Les abeilles
Quand le nourrisson n'a plus besoin de rien, les ouvrières l'enferment dans sa cellule, en y adaptant un couvercle (opercule) sensiblement plan, fait d'une cire brune, détachée des bords des vieilles cellules. Ceci arrive le neuvième jour depuis la ponte de l'œuf. La cellule operculée, le ver se file un cocon dans cette chambre close; puis, après deux ou trois jours de repos, se transforme en nymphe. Cet état dure trois jours, au bout desquels la jeune Abeille entame le cocon et le couvercle de cire; les nourrices l'aident dans ce travail. Elle sort de son berceau, faible et toute pâle. Les ouvrières l'entourent, la lèchent, la brossent, la réconfortent de quelques lampées de miel. Elle a besoin de plusieurs jours, pour que ses poils grisâtres prennent leur couleur sombre définitive, ses téguments de la consistance, ses muscles de la vigueur. Elle peut alors se mêler à ses sœurs aînées et prendre part à leurs travaux.
Que va-t-elle devenir? Cirière ou nourrice? Sentinelle ou butineuse? Ou bien sera-t-elle à la fois tout cela, suivant les circonstances ou au gré de son caprice? Dans toute association bien réglée, les attributions de chacun sont nettement déterminées. Les abeilles n'ont garde de se soustraire à cette loi conservatrice. Mais c'est l'âge, et l'âge seul, qui détermine la fonction. La même abeille peut successivement les remplir toutes. Les jeunes abeilles sont vouées aux travaux intérieurs. Elles sont les cirières et les nourrices, et cela pendant une période de dix-sept à dix-neuf jours. Passé ce temps, elles deviennent butineuses.
Nous avons vu à l'œuvre les cirières et les nourrices. C'est le moment de parler des butineuses. Avant de décrire leurs travaux, il nous faut, à leur endroit, examiner une question qui n'est pas sans importance. Comment l'abeille, une fois sortie de la ruche, sait-elle la retrouver? Les pourvoyeuses, en effet, ne portent pas leurs promenades à quelques tires-d'aile seulement du logis; l'expérience a montré qu'elles peuvent se répandre au loin jusqu'à deux et trois kilomètres et même davantage. Il n'est donc pas aisé de comprendre comment ces petites bêtes retrouvent le chemin du retour. On a beaucoup philosophé et même divagué sur ce sujet. La réalité est la chose du monde la plus simple.
Lorsque, après plusieurs journées assez froides pour empêcher les abeilles de sortir, survient un beau soleil, on voit, au moment le plus chaud du jour, un véritable nuage d'abeilles, surtout si la colonie est populeuse, voleter en tourbillonnant devant la ruche. C'est un spectacle parfois admirable, et les apiculteurs le désignent sous le nom de soleil d'artifice.
Regardez attentivement les abeilles qui le composent; vous reconnaîtrez que toutes sont tournées la tête du côté de la ruche, les unes s'éloignant en décrivant des cercles de plus en plus grands, les autres revenant en décrivant des cercles ou des zigzags de plus en plus petits. Or toutes ces abeilles sont des abeilles jeunes, ce qu'il est facile de reconnaître à la fraîcheur de leur poilure.
Pour être mieux édifié, regardez ce qui se passe à l'entrée de la ruche, et suivez une jeune abeille dès l'instant où elle se montre à la porte. Vous la voyez alerte, et cependant hésitante, évidemment joyeuse de la lumière et de sa vie nouvelle, faire quelques pas de çà, de là, sur le tablier, puis, toute maladroite, se décider enfin à prendre son essor, ce qu'elle fait, tantôt en se retournant d'abord vers la porte et s'envolant à reculons, ou bien en s'élançant à quelques centimètres seulement, pour se retourner aussitôt; puis enfin, lentement et avec une attention évidente, elle s'éloigne, toujours à reculons, dans une spire de plus en plus élargie.
Voyez au contraire cette autre abeille, dont la défroque pelée dit assez l'expérience acquise, les travaux accomplis, une vieille butineuse enfin: brusquement elle franchit le seuil, la tête levée, pleine d'assurance; c'est tout au plus si elle s'arrête un instant à donner un dernier coup de brosse à ses yeux, à ses antennes, pour s'élancer aussitôt, en droite ligne, pressée d'arriver tout là-bas, où elle sait des fleurs riches de pollen et de miel, qu'elle a hâte de recueillir.
Quel est donc le but des jeunes ouvrières qui font le soleil d'artifice? Il se devine aisément. Sortant pour la première fois de la ruche, elles se familiarisent avec son aspect, en explorent les abords, et, de plus en plus loin, le voisinage. Comme on ne tarde pas à perdre de vue l'Abeille s'élevant dans les airs, on ne peut que supposer que son exploration continue encore au delà par le même procédé. En décrivant ses cercles de plus en plus vastes, la tête tournée vers le lieu qu'elle vient de quitter, l'Abeille se trouve, tout en s'éloignant, dans la situation du retour. Lorsqu'elle a ainsi fixé dans sa mémoire la topographie de la région environnant le lieu de sa naissance, elle peut désormais sortir sans hésiter, sûre de retrouver son chemin, et, devenue butineuse, s'élancer comme un trait du trou de vol, sans jamais se retourner en arrière.
C'est donc la mémoire qui ramène l'Abeille à la ruche. Le souvenir qui la guide s'est fait par le plus sûr et le plus simple des procédés, puisque le chemin du retour est appris à l'aller dans la situation même du retour: l'Abeille s'éloigne de la ruche ayant devant elle le tableau qu'elle aura, devant elle encore, pour revenir.
Aussi qu'arrive-t-il, si on enlève la ruche pendant que les Abeilles sont aux champs ou qu'on la remplace par une autre? La butineuse, au retour, désorientée, cherche de tous côtés, dans une évidente inquiétude. Au bout d'un moment, on la voit repartir, comme pour s'assurer si elle a bien suivi le bon chemin; mais toujours le même chemin la ramène au même endroit. Si l'on n'a fait que changer la ruche de place, pour la poser à une faible distance, la butineuse finit par la retrouver. Si la ruche a été transportée fort loin, c'en est fait; le hasard serait bien grand si elle était retrouvée, et les pauvres Abeilles, après avoir longtemps rôdé autour du lieu où fut leur berceau, iront, de guerre lasse, demander dans quelque ruche du voisinage une hospitalité qui leur sera rarement accordée, et mourront misérablement, poignardées par ses habitants!
Si, à la place de l'ancienne ruche, une autre a été mise, les butineuses de la première, après des hésitations sans fin, se décident à y pénétrer. Chargées de provisions, elles sont bien accueillies par les habitants de la maison, et elles feront désormais partie de la famille. Les apiculteurs usent fréquemment d'un pareil artifice, pour renforcer un essaim trop faible: ils lui donnent toutes les butineuses d'une forte ruche, en l'installant à sa place. L'ancienne ruche, portée ailleurs, se sera bientôt refait son bataillon de butineuses.
Sûre de retrouver le chemin de la ruche, grâce à la gymnastique que nous avons décrite, l'Abeille peut en toute assurance aller aux provisions. La voilà butineuse. Le pollen et le miel sont les deux objets importants de ses courses au dehors; mais la propolis, qui sert à boucher les fissures de la ruche, est encore une denrée fort utile; l'eau enfin est indispensable, soit pour diluer la pâtée servie aux larves, soit pour dissoudre le miel granulé, c'est-à-dire le vieux miel dans lequel le sucre s'est séparé en grumeaux solides. Aussi l'apiculteur a-t-il soin de ménager, à portée de ses ruches, un abreuvoir où les Abeilles puissent aller puiser l'eau dont elles ne sauraient se passer. Cette nécessité était déjà connue de Virgile.
La cueillette du pollen présente des particularités assez curieuses. Dans les fleurs dont les étamines sont peu élevées au-dessus du réceptacle, ou dont la corolle est tubuleuse, l'Abeille, pour recueillir le pollen, se pose sur ou dans la fleur. Elle brosse alors les étamines de ses pattes antérieures, et recueille ainsi la poussière pollinique. Mais elle n'est pas emmagasinée telle quelle dans les corbeilles; il faut qu'elle soit transformée en une pâte cohérente, par son mélange intime avec une certaine quantité de miel. Il est aisé, en certains cas, de voir comment se fait cette manipulation.
Si l'on examine attentivement une Abeille butinant dans une fleur peu profonde, une capucine par exemple, on la voit, tout en introduisant sa trompe au fond du réceptacle, pour y recueillir le nectar, frotter de ses pattes antérieures les anthères, afin d'en détacher le pollen; puis, se soulevant légèrement au-dessus de la fleur, elle agite vivement ses pattes intermédiaires, pour pétrir le pollen, que la trompe, faiblement déployée, humecte d'un peu de miel dégorgé, et le coller ensuite aux corbeilles. Cette opération accomplie, l'Abeille se rabat de nouveau dans la fleur, pour y continuer sa cueillette, ou, s'il n'y a plus rien à faire, passe à une autre, qu'elle exploite de la même manière.
Dans une fleur largement ouverte et dont les étamines sont portées sur de longs filets, le pavot des jardins, par exemple, les choses se passent un peu autrement. L'Abeille ne se pose point sur la fleur, ce qui ne lui permettrait pas d'atteindre les anthères trop haut placées; mais, tout en se soutenant en l'air, à hauteur convenable, elle frôle de ses pattes antérieures ces organes couverts de pollen, qu'elle recueille de la sorte. Le pétrissage se fait comme dans le cas précédent.
On peut remarquer que l'Abeille recueillant du pollen ne visite que des fleurs de la même espèce. Jamais du pollen de plusieurs couleurs ne se voit mélangé dans ses corbeilles. Il en est de même dans les cellules où le pollen est entassé; on ne voit jamais dans une même cellule que du pollen de même sorte, ce qui semble indiquer qu'une seule Abeille se charge d'approvisionner une cellule déterminée. Quelle peut être la raison de cette habitude? on l'ignore absolument.
L'Abeille rentrée dans la ruche les corbeilles chargées de pâtée pollinique, se débarrasse de son fardeau à l'entrée de la cellule destinée à le recevoir, aidée dans cette opération par ses sœurs. La pâtée nouvellement apportée est appliquée et fortement pressée, à l'aide des mandibules, sur celle que contient déjà la cellule. Après s'être soigneusement brossée et nettoyée du moindre grain de pollen collé à ses poils, à ses yeux, à ses antennes, la butineuse court à la porte, et, pleine d'entrain, s'élance de nouveau vers les champs.
L'Abeille amassant du pollen peut en même temps recueillir du miel. Nombre de butineuses cependant ne rapportent à la ruche que du miel, particulièrement dans l'après-midi, où une grande partie du pollen a été déjà épuisé dans les fleurs. Il en est de même, à plus forte raison, dans les premières heures de la journée, alors que la déhiscence des anthères ne s'est pas faite encore. Son jabot rempli de miel, l'Abeille rentre à la ruche et va le dégorger dans une cellule.
Les cellules entièrement pleines de miel ou de pollen sont operculées, c'est-à-dire fermées exactement d'un mince couvercle de cire, immédiatement appliqué sur le contenu. Tandis que les cellules à couvain sont operculées avec de la cire vieille, l'opercule des cellules à provisions est fait de cire nouvelle et blanche, sécrétée tout exprès. Absolument plein de toute la masse de provision qu'il est susceptible de contenir, le rayon est entièrement operculé du haut en bas, sur ses deux faces.
Bien que les Abeilles soient peu difficiles, relativement à la qualité du miel qu'elles récoltent, et qui parfois est détestable, elles savent néanmoins faire la différence entre le nectar des diverses fleurs. Il en est qu'elles préfèrent, et pour lequel elles délaissent tous les autres, quand le choix est possible. Ainsi les Légumineuses, mais surtout les Labiées, sont les plantes mellifères par excellence. C'est aux Labiées, qui abondent sur l'Hymette, que le miel si vanté dès l'antiquité, doit encore aujourd'hui ses qualités exquises. Il est bien digne de remarque que le goût des Abeilles, à cet égard, soit absolument conforme au nôtre. Plus difficiles qu'elles toutefois, nous ne pouvons tolérer l'âcre liqueur qu'elles puisent dans les renoncules, pas plus que le nectar nauséeux des arbousiers.
L'activité des Abeilles, surtout des pourvoyeuses, dépend de la fécondité de la mère. Mais cette fécondité est subordonnée à son tour à la richesse des provisions. Quand le miel donne bien, que les rentrées sont abondantes, la mère, mieux nourrie, pond davantage. Si, au contraire, la source du miel tarit dans les fleurs, la ponte décroît à proportion. Toutefois, quand le miel est extrêmement abondant, ce qui arrive lorsque les circonstances favorisent la floraison de certaines plantes mellifères, telles que les acacias, les trèfles, etc., l'avidité sans mesure des Abeilles sacrifie le couvain à la récolte, et, pour faire place à celle-ci, des œufs, des jeunes larves peut-être, sont supprimés. Tel rayon rempli d'œufs la veille n'en contient plus un seul le lendemain, et du miel se voit dans toutes les cellules. C'est là un trait que les admirateurs passionnés des Abeilles ignoraient, heureusement pour eux, et pour elles.
Aux causes déjà indiquées comme augmentant ou diminuant l'activité des Abeilles, il faut ajouter la température. Un beau soleil, une bonne chaleur, surtout après une série de mauvais jours, redoublent leur vivacité; la prestesse de leurs allures, toute leur manière d'être témoignent d'un bien-être évident. C'est alors aussi que les travaux vont vite. Mais ils ne chôment pourtant pas, quand le temps est moins favorable. Alors que toutes les Abeilles sauvages, sauf le Bourdon, ne circulent qu'en plein soleil, et disparaissent absolument lorsqu'un nuage vient en intercepter les rayons, l'Abeille sociale, elle, sait trop le prix du temps, et ne s'arrête pas pour si peu. Le soleil se voile, elle ne semble pas s'en apercevoir et continue sa collecte. La journée est sombre, pluvieuse même, elle sort parfois par ce mauvais temps: les enfants sont là, affamés, réclamant leur pitance, et il faut la leur fournir, quelque temps qu'il fasse. De toutes les Abeilles la première levée, elle est celle dont la journée finit le plus tard. L'Abeille solitaire dort la grasse matinée; dans les plus chaudes journées, elle ne sort guère avant les 8 ou 9 heures, fait un peu de sieste vers le milieu du jour, et ne sort plus, passé 5 heures. La mouche à miel vole aux champs, en été, dès l'aurore; et le soir, au crépuscule, vers 8 heures, on voit encore rentrer à la ruche plus d'une butineuse attardée, au vol lent, incertain, ayant peine à retrouver son chemin, tant l'obscurité est déjà profonde. La vie sociale crée des besoins impérieux; il y faut satisfaire à tout prix, ou la maison déchoit. La prospérité de la famille est en raison de l'activité de chacun et de tous. Donc, pas de temps à perdre, tous les moments sont remplis; c'est à peine si on a le loisir de prendre quelques instants de répit, de sommeil. La cité cependant bruit toujours, l'usine fonctionne sans cesse ni trêve. Travail de jour, travail de nuit se poursuivent sans interruption. Une seule chose peut enrayer la machine, c'est le froid. Quand la température extérieure descend au-dessous de 12° à 14°, l'Abeille ne sort pas, et le travail languit dans la ruche. Chacune ne songe qu'à se réchauffer, et toutes se réfugient et se pressent au centre de l'habitation. Mais, au cœur même de l'hiver, qu'une belle journée survienne, qu'un beau soleil égaye les champs et les jardins, si le thermomètre atteint une douzaine de degrés, on profite de l'aubaine inespérée, on court glaner aux rares fleurs que les frimas ont épargnées; quelque pâle mercuriale, quelque grêle crucifère ont ouvert au soleil leurs petites fleurs garnies de pollen; c'est toujours tant de pris, un peu de fraîche pâtée pour les pauvres larves, s'il y en a, ou pour celles qui ne tarderont pas à venir. Dans le midi de la France, il n'est pas d'hiver si continuellement mauvais, que chaque mois, de novembre à février, ne donne quelques journées assez chaudes pour permettre la sortie des Abeilles.
A cette vie si occupée, si active, la butineuse s'use vite. Parmi les Abeilles qui rentrent de la picorée, les corbeilles garnies de pollen ou le jabot gonflé de miel, les unes ont l'allure dégagée et la livrée intacte, ce sont des butineuses encore jeunes dans le métier. D'autres, avant d'aborder le seuil de la ruche, s'annoncent déjà par le bruissement particulier qui accompagne leur vol, lourd et pénible. Posées, leur corps tout pelé, leurs ailes fripées disent éloquemment leur grand âge, leurs longs travaux; ce sont de vieilles butineuses, près du terme de leur carrière. Bientôt leurs ailes ne peuvent plus les soutenir; c'est en vain qu'elles essaient de prendre leur essor, elles retombent lourdement. Désormais incapables de tout travail, sans valeur pour la société, leurs sœurs plus jeunes jettent brutalement dehors ces bouches inutiles, sans reconnaissance pour les services rendus, pour leur vie usée à la peine, oubliant que ce furent là leurs nourrices. C'est pitié que de voir ces pauvres bannies se traîner misérablement sur le sol, attendant une mort lente à venir. Et combien finissent ainsi! Bien peu meurent de leur belle mort sur les rayons. Le respect des vieillards n'est pas une des vertus des Abeilles. A y bien regarder, nous ne leur en trouverions guère d'autres, hélas, que celles qui peuvent profiter à la cité. L'intérêt de cet être impersonnel et égoïste semble être la loi suprême. Le bien, comme nous l'entendons, ne s'y rencontre, que s'il se confond avec l'utile.
En été, la vie des Abeilles ne dépasse pas cinq ou six semaines. En hiver, elle peut être de plusieurs mois. Il ne paraît pas cependant, au moins dans nos climats, que les Abeilles nées en automne puissent franchir tout l'hiver et exister encore au printemps. Il m'a semblé que toutes les Abeilles du début de la saison sont des Abeilles jeunes. Les butineuses tout au moins ne passent pas l'hiver.
Outre l'élevage des jeunes et la collecte des provisions, deux fonctions accessoires sont attribuées aux ouvrières: l'aération de la ruche et la surveillance à la porte.
Pour ce qui est de la première de ces fonctions, Huber a fait des expériences desquelles il résulterait que, pour renouveler l'air dans l'intérieur de la ruche, un plus ou moins grand nombre d'Abeilles se livrent à une gymnastique fort curieuse. A certains moments, surtout alors que la rentrée du miel est abondante, on voit, à l'entrée de la ruche, des Abeilles, la tête tournée vers l'intérieur, le corps penché en avant, l'abdomen un peu relevé, se tenir immobiles, leurs ailes seules exécutant des mouvements rapides, comme pour le vol; et ce vol les emporterait, en effet, si leurs pattes fortement cramponnées ne les retenaient sur place. Elles aèrent, dit-on, la ruche, en collaboration avec d'autres Abeilles faisant la même manœuvre à l'intérieur. Il est certain qu'un courant d'air très sensible est alors produit par l'Abeille, qui projette ainsi en arrière l'air frappé par ses ailes.
Cependant, si l'on considère le soin que les Abeilles mettent à calfeutrer leur demeure, la position souvent très mal appropriée des Abeilles dites ventilateuses à la production d'un effet utile, on peut se demander si l'aération de la ruche est vraiment une nécessité aussi impérieuse qu'on l'a dit, et s'il existe réellement des Abeilles ventilateuses. Il se pourrait, que ces Abeilles qui bruissent à l'entrée de la ruche, et qui toutes sont des jeunes, loin d'exécuter une manœuvre d'utilité générale, ne fassent qu'obéir à un besoin purement personnel, tel que le développement par l'exercice des muscles du vol, et se préparent de la sorte à remplir le rôle de butineuses. Il n'est pas inutile de remarquer à ce propos, que les Mélipones et Trigones, Abeilles sociales d'Amérique, se font des nids auxquels ne donne accès qu'un couloir étroit et souvent fort long; bien plus, du soir jusqu'au matin, l'entrée de ce couloir est fermée d'un diaphragme de cire. Que devient l'aération en pareil cas? Si les Mélipones et les Trigones ont si peu souci de renouveler l'air dans leur habitation, il est bien permis de penser que l'Abeille ne s'en préoccupe pas davantage.
La garde de la porte est un fait très positif. Dans toute ruche suffisamment peuplée, on voit toujours un certain nombre d'Abeilles se tenir à l'entrée, trottiner de çà et de là, en apparence fort tranquilles, à moins d'attaque manifeste. Chaque Abeille qui se présente est flairée, palpée par ces gardiennes, et ne passe qu'après avoir satisfait à cette inquisition qui, du reste, n'est pas fort longue. Dans le cas où une agression se produit, où des Abeilles étrangères font une tentative de pillage, le nombre des sentinelles augmente aussitôt et toute l'entrée en est obstruée; l'inquiétude ou la colère de ces Abeilles sont alors manifestes, et malheur à l'intrus qui tomberait au milieu d'elles, il serait à l'instant massacré.
Les Abeilles qui montent la garde sont aussi des Abeilles jeunes; mais il faut voir en elles des ouvrières désœuvrées, encore inactives, qui viennent un instant prendre l'air du dehors, jouir un peu de la lumière, plutôt que des Abeilles chargées d'une mission définie. Elles se renouvellent à chaque instant, et leur nombre varie avec la population de la ruche; plus elle est considérable, plus il y a de promeneuses sur la porte.
Essaimage. Élevage des reines.—Une des plus importantes fonctions des ouvrières est l'élevage des mères et la préparation de l'essaimage.
Lorsque, après la grande ponte du printemps, la population est devenue considérable et se trouve à l'étroit dans la ruche, les Abeilles se disposent à essaimer et s'occupent d'élever des reines. Les cellules dans lesquelles les reines se développent sont fort différentes de celles des mâles et des ouvrières (fig. 19, a). Quant à leur situation d'abord, elles sont construites de préférence, mais non toujours cependant, au bas des rayons ou sur leur tranche latérale. Beaucoup plus volumineuses que celles des mâles, elles font librement saillie au delà du plan des orifices des autres cellules, et le défaut de compression latérale qui en résulte fait qu'elles ne sont point prismatiques. Leur forme, du reste, est modifiée continuellement par les Abeilles, tout le temps que la larve qui s'y trouve se développe. Elles apparaissent au début sous la forme d'une cupule ou d'une calotte sphéroïdale peu saillante, dont les bords s'élèvent de plus en plus, puis se rapprochent insensiblement, tout en s'élevant encore, jusqu'au moment où la larve cesse de grandir. La cellule alors a la forme d'un dé un peu recourbé, graduellement rétréci du fond à l'orifice, qui toujours est tourné en bas. Le neuvième jour, les ouvrières operculent la cellule, non à l'aide d'un simple diaphragme, mais en la prolongeant et la rétrécissant à mesure, de manière à la terminer par un dôme subconique, obtusément arrondi au sommet.
L'économie ordinaire des Abeilles n'est pas de mise pour la construction des cellules royales; leurs parois sont fort épaisses. Leur surface extérieure est rendue inégale par une multitude de fossettes, reproduisant grossièrement la forme du fond des cellules ordinaires, plus larges et mieux dessinées à la base, plus petites et de plus en plus confuses vers le bout.
La larve royale est copieusement nourrie de cette gelée limpide que nous avons vu servir à toutes les larves après leur naissance. Mais, tandis que, pour les ouvrières et les mâles, cette alimentation est bientôt remplacée par une autre plus grossière, la larve de reine n'en reçoit jamais d'autre. Grâce à cette nourriture substantielle, ses organes reproducteurs, ses ovaires prennent leur développement normal, et, corrélativement, ses organes externes acquièrent la conformation propre à la femelle parfaite.
C'est bien la nourriture, et rien que la nourriture, qui fait les reines. Une larve quelconque, destinée, par sa situation dans une petite cellule, à devenir une ouvrière, peut, au gré des Abeilles, devenir une reine. Il suffira, pour que la transformation s'opère, de lui administrer, au lieu de la vulgaire bouillie, de la gelée royale: les organes voués à un arrêt de développement fatal suivront leur évolution naturelle et complète; d'autres, par contre, ne se formeront pas, tels que les brosses et les corbeilles, et l'ouvrière, en un mot, deviendra reine. Il n'est pas indispensable que la larve à transformer soit prise à sa naissance; elle peut avoir déjà grandi et subi quelque temps, trois jours au plus, le régime de la pâtée.
La nécessité de cette transformation se présente lorsque, en dehors du temps de l'essaimage, la mère vient à mourir. La colonie serait, en pareil cas, fatalement vouée à une destruction prochaine, si les Abeilles n'avaient le pouvoir de tirer de la plèbe des ouvrières quelques œufs ou larves pour en faire des reines. Autour des élues, les cellules voisines sont sacrifiées, avec leur contenu. La cellule respectée est agrandie, transformée en cellule royale, abondamment approvisionnée de la précieuse gelée, et le miracle s'accomplit.
«Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.» L'aphorisme de Brillat-Savarin ne semble-t-il pas avoir été tout exprès fait pour les Abeilles? Nulle part, tout au moins, il n'est aussi vrai que chez elles. Cette puissance de l'alimentation, cette influence du régime sur le développement ou l'atrophie des organes qui comptent parmi les plus importants, est assurément un des faits les plus étonnants de la physiologie animale.
Qu'est-ce donc que cette gelée aux effets si merveilleux? On a longtemps cru que c'était le résultat d'une élaboration particulière faite par les Abeilles, d'un mélange de pollen et de miel. Mais le microscope n'y révèle aucune trace de la poussière fécondante des fleurs, ni la chimie aucun élément qui procède de la mixture susdite. C'est une matière azotée, de la nature des substances dites albuminoïdes, enfin un produit de sécrétion. Sans en avoir la certitude, on présume fortement que cette substance provient des glandes cervicales supérieures, qui ne se voient bien développées que chez les ouvrières jeunes, chez les nourrices, et sont au contraire atrophiées chez les butineuses.
Quand les jeunes reines sont près d'éclore, le moment de l'essaimage est venu. Plusieurs indices, auxquels l'apiculteur ne se trompe pas, ont annoncé, quelques jours à l'avance, la prochaine sortie d'un essaim: un état particulier d'agitation de la ruche, les bruyantes sorties des mâles aux heures chaudes de la journée, les Abeilles se suspendant en grappes énormes sous le tablier de la ruche, faisant la barbe, selon l'expression reçue, et produisant un fort bruissement à l'entrée.
Enfin, par une belle journée, dès neuf ou dix heures au plus tôt, jusqu'à quatre heures au plus tard, on voit tout d'un coup comme un torrent d'Abeilles s'écouler de la ruche, s'élever en tourbillonnant dans les airs, avec un bruissement intense. Le spectacle est vraiment saisissant; mais il est si prompt à se produire, que bien des apiculteurs n'ont jamais eu la chance de l'observer. Au bout de quelques minutes, ces milliers d'Abeilles, tourbillonnant toujours, se concentrent graduellement vers un endroit, ordinairement une branche d'arbre du voisinage, où on les voit toutes se ramasser, former un amas globuleux autour de la branche, puis pendre au-dessous comme une forte grappe. L'essaim est formé.
Avec toutes ces Abeilles, la vieille mère a quitté la ruche, laissant la place aux jeunes mères près d'éclore. Peu agile, ayant à traîner un ventre énorme, la reine fugitive n'est généralement portée d'un premier élan qu'à une faible distance de son ancien domicile. Le nuage que forment les Abeilles de l'essaim a pour but de ne point laisser égarer la mère. Où qu'elle se pose, toujours quelques Abeilles l'aperçoivent, l'entourent et deviennent ainsi le centre de ralliement de l'essaim.
Généralement l'essaim se bornera, pour la journée, à cette première étape, pour ne partir que le lendemain, et s'établir en un lieu déjà reconnu par des éclaireurs. Tantôt l'essaim arrive d'une traite à destination; tantôt il n'y parvient qu'après une ou deux étapes successives.
Tous les écrivains qui depuis l'antiquité jusqu'à nos jours ont parlé des Abeilles, n'ont pas manqué de recommander divers moyens pour obliger les essaims à s'arrêter dans leur essor, et à se poser dans le voisinage. «Fais retentir l'airain, dit Virgile, et frappe les bruyantes cymbales.» Moins poétiquement, de nos jours, l'apiculteur ignorant régale les Abeilles fugitives d'un affreux charivari de casseroles et de chaudrons. L'Abeille, hélas! y est insensible, et pour cause: elle n'a point d'oreilles, et n'en fait pas moins sa halte là où il lui convient, ou plutôt là où la reine s'arrête.
Nous n'entrerons pas ici-dans la description des procédés usités pour recueillir les essaims et les loger dans une ruche. Ces détails relèvent trop exclusivement de l'apiculture pratique.
A peine l'essaim est-il logé dans sa nouvelle demeure, que les Abeilles s'empressent de se mettre au travail. Dès le lendemain de son installation, on peut constater, au plafond du local, les ébauches de quelques rayons, et déjà les butineuses courent aux champs. La reine ne tarde pas à garnir d'œufs les rayons grandissants. La nouvelle colonie est en pleine activité. On peut se demander d'où les cirières, dans cette maison vide, tirent les éléments de la cire qu'elles produisent en si grande quantité. Nous avons négligé de dire que, avant le départ de l'essaim, toutes les ouvrières se sont gorgées de miel dans les magasins de l'ancienne ruche; elles partent donc le jabot plein, ayant des vivres pour quelque temps, de quoi fournir à leur nutrition et par suite à la sécrétion de la cire.
Revenons à la souche. Appauvrie par le départ de l'essaim, durant quelques jours, elle paraît morne et triste. Peu à peu cependant le nombre des Abeilles y augmente par l'apport des naissances, et, si les circonstances sont favorables, elle a bientôt repris son aspect et son animation antérieurs.
Une nouvelle reine, la première sortie de sa cellule, a succédé à l'ancienne. Si la ruche est prospère et en tel état qu'elle puisse fournir un second essaim, elle l'accompagnera comme la vieille mère pour le premier. Si la ruche ne doit pas donner d'autre essaim, les autres reines sont supprimées les unes après les autres, mais non point toutes à la fois; quelques-unes sont réservées pour remplacer, s'il y a lieu, leur aînée, exposée à se perdre, à disparaître d'une façon ou d'une autre pendant sa promenade nuptiale.
Le second essaim, dit essaim secondaire, part, en général, huit ou neuf jours après l'essaim primaire. Il se forme quelquefois un troisième essaim, bien rarement un quatrième. D'ordinaire ces essaims ne se posent point dans le voisinage du rucher qui les a fournis, les jeunes reines qui les accompagnent, plus légères que les vieilles, étant capables de parcourir de plus grandes distances sans s'arrêter.
Ouvrières pondeuses.—Nous ne pouvons passer sous silence une question aussi importante théoriquement que débattue parmi les éleveurs d'Abeilles. Il s'agit de la ponte des ouvrières. Nous savons que les ouvrières ne sont que des femelles imparfaites, des femelles dont les ovaires n'ont pas atteint leur entier développement, et qui par suite demeurent stériles. Exceptionnellement, elles seraient, dit-on, capables de pondre un certain nombre d'œufs. Seulement, l'imperfection des organes rendant chez elles toute fécondation impossible, ces œufs, conformément à la théorie connue, ne donneraient jamais que des mâles. Quelques-uns ont même été jusqu'à prétendre que la mère ne pondait que des ouvrières, des femelles, et que la ponte des mâles était exclusivement le fait des ouvrières. Les ouvrières seules, dans cette dernière opinion, seraient parthénogénésiques.
Huber ne s'est point borné à affirmer l'existence d'ouvrières pondeuses; il les aurait saisies sur le fait, aurait pu s'en rendre maître et les examiner à loisir. Sans nous appesantir sur les difficultés que présentent de telles constatations, bien qu'elles semblent n'être qu'un jeu pour l'ingénieux aveugle, nous nous bornerons à remarquer qu'on en est réduit, encore aujourd'hui, à tabler sur les observations qu'il a faites.
Quoi qu'il en soit, Huber, qui jamais n'est à court, en fait d'explications, se rend compte comme il suit de la production des Abeilles pondeuses. Tout d'abord il imagine que ces Abeilles doivent naître dans le voisinage des cellules de reines, et cela, parce que l'on conçoit que les Abeilles, en préparant la gelée royale et la servant aux larves élues ont pu en laisser tomber quelques parcelles dans les cellules voisines. De là, pour les Abeilles qui ont recueilli les miettes tombées de la table royale, la faculté qu'elles partagent avec la reine. Huber ne remarque point combien est improbable, chez des insectes dont on admire tant, et à juste titre, la dextérité, cette chute de la gelée dans les cellules voisines, cette maladresse, disons le mot, qui seule ferait les ouvrières pondeuses. Et puis, comment les nourrices pourraient-elles laisser choir des parcelles de gelée en dehors de la cellule royale, puisqu'il leur faut s'introduire dans cette cellule pour la dégorger dans le fond?
Néanmoins tous les traités d'apiculture figurent les ovaires de l'ouvrière ordinaire et ceux de l'ouvrière pondeuse (fig. 22). Ceux de la première sont tout à fait atrophiés, ceux de la seconde, plus développés, renferment quelques œufs. Huber, ayant disséqué une de ces Abeilles, compta onze œufs, qui lui «parurent prêts à être pondus». J'ai moi-même disséqué bon nombre d'Abeilles, à ce point de vue, et j'ai reconnu que, chez les vieilles butineuses, l'ovaire présente toujours cet état d'atrophie qu'on donne comme caractéristique des ouvrières ordinaires; chez les jeunes, l'ovaire se trouve en l'état que l'on figure comme étant propre aux ouvrières pondeuses. J'ai même reçu de prétendues ouvrières pondeuses, en lesquelles je n'ai reconnu, tant à leur fraîcheur extérieure qu'à l'état de leurs organes internes, que des Abeilles venant d'éclore.
L'ovaire de l'ouvrière, depuis son éclosion jusqu'à la fin de sa vie, subit une régression continue. C'est une loi générale de l'évolution des animaux, que des organes destinés à ne jamais entrer en fonction, se développent pendant un certain temps, comme s'ils devaient remplir le rôle auquel la nature semble les appeler; puis, après avoir atteint un certain degré, ne le franchissent point, et ne tardent pas à subir une atrophie progressive.
Du langage des abeilles.—Une des facultés les plus étonnantes des Abeilles et l'un des fondements les plus solides de leur état social, est la parfaite et constante harmonie qui règne dans leur société. Nulle tendance particulariste dans la ruche, nulle indépendance individuelle.
La volonté de l'un est la volonté de tous. Il existe véritablement une volonté sociale, et même, si l'on veut, une conscience sociale. Cette inaltérable unité de vues et d'actions a été diversement expliquée. On ne saurait parler aujourd'hui de volonté imposée à la colonie par un monarque qui n'a de royal que le nom. Existerait-il, d'individu à individu, une communication, un échange d'idées, à l'aide de signes particuliers? L'expérience, jusqu'ici, ne semble guère parler en faveur d'un langage entre les Abeilles. L'hypothèse la plus naturelle, selon nous, est que la similitude d'impression, chez des êtres semblablement organisés, doit forcément entraîner la similitude de leurs actes. Toute Abeille, dans une circonstance donnée, apprécie de la même façon les faits dont elle est témoin, subit les mêmes impressions et se détermine en conséquence.
Mais il existerait, chez les Abeilles, au dire des apiculteurs, une sorte de langage qui n'a rien de commun avec celui dont nous venons de parler; on a même rédigé une grammaire apicole. Hâtons-nous de dire que l'un et l'autre ne sont qu'un produit de l'imagination des éleveurs d'Abeilles. Excusons-les: on est partial pour ce qu'on aime; l'affection passionnée qu'ils portent à leurs élèves leur fait découvrir en eux une foule d'avantages, de facultés, dont la science attend en vain la preuve. Ainsi en est-il de ce prétendu langage des Abeilles, élevé à la hauteur d'un dogme par la majorité des apiculteurs, qui prétendent y puiser une foule de renseignements utiles.
On doit au pasteur Johann Stahala, de Dolein près Olmütz, le premier traité sur la matière. Prenons au hasard dans cette grammaire de l'apiculteur:
Dziiiiiiiiii-dziiiiiiiiii
est le son produit par les Abeilles, quand elles ont trop froid, et que l'on a frappé du doigt contre la paroi de la ruche;
Houououououououououou
est le triste chant de la ruche orpheline;
Ouizziir
informe l'apiculteur que les Abeilles sortent chercher de l'eau;
Tchzouou
qu'elles vont à la récolte du miel;
Houhouhouhouhouhou,
entendu le soir, en été, signifie que la récolte est très bonne;
Brrrr-brrrr,
est le cri de détresse des malheureux faux-bourdons, le jour de leur massacre;
Tu-tu-tu-tu-tu-tu,
est le chant de la jeune reine, à peine sortie de sa cellule, auquel la vieille reine répond:
Couâ, couâ, couâ, ou cououâ, cououâ, cououâ,
afin d'informer l'apiculteur qu'un essaim sortira dans deux ou trois jours.
Nous en passons et des plus drôles.
Les Insectes, on le sait, n'ont pas de voix. Le langage des Abeilles, si langage il y a, ne saurait être que le résultat des modifications du bourdonnement qui accompagne le mouvement des ailes. Le son produit par ces organes varie en hauteur et en intensité avec la vitesse et l'amplitude de leurs vibrations. En outre, l'intégrité des ailes ou le déchirement de leurs bords, leur frôlement contre les objets voisins, sur le corps même des autres Abeilles, apportent dans le bourdonnement des différences sensibles, qui n'ont rien de significatif, surtout d'intentionnel. C'est là tout ce qu'il faut penser du prétendu langage des Abeilles.
Irritabilité des Abeilles.—L'aiguillon.—Si l'Abeille est bien outillée pour le travail, elle n'est pas moins bien armée pour le combat. Nous avons décrit l'aiguillon, dont l'ouvrière est prompte à faire usage, lorsqu'on la saisit à la main, ou qu'elle se croit attaquée dans sa ruche. En dehors de ces deux circonstances, l'Abeille est le plus inoffensif, le plus timide des êtres. Loin de sa demeure, elle ne se jette jamais sur qui l'attaque; elle ne songe qu'à fuir.
Mais ce n'est jamais impunément qu'on va l'exciter chez elle, ou même, sans intention hostile, qu'on se livre devant la ruche à des mouvements brusques, qu'elle ne manque jamais de prendre pour une provocation. Une, dix, cent Abeilles, presque tout l'essaim, peuvent se jeter sur l'agresseur inconscient ou volontaire, et lui faire payer cher sa maladresse ou sa témérité. Plus d'une fois un innocent quadrupède, paissant près d'une ruche, s'est vu assaillir par toute la colonie, coupable seulement d'avoir agité la queue devant la porte de ces susceptibles mouches. Souvent un travailleur inexpérimenté, bêchant devant une ruche, se sent tout à coup criblé de piqûres, et n'échappe que par une prompte fuite aux attaques de plusieurs milliers d'Abeilles furieuses.
Nous avons vu que l'œil des Abeilles est organisé pour mieux percevoir le mouvement des objets que leur forme. L'irritabilité de ces insectes est en rapport avec cette netteté de perception d'un corps en mouvement. L'immobilité, devant la ruche, ou tout au moins la lenteur des mouvements de l'observateur, est une sauvegarde certaine. Il peut impunément approcher d'aussi près qu'il voudra, poser même la main sur le tablier, sans qu'aucune Abeille songe à s'en formaliser. Recommandation importante, ne pas porter la main sur l'Abeille qui se pose sur vous, serait-ce sur le visage. Si elle n'a point piqué en se posant, c'est qu'elle n'a aucune intention malveillante: l'Abeille irritée pique au moment même où elle aborde. Poser la main sur elle, c'est courir au-devant de la blessure, sans compter que la brusquerie du mouvement involontaire peut exciter d'autres Abeilles qui en sont témoins.
L'apiculteur, au courant de ces habitudes, sait éviter les accidents auxquels le vulgaire est exposé, si bien que les Abeilles semblent pour lui des animaux familiers, reconnaissant à qui elles ont affaire. Il n'en est rien; l'Abeille n'a aucune connaissance de la personne qu'elle voit journellement, et elle la traite comme une étrangère, dès qu'elle néglige les précautions que la pratique enseigne.
L'égalité d'humeur n'est pas une qualité des Abeilles. Tout apiculteur sait que le temps orageux les rend nerveuses et irritables au plus haut point. Ce n'est pas alors le moment de les aborder et de se livrer aux manipulations ordinaires de l'industrie apicole. Même par le beau temps, il n'est pas toujours prudent de les travailler aux heures les plus chaudes de la journée. L'apiculteur néanmoins fait usage de certain artifice qui les rend tout à fait maniables, c'est l'enfumage. Du chiffon, du vieux bois ramolli, et telles autres substances dont la combustion produit d'abondantes fumées, sont mises à brûler dans des récipients spéciaux. La ruche étant ouverte avec précaution, on projette la fumée dans son intérieur. Les Abeilles étourdies, effrayées, courent aux provisions se gorger de miel, comme si elles étaient prêtes à abandonner la ruche devant une agression irrésistible. En même temps un bruissement d'intensité croissante se fait entendre. Au bout de quelques minutes, les Abeilles stupéfiées, ne sachant que devenir, sont devenues maniables, et l'opérateur peut attaquer les gâteaux, les tourner et retourner en tous sens, en chasser les Abeilles pour les examiner à loisir, sans avoir rien à craindre. Si l'opération est un peu longue, si le bruissement paraît diminuer, une nouvelle projection de fumée sur les gâteaux calmera les Abeilles près de s'irriter. Avec un peu d'habitude et de prudence, l'apiculteur peut à son gré manipuler les Abeilles sans se servir des engins protecteurs, gants et masque, usités dans les travaux apicoles.
La piqûre de l'Abeille est assez douloureuse; les effets en persistent pendant trois à quatre jours d'ordinaire. L'inoculation de venin qui l'accompagne produit un gonflement plus ou moins prononcé et étendu des parties environnant la petite plaie. Toute la région ainsi distendue est le siège d'un prurit insupportable et douloureux au toucher. On a indiqué une foule de remèdes contre ces blessures; pas un n'est efficace. La seule chose à faire, c'est, après avoir extrait l'aiguillon, s'il est resté dans la plaie, de comprimer latéralement celle-ci, pour tâcher d'en expulser une certaine quantité de venin, avant qu'il ait eu le temps de se répandre au loin dans les tissus, et puis, attendre patiemment que la douleur et le gonflement s'évanouissent. Il n'y a de véritable danger dans ces accidents que lorsque les blessures sont nombreuses.
Abeilles pillardes.—Si laborieuse que soit l'Abeille, elle ne dédaigne pas le bien acquis sans peine, et son avidité pour le miel la pousse souvent à tenter de le dérober à autrui. Voyez cette Abeille qui rôde d'un vol saccadé autour d'une ruche; voyez-la s'approcher prudemment de l'entrée, reculer aussitôt devant les manifestations hostiles des sentinelles, revenir, s'en aller encore, revenir avec ténacité, essayant de tromper la vigilance des maîtresses du logis. A ces allures on reconnaît la pillarde. Si la porte est un instant mal gardée, elle se faufile dans la maison, s'y gorge de miel, qu'elle va aussitôt rapporter chez elle. Souvent elle est surprise en flagrant délit; saisie par une foule irritée, tiraillée par tous ses membres, elle est traînée sur le tablier, obligée de dégorger le miel dérobé, qu'une Abeille reprend trompe à trompe, exécutée enfin sans pitié. Tel est le sort de toute pillarde dans une forte ruche.
Mais quand les habitants sont peu nombreux, la porte mal gardée est à tout instant forcée par quelque maraudeuse; plus d'une succombe, mais leur nombre croissant toujours, l'invasion devient bientôt irrésistible. Des duels à mort s'engagent sur tous les points, et les Abeilles envahies finissent par succomber. La ruche alors est saccagée en toute liberté. Trois ou quatre jours durant, suivant l'importance de ses magasins, elle ne désemplit pas d'une cohue bruyante, qui la dévalise avec une folle activité. Le soir le silence revient, toutes les pillardes sont rentrées chez elles; mais au matin suivant, le tumulte reprend de plus belle, et cela continue ainsi jusqu'à ce qu'il ne reste plus que les gâteaux gaspillés, les cellules vidées.
La ruche en détresse est anéantie au profit de la cité déjà florissante, qui n'en devient que plus prospère. Telle est la loi de la lutte pour l'existence. La reine de la colonie faible périt sans descendance, celle de la colonie populeuse fera souche, et sa lignée pourra hériter de ses qualités supérieures, au grand avantage de l'espèce.
Des sentiments affectifs chez l'Abeille.—Nous avons dit l'affection, le culte dont la mère est entourée, les soins assidus, dévoués, dont le couvain est l'objet. Ce sont là, au point de vue moral, si l'on nous permet de parler ainsi, les beaux côtés de l'Abeille. Remarquons toutefois que ces qualités sont tout au profit de la société. Si la mère était indifférente aux ouvrières, si les œufs, les larves, les nymphes étaient parfois négligés, la ruche ne verrait jamais le bien-être et la prospérité. L'affection dont la mère est l'objet est même un instinct tellement enraciné, que nous le voyons persister, au détriment de la communauté, alors que la mère, inféconde ou bourdonneuse, est une cause de ruine pour la colonie. A cette exception près, les Abeilles n'ont de qualités qu'à notre point de vue moral et humain nous pouvons juger bonnes, que celles dont l'association profite, celles sans lesquelles elle ne pourrait exister.
Il en est de même pour ce que nous pourrions considérer comme leurs défectuosités morales. Comme leurs qualités, elles sont à l'avantage de la société, et c'est pour cela qu'elles existent. Faut-il rappeler les mâles expulsés, dès qu'ils ne sont plus qu'une cause de déchet pour la ruche? la vieille butineuse, usée au service de l'État, rejetée sans pitié, dès que les forces l'abandonnent? les œufs sacrifiés à la nécessité de loger une récolte surabondante? Ce n'est pas tout encore: tout individu mal venu, qu'une infirmité quelconque rend impropre au travail, est, dès sa naissance, jeté dehors. Et tous ces expulsés sont voués à la même mort, la mort lente à venir, par le froid et la faim.
Ces mœurs féroces, cette dureté vraiment spartiate montrent sous leur véritable jour l'instinct avant tout utilitaire de l'Abeille. Le bien exclusif de l'État est la loi suprême. Le sentiment ici n'a rien à faire. Qualités ou défauts, bonté morale ou cruauté, tout cela n'existe que dans nos appréciations. La nature ne voit que le résultat; pour elle, tout est bien qui mène au but: la permanence et la prospérité de l'association.
Dans ce sens, resterait encore un progrès à accomplir, l'instinct des Abeilles devenu capable de discerner dans la reine, comme il le fait dans l'ouvrière, l'aptitude ou l'incapacité physiologique, et de supprimer par suite—pour la raison d'État—la reine mal conformée, inféconde ou bourdonneuse.
Telle qu'elle est, cependant, la ruche n'en reste pas moins un objet digne de toute notre admiration, et le phénomène biologique le plus remarquable qui existe dans le monde des Insectes.
PARASITES ET ENNEMIS DE L'ABEILLE.
«Le seul ennemi réellement redoutable pour les Abeilles, dit un habile praticien que nous avons déjà cité, c'est le mauvais apiculteur, fléau, dont l'instruction peut seule débarrasser les Abeilles.» Dans beaucoup de contrées, en effet, on voit encore le paysan, obstiné dans une déplorable routine, n'avoir d'autre procédé d'extraction pour le miel et la cire, que l'étouffement des Abeilles, c'est-à-dire le sacrifice d'un certain nombre de colonies, qu'il remplace au printemps, s'il le peut, par de nouveaux essaims. Cette méthode barbare, qui d'ailleurs ne donne que des produits inférieurs, disparaîtra par la vulgarisation des procédés rationnels.
C'est la classe des Insectes, naturellement, qui fournit les principaux ennemis des Abeilles.
Au nombre des plus dangereux est la fausse teigne (fig. 23), dont il existe deux espèces, la grande ou Gallérie (Galleria mellonella Linn. ou cerella Fabr.), et la petite (Achrœa grisella Fabr.). Ce sont deux Lépidoptères nocturnes de la famille des Crambides, le premier, long d'une quinzaine de millimètres, aux ailes variées de gris et de brun, le second moitié plus petit, d'un gris cendré uniforme. Ils s'introduisent dans les ruches pour pondre sur les rayons des œufs d'où éclosent de petites chenilles fort agiles, qui, dès leur naissance, se logent dans la cire qu'elles dévorent, et où elles se font des galeries tapissées de fils de soie et souillées de leurs excréments. Quand leur nombre est considérable, il constitue un véritable fléau, la ruine même de la colonie en certains cas. Les gâteaux, criblés de galeries et soudés les uns aux autres par une multitude de fils de soie et par les cocons agglomérés, ne forment plus qu'un magma inhabitable pour les Abeilles. Bien que ces chenilles ne s'attaquent qu'à la cire et respectent le miel, celui-ci n'en est pas moins perdu, mêlé à toute sorte d'impuretés qui l'altèrent. Le meilleur moyen de se garantir de la teigne, c'est d'avoir des ruches bien closes et de fortes colonies. Dans ces conditions, les Abeilles suffisent à se débarrasser des quelques chenilles qui ont pu pénétrer chez elles. Il faut éviter aussi de tenir dans la ruche trop de gâteaux vides, que les Abeilles visitent peu, et où les Galléries peuvent dès lors s'installer en toute sécurité. La petite teigne a elle-même un parasite, qui sait la poursuivre et l'atteindre dans ses galeries. C'est un frêle hyménoptère du genre Microgaster, une sorte de moucheron noirâtre, long de 3 millimètres. Une petite tarière, dont cet animalcule est armé, lui sert à introduire dans le corps de la chenille un œuf, d'où sort un petit ver qui se nourrit de ses viscères et se file ensuite, à côté de son cadavre, un petit cocon d'un blanc éclatant. Le Microgastre détruit souvent un grand nombre de chenilles de la teigne. Mais ce qui réduit l'importance de cet allié inconscient des Abeilles, c'est la considération que les teignes ne se développent guère en nombre que dans les ruches faibles, dont la reine est peu féconde ou même bourdonneuse. L'apiculteur, en pareil cas, sait bien où est le remède, et loin de s'en reposer sur le Microgastre, il se hâtera de changer la mère et de fortifier la colonie.
Le Philanthe (Philanthus apivorus) (fig. 24) est un redoutable ennemi des Abeilles. Cet hyménoptère fouisseur, à l'aspect d'une guêpe, à l'énorme tête armée de longues mandibules en forme de faux, creuse dans les talus de profondes galeries, où il entasse des Abeilles destinées à la nourriture de ses larves. Aux mois d'août et de septembre, on peut voir le Philanthe rôder autour des fleurs visitées par les Abeilles, et, dès qu'il en aperçoit une, fondre sur elle avec une rapidité prodigieuse, la saisir et la percer plusieurs fois de son aiguillon, puis l'emporter, paralysée, dans son terrier. Trois ou quatre Abeilles sont entassées dans chaque cellule avec un œuf pondu sur l'une d'elles. Comme chaque femelle approvisionne une vingtaine de cellules, on peut imaginer ce que détruisent d'Abeilles les centaines et les milliers de Philanthes, dont les terriers se voient dans un même talus.
L'Asile (Asilus crabroniformis et autres espèces) saisit souvent les butineuses, dont il suce le sang de sa trompe aiguë enfoncée dans le cou de sa victime.
Un énorme Sphingide, l'Acherontia Atropos (fig. 25) ou Tête-de-mort, s'introduit fréquemment dans les ruches, et, sans souci de l'aiguillon des Abeilles, dont il est protégé par une forte cuirasse et une épaisse toison, se glisse jusqu'au grenier à miel, dont il peut absorber des quantités prodigieuses, jusqu'à six à sept grammes. Un grand émoi règne dans la ruche où a pénétré cet intrus, qui parfois périt victime de sa gourmandise, et se gorge au point de ne pouvoir ressortir par l'orifice qui lui a livré passage. Un apiculteur digne de foi nous a affirmé avoir trouvé une fois douze de ces papillons dans une seule ruche. Les Abeilles se mettent souvent à l'abri des visites de l'Atropos, en édifiant à l'entrée de la ruche de petites colonnettes de cire propolisée, dont les intervalles sont juste suffisants pour les laisser passer elles-mêmes, mais arrêtent le papillon. L'apiculteur zélé fait bien de ne pas compter sur ses élèves, et rétrécit lui-même l'entrée à l'aide de petits clous équidistants, bien supérieurs aux colonnettes de cire.
Un autre amateur de miel, une grosse Cétoine (Cetonia Cardui) (fig. 26) s'introduit aussi dans les ruches, en certains pays, et peut, quand il est en nombre, y occasionner de sérieux dommages. Mieux encore que la Tête-de-mort, ce coléoptère est mis à l'abri des piqûres par une dure cuirasse.
Les traités d'apiculture signalent vaguement les larves de Méloés (fig. 27) comme nuisibles aux Abeilles. On a pu longtemps croire que l'accusation était mal fondée, car ce que l'on sait des habitudes des Méloïdes[7] ne permettait guère de croire qu'ils pussent se développer dans les ruches, et en effet on ne les trouve jamais dans les rayons, subissant la série compliquée de leurs métamorphoses. Mais on sait maintenant, depuis les observations d'Assmuss[8], auteur d'un intéressant mémoire sur les parasites de l'Abeille, que c'est autrement qu'ils lui sont nuisibles. Les jeunes larves de Méloé sont prises par la butineuse sur les fleurs; elles se cramponnent à ses poils, courent sur son corps, s'attachent à ses articulations, y insinuent leur tête et deviennent la cause d'une excitation d'autant plus vive qu'elle dure depuis plus longtemps et qu'elle est causée par un plus grand nombre de ces animalcules. Elle devient souvent intolérable, au point que l'Abeille énervée, à bout de résistance, périt dans les convulsions. C'est ce que l'on a appelé la rage. Un apiculteur a perdu ainsi, dans vingt-trois ruches, la moitié des ouvrières et neuf reines. Ces petites larves, en effet, une fois introduites dans la ruche par les butineuses, passent d'une Abeille à l'autre, et peuvent ainsi s'attacher à la reine. On ne saurait indiquer aucun remède contre de pareils désastres. Ils sont heureusement rares. Comme mesure préventive, d'efficacité bien douteuse, il est toujours bon de détruire les Méloés adultes que l'on rencontre, chaque femelle tuée représentant environ 5000 œufs supprimés.
Nous ne parlerons point, même pour mémoire, de quelques autres insectes qu'on peut, de loin en loin, trouver dans les ruches et vivant aux dépens des Abeilles, non plus que de quelques helminthes, qui parfois se développent dans leurs viscères. C'est à peine si nous devrions aussi mentionner les araignées, qui ne sont pas plus particulièrement nuisibles aux Abeilles qu'à tout autre insecte volant. Elles font cependant de nombreuses captures, quand leurs toiles sont tendues non loin des ruches, sur le passage des butineuses. L'apiculteur aura toujours avantage à faire disparaître ces filandières.
Nous consacrerons quelques lignes, vu son étrangeté, à un parasite, dont a longtemps ignoré les véritables rapports avec l'Abeille, le Braula cœca, connu des apiculteurs sous le nom de pou des Abeilles (fig. 23, e).
C'est un petit Diptère, dépourvu d'ailes, privé d'yeux, de couleur brune, long de 1mm,5. Cet animalcule se tient sur le corselet ou sur la tête de l'Abeille, cramponné solidement à ses poils, à l'aide de quadruples crochets terminant chacune de ses pattes. Il se meut avec une agilité surprenante sur le corps velu de l'Abeille, et c'est merveille que de voir la dextérité de ce petit être dénué de vue, la facilité avec laquelle il déjoue les efforts que l'on fait pour le séparer de son hôte, sa déconvenue stupide quand on y a réussi, sa promptitude à regrimper sur son véhicule, dès qu'il a senti le contact du moindre poil de l'Abeille.
«Ayant pris un jour une Abeille portant un de ces poux, je lui serrai un peu fortement la tête entre les mors d'une pince, afin de la rendre immobile et m'emparer aisément du petit parasite. L'un et l'autre, portés sur ma table de travail, y furent abandonnés quelque temps sous une cloche de verre.
«Quand je revins à eux, je ne fus pas peu intrigué de voir le petit parasite dans la plus vive et la plus bizarre agitation. Campé sur le devant de la tête de l'Abeille, il se démenait avec une incroyable vivacité et comme en proie à une véritable fureur. Tantôt il se portait sur le bord libre du chaperon, et, de ses pattes antérieures relevées, il frappait et grattait, aussi rudement que sa faiblesse le comportait, la base du labre de l'Abeille; puis il reculait brusquement vers l'insertion des antennes, pour reprendre aussitôt son impétueuse agression. J'étais encore tout entier à la surprise du premier instant, quand je vis subitement toute cette colère calmée, et le petit animal, appliqué contre le rebord du chaperon, la tête baissée sur la bouche légèrement frémissante de l'Abeille, y humer une gouttelette liquide.
«Je compris aussitôt. La manœuvre dont j'avais été témoin tout d'abord était le préliminaire du repas. Quand le pou veut manger, il se porte vers la bouche de l'Abeille, où l'agitation de ses pattes munies d'ongles crochus produit une titillation désagréable peut-être, tout au moins une excitation des organes buccaux, qui se déploient un peu au dehors et dégorgent une gouttelette de miel, que le pou vient lécher et absorber aussitôt.» (J. Pérez, Notes d'apiculture.)
Pour en finir avec les animaux articulés, citons le Trichodactyle, acarien qui souvent pullule dans les vieilles ruches, vermine plus désagréable que vraiment nuisible à ses habitants (fig. 23, f).
Parmi les animaux vertébrés, on a signalé le crapaud, le lézard, comme se rendant quelquefois coupables de happer une Abeille. Cela est bien possible; mais le cas doit être si rare, que nous ne pouvons que nous montrer très indulgents pour ces débonnaires créatures.
En revanche la fouine, le blaireau, la souris, la musaraigne mériteraient toute notre sévérité si, comme on l'affirme, ces animaux pénètrent, pendant l'hiver, dans les ruches rustiques, pour dévorer rayons, miel et Abeilles. De bonnes ruches bien construites défieraient ces dévastateurs.
Plus d'un oiseau est accusé de capturer au vol les Abeilles, et même, ce qui est plus audacieux, d'aller, comme la mésange, faire tapage à leur porte, en hiver, pour les attirer sur le seuil et s'en repaître. N'y a-t-il pas quelque exagération en tout cela? Mais il est un oiseau, chasseur né des Abeilles et des guêpes, qui fait d'elles une énorme consommation. C'est le Guêpier, ou Abeillerolle (Merops apiaster), bien connu dans les contrées méridionales, détesté des apiculteurs, qui lui font une guerre opiniâtre, comme celle qu'il fait lui-même à leurs élèves. Le guêpier a l'habitude de se poser à quelque distance d'une ruche ou d'un nid de guêpes, et de happer au passage les butineuses qui rentrent ou qui sortent. Telle est son assiduité et sa persistance, que de quelques jours il ne quitte son poste d'observation, jusqu'à ce qu'il ait réduit à rien ou à peu près la légion des butineuses.
EXTENSION GÉOGRAPHIQUE DE L'ABEILLE DOMESTIQUE.—SES PRINCIPALES RACES.—AUTRES ESPÈCES DU GENRE APIS.
L'Apis mellifica est répandue dans toute l'Europe, dans le nord de l'Afrique et une partie de l'Asie occidentale. Dans cette vaste étendue de territoire, les effets du climat ont dû naturellement se faire sentir sur l'espèce, et y déterminer la formation de plusieurs races plus ou moins caractérisées.
La plus anciennement connue de ces races est l'Apis ligustica, ou Abeille italienne, qui diffère à première vue de l'Abeille ordinaire par la coloration jaune orangé de ses deux premiers segments abdominaux et de la base du troisième, et sa villosité moins sombre. C'est une Abeille de très belle apparence, et c'est là sans doute, plus que ses qualités, qu'on s'est plu à exagérer, ce qui lui a valu l'engouement dont elle a été et est encore l'objet de la part des apiculteurs.
On l'a dite plus active, d'humeur plus douce, surtout plus productive. Une assez longue expérience ne nous a pas montré qu'elle fût plus maniable que l'Abeille commune; l'une et l'autre se comportent de même dans les mêmes circonstances. Quant à la supériorité de ses produits en quantité et en qualité, on trouve des affirmations, et rien de plus. Jamais expérience comparative précise n'a été produite à cet égard.
Cette supériorité gratuitement admise, quelques apiculteurs ont prétendu l'expliquer par une capacité plus grande du jabot, chez l'Abeille italienne, et une langue plus longue. Cette Abeille non seulement pourrait atteindre le nectar de fleurs plus profondes, mais encore en transporter à la ruche une masse plus considérable. Mais si l'on cherche la preuve de ces allégations, on ne la trouve nulle part. Jamais apiculteur, et pour cause, n'a jaugé les jabots des deux Abeilles; on n'a même pas, ce qui était facile, mesuré comparativement leurs langues. Cette dernière mesure, nous l'avons faite, et nous avons trouvé une longueur de 3mm,65 pour la languette, et une longueur de 5mm,75 pour la lèvre inférieure tout entière, dans les deux races.
Les apiculteurs voudront-ils enfin avouer que ce qui leur plaît dans l'Abeille italienne c'est surtout sa beauté?
L'Apis fasciata, cultivée dès l'antiquité la plus reculée en Égypte, ressemble beaucoup à l'Abeille italienne, dont elle a les segments jaunes, avec une villosité plus claire et une taille plus petite.
On a, dans ces derniers temps, essayé d'acclimater dans l'Europe occidentale diverses races venues de l'Orient, telles que l'Abeille syrienne, l'Abeille chypriote, qui, par leurs caractères extérieurs, tiennent plus ou moins de l'Abeille italienne ou de la noire, et qu'aucune qualité remarquable ne distingue de l'Abeille commune. Ajoutons-y l'A. Cecropia, de la Grèce, dans laquelle certains veulent voir la souche de toutes les races domestiques.
La Barbarie possède une Abeille plus voisine de la nôtre que de celle d'Égypte. Elle est toute noire, plus petite, et sait, dit-on, trouver du miel en des temps de sécheresse où notre Abeille ne trouve rien à récolter. Il ne paraît pas qu'elle s'acclimate aisément dans nos contrées. Elle est l'objet, en Kabylie, de tous les soins des indigènes, qui en tirent des quantités considérables de miel et de cire.
L'Abeille européenne a été transportée en Amérique, où elle tend à se modifier diversement, suivant les climats, aussi bien dans ses habitudes que dans ses caractères extérieurs. Au Brésil, où la flore est exubérante, elle essaime à outrance et fait peu de provisions. Aussi est-elle en maint endroit redevenue sauvage, et trouve-t-on fréquemment ses colonies dans les bois. Au Chili, elle paraît donner, sans aucuns soins, des ruches garnies de miel toute l'année, et l'heureux apiculteur n'y a d'autre occupation que la récolte. Aux États-Unis, la culture de notre Abeille est devenue une industrie florissante, dont les produits, depuis quelques années, inondent nos contrées. Plus de 20 millions de miel sont annuellement exportés d'Amérique.
Enfin, l'Apis mellifica est, depuis 1862, installée en Australie, à la Nouvelle-Zélande. Faite pour exploiter des flores peu riches, ou même très pauvres, notre Abeille prospère étonnamment dans toutes les contrées où l'abondance et la variété des fleurs lui fournissent de riches moissons. Elle y lutte avec avantage contre les Abeilles indigènes, Mélipones et Trigones. C'est le cas pour l'Australie particulièrement, où l'Abeille d'Europe est en train d'évincer celle du pays, dépourvue d'aiguillon. Dans notre colonie de la Nouvelle-Calédonie, la culture de l'Abeille est peu développée, non que le climat ne lui soit très favorable, mais le miel qu'elle retire d'une plante fort répandue, le Melaleuca viridiflora, vulgairement appelé Niaouli, est d'un goût trop désagréable pour être recherché. Dans l'île des Pins, où cet arbre n'existe pas, les missionnaires obtiennent un miel abondant et exquis.
Le genre Apis est exclusivement propre à l'ancien continent. Outre l'A. mellifica et ses nombreuses variétés, dont nous avons énuméré quelques-unes, ce genre y offre plusieurs espèces, dont le nombre est destiné à s'augmenter sans doute.
L'Afrique en compte plusieurs. La mieux connue est l'A. Adansonii, semblable d'aspect à l'A. Ligustica, mais plus petite, cultivée au Sénégal dans des ruches que les indigènes suspendent aux branches, pour les mettre à l'abri des lézards, et qu'ils exploitent par l'étouffement. La ruche vidée, remise en place, ne tarde pas à être réoccupée par un essaim.—Citons encore, parmi les Abeilles africaines: les A. Caffra et scutellata, de la Cafrerie, l'A. Nigritarum, du Congo, qui toutes rappellent plus ou moins l'Abeille italienne; enfin l'A. unicolor, toute noire, à abdomen glabre, luisant, sans bandes d'aucune sorte. Cette dernière est cultivée à Madagascar, à Bourbon, à Maurice, aux Canaries. Elle donne souvent, dans la première de ces îles, un miel verdâtre, fluide, médiocre de qualité, parfois nuisible, quand elle a butiné sur les Euphorbes.
La Chine nourrit une jolie Abeille, qui se rencontre aussi dans l'Inde, l'A. socialis, à l'abdomen presque glabre, les trois premiers segments et la base des suivants jaunâtres, avec d'étroites bandes de poils gris. L'A. Indica, de l'Inde et des îles de la Sonde, qui lui ressemble beaucoup, n'en est peut-être qu'une petite variété. Ces Abeilles et quelques autres sont, de la part des Indous, l'objet d'une culture dont les particularités sont encore mal connues.
L'Apis floralis Fabr. est une jolie petite Abeille, voisine de l'A. Indica, qui a été observée par un voyageur anglais, Charles Horne. L'ouvrière de cette espèce ne mesure que 7 millimètres, la reine 13 à 14, le mâle, qui seul est entièrement noir, de 11 à 12. Elle niche dans les jardins et suspend ordinairement aux branches des orangers et des citronniers de petits gâteaux en forme de disques arrondis. Le miel en est très apprécié, et jouit, au dire des gens du pays, de propriétés médicinales.
Une mention particulière est à faire d'une grande et belle Abeille indienne, l'A. dorsata, qui habite aussi les îles de la Sonde. Elle a le corselet et la tête revêtus en dessus de poils noirs, l'abdomen jaunâtre, brun seulement vers l'extrémité. Elle est sensiblement plus grande que notre Abeille domestique. Ch. Horne, qui l'a observée, nous dit qu'elle est domestiquée dans l'Himalaya, où elle est logée, en général, dans des ruches faites de tronçons de bois creusés, et placées dans l'intérieur des habitations. Cette Abeille est très productive en miel et cire, qui sont l'objet de grandes transactions. A l'état sauvage, elle est très irritable et très redoutée des habitants du pays.
Comme notre Abeille domestique, l'A. dorsata a parfois beaucoup à souffrir des ravages occasionnés dans ses rayons par une Gallérie, la Mellolella. Une sorte de guêpier, le Merops viridis, la décime. Elle est encore impuissante à se défendre des graves déprédations d'un oiseau de proie, la Buse mellivore (Pernis cristata), qui s'introduit violemment dans ses ruches, emporte dans ses serres une grande masse de gâteaux, et, sans souci des abeilles qui l'entourent et essayent de le frapper de leurs aiguillons, s'en va sur une branche voisine dévorer tranquillement son butin.
Citons encore l'Apis zonata Smith, la plus grande des espèces connues, car l'ouvrière égale la taille de nos reines. Son corps est tout noir, avec quelques poils roussâtres tout autour du corselet et de belles bandes d'un blanc de neige à la base des segments. On ne connaît pas les habitudes de cette Abeille.
Au Japon, l'apiculture est fort en honneur. Les Abeilles y sont logées dans des ruches faites de planchettes. Pour les garnir, les Japonais portent dans la campagne, non loin des nids des Abeilles sauvages, des corbeilles de paille contenant du sucre. Les essaims, alléchés par cet appât, s'introduisent dans les corbeilles, et sont ensuite transvasés dans des ruches préparées d'avance.
LES BOURDONS.
Qui ne connaît ces gros hyménoptères velus, au bourdonnement puissant et grave, qu'on voit, dès les premiers beaux jours, voler un peu lourdement d'une fleur à une autre? De longs poils sur un corps trapu, une grosse tête tendue vers le bas, leur font une physionomie tout à fait caractéristique dans la grande famille des Abeilles (fig. 28).
S'ils n'ont rien d'élégant dans leurs formes, ni de gracieux dans leurs allures, les Bourdons sont néanmoins de beaux insectes. Leur vêtement est d'ordinaire bandé de jaune, de blanc, de roux, sur un fond noir; quelques-uns sont d'une couleur fauve ou rousse uniforme. Rien de moins constant, d'ailleurs, que cette parure; on la voit, dans une même espèce, se jouer en une multitude de variations, passant les unes aux autres par d'innombrables nuances. Aussi n'est-il point rare que des espèces fort différentes arrivent, par le caprice de leurs variations, à se ressembler tellement par leurs couleurs, qu'un œil exercé peut seul les distinguer. Tel Bourdon noir, cerclé de jaune et de blanc, est frère d'un Bourdon jaunâtre avec une bande noire entre les ailes. Un autre, qu'on croirait du même nid que le dernier, se rattache à un type tout noir, roux seulement à l'arrière. Toutes ces modifications, dont les causes d'ailleurs nous échappent, sont par elles-mêmes d'un grand intérêt, et font d'une collection un peu riche de ces hyménoptères une des plus belles qu'on puisse réunir.
Les Bourdons sont très proches parents des Abeilles domestiques. Ils ont, à très peu près, la même organisation et les mêmes habitudes. Les sociétés qu'ils forment sont faites sur le même patron: une reine ou mère, des ouvrières et des mâles. Mais ces sociétés sont annuelles et non permanentes. Et ce n'est pas la seule différence qu'elles présentent.
Ainsi, chez l'Abeille, la mère est exclusivement occupée de la ponte; elle ne bâtit ni ne récolte, n'a aucun soin de sa progéniture. Chez le Bourdon, la reine n'est pas seulement la mère de toute la colonie, elle est aussi la fondatrice de la cité. C'est elle qui commença l'édification du nid, qui l'approvisionna au début, éleva les premiers-nés. Aussi, tandis que l'Abeille reine est dénuée de tout instrument de travail, de corbeilles et de brosses, de glandes à cire, la femelle Bourdon possède tous ces organes. Elle ne diffère extérieurement de l'ouvrière que par la taille.
Il y a même plus. Toutes les Abeilles ouvrières sont semblables entre elles. Il n'en est point ainsi chez les Bourdons. Comme cela se voit dans les sociétés de Fourmis, leurs ouvrières varient beaucoup de taille et de force: les unes sont d'une petitesse extrême, tandis que d'autres égalent presque la taille de la mère. Elles partagent même avec celle-ci la faculté de pondre, quoique avec une fécondité moindre; aussi désigne-t-on souvent les plus grosses des ouvrières sous le nom de petites reines ou petites femelles.
Ajoutons encore que les sociétés de Bourdons sont peu populeuses, et ne dépassent pas quelques centaines d'individus. Nous sommes loin des 40 ou 50 000 habitants que peut compter la cité des Abeilles.
Les Bourdons, comme les Abeilles, récoltent du miel et du pollen. La cueillette, opérée par les mêmes organes, se fait par les mêmes procédés. Tout aussi actif, mais moins agile peut-être que l'Abeille, le Bourdon compense cette infériorité par la masse de provisions qu'il peut porter en une fois. Ses corbeilles peuvent se charger d'énormes pelotes. Comme l'Abeille, il pétrit le pollen avec du miel à mesure qu'il le récolte.
Pour bien connaître ce qu'est une famille de Bourdons, il nous faut assister à sa naissance, suivre ses accroissements, voir son déclin et sa ruine.
La femelle de Bourdon, fécondée en automne ou à la fin de l'été, se réveille avec le printemps de son sommeil hivernal, butine avec ardeur sur les premières fleurs écloses, et se met à la recherche d'un lieu convenable pour y installer un nid. C'est généralement en mars, dans nos climats, que la plupart des espèces commencent à se montrer, ou même dès la fin de février, dans le midi de la France. Toutes les espèces ne sont pas également précoces. Le Bourdon des prés (Bombus pratorum) est de tous le plus hâtif. On le voit butiner sur les chatons des saules, bien des semaines avant l'apparition des Bourdons des bois (B. sylvarum), des champs (B. agrorum), des pierres (B. lapidarius), etc.
L'emplacement choisi pour le nid est tantôt un trou dans la terre, tel que le logis abandonné de quelque souris des champs, ou, sur le sol même, un endroit caché dans un buisson, au milieu de la mousse et des herbes. En général, une même espèce est fidèle à son genre de nid. Celui du Bourdon terrestre (B. terrestris), par exemple, est souterrain; celui du Bourdon des bois est aérien. Rien d'absolu, du reste; on cite même à ce sujet des choix tout à fait fantaisistes. «Ainsi un Bourdon, d'après le D^r W. Bell, avait pris possession du nid d'un rouge-gorge; une femelle du B. agrorum, selon F. Smith, s'était installée dans celui d'un roitelet. Schenck trouva un nid de B. sylvarum au haut d'un pin, dans le gîte abandonné d'un écureuil; M. Schmiedeknecht en a rencontré un dans celui d'une linotte. Mais le cas le plus extraordinaire est celui que le D^r E. Hoffer observa à Boyanko, en Ukraine, dans le grenier d'une maison de paysan. Un vieux vêtement de fourrure en loques avait été jeté dans un coin. Un jour que la maîtresse de la maison voulut ramasser la vieille nippe, elle dut s'empresser de fuir devant la multitude d'habitants armés d'aiguillons qui y avaient élu domicile.
Quand la femelle a trouvé un local à sa convenance, elle l'approprie, s'il y a lieu, le déblaye, le nettoie, puis y apporte de la mousse, des brins de fétus, etc. C'est sur ce fondement que reposera l'édifice, abrité par le sol même, s'il est souterrain, ou par une toiture faite de chaume, de mousse et de menus débris, s'il est bâti sur le sol. En tout cas, un chemin couvert, assez étroit, fait de mousse et dont la longueur peut atteindre un pied, conduit à la cavité arrondie ou ovalaire qui sert d'habitation (fig. 29).
On n'a pas assisté à la formation de cette enveloppe générale, faite de mousse et de brindilles, à l'intérieur de laquelle s'édifieront les gâteaux. Réaumur a fait connaître le procédé qu'emploient les Bourdons, sinon pour bâtir une première fois leur maison, du moins pour la refaire ou en réparer les dégâts. S'il faut en croire notre célèbre naturaliste, les Bourdons subiraient tous les dommages, sans jamais songer à défendre leur demeure, ni tourner leur colère contre celui qui vient les tourmenter. «Ils en ont toujours usé au mieux avec moi, dit-il; il n'y en a jamais eu un seul qui m'ait piqué, quoique j'aie mis sens dessus dessous des centaines de nids.
«Dès qu'on cesse de les inquiéter, ajoute Réaumur, ils songent à recouvrir leur nid, et n'attendent pas même, pour se mettre à l'ouvrage, que celui qui a fait le désordre se soit éloigné. Si la mousse du dessus a été jetée assez près du pied du nid..., bientôt ils s'occupent à la remettre dans sa première place.... La façon dont les Bourdons ont été instruits à faire parvenir sur leur nid la mousse qu'ils y veulent placer, est la suivante:
«Considérons-en un seul occupé à ce travail; il est posé à terre sur ses jambes, à quelque distance du nid, sa tête directement tournée du côté opposé. Avec ses dents, il prend un petit paquet de brins de mousse; les jambes de la première paire se présentent bientôt pour aider aux dents à séparer les brins les uns des autres, à les éparpiller, à les charpir, pour ainsi dire; elles s'en chargent ensuite pour les faire tomber sous le corps; là, les deux jambes de la seconde paire viennent s'en emparer, et les poussent plus près du derrière. Enfin les jambes de la dernière paire saisissent ces brins de mousse, et les conduisent par delà le derrière, aussi loin qu'elles les peuvent faire aller.
«Après que la manœuvre que nous venons d'expliquer a été répétée un grand nombre de fois, il s'est formé un petit tas de mousse derrière le Bourdon. Un autre Bourdon, ou le même, répète sur ce petit tas une manœuvre semblable à celle par laquelle il a été formé; par cette seconde manœuvre, le tas est conduit une fois plus loin. C'est ainsi que de petits tas de mousse sont poussés jusqu'au nid, et qu'ils sont montés jusqu'à sa partie la plus élevée.» Les Bourdons ainsi occupés forment de la sorte une chaîne plus ou moins longue, où ils sont tous la tête tournée du côté où est la mousse à recueillir, le derrière tourné du côté du nid. Arrivée au lieu où elle doit être employée, un ou plusieurs Bourdons la disposent où il est convenable, à l'aide des mandibules et des pattes antérieures.»
Une couche de mousse épaisse d'un à deux pouces forme au nid une enveloppe chaude et légère, suffisante pour le mettre à l'abri des pluies ordinaires. Quand elle a subi quelque dérangement, les Bourdons la réparent comme il vient d'être dit, en prenant les matériaux dans le voisinage. Jamais ils ne vont en chercher au loin; jamais on ne les voit venir en volant, chargés du plus léger brin de plante. Ils économisent de leur mieux la mousse qu'ils ont à portée; et, à la dernière extrémité, ils se résignent à employer pour leur couvert celle qui forme le conduit menant du dehors à l'intérieur du nid.
Les travaux extérieurs achevés, le travail essentiel, la construction du nid proprement dit commence. Personne, malheureusement, n'en a vu poser la première pierre, c'est-à-dire la première lamelle de cire, personne n'a vu former la première cellule. Le D^r E. Hoffer, qui a plus de quarante fois été témoin de la ponte, ne l'a jamais observée que dans des cas où la mère était déjà entourée de plusieurs ouvrières. Nous ne pouvons mieux faire que d'emprunter les détails qui suivent à cet habile observateur[9].
Quand le moment décisif est venu, la femelle, en grande agitation, court deçà et delà sur les gâteaux, paraissant chercher un lieu convenable pour déposer ses œufs. Elle se décide enfin. Elle détache alors, avec ses pattes postérieures, de ses segments moyens, un peu de cire qu'elle saisit avec ses mandibules, et dont elle façonne un petit parapet annulaire, qu'elle exhausse de plus en plus, jusqu'à la hauteur de quelques millimètres.
Elle abandonne alors la cellule qu'elle vient d'élever et s'en va prendre, dans une coque vide de son habitant, un peu de pâtée pollinique, qu'elle manipule longtemps dans sa bouche, la mêle à une certaine quantité de miel, et l'étend avec soin et longuement sur la paroi interne de la cellule. Elle retourne encore chercher une seconde provision de pollen, qu'elle façonne de même, et cela se répète un certain nombre de fois.
Elle essaye ensuite d'introduire son abdomen dans la cellule, ce qu'elle fait aisément d'ordinaire. Mais quelquefois le bord en est trop étroit; elle l'élargit alors en rongeant le bord intérieur. Embrassant ensuite la cellule entre ses pattes postérieures et y prenant appui, elle introduit avec effort l'extrémité de son abdomen, fixe son aiguillon contre la paroi ou le fond de la cellule, réussit ainsi à faire ouvrir largement l'anus, et un certain nombre d'œufs, trois au moins, dix ou douze au plus, tombent dans la cellule. Ces œufs sont d'un beau blanc, et on les voit briller au fond de la cellule. Ils sont allongés, rétrécis à un bout et assez volumineux, eu égard à la taille de l'insecte.
La ponte achevée, la femelle retire aussitôt l'abdomen de la cellule, et se met à tourner vivement tout autour, donnant la chasse aux ouvrières et aux autres femelles qui se pressent vers l'orifice, et elle travaille entre-temps à fermer la cellule avec de la cire, que, dans ce but, elle tenait déjà toute prête pendant qu'elle pondait, et aussi avec de la cire empruntée au bord même de la cellule. Si les importuns s'avancent trop, elle n'hésite pas à faire un exemple; elle saisit le plus audacieux ou le plus proche avec sa bouche et ses pattes, et, après s'être un instant colletée avec lui, tous deux dégringolent par-dessus les autres Bourdons et tombent à terre. La femelle laisse là le coupable, rudement châtié par de cruelles morsures, et remonte promptement à sa cellule, pour la protéger contre les attaques des autres. Trop tard le plus souvent, car les plus prompts à profiter de son absence l'ont déjà crevée et ont dérobé quelques œufs pour les dévorer.
La correction n'est jamais infligée qu'à coups de dents et de pattes. Le coupable n'essaye point de se défendre; il tâche seulement de se soustraire au châtiment par la fuite. Il est pourtant assez rude, et la pauvre bête n'en sort d'ordinaire que fort maltraitée, parfois même mortellement atteinte. E. Hoffer a vu une fois une petite femelle, qui avait jeté un regard de convoitise sur les œufs, sortir si cruellement mordue de la bourrade que lui donna la reine furieuse, qu'elle traînait en se sauvant une de ses pattes postérieures, et elle la perdit par la suite. Elle vécut néanmoins quelques jours, vaquant à ses travaux ordinaires. Une autre fois, une ouvrière reçut au cou une telle morsure, qu'elle eut seulement la force de se réfugier dans un coin, où elle ne tarda pas à mourir.
Quelquefois cependant il arrive que la reine elle-même ne sort pas indemne du combat. L'observateur vit un jour la femelle, déjà vieille et assez pelée, il est vrai, lâcher tout d'un coup une petite femelle qu'elle avait saisie. Paralysée sans doute par un coup d'aiguillon, elle vécut encore une vingtaine d'heures, inerte, en butte aux mauvais traitements des petites femelles, qui la mordaient, la tiraillaient sans cesse par les pattes et par les ailes. «Ces Bourdons si placides et si débonnaires d'habitude, ajoute Hoffer, m'ont toujours paru féroces et brutaux pendant la ponte; et si la femelle vient alors à mourir, son cadavre n'est point ménagé; petites femelles et ouvrières se jettent dessus, le mordillent aux ailes, aux pattes, aux antennes, et font de vains efforts pour mettre dehors la gigantesque morte.»
Quand la pondeuse, après de semblables incidents, est heureusement parvenue à retrouver sa cellule, elle étale encore à plusieurs reprises sur l'opercule de la cire prise aux bords. Elle va ensuite chercher d'autre pollen avec du miel, qu'elle colle sur la cellule, retourne en chercher de nouveau, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'elle trouve la provision suffisante. Elle rouvre alors la cellule, y pond encore quelques œufs, toujours moins cependant que la première fois, et les choses se passent encore comme on l'a déjà vu, avec les mêmes tracasseries de la part des ouvrières et des femelles. Suivant l'espèce et autres circonstances d'époque, de température et d'abondance de provisions, cette ponte se répète plus ou moins souvent, au point qu'une cellule peut contenir jusqu'à vingt-quatre œufs, mais rarement pourtant plus du tiers de ce nombre.
La ponte terminée, la femelle reste là plusieurs heures sur la cellule. Elle y apporte de la pâtée; elle en ronge et polit les aspérités. Souvent même elle se pose, le ventre appliqué dessus, comme si elle couvait.
Les agressions des autres Bourdons deviennent de plus en plus rares, et cessent enfin tout à fait. Et ces mêmes petites bêtes, qui tout à l'heure se jetaient avidement sur les œufs frais pondus pour s'en repaître, deviennent maintenant les gardiennes attentives, les nourrices dévouées de leurs sœurs; elles les réchauffent et pourvoient avec une tendre sollicitude à leur alimentation.
Mais ce retour à de meilleurs sentiments ne peut nous faire oublier la sauvagerie de l'instinct qui les a un instant emportées. C'est là un des traits de mœurs les plus étonnants parmi ceux que nous devons aux observations de Hoffer, et un des plus inexplicables que présente la biologie des Bourdons. Que la pondeuse défende énergiquement sa progéniture, le fait est si ordinaire, si banal, qu'il ne peut nous surprendre. En tant qu'instinct acquis, il est la conséquence naturelle du cannibalisme momentané des ouvrières. Depuis longtemps la gent bourdonnière aurait disparu, si la mère indifférente abandonnait ses œufs à la voracité de ses premiers-nés. Mais pourquoi cet instinct fratricide, cette folie passagère, qui interrompt un instant et ternit en quelque sorte l'honnête vie du Bourdon? Nous voyons bien quelquefois, chez l'Abeille domestique, les ouvrières détruire et sans doute aussi dévorer des œufs. Mais cela n'arrive qu'à l'époque où le miel est abondant dans les fleurs, où le souci d'emmagasiner le plus de provisions possible oblige à sacrifier ces objets d'une si tendre sollicitude en toute autre circonstance. Les coupables, ici, n'ont pas une telle excuse. Nous sommes bel et bien en présence d'une gloutonnerie manifeste. L'œuf qui vient d'être pondu est sans doute un manger délicat, d'où s'exhale un fumet irrésistible. C'est peut-être là tout ce qu'il faut voir en la chose, une imperfection de l'instinct social, que la sélection n'est point parvenue à corriger. Quant à la nécessité d'une restriction à apporter à la trop grande multiplication dans la colonie, on ne peut s'y arrêter un instant. Ici, comme chez les Abeilles, comme ailleurs, une forte population c'est la richesse, c'est la puissance. Et si la nature voulait en modérer l'accroissement, sans parler des parasites, elle avait un moyen plus simple, moins féroce: celui de restreindre la ponte, de diminuer le nombre des œufs dans les ovaires de la pondeuse.
Ce n'est pas tout. A supposer la diminution des œufs avantageuse, ce qui pourrait légitimer en quelque sorte l'instinct fratricide des ouvrières, à quoi bon alors, chez la mère, l'instinct qui la pousse à défendre sa ponte, instinct dont l'effet est tout l'opposé du premier? Pourquoi deux instincts, non seulement contraires, mais même contradictoires? Et si l'on accepte que la voracité des ouvrières exige un correctif, que l'instinct maternel de la femelle soit dès lors utile à l'espèce, il faut convenir que son adaptation est bien défectueuse. Mieux vaudrait que la mère, moins emportée, ne quittât pas un instant la cellule et n'en vînt pas aux voies de fait avec les agresseurs. Pas un œuf ne serait perdu, et les malintentionnés en seraient pour leur convoitise non satisfaite. Comment débrouiller un tel chaos? Nous y renonçons pour ce qui nous concerne. On s'abuse, croyons-nous, à vouloir chercher partout et quand même la perfection dans la nature. Reconnaissons que tout n'est pas pour le mieux dans le monde des Bourdons, pas plus que dans les autres.
Quatre ou cinq jours après la ponte, les œufs éclosent. Il en sort de petites larves jaunâtres, apodes, à tête cornée, brunâtre, qui se mettent aussitôt à dévorer la pâtée qui les entoure. Au fur et à mesure, la mère remplace la nourriture consommée, en même temps qu'elle agrandit la cellule autour des larves, en en rongeant le haut avec ses mandibules, élargissant de plus en plus le godet qu'elles forment, et consolidant les parois avec de la cire, jusqu'à ce qu'enfin la cellule acquiert à peu près les dimensions d'une noix. Les larves ont alors atteint le terme de leur croissance et sont âgées de quinze jours environ. Elles se filent une coque de soie dans la cellule de cire, et s'y enferment. Une cellule contient ainsi trois, huit, dix cocons ou plus, autant qu'il y avait eu d'œufs pondus, et ces cocons sont disposés sans ordre les uns à côté des autres. La mère ronge et enlève la cire autour des cocons et facilite ainsi l'éclosion des jeunes ouvrières, qui survient au bout de quinze autres jours environ.
L'ouvrière venant d'éclore est de couleur terne et grisâtre; elle est faible. Peu de jours donnent à son vêtement les couleurs propres à l'espèce, à ses membres toute leur force. Désormais la mère, si ce sont là ses premiers-nés, ne sera plus seule à vaquer aux travaux. Autant d'ouvrières écloses, autant d'aides pleins de zèle. Avec la mère, elles s'occupent de la construction des cellules et du soin à donner aux larves. Butinant avec activité, les provisions qu'elles apportent au nid augmentent rapidement, et la population s'accroît à mesure. En même temps la famille, plus riche, peut se donner du confort; les cellules reçoivent une toiture protectrice en cire; des parois latérales, en cire également, s'y adjoignent quelquefois.
La structure intérieure se complique bientôt par l'adjonction de cellules nouvelles, l'agrandissement des gâteaux existants et la formation de nouveaux. Ceux-ci se superposent aux anciens, et le nombre des étages est en rapport avec celui de la population. Il ne devient cependant jamais considérable; et surtout l'on n'y voit jamais la régularité qui distingue les rayons parallèles des Abeilles. Souvent une assise unique de cellules constitue toute la cité.
Ainsi que nous l'avons vu faire à la femelle, les ouvrières rongent et enlèvent la cire qui entoure les cocons, et l'emploient à divers usages. Les cocons abandonnés par les Bourdons éclos reçoivent eux-mêmes une nouvelle destination. Ils peuvent servir, après réparation convenable, de réservoirs à miel et à pollen. D'autres réservoirs sont formés aussi dans les intervalles existant entre les cellules à couvain. Ces intervalles eux-mêmes, appropriés, peuvent servir au même usage; d'autres fois, découpés par lanières, ils sont incorporés à l'enveloppe du nid.
La mère cependant ne reste point inactive, et, loin d'imiter la vie désœuvrée de la mère des Abeilles, elle continue, comme au temps où elle était seule, à s'occuper de tous les travaux de l'intérieur, sortant beaucoup moins du nid. La ponte surtout devient plus active, pendant quelque temps du moins.
Nous n'avons jusqu'ici parlé que d'ouvrières et de petites femelles, comme provenant des œufs pondus par la reine. Elle pond également des œufs de mâles et de grosses femelles, semblables à elle. Seulement, circonstance fort remarquable, et qui n'a pas manqué de provoquer les réflexions des observateurs, tandis que les cellules destinées à recevoir des œufs d'ouvrières sont garnies intérieurement de pollen et de miel, les cellules où sont pondus les œufs de mâles et de femelles ne contiennent aucune provision.
«Les Bourdons, dit Huber, ne préparent jamais de pollen dans les cellules qui doivent servir de berceau aux mâles et aux femelles; les uns et les autres ne naissent ordinairement qu'au mois d'août et de septembre; les ouvrières paraissent dès les mois de mai et de juin. Quelle peut être la raison de la différence des soins que les ouvrières donnent aux mouches des trois sortes? Ce n'est pas qu'il y ait moins de pollen sur les fleurs au mois d'août qu'il n'y en a au mois de juin, car les ouvrières en apportent tous les jours, dans les mois d'août et de septembre, et d'ailleurs elles ont fait des provisions considérables à cette époque. Mais voici l'explication que je pourrais donner de cette négligence apparente. Le nombre des ouvrières est beaucoup plus grand au mois d'août qu'il ne l'est au mois de mai; à peine trouve-t-on au printemps quelques ouvrières dans les nids des Bourdons; dans les mois d'août et de septembre, au contraire, leur nombre est très considérable. Les vers qui sont nés dans le mois de mai et de juin courraient le risque de manquer de nourriture, s'ils n'avaient pas de provisions dans leurs cellules, car le petit nombre des ouvrières ne permettrait peut-être pas qu'elles aperçussent le moment où ils éclosent, et celui où ils ont besoin d'aliments; tandis qu'à la fin de l'été leur nombre peut suffire à surveiller et à nourrir tous les vers. La nature devait donc pourvoir au défaut du soin des ouvrières dans le temps où elles sont en plus petit nombre; mais cela était moins nécessaire à la fin de la saison, quand les soins et les secours étaient plus faciles à obtenir.»
La mère pondant, outre les ouvrières, des femelles et des mâles, suffirait à elle seule, comme la mère des Abeilles, à la perpétuation de l'espèce. Elle n'est cependant pas la seule pondeuse dans la colonie.
Le lecteur sait déjà que les grosses ouvrières ne diffèrent guère de la mère, extérieurement, que par la taille. Elles lui ressemblent encore par la faculté qu'elles ont de pondre des œufs fertiles. Déjà Huber avait affirmé que les ouvrières pouvaient pondre des œufs de mâles. Hoffer, par des observations irréprochables, a mis le fait hors de doute, et a de plus démontré qu'elles pondent aussi des femelles. Un exemple entre autres:
Le 20 juillet, l'auteur recueille un nid de Bombus agrorum. Vu la distance, l'opération dut être faite en plein jour, de sorte que plusieurs ouvrières, petites et grandes, échappèrent. Revenu au même endroit le 12 septembre, il y trouva un nid, que les ouvrières non capturées y avaient fondé à nouveau, et dans ce nid, un assez gros gâteau plein de larves et de cocons, une population d'ouvrières, de mâles nombreux et de quelques femelles. Surpris de la présence de ces dernières, car aucun auteur jusque-là n'avait signalé de fait semblable, Hoffer se livra à de nouvelles expériences, qui achevèrent de le convaincre. L'auteur pense néanmoins qu'à l'état normal de pareils faits ne se produisent que lorsque la vieille mère est morte prématurément d'une façon ou d'une autre, et qu'en ce cas-là seulement les individus survivants deviennent aptes à continuer la mission de la défunte. Opinion plausible, sans doute, mais digne néanmoins de confirmation. Car une question importante reste encore indécise, celle de savoir si les petites femelles, et plus généralement les ouvrières, peuvent être fécondées, auquel cas de pareils faits n'auraient plus rien de surprenant.
En définitive, durant le printemps, il ne naît en général que des ouvrières. Les mâles et les jeunes femelles naissent au fort de l'été ou sur sa fin. Il y a du reste beaucoup de différences à cet égard, suivant les espèces. Le Bourdon des prés, en tout des plus précoces, donne des mâles dès la troisième semaine de mai en Angleterre, selon Smith; un peu plus tôt dans le midi de la France; les jeunes femelles volent déjà en juillet. Dans la majorité des espèces, les mâles ne paraissent guère qu'au mois d'août, et on les voit voler encore fort tard dans la saison.
Ces mâles, tout aussi fainéants que ceux des Abeilles, consomment, sans produire aucun travail. Très frileux, les jours qui suivent leur éclosion, on les voit, dit Ed. Hoffer, se réfugier dans les endroits les plus chauds du nid, et se réchauffer au milieu des groupes d'ouvrières. Grisâtres au moment de leur sortie du cocon, leur robe devient de jour en jour plus éclatante, pendant que la nourriture dont ils se réconfortent sans cesse et l'exercice qu'ils font de leurs ailes en les agitant, au moment de la plus grande chaleur du jour, les rendent capables de prendre leur essor. Ils partent alors, et le plus souvent la famille ne les revoit plus.
Les mâles de toutes les espèces ne se comportent pas absolument de même. Hoffer nous raconte de la manière suivante les faits et gestes du B. Rajellus. «Sur la fin de juin, sortirent les premiers mâles, et il y en eut beaucoup jusqu'à la destruction du nid, en juillet, par le fait d'une taupe. Quand le soleil avait réchauffé suffisamment le sol, vers les dix heures et demie, un mâle sortait, puis un autre. Ils s'élevaient en l'air, volaient quelques instants dans le voisinage, puis venaient se poser d'ordinaire sur le nid, dont la mousse formait un dôme globuleux, très apparent au-dessus du gazon, ou bien sur le rempart de branchages dont j'avais entouré le nid, pour le garantir contre les poules; et là ils s'ensoleillaient à plaisir. Si j'essayais d'en saisir un, il s'envolait vivement, mais ne tardait pas à revenir se poser sur le nid. Quand l'air était tout à fait calme, ils jouaient entre eux en plein soleil. Ainsi l'un d'eux prenait son élan; un autre brusquement lui tombait dessus, comme on voit faire parfois les mouches, puis tous deux s'abattaient. Souvent toute la bande s'envolait et jouait en rond dans les airs, sans se préoccuper en aucune façon de mes visiteurs, quelquefois au nombre de 18, qui venaient contempler leurs amusements, à moins que les spectateurs, trop bruyants ou trop indiscrets, ne les obligeassent, par leurs éclats de rire ou leur voisinage trop immédiat, à s'envoler pour ne pas revenir de quelque temps. Et tous les jours de beau soleil sans vent, les mâles firent de même, sans beaucoup se soucier de manger, jusqu'à ce qu'enfin ils se dispersèrent l'un après l'autre sur les fleurs du jardin, où ils me parurent visiter surtout les Salvia pratensis et officinalis, et aussi les trèfles. Mais un jour, vers midi, un violent coup de vent survint avec menace de pluie; je vis de nombreux mâles rentrer précipitamment au nid, pêle-mêle avec les ouvrières. Autant que j'en ai pu juger, ils rentraient toujours au logis.»
Des habitudes aussi régulières ne paraissent pas être communes parmi les Bourdons. Il n'est pas rare de rencontrer le matin des mâles de diverses espèces blottis dans les fleurs, tout transis, couverts de rosée ou détrempés par la pluie. Quelquefois aussi une ouvrière se rencontre dans la même situation, surprise sans doute par la nuit ou le mauvais temps loin du nid.
Une des particularités les plus étranges de la biologie des Bourdons est l'existence parmi eux de ce que l'on a appelé le «Trompette» ou le «Tambour». Ce dernier nom, plus convenable peut-être que le premier, est employé par Gœdart. Ce vieux naturaliste, dont l'observation, oubliée ou traitée de fable, remonte à deux cents ans, s'exprime à ce sujet de la manière suivante.
«Parmi les Bourdons, il en est un qui, semblable au tambour (Tympanita) qui réveille les soldats, ou leur transmet l'ordre de lever le camp, de se mettre en marche, ou les excite au combat, réveille ses frères et les pousse au travail. Vers la septième heure du matin, il monte au faîte du nid, et, le corps à moitié en dehors de l'entrée, il agite et fait vibrer ses ailes, et produit ainsi un bruit qui, renforcé par la concavité du nid, n'est pas sans ressemblance avec celui du tambour. Et cela dure environ un quart d'heure. C'est pour l'avoir observé, entendu de mes oreilles et vu de mes yeux, que j'en parle. Plusieurs personnes curieuses des choses de la nature sont maintes fois venues tout exprès me visiter pour en être témoins, ont vu et entendu avec moi ce tambour des Bourdons.»
Malgré l'affirmation si positive de Gœdart, il a fallu les récentes observations de Hoffer, pour que l'on crût enfin que le trompette ou le tambour des Bourdons n'était pas une fable, comme le pensait Réaumur lui-même.
Telle était aussi la conviction de Hoffer, à la suite de nombreuses observations demeurées sans résultat, qu'il avait entreprises dans le but de s'assurer de l'existence de ce Bourdon musicien. Un jour enfin, le 8 juillet 1881, vers trois heures et demie du matin, l'heureux observateur entendit tout à coup un bourdonnement particulier s'élever d'un superbe nid de Bombus ruderatus, qu'il venait de recevoir la veille. Il s'approcha avec précaution, souleva doucement la planchette destinée à jeter de l'obscurité sur le nid (cette espèce niche sous terre), et il fut témoin d'un saisissant spectacle: «Tout en haut de la calotte de cire se tenait une petite femelle, le corps soulevé, la tête baissée, agitant ses ailes de toutes ses forces, et faisant entendre un bourdonnement intense. Quelques Bourdons montraient leur tête par les trous les plus larges.» Cette musique dura sans interruption jusqu'à quatre heures et un quart. Déjà quelques ouvrières étaient sorties. Le trompette tant désiré était enfin trouvé.
Le lendemain, vers trois heures, l'observateur était à son poste. Longtemps tout demeura silencieux. A trois heures dix-huit minutes, quelques courts bourdonnements se firent entendre, et Hoffer vit le trompette de la veille s'élever au haut du nid, et entonner son chant, qui dura, presque sans interruption, jusqu'à quatre heures et demie. Le Bourdon s'arrêta alors, manifestement épuisé, et puis, au bout de cinq minutes, rentra dans le nid. Et cela continua les jours suivants, jusqu'au 25 juillet, à quatre heures du matin, où le Bourdon mélomane fut supprimé. Le jour suivant, à quatre heures huit minutes, alors que déjà quelques Bourdons étaient partis pour la picorée, le remplaçant était là, exactement à la même place que l'ancien, et il se représenta de même les jours suivants.
E. Hoffer présume que toutes les espèces de Bourdons ne possèdent pas un trompette; et il croit d'ailleurs que, chez celles qui peuvent en avoir un, sa présence n'est pas constante et est subordonnée au chiffre de la population.
Mais pourquoi, dans un nid populeux, plutôt que dans un autre, est-il utile qu'un Bourdon se charge d'éveiller ses frères et de les appeler au travail? L'activité n'est-elle pas plus avantageuse, et l'office du réveille-matin plus nécessaire, précisément dans une société plus pauvre? Et puis enfin, dans ces sociétés d'insectes, où chacun, sans effort, et dans une entière spontanéité, travaille pour la communauté avec un zèle qu'on dirait excité par le seul intérêt personnel, où chacun et tous fonctionnent dans le plus parfait unisson, est-il à croire qu'un individu exerce sur ses pareils une direction ou une action quelconque, ait seul la faculté de concevoir une obligation et de la communiquer à tous? Ce serait assurément celui-là, et non la reine, qui n'a de royal que le nom, qui, avec une autorité réelle, mériterait véritablement ce titre.
Quant à nous, l'utilité de ce réveilleur des Bourdons nous échappe, surtout quand nous voyons, dans les observations de Hoffer, des ouvrières sorties dès quatre heures, alors que la diane ne commence à se faire entendre que huit minutes plus tard. Pourquoi donc, au lieu de s'empresser de sortir, la première ouvrière éveillée ne se charge-t-elle point des fonctions de trompette? Faudrait-il à celle qui les remplit quelque titre officiel? Serait-ce un Bourdon déterminé, et pas un autre, à qui seul doit incomber le devoir de réveiller ses frères? Il serait en tout cas assez mal choisi, ce réveilleur, qui n'est pas le premier levé.
Notez encore que son rappel dure un quart d'heure, vingt minutes, ou même plus. Est-il donc nécessaire qu'il soit si long, pour être efficace? Quelles dures oreilles que ces Bourdons! Eh oui, en effet, ils sont sourds, bien sourds, comme les Abeilles, comme les Fourmis; car on ne supposera pas, sans doute, que seuls ils entendent, alors que les Fourmis, les Abeilles, leurs cousines, n'entendent point. Et s'ils n'entendent pas, à quoi bon alors la sonnerie du trompette?
S'il est impossible de croire que ce bruyant personnage remplisse une fonction sociale quelconque dans la colonie, il est très naturel d'admettre qu'il ne s'agite tant que pour son propre compte. Il en est du trompette, vraisemblablement, comme des abeilles dites ventilateuses; ce doit être un Bourdon éclos depuis peu, n'ayant point encore fait sa première sortie, et qui se prépare, par un entraînement préalable, aux longs voyages qu'il lui faudra bientôt fournir. Il n'est nullement prouvé que le trompette, ainsi que Hoffer paraît le croire, soit tous les jours le même. Il serait d'ailleurs facile de s'en assurer, comme aussi de constater si c'est toujours ou non un bourdon venant d'éclore. Il est bon de rappeler à ce propos que Hoffer lui-même a vu, ainsi que nous l'avons rapporté plus haut, les mâles depuis peu sortis du cocon s'exercer dans le nid en agitant leurs ailes, et développer ainsi les muscles du vol.
On sait que les Abeilles, aussi bien que les Fourmis, n'admettent pas aisément les étrangers dans leur demeure, et que le plus souvent elles les tuent sans hésiter. Les Bourdons paraissent plus accommodants. Du moins a-t-on souvent trouvé dans un nid des individus appartenant à une ou à deux espèces différentes de celle qui l'avait construit. Quant à l'union artificielle de deux colonies d'espèce différente, si elle réussit quelquefois, ainsi que Hoffer l'a constaté, les intéressés s'y refusent le plus souvent d'une manière absolue, sans qu'il soit possible de se rendre compte de la cause de ces différences de sociabilité.
Il est tout aussi peu facile d'expliquer le désaccord des observations au sujet de l'humeur des Bourdons. Nous avons vu plus haut Réaumur, qui dit avoir ouvert des nids par centaines, affirmer que jamais il n'a vu les habitants songer à défendre leur domicile, ni manifester la moindre colère contre le perturbateur. Schenck et Schmiedeknecht parlent dans le même sens. Mais F. Smith, contrairement à l'opinion de ces naturalistes, affirme que les Bourdons défendent vaillamment leur nid, et qu'on ne les y attaque pas impunément. E. Hoffer est également convaincu de l'humeur batailleuse de ces créatures, d'ordinaire si placides. Elle se réveille vivement, nous le savons déjà, au moment de la ponte. Elle se manifesterait encore dans d'autres circonstances, où elle ne peut mériter que l'approbation, dans le cas de légitime défense. Hoffer soutient que les Bourdons, attaqués dans leur domicile, non seulement le défendent avec résolution, mais encore font preuve d'une certaine habileté. Il en cite de nombreux exemples. Tout un peloton de soldats fut une fois mis en fuite par des Bourdons des pierres. La petite troupe était au repos; un des soldats s'avisa de fourrer sa baïonnette dans un trou où il avait vu entrer un Bourdon. Un des habitants sortit aussitôt et le piqua cruellement au cou. Puis dix, vingt autres se jetèrent sur les autres soldats et les obligèrent à battre en retraite. L'auteur lui-même fut plus d'une fois mis en fuite par des Bourdons terrestres ou des Bourdons des pierres, dont il avait voulu recueillir les nids, ou pour les avoir seulement examinés de trop près.
Toutes les espèces, selon Hoffer, sont susceptibles d'entrer ainsi en fureur et de devenir agressives, lorsqu'on les tourmente dans leur nid, surtout s'il est assez peuplé. Seulement, comme le Bourdon ne peut piquer commodément que de bas en haut, vu la disposition de son aiguillon, il lui faut un certain temps pour trouver une situation favorable à l'usage de son arme, tandis qu'une Abeille ou une Guêpe, au contraire, piquent à l'instant même où elles atteignent.
Les jeunes femelles, les futures reines, sortent peu du nid, si bien qu'on en voit beaucoup moins à la fin de l'été et en automne, que plus tard, au printemps. N'ayant aucun souci de la communauté au sein de laquelle elles sont nées, si on les voit quelquefois sur les fleurs, c'est pour leur propre compte; elles se bornent à humer le nectar, et l'on ne voit jamais de pollen dans leurs corbeilles, quoique Huber ait dit le contraire. Elles volent lourdement d'une fleur à une autre, ou se posent paresseusement sur une branche, pour se réchauffer au soleil des heures entières, en attendant la visite des mâles vagabonds. C'est vers le temps de la naissance des femelles que les sociétés de Bourdons atteignent leur apogée.
A cette époque, la vieille reine vit encore, pelée, il est vrai, les ailes toutes déchirées sur leur bord. Bien rarement alors elle sort du nid, et si l'on en rencontre une, sa défroque est tellement usée, qu'il est parfois difficile de la rapporter à son espèce. Elle meurt enfin. Dès ce moment, la famille décline de jour en jour. La ponte des ouvrières et des petites femelles peut bien encore amener quelques naissances, mais elles sont loin de compenser les décès. La population décroît rapidement, les mâles se dispersent et ne rentrent plus. Les ouvrières, tous les jours plus éclaircies, n'en continuent pas moins activement leur mission, et luttent de leur mieux contre la ruine dont la maison est menacée. Les mauvaises journées, toujours plus nombreuses, les fleurs de plus en plus rares, les provisions épuisées et non renouvelées, la misère enfin, avec le froid, ont raison de leur courage; elles succombent l'une après l'autre, et avec elles les larves et les nymphes qui restent. Les jeunes femelles fécondées sont depuis longtemps parties. Chacune a trouvé pour son compte un abri contre les frimas qui vont venir, l'une dans un vieux tronc, l'autre dans un trou de muraille ou dans un épais tapis de mousse.
Le silence et la mort règnent seuls dans la cité, si pleine naguère de mouvement et de vie. S'il y a quelques vivants, ce sont des parasites, la vermine, qui trouve encore là, pour la mauvaise saison, un abri qui lui permettra d'aller recommencer au printemps, en de nouveaux nids, le cours de ses déprédations.
Le Bourdon partage les goûts de l'Abeille pour les labiées et les légumineuses; mais il affectionne encore tout particulièrement les chardons de toute sorte, dont il fouille assidûment les capitules de sa longue trompe. Grâce au développement de cet organe, il peut atteindre le nectar au fond de corolles où ne peut parvenir la langue plus courte de l'Abeille. Telles sont la pensée et le trèfle rouge. De nombreuses expériences ont convaincu Darwin que le Bourdon est indispensable pour la fécondation de ces plantes, et que si le genre Bourdon venait à disparaître ou devenait très rare en Angleterre, la pensée et le trèfle rouge deviendraient aussi très rares ou disparaîtraient complètement.
Mais il est des fleurs qui cachent leur nectar à des profondeurs telles, que seuls les Lépidoptères Sphyngides, dont la trompe est démesurément allongée, peuvent s'en emparer; il serait inaccessible aux Bourdons, s'ils n'usaient de l'ingénieux procédé que nous connaissons déjà, et qui consiste à pratiquer, à peu de distance du fond du tube, un trou qui leur permette d'y introduire leur trompe. Il n'est même pas nécessaire que le nectar se trouve trop profondément placé, pour que le Bourdon se décide à user de cet artifice. Il est très fréquent de trouver perforées des fleurs dont sa trompe peut atteindre le fond. Tel est le trèfle rouge dont nous venons de parler. Il suffit, pour que la perforation ait lieu, que les fleurs à corolle tubuleuse soient réunies en très grand nombre dans un lieu déterminé. C'est le cas d'un champ de trèfle, des vastes nappes couvertes de bruyères fleuries. On est surpris de voir le nombre de fleurs perforées que l'on trouve en ces circonstances. Darwin en cite de curieux exemples. «Je faisais une longue promenade, dit-il, et de temps en temps je cueillais un rameau d'Erica tetralix; quand j'en eus une poignée, j'examinai toutes les fleurs avec ma loupe. Ce procédé fut renouvelé fréquemment, et, quoique j'en eusse examiné plusieurs centaines, je ne réussis pas à trouver une seule corolle qui n'eût été perforée.... J'ai trouvé des champs entiers de trèfle rouge dans le même état. Le docteur Ogle a constaté que 90 pour 100 des fleurs de Salvia glutinosa avaient été perforées. Aux États-Unis, M. Barley dit qu'il est difficile de trouver un bouton de Gerardia pedicularia non percé, et M. Gentry en dit autant de la Glycine.
L'Abeille domestique elle-même sait employer ce procédé commode de la perforation, pour atteindre des nectars qui lui seraient autrement interdits. Il y a mieux. Elle sait aussi profiter des perforations qui sont l'ouvrage des Bourdons. Tous ces animaux, en opérant ainsi, n'agissent pas simplement sous l'impulsion de l'aveugle instinct. Ils font assurément preuve d'intelligence. On n'en peut douter, quand il s'agit de tirer parti du labeur d'autrui. Et pour celui que l'insecte exécute lui-même, le raisonnement est manifeste. Nous venons de dire que le Bourdon est parfaitement capable de s'emparer du nectar du trèfle rouge. Il troue cependant cette fleur, quand elle est en grand nombre. Quel en peut être le motif? Il n'y a que l'économie du temps. Il est avantageux pour le Bourdon et aussi pour l'Abeille de visiter en un temps donné le plus de fleurs possible. Une fleur trouée exige moins de temps pour être épuisée de son nectar qu'une fleur non perforée, et l'Abeille peut plus tôt passer de cette fleur à une autre.
Darwin a fréquemment observé, dans plusieurs espèces de fleurs, que, la perforation une fois effectuée, Abeilles et Bourdons suçaient à travers ces perforations et allaient droit à elles, renonçant au procédé ordinaire, et finissaient même par prendre une telle habitude d'user de ces trous, que, lorsqu'il n'en existait pas dans une fleur, ils passaient à une autre, sans essayer d'introduire leur trompe par la gorge.
Ainsi un premier acte d'intelligence pousse ces insectes à trouer les corolles tubuleuses, alors même que la longueur du tube n'exige pas cette perforation; un second effet de leur raison leur apprend qu'il y a avantage à user de cette perforation, une fois produite par d'autres; un troisième acte intellectuel leur fait adopter ce mode de visite, et les fait renoncer au mode ordinaire et normal. «Même chez les animaux haut placés dans la série, comme les singes, remarque Darwin, nous éprouverions quelque surprise à apprendre que les individus d'une espèce ont, dans l'espace de vingt-quatre heures, compris un acte accompli par une autre espèce, et en aient profité.» Nous sommes bien loin de cet instinct aveugle, inconscient, immuable, que certains naturalistes attribuent aux animaux, et plus particulièrement aux Insectes, leur refusant par suite tout acte relevant de l'intelligence. Nous ne voyons d'aveugle ici que l'esprit de système, l'homme et non la bête.
Si la perforation des corolles est avantageuse aux Bourdons et aux Abeilles, on ne peut dire qu'elle le soit aux fleurs elles-mêmes, bien au contraire. Le trèfle, dont la fécondation est favorisée par les investigations normales des Bourdons, par l'introduction de la trompe de ces insectes dans la gorge de la corolle, perd absolument les bénéfices de cette introduction, quand la corolle est perforée. La fécondation croisée, d'une fleur à une autre, que toutes les observations démontrent avantageuse, quand elle n'est pas indispensable à la multiplication de la plante, devient alors impossible. La plante perd donc autant et plus que l'hyménoptère ne gagne, car celui-ci n'épargne guère le plus souvent que son temps et son travail, alors que la fleur y perd en fécondité amoindrie, ou devient même absolument infertile, si elle est incapable de se féconder elle-même, et exige impérieusement, pour mûrir ses graines, le pollen d'une autre fleur. Nouvelle preuve que chaque espèce tend à se développer suivant son intérêt propre, que tout n'est pas réglé en ce monde suivant les lois d'une harmonie préétablie et constante. Heureusement que le progrès est en somme le résultat de toutes ces tendances en sens divers ou opposés, et l'effet d'adaptations de plus en plus parfaites, plus dignes vraiment de notre admiration, que cette immutabilité, cet automatisme, que certains esprits s'évertuent à trouver partout dans la nature.
Peu d'hyménoptères ont autant de parasites que les Bourdons.
Parmi les plus remarquables sont les Psithyres, leurs très proches alliés, à qui nous ferons l'honneur mérité d'un chapitre spécial.
Un de leurs pires ennemis est un petit lépidoptère, une mite, l'Aphonia colonella, dont les chenilles enlacent parfois tout le nid d'un réseau de soie, à l'intérieur duquel elles dévorent en sûreté cellules et cocons. Quand leur nombre est suffisant,—et il peut s'élever jusqu'à plusieurs centaines d'individus,—c'en est fait de la famille des Bourdons, elle ne tarde pas à être anéantie. Bien des nids finissent de la sorte.
De grosses et belles mouches, les Volucelles, ennemies aussi des Guêpes, sont quelquefois bien funestes aux Bourdons, dont elles dévorent les larves (fig. 30).
Un autre diptère, curieux par ses formes, autant que par ses habitudes, le Conops (fig. 31), à l'abdomen en massue, vit parmi les viscères mêmes du Bourdon, y subit toutes ses métamorphoses, et vient ensuite à l'extérieur, en disjoignant violemment les anneaux de l'abdomen. Douées d'une grande vitalité, ces mouches résistent fréquemment aux agents qui tuent leurs hôtes, et plus d'une fois un entomologiste a vu, au fond de ses boîtes, au printemps, un Conops sorti du corps d'un Bourdon capturé à la fin de la saison précédente.
Les Fourmis, dont on sait la friandise pour toute chose sucrée, s'introduisent souvent dans les nids des Bourdons, pour en piller les provisions.
Les Mutilles (fig. 32), hyménoptères ayant l'aspect de grosses fourmis, dont le corps rouge et noir est orné de bandes et taches de poils blanchâtres, vivent souvent aux dépens des Bourdons. Leurs larves dévorent celles de ces derniers, et leur nombre peut être assez grand, en certains cas, pour diminuer notablement la population d'un nid, ou même l'anéantir.
Une sorte d'Acarus, le Gamasus Coleoptratorum, envahit souvent le corps des Bourdons. Ce n'est qu'une sorte de commensal, et l'hyménoptère ne lui sert que de véhicule pour se faire voiturer dans les lieux où il doit trouver des vivres en abondance. Les jeunes femelles, qui se sont chargées en automne de ces poux, les conservent tout l'hiver, et les introduisent dans le nid qu'elles construisent au printemps suivant. Ils pullulent quelquefois par myriades dans les détritus qui s'accumulent sur le plancher.
Plusieurs petits mammifères, tels que le Mulot, la Souris, la Belette, le Renard, doivent compter parmi les destructeurs des Bourdons. Ils en ravagent les nids, mangent tout à la fois provisions et habitants. La Taupe aussi, dit-on, dans l'occasion, se régale des larves et des nymphes. Nous ne pouvons à ce propos ne pas mentionner l'opinion du colonel Newman cité par Darwin[10]. Il existerait, d'après cet observateur, une relation qu'on était loin de soupçonner entre des êtres aussi différents que les Chats, les Mulots, les Bourdons et certaines plantes visitées par ces derniers. Le nombre des Bourdons, dans une région donnée, dépendrait, dans une grande mesure, du nombre des mulots qui détruisent leurs nids. M. Newman, qui a beaucoup étudié les habitudes de ces hyménoptères, estime que plus des deux tiers de leurs nids sont ainsi détruits chaque année en Angleterre. Comme le nombre des mulots dépend de celui des chats, les nids des Bourdons doivent, par une conséquence forcée, être plus abondants près des villages et des petites villes qu'ailleurs. Et M. Newman affirme que c'est bien en effet ce qui a lieu. «Il est donc parfaitement possible, ajoute Darwin, que la présence d'un animal félin dans une localité puisse y déterminer l'abondance de certaines plantes, en raison de l'intervention des Souris et des Abeilles.»
A la liste des ennemis des Bourdons, Schmiedeknecht ajoute l'homme lui-même, qui souvent bouleverse, sans s'en douter, avec la faux et le râteau, les nids dont le couvain est détruit. A quoi je puis ajouter le fait d'un jeune berger, qui me surprit beaucoup en me disant que les Bourdons, qu'il me voyait capturer avec mon filet, faisaient du miel comme les Abeilles. Pressé par mes questions, il me conta qu'il lui arrivait souvent de suivre leur vol en courant, de découvrir ainsi leur nid, et de s'emparer de leur miel. Ce gardeur de moutons avait tout seul trouvé le procédé qui sert à certains sauvages pour découvrir et piller les nids des Abeilles.
Les Bourdons sont répandus dans toutes les parties du monde, à l'exception de l'Australie. Ce sont plus particulièrement des animaux des régions froides et tempérées; quelques-uns sont même exclusivement arctiques. Aussi sont-ils de beaucoup plus fréquents dans les montagnes que dans les plaines. Les Alpes, les Pyrénées, le Caucase sont fort riches en Bourdons, tant en espèces qu'en individus.
LES PSITHYRES.
Les Psithyres sont les commensaux des Bourdons, leurs parasites, dans le vrai sens étymologique du mot. Ayant la même livrée, la même forme générale que leurs hôtes, ils ont des habitudes bien différentes. Autant le Bourdon est laborieux et actif, autant le Psithyre est lent et paresseux. Le même aliment les nourrit. Mais tandis que le Bourdon recueille lui-même ses provisions de bouche, et les emmagasine, dépensant à cela une somme considérable de travail, le Psithyre, lui, se nourrit d'aliments qu'il n'a point amassés. Profitant du labeur d'autrui, il glisse ses œufs, comme le Coucou, au milieu de ceux des Bourdons, et ses petits naissent, grandissent, nourris et choyés comme les enfants de la maison. La nature, hélas! nous donne parfois de bien mauvais exemples!
Les analogies des Psithyres avec les Bourdons leurs hôtes sont tellement frappantes, qu'on les a longtemps confondus avec ceux-ci; et même, depuis que leurs mœurs parasitiques, découvertes par Lepelletier de Saint-Fargeau, sont connues de tous les naturalistes, il s'en est trouvé pour les maintenir dans le genre Bombus. Cependant l'absence d'ouvrières, le défaut d'organes de récolte chez les femelles, légitiment suffisamment la distinction des deux genres. Les tibias postérieurs des femelles de Psithyres sont dénués de corbeilles; ils sont étroits, convexes extérieurement, et velus, comme ceux des mâles; le premier article des tarses de la même paire de pattes est grêle, manque de brosses au côté interne, et du crochet caractéristique au haut de son bord postérieur.
Quant aux mâles, aucun bon caractère ne permet de les distinguer de ceux des Bourdons. L'œil exercé du naturaliste les reconnaît par habitude, comme des espèces familières, plutôt que par des caractères bien définis. Les mâles de Psithyres sont bel et bien de véritables Bourdons.
Si différentes que soient, dans leur ensemble, les habitudes des Bourdons et des Psithyres, elles conservent néanmoins quelques traits communs. Comme celles des Bourdons, les femelles des Psithyres, fécondées en automne, hivernent; puis, au printemps, un peu plus tard que les premières, elles sortent de leurs retraites. D'un vol assez lourd, on les voit se poser quelquefois sur les fleurs, plus souvent rôder çà et là, fureter dans les buissons, à la recherche des nids déjà commencés des Bourdons, pour s'y introduire furtivement et y pondre. A mesure que l'été approche, on en voit de moins en moins sur les fleurs; elles deviennent, comme les femelles de Bourdons, de plus en plus casanières, et ne se nourrissent guère plus qu'aux frais de leurs hôtes. Ceux-ci, en général, prennent leur parti de la présence de ces intrus. Avant la fin de l'été, les mâles se montrent, et bientôt aussi les jeunes femelles, et on voit les uns et les autres sur les fleurs durant tout l'automne. Les choses se passent ensuite comme chez les Bourdons; les mâles meurent avant les premiers froids, et les femelles fécondées cherchent un refuge pour y passer l'hiver.
La présence des Psithyres n'est pas rare dans les nids de Bourdons. Sur 48 nids de B. variabilis explorés par Ed. Hoffer, 35 seulement se trouvaient sans parasites. Cette intrusion n'est pas sans causer un préjudice plus ou moins grave aux légitimes habitants. Hoffer, à qui nous devons, sur le compte de ces parasites, une foule d'observations non moins intéressantes que celles qu'il a fait connaître au sujet de leurs hôtes, a reconnu qu'un nid est toujours plus faible, quand il contient des Psithyres, que lorsqu'il n'y en a point.
Les Psithyres ne font donc pas que s'ajouter en surcroît à la population normale; ils ne se bornent pas non plus à se substituer, individu contre individu, aux Bourdons, car en ce cas la population totale devrait rester la même. Une aussi importante diminution oblige à croire qu'il y a suppression effective de larves des bourdons, ou plutôt de leurs œufs. Et il est permis de supposer que la femelle Psithyre, loin de se contenter d'introduire ses enfants dans la famille du Bourdon, doit, d'une façon ou d'une autre, détruire un certain nombre de ceux de son hôte. Il serait intéressant que l'observation vînt dire ce qui se passe positivement à cet égard.
Les premiers observateurs, se fondant sur l'analogie, la presque similitude qui existe entre le vêtement des Psithyres et celui des Bourdons, ont cru que, grâce à cette trompeuse ressemblance, ces intrus parvenaient à mettre en défaut la vigilance de ces derniers, et à se faire passer, selon la propre expression de Lepelletier de Saint-Fargeau, «pour les enfants de la maison». C'était oublier la délicatesse extrême des sens de ces insectes, que de borner à la vue les moyens qu'ils ont de reconnaître les leurs. Dans leurs sombres retraites, il n'y a pas d'ailleurs à parler de la vue, qui ne leur peut être d'aucun secours. D'une manière générale, les couleurs d'un Psithyre sont, de celles qui conviennent à un Bourdon; mais il est absolument inexact qu'un Psithyre porte nécessairement la livrée de ses hôtes. Si les Psithyrus rupestris et vestalis ont respectivement à peu près le costume des Bombus lapidarius et terrestris qu'ils exploitent, le Ps. Barbutellus ne ressemble guère au B. pratorum qui l'héberge, et le Ps. campestris est tout à fait différent des B. agrorum et variabilis, ses nourriciers ordinaires.
Les observations de Hoffer nous fournissent des renseignements précieux sur la nature des rapports qui existent entre Bourdons et Psithyres. Elles montrent, ce qu'on était loin de supposer jadis, que ces rapports sont quelque peu tendus, pour ne pas dire davantage.
«Les Bourdons avec lesquels cohabitait déjà un Psithyre, dit cet habile observateur, semblaient trouver son apparition toute naturelle, lorsqu'il rentrait au nid; ni la reine, ni les ouvrières ne paraissaient le moins du monde gênées par sa présence. Pendant le mauvais temps ou pendant la nuit, tous reposaient côte à côte sur les gâteaux; cependant le Psithyre se tenait de préférence dans le bas, et le plus souvent en dessous des gâteaux. C'est là qu'il se réfugiait promptement, quand on dérangeait le nid, et même sous la mousse, s'il y en avait.»
«Lorsque j'introduisais un parasite dans un nid de Bourdons qui déjà n'en possédait pas un autre, il s'élevait aussitôt un grand tumulte parmi les habitants, comme il s'en produit toujours à la rentrée d'un des leurs; tous se portaient vers lui d'un air hostile, mais sans essayer de le piquer ou de l'attaquer en aucune façon. Quant à lui, il se glissait aussi vite que possible sous les gâteaux, et peu à peu toute la société rentrait dans le calme.»
L'entrée du parasite excite donc la colère des Bourdons, et l'intrus y échappe en se réfugiant avec promptitude en lieu sûr. Les choses se passent-elles toujours avec autant de placidité? On en peut juger par les lignes suivantes.
«Le 14 août 1881, dit Hoffer, j'examinais un nid moyennement volumineux, de Bombus silvarum, et j'y trouvais, avec une vieille femelle, 10 mâles et 29 ouvrières, une vieille femelle morte du Psithyrus campestris. Évidemment cette dernière avait dû se faufiler dans le nid du Bombus, et y avait été tuée, car il n'y avait pas d'autre parasite, et il n'en naquit aucun dans la suite.»
Hoffer raconte encore qu'un Psithyre, qu'il avait introduit dans un nid de Bourdon, y fut mal accueilli et se sauva prestement. «Je conclus de ces faits, ajoute l'auteur, que les Bourdons connaissent parfaitement les pillards de leurs provisions; mais certaines formes, se sentant impuissantes vis-à-vis du parasite, dont la taille surpasse la leur de beaucoup, se résignent à subir sa société.»
Si l'on considère l'uniformité générale de l'organisation des Bourdons et des Psithyres, on est obligé d'admettre que les deux genres ne sont que deux formes d'un même type, et sont unies entre elles par la plus étroite affinité. Pour les naturalistes qui adhèrent à la doctrine du transformisme, cette parenté n'est pas purement idéale, elle est réelle. Le genre parasite ne serait qu'une lignée issue du genre récoltant, et ayant perdu les organes de récolte par suite de son adaptation à la vie parasitique.
Nous avons vu plus haut que la rencontre, dans un nid de Bourdon, d'individus d'une autre espèce que celle à laquelle il appartient, n'est pas un fait très rare. Ce fait vient à l'appui de l'hypothèse. Ces habitudes ont dû exister anciennement comme aujourd'hui, de même que l'on voit, chez l'Abeille domestique, des sujets d'une colonie réussir à s'installer dans une autre, malgré l'hostilité que soulève d'ordinaire une pareille intrusion. On conçoit donc qu'une femelle, au réveil du printemps, en train de rechercher un lieu convenable pour y édifier son nid, ait rencontré un commencement de colonie déjà fondé par une femelle plus précoce; que, trouvant ce logis à sa convenance, elle s'y soit installée, ce que les fréquentes absences de la légitime propriétaire rendaient d'autant plus facile. Dispensée d'exécuter les travaux déjà effectués, et même de prendre part à leur agrandissement, elle aura pu, sans autre souci, vaquer à la ponte. Sa progéniture, héritant de la paresse maternelle, l'aura également transmise à sa descendance, toujours plus exagérée dans les générations successives; et en même temps l'atrophie graduelle aura de plus en plus dégradé et finalement fait disparaître les instruments de travail restés sans emploi. Ainsi a pu surgir de la souche des Bourdons, le rameau des Psithyres.
LES MÉLIPONES.
Les Mélipones et leurs très proches parentes, les Trigones, sont des Abeilles sociales propres aux régions tropicales. Fort nombreuses en espèces, on les trouve au Mexique, aux Antilles, surtout au Brésil; quelques-unes habitent l'Inde, la Chine, les îles de l'océan Indien; une espèce est même indiquée comme propre à l'Australie.
Ces Abeilles (fig. 36) sont dépourvues d'aiguillon, ce qui, joint à quelques autres caractères, les distingue notablement des Abeilles domestiques et des Bourdons: ainsi leurs cellules alaires sont quelque peu différentes, et le premier article de leurs tarses postérieurs est autrement conformé, triangulaire au lieu d'être quadrangulaire, et dépourvu, à son angle supérieur et externe, du crochet caractéristique dont cet organe est muni chez le Bourdon et l'Abeille; les pattes sont proportionnellement plus longues, les tibias postérieurs, qui portent les corbeilles, beaucoup plus dilatés.