea qu'à en subir les conséquences et sans se poser en victime[42]». Aussitôt que Marie-Louise eut pris confiance dans la tendresse de Napoléon,—et sa tendresse lui fut révélée dès la première heure,—elle comprit que dans cette union elle trouverait autant de bonheur que d'orgueil. Si elle apportait au nouveau César la main de la fille de l'empereur d'Autriche, le noble descendant des Habsbourg, elle allait mêler son sang altier au sang d'un héros. Sans doute, parmi les victoires qui l'avaient déjà immortalisé, elle rencontrait des noms comme Austerlitz et Wagram, qui lui avaient fait prendre Napoléon pour l'Antéchrist[43]. Sans doute, elle avait dit que Napoléon avait trop peur d'un refus et trop envie de faire encore du mal à l'Autriche pour demander sa main… Mais elle admit bientôt elle-même que pour sauver le reste de la monarchie autrichienne, il fallait faire à tout prix un sacrifice aux nécessités du moment, c'est-à-dire accepter une alliance de famille avec l'empereur des Français, laquelle conduirait à une alliance politique. Elle espérait, comme son père, que Napoléon rendrait à l'Autriche quelques-unes de ses anciennes possessions et lui permettrait en tout cas de respirer et de refaire un peu ses forces ébranlées. C'est ce que disait Gentz: «La monarchie consolidée par le mariage, quelque amer que puisse être ce dernier remède, peut subsister et braver toutes les tempêtes, si elle évite chaque emploi de ses forces à des guerres quelconques, au moins pour six ou huit ans[44].»

Marie-Louise, élevée, comme toutes les archiduchesses, dans une discipline étroite, n'avait pas abordé sans timidité son terrible époux. Mais celui-ci lui montra immédiatement une telle affection qu'elle sentit en peu de temps toutes ses craintes s'évanouir. On se rappelle avec quelle impatience Napoléon avait attendu l'arrivée de Marie-Louise à Compiègne, comment il avait devancé sa venue et de quelles prévenances il l'avait entourée. Elle a reconnu elle-même que, loin de la rudoyer, comme on le croyait en Autriche, il lui avait témoigné les plus grands égards. Les contemporains affirment tous que Napoléon voulait, toujours et avant tout, plaire à Marie-Louise; qu'il avait donné les ordres les plus sévères pour que chacun obéît à ses volontés. Il ne la quittait pas, lui prodiguant les attentions les plus délicates et les plus gracieuses, allant, dans les manifestations de sa tendresse, jusqu'à des enfantillages de jeune amoureux. Lorsque Marie-Louise devint mère, cet amour grandit encore et s'exalta. Les rares loisirs que lui laissaient les soins d'un immense empire, Napoléon les consacrait à sa femme et à son fils. Il trouvait à Marie-Louise le charme et l'esprit qu'il avait désirés; il se plut à la parer de toutes les qualités et de toutes les grâces. Il disait souvent—c'est Chaptal qui l'affirme, et ce témoin n'est guère complaisant pour l'Empereur—: «Si la France connaissait tout le mérite de cette femme, elle se prosternerait à ses genoux!» Il lui laissa prendre sur son cœur un tel empire qu'elle en vint elle-même à dire à Metternich, quelques mois après le mariage: «Je n'ai pas peur de Napoléon, mais je commence à croire qu'il a peur de moi!» Il paraîtrait, d'après la générale Durand, que Marie-Louise ne manifestait pas un amour excessif pour son fils. N'ayant jamais vu d'enfants, ne s'étant pas familiarisée avec eux pendant sa propre enfance et pendant sa jeunesse, elle n'osait le prendre dans ses bras ni le caresser, de crainte de lui faire quelque mal. Aussi le roi de Rome était-il plus affectueux pour sa gouvernante qui ne le quittait pas. Il aurait été difficile d'ailleurs de faire un meilleur choix. «Cette dame d'une famille illustre, dit la générale Durand, avait reçu une excellente éducation. Elle joignait le ton du grand monde à une piété solide et éclairée. Sa conduite avait toujours été si régulière que la calomnie n'avait jamais osé diriger une attaque contre elle. On lui reprochait un peu de hauteur, mais cette hauteur était tempérée par la politesse et par l'obligeance la plus gracieuse…[45].»

Le comte de Montesquiou était grand chambellan et possédait justement la confiance de l'Empereur. Il obtenait, avec sa femme, des grâces et des faveurs pour des émigrés auxquels il s'intéressait, estimant que c'était le meilleur moyen de les rallier à l'Empire et à son maître. Mme Durand affirme que la comtesse de Montebello était jalouse du crédit de la comtesse de Montesquiou, et qu'elle avait essayé de faire croire à Marie-Louise que la tendresse de la gouvernante pour le prince impérial n'était que de l'intérêt personnel. Avisée de ce fait, Mme de Montesquiou s'en plaignit directement à l'Impératrice, qui ne lui rendit pas une justice suffisante. Marie-Louise était d'ailleurs mécontente de l'attachement que son fils montrait à sa gouvernante. Mais pourquoi n'imitait-elle pas l'Empereur qui, à tout moment, s'emparait du petit prince, le caressait et jouait avec lui? Ainsi, lorsqu'il déjeunait, il le faisait chercher, l'asseyait sur ses genoux, trempait un doigt dans la sauce de quelque plat et s'amusait à lui en barbouiller le visage. La gouvernante osait faire quelques objections, mais l'Empereur riait aux éclats, et l'enfant ne s'effrayait pas de cette hilarité bruyante. On a remarqué que c'est avec son fils seulement que Napoléon donnait libre cours à sa bonne humeur. Il témoignait à la gouvernante du roi de Rome une déférence particulière. Il lui écrivait directement. Le 30 septembre 1811, il mande à Mme de Montesquiou de ne pas écouter les médecins, peut-être trop soigneux, et de former de bonne heure la constitution du roi de Rome par un régime solide. Au moment où il s'occupe des préparatifs de la guerre de Russie, il fait cette recommandation à la gouvernante: «J'espère que vous m'apprendrez bientôt que les quatre dernières dents sont faites», et il promet de ne pas oublier la nourrice[46].

«Il s'occupe beaucoup de son fils, écrivait, le 23 avril 1812, Marie-Louise à son père. Il le porte dans ses bras, fait l'enfant avec lui, veut lui donner à manger, mais n'y réussit pas[47].» Le roi de Rome grandissait et déjà faisait preuve d'un caractère docile. Cependant, il avait parfois de petites colères, mais Mme de Montesquiou savait les réprimer sans avoir besoin de recourir aux verges. Un jour qu'il se roulait à terre en jetant des cris aigus, elle ferma immédiatement les fenêtres et les contrevents. L'enfant cessa de crier un moment et demanda pourquoi sa gouvernante agissait ainsi: «Pensez-vous, répondit-elle, que les Français voudraient d'un prince comme vous, s'ils savaient que vous vous mettez ainsi en colère?…—Crois-tu, répliqua le roi de Rome, qu'on m'ait entendu? Oh! j'en serais bien fâché. Pardon, maman Quiou, je ne le ferai plus.» Et il tint parole. L'influence de cet enfant sur Napoléon était incroyable. Un jour, on lui apporta la pétition d'un homme d'esprit fort malheureux, qui, dans sa détresse, s'adressait directement au roi de Rome. L'Empereur fit présenter la pétition à son fils. «Qu'a-t-il dit? demanda-t-il gravement.—Sire, Sa Majesté le roi de Rome n'a rien répondu.—Eh bien, qui ne dit mot, consent.» Et le pétitionnaire obtint un poste dans une des préfectures de l'Empire[48].

«Accablé de soins et de soucis, rapporte Méneval, c'était seulement auprès de sa femme et de son fils que Napoléon rencontrait une agréable distraction à tant de fatigues. Le peu de loisirs que lui laissaient les affaires dans la journée, il les consacrait à son fils, dont il se plaisait à guider les pas chancelants avec une sollicitude toute féminine. Les chutes fréquentes de cet enfant chéri étaient accueillies par les caresses et les éclats de rire bruyants de son père… Ce trio, dont la simplicité aurait pu faire oublier la grandeur, offrait le spectacle d'un ménage bourgeois uni par les liens de l'intimité la plus douce[49].» À peine le prince impérial avait-il terminé sa première année, que Napoléon partait pour Dresde, décidé à entreprendre la campagne de Russie. Marie-Louise le suivit, heureuse de revoir son père et la cour autrichienne. On a décrit ces journées fameuses, ce parterre de princes et de rois plus courtisans que leurs propres courtisans, les obséquiosités de Metternich et de Hardenberg allant jusqu'à l'agenouillement. On se rappelle que l'empereur d'Autriche crut faire plaisir à son gendre en lui découvrant une noblesse ancienne, et comment Napoléon répondit brusquement: «Ma noblesse à moi date du 18 brumaire.» Il est inutile de raconter encore les fêtes, les concerts, les banquets, les spectacles, les chasses, les divertissements les plus extraordinaires qui se virent jamais. Marie-Louise apparut portant les superbes diamants de la couronne et faisant pâlir d'envie l'impératrice d'Autriche, qui, malgré ses préventions, céda, elle aussi, à l'ascendant de l'empereur des Français. Le 28 mai, Napoléon quitta Dresde et lança son ultimatum à la Russie, pendant que Marie-Louise, après une excursion à Prague, retournait à Saint-Cloud[50]. C'est à Dresde qu'elle avait vu pour la première fois le général de Neipperg, mais sans faire attention à cet individu qui devait tant l'occuper deux ans après. Elle écrivait à Madame Mère, le lendemain du départ de Napoléon: «Rien ne peut me consoler de l'absence de l'Empereur, pas même la présence de toute ma famille.»

Le préfet du palais, M. de Bausset, était parti pour la Russie quelque temps après son maître, emportant dans une caisse le portrait du roi de Rome par Gérard. M. de Bausset arriva à la tente de Napoléon le 6 septembre 1812. Il remit à l'Empereur des lettres de Marie-Louise et lui demanda ses ordres au sujet du portrait qu'il apportait. «Je pensais, dit-il, qu'étant à la veille de livrer la grande bataille qu'il avait tant désirée, il différerait de quelques jours d'ordonner l'ouverture de la caisse dans laquelle ce portrait était renfermé. Je me trompais. Pressé de jouir d'une vue aussi chère à son cœur, il m'ordonna de le faire porter tout de suite à sa tente. Je ne puis exprimer le plaisir que cette vue lui fit éprouver. Le regret de ne pouvoir serrer son fils contre son cœur fut la seule pensée qui vint troubler une jouissance aussi douce. Ses yeux exprimaient l'attendrissement le plus vrai. Il appela lui-même tous les officiers de sa maison et tous les généraux qui attendaient à quelque distance ses ordres, pour leur faire partager les sentiments dont son cœur était rempli. «Messieurs, leur dit-il, si mon fils avait quinze ans, croyez qu'il serait ici autrement qu'en peinture!» Un moment après, il ajouta: «Ce portrait est admirable.» Il le fit placer en dehors de la tente sur une chaise, afin que les braves officiers et les soldats de sa garde pussent le voir et y puiser un nouveau courage. Ce portrait resta ainsi toute la journée. Pendant tout le temps du séjour de Napoléon au Kremlin, le portrait de son fils fut placé dans sa chambre à coucher. J'ignore ce qu'il est devenu[51].»

Ce tableau de Gérard figurait dernièrement à l'Exposition historique et militaire de la Révolution et de l'Empire. Il appartient au comte de Reinach. Il a été popularisé par la gravure. Il en existe une reproduction au Musée de Versailles. Tout le monde le connaît. Qui ne se rappelle, en effet, cette gracieuse tête ronde, ces fins cheveux blonds, avec la mèche caractéristique tombant sur le front, ces yeux d'un bleu vif, cette bouche rose et ce menton accentué? Le peintre avait assis sur un coussin de velours vert l'enfant impérial, tenant de la main droite le sceptre, et de la gauche le globe. Sur sa fine chemisette flotte le grand cordon de la Légion d'honneur. Le cou et les bras sont nus. Le regard est joyeux, clair et profond. Aussi comprend-on l'enthousiasme des soldats quand ils virent leur petit empereur. De ce portrait fait par un maître, et sur lequel les yeux de Napoléon et de tant de braves se sont fixés avec amour au moment où se jouait le sort de l'Empire, semble se dégager comme une vision du passé. Il est impossible que cette toile n'ait pas gardé quelque reflet de l'instant où elle apparut, de l'heure où on l'a contemplée, de l'allégresse et de l'enthousiasme qu'elle a excités. Empreinte de tant de souvenirs, c'est un document propre à la méditation et bien fait pour émouvoir.

* * * * *

On sait que pendant que Napoléon était aux prises en Russie avec les plus effroyables difficultés, éclata la conspiration du général Malet. Le 23 octobre, l'audacieux général se rendit à la caserne Popincourt, puis à la caserne des Minimes, annonça la mort de Napoléon, lut un sénatus-consulte qui abrogeait le gouvernement impérial et l'investissait, lui, Malet, de tous les pouvoirs. Il réquisitionna des troupes, délivra les généraux Lahorie et Guidal enfermés à la Force, se dirigea sur l'état-major de la place Vendôme, fit arrêter le préfet de police Pasquier et le ministre de la police Rovigo, blessa grièvement le général Hulin et allait en faire autant à son adjudant général, lorsque Laborde l'arrêta courageusement et par cet acte d'énergie mit fin à la conspiration. Elle n'avait eu que quatre heures de succès; mais sans la décision de Laborde, elle eût pu se prolonger, et la situation se fût aggravée. Il faut considérer, en effet, que le préfet de la Seine, Frochot, avait eu la naïveté de croire à la nouvelle de la mort de l'Empereur et d'obéir aveuglément aux conspirateurs. Dans toute cette affaire, c'est le détail qui impressionna le plus Napoléon, et c'est à Frochot qu'il fit plus tard allusion en ces termes: «Des magistrats pusillanimes détruisent l'empire des lois, les droits du trône et l'ordre social même.» Le chancelier Pasquier fait observer que ce qui apparaissait au milieu de tous les discours de l'Empereur, «c'était la pensée qu'il avait suffi de répandre le bruit de sa mort pour faire oublier les droits de son fils[52]». Pendant l'audacieuse tentative du général Malet, que faisait l'Impératrice? Elle était fort tranquille avec le roi de Rome à Saint-Cloud, «lorsque l'apparition d'un détachement de la garde, envoyé par le ministre de la guerre, vint l'effrayer. Elle courut aussitôt en peignoir et les cheveux épars sur le balcon donnant sur la cour, et là, elle reçut le premier avis d'un attentat inattendu pour elle, mais sa consternation ne fut pas de longue durée.» Elle apprit, presque en même temps la fin de la conspiration. Deux mois après, Napoléon rentrait aux Tuileries, sans s'être fait annoncer. «Inquiète des bruits qu'elle entendait dans le salon qui précédait sa chambre à coucher, elle se levait pour en savoir la cause, quand elle vit entrer l'Empereur, qui se précipita vers elle et la serra dans ses bras[53].» Napoléon reçut le lendemain les principaux corps de l'État qui venaient lui prodiguer les nouvelles assurances d'un dévouement qu'ils allaient oublier un an après. Le Sénat, toujours obséquieux, parla de la convenance de faire couronner l'Impératrice et le roi de Rome; mais les événements devenant de plus en plus graves, cette cérémonie fut ajournée. Une question plus urgente fut étudiée et bientôt résolue: celle de la régence. On allait la confier à Marie-Louise et l'investir du souverain pouvoir, en l'absence de l'Empereur, sous la surveillance et avec l'appui d'un conseil.

En attendant le jour prochain où il espérait prendre la revanche de sa défaite en Russie, en formant de nouvelles armées et en préparant attentivement leur organisation, l'Empereur aimait encore à se distraire de ses terribles préoccupations avec sa femme et son fils. «Un jour, raconte le comte d'Haussonville, alors chambellan de l'Empereur, la porte du cabinet impérial était restée entre-bâillée à cause des jeux du petit roi de Rome. De la salle d'attente on voyait l'Empereur assis auprès de Marie-Louise et badinant avec l'enfant. Mon père se sentit frapper sur l'épaule. C'était un maréchal fameux qui n'était pas venu à Paris depuis longtemps et qui recevait une première audience.—Mais, voyez donc, monsieur, dit-il à mon père, n'est-ce pas là le parfait modèle du bonheur domestique?» Et le maréchal n'était pas seulement ému; il pleurait à chaudes larmes. «Le spectacle de la grandeur heureuse, ajoute le chambellan, a toujours eu le privilège d'attendrir le cœur des hommes.» On sait que Napoléon avait fait fabriquer des pièces de bois de divers genres pour figurer des compagnies, des bataillons, des sections d'artillerie, et qu'il manœuvrait lui-même ces pièces comme des échecs sur un échiquier. Que de fois les courtisans n'ont-ils pas vu le roi de Rome se jetant impétueusement au milieu de ses combinaisons stratégiques et bouleversant l'ordre de ces morceaux de bois, sans que l'Empereur ait manifesté le moindre mouvement d'impatience ou d'irritation! Heureux instants, mais qui ne devaient être que des instants!… S'il n'eût écouté que le sentiment paternel, Napoléon eût fait la paix avec l'Europe. Cependant il ne pouvait demeurer sous le coup des derniers revers; il ne pouvait accepter que la France fût amoindrie et perdît une partie de ses conquêtes et la gloire dont il l'avait honorée. «Un homme dans ma position, avait-il dit, ne peut pas faire la paix, s'il a été battu et s'il n'a pas réparé son échec.» Il fallait donc qu'il marchât à de nouveaux combats, avec l'espoir que quelques triomphes éclatants répareraient les fautes du passé et le mettraient dans une position qui inspirât le respect et la crainte à ses adversaires. On le voyait plus qu'autrefois préoccupé de cette nécessité redoutable, mais personne dans le palais n'osait aborder directement avec lui ce grave sujet.

Un soir, Napoléon passait par les appartements du roi de Rome, à l'heure où, sous la direction de Mme de Montesquiou, l'enfant faisait sa prière avant de s'endormir. «Mon Dieu, disait-il de sa petite voix naïve, inspire à papa le désir de faire la paix, pour le bonheur de la France et de nous tous!» L'Empereur, qui s'était arrêté, sourit et se retira sans dire mot. Là où les courtisans gardaient un silence timide, c'était une femme et un enfant qui venaient de lui faire connaître, sous une forme humble et touchante, le vœu le plus cher de la France. Mais Napoléon, se confiant à son génie fécond en prodiges, croyait encore que la guerre seule pouvait empêcher la chute de son empire et de sa dynastie.

CHAPITRE IV

LE ROI DE ROME ET L'EMPIRE EN 1813.

Marie-Louise avait paru se préoccuper assez vivement des nouvelles complications où s'était jeté l'Empereur après son départ de Dresde, et ne trouver quelque apaisement à ses inquiétudes que dans son amour pour son fils. Elle l'avait écrit, le 1er octobre 1812, à la comtesse de Crenneville: «Vous me connaissez assez pour savoir que quand j'ai un chagrin, il est bien cruel et que, malgré cela, je ne le montre pas. Aussi vous pouvez juger celui que doit me causer l'absence de l'Empereur et qui ne finira qu'à son retour! Je me tourmente et m'inquiète sans cesse. Un jour passé sans avoir de lettre suffit pour me mettre au désespoir, et quand j'en reçois une, cela ne me soulage que pour peu d'heures… La seule consolation que j'aie dans ce moment est mon fils, qui devient tous les jours plus aimable, et qui grandit et embellit beaucoup. Le plaisir de venir le retrouver a beaucoup diminué le chagrin que j'ai éprouvé en quittant mes parents, et trois mois ont suffi à produire un changement si favorable en lui que j'aurais eu de la peine à le reconnaître…[54].» Et dans une autre lettre: «J'ai été bien contente de me retrouver auprès de mon fils et au milieu d'un peuple que j'estime tant que les Français… J'ai revu mon fils embelli et grandi. Il est si intelligent que je ne me lasse pas de l'avoir près de moi; mais, malgré toutes ses grâces, il ne peut parvenir à me faire oublier, fût-ce pour quelques instants, l'absence de son père…» Au début de l'année 1813, elle écrit encore: «Mon fils se porte à merveille. Il n'a jamais été un instant sérieusement malade depuis sa naissance, et il a toutes ses dents depuis trois mois… Je n'ai qu'à me louer de sa santé. Il embellit et se fortifie à vue d'œil. C'est un enfant charmant…» Ces quelques extraits semblent prouver, contrairement à certaines affirmations, que Marie-Louise avait, à ce moment, tous les sentiments d'une mère. Pourquoi n'en a-t-il pas été toujours ainsi?

Lamartine, à qui il est arrivé plus d'une fois de transformer les loups en agneaux et les monstres mêmes en êtres harmonieux, a cru voir une Marie-Louise dont les portraits les plus flatteurs n'ont jamais approché. Il a voulu la réhabiliter, prétendant qu'elle avait été calomniée. Il lui accorde tous les dons, la grâce, la tendresse, la pitié… «C'était, déclare-t-il, une belle fille du Tyrol, les yeux bleus, les cheveux blonds, le visage nuancé de la blancheur de ses neiges et des roses de ses vallées, la taille souple et svelte, l'attitude affaissée et langoureuse de ces Germaines qui semblent avoir besoin de s'appuyer sur le cœur d'un homme, le regard plein de rêves et d'horizons intérieurs voilés sous le léger brouillard des yeux.» Est-ce tout? Non. Il vante encore «sa poitrine pleine de soupirs et de fécondité, ses bras longs, blancs, admirablement sculptés et retombant avec une gracieuse langueur comme lassés du fardeau de sa destinée; le cou naturellement penché sur l'épaule». Il la comparait à la «statue de la Mélancolie du Nord, dépaysée dans le tumulte d'un camp français[55]». Enfin cette Germaine avait «une nature simple, touchante, renfermée en soi-même, muette au dehors, pleine d'échos au dedans…» C'est ainsi que parlait un grand poète qui, l'ayant vue, dix ans après, déjà lourde et massive, ayant perdu les charmes de la première jeunesse, la décrétait, de par lui, souple, svelte, langoureuse. La vérité, c'est qu'elle avait de beaux yeux et un teint animé. C'étaient là ses seuls avantages… Lorsque M. de Laborde revint d'Autriche, Napoléon, impatient, le pressa de questions sur la future Impératrice. «Que Votre Majesté, finit par répondre le prudent conseiller d'État, sauve le premier coup d'œil, et comme mari, je crois qu'Elle aura lieu d'être satisfaite.» M. Frédéric Masson, qui en a parlé autrement qu'en poète, ne lui a trouvé que «l'air d'une nourrice[56]». M. Thiers constate que l'Empereur sembla content du genre de beauté et d'esprit qu'il crut voir en elle. D'ailleurs, «une femme bien constituée, bonne, simple, convenablement élevée, était tout ce qu'il désirait…» Lorsque Napoléon voulut savoir quels conseils ses parents lui avaient donnés: «D'être à vous tout à fait et de vous obéir en toutes choses», avait-elle répondu avec une sincère candeur. Et elle tint parole jusqu'en 1814, se montrant fort touchée des tendresses que l'Empereur ne cessait de lui prodiguer. «Elle semblait, affirme M. d'Haussonville, avoir pour lui une affection véritable. Il ne déplaisait pas à l'Empereur qu'on s'en aperçût. Peut-être même y avait-il quelque affectation dans la familiarité conjugale et bourgeoise avec laquelle il traitait la fille des empereurs d'Allemagne[57].»

Pendant les quatre mois qui s'écoulent avant la reprise des hostilités contre la Prusse et la Russie, l'Empereur ne s'oublie pas dans les effusions intimes. Sans doute, il montre qu'il a du bonheur à se trouver avec sa femme et son fils, mais il tient tête aux difficultés et aux soucis les plus effrayants qui aient jamais assailli un capitaine et un chef d'État. Il obtient du Sénat de nouveaux contingents; il veut maintenir à tout prix ses aigles dans l'Espagne insurgée. Il essaye même de venir à bout des résistances du Pape qu'il a fait transférer de Savone à Fontainebleau. Profitant de sa faiblesse et abusant de ses fatigues, il lui arrache le Concordat du 25 janvier que Pie VII, mieux conseillé et plus éclairé, rétractera formellement deux mois après. L'Empereur, qui avait informé son beau-père de l'heureux apaisement du différend de l'Église et de l'Empire, s'irrite et menace encore la Papauté, lorsque les affaires extérieures s'aggravent et imposent un dérivatif à son injuste courroux. La Prusse et la Russie viennent de se liguer ouvertement contre la France. L'Autriche, qui avait cru un instant aux succès de Napoléon en Russie, et qui redoutait qu'il n'en profitât pour achever la Prusse et l'achever elle-même, refusait poliment, à la fin de 1812, après les revers de la Grande Armée, d'augmenter l'effectif de son contingent auxiliaire. Elle se bornait à déclarer qu'elle était disposée à s'interposer pour amener le bienfait d'une paix nécessaire[58]. Metternich, qui paraissait assez disposé à une politique d'accommodement, n'avait pas les allures impérieuses qu'il prit plus tard. Il affirmait que l'Autriche seule pouvait contenir par son calme et sa fermeté des millions d'hommes prêts à profiter des malheurs de la France. «Les rapports de sang qui lient les deux maisons impériales d'Autriche et de France, disait-il à Floret, son agent à Paris, donnent un caractère particulier à toute démarche faite par notre auguste maître… L'empereur des Français paraît avoir pressenti ce qui se passe en ce moment, en me disant si souvent que le mariage avait changé la face des choses en Europe. Le moment s'approche. Il peut être venu où Napoléon peut tirer le véritable profit de cette heureuse alliance…[59].» Le 20 décembre, François II appuya cette déclaration par une lettre personnelle à Napoléon, où il lui affirma qu'il n'avait d'autre but que le bien-être d'un monarque «auquel l'attachait personnellement le lien le plus sacré[60]». Le 7 janvier 1813, Napoléon répondit que le froid seul avait été la cause de ses revers, mais que ses forces étaient déjà reconstituées. Il admettait cependant des ouvertures de paix, à la condition que la France ne céderait aucun des pays réunis par des sénatus-consultes. Mais cette réponse rendait, pour ainsi dire, les négociations impossibles. Aussi l'Autriche, tout en affirmant son dévouement à Napoléon et son amour de la paix, renforçait-elle son armée et choisissait-elle de fortes positions stratégiques. L'Empereur s'en plaignait et blâmait entre autres un agent autrichien, dont j'ai déjà parlé, M. de Neipperg, de travailler ouvertement en Suède contre la France[61]. Metternich se récriait. Il jurait que sa cour tenait «la conduite la plus franche et la plus loyale que jamais personne eût tenue[62]». Ce qui ne l'empêchait pas de confier à Lebzeltern que lorsque l'Autriche serait chargée d'une médiation efficace, elle dicterait impérieusement les conditions de la paix.

Le 1er avril, Napoléon déclarait la guerre à la Prusse, puis un mois après battait les Prussiens et les Russes à Lutzen; il informait François II de sa victoire et l'assurait en même temps que Marie-Louise était son premier ministre et s'acquittait admirablement de ses fonctions. L'Empereur l'avait en effet investie de la régence, en lui donnant pour premier conseiller le vieux Cambacérès, dont il estimait l'expérience et la sagacité, mais qui était devenu bien pusillanime. Trois semaines après, il achevait ses adversaires à Bautzen et jetait l'Autriche dans l'incertitude la plus cruelle. Metternich, sachant que l'armée russe et l'armée prussienne étaient démoralisées, conseilla à François II de rassurer Alexandre et Frédéric-Guillaume. Il fallait envoyer à Napoléon le comte de Bubna et obtenir de lui de sérieuses promesses de paix, fondées sur la reconstitution de la Prusse et sur le renoncement au protectorat de l'Empire germanique, au duché de Varsovie et aux provinces illyriennes. Bubna se rend alors à Prague, au quartier général de l'Empereur, et lui soumet les propositions de l'Autriche. «Vous voulez me déshonorer, s'écrie Napoléon. Monsieur, l'honneur avant tout, puis la femme, puis l'enfant, puis la dynastie!» Il affirma que le monde allait être bouleversé. Il prédit les plus grands malheurs. «La meilleure des femmes en sera la victime. La France sera livrée aux jacobins. L'enfant dans les veines duquel le sang autrichien coule, que deviendra-t-il? J'estime mon beau-père depuis que je le connais. Il a fait le mariage avec moi de la manière la plus noble. Je lui en sais gré de bien bon cœur. Mais si l'empereur d'Autriche veut changer de système, il aurait mieux valu ne pas faire ce mariage dont je dois me repentir en ce moment-ci. Je vous l'ai dit à Paris et je l'ai répété au prince Schwarzenberg, rien ne me répugne tant que de faire la guerre à l'Autriche. Ce qui me tient le plus à cœur, c'est le sort du roi de Rome. Je ne veux pas rendre odieux le sang autrichien à la France. Les longues guerres entre la France et l'Autriche ont fait germer des ressentiments. Vous savez que l'Impératrice, comme princesse autrichienne, n'était point aimée à son arrivée en France. À peine commence-t-elle à gagner l'opinion publique par son amabilité, par ses vertus, ses talents qu'elle développe dans les affaires, que vous voulez me forcer à donner des manifestes qui irriteront la nation. Certes, on ne me reproche pas d'avoir le cœur trop aimant. Mais si j'aime quelqu'un au monde, c'est ma femme. Quelle que soit l'issue que prenne la guerre, cela influera sur l'avenir du roi de Rome. C'est sous ce rapport-là qu'une guerre contre l'Autriche m'est odieuse[63]!» Puis s'indignant contre une médiation armée, par laquelle on voulait lui imposer les plus grands sacrifices, il s'écria: «Vous vous dites encore mes alliés, pendant que vous facilitez les mouvements des Russes en m'ôtant votre corps auxiliaire, en chassant les Polonais du royaume de Cracovie!» Il conclut énergiquement que si on voulait lui reprendre ses conquêtes, il fallait que le sang coulât.

L'empereur d'Autriche était plus hésitant que son ministre. Il prévoyait que si Napoléon gagnait encore une ou deux batailles, l'Europe redeviendrait ce qu'elle était en 1811, ou peut-être pire encore. M. de Metternich eut de la peine à l'amener à suivre une politique qui consistait à avoir les apparences de la neutralité, et qui donnait le temps de préparer une habile défection. Il y parvint cependant. Et pendant que la cour de Vienne protestait de sa loyauté, elle signait avec la Prusse et la Russie une convention secrète par laquelle l'Autriche s'engageait à se joindre aux alliés, si Napoléon repoussait le projet de médiation armée. L'Empereur, qui connaissait toutes ces perfidies, aurait pu refuser l'armistice proposé jusqu'au 20 juillet. Il l'accepta et le porta même jusqu'au 10 août, car il lui fallait ce temps pour concentrer et augmenter ses forces. Le 26 juin, Napoléon et M. de Metternich ont, à Dresde, ce terrible entretien de six heures d'où l'on peut dire que la guerre est sortie. L'Empereur s'y répand en menaces et en reproches. Ce qui revient à chaque instant dans ses plaintes, c'est la folie qu'il a faite en épousant une archiduchesse. Et le ministre autrichien,—si l'on admet son dire,—aurait, répondu: «Puisque Votre Majesté veut connaître mon opinion, je dirai très franchement que Napoléon le Conquérant a commis une faute[64].» L'Empereur, sans se déconcerter, va droit au but: «Ainsi l'empereur François veut détrôner sa fille?—Quoi que la fortune réserve à sa fille, l'empereur François est avant tout souverain, et l'intérêt de ses peuples tiendra toujours la première place dans ses calculs.» Devant le sang-froid de son adversaire, Napoléon s'emporte. Il s'étonne qu'on lui demande de livrer ses conquêtes sans tirer l'épée. «Et c'est mon beau-père, s'écria-t-il, qui accueille un tel projet! C'est lui qui vous envoie! Dans quelle attitude veut-il donc me placer en présence du peuple français? Il s'abuse étrangement s'il croit qu'un trône mutilé puisse être en France un refuge pour sa fille et son petit-fils!…» Et alors il lui échappe des paroles cruelles, des paroles irréparables qui expliquent la haine posthume de Metternich: «Combien l'Angleterre vous a-t-elle donné pour vous décider à jouer ce rôle contre moi[65]?»

Un profond silence succède à cette violente apostrophe. Puis Napoléon croit pouvoir ajouter: «Vous ne me ferez pas la guerre?» Et Metternich lui répond, ou lui aurait répondu: «Vous êtes perdu, Sire!» Et à peine est-il sorti qu'il expédie un courrier à Schwarzenberg pour savoir, au point de vue pratique, quelle doit être la durée de l'armistice. Schwarzenberg fixe un délai de vingt jours pour renforcer son armée de 75,000 hommes, et le prétendu négociateur de la paix consacre tous ses efforts à obtenir ce délai. Les négociations de Prague, entre Metternich, d'Anstett, Caulaincourt et Narbonne, qui s'engagent alors, ne sont en réalité que des conversations diplomatiques. Ni d'un côté ni de l'autre, on n'était sincère. Si Napoléon eût accordé les concessions exigées, l'Autriche en eût immédiatement présenté d'autres. Quant à l'Empereur, il ne voulut jusqu'au dernier moment en admettre aucune. Il quitta Dresde pendant quelques jours pour aller recevoir Marie-Louise à Mayence, pensant que de grands égards, témoignés officiellement à la fille de François II, produiraient une impression favorable en Autriche et faciliteraient un rapprochement. Il engagea même l'Impératrice à écrire à son père une lettre capable de toucher son cœur et de le déterminer à une paix plus honorable[66]. À la veille même de la rupture de l'armistice, Napoléon sembla disposé à céder sur quelques points, mais, cette fois, il était trop tard. Les signaux préparés de Prague à la frontière de Silésie s'allumèrent dans la nuit du 10 au 11 août, apprenant aux alliés que les négociations étaient rompues. Sans doute, l'Empereur avait eu tort de ne point chercher à faire la paix, comme il l'avoua plus tard à M. Fazakerley[67]; mais la médiatrice de cette paix, l'Autriche, était-elle sincère dans ses offres? Elle qui, le 27 juin, avait signé avec la Prusse et la Russie le traité secret de Reichenbach, dressé le 9 juillet le plan de campagne à Trachenberg avec les alliés, conclu le traité secret de Prague avec l'Angleterre le 27 juillet, pouvait-elle dire qu'elle avait négocié loyalement?… Quoi qu'il en soit, elle était arrivée à son but; gagner du temps. Et le 12 août, grâce à son concours et à son adresse, la Triple Alliance devenait un acte officiel. Les 26 et 27 août, les alliés sont battus à Dresde; les Autrichiens, entre autres, abandonnent à Napoléon 20,000 prisonniers, 60 pièces de canon et de nombreux équipages de guerre, ce qui n'empêche pas Metternich d'affirmer «que les troupes de Napoléon ne méritaient plus le nom d'armée». Mais les lieutenants de l'Empereur n'ont malheureusement ni son génie ni ses triomphes. Les 18 et 19 octobre, à Leipzig, la trahison des Saxons et des Wurtembergeois transforme la bataille en déroute, quoique les pertes des alliés soient énormes. Le combat plus heureux de Hanau facilite la retraite de l'armée française; mais c'en est fait, l'invasion est proche et l'Empire menacé. Napoléon allait revenir en hâte à Saint-Cloud, prêt à créer de nouvelles armées et avec la certitude inébranlable de trouver dans son génie militaire les occasions de réparer ses désastres.

Pendant cette terrible campagne et les péripéties extraordinaires qui l'avaient remplie, l'Empereur n'oubliait pas son fils. Ainsi, le 7 juin, il avait écrit à Mme de Montesquiou: «Je vois avec plaisir que mon fils grandit et continue à donner des espérances», et il avait assuré la gouvernante de toute sa satisfaction. Quant à Marie-Louise, il s'en préoccupait à tout instant, inquiet de sa santé et voulant qu'on lui procurât des distractions de nature avec son âge. Mais l'Impératrice avait pris son rôle de régente au sérieux et les tristesses, de 1813, qui avaient singulièrement aggravé celles de 1812, ne lui inspiraient pas beaucoup le désir de chercher des plaisirs et des divertissements. Napoléon avait eu un moment l'intention de faire couronner solennellement le roi de Rome; les circonstances pénibles où se trouvait jetée la France l'en avaient dissuadé. Marie-Louise, qui désirait ardemment la paix, avait consenti avec joie à écrire à son père, quelque temps après son voyage à Mayence. Elle émettait l'espérance que l'empereur d'Autriche ne se mêlerait pas à la guerre. Elle lui parlait en même temps de son intérieur. Elle se félicitait d'avoir retrouvé son fils bien portant, très gai, très aimable et prononçant déjà quelques paroles. Six semaines après, le 23 septembre, n'ayant pas reçu de réponse favorable, elle suppliait encore son père de mettre fin aux hostilités. Avant la bataille de Leipzig, elle était allée au Sénat lire un discours patriotique où elle faisait hautement appel à la vaillance des Français contre l'Angleterre et la Russie, qui avaient entraîné la Prusse et l'Autriche dans leur coalition. «Associée depuis quatre ans aux pensées les plus intimes de mon époux, disait-elle, je sais de quels sentiments il serait agité sur un trône flétri et sous une couronne sans gloire.» Elle souleva un enthousiasme sénatorial qui dura toute une séance.

Lorsque, le 9 novembre à cinq heures du soir, Napoléon revint subitement au château de Saint-Cloud, il trouva l'Impératrice en larmes. «Ému et attendri, rapporte un témoin, il la prit sur son cœur avec un redoublement de tendresse. Leur fils, amené par la gouvernante, vint mettre le dernier trait à ce tableau de famille, qui intéressa vivement le petit nombre des spectateurs qui en étaient témoins.» Méneval, qui se trouvait à Saint-Cloud, dit du roi de Rome: «C'était alors un très bel enfant. Il avait toutes les apparences de la force de la santé, et son intelligence se développait d'une manière remarquable. La reine de Naples lui avait fait présent d'une petite calèche dans laquelle il se promenait joyeusement dans les jardins du château. Cette voiture était traînée par des moutons qu'avait dressés l'habile écuyer Franconi.» Ces joies ne sont que des joies éphémères. L'Empereur, qui prodigue à sa femme et à son fils ses plus vives tendresses, ne soupçonne pas qu'il les voit pour la dernière fois. Quelques semaines encore, et tout sera rompu entre eux. La campagne de France, l'abdication, l'île d'Elbe, les Cent-jours, la seconde abdication, le départ pour Sainte-Hélène, tous ces événements dramatiques se succéderont tumultueusement, sans que Napoléon puisse revoir Marie-Louise et le roi de Rome.

En apprenant la défection officielle de l'Autriche, défection qui n'aurait cependant pas dû la surprendre, Marie-Louise avait manifesté le plus vif chagrin. Elle craignait pourtant que l'Empereur ne lui en voulût et ne lui témoignât une affection moindre. Elle se trompait; jamais Napoléon ne fut plus aimant. Il souriait seulement, lorsqu'elle lui disait: «L'Empereur mon père m'a répété vingt fois, quand il m'a mise sur le trône de France, qu'il m'y soutiendrait toujours, et mon père est un honnête homme…» Le 14 novembre, l'éternel Lacépède haranguait Napoléon au nom du Sénat et lui dépeignait la sollicitude de cette assemblée pour lui. Le lendemain, le Sénat mettait à la disposition de l'Empereur trois cent mille conscrits. Le 1er décembre, les alliés lancent la fameuse déclaration de Francfort où ils cherchent à séparer la cause de Napoléon de la cause du pays. Ils jurent que c'est à l'Empereur seul qu'ils font la guerre[68]. Ils veulent la France forte et heureuse, et lui laissent une étendue de territoire plus grande que sous ses rois. L'offre des limites naturelles et la bienveillance pour les intérêts de la France n'étaient en réalité qu'un leurre. On le vit bientôt. Mais ce n'était pas seulement à l'extérieur que Napoléon allait rencontrer des embûches, c'était encore chez lui, dans son propre empire. Le Sénat, qui était toujours prêt, sur un signe du maître, à envoyer des millions d'hommes à la mort[69], attendait l'occasion pour se livrer, sans péril, à une lâche défection. Le 16 novembre 1813, le lendemain du sénatus-consulte qui ordonnait de nouvelles levées, le comte Molé écrivait dans son Journal intime: «À quatre heures, je fus chez Fontanes. Nous causâmes longtemps. Il me fit connaître l'opinion du Sénat. La très grande majorité hait l'Empereur. Elle ne le cache pas. Ce qu'on appelle le vieux Sénat, c'est-à-dire un noyau de dix-huit environ, tels que Sieyès, Tracy, Lanjuinais, Garat, Villetard, voudraient un directoire; un grand nombre veut le roi de Rome et la régente; un très petit nombre est dévoué à l'Empereur. Ces derniers mêmes demandent la paix à tout prix. Tous repoussent les Bourbons.» Moins de cinq mois après, Napoléon était frappé de déchéance, le roi de Rome et la régente abandonnés à l'Autriche, et Louis-Stanislas-Xavier de France appelé au trône par ces mêmes sénateurs, qui avaient eu bien soin de stipuler en même temps qu'ils seraient inamovibles et garderaient leurs traitements et leurs majorats.

Au cours de ces événements, Pie VII avait, malgré une surveillance rigoureuse, pu faire connaître au nonce sa rétractation du concordat de Fontainebleau. Lors des conférences de Prague, il avait, par l'entremise du nonce Severoli, déclaré à l'empereur d'Autriche qu'il maintenait ses droits à la souveraineté temporelle. Napoléon fut averti de ces démarches. Il comprit cette fois, mais trop tard encore, qu'il fallait céder. Il fit faire des propositions au cardinal Consalvi pour arriver à une sorte de pacification entre le Saint-Siège et l'Empire. Qui aurait pu admettre cette hypothèse même quelques mois auparavant?… Celui qui avait pris Rome pour en donner le titre et la souveraineté à son fils, allait être contraint de reconnaître la souveraineté temporelle de ce Pape qu'il avait si brutalement dépossédé.

CHAPITRE V

FONTAINEBLEAU, BLOIS, RAMBOUILLET.

(1814)

Le 31 décembre 1813, Blücher passait le Rhin avec ses soldats. Bientôt un million d'ennemis vont combattre trois cent mille Français qui, sous la direction de leur Empereur, se couvriront d'une gloire immortelle. Napoléon, qui lutte non seulement pour maintenir ses conquêtes et sauver l'avenir de sa dynastie, a retrouvé le secret des belles et grandes combinaisons d'autrefois. Si les alliés finissent par avoir raison de ces gigantesques efforts, c'est parce que la lassitude des uns, la trahison des autres leur sont venues en aide, car jamais leurs généraux n'ont manœuvré plus pitoyablement.

Avant de se remettre à la tête de ses troupes, Napoléon réorganise la régence. Marie-Louise en est chargée une seconde fois. Elle s'inspirera encore des conseils de Cambacérès. Elle aura également auprès d'elle Joseph Napoléon qui la remplacera à Paris et dirigera la défense, au cas où la régente, à l'approche des étrangers, serait forcée de quitter la capitale. Jetant alors ses regards autour de lui pour intimider les traîtres qui se dissimulent, l'Empereur menace hautement le prince de Bénévent. Il ordonne au duc de Rovigo d'exercer une surveillance active sur ce personnage, surveillance que le duc ne rendra pas rigoureuse, car il n'a plus d'espoir en l'avenir de la dynastie impériale et il se ménage, lui aussi, des protecteurs. La rancune de Napoléon avait deviné juste. C'est, en effet, l'ancien ministre des affaires étrangères qui rassemblera, quelques mois plus tard, une poignée de sénateurs pour proclamer la déchéance de l'Empire et leur conseiller de se rendre aux alliés et de se vendre aux Bourbons. Cependant l'Empereur a confiance encore dans son étoile. Il est résolu à tout essayer pour délivrer le sol sacré. Il l'a dit à la députation du Corps législatif, lors des réceptions de nouvel an: «Dans trois mois nous aurons la paix, nos ennemis seront chassés, ou je serai mort!…» Les derniers jours qui lui restent, il les passe auprès de sa femme, auprès de ce fils aimé qui lui semblait la consécration suprême de ses volontés et de ses désirs. Au moment même où, dans son cabinet de travail, il signait les décrets les plus importants, où il examinait les affaires les plus considérables, il ne pouvait se détacher de cet enfant qu'il tenait sur ses genoux, ou serré contre sa poitrine. Le roi de Rome était alors âgé de trois ans et dix mois. Son esprit avait toutes les vivacités et tous les charmes d'une enfance précoce et attachante. Il rendait caresses pour caresses à son père, et ses instants les plus joyeux étaient ceux où il pouvait venir jouer librement auprès de lui. La gravure a popularisé ces scènes intimes. Qui ne se rappelle en effet le roi de Rome endormi aux pieds de son père, tandis que celui-ci parcourt d'un œil attentif la carte de France où vont irrévocablement se jouer ses destinées[70]?

Enfin l'heure du départ a sonné. Le 23 janvier, Napoléon fait réunir aux Tuileries, dans la salle des Maréchaux, les officiers de la garde nationale. Quand ils sont tous arrivés, une porte s'ouvre et Marie-Louise apparaît, suivie de la comtesse de Montesquiou qui tient le roi de Rome dans ses bras. Napoléon, avec cette dignité imposante qu'il savait prendre dans les grandes circonstances, présente aux officiers ce qu'il a de plus cher au monde. «Messieurs, leur dit-il, une partie du territoire est envahie. Je vais me placer à la tête de mon armée, et, avec l'aide de Dieu et la valeur de mes troupes, j'espère repousser l'ennemi au delà des frontières.» Puis, prenant l'Impératrice d'une main et le roi de Rome de l'autre, il fait un pas vers les officiers et leur dit d'une voix mâle où vibrait cependant une certaine émotion: «Si l'ennemi approchait de la capitale, je confie au courage de la garde nationale l'Impératrice et le roi de Rome… ma femme et mon fils.» Ces simples paroles attendrissent les officiers; plusieurs sortent des rangs et se jettent sur les mains de l'Empereur qu'ils baisent avec respect. La plupart d'entre eux versent des larmes et ne songent pas à les cacher. Ils étaient presque tous chefs de famille et ils sentaient quelle devait être la peine de Napoléon au moment d'une telle séparation. Puis cet appel subit fait à leur dévouement par un héros qui était encore la gloire de la France et l'effroi du monde, par ce grand Empereur dépouillant un instant la majesté suprême pour se montrer simplement époux et père, ce spectacle unique était bien fait pour les impressionner. Deux jours après, l'Empereur embrassait pour la dernière fois Marie-Louise et son fils.

La veille de cette séparation, Napoléon avait appris que l'aide de camp de Murat, le général de Lavauguyon, était entré à Rome. Connaissant les desseins des alliés sur la restauration du Pape dans tous ses droits, l'Empereur avait donné l'ordre au commandant Lagorce de ramener le Saint-Père dans ses États. Pie VII, que cette nouvelle ne surprit pas, tant il avait confiance dans une réparation providentielle, fit paisiblement ses adieux aux cardinaux présents à Fontainebleau. Il ne se laissa pas aller à des récriminations. Cela eût été indigne de son caractère. Il défendit seulement aux prélats, rassemblés autour de lui, d'écouter aucune proposition qui eût trait aux affaires de l'Église et de la Papauté. Son allocution terminée, il partit dans un modeste équipage avec l'évêque Bertalozzi. Et c'est ainsi que ce même mois de janvier voit le Pape, longtemps prisonnier, s'acheminer lentement vers la Ville éternelle où l'attend une réception triomphale, tandis que l'Empereur, longtemps victorieux, se dirige vers ses dernières armées où l'attendent, il est vrai, quelques ressouvenirs de gloire, mais, bientôt après, la déchéance et l'abdication. Singulier retour des choses! C'est au moment où il n'a plus qu'une partie à jouer pour perdre ou conserver son Empire, qu'il est forcé, lui, l'impérieux despote, de rendre la liberté à ce vieux pontife qui n'a d'autres armes que sa faiblesse et son droit. Aussi va-t-il se venger sur les alliés des amertumes et des souffrances par lesquelles il vient de passer.

Le 26 janvier, il est à Châlons-sur-Marne; le 27, il reprend Saint-Dizier. Le 29, à Brienne, il inflige aux Prussiens et aux Russes une sanglante défaite. Schwarzenberg se plaint à Metternich de Blücher, qui «a couru comme un écolier en méprisant toutes les règles du métier[71]». Il blâme la sublime légèreté des alliés, unie à leur rage ridicule d'aller visiter le Palais-Royal, ce qui peut leur faire perdre le fruit de leurs travaux. «Au quartier général, dit-il, on ne rêve que Paris. Que l'empereur Alexandre n'aille pas se procurer une seconde leçon, pareille à celle qu'il a été chercher à Lutzen! Il le doit également à ces messieurs qui ne voyaient dans l'armistice salutaire que la perte des deux nations et qui aujourd'hui, écumant de vin de Champagne, ne cessent de crier: À Paris! Si on veut y arriver, que l'on s'occupe au moins des moyens! Mais, au lieu de couvrir ma droite, m'obliger à morceler mon armée pour couvrir leurs derrières! Voilà, mon ami, ce qui s'appelle manœuvrer comme des cochons!…» Metternich lui répond le lendemain: «Je suis quasi fâché qu'il n'y ait pas un petit échec pour Blücher. Cela aurait le grand avantage de le rendre plus coulant. Que Dieu vous préserve d'un grand échec, car l'empereur Alexandre court à Pétersbourg sans s'arrêter!» Il saisit cette occasion pour parler du changement de dynastie en France, et avoue que cet objet est du domaine de la France seule. «Si un parti se déclare, si on peut détrôner Napoléon, si Louis XVIII est proclamé par la grande majorité de la Chambre, on traitera avec lui.» Que devient, après cette lettre, l'affirmation répétée de l'empereur François à Marie-Louise qu'il ne sacrifierait jamais, quoi qu'il arrivât, la cause de sa fille et de son petit-fils[72]?

Le 5 février, les alliés ouvrent le congrès de Châtillon et consentent à négocier avec les plénipotentiaires français. De part et d'autre on parle, comme à Prague, sans avoir le ferme dessein de tenir autre chose que des conversations. Mais Napoléon ne s'arrête pas à ces bagatelles. Le 10, le 11, le 14 février, il bat les Russes et les Prussiens, à Champaubert, à Montmirail, à Vauchamps. En quelques jours, il a écrasé les cinq corps de l'armée de Silésie et démontré l'incapacité formelle des généraux qui osent se mesurer avec lui. «Mon infanterie, écrit Schwarzenberg à Metternich, a tellement besoin de repos que je suis dans l'impossibilité de continuer une opération sérieuse[73]. «Et quelque temps après, il fait cet aveu: «Pour ne pas être battu en détail, je me bornerai à défendre sérieusement les ponts de Bray et de Nogent, et je concentrerai les forces derrière la Seine et l'Yonne. Nous avons laissé échapper un moment que nous regretterons, et à juste titre. Le monde me jugera sévèrement[74].»

Cependant, les alliés, sous la pression tenace de Castlereagh, persistent au congrès de Châtillon à vouloir imposer à l'Empereur les conditions les plus dures: renonciation à toutes les conquêtes depuis 1792, ainsi qu'aux places de Besançon, Belfort et Huningue. À ces insolences Napoléon répondra encore par des victoires. Wittgenstein est battu le 18 février à Montereau; Sacken, à Méry-sur-Seine, le 22. Les alliés ne remportent aucun avantage à Bar et à la Ferté-sur-Aube. Ils veulent cependant faire mine résolue et le 1er mars, par le traité de Chaumont, s'engagent à ne point déposer les armes tant que la France n'acceptera pas l'ultimatum de Châtillon. On se bat à Craonne le 7 mars sans que personne puisse s'attribuer l'avantage. Les généraux alliés ne s'entendent plus. «Sans moi, écrit Schwarzenberg à Metternich, l'imbécile Wittgenstein allait être culbuté.» Il se plaint de Wolkowsy qui le traite avec impudence et ne lui rend pas justice. «Des procédés de cette nature, avoue-t-il, achèvent d'épuiser le peu de patience qui me reste encore.» Puis il blâme les lésineries impardonnables des Anglais qui soulèvent des difficultés pour faire des avances d'argent[75]. Huit jours après, Schwarzenberg s'en prend à Alexandre lui-même qui, comme on le sait, avait voulu lui préférer Moreau. «Il doit apprendre, dit-il orgueilleusement, à respecter un homme de ma trempe et savoir que de son auguste caractère au mien, il y a une différence du jour à la nuit.» Il ne traite pas mieux le roi de Prusse. «Pour le Roi, il n'est pas digne d'être jugé par les hommes d'honneur. Il soupçonne tous les vices chez les autres, parce qu'il les aurait tous, s'il en avait le courage et la force.» Quant aux ministres de ces souverains, il les traite de la sorte: «Et les ministres aussi sont assez imbéciles, assez lâches, assez chétifs pour m'accuser de sacrifier Blücher, moi qui l'ai sauvé tant de fois!… Ah! quelle engeance! quelle mauvaise race. Comment! servir sous de tels auspices[76]?» Voilà, d'après les dépêches officielles, quels étaient les adversaires de Napoléon et les ennemis de la France!… Leur détresse était bien grande alors, puisqu'elle arrache à Schwarzenberg ce dernier cri: «Si nous vivons encore, c'est par miracle!» Il a dû écrire à Alexandre pour lui affirmer qu'il n'a jamais eu les mains liées, et qu'il n'a agi que d'après ses calculs militaires. «Combien l'empereur Napoléon, dit-il, serait glorieux s'il pouvait imaginer que de pareils soupçons parviennent à se glisser chez les monarques alliés!» Pendant ce temps, Blücher accusait Schwarzenberg de trahison. Les Prussiens se défiaient de leurs alliés, et, d'autre part, le généralissime autrichien suppliait Dieu de lui donner assez de force pour le mettre «au-dessus des sottises de ses chers amis[77]»!

Au dernier moment, Napoléon, qui avait paru n'admettre que la paix basée sur les conditions de Francfort, c'est-à-dire sur les frontières naturelles, consent à accepter les anciennes limites avec la Savoie, Nice, l'île d'Elbe et une partie de l'Italie pour le prince Eugène. Les alliés refusent. Ils continuent la guerre, répétant qu'ils la font à Napoléon et non pas à la France. Mais quand il s'agira de régler les comptes et lorsque le roi de France devra signer le traité de Paris, on verra ce que devient la sincérité de cette affirmation. Caulaincourt conseille à Napoléon d'accepter quand même les conditions des alliés. Ses conseils courageux et patriotiques ne sont point écoutés[78]. L'Empereur ne se décourage pas encore. Il combat en soldat à Arcis-sur-Aube, avec vingt mille hommes contre quatre-vingt-dix mille. Puis il songe à couper les communications de l'ennemi, espérant que ses lieutenants lui feront tête. Ceux-ci, malgré leur bravoure, plient à la Fère-Champenoise, et Napoléon est contraint de revenir de Saint-Dizier sur Paris, pour marcher au secours de la capitale. En trois jours, il est à Fromenteau; mais, malgré sa rapidité, il est arrivé trop tard.

Le 31 mars, après une défense que Joseph a dirigée pendant une journée, Paris capitule. Les alliés y pénètrent. Alexandre déclare en leur nom qu'ils ne traiteront ni avec Napoléon Bonaparte, ni avec aucun des siens. Il invite le Sénat à désigner un gouvernement provisoire. C'est Talleyrand qui en devient le chef; il peut alors donner un libre cours à ses intrigues. Le conseil municipal de Paris se prononce contre l'Empereur. Une partie du Sénat décrète la déchéance de celui que tous ont adulé. Les sénateurs motivent la déchéance sur des taxes illégales, sur des guerres injustes, sur des atteintes à la liberté de la presse et à la liberté civile, mesures que tous ont approuvées. Soixante-dix députés adhèrent à la manifestation sénatoriale. Caulaincourt essaye de plaider auprès d'Alexandre la cause de l'Empereur, de Marie-Louise et du roi de Rome. On ne l'écoute plus. Le gouvernement provisoire s'adresse à la France et l'invite à repousser Napoléon qui la gouvernait «comme un roi de barbares». Il va jusqu'à dire que l'homme auquel il prodiguait hier encore les marques de l'adulation la plus servile, n'avait jamais été Français. Il fait l'éloge des «magnanimes alliés», de leur justice et de leur humanité. Sur ces entrefaites, le maréchal Marmont, duc de Raguse, cédant, dit-il, «à l'opinion publique», s'apprête à passer à l'ennemi. Le sort voudra cependant que ce traître entre un jour en relation avec le roi de Rome et vienne célébrer devant lui la valeur et la grandeur de son père!… Les maréchaux Ney, Lefebvre, Macdonald, Oudinot, pressés d'en finir et de sauver leur situation personnelle, obsèdent, menacent presque l'Empereur et lui arrachent une abdication conditionnelle, par laquelle Napoléon réserve les droits de la régente et de son fils. C'est dans le même palais où il a enfermé Pie VII et où il a essayé de lui arracher l'abandon de tous ses droits, que des maréchaux ingrats ont bloqué l'Empereur et lui ont signifié que son règne était passé[79].

Le Sénat, enhardi par la présence des alliés, appelle au trône Louis-Stanislas-Xavier de France. Le 5 avril, Napoléon signe la seconde abdication, et cette fois sans réserves. Il traite la défection de Marmont avec le mépris qu'elle mérite; il déclare que, puisqu'il est le seul obstacle à la paix, il fait le sacrifice de sa personne à la France. C'est par la trahison, c'est par la défection qu'on est venu à bout du colosse. Mais l'Autriche ne pardonne pas à Alexandre d'avoir montré de la générosité à l'égard de son ennemi, et si elle adhère à la convention qui lui assure une principauté indépendante et lui maintient le titre d'Empereur, c'est bien malgré elle. Le 11 avril, un traité passé à Fontainebleau entre les maréchaux, les ministres d'Autriche, de Russie et de Prusse, et auquel consent le gouvernement britannique, reconnaît à Napoléon, en échange de sa renonciation à toute souveraineté sur la France et l'Italie, l'île d'Elbe comme propriété personnelle et deux millions de revenu; à Marie-Louise, les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla, avec réversibilité sur le roi de Rome; enfin au prince Eugène un établissement convenable hors de France. Le même traité met à la disposition de l'Empereur deux millions sur ses fonds personnels, pour lui permettre de donner des gratifications à ses meilleurs serviteurs. Il accorde également sur les fonds du Trésor et sur les revenus des pays cédés par la France deux millions aux frères et aux sœurs de Napoléon[80]. Talleyrand garantit, au nom du gouvernement du Roi, l'exécution de ce traité en tout ce qui concerne la France, «dans la vue de concourir efficacement à toutes les mesures adoptées pour donner aux événements qui ont eu lieu un caractère particulier de modération, de grandeur et de générosité[81]». L'Empereur paraît accepter toutes ces conditions avec une tranquillité majestueuse, mais, une fois seul, il pense à s'arracher la vie. «Laisser la France si petite, après l'avoir reçue si grande!…» C'est là toute l'explication qu'il donne de son désespoir. Heureusement sa tentative échoue. Il en a honte lui-même et il se ressaisit. Il se soumettra aux nouvelles épreuves qui l'attendent et il acceptera l'exil. Le lendemain du traité de Fontainebleau, Monsieur entrait à Paris, et le 3 mai Louis XVIII montait sur le trône. Le 20 avril, Napoléon s'acheminait vers l'île d'Elbe.

Metternich ne peut nier la part personnelle qu'il a prise au traité de Fontainebleau. En effet, le 11 avril 1814, il mandait à l'empereur François: «Depuis quatre jours, les plénipotentiaires (Ney, Macdonald et Caulaincourt) travaillaient avec le comte de Nesselrode à la rédaction du traité. Mais l'empereur de Russie a désiré que je prisse part aux délibérations avant la signature de l'acte, attendu qu'un des articles contenait la stipulation d'un établissement indépendant pour l'Impératrice et le roi de Rome. Ce soir, j'ai eu une séance de trois heures avec les trois plénipotentiaires français et le comte de Nesselrode, auquel s'était joint lord Castlereagh. Dans cette réunion, nous sommes arrivés à nous entendre relativement au traité. J'ai cru pouvoir assigner à l'Impératrice les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla, comme étant l'objet le plus convenable à lui attribuer, et toutes les parties sont tombées d'accord là-dessus. En conséquence, l'acte fut signé. Demain, il sera expédié en bonne et due forme, et, comme le gouvernement provisoire est également d'accord avec nous sur l'ensemble, nous pourrons d'ici à deux jours publier cette pièce si importante. Immédiatement après, Napoléon sera conduit à l'île d'Elbe…» Et l'empereur d'Autriche lui répondait: «Vous avez agi dans cette affaire comme il convenait, et, comme père, je vous remercie de tout mon cœur de ce que vous avez fait dans cette circonstance pour ma fille.» Le 12 avril, il ajoutait: «Vous avez eu raison de ne pas différer la conclusion du traité jusqu'à mon arrivée à Paris, car ce n'est que par ce moyen qu'on peut mettre fin à la guerre[82].»

* * * * *

Il nous faut maintenant revenir un peu en arrière pour savoir ce qu'étaient devenus Marie-Louise et son fils pendant ces quelques mois si remplis d'événements. Napoléon avait écrit, le 8 février 1814, au roi Joseph une lettre péremptoire où il lui recommandait de ne jamais laisser tomber son enfant dans les mains de l'ennemi. «Soyez certain, disait-il, que dès ce moment l'Autriche, étant désintéressée, l'emmènerait à Vienne avec un bel apanage; et, sous prétexte de voir l'Impératrice heureuse, on ferait adopter par François tout ce que le régent d'Angleterre et la Russie pourraient lui suggérer. Tout parti se trouverait par là détruit. Si je meurs, mon fils et l'Impératrice régente doivent, pour l'honneur des Français, ne pas se laisser prendre et se retirer au dernier village. Souvenez-vous de ce que disait la femme de Philippe V. Que dirait-on, en effet, de l'Impératrice? Qu'elle a abandonné le trône de son fils et le nôtre; et les alliés aimeraient mieux tout finir en les conduisant prisonniers à Vienne. Je préférerais qu'on égorgeât mon fils, plutôt que de le voir jamais élevé à Vienne comme prince autrichien, et j'ai assez bonne opinion de l'Impératrice pour être persuadé qu'elle est de cet avis, autant qu'une femme et une mère peuvent l'être. Je n'ai jamais vu représenter Andromaque que je n'aie plaint le sort d'Astyanax survivant à sa maison, et que je n'aie regardé comme un bonheur, pour lui de ne pas survivre à son père!»

Comme Joseph avait averti Napoléon que Marie-Louise avait supplié son père de ne pas favoriser les Bourbons, l'Empereur se fâcha. Il déclara qu'il ne voulait pas être protégé par une femme. «Cette idée, disait-il, la gâterait et nous brouillerait… Ne lui parlez que de ce qu'il faut qu'elle sache pour signer, et surtout évitez les discours qui lui feraient penser que je consens à être protégé par elle ou par son père. «Cependant, Napoléon avait écrit, au lendemain du succès de Montereau, à son beau-père pour lui proposer de s'entendre sur les bases de Francfort. Essayant de toucher ce souverain impassible, il lui avait, mais en vain, rappelé «que, quels que fussent ses sentiments ennemis, il avait dans ses veines du sang français». L'attitude de François II était bien faite pour l'inquiéter. Aussi, le 16 mars, avait-il renouvelé à Joseph ses adjurations: «Si l'ennemi s'avançait sur Paris avec des forces telles que toute résistance devînt impossible, faites partir, dans la direction de la Loire, la régente, mon fils, les grands dignitaires, les grands officiers, le baron de la Bouillerie et le Trésor.» Viennent alors ces lignes connues où le malheureux père semble prévoir le triste sort de l'enfant impérial: «Ne quittez pas mon fils et rappelez-vous que je le préférerais voir dans la Seine plutôt que dans les mains des ennemis de la France. Le sort d'Astyanax, prisonnier des Grecs, m'a toujours paru le sort le plus malheureux de l'histoire!…»

Jusqu'au milieu de février, Marie-Louise avait compté sur une paix honorable, amenée par les brillants succès de Napoléon. Elle s'acquittait dignement de ses devoirs de régente et consacrait ses heures de loisir soit à s'occuper de son fils, soit à faire de la charpie pour les blessés, avec les dames de la Cour. Le 11 février, elle avait passé en revue la garde nationale, tandis que les troupes acclamaient le petit roi de Rome qui, des fenêtres des Tuileries, suivait avec joie leurs évolutions. Le 21 février, elle avait reçu de Napoléon le conseil d'écrire de sa main des proclamations guerrières, adressées aux grandes villes du Nord et de la Belgique. Le 27, elle avait assisté à la cérémonie de la remise de quatorze drapeaux pris aux alliés, et elle avait publiquement exprimé le vœu que tous les Français allassent se ranger autour de leur monarque pour assurer par leur courage la délivrance de Paris. En même temps, elle avait écrit à son père, lui demandant encore une fois de se souvenir de sa fille et de son petit-fils, et de ne pas imposer à la France une paix honteuse. Elle s'entendait ainsi, et sans l'avoir cherché, avec Napoléon qui avait adressé à François II ces lignes si fières: «Si j'avais été assez lâche pour accepter les conditions des ministres anglais et russes, Votre Majesté aurait dû m'en détourner, parce qu'elle sait que ce qui avilit et dégrade trente millions d'hommes ne saurait être durable.» Mais ni la lettre de Marie-Louise ni celle de Napoléon ne purent toucher un prince qui obéissait aux âpres volontés et aux ressentiments de son premier ministre.

Lorsque les alliés se rapprochèrent de Paris, le roi Joseph communiqua à la régente et à son intime conseiller, Cambacérès, la lettre du 16 mars, puis un conseil important fut tenu aux Tuileries. C'était le 28 mars. La majorité parut d'abord opposée au départ de l'Impératrice. Talleyrand, qui savait fort bien qu'il ne serait pas écouté, affirma, mais sans insister, que si Marie-Louise quittait Paris, elle céderait la place aux royalistes. Le duc de Rovigo fut de cet avis; le conseil semblait ébranlé, lorsque Joseph lui lut les lettres de Napoléon en date des 8 février et 16 mars. Ce fut un véritable coup de foudre. On conclut naturellement au départ[83]. Un instant, Marie-Louise avait eu l'intention d'aller droit à l'Hôtel de ville, et d'y renouveler la conduite de Marie-Thérèse. On l'en dissuada. Méneval le regrette fort. «La présence de Marie-Louise à Paris, dit-il, aurait pu y déjouer de coupables manœuvres et donner à Napoléon le temps d'arriver au secours de Paris[84].» La régente, très embarrassée, demanda l'avis personnel de Cambacérès, qui, craignant de se compromettre, se récusa. Elle relut alors les lettres de l'Empereur et les considéra comme un ordre sacré. Elle fixa le départ au lendemain matin, 29 mars. Au dernier moment, prise d'angoisses et de remords, entendant autour d'elle des avis différents, ne sachant que répondre aux officiers de la garde nationale qui lui rappelaient le discours de Napoléon, elle rentra dans sa chambre à coucher, jeta son chapeau sur le lit, s'assit dans une bergère, prit sa tête à deux mains et pleura abondamment. Au milieu de ses sanglots, on entendait ces paroles: «Mon Dieu! qu'ils se décident donc et qu'ils mettent un terme à cette agonie[85]!» D'après M. de Bausset, elle aurait dû accepter la capitulation et répondre par sa présence à la proclamation des alliés qui disaient chercher de bonne foi en France une autorité capable de cimenter l'union de toutes les nations et de tous les gouvernements[86]. Malheureusement, Marie-Louise était une jeune femme de vingt-trois ans, qui avait plus de timidité que d'énergie, et qui n'osa jamais prendre une décision ferme. Elle eût tenu une place brillante dans un règne pacifique. Elle était absolument désorientée au milieu de ces événements tragiques, en face des horreurs de la guerre et de l'invasion, des intrigues de toutes sortes qui l'entouraient et l'enserraient.

Les cours des Tuileries étaient remplies d'équipages et de fourgons; des voitures de parade, même celle du sacre, des caissons du Trésor et de l'argenterie étaient là. Les mouvements des hommes et des chevaux amusaient le roi de Rome, qui ne croyait pas à un départ immédiat. À neuf heures du matin, les préparatifs étaient terminés. Ce ne fut pourtant qu'à dix heures et demie que l'Impératrice monta en voiture[87]. Elle était accompagnée de Mmes de Montesquiou, de Montebello, de Brignole, de Montalivet et de Castiglione. Lorsqu'on voulut faire descendre le roi de Rome, l'enfant opposa la plus vive résistance. Il pleurait, il poussait des cris, il s'accrochait aux rideaux de son appartement, puis aux portes et à la rampe de l'escalier. «N'allons pas à Rambouillet, disait-il, c'est un vilain château. Restons ici!» La comtesse de Montesquiou, puis la sous-gouvernante, Mme Soufflot, furent obligées de le prendre dans leurs bras. Il se débattait violemment, et l'écuyer de service, M. de Canisy, arriva, non sans peine, à le porter jusqu'à la voiture de sa mère. «Je ne veux pas quitter ma maison, criait-il; je ne veux pas m'en aller. Puisque papa est absent, c'est moi qui suis le maître!» Cette résistance inattendue, ces cris et ces pleurs d'enfant troublaient un pénible silence et jetaient dans l'âme de ceux qui assistaient à cette scène les pressentiments les plus sinistres[88]. «J'étais près de lui, rapporte M. de Bausset, et j'entendis l'expression de sa petite colère… L'instinct de ce jeune prince parla d'une autre manière que les conseillers du trône…» Comment ne pas évoquer ici un souvenir d'une analogie frappante: le duc de Bordeaux refusant à Cherbourg de monter sur le navire qui devait l'emmener avec Charles X en exil? M. de Damas, qui portait l'enfant, dut, comme M. de Canisy pour le roi de Rome, faire un violent effort pour venir à bout de sa résistance. Ainsi que l'a dit un historien, «toutes ces infortunes se ressemblent…» M. de Bausset, qui assistait au départ de Marie-Louise, dépeint le découragement et la peine des Parisiens en voyant passer cet interminable cortège, rendu plus considérable encore par les voitures des membres du gouvernement et des diverses chancelleries ministérielles, marchant sous la protection d'une escorte de mille à douze cents hommes, et occupant près d'une lieue de terrain!… «Rien ne ressemblait moins à un voyage de cour que cette tumultueuse retraite de personnes et de bagages de toute nature[89].» C'était plutôt, pour employer une expression de Tacite, un long cortège de deuil… veluti longæ exesquiæ. Outre les dames d'honneur, le comte de Beauharnais, MM. de Gontaut et d'Haussonville, le prince Aldobrandini, MM. d'Héricy et de Lambertye, de Cussy et de Bausset, de Seyssel et de Guerchy, MM. Corvisart, Bourdier et Boyer étaient les principaux personnages qui suivaient Marie-Louise et le prince impérial. «Les voitures traversaient une foule de peuple dont la contenance indiquait la sombre tristesse[90].» L'Impératrice laissait, par son départ, le champ libre aux intrigues de Talleyrand.

On sait avec quelle habileté le vice-grand électeur, aidé en cela par M. de Rémusat et ses gardes nationaux, demeura à Paris et se dispensa de suivre l'Impératrice comme il en avait reçu l'ordre. L'astucieux personnage n'était pas encore entièrement décidé en faveur des Bourbons, car il voulait savoir d'abord ce que pensaient les alliés, qui eux-mêmes paraissaient encore indécis. La régence de Marie-Louise, dont il serait le premier ministre, était une idée qui ne lui déplaisait point[91]. Napoléon pouvait, en effet, abdiquer ou mourir subitement. D'autre part, si l'Autriche ne soutenait pas la régence, si la Russie y était opposée, il serait toujours temps de se retourner du côté des Bourbons et de leur faire croire que leur restauration était due à son habileté et à son empressement. Talleyrand eut soin de faire dire à Nesselrode par un officieux, Alexandre de Laborde, qu'il était à Paris, au courant de l'état des esprits et prêt à être consulté. Une manifestation royaliste qui avait paru être du goût des alliés, et l'attitude de l'Empereur qui n'avait pas encore l'air d'un homme qui veut abdiquer, ramenèrent Talleyrand aux Bourbons. L'arrivée du Tsar dans son hôtel de la rue Saint-Florentin, son langage et celui de Nesselrode, partisan de la Restauration, achevèrent de le convaincre. Alors le 1er avril, dans le conseil tenu chez lui en présence du Tsar, du roi de Prusse et des ministres étrangers, il déclara que la régence serait dangereuse pour le repos de l'Europe, car ce serait l'Empereur qui régnerait sous le nom de Marie-Louise[92]. Il fît intervenir le baron Louis et l'abbé de Pradt pour soutenir cette opinion et affirmer avec lui que la France était royaliste; enfin, il répondit de l'assentiment du Sénat[93]. À sa demande, les alliés décidèrent qu'on ne traiterait ni avec Napoléon, ni avec aucun membre de sa famille. Ainsi, comme le fait remarquer le chancelier Pasquier, ils consentirent formellement à exclure du trône de France le fils de Marie-Louise. Très certainement, ils n'avaient aucune autorisation de l'empereur d'Autriche pour prendre un tel engagement. La proclamation avait été préparée à l'avance par Talleyrand et par Pozzo[94], ou par Nesselrode. Mais tous savaient que François II laisserait faire, car l'empereur d'Autriche n'hésiterait pas entre la reprise de ses anciennes provinces et la conservation d'un trône pour sa fille[95].

Pendant que se préparait cette œuvre d'intrigues, Marie-Louise arrivait le soir du 29 mars au château de Rambouillet, et en repartait le lendemain pour Châteaudun, où elle retrouvait les frères de Napoléon, Joseph et Jérôme. À Vendôme, le 1er avril, elle reçut des nouvelles de Napoléon, qui, à l'endroit appelé la «Cour de France», venait d'apprendre la capitulation de Paris et de là s'était rendu à Fontainebleau. Le 2 avril, elle était à Blois. Elle y exerça la régence pendant quelques jours encore. Le 3,—c'était le dimanche des Rameaux,—elle reçut après la messe les autorités et ne put leur dissimuler sa profonde tristesse. Le 4, elle chargea le duc de Cadore d'un message pour son père, message où elle répète que son fils et elle n'ont de refuge qu'auprès de lui. Elle le suppliait de ne pas sacrifier à l'Angleterre et à la Russie le repos et les intérêts de son petit-fils. «Je vous confie, écrivait-elle, le salut de ce que j'ai de plus cher au monde, un fils encore trop jeune pour connaître le malheur et le chagrin[96]!» Le 7 avril, elle reçoit la visite du colonel de Garbois, qui vient, de la part de Napoléon, lui annoncer l'abdication. Elle s'étonne et s'afflige de cet acte. Elle dit qu'elle veut aller rejoindre l'Empereur. Le colonel objecte que la chose n'est pas possible. Alors elle s'écrie: «Pourquoi donc, monsieur le colonel? Vous y allez bien, vous! Ma place est auprès de l'Empereur, dans un moment où il doit être si malheureux! Je veux le rejoindre et je me trouverai bien partout, pourvu que je sois avec lui!…» Le colonel de Garbois présenta d'autres objections, parla de dangers de toutes sortes. Il eut beaucoup de peine à dissuader l'Impératrice, qui finit par écrire à Napoléon. Le colonel porta aussitôt la lettre à l'Empereur. «Il me parut, dit Garbois, très touché du tendre intérêt que cette princesse lui témoignait. L'Impératrice parlait de la possibilité de réunir cent cinquante mille hommes. L'Empereur lut ce passage à haute voix, et il m'adressa ces paroles remarquables:—Oui, sans doute, je pourrais tenir la campagne, et peut-être même avec succès. Mais je mettrais la guerre civile en France, et je ne le veux pas. D'ailleurs, j'ai signé mon abdication. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai signé[97]. «Marie-Louise, si l'on en croit Méneval et d'autres personnes qui l'entouraient, était alors réellement décidée à rejoindre Napoléon. Elle ne croyait pas à ce moment qu'on la séparerait de son époux. Elle avait parlé plusieurs fois en ce sens à Mme de Luçay et à Mme de Montesquiou. Le 7, elle avait lancé une dernière proclamation, dont l'auteur était Cambacérès[98]; elle y suppliait les Français d'écouter la voix de Napoléon. Elle se disait confiée à leur bonne foi, glorieuse d'être Française et d'être associée aux destinées du souverain qu'ils avaient librement choisi. «Mon fils, ajoutait-elle, était moins sûr de vos cœurs au temps de sa prospérité. Ses droits et sa personne sont sous votre sauvegarde.» Mais cette proclamation, si elle fut lue, ne produisit aucun effet. La France était lasse de la guerre et toute prête à accepter le régime qui lui assurerait la paix[99]. Cette lassitude, plus que tout autre sentiment, explique comment l'opinion publique accueillit favorablement le retour des Bourbons. Le 8 avril,—c'était le vendredi saint,—Joseph et Jérôme, accompagnés de Cambacérès, vinrent, dès le matin, conférer avec la régente. Ils lui dépeignirent les dangers très prochains qui la menaçaient et lui dirent qu'il fallait quitter Blois au plus vite. «Soit qu'ils eussent l'intention, rapporte M. d'Haussonville, de se ménager une garantie du côté de l'Autriche en s'emparant de la personne de l'Impératrice, soit qu'ils eussent songé à rejoindre avec elle et son fils l'armée française qui revenait d'Espagne, et à tenter les dernières chances d'une guerre civile, ils employèrent tous les moyens pour décider l'Impératrice à passer de l'autre côté de la Loire. Elle résista tant qu'elle put. Ils parlèrent alors de l'y contraindre de force[100].»

C'est ce que Marie-Louise apprit elle-même à M. de Bausset. Alors celui-ci demanda à la régente ce qu'elle comptait faire. «Rester à Blois et y attendre les ordres de l'Empereur», telle fut sa réponse brève. Sur ce, M. de Bausset alla raconter au chambellan d'Haussonville ce qui se passait. M. d'Haussonville appela les officiers qui veillaient avec quelques troupes sur la sécurité de la régente et leur demanda s'ils laisseraient violenter Marie-Louise. Les officiers se présentèrent en masse à elle et lui jurèrent formelle obéissance, ce qui déjoua les projets des frères de Napoléon. Peu de temps après survinrent le comte Schouvaloff, aide de camp du Tsar, et le baron de Saint-Aignan pour faciliter la retraite de la régente sur Orléans[101]. L'Empereur avait abdiqué, et la malheureuse princesse était livrée désormais à tous les caprices de la fortune. Marie-Louise remet à M. de Bausset une lettre pour Napoléon et une autre pour son père. Le grand maître du palais parvient non sans peine à Fontainebleau et s'acquitte de sa mission. La lettre touchante de Marie-Louise émeut Napoléon, qui s'écrie: «Bonne Louise!» puis fait mille questions à M. de Bausset sur sa santé et sur celle de son fils. On parla ensuite de l'île d'Elbe: «L'air y est pur et sain, dit l'Empereur, et les habitants sont excellents. Je n'y serai pas trop mal, et j'espère que Marie-Louise ne s'y trouvera pas mal non plus.» Il croyait qu'une fois en possession du duché de Parme, il serait permis à l'Impératrice de venir avec son fils s'établir auprès de lui à l'île d'Elbe. Les calculs haineux de Metternich empêchèrent cette réunion. On peut dire que ce fut un malheur pour tous, car cette réunion et l'exécution fidèle du traité de Fontainebleau eussent probablement empêché les Cent-jours. Heureux auprès d'une femme et d'un fils qu'il adorait, Napoléon n'aurait peut-être pas songé à rompre ses liens. En tout cas, il n'eût pu fournir les raisons ou les prétextes qui rendirent sa conduite excusable[102]…

Marie-Louise était, je le répète, bien décidée à le rejoindre alors, et il fallut toutes les intrigues de la diplomatie pour l'empêcher de réaliser cette intention formelle. M. d'Haussonville l'atteste: «L'Impératrice, dit-il, en apprenant que l'Empereur avait reçu en souveraineté l'île d'Elbe, voulut savoir ce qu'elle devait penser de son nouveau séjour. Elle fit aussitôt demander Mme de Brignole, qui était Génoise et qui y avait séjourné quelque temps. Il n'est pas de questions qu'elle ne lui fît sur le climat, sur les habitants, sur les ressources du pays. Elle ne paraissait pas admettre qu'elle pût avoir d'autre séjour que celui de son époux, ni d'autre avenir que le sien. Son langage n'était pas seulement convenable sur le compte de l'Empereur; il était plutôt exalté… Mon père est demeuré persuadé qu'elle était de bonne foi et ne songeait pas alors à séparer son sort de celui qu'elle a depuis si complètement oublié[103].» Il convient de faire remarquer ici combien la conduite de Marie-Louise au milieu de ces graves événements est à son honneur. Comment, peu de temps après, changera-t-elle de sentiments et sera-t-elle aussi frivole et aussi inconsidérée qu'elle a été sérieuse et digne?… Devant une telle versatilité, je ne vois qu'une explication. Tant que Marie-Louise est sous l'influence et la direction de Napoléon, elle comprend ses devoirs et s'y montre fidèle. Mais, lorsqu'elle tombe sous l'influence délétère de Metternich et de son agent Neipperg, elle change brusquement d'attitude et perd l'estime qu'elle avait si justement méritée pendant les jours d'angoisses et de périls. Arrivée à Orléans, le samedi saint 9 avril, Marie-Louise reçut une lettre de son père que lui apportait le duc de Cadore. François II l'assurait de son affection, mais il doutait que les alliés partageassent son zèle pour les intérêts et les droits de sa fille. Ce malheureux monarque, dont un sujet, Schwarzenberg, était pourtant le généralissime de la coalition, s'était annihilé à tel point qu'il n'avait plus la faculté d'émettre un désir. Le lien qui l'attachait aux autres souverains depuis le traité de Chaumont était un lien infrangible. L'empereur d'Autriche était bien monarque et membre de la Quadruple Alliance, mais il ne semblait vraiment plus ni souverain, ni père. M. de Sainte-Aulaire, porteur d'une autre lettre de l'empereur d'Autriche, où celui-ci donnait à Marie-Louise quelques détails sur la tentative de suicide de Napoléon, a raconté à M. d'Haussonville un incident que je crois enjolivé. Il paraîtrait qu'il fut reçu le matin par l'Impératrice dans sa chambre à coucher. Elle était à peine éveillée et assise sur le bord de son lit, tandis que ses pieds sortaient de dessous les couvertures. Embarrassé de se trouver en présence d'une si grande infortune, M. de Sainte-Aulaire tenait les yeux baissés pour n'avoir pas l'air d'observer sur sa figure l'effet de la triste missive. «Ah! vous regardez mon pied, s'écria l'Impératrice. On m'a toujours dit qu'il était joli…» Quel que soit l'intérêt avec lequel il faut accueillir les dires de M. de Sainte-Aulaire, il est difficile de croire à celui-ci. Tant de coquetterie féminine, et, le dirai-je? si familière et si bourgeoise, ne semble pas possible en pareille circonstance, surtout de la part d'une archiduchesse d'Autriche. Marie-Louise a pu avoir un moment de distraction ou de trouble. M. de Sainte-Aulaire a sans doute cru piquant d'y ajouter cet étrange commentaire.

L'Impératrice avait un chagrin bien réel en ce moment et ne songeait qu'au départ de Napoléon et aux intérêts de son fils. Elle voyait avec stupéfaction disparaître tous ceux qui, jusqu'alors, l'avaient entourée de leurs hommages. Elle les voyait allant au plus vite chercher des passeports et préparant déjà leur soumission au gouvernement nouveau. Un grossier personnage, M. Dudon, apparaît tout à coup. Il vient, au nom du gouvernement provisoire, fouiller les voitures de l'Impératrice, enlever l'or, l'argenterie et les diamants qui s'y trouvaient. Il pousse ses exigences si loin qu'il veut même enlever à la malheureuse femme la parure qu'elle porte sur elle. L'Impératrice le traite avec dédain et part pour Orléans. Les Cosaques pillent à leur tour ses bagages, mais, sur l'ordre du commissaire russe, Schouvaloff, ils rendent bientôt à Marie-Louise ce qu'ils ont pris. M. de Méneval, qui était resté auprès d'elle, recevait force lettres de Napoléon, qui demandait si l'Impératrice voulait le suivre dans sa mauvaise fortune, ou se retirer dans ses nouveaux États, ou rejoindre son père. Il voulait savoir également si Mme de Montesquiou resterait auprès de son fils. Méneval lui répondit que la gouvernante ne quitterait jamais le roi de Rome, «à moins que la force ne l'arrachât de ses bras[104]». Marie-Louise était de plus en plus dévorée par les inquiétudes et par le désir ardent de revoir enfin l'Empereur. «Se dérobant à des conseils qui n'étaient pas en harmonie avec la pensée qui la préoccupait, rapporte Méneval, elle sortit précipitamment, un jour, de son cabinet de toilette, à demi vêtue, traversa une terrasse qui séparait son appartement de celui de son fils et alla se jeter dans les bras de Mme de Montesquiou, qu'elle tenait en grande estime… Elle s'affermit auprès d'elle dans sa résolution d'aller rejoindre Napoléon à Fontainebleau.» Elle fit même des préparatifs sérieux pour un départ qui ne put se faire, car Metternich et François II surent s'y opposer[105]. Il paraîtrait que la duchesse de Montebello, jalouse de Mme de Montesquiou, fut une des personnes qui dissuadèrent le plus Marie-Louise d'aller à l'île d'Elbe. La régente quitta Orléans, et le lendemain le général Cambronne arrivait en cette ville, suivi de deux bataillons de la Garde, pour la ramener avec son fils à Fontainebleau. Il était trop tard.

Marie-Louise avait reçu une lettre de Metternich, lui affirmant qu'il aurait bientôt de nouvelles preuves à lui fournir de la sollicitude de son père; qu'il pouvait toutefois lui donner d'avance la certitude d'une existence indépendante; mais que l'arrangement le plus convenable serait qu'elle se rendît «momentanément» en Autriche avec son enfant, en attendant qu'elle choisît entre le séjour de l'empereur Napoléon et son propre établissement. Le ministre ajoutait que son père aurait ainsi le bonheur d'aider de son mieux à sécher des larmes qu'elle n'avait que trop de motifs de répandre. Il affirmait qu'elle serait tranquille, pour le moment, et libre de sa volonté, pour l'avenir; qu'elle pourrait emmener avec elle les personnes auxquelles elle accordait le plus de confiance[106]. Les princes Paul Esterhazy et Wenzel-Lichtenstein avaient été chargés de la conduire à Rambouillet, où son père devait la rejoindre. Marie-Louise informa Napoléon de toutes ces nouvelles, en regrettant la hâte avec laquelle on décidait de son sort. «Je ne vis que de larmes!» s'écriait-elle. Et pendant qu'avec les égards les plus délicats en apparence on l'amenait vers l'issue fatale, c'est-à-dire vers la séparation d'avec son époux, celui-ci, réduit au désespoir, disait tristement: «Je suis un homme condamné à vivre!» Ainsi s'écroulait un gigantesque Empire, au milieu des angoisses de son fondateur, au milieu des larmes d'une femme et des regrets instinctifs d'un enfant, sous les coups des intrigues des uns et de la défection des autres[107].

Le 18 avril, l'empereur François arrive à Rambouillet. Marie-Louise descend le recevoir aux portes mêmes du palais «prédestiné pour servir d'agonie à toutes les dynasties expirantes[108]». Elle prend son fils des mains de Mme de Montesquiou et le jette en pleurant dans les bras de l'Empereur, avant d'avoir reçu elle-même ses premières caresses. «Ce mouvement, dit un témoin de la scène, produisit une émotion visible dans les traits de l'empereur François[109].» Il embrassa cordialement son petit-fils. Mais, d'après un autre témoin, le roi de Rome parut peu sensible à cette marque de tendresse. Il considérait avec étonnement cette longue et grave figure. «Quand il rentra dans son appartement, il dit: «Je viens de voir l'empereur d'Autriche; il n'est pas beau[110].» L'enfant impérial annonçait déjà un esprit attentif. Il confiait à Méneval que Blücher était son plus grand ennemi; que Louis XVIII avait pris la place de son papa et qu'il retenait tous ses joujoux, mais qu'il faudrait bien qu'il les lui rendît[111]. Un mot, saisi au passage, se gravait dans sa mémoire et lui faisait souvent comprendre bien des choses. Mme de Montesquiou, qui était la prudence même, prenait toutes les mesures possibles pour ne pas enflammer et fatiguer une imagination aussi précoce.

L'entrevue de l'empereur François avec sa fille fut émouvante. Sous le monarque impassible le père reparut un moment. Il fit revenir le roi de Rome et le contempla avec tendresse. Il crut y voir l'image même de Marie-Louise et s'écria que «c'était bien son sang qui coulait dans ses veines». Il jura à sa fille qu'il le prenait sous sa protection et qu'il lui servirait de père[112]. Lorsque l'empereur d'Autriche et Marie-Louise furent de nouveau seuls, la question du départ se représenta urgente. L'Impératrice eût préféré attendre en Italie le moment favorable pour se rendre auprès de Napoléon. Elle ne pouvait admettre l'idée d'une séparation prolongée. Elle laissait entendre qu'elle saurait se partager entre le duché de Parme et l'île d'Elbe. François II, au contraire, suivant exactement les conseils de Metternich qui l'avait supplié de ne pas se laisser fléchir, insistait pour un séjour momentané à Schœnbrunn, loin de tous les périls et de tous les embarras. Méneval, qui a vu alors Marie-Louise de près, nous affirme que l'Impératrice, ne pouvant surmonter sa douleur, se retirait souvent dans sa chambre «et là, les coudes sur ses genoux et la tête dans ses mains, s'abandonnait à l'amertume de ses pensées et versait d'abondantes larmes». Pourquoi la politique autrichienne était-elle si dure et imposait-elle ainsi, à qui n'en voulait pas, une séparation d'autant plus cruelle, que cette séparation, dite momentanée, devait être éternelle? Puisque l'Empereur avait renoncé officiellement à tous ses droits sur les couronnes de France et d'Italie, puisqu'il avait accepté l'exil et une modeste principauté, pourquoi ajouter à ses déceptions et à ses désillusions une barbarie inutile? En quoi la défense de revoir sa femme et son fils affermissait-elle les précautions que l'Autriche croyait devoir prendre avec les autres puissances contre sa personne?… L'observateur le moins partial n'y voit que la volonté d'effacer par tous les moyens possibles la honte d'avoir, après la paix de Vienne, sacrifié une archiduchesse au vainqueur. Il semble,—et le reste de ce récit le prouvera,—que M. de Metternich tenait à rayer des fastes de l'Autriche et des chartes impériales, non seulement le nom de Napoléon, mais encore le souvenir de toute union avec lui. Pour le punir d'avoir osé prétendre à s'allier aux Habsbourg,—comme si ce n'était pas l'Autriche qui avait fait les premiers pas[113],—il fallait lui arracher son fils et sa femme, lui dérober leurs embrassements, lui refuser la consolation suprême de leur présence, leur enlever même leurs titres et leurs noms, et en faire des étrangers à la France. C'était aggraver inutilement la douleur de l'illustre vaincu. Qu'importe? La politique le voulait, et, comme le disait récemment un diplomate, élevé, lui aussi, dans les habitudes d'un sinistre sang-froid, «la douleur n'a rien à voir avec les affaires!» Si l'on doute de ces affirmations, qu'on lise cette dépêche de l'empereur François à Metternich, écrite six jours avant l'entrevue de Rambouillet: «L'important est d'éloigner Napoléon de la France, et plût à Dieu qu'on l'envoyât bien loin!… Je n'approuve pas le choix de l'île d'Elbe comme résidence de Napoléon. On la prend à la Toscane; on dispose en faveur d'étrangers d'objets qui conviennent à ma famille. C'est un fait qu'on ne peut admettre pour l'avenir. D'ailleurs, Napoléon reste trop près de la France et de l'Europe. Au demeurant, il faut tâcher d'obtenir que, si la chose ne peut être empêchée, l'île d'Elbe revienne à la Toscane après la mort de Napoléon; que je sois nommé cotuteur de l'enfant pour Parme, etc., et que, dans le cas où ma fille et l'enfant viendraient à mourir, les États qui leur sont destinés ne soient pas réservés à la famille de Napoléon[114]. «On ne soutiendra pas que ce souverain avait la fibre bien paternelle, car, avec le calme professionnel d'un notaire, il réglait sagement et méthodiquement l'avenir. Comme l'avait dit Napoléon à Caulaincourt, «l'Autriche était sans entrailles!» Elle était d'accord avec les alliés pour faire payer à Napoléon toutes les inquiétudes et toutes les angoisses par lesquelles l'Europe venait de passer. Les pouvoirs extraordinaires donnés au marquis de Maubreuil, ainsi que l'attestent les ordres authentiques du général baron de Sacken et du général baron de Brokenhausen, commandants des troupes russes et autrichiennes à la date du 17 avril 1814, prouvent que les alliés auraient même voulu aller plus loin. On sait que la proposition de l'aventurier Maubreuil, acceptée par les ministres de Louis XVIII, Dupont, Anglès et Bourrienne, et par les puissances, était de se débarrasser de Napoléon par tous les moyens. Si elle ne réussit pas, ce ne fut point la faute de Maubreuil. Il avait, pour ainsi dire, prévu un an d'avance l'objet de la déclaration des alliés qui, de l'aveu de Talleyrand lui-même, était «projetée de manière à porter tous les individus qui figurent dans les divers partis à faire disparaître Bonaparte[115]».

Il paraîtrait cependant que, le jour même de l'entrevue avec sa fille, l'empereur d'Autriche aurait écrit à Napoléon, en lui donnant encore le titre d'Empereur et de gendre, une lettre où il l'informait que, venant de constater que la santé de Marie-Louise avait «prodigieusement souffert», il lui avait proposé de «passer quelques mois dans le sein de sa famille». Napoléon avait donné trop de véritables preuves d'attachement à Marie-Louise pour ne point partager ses vues à cet égard. «Rendue à la santé, affirmait François, ma fille ira prendre possession de son pays, ce qui la rapprochera tout naturellement du séjour de Votre Majesté. Il serait superflu, sans doute, ajoutait-il, que je donnasse à Votre Majesté l'assurance que son fils fera partie de ma famille, et que, pendant son séjour dans mes États, je partagerai les soins que lui voue sa mère…[116]. «Pourquoi promettre à l'exilé qu'on lui rendra bientôt ce qu'il a de plus cher, et décider secrètement qu'on ne tiendra pas cette promesse? Cette politique, toute de ruses et d'expédients, était méprisable, surtout à l'égard d'un tel vaincu. Le 19 avril, l'empereur Alexandre arriva à Rambouillet et désira voir Marie-Louise, qui s'en plaignit, car elle lui attribuait toutes les mesures prises contre Napoléon, ignorant que sans lui on eût envoyé l'Empereur aux Açores. Alexandre lui témoigna les plus grands égards et demanda à voir le roi de Rome. M. de Bausset le précéda, après avoir fait prévenir Mme de Montesquiou. «En voyant ce bel enfant, Alexandre l'embrassa, le caressa, l'admira beaucoup. Il dit des choses flatteuses à Mme de Montesquiou et embrassa encore, en le quittant, le petit roi…[117].» Deux jours après, le roi de Prusse voulut voir, lui aussi, le roi de Rome. Il fut moins affectueux, moins caressant que l'empereur Alexandre; mais, comme lui, il embrassa le petit roi[118]. D'après Méneval, ces visites à Marie-Louise et à son fils auraient été conseillées par Metternich «pour faire croire que Marie-Louise avait renoncé à faire cause commune avec Napoléon et s'était jetée dans les bras de ses ennemis». Le roi de Rome n'avait pas été bien démonstratif pour les souverains qui étaient venus le voir. «Cet intéressant enfant était assez ennuyé de ces visites. Il voyait bien qu'il n'était que l'objet d'une indiscrète curiosité…[119].» Lorsque Napoléon en eut connaissance, il blâma les visites du Tsar et du roi de Prusse, et considéra comme chose inconvenante d'avoir imposé à l'Impératrice la présence de princes qui venaient d'exiler son mari. Avant son départ, il écrivit encore trois lettres à Marie-Louise, où il l'engageait à aller aux eaux d'Aix conseillées par Corvisart, car il lui fallait conserver sa santé pour son fils, qui avait tant besoin de ses soins. Ses derniers mots étaient ceux-ci: «J'espère que ta santé se soutiendra et que tu pourras me rejoindre… Tu peux compter sur le courage, le calme et l'amitié de ton époux…. Un baiser au petit roi!» Il dit alors à Caulaincourt, le seul homme qui eût osé lui parler avec une franchise absolue aux heures les plus terribles: «La Providence l'a voulu, je vivrai… Qui peut sonder l'avenir? D'ailleurs, ma femme et mon fils me suffisent. Je les verrai, j'espère, je les verrai souvent. Quand on sera convaincu que je ne songe plus à sortir de ma retraite, on me permettra de les recevoir, peut-être d'aller les visiter.» Puis, emportant cette espérance qui devait être si cruellement déçue, il s'achemina vers l'île d'Elbe, après avoir fait aux soldats de sa vieille Garde ces adieux qu'un Français ne peut lire sans frissonner, et après avoir baisé le drapeau dont le souffle des batailles avait terni les couleurs, mais dont les derniers revers n'avaient pu effacer la gloire.

Le 23 avril, Marie-Louise, cédant enfin aux volontés de son père, quittait le château de Rambouillet, se dirigeant sur Vienne. Elle s'arrêta un jour au château de Grosbois, où elle reçut les derniers hommages du prince de Wagram, le même qui, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Napoléon, avait fait à Vienne, le 8 mars 1810, la demande solennelle de la main de l'archiduchesse Marie-Louise et déclaré devant toute la Cour que cette princesse «assurerait le bonheur d'un grand peuple et celui d'un grand homme».

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