Les apôtres
[1] Voir les textes réunis et traduits par Eugène Burnouf, Introd. à l'hist. du buddhisme indien, I, p. 137 et suiv., surtout p. 198–199.
[2] Voir Vie de Jésus, p. 181 et 211.
[3] Act., ii, 45; iv, 34, 37; v, 1.
[4] Act., v, 1 et suiv.
[5] Ibid., ii, 45; iv, 35.
[6] Act., vi, 1 et suiv.
[7] Voir ci-dessus, p. 108.
[8] Act., xxi, 8.
[9] Phil., i, 1; I Tim., iii, 8 et suiv.
[10] Rom., xvi, 1, 12; I Tim., iii, 11; v, 9 et suiv.; Pline, Epist., X, 97. Les épîtres à Timothée ne sont probablement pas de saint Paul; mais elles sont en tout cas fort anciennes.
[11] Rom., xvi, 1; I Cor., ix, 5; Philem., 2.
[12] I Tim., v, 9 et suiv.
[13] Constit. apost., VI, 17.
[14] Sap., ii, 10; Eccl., xxxvii, 17; Matth., xxiii, 14; Marc, xii, 40; Luc, xx, 47; Jac., i, 27.
[15] Mischna, Sota, iii, 4.
[16] Talm. de Bab., Sota, 22 a; comp. I Tim., v, 13; Buxtorf, Lex. chald. talm. rabb., aux mots תיכילצ et תוככוש.
[17] Act., vi,1.
[18] Ibid., xii, 12.
[19] I Tim., v, 9 et suiv. Comp. Act., ix, 39, 41.
[20] I Tim., v, 3 et suiv.
[21] Ecclésiaste, vii, 27; Ecclésiastique, vii, 26 et suiv.; ix, 1 et suiv.; xxv, 22 et suiv.; xxvi, 1 et suiv.; xlii, 9 et suiv.
[22] Pour le costume des veuves dans l'Église orientale, voir le manuscrit grec no 64 de la Bibliothèque impériale (ancien fonds), fol. 11. Le costume des calogries est encore aujourd'hui à peu près le même, le type de la religieuse orientale étant la veuve, tandis que celui de la nonne latine est la vierge.
[23] Comparez le Pasteur d'Hermas, vis. ii, ch. 4.
[24] Καλογρἰα, nom des religieuses dans l'Église orientale. Καλὸς réunit ici les deux sens de «beau» et de «bon».
[25] Voir ci-dessus, p. 122, note 3.
[26] I Cor., xii entier.
[27] Les congrégations piétistes de l'Amérique, qui sont, dans le protestantisme, l'analogue des couvents catholiques, rappellent aussi par beaucoup de traits les Églises primitives. V. L. Bridel, Récits américains (Lausanne, 1861).
[28] Prov., iii, 27 et suiv.; x, 2; xi, 4; xxii, 9; xxviii, 27; Eccli., iii, 23 et suiv.; vii, 36; xii, 1 et suiv.; xviii, 14; xx, 13 et suiv.; xxxi, 11; Tobie, ii, 15, 22; iv, 11; xii, 9; xiv, 11; Daniel, iv, 24; Talm. de Jérus., Peah, 15 b.
[29] Matth., vi, 2; Mischna, Schekalim, v, 6; Talm. de Jérus., Demaï, fol. 23 b.
[30] Act., x, 2, 4, 31.
[31] Ps. cxxxiii.
[32] Act., ii, 44–47; iv, 32–35.
[33] Ibid., ii, 41.
[35] Act., vi, 5; xi, 20.
CHAPITRE VIII.
PREMIÈRE PERSÉCUTION.—MORT D'ÉTIENNE.—DESTRUCTION
DE LA PREMIÈRE ÉGLISE DE JÉRUSALEM.
[An 36] Il était inévitable que les prédications de la secte nouvelle, même en se produisant avec beaucoup de réserve, réveillassent les colères qui s'étaient amassées contre le fondateur et avaient fini par amener sa mort. La famille sadducéenne de Hanan, qui avait fait tuer Jésus, régnait toujours. Joseph Kaïapha occupa, jusqu'en 36, le souverain pontificat, dont il abandonnait tout le pouvoir effectif à son beau-père Hanan, et à ses parents Jean et Alexandre[1]. Ces hommes arrogants et sans pitié voyaient avec impatience une troupe de bonnes et saintes gens, sans titre officiel, gagner la faveur de la foule[2]. Une ou deux fois, Pierre, Jean et les principaux membres du collége apostolique, furent mis en prison et condamnés à la flagellation. C'était le châtiment qu'on infligeait aux hérétiques[3]. L'autorisation des Romains n'était pas nécessaire pour l'appliquer. Comme on le pense bien, ces brutalités ne faisaient qu'exciter l'ardeur des apôtres. Ils sortiront du sanhédrin, où ils venaient de subir la flagellation, pleins de joie d'avoir été jugés dignes de subir un affront pour celui qu ils aimaient[4]. Éternelle puérilité des répressions pénales, appliquées aux choses de l'âme! Ils passaient sans doute pour des hommes d'ordre, pour des modèles de prudence et de sagesse, les étourdis qui crurent sérieusement, l'an 36, avoir raison du christianisme au moyen de quelques coups de fouet.
Ces violences venaient surtout des sadducéens[5], c'est-à-dire du haut clergé qui entourait le temple et en tirait d'immenses profits[6]. On ne voit pas que les pharisiens aient déployé contre la secte l'animosité qu'ils montrèrent contre Jésus. Les nouveaux croyants étaient des gens pieux, rigides, assez analogues par leur genre de vie aux pharisiens eux-mêmes. La rage que ces derniers ressentirent contre le fondateur venait de la supériorité de Jésus, supériorité que celui-ci ne prenait aucun soin de dissimuler. Ses fines railleries, son esprit, son charme, son aversion pour les faux dévots, avaient allumé des haines féroces. Les apôtres, au contraire, étaient dénués d'esprit; ils n'employèrent jamais l'ironie. Les pharisiens leur furent par moments favorables; plusieurs pharisiens se firent même chrétiens[7]. Les terribles anathèmes de Jésus contre le pharisaïsme n'étaient pas encore écrits, et la tradition des paroles du maître n'était ni générale ni uniforme[8].
Ces premiers chrétiens étaient d'ailleurs des gens si inoffensifs, que plusieurs personnes de l'aristocratie juive, sans faire précisément partie de la secte, étaient bien disposés pour eux. Nicodème et Joseph d'Arimathie, qui avaient connu Jésus, restèrent sans doute avec l'Église en des liens fraternels. Le docteur juif le plus célèbre du temps, Rabbi Gamaliel le Vieux, petit-fils de Hillel, homme à idées larges et très-tolérant, opina, dit-on, dans le sanhédrin en faveur de la liberté des prédications évangéliques[9]. L'auteur des Actes lui prête un raisonnement excellent, qui devrait être la règle de conduite des gouvernements, toutes les fois qu'ils se trouvent en présence de nouveautés dans l'ordre intellectuel ou moral. «Si cette œuvre est frivole, laissez-la, elle tombera d'elle-même; si elle est sérieuse, comment osez-vous résister à l'œuvre de Dieu? En tout cas, vous ne réussirez pas à l'arrêter.» Gamaliel fut peu écouté. Les esprits libéraux, au milieu de fanatismes opposés, n'ont aucune chance de réussir.
[An 37] Un éclat terrible fut provoqué par le diacre Étienne[10]. Sa prédication avait, à ce qu'il paraît, beaucoup de succès. La foule s'amassait autour de lui, et ces rassemblements aboutissaient à des querelles fort vives. C'étaient surtout des hellénistes ou des prosélytes, des habitués de la synagogue dite des Libertini[11], des gens de Cyrène, d'Alexandrie, de Cilicie, d'Éphèse, qui s'animaient à ces disputes. Étienne soutenait avec passion que Jésus était le Messie, que les prêtres avaient commis un crime en le mettant à mort, que les Juifs étaient des rebelles, fils de rebelles, des gens qui niaient l'évidence. Les autorités résolurent de perdre ce prédicateur audacieux. Des témoins furent apostés pour saisir en ses discours quelque parole contre Moïse. Naturellement, ils trouvèrent ce qu'ils cherchaient. Étienne fut arrêté, et on l'amena devant le sanhédrin. Le mot qu'on lui reprochait était presque celui-là même qui amena la condamnation de Jésus[12]. On l'accusait de dire que Jésus de Nazareth détruirait le temple, et changerait les traditions qu'on attribuait à Moïse. Il est très-possible, en effet, qu'Étienne eût tenu un pareil langage. Un chrétien de cette époque n'aurait pas eu l'idée de parler directement contre la Loi, puisque tous l'observaient encore; quant aux traditions, Étienne put les combattre, comme l'avait fait Jésus lui-même; or, ces traditions étaient follement rapportées à Moïse par les orthodoxes, et on leur attribuait une valeur égale à celle de la loi écrite[13].
Étienne se défendit en exposant la thèse chrétienne avec un grand luxe de citations de la Loi, des Psaumes, des prophètes, et termina en reprochant aux membres du sanhédrin l'homicide de Jésus. «Têtes dures, cœurs incirconcis, leur dit-il, vous résisterez donc toujours au Saint-Esprit, comme l'ont fait vos pères! Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils pas persécuté? Ils ont tué ceux qui annonçaient la venue du Juste, que vous avez livré et dont vous avez été les meurtriers. Cette loi, que vous aviez reçue de la bouche des anges[14], vous ne l'avez pas gardée!...» A ces mots, un cri de rage l'interrompit. Étienne, s'exaltant de plus en plus, tomba dans un de ces accès d'enthousiasme qu'on appelait l'inspiration du Saint-Esprit. Ses yeux se fixèrent en haut; il vit la gloire de Dieu et Jésus à côté de son Père, et il s'écria: «Voilà, que je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu.» Tous les assistants bouchèrent leurs oreilles, et se jetèrent sur lui, en grinçant les dents. On l'entraîna hors de la ville et on le lapida. Les témoins, qui, selon la Loi[15], devaient jeter les premières pierres, tirèrent leurs vêtements et les déposèrent posèrent aux pieds d'un jeune fanatique nommé Saül ou Paul, lequel songeait avec une joie secrète aux mérites qu'il acquérait en participant à la mort d'un blasphémateur[16].
En tout ceci, on observa à la lettre les prescriptions du Deutéronome, ch. xiii. Mais, envisagée par le côté du droit civil, cette exécution tumultuaire, accomplie sans le concours des Romains, n'était pas régulière[17]. Pour Jésus, nous avons vu qu'il fallut la ratification du procurateur. Peut-être cette ratification fut-elle obtenue pour Étienne, et l'exécution ne suivit-elle pas la sentence d'aussi près que le veut le narrateur des Actes. Peut-être aussi l'autorité romaine s'était-elle relâchée en Judée. Pilate venait d'être suspendu de ses fonctions, ou était sur le point de l'être. La cause de cette disgrâce fut justement la trop grande fermeté qu'il avait montrée dans son administration[18]. Le fanatisme juif lui avait rendu la vie insupportable. Peut-être était-il fatigué de refuser à ces frénétiques les violences qu'ils lui demandaient, et l'altière famille de Hanan était-elle arrivée à n'avoir plus besoin de permission pour prononcer des sentences de mort. Lucius Vitellius (le père de celui qui fut empereur) était alors légat impérial de Syrie. Il cherchait à gagner les bonnes grâces des populations, et il fit rendre aux Juifs les vêtements pontificaux qui, depuis Hérode le Grand, étaient gardés dans la tour Antonia[19]. Loin de soutenir Pilate dans ses actes de rigueur, il donna raison aux plaintes des indigènes, et renvoya Pilate à Rome pour répondre aux accusations de ses administrés (commencement de l'an 36). Le principal grief de ceux-ci était que le procurateur ne se prêtait pas assez complaisamment à leurs désirs d'intolérance[20]. Vitellius le remplaça provisoirement par son ami Marcellus, qui fut sans doute plus attentif à ne pas mécontenter les Juifs, et par conséquent plus facile à leur accorder des meurtres religieux. La mort de Tibère (16 mars de l'an 37) ne fit qu'encourager Vitellius dans cette politique. Les deux premières années du règne de Caligula furent une époque d'affaiblissement général de l'autorité romaine en Syrie. La politique de ce prince, avant qu'il eut perdu l'esprit, fut de rendre aux peuples de l'Orient leur autonomie et des chefs indigènes. C'est ainsi qu'il établit les royautés ou principautés d'Antiochus de Comagène, d'Hérode Agrippa, de Soheym, de Cotys, de Polémon II, et qu'il laissa s'agrandir celle de Hâreth[21]. Quand Pilate arriva à Rome, il trouva le nouveau règne déjà commencé. Il est probable que Caligula lui donna tort, puisqu'il confia le gouvernement de Jérusalem à un nouveau fonctionnaire, Marullus, lequel paraît n'avoir pas excité de la part des Juifs les violentes récriminations qui accablèrent d'embarras le pauvre Pilate et l'abreuvèrent d'ennuis[22].
Ce qu'il importe, en tout cas, de remarquer, c'est qu'à l'époque où nous sommes, les persécuteurs du christianisme ne sont pas les Romains; ce sont les Juifs orthodoxes. Les Romains conservaient, au milieu de ce fanatisme, un principe de tolérance et de raison. Si on peut reprocher quelque chose à l'autorité impériale, c'est d'avoir été trop faible et de ne pas avoir tout d'abord coupé court aux conséquences civiles d'une loi sanguinaire, ordonnant la peine de mort pour des délits religieux. Mais la domination romaine n'était pas encore un pouvoir complet comme elle le fut plus tard; c'était une sorte de protectorat ou de suzeraineté. On poussa la condescendance jusqu'à ne pas mettre la tête de l'empereur sur les monnaies frappées sous les procurateurs, afin de ne pas choquer les idées juives[23]. Rome ne cherchait pas encore, en Orient du moins, à imposer aux peuples vaincus ses lois, ses dieux, ses mœurs; elle les laissait dans leurs pratiques locales, en dehors du droit romain. Leur demi-indépendance était comme un signe de plus de leur infériorité. Le pouvoir impérial en Orient, à cette époque, ressemblait assez à l'autorité turque, et l'état des populations indigènes à celui des raïas. L'idée de droits égaux et de garanties égales pour tous n'existait pas. Chaque groupe provincial avait sa juridiction, comme aujourd'hui les diverses Églises chrétiennes et les juifs dans l'empire ottoman. Il y a peu d'années, en Turquie, les patriarches des diverses communautés de raïas, pour peu qu'ils s'entendissent avec la Porte, étaient souverains à l'égard de leurs subordonnés, et pouvaient prononcer contre eux les peines les plus cruelles.
L'année de la mort d'Étienne pouvant flotter entre les années 36, 37, 38, on ne sait si Kaïapha doit en porter la responsabilité. Kaïapha fut déposé par Lucius Vitellius, l'an 36, peu de temps après Pilate[24]; mais le changement fut peu considérable. Il eut pour successeur son beau-frère Jonathan, fils de Hanan. Celui-ci, à son tour, eut pour successeur son frère Théophile, fils de Hanan[25], lequel continua le pontificat dans la maison de Hanan jusqu'à l'an 42. Hanan vivait encore, et, possesseur réel du pouvoir, maintenait dans sa famille les principes d'orgueil, de dureté, de haine contre les novateurs, qui y étaient en quelque sorte héréditaires.
La mort d'Étienne produisit une grande impression. Les prosélytes lui firent des funérailles accompagnées de pleurs et de gémissements[26]. La séparation entre les nouveaux sectaires et le judaïsme n'était pas encore absolue. Les prosélytes et les hellénistes, moins sévères en fait d'orthodoxie que les juifs purs, crurent devoir rendre des hommages publics à un homme qui honorait leur corporation et que ses croyances particulières n'avaient pas mis hors la loi.
Ainsi s'ouvrit l'ère des martyrs chrétiens. Le martyre n'était pas une chose entièrement nouvelle. Sans parler de Jean-Baptiste et de Jésus, le judaïsme, à l'époque d'Antiochus Épiphane, avait eu ses témoins fidèles jusqu'à la mort. Mais la série de victimes courageuses qui s'ouvre par saint Étienne a exercé une influence particulière sur l'histoire de l'esprit humain. Elle a introduit dans le monde occidental un élément qui lui manquait, la foi exclusive et absolue, cette idée qu'il y a une seule religion bonne et vraie. En ce sens, les martyrs ont commencé l'ère de l'intolérance. On peut dire avec bien de la probabilité que celui qui donne sa vie pour sa foi serait intolérant s'il était maître. Le christianisme, qui avait traversé trois cents ans de persécutions, devenu dominateur à son tour, fut plus persécuteur qu'aucune religion ne l'avait été. Quand on a versé son sang pour une cause, on est trop porté à verser le sang des autres pour conserver le trésor qu'on a conquis.
Le meurtre d'Étienne ne fut pas, du reste, un fait isolé. Profitant de la faiblesse des fonctionnaires romains, les juifs firent peser sur l'Église une vraie persécution[27]. Il semble que les vexations portèrent principalement sur les hellénistes et les prosélytes, dont les libres allures exaspéraient les orthodoxes. L'Église de Jérusalem, déjà si fortement organisée, fut obligée de se disperser. Les apôtres, selon un principe qui paraît avoir été fortement arrêté dans leur esprit[28], ne quittèrent pas la ville. Il en fut probablement ainsi de tout le groupe purement juif, de ceux qu'on appelait les «hébreux»[29]. Mais la grande communauté, avec ses repas en commun, ses services de diacres, ses exercices variés, cessa dès lors, et ne se reforma plus sur son premier modèle. Elle avait duré trois ou quatre ans. Ce fut pour le christianisme naissant une bonne fortune sans égale que ses premiers essais d'association, essentiellement communistes, aient été sitôt brisés. Les essais de ce genre engendrent des abus si choquants, que les établissements communistes sont condamnés à crouler en très-peu de temps[30], ou à méconnaître bien vite le principe qui les a créés[31]. Grâce à la persécution de l'an 37, l'Église cénobitique de Jérusalem fut délivrée de l'épreuve du temps. Elle tomba en sa fleur, avant que les difficultés intérieures l'eussent minée. Elle resta comme un rêve splendide, dont le souvenir anima dans leur vie d'épreuve tous ceux qui en avaient fait partie, comme un idéal auquel le christianisme aspirera sans cesse à revenir, sans y réussir jamais[32]. Ceux qui savent quel trésor inappréciable est pour les membres encore existants de l'Église saint-simonienne le souvenir de Ménilmontant, quelle amitié cela crée entre eux, quelle joie luit dans leurs yeux quand on en parle, comprendront le lien puissant qu'établit entre les nouveaux frères le fait d'avoir aimé, puis souffert ensemble. Les grandes vies ont presque toujours pour principe quelques mois durant lesquels on a senti Dieu, et dont le parfum suffit pour remplir des années entières de force et de suavité.
Le premier rôle, dans la persécution que nous venons de raconter, appartint à ce jeune Saül, que nous avons déjà trouvé contribuant, autant qu'il était en lui, au meurtre d'Étienne. Ce furieux, muni d'une permission des prêtres, entrait dans les maisons soupçonnées de renfermer des chrétiens, s'emparait violemment des hommes et des femmes, et les traînait en prison ou au tribunal[33]. Saül se vantait qu'aucun homme de sa génération n'était aussi zélé que lui pour les traditions[34]. souvent, il est vrai, la douceur, la résignation de ses victimes l'étonnait; il éprouvait comme un remords; il s'imaginait entendre ces femmes pieuses, espérant le royaume de Dieu, qu'il avait jetées en prison, lui dire pendant la nuit, d'une voix douce: «Pourquoi nous persécutes-tu?» Le sang d'Étienne, qui avait presque jailli sur lui, lui troublait parfois la vue. Bien des choses qu'il avait ouï dire de Jésus lui allaient au cœur. Cet être surhumain, dans sa vie éthérée, d'où il sortait quelquefois pour se révéler en de courtes apparitions, le hantait comme un spectre. Mais Saül repoussait avec horreur de telles pensées; il se confirmait avec une sorte de frénésie dans la foi à ses traditions, et il rêvait de nouvelles cruautés contre ceux qui les attaquaient. Son nom était devenu la terreur des fidèles; on craignait de sa part les violences les plus atroces, les perfidies les plus sanglantes[35].
[1] Act., iv, 6. Voir Vie de Jésus, p. 364 et suiv.
[2] Act., iv, 1–31; v, 17–41.
[3] Voir Vie de Jésus, p. 137.
[4] Act., v, 41.
[5] Ibid., iv, 5–6; v, 17. Comp. Jac., ii, 6.
[6] Γένος ἀρχιερατικόν, dans les Actes, l. c.; ἀρχιερεἵς, dans Josèphe, Ant., XX, viii, 8.
[7] Act., xv, 5; xxi, 20.
[8] Ajoutons que l'antipathie réciproque de Jésus et des pharisiens semble avoir été exagérée par les évangélistes synoptiques, peut-être à cause des événements qui amenèrent, lors de la grande guerre, la fuite des chrétiens au delà du Jourdain. On ne peut nier que Jacques, frère du Seigneur, ne soit presque un pharisien.
[9] Act., v, 34 et suiv. Voir Vie de Jésus, p. 220–221.
[10] Act., vi, 8-vii, 59.
[11] Probablement des descendants des Juifs qui avaient été amenés à Rome comme esclaves, puis affranchis. Philon, Leg. ad Caium, § 23; Tacite, Ann., II, 85.
[12] Voir Vie de Jésus, p. 354, 396, 424.
[13] Matth., xv, 2 et suiv.; Marc, vii, 3; Gal., i, 14.
[14] Comparez Gal., iii, 19; Hebr., ii, 2; Jos., Ant., XV, v, 3. On se figurait que Dieu lui-même ne s'était pas montré dans les théophanies do l'ancienne Loi, mais qu'il avait substitué en sa place une sorte d'intermédiaire, le maleak Jehovah. Voir les dictionnaires hébreux, au mot ךאלם.
[15] Deuter., xvii, 7.
[16] Act., vii, 59; xxii, 20; xxvi, 40.
[17] Jean, xviii, 31.
[18] Jos., Ant., XVIII, iv, 2.
[19] Jos., Ant., XV, xi, 4; XVIII, iv, 2. Comp. XX, i, 1, 2.
[20] Tout le procès de Jésus le prouve. Comparez Act., xxiv, 27; xxv, 9.
[21] Suétone, Caius, 16; Dion Cassius, LIX, 8, 12; Josèphe, Ant., XVIII, v, 3; vi, 10; II Cor., xi, 32.
[22] Ventidius Cumanus éprouva des aventures toutes semblables. Il est vrai que Josèphe exagère les disgrâces de tous ceux qui ont été opposés à sa nation.
[23] Madden, History of Jewish Coinage, p. 134 et suiv.
[24] Jos., Ant., XVIII, iv, 3.
[25] Ibid. XVIII, v, 3.
[26] Act., viii, 2. Les mots ἀνὴρ εὐλαβὴς désignent un prosélyte, non un juif pur. Cf. Act., ii, 5.
[27] Act., viii, 1 et suiv.; xi, 19. Act., xxvi, 10, ferait même croire qu'il y eut d'autres morts que celle d'Étienne. Mais il ne faut pas abuser des mots dans des rédactions d'un style aussi mou. Comp. Act., ix, 1–2 à xxii, 5 et xxvi, 12.
[28] Comparez Act., i, 4; viii, 1, 14; Gal., i, 17 et suiv.
[29] Act., ix, 26–30, prouve, en effet, que, dans la pensée de l'auteur, les expressions de viii, 1, n'avaient pas un sens aussi absolu qu'on pourrait le croire.
[30] C'est ce qui arriva pour les esséniens.
[31] C'est ce qui arriva pour les franciscains.
[32] I Thess., ii, 14.
[33] Act., viii, 3; ix, 13, 14, 21, 26; xxii, 4, 19; xxvi, 9 et suiv.; Gal., i, 13, 23; I Cor., xv, 9; Phil., iii, 6; I Tim., i, 13.
[34] Gal., i, 14; Act., xxvi, 5; Phil., iii, 5.
[35] Act., ix, 13, 21, 26.
CHAPITRE IX.
PREMIÈRES MISSIONS.—LE DIACRE PHILIPPE.
[An 38] La persécution de l'an 37 eut, comme il arrive toujours, pour conséquence une expansion de la doctrine qu'on voulait arrêter. Jusqu'ici, la prédication chrétienne ne s'est guère étendue hors de Jérusalem; aucune mission n'a été entreprise; renfermée dans son communisme exalté mais étroit, l'Église mère n'a pas rayonné autour d'elle ni formé de succursales. La dispersion du petit cénacle jeta la bonne semence aux quatre vents du ciel. Les membres de l'Église de Jérusalem, violemment chassés de leur quartier, se répandirent dans toutes les parties de la Judée et de la Samarie[1], et y prêchèrent partout le royaume de Dieu. Les diacres, en particulier, dégagés de leurs fonctions administratives par la ruine de la communauté, devinrent des évangélistes excellents. Ils furent l'élément actif et jeune de la secte, en opposition avec l'élément un peu lourd constitué par les apôtres et les «hébreux». Une seule circonstance, celle de la langue, aurait suffi pour créer à ces derniers une infériorité sous le rapport de la prédication. Ils parlaient, au moins comme langue habituelle, un dialecte dont les Juifs mêmes ne se servaient pas à quelques lieues de Jérusalem. Ce fut aux hellénistes qu'échut tout l'honneur de la grande conquête dont le récit va être maintenant notre principal objet.
Le théâtre de la première de ces missions, qui devaient bientôt embrasser tout le bassin de la Méditerranée, fut la région voisine de Jérusalem, dans un cercle de deux ou trois journées. Le diacre Philippe[2] fut le héros de cette première expédition sainte. Il évangélisa la Samarie avec un grand succès. Les Samaritains étaient schismatiques; mais la jeune secte, à l'exemple du maître, était moins susceptible que les juifs rigoureux sur ces questions d'orthodoxie. Jésus, disait-on, s'était montré à diverses reprises assez favorable aux Samaritains[3].
Philippe paraît avoir été un des hommes apostoliques les plus préoccupés de théurgie[4]. Les récits qui se rapportent à lui nous transportent dans un monde étrange et fantastique. On expliqua par des prodiges les conversions qu'il fit chez les Samaritains et en particulier à Sébaste, leur capitale. Ce pays lui-même était tout rempli d'idées superstitieuses sur la magie. L'an 36, c'est-à-dire deux ou trois ans avant l'arrivée des prédicateurs chrétiens, un fanatique avait excité parmi les Samaritains une émotion assez sérieuse, en prêchant la nécessité d'un retour au mosaïsme primitif, dont il prétendait avoir retrouvé les ustensiles sacrés[5]. Un certain Simon, du village de Gitta ou Gitton[6], qui arriva plus tard à une grande réputation, commençait dès lors à se faire connaître par ses prestiges[7]. On souffre de voir l'Évangile trouver une préparation et un appui en de telles chimères. Une assez grande foule se fit baptiser au nom de Jésus. Philippe avait le pouvoir de baptiser, mais non celui de conférer le Saint-Esprit. Ce privilège était réservé aux apôtres. Quand on apprit à Jérusalem la formation d'un groupe de fidèles à Sébaste, on résolut d'envoyer Pierre et Jean pour compléter leur initiation. Les deux apôtres vinrent, imposèrent les mains aux nouveaux convertis, prièrent sur leur tête; ceux-ci furent doués sur-le-champ des pouvoirs merveilleux attachés à la collation du Saint-Esprit. Les miracles, la prophétie, tous les phénomènes de l'illuminisme se produisirent, et l'Église de Sébaste n'eut sous ce rapport rien à envier à celle de Jérusalem[8].
S'il faut en croire la tradition, Simon de Gitton se trouva dès lors en rapport avec les chrétiens. Converti, à ce que l'on rapporte, par la prédication et les miracles de Philippe, il se fit baptiser et s'attacha à cet évangéliste. Puis, quand les apôtres Pierre et Jean furent arrivés, et qu'il eut vu les pouvoirs surnaturels que procurait l'imposition des mains, il vint, dit-on, leur offrir de l'argent pour qu'ils lui donnassent aussi la faculté de conférer le Saint-Esprit. Pierre alors lui aurait fait cette réponse admirable: «Périsse ton argent avec toi, puisque tu as cru que le don de Dieu s'achète! Tu n'as ni part ni héritage en tout ceci, car ton cœur n'est pas droit devant Dieu[9].»
Qu'elles aient été ou non prononcées, ces paroles semblent tracer exactement la situation de Simon à l'égard de la secte naissante. Nous verrons, en effet, que, selon toutes les apparences, Simon de Gitton fut le chef d'un mouvement religieux, parallèle à celui du christianisme, qu'on peut regarder comme une sorte de contrefaçon samaritaine de l'œuvre de Jésus. Simon avait-il déjà commencé à dogmatiser et à faire des prodiges quand Philippe arriva à Sébaste? Entra-t-il dès lors en rapport avec l'Église chrétienne? L'anecdote qui a fait de lui le père de toute «simonie» a-t-elle quelque réalité? Faut-il admettre que le monde vit un jour en face l'un de l'autre deux thaumaturges, dont l'un était un charlatan, et dont l'autre était la «pierre» qui a servi de base à la foi de l'humanité? Un sorcier a-t-il pu balancer les destinées du christianisme? Voilà ce que nous ignorons, faute de documents; car le récit des Actes est ici de faible autorité, et, dès le premier siècle, Simon devint pour l'Église chrétienne un sujet de légendes. Dans l'histoire, l'idée générale seule est pure. Il serait injuste de s'arrêter à ce qu'a de choquant cette triste page des origines chrétiennes. Pour les auditoires grossiers, le miracle prouve la doctrine; pour nous, la doctrine fait oublier le miracle. Quand une croyance a consolé et amélioré l'humanité, elle est excusable d'avoir employé des preuves proportionnées à la faiblesse du public auquel elle s'adressait. Mais, quand on a prouvé l'erreur par l'erreur, quelle excuse alléguer? Ce n'est pas une condamnation que nous entendons prononcer contre Simon de Gitton. Nous aurons à nous expliquer plus tard sur sa doctrine et sur son rôle, qui ne se dévoila que sous le règne de Claude[10]. Il importait seulement de remarquer ici qu'un principe important semble s'être introduit à son propos dans la théurgie chrétienne. Obligée d'admettre que des imposteurs faisaient aussi des miracles, la théologie orthodoxe attribua ces miracles au démon. Pour conserver aux prodiges quelque valeur démonstrative, on fut obligé d'imaginer des règles pour discerner les vrais et les faux miracles. On descendit pour cela jusqu'à un ordre d'idées fort puéril[11].
Pierre et Jean, après avoir confirmé l'Église de Sébaste, repartirent pour Jérusalem, qu'ils regagnèrent en évangélisant les villages du pays des Samaritains[12]. Le diacre Philippe continua ses courses évangéliques en se rabattant vers le sud, sur l'ancien pays des Philistins[13]. Ce pays, depuis l'avénement des Macchabées, avait été fort entamé par les Juifs[14]; il s'en fallait cependant que le judaïsme y dominât. Dans ce voyage, Philippe opéra une conversion qui fit quelque bruit et dont on parla beaucoup à cause d'une circonstance particulière. Un jour qu'il cheminait sur la route de Jérusalem à Gaza, laquelle est fort déserte[15], il rencontra un riche voyageur, évidemment un étranger, car il allait en char, mode de locomotion qui de tout temps fut presque inconnu aux habitants de la Syrie et de la Palestine. Il revenait de Jérusalem, et, assis gravement, il lisait la Bible à haute voix, selon un usage alors assez répandu[16]. Philippe, qui en toute chose croyait agir par une inspiration d'en haut, se sentit comme attiré vers ce char. Il se mit à le côtoyer, et entra doucement en conversation avec l'opulent personnage, s'offrant à lui expliquer les endroits qu'il ne comprendrait pas. Ce fut pour l'évangéliste une belle occasion de développer la thèse chrétienne sur les figures de l'Ancien Testament. Il prouva que, dans les livres prophétiques, tout se rapportait à Jésus, que Jésus était le mot de la grande énigme, que c'était de lui en particulier que le Voyant avait parlé dans ce beau passage: «Il a été conduit comme une brebis à la mort; comme un agneau, muet devant celui qui le tond, il n'a pas ouvert la bouche[17].» Le voyageur le crut, et, à la première eau qu'on rencontra: «Voilà de l'eau, dit-il; est-ce que je ne pourrais pas être baptisé?» On fit arrêter le char; Philippe et le voyageur descendirent dans l'eau, et ce dernier fut baptisé.
Or, le voyageur était un puissant personnage. C'était un eunuque de la candace d'Éthiopie, son ministre des finances et le gardien de ses trésors, lequel était venu adorer à Jérusalem, et s'en retournait maintenant à Napata[18] par la route d'Égypte. Candace ou candaoce était le titre de la royauté féminine d'Éthiopie, vers le temps où nous sommes[19]. Le judaïsme avait dès lors pénétré en Nubie et en Abyssinie[20]; beaucoup d'indigènes s'étaient convertis, ou du moins comptaient parmi ces prosélytes qui, sans être circoncis, adoraient le Dieu unique[21]. L'eunuque était peut-être de cette dernière classe, un simple païen pieux, comme le centurion Cornélius, qui figurera bientôt en cette histoire. Il est impossible, en tout cas, de supposer qu'il fût complètement initié au judaïsme[22]. On n'entendit plus, passé cela, parler de l'eunuque. Mais Philippe raconta l'incident, et plus tard on y attacha de l'importance. Quand la question de l'admission des païens dans l'Église chrétienne devint l'affaire capitale, on trouva ici un précédent fort grave. Philippe était censé avoir agi en toute cette affaire par inspiration divine[23]. Ce baptême, donné par ordre de l'Esprit-Saint à un homme à peine juif, notoirement incirconcis, qui ne croyait au christianisme que depuis quelques heures, eut une haute valeur dogmatique. Ce fut un argument pour ceux qui pensaient que les portes de l'Église nouvelle devaient être ouvertes à tous[24].
Philippe, après cette aventure, se rendit à Aschdod ou Azote. Tel était le naïf état d'enthousiasme où vivaient ces missionnaires, qu'ils croyaient à chaque pas entendre des voix du ciel, recevoir des directions de l'Esprit[25]. Chacun de leurs pas leur semblait réglé par une force supérieure, et, quand ils allaient d'une ville à l'autre, ils pensaient obéir à une inspiration surnaturelle. Parfois, ils s'imaginaient faire des voyages aériens. Philippe était à cet égard un des plus exaltés. C'est sur l'indication d'un ange qu'il croyait être venu de Samarie à l'endroit où il rencontra l'eunuque; après le baptême de celui-ci, il était persuadé que l'Esprit l'avait enlevé et l'avait transporté tout d'une traite à Azote[26].
Azote et la route de Gaza furent le terme de la première prédication évangélique vers le sud. Au delà étaient le désert et la vie nomade sur laquelle le christianisme eut toujours peu de prise. D'Azote, le diacre Philippe tourna vers le nord et evangélisa toute la côte jusqu'à Césarée. Peut-être les Églises de Joppé et de Lydda, que nous trouverons bientôt florissantes[27], furent-elles fondées par lui. A Césarée, il se fixa et fonda une Église importante[28]. Nous l'y rencontrerons encore vingt ans plus tard[29]. Césarée était une ville neuve et la plus considérable de la Judée[30]. Elle avait été bâtie sur remplacement d'une forteresse sidonienne appelée «tour d'Abdastarte, ou de Straton», par Hérode le Grand, lequel lui donna, en l'honneur d'Auguste, le nom que ses ruines portent encore aujourd'hui. Césarée était de beaucoup le meilleur port de toute la Palestine, et elle tendait de jour en jour à en devenir la capitale. Fatigués du séjour de Jérusalem, les procurateurs de Judée allaient bientôt y faire leur résidence habituelle[31]. Elle était surtout peuplée de païens[32]; les Juifs y étaient cependant assez nombreux; des rixes cruelles avaient souvent lieu entre les deux classes de la population[33]. La langue, grecque y était seule parlée, et les Juifs eux-mêmes en étaient venus à réciter certaines parties de la liturgie en grec[34]. Les rabbis austères de Jérusalem envisageaient Césarée comme un séjour profane, dangereux et où l'on devenait presque un païen[35]. Par toutes les raisons qui viennent d'être dites, cette ville aura beaucoup d'importance dans la suite de notre histoire. Ce fut en quelque sorte le port du christianisme, le point par lequel l'Église de Jérusalem communiqua avec toute la Méditerranée.
Bien d'autres missions, dont l'histoire nous est inconnue, furent conduites parallèlement à celle de Philippe[36]. La rapidité même avec laquelle se fit cette première prédication fut la cause de son succès. En l'an 38, cinq ans après la mort de Jésus, et un an peut-être après la mort d'Étienne, toute la Palestine en deçà du Jourdain avait entendu la bonne nouvelle de la bouche des missionnaires partis de Jérusalem. La Galilée, de son côté, gardait la semence sainte, et probablement la répandait autour d'elle, bien qu'on ne sache rien des missions parties de ce pays. Peut-être la ville de Damas, qui, dès l'époque où nous sommes, avait aussi des chrétiens[37], reçut-elle la foi de prédicateurs galiléens.
[1] Act., viii, 1, 4; xi, 19.
[2] Act., viii, 5 et suiv. Que ce ne soit pas l'apôtre, cela résulte des passages Act., viii, 1, 5, 12, 14, 40; xxi, 8, comparés entre eux. Il est vrai que le verset Act., xxi, 9, comparé à ce que disent Papias (dans Eusèbe, II. E., III, 39), Polycrate (ibid., V, 24), Clément d'Alexandrie (Strom., III, 6), ferait identifier l'apôtre Philippe, dont parlent ces trois écrivains ecclésiastiques, avec le Philippe qui joue un rôle important dans les Actes. Mais il est plus naturel d'admettre que le verset en question renferme une méprise et a été interpolé que de contredire la tradition des Églises d'Asie et d'Hiérapolis même, où le Philippe qui eut des filles prophétesses se retira. Les données particulières que possède l'auteur du quatrième Évangile (écrit, ce semble, en Asie Mineure) sur l'apôtre Philippe se trouvent ainsi expliquées.
[3] Voir Vie de Jésus, ch. xiv. Il se peut cependant que la tendance habituelle à l'auteur des Actes se retrouve ici. Voir Introd., p. xix, xxxix, et ci-dessous, p. 159, 205.
[4] Act., viii, 5–40.
[5] Jos., Ant., XVIII, iv, 1, 2.
[6] Aujourd'hui Jît sur la route de Naplouse à Jaffa, à une heure et demie de Naplouse et de Sébastieh. V. Robinson, Biblical researches, II, p. 308, note; III, 134 (2e édit.) et sa carte.
[7] Les renseignements relatifs à ce personnage chez les écrivains chrétiens sont si fabuleux, que des doutes ont pu s'élever sur la réalité de son existence. Ces doutes sont d'autant plus spécieux que, dans la littérature pseudo-clémentine, «Simon le Magicien» est souvent un pseudonyme de saint Paul. Mais nous ne pouvons admettre que la légende de Simon repose sur cette unique base. Comment l'auteur des Actes, si favorable à saint Paul, eût-il admis une donnée dont le sens hoslile ne pouvait lui échapper? La suite chronologique de l'école simonienne, les écrits qui nous restent d'elle, les traits précis de topographie et de chronologie donnés par saint Justin, compatriote de notre thaumaturge, ne s'expliquent pas, d'ailleurs, dans l'hypothèse où la personne de Simon serait imaginaire (voir surtout Justin, Apol. II, 15, et Dial. cum Tryph., 120).
[8] Act., viii, 5 et suiv.
[9] Ibid., viii, 9 et suiv.
[10] Justin, Apol. I, 26, 56.
[11] Homil. pseudo-clem., xvii, 15, 17; Quadratus, dans Eusèbe, H. E., IV, 3.
[12] Act., viii, 25.
[13] Ibid., viii, 26–40.
[14] I Macch., x, 86, 89; xi, 60 et suiv; Jos., Ant., XIII, xiii, 3; XV, vii, 3; XVIII, xi, 5; B. J., I, iv, 2.
[15] Robinson, Bibl. researches, II, p. 41 et 514–515 (2e édit.).
[16] Talm. de Bab., Erubin, 53 b et 54 a; Sota, 46 b.
[17] Isaïe, liii, 7.
[18] Aujourd'hui Mérawi, près du Gébel-Barkal (Lepsius, Denkmæler, I, pl. 1 et 2 bis). Strabon, XVII, i, 54.
[19] Strabon, XVII, i, 54; Pline, VI, xxxv, 8; Dion Cassius, LIV, 5; Eusèbe, II. E., II, 1.
[20] Les descendants de ces juifs existent encore sous le nom de Falâsyân. Les missionnaires qui les convertirent venaient d'Égypte. Leur version de la Bible a été faite sur la version grecque. Les Falâsyàn ne sont pas Israélites de sang.
[21] Jean, xii, 20; Act., x, 2.
[22] Voir Deutér., xxiii, 1. Il est vrai que εὐνοῦχος peut se prendre par catachrèse pour désigner un chambellan ou fonctionnaire de cour orientale. Mais δυνάστης suffisait à rendre cette idée; εὐνοῦχος doit donc être pris ici au sens propre.
[23] Act., viii, 26, 29.
[24] Conclure de là que toute cette histoire a été inventée par l'auteur des Actes nous paraît téméraire. L'auteur des Actes insiste avec complaisance sur les faits qui appuient ses opinions; mais nous ne croyons pas qu'il introduise dans son récit des faits purement symboliques ou imaginés à dessein. Voir l'Introd., p. xxxviii-xxxix.
[25] Pour l'état analogue des premiers Mormons, voir Jules Remy, Voyage au pays des Mormons (Paris, 1860), I, p. 195 et la suite.
[26] Act., viii, 39–40. Comp. Luc, iv, 14.
[27] Act., ix, 32, 38.
[28] Ibid., viii. 40; xi, 11.
[29] Act., xxi, 8.
[30] Jos., B. J., III, ix, 1.
[31] Act., xxiii, 23 et suiv.; xxv, 1, 5; Tacite, Hist., II, 79.
[32] Jos., B. J., III, ix, 1.
[33] Jos., Ant., XX, viii, 7; B. J., II, xiii, 5,—xiv, 5; xviii, 1.
[34] Talm. de Jérusalem, Sota, 21 b.
[35] Jos., Ant., XIX., vii, 3–4; viii, 2.
[36] Act., xi, 19.
[37] Ibid., ix, 2, 10, 19.
CHAPITRE X.
CONVERSION DE SAINT PAUL.
[An 38] Mais l'an 38 valut à l'Église naissante une bien autre conquête. C'est dans le courant de cette année[1], en effet, qu'on peut placer avec vraisemblance la conversion de ce Saül que nous avons trouvé complice de la lapidation d'Étienne, agent principal de la persécution de l'an 37, et qui va devenir, par un mystérieux coup de la grâce, le plus ardent des disciples de Jésus.
Saül était né à Tarse, en Cilicie[2], l'an 10 ou 12 de notre ère[3]. Selon la mode du temps, on avait latinisé son nom en celui de «Paul»[4]. Il ne porta néanmoins ce dernier nom d'une manière suivie que lorsqu'il eut pris le rôle d'apôtre des gentils[5]. Paul était du sang juif le plus pur[6]. Sa famille, originaire peut-être de la ville de Cischala en Galilée[7], prétendait appartenir à la tribu de Benjamin[8]. Son père était en possession du titre de citoyen romain[9]. Sans doute quelqu'un de ses ancêtres avait acheté cette qualité, ou l'avait acquise par des services. On peut supposer que son grand-père l'avait obtenue pour avoir aidé Pompée lors de la conquête romaine (63 ans avant J.-C.). Sa famille, comme toutes les bonnes et anciennes maisons juives, appartenait au parti des pharisiens[10]. Paul fut élevé dans les principes les plus sévères de cette secte[11], et, s'il en répudia plus tard les dogmes étroits, il en garda toujours la foi ardente, l'âpreté et l'exaltation.
Tarse était, à l'époque d'Auguste, une ville très-florissante. La population appartenait, pour la plus grande partie, à la race grecque et araméenne; mais les juifs y étaient nombreux, comme dans toutes les villes de commerce[12]. Le goût des lettres et des sciences y était fort répandu, et aucune ville du monde, sans excepter Athènes et Alexandrie, n'était aussi riche en écoles et en instituts scientifiques[13]. Le nombre des hommes savants que Tarse produisit ou qui y firent leurs études est vraiment extraordinaire[14]. Mais il ne faudrait pas conclure de là que Paul reçut une éducation hellénique très-soignée. Les juifs fréquentaient rarement les établissements d'instruction profane[15]. Les écoles les plus célèbres de Tarse étaient les écoles de rhétorique[16]. La première chose qu'on apprenait en de telles écoles était le grec classique. Il n'est pas croyable qu'un homme qui eût pris des leçons même élémentaires de grammaire et de rhétorique eût écrit cette langue bizarre, incorrecte, si peu hellénique par le tour, qui est celle des lettres de saint Paul. Il parlait habituellement et facilement en grec[17]; il écrivait ou plutôt dictait[18] en cette langue; mais son grec était celui des juifs hellénistes, un grec chargé d'hébraïsmes et de syriacismes, qui devait être à peine intelligible pour un lettré du temps, et qu'on ne comprend bien qu'en cherchant le tour syriaque que Paul avait dans l'esprit en dictant. Lui-même reconnaît le caractère populaire et grossier de sa langue[19]. Quand il pouvait, il parlait «l'hébreu», c'est-à-dire le syro-chaldaïque du temps[20]. C'est en cette langue qu'il pensait; c'est en cette langue que lui parle la voix intime du chemin de Damas[21].
Sa doctrine ne trahit non plus aucun emprunt direct fait à la philosophie grecque. La citation d'un vers de la Thaïs de Ménandre, qu'on trouve dans ses écrits[22], est un de ces proverbes monostiques qui étaient dans toutes les bouches et qu'on pouvait très-bien alléguer sans avoir lu les originaux. Deux autres citations, l'une d'Épiménide, l'autre d'Aratus, qui figurent sous son nom[23], outre qu'il n'est pas certain qu'elles soient de son fait, s'expliquent aussi par des emprunts de seconde main[24]. La culture de Paul est presque exclusivement juive[25]; c'est dans le Talmud, bien plus que dans la Grèce classique, qu'il faut chercher ses analogues. Quelques idées générales que la philosophie avait partout répandues et qu'on pouvait connaître sans avoir ouvert un seul livre des philosophes[26], parvinrent seules jusqu'à lui. Sa façon de raisonner est des plus étranges. Certainement il ne savait rien de la logique péripatéticienne. Son syllogisme n'est pas du tout celui d'Aristote; au contraire, sa dialectique a la plus grande ressemblance avec celle du Talmud. Paul, en général, se laisse conduire par les mots plus que par les idées. Un mot qu'il a dans l'esprit le domine et le conduit à un ordre de pensées fort éloigné de l'objet principal. Ses transitions sont brusques, ses développements interrompus, ses périodes fréquemment suspendues. Aucun écrivain ne fut plus inégal. On chercherait vainement dans toutes les littératures un phénomène aussi bizarre que celui d'une page sublime, comme le treizième chapitre de la première épître aux Corinthiens, à côté de faibles argumentations, de pénibles redites, de fastidieuses subtilités.
Son père le destina de bonne heure à être rabbi. Mais, selon l'usage général[27], il lui donna un état. Paul était tapissier[28], ou, si l'on aime mieux, ouvrier en ces grosses toiles de Cilicie qu'on appelait cilicium. A diverses reprises, il exerça ce métier[29]; il n'avait pas de fortune patrimoniale. Il eut au moins une sœur, dont le fils habita Jérusalem[30]. Les indices qu'on a d'un frère[31] et d'autres parents[32], qui auraient embrassé le christianisme, sont très-vagues et très-incertains.
La délicatesse des manières étant, selon les idées de la bourgeoisie moderne, en rapport avec la fortune, nous nous figurerions volontiers, d'après ce qui précède, Paul comme un homme du peuple mal élevé et sans distinction. Ce serait là une idée tout à fait fausse. Sa politesse, quand il le voulait, était extrême; ses manières étaient exquises. Malgré l'incorrection du style, ses lettres révèlent un homme de beaucoup d'esprit[33], trouvant dans l'élévation de ses sentiments des expressions d'un rare bonheur. Jamais correspondance ne révéla des attentions plus recherchées, des nuances plus fines, des timidités, des hésitations plus aimables. Une ou deux de ses plaisanteries nous choquent[34]. Mais quelle verve! quelle richesse de mots charmants! quel naturel! On sent que son caractère, dans les moments où la passion ne le rendait pas irascible et farouche, devait être celui d'un homme poli, empressé, affectueux, parfois susceptible, un peu jaloux. Inférieurs devant le grand public[35], ces hommes ont, dans le sein des petites Églises, d'immenses avantages, par l'attachement qu'ils inspirent, par leurs aptitudes pratiques et par leur habile manière de sortir des plus grandes difficultés.
La mine de Paul était chétive et ne répondait pas, ce semble, à la grandeur de son âme. Il était laid, de courte taille, épais et voûté. Ses fortes épaules portaient bizarrement une tête petite et chauve. Sa face blême était comme envahie par une barbe épaisse, un nez aquilin, des yeux perçants, des sourcils noirs qui se rejoignaient sur le front[36]. Sa parole n'avait non plus rien qui imposât[37]. Quelque chose de craintif, d'embarrassé, d'incorrect, donnait d'abord une pauvre idée de son éloquence[38]. En homme de tact, il insistait lui-même sur ses défauts extérieurs, et en tirait avantage[39]. La race juive a cela de remarquable qu'elle présente à la fois des types de la plus grande beauté et de la plus complète laideur; mais la laideur juive est quelque chose de tout à fait à part. Tel de ces étranges visages, qui excite d'abord le sourire, prend, dès qu'il s'illumine, une sorte d'éclat profond et de majesté.
Le tempérament de Paul n'était pas moins singulier que son extérieur. Sa constitution, évidemment très-résistante, puisqu'elle supporta une vie pleine de fatigues et de souffrances, n'était pas saine. Il fait sans cesse allusion à sa faiblesse corporelle; il se présente comme un homme qui n'a qu'un souffle, malade, épuisé, et avec cela timide, sans apparence, sans prestige, sans rien de ce qui fait de l'effet, si bien qu'on a eu du mérite à ne pas s'arrêter à de si misérables dehors[40]. Ailleurs, il parle avec mystère d'une épreuve secrète, «d'une-pointe enfoncée en sa chair,» qu'il compare à un ange de Satan, occupé à le souffleter, et auquel Dieu a permis de s'attacher à lui pour l'empêcher de s'enorgueillir[41]. Trois fois il a demandé au Seigneur de l'en délivrer; trois fois le Seigneur lui a répondu: «Ma grâce te suffit.» C'était, apparemment, quelque infirmité; car l'entendre de l'attrait des voluptés charnelles n'est guère possible, puisque lui-même nous apprend ailleurs qu'il y était insensible[42]. Il paraît qu'il ne se maria pas[43]; la froideur complète de son tempérament, conséquence des ardeurs sans égales de son cerveau, se montre par toute sa vie; il s'en vante avec une assurance qui n'était peut-être pas exempte de quelque affectation, et qui, en tout cas, a pour nous quelque chose de déplaisant[44].
Il vint jeune à Jérusalem[45], et entra, dit-on, à l'école de Gamaliel le Vieux[46]. Gamaliel était l'homme le plus éclairé de Jérusalem. Comme le nom de pharisien s'appliquait à tout Juif considérable qui n'était pas des familles sacerdotales, Gamaliel passait pour un membre de cette secte. Mais il n'en avait pas l'esprit étroit et exclusif. C'était un homme libéral, éclairé, comprenant les païens, sachant le grec[47]. Peut-être les larges idées que professa saint Paul devenu chrétien furent-elles une réminiscence des enseignements de son premier maître; il faut avouer toutefois que ce ne fut pas la modération qu'il apprit d'abord de lui. Dans cette atmosphère brûlante de Jérusalem, il arriva à un degré extrême de fanatisme. Il était à la tête du jeune parti pharisien, rigoriste et exalté, qui poussait l'attachement au passé national jusqu'aux derniers excès[48]. Il ne connut pas Jésus[49] et ne fut pas mêlé à la scène sanglante du Golgotha. Mais nous l'avons vu prenant une part active au meurtre d'Étienne, et figurant en première ligne parmi les persécuteurs de l'Église. Il ne respirait que mort et menaces, et courait Jérusalem en vrai forcené, porteur d'un mandat qui autorisait toutes ses brutalités. Il allait de synagogue en synagogue, forçant les gens timides de renier le nom de Jésus, faisant fouetter ou emprisonner les autres[50]. Quand l'Église de Jérusalem fut dispersée, sa rage se répandit sur les villes voisines[51]; les progrès que faisait la foi nouvelle l'exaspéraient, et, ayant appris qu'un groupe de fidèles s'était formé à Damas, il demanda au grand prêtre Théophile, fils de Hanan[52], des lettres pour la synagogue de cette ville, qui lui conférassent le pouvoir d'arrêter les personnes mal pensantes, et de les amener garrottées à Jérusalem[53].
Le désarroi de l'autorité romaine en Judée, depuis la mort de Tibère, explique ces vexations arbitraires. On était sous l'insensé Caligula. L'administration se détraquait de toutes parts. Le fanatisme avait gagné tout ce que le pouvoir civil avait perdu. Après le renvoi de Pilate et les concessions faites aux indigènes par Lucius Vitellius, on eut pour principe délaisser le pays se gouverner selon ses lois. Mille tyrannies locales profitèrent de la faiblesse d'un pouvoir devenu insouciant. Damas, d'ailleurs, venait de passer entre les mains du roi nabatéen Hartat ou Hâreth, dont la capitale était à Pétra[54]. Ce prince, puissant et brave, après avoir battu Hérode Antipas et tenu tête aux forces romaines commandées par le légat impérial Lucius Vitellius, avait été merveilleusement servi par la fortune. La nouvelle de la mort de Tibère (16 mars 37) avait subitement arrêté Vitellius[55]. Hâreth s'était emparé de Damas et y avait établi un ethnarque ou gouverneur[56]. Les juifs, dans ces moments d'occupation nouvelle, formaient un parti considérable. Ils étaient nombreux à Damas et y exerçaient un grand prosélytisme, notamment parmi les femmes[57]. On voulait les contenter; le moyen de les gagner était toujours de faire des concessions à leur autonomie, et toute concession à leur autonomie était une permission de violences religieuses[58]. Punir, tuer ceux qui ne pensaient pas comme eux, voilà ce qu'ils appelaient indépendance et liberté.
Paul, sorti de Jérusalem, suivit sans doute la route ordinaire, et passa le Jourdain au «pont des Filles de Jacob». L'exaltation de son cerveau était à son comble; il était par moments troublé, ébranlé. La passion n'est pas une règle de foi. L'homme passionné va d'une croyance à une autre fort diverse; seulement, il y porte la même fougue. Comme toutes les âmes fortes, Paul était près d'aimer ce qu'il haïssait. Était-il sûr après tout de ne pas contrarier l'œuvre de Dieu? Les idées si mesurées et si justes de son maître Gamaliel[59] lui revenaient peut-être à l'esprit. Souvent ces âmes ardentes ont de terribles retours. Il subissait le charme de ceux qu'il torturait[60]. Plus on les connaissait, ces bons sectaires, plus on les aimait. Or, nul ne les connaissait aussi bien que leur persécuteur. Par moments, il croyait voir la douce figure du maître qui inspirait à ses disciples tant de patience, le regarder d'un air de pitié et avec un tendre reproche. Ce qu'on racontait des apparitions de Jésus, conçu comme un être aérien et parfois visible, le frappait beaucoup; car, aux époques et dans les pays où l'on croit au merveilleux, les récits miraculeux s'imposent également aux partis opposés; les musulmans ont peur des miracles d'Élie, et demandent, comme les chrétiens, des cures surnaturelles à saint Georges et à saint Antoine. Paul, après avoir traversé l'Iturée, était entré dans la grande plaine de Damas. Il approchait de la ville, et s'était probablement déjà engagé dans les jardins qui l'entourent. Il était midi[61]. Paul avait avec lui plusieurs compagnons, et, ce semble, voyageait à pied[62].
La route de Jérusalem à Damas n'a guère changé. C'est celle qui, sortant de Damas dans la direction du sud-ouest, traverse la belle plaine arrosée à la fois par les ruisseaux affluents de l'Abana et du Pharphar, et sur laquelle s'échelonnent aujourd'hui les villages de Dareya, Kaukab, Sasa. On ne saurait chercher l'endroit dont nous parlons, et qui va être le théâtre d'un des faits les plus importants de l'histoire de l'humanité, au delà de Kaukab (quatre heures de Damas)[63]. Il est même probable que le point en question fut beaucoup plus rapproché de la ville, et qu'on serait dans le vrai en le plaçant vers Dareya (une heure et demie de Damas), ou entre Dareya et l'extrémité du Meidan[64]. Paul avait devant lui la ville, dont quelques édifices devaient déjà se dessiner à travers les arbres; derrière lui, le dôme majestueux de l'Hermon, avec ses sillons de neige, qui le font ressembler à la tête chenue d'un vieillard; sur sa droite, le Hauran, les deux petites chaînes parallèles qui resserrent le cours inférieur du Pharphar[65], et les tumulus[66] de la région des lacs; sur sa gauche, les derniers contre-forts de l'Anti-Liban, allant rejoindre l'Hermon. L'impression de ces campagnes richement cultivées, de ces vergers délicieux, séparés les uns des autres par des rigoles et chargés des plus beaux fruits, est celle du calme et du bonheur. Qu'on se figure une route ombragée, s'ouvrant dans une couche épaisse de terreau, sans cesse détrempée par les canaux d'irrigation, bordée de talus, et serpentant au travers des oliviers, des noyers, des abricotiers, des pruniers, reliés entre eux par des vignes en girandole, on aura l'image du lieu où arriva l'événement étrange qui a exercé une si grande influence sur la foi du monde. Vous vous croyez à peine en Orient dans ces environs de Damas[67], et surtout, au sortir des âpres et brûlantes régions de la Gaulonitide et de l'Iturée, ce qui remplit l'âme, c'est la joie de retrouver les travaux de l'homme et les bénédictions du ciel. Depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours, toute cette zone qui entoure Damas de fraîcheur et de bien-être n'a eu qu'un nom, n'a inspiré qu'un rêve, celui du «paradis de Dieu».
Si Paul trouva là des visions terribles, c'est qu'il les portait en son esprit. Chaque pas qu'il faisait vers Damas éveillait en lui de cuisantes perplexités. L'odieux rôle de bourreau qu'il allait jouer lui devenait insupportable. Les maisons qu'il commence à apercevoir sont peut-être celles de ses victimes. Cette pensée l'obsède, ralentit son pas; il voudrait ne pas avancer; il s'imagine résister à un aiguillon qui le presse[68]. La fatigue de la route[69], se joignant à cette préoccupation, l'accable. Il avait, à ce qu'il paraît, les yeux enflammés[70], peut-être un commencement d'ophthalmie. Dans ces marches prolongées, les dernières heures sont les plus dangereuses. Toutes les causes débilitantes des jours passés s'y accumulent; les forces nerveuses se détendent; une réaction s'opère. Peut-être aussi le brusque passage de la plaine dévorée par le soleil aux frais ombrages des jardins détermina-t-il un accès dans l'organisation maladive[71] et gravement ébranlée du voyageur fanatique. Les fièvres pernicieuses, accompagnées de transport au cerveau, sont dans ces parages tout à fait subites. En quelques minutes, on est comme foudroyé. Quand l'accès est passé, on garde l'impression d'une nuit profonde, traversée d'éclairs, où l'on a vu des images se dessiner sur un fond noir[72]. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'un coup terrible enleva en un instant à Paul ce qui lui restait de conscience distincte, et le renversa par terre privé de sentiment.
Il est impossible, avec les récits que nous avons de cet événement singulier[73], de dire si quelque fait extérieur amena la crise qui valut au christianisme son plus ardent apôtre. Dans de pareils cas, au reste, le fait extérieur est peu de chose. C'est l'état d'âme de saint Paul, ce sont ses remords, à l'approche de la ville où il va mettre le comble à ses méfaits, qui furent les vraies causes de sa conversion[74]. Je préfère beaucoup pour ma part l'hypothèse d'un fait personnel à Paul et senti de lui seul[75]. Il n'est pas invraisemblable cependant qu'un orage[76] ait éclaté tout à coup. Les flancs de l'Hermon sont le point de formation de tonnerres dont rien n'égale la violence. Les âmes les plus froides ne traversent pas sans émotion ces effroyables pluies de feu. Il faut se rappeler que, pour toute l'antiquité, les accidents de ce genre étaient des révélations divines, qu'avec les idées qu'on se faisait alors de la Providence, rien n'était fortuit, que chaque homme avait l'habitude de rapporter à lui les phénomènes naturels qui se passaient autour de lui. Pour les Juifs, en particulier, le tonnerre était toujours la voix de Dieu; l'éclair, le feu de Dieu. Paul était sous le coup de la plus vive excitation. Il était naturel qu'il prêtât à la voix de l'orage ce qu'il avait dans son propre cœur. Qu'un délire fiévreux, amené par un coup de soleil ou une ophthalmie, se soit tout à coup emparé de lui; qu'un éclair ait amené un long éblouissement; qu'un éclat de la foudre l'ait renversé et ait produit une commotion cérébrale, qui oblitéra pour un temps le sens de la vue, peu importe. Les souvenirs de l'Apôtre à cet égard paraissent avoir été assez confus; il était persuadé que le fait avait été surnaturel, et une telle opinion ne lui permettait pas une conscience nette des circonstances matérielles. Ces commotions cérébrales produisent parfois une sorte d'effet rétroactif et troublent complètement les souvenirs des moments qui ont précédé la crise[77]. Paul, d'ailleurs, nous apprend lui-même qu'il était sujet aux visions[78]; quelque circonstance insignifiante aux yeux de tout autre dut suffire pour le mettre hors de lui.
Au milieu des hallucinations auxquelles tous ses sens étaient en proie, que vit-il, qu'entendit-il? Il vit la figure qui le poursuivait depuis plusieurs jours; il vit le fantôme sur lequel couraient tant de récits. Il vit Jésus lui-même[79], lui disant en hébreu: «Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu?» Les natures impétueuses passent tout d'une pièce d'un extrême à l'autre[80]. Il y a pour elles, ce qui n'existe pas pour les natures froides, des moments solennels, des minutes qui décident du reste de la vie. Les hommes réfléchis ne changent pas; ils se transforment. Les hommes ardents, au contraire, changent et ne se transforment pas. Le dogmatisme est comme une robe de Nessus qu'ils ne peuvent arracher. Il leur faut un prétexte d'aimer et de haïr. Nos races occidentales seules ont su produire de ces esprits larges, délicats, forts et flexibles, qu'aucune illusion momentanée n'entraîne, qu'aucune vaine affirmation ne séduit. L'Orient n'a jamais eu d'hommes de cette espèce. En quelques secondes, se pressèrent dans l'âme de Paul toutes ses plus profondes pensées. L'horreur de sa conduite se montra vivement à lui. Il se vit couvert du sang d'Étienne; ce martyr lui apparut comme son père, son initiateur. Il fut touché à vif, bouleversé de fond en comble. Mais, en somme, il n'avait fait que changer de fanatisme. Sa sincérité, son besoin de foi absolue lui interdisaient les moyens termes. Il était clair qu'il déploierait un jour pour Jésus ce même zèle de feu qu'il avait mis à le persécuter.
Paul entra à Damas avec l'aide de ses compagnons, qui le tenaient par la main[81]. Ils le déposèrent chez un certain Juda, qui demeurait dans la rue Droite, grande rue à colonnades, longue de plus d'un mille et large de cent pieds, qui traversait la ville de l'est à l'ouest, et dont le tracé forme encore aujourd'hui, sauf quelques déviations, la principale artère de Damas[82]. L'éblouissement[83] et le transport au cerveau ne diminuaient pas d'intensité. Pendant trois jours, Paul, en proie à la fièvre, ne mangea ni ne but. Ce qui se passa durant cette crise dans une tête brûlante, affolée par une violente commotion, se devine facilement. On parla devant lui des chrétiens de Damas et en particulier d'un certain Hanania, qui paraît avoir été le chef de la communauté[84], Paul avait souvent entendu vanter les pouvoirs miraculeux des nouveaux croyants à l'égard des maladies; l'idée que l'imposition des mains le tirerait de l'état où il était, s'empara de lui. Ses yeux étaient toujours fort enflammés. Parmi les images qui se succédaient en son cerveau[85], il crut voir Hanania entrer et lui faire le geste familier aux chrétiens. Il fut persuadé dès lors qu'il devrait sa guérison à Hanania. Hanania fut averti; il vint, parla doucement au malade, l'appela son frère, et lui imposa les mains. Le calme, à partir de ce moment, rentra dans l'âme de Paul. Il se crut guéri, et, la maladie étant surtout nerveuse, il le fut. De petites croûtes ou écailles tombèrent, dit-on, de ses yeux[86]; il mangea et reprit des forces.
Il reçut le baptême presque aussitôt[87]. Les doctrines de l'Église étaient si simples qu'il n'eut rien de nouveau à apprendre. Il fut sur-le-champ chrétien et parfait chrétien. De qui d'ailleurs aurait-il eu à recevoir des leçons? Jésus lui-même lui était apparu. Il avait eu sa vision de Jésus ressuscité, comme Jacques, comme Pierre. C'était par révélation immédiate qu'il avait tout appris. La fière et indomptable nature de Paul reparaissait ici. Abattu sur le chemin, il voulut bien se soumettre, mais se soumettre à Jésus seul, à Jésus qui avait quitté la droite de son Père pour venir le convertir et l'instruire. Telle est la base de sa foi; tel sera un jour le point de départ de ses prétentions. Il soutiendra que c'est à dessein qu'il n'est pas allé à Jérusalem aussitôt après sa conversion se mettre en rapport avec ceux qui étaient apôtres avant lui; qu'il a reçu sa révélation particulière et qu'il ne tient rien de personne; qu'il est apôtre comme les Douze par institution divine et par commission directe de Jésus; que sa doctrine est la bonne, quand même un ange dirait le contraire[88]. Un immense danger entra avec cet orgueilleux dans le sein de la petite société de pauvres en esprit qui a constitué jusqu'ici le christianisme. Ce sera un vrai miracle si ses violences et son inflexible personnalité ne font pas tout éclater. Mais aussi que sa hardiesse, sa force d'initiative, sa décision vont être un élément précieux à côté de l'esprit étroit, timide, indécis des saints de Jérusalem! Sûrement, si le christianisme fût resté entre les mains de ces bonnes gens, renfermé dans un conventicule d'illuminés menant la vie commune; il se fut éteint comme l'essénisme sans presque laisser de souvenir. C'est l'indocile Paul qui fera sa fortune, et qui, au risque de tous les périls, le mènera hardiment en haute mer. A côté du fidèle obéissant, recevant sa foi sans mot dire de son supérieur, il y aura le chrétien dégagé de toute autorité, qui ne croira que par conviction personnelle. Le protestantisme existe déjà, cinq ans après la mort de Jésus; saint Paul en est l'illustre fondateur. Jésus n'avait sans doute pas prévu de tels disciples; ce sont eux peut-être qui contribueront le plus à faire vivre son œuvre, et lui assureront l'éternité.
Les natures violentes et portées au prosélytisme ne changent jamais que l'objet de leur passion. Aussi ardent pour la foi nouvelle qu'il l'avait été pour l'ancienne, saint Paul, comme Omar, passa en un jour du rôle de persécuteur au rôle d'apôtre. Il ne revint pas à Jérusalem[89], où sa position auprès des Douze aurait eu quelque chose de délicat. Il resta à Damas et dans le Hauran[90], et, pendant trois ans (38–41), y prêcha que Jésus était fils de Dieu[91]. Hérode Agrippa Ier possédait la souveraineté du Hauran et des pays voisins; mais son pouvoir était sur plusieurs points annulé par celui du roi nabatéen Hâreth. L'affaiblissement de la puissance romaine, en Syrie, avait livré à l'ambitieux Arabe la grande et riche ville de Damas, ainsi qu'une partie des contrées au delà du Jourdain et de l'Hermon, qui naissaient alors à la civilisation[92]. Un autre émir, Soheym[93], peut-être parent ou lieutenant de Hâreth, se faisait donner par Caligula l'investiture de l'Iturée. Ce fut au milieu de ce grand éveil de la race arabe[94], sur ce sol étrange, où une race énergique déployait avec éclat son activité fiévreuse, que Paul répandit le premier feu de son âme d'apôtre[95]. Peut-être le mouvement matériel, si brillant, qui transformait le pays, nuisit-il au succès d'une prédication tout idéaliste et fondée sur la croyance à une prochaine fin du monde. On ne trouve aucune trace, en effet, d'une Église d'Arabie fondée par saint Paul. Si la région du Hauran devient, vers l'an 70, un des centres les plus importants du christianisme, elle le doit à l'émigration des chrétiens de Palestine, et ce sont justement les ennemis de saint Paul, les ébionites, qui ont de ce côté leur principal établissement.
A Damas, où il y avait beaucoup de juifs[96], Paul fut plus écouté. Il entrait dans les synagogues, et se livrait à de vives argumentations pour prouver que Jésus était le Christ. L'étonnement des fidèles était extrême; celui qui avait persécuté leurs frères de Jérusalem et qui était venu pour les enchaîner, le voilà devenu leur premier apologiste[97]! Son audace, sa singularité, avaient bien quelque chose qui les effrayait; il était seul; il ne prenait conseil de personne[98]; il ne faisait pas école; on le regardait avec plus de curiosité que de sympathie. On sentait que c'était un frère, mais un frère d'une espèce toute particulière. On le croyait incapable d'une trahison; mais les bonnes et médiocres natures éprouvent toujours un sentiment de défiance et d'effroi à côté des natures puissantes et originales, qu'elles sentent bien devoir un jour leur échapper.
[1] Cette date résulte de la comparaison des chapitres ix, xi, xii des Actes avec Gal., i, 18; ii, 1, et du synchronisme que présente le chapitre xii des Actes avec l'histoire profane, synchronisme qui fixe la date des faits racontés en ce chapitre à l'an 44.
[2] Act., ix, 11; xxi, 39; xxii, 3.
[3] Dans l'épître à Philémon, écrite vers l'an 61, il se qualifie de «vieillard» (v, 9). Act., vii, 57, il est qualifié de jeune homme, pour un fait relatif à l'an 37, à peu près.
[4] De la même manière que les «Jésus» se faisaient appeler «Jason»; les «Joseph», «Hégésippe»; les «Éliacim», «Alcime», etc. Saint Jérôme (De viris ill., 5) suppose que Paul prit son nom du proconsul Sergius Paulus (Act., xiii, 9). Une telle explication parait peu admissible. Si les Actes ne donnent à Saül le nom de «Paul» qu'à partir de ses relations avec ce personnage, cela tient peut-être à ce que la conversion supposée de Sergius aurait été le premier acte éclatant de Paul comme apôtre des gentils.
[5] Act., xiii, 9 et la suite; la suscription de toutes les épîtres; II Petri, iii, 15.
[6] Les calomnies ébionites (Épiphane, Adv. hær., hær. xxx, 16 et 25) ne doivent pas être prises au sérieux.
[7] Saint Jérôme, loc. cit. Inadmissible comme la présente saint Jérôme, cette tradition semble néanmoins avoir quelque fondement.
[8] Rom., xi, 1; Phil., iii, 5.
[9] Act., xxii, 28.
[10] Act., xxiii, 6.
[11] Phil., iii, 5; Act., xxvi, 5.
[12] Act., vi, 9; Philo, Leg. ad Caium, § 36.
[13] Strabon, XIV, x, 13.
[14] Ibid., XIV, x, 14–15; Philostrate, Vie d'Apollonius, I, 7.
[15] Jos., Ant., dernier paragraphe. Cf. Vie de Jésus, p, 33–34.
[16] Philostrate, loc. cit.
[17] Act., xvii, 22 et suiv.; xxi, 37.
[18] Gal., vi, 11; Rom., xvi, 22.
[19] II Cor., xi, 6.
[20] Act., xxi, 40. J'ai expliqué ailleurs te sens du mot έβραϊστί. Hist. des lang. sémit., II, i, 5; III, i, 2.
[21] Act., xxvi, 14.
[22] I Cor., xv, 33. Cf. Meinecke, Menandri fragm., p. 75.
[23] Tit., i, 12; Act., xvii, 28. L'authenticité de l'épître a Tite est très-douteuse. Quant au discours rapporté au chapitre xvii des Actes, il est l'ouvrage de l'auteur des Actes bien plus que de saint Paul.
[24] Le vers cité d'Aratus (Phœnom., 5) se retrouve, en effet, dans Cléanthe (Hymne à Jupiter, 5}. Tous deux l'empruntaient sans doute à quelque hymne religieux anonyme.
[25] Gal., i, 14.
[26] Act., xvii, 22 et suiv., en tenant compte de la note 23, ci-dessus.
[27] Voir Vie de Jésus, p. 72.
[28] Act., xviii, 3.
[29] Ibid., xviii, 3; I Cor., iv, 12; I Thess., ii, 9; II Thess., iii, 8.
[30] Act., xxiii, 16.
[31] II Cor., viii, 18, 22; xii, 18.
[32] Rom., xvi, 7, 11, 21. Sur le sens de συγγενής en ces passages, voir ci-dessus, p. 108, note 27.
[33] Voir surtout l'épître à Philémon.
[34] Gal., v, 12; Phil., iii, 2.
[35] II Cor., x, 10.
[36] Acta Pauli et Theclæ, 3, dans Tischendorf, Acta Apost. apocr. (Leipzig 1851). p. 41 et les notes (texte ancien, lors même qu'il ne serait pas l'original dont parle Tertullien); le Philopatris, 12 (ouvrage composé vers l'an 363); Malala, Chronogr., p. 257, édit. Bonn; Nicéphore, Hist. eccl., II, 37. Tous ces passages, surtout celui du Philopatris, supposent d'assez anciens portraits. Ce qui leur donne de l'autorité, c'est que Malala, Nicéphore et même l'auteur des Actes de sainte Thècle veulent, malgré tout cela, faire de Paul un bel homme.
[37] I Cor., ii, 1 et suiv.; II Cor., x, 1–2, 10; xi, 6.
[38] I Cor., ii, 3; II Cor., x, 10.
[39] II Cor., xi, 30; xii, 5, 9, 10.
[40] I Cor., ii, 3; II Cor., i, 8–9; x, 10; xi, 30; xii, 5, 9–10; Gal., iv, 13–14.
[41] II Cor., xii, 7–10.
[42] I Cor., vii, 7–8 et le contexte.
[43] I Cor., vii, 7–8; ix, 5. Ce second passage est loin d'être démonstratif. Phil., iv, 3, ferait supposer le contraire. Comp. Clément d'Alexandrie, Strom., III, 6, et Eusèbe, Hist. eccl., III, 30. Le passage I Cor., vii, 7–8, a seul ici du poids.
[44] I Cor., vii, 7–9.
[45] Act., xxii, 3; xxvi, 4.
[46] Ibid., xxii, 3. Paul ne parle pas de ce maître à certains endroits de ses épîtres où il eût été naturel de le nommer (Phil., iii, 5). Il n'est pas impossible que l'auteur des Actes ait mis d'office son héros en rapport avec le plus célèbre docteur de Jérusalem dont il savait le nom. Il y a contradiction absolue entre les principes de Gamaliel (Act., v, 34 et suiv.) et la conduite de Paul avant sa conversion.
[47] Voir Vie de Jésus, p. 220–221.