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Les grandes dames

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XVI

LA MARQUISE DE FONTANEILLES

La marquise de Fontaneilles s'était mariée à vingt ans. On l'a connue jeune fille dans les salons parisiens sous le nom de Mlle Armande de Joyeuse. Sur sa figure, on se disputait beaucoup sans bien s'entendre. Pour les uns, elle n'avait que la beauté du diable, tandis que pour les autres elle avait la beauté absolue. C'est que les juges, en France, n'ont pas étudié à l'université de Phidias et d'Apelles. Le Français n'est pas né dessinateur, je dirai même qu'il n'aime pas la ligne sévère; les minois chiffonnés l'ont toujours ravi. La plupart des gens de lettres eux-mêmes n'ont qu'un vague sentiment de l'art. Jean-Jacques, à Venise, n'allait pas voir les Giorgione, ni les Titien; Voltaire, à Ferney, disait pompeusement: «Mon Versailles,» devant quelques tableaux italiens des plus médiocres. Aujourd'hui, Voltaire aurait peut-être de meilleurs tableaux, et Jean-Jacques irait voir les chefs-d'oeuvre pendant son séjour à Venise; mais si on leur demandait leur sentiment sur la beauté, ils n'iraient pas le chercher devant la Vénus de Milo; ils le prendraient devant quelque Parisienne aux lignes brisées par l'expression et la coquetterie.

Y aurait-il deux beautés, celle du marbre et celle de la chair?

La marquise avait la beauté de la chair, aussi disait-on que c'était la beauté du diable. Etait-ce pour cela qu'elle se donnait à Dieu? Non, elle se donnait à Dieu parce que M. de Fontaneilles n'avait pas su la prendre.

C'était un de ces maris pareils à beaucoup de maris qui ne savent pas amuser l'esprit de leur femme, quand ils n'ont pas eu le don d'amuser leur coeur—parce qu'ils sont trop sérieux dans leur magistrature de mari pour avoir du coeur et de l'esprit.—Les maris s'imaginent volontiers que le sacrement du mariage doit produire le miracle de l'amour. Ils s'achètent une terre; elle est bien à eux après le contrat et la purge des hypothèques; ils épousent une femme, n'est-ce pas à eux pareillement? A eux les moissons et les vendanges. Mais ils oublient que la femme est comme la terre, que tout en elle a sa fleur avant d'avoir son fruit; que si les gelées blanches du mariage viennent la frapper dans sa fleur, le mari ne recueillera ni les moissons ni les vendanges.

C'est ce qui arrivait à M. de Fontaneilles. Il avait eu avec d'autres femmes ses heures de jeunesse; il était revenu de ce qu'il appelait les duperies du coeur: il voulait que sa femme sautât à pieds joints sur toutes ces «fémineries» indignes d'une âme fière, qui ne doit resplendir que pour les beaux sentiments de la famille et de la religion. Par malheur pour lui, il n'avait pas purgé les hypothèques, il n'avait pas effacé du coeur de sa femme les souvenirs de vingt ans qui se réveillent un jour et l'envahissent toute.

Il était d'ailleurs d'une jalousie espagnole, comme si sa mère, une
Pyrénéenne, lui eût donné dans son lait cette inquiétude méridionale.

Du plus pur faubourg Saint-Germain, il n'avait jamais «pactisé» avec les hommes nouveaux. Il faisait tous les ans le pèlerinage de Frosdorff pour espérer encore dans les destinées de la France. Il sentait bien que son heure était passée ou n'était pas venue; il se résignait au silence,—ce silence glacial sur la femme qui est le vent d'hiver sans le printemps. Il se croyait bon chrétien et bon mari.

La marquise eût préféré de beaucoup, je n'en doute pas, un mauvais chrétien et un mauvais mari comme il y en a tant, qui sont adorés de leur femme, ce qui prouve que, si la perfection était de ce monde, on n'en voudrait pas.

Mme de Fontaneilles s'était résignée, disant à ses amies, qui la plaignaient de vivre presque toujours dans ses terres: «Je me suis résignée à mon bonheur.»

Quoique son mari fût très jaloux, il la laissait aller ça et là dans le monde, pour ne pas trop ressembler au tyran de Padoue. Il l'accompagnait le plus souvent et s'indignait toujours de la voir trop décolletée, à l'inverse des maris parisiens. Mais il aimait mieux l'accompagner à la messe qu'au bal.

La marquise s'était donnée à Dieu. A Dieu toutes ses espérances et toutes ses aspirations. Elle avait jugé, quand elle était jeune fille, que sa vie ne serait pas si sévère. Elle restait neuf mois au château de Fontaneilles; à peine si elle passait à Paris le dernier mois du printemps; à peine si son mari lui donnait un mois de vacances—elle appelait cela ses vacances—à Dieppe, à Biarritz, à Bade, où elle allait avec sa mère et sa soeur, presque toujours sans lui.

C'était donc une vaste solitude que sa vie. Elle avait espéré avoir des enfants, mais la trentième année allait sonner sans qu'un berceau fût entré dans sa chambre. Le berceau, la bénédiction du ciel dans le mariage.

Elle avait ses heures de désespoir; elle priait avec passion, le dirai-je, quelquefois avec colère, car il lui semblait que Dieu n'était pas toujours là. Elle avait aussi ses heures de tentation; quand elle voyait sa beauté opulente, elle s'écriait avec un battement de coeur, avec une aspiration vers l'inconnu, avec une secousse de vague volupté: «Est-ce donc pour le tombeau!»

Depuis un an elle se demandait, avec une rougeur subite, pourquoi elle n'était pas tombée dans les bras d'Octave.

Le duc de Parisis avait juré très sérieusement d'effacer de son âme les images du passé pour mieux voir celle de Geneviève dans l'avenir. Il avait juré à Dieu dans le style officiel; mais il avait mieux fait: il avait juré à lui-même que Geneviève serait la seule femme de son âme, de son coeur et de ses lèvres. Et il était de bonne foi; car s'il ne croyait pas à un Dieu qui écoute les serments, il croyait à lui-même: il n'avait jamais manqué à sa parole.

Pourquoi Mme de Fontaneilles était-elle venue à Parisis? Elle ne le savait pas bien elle-même. Etait-ce un de ces jeux de la destinée, qui s'amuse à créer des orages sur les sérénités de la vie? Etait-ce pour vivre sous le même toit que celui qui lui faisait peur?

Elle se trouva bien heureuse dans le bonheur de Geneviève.

Mais huit jours après, des Parisiens vinrent au château. Octave avait déjà oublié qu'il les attendait. Il aurait voulu qu'ils eussent eux-mêmes oublié d'y venir, tant il se trouvait heureux lui-même en cette solitude à trois où Mme de Fontaneilles répandait un charme nouveau par sa figure et par son esprit.

Octave craignit de n'avoir plus une heure pour les rêves. Lui qui avait été tout action, il trouvait doux de se reposer ainsi en pleine nature, entre deux femmes qui étaient comme les figures de l'amour et de l'amitié.

Et puis, quoiqu'il ne fût pas jaloux dans le sens français du mot, c'est-à-dire dans le sens brutal, il n'aimait pas qu'on jetât un regard trop vif dans sa maison. Il était Romain en deçà du seuil; pour lui, la femme était une créature sacrée que ne devaient jamais profaner les vaines curiosités. Mais enfin, il faut être de son temps et de son monde.

On vit arriver à Parisis quelques amis bien connus d'Octave: le prince Bleu, Guillaume de Montbrun et sa femme, le prince Rio, Monjoyeux, d'Aspremont, le comte de Harken, le duc de Pontchartrain et sa femme, la princesse —— et sa jeune cousine de H——,—qui amenèrent Mlle Diane-Clotilde de Joyeuse, la soeur de Mme de Fontaneilles, une adorable créature, un sourire de Dieu sur la terre.

Le château fut comme métamorphosé. C'était tout un monde qui allait, qui venait, qui riait, qui chantait. Depuis un siècle, les ombres de cette grande solitude n'avaient pas été si gaiement évoquées. Ce fut tous les jours une fête: on commençait le matin pour quelque belle promenade vers les ruines voisines, le plus souvent en cavalcades irrégulières; on déjeunait dans la forêt, où les plus beaux menus sortaient de terre comme par magie; le soir, on faisait les charades, on jouait la comédie improvisée, la seule comédie de l'avenir; on se couchait tard, mais on se levait matin; car il est convenu que la vie de château est plus désordonnée que la vie de Paris; il faut être fièrement campé pour y résister: jambes d'acier, estomac d'enfer et coeur de bronze.

On s'imagine que tout ce bruit et tout ce mouvement arrachèrent Parisis à cette vive aspiration qui l'avait entraîné vers Mme de Fontaneilles. Eh bien! non. Quand un mauvais sentiment germe dans le coeur, il pousse vite, comme les mauvaises herbes dans le blé de mars. Vous êtes tout surpris, aussitôt les semailles, de voir le bleuet et le coquelicot s'élancer rapidement, lui qu'on n'attendait pas, au-dessus des tiges de blé. Et plus la terre est bonne et plus l'ivraie monte vite. Voilà pourquoi les plus grands coeurs sont souvent les plus coupables; voilà pourquoi la femme qui n'apporte à Dieu que la moisson du bon grain est une vertu divine, car il lui a fallu bien de l'héroïsme pour arracher toujours les mauvaises herbes.

Octave de Parisis n'avait pas cet héroïsme-là. Mais il croyait fermement à la vertu de Mme de Fontaneilles.

La vertu est une robe faite après coup sur la nature, pour cacher les battements du coeur. Ce qui fait la force de la femme, c'est que l'homme croit trouver la vertu sous la robe.

L'antiquité a connu M. de Cupidon—un enfant qui n'était pas né à l'amour.—Les anciens ont élevé des temples à Vénus—Vénus pudique et Vénus impudique—aux chasseresses comme aux bacchantes;—mais ils n'ont pas pénétré dans le divin sanctuaire de l'amour. Nous ne connaissons plus les neuf Muses, mais nous savons par coeur toutes les sublimes strophes de cette muse moderne qui s'appelle la Passion. Si nous avons moins bâti de temples à l'idée, nous avons pieusement élevé l'autel du sentiment.

Chez Sapho, comme chez Didon, l'amour a toutes les violences, toutes les colères, toutes les fureurs, mais il ne s'attendrit jamais jusqu'aux larmes. Elles sont égarées, mais elles ne pleurent pas. Le feu qui les altère, qui les dévore, qui les consume, c'est la volupté de la louve. Ce n'est pas la soif de l'infini qui les attire, ce n'est pas la piété universelle qui ouvre et répand leur coeur sur toutes choses: elles sont dominées par les désirs qu'allume le sang.

La femme que nous a donnée le christianisme ne voudrait pas, au prix de la couronne de Didon ni de la gloire de Sapho, traverser cet enfer de l'amour païen. La femme nouvelle, tout en subissant les morsures des bêtes féroces de la volupté, se détache, d'un pied victorieux, de la fosse aux lions par ses aspirations vers l'infini. Elle sait que sa vraie patrie est au delà de la forêt ténébreuse qui lui cache le ciel.

Dans l'antiquité, la femme ne mettait que l'amour dans l'amour; dans la Vie moderne, la femme y met aussi Dieu. Voilà pourquoi il y a moins de Messalines et plus de La Vallières.

Mme de Fontaneilles était la femme du christianisme; mais à force de contenir ses passions en les voulant vaincre, elle se sentait vaincue, comme les femmes de l'antiquité qui jetaient leurs imprécations aux vents des forêts et aux vagues de la mer. Le corps se révoltait contre l'âme, la nature étouffait Dieu.

Octave sera-t-il là, le jour de la crise? En attendant, on jouait à Parisis aux jeux innocents, au jeu de cache-cache, au jeu des petits-pieds, charmantes folâtreries où l'amour trouve toujours son compte. On dit les jeux innocents par antiphrase.

XVII

LE DÉJEUNER SUR L'HERBE

On renouvela donc à Parisis les belles fêtes agrestes du XVIIIe siècle. C'était tous les jours des cavalcades dans la forêt, des caravanes vers les châteaux voisins, des déjeuners et des goûters sur l'herbe, vrais tableaux vivants à réjouir Giorgione.

On s'amusait bruyamment. Geneviève donnait son beau rire à la fête, mais elle aspirait au temps où elle retrouverait la solitude à deux. Elle aimait trop Octave pour le retrouver dans la fête des autres; l'amour est jaloux de tout, même des joies du soleil: il aime à se réfugier en lui-même sous l'ombre des fraîches ramées.

Geneviève fut pourtant bien heureuse, le jour où on alla déjeuner à la Roche-l'Épine et dîner à Champauvert.

Octave rappela si à propos tant de scènes chères à tous les deux, qu'elle pardonna à tout le monde de prendre une part de sa joie. Ce fut d'ailleurs une charmante journée. On déjeuna devant les sources vives, presque glaciales, où se frappait naturellement le vin de Champagne; on étendit une nappe de vingt couverts devant la fontaine, dans un cadre d'aubépine en fleur, en face d'un panorama merveilleusement pittoresque, sur un tapis d'herbe incliné, ce qui amena des chutes sans nombre; on avait toutes les peines du monde à se mettre d'aplomb; les bouteilles et les verres roulaient; le vent battait les jupes et soulevait la nappe; c'était tout un travail des plus divertissants que de mettre l'ordre dans le désordre.

Mme de Fontaneilles était éblouissante, il lui semblait qu'elle respirait le bonheur pour la première fois de sa vie. Toutes les femmes étaient habillées avec beaucoup d'art dans leur simplicité presque rustique; mais elle était plus provocante que les autres, avec ses yeux de flamme sous, ses longs cils, ses lèvres rouges, son cou onduleux, ses seins vivants, sa jambe fine et ronde, son pied mutin qui s'agitait dans la bottine. Le vent était son complice, soit qu'il frappât sa jupe, soit qu'il éparpillât ses cheveux sur son front. «Comme elle est jolie, dit tout à coup Geneviève parlant de la marquise à la princesse.—Comment donc! s'écria la princesse, je ne la reconnais pas. Quand elle est chez elle, on dirait toujours qu'elle vient du sermon et qu'elle se prépare à aller à confesse.—De l'influence fatale du mari sur sa femme,» dit sentencieusement et comiquement le prince Bleu qui écoutait aux portes.

Octave, qui était à l'autre bout de la «table», se disait aussi que la marquise était bien jolie, et pour lui ce n'était pas seulement un cri d'admiration, c'était un cri d'inquiétude; ce n'était pas seulement sa voix qui parlait, c'était son âme, c'était son coeur, c'était ses bras, c'était ses yeux, c'était sa bouche.

Il adorait Geneviève, mais il aurait voulu étreindre avec fureur cette rebelle de l'an passé, qui lui avait résisté, qui était l'image de l'amour corporel comme Geneviève l'image de l'amour idéal.

On joua aux quatre coins. Quatre arbres centenaires avaient inspiré ce jeu primitif très salutaire après un déjeuner de plusieurs heures. Ce furent des cris et des rires à émouvoir la montagne et la vallée. Parisis joua comme un enfant; il lui arriva cent fois de saisir la joueuse comme il eût saisi l'arbre, à tour de bras. Les jeux rustiques permettent bien des hardiesses. Mme de Fontaneilles, qui n'avait bu que de l'eau, était ivre. Quand Octave la faisait tourner en courant à sa rencontre, elle s'appuyait sur lui comme si elle allait tomber.

Il vint un moment où la princesse jeta un mouchoir à Geneviève: «Vite, cachez vos larmes, folle que vous êtes!—Pourquoi folle:—Parce que vous avez peur de la marquise.—J'ai peur de toutes les femmes.»

Le soir, Parisis, Geneviève et Mme de Fontaneilles se promenaient dans le parc; ils passèrent devant une source vive qui jaillissait d'une roche, tombait dans une fontaine et courait dans un nid de verdure et de fleurs jusqu'à l'étang.

Octave et Geneviève n'allaient jamais de ce côté du parc sans s'arrêter pour y retremper leurs rêves. Ce jour-là, comme ils se promenaient au-dessus de la fontaine, la marquise leur dit: «C'est cela, mirez-vous dans votre bonheur!»

Geneviève s'était penchée pour voir dans l'eau l'image de son mari. Etait-ce pour voir Geneviève ou Mme de Fontaneilles que Parisis s'était penché lui-même? «Hélas! dit tristement Geneviève, il ne faut jamais se mirer dans son bonheur.—Pourquoi? Pourquoi? demanda la marquise.—Vous n'avez pas vu cette couleuvre qui s'agite dans cette fontaine?—C'est d'autant plus étrange, dit Parisis, que les couleuvres ne vont pas dans l'eau.»

Parisis prit la couleuvre du bout de sa canne et la jeta violemment contre le tronc d'un arbre. «C'est triste, pensa Geneviève devenue sérieuse. Dieu ne donne pas un beau jour sans mettre un nuage à l'horizon.»

Mais ce nuage à l'horizon passa bien vite. Parisis n'avait qu'à appuyer Geneviève sur son coeur pour lui faire croire à toutes les joies de l'amour. Ce soir-là, on improvisa des charades en action, où on s'amusa follement. Geneviève paraissait si heureuse, que la princesse de —— et la marquise de Fontaneilles se demandèrent: «Qu'est-ce donc que le bonheur?» car celles-là n'étaient pas heureuses.

Quand, elles allèrent se coucher, elles s'arrêtèrent devant la chambre de Geneviève. Mme de Fontaneilles, plus curieuse, mit son oeil à la serrure en murmurant encore: «Qu'est-ce donc que le bonheur!» Elle entrevit Geneviève, qui, à peine arrivée dans sa chambre, se jetait toute pâle d'amour dans les bras de Parisis.

XVIII

LES FILLES REPENTIES

Toute la belle compagnie du château de Parisis s'envola un matin, comme les oiseaux chanteurs d'une volière dorée, pour retourner à Paris.

Geneviève, qui avait toujours paru gaie, ne put arrêter ce cri de délivrance: «Ah! que je suis heureuse!»

Elle retrouva cette belle vie à deux qu'elle aimait tant. «Ma chère Hyacinthe, dit-elle à la jeune fille, il n'y a que vous qui ne comptiez pas quand je suis avec Octave.»

Pourquoi Octave alla-t-il à Paris quelques jours après le départ de la marquise de Fontaneilles!

C'était la première fois que le duc se trouvait à Paris sans la duchesse. Il lui avait dit qu'il n'y passerait que deux jours, le temps d'aller à Chantilly pour voir ses chevaux, le temps de parler à un notaire, à un avocat, et à deux agents de change, car le bonheur, quel qu'il soit, a toujours un pareil cortège.

Geneviève avait voulu partir avec Octave, non pas qu'elle eût peur de le voir retomber dans la fosse aux lions, non pas qu'elle fût bien jalouse, puisqu'il n'avait jamais été plus amoureux, mais parce que c'était pour elle un vif chagrin de vivre un jour—un siècle—sans lui.

Elle n'était point partie, parce qu'une nouvelle espérance de bonheur était venue lui sourire: elle sentait dans ses entrailles et dans son coeur les premiers tressaillements de la maternité. L'hiver prochain elle serait mère, ce qui était pour elle une vraie bénédiction de Dieu. Un médecin conseillait à Mme de Fontaneilles d'aller à Ems, quand un médecin conseillait à Mme de Parisis de ne pas aller à Paris.

Octave ne tint pas parole; il écrivit tous les jours à Geneviève une lettre charmante, il envoya tous les soirs une dépêche aussi gracieuse que le permet la langue des dépêches, mais il resta huit jours absent.

Et pourquoi resta-t-il huit jours absent? Parce qu'il allait tous les soirs chez la marquise de Fontaneilles.

Le premier soir, par une pluie battante, comme il avait été faire une visite à Monjoyeux dans son atelier, ses chevaux, irrités d'avoir trop attendu, partirent au galop et renversèrent, sur le boulevard de Clichy, la femme en noir que vous avez vue tout en larmes sur la fosse de la comtesse d'Antraygues.

Cette jeune fille se releva, se retourna involontairement. «Le duc de
Parisis!» murmura-t-elle avec un battement de coeur.

Octave avait donné ordre d'arrêter et il descendait pour la secourir. «Ce n'est rien,» dit-elle sans soulever son voile. Et elle poursuivit fièrement son chemin. Elle ai riva haletante à la porte du refuge Sainte-Anne. Elle était mouillée jusqu'aux os. La supérieure l'accueillit avec sa grâce accoutumée; elle alluma pour elle un fagot et-lui donna l'habit de bure de la maison.

La jeune fille embrassa la supérieure. «Oh! ma mère, lui dit-elle, priez pour moi.»

Elle s'agenouilla devant le crucifix. «Moi, je vais remercier Dieu de m'avoir donné le courage de franchir votre seuil.» Et se rejetant dans les bras de la supérieure: «Oh! ma mère, dites-moi que je ne retrouverai pas mon coeur ici. J'ai soufert mille morts pour mon coeur, faites-moi vivre en Dieu aux Filles-Repenties.»

Les Filles-Repenties!

Ce mot est de l'hébreu pour vous qui êtes de votre siècle. Vous ne connaissez que les filles qui ne se repentent pas: celles-là qui vont et qui viennent sans savoir où elles vont, sans savoir d'où elles viennent; qui promènent lu ruine et la mort, mais surtout leur ruine et leur mort; qui se pavanent au Bois avec la queue bruyante de leur robe et la gerbe stérile de leur chevelure; qui soupent à la Maison d'Or; qui jouent,—elles qui n'ont rien à perdre;—qui ne vont jamais voir le lever de l'aurore, si ce n'est avant de s'endormir.

Et pour elles cela s'appelle la fête de la vie. Et quel sera le lendemain de cette fête?

Trois ou quatre épouseront un amoureux obstiné, trois ou quatre seront des comtesses à Vienne, à Florence, à Saint-Pétersbourg; la plupart mourront à la première chute des feuilles; les autres suivront Rebecca à Clamart. La nouvelle Sainte-Baume des Madeleines—le refuge Sainte-Anne—est à Clichy-la-Garenne. C'est un ancien pavillon de chasse où Louis XIV chassait La Vallière, la grande repentie. Aussi cette maison prédestinée était sanctifiée d'avance.

Vous pouvez faire comme moi un pèlerinage à cette ancienne maison royale. Tout y porte une marque de lieux prédestinés. Saint Vincent de Paul, «ce grand retrouveur de brebis perdues,» a été curé de la paroisse. On revoit son ombre toujours en sollicitude, accueillant les âmes en peine. Dans cette ruche toute sainte, vous serez touché de cette pauvreté voulue. Toutes ces femmes qui ont traversé le luxe sont sous la bure. Et quel ameublement! Et quelle table! Saint-Lazare est une maison de luxe. Un banc de bois, du pain et de l'eau, pas de feu dans l'âtre. Mais Dieu est là.

La porte est toujours ouverte. On entre avec les larmes, on en sort consolé.

Allez à la messe du dimanche dans la chapelle du refuge. C'est un ancien salon du roi Louis XIV, encore orné de peintures allégoriques, de chasses et de trophées; Diane, Adonis et les autres symboles des passions du temps, à peu près comme les tragédies de Racine.

Mais aujourd'hui la maison tombe en ruines, il ne faut pas laisser tomber le toit qui abrite ces repenties.

O vous qui ne vous repentez pas, apportez tous votre obole! Et vous qui n'avez jamais jeté la première pierre à la pécheresse ni à la femme adultère, soyez, ne fût-ce que pour un grain de sable, dans cette oeuvre du Refuge Sainte-Anne!

Quand vous verrez au Bois ou au théâtre, toutes les belles pécheresses vivant de temps perdu, le sourire aux lèvres et l'inquiétude au coeur, rappelez-vous ce mot qui les peint toutes:—Ah! si j'étais riche!—Que feriez-vous?—Je me donnerais le luxe de n'avoir pas d'amant.

Après tout, celles du lendemain, celles qui ne veulent plus que Dieu, celles qui vivent là-bas avec six sous par jour, ne sont-elles pas moins pauvres encore?

Quelques jours avant l'entrée de la femme en noir, une femme du meilleur monde—et un peu du plus mauvais, depuis qu'elle ouvrait des parenthèses dans sa vertu—le tome second de la comtesse d'Antraygues—venait, toute éblouissante de jeunesse, mais toute voilée, frapper aussi à la porte hospitalière des Filles Repenties. Il y a deux ans, aux courses de Longchamps, elle rayonnait encore dans les tribunes, elle papillonnait au pesage, elle se multipliait, tant elle avait soif de vivre. C'est que son heure allait sonner bientôt: ce fut Octave de Parisis qui la fit tinter gaiement et tristement.

Elle écrivait ce billet daté des Filles-Repenties à une de ses amies, une autre grande dame qui n'aura point de déchéance:

«Ma chère Berthe, c'est moi. Aujourd'hui tu ne refuserais de me recevoir, car je sens que Dieu m'a déjà pardonnée ou me pardonnera.

«J'ai trahi tout le monde en me trahissant moi-même. Mais enfin je me suis souvenue et j'ai compris tout mon crime. Voilà pourquoi je suis aux Filles-Repenties; voilà pourquoi j'apprends le travail et la prière: le travail, pour t'offrir une robe qui ne sortira pas de chez Worth; la prière, pour que tu ne fasses point comme moi.

«Car, ne l'oublie pas, dans la femme la plus vertueuse, il y a une pécheresse, comme dans la pécheresse la plus abandonnée, il y a une repentante.

    «Oui, aux Filles-Repenties! J'ai choisi le refuge le plus humble.
    Que m'importe? Je ne rougirai plus que devant Dieu.

«Écris-moi, dis-moi que tu m'aimes encore; ne me donne pas des nouvelles de Paris—j'ai failli écrire Parisis—que j'entends gronder à ma fenêtre comme la tempête près du port. Quand tu iras à Trouville, dans six semaines, tu diras à la tempête que je ne la crains plus.

«Si tu rencontres le duc de Parisis, dis-lui tout bas que ma pénitence est plus grande encore que mon amour.

«MATHILDE.»

Or, la grande dame qui bravait la tempête, et la jeune fille qui était venue pour oublier son coeur, se rencontrèrent au dortoir, lit à lit.

Une nuit qu'elles ne dormaient pas parce qu'elles pleuraient:
«Pourquoi pleurez-vous?» se demandèrent-elles toutes les deux.

L'une fit sa confession. Elle aimait toujours Parisis. «Et vous, ma soeur?—Vous avez raconté mon histoire, j'aime toujours Parisis.»

La blessure saigna, la plaie s'était ouverte, l'orage avait ressaisi leur coeur.

Le lendemain à midi, elles n'étaient plus aux Filles-Repenties. «Ce n'est pas là encore que je pouvais oublier, dit la jeune fille en se retournant vers le Refuge; il faut que je brise mon corps pour tuer mon coeur, il me faut les rudes devoirs de la soeur de charité.»

XIX

LA GRISE

La marquise de Fontaneilles était devenue folle du duc de Parisis, si le duc était devenu amoureux d'elle.

Il s'avouait à lui-même qu'il se donnait bien de la peine pour conquérir non pas le coeur qui était à lui depuis longtemps déjà, mais pour conquérir ce bien plus visible et plus humain qui s'appelle le corps. «Une guenille,» dit Diogène. «Toute la femme,» dit don Juan.

Le marquis de Fontaneilles était parti pour Londres, où il devait acheter des chevaux et où il était attendu par son ami lord Harttford, pour quelques visites dans le Devonshire.

La marquise était seule à Paris: il devait la retrouver, à Fontaneilles ou à Ems. Depuis qu'elle aimait Octave, elle avait pâli, elle ne respirait qu'à moitié, la fièvre la prenait souvent; son médecin avait conseillé au marquis de la conduire à Ems pour y faire une saison, ne fût-ce même qu'une demi-saison. L'eau providentielle d'Ems et l'air balsamique des montagnes voisines devaient effacer ces premières atteintes d'une irritation de poitrine. Il était convenu que si Mme de Fontaneilles se décidait à aller à Ems, elle y emmènerait sa jeune soeur, cette jolie Clotilde de Joyeuse, ces dix-sept années qui s'éveillaient légères et souriantes sous la plus belle chevelure rousse qui eût rayonné en France depuis Mlle de Fontanges.

Mme de Fontaneilles, ne savait que faire; tous les matins elle se décidait à partir pour la terre de son mari, toutes les après-midi elle se décidait à aller à Ems, mais tous les soirs elle se décidait à rester à Paris. C'est que tous les soirs elle recevait la visite de Parisis.

Mme de Fontaneilles, une fois dans la bataille, n'avait pas défendu son coeur. Elle avait donné son âme, mais elle défendait sa vertu, comme si on pouvait faire deux parts, une pour Dieu et une pour le diable.

Octave ne doutait pas de son triomphe. Un soir déjà, la marquise était tombée presque évanouie dans ses bras, en lui disant qu'elle voulait mourir. Elle s'avouait vaincue, mais elle le suppliait à mains jointes de la tuer dans ses embrassements, afin qu'elle ne se réveillât pas.

Elle versa tant de larmes ce soir-là, que Parisis se sentit désarmé. Une femme qui se donne est quelquefois plus difficile à prendre qu'une femme qui résiste; une femme qui combat est plus près de sa défaite qu'une femme qui se croise les bras, parce que l'enivrement du combat la précipite dans sa chute.

Le lendemain de cette soirée mémorable, M. de Parisis pensa bien sérieusement à ne plus revoir la marquise. Il prévoyait une passion violente qui déborderait de ses rives: rien ne pourrait l'arrêter ni la contenir: il en serait lui-même submergé, malgré son habitude de fuir toujours le mal qu'il causait. M. de Morny, qui le connaissait bien, disait de lui: «Parisis met le feu aux monuments, mais il ne se laisse pas consumer; il ne s'inquiète même pas s'il y aura des pompiers.»

Mais la sagesse n'a jamais raison des hommes: si Parisis fût retourné à Parisis, tout le monde eût été heureux, lui tout le premier, mais surtout la duchesse de Parisis, mais surtout la marquise de Fontaneilles.

Pourquoi ne partit-il pas? Parce qu'il n'avait pas encore perdu l'habitude des conquêtes. C'était Napoléon qui voulait aller à Moscou; le conquérant des femmes est comme le conquérant des villes, il ne veut jamais rebrousser chemin, même s'il doit mourir en chemin.

Le duc de Parisis ne partit pas, parce qu'il n'était plus maître de lui, parce que la terrible destinée des Parisis allait bientôt se montrer dans toute son horreur.

XX

QUE L'AMOUR DE LA RÉSISTANCE EST AUSSI IMPÉRIEUX QUE LE DÉSIR DE
L'AMOUR

Octave retourna donc vers cinq heures chez Mme de Fontaneilles, qu'il trouva plus adorablement belle que jamais. «Je ne vous attendais plus, lui dit-elle; mais puisque vous voilà, je serai votre maîtresse.»

Et comme Octave lui fermait la bouche par des baisers trop éloquents, elle se dégagea pour lui dire ses volontés. «Mon ami, je vous aime et vous donne ma vie: peut-être Dieu me fera-t-il cette grâce que je mourrai bientôt. Je ne crois pas aux années selon l'almanach, je crois aux siècles selon le coeur. J'ai plus vécu depuis que je vous aime que je n'ai vécu jusque-là; donc, je ne défends plus rien de moi-même.»

Et comme Octave voulait trop prendre à la lettre ces dernières paroles: «Laissez-moi parler, continua-t-elle doucement. Je vous avoue qu'ici même, dans cet hôtel, qui est l'hôtel de M. de Fontaneilles, je ne veux pas braver une pareille trahison. Depuis que je vous aime, je ne me sens plus chez moi quand je suis chez moi.»

Parisis vit apparaître l'image de Geneviève. «Ni chez moi ni chez vous, reprit Mme de Fontaneilles.—Je vous comprends, dit Octave, chaque maison a une âme qui est un peu notre conscience. Je vais vous proposer une chose bien simple: nous allons monter en fiacre et nous irons débarquer au Grand-Hôtel ou à l'hôtel du Louvre, comme des voyageurs qui traversent Paris.—Eh bien! non! répondit la marquise: j'y ai songé, mais ce n'est pas encore cela. Il faut que je vous aime de toutes mes forces, mais dans l'air vif des montagnes, loin de Paris, plus loin que la France, à Ems.»

Octave pensa que c'était bien loin. «Vous ne me répondez pas? reprit-elle avec anxiété.—C'est mon rêve comme c'est le vôtre, répondit Octave; mais n'oubliez pas que je suis attendu à Parisis et que si je n'y suis pas demain, après-demain matin Geneviève sera à Paris.—Ah! bien, mon ami, vous irez à Parisis et j'irai à Ems. Adieu.»

Octave ne se résignait pas si vite à dire adieu. Il regarda Mme de Fontaneilles et ne put s'empêcher de se dire en lui-même: «Elle est pourtant bien belle!»

La femme ne néglige jamais la figure visible, même si elle est tout sentiment, tout coeur, toute âme. Celles-là mêmes qui ne croient pas à la force des sens mettent en campagne toutes leurs coquetteries. Ce jour-là, quoique la marquise n'eût songé qu'à jeter de l'eau sur le feu, elle avait je ne sais quoi de provocant dans sa chevelure à la Récamier, dans ses yeux pleins d'amour, dans sa pose inquiète et agitée, qui donnait un voluptueux mouvement à sa gorge, que recouvrait à peine une légère robe de mousseline entr'ouverte, dans la forme des robes Pompadour.

La robe n'a pas été inventée par la pudeur, mais par l'amour.

Octave prit les mains, prit les bras, prit les épaules de la marquise, puis l'appuyant violemment et tendrement sur son coeur: «j'irai à Ems,» lui dit-il.

Il espérait bien la vaincre soudainement par cette promesse; mais elle sortit victorieuse de ses bras.

Quand Octave prit son chapeau, la marquise se leva et l'accompagna amoureusement jusque dans l'antichambre. «A Ems! lui dit-elle.—A Ems!» lui répondit-il.

Cette promesse fut scellée par un dernier baiser; mais dès qu'Octave entendit refermer la porte, il murmura en descendant l'escalier: «Je n'irai pas.»

XXI

LE DERNIER SOUPER

Le soir, Octave voulait partir pour Parisis. Il fut retenu par Villeroy qui lui dit que Miravault et Monjoyeux voulaient dîner avec lui.

On se rappelle peut-être que dans les premiers chapitres de ce livre on a mis en scène quatre amis très opposés de caractère, qui aspiraient: AU POUVOIR: c'était M. de Villeroy;—A LA FORTUNE: c'était M. de Miravault;—A LA RENOMMÉE: c'était Monjoyeux.—A L'AMOUR: c'était M. Parisis.

Ils se retrouvèrent donc ce soir-là à dîner. «Eh bien, leur dit Parisis, c'est moi qui ai eu raison. Vivre amoureux et oublié, c'est le souverain bien.—Et pourtant, dit Monjoyeux, inscrire son nom sur un chef-d'oeuvre.—livre, statue ou tableau,—qui traversera les siècles, n'est-ce pas plus beau que ces heures de paresse passées aux pieds d'une femme? Mais après tout le duc de Parisis a raison, car combien faut-il de livres, de statues et de tableaux pour créer une oeuvre immortelle!—d'autant que tout a été fait.—Je m'avoue vaincu devant Octave.—Et moi aussi, dit M. de Villeroy, car je vais vous confier un secret. Vous savez tous que je rêvais le pouvoir par le ministère des affaires étrangères. Eh bien! j'ai brûlé mes vaisseaux, après vingt années de diplomatie. Hier, on m'a offert une ambassade; j'ai eu le tort de dévoiler que j'avais des idées absolues en politique. Il y a en France un homme qui pense et un homme qui parle; j'ai compris cela trop tard. Je n'ai pas de rancune et je reconnais que l'homme qui pense et l'homme qui parle sont deux maîtres. Je n'ai pas voulu m'humilier devant moi-même: j'ai discuté pied à pied comme un homme qui sent que son épée est bonne. Quoique ma nomination fût décidée, le ministre a dit qu'il aviserait. Nous nous sommes salués froidement. Vous avez vu ce matin au Moniteur un autre nom que le mien.»

Monjoyeux félicita Villeroy. «Ces défaites-là, lui dit-il, sont des victoires. On perd son ambassade, mais on se gage soi-même. Vous voilà un homme libre, buvons à votre liberté.»'

Marivault leva son verre, mais tristement. Depuis le commencement du dîner il était soucieux. «À quoi pense Marivault? demanda Parisis.—Mon cher ami, répondit l'homme d'argent, je pense que moi aussi, je m'avoue vaincu devant vous.—Je m'en doutais, reprit Octave. Depuis que je vous ai vu monter l'escalier de la marquise Danaé, j'ai tremblé pour vos millions.»

Miravault soupira, brisa son verre et parla ainsi:

«Meâ culpâ! J'ai défié l'or et j'ai été mitraillé par l'or. J'ai eu mes soudaines ascensions, mais d'un seul coup je suis retombé à mon point de départ. Ah! mes amis, quel steeple-chase que cette course au pays de l'or! quelles stations douloureuses dans les cohues indicibles! Combien de sourires aux coquins qui vous ont dépassé d'une tête! Combien de beaux sentiments il faut tuer sous soi! Et tout cela pour n'avoir pas le prix! Ah! si c'était à recommencer, comme j'irais me jeter dans ma petite terre paternelle pour y vivre de rien, c'est-à-dire de m'a petite fortune patrimoniale. Voilà mon histoire en quatre mots: J'avais quatre-vingts mille francs. Que voulez-vous faire de quatre-vingts mille francs à Paris? Il n'y a pas de quoi vivre plus d'une année quand on a des passions. Or, quand on a mangé son capital, on n'a plus de revenus; j'ai mieux aimé ne vivre qu'un jour. J'ai joué à la Bourse sur les idées de Parisis, j'ai ramassé ses miettes et je suis devenu maître de quatre millions. Mais qu'est-ce que quatre millions quand on a quatre millions! La veille, c'était beau; le lendemain, on aspire au cinquième million. Nul ne reste dans l'escarpement; on veut monter, toujours monter, jusqu'au point où l'on tombe à la renverse poussé par le vertige. C'est moins encore la fortune que l'amour qui m'a trahi. Parisis avait raison, il a toujours raison. Quand il m'a vu amoureux de la marquise Danaë, il m'a dit: «Elle a deux fausses dents, cela ne l'empêchera pas de te manger.» Elle m'a mangé tout vif.

«Voilà, mes amis, l'histoire de l'argent. De tous ceux qui s'élancent dans la vie à travers la jeunesse, l'homme qui court après l'argent est le plus malheureux. Je n'ai pas eu le temps de vivre une heure. Je traversais les fêtes comme vous, mais j'entendais les minutes me crier: «Tu perds ton temps!» Et j'allais, et j'allais, et j'allais toujours! Je n'ai pas eu le temps de voir mourir ma mère! je n'ai pas eu le temps d'admirer les oeuvres d'art qui illustraient mon hôtel et mon château, qui seront vendues ces jours-ci! je n'ai pas eu le temps de voir un soleil couchant! que dis-je? je n'ai pas eu le temps d'être amoureux! Quel rocher que celui-là! Sans compter que les fortunes d'aujourd'hui sont versées dans le tonneau des Danaïdes.»

Miravault essuya son front. «Adieu, mes amis! dit-il en se levant. Je suis resté digne de vous, je le prouverai. Je vais faire un plongeon pour me retremper: quand vous me reverrez à la surface de l'eau, c'est que j'aurai le bon vent. Adieu!» Et, comme un fou, Miravault serra la main de ses amis et s'éloigna en toute hâte, «Ce pauvre Miravault! dit Villeroy; qui de nous se fût imaginé qu'il bâtissait son château sur le sable!—Moi, dit Parisis. J'étais plus riche sans argent que lui avec ses millions, parce que je dominais la femme, tandis que lui était dominé par la femme.»

Comme Parisis parlait ainsi, Léo Ramée entra. On le salua par un toast. «Tu arrives à propos; il n'y a qu'un instant, nous étions quatre blessés sur le champ de bataille de la vie.—Oui, dit Monjoyeux; comme Salomon lui-même, nous reconnaissions que tout est vanité, rien que vanité;—que la femme est amère;—que l'ambition a trop de cartes biseautées dans son jeu;—que la renommée a trop de caprices,—et que la fortune a des coups de théâtre tragiques.—Vous avez oublié le travail!» dit Léo Ramée.

Il parlait avec une noble fierté. «Le travail, mes amis, vous ne le connaissez pas; c'est la muse du matin qui vous éveille doucement, qui vous conduit à l'atelier dans l'auréole des rêves, qui vous met le pinceau à la main en vous pariant Raphaël, qui vous chante la gaie chanson de l'alouette et qui vous dit, à toute heure, que l'Art aussi est une royauté.»

Parisis serra la main à Léo Ramée. «C'est beau, tout ce que tu dis là; je ne t'ai jamais vu si enthousiaste et si radieux!—C'est que, tout à l'heure, j'ai été nommé membre de l'Institut.»

Monjoyeux porta un second toast à Léo Ramée. «Au Travail! s'écria-t-il avec une vive expansion d'amitié.—C'est bien, mon cher Léo, dit Parisis, mais pourtant n'oublie pas que Raphaël n'était pas de l'Institut.»

XXII

UNE CAUSERIE SUR LES FEMMES AU CONCERT DES CHAMPS-ÉLYSÉES

Ce soir-là, c'était un vendredi, «tout Paris qui n'aime pas la musique» était au concert des Champs-Élysées,—le concert Musard, comme on dit toujours,—parce qu'en France la royauté a toujours un lendemain.

Parisis et Villeroy allèrent au concert, non pas pour la musique, mais pour voir quelques-unes de leurs contemporaines. Il y avait tant de monde que c'était à grand'peine si deux promeneurs de front pouvaient passer. Aux loges d'avant-scène, s'épanouissaient dans la fumée de cigare les plus grandes dames. On s'était disputé les places, non pour être au spectacle, mais pour être en spectacle; aussi les promeneurs ne voyaient que le dessus du panier. Quelques bourgeoises prétentieuses avaient voulu, comme les grandes dames, faire corbeille de fleurs; mais c'était des bouquets de la fontaine des Innocents. Celles qui aimaient la musique c'étaient, comme de coutume, approchées des musiciens, s'imaginant tout bêtement que le concert des Champs-Élysées est un concert et non un salon.

Après tout, celles-là avaient raison, parce que celles-là n'étaient pas piquées de ce démon parisien qui dit aux femmes les mieux nées: «Vous jouez un rôle, entrez en scène.»

Les deux amis, qui savaient tout cela, emportèrent d'assaut une position difficile: ils prirent deux chaises à la porte et se firent une avant-scène devant les avant-scènes, décidés à tout braver, non seulement les murmures des femmes, mais le parlementarisme des hommes.

Ils s'étaient établis, sans le savoir, devant le cercle de la duchesse de Hauteroche; on allait se fâcher autour d'elle; mais comme elle ne douta pas que Parisis se fût mis là pour ses beaux yeux, elle apaisa d'un signe d'éventail les colères qui s'élevaient autour d'elle.

Quand il reconnut Mme Hauteroche, Parisis salua de son beau sourire et força la duchesse à se remettre sur le devant de la scène, elle et une de ses amies, Mme de Tramont, surnommée dans son monde la Forte-en-Gueule, quoiqu'elle eût la plus adorable bouche qui fût au monde. Mais quand on a de si belles dents, il faut bien mordre son prochain, surtout quand on n'a pas d'amant. Combien de femmes qui sont méchantes parce qu'on ne leur a pas donné l'occasion d'être bonnes! «Monsieur de Parisis, dit Mme de Tramont à Octave,—ils se connais- saient bien,—puisque nous avons la bonne fortune de vous rencontrer avec M. de Villeroy, qui ne vaut pas mieux que vous, vous allez nous faire quelques portraits à La Bruyère et à La Rochefoucauld.—Après vous, madame,—Oh! moi, je ne sais plus mordre.»

Et elle montra ses trente-deux dents, trente-deux perles fines, pas une de moins, pas une perle noire. «Voyez-vous, dit-elle, depuis qu'il m'est poussé deux dents de sagesse, je ne me reconnais plus.»

Mais comme on ne peut pas vaincre les bonnes habitudes, elle dit en voyant passer une femme irréprochable au bras de son mari: «C'est une femme parfaite comme les tragédies de Racine, voilà pourquoi elle est si ennuyeuse. C'est elle qui, à la cour, chante si bien: Il pleut-t-il pleut, bergère…—Vous n'aimez pas les liaisons, madame, dit Villeroy.—Non; une femme qui dit t-il pleut, bergère, me révolte; si j'étais son mari, je demanderais ma séparation.—C'est égal, dit Parisis, je vous trouve sévère; à tout prendre, j'aimerais mieux t-il pleut, bergère, qu'un ténor dans la chambre à coucher de ma femme.—Chut! la voilà là-bas, la femme au ténor, dit Mme de Hauteroche.—Pourquoi chut! dit la belle amie de la duchesse, est-ce qu'elle disait chut! au ténor, quand il chantait?—Il paraît qu'il n'avait pas assez de voix quand il a chanté un duo avec elle, car elle lui a dit adieu à la troisième station.—La pauvre femme, dit Villeroy, elle avait perdu deux années de sa vie, deux années! sept cent trente et un jours! à étudier les quatre ténors de Paris. Le soleil de la rampe est trompeur; elle a choisi celui qui avait la mauvaise méthode.—Enfin! dit Parisis, il faut bien que les femmes prennent des leçons de fugue et de contre-point.»

Passa la veuve de Malabar: «Tambours, battez aux champs, dit Villeroy, voilà un monument d'un autre âge; quand on a été belle, on l'est toujours; les ruines ont encore leur grandeur et leur caractère. —C'est aujourd'hui la veuve idéale; elle est en deuil de son mari et de son amant. Je me rappelle toujours le mot de son mari quand son amant l'a planté là: «Tu pleures, ma chère amie! tu es si bonne; je t'avais toujours dit que cet homme-là nous tromperait.»—Les maris d'aujourd'hui, dit Parisis,—eût-il dit cela avant d'être marié?—font jouer le rôle ridicule à l'amant. Par exemple, voilà un homme d'esprit passant avec sa femme qui a eu son quart d'heure de folie plus ou moin platonique. Le mari protégeait beaucoup l'amant; il lui savait gré de porter l'éventail, le manteau et le chien de la dame; c'était lui qui demandait les gens, qui se précipitait au marchepied, qui faisait les lectures pieuses. Le mari aimait l'Opéra,—vu des coulisses;—il ne s'inquiétait pas de quelques nuages sur les ciels bleus de l'hyménée. Il savait que sa femme était une brave créature qui, comme toutes les femmes, aurait ses jours de révolte en passant le cap des Tempêtes, après quoi elle lui reviendrait à jamais amoureuse et reconnaissante. Voilà qu'un jour l'amant ou l'amoureux s'aperçoit que la dame a pris un train de plaisir sur les bords du Rhin avec un jeune crevé de haute lignée. Dieu sait si l'amant s'indigna! Il va trouver le mari et lui représente qu'il ne peut laisser sa femme voyager ainsi. «Est-ce que cela vous fait beaucoup de chagrin?» dit le très spirituel mari en éclatant de rire au nez de celui qui plaidait l'honneur de la maison.»

Rodolphe de Villeroy fit remarquer que le XIXe siècle était le siècle des maris. Ils voient tout et se moquent de tout. «Excepté, dit la duchesse de Hauteroche, ce savant célèbre qui passe là-bas avec sa femme et ses deux filles, une de ces femmes immaculées qui n'ont hanté que les montagnes neigeuses. Elle ne manque pas un sermon! si ce n'est pas pour elle, c'est pour ses filles. En effet, dès que ses filles sont assises devant la chaire, elle change de paroisse, elle court à un autre prêche, elle monte quatre étages quatre à quatre, elle trouve un jeune avocat stagiaire qui la renverse par son éloquence. Pendant ce temps-là, l'astrologue se laisse choir dans un puits.—Dans un puits! dit la dame aux trente-deux dents, il se laisse choir dans les bras d'une comète, un joli bas-bleu qui a une tache d'encre pour grain de beauté. Je les ai vus qui s'en allaient bras dessus bras dessous piper les étoiles.»

Passa la reine des Abeilles: «Saluez, Villeroy, voilà la reine des Abeilles; les grenouilles demandent toujours un roi, les abeilles demandent toujours une reine. Cette reine des abeilles nous vient de loin, mais elle est plus Parisienne que les Parisiennes nées sur le boulevard des Capucines. Elle règne impérieusement sur la mode et sur l'esprit; elle donne le ton; les envieuses disent le mauvais ton, mais elles le prennent. Autrefois, il y avait le coin du roi et le coin de la reine; aujourd'hui, il y a le coin de la princesse de M—— —Oui, elle marque bien son coin.—Il n'y a pas un critique musical qui ne deviendrait plus savant s'il allait à son école. Ils ne parlent que par ouï-dire, elle parle par ouï-chanter.»

La princesse salua le groupe avec sa grâce enjouée et spirituelle. «Elle n'a peur de rien, dit Parisis, parce qu'elle n'a pas peur d'elle-même.»

Une jeune brune passait alors. «Ce n'est pas comme cette femme sentimentale qui se fait un masque de son éventail, tant elle craint de montrer son coeur. Regardez bien, elle va rougir et pâlir tour à tour quand va passer devant elle ce jeune aide de camp qui a été un héros à la guerre et qui est un mauvais soldat dans sa passion. —Pourquoi ces deux femmes blondes ne se quittent-elles pas? Parce qu'elles fricassent ensemble le moineau de Lesbie, comme autrefois Ninon et la Maintenon.—Et cette femme rousse, pourquoi est-elle seule là-bas en face de nous?—C'est pour être deux; depuis qu'elle a été chassée du Paradis par Adam lui-même, cette Ève majestueuse siffle des airs de serpent.—C'est la fête des rousses! Fontanges serait plus à la mode que jamais. Qui donc est couché dans ce fauteuil?—C'est une Havanaise: un diable-à-quatre, qui fait du mariage la vie à trois.—Je m'aperçois que l'empire n'est plus aux Parisiennes. Voyez donc toutes ces Italiennes, ces Espagnoles et Américaines. L'Océan a jeté ses vagues jusque sur le bord du lac. —C'est la force de Paris de faire des Parisiennes de toutes les figures du globe.»

Passa une chercheuse d'esprit qui n'a jamais trouvé: «Ah! voilà la belle des belles! dit Villeroy. Elle est descendue de son char de triomphe et marche dans la souveraineté de la queue de sa robe et de sa niaiserie héraldique.—Qu'est donc devenue sa soeur depuis son équipée? demanda la duchesse.—Sait-on ce que deviennent les vieilles lunes? dit Parisis, car la femme à la mode est comme la lune, elle se renouvelle tous les mois. Aussi la femme à la mode a toujours je ne sais quoi de l'inconstance de la lune naissante et décroissante dans ses passions ou dans ses fantaisies, non pas seulement tous les mois, mais toutes les heures.—Toutes les femmes ne sont pas lunatiques. Combien qui sont des anges de douceur et de vertus, de grâce et de charité!—Je n'en connais pas une, à commencer par moi,» dit Mme de Tramont.

Parisis regarda la dame: «Celui qui voudrait faire l'histoire des contradictions ferait votre histoire, dit Parisis. Vous avez raison, la logique de la femme c'est d'être illogique; elle ne triomphe que par l'imprévu, elle n'est parfaite que par ses imperfections, elle n'est divine que parce qu'elle est humaine.—Chut! dit Mme de Tramont, voyez donc Mme de Clarmonde qui pleure son premier amour parce qu'elle n'a pu en trouver un second.—L'amour est un temple en ruines; on n'y cueille que les fleurs de la mort. Les Romains avaient raison de porter au temple de Vénus tout ce qu'il fallait pour les funérailles des trépassés, car rien ne consume plus rapidement la vie,—la vie de l'âme,—que la volupté.—Voyez donc cette comédienne et cette duchesse qui se regardent du haut de leur dédain, plus ou moins théâtralement; elles portent pourtant des robes faites par la même couturière, comme elles-mêmes sont faites par la pareille nature.—Vous trouvez ces robes invraisemblables?—Non, dit Mme de Tramont, ce sont les femmes.—Impudicus habitus signum est adulterae mentis.—La mode a toujours raison. M. de Buonaparte a très bien dit: Quand le Français est entre la crainte des gendarmes et celle du diable, il se décide pour le diable; mais quand il est entre le diable et la mode, il obéit à la mode.»—Et pourtant c'est le peuple, le plus spirituel de la terre, à ce qu'il dit.—Il lui faut toujours des idoles à ce peuple parisien; quelles sont donc les nouvelles idoles du jour? demanda Mme de Tramont.—La femme la plus adorée, la plus peinte, la plus sculptée, la plus gravée, c'est une morte: Marie-Antoinette. Tout le monde lui a bâti dans son coeur une petite chapelle expiatoire; c'est qu'on a reconnu un peu tard que son seul crime avait été d'être une femme sous sa couronne de reine. Crime qu'elle racheta si noblement en restant une reine quand elle ne fut plus qu'une femme.—Oui, elle a laissé partout sa figure et sa marque. Celle qui sera la figure de la Charité au XIXe siècle, est tout entourée des meubles de Marie-Antoinette, qui sont, il faut le dire, les plus adorables bijoux qu'on ait travaillés dans aucun temps,—reliques royales.—Mais toutes les vraies princesses ne sont pas mortes. Combien qui sont l'inspiration, le charme et la grâce de leur temps! Il en est une qui sculpte avec le grand art des Italiens de la Renaissance; il en est une qui promène l'âme impériale et artiste de la Russie par tous les musées et tous les salons de l'Europe; il en est une qui le dimanche tient sa cour plénière, ayant encore, non pas des taches d'encre aux doigts, mais des taches de couleur sur sa blanche main, car elle peint comme un homme.»

Une perle fausse passait. «Ah! par exemple, dit Mme de Tramont, elle s'est trompée de porte, cette fille rousse égarée à Londres et qui s'est retrouvée à Paris. Qui donc lui donne ses chevaux et ses cheveux? De beaux cheveux et de beaux chevaux?—Elle ne sait pas; c'est le luxe effréné des filles. Il en est plus d'un qui s'est ruiné pour elle, quoiqu'elle soit toujours ruinée. On aime ses passions comme ses enfants, plus que soi-même. Plus d'un homme se refuse un fiacre, qui donne un carrosse à sa maîtresse.»

Passèrent deux femmes renommées pour leur figure et pour leur amitié. «Voilà, dit Parisis, «deux cocottes du meilleur monde» qui ont une cour et qui en abusent, qui ont ouvert un hôtel Rambouillet pour y parler la langue verte, mais, au demeurant, «les plus honnêtes femmes du monde.» Chez elles, tout s'évapore en fumée. Combien qui ne font pas parler d'elles comme cette pâle duchesse qui écoute là-bas, à travers les causeries de son entourage, des motifs du Trovatore, parce que la musique de Verdi lui rappelle ses crimes cachés; celle-là n'est même pas soupçonnée, on lui donnera le paradis sans confession.»

Mme de Hauteroche se rappela l'Heure du Diable; elle eut une soudaine émotion qui se trahit sur sa figure; mais Parisis seul s'en aperçut.

Pendant que la femme aux trente-deux perles éclatait de rire au passage d'une Américaine qui accentuait trop les modes, Parisis dit à la duchesse: «Voulez-vous prendre mon bras et faire le tour des mondes?»

Elle obéit sans répondre, entraînée malgré elle. «Vous m'avez bien haï, n'est-ce pas? lui dit Parisis après un silence, en pressant contre lui la petite main de la duchesse.» Elle tressaillit. «Moi, poursuivit-il en penchant la tête pour parler dans l'oreille de la duchesse, je vous ai bien aimée.»

Un second silence. «Je vous ai haï et je vous ai aimé, lui dit-elle, moi toute ma vie n'aura été qu'une heure. Je me croyais la femme du monde la plus vertueuse, je n'aspirais qu'aux oeuvres de charité, je ne croyais qu'à l'amour divin. J'ai trouvé avec vous l'amour de l'enfer; il m'a consumée. Je ne sais si cette pauvre Alice s'est repentie en mourant: le croirez-vous? moi je n'ai pas la force de me repentir. J'ai horreur de moi-même, mais je me retourne doucement vers mon crime et j'y reste abîmée.»

Parisis regardait la duchesse: elle était pâle comme la mort, ses grands yeux flambaient, son coeur agitait son sein. «Vous avez voulu, lui dit-elle, savoir le secret de mon âme, vous le savez; maintenant, allons dire du mal des autres.»

Parisis conduisit la duchesse dans son cercle, mais il ne resta pas avec Villeroy.

Il avait vu non loin de là Mme de Fontaneilles. Quoiqu'il lui eût dit adieu, il ns put s'empêcher d'aller à elle. «Je vous avais vu et je vous attendais, lui dit-elle, je vous croyais déjà à Parisis.—Je pars à minuit.» Et il lui serra la main. «Et moi! reprit-elle avec un sentiment de passion mal déguisé, quoique sa soeur fût là, quand partirai-je pour Ems—la terre promise!»

Ils tressaillirent tous les deux: une flamme invisible courut sur eux et les brûla. Ce fut à ce point que Mlle de Joyeuse, une vierge encore toute à Dieu, eut leur secret ce soir-là.

XXIII

LA FATALITÉ

Octave partit le lendemain matin par l'express pour Parisis. Quand il vit au loin dans l'après-midi se dessiner sur le ciel et sur les grands arbres les vieilles tours qui lui semblèrent prendre pour le regarder leur meilleure physionomie, il dit encore une fois: «Non! je n'irai pas à Ems.» Mais, pour le malheur de tout le monde, la fatalité voulait que le duc de Parisis allât à Ems.

Quand il arriva à Parisis, la duchesse était en larmes; il la prit dans ses bras, la caressa doucement et lui demanda pourquoi elle pleurait. «Je pleure mon bonheur perdu, répondit-elle.—Tu es folle, Geneviève! Je te rapporte ton bonheur. Si tu savais comme je m'ennuyais à Paris! Mais tu sais bien que Paris vous retient de force par les mille raisons des choses, même quand on est attendu par une femme comme toi.—Ce n'est pas ce la qui me fait pleurer, reprit Geneviève en embrassant son mari; tu n'as donc pas vu le ministre avant de partir?—Non, j'ai vu l'Empereur.—Et l'Empereur ne t'a rien dit?—Il m'a beaucoup parlé d'Alexandre et de César.—Tu vas comprendre mes larmes!»

Geneviève conduisit Octave dans le petit salon d'été.

Il comprit tout de suite en voyant sur la table une grande enveloppe qui portait son nom sous le timbre du ministre des affaires étrangères. Il lut deux fois: «Ministère des affaires étrangères!» comme s'il avait peur de savoir la nouvelle. Et se parlant à lui-même: «A-t-on assez la fureur en France de ne pas parler français? Si je deviens ministre des affaires étrangères, on dira comme autrefois: ministre des affaires extérieures. Étrangères! qu'est-ce que cela veut dire? Étrangères à qui? Étrangères à quoi?»

Geneviève s'impatientait: «Mais lis donc?» dit-elle.

Octave prit le pli et lut. C'était sa nomination de ministre en Allemagne. La duchesse s'aperçut qu'il avait pâli. La pauvre femme ne pouvait comprendre pourquoi cette pâleur.

Il avait pâli, voyant que la fatalité le rejetait vers Mme de Fontaneilles. Il fallait qu'il passât près d'Ems pour aller à sa légation. «Eh bien! dit-il à Geneviève, il n'y a pas de quoi te désoler, puisque aussi bien tu voulais me voir continuer ma carrière.»

La duchesse interrogea son mari du regard. «Et sans doute, reprit-elle, tu vas partir tout de suite?»

Le démon du mal avait déjà dicté la réponse de Parisis. «Oui, sauf à revenir bientôt te chercher.—Eh bien! non, mon ami! je veux partir avec vous.—Ma chère Geneviève, ce serait une folie; j'aimerais mieux donner ma démission. Je sens déjà trop que j'aimerai les enfants que tu me donneras, pour que tu les sacrifies en te sacrifiant toi-même.—Et si je meurs d'ennui ici?—Rassure-toi; je courrai là-bas pour montrer ma bonne volonté; mais à peine arrivé, je reviendrai en toute hâte ici.—Eh bien? ne parlons plus de cela. Tu dois mourir de faim?—Oui. Mais je ne t'ai pas encore mangée.»

Et Parisis embrassa Geneviève sur les bras, sur les mains, sur le cou, sur les cheveux. Ce fut comme une âme de feu qui courut sur la jeune femme.—Oh! que c'est bon! dit-elle en respirant. Sitôt que tu n'es plus là, je me sens mourir: j'ai froid jusqu'au coeur. Un jour, si tu es trop longtemps sans revenir, tu me trouveras changée en statue de marbre.—A propos! tu sais que Monjoyeux fait toujours des siennes? Il vient d'exposer un groupe qui fait courir tout Paris; je veux qu'il fasse ton buste. Ce coquin-là donne la vie au marbre, on dirait qu'il le pétrit comme Dieu a pétri le monde, ou plutôt comme nos fermières pétrissent leur pâte. S'il fait un jour Galathée, elle descendra de son piédestal.—Mon ami, dit la duchesse, je ne veux être représentée en marbre que sur mon tombeau; si tu veux un portrait de moi, tu me feras peindre.—C'est une bonne idée, s'écria Octave: nous allons goûter ensemble sur le perron, après quoi j'enverrai une dépêche à Léo Ramée. Il viendra faire ici son ébauche pendant les huit jours que je vais passer avec toi; dans trois semaines, je le reprendrai à Paris pour revenir encore et il finira ton portrait avant notre départ.» Geneviève dit qu'elle ne le voulait pas: «Le temps que je poserai sera du temps perdu, je n'aurai pas le temps de te regarder, j'aime mieux être seule avec toi.—Tu ne connais pas Léo Ramée, on ne pose jamais devant lui quand il vous peint. Il a fait des Dianes et des Junons très ressemblantes: est-ce qu'elles ont jamais posé devant lui! Tu verras, toi, ma Diane et ma Junon, quelle belle chose il va faire avec cette figure divine. Tu as peur de ne pas être seule! Mais Léo Ramée est un brave coeur, il sera si heureux de nous voir heureux, que nous ne verrons pas qu'il est là. D'ailleurs, il est comme l'hirondelle, il porte bonheur à la maison.—Eh bien! écris-lui de venir.»

Geneviève pensait qu'elle avait perdu la moitié de son bonheur le jour où son amie la marquise de Fontaneilles était venue lui demander l'hospitalité. Elle pensa aussi qu'un ami d'Octave troublerait peut-être à son tour cette fête intime de deux coeurs qui vivent des mêmes joies. Mais l'amour profond a des timidités enfantines, elle n'osa dire cela à son mari. «C'est égal, se dit-elle à elle-même, le proverbe arabe a peut-être raison: «Prends garde à ton meilleur ami, prends garde à ta meilleure amie, un atome fait ombre, l'amitié fait peur à l'amour.»

Et, malgré elle, elle pensa à sa meilleure amie, la marquise de
Fontaneilles.

Mais Léo Ramée ne devait pas trahir l'amitié d'Octave, comme la marquise devait trahir l'amitié de Geneviève.

Il vint à Parisis pour faire le portrait de la duchesse: il était encore dans toutes les joies de son triomphe à l'Institut. Arriver à l'Académie en cheveux blancs, c'est à la portée de tout le monde; mais y arriver dans l'auréole des cheveux blonds, c'est une bonne fortune.

Léo Ramée ébaucha largement, dans la grande manière, le portrait de la duchesse. Déjà le quatrième jour, non seulement la figure sortait du chaos, mais l'âme même de la duchesse de Parisis rayonnait par les yeux et par le sourire. «Quelle belle chose tu vas faire là!» dit Parisis à son ami.

Mais le lendemain, Léo Ramée était parti. «Il est donc fou!» s'écria Octave. Et il amena la duchesse devant le portrait. «Quel malheur! dit-il; il eût fait là un chef-d'oeuvre. Vois donc, Geneviève, quel adorable dessin et quelle charmante couleur! Tu ressembles à une déesse de Prudhon ou plutôt tu ressembles à toi-même.—Si ton ami est parti, dit la duchesse, c'est qu'il a désespéré de bien finir ce qu'il avait si bien commencé.»

En effet, Léo Ramée avait trouvé la duchesse trop belle: la fièvre de l'amour l'avait saisi…

Jusque-là, il avait idéalisé ses modèles d'atelier. Pour la première fois, la vraie beauté posait devant lui: il était vaincu par la nature et par l'amour.

Il avait fui comme Joseph devant Putiphar, mais sans laisser son manteau, ne voulant pas avoir l'occasion de revenir.

XXIV

LES ADIEUX

Ce fut avec un déchirement de coeur que la duchesse vit s'éloigner Parisis. Elle l'accompagna jusqu'à la station. On était parti de bonne heure; elle attendit dans la calèche que le train se fût éloigné. Elle avait voulu revoir encore Parisis à la portière; elle agita longtemps son léger mouchoir, un mode d'adieu un peu démodé depuis que nous prenons la vie en riant. Quand elle rentra à Parisis, elle s'imagina qu'elle était dans la solitude depuis un siècle; si elle n'eût craint alors de ne plus arriver à temps, elle serait repartie pour rejoindre Octave. Elle monta dans sa chambre, tomba sur un fauteuil et se résigna.

Le soleil venait jouer à ses pieds; il lui sembla d'abord que c'était une ironie; mais peu à peu la sérénité reprit son âme; elle s'accusa de manquer de courage; elle se réjouit à l'espérance qu'elle serait bientôt mère, et s'enorgueillit à la pensée que son mari serait bientôt ambassadeur.

Mais Geneviève n'était pas de celles qui vivent du bonheur de demain; elle avait été si heureuse de vivre au jour le jour, qu'elle ne voulut pas s'accoutumer à la solitude. Elle décida énergiquement que, si Parisis ne venait pas la reprendre après quinze jours d'absence, elle partirait seule pour l'Allemagne avec Hyacinthe.

Et comme son coeur débordait, elle prit une plume et écrivit à Octave.

L'écriture est la vraie marque de l'amour. Quiconque n'aime pas, quiconque n'aime plus, ne tourmente pas la plume, parce qu'il ne trouve rien à dire. Mais les vrais amoureux sont terribles. Ils ont l'éloquence impitoyable de Sapho, de sainte Thérèse et de Lélia. On trouve dans leurs lettres le mot jailli du coeur comme d'une source vive; mais quel torrent de phrases perdues qui vont se jeter dans l'océan de la pensée! Or, je ne sais rien au monde de plus bête à certaines heures que l'océan, cette éternelle voix qui bégaye depuis la création du monde sans avoir rien dit, ce monstre sans conscience qui bat la terre sans savoir pourquoi.

Voici comment écrivit Geneviève:

«Quand je pense, mon cher Octave, que tout ce que je vais te dire arrivera à toi tout glacé sous la main de la poste français de la poste allemande, je m'arrête découragée. Tu me le disais un jour: les lettres qu'on envoie à cent lieues sont comme les duels qu'on remet au lendemain. Eh bien! je reprends mon courage; je sens qu'un coeur qui parle garde sa force pour parler loin. Je suis sûre que, quand tu ouvriras ma lettre, il s'en exhalera je ne sais quoi de mon âme qui ira droit à la tienne. Ah! mon Octave, je suis désolée de n'être pas partie avec toi: l'absence, c'est la mort. Tu as emporté mon coeur et je ne respire plus.

«Que te dirai-je? Le château est désolé comme moi; jusqu'aux chansons d'Hyacinthe qui se changent en litanies. Ah! bien heureux ceux qui aiment et bien heureux ceux qui n'aiment pas. Ainsi Hyacinthe est triste de me voir triste, mais comme elle va et vient avec insouciance! Ne te désole pas de mon chagrin, ce n'est que le nuage du départ; j'aurai le courage de garder mes larmes. Je vais vivre dans l'espérance de te voir bientôt; non, je ne veux pas pleurer.»

La duchesse pleurait.

«Tu sais que je suis forte et que je puis dominer mon coeur. Reviens pourtant bien vite; d'ailleurs, prends-y garde, si tu tardais d'un jour, tu me trouverais mourante.

«Je ne suis pas jalouse, mais prends garde; si tu prenais quelque goût aux Allemandes sentimentales; si tu disais un seul jour à une autre que tu l'aimes, je sentirais ici un coup de poignard dans mon coeur.»

Pour tromper son chagrin, la duchesse écrivit plus de dix pages à son mari; mais elle se dit tout à coup: «Ce pauvre Octave! il faut que j'aie pitié de lui.» Voilà pourquoi elle ne lui envoya que la première page.

Sur ces mots où elle disait: «Non, je ne veux pas pleurer,» elle laissa la trace de deux larmes. «—C'est mal, dit-elle, d'envoyer des larmes.» Mais elle ne refit pas cette page; il lui sembla qu'une lettre recopiée n'était plus une lettre d'amour.

XXV

LE DÉMON DE L'ADULTÈRE

Pour ne pas inquiéter la duchesse, qui n'aimait pas Paris, Octave lui avait dit qu'il partirait pour Nuits pour prendre le chemin de fer de l'Est.

Dès qu'il fut à Nuits, il écrivit cette dépêche qu'il donna au télé- graphe pour la marquise de Fontaneilles:

    «Midi. Je pars pour Ems. J'y serai après-demain. Je vous saluerai
    à l'hôtel d'Angleterre ou à l'hôtel de Russie.

«PARISIS.»

Dès que la dépêche fut partie, Octave comprit son imprudence; non qu'il s'inquiétât d'avoir donné son nom aux hommes du télégraphe, mais le marquis de Fontaneilles pouvait arriver de Londres tout juste pour recevoir la dépêche. «Alea jacta est!» s'écria-t-il. Et il n'y pensa plus.

La dépêche arriva dans les blanches mains de Mme de Fontaneilles, le marquis n'étant pas revenu de Londres. Elle la lut vingt fois, parce qu'elle y vit la marque de sa destinée. «Et moi aussi, je serai à Ems après-demain, dit-elle en écoutant battre son coeur.»

Elle entendit la voix de Mlle de Joyeuse, qui montait l'escalier. Elle chercha une allumette pour brûler la dépêche, mais, ne trouvant pas de feu sous sa main, elle la déchira et la jeta dans l'âtre, se promettant de la brûler plus tard. «Ma chère belle, dit-elle à sa soeur, nous partirons ce soir pour le Rhin. Es-tu contente?—Plus joyeuse que jamais, dit la jeune fille qui avait l'habitude de jouer sur son nom quand elle était heureuse.—Tu sais, reprit Mme de Fontaneilles, que nous nous arrêterons à Nancy chez la chanoinesse, mais pour quelques heures seulement. Je te donnerai une robe de dentelle qui fera bien des jalouses à Ems, car on se fait belle là-bas!

On partit le soir; à Nancy on manqua le train; un accident en vue d'Heidelberg retarda encore les voyageuses; si bien qu'on n'arriva pas le surlendemain à Ems comme on se l'était promis.

La marquise piétinait d'impatience comme une femme qui ne veut pas obéir aux événements. Mlle de Joyeuse, qui était très babillarde, remarqua que sa soeur était devenue bien silencieuse.

C'est que Mme Fontaneilles était dominée par une seule pensée qu'elle ne disait pas; elle dessinait d'avance dans son imagination toutes les scènes de son entrevue avec Octave. Elle se demandait comment elle échapperait à la vigilance de Mlle de Joyeuse. N'y avait-il pas mille manières de tromper tout le monde? on rencontrerait Octave par hasard; on s'étonnerait beaucoup de part et d'autre, il serait là retenu pour attendre des ordres du ministre; rien ne s'opposait à ce qu'on passât une journée ensemble, sinon dans le même hôtel, du moins dans la même calèche et à la même table. La nuit venue, Mlle de Joyeuse, qui avait encore le sommeil des enfants, s'endormirait bien vite; Mme de Fontaneilles écrirait des lettres dans la chambre voisine; ne voyant plus de lumière, sa soeur la croirait couchée, pendant que, toute éperdue, elle serait chez Octave, donnant son coeur, donnant son âme, donnant sa vie; heure adorable et terrible que les femmes appellent l'heure du sacrifice.

Mme de Fontaneilles était partie à huit heures du soir par l'express de l'Est.

A neuf heures, le marquis arrivait de Londres par l'express du Nord.

Il était si hautain et si fier que nul dans sa maison n'osait lui adresser la parole. Il entra silencieusement et monta droit à la chambre de sa femme.

Au moment où il allait entrer, la femme de chambre se hasarda à lui dire que la marquise était partie. M. de Fontaneilles ne put retenir un mouvement de colère. «Partie! Et depuis quand?—Ce soir même.—Avec sa soeur?—Oui, monsieur le marquis. Madame à écrit à Monsieur. Je l'ai conduite à la gare de Strasbourg. Madame doit s'arrêter à Nancy.—Est-ce qu'elle toussait toujours?—Pas du tout, monsieur le marquis.»

Le marquis entra dans la chambre et referma la porte violemment. Son oeil jaloux courut partout sur le lit, sur les meubles, sur le tapis. Il déposa sur le petit secrétaire le bougeoir qu'il avait à la main. «Elle m'avait écrit, dit-il. Mais sa lettre ne me reviendra que dans deux jours.»

Mme de Fontaneilles avait laissé la clef de son secrétaire comme une femme qui n'a pas de secret: le marquis l'ouvrit et n'y trouva que des lettres de femmes. «Suis-je assez fou, dit-il, en voyant dans la psyché ses cheveux en désordre, sa pâleur, ses traits contractés. Ma femme va à Ems avec sa soeur, quoi de plus naturel, puisque c'était convenu; puisque c'est par ordonnance du médecin?»

Mais la jalousie tenaille le coeur des jaloux; il n'en était qu'à ses premières tortures.

Voyant quelques chiffons dans la cheminée, le marquis y courut et les saisit. Il découvrit du premier regard un lambeau de dépêche télégraphique. «J'ai trouvé,» dit-il avec une joie mortelle.

Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour retrouver les autres lambeaux: c'était l'appel de Parisis à la marquise.

M. de Fontaneilles faillit tomber à la renverse. Il éclata dans sa fureur et brisa la psyché.

La pendule sonnait dix heures. «Si je n'arrivais!» dit-il.

On peindra mal toutes ses angoisses; il adorait sa femme sans le lui dire jamais, comme si son amour eût paru une humiliation. «Ce Parisis, cria-t-il d'une voix sourde, je l'ai toujours haï!»

Il alla dans sa chambre, qui n'était séparée de celle de la marquise que par une petite bibliothèque intime où ne se montraient guère que des livres de religion. Dans sa chambre, sur une table où il n'y avait que des armes, il prit tour à tour un revolver, un poignard, des pistolets, un couteau malais. «Malheur! malheur! s'écria-t-il. Si j'arrive trop tard, je les tuerai tous les deux. Si je n'arrive pas trop tard…»

Il retint sa phrase pour laisser tomber ce mot froid comme l'acier:
«Je te tuerai, Parisis!»

Et après un silence: «Et que ferai-je de cette femme?»

XXVI

NÉE POUR AIMER, NÉE POUR SOUFFRIR

Le marquis de Fontaneilles se fût vengé de son malheur sur tout le monde, tant la haine éclatait en lui.

Il eut la cruauté, que dis-je? la lâcheté d'aller lui-même au télégraphe pour envoyer cette dépêche à la duchesse de Parisis:

    «Madame la duchesse de Parisis est avertie par le marquis de
    Fontanes que M. de Parisis et madame de Fontanes ne l'attendent
    pas la nuit prochaine à Ems, hôtel d'Angleterre ou hôtel de
    Russie._

«FONTANEILLES.»

Il était minuit quand Geneviève reçut cette étrange et horrible dépêche. Elle comprit bien que Fontanes voulait dire Fontaneilles. La jalousie, qui n'était pas aveugle cette fois, lui dessilla les yeux. «Ah! mon coeur! dit-elle, ne trouvant plus d'air à respirer, je pressentais bien cela. Cette femme t'a frappée à mort dans ton bonheur.»

Elle appela Hyacinthe. «Hyacinthe, lui dit-elle, je vais mourir.—Mourir! s'écria Hyacinthe en la soulevant dans ses bras, car la pauvre femme était évanouie.—Non! dit Geneviève en se ranimant, je veux aller à Ems, je veux sauver mon bonheur.»

Elle conta tout à Hyacinthe. «Oui, dit la jeune fille, il faut partir, et je veux partir avec vous.»

Une heure après, les deux femmes étaient à Tonnerre, où elles prenaient l'express pour Paris. Le soir, Geneviève partit par le train de Cologne, sans rencontrer le marquis de Fontaneilles, qui partait en même temps.

Qui peindrait jamais les angoisses de cette pauvre femme,—cette pauvre mère déjà, qui risquait son enfant pour son mari? Il n'y a que celles qui ont été trahies dans les joies de leur amour qui comprendront ces horribles douleurs.

Hyacinthe tentait de consoler la duchesse. «Non, non, disait
Geneviève, je suis comme ma mère: née pour aimer, née pour souffrir!»

A Cologne, la duchesse se sépara de Hyacinthe, quelles que fussent les prières de la jeune fille. «Non, Hyacinthe, je veux arriver à Ems toute seule et mystérieusement. Allez m'attendre à Parisis—vivante ou morte.»

XXVII

TOURNE-SOL ET LA TACITURNE

Cependant Parisis était arrivé seul à Ems par une de ces éclatantes journées de mai, qui font croire à l'amour ceux-là mêmes qui ne sont pas amoureux.

A la gare de Coblentz, Parisis avait rencontré Mlle Tourne-Sol et la
Taciturne, qui allaient tenter la fortune sur la rive étrangère.

Il les avait à peine saluées de la main, ne voulant pas refaire leur connaissance, se croyant devenu un homme tout à fait sérieux par son titre de mari et par son titre de ministre; mais à Ems, il s'aperçut, cinq minutes après son arrivée, qu'elles étaient, comme lui, descendues à Englischer-Hof.

Il pensa aller retenir sur la promenade un autre appartement. Il ne voulait pas être en pays—de connaissances—pour recevoir la marquise de Fontaneilles.

Mais il ne trouva pas mieux que l'hôtel d'Angleterre. En effet, l'appartement était vaste et il avait deux entrées. Et d'ailleurs Octave n'avait-il pas écrit à Mme de Fontaneilles qu'il l'attendait à l'hôtel d'Angleterre ou à l'hôtel de Russie? Or, à l'hôtel de Russie, il n'y avait rien à louer, hormis sous les toits.

Parisis essaya d'abord de vivre renfermé; il demanda à déjeuner; mais cela lui parut si triste de tenir compagnie aux gravures allemandes qui ornaient son salon de passage, qu'il ne put résister au plaisir d'aller déjeuner au soleil, devant la Conversation, comme il faisait à Bade,—comme on fait à Ems. «A la bonne heure, dit-il en écoutant la chanson du vin du Rhin tombant dans son verre, on peut déjeuner ici gaiement.»

Mais à peine lui avait-on servi un filet de chevreuil aux confitures de groseilles, que Tourne-Sol et la Taciturne vinrent se pencher au-dessus de lui. «Eh bien! voilà comme tu déjeunes sans nous, toi!» Elles étaient de si belle humeur, elles répandaient un si doux parfum de Paris, qu'un peu plus Octave leur disait de s'asseoir. Mais il les maintint debout, presque à distance, par ce simple mot: «Chut! j'attends la reine de Prusse.»

Les deux demi-comédiennes s'envolèrent comme deux oiseaux.

Mais elles n'allèrent pas loin; elles s'abattirent sous la prochaine branche et firent tout haut un menu franco-allemand des plus imprévus. Par exemple, elles demandèrent du vin de Champagne du Rhin; Octave ne fut pas peu surpris de voir qu'elles étaient plus savantes que lui sur ce sujet, puisqu'en effet on leur apporta du vin de Champagne du Rhin, un vin mousseux avec je ne sais quoi de sauvage dans le bouquet.

Parisis, tout en gardant sa sévérité, ne pouvait s'empêcher de songer un peu à ces bonnes années de sa vie où il vivait sans préjugés et sans soucis, ne craignant de s'attabler en plein soleil avec des comédiennes: Mais la vie ne se passe pas à déjeuner;—bien mieux, les hommes sérieux ne déjeunent pas,—hormis en voyage.

Cependant Mlle Tourne-Sol et la Taciturne, voyant que la reine de Prusse n'arrivait pas, se hasardèrent à envoyer une coupe pleine à Octave. Il ne fit pas de façons pour boire avec elles. Il regarda la coupe où pétillait le vin du Rhin mousseux et y trempa ses lèvres avec un sentiment de mélancolie. C'est que, sans le savoir, il buvait à la dernière coupe de sa jeunesse.

Il rentra chez lui sans avoir renoué conversation avec ces demoiselles. «Après tout, dit-il, la vraie sagesse, c'est la folie; ne ferais-je pas mieux de passer gaiement une heure avec ces deux toquées que de m'aventurer plus loin dans cette passion qui me fait peur?—moi qui n'ai jamais eu peur!»

L'immoralité qui rit est à moitié pardonnée; le seul péché sérieux, c'est l'immoralité sérieuse. Prendre une fille qui passe, c'est chasser sur ses terres; prendre la femme d'autrui, c'est voler une famille.

Ces idées traversaient l'esprit du duc de Parisis. «Et pourtant, dit-il, si jamais quelqu'un s'avisait de songer même à aimer Geneviève!»

C'était la première fois qu'il se sentait jaloux.

S'il eût été temps encore, peut-être eût-il envoyé une dépêche à Mme de Fontaneilles pour lui dire qu'il était forcé de quitter Ems à l'heure même. Mais il réfléchit que la marquise avait dû partir de Paris la veille. Et puis cet obstiné désir de prendre sa part dans la vie de toutes les femmes, l'aveugla encore. Il se raffermit dans sa nature en disant le vers de Byron;

«L'amour est un fruit qu'il faut cueillir au risque de casser la branche.»

Il écrivit à la duchesse.

Combien d'hommes divers dans un homme, combien de sentiments opposés dans un coeur.

Il attendait le soir la marquise de Fontaneilles et il écrivit une lettre tendrement amoureuse à sa femme. Les poètes à symboles ne marqueraient pas de dire que l'adultère ricanait devant l'amour conjugal. Voici la lettre:

«Ma Geneviève,

«Comme je suis loin de toi! j'ai beau me dire que tu es là dans mon coeur, dans mon esprit, dans mon âme: j'ai beau voir apparaître à toute minute ton admirable figure, je me sens triste; il me semble que je suis séparé de toi par un monde et par un siècle! C'est que tu m'as gâté; c'est que j'ai vécu de ton amour. Tu sais que tu m'as fait croire aux anges avant de croire à Dieu. Ah! ma chère Geneviève, pourquoi faut-il que l'homme soit quelque chose dans la vie? Si l'ambition allait m'exiler du bonheur! N'est-ce donc la sagesse de vivre avec toi à Parisis, dans l'oubli du monde, étouffant ma pensée sous la gerbe odorante de tes cheveux! Tes blonds cheveux, voilà la la vraie moisson, la moisson d'or. Le reste ne vaut pas la peine d'y aller.

«C'est égal, je te jure que je ne m'éterniserai pas à représenter mon souverain dans les capitales. Je ne veux vivre que pour toi, ce sera vivre pour moi.

«Adieu, ma douce adorée. Je rêve que tu viens t'incliner pendant que j'écris, pour me surprendre par un de ces divins baisers qui font refleurir mon front. Je me retourne, mais, hélas! tu n'es pas là! Et pourtant, il me semble que j'ai senti tes lèvres.»

«PARISIS.»

XXVIII

LA FEMME VOILÉE

Et là-dessus, le duc de Parisis monta à cheval et suivit la route d'Ehrenbreistein, tout en se rappelant les promenades de lord Byron sur ces belles rives du Rhin où les deux grandes figures poétiques de la Révolution—Hoche et Marceau—ont trouvé leur tombe héroïque. On pourrait y mettre pour épitaphe les paroles de Childe-Harold: «Brave et glorieuse fut leur jeune carrière, ils furent pleures par deux armées, celle qu'ils commandaient et celle qu'ils combattaient.»—Ah! dit Parisis, bien heureux celui qui meurt jeune,—plein de jours, —pour une grande pensée dans une grande action! C'est ainsi que je voudrais mourir.»

Le soleil allait se coucher dans un lit de pourpre,—éternelle formule des poètes qui s'obstinent à croire que le soleil est toujours la lampe d'or de la terre;—le crépuscule répandait ses mélancolies. Octave admirait ses paysages grandioses qu'il voulait vainement comparer à ceux de Parisis, où il avait accentué les sites sauvages. Il pensa à la duchesse et au doux horizon du parc où sans doute elle se promenait à cette heure. Tout à coup, un nuage de fumée appela ses regards et sa pensée. C'était le train du soir qui amenait de Coblentz les voyageurs venant à Ems. «Déjà!» dit-il.

Il s'imagina que la marquise de Fontaneilles arrivait alors; il rebroussa chemin, donna un coup d'éperon et rentra au galop à l'hôtel d'Angleterre.

C'était le moment où les voyageurs arrivaient eux-mêmes; il ne doutait pas que la marquise n'apparût tout à coup; mais trois calèches survin- rent avec des étrangers, sans qu'il reconnût Mme de Fontaneilles. «Pourquoi? se demanda-il. C'était pourtant bien aujourd'hui; elle a dû partir hier soir, elle avait dit qu'elle s'arrêterait à Coblentz pour n'arriver ici que la nuit. N'est-elle donc pas partie!»

Il avait commandé à dîner à l'hôtel; mais il ne toucha pas plus au dîner qu'il n'avait touché au déjeuner. Il alla dîner à sa table du matin sous les arbres du Casino. Mlle Tournesol et la Taciturne étaient aussi à leur table, elles avaient prolongé leur dîner, parce que Mlle Fleur-de-Pêche était fraîchement débarquée apportant des nouvelles de la Maison d'Or. Quoique devenu étranger au monde doré, Parisis ouvrit ses oreilles sans avoir l'air d'écouter.

Il apprit que le prince Bleu, qui se consolait avec Mlle Fleur-de-Pêche de la mort de Mme d'Antraygues, qu'il avait pleurée ostensiblement pour se donner des airs d'un homme à passions, était arrivé lui-même; mais il dînait à l'hôtel de Russie avec le duc H——, éperdument amoureux de Mlle Nimporteki et venant la surprendre à Ems.

Le duc de Parisis demanda du feu à ces dames pour allumer une cigarette. Quand il dînait seul, il avait l'habitude de fumer dans les entr'actes. «Sans écouter aux portes, dit-il à Fleur-de-Pêche, j'ai compris que le prince était venu avec vous.—Oui. Il va être enchanté de vous trouver.—Est-ce qu'il n'y avait pas d'autres Parisiens dans le train?—Non, c'était le train du silence.»

Et se reprenant: «Attendez donc, nous avons voyagé avec une dame voilée qui avait l'air d'aller à son enterrement, tant elle était vêtue de noir. Elle n'était ni dans le compartiment des des femmes, ni dans le compartiment des fumeurs, elle avait un coupé pour elle toute seule et sa confidente.»

Fleur-de-Pêche se mit à rire. «Pourquoi riez-vous? dit Octave avec émotion.—Je ris, parce que le prince Bleu, qui aime à faire des folies, a voulu monter avec elle comme s'il se trompait de bonne foi. Mais c'est une femme sérieuse, il a eu beau faire pour voir la couleur de ses paroles: Impénétrable comme une statue.—Est-ce qu'elle est descendue aussi à l'hôtel d'Angleterre?—Je ne l'ai pas vue depuis Coblentz.»

Octave ne douta pas que cette femme voilée ne fût la marquise de
Fontaneilles. Il retourna à l'hôtel d'Angleterre et alla à l'hôtel de
Russie, espérant la trouver, mais aucune femme voilée n'y avait paru.

Il ne restait plus à Octave qu'à s'attabler au trente et quarante pour tuer le temps.

XXIX

LES DEUX ATHÉES

Ce soir-là, Parisis perdit vingt-cinq mille francs en s'obstinant à la noire. Et il ne jouait pas son grand jeu. «Allons, dit-il en se levant quand ce fut fini, il paraît que je suis heureux en amour. Tous les bonheurs se payent cher.»

Il était irrité de sa déveine; il demanda un sorbet sous les arbres, à la belle étoile, tout en injuriant la rouge.

Un philosophe allemand qu'il avait connu à Paris, au dîner du Commandeur, vint s'asseoir à sa table. «Eh bien! monsieur le duc, vous avez perdu de belles batailles ce soir?—Oui, expliquez-moi pourquoi un homme qui joue si bien est battu par les cartes. Je commence à croire à la malice des choses plus qu'à la malice des hommes.—Et vous avez peut-être raison. Et pour commencer par le commencement, croyez-vous à Dieu?—Non. Et vous?—Moi, je crois à Dieu.—C'est étonnant, dit Parisis en regardant son philosophe, en France vous êtes athée, et en Allemagne vous êtes déiste?—J'ai changé d'opinion; un peu de philosophie éloigne de Dieu, beaucoup y ramène.—Voulez-vous prendre un sorbet?—Non, un verre de kirsch. Je suis de mon pays.—Et où voyez-vous Dieu?—Partout. Dans ce beau ciel étoile, qui est comme la couverture historiée du livre des mondes; sur cette terre, qui n'est que l'ébauche de l'oeuvre de Dieu. Que dis-je? Je le vois même en vous qui le niez.»

Un chien passait, qui s'arrêta, lui aussi, devant la table. «Voyez-vous Dieu dans cette bête?—Oui.—Alors ce chien a une âme, une parcelle de la divine intelligence?—Oui, il a une âme matérielle.—Je vous vois venir; vous donnez une âme aux bêtes et une âme aux gens; vous voulez que la première soit mortelle et la seconde immortelle. Croyez-vous donc qu'il y ait bien loin de l'âme du chien qui rêve sans nous écouter, à l'âme de notre voisin qui nous écoute en buvant de la bière et qui ne nous comprend pas? Croyez-vous que le chien ne raisonne pas aussi profondément que ce buveur de bière quand, à la chasse, il rapporte la perdrix à son maître? Pourquoi la rapporte-t-il, lui qui aime le gibier,—au bout du fusil?—C'est qu'il a le sentiment du bien et du mal. Pas un coup de dent, lui qui a faim, c'est stoïque! Mon cher savant, il ne manque à ce chien que de faire un cours à vos universités allemandes pour réduire ces raisonnements en syllogismes.—Peut-être, dit le savant devenu plus pensif, chaque pas qu'on fait dans la science est un pas dans l'abîme.—Voyez-vous, reprit Parisis, quand j'ouvre Malebranche, je suis effrayé de ces lignes: «Les bêtes perdent tout à la mort; elles ont été innocentes et malheureuses, mais il «n'y a point de récompenses qui les attende.» Ainsi, Dieu n'existe pas, puisqu'il n'est pas juste. A quoi servira-t-il au perdreau d'avoir été assassiné et mangé par moi? L'univers n'est qu'un vaste tombeau où s'éteint l'âme des hommes comme l'âme des bêtes.—L'univers est une vaste résurrection, parce que la vie est dans la mort comme la mort est dans la vie.—Et pourquoi passerions-nous dans un autre monde? Le nôtre est admirable; celui qui n'y trouve pas son idéal est un sot ou un rêveur. Mon idéal, je l'ai toujours saisi. Quoi de plus beau que la nature en fête? quoi de plus beau qu'un cheval de race? quoi de plus beau qu'une belle femme? quoi de plus beau que le ciel du soleil ou le ciel des étoiles? Si j'avais une prière à faire à Dieu, ce serait de me faire revivre dans ce monde-ci.»

Parisis ajouta en raillant: «D'autant que l'autre n'existe pas —Monsieur le duc, dit le savant, ce monde-ci n'est que l'ébauche de notre destinée.»

Octave se leva: «Adieu, mon cher savant, c'est assez bâtir sur sable. Rappelons-nous le mot de Gassendi: «Les philosophes qui parlent de l'âme sont confine ces voyageurs qui racontent ce qui se passe dans le sérail, parce qu'ils ont traversé Constantinople.»—Oui, mais si on parle du sérail, c'est que le sérail existe.—Ah! vous êtes entêtés, vous autres Allemands.»

Quand Octave fut seul, il leva les yeux vers les millions d'étoiles qui lui parlaient de l'infini. «Et pourtant, dit-il avec un mouvement d'enthousiasme, je serais si heureux si je pouvais croire en Dieu.»

Une femme se jeta à sa rencontre. Il reconnut la marquise de Fontaneilles. «Enfin! s'écria-t-il.—Oui, c'est moi, lui dit-elle en lui serrant la main et en appuyant son front rougissant contre lui. Mais chut! ma soeur est là qui marche en avant vers l'hôtel. Nous sommes arrivées tout à l'heure. Nous avons pris un appartement près du vôtre, mais nous sommes en voisinage d'un personnage prussien qui partira demain. Donc, à demain.»

Parisis voulut retenir la marquise. «Mais qui vous empêchera de venir ce soir causer avec moi!—Causer avec vous! Je ne sais pas causer à deux.»

La marquise le regarda avec une expression voluptueuse: «Non! demain.»
Et elle courut rejoindre sa soeur.

Il a fallu que Louis XIV aimât Montespan pour comprendre tout le charme divin de La Vallière, comme s'il fallait voir l'ange à travers le démon. Ce fut un peu le sentiment qui s'empara de Parisis quand il pensa à Geneviève après avoir dévoré d'un oeil ardent Mme de Fontaneilles, comme s'il prenait déjà une part des ivresses promises.

L'image mélancolique de Geneviève amena l'image désolée de
Violette,—puis celle de Mme d'Antraygues,—puis celle de Mme de
Revilly,—puis celles de tant d'autres qui avaient payé cher les
heures d'amour passées avec Parisis.

Ce fut la vision de Louis XIV, qui, près de mourir, vit apparaître tout éplorées les vingt femmes qu'il avait aimées et qu'il avait condamnées à toutes les misères, au repentir, au désespoir, à la mort: Marie de Mancini, Henriette d'Angleterre, La Vallière, Fontanges, Montespan, dont le cri de douleur retentira au delà des siècles. «Pauvres femmes! dit Parisis en voyant passer dans son souvenir toutes celles qui l'avaient aimé.—Après cela, reprit-il philosophiquement, bien heureuses celles qui meurent jeunes! Mourir jeune, dans la joie ou l'angoisse de l'amour, c'est aller au ciel—s'il y a quelqu'un là-haut!»

XXX

M. DE FONTANEILLES

À Ems, M. de Fontaneilles descendit au Kursaal; mais dès que ses bagages furent dans son appartement, il alla à l'hôtel d'Angleterre avec son sac de nuit.

Pourquoi ce sac de nuit? C'est qu'il portait à l'hôtel d'Angleterre ce qu'il avait de plus cher dans ses bagages:—ses pistolets,—son poignard espagnol,—son couteau malais.

Il savait déjà, par le cocher qui l'avait conduit au Kursaal, que le duc de Parisis était à l'hôtel d'Angleterre. Octave était naturellement le lion du pays, par son grand nom, par son grand air et par son grand jeu.

Le marquis demanda s'il restait quelque chose à louer au premier. On lui offrit deux chambres. Il arrivait à propos; celui qui les occupait, M. de Bismark, venait de partir pour Cologne. Il y avait trois portes sur le palier. M. de Fontaneilles entra chez lui par la porte du milieu. «C'est bien, pensa-t-il, je suis sûr d'être voisin de Parisis.»

Il ne discuta pas sur le prix. Voyant une porte condamnée: «Où donne cette porte?—Sur le salon de M. le duc de Parisis, dit l'hôtelier, qui était fier d'avoir un duc français tout au début de la saison.—Et quel est mon autre voisin?—Deux dames françaises venues cette nuit qui n'ont pas encore donné leur nom.—C'est bien, murmura le marquis, j'ai mis le pied dans le nid de vipères.»

Il dit tout haut: «Je laisse mon sac de nuit. Tenez, voilà mon nom.» Il donna la carte d'un marchand anglais qu'il avait gardée par mégarde:

————————————— | | |WILLIAMS COOLIDGE | | | |Mark-Lane, London. | | | —————————————

Il enferma son sac de nuit et retourna au Kursaal. Il ne reparut pas de la matinée. Mais vers trois heures, il demanda sa clef, une bouteille de kirsch, une plume et de l'encre, disant qu'il avait à écrire et priant qu'on le laissât en paix.

On le trouvait fort original et fort sombre; mais un Anglais!

Quand il fut seul, il parcourut l'appartement pour s'assurer que nul ne le pouvait voir, après quoi il tira de sa poche un marteau, une lime et un rossignol. Il venait d'apprendre que Parisis était monté en voiture, à deux heures, avec une dame voilée, accompagnée d'une jeune fille, pour aller se promener à la maison de chasse d'Oberlahnstein.

Le marquis s'avouait qu'il était arrivé trop tard; il ne doutait pas que la trahison ne fût consommée, il n'avait plus d'âme que pour la vengeance.

Tel était son aveuglement, qu'après avoir examiné la porte condamnée, il ne craignit pas de décider qu'il fallait scier les charnières sans s'inquiéter du bruit qu'il ferait. Il se mit à l'oeuvre, croyant que Parisis et sa femme ne rentreraient qu'à l'heure du dîner.

Le temps fut plus long qu'il n'avait cru; mais, armé de sa vengeance, il ne se reposa pas une minute. Au bout d'une heure, c'était fini. «Et maintenant, dit-il, cela ne m'empêchera pas de crocheter la serrure, pour faire moins de bruit; mais, quoi qu'il en soit, je suis sûr de les surprendre—et de les tuer!»

Disant ces mots, il s'agenouilla et pria Dieu. Voilà pourquoi Dieu pardonne souvent à ceux qui ne le prient pas.

XXXI

PROPOS PERDUS

Fleur-de-Pêche, Tourne-Sol et la Taciturne s'arrêtèrent vers deux heures sur le pont, pour voir passer au loin le duc de Parisis qui emmenait deux dames en promenade, la marquise de Fontaneilles et Mlle Clotilde de Joyeuse. «Oh! oh! dit Tourne-Sol, on nous enlève Parisis; c'est dommage, j'espérais qu'il jouerait pour moi. Dieu des décavés, ora pro nobis!—Ces princesses, dit Fleur-de-Pêche, n'ont-elles pas tous les privilèges? Elles vont à la cour, ce qui ne les empêche pas de venir nous prendre nos hommes jusque sur les tapis verts. N'est-ce pas, la Taciturne?—Question d'argent, dit celle-ci avec son indolence accoutumée.—Mais non, ce n'est pas une question d'argent; c'est une question de principes. Décidément, je finirai par le mariage. Je veux, moi aussi, aller partout.—Mais quand tu seras mariée, nous ne te recevrons plus.—Je m'en consolerai. Je prendrai ces grands airs que donnent l'hyménée et la vertu. Voyez ces dames: nous avons beau faire, elles ont un art de pencher la tête, des mouvements de cygne et de roseau que je ne puis pas attraper.—Est-il heureux, ce Parisis! car il est toujours dans les deux mondes, celui-là: il dîne de la messe et soupe du théâtre.—Mais non, ma chère, il est devenu un saint. Il nous parle encore, mais nous n'en ferons plus rien. Ni oui ni non, dit la Taciturne.—Quand je pense qu'il n'y a pas ici un seul Russe pour me venger de la rouge! reprit Tournesol. Encore si la Taciturne était plus expansive, elle séduirait son voisin un jouvenceau.—Oui, mais je suis désarmée.—Il est cousu d'or, demande au prince Bleu.—J'en accepte l'augure.»

Le prince Bleu, qui montait à l'autre bout du pont, fut bientôt près de ces demoiselles. «Dites-moi, leur demanda-t-il, je ne puis pas rencontrer Parisis; il n'est pourtant pas parti?—Parti! Il n'y a qu'un instant, il passait en calèche avec deux dames.—Est ce que sa femme est ici?—Chut! n'entrons pas dans la vie privée.»

Le prince Bleu, après avoir promis de présenter le voisin de la Taciturne, un jeune Russe qui voulait entrer à Paris par la porte d'Enfer, alla, pour la seconde fois, à l'hôtel d'Angleterre, questionner l'hôtelier sur Parisis. Etait-il venu seul? Quelles étaient les dames qu'il promenait? Reviendrait-il de bonne heure? «M. le duc est venu seul, dit l'hôtelier; mais je crois bien qu'il connaît les deux dames qui sont arrivées cette nuit.—Pouvez-vous me dire le nom de ces dames?—Oui, je viens de les inscrire: c'est si je me souviens bien, la marquise de Fontaneilles et sa soeur, Mlle de la Gaieté.—Vous voulez dire Mlle de Joyeuse.—-Ah! oui, dit l'hôtelier, qui pensait en allemand; je traduisais mal.»

Le prince s'éloigna. «Que diable tout ce monde-là fait-il ici?» Il rencontra Monjoyeux: «Vous ici! par quel miracle?»

Monjoyeux arrivait en toute hâte de Paris, parce qu'un modèle—la soeur de la femme de chambre de Mme de Fontaneilles—lui avait appris l'histoire du rendez-vous à Ems et le départ du marquis.

Il était parti lui-même, pressentant un malheur.

Monjoyeux n'avait qu'un ami: il veillait sur lui. Il ne voulut rien dire au prince, craignant que cet évaporé ne mît le feu aux poudres.

Le duc de Parisis rentra à l'hôtel d'Angleterre à onze heures, avec la marquise de Fontaneilles et Mlle de Joyeuse. Il avait dîné avec elles dans une villa voisine.

Le duc et la marquise ne s'étaient pas dit un mot d'amour, mais quelle adorable causerie des yeux!

A l'hôtel, Octave serrant la main de Mme de Fontaneilles, avait dit tout haut: A demain, pour Mlle de Joyeuse, mais il avait dit tout bas: A minuit.

Et il était sorti pour passer l'heure d'attente à la salle de jeu.

XXXII

OU ÉTAIT LA DUCHESSE DE PARISIS?

Elle était arrivée à la station d'Ems à une heure; elle s'était logée tout à côté en donnant un nom quelconque; elle s'était bientôt hasardée dans les promenades qui bordent la rivière, mais se dérobant à chaque instant pour n'être pas reconnue.

Elle avait bientôt vu ce qu'elle brûlait de voir, ce qu'elle n'aurait pas voulu voir: Parisis se promenant avec Mme de Fontaneilles et Mlle de Joyeuse. La jeune fille n'était pas pour les amoureux un témoin bien embarrassant, car elle courait les buissons et ne s'occupait ni de leurs oeillades ni de leurs causeries. Au détour d'une allée, comme Geneviève s'était approchée, emportée malgré elle, elle avait vu Parisis qui saisissait la marquise par la ceinture pour l'embrasser en plein soleil. «Ah! c'est un coup de poignard,» dit-elle en portant la main à son coeur. Elle voulut se montrer, mais elle eut le courage de se contenir et de s'en aller, craignant un éclat public, car des promeneurs s'étaient approchés.

Elle était rentrée en proie à mille desseins contraires. «J'en mourrai,» disait-elle à chaque instant. Et elle avait écrit plusieurs lettres à son mari, à la marquise, à Mlle Hyacinthe; mais ces lettres, on les retrouva inachevées le lendemain.

Le soir, Geneviève s'était décidée à aller à l'hôtel d'Angleterre. Comme elle passait devant le palais de la Conversation, elle avait rencontré Parisis qui venait de conduire Mme de Fontaneilles et qui revenait à la salle de jeu. Le nom d'Octave échappa aux lèvres de la duchesse, quoiqu'elle eût résolu d'arriver chez lui incognito. Parisis retourna la tête, très surpris de reconnaître la voix de Geneviève. Il lui saisit la main. «C'est toi?—Je sais que vous ne m'attendiez pas.—Comme je suis heureux de te retrouver!»

Ce mot était si bien dit, que toute la jalousie de Geneviève tomba presque comme par enchantement. Mais elle se rappela le baiser à la promenade. «Et la marquise? dit-elle,—La marquise, elle devient folle, répondit Parisis, elle est ici, elle ne sait pourquoi. Elle dit pour sa poitrine, moi je dis pour son coeur. Je l'ai promenée aujourd'hui avec sa soeur, pour lui faire des remontrances.—En l'embrassant?—Oui, comme un bon prédicateur que je suis: je ne veux pas la mort du pécheur.»

On sait que Parisis avait par excellence l'art de conjurer toutes les tempêtes de l'amour. Il n'avait peur de rien, parce qu'il était fertile en ressources: tromper, toujours tromper, c'était son jeu. Geneviève le trouva si calme, si souriant, si amoureux, qu'elle ne voulut plus lui parler de Mme de Fontaneilles; elle pensa que le marquis avait été aveuglé par la jalousie, et qu'entre son mari et la marquise il n'y avait eu qu'une simple rencontre de hasard à Ems.

La duchesse eut pourtant le courage, en entrant à l'hôtel d'Angleterre, de demander à Parisis pourquoi il se hâtait si lentement d'aller à son poste. «Tu sais, ma chère amie, lui répondit-il, que j'ai gardé quel- ques-unes de mes mauvaises habitudes. J'aime toujours le jeu.» Et après un silence: «Mais j'aime bien mieux l'amour.» Et il prit Geneviève dans ses bras avec toute la douceur pénétrante de la véritable passion.

Une des filles dé l'hôtel, qui avait vu les manèges de Parisis et de Mme de Fontaneilles, ne put s'empêcher de dire en voyant Octave si amoureux de sa femme: «Eh bien! Dieu merci, que va dire l'autre tout à l'heure!»

Parisis avait voulu que Geneviève soupât. Peut-être espérait-il pouvoir s'échapper un instant pour avertir la marquise; mais Geneviève, qui n'avait pris depuis le matin que du thé et du café, ne voulut pas souper. Après avoir été toute à sa douleur, elle était toute à sa joie: elle embrassait Octave et le dévorait des yeux. Son bonheur, qu'elle croyait perdu, elle le retrouvait plus rayonnant.

Que se passait-il dans le coeur d'Octave? S'il était inquiet, il cachait bien son inquiétude. «Tu sais que je vais me coucher, lui dit tout à coup Geneviève. Et moi donc, lui répondit-il.» Sur ce mot elle jeta ses gants sur le canapé, et décoiffa d'un revers de main son mari qui, sans doute, n'avait gardé son chapeau que pour pouvoir sortir encore.

Geneviève qui, à Parisis comme à Champauvert, passait une heure le soir à se déshabiller, ne fut pas cinq minutes cette nuit-là, d'autant plus que Parisis y mit la main avec sa grâce accoutumée.

* * * * *

Or, M. de Fontaneilles était à son poste; avec une vrille, il avait percé deux trous imperceptibles pour voir le spectacle.

Mais contre son attente, on ne venait pas dans le salon, on restait à causer dans la chambre à coucher.

XXXIV

L'HEURE D'AIMER

La porte qui s'ouvrait de la chambre à coucher sur le salon était fermée. M. de Fontaneilles entendait vaguement un bruit de voix sans qu'une seule parole vînt à son oreille.

Que se disait-on? Il écoutait avec anxiété, il regardait avec fureur le sillon de lumière qui passait sous la porte. «Oh! ma vengeance,» dit-il en se contenant.

On causait toujours. Après une heure d'attente, la porte s'ouvrit. Octave seul passa dans le salon. Que venait-il y faire? il n'y apporta pas de lumière, mais la lumière de la chambre le suivit d'un pâle reflet.

La chambre de la marquise de Fontaneilles avait une porte sur ce salon: Octave tentait-il de lui donner des nouvelles? La duchesse appela son mari. Octave retourna dans la chambre sans refermer la porte.

Alors M. de Fontaneilles vit, à demi masquée par Octave, une femme qui le pressait amoureusement sur son sein.

Le marquis rugit. Il avait entendu cette parole—ce cri d'un coeur éperdu: «Ah! si tu savais comme je t'aime!»—«Elle ne m'a jamais dit cela!» dit-il en étouffant sa voix.

Il regardait toujours. Octave commença à déshabiller Geneviève avec sa grâce accoutumée. Et, tout en la déshabillant, il lui baisait les cheveux, il lui baisait le cou, il lui baisait les bras.

M. de Fontaneilles voyait mal, mais il voyait trop.

Et quand la robe tomba, Octave prit doucement Geneviève et la porta sur le lit avec les paroles les plus amoureuses. «Il me semble qu'il y a un siècle!» dit-elle.

Parisis alla fermer la porte ouverte sur le salon. Cette fois, le marquis ne vit plus rien et n'entendit plus rien. Sa curiosité fébrile le clouait encore à la porte condamnée.

Tout à coup, il arracha cette porte. Il saisit le poignard,—il avait le revolver dans sa poche,—il se précipita dans la chambre à coucher.—Tout aveuglé et tout éperdu il frappa.

Octave se défendit mal, parce qu'il fut surpris se déshabillant.

Quoique la femme fût presque nue, elle se jeta hors du lit pour se précipiter au-devant du furieux, comme pour préserver Parisis. En se jetant hors du lit, elle renversa le candélabre, les bougies s'éteignirent.

Mais M. de Fontaneilles, voyant une forme blanche devant lui: «Toi aussi, je te tuerai!» dit-il en rugissant comme une bête fauve.

Il avait déjà blessé Parisis.

Avant que Parisis se fût jeté entre l'assassin et sa femme, l'assassin eut le temps de frapper. Et il frappa au coeur.

Geneviève poussa un cri: «Octave, je meurs! je meurs!»

M. de Fontaneilles n'était pas assouvi; pendant que sa femme entraînait Parisis qui l'avait prise dans ses bras, le marquis frappa encore.

Parisis cria avec l'effroi de toutes les douleurs: «Geneviève!
Geneviève!»

Frappé au côté, ne s'inquiétant que de sa femme, qui tombait à moitié morte dans ses bras, il n'avait pas reconnu M. de Fontaneilles, il ne comprenait rien à cet assassinat.

A ce cri d'Octave appelant Geneviève, M. de Fontaneillés eut peur. Déjà quand Geneviève avait dit:—Octave, je meurs!—, il avait pensé que sa femme parlait à son amant en déguisant sa voix.

Il courut dans sa chambre et revint avec une bougie.

Il vit la duchesse de Parisis mourante, mais s'agitant encore sous les baisers et sous les cris d'Octave.

Alors il s'enfuit épouvanté, laissant tomber son poignard.

Octave venait de tout voir et de tout deviner. Tout ensanglanté, il ramassa le poignard et courut sur le marquis.

Il était effrayant: le visage livide, les traits contractés, les yeux injectés de stries sanglantes.

Quand le marquis vit accourir Octave, il saisit un des deux pistolets qui étaient sur la table. «N'avancez pas, lui cria-t-il, n'avancez pas ou je vous tue.»

Octave avança, et, frappant au bras M. de Fontaneilles, il détourna le coup.

La balle alla trouer une boiserie et briser bruyamment un miroir dans la chambre voisine.

C'était la chambre de Mme de Fontaneilles.

Elle ne savait pas que Geneviève fût venue à Ems non plus que M. de
Fontaneilles.

A cette heure même, la marquise, aveuglée par son amour, se demandait pourquoi Octave ne lui faisait pas signe, puisqu'il avait été convenu qu'à minuit, pendant le premier sommeil de Mlle de Joyeuse, elle irait, de son pied léger, continuer sa causerie amoureuse avec Parisis.

En attendant, elle se mirait et se trouvait belle. Elle avait les deux battements de coeur de celles qui attendent.

Au coup de pistolet, mille éclats de la glace volèrent sur elle. Elle fut stoïque et ne cria pas.

Il restait assez du miroir pour lui montrer qu'elle était défigurée.

Mlle de Joyeuse, presque endormie dans une chambre à côté, accourut, poussa un cri et recula avec effroi devant ce spectacle. «Ma soeur! ma soeur!—Chut! prions Dieu, Clotilde,» dit Mme de Fontaneilles en tombant évanouie.

Mlle de Joyeuse essuyait de ses mains et de ses lèvres le sang qui perlait sur la figure de sa soeur.

La femme adultère était frappée à jamais dans ce qu'elle aimait le plus: sa beauté!

XXXIV

LE JUGEMENT DE DIEU

Parisis avait renversé le marquis de Fontaneilles; il avait frappé deux fois déjà… «C'est une lâcheté! dit le marquis, je suis désarmé.—Une lâcheté! dit Octave avec amertume; est-ce que ma femme était armée?—Vous savez bien que je croyais frapper ma femme.»

C'était la première fois que le mot lâcheté résonnait aux oreilles de Parisis. Il domina toutes ses colères et toutes ses douleurs. Il se releva et dit avec calme: «Eh bien! il vous reste un pistolet chargé: voulez-vous le jugement de Dieu?—Le jugement de Dieu! dit le marquis se relevant aussi. Vous ne croyez pas à Dieu!»

Ce fut à cet instant que Mlle de Joyeuse jeta un cri en voyant sa soeur toute sanglante.

Octave crut entendre la voix de Geneviève et courut à elle.

Il lui parla et l'embrassa comme s'il voulût lui donner son âme pour la ranimer.

La lune répandait sur la figure de la duchesse un pâle sillon de lumière.

Geneviève avait les yeux ouverts, mais elle ne voyait plus Octave.

Il s'agenouilla: «Oui, le jugement de Dieu! dit-il avec désespoir; le jugement de Dieu, puisque tout est fini.»

Et comme si Geneviève dût l'entendre: «Geneviève! Geneviève! mon adorée Geneviève, attends-moi!»

Il l'embrassa encore. «Non, dit-il, l'âme n'est pas morte!» Et levant les yeux dans la nuit, cet athée s'écria: «Credo!»

Cette fois, il eut des larmes. Il lui sembla qu'il revoyait déjà au ciel sa mère et sa femme.

Mais le marquis attendait. Il retourna vers lui. «Voyons, dit-il, j'ai hâte.—Moi aussi, dit M. de Fontaneilles. Voilà deux pistolets, tous les deux sont couverts de sang: prenez!»

Mais Parisis dit qu'il reconnaissait celui qui venait d'être tiré.

Le marquis déplia une serviette, la jeta sur les pistolets et les tourna trois fois. «Prenez donc!» dit-il avec impatience.

    Parisis, toujours galant homme, écrivait sur le coin d'une table:
    «Je me bats en duel avec M. de Fontaneilles.

«DUC DE PARISIS.»

Ce 28 juin, minuit et demi.

A son tour, le marquis de Fontaneilles écrivit:

«Je me bats en duel avec M. de Parisis.

«MARQUIS DE FONTANEILLES.»

Ce 29 juin, minuit et demi.

Le duc croyait que toute la nuit appartenait au jour passé. Le marquis comptait, en homme ordonné, le jour nouveau à partir de minuit. Voilà pourquoi on trouva deux dates: le 28 juin et le 29 juin.

Parisis mit la main sous le repli de la serviette et prit un pistolet. Quand il l'arma, il lui sembla, malgré son émotion, tant était grande son expérience des armes, que le canon de ce pistolet était encore tiède comme si on venait de s'en servir. «Dieu me condamne, Geneviève m'appelle,» dit-il en levant fièrement la tête.

Les deux adversaires se placèrent presque l'un contre l'autre, le doigt sur la détente, la gueule du pistolet à peine à dix centimètres du coeur.

Eclairés par la flamme vacillante d'une bougie, ils se regardèrent un instant d'un terrible regard; ils entendirent battre leur coeur sous le canon des pistolets. «Un, dit Octave.—Deux, dit M. de Fontaneilles.—Trois, dit Octave.»

Une détonation retentit dans le silence de la nuit.

M. de Fontaneilles vit le dernier des Parisis, frappé d'une balle en pleine poitrine, faire quelques pas en arrière.

Tout à coup, ressaisissant un éclair de vie, Octave alla d'un pas rapide tomber avec un grand cri de douleur sur le sein de la duchesse de Parisis.

Elle eut encore un tressaillement.

XXXV

MONJOYEUX

Quoiqu'il fût minuit et demi, quelques joueurs attardés avaient reconduit après souper Mlles Fleur-de-Pêche, la Taciturne et Tourne-Sol jusqu'à la porte de l'hôtel d'Angleterre.

Ces deux dames ne recevaient pas intrà muros.

On entendit le coup de pistolet qui frappait Parisis. «Entendez-vous? dit un joueur, c'est un décavé qui joue à la rouge.»

Horrible mot, quand on pense à tout ce sang répandu.

Le prince Bleu devisait gaiement avec ces demoiselles; il avait rencontré à onze heures Parisis et sa femme qui allaient entrer à l'hôtel d'Angleterre; ils lui paraissaient si heureux, qu'un rayon lui était venu jusque sur la figure; il n'avait jamais été si gai.

Cette détonation l'inquiéta pourtant.

Ce fut alors qu'un homme, plus inquiet que lui, arriva dans le groupe et demanda de quoi il était question. C'était Monjoyeux, suivi bientôt de Villeroy qui était arrivé par le train du soir.

Quand on leur eut répondu qu'on venait d'entendre une détonation: «Oh! mon Dieu! s'écria Monjoyeux, il y a là-haut un assassinat.»

On voyait courir des lumières dans l'hôtel, on criait et on parlait haut.

Monjoyeux carillonna pour entrer. La porte s'ouvrit. Le prince Bleu s'élança désespéré.

Monjoyeux allait le suivre, mais M. de Fontaneilles sortit.

Monjoyeux remarqua qu'il était tout couvert de sang. «On ne passe pas, lui dit-il en l'arrêtant.—Pourquoi? demanda froidement le marquis.—Parce que vous ressemblez à un homme qui fait son crime.—Moi! Je ne fuis pas. Cet homme m'avait pris ma femme, je vais tout droit me constituer prisonnier.—Eh bien! vous êtes mon prisonnier,» dit Monjoyeux. Et quand il eut appris l'horrible tragédie: «Va! lui dit-il, je t'abandonne à toi-même, va cuver ton sang!»

Mais le ressaisissant: «Tu m'as tué mon seul ami; tu porteras un jour ma marque, si tu es absous.»

Le rude Monjoyeux pleurait comme un enfant. Et comme à toutes choses il y a une moralité, Monjoyeux ajouta: «Il faut en finir une fois pour toutes avec ces hommes qui assassinent les femmes. Dieu merci! la peine de mort contre la femme est abolie.»

Monjoyeux courut vers Parisis. Il lui sembla qu'il tressaillait encore. Il voulait l'embrasser; mais, quand il le vit couvrant de ses mains et de sa figure la chaste nudité de Geneviève, il tomba agenouillé et il éclata en sanglots.

Le médecin qui était survenu, les supplia, lui, Villeroy et le prince Bleu, de sortir de cette chambre sanglante, où tout le monde voulait entrer. «Oui, dit Monjoyeux, allons-nous-en. C'est la chambre nuptiale de la mort. Que personne ne la profane.» Et après avoir respectueusement baisé la main de la morte, il ajouta: «Demain j'y reviendrai seul.»

Mais le lendemain, quand il revint, on lui dit que son ami était déjà dans le cercueil. Il rencontra dans l'escalier de l'hôtel une femme qu'il avait vue à Paris au bras d'Octave.

C'était la Femme de Neige.

Elle lui tendit la main: «Tout est fini!» dit-elle tristement. Il voulut lui parler, mais elle passa rapide et mystérieuse.

XXXVI

UNE NOUVELLE A LA MAIN

Madame d'Argicourt était sérieusement malade. Elle aussi avait perdu son amant; elle aussi s'était réveillée de toutes ses illusions. Horrible réveil, quand déjà la jeunesse décline et qu'on n'espère plus reprendre pied dans le pays de l'amour. Cette femme, si vive et si gaie, toute emportée par la force de sa nature, devait tomber d'un seul coup comme ces arbres branchus qui appellent la foudre.

Une soeur de charité la veillait.

C'était une jeune religieuse, pâle et méditative, qui lui était venue par son médecin ou par son confesseur, je ne sais pas bien.

La jeune religieuse, toute à ses livres de prières, ne semblait rien savoir des choses de ce monde. On apportait les journaux de sport, de haute vie, de nouvelles à la main à Mme d'Argicourt, la soeur de charité ne les lisait jamais.

Mais un soir, comme Mme d'Argicourt s'impatientait dans la fièvre, elle lui dit: «Ma soeur, je vous en prie, lisez-moi les journaux, faites-moi oublier que je souffre.»

La religieuse tenta de la convaincre que si elle écoutait quelques lectures pieuses elle sentirait comme par miracle ses douleurs s'apaiser, tant les légendes chrétiennes sont un baume sur toutes les douleurs, même sur les douleurs corporelles, puisque, selon l'apôtre, il n'y a que l'âme qui vit. Là est le vrai stoïcisme.

Mais enfin, pour complaire à la malade, la religieuse ouvrit le premier journal venu.

Elle promena ses regards çà et là. D'où vient que la première chose qu'elle lut fut cette nouvelle à la main toute fraîche venue d'Ems par le télégraphe, comme s'il se fût agi d'un événement politique?

«La ville d'Ems inaugure mal sa saison. Voici, en quelques mots, la tragédie épouvantable dont cette petite ville, toujours si gaie, vient d'être le théâtre. Il y a là un dénouement pour les faiseurs de drames.

«Un duc célèbre dans le monde parisien était arrivé hier sans sa duchesse. Il paraît qu'il venait à Ems pour y rencontrer une belle marquise parisienne.

    «Mais le duc et la marquise avaient compté sans la duchesse et le
    marquis.

    «Or, la duchesse arrive à temps et prend sa place le soir dans le
    lit du duc, c'était son droit; c'était son devoir.

«Mais, par malheur, le marquis, en proie à sa fureur jalouse, ne doute pas qu'il va trouver sa femme dans le lit du duc; dans son aveuglement, il se précipite, il entend parler une femme, la jalousie lui dit que c'est la sienne, il est armé d'un poignard. Il veut frapper le duc, peut-être pour frapper la femme ensuite.

«Le duc était debout, se déshabillant; la femme était déjà couchée. Au premier coup de poignard, la femme se précipite; dans son aveuglement, le marquis la frappe à son tour.

«Il frappe au coeur.

«Le duc est blessé et la femme tuée. Rien ne peut peindre cet horrible carnage.

«Ce n'est pas tout: duel au poignard, duel au pistolet, jugement de Dieu, que sais-je! Le duc est tué, le marquis s'est livré à la justice allemande.

«On n'a pas de nouvelles de la marquise.

«C'est d'autant plus épouvantable, que le duc et la duchesse s'adoraient. On sait qu'ils étaient encore dans leur lune de miel. Mais n'est-ce pas bien mourir que de mourir heureux?

«Et maintenant, on se demande ce que faisait là une dame étrangère connue à Paris sous le nom de la Femme de Neige?

«Tout est mystérieux en cette tragédie d'Ems.»

La religieuse ne lut tout haut que les premières lignes de cette «nouvelle à la main.» Mme d'Argicourt se souleva. «Lisez, lisez, ma soeur. Je suis sûre que c'est le duc de Parisis. Oh! mon Dieu! mon Dieu! quel malheur!»

Mme d'Argicourt s'aperçut alors que la religieuse venait de tomber évanouie.

XXXVII

LES ROSES FANÉES

Cette dépêche de Bade avait averti d'Aspremont, qui était alors en
Bourgogne:

    M. le comte d'Aspremont à Dijon. Ami, allez nous attendre à Paris.
    Épouvantable malheur. Duc et duchesse assassinés. Funérailles
    mardi.

MONJOYEUX.

D'Aspremont courut au château de Parisis. Il y trouva, dans la chambre de la duchesse, Mlle Hyacinthe, à peine revenue de Cologne. Elle avait le matin cueilli des roses pour Geneviève. Elle venait, elle aussi, de recevoir, une dépêche de Monjoyeux.

Quoique d'Aspremont connût à peine la jeune amie de la duchesse, il se jeta dans ses bras et pleura avec elle. «Voyez-vous, lui dit-il, je ne retrouverai jamais un ami comme de Parisis. Brave comme le feu, généreux comme l'or, celui-là ne se marchandait pas. Il donnait son coeur et son âme comme sa fortune. C'est un deuil pour tout Paris! car il était partout la joie et la vie.—Et la duchesse? s'écriait Hyacinthe en éclatant dans ses sanglots, c'était la plus adorable de toutes les femmes: la beauté, la vertu, lâchante. Elle n'avait pas sa seconde, si ce n'est la Violette.»

D'Aspremont fut touché des larmes de Mlle Hyacinthe. Il n'avait jamais si bien pleuré. «Dieu ne voulait pas qu'ils fussent heureux, lui dit-elle, car Violette était morte pour eux.—Qui vous a dit que Violette fût morte? dit d'Aspremont. Je suis sûr que je l'ai reconnue à Paris aux filles repenties, quoiqu'elle se cachât bien.—Oh! dites-moi que Violette n'est pas morte; si vous saviez comme nous nous aimions! Si vous saviez comme la duchesse aimait sa cousine! Il n'y a pas une fleur ici qui n'en témoignerait.»

Mlle Hyacinthe eut un sourire à travers ses larmes. «Geneviève, reprit-elle, effeuillait tous les jours des milliers de roses en souvenirs de Violette. Les pauvres roses de Parisis et de Pernan, qui donc les cueillera?»

Hyacinthe montra à d'Aspremont une couronne de roses blanches qu'elle avait jetée sur le lit de la duchesse. «Ce lit, dit-elle, où on ne la couchera plus, même dans la mort! Ce lit où j'espérais la voir mère!»

D'Aspremont eut à cet instant comme une vision de sa vie future: il sembla que ces roses déjà fanées étaient jetées sur le tombeau de son coeur. Il se jeta dans les bras de Hyacinthe comme un désespéré qui voudrait mourir.

Hyacinthe ne comprenait pas; elle s'imagina un instant que d'Aspremont l'aimait. Mais d'Aspremont n'était si triste que par prescience: comme un spectateur au théâtre de sa vie, il voyait le drame avant que le rideau fût levé. «Que m'importe moi-même, dit-il à la jeune fille; mon vrai désespoir, c'est la mort de Parisis. Que ferai-je sans lui, maintenant!»

Et ce fut à Paris le cri de tous les amis d'Octave, tant il était l'âme de toutes ses belles folies.

XXXVIII

VIOLETTE ÉTAIT-ELLE MORTE?

Celui qu'on surnommait le prince Bleu, le marquis de Villeroy et Monjoyeux accompagnèrent au château de Parisis les dépouilles mortelles du duc et de la duchesse. Monjoyeux avait des bouffées de colère contre ce jeu de hasard que d'autres appellent la destinée. Villeroy était grave, triste et silencieux: un chagrin diplomatique. Le prince était méconnaissable. Il sentait qu'il avait perdu celui qu'il aimait, lui aussi, comme son seul ami.

On se racontait dans ce pèlerinage de la mort tous les épisodes amoureux d'Octave de Parisis. Il semblait que la vie parisienne fut déjà en deuil. Qui donc vivrait si bravement dans toutes les aventures, dans le luxe inouï, dans les élégances exquises; une fois encore le beau monde avait perdu son d'Orsay.

Les trois amis parlaient de Geneviève comme d'une soeur et comme d'une sainte.

Quand on arriva devant le château, qui ce jour-là riait au soleil, on vit, appuyée sur Mlle Hyacinthe, une religieuse voilée, qui descendit le perron et qui fit le signe de la croix sur les deux cercueils recouverts de velours.

La religieuse était blanche comme un linceul; elle ressemblait à ces figures d'Angelico da Fiesole qui n'ont plus rien de la terre. Aussi était-ce un étrange contraste que de la voir soutenue par Mlle Hyacinthe qui, quoique toute à sa douleur, gardait l'éclat de ses vingt ans.

C'était l'image de la mort soutenue par la vie.

Monjoyeux demanda à Mlle Hyacinthe si cette religieuse était de la famille. «Vous ne la connaissez donc pas?—Dites-moi son nom.—Elle s'appelle Louise de la Miséricorde, comme Mlle de la Vallière.»

La religieuse avait posé ses deux mains sur les deux cercueils, comme si elle eût senti battre encore le coeur d'Octave de Parisis et de Geneviève de La Chastaigneraye. «Octave, murmura-t-elle, priez Dieu pour moi!»

XXXIX

LA LEGENDE DES PARISIS

Les funérailles du duc et de la duchesse de Parisis appelèrent au château le beau monde qui naguère était venu si joyeux aux noces d'Octave et Geneviève.

Mais il y eut des absents.

Ce pauvre château de Parisis! un instant réveillé pour les fêtes, désormais le campo santo d'une grande famille dont le nom ne retentira plus!

Après les funérailles, dans la crypte des tombeaux, la religieuse ne dit qu'un seul mot, le mot de Geneviève:—C'EST LA!—

Et elle montra les deux cercueils.

Monjoyeux ne dit qu'un seul mot à la religieuse: «Ma soeur ainsi le voulait la légende des Parisis, qui a dit:

L'AMOUR DES PARISIS DONNERA LA MORT, L'AMOUR DONNERA LA MORT AUX PARISIS.

La soeur de charité murmura: «Oui, puisque je suis morte pour ce monde.»

XL

FRAGMENT D'UNE LETTRE DE MONJOYEUX

On donnera ici quelques lignes d'une lettre écrite par Monjoyeux à celui qui a conté cette histoire:

N'imprimez pas encore le mot FIN. Il n'y a jamais de dénouement dans les histoires de ce monde. La mort ne tue ni l'âme le souvenir, ni la passion. Le tombeau n'est pas le néant; ne parle-t-il pas à ceux qui survivent? Que de chapitres à travers la mort! Demandez à Violette, cette autre Louise de la Miséricorde, qui porte son linceul, mais qui ne peut pas mourir.

Demandez à Mme d'Antraygues, à Mme de Fontaneilles, à Mme de Hauteroche, à toutes celles que nous avons vues dans les pâleurs de la passion.

Violette me disait hier: «Pourquoi la tombe ne s'ouvre-t-elle pas pour moi, puisque je traîne mon suaire!» Et elle ajouta: «Mourir d'amour, c'est vivre deux fois: de la vie présente et de la vie future.»

La pauvre et douce Violette avait raison. C'est une vraie femme celle-là, une figure et un coeur, une âme dans la passion!

    Plus je vais, plus je reconnais la supériorité de la femme.
    Qu'est-ce que l'homme? Un rhéteur. Notre ami Octave n'était pas un
    rhéteur. C'était la jeunesse emportée par la passion.

Pauvre Parisis! J'ai pleuré sur son tombeau; mais je ne puis croire qu'un homme si vivant soit couché dans un linceul. Quand je vois une belle femme, il me semble toujours qu'il n'est pas loin.

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