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Le tour de la France par deux enfants: Devoir et Patrie

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Les loges des bêtes féroces au Jardin des Plantes de Paris.—Les bêtes féroces réunies dans la ménagerie du Jardin des Plantes appartiennent à l'ordre des carnivores, animaux dont les dents sont propres à broyer la chair. Les principales familles de l'ordre des carnivores ou carnassiers sont la famille des ours, des chats (depuis le chat domestique jusqu'au tigre et au lion), des chiens (depuis le chien domestique jusqu'au loup et au renard) et des hyènes.

Ils arrivèrent devant des espèces de grandes cages grillées, derrière lesquelles on voyait s'agiter des bêtes féroces. Dans la plus grande, c'était un lion d'Afrique à la crinière brune qui tournait avec impatience autour de sa cage et bâillait en face de la foule. A côté de lui, dans d'autres cages, d'autres lions, les uns dormant, les autres couchés sur le dos: l'un d'eux, le plus jeune, était en train de s'amuser avec une grosse boule de bois qu'on laisse toujours dans la cage des lions; il la roulait comme un jeune chat fait d'une pelote de fil; il la lançait, puis bondissait après et la rattrapait. Et tout le monde de rire, y compris Julien.

—Si on ne dirait pas un gros chat! s'écria-t-il.

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Jaguar.—C'est, après le tigre et le lion, le plus grand des carnassiers du genre chat. Il vit en Amérique, surtout au Mexique et dans la Plata. Il se plaît dans les grandes forêts, près des fleuves, grimpe aux arbres comme un chat et y poursuit les singes. Il s'attaque même à l'homme.

—C'est que les lions sont en effet des carnassiers de la race des chats, dit l'oncle Frantz. Mais ce sont des chats avec lesquels il ne ferait pas trop bon jouer; même sans vouloir vous faire du mal, il suffirait d'un coup de la queue de ce lion pour vous terrasser, et du petit bout de sa griffe pour vous enlever un morceau de chair.

—Mais, dit Julien, ils doivent bien s'ennuyer d'être toute la journée enfermés dans ces cages. Il faut que les barreaux soient bien solides pour qu'ils ne puissent les briser.

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L'amphithéâtre des singes au Jardin des Plantes de Paris.—Les singes appartiennent à l'ordre des quadrumanes, c'est-à-dire animaux à quatre mains. Ce sont les plus intelligents des animaux et ceux qui, par leur conformation, ressemblent le plus à l'homme. Il y en a de toute race et de toute taille, depuis la grosseur d'un écureuil jusqu'à celle de l'homme le plus grand. Ils se nourrissent de fruits, quelquefois d'insectes, et vivent dans les arbres, où ils sautent de branche en branche avec agilité.

—Ne t'inquiète pas, Julien, dit l'oncle en souriant, ce sont de bons barreaux de fer sur lesquels ni leurs dents ni leurs ongles ne peuvent rien.

Et on continua la promenade. A côté, c'était le tigre royal qui est presque aussi grand que le lion, mais bien plus féroce. Il tournait avec une inquiétude fiévreuse tout autour des barreaux, en regardant les yeux à demi ouverts, d'un air hypocrite.

Plus loin, c'étaient les panthères et le jaguar accroupi comme pour faire un bond. A quelque distance on entendait des rires, et la foule se pressait devant une grande et haute cage en forme de rotonde.

—Oh! dit Julien, qu'est-ce qu'il y a là?

C'étaient les singes. Il y en avait une grande quantité réunis, et tout cela courait, gesticulait, criait en se disputant. A l'intérieur se trouvaient des barreaux et une sorte d'arbre: le long des branches les singes montaient et descendaient, se lançant en l'air et s'accrochant aux branches tantôt avec leurs mains, tantôt avec leur queue. L'un d'eux, s'attachant ainsi à l'arbre avec sa queue comme avec une corde, se balançait au bout. D'autres singes venaient près du grillage pour recevoir des mains des spectateurs les friandises qu'on voulait bien leur donner.

—Quel malheur que je n'aie rien sur moi! dit Julien en retournant ses poches.

André chercha dans les siennes et y trouva un morceau de pain qu'il s'empressa d'offrir à un jeune singe. Mais celui-ci, après l'avoir pris, fit la grimace et le laissa tomber.

—Voyez-vous! dit l'oncle Frantz; c'est qu'ils sont habitués à recevoir des pierres de sucre, et d'autres choses meilleures que du pain sec. Et puis ils n'ont pas grand appétit, sans cela ils trouveraient bien le pain bon.

CXVII.—(Suite.) La fosse aux ours. L'éléphant.

Julien serait resté volontiers toute une journée à regarder les singes, mais il y avait encore bien des choses à voir.

La fosse des ours au Jardin des Plantes.—L'ours se trouve dans toutes les parties du monde. Il recherche les montagnes et les forêts solitaires, où il trouve un abri contre les chasseurs.—Il y en a encore dans les Alpes et les Pyrénées. L'ours marche lourdement, mais nage et grimpe aux arbres avec agilité. Il est assez intelligent, et comme il peut facilement se tenir sur ses pieds de derrière, les bateleurs lui apprennent à danser et à exécuter divers tours.

—Allons maintenant rendre visite à Martin, dit l'oncle.

—Martin, dit Julien avec étonnement; qui est-ce donc?

—Tu vas le voir, répondit l'oncle Frantz.

Et on s'approcha d'un petit mur, qui bordait comme un parapet une large fosse. Julien s'avança et aperçut au fond un ours de belle taille près d'un réservoir d'eau vive. L'ours paraissait de bonne humeur, il galopait de droite et de gauche en se dandinant et en regardant du coin de l'œil la rangée de spectateurs. Puis tout d'un coup, comme s'il eût compris ce que tout le monde attendait de lui, il s'avança gravement vers un arbre mort placé au milieu de sa fosse, et l'empoignant entre ses fortes pattes, il se hissa assez rapidement jusqu'aux branches les plus hautes. Là, presque au niveau de la foule, il regarda tout le monde avec satisfaction. On le salua par une acclamation, et on lui lança force bouchées de pain en récompense. Julien émerveillé riait de plaisir, car il n'avait jamais vu d'ours grimper aux arbres.

—Mais cela n'a pas l'air méchant, un ours, dit Julien.

—Mon Dieu, non, dit l'oncle Frantz, à condition qu'il n'ait pas grand'faim et qu'on ne l'irrite pas. Il y en a parmi les ours auxquels il ne faudrait pas trop se fier. Tiens, regarde celui-ci, dit-il en montrant à Julien dans une autre fosse un ours blanc de haute taille qui se promenait la tête basse en grognant de temps à autre. Celui-là vient des glaces du nord. Là, il n'y a point de végétation, rien que de la glace; et l'ours, qui partout ailleurs se nourrit de préférence de plantes, est réduit à ne vivre que d'animaux et surtout de poissons, auxquels il fait la chasse; aussi est-ce la race d'ours la plus féroce.

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Rhinocéros.—C'est un mammifère de grande taille. Il a la tête courte avec de petits yeux, le museau armé d'une corne, ou de deux, dont il se sert pour l'attaque ou la défense. La force du rhinocéros est extraordinaire: il attaque même l'éléphant. On le chasse pour sa chair et pour sa peau, qui forme un cuir impénétrable.

Sur ce propos on quitta la fosse aux ours. On alla admirer la belle taille et la mine intelligente de l'éléphant, qui, enfermé dans une sorte de rotonde, attrapait avec sa trompe les bouchées de pain qu'on lui donnait, et les introduisait ensuite dans sa bouche. Comme on lui présentait en ce moment un gros morceau de pain qu'il ne pouvait saisir avec sa trompe à travers les barreaux, il fit comprendre d'un geste qu'il ne pouvait le prendre ainsi, et relevant la tête il ouvrit une gueule énorme où eussent pu entrer à la fois une vingtaine de pains de même grosseur. On lança par dessus la grille le morceau dans sa gueule, qu'il referma aussitôt avec satisfaction.

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Girafe.—Ce mammifère ruminant est l'animal le plus haut qui existe, sa taille dépasse sept mètres. La girafe habite les déserts de l'Afrique. C'est un animal inoffensif, qui se nourrit de bourgeons et de feuilles d'arbre. Il court avec la plus grande rapidité.

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L'Autruche est un oiseau de l'ordre des échassiers, dont la taille, gigantesque pour un oiseau, dépasse deux mètres. Ses ailes sont impropres au vol, mais elle les étend comme des bras quand elle court. Elle vit en Afrique et en Asie. Elle est si vorace qu'elle avale sans danger tout ce qui se présente, bois, pierres, aiguilles, clous. Ses œufs pèsent plus d'un kilogramme. Pour les faire éclore, elle les cache dans le sable que le soleil d'Afrique chauffe toute la journée. On se sert dans certaines contrées de l'autruche comme monture; elle court plus vite que les meilleurs chevaux.

—C'est un bien intelligent animal, dit l'oncle Frantz; il est, dit-on, plus intelligent encore que le cheval, dont il tient lieu dans les pays chauds.

Le Vautour est un grand oiseau de proie, caractérisé par une petite tête, un bec long et recourbé, un cou dénudé. Il a un vol lourd, mais soutenu, et atteint de prodigieuses hauteurs. Il répand une odeur infecte, car il se nourrit habituellement de charognes et d'immondices. Les vautours suivent en grand nombre les armées, les caravanes et les troupeaux, pour dévorer ceux qui tombent.

A côté de l'éléphant il y avait l'énorme hippopotame, qui vit dans les rivières de l'Afrique, le rhinocéros avec sa corne plantée au bout du museau et sa peau épaisse comme une cuirasse, sur laquelle les balles glissent sans pouvoir l'entamer. Nos trois visiteurs virent encore la girafe aux longues jambes, si longues qu'elle est forcée de s'agenouiller pour boire, moment dont le lion profite souvent pour bondir sur elle et la déchirer. Ils virent l'autruche, cet énorme oiseau qui galope plus vite qu'un cheval et franchit de grandes distances dans le désert: en certains pays les hommes l'ont apprivoisée et montent sur son dos comme sur celui d'un cheval. Ils virent encore bien d'autres animaux, une vaste volière contenant des oiseaux de toute sorte dont le charmant plumage miroitait au soleil, et ailleurs, dans des cages spéciales, des vautours, des aigles; puis, par tout le jardin, dans de petites cabanes, c'étaient des moutons de toute sorte, des chèvres, des espèces étrangères de biches et de bœufs, des loups, des renards, des animaux sauvages.

Arbres de serre.—Les principaux sont les palmiers, qui ne peuvent guère croître en France à l'air libre que dans le comté de Nice et à Toulon, les bambous, sorte de grands roseaux dont on trouve des plantations aux environs de Nîmes, les bananiers, les aloès, les cactus aux feuilles piquantes.

Ils passèrent enfin devant les vastes serres qui étaient à demi entr'ouvertes, car le temps était beau et le soleil donnait en plein. Là s'étalaient les plantes des pays chauds avec leurs feuilles et leurs fleurs étranges.

—Mon oncle, dit Julien, savez-vous à quoi servent toutes ces serres pleines de plantes et tous ces arbres étrangers.

—Mais, Julien, elles servent d'abord à nous faire connaître et étudier la végétation des autres pays; il y a toute une grande science qui s'appelle l'histoire naturelle et qui étudie les plantes et les animaux de la nature; eh bien, c'est ici, dans ce vaste jardin, que cette science trouve à sa portée les principaux êtres qu'elle étudie. On fait au Jardin des Plantes des cours sur la taille des arbres, sur les semis, sur les plantations. Tiens, Julien, ajouta l'oncle, vois-tu là-bas ce grand arbre dont les branches s'étendent en parasol? C'est le cèdre que Jussieu a rapporté et planté pour la première fois en France.

—Je le reconnais, dit Julien, j'en ai vu l'image dans mon livre: oh! comme il est grand!

—Eh bien, dit l'oncle, il y a eu bien d'autres arbres et d'autres plantes qui ont été introduits en France par le Jardin des Plantes: les acacias qu'on trouve partout aujourd'hui n'existaient pas en France jadis et ont été plantés ici pour la première fois. Les dahlias, les reines marguerites, qui ornent maintenant tous nos parterres, viennent également de ce jardin. On s'efforce ainsi de transporter et de faire vivre chez nous les plantes et les animaux utiles ou agréables. Nous empruntons aux pays étrangers leurs richesses pour en embellir la patrie.

CXVIII.—Le Louvre.—La Chambre des députés, le Sénat et le palais de la Présidence.—Les Ministres.—Les impressions de Julien à Paris.—Le départ.

Respectons la loi, qui est l'expression de la volonté nationale.

Le temps passe vite à Paris. Quand on eut fini de voir le Jardin des Plantes, la brume du soir commençait déjà à s'étendre, et de toutes parts les becs de gaz s'allumaient.

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La Cour du Louvre a Paris.—Le mot Louvre vient de loup, parce que ce palais a été bâti sur la place d'un ancien rendez-vous de chasse au bord de la Seine, dans une forêt autrefois peuplée de loups. C'est le plus vaste et le plus beau palais de Paris. C'est dans les bâtiments représentés par la gravure que se trouve le Musée du Louvre, où sont réunis les tableaux et les statues les plus célèbres de tous les peintres et statuaires du monde.

On suivit les quais de la Seine et on admira en passant le Louvre. André expliqua à Julien que les salles de ce palais sont remplies par les plus beaux tableaux des grands peintres de tous les pays: le public peut les visiter tous les jours à certaines heures.

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La chambre des députés.—Les députés ou représentants sont des hommes élus par tous les Français âgés d'au moins 21 ans pour fixer les impôts et pour faire les lois. Ils se réunissent à Paris. A gauche se trouvent le président et les vice-présidents de la Chambre; au-dessous est la tribune où parle l'orateur. Les députés sont sur les gradins de l'enceinte.

Nos promeneurs arrivèrent ainsi jusqu'au palais du Corps législatif, situé sur les bords de la Seine.—C'est là, dit l'oncle Frantz, que se rassemblent chaque année les députés élus par toute la France pour faire les lois. Ils partagent le pouvoir de faire des lois, ou pouvoir législatif, avec les sénateurs, qui siègent dans un autre palais entouré de jardins magnifiques: le Luxembourg. Quant au président de la République, qui est chargé de faire exécuter les lois par l'intermédiaire des divers ministres et qui possède ainsi le pouvoir exécutif, il habite un palais appelé l'Élysée. C'est là que se rassemble le conseil des ministres, qui discute sur les affaires de l'État. Les ministres de la France sont le Ministre de l'Intérieur, le Ministre de l'Instruction publique, le Ministre de la Justice et des Cultes, le Ministre des Finances, le Ministre de la Guerre, le Ministre des Affaires étrangères, le Ministre de l'Agriculture et du Commerce, le Ministre des Travaux publics, le Ministre de la Marine et des Colonies, le Ministre des Postes et Télégraphes.

Julien écoutait toutes ces explications avec intérêt; car dès qu'on parlait de la France, son esprit était en éveil. Néanmoins il avait tant couru dans la journée et vu tant de choses, qu'il finissait par en être tout étourdi: il avait une grande envie de souper pour se coucher de bonne heure.

—Eh bien, dit l'oncle Frantz en riant, je vois que notre petit Julien commence à demander grâce et que demain il quittera Paris avec moins de regret qu'il ne croyait d'abord.

—Hélas! oui, répondit l'enfant. Je suis tout de même bien content de connaître Paris et j'aurai grand plaisir à me rappeler plus tard tout ce que j'y ai vu de beau. J'aime Paris de tout mon cœur parce que c'est la capitale de la France; mais tenez, mon oncle, à vous dire franchement, je suis si fatigué de rencontrer tant de monde et d'entendre tant de bruit, que je me réjouis de ne plus voir bientôt que des champs, des bœufs et des vaches.

—Oh! oh! dit l'oncle, c'est très bien, et je pense comme toi, mon Julien; seulement, avant de soigner les vaches, il faudra retourner à l'école encore longtemps.

—Oui, dit l'enfant gaîment, et j'espère m'appliquer à l'école plus encore qu'autrefois.

CXIX.—Versailles.—Quelques grands hommes de Paris et de l'Ile-de-France.—Les poètes classiques: Racine, Boileau.—Un grand chimiste, Lavoisier.

Paris a produit tant de grands hommes et d'hommes utiles qu'on ne sait comment choisir dans le nombre: c'est la ville du monde qui s'est le plus illustrée par les travaux de l'esprit.

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Versailles, le château et le parc.—Versailles est une belle ville de 50,000 hab., située à quelques lieues de Paris. Auprès se trouve le château de Louis XIV, qui forme à lui seul comme une autre ville. Les jardins sont remplis de bassins, de jets d'eau, de cascades qu'on fait couler les jours de fête; c'est ce qu'on nomme les grandes eaux.

Le lendemain, lorsqu'on eut reçu l'argent de l'oncle Frantz, on se dirigea vers la gare de l'Ouest et on monta en wagon pour aller rejoindre le vieux pilote Guillaume dans la partie de l'Orléanais et de la Beauce qui est voisine du Perche. On s'arrêta quelques heures à Versailles, pour visiter le château que Louis XIV y fit construire et qui lui servit de résidence. André et Julien se promenèrent dans le parc aux allées symétriques et ils admirèrent les nombreux jets d'eau des bassins.

On remonta ensuite en chemin de fer, et Julien, pour ne pas perdre son temps en voiture et pour compléter tout ce qu'il savait déjà de la France, ouvrit son livre sur les grands hommes et lut les derniers chapitres avec attention.

L'Ile-de-France et surtout Paris ont produit tant de grands hommes que l'espace manquerait pour raconter leur vie. Bornons-nous à quelques mots sur les principaux poètes et savants nés dans cette contrée:

I. Racine, qui fut le rival de Corneille pour la poésie, naquit en 1639, dans une petite ville du département de l'Aisne. Il perdit son père et sa mère dès l'âge de quatre ans et fut élevé par son grand-père. Il avait un tel goût pour les vers qu'aucun plaisir n'égalait à ses yeux celui de lire les poètes.

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Racine naquit à la Ferté-Milon (Aisne) en 1639 et mourut en 1699. Principales tragédies: Athalie, Britannicus, Esther, etc.

Racine devint un grand poète à son tour et fit paraître à Paris une série de chefs-d'œuvre qui contribuèrent à l'éclat du siècle de Louis XIV: ce sont des pièces de théâtre en vers, appelées tragédies, où l'on représente des événements propres à émouvoir.

Racine avait une âme tendre et généreuse. Il comprenait combien le roi Louis XIV, sur la fin de son règne, avait tort de ne pas mettre fin aux guerres continuelles et aux abus dont souffrait le peuple. Il composa sur ce sujet un écrit où il exprimait respectueusement au roi son avis et ses idées de réforme: le roi fut irrité, et le poète fut disgracié.

Racine, qui était déjà malade et dont la sensibilité naturelle était extrême, éprouva un vif chagrin; son mal s'aggrava et il mourut deux ans après.

II. Boileau, né à Paris en 1636, fut aussi l'un des principaux poètes du siècle de Louis XIV. Il tourna en ridicule, dans ses vers, les vices et les défauts de son temps.

Boileau et son jardinier.—Boileau naquit à Paris en 1636 et y mourut en 1711. Il avait une maison de campagne aux environs de Paris, à Auteuil, et il raconte dans de jolis vers les causeries qu'il aimait à faire avec son jardinier.

Boileau avait autant de cœur que d'esprit et il le prouva à plusieurs reprises. Un jour on lui apprend que le ministre a retiré au vieux Corneille la pension qui lui avait été accordée en récompense de ses glorieux travaux. Corneille n'avait pour vivre que cette pension. Aussitôt Boileau demande à être introduit près du roi:

—Sire, lui dit-il, je ne saurais me résoudre à recevoir une pension de Votre Majesté, tandis que notre grand Corneille ne reçoit plus la sienne; si l'état des finances exige un sacrifice, qu'il retombe sur moi et non sur notre plus illustre poète.

Louis XIV consentit à rétablir la pension de Corneille.

Un autre jour, Boileau apprend qu'un savant magistrat de l'époque, Patru, est dans la misère et qu'il est réduit pour vivre à vendre sa bibliothèque. Patru va céder ses livres, ses chers livres, son plus grand trésor, et cela pour une faible somme, parce que les acheteurs abusent du besoin où il se trouve. Aussitôt Boileau va trouver Patru: il lui propose d'acheter ses livres, et lui en offre un prix élevé; Patru accepte.—Fort bien, dit Boileau, mais je mets à notre marché une condition.—Laquelle?—C'est que vous me rendrez le service de garder dans votre maison tous ces livres qui ne reviendront dans la mienne qu'après votre mort.—Et Patru, les larmes aux yeux, remercie Boileau de cette générosité délicate. Le prix d'un bienfait est double, quand ce bienfait cherche à se cacher lui-même.

III. Parmi les savants nombreux que Paris a vus naître, un des plus illustres est Lavoisier, né en 1743. Il fit ses études dans les grands collèges de Paris et y obtint les plus beaux succès. Dès sa première jeunesse il montra un goût très vif pour les sciences; il étudia l'astronomie, puis la botanique avec Jussieu, et enfin une science qu'il devait plus tard transformer et renouveler: la chimie. C'est la chimie qui enseigne de quels éléments les différentes choses sont composées, par exemple de quoi sont formés l'air, l'eau, le feu. C'est cette science qui apprend aussi à fabriquer tant de choses dont nous nous servons: l'alcool, le vinaigre, la potasse, la soude, les couleurs des peintres, celles des teinturiers, les médicaments des pharmaciens.

Au sortir du collège, Lavoisier se retira dans l'isolement, ne voyant personne, mangeant à peine pour pouvoir mieux travailler d'esprit, tout entier à ses recherches scientifiques.

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Lavoisier dans son cabinet de chimie.—Le grand chimiste est occupé à faire bouillir une substance dans un vase recourbé appelé cornue. Il en recueille les vapeurs pour en étudier la composition.

Aussi, dès l'âge de vingt-cinq ans, grâce à ses savants travaux, il fut élu membre de l'Académie des sciences.

On doit à Lavoisier de nombreuses découvertes: c'est lui qui a su trouver le premier de quels gaz l'air que nous respirons se compose, de quels éléments est formée l'eau que nous buvons; c'est lui qui a expliqué comment la respiration nous fait vivre et entretient la chaleur de notre corps. Lavoisier est le créateur de la chimie moderne.

En même temps qu'il se livrait à tous ces travaux par amour de la vérité et de la science, il entreprit, dans un but d'humanité, une foule d'autres études. Il fit des expériences malsaines et dangereuses sur les gaz qui s'échappent des fosses d'aisance, et qui si souvent causent la mort des travailleurs. Il raconte lui-même ces expériences avec une noble simplicité et expose toutes les précautions que les travailleurs doivent prendre pour éviter les accidents.

Malheureusement, une mort prématurée vint arrêter le grand Lavoisier au milieu de ses travaux. C'était l'époque sanglante de 1794, où la France, attaquée de tous côtés, au dehors et au dedans, ne savait plus distinguer ses amis et ses ennemis. Lavoisier, qui avait occupé un poste dans les finances, fut accusé avec beaucoup d'autres. Lui-même, sûr de son innocence, au lieu de s'enfuir, vint noblement se constituer prisonnier. Mais, enveloppé dans une condamnation qui frappait à la fois des coupables et des innocents, il mourut sur l'échafaud.

La veille de sa mort, les savants qui avaient travaillé avec lui et qui admiraient son génie étaient venus le voir dans son cachot: ils lui avaient apporté une couronne, symbole de la gloire qui lui était réservée dans l'avenir.

CXX.—La ferme du père Guillaume dans l'Orléanais.—Les ruines de la guerre.

Les maux de la guerre ne finissent point avec elle; que de ruines elle laisse à sa suite quand elle a passé quelque part!

Quelques heures après être partis de Paris, et après avoir traversé Chartres, célèbre par sa belle cathédrale gothique, nos voyageurs descendaient du chemin de fer. Ils laissèrent dans la petite gare leurs caisses de voyage; puis, munis seulement d'un paquet léger et d'un bâton, ils suivirent à pied la route qui menait à la ferme de la Grand'Lande, située dans la partie la plus montueuse de l'Orléanais.

Ils marchèrent assez longtemps le long d'une jolie chaîne de collines au pied desquelles serpentait la rivière. Ils suivaient un sentier étroit, déjà ombragé par les feuilles naissantes des arbres; au-dessus d'eux les oiseaux chantaient dans les branches, fêtant le prochain retour du printemps. Julien, plus gai encore que les pinsons qui gazouillaient autour de lui, sautait de joie en marchant:—Oh! disait-il, quel bonheur! Nous allons donc être tous réunis, et puis nous allons vivre aux champs!...

André partageait en lui-même la joie de Julien; l'oncle Frantz se sentait aussi tout heureux à la pensée de revoir son vieil ami le pilote Guillaume et de s'installer auprès de lui avec ses deux enfants d'adoption.

Ils marchaient depuis une bonne demi-heure et n'avaient encore rencontré personne à qui s'informer du chemin; ils craignirent de s'être égarés. Afin d'apercevoir mieux le pays, ils montèrent sur un talus, et Julien distingua, à deux cents pas de là, derrière une haie, deux petites filles accroupies par terre, un couteau à la main, en train de cueillir de la salade sauvage. Il les appela pour qu'elles leur indiquassent le chemin. Sa voix fut plusieurs fois répétée par un bel écho de la colline; malgré cela, les deux petites filles étaient si occupées à leur besogne qu'elles n'y firent point attention.

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Carte de l'Orléanais.—C'est dans l'Orléanais que se trouvent les plaines fertiles de la Beauce, surnommées les greniers de Paris. Par malheur, vers le sud, cette province renferme des plaines stériles et marécageuses. La ville la plus importante est Orléans (50,000 hab.). Viennent ensuite Chartres (30,000 hab.), qui fait un grand commerce de blé: Blois (20,000 hab.) sur la Loire, célèbre par son ancien château et ses souvenirs historiques; Vendôme sur le Loir. Châteaudun est célèbre par sa défense héroïque contre les armées allemandes.

—Mon oncle, dit alors Julien, je vais descendre la colline et courir près d'elles pour leur demander le chemin.

L'enfant courut en avant et s'approchant des deux petites, qui avaient levé la tête en l'entendant venir:

—Est-ce que la ferme de la Grand'Lande est loin d'ici? leur demanda-t-il.

—Oh! non, répondit l'aînée, dans cinq minutes on est chez nous.

—Chez vous? reprit Julien en regardant les deux enfants de tous ses yeux; mais alors vous êtes donc les petites filles de M. Guillaume?

—Mais oui, répondirent-elles à la fois.

—Et nous, s'écria le petit garçon tout joyeux, nous sommes ses amis et nous venons le voir. Peut-être bien vous a-t-il parlé de nous déjà: je m'appelle Julien Volden, moi, et je sais votre nom à toutes les deux: tenez, vous qui êtes grande comme moi, vous vous appelez Adèle, dit Julien en désignant l'aînée des petites, et votre sœur, qui est plus jeune, s'appelle Marie; elle a cinq ans.

La petite Marie se mit à sourire:—Notre père nous a parlé de vous aussi, Julien, dit-elle; il vous aime beaucoup.

Et les deux enfants regardèrent Julien avec intérêt, comme si la connaissance était désormais complète entre eux.

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La ferme ravagée par la guerre.—La guerre est toujours un grand malheur pour les peuples, quel que soit le résultat, et les vainqueurs souvent n'y perdent pas moins que les vaincus. Là où les batailles se livrent, les campagnes sont dévastées: la vie entière dans tout le pays est suspendue tant que dure la guerre, l'industrie est en souffrance, le commerce est arrêté et ne reprend ensuite qu'avec peine. Néanmoins, quand la Patrie est attaquée, c'est à ses enfants de se lever courageusement pour la défendre; ils doivent sacrifier sans hésiter leurs biens et leur vie.

Julien, enchanté, reprit aussitôt: Vous devez être bien contentes à présent d'avoir une ferme et de vivre aux champs? Moi, j'aime les champs comme tout, savez-vous? Et les vaches, et les chevaux, et toutes les bêtes, d'abord!

Le visage des petites filles s'était assombri. L'aînée poussa un gros soupir et ne répondit rien. La plus jeune, Marie, plus expansive que sa sœur, s'écria tristement:

—Oh! Julien, nous avons beaucoup de peine au contraire. Il y a sur la ferme des charges trop dures, à ce que dit papa; et puis, pendant la guerre, les bâtiments ont été à moitié détruits; rien n'est ensemencé. Alors papa dit: «Il vaut mieux que je m'en retourne sur mer!» et maman pleure.

L'enfant, qui avait exposé la situation tout d'une haleine, s'arrêta d'un air découragé.

La petite figure de Julien s'attrista à son tour. En ce moment, l'oncle Frantz et André arrivèrent, et on se dirigea vers la ferme.

Chemin faisant, chacun observait la campagne, en réfléchissant aux paroles désolées de la petite.

Bientôt on vit se dessiner au pied de la colline, derrière quelques noyers mutilés, les bâtiments de la ferme.

—Mon Dieu! s'écria Julien en joignant les mains avec tristesse, pauvre maison! elle est presque démolie: il y a des places où il ne reste plus que les quatre murs tout noirs avec des trous de boulets. Je vois qu'on s'est battu ici comme chez nous: il me semble que je reviens à Phalsbourg.

Et tout en marchant, Julien réfléchissait aux malheurs sans nombre que la guerre entraîne après elle partout où elle passe.

CXXI.—J'aime la France.

Le travail est béni du ciel, car il fait renaître le bonheur et l'aisance où la guerre ne laisse que deuil et misère.

Dans la grande salle délabrée de la ferme, dont les murs portaient encore la trace des balles, le pilote Guillaume se promenait la tête basse, les mains derrière le dos. Il était changé: il n'avait point cet air d'assurance et de décision qui lui était habituel au bord du navire; il semblait inquiet et abattu.

A la voix de la petite Marie il se retourna et, apercevant ses amis, il courut se jeter au cou de son ancien camarade.

—Frantz, lui dit-il, à demi-voix, tu arrives à propos, car je suis dans la peine et je compte sur ton amitié pour me donner du courage. Il va me falloir encore quitter ma femme et mes enfants, alors que j'espérais passer ici auprès d'eux le temps qui me reste à vivre: je suis tout triste en y pensant.

Pendant qu'il disait ces mots, les yeux limpides du vieux pilote devenaient humides malgré lui. Tout d'un coup, faisant effort sur lui-même et se redressant brusquement:—Allons, dit-il, ce n'est qu'une espérance à abandonner.—Et comme Frantz l'interrogeait: —Voici, dit-il, en deux mots ce dont il s'agit. Le parent qui nous a laissé cette propriété en héritage avait emprunté de l'argent sur sa terre; je ne puis rembourser cet argent, et je vais être obligé de vendre la terre; mais les biens ont tant baissé de prix depuis la guerre et la ferme est en si triste état, que je ne la vendrai pas moitié de ce qu'elle vaut. Je serai donc après cela au même point qu'avant d'hériter, et je n'aurai d'autre ressource que de retourner sur l'Océan.

L'oncle Frantz s'approcha du pilote et prenant sa main dans les siennes:

—Guillaume, dit-il avec émotion, te rappelles-tu cette nuit d'angoisse que nous avons passée ensemble au milieu de la tempête? Nous te devons la vie. A présent que tu te trouves dans l'embarras, c'est à nous de te venir en aide.

—Oui, dit André en s'approchant, nous vous avons promis alors d'aider les autres à notre tour comme vous nous avez aidés vous-même; nous tiendrons notre promesse.

—Mes braves amis, dit Guillaume, malheureusement vous ne pouvez rien: je n'ai besoin que d'argent, et vous en avez, hélas! moins encore que moi-même.

—Guillaume, reprit l'oncle Frantz, tu te trompes: je ne suis plus aussi pauvre que je l'étais quand tu nous as quittés, et c'est maintenant surtout que j'en suis heureux, puisque je puis t'être utile.

En même temps il avait tiré de sa poche une liasse de papiers.

—Tiens, dit-il, regarde: les honnêtes gens ne manquent pas encore en France; le fils de l'armateur de Bordeaux m'a remboursé tout ce qui m'était dû par son père. Prends cela, et va payer ceux qui voudraient te forcer à vendre ton bien pour l'acheter le quart de ce qu'il vaut.

Guillaume était si ému qu'il resta un moment sans répondre.

Puis, gravement:—J'accepte, Frantz, dit-il, mais à une condition: c'est que nous ne nous séparerons plus. Ma terre, une fois délivrée de cette charge, a de la valeur: elle est fertile, nous nous associerons pour la cultiver, nous partagerons les profits; nous ne ferons plus qu'une seule famille.

Et les deux amis s'embrassèrent étroitement, tandis que la femme du vieux pilote, de son côté, remerciait Frantz avec effusion. A ce moment, la petite Marie s'approcha de son père; elle le tira doucement par sa manche, et à demi-voix:

—Alors, dit-elle en souriant, Julien restera avec nous aussi?

—Je le crois bien, répondit le vieux pilote en prenant le petit garçon sur ses genoux: il ira en même temps que vous deux à l'école, et si vous n'apprenez pas vite et bien, il vous fera honte, car il est studieux, lui, et il connaît maintenant son pays mieux que la plupart des autres enfants. Et toi, André, tu nous aideras à cultiver cette terre jusqu'à ce que nous ayons trouvé à t'établir comme serrurier au village voisin. Ce ne sera pas trop de notre travail à tous les trois pour ensemencer ces champs restés en friche depuis la guerre et pour reconstruire cette maison en ruines.

—Oui, Guillaume, dit Frantz avec émotion, tu as raison; nous travaillerons tous, chacun de notre côté. Si la guerre a rempli le pays de ruines, c'est à nous tous, enfants de la France, d'effacer ce deuil par notre travail, et de féconder cette vieille terre française qui n'est jamais ingrate à la main qui la soigne. Dans quelques années, nous aurons couvert les champs qui nous entourent de riches moissons; nous aurons relevé pièce par pièce le toit de la ferme, et si vous voulez, mes amis, nous y placerons joyeusement un petit drapeau aux couleurs françaises.

Chacun applaudit à la proposition de l'oncle Frantz, et Julien plus fort que tout le monde:—Oui, oui, c'est cela, mon oncle, s'écria-t-il. Quand je pense que nous avons eu tant de peine pour être Français et que nous le sommes maintenant!—En même temps, il regardait les petites filles de Guillaume:—N'aimez-vous pas la France? leur dit-il; oh! moi, de tout mon cœur j'aime la France.

Et dans la joie qu'il éprouvait de se voir enfin une patrie, une maison, une famille, comme le pauvre enfant l'avait si souvent souhaité naguère, il s'élança dans la cour de la ferme, frappant ses petites mains l'une contre l'autre; puis, songeant à son cher père qui aurait tant voulu le savoir Français, il se mit à répéter de nouveau à pleine voix:—J'aime la France!

«J'aime la France!... la France... France...,» répéta fidèlement et nettement le bel écho de la colline, qui se répercutait encore dans les ruines de la ferme.

Julien s'arrêta surpris.

—Tous les échos te répondent l'un après l'autre, Julien, dit gaîment André.

—Tant mieux, s'écria le petit garçon, je voudrais que le monde entier me répondît et que chaque pays de la terre dît: «J'aime la France.»

—Pour cela, reprit l'oncle Volden, il n'y a qu'une chose à faire: que chacun des enfants de la patrie s'efforce d'être le meilleur possible; alors la France sera aimée autant qu'admirée par toute la terre.


Six ans se sont écoulés depuis ce jour. Ceux qui ont vu la ferme de la Grand'Lande à cette époque ne la reconnaîtraient plus maintenant.

306

La ferme réparée par la paix.—Peu de nations ont éprouvé un plus grand désastre que la France en 1870, mais peu de nations auraient pu la réparer avec une aussi grande rapidité. Malgré cette crise violente, notre commerce, déjà considérable, a continué à s'accroître; il a augmenté de plus d'un milliard. C'est par le travail et l'activité de tous ses enfants que la patrie devient ainsi chaque jour plus prospère.

Pas un mètre de terrain n'est inoccupé, et la jachère y est inconnue; le sol travaille sans cesse: aussitôt les céréales moissonnées, la charrue retourne les sillons, et de nouveau on ensemence la terre en variant les cultures avec intelligence. Grâce aux riches prairies de trèfle et de luzerne, le fourrage ne manque jamais à la ferme. Au lieu de six vaches qu'elle nourrissait avant la guerre, la terre de la Grand'Lande en nourrit douze, sans compter trois belles juments dont les poulains s'ébattent chaque année dans les regains des prairies. C'est vous dire qu'avec tous ces animaux l'engrais ne manque pas, et que chaque année la terre, au lieu de s'appauvrir, va s'améliorant.

Mais aussi comme tout le monde travaille à la Grand'Lande! C'est une vraie ruche où les paresseux ne trouveraient pas de place.

Venez avec moi, nous la parcourrons en quelques instants.

Il est à peine jour sur les coteaux verts de la ferme, mais les coqs vigilants ont salué la petite pointe de l'aurore: à leur voix le poulailler s'éveille; une trentaine de poules, caquetant et chantant, vont chercher dans la rosée les petits vers qu'a fait sortir la fraîcheur de la nuit. Bientôt la ménagère matinale, la bonne dame Guillaume, elle aussi sera debout. Regardez: sa fille aînée la suit. Adèle est une belle et laborieuse fille qui a déjà quinze ans et demi, et qui, active comme sa mère, court partout où sa présence est utile, à la laiterie, aux étables, au potager.

Le potager, c'est surtout le domaine de l'oncle Frantz. Le voyez-vous qui tire au cordeau des planches symétriques pour repiquer des salades? L'oncle Frantz est un jardinier de premier ordre. Il a aussi un verger superbe, avec des espaliers que ne renieraient point les horticulteurs de la banlieue parisienne.

Mais voici le pilote Guillaume. Il conduit à l'abreuvoir le joli troupeau de vaches, les juments et leurs poulains. Le vieux pilote a pris tout ce bétail sous sa haute juridiction, et il aime son troupeau comme jadis il affectionnait son navire:—Depuis six ans que je les soigne, s'écrie-t-il parfois avec un légitime orgueil, je n'en ai pas eu une seule de gravement malade.

Mais aussi comme toutes ces bêtes ont l'air bien soignées! Comme elles sont propres! Comme elles s'en reviennent du pas tranquille et lent qui leur plaît le mieux! Guillaume a façonné son pas au leur:—Affaire d'habitude, dit-il; c'est moins difficile que d'apprendre l'équilibre au roulis des vagues.

Cette fillette de onze ans qui sort de la ferme, c'est la petite Marie, la plus jeune de la famille. D'une main elle emporte avec précaution la soupe chaude des laboureurs, de l'autre elle tient ses livres de classe, car elle va de ce pas à l'école.

Venons avec elle jusque là-bas, dans ces champs où les gais rayons du soleil sèment leur or sur les sillons. Reconnaissez-vous ce grand garçon barbu déjà? C'est André. Quand il y a chômage chez le serrurier du bourg, André travaille à la ferme. En ce moment, deux beaux bœufs rouges traînent la charrue: le jeune homme les excite doucement, et de sa voix mâle, un peu grave, il chante une vieille chanson du pays natal; car André n'a oublié ni son père, ni son premier amour, la Patrie. A l'heure matinale où l'alouette, montant comme une flèche, chante au-dessus des sillons, l'âme du jeune homme s'élance, elle aussi, tantôt vers le passé plein de souvenirs, tantôt vers l'avenir qui s'ouvre avec ses devoirs et avec ses espérances. André a vingt ans sonnés: il sera bientôt sous les drapeaux, il sera bientôt soldat de la France.

Près d'André, regardez cet adolescent encore un peu mince, avec de grands yeux expressifs et affectueux: c'est notre petit Julien. Comme il a grandi! C'est qu'il a quatorze ans et demi, savez-vous? Ah! le temps passe vile. Oui, mais Julien l'a bien employé: il a appris tout ce qu'un jeune homme peut apprendre dans la meilleure école et avec la meilleure volonté possible.

Mais quel est ce camarade de son âge qui travaille aux champs avec lui et qui ne le quitte guère? Devinez... Vous le connaissez pourtant; c'est le jeune Jean-Joseph, l'orphelin d'Auvergne, qui a pu venir rejoindre nos amis à la ferme de la Grand'Lande: il est devenu pour eux comme un nouveau frère.

Vous souvenez-vous? Il y a six ans, à pareille époque, André et Julien s'étaient endormis sous un sapin de la montagne, à la veille de franchir les Vosges; et quand le soleil s'était levé ce matin-là, les deux enfants sans soutien, s'agenouillant sur la terre de France qu'ils venaient d'atteindre, s'étaient écriés ensemble: «France aimée, nous sommes tes enfants, et nous voulons devenir dignes de toi!» Ils ont tenu parole. Les années ont passé, mais leur cœur n'a point changé; ils ont grandi en s'appuyant l'un sur l'autre et en s'encourageant sans cesse à faire le bien; ils resteront toujours fidèles à ces deux grandes choses qu'ils ont appris si jeunes à aimer: Devoir et Patrie.


TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE

I.
Le départ d'André et de Julien.

II.
Le souper chez Étienne le sabotier. L'hospitalité.

III.
La dernière parole de Michel Volden.—L'amour fraternel et l'amour de la patrie.

IV.
Les soins de la mère Étienne.—Un don fait en secret.—La charité du pauvre.

V.
Les préparatifs d'Étienne le sabotier.—Les adieux.—Les enfants d'une même patrie.

VI.
Une déception.—La persévérance.

VII.
La carte tracée par André.—Comment il tire parti de ce qu'il a appris a l'école.

VIII.
Le sentier à travers la forêt.—Les enseignements du frère ainé.—La grande Ourse et l'étoile polaire.

IX.
Le nuage sur la montagne.—Inquiétude des deux enfants.

X.
La halte sous le sapin.La prière avant le sommeil.—André reprend courage.

XI.
Le brouillard se dissipe.—Arrivée d'André et de Julien sur la terre française.

XII.
L'ordre dans les vêtements et la propreté.—L'hospitalité de la fermière lorraine.

XIII.
L'empressement à rendre service pour service.—La pêche.

XIV.
La vache.—Le lait.—La poignée de sel.—Nécessité d'une bonne nourriture pour les animaux.

XV.
Une visite à la laiterie.—La crème.—Le beurre.—Ce qu'une vache fournit de beurre par jour.

XVI.
Les conseils de la fermière avant le départ.—Les rivières de la Lorraine.—Le souvenir de la terre natale.

XVII.
Arrivée d'André et de Julien à Épinal.—Le moyen de gagner la confiance.

XVIII.
La cruche de la mère Gertrude.—L'obligeance.

XIX.
Les deux pièces de cinq francs.—Un bienfait délicat.

XX.
La reconnaissance.—La lettre d'André et de Julien à la mère Étienne.

XXI.
André ouvrier. Les cours d'adultes.—Julien écolier. Les bibliothèques scolaires et les lectures du soir. Ce que fait la France pour l'instruction de ses enfants.

XXII.
Le récit d'André.—Les chiffons changés en papier.—Les papeteries des Vosges.

XXIII.
Les moyens que l'homme emploie pour mettre en mouvement ses machines.—Un ouvrier inventeur.

XXIV.
La foire d'Épinal.—Les produits de la Lorraine.—Verres, cristaux et glaces.—Les images et les papiers peints.—Les instruments de musique.

XXV.
Le travail des femmes lorraines.—Les broderies.—Les fleurs artificielles de Nancy.

XXVI.
La modestie.—Histoire du peintre Claude le Lorrain.

XXVII.
Les grands hommes de guerre de la Lorraine.—Histoire de Jeanne Darc.

XXVIII.
Les bons certificats d'André.—La mairie.—L'honnêteté et l'économie.

XXIX.
La Haute-Saône et Vesoul.—Le voiturier jovial.—La confiance imprudente.

XXX.
Le cabaret.—L'ivrognerie.

XXXI.
L'ivrogne endormi.—Une louable action des deux enfants.—La fraternité humaine.

XXXII.
Une rencontre sur la route.—Les gendarmes.—Loi Grammont, protectrice des animaux.

XXXIII.
Une proposition de travail faite à André.—Le parapluie de Julien.

XXXIV.
Le cheval.—Qualités d'un bon cheval.—Soins à donner aux chevaux.

XXXV.
Les montagnes du Jura.—Les salines.—Les grands troupeaux des communes conduits par un seul pâtre.—Associations des paysans jurassiens.

XXXVI.
Les grands fromages de gruyère..—Visite de Julien à une fromagerie.—Les associations des paysans jurassiens pour la fabrication des fromages.

XXXVII.
Le travail du soir dans une ferme du Jura.—Les ressorts d'horlogerie.—Les métiers à tricoter.—L'étude du dessin.—Utilité de l'instruction.

XXXVIII.
La Suisse et la Savoie.—Le lac de Genève.—Le mont Blanc.—Les avalanches.—Le lever du soleil sur les Alpes.—La prière du matin.

XXXIX.
L'ascension du mont Blanc.—Les glaciers.—Effets de la rareté de l'air dans les hautes montagnes.—Un savant courageux: de Saussure.

XL.
Les troupeaux de la Savoie et de la Suisse.—L'orage dans la montagne.—Les animaux sauvages des Alpes.—Les ressources des Savoisiens.

XLI.
Arrivée en Bourgogne.—L'Ain.—Les volailles de Bresse.—André et Julien devenus marchands.

XLII.
Une ferme bien tenue.—Hygiène de l'habitation.—Les fermes-écoles.

XLIII.
Une ferme bien tenue (suite).—La porcherie et le poulailler.

XLIV.
Mâcon. André et Julien paient l'entrée de leurs marchandises. Les octrois.—Les conseils municipaux.

XLV.
André et Julien sur le marché de Mâcon.—Les profits de la vente. L'honnêteté dans le commerce.

XLVI.
Les vignes de la Bourgogne.—La fabrication du vin.—La richesse de la France en vignobles.

XLVII.
Les grands hommes de la Bourgogne: saint Bernard, Bossuet, Vauban, Monge et Buffon. Niepce et la photographie.

XLVIII.
La plus grande usine de l'Europe: le Creuzot.—Les hauts-fourneaux pour fondre le fer.

XLIX.
La fonderie, la fonte et les objets en fonte.

L.
Les forges du Creuzot.—Les grands marteaux-pilons à vapeur.—Une surprise faite à Julien. Les mines du Creuzot; la ville souterraine.

LI.
Le Nivernais et les bois du Morvan.—Les principaux arbres de nos forêts.—Le flottage des bois sur les rivières.—Le Berry et le Bourbonnais.—Vichy. Richesse de la France en eaux minérales.

LII.
La probité.—André et le jeune commis.

LIII.
Les monts d'Auvergne.—Le puy de Dôme.—Aurillac.—Un orage au sommet du Cantal.

LIV.
Julien parcourt Clermont-Ferrand—Les maisons en lave.—Pâtes alimentaires et fruits confits de la Limagne.—Réflexions sur le métier de marchand.

LV.
La ville de Thiers et les couteliers.—Limoges et la porcelaine.—Un grand médecin né dans le Limousin, Dupuytren.

LVI.
Une ferme dans les montagnes d'Auvergne.—Julien et le jeune vannier Jean-Joseph.—La veillée.

LVII.
Les grands hommes de l'Auvergne.—Vercingétorix et l'ancienne Gaule.

LVIII.
Michel de l'Hôpital.—Desaix.—Le courage civil et le courage militaire.

LIX.
Le réveil imprévu.—La présence d'esprit et l'initiative en face du danger.

LX.
L'incendie.—Jean-Joseph dans sa mansarde.—Une belle action.

LXI.
Les chèvres du mont d'Or.—Ce que peut rapporter une chèvre bien soignée.

LXII.
Lyon vu le soir.—Le Rhône, son cours et sa source.

LXIII.
Les fatigues de Julien.—La position de Lyon et son importance.—Les tisserands et les soieries.

LXIV.
Le petit étalage d'André et de Julien à Lyon.—Bénéfices du commerce.—L'activité et l'économie, premières qualités de tout travailleur.

LXV.
Deux hommes illustres de Lyon.—L'ouvrier Jacquard. Le botaniste Bernard de Jussieu. L'union dans la famille.—Le cèdre du Jardin des Plantes.

LXVI.
Une ville nouvelle au milieu des mines de houille: Saint-Étienne.—Ses manufactures d'armes et de rubans.—La trempe de l'acier.

LXVII.
—André et Julien quittent M. Gertal.—Pensées tristes de de Julien.—Le regret de la maison paternelle.

LXVIII.
Les mûriers et les magnaneries du Dauphiné.

LXIX.
La dévideuse de cocons. Les fils de soie.—Les chrysalides et la mort du ver à soie.—Comment les vers à soie ont été apportés dans le Comtat-Venaissin.

LXX.
Le mistral et la vallée du Rhône.—Le canal de Lyon à Marseille.—Un accident arrivé aux enfants.—Premiers soins donnés à Julien.

LXXI.
La visite du médecin.—Les soins d'André.

LXXII.
La guérison de Julien.—Le chemin de fer.—Grenoble et les Alpes du Dauphiné.

LXXIII.
Une des gloires de la chevalerie française. Bayard.

LXXIV.
Avignon et le château des papes.—La Provence et la Crau.—Arrivée d'André et de Julien à Marseille.—Un nouveau sujet d'anxiété.

LXXV.
L'idée du patron Jérôme.—La mer.—Les ports de Marseille.—Ce qu'André et Julien demandent à Dieu.

LXXVI.
Promenade au port de Marseille.—Visite à un grand paquebot.—Les cabines des passagers, les hamacs des matelots; les étables, la cuisine, la salle à manger du navire.

LXXVII.
La côte de Provence.—Toulon.—Nice.—La Corse.—Discussion entre les matelots; quelle est la plus belle province de France. Comment André les met d'accord.

LXXVIII.
Une gloire de Marseille: le plus grand des sculpteurs français, Pierre Puget.—Un grand orateur et un législateur nés en Provence.—Le code français.

LXXIX.
Le Languedoc vu de la mer. Nîmes, Montpellier, Cette.—Tristes nouvelles de l'oncle Frantz.—Résolution d'André.—Évitons les dettes.

LXXX.
Les reproches du nouveau patron.—Le canal du Midi et les ponts ournants.—Le départ de Cette pour Bordeaux.

LXXXI.
Un grand ingénieur du Languedoc, Riquet.—Un grand navigateur, la Pérouse.

LXXXII.
Brusquerie et douceur.—Le patron du bateau «le Perpignan» et Julien.

LXXXIII.
André et Julien aperçoivent les Pyrénées.—Le cirque de Gavarnie et le Gave de Pau.

LXXXIV.
Toulouse.—Un grand jurisconsulte, Cujas.

LXXXV.
André et Julien retrouvent à Bordeaux leur oncle Frantz.

LXXXVI.
Les sages paroles de l'oncle Frantz: le respect dû à la loi.—Un nouveau voyage.

LXXXVII.
Grands hommes de la Gascogne: Montesquieu, Fénelon, Daumesnil et saint Vincent de Paul.

LXXXVIII.
Lettre de Jean-Joseph. Réponse de Julien.—L'Océan, les vagues, les marées, les tempêtes.

LXXXIX.
Suite de la lettre de Julien.

XC.
Nantes.—Conversation avec le pilote Guillaume: les différentes mers, leurs couleurs; les plantes et les fleurs de la mer.—Récolte faite par Julien dans les rochers de Brest.

XCI.
Les lumières de la mer.—La mer phosphorescente, les aurores boréales, les phares.

XCII.
Il faut tenir sa parole.—La promesse du père Guillaume.—Dignité et respect de soi.

XCIII.
La Bretagne et ses grands hommes.—Un des défenseurs de la France pendant la guerre de Cent ans: Duguesclin.—Le tournoi et la première victoire de Duguesclin.—Sa captivité et sa rançon. Sa mort.

XCIV.
Les grands hommes du Maine, de l'Anjou et de la Touraine. Le chirurgien Ambroise Paré. Le sculpteur David. Le savant philosophe Descartes.

XCV.
Le pays du pilote Guillaume.—La Normandie, ses ports, son commerce.—Rouen et ses cotonnades.

XCVI.
La Normandie (suite); ses champs et ses bestiaux.

XCVII.
Trois grands hommes de la Normandie.—Le poète Pierre Corneille.—L'abbé de Saint-Pierre.—Le physicien Fresnel.

XCVIII.
Le naufrage.—Égoïsme et dévouement.

XCIX.
La nuit en mer.

C.
La dernière rafale de la tempête.—La barque désemparée.

CI.
Le noyé et les secours donnés par Guillaume.

CII.
L'attente d'un navire et les signaux de détresse.

CIII.
Inquiétude et projets pour l'avenir.

CIV.
Une surprise après l'arrivée à Dunkerque.—Les quatre caisses.—Utilité des assurances.

CV.
Le Nord et la Flandre.—Ses canaux, son agriculture et ses industries.—Lille.

CVI.
Un grand homme auquel le Nord doit une partie de sa prospérité: Philippe de Girard.—La machine à filer le lin.

CVII.
L'Artois et la Picardie.—Le siège de Calais.

CVIII.
La couverture de laine pour la mère Étienne.—Reims et les lainages.

CIX.
Les hommes célèbres de la Champagne.—Colbert et la France sous Louis XIV.—Philippe Lebon et le gaz d'éclairage.—Le fabuliste la Fontaine.

CX.
Retour à la ville natale.—André et Julien obtiennent le titre de Français.—La tombe de Michel Volden.

CXI.
Une lettre à l'oncle Frantz.—Un homme d'honneur.—La dette du père acquittée par le fils.

CXII.
Paris.—La longueur de ses rues.—L'éclairage du soir.—Les omnibus.

CXIII.
Les Halles et l'approvisionnement de Paris.—Le travail de Paris.

CXIV.
Paris autrefois et aujourd'hui.—Notre-Dame de Paris.

CXV.
L'Hôtel-Dieu.—Les grandes écoles et les bibliothèques de Paris.

CXVI.
Une visite au Jardin des Plantes.—Les grands carnassiers.—Les singes.

CXVII.
(Suite.) La fosse aux ours. L'éléphant.

CXVIII.
Le Louvre.—La Chambre des députés, le Sénat et le palais de la Présidence.—Les Ministres.—Les impressions de Julien à Paris.—Le départ.

CXIX.
Versailles.—Quelques grands hommes de Paris et de l'Ile-de-France.—Les poètes classiques: Racine, Boileau.—Un grand chimiste, Lavoisier.

CXX.
La ferme du père Guillaume dans l'Orléanais.—Les ruines de la guerre.

CXXI.
J'aime la France.

NOTE

[1] Pour le développement du cours et de morale sociale et d'instruction civique, voir la nouvelle édition de Francinet, entièrement refondue et complétée conformément aux nouveaux programmes.

NOTES DU TRANSCRIPTEUR:

[i] L'orthographe ancienne du nom Jeanne Darc a été conservée.

[ii] Le nom Montélimart a été changé en Montélimar. (L'origine du nom est "Monteil des Aimar". La forme définitive (Montélimar) date de 1328).

[iii] L'année de naissance de Jean Bart semble être 1650 et non pas 1651.

[iv] Depuis 1928, le nom de la ville est Sète.

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