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Les châteaux d'Athlin et de Dunbayne (2/2), Histoire arrivée dans les Montagnes d'Écosse.

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CHAPITRE VIII.

Edmund entre dans la prison d'Osbert et l'informe du projet de ses amis. — Consternation de la comtesse et de Marie qui ne reçoivent aucune nouvelle d'Alleyn. — Le comte fait ses adieux à la baronne et à Laure, et déclare son amour à cette dernière. — Joie qu'éprouvent ces dames en apprenant la probabilité de l'évasion d'Osbert. — Malcolm est instruit du projet d'évasion du comte, il prend des mesures pour l'empêcher et pour s'emparer de ceux de ses vassaux qui le seconderaient dans cette entreprise. — Prise d'Alleyn ; sa délivrance. — Fuite du comte. — Fureur de Malcolm en apprenant cette évasion. — Arrivée du comte au château d'Athlin. — Joie que cause cette arrivée. — Alleyn reçoit les remercimens de la famille. — Le comte envoye secrètement un cartel au baron Malcolm.

Osbert venait d'ouvrir le panneau et entrait dans sa chambre, quand à la faible lueur du feu il aperçut indistinctement la figure d'un homme, et entendit au même instant le bruit d'une armure. La surprise et l'horreur le glacèrent d'effroi ; il s'arrêta et fut quelques momens indécis s'il devait avancer ou reculer. Un silence terrible suivit ; la personne qu'il croyait avoir vue disparut dans l'obscurité de l'appartement ; le bruit d'armes cessa, et il commença à croire que ce qu'il avait vu et entendu n'était que la vision d'une imagination malade, que l'agitation de ses esprits, la solemnité de l'heure et la désolation du lieu avaient enfantée.

Les articulations d'une voix inconnue vinrent alors frapper doucement son oreille ; elles parlaient d'auprès de lui. Il fit un saut en avant et saisit l'acier d'une armure, tandis que le bras qu'elle renfermait faisait tous ses efforts pour se dégager. « Malheureux », s'écria Osbert, parle, qui es-tu? le feu jetant alors un éclat de lumière lui laissa apercevoir un soldat du baron. Son agitation l'empêcha, pendant quelque tems, de remarquer que le visage de cet homme annonçait plus de peur que de dessein de nuire ; mais ses appréhensions firent place à la surprise, lorsqu'il apperçut le soldat à ses pieds. C'était Edmund qui était entré dans la prison, sous prétexte d'y apporter du bois, mais en effet pour conférer avec Osbert. Quand le comte eut appris qu'il venait de la part d'Alleyn, il fut pénétré de la plus vive reconnaissance envers ce généreux jeune homme, dont le zèle et l'activité ne s'étaient jamais ralentis depuis le moment où il s'était engagé dans sa cause. On peut juger de ses transports lorsqu'il fut instruit des projets que l'on formait pour sa délivrance. La circonstance qui avait presque fait perdre toute espérance à ses amis ne l'effraya pas puisque la découverte de la porte secrète, avec l'assistance d'un guide à travers les avenues souterraines du château, lui offrait un moyen certain de s'évader. Edmund connaissait bien tous ces passages tortueux.

Le comte l'informa de la découverte du faux panneau, lui dit d'apprendre cette heureuse nouvelle à Alleyn, et de se préparer, le premier jour qu'il serait de garde à la prison, à l'aider dans son évasion. Edmund connaissait les appartemens qu'Osbert venait de lui décrire, ainsi que le grand escalier qui conduisait à une partie du château depuis long-tems abandonnée, et d'où il était facile de passer, sans être découvert, dans les caves qui communiquaient aux passages souterrains du rocher.

Alleyn entendit avec transport le rapport de Jacques et il eut envie de partir sur-le-champ pour le château d'Athlin, afin de dissiper le chagrin de ses habitans ; mais considérant que son absence subite du camp pourrait donner des soupçons et faire découvrir leurs projets, il renonça à son premier mouvement, et céda malgré lui à la dure nécessité qui condamnait la comtesse et Marie aux horreurs de l'incertitude.

Cependant la comtesse dont le dessein, fortifié par la ferme résolution de Marie, n'avait point été ébranlé par le message du comte qu'elle ne regardait que comme l'effet d'une impulsion momentanée, voyait avec la plus vive inquiétude l'approche de ce jour malheureux qui devait décider du sort de ses enfans. Elle ne recevait aucune nouvelle du camp, aucune parole de consolation de la part d'Alleyn ; et la confiance qui avait jusqu'ici soutenu son existence était prête à faire place au plus affreux désespoir. Marie tâchait de donner à sa mère cette consolation dont elle avait elle-même un égal besoin ; elle s'efforçait par le courage avec lequel elle se résignait d'adoucir la rigueur des souffrances qui menaçaient la comtesse ; et elle contemplait l'approche de la tempête avec le sang-froid d'un esprit qui ne connaît rien au-dessus de la vertu ; mais en vain faisait-elle tous ses efforts pour écarter Alleyn de sa pensée ; sa conduite noble et désintéressée excitait en elle des émotions qui ébranlaient son courage et qui lui rendaient plus pénible le sacrifice qu'elle allait faire.

Brûlant du désir d'informer la baronne de sa prochaine délivrance, de l'assurer de ses services, de dire adieu à Laure, et de saisir la dernière occasion qu'il aurait peut-être jamais de lui déclarer son admiration et son amour, le comte se hâta de se rendre de nouveau dans les appartemens de ces dames infortunées. La baronne éprouva un vrai plaisir en apprenant la probabilité de son évasion ; et Laure, dans la joie qu'elle ressentit, oublia les chagrins de sa propre situation, elle oublia ce que son cœur ne tarda pas à lui rappeler, qu'Osbert allait quitter le lieu de sa détention, et que vraisemblablement elle ne le reverrait plus. Cette pensée répandit une ombre subite sur ses traits et leur redonna cette teinte de mélancolie qui ne les quittait presque jamais. Le comte remarqua ce changement momentané, et son cœur lui dit de saisir cette occasion.

« Ma joie est mêlée d'amertume, dit-il, car au milieu de la félicité de ma délivrance prochaine, je ne quitte pas ma prison sans éprouver des regrets cuisans, regrets qu'il est peut-être inutile de faire connaître, mais que ma sensibilité ne me permet pas actuellement de cacher. Je laisse dans ces murs que je quitte avec allégresse un cœur pénétré de la plus tendre passion ; un cœur qui, tant qu'il aura un souffle de vie, portera l'empreinte de l'image de Laure ; si j'avais l'espoir qu'elle n'est point insensible à mon attachement, je m'en irais en paix et défierais tous les obstacles. Mais fussé-je même certain qu'elle est indifférente à mon amour, si elle daigne accepter mes services, je me fais fort de la délivrer, ou de périr dans l'entreprise ».

Laure était muette, elle aurait voulu témoigner sa reconnaissance et craignait en même tems de découvrir son amour ; mais la douce timidité de ses yeux et la rougeur de ses joues dévoilaient le secret qui expirait sur ses lèvres. La baronne remarqua son désordre, et remerciant le comte des services qu'il voulait bien leur offrir, refusa de les accepter. Elle le pria de ne plus exposer sa tranquillité et celle de sa famille, en tentant une entreprise accompagnée de tant de dangers et qui pourrait lui coûter la vie. Les argumens de la baronne ne furent point capables de persuader Osbert ; il plaida sa cause avec tant de chaleur, et insista avec tant de force sur la nécessité d'une prompte décision à cause de son prochain départ, qu'elle cessa de s'opposer à son dessein, et le silence de Laure témoigna son approbation. Après un tendre adieu et les souhaits les plus sincères pour sa sûreté, le comte quitta les appartemens plein des plus vives espérances.

Cependant Malcolm avait été instruit du projet de son évasion, et s'était occupé des moyens de la prévenir. La sentinelle avait communiqué sa découverte à quelques-uns de ses camarades, qui, n'ayant point assez de vertu ou assez de courage pour quitter le service du baron, voulaient obtenir sa faveur, et ne manquèrent pas de saisir une si belle occasion d'accomplir leur dessein. Ils communiquèrent donc à leur chef les informations qu'ils avaient reçues.

Celui-ci, voulant cacher qu'il était instruit de l'affaire, afin de surprendre ceux de la tribu qui devaient venir au devant du comte, avait souffert qu'Edmund retournât au poste de la prison, où il avait secrètement placé les délateurs, et avait pris toutes les autres précautions nécessaires pour intercepter leur fuite, en cas qu'ils parvinssent à éluder la vigilance de ces argus, ainsi que pour s'assurer de ceux qui s'approcheraient du château dans l'espoir d'y rencontrer leur chef. Cela fait, il se croyait dans la plus grande sécurité, et assuré de triompher de ses ennemis en les prenant ainsi dans leurs propres filets.

Après bien des momens d'impatience du côté d'Alleyn et d'attente du côté du comte, la nuit dont dépendait l'événement de toutes leurs espérances arriva. Il fut convenu qu'Alleyn, avec quelques soldats choisis, attendrait l'arrivée du comte dans la caverne où aboutissait le passage souterrain. Ce jeune homme n'avait quitté Jacques que dans l'agitation la plus violente et revint dans sa tente pour remettre un peu ses esprits.

La nuit était alors au milieu de sa course. Un profond silence regnait dans tout le château de Dunbayne, lorsqu'Edmund, tirant doucement les verroux de la porte de la prison, appela le comte. Celui-ci s'élança en avant, ouvrit aussitôt le panneau, qu'ils refermèrent après eux, afin d'éviter d'être découverts, et après avoir traversé à pas tremblans les appartemens froids et silencieux qui étaient devant eux, ils descendirent par le grand escalier dans la salle, dont la faible lumière de la torche qu'Edmund avait à la main ne servait qu'à faire voir l'étendue et la désolation, et dont les voûtes sonores répétaient leurs pas incertains. Après plusieurs détours ils descendirent dans les caves ; en traversant leur affreuse longueur, ils s'arrêtèrent souvent pour prêter l'oreille au sifflement des vents qui s'engouffrant dans les passages semblaient annoncer le bruit et l'alarme d'une poursuite. Ils parvinrent enfin à l'extrémité des caves, où Edmund chercha une trappe ensevelie dans la terre et dans la boue ; l'ayant trouvée, ils la levèrent avec peine ; car il y avait long-tems qu'elle n'avait été ouverte ; d'ailleurs le fer dont elle était couverte la rendait extrêmement pesante. Ils entrèrent et, laissant retomber la trappe après eux, ils descendirent un escalier étroit qui les conduisit à un passage tortueux que fermait une porte donnant sur la grande avenue par où Alleyn s'était échappé. Ayant gagné cette avenue, ils marchèrent alors avec confiance ; car ils n'étaient pas fort éloignés de la caverne où Alleyn et ses compagnons attendaient leur arrivée. Le cœur de ce jeune homme battait alors de joie, car il aperçut une faible clarté sur les murs de l'avenue et il crut entendre les pas redoublés de quelqu'un qui s'approchait. Impatient de se jeter aux pieds du comte, il entra dans le souterrain. La lumière réfléchissait plus fortement sur les murs ; mais une pointe du rocher dont la projection formait un détour, l'empêchait d'apercevoir les personnes qu'il cherchait avec tant d'ardeur. L'approche du bruit des pas était alors sensible et Alleyn en gagnant le rocher tourna subitement sur trois soldats du baron. Ils le firent à l'instant prisonnier. L'étonnement le priva pour un moment de toute autre sensation ; pendant qu'ils le conduisaient, cet affreux revers le pénétra de douleur, et il fut persuadé que le comte avait été arrêté et reconduit dans sa prison.

Comme il marchait en faisant cette réflexion, une lumière parut à quelque distance, venant d'une porte qui donnait sur l'avenue, et découvrit deux hommes qui, les ayant aperçus, se retirèrent précipitamment et fermèrent la porte après eux. Deux des soldats quittant Alleyn poursuivirent les fuyards et disparurent. Alleyn se trouvant seul avec un soldat, profita de l'occasion et fit un effort désespéré pour recouvrer son épée. Il réussit, et la vivacité de l'attaque lui procura aussi celle de son antagoniste, qui tomba à ses pieds et lui demanda la vie. Le jeune homme la lui accorda. Le soldat reconnaissant et craignant la vengeance du baron, désira fuir avec lui et s'enrôler à son service. Ils quittèrent ensemble le souterrain. En rentrant dans la caverne, Alleyn n'y trouva plus ses amis, qui, ayant entendu le cliquetis des armes et les voix menaçantes des soldats, s'étaient doutés de ce qui lui était arrivé, et craignant d'être accablés par le nombre, avaient fui pour éviter la même catastrophe. Alleyn retourna à sa tente confondu et désespéré. Tous les efforts qu'il avait faits pour la délivrance du comte avaient été sans succès ; et ce projet, sur lequel était fondée sa dernière espérance, avait été détruit au moment où il croyait le voir réussir. Il se jeta par terre et, perdu dans ses réflexions, il ne s'aperçut qu'on ouvrait les rideaux de sa tente, que lorsqu'il entendit un bruit subit. Il regarda et aperçut le comte. La terreur le retint à sa place et il crut, pendant un moment, à la tradition des visions de son pays. Cependant la voix bien connue d'Osbert ne tarda pas à le détromper, et l'ardeur avec laquelle il embrassa ses genoux, le convainquit que ce n'était point un songe.

Les soldats, dans l'ardeur de la poursuite, n'avaient point aperçu la porte par où Osbert s'était retiré, et en avaient pris une autre au-dessous, qui, après les avoir engagés dans des recherches inutiles par divers passages tortueux, les avaient conduits dans un endroit écarté du château d'où ils étaient enfin sortis avec beaucoup de difficulté et après avoir perdu un tems considérable. Le comte, qui avait rétrogradé à la vue des soldats, s'était efforcé de regagner la trappe ; mais lui et Edmund avaient fait d'inutiles efforts pour la r'ouvrir. Forcé de faire face au danger qui les menaçait, le comte avait pris l'épée de son compagnon, résolu de renverser ses adversaires et d'effectuer sa sortie ou de périr et de mettre fin à ses maux. Dans cette intention il s'avança intrépidement dans le passage, et arrivé à la porte, il s'arrêta pour découvrir les mouvemens des soldats : tout était tranquille. Après être resté quelque tems dans cette attitude, il ouvrit la porte, examina d'un œil tout-à-la-fois ferme et inquiet, la longueur de l'avenue qu'éclairait la torche et n'aperçut aucun être vivant. Il s'avança avec précaution vers la caverne, s'attendant à chaque instant à voir sortir les soldats de quelque cachette pour fondre sur lui. Il y parvint néanmoins sans interruption ; et surpris de sa délivrance inattendue, il se hâta avec Edmund de rejoindre ses fidèles vassaux.

Les soldats qui gardaient la prison, ne connaissant d'autre issue par où le comte pouvait s'échapper que la porte où ils étaient postés, avaient laissé entrer Edmund dans l'appartement sans se douter de rien. Ils furent long-tems à s'apercevoir de leur erreur ; surpris de ce qu'il ne revenait point, ils ouvrirent la porte de la prison, et demeurèrent stupéfaits de n'y trouver personne. Ils examinèrent les portes et les trouvèrent comme à l'ordinaire ; ils visitèrent tous les coins de l'appartement ; mais ils ne découvrirent point le panneau mouvant, et après avoir terminé leurs recherches sans pouvoir s'imaginer par où le comte avait quitté sa prison, ils furent saisis de terreur, attribuèrent son évasion à un pouvoir surnaturel et alarmèrent immédiatement le château. Le baron éveillé par le bruit, fut informé de ce qui était arrivé, et, soupçonnant l'intégrité de ses gardes, monta lui-même dans les appartemens ; les ayant examinés sans avoir découvert par où Osbert avait pu s'échapper, il n'hésita plus à prononcer que les sentinelles étaient complices de l'évasion du comte. La frayeur naturelle qu'ils firent paraître fut regardée comme un artifice, et ils furent déclarés traîtres et punis comme tels. On les jeta dans le cachot du château. On envoya sur le champ des soldats à la poursuite des fuyards ; mais le tems qui s'était écoulé avant que les sentinelles fussent entrées dans la prison, avait procuré au comte la facilité de s'évader. Quand la certitude de la fuite fut communiquée au baron, toutes les passions qui rendent l'homme misérable, se réunirent pour le tourmenter ; et sa fureur portée au comble n'offrit à son esprit que les images les plus terribles de la vengeance.

La baronne et Laure que le tumulte avait éveillées, avaient été dans de grandes appréhensions pour le comte, jusqu'à ce qu'elles furent informées de la cause du désordre universel : leurs espérances et leur joie ne tardèrent pas à être confirmées ; car elles furent peu de tems après instruites des recherches inutiles des soldats.

Le dernier jour de l'époque fixée par la comtesse pour envoyer sa réponse était arrivé et elle n'avait point entendu parler d'Alleyn, car celui-ci occupé de projets dont l'événement avait jusqu'alors été indécis, n'avait encore pu rendre aucun compte. Tout espoir de la délivrance du comte paraissait évanoui, et dans l'amertume de son cœur, la comtesse se préparait à donner la réponse qui devait livrer sa malheureuse fille au meurtrier de son époux. Marie qui affectait un courage au-dessus de ses forces, tâchait d'adoucir la rigueur des souffrances de sa mère ; mais ses efforts étaient inutiles, elles défiaient tous les pouvoirs de la consolation. Elle signa le fatal accord ; mais elle attendit jusqu'au dernier moment pour le remettre entre les mains du messager. Il était néanmoins nécessaire que le baron le reçût le lendemain matin, de peur que l'impatience ne le portât à mettre le comte à mort à l'expiration du délai. Elle envoya donc chercher le messager, qui était un vétéran de la tribu, et lui remit le message avec une extrême agitation ; la douleur la suffoqua, elle fut incapable de lui parler ; il attendait ses ordres lorsque la porte s'ouvrit et le comte et Alleyn se jetèrent à ses pieds. Elle poussa un cri perçant et tomba sur sa chaise. Marie, en croyant à peine ses yeux, s'efforçait de modérer le torrent de joie qui se précipitait vers son cœur et menaçait de le briser.

Le château d'Athlin ne fut plus qu'une scène de tumulte à la nouvelle de cet heureux événement ; les cours se remplirent de ceux de la tribu que leurs infirmités avaient empêchés de suivre leurs camarades au camp, et que le bruit du retour du comte, qui s'était répandu avec la rapidité d'un éclair, y avait attirés ; le vestibule retentit de toutes parts, et ces braves gens pouvaient à peine s'empêcher de se précipiter dans l'endroit où était leur chef, pour le féliciter de son évasion.

Quand les premiers transports de leur réunion furent passés, le comte présenta Alleyn à sa famille comme son ami et son libérateur, dont il ne pourrait jamais oublier, ni assez récompenser l'attachement et les services signalés. Ce tribut d'éloges accordé à Alleyn répandit sur les joues de Marie une rougeur expressive du plaisir et de la reconnaissance ; et l'approbation qui éclata dans ses yeux récompensa le jeune homme de sa générosité et de ses travaux. La comtesse le reçut comme le libérateur de ses deux enfans et raconta à Osbert l'aventure du bois. Le comte embrassa Alleyn, qui reçut les remercimens de la famille avec une modestie naturelle. Osbert n'hésita point de dire que le baron était l'auteur de ce complot ; son cœur brûlait du désir de venger les injures réitérées de sa famille, et il résolut de lui envoyer un cartel. Il considéra le renouvellement du siége comme un projet inutile ; et un cartel, quoique son adversaire en fut indigne, lui parut le seul moyen honorable qui lui restât de se venger. Il se garda bien d'en parler à la comtesse, sachant que sa tendresse s'opposerait à cette mesure, et éleverait des difficultés qui l'embarrasseraient, sans le détourner de son dessein. Il fit mention des malheurs de la baronne et de l'amabilité de sa fille, et il excita l'estime et la pitié de ses auditeurs.

Les clameurs des paysans pour voir leur seigneur, parvinrent alors jusqu'à l'appartement de la comtesse, et il descendit dans le vestibule, accompagné d'Alleyn, pour satisfaire leur empressement. Un cri de joie universel fit retentir les murs lorsqu'il parut. A la vue de ses fidèles vassaux le visage du comte rayonna de plaisir ; et les délices du moment lui donnèrent des preuves non équivoques des avantages d'un bon gouvernement. Impatient de témoigner sa reconnaissance, il introduisit Alleyn à la tribu, comme son ami et son libérateur, et offrit à son père une portion de terre, où il pourrait terminer ses jours dans la paix et dans l'abondance. Le vieil Alleyn remercia le comte de ses bontés, mais refusa de l'accepter. Il dit qu'il était attaché à sa chaumière, et qu'il jouissait déjà des aisances de la vie.

Le lendemain matin, un messager fut secrètement envoyé au baron avec un cartel de la part du comte. Ce cartel était conçu dans les termes de la plus haute indignation, il y était dit qu'il n'y avait que le manque de succès de tout autre moyen qui pût engager le comte à condescendre de combattre à armes égales le meurtrier de son père.

Le bonheur avait donc encore une fois reparu à Athlin. La conservation inattendue de ses deux enfans électrisait la comtesse. Le comte paraissait alors, pour quelque tems, en sûreté au sein de sa famille, et, quoique son impatience de venger les injures de ceux qui lui étaient les plus chers, et d'arracher des mains de l'oppression les belles prisonnières de Dunbayne, ne lui permît pas d'être tranquille, il affectait néanmoins une gaieté inconnue à son cœur, et tous les jours se passaient dans les fêtes et dans la joie.

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