Les apôtres
[1] Marc, xvi, 11; Luc, xviii, 34; xxiv, 11; Jean, xx, 9, 24 et suiv. L'opinion contraire exprimée dans Matth., xii, 40; xvi, 4, 21; xvii, 9, 23; xx, 19; xxvi, 32; Marc, viii, 31; ix, 9–10, 31; x, 34; Luc, ix, 22; xi, 29–30; xviii, 31 et suiv.; xxiv, 6–8; Justin, Dial. cum Tryph., 106, vient de ce que, à partir d'une certaine époque, on tint beaucoup à ce que Jésus eût annoncé sa résurrection. Les synoptiques reconnaissent, du reste, que, si Jésus en parla, les apôtres n'y comprirent rien (Marc, ix, 10, 32; Luc, xviii, 34; comparez Luc, xxiv, 8, et Jean, ii, 21–22).
[2] Marc, xvi, 10; Luc, xxiv, 17, 21.
[3] Passages précités, surtout Luc, xvii, 24–25; xviii, 31–34.
[4] Talmud de Babylone, Baba Bathra, 58 a, et l'extrait arabe donné par L'abbé Bargès, dans le Bulletin de l'Œuvre des pèlerinages en terre sainte, février 1863.
[5] Ibn-Hischam, Sirat errasoul, édit. Wüstenfeld, pages 1012 et suiv.
[6] Luc, xxiv, 23; Act., xxv, 19; Jos, Ant., XVIII, iii, 3.
[7] Ps. xvi, 10. Le sens de l'original est un peu différent. Mais c'est ainsi que les versions reçues traduisaient le passage.
[8] I Thess., iv, 12 et suiv.; I Cor., xv entier; Apoc., xx-xxii.
[9]. Matth., xvi, 21 et suiv.; Marc, viii, 31 et suiv.
[10] Josèphe, Ant., XVIII, iii, 3.
[11] Relire avec soin les quatre récits des Évangiles et le passage I Cor., xv, 4–8.
[12] Matth., xxviii, 1; Marc, xvi, 1; Luc, xxiv, 1; Jean, xx, 1.
[13] Jean, xx, 2, semble même supposer que Marie ne fut pas toujours seule.
[14] Jean, xx, 1 et suiv., et Marc, xvi, 9 et suiv. Il faut observer que l'Évangile de Marc a, dans nos textes imprimés du Nouveau Testament, deux finales: Marc, xvi, 1–8: Marc, xvi, 9–20, sans parler de deux autres finales, dont l'une nous a été conservée par le manuscrit L de Paris et la marge de la version philoxénienne (Nov. Test. édit. Griesbach-Schultz, I, page 291, note), l'autre par saint Jérôme, Adv. Pelag., l. II (t. IV, 2e part., col. 520, édit. Martianay). La finale xvi, 9 et suiv. manque dans le manuscrit B du Vatican, dans le Codex Sinaïticus et dans les plus importants manuscrits grecs. Mais elle est en tout cas d'une grande antiquité, et son accord avec le quatrième Évangile est une chose frappante.
[15] Matth., xxvii, 60; Marc, xv, 46; Luc, xxiii, 53.
[16] Jean, xix, 41–42.
[17] Voir Vie de Jésus, p. xxxviii.
[18] L'Évangile des hébreux renfermait peut-être quelque circonstance analogue (dans saint Jérôme, De viris illustribus, 2).
[19] M. de Vogüé, les Églises de la terre sainte, p. 125–126. Le verbe ἀποκυλίω (Matth., xxviii, 2; Marc, xvi, 3, 4; Luc, xxiv, 2) prouve bien que telle était la disposition du tombeau de Jésus.
[20] En tout ceci, le récit du quatrième Évangile a une grande supériorité. Il nous sert de guide principal. Dans Luc, xxiv, 12, Pierre seul va au tombeau. Dans la finale de Marc donnée par le manuscrit L et par la marge de la version philoxénienne (Griesbach, loc. cit.), il y a τοῖς περὶ τὸν Πέτρον. Saint Paul (I Cor., xv, 5) également ne fait figurer que Pierre en cette première vision. Plus loin, Luc (xxiv, 24) supposa que plusieurs disciples sont allés au tombeau, ce qui s'applique probablement à des visites successives. Il est possible que Jean ait cédé ici à l'arrière-pensée, qui se trahit plus d'une fois en son Évangile, de montrer qu'il a eu dans l'histoire de Jésus un rôle de premier ordre, égal même à celui de Pierre. Peut-être aussi les déclarations répétées de Jean, qu'il a été témoin oculaire des faits fondamentaux de la foi chrétienne (Évang., i, 14; xxi, 24; I Joan., i, 1–3; iv, 14), doivent-elles s'appliquer à cette visite.
[21] Jean, xx, 1–10. Comparez. Luc, xxiv, 12, 34; I Cor., xv, 5 et la finale de Marc dans le manuscrit L.
[22] Matth., xxviii, 9, en observant que Matthieu, xxviii, 9–10, répond à Jean, xx, 16–17.
[23] Jean, xx, 11–17, en accord avec Marc, xvi, 9–10. Comparez le récit parallèle, mais bien moins satisfaisant de Matth., xxviii, 1–10; Luc, xxiv, 1–10.
[24] Jean, xx, 18.
[25] Comparez Marc, xvi, 9; Luc, viii, 2.
[26] Luc, xxiv, 11.
[27] Ibid., xxiv, 24.
[28] Ibid., xxiv, 34; I Cor., xv, 5; la finale de Marc dans le manuscrit L. Le fragment de l'Évangile des hébreux, dans saint Ignace, Epist. ad Smyrn., 3, et dans saint Jérôme, De viris ill., 16, semble placer «la vision de Pierre» le soir, et la fondre avec celle des apôtres assemblés. Mais saint Paul distingue expressément les deux visions.
[29] Luc, xxiv, 22–24, 34. Il résulte de ces passages que les nouvelles se répandirent séparément.
[30] Marc, xvi, 1–8.—Matthieu, xxviii, 9–10, dit le contraire. Mais cela détonne dans le système synoptique, où les femmes ne voient qu'un ange. Il semble que le premier Évangile a voulu concilier le système synoptique et celui du quatrième, où une seule femme voit Jésus.
[31] Matth., xxviii, 2 et suiv.; Marc, xvi, 5 et suiv.; Luc, xxiv, 4, et suiv., 23. Cette apparition d'anges s'est introduite même dans le récit du quatrième Évangile (xx, 12–13), qu'elle dérange tout à fait, étant appliquée à Marie de Magdala. L'auteur n'a pas voulu abandonner ce trait donné par la tradition.
[32] Marc, xvi, 8.
[33] Luc, xxiv, 4–7; Jean, xx, 12–13.
[34] Matth., xxviii, 1 et suiv. Le récit de Matthieu est celui où les circonstances ont été ainsi le plus exagérées. Le tremblement de terre et le rôle des gardiens sont probablement des additions tardives.
[35] Les six ou sept récits que nous avons de cette scène du matin (Marc en ayant deux ou trois, et Paul ayant aussi le sien, sans parler de l'Évangile des hébreux) sont en complet désaccord les uns avec les autres.
[36] Matth., xxvi, 31; Marc, xiv, 27; Jean, xvi, 32; Justin, Apol. I, 50; Dial. cum Tryph., 53, 106. Le système de Justin est qu'au moment de la mort de Jésus, il y eut de la part des disciples une complète apostasie.
[37] Matth., xxviii, 17; Marc, xvi, 11; Luc, xxiv, 11.
[38] Marc, xvi, 9; Luc, viii, 2.
[39] Voir, par exemple, Calmeil, De la folie au point de vue pathologique, philosophique, historique et judiciaire. Paris, 1845, 2 vol. in-8o.
[40] Voir les Lettres pastorales de Jurieu, 1e année, 7e lettre; 3e année, 4e lettre; Misson, le Théâtre sacré des Cévennes (Londres, 1707), p. 28, 34, 38, 102, 103, 104, 107; Mémoires de Court, dans Sayous, Hist. de la littér. française à l'étranger, xviie siècle, I, p. 303; Bulletin de la Société de l'hist. du protest, franc., 1862, p. 174.
[41] Matth., xiv, 26; Marc, vi, 49; Luc, xxiv, 37; Jean, iv, 19.
[42] Marc, xvi, 12–13; Luc, xxiv, 13–33.
[43] Comparez Josèphe, B. J., VII, vi, 6. Luc met ce village à soixante stades et Josèphe à trente stades de Jérusalem. Ἐξήκοντα, que portent certains manuscrits et certaines éditions de Josèphe, est une correction chrétienne. Voir l'édition de G. Dindorf. La situation la plus probable d'Emmaüs est Kulonié, joli endroit au fond d'un vallon, sur la route de Jérusalem à Jaffa. Voir Sepp, Jerusalem und das Heilige Land (1863), I, p. 56; Bourquenoud, dans les Études rel. hist. et litt. des PP. de la Soc. de Jésus, 1863, no 9, et, pour les distances exactes, H. Zschokke, Das neutestamentliche Emmaüs (Schaffouse, 1865).
[44] Marc, xvi, 14; Luc, xxiv, 33 et suiv.; Jean, xx, 19 et suiv.; Évang. des hébr., dans saint Ignace, Epist. ad Smyrn., 3, et dans saint Jérôme, De viris ill., 16; I Cor., xv, 5.; Justin, Dial. cum Tryph., 106.
[45] Luc, xxiv, 34.
[46] Dans une île vis-à-vis de Rotterdam, dont la population est restée attachée au calvinisme le plus austère, les paysans sont persuadés que Jésus vient, à leur lit de mort, assurer ses élus de leur justification; beaucoup le voient en effet.
[47] Pour concevoir la possibilité de pareilles illusions, il suffit de se rappeler les scènes de nos jours où des personnes réunies reconnaissent unanimement entendre des bruits sans réalité, et cela, avec une parfaite bonne foi. L'attente, l'effort de l'imagination, la disposition à croire, parfois des complaisances innocentes, expliquent ceux de ces phénomènes qui ne sont pas le produit direct de la fraude. Ces complaisances viennent, en général, de personnes convaincues, animées d'un sentiment bienveillant, ne voulant pas que la séance finisse mal, et désireuses de tirer d'embarras les maîtres de la maison. Quand on croit au miracle, on y aide toujours sans s'en apercevoir. Le doute et la négation sont impossibles dans ces sortes de réunions. On ferait de la peine à ceux qui croient et à ceux qui vous ont invité. Voilà pourquoi ces expériences, qui réussissent devant de petits comités, échouent d'ordinaire devant un public payant, et manquent toujours devant les commissions scientifiques.
[48] Jean, xx, 22–23, qui a un écho dans Luc, xxiv, 49.
[49] Matth., xxviii, 17; Marc, xvi, 14; Luc, xxiv, 39–40.
[50] Jean, xx, 24–29; comparez Marc, xvi, 14: Luc, xxiv, 39–40, et la finale de Marc, conservée par saint Jérôme, Adv. Pelag., II (v. ci-dessus, p. 7).
[51] Jean, xx, 29.
[52] Il est bien remarquable, en effet, que Jean, sous le nom duquel nous a été transmis le dicton précité, n'a pas de vision particulière pour lui seul. Cf. I Cor., xv, 5–8.
[53] Jean, xx, 26. Le passage xxi, 14, suppose, il est vrai, qu'il n'y eut à Jérusalem que deux apparitions devant les disciples réunis. Mais les passages xx, 30, et xxi, 25, laissent beaucoup plus de latitude. Comparez Act., i, 3.
[54] Luc, xxiv, 41–43; Évangile des hébreux, dans saint Jérôme, De viris illustribus, 2; finale de Marc, dans saint Jérôme, Adv. Pelag., II.
CHAPITRE II.
DÉPART DES DISCIPLES DE JÉRUSALEM.—DEUXIÈME VIE
GALILÉENNE DE JÉSUS.
[An 33] Le désir le plus vif de ceux qui ont perdu une personne chère, est de revoir les lieux où ils ont vécu avec elle. Ce fut sans doute ce sentiment qui, quelques jours après les événements de la Pâque, porta les disciples à regagner la Galilée. Dès le moment de l'arrestation de Jésus, et immédiatement après sa mort, il est probable que plusieurs avaient déjà pris le chemin des provinces du Nord. Au moment de la résurrection, un bruit s'était répandu d'après lequel c'était en Galilée qu'on le reverrait. Quelques-unes des femmes qui avaient été au tombeau revinrent en disant que l'ange leur avait dit que Jésus les avait déjà précédées en Galilée[1]. D'autres disaient que c'était Jésus qui avait ordonné de s'y rendre[2]. Parfois on croyait même se souvenir qu'il l'avait dit de son vivant[3]. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'au bout de quelques jours, peut-être après l'achèvement complet des fêtes de Pâques, les disciples crurent avoir un commandement de retourner dans leur patrie, et y retournèrent en effet[4]. Peut-être les visions commençaient-elles à se ralentir à Jérusalem. Une sorte de nostalgie s'empara d'eux. Les courtes apparitions de Jésus n'étaient pas suffisantes pour compenser le vide énorme laissé par son absence. Ils songeaient avec un sentiment mélancolique au lac et à ces belles montagnes où ils avaient goûté le royaume de Dieu[5]. Les femmes surtout voulaient à tout prix retourner dans le pays où elles avaient joui de tant de bonheur. Il faut observer que l'ordre de partir venait surtout d'elles[6]. Cette ville odieuse leur pesait; elles aspiraient à revoir la terre où elles avaient possédé celui qu'elles aimaient, bien sures d'avance de l'y rencontrer encore.
La plupart des disciples partirent donc pleins de joie et d'espérance, peut-être en compagnie de la caravane qui ramenait les pèlerins de la fête de Pâques. Ce qu'ils espéraient trouver en Galilée, ce n'étaient pas seulement des visions passagères, c'était Jésus lui-même d'une manière continue, comme cela avait lieu avant sa mort. Une immense attente remplissait leurs âmes. Allait-il renouveler le royaume d'Israël, fonder définitivement le règne de Dieu, et, comme on disait, «révéler sa justice[7]»? Tout était possible. Ils se représentaient déjà les riants paysages où ils avaient joui de lui. Plusieurs croyaient qu'il leur avait donné rendez-vous sur une montagne[8], probablement celle-là même à laquelle se rattachaient leurs plus doux souvenirs. Jamais sans doute voyage ne fut plus joyeux. C'étaient tous leurs rêves de bonheur qui étaient à la veille de se réaliser. Ils allaient le revoir!
Ils le revirent en effet. A peine rendus à leurs paisibles chimères, ils se crurent en pleine période évangélique. On était vers la fin du mois d'avril. La terre alors est parsemée d'anémones rouges, qui sont probablement ces «lis des champs» dont Jésus aimait à tirer ses comparaisons. A chaque pas, on retrouvait ses paroles, comme attachées aux mille accidents du chemin. Voici l'arbre, la fleur, la semence, dont il prit sa parabole; voici la colline où il tint ses plus touchants discours; voici la barque où il enseigna. C'était comme un beau rêve recommencé, comme une illusion évanouie puis retrouvée. L'enchantement sembla renaître. Le doux «royaume de Dieu» galiléen reprit son cours. Cet air transparent, ces matinées sur la rive ou sur la montagne, ces nuits passées sur le lac en gardant les filets, se retrouvèrent pleines de visions. Ils le voyaient partout où ils avaient vécu avec lui. Sans doute, ce n'était pas la joie de la jouissance à toute heure. Parfois le lac devait leur paraître bien solitaire. Mais le grand amour se contente de peu de chose. Si tous tant que nous sommes, une fois par an, à la dérobée, durant un instant assez long pour échanger deux paroles, nous pouvions revoir les personnes aimées que nous avons perdues, la mort ne serait plus la mort!
Tel était l'état d'âme de la troupe fidèle, dans cette courte période où le christianisme sembla revenir un moment à son berceau pour lui dire un éternel adieu. Les principaux disciples, Pierre, Thomas, Nathanaël, les fils de Zébédée, se retrouvèrent sur le bord du lac et désormais vécurent ensemble[9]; ils avaient repris leur ancien état de pêcheurs, à Bethsaïda ou à Capharnahum. Les femmes galiléennes étaient sans doute avec eux. Elles avaient poussé plus que personne à ce retour, qui était pour elles un besoin de cœur. Ce fut leur dernier acte dans la fondation du christianisme. A partir de ce moment, on ne les voit plus paraître. Fidèles à leur amour, elles ne voulurent plus quitter le pays où elles avaient goûté leur grande joie[10]. On les oublia vite, et, comme le christianisme galiléen n'eut guère de postérité, leur souvenir se perdit complètement dans certaines branches de la tradition. Ces touchantes démoniaques, ces pécheresses converties, ces vraies fondatrices du christianisme, Marie de Magdala, Marie Cléophas, Jeanne, Susanne, passèrent à l'état de saintes délaissées. Saint Paul ne les connaît pas[11]. La foi qu'elles avaient créée les mit presque dans l'ombre. Il faut descendre jusqu'au moyen âge pour que justice leur soit rendue; l'une d'elles, Marie-Madeleine, reprend alors sa place capitale dans le ciel chrétien.
Les visions au bord du lac paraissent avoir été assez fréquentes. Sur ces flots où ils avaient touché Dieu, comment les disciples n'eussent-ils pas revu leur divin ami? Les plus simples circonstances le leur rendaient. Une fois, ils avaient ramé toute la nuit sans prendre un seul poisson; tout à coup les filets se remplissent; ce fut un miracle. Il leur sembla que quelqu'un leur avait dit de terre: «Jetez vos filets à droite.» Pierre et Jean se regardèrent: «C'est le Seigneur,» dit Jean. Pierre, qui était nu, se couvrit à la hâte de sa tunique et se jeta à la mer pour aller rejoindre l'invisible conseiller[12].—D'autres fois, Jésus venait prendre part à leurs simples repas. Un jour, à l'issue de la pêche, ils furent surpris de trouver les charbons allumés, un poisson posé dessus et du pain à côté. Un vif souvenir de leurs festins du temps passé leur traversa l'esprit. Le pain et le poisson en faisaient toujours une partie essentielle. Jésus avait l'habitude de leur en offrir. Ils furent persuadés, après le repas, que Jésus s'était assis à côté d'eux et leur avait présenté de ces mets, déjà devenus pour eux eucharistiques et sacrés[13].
C'était surtout Jean et Pierre qui étaient favorisés de ces intimes entretiens avec le fantôme bien-aimé. Un jour, Pierre, en songe peut-être (mais que dis-je! leur vie sur ces bords n'était-elle pas un songe perpétuel?), crut entendre Jésus lui demander: «M'aimes-tu?» La question se renouvela trois fois. Pierre, tout possédé d'un sentiment tendre et triste, s'imaginait répondre: «Oh! oui, Seigneur, tu sais que je t'aime;» et, à chaque fois, l'apparition disait: «Pais mes brebis[14].» Une autre fois, Pierre fit à Jean la confidence d'un songe étrange. Il avait rêvé qu'il se promenait avec le maître. Jean venait par derrière à quelques pas. Jésus lui parla en termes très-obscurs, qui semblaient lui annoncer la prison ou une mort violente, et lui répéta à diverses reprises: «Suis-moi.» Pierre alors, montrant du doigt Jean qui les suivait, demanda: «Seigneur, et celui-là?—Celui-là, dit Jésus, si je veux qu'il reste, jusqu'à ce que je vienne, que t'importe? Suis-moi.» Après le supplice de Pierre, Jean se rappela ce rêve, et y vit une prédiction du genre de mort de son ami. Il le raconta à ses disciples; ceux-ci crurent y trouver l'assurance que leur maître ne mourrait pas avant l'avénement final de Jésus[15].
Ces grands rêves mélancoliques, ces entretiens sans cesse interrompus et recommencés avec le mort chéri remplissaient les jours, et les mois. La sympathie de la Galilée pour le prophète que les Hiérosolymites avaient mis à mort s'était réveillée. Plus de cinq cents personnes étaient déjà groupées autour du souvenir de Jésus[16]. A défaut du maître perdu, elles obéissaient à ses disciples les plus autorisés, surtout à Pierre. Un jour qu'à la suite de leurs chefs spirituels, les Galiléens fidèles étaient montés sur une de ces montagnes où Jésus les avait souvent conduits, ils crurent encore le voir. L'air sur ces hauteurs est plein d'étranges miroitements. La même illusion qui autrefois avait eu lieu pour les disciples les plus intimes[17] se produisit encore. La foule assemblée s'imagina voir le spectre divin se dessiner dans l'éther; tous tombèrent sur la face et adorèrent[18]. Le sentiment qu'inspire le clair horizon de ces montagnes est l'idée de l'ampleur du monde avec l'envie de le conquérir. Sur un des pics environnants, Satan, montrant de la main à Jésus les royaumes de la terre et toute leur gloire, les lui avait, disait-on, proposés, s'il voulait s'incliner devant lui. Cette fois, ce fut Jésus qui, du haut des sommets sacrés, montra à ses disciples la terre entière et leur assura l'avenir. Ils descendirent de la montagne persuadés que le fils de Dieu leur avait donné l'ordre de convertir le genre humain et avait promis d'être avec eux jusqu'à la fin des siècles. Une ardeur étrange, un feu divin, les remplissait au sortir de ces entretiens. Ils se regardaient comme les missionnaires du monde, capables de tous les prodiges. Saint Paul vit plusieurs de ceux qui assistèrent à cette scène extraordinaire. Après vingt-cinq ans, leur impression était encore aussi forte et aussi vive que le premier jour[19].
Près d'un an s'écoula dans cette vie suspendue entre le ciel et la terre[20]. Le charme, loin de décroître, augmentait. C'est le propre des grandes et saintes choses, de grandir et de se purifier toujours. Le sentiment d'une personne aimée qu'on a perdue est bien plus fécond à distance qu'au lendemain de la mort. Plus on s'éloigne, plus ce sentiment devient énergique. La tristesse qui d'abord s'y mêlait et, en un sens, l'amoindrissait, se change en piété sereine. L'image du défunt se transfigure, s'idéalise, devient l'âme de la vie, le principe de toute action, la source de toute joie, l'oracle que l'on consulte, la consolation qu'on cherche aux moments d'abattement. La mort est la condition de toute apothéose. Jésus, si aimé durant sa vie, le fut ainsi plus encore après son dernier soupir, ou plutôt son dernier soupir devînt le commencement de sa véritable vie au sein de son Église. Il devint l'ami intérieur, le confident, le compagnon de voyage, celui qui, au détour de la route, se joint à vous, vous suit, s'attable avec vous, et se fait connaître en s'évanouissant[21]. Le manque absolu de rigueur scientifique dans l'esprit des nouveaux croyants faisait qu'on ne se posait aucune question sur la nature de son existence. On se le représentait comme impassible, doué d'un corps subtil, traversant les cloisons opaques, tantôt visible, tantôt invisible, mais toujours vivant. Quelquefois, on pensait que son corps n'avait aucune matière, qu'il était une pure ombre ou apparence[22]. D'autres fois, on lui prêtait de la matérialité, de la chair, des os; par un scrupule naïf, et comme si l'hallucination eût voulu se précautionner contre elle-même, on le faisait boire, manger; on voulait qu'il se fût laissé palper[23]. Les idées flottaient sur ce point dans le vague le plus complet.
A peine avons-nous songé jusqu'ici à poser une question oiseuse et insoluble. Pendant que Jésus ressuscitait de la vraie manière, c'est-à-dire dans le cœur de ceux qui l'aimaient, pendant que la conviction inébranlable des apôtres se formait et que la foi du monde se préparait, en quel endroit les vers consumaient-ils le corps inanimé qui avait été, le samedi soir, déposé au sépulcre? On ignorera toujours ce détail; car, naturellement, les traditions chrétiennes ne peuvent rien nous apprendre là-dessus. C'est l'esprit qui vivifie; la chair n'est rien[24]. La résurrection fut le triomphe de l'idée sur la réalité. Une fois l'idée entrée dans son immortalité, qu'importe le corps?
Vers l'an 80 ou 85, quand le texte actuel du premier Évangile reçut ses dernières additions, les Juifs avaient déjà à cet égard une opinion arrêtée[25]. A les en croire, les disciples seraient venus pendant la nuit et auraient volé le corps. La conscience chrétienne s'alarma de ce bruit, et, pour couper court à une telle objection, elle imagina la circonstance des gardiens et du sceau apposé au sépulcre[26]. Cette circonstance, ne se trouvant que dans le premier Évangile, mêlée à des légendes d'une autorité très-faible[27], n'est nullement admissible[28]. Mais l'explication des Juifs, quoique irréfutable, est loin de satisfaire à tout. On ne peut guère admettre que ceux qui ont si fortement cru Jésus ressuscité soient ceux-là mêmes qui avaient enlevé le corps. Quelque peu précise que fût la réflexion chez de tels hommes, on imagine à peine une si étrange illusion. Il faut se souvenir que la petite Église à ce moment était complètement dispersée. Il n'y avait nulle entente, nulle centralisation, nulle publicité régulière. Les croyances naissaient éparses, puis se rejoignaient comme elles pouvaient. Les contradictions entre les récits qui nous restent sur les incidents du dimanche matin prouvent que les bruits se répandirent par des canaux très-divers, et qu'on ne se soucia pas beaucoup de se mettre d'accord. Il est possible que le corps ait été enlevé par quelques-uns des disciples, et transporté par eux en Galilée[29]. Les autres, restés à Jérusalem, n'auront pas eu connaissance du fait. D'un autre côté, les disciples qui auront emporté le corps en Galilée n'auront eu d'abord aucune connaissance des récits qui se formèrent à Jérusalem, si bien que la croyance à la résurrection se sera formée derrière eux et les aura surpris ensuite. Ils n'auront pas réclamé, et, l'eussent-ils fait, cela n'eût rien dérangé. Quand il s'agit de miracles, une rectification tardive est non avenue[30]. Jamais une difficulté matérielle n'empêche un sentiment de se développer et de créer les fictions dont il a besoin[31]. Dans l'histoire récente du miracle de la Salette, l'erreur a été démontrée jusqu'à l'évidence[32]; cela n'empêche pas la basilique de s'élever et la foi d'accourir.
Il est permis de supposer aussi que la disparition du corps fut le fait des Juifs. Peut-être crurent-ils par là prévenir les scènes tumultueuses qui pouvaient se produire sur le cadavre d'un homme aussi populaire que Jésus. Peut-être voulurent-ils empêcher qu'on ne lui fît des funérailles bruyantes ou qu'on n'élevât un tombeau à ce juste. Enfin, qui sait si la disparition du cadavre ne fut pas le fait du propriétaire du jardin ou du jardinier[33]? Ce propriétaire, selon toutes les vraisemblances[34], était étranger à la secte. On choisit son caveau parce qu'il était le plus voisin du Golgotha et parce qu'on était pressé[35]. Peut-être fut-il mécontent de cette prise de possession, et fit-il enlever le cadavre. A vrai dire, les détails, rapportés par le quatrième Évangile, des linceuls laissés dans le caveau, et du suaire plié soigneusement à part dans un coin[36], ne s'accordent guère avec une telle hypothèse. Cette dernière circonstance ferait supposer qu'une main de femme s'était glissée là[37]. Les cinq récits de la visite des femmes au tombeau sont si confus et si embarrassés, qu'il nous est certes fort loisible de supposer qu'ils cachent quelque malentendu. La conscience féminine, dominée par la passion, est capable des illusions les plus bizarres. Souvent elle est complice de ses propres rêves[38]. Pour amener ces sortes d'incidents considérés comme merveilleux, personne ne trompe délibérément; mais tout le monde, sans y penser, est amené à conniver. Marie de Magdala avait été, selon le langage du temps, «possédée de sept démons[39]». Il faut tenir compte en tout ceci du peu de précision d'esprit des femmes d'Orient, de leur défaut absolu d'éducation et de la nuance particulière de leur sincérité. La conviction exaltée rend impossible tout retour sur soi-même. Quand on voit le ciel partout, on est amené à se mettre par moments à la place du ciel.
Tirons le voile sur ces mystères. Dans les états de crise religieuse, tout étant considéré comme divin, les plus grands effets peuvent sortir des causes les plus mesquines. Si nous étions témoins des faits étranges qui sont à l'origine de toutes les œuvres de foi, nous y verrions des circonstances qui ne nous paraîtraient pas en proportion avec l'importance des résultats, d'autres qui nous feraient sourire. Nos vieilles cathédrales comptent entre les plus belles choses du monde; on ne peut y entrer sans être en quelque sorte ivre de l'infini. Or, ces splendides merveilles sont presque toujours l'épanouissement de quelque petite supercherie. Et qu'importe en définitive? Le résultat seul compte en pareille matière. La foi purifie tout. L'incident matériel qui a fait croire à la résurrection n'a pas été la cause véritable de la résurrection. Ce qui a ressuscité Jésus, c'est l'amour. Cet amour fut si puissant qu'un petit hasard suffit pour élever l'édifice de la foi universelle. Si Jésus avait été moins aimé, si la foi à la résurrection avait eu moins de raison de s'établir, ces sortes de hasards auraient eu beau se produire; il n'en serait rien sorti. Un grain de sable amène la chute d'une montagne, quand le moment de tomber est venu pour la montagne. Les plus grandes choses viennent à la fois de causes très-grandes et très-petites. Les grandes causes sont seules réelles; les petites ne font que déterminer la production d'un effet qui était déjà depuis longtemps préparé.
[1] Matth., xxviii, 7; Marc, xvi, 7.
[2] Matth., xxviii, 10.
[3] Ibid., xxvi, 32; Marc, xiv, 28.
[4] Matth., xxviii, 16; Jean, xxi.—Luc, xxiv, 49, 50, 52 et les Actes, i, 3–4, sont ici en contradiction flagrante avec Marc, xvi, 1–8, et Matthieu. La seconde finale de Marc (xvi, 9 et suiv.), et même les deux autres qui ne font pas partie du texte reçu (voir ci-dessus, p. 7), paraissent conçues dans le système de Luc. Mais cela ne peut prévaloir contre l'accord d'une partie de la tradition synoptique avec le quatrième Évangile et même, indirectement, avec Paul (I Cor., xv, 5–8) sur ce point.
[5] Matth., xxviii, 16.
[6] Ibid., xxviii, 7; Marc, xvi, 7.
[7] Finale de Marc, dans saint Jérôme, Adv. Pelag., II.
[8] Matth., xxviii, 4 6.
[9] Jean, xxi, 2 et suiv.
[10] L'auteur des Actes, i, 14, les place à Jérusalem lors de l'ascension. Mais cela tient à son parti systématique (Luc, xxiv, 49; Act., 1–4) de ne pas admettre de voyage en Galilée après la résurrection (système contredit par Matthieu et par Jean). Pour être fidèle à ce système, il est obligé de placer l'ascension à Béthanie, en quoi il est contredit par toutes les autres traditions.
[11] I Cor., xv, 5 et suiv.
[12] Jean, xxi, 1 et suiv. Ce chapitre a été ajouté à l'Évangile déjà achevé, comme un post-scriptum. Mais il est de la même provenance que le reste.
[13] Jean, xxi, 9–14; comp. Luc, xxiv, 41–43. Jean réunit en une seule les deux scènes de la pêche et du repas. Mais Luc groupe autrement les choses. En tout cas, si on pèse attentivement les versets Jean, xxi, 14–15, on se convaincra que les liaisons de Jean sont ici un peu artificielles. Les hallucinations, au moment où elles naissent, sont toujours isolées. C'est plus tard qu'on en forme des anecdotes suivies. Cette façon de joindre comme consécutifs des faits séparés par des mois et des semaines se voit d'une manière frappante en comparant entre eux deux passages du même écrivain, Luc, Évang., xxiv, fin, et Actes, i, commencement. D'après le premier passage, Jésus serait monté au ciel le jour même de la résurrection; or, d'après le second, il y eut un intervalle de quarante jours. Si l'on prenait aussi à la rigueur Marc, xvi, 9–20, l'ascension aurait eu lieu le soir de la résurrection. Rien ne prouve mieux que la contradiction de Luc dans ces deux passages combien les rédacteurs des écrits évangéliques tenaient peu aux sutures de leurs récits.
[14] Jean, xxi, 15 et suiv.
[15] Ibid., xxi, 18 et suiv.
[16] I Cor., xv, 6.
[17] Transfiguration.
[18] Matth., xxviii, 16–20; I Cor., xv, 6. Comparez Marc, xvi, 15 et suiv.; Luc, xxiv, 44 et suiv.
[19] I Cor., xv, 6.
[20] Jean ne limite pas la durée de la vie d'outre-tombe de Jésus. Il paraît la supposer assez longue. Selon Matthieu, elle n'aurait duré que le temps nécessaire pour faire le voyage de Galilée et se rendre à la montagne indiquée par Jésus. Selon la première finale inachevée de Marc (xvi, 1–8), les choses se seraient passées, ce semble, comme dans Matthieu. Selon la seconde finale (xvi, 9–20), selon d'autres (voir ci-dessus, p. 7, note 1), et selon l'Évangile de Luc, la vie d'outre-tombe semblerait n'avoir duré qu'un jour. Paul (I Cor., xv, 5–8), d'accord avec le quatrième Évangile, la prolonge durant des années, puisqu'il donne sa vision, laquelle eut lieu cinq ou six ans au moins après la mort de Jésus, comme la dernière des apparitions. La circonstance des «cinq cents frères» conduit à la même supposition, car il ne semble pas qu'au lendemain de la mort de Jésus, le groupe de ses amis fût assez compacte pour fournir une telle assemblée (Act., i, 15). Plusieurs sectes gnostiques, en particulier les valentiniens et les séthiens, évaluaient la durée des apparitions à dix-huit mois, et même fondaient là-dessus des théories mystiques (Irénée, Adv. hær., I, iii, 2; xxx, 14). Seul, l'auteur des Actes (i, 3) fixe la durée de la vie d'outre-tombe de Jésus à quarante jours. Mais c'est là une bien faible autorité, surtout si l'on remarque qu'elle se rattache à un système erroné (Luc, xxiv, 49, 50, 52; Act., i, 4, 12), d'après lequel toute la vie d'outre-tombe se serait passée à Jérusalem ou aux environs. Le nombre quarante est symbolique (le peuple passe quarante ans au désert; Moïse, quarante jours au Sinaï; Élie et Jésus jeûnent quarante jours, etc.). Quant à la forme de récit adoptée par l'auteur des douze derniers versets du second Évangile et par l'auteur du troisième Évangile, forme d'après laquelle les circonstances sont serrées en un jour, voir ci-dessus, p. 33, note. L'autorité de Paul, la plus ancienne et la plus forte de toutes, corroborant celle du quatrième Évangile, qui offre pour cette partie de l'histoire évangélique le plus de suite et de vraisemblance, nous parait fournir un argument décisif.
[21] Luc, xxiv, 31.
[22] Jean, xx, 19, 26.
[23] Matth., xxviii, 9; Luc, xxiv, 37 et suiv.; Jean, xx, 27 et suiv.; xxi, 5 et suiv.; Évangile des hébreux, dans saint Ignace, épitre aux Smyrniens, 3, et dans saint Jérôme, De viris illustribus, 16.
[24] Jean, vi, 64.
[25] Matth., xxviii, 11–15; Justin, Dial. cum Tryph., 17, 108.
[26] Matth., xxvii, 62–66; xxviii, 4, 11–15.
[27] Ibid., xxviii, 2 et suiv.
[28] Les Juifs sont censés, Matth., xxvii, 63, savoir que Jésus a prédit qu'il ressusciterait. Mais les disciples mêmes de Jésus n'avaient à cet égard aucune idée précise. Voir ci-dessus, p. 1, note.
[29] Le vague sentiment de ceci peut se retrouver dans Matthieu, xxvi, 32; xxviii, 7, 10; Marc, xiv, 28; xvi, 7.
[30] Cela s'est vu pour les miracles de la Salette et de Lourdes.—Une des manières les plus ordinaires dont se forme la légende miraculeuse est celle-ci. Un saint personnage passe pour faire des guérisons. On lui amène un malade, qui, par suite de l'émotion, se trouve soulagé. Le lendemain, on répète à dix lieues à la ronde qu'il y a eu miracle. Le malade meurt cinq ou six jours après; personne n'en parle, si bien que, à l'heure où l'on enterre le défunt, on raconte avec admiration sa guérison à quarante lieues de là.—Le mot prêté au philosophe grec devant les ex-voto de Samothrace (Diog. Laërte, VI, ii, 59) est aussi d'une parfaite justesse.
[31] Un phénomène de ce genre, et des plus frappants, se passe chaque année à Jérusalem. Les grecs orthodoxes prétendent que le feu qui s'allume spontanément au saint sépulcre le samedi saint de leur Pâque efface les péchés de ceux qui le promènent sur leur figure, et ne brûle pas. Des milliers de pélerins en font l'expérience et savent fort bien que ce feu brûle (les contorsions qu'ils font, jointes à l'odeur, le prouvent suffisamment). Néanmoins, il ne s'est jamais trouvé personne pour contredire la croyance de l'Église orthodoxe. Ce serait avouer qu'on a manqué de foi, qu'on a été indigne du miracle, et reconnaître, ô ciel! que les latins sont la vraie Église; car ce miracle est tenu des grecs pour la meilleure preuve que leur Église est la seule bonne.
[32] Affaire de la Salette, devant le tribunal civil de Grenoble (arrêt du 2 mai 1855), et devant la cour de Grenoble (arrêt du 6 mai 1857), plaidoiries de MM. Jules Favre et Bethmont, etc., recueillies par J. Sabbatier (Grenoble, Vellot, 1857).
[33] Jean, xx, 15, renfermerait-il une lueur de ceci?
[34] Voir ci-dessus, p. 7–8.
[35] Jean le dit expressément, xix, 41–42.
[36] Jean, xx, 6–7.
[37] On songe involontairement à Marie de Béthanie, qui, en effet, n'a pas de rôle indiqué le dimanche matin. Voir Vie de Jésus, p. 341 et suiv.; 359 et suiv.
[38] Celse faisait déjà sur ce sujet d'excellentes observations critiques (dans Origène, Contra Celsum, II, 55).
[39] Marc, xvi, 9; Luc, viii, 2.
CHAPITRE III.
RETOUR DES APÔTRES A JÉRUSALEM.—FIN DE LA PÉRIODE
DES APPARITIONS.
[An 34] Les apparitions, cependant, ainsi qu'il arrive dans les mouvements de crédulité enthousiaste, commençaient à se ralentir. Les imaginations populaires ressemblent aux maladies contagieuses; elles s'émoussent vite et changent de forme. L'activité des âmes ardentes se tournait déjà d'un autre côté. Ce qu'on croyait entendre de la bouche du cher ressuscité, c'était l'ordre d'aller devant soi, de prêcher, de convertir le monde. Par où commencer? Naturellement par Jérusalem[1]. Le retour à Jérusalem fut donc résolu par ceux qui à ce moment dirigeaient la secte. Comme ces voyages se faisaient d'ordinaire en caravane, à l'époque des fêtes, on peut supposer avec vraisemblance que le retour dont il s'agit eut lieu à la fête des Tabernacles de la fin de l'an 33 ou à la Pâque de l'an 34.
La Galilée fut ainsi abandonnée par le christianisme, et abandonnée pour toujours. La petite Église qui y resta vécut encore sans doute; mais on n'entend plus parler d'elle. Elle fut probablement écrasée, comme tout le reste, par l'effroyable désastre que subit le pays lors de la guerre de Vespasien; les débris de la communauté dispersée se réfugièrent au delà du Jourdain. Après la guerre, ce ne fut pas le christianisme qui se reporta en Galilée; ce fut le judaïsme. Au iie, au iiie au ive siècle, la Galilée est un pays tout juif, le centre du judaïsme, le pays du Talmud[2]. La Galilée ne compta ainsi que pour une heure dans l'histoire du christianisme; mais ce fut l'heure sainte par excellence; elle donna à la religion nouvelle ce qui l'a fait durer, sa poésie, son charme pénétrant. «L'Évangile», à la façon des synoptiques, fut une œuvre galiléenne. Or, nous essayerons de montrer plus tard que «l'Évangile», ainsi entendu, a été la cause principale du succès du christianisme et reste la plus sure garantie de son avenir.
Il est probable qu'une fraction de la petite école qui entourait Jésus dans ses derniers jours était restée à Jérusalem. Au moment de la séparation, la croyance à la résurrection était déjà établie. Cette croyance se développa ainsi des deux côtés avec une physionomie sensiblement différente, et telle est sans doute la cause des divergences complètes qui se remarquent dans les récits des apparitions. Deux traditions, l'une galiléenne, l'autre hiérosolymite, s'étaient formées; d'après la première, toutes les apparitions (sauf celles du premier moment) avaient eu lieu en Galilée; d'après la seconde, toutes avaient eu lieu à Jérusalem[3]. L'accord des deux fractions de la petite Église sur le dogme fondamental ne fît naturellement que confirmer la croyance commune. On s'embrassa dans la même foi; on se redit avec effusion: «Il est ressuscité!» Peut-être la joie et l'enthousiasme qui furent la conséquence de cette rencontre amenèrent-ils quelques autres visions. C'est vers ce temps qu'on peut placer «la vision de Jacques», mentionnée par saint Paul[4]. Jacques était frère ou du moins parent de Jésus. On ne voit pas qu'il ait accompagné Jésus lors de son dernier séjour à Jérusalem. Il y vint probablement avec les apôtres, lorsque ceux-ci quittèrent la Galilée. Tous les grands apôtres avaient eu leur vision; il était difficile que ce «frère du Seigneur» n'eût pas la sienne. Ce fut, ce semble, une vision eucharistique, c'est-à-dire où Jésus apparut prenant et rompant le pain[5]. Plus tard, les parties de la famille chrétienne qui se rattachèrent à Jacques, ceux qu'on appela les hébreux, transportèrent cette vision au jour même de la résurrection, et voulurent qu'elle eût été la première de toutes[6].
Il est très-remarquable, en effet, que la famille de Jésus, dont quelques membres, durant sa vie, avaient été incrédules et hostiles à sa mission[7], fait maintenant partie de l'Église et y tient une place très-élevée. On est porté à supposer que la réconciliation se fit durant le séjour des apôtres en Galilée. La célébrité qu'avait prise tout à coup le nom de leur parent, ces cinq cents personnes qui croyaient en lui et assuraient l'avoir vu ressuscité, purent faire impression sur leur esprit[8]. Dès l'établissement définitif des apôtres à Jérusalem, on voit avec eux Marie, mère de Jésus, et les frères de Jésus[9]. En ce qui concerne Marie, il paraît que Jean, croyant obéir en cela à une recommandation de son maître, l'avait adoptée et prise avec lui[10]. Il la ramena peut-être à Jérusalem. Cette femme, dont le rôle et le caractère personnels sont restés profondément obscurs, prenait dès lors de l'importance. Le mot que l'évangéliste met dans la bouche d'une inconnue: «Heureux le ventre qui t'a porté et les mamelles que tu as sucées!» commençait à se vérifier. Il est probable que Marie survécut peu d'années à son fils[11].
Quant aux frères de Jésus, la question est plus obscure. Jésus eut des frères et des sœurs[12]. Il semble probable cependant que, dans la classe de personnes qui s'appelaient «frères du Seigneur», il y eut des parents au second degré. La question n'a de gravité qu'en ce qui concerne Jacques. Ce Jacques le Juste, ou «frère du Seigneur», que nous allons voir jouer un très-grand rôle dans les trente premières années du christianisme, était-il Jacques, fils d'Alphée, qui paraît avoir été cousin germain de Jésus, ou un vrai frère de Jésus? Les données, à cet égard, sont tout à fait incertaines et contradictoires. Ce que nous savons de ce Jacques nous présente de lui une image tellement éloignée de celle de Jésus, qu'on répugne à croire que deux hommes si différents soient nés de la même mère. Si Jésus est le vrai fondateur du christianisme, Jacques en fut le plus dangereux ennemi; il faillit tout perdre par son esprit étroit. Plus tard, on crut certainement que Jacques le Juste était un vrai frère de Jésus[13]. Mais peut-être s'était-il établi à ce sujet quelque confusion.
Quoi qu'il en soit, les apôtres désormais ne se séparent plus que pour des voyages temporaires. Jérusalem devient leur centre[14]; ils semblent craindre de se disperser, et certains traits paraissent révéler chez eux la préoccupation d'empêcher un nouveau retour en Galilée, lequel eût dissous la petite société. On supposa un ordre exprès de Jésus, interdisant de quitter Jérusalem, au moins jusqu'aux grandes manifestations que l'on attendait[15]. Les apparitions devenaient de plus en plus rares. On en parlait beaucoup moins, et l'on commençait à croire qu'on ne verrait plus le maître avant son retour solennel dans les nuées. Les imaginations se tournaient avec beaucoup de force vers une promesse qu'on supposait que Jésus avait faite. Durant sa vie, Jésus, dit-on, avait souvent parlé de l'Esprit-Saint, conçu comme une personnification de la sagesse divine[16]. Il avait promis à ses disciples que cet Esprit serait leur force dans les combats qu'ils auraient à livrer, leur inspiration dans les difficultés, leur avocat, s'ils avaient à parler en public. Quand les visions devinrent rares, on se rejeta sur cet Esprit, envisagé comme un consolateur, comme un autre lui-même que Jésus devait envoyer à ses amis. Quelquefois on se figurait que Jésus, se montrant tout à coup au milieu de ses disciples assemblés, avait soufflé sur eux de sa propre bouche un courant d'air vivificateur[17]. D'autres fois, la disparition de Jésus était regardée comme la condition de la venue de l'Esprit[18]. On croyait que dans ses apparitions il avait promis la descente de cet Esprit[19]. Plusieurs établissaient un lien intime entre cette descente et la restauration du royaume d'Israël[20]. Toute l'activité d'imagination que la secte avait déployée pour créer la légende de Jésus ressuscité, elle allait maintenant l'appliquer à la création d'un ensemble de croyances pieuses sur la descente de l'Esprit et sur ses dons merveilleux.
Il semble cependant qu'une grande apparition de Jésus eut lieu encore à Béthanie ou sur le mont des Oliviers[21]. Certaines traditions rapportaient à cette vision les recommandations finales, la promesse réitérée de l'envoi du Saint-Esprit, l'acte par lequel il investit ses disciples du pouvoir de remettre les péchés[22]. Les traits caractéristiques de ces apparitions devenaient de plus en plus vagues; on les confondait les unes avec les autres. On finit par n'y plus penser beaucoup. Il fut reçu que Jésus était vivant[23], qu'il s'était manifesté par un nombre d'apparitions suffisant pour prouver son existence, qu'il pouvait se manifester encore en des visions partielles, jusqu'à la grande révélation finale où tout serait consommé[24]. Ainsi, saint Paul présente la vision qu'il eut sur la route de Damas comme du même ordre que celles qui viennent d'être racontées[25]. En tout cas, on admettait, en un sens idéaliste, que le maître était avec ses disciples et serait avec eux jusqu'à la fin[26]. Dans les premiers jours, les apparitions étant très-fréquentes, Jésus était conçu comme habitant la terre d'une façon continue et remplissant plus ou moins les fonctions de la vie terrestre. Quand les visions devinrent rares, on se plia à une autre imagination. On se figura Jésus comme entré dans la gloire et assis à la droite de son Père. «Il est monté au ciel,» se dit-on.
Ce mot resta pour la plupart à l'état d'image vague ou d'induction[27]. Mais il se traduisit pour plusieurs en une scène matérielle. On voulut qu'à la suite de la dernière vision commune à tous les apôtres, et où il leur fit ses recommandations suprêmes, Jésus se fût élevé vers le ciel[28]. La scène fut plus tard développée et devint une légende complète. On raconta que des hommes célestes, selon l'appareil des manifestations divines très-brillantes[29], apparurent au moment où un nuage l'entourait, et consolèrent les disciples par l'assurance d'un retour dans les nues tout semblable à la scène dont ils venaient d'être témoins. La mort de Moïse avait été entourée par l'imagination populaire de circonstances du même genre[30]. Peut-être se souvint-on aussi de l'ascension d'Élie[31].—Une tradition[32] plaça le lieu de cette scène près de Béthanie, sur le sommet du mont des Oliviers. Ce quartier était resté fort cher aux disciples, sans doute parce que Jésus y avait habité.
La légende veut que les disciples, après cette scène merveilleuse, soient rentrés dans Jérusalem «avec joie[33]». Pour nous, c'est avec tristesse que nous dirons à Jésus le dernier adieu. Le retrouver vivant encore de sa vie d'ombre a été pour nous une grande consolation. Cette seconde vie de Jésus, image pâle de la première, est encore pleine de charme. Maintenant, tout parfum de lui est perdu. Enlevé sur son nuage à la droite de son Père, il nous laisse avec des hommes, et que la chute est lourde, ô ciel! Le règne de la poésie est passé. Marie de Magdala, retirée dans sa bourgade, y ensevelit ses souvenirs. Par suite de cette éternelle injustice qui fait que l'homme s'approprie à lui seul l'œuvre dans laquelle la femme a eu autant de part que lui, Céphas l'éclipse et la fait oublier! Plus de sermons sur la montagne; plus de possédées guéries; plus de courtisanes touchées; plus de ces collaboratrices étranges de l'œuvre de la Rédemption, que Jésus n'avait pas repoussées. Le dieu a vraiment disparu. L'histoire de l'Église sera le plus souvent désormais l'histoire des trahisons que subira l'idée de Jésus. Mais, telle qu'elle est, cette histoire est encore un hymne à sa gloire. Les paroles et l'image de l'illustre Nazaréen resteront, au milieu de misères infinies, comme un idéal sublime. On comprendra mieux combien il fut grand, quand on aura vu combien ses disciples furent petits.
[1] Luc, xxiv, 47.
[3] Matthieu est exclusivement galiléen; Luc et le second Marc, xvi, 9–20, sont exclusivement hiérosolymites. Jean réunit les deux traditions. Paul (I Cor., xv, 5–8) admet aussi des visions arrivées sur des points très-éloignés. Il est possible que la vision «des cinq cents frères» de Paul, que nous avons identifiée par conjecture avec celle «de la montagne de Galilée» de Matthieu, soit une vision hiérosolymite.
[4] I Cor., xv, 7. On, ne peut expliquer le silence des quatre Évangiles canoniques sur cette vision qu'en la rapportant à une époque placée en deçà du cadre de leur récit. L'ordre chronologique des visions, sur lequel saint Paul insiste avec tant de précision, conduit au même résultat.
[5] Évang. des hébreux, cité par saint Jérôme, De viris illustribus, 2. Comparez Luc, xxiv, 41–43.
[6] Évang. des hébreux, loc. cit.
[7] Jean, vii, 5.
[8] Y aurait-il une allusion à ce brusque changement dans Gal., ii, 6?
[9] Act., i, 14, témoignage faible, il est vrai. On sent déjà chez Luc une tendance à grandir le rôle de Marie. Luc, chap. i et ii.
[10] Jean, xix, 25–27.
[11] La tradition sur son séjour à Éphèse est moderne et sans valeur. Voir Épiphane, Adv. hær., hær. lxxviii, 11.
[12] Voir Vie de Jésus, p. 23 et suiv.
[13] Évangile selon les hébreux, endroit cité ci-dessus, p. 48.
[14] Act., viii, 1; Galat., i, 17–19; ii, 1 et suiv.
[15] Luc, xxiv, 49; Act., i, 4.
[16] Cette idée, il est vrai, n'est développée que dans le quatrième Évangile (ch. xiv, xv, xvi). Mais elle est indiquée dans Matth., iii, 11; Marc, i, 8; Luc, iii, 16; xii, 11–12; xxiv, 49.
[17] Jean, xx, 22–33.
[18] Ibid., xvi, 7.
[19] Luc, xxiv, 49; Act., i, 4 et suiv.
[20] Act., i, 5–8.
[21] I Cor., xv, 7; Luc, xxiv, 50 et suiv.; Act., i, 2 et suiv. Certes, il serait très-admissible que la vision de Béthanie racontée par Luc fût parallèle à la vision de la montagne, dans Matth., xxviii, 16 et suiv., avec transposition de lieu. Cependant cette vision chez Matthieu n'est pas suivie de l'ascension. Dans la seconde finale de Marc, la vision des recommandations finales, suivie de l'ascension, a lieu à Jérusalem. Enfin Paul présente la vision «à tous les apôtres», comme distincte de celle «aux cinq cents frères».
[22] D'autres traditions rapportaient la collation de ce pouvoir à des visions antérieures (Jean, xx, 23).
[23] Luc, xxiv, 23; Act., xxv, 19.
[24] Act., i, 11.
[25] I Cor., xv, 8.
[26] Matth., xxviii, 20.
[27] Jean, iii, 13; vi, 62; xvi, 7; xx, 17; Ephes., iv, 10; I Petri, iii, 22. Ni Matthieu ni Jean n'ont le récit de l'ascension. Paul (I Cor., xv, 7–8) en exclut jusqu'à l'idée.
[28] Marc, xvi, 19; Luc, xxiv, 50–52; Act., 2–12; Justin, Apol. I, 50; Ascension d'Isaïe, version éthiopienne, xi, 22; version latine (Venise, 1522), sub fin.
[29] Comparez le récit de la transfiguration.
[30] Jos., Antiq., IV, viii, 48.
[31] II Reg., ii, 11 et suiv.
[32] Luc, dernier chapitre de l'Évangile, et premier chapitre des Actes.
[33] Luc, xxiv, 52.
CHAPITRE IV.
DESCENTE DE L'ESPRIT-SAINT.—PHÉNOMÈNES EXTATIQUES
ET PROPHÉTIQUES.
[An 34] Petits, étroits, ignorants, inexpérimentés, ils l'étaient autant qu'on peut l'être. Leur simplicité d'esprit était extrême; leur crédulité n'avait pas de bornes. Mais ils avaient une qualité: ils aimaient leur maître jusqu'à la folie. Le souvenir de Jésus était resté le mobile unique de leur vie; c'était une obsession perpétuelle, et il était clair qu'ils ne vivraient jamais que de celui qui, pendant deux ou trois ans, les avait si fortement attachés et séduits. Pour les âmes de rang secondaire, qui ne peuvent aimer Dieu directement, c'est-à-dire trouver du vrai, créer du beau, faire du bien par elles-mêmes, le salut est d'aimer quelqu'un en qui luise un reflet du vrai, du beau, du bien. Le plus grand nombre des hommes a besoin d'un culte à deux degrés. La foule des adorateurs veut un intermédiaire entre elle et Dieu.
Quand une personne a réussi à fixer autour d'elle plusieurs autres personnes par un lien moral élevé, et qu'elle meurt, il arrive toujours que les survivants, souvent divisés jusque-là par des rivalités et des dissentiments, se prennent d'une grande amitié les uns pour les autres. Mille chères images du passé qu'ils regrettent forment entre eux comme un trésor commun. C'est une manière d'aimer le mort que d'aimer ceux avec lesquels-on l'a connu. On cherche à se trouver ensemble pour se rappeler le temps heureux qui n'est plus. Une profonde parole de Jésus[1] se trouve alors vraie à la lettre: le mort est présent au milieu des personnes qui sont réunies par son souvenir.
L'affection que les disciples avaient les uns pour les autres, du vivant de Jésus, fut ainsi décuplée après sa mort. Ils formaient une petite société fort retirée et vivaient exclusivement entre eux. Ils étaient à Jérusalem au nombre d'environ cent vingt[2]. Leur piété était vive, et encore toute renfermée dans les formes de la piété juive. Le temple était leur grand lieu de dévotion[3]. Ils travaillaient sans doute pour vivre; mais le travail manuel, dans la société juive d'alors, occupait, très-peu. Tout le monde y avait un métier, et ce métier n'empêchait nullement qu'on fût un homme instruit ou bien élevé. Chez nous, les besoins matériels sont si difficiles à satisfaire, que l'homme vivant de ses mains est obligé de travailler douze ou quinze heures par jour; l'homme de loisir peut seul vaquer aux choses de l'âme; l'acquisition de l'instruction est une chose rare et chère. Mais, dans ces vieilles sociétés, dont l'Orient de nos jours donne encore une idée, dans ces climats, où la nature est si prodigue pour l'homme et si peu exigeante, la vie du travailleur laissait bien du loisir. Une sorte d'instruction commune mettait tout homme au courant des idées du temps. La nourriture et le vêtement suffisaient[4]; avec quelques heures de travail peu suivi, on y pourvoyait. Le reste appartenait au rêve, à la passion. La passion avait atteint dans ces âmes un degré d'énergie pour nous inconcevable. Les Juifs de ce temps[5] nous paraissent de vrais possédés, chacun obéissant comme un ressort aveugle à l'idée qui s'est emparée de lui.
L'idée dominante, dans la communauté chrétienne, au moment où nous sommes, et où les apparitions ont cessé, était la venue de l'Esprit-Saint. On croyait le recevoir sous la forme d'un souffle mystérieux qui passait sur l'assistance. Plusieurs se figuraient que c'était le souffle de Jésus lui-même[6]. Toute consolation intérieure, tout mouvement de courage, tout élan d'enthousiasme, tout sentiment de gaieté vive et douce qu'on ressentait sans savoir d'où il venait, fut l'œuvre de l'Esprit. Ces bonnes consciences rapportaient, comme toujours, à une cause extérieure les sentiments exquis qui naissaient en elles. C'était particulièrement dans les assemblées que ces phénomènes bizarres d'illuminisme se produisaient. Quand tous étaient réunis, et qu'on attendait en silence l'inspiration d'en haut, un murmure, un bruit quelconque faisait croire à la venue de l'Esprit. Dans les premiers temps, c'étaient les apparitions de Jésus qui se produisaient de la sorte. Maintenant, le tour des idées avait changé. C'était l'haleine divine qui courait sur la petite Église et la remplissait d'effluves célestes.
Ces croyances se rattachaient à des conceptions tirées de l'Ancien Testament. L'esprit prophétique est montré dans les livres hébreux comme un souffle qui pénètre l'homme et l'exalte. Dans la belle vision d'Élie[7], Dieu passe sous la figure d'un vent léger, qui produit un petit bruissement. Ces vieilles images avaient amené, aux basses époques, des croyances fort analogues à celles des spirites de nos jours. Dans l'Ascension d'Isaïe[8], la venue de l'Esprit est accompagnée d'un certain froissement aux portes[9]. Plus souvent, toutefois, on concevait cette venue comme un autre baptême, savoir le «baptême de l'Esprit», bien supérieur à celui de Jean[10]. Les hallucinations du tact étant très-fréquentes parmi des personnes aussi nerveuses et aussi exaltées, le moindre courant d'air, accompagné d'un frémissement au milieu du silence, était considéré comme le passage de l'Esprit. L'un croyait sentir; bientôt tous sentaient[11], et l'enthousiasme se communiquait de proche en proche. L'analogie de ces phénomènes avec ceux que l'on retrouve chez les visionnaires, de tous les temps est facile à saisir. Ils se produisent journellement, en partie sous l'influence de la lecture du livre des Actes des Apôtres, dans les sectes anglaises ou américaines de quakers, jumpers, shakers, irvingiens[12], chez les Mormons[13], dans les camp-meetings et les revivals de l'Amérique[14]. On les a vus reparaître chez nous dans la secte dite des «spirites». Mais une immense différence doit être faite entre des aberrations sans portée et sans avenir, et des illusions qui ont accompagné l'établissement d'un nouveau code religieux pour l'humanité.
Entre toutes ces «descentes de l'Esprit», qui paraissent avoir été assez fréquentes, il y en eut une qui laissa dans l'Église naissante une profonde impression[15]. Un jour que les frères étaient réunis, un orage éclata. Un vent violent ouvrit les fenêtres; le ciel était en feu. Les orages en ces pays sont accompagnés d'un prodigieux dégagement de lumière; l'atmosphère est comme sillonnée de toutes parts de gerbes de flamme. Soit que le fluide électrique ait pénétré dans la pièce même, soit qu'un éclair éblouissant ait subitement illuminé la face de tous, on fut convaincu que l'Esprit était entré, et qu'il s'était épanché sur la tête de chacun sous forme de langues de feu[16]. C'était une opinion répandue dans les écoles théurgiques de Syrie que l'insinuation de l'Esprit se faisait par un feu divin et sous forme de lueur mystérieuse[17]. On crut avoir assisté à toutes les splendeurs du Sinaï[18], à une manifestation divine analogue à celle des anciens jours. Le baptême de l'Esprit devint dès lors aussi un baptême de feu. Le baptême de l'Esprit et du feu fut opposé et hautement préféré au baptême de l'eau, le seul que Jean eût connu[19]. Le baptême du feu ne se produisit que dans des occasions rares. Les apôtres seuls et les disciples du premier cénacle furent censés l'avoir reçu. Mais l'idée que l'Esprit s'était épanché sur eux sous la forme de pinceaux de flamme, ressemblant à des langues ardentes, donna origine à une série d'idées singulières, qui tinrent une grande place dans les imaginations du temps.
La langue de l'homme inspiré était supposée recevoir une sorte de sacrement. On prétendait que plusieurs prophètes, avant leur mission, avaient été bègues[20]; que l'ange de Dieu avait promené sur leurs lèvres un charbon qui les purifiait et leur conférait le don de l'éloquence[21]. Dans la prédication, l'homme était censé ne point parler de lui-même[22]. Sa langue était considérée comme l'organe de la Divinité qui l'inspirait. Ces langues de feu parurent un symbole frappant. On fut convaincu que Dieu avait voulu signifier ainsi qu'il versait sur les apôtres ses dons les plus précieux d'éloquence et d'inspiration. Mais on ne s'arrêta point là. Jérusalem était, comme la plupart des grandes villes de l'Orient, une ville très-polyglotte. La diversité des langues était une des difficultés qu'on y trouvait pour une propagande d'un caractère universel. Une des choses, d'ailleurs, qui effrayaient le plus les apôtres, au début d'une prédication destinée à embrasser le monde, était le nombre des langues qu'on y parlait; ils se demandaient sans cesse comment ils apprendraient tant de dialectes. «Le don des langues» devint de la sorte un privilège merveilleux. On crut la prédication de l'Évangile affranchie de l'obstacle que créait la diversité des idiomes. On se figura que, dans quelques circonstances solennelles, les assistants avaient entendu la prédication apostolique chacun dans sa propre langue, en d'autres termes que la parole apostolique se traduisait d'elle-même à chacun des assistants[23]. D'autres fois, cela se concevait d'une manière un peu différente. On prêtait aux apôtres le don de savoir, par infusion divine, tous les idiomes et de les parler à volonté[24].
Il y avait en cela une pensée libérale; on voulait dire que l'Évangile n'a pas de langue à lui, qu'il est traduisible en tous les idiomes, et que la traduction vaut l'original. Tel n'était pas le sentiment du judaïsme orthodoxe. L'hébreu était pour le juif de Jérusalem la «langue sainte»; aucun idiome ne pouvait lui être comparé. Les traductions de la Bible étaient peu estimées; tandis que le texte hébreu était gardé scrupuleusement, on se permettait dans les traductions des changements, des adoucissements. Les juifs d'Égypte et les hellénistes de Palestine pratiquaient, il est vrai, un système plus tolérant; ils employaient le grec dans la prière[25], et lisaient habituellement les traductions grecques de la Bible. Mais la première idée chrétienne fut plus large encore: selon cette idée, la parole de Dieu n'a pas de langue propre; elle est libre, dégagée de toute entrave d'idiome; elle se livre à tous spontanément et sans interprète. La facilité avec laquelle le christianisme se détacha du dialecte sémitique qu'avait parlé Jésus, la liberté avec laquelle il laissa d'abord chaque peuple se créer sa liturgie et ses versions de la Bible en dialecte national, tenaient à cette espèce d'émancipation des langues. On admettait généralement que le Messie ramènerait toutes les langues comme tous les peuples à l'unité[26]. Le commun usage et la promiscuité des idiomes étaient le premier pas vers cette grande ère d'universelle pacification.
Bientôt, du reste, le don des langues se transforma considérablement et aboutit à des effets plus étranges. L'exaltation des têtes amena l'extase et la prophétie. Dans ces moments d'extase, le fidèle, saisi par l'Esprit, proférait des sons inarticulés et sans suite, qu'on prenait pour des mots en langue étrangère, et qu'on cherchait naïvement à interpréter[27]. D'autres fois, on croyait que l'extatique parlait des langues nouvelles et inconnues jusque-là[28]; ou même la langue des anges[29]. Ces scènes bizarres, qui amenèrent des abus, ne devinrent habituelles que plus tard[30]. Mais il est probable que, dès les premières années du christianisme, elles se produisirent. Les visions des anciens prophètes avaient souvent été accompagnées de phénomènes d'excitation nerveuse[31]. L'état dithyrambique des Grecs entraînait des faits du même genre; la Pythie se servait de préférence de ces mots étrangers ou tombés en désuétude qu'on appelait, comme dans le phénomène apostolique, glosses[32]. Beaucoup des mots de passe du christianisme primitif, lesquels sont justement bilingues ou formés par anagrammes, tels que Abba pater, Anathema Maranatha[33], étaient peut-être sortis de ces accès bizarres, entremêlés de soupirs[34], de gémissements étouffés, d'éjaculalions, de prières, d'élans subits, que l'on tenait pour prophétiques. C'était comme une vague musique de l'âme, épandue en sons indistincts, et que les auditeurs cherchaient à traduire en images et en mots déterminés[35], ou plutôt comme des prières de l'Esprit, s'adressant à Dieu en une langue connue de Dieu seul et que Dieu sait interpréter[36]. L'extatique, en effet, ne comprenait rien à ce qu'il disait, et n'en avait même aucune conscience[37]. On écoutait avec avidité, et on prêtait à des syllabes incohérentes les pensées qu'on trouvait sur-le-champ. Chacun se reportait à son patois et cherchait naïvement à expliquer les sons inintelligibles par ce qu'il savait en fait de langues. On y réussissait toujours plus ou moins, l'auditeur mettant dans ces mots entrecoupés ce qu'il avait au cœur.
L'histoire des sectes d'illuminés est riche en faits du même genre. Les prédicants des Cévennes offrirent plusieurs cas de «glossolalie» [38]. Mais le fait le plus frappant est celui des «liseurs» suédois[39], vers 1841–1843. Des paroles involontaires, dénuées de sens pour ceux qui les prononçaient, et accompagnées de convulsions et d'évanouissements, furent longtemps un exercice journalier dans cette petite secte. Cela devint tout à fait contagieux, et un assez grand mouvement populaire s'y rattacha. Chez les irvingiens, le phénomène des langues s'est produit avec des traits qui reproduisent de la manière la plus frappante les récits des Actes et de saint Paul[40]. Notre siècle a vu des scènes d'illusion du même genre qu'on ne rappellera pas ici; car il est toujours injuste de comparer la crédulité inséparable d'un grand mouvement religieux à la crédulité qui n'a pour cause que la platitude d'esprit.
Ces phénomènes étranges transpiraient parfois au dehors. Des extatiques, au moment même où ils étaient en proie à leurs illuminations bizarres, osaient sortir et se montrer à la foule. On les prenait pour des gens ivres[41]. Quoique sobre en fait de mysticisme, Jésus avait plus d'une fois présenté en sa personne les phénomènes ordinaires de l'extase[42]. Les disciples, pendant deux ou trois ans, furent obsédés de ces idées. Le prophétisme était fréquent et considéré comme un don analogue à celui des langues[43]. La prière, mêlée de convulsions, de modulations cadencées, de soupirs mystiques, d'enthousiasme lyrique, de chants d'action de grâce[44], était un exercice journalier. Une riche veine de «cantiques», de «psaumes», d'«hymnes», imités de ceux de l'Ancien Testament, se trouva ainsi ouverte[45]. Tantôt la bouche et le cœur s'accompagnaient mutuellement; tantôt le cœur chantait seul, accompagné intérieurement de la grâce[46]. Aucune langue ne rendant les sensations nouvelles qui se produisaient, on se laissait aller à un bégayement indistinct, à la fois sublime et puéril, où ce qu'on peut appeler «la langue chrétienne» flottait à l'état d'embryon. Le christianisme, ne trouvant pas dans les langues anciennes un instrument approprié à ses besoins, les a brisées. Mais, en attendant que la religion nouvelle se formât un idiome à son usage, il y eut des siècles d'efforts obscurs et comme de vagissement. Le style de saint Paul, et en général des écrivains du Nouveau Testament, qu'est-il, à sa manière, si ce n'est l'improvisation étouffée, haletante, informe, du «glossolale»? La langue leur faisait défaut. Comme les prophètes, ils débutaient par l'a a a de l'enfant[47]. Ils ne savaient point parler. Le grec et le sémitique les trahissaient également. De là cette énorme violence que le christianisme naissant fit au langage. On dirait un bègue dans la bouche duquel les sons s'étouffent, se heurtent, et aboutissent à une pantomime confuse, mais souverainement expressive.
Tout cela était bien loin du sentiment de Jésus; mais pour des esprits pénétrés de la croyance au surnaturel, ces phénomènes avaient une grande importance. Le don des langues, en particulier, était considéré comme un signe essentiel de la religion nouvelle et comme une preuve de sa vérité[48]. En tout cas, il en résultait de grands fruits d'édification. Plusieurs païens étaient convertis par là[49]. Jusqu'au iiie siècle, la «glossolalie» se manifesta d'une manière analogue à ce que décrit saint Paul, et fut considérée comme un miracle permanent[50]. Quelques-uns des mots sublimes du christianisme sont sortis de ces soupirs entrecoupés. L'effet général était touchant et pénétrant. Cette façon de mettre en commun ses inspirations et de les livrer à l'interprétation de la communauté devait établir entre les fidèles un lien profond de fraternité.
Comme tous les mystiques, les nouveaux sectaires menaient une vie de jeûne et d'austérité[51]. Comme la plupart des Orientaux, ils mangeaient peu, ce qui contribuait à les maintenir dans l'exaltation. La sobriété du Syrien, cause de sa faiblesse physique, le met dans un état perpétuel de fièvre et de susceptibilité nerveuse. Nos grands efforts continus de tête sont impossibles avec un tel régime. Mais cette débilité cérébrale et musculaire amène, sans cause apparente, de vives alternatives de tristesse et de joie, qui mettent l'âme en rapport continuel avec Dieu. Ce qu'on appelait «la tristesse selon Dieu[52]» passait pour un don céleste. Toute la doctrine des Pères de la vie spirituelle, des Jean Climaque, des Basile, des Nil, des Arsène, tous les secrets du grand art de la vie intérieure, une des créations les plus glorieuses du christianisme, étaient en germe dans l'étrange état d'âme que traversèrent, en leurs mois d'attente extatique, ces ancêtres illustres de tous les «hommes de désirs». Leur état moral était étrange; ils vivaient dans le surnaturel. Ils n'agissaient que par visions; les rêves, les circonstances les plus insignifiantes leur semblaient des avertissements du ciel[53].
Sous le nom de dons du Saint-Esprit se cachaient ainsi les plus rares et les plus exquises effusions de l'âme, amour, piété, crainte respectueuse, soupirs sans objet, langueurs subites, tendresses spontanées. Tout ce qui naît de bon en l'homme, sans que l'homme y ait part, fut attribué à un souffle d'en haut. Les larmes surtout étaient tenues pour une faveur céleste. Ce don charmant, privilège des seules âmes très-bonnes et très-pures, se produisait avec des douceurs infinies. On sait quelle force les natures délicates, surtout les femmes, puisent dans la divine faculté de pouvoir pleurer beaucoup. C'est leur prière, à elles, et sûrement la plus sainte des prières. Il faut descendre jusqu'en plein moyen âge, à cette piété toute trempée de pleurs des saint Bruno, des saint Bernard, des saint François d'Assise, pour retrouver les chastes mélancolies de ces premiers jours, où l'on sema vraiment dans les larmes pour moissonner dans la joie. Pleurer devint un acte pieux; ceux qui ne savaient ni prêcher, ni parler les langues, ni faire des miracles, pleuraient. On pleurait en priant, en prêchant, en avertissant[54]; c'était l'avénement du règne des pleurs. On eût dit que les âmes se fondaient et voulaient, en l'absence d'un langage qui put rendre leurs sentiments, se répandre au dehors par une expression vive et abrégée de tout leur être intérieur.
[1] Matth., xviii, 20.
[2] Act., i, 15. La plus grande partie des «cinq cents frères» était sans doute restée en Galilée. Ce qui est dit Act., ii, 41, est sûrement une exagération, ou du moins une anticipation.
[3] Luc, xxiv, 53; Act., ii, 46. Comp. Luc, ii, 37; Hégésippe, dans Eusèbe, Hist. eccl., II, 23.
[4] Deuter., x, 18; I Tim., vi, 8.
[5] Lire la Guerre des Juifs de Josèphe.
[6] Jean, xx, 22.
[7] I Reg., xix, 11–12.
[8] Cet ouvrage paraît avoir été écrit au commencement du iie siècle de notre ère.
[9] Ascension d'Isaïe, vi, 6 et suiv. (version éthiopienne).
[10] Matth., iii, 11; Marc, i, 8; Luc, iii, 16; Act., i, 5; xi, 16; xix, 4; I Joan., v, 6 et suiv.
[11] Comparez Misson, le Théâtre sacré des Cévennes (Londres, 1707), p. 103.
[12] Revue des Deux Mondes, sept. 1853, p. 966 et suiv.
[13] Jules Remy, Voyage au pays des Mormons (Paris, 1860), livres ii et iii; par exemple, vol. I, p. 259–260; vol. II, 470 et suiv.
[14] Astié, le Réveil religieux des États-Unis (Lausanne, 1859).
[15] Act., ii, 1–3; Justin, Apol. I, 50.
[16] L'expression «langue de feu» signifie simplement, en hébreu, une flamme (Isaïe v, 24). Comp, Virgile, Æn., II, 682–84.
[17] Jamblique (De myst., sect. III, cap. 6) expose toute la théorie de ces descentes lumineuses de l'Esprit.
[18] Comparez Talmud de Babylone, Chagiga, 14 b, Midraschim, Schir hasschirin rabba, fol. 10 b; Ruth rabba, fol. 42 a; Koheleth rabba, 87 a.
[19] Matth., iii, 11; Luc, iii, 16.
[20] Exode, iv, 10; comp. Jérémie, i, 6.
[21] Isaïe, vi, 5 et suiv.; comp. Jérém., i, 9.
[22] Luc, xi, 12; Jean, xiv, 26.
[23] Act., ii, 5 et suiv. C'est le sens le plus probable du récit, quoiqu'il puisse signifier aussi que chacun des idiomes était parlé séparément par chacun des prédicants.
[24] Act., ii, 4. Comp. I Cor. xii, 10, 28; xiv, 21–22. Pour des imaginations analogues, voir Calmeil, De la folie, I, p. 9, 262; II, p. 357 et suiv.
[25] Talmud de Jérusalem, Sota, 21 b.
[26] Testam. des douze patr., Juda, 25.
[27] Act., ii, 4; x, 44 et suiv.; xi, 15; xix, 6; I Cor., xii-xiv.
[28] Marc, xvi, 17. Il faut se rappeler que, dans l'ancien hébreu, comme du reste dans toutes les langues anciennes (voir mon Orig. du langage, p. 177 et suiv.), les mots désignant «étranger», «langue étrangère», venaient de mots qui signifiaient «bégayer», «balbutier», un idiome inconnu se présentant toujours aux peuples naïfs comme un bégayement indistinct. V. Isaïe, xxviii, 11; xxxiii, 19; I Cor., xiv, 21.
[29] I Cor., xiii, 1, en tenant compte de ce qui précède.
[30] I Cor., xii, 28, 30; xiv, 2 et suiv.
[31] I Sam., xix, 23 et suiv.
[32] Plutarque, De Pythiæ oraculis, 24. Comparez la prédiction de Cassandre dans l'Agamemnon d'Eschyle.
[33] I Cor., xii, 3; xvi, 22; Rom., viii, 15.
[34] Rom., viii, 23, 26, 27.
[35] I Cor., xiii, 1; xiv, 7 et suiv.
[36] Rom., viii, 26–27.
[37] I Cor., xiv, 13, 14, 27 et suiv.
[38] Jurieu, Lettres pastorales, 3e année, 3e lettre; Misson, le Théâtre sacré des Cévennes, p. 10, 14, 15, 18, 19, 22, 31, 32, 36, 37, 65, 66, 68, 70, 94, 104, 109, 126, 140; Brueys, Histoire du fanatisme (Montpellier, 1709), I, pages 145 et suiv.; Fléchier, Lettres choisies (Lyon, 1734), I, p. 353 et suiv.
[39] Karl Hase, Hist. de l'Église, § 439 et 458, 5; le journal protestant l'Espérance, 1er avril 1847.
[40] M. Hohl, Bruchstücke aus dem Leben und den Schriften Ed. Irving's (Saint-Gall, 1839), p. 145, 149 et suiv.; Karl Hase, Hist. de l'Égl., § 458, 4.—Pour les Mormons, voir Remy, Voyage, I, p. 176–177, note; 259–260; II, p. 55 et suiv.—Pour les convulsionnaires de Saint-Médard, voir surtout Carré de Montgeron, la Vérité sur les miracles, etc. (Paris, 1737–1741), II, p. 18, 19, 49, 54, 55, 63, 64. 80, etc.
[41] Act., ii, 13, 15.
[42] Marc, iii, 21 et suiv.; Jean, x, 20 et suiv.; xii, 27 et suiv.
[43] Act., xix, 6; I Cor., xiv, 3 et suiv.
[44] Act., x, 46; I Cor. xiv, 15, 16, 26.
[45] Col., iii, 16; Eph., v, 19 (Ψαλμοί, ὔμνοί, ᾠδαὶ πνευματικαἰ). Voir les premiers chapitres de l'Évangile de Luc. Comparez, en particulier, Luc, i, 46 à Act., x, 46.
[46] I Cor., xiv, 15; Col., iii, 16; Eph., v, 19.