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Les châteaux d'Athlin et de Dunbayne (2/2), Histoire arrivée dans les Montagnes d'Écosse.

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CHAPITRE IX.

Tempête qui jette un vaisseau à la côte près du château d'Athlin. — Osbert et Alleyn sauvent plusieurs personnes de l'équipage. — Le comte reçoit au château un étranger qui se trouvait à bord. — Le comte découvre par hasard la passion d'Alleyn pour sa sœur. — Conséquences de cette découverte. — L'étranger devient amoureux de Marie, il découvre son rang et sa fortune et la demande en mariage. — Approbation de ses offres par le comte et par sa mère. — Marie avoue à son frère son amour pour Alleyn, et l'impossibilité où elle se trouve de donner sa main au comte de Sant-Morin.

Pendant une soirée orageuse, la comtesse était, avec sa famille, dans une chambre dont les fenêtres donnaient sur la mer. De soudaines bourasques agitaient les flots, et les vagues écumantes venaient se briser contre les rochers avec une fureur inconcevable, malgré la situation élevée du château, l'écume volait avec violence contre ses fenêtres. Le comte descendit sur la terrasse, qui était au-dessous, pour contempler la tempête. La lune, perçant par intervalles à travers les nuages, réfléchissait une faible lumière sur les eaux, blanchissait l'écume qui jaillissait de toutes parts, et donnait précisément assez de clarté pour rendre la scène visible. Les vagues se brisaient avec de profonds murmures sur les rivages éloignés, et les intervalles de calme entre les bruyantes bourasques remplissaient l'esprit d'une douce horreur. Le sublime de la scène avait plongé le comte dans la plus profonde méditation, lorsque la lune, sortant tout-à-coup d'un nuage épais, lui laissa entrevoir, à quelque distance, un vaisseau que la fureur des flots poussait vers la côte. Bientôt il entendit des signaux de détresse ; et peu après des cris de terreur et un mélange confus de voix furent apportés sur les ailes des vents.

Il quitta aussitôt la terrasse pour ordonner à ses gens de prendre des chaloupes, et d'aller au secours de l'équipage, car il ne doutait pas que le vaisseau n'eût fait naufrage ; mais la mer était si grosse que cela n'était pas praticable. Le bruit des voix cessa, et il conclut que les malheureux matelots étaient péris. Tout d'un coup les cris de détresse frappèrent de nouveau ses oreilles et furent encore perdus dans le tumulte de la tempête ; un moment après le vaisseau toucha sur le rocher qui était au-dessous du château ; il s'en suivit un cri universel. Le comte et ses vassaux volèrent au secours de l'équipage ; la fureur des vents était alors un peu abattue. Osbert, Alleyn et quelques autres, sautant dans une chaloupe, gagnèrent le navire, où ils sauvèrent une partie de l'équipage. Ces malheureux furent conduits au château où on leur donna généreusement toutes sortes de secours. Parmi ceux que le comte avait pris dans sa chaloupe était un étranger dont l'aspect majestueux et les manières annonçaient un homme de distinction ; il avait plusieurs domestiques, mais ils étaient étrangers et ignoraient la langue du pays. Il remercia son libérateur avec une noble franchise qui le charma. La comtesse et sa fille allèrent à leur rencontre dans le vestibule et reçurent cet étranger avec toute la compassion que son état leur avait inspiré. Il fut conduit dans la salle à manger, où la magnificence de la table démontrait l'hospitalité ordinaire de ses hôtes. Cet étranger parlait bien Anglais, et découvrait dans sa conversation l'esprit énergique et vigoureux d'un homme, qui connaissait le monde et les sciences ; et ses observations semblaient caractériser la bienveillance de son cœur. Le comte fut si content de son hôte qu'il le pressa de rester au château jusqu'à ce qu'il eût pu se procurer un autre vaisseau ; et l'étranger, également content du comte, et ne connaissant personne dans le pays, accepta son invitation.

De nouvelles craintes troublèrent encore la paix d'Athlin ; il y avait plusieurs jours que le messager envoyé à Malcolm était parti et il ne revenait pas. Il était pour ainsi dire évident que le baron, furieux de l'évasion de son prisonnier, et brûlant de trouver une victime, avait saisi cet homme et voulait bassement le faire servir à sa vengeance. Le comte résolut néanmoins d'attendre encore quelques jours pour voir quel serait l'événement.

Le conflit d'une tendresse cachée et d'une indifférence affectée bannit la tranquillité du sein de Marie, et lui fit éprouver bien des chagrins. L'amitié et les honneurs que le comte accordait à Alleyn, qui résidait alors constamment au château, flattaient la fierté de son cœur ; mais hélas! ces distinctions ne servaient qu'à confirmer son admiration du mérite d'un homme qui avait déjà gagné ses affections, et fournissaient à celui-ci des occasions de montrer, sous des couleurs plus brillantes, les diverses perfections d'un cœur noble et généreux, et d'un esprit dont l'élégance naturelle ornait l'énergie de ses élans. Malgré les efforts de Marie, la langueur de la mélancolie se dérobait quelquefois de dessous le voile de la gaieté, et répandait sur ses beaux traits une expression intéressante. L'étranger n'y fut pas insensible, et cela ne servit qu'à changer l'admiration avec laquelle il l'avait d'abord regardée, en quelque chose de plus tendre et de plus puissant. La modeste dignité, avec laquelle elle exprimait ses sentimens, qui respiraient la bienveillance et la délicatesse la plus pure, toucha son cœur, et il sentit pour elle un intérêt qu'il n'avait jamais éprouvé.

Alleyn, dont le cœur, au milieu des anxiétés et du tumulte des scènes passées, n'avait cessé de soupirer pour l'image de Marie ; cette image que son esprit lui avait peinte avec tous les charmes de l'original, et dont les teintes délicates étaient encore adoucies et devenues plus intéressantes par les ombres de la mélancolie, dont l'absence et un amour sans espoir les avaient environnées, sentait, au milieu du loisir de la paix et des fréquentes occasions qu'il avait de contempler l'objet de son attachement, redoubler ses soupirs et le poids de sa douleur. En présence de Marie son front se couvrait d'une douce mélancolie ; il avait beau vouloir affecter une gaieté qui lui était étrangère. Marie s'aperçut de son changement ; et cette observation ne contribua pas à dissiper sa propre tristesse. Le comte remarqua aussi qu'Alleyn avait perdu beaucoup de sa gaieté accoutumée, et le plaisanta sur ce changement, mais il ne pensa pas à sa sœur.

Alleyn aurait voulu quitter un endroit si nuisible à sa tranquillité, il forma plusieurs fois la résolution de se retirer de ces murs, qui avaient pour lui une espèce de charme, et rendaient inefficaces tous ses souhaits et ses faibles efforts. Quand il ne pouvait plus voir Marie, il allait souvent sur la terrasse, au-dessus de laquelle étaient les fenêtres de ses appartemens, et il passait la moitié de la nuit à parcourir, en silence, une promenade qui lui donnait le triste plaisir d'être auprès de l'objet de son amour.

Maltida ayant envie d'interroger Alleyn sur quelques circonstances relatives aux derniers événemens, lui dit un jour de l'accompagner dans son cabinet ; en passant dans l'antichambre de la comtesse, il aperçut quelque chose à terre auprès de la porte par laquelle elle venait de passer, et l'ayant ramassé, il vit que c'était un bracelet auquel était attaché le portrait de Marie. Le cœur lui battit à cette vue ; la tentation était trop grande pour pouvoir y résister ; il le cacha dans son sein et continua son chemin. En sortant du cabinet il chercha, avec la plus grande impatience, un endroit où il pourrait contempler à loisir ce précieux portrait que le hasard lui avait mis entre les mains ; il le tira en tremblant de son sein, et contempla encore ce visage dont la douce expression avait imprimé dans son cœur les délicieuses palpitations de l'amour. Comme il le pressait contre ses lèvres avec une tendresse passionnée, des larmes de ravissement lui vinrent aux yeux, et son ardeur romanesque ne pouvait guère recevoir d'accroissement par la présence de l'objet aimé, dont les pas légers ne lui avaient pas permis d'entendre l'approche ; car se tournant tant soit peu, il aperçut non pas le portrait, mais la réalité! Surpris! confus! Le portrait lui tomba des mains. Marie, que le hasard avait conduite dans cet endroit, voyant l'agitation d'Alleyn, se préparait à se retirer, lorsque ce jeune homme dont le cœur était alors ouvert à toutes les tendres sensations, perdant dans la tentation du moment la crainte d'être dédaigné, et oubliant la résolution qu'il avait prise, de garder un silence éternel, se jeta à ses pieds et porta sa main vers ses lèvres tremblantes ; sa langue aurait bien voulu lui dire qu'il aimait, mais son émotion et le regard sévère de Marie l'en empêchèrent.

Elle se dégagea à l'instant avec l'air de la dignité offensée, et jetant sur lui un regard qui exprimait à la fois la colère et l'intérêt, elle se retira en silence. Alleyn resta immobile sur la place, suivant des yeux ses pas fugitifs, insensible à toute autre sensation qu'à celles de l'amour et du désespoir. Il était tellement absorbé dans la scène du moment qu'il doutait quelquefois de sa réalité. Il s'imaginait que quelque apparition trompeuse avait voulu le priver de la seule consolation qui lui restait, — celle de mériter et de posséder l'estime de l'objet aimé. Il quitta l'endroit dans les angoisses de la douleur, et dans son trouble il oublia le portrait.

Marie avait aperçu le bracelet de sa mère tomber de ses mains et n'était plus inquiète de son portrait ; mais le désordre qu'Alleyn lui avait causé lui avait fait oublier de lui demander. La comtesse s'étant aperçue de sa perte presqu'aussitôt qu'il eut quitté son cabinet, avait fait faire une recherche générale ; mais comme on ne l'avait pas retrouvé, ses soupçons étaient tombés sur lui. Le comte, qui passa peu après dans l'endroit qu'Alleyn venait de quitter, trouva la miniature. Ce dernier ne tarda pas à se souvenir du trésor qu'il avait laissé tomber et revint pour le chercher. Au lieu du portrait, il trouva le comte : une rougeur involontaire parut sur ses joues, et sa confusion informa Osbert d'une partie de la vérité ; celui-ci voulant savoir de quelle manière il se l'était procuré, lui présenta le portrait et lui demanda s'il le connaissait.

Alleyn était étranger à la dissimulation ; il avoua que l'ayant trouvé, il l'avait caché, cédant à l'impulsion de cette passion dont l'aveu ne serait jamais sorti de son cœur, s'il n'en avait été arraché par la circonstance actuelle.

Le comte l'écouta avec un mélange d'intérêt et de compassion ; mais l'orgueil de la naissance étouffa bientôt les tendres sentimens de l'amitié et de la reconnaissance, et éteignit la lueur d'espérance que cette découverte avait allumée dans le sein d'Alleyn. « Ne craignez pas, milord, lui dit-il, qu'un homme qui sacrifierait sa vie pour la défense de votre famille, soit capable de la dégrader. Jamais la passion qui brûle dans mon cœur ne sortira plus de ma bouche. Je vais me retirer de l'endroit où j'ai perdu ma tranquillité ». « Non, répliqua le comte, vous resterez ici ; je puis m'en rapporter à votre honneur. O! pourquoi m'est-il impossible de vous accorder la seule récompense digne de vos services et de votre mérite ». Sa voix faiblit, il se tourna pour cacher son émotion, et il se retira en éprouvant des souffrances presqu'aussi cruelles que celles d'Alleyn.

La découverte que Marie venait de faire n'était pas de nature à rétablir la tranquillité de son esprit. Chaque circonstance contribuait à l'assurer de la violente passion qui brûlait dans le cœur de celui que, malgré tous ses efforts, elle ne pouvait parvenir à oublier ; et cette conviction ne servait qu'à augmenter son amour, et conséquemment ses souffrances.

L'intérêt que l'étranger avait fait paraître et les intentions qu'il avait pour Marie n'avaient point échappé à Alleyn. L'amour lui avait fait apercevoir la passion qui s'élevait dans son cœur, et lui faisait présager que les vœux de son rival seraient couronnés de succès. Les paroles d'Osbert le confirmaient dans cette appréhension déchirante ; car quoique l'inégalité de rang ne lui eût jamais permis d'espérer, cependant il avait remarqué dans le discours du comte quelque chose de plus que l'orgueil de la naissance.

L'étranger, depuis le moment où il avait vu l'aimable Marie, avait senti croître son admiration pour elle ; et cette admiration s'étant convertie en amour, il résolut d'instruire le comte de sa naissance et de sa passion. Dans ce dessein, il le tira un jour sur la terrasse du château, où ils pouvaient converser sans être interrompus, et, montrant la mer qui l'avait si récemment porté, remercia le comte d'avoir ainsi adouci les horreurs du naufrage, et les ennuis d'une terre étrangère, par sa généreuse hospitalité. Il l'informa qu'il était né en Suisse, où il possédait des biens considérables, d'où il prenait le titre de comte de Sant-Morin ; que des recherches importantes pour ses intérêts l'avaient attiré en Ecosse, où il devait débarquer dans un port du voisinage, lorsque le désastre auquel il venait d'échapper l'avait arrêté dans son dessein. Il raconta alors au comte qu'il avait entrepris ce voyage sur le bruit de la mort d'une parente, dont le décès le rendait héritier, en Suisse, de biens considérables ; que les revenus de ces biens avaient jusqu'ici été touchés au moyen d'une procuration qui, si le bruit se confirmait, ne devait plus être valide.

Le comte avait écouté ce récit dans le silence de l'étonnement, et il demanda avec émotion quel était le nom de la parente de M. Sant-Morin. « La baronne de Malcolm », répondit-il. Le comte leva les mains au ciel dans une espèce d'extase. Sant-Morin, surpris de son agitation, commença à craindre qu'il ne fût intéressé au bien-être de ses adversaires, et était fâché de lui avoir découvert l'affaire, lorsqu'il s'aperçut du plaisir qui brillait dans ses yeux. Osbert lui expliqua la cause de son émotion, en lui racontant ce qu'il savait de la baronne ; dans son récit il peignit le caractère de Malcolm avec les couleurs qu'il méritait. Il l'informa de la cause de son aversion pour le baron, et de l'histoire de sa captivité ; et lui confia aussi le cartel qu'il lui avait envoyé.

Sant-Morin fut rempli d'indignation ; mais Osbert lui persuada de suspendre pour quelque tems sa vengeance, et d'attendre les mouvemens de Malcolm.

Cette nouvelle avait causé tant de surprise à l'étranger et lui faisait éprouver des sensations si nouvelles, qu'il pensa oublier le principal objet de l'entrevue. S'étant néanmoins un peu remis, il découvrit sa passion et demanda permission au comte de se jeter aux pieds de Marie. Le comte écouta cette déclaration avec un mélange de plaisir et d'inquiétude ; le souvenir d'Alleyn l'attrista ; mais le désir d'un mariage convenable lui fit accepter les offres du comte de Sant-Morin, et il lui dit que son alliance ferait honneur à la première noblesse de sa nation. Il ajouta que si sa sœur avait pour lui les sentimens qu'il témoignait pour elle, il le recevrait dans sa famille avec toute l'affection d'un frère ; mais qu'il voulait connaître la situation de son cœur avant de lui permettre de lui déclarer sa passion.

Osbert, en rentrant dans le château, demanda où était Marie, qu'il trouva dans l'appartement de sa mère. Il leur raconta l'histoire du comte, sa parenté avec la baronne de Malcolm, l'objet de son voyage, et termina son récit en découvrant l'attachement de son nouvel ami pour Marie et ses offres d'alliance avec sa famille. Cette déclaration fit pâlir Marie ; les angoisses de son cœur ne lui permirent pas de parler ; elle baissa les yeux et fondit en larmes. Le comte lui prit tendrement la main et dit : « Mon aimable sœur me connaît trop bien pour douter de mon affection, ou pour supposer que je veuille l'influencer dans une affaire si essentielle à son bonheur, et dont son cœur doit être le principal guide. Rendez-moi la justice de croire que c'est comme ami que je vous fais connaître les offres du comte, et non pas comme directeur. C'est un homme, que, depuis le peu de tems que je connais, j'ai jugé digne d'une estime particulière. Il paraît avoir l'esprit noble, le cœur généreux, son rang est égal au vôtre, et il vous aime sincérement. Mais malgré tous ces avantages, je ne voudrais pas que ma sœur se donnât à l'homme qui n'a pas su intéresser son cœur ».

Marie éprouvait, dans ce moment, pour son frère les sentimens de la plus vive reconnaissance ; elle aurait voulu le remercier de la tendresse qu'il lui témoignait ; mais une variété d'émotions différentes combattaient dans son cœur et la privaient du pouvoir de la parole ; des larmes et un sourire, mêlés d'une douce tristesse, furent tout ce qu'elle put lui donner en échange. Il ne manqua pas de s'apercevoir que quelque cause secrète de douleur tourmentait son esprit, et il la pria de l'en instruire afin qu'il pût l'écarter. « Mon cher frère croira sans doute que sa tendresse… » Elle aurait voulu finir la phrase, mais les paroles expirèrent sur ses lèvres, et elle s'appuya sur le sein de sa mère, s'efforçant de cacher sa douleur, et pleura en silence. La comtesse ne connaissait que trop bien la cause du chagrin de sa fille ; elle avait été témoin des combats secrets de son cœur, que tous ses efforts n'avaient pu vaincre, ce qui rendait les offres de Sant-Morin rebutantes, et terribles à son imagination. Maltida savait compâtir à ses souffrances ; mais la tendresse maternelle étendait ses vues au-delà de ces maux momentanés, et lui faisait envisager le bien-être futur de sa fille, dans la perspective d'une longue suite d'années, elle la voyait mariée avec le comte, dont le caractère répandait le bonheur et la dignité de la vertu sur tout ce qui l'environnait ; elle recevait les remercimens de Marie pour l'avoir guidée vers ce trésor qui était alors en sa possession ; les regards innocens des enfans qui l'entouraient exprimaient leur reconnaissance par leurs doux sourires, et l'éclat de ce tableau rappelait à sa mémoire des tems qui ne reviendraient plus, et mêlait aux larmes du ravissement le soupir d'un tendre regret. La plus sûre méthode d'effacer cette impression qui menaçait de troubler sérieusement la tranquillité de son enfant, si elle continuait, et d'assurer constamment son bonheur était de l'unir au comte, dont l'amitié ne tarderait pas à gagner son affection, et à expulser de son cœur tout souvenir déplacé d'Alleyn. Elle résolut donc d'employer l'usage de la raison et la douce persuasion pour l'amener à ses fins. Elle savait que l'esprit de Marie était délicat et ingénu, facile à convaincre et ferme dans la poursuite de ce que son jugement approuvait ; et elle ne désespéra pas du succès.

Le comte désirait toujours connaître la cause de cette émotion qui l'affligeait. « Je suis indigne de votre sollicitude », dit Marie, « je ne puis résoudre mon cœur à se soumettre », « à se soumettre! — Pouvez-vous supposer que vos parens veuillent forcer votre cœur dans une affaire si essentielle au bonheur, à quelque chose qui répugne à ses sentimens? Si les offres du comte vous sont désagréables, dites-le moi, et je lui ferai réponse. Soyez persuadée que je n'ai point d'autre désir que celui de vous voir heureuse ». « Généreux Osbert! Comment puis je récompenser la tendresse d'un pareil frère? La reconnaissance me ferait accepter la main du comte, si mes sentimens ne m'assuraient pas que je serais malheureuse. J'admire son caractère, et j'estime sa bonté ; mais hélas! pourquoi vous le cacher? Mon cœur appartient à un autre — à un autre, dont les actions nobles et généreuses ont involontairement captivé sa sensibilité ; à un homme qui ignore encore qu'il est l'objet de mes attentions et qui ne le saura jamais ». L'idée d'Alleyn se présenta subitement à son esprit et il ne douta plus de celui qui avait captivé son cœur. « Mes propres sentimens », dit-il, « m'apprennent assez quel est l'objet de votre admiration, vous faites fort bien de ne pas oublier la dignité de votre sexe et de votre rang ; quoique je ne puisse m'empêcher de m'affliger avec vous de ce qu'un homme aussi méritant qu'Alleyn ne soit pas autorisé par la fortune à marcher dans la classe de la noblesse ». Au nom d'Alleyn, la rougeur de Marie confirma Osbert dans sa conjecture. « Mon enfant, dit la comtesse, ne renoncera pas à sa tranquillité pour un vain et ignoble attachement. Elle peut estimer le mérite par-tout où il se trouve ; mais elle se souviendra de ce qu'elle doit à sa famille et à elle-même, en contractant une alliance qui soutienne ou diminue l'ancienne grandeur de sa maison ».

« Les offres d'un homme qui paraît doué de tant d'excellentes qualités, et dont la naissance est égale à la vôtre, offrent une perspective trop flatteuse pour les rejeter précipitamment. Nous converserons par la suite plus amplement là-dessus ». « Vous n'aurez jamais sujet de rougir de votre fille, dit Marie, avec une fierté noble ; mais pardonnez-moi, madame, si je vous prie de ne jamais renouveler un sujet si pénible à ma sensibilité, et qui ne saurait produire aucun bien ; car je ne donnerai jamais ma main à celui qui ne possède pas mon cœur ». Ce n'était pas là le tems d'insister davantage ; la comtesse se désista pour le présent, et le comte quitta l'appartement en éprouvant un mélange de compassion et de contrariété. Il ne perdit cependant pas l'espérance que Marie ne consentît avec le tems, à recevoir les visites du comte, et il résolut de ne pas renoncer entièrement à son projet.

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