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Les châteaux d'Athlin et de Dunbayne (2/2), Histoire arrivée dans les Montagnes d'Écosse.

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CHAPITRE XI.

Osbert est dangereusement blessé dans les souterrains du château en poursuivant des étrangers suspects. — Détresse de sa famille et de Laure. — Une fièvre violente le met à l'article de la mort. — Ses derniers adieux à Laure. — Alleyn est violemment soupçonné d'être l'assassin du comte. — Toutes les recherches faites pour le trouver sont inutiles. — Guérison du comte. — Préparatifs pour son mariage. — Départ de Sant-Morin. — Enlèvement de Marie.

On ne trouvait Alleyn nulle part. Le comte alla lui-même à sa recherche, mais il n'eut pas plus de succès. Comme il revenait de la terrasse, chagrin et inconsolable, il remarqua deux individus qui la traversaient à quelque distance devant lui, et la sombre lueur de la lune lui laissa apercevoir que ces gens n'étaient point du château. Il appela. Ils ne lui firent aucune réponse ; mais au son de sa voix redoublèrent le pas, et se perdirent presque au même instant dans l'obscurité des remparts. Surpris d'une aventure si étrange, le comte s'avança à la hâte, et s'efforça de suivre la route qu'ils avaient prise. Il marcha en silence, mais il n'entendit aucun son pour diriger ses pas. Quand il arriva à l'extrémité du rempart, qui formait l'angle du nord du château, il s'arrêta pour examiner le terrain et pour écouter si quelque chose remuait. Rien, tout était tranquille. Après être demeuré quelque tems à examiner le rempart, il entendit quelqu'un dont la voix lui était inconnue, parlant bas et d'une manière cachée, mais il ne put distinguer le sujet de la conversation. Cette voix sembla s'approcher de l'endroit où il était. Il tira l'épée et épia en silence tous les mouvemens. Plusieurs individus s'avancèrent, s'arrêtèrent tout court, tournèrent ensuite, et firent un long examen du bâtiment. Ils conversaient à voix basse ; mais le comte comprit par la violence de leurs gestes et la précaution de leurs démarches qu'ils méditaient quelque dessein préjudiciable à la paix du château. Après avoir terminé leur examen, ils tournèrent encore une fois vers l'endroit où il s'était posté ; l'ombre d'une tourelle l'empêchait d'être vu, et ils continuèrent leurs approches jusqu'à ce qu'ils fussent à une très-petite distance de lui ; ils passèrent ensuite à travers une arche en ruines, et se perdirent à travers les détours obscurs du bâtiment. Etonné de ce qu'il venait de voir, Osbert se hâta de regagner le château d'où il détacha quelques-uns de ses gens à la poursuite des inconnus ; et il alla avec quelques domestiques à l'endroit où ils avaient disparu. Ils entrèrent sous l'arche qui conduisait à une partie ruinée de château ; ils suivirent sur un pavé rompu les restes d'un passage, fermé par une porte basse, presque imperceptible à cause du lierre épais qui la couvrait. Ayant ouvert cette porte, ils descendirent un petit escalier qui conduisait sous le château, si étroit et si brisé que la descente était extrêmement difficile et dangereuse.

L'humidité des vapeurs long-tems enfermées éteignit leur lumière, et ils restèrent dans les ténèbres les plus épaisses, en attendant qu'un des leurs allât à la partie habitée du bâtiment pour rallumer la lampe. Tandis qu'ils attendaient en silence le retour de la lumière, on entendait distinctement respirer par intervalles près de l'endroit où ils étaient. Les domestiques éprouvaient la plus grande frayeur ; et le comte lui même n'était pas trop rassuré. Ils gardèrent le plus profond silence, prêtant une oreille attentive, lorsque le son de quelques pas les fit tressaillir. Le comte cria : qui va là? Personne ne lui répondit ; l'écho profond répéta seul les sons de sa voix. Ils firent du bruit avec leurs épées, et s'avancèrent ; mais les pas parurent s'éloigner. Le comte s'élança en avant et saisit la personne qui fuyait. Il s'ensuivit un petit combat ; mais Osbert, plus fort que son antagoniste, l'avait presque renversé, lorsqu'il se sentit percé au côté par la pointe d'une épée, il lâcha prise et tomba par terre. Ses domestiques qui n'avaient pu les suivre, arrivèrent alors : mais les assassins avaient effectué leur retraite car on n'entendit leurs pas qu'à une distance fort éloignée. Ils s'efforcèrent de relever le comte qui était sans connaissance ; mais ils ne savaient comment le tirer de ce lieu d'horreur : car ils étaient encore dans la plus profonde obscurité. Dans cet état cruel chaque moment paraissait un siècle. Quelques-uns essayèrent de retrouver le chemin de la porte, mais les ténèbres et les ruines du lieu détruisirent leurs efforts. A la fin la lumière parut et laissa voir Osbert insensible et baigné dans son sang. Il fut transporté au château, où l'on peut aisément se figurer l'horreur de la comtesse, lorsqu'elle le vit dans cette situation. A force de secours on le rappela à la vie ; sa blessure fut examinée et trouvée dangereuse ; on le porta dans un lit avec de bien faibles espérances de guérison. Lorsque Maltida fut informée de cette aventure, son étonnement ne fut pas moins grand que sa douleur. Toutes ses conjectures sur les desseins et l'identité de l'assassin se perdirent dans le vague. Elle ne savait à qui imputer ce forfait, ni imaginer aucun moyen qui pût conduire à la découverte d'un complot si mystérieux. Les individus qui avaient continué la poursuite, dans les souterrains, revinrent alors rendre compte à la comtesse. Tous les réduits les plus cachés du château et du rempart avaient été scrupuleusement examinés, et l'on n'avait trouvé personne. Ce qui augmentait encore le mystère de cet attentat, était la manière extraordinaire avec laquelle les inconnus s'étaient évadés.

Marie veillait son frère dans les transes les plus cruelles, elle tâchait néanmoins de cacher ses appréhensions pour ne point faire perdre toute espérance à sa mère. La comtesse s'efforçait de se résigner à l'événement, avec une espèce de courage désespéré. Il y a un certain degré de malheur, au delà duquel l'esprit devient indifférent et acquiert une sorte de calme artificiel. Un excès de souffrances tue, pour ainsi dire, les pouvoirs vitaux de la sensibilité, et par une conséquence naturelle détruit son propre principe. Il en était ainsi de Maltida, une longue suite d'épreuves l'avait réduite à un état affreux de tranquillité, qui suivit le premier choc de l'événement actuel. Il n'en était pas de même de Laure ; ignorant encore le malheur, et remplie d'espérances, elle vit la félicité qu'elle était prête à atteindre, s'éloigner d'elle avec toute la chaleur d'une sensibilité qui n'avait pas encore été émoussée par les rigueurs de la contrariété.

Lorsqu'elle apprit la nouvelle de l'état du comte, elle fut plongée dans la douleur la plus affreuse, et éprouva dans le silence les angoisses les plus terribles. Sant-Morin vint aussitôt voir Osbert, mais son propre chagrin lui déchirait le cœur, et il était hors d'état de donner aux autres cette consolation dont il avait lui-même besoin.

Une fièvre, occasionnée par les blessures, ajouta au danger du comte, et au désespoir de sa famille. Pendant tout ce tems-là Alleyn n'avait point paru au château ; et son absence, dans une pareille circonstance, éleva dans le sein de Marie une variété de craintes désespérantes. Osbert le demanda et désira de le voir. Le domestique, envoyé à la chaumière de son père, apporta la nouvelle qu'il y avait quelques jours qu'on ne l'avait vu, et que personne ne savait où il était allé. La surprise fut universelle ; mais les effets qu'elle produisit furent différens et contraires. Un étrange concours de circonstances inspirait à l'esprit de la comtesse un soupçon que son cœur et le souvenir de la conduite d'Alleyn rejetaient à l'instant. Elle avait appris ce qui s'était passé entre le comte et lui dans la galerie ; son absence soudaine, l'événement qui s'en était suivi, et sa fuite subséquente formaient une chaîne de semi-preuves, qui la forçaient malgré elle à le croire complice de l'affaire qui venait de replonger sa maison dans le malheur.

Marie avait trop de confiance à la probité du jeune homme pour admettre un soupçon de cette nature. Elle rejeta avec dédain toute suggestion qui pouvait offrir l'idée d'Alleyn alliée à celles du déshonneur, et elle crut qu'il était impossible qu'il fût coupable d'une action aussi basse que celle dont il s'agissait. Néanmoins elle éprouvait une étrange inquiétude à son sujet, et elle était continuellement tourmentée d'appréhensions cruelles pour sa sûreté. L'angoisse dans laquelle il avait quitté l'appartement, le traitement injurieux que lui avait fait son frère, et son absence précipitée, tout conspirait à la faire craindre que le désespoir ne l'eut poussé à quelque acte de suicide.

Le comte, dans le délire de la fièvre, ne rêvait qu'à Laure et à Alleyn, c'étaient les seuls sujets de ses extravagances. Saisissant un jour la main de Marie, qui était assise à côté de son lit, et la fixant pendant quelque tems : « Ne pleurez pas, dit-il, ma chère Laure, ni Malcolm, ni aucun pouvoir terrestre ne sera capable de vous séparer de moi ; ses murailles… ses gardes… qu'est-ce que cela? Je vous arracherai de ses mains ou je périrai. J'ai un ami dont la valeur fera beaucoup pour nous ; un ami… ô! ne le nommez pas ; nous sommes dans des tems bien étranges ; prenez garde à qui vous vous fiez. Je lui aurais donné ma vie… mais non… Je ne veux pas le nommer ». Se tournant ensuite subitement de l'autre côté du lit, et regardant fixement vers la porte avec une expression de chagrin qu'il est impossible de décrire :


« Tous les maux dont mon plus cruel ennemi eût pu m'accabler, toutes les horreurs de l'emprisonnement et de la mort n'ont jamais laissé dans mon ame un trait aussi perçant que ton infidélité. » Marie fut tellement choquée de cette scène, qu'elle quitta la chambre et se retira dans son appartement pour se livrer à toute la douleur qu'elle lui causait.


L'état d'Osbert devint tous les jours plus alarmant ; et la fièvre qui n'était pas encore à sa crise, tenait ses amis suspendus entre la crainte et l'espérance. Dans un de ses momens de calme, s'adressant à la comtesse de la manière la plus pathétique, il la pria, comme il était probable que la mort allait le séparer de celle qu'il aimait le plus, de lui permettre de voir Laure encore une fois. Elle vint fondant en larmes, et il s'en suivit une scène de douleur au-dessus de toute expression. Il lui fit ses derniers adieux ; elle jeta sur lui un dernier regard ; et s'arrachant de ses bras le cœur brisé, elle fut portée à Dunbayne dans un état presque aussi dangereux que celui du comte.

L'agitation qu'il avait éprouvée pendant cette entrevue, lui causa un retour de transport plus violent qu'aucun des accès dont il eût encore été tourmenté ; à la fin, épuisé de fatigue, il tomba dans un profond sommeil qui dura, sans intermission, pendant vingt-quatre heures. Ce repos donna à la comtesse et à Marie, qui le veillaient alternativement, la consolation de l'espérance. Quand il s'éveilla il était sensiblement mieux, et dans un état bien différent de celui où on l'avait laissé quelques heures auparavant. La crise était alors passée, et depuis cette époque la maladie diminua rapidement jusqu'à ce qu'il eut recouvré la plénitude de sa santé.

La joie de Laure, dont la santé revenait progressivement avec sa tranquillité et celle de sa famille, fut telle que les belles qualités d'Osbert le méritaient. Cette joie fut néanmoins un peu interrompue par le comte de Sant-Morin, qui, entrant un jour dans l'appartement de la baronne, des lettres à la main, lui dit qu'il venait d'apprendre la mort d'un parent éloigné, qui lui avait légué des biens considérables, et dont il était absolument nécessaire qu'il allât, sans délai, prendre possession ; qu'en conséquence il était obligé, malgré lui, de partir sur-le-champ pour la Suisse. Quoique la baronne et ses amis prissent part à sa bonne fortune, ils étaient tous fâchés de son départ précipité. Il prit congé de tout le monde, et particulièrement de Marie, pour qui son amour était toujours le même, avec la plus grande émotion. Le vuide qu'il laissa dans leur société ne put aisément se remplir, et furent long-tems à reprendre leur gaieté ordinaire.

On faisait alors des préparatifs pour le mariage d'Osbert et de Laure, et le jour de la célébration fut enfin déterminé ; la cérémonie devait avoir lieu dans une chapelle du château de Dunbayne ; un chapelain de la baronne devait officier ; il n'y avait que Marie pour accompagner la mariée ; la comtesse et la baronne se proposaient d'assister à la cérémonie. La présence de Sant-Morin fut universellement regrettée, car c'était lui qui devait présenter la future épouse. On appela à son défaut un Laird voisin, que la famille de la baronne avait toujours estimé. Les sollicitations de Laure firent consentir Marie à passer la nuit qui précédait le mariage au château de Dunbayne. A la fin, le jour si long-tems désiré et attendu par le comte avec tant d'impatience, arriva. Il faisait extrêmement beau, et la joie qui brillait dans ses yeux semblait donner un nouveau lustre à tout ce qui l'environnait. Il partit avec la comtesse pour Dunbayne, jouissant du plaisir avec lequel il reviendrait, par cette même route, au château d'Athlin, accompagné de Laure, et uni avec elle par des liens que la mort seule pouvait briser. A leur arrivée, ils furent reçus par la baronne qui demanda où était Marie. Lorsque la comtesse et Osbert apprirent qu'on ne l'avait point vue, ils éprouvèrent la plus grande consternation. Le château ne fut plus qu'une scène de confusion ; les noces furent différées. Le comte retourna sur-le-champ à Athlin pour envoyer ses gens à la recherche de Marie. Il fut instruit que les domestiques chargés d'accompagner sa sœur n'avaient point reparu depuis son départ. Cette nouvelle redoubla ses alarmes ; il monta lui-même à cheval pour aller à sa poursuite, ne sachant cependant pas quel chemin il devait prendre. Plusieurs jours se passèrent en recherches inutiles ; on ne put découvrir les moindres traces de sa fuite.

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