Les historiettes de Tallemant des Réaux, tome quatrième: Mémoires pour servir à l'histoire du XVIIe siècle
MÉNAGE[126].
Ménage est fils d'un avocat du Roi d'Angers: il fut quelque temps ici au barreau, mais sans plaider. Il est vrai qu'il n'y étoit pas sans parler, car il disoit tout ce qui lui venoit à la bouche, et médisoit du tiers et du quart. Il n'a jamais plaidé qu'une cause, à ce qu'on dit, encore ne fut-ce à Paris, et ne put-il achever, car il demeura court. Ce fut pour cela, dit-on, qu'il quitta le palais; c'étoit aux grands jours de Poitiers. Là il devint amoureux d'une dame, et fit assez rire le monde, car il avoit des galants[127] vert et jaune, et il alla voir comme cela feu M. Talon qu'il connoissoit. En causant, M. Talon lui arracha presque tous ses galants. Son père lui donna sa charge: il ne la fit que six mois, et après la rendit à son père; cela les mit mal ensemble. Il disoit, pensant dire une belle chose, qu'il ne s'étonnoit pas de n'être pas bien avec son père, qu'il lui avoit rendu un mauvais office. Il disoit aussi de son père qu'il étoit comme Jean de Vert, qu'il ne donnoit point de quartier, voulant dire qu'il ne lui payoit point sa pension. Et dans les lettres qu'il lui écrivoit, il ne pouvoit s'empêcher de le railler.
Sans connoître autrement Patru, il disoit de lui, parce qu'il le trouvoit toujours propre, «que c'étoit Orator optimè vestitus ad causas dicendas[128].» A Angers, quoique tout Angevin, pour l'ordinaire, soit goguenard et médisant, il étoit fort décrié pour la médisance. Une fille (mademoiselle de Mouriou), dont nous parlerons ailleurs, lui en faisoit un jour la guerre. «Mais savez-vous bien, lui dit-il, ce que c'est que médisance?—Pour la médisance, dit-elle, je ne saurois bien dire ce que c'est; mais pour le médisant, c'est M. Ménage[129].» Il étoit sujet à la sciatique. A Angers, il souffrit fort patiemment qu'on lui appliquât des fers chauds à l'emboîture de la cuisse, et n'en fut pas pourtant guéri. Il étoit beau garçon; mais il n'a jamais eu une santé vigoureuse.
Il disoit qu'il y avoit trois plaisants prédicateurs à Angers: Costar, qui n'avoit qu'un sermon; le prieur des Matras, qui n'en avoit que la moitié d'un, car il demeura à mi-chemin, et le prieur de Pommier, qui demeura la bouche ouverte, et ne prononça pas une parole.
Il disoit que la traduction de M. d'Ablancour étoit comme une femme d'Angers qu'il avoit aimée, belle, mais peu fidèle. D'Ablancour le laissoit dire, et disoit: «Nous sommes amis; mais je ne prétends pas l'empêcher de babiller. Nous faisons comme l'empereur et le Turc qui laissent un certain pays entre eux deux, où il est permis de faire des courses sans rompre la paix.»
Après une épreuve qu'on venoit de faire que les chiens ne mangeoient point de viande noire, Ménage dit à une dame fort brune: «Regardez, vous n'êtes pas bonne à donner aux chiens.»
Montmort, le maître des requêtes, qui est de l'Académie, et s'appelle Habert, parent de l'abbé de Cerizy, dit qu'il faudroit obliger Ménage à se faire de l'Académie, comme on oblige ceux qui ont honni des filles à les épouser.
Il ne fut pas plus tôt de retour de la province, qu'il débuta par une satire contre toute l'Académie; c'est ce qu'il appelle la Requête des Dictionnaires. C'est ce qu'il a fait de meilleur, quoique la versification n'en soit nullement naturelle, et qu'il y ait par endroits bien de la traînasserie. En ce temps-là il logeoit chez un auditeur des comptes, nommé Aveline, qui avoit épousé la sœur de Ménage; c'étoit au-devant du logis de madame de Cressy[130], fille de La Martellière, fameux avocat. Cette femme étoit fort coquette, et toute propre à faire donner dans le panneau un homme de lettres comme Ménage; d'ailleurs elle étoit ravie d'avoir un homme de réputation pour son mourant[131]. Comme il conte volontiers tout ce qu'il croit à son avantage, il a conté à quiconque a voulu l'entendre, que cette femme l'aimoit, et qu'il en avoit eu assez de faveurs; mais, par ma foi, elle s'en moquoit. Il se pique d'être galant; cependant je l'ai vu dans l'alcôve de madame de Rambouillet se nettoyer les dents par dedans avec un mouchoir fort sale, et cela durant toute une visite. Cette madame de Cressy a dit qu'il faisoit le désespéré devant elle, jusqu'à se donner de la tête contre la muraille; mais il prenoit garde que ce fût en un endroit où il y eût une baie de porte ou de fenêtre derrière la tapisserie. Ce ne fut pas faute d'occasion s'il n'en vint à bout, car s'étant brouillé avec son beau-frère, Cressy le prit en pension. Il fit long-temps le fou; il se guérit; il eut des rechutes, témoin l'élégie où il y avoit:
Logé dans votre hôtel, assis à votre table, etc.[132].
Peut-être l'a-t-il changé. D'ailleurs le mari cherchoit fortune où il pouvoit, n'étoit point jaloux, et la dame ne passoit pas pour fort cruelle. On en avoit fort médit avec M. de La Vrillière, et on appeloit certaines avances, qui avoient figure de cornes, que Cressy avoit faites à une maison qu'il a fait bâtir dans une place qui venoit de La Vrillière, les cornes de Cressy. A la fin lui et la dame se querellèrent tout de bon; car l'ayant rencontrée en une visite, ils se harpignèrent. Elle lui dit qu'elle ne l'avoit jamais trouvé bon qu'à être le précepteur de ses enfants, que c'étoit un beau prêtre crotté (il porte toujours la soutane): «Vraiment, lui répondit-il, vous n'en êtes pas de même; on vous lève si souvent vos jupes qu'elles n'ont garde d'être crottées.»
Il eut prise avec l'abbé d'Aubignac sur une comédie de Térence, et ils ont écrit l'un contre l'autre; Ménage n'est pas le plus fort[133]. Pour exercer son humeur mordante, il s'avisa de faire la Vie de Montmaur, le Grec; c'étoit un impertinent et insolent pédant; mais, ma foi, il falloit bien avoir envie de mordre pour s'amuser à mordre un pauvre diable comme celui-là. Cependant tout un temps ce fut la mode, car le centon latin que Ménage fit contre (j'appelle ainsi cette Vie[134] composée de pièces rapportées des anciens) réussit assez, et ce fut ce qui servit le plus à le faire entrer chez l'abbé de Retz, qui, sur la recommandation de M. Chapelain principalement, le reçut de fort bonne grâce; car n'ayant point de chambre chez lui (il étoit déjà au Petit Archevêché), il envoya ordre partout le cloître de ne louer aucune chambre à M. Ménage, et il lui en loua deux à ses dépens quasi vis-à-vis de son logis.
Ogier, le prédicateur, fit en ce temps-là un sonnet qui disoit qu'il étoit surpris de voir que Ménage persécutoit un pédant bien moins pédant que lui. On croit que ce maltalent[135] d'Ogier vient de ce qu'un jour qu'il avoit prêché, Ménage, à la collation du prédicateur, dit:
A la santé de monsieur Ogier! (bis.)
Ogier crut qu'il vouloit dire qu'il avoit déjà prononcé deux fois ce sermon. Cela étoit peut-être vrai; mais l'autre n'y pensoit pas, il n'est pas malin. Ogier est hargneux et grossier, et peut-être aussi pédant pour le moins qu'un autre. Pour l'éloquence, il se prend pour le premier homme du monde. On les accommoda.
Ce fut après l'édition de la Vie de Montmaur, et des vers latins et françois, que Ménage et ceux à qui il en avoit demandé avoient faits[136], que la Requête des Dictionnaires courut les rues. Girault, beau garçon, qui étoit l'apprenti de Ménage, comme Pauquet[137] l'est de Costar, dit que Montreuil, surnommé le fou, lui avoit escroqué cette pièce. Je ne sais ce qui en est, mais l'auteur est assez vain pour l'avoir laissé aller. Plusieurs de l'Académie s'en offensèrent, mais surtout Bois-Robert qu'il y traitoit de patelin et de s......., sans qu'il lui eût jamais rien fait. Bois-Robert fit une méchante réponse, et après il fit amitié avec lui. Les plaintes de Bois-Robert et des autres recommencèrent quand Ménage, faisant imprimer ses Miscellanea, y mit cette pièce, lui qui avoit dit qu'elle avoit couru sans son consentement. Bois-Robert dit qu'un de ses neveux, qui portoit l'épée, attendit Ménage trois heures à une porte du cloître pour lui donner des coups de bâton, mais que Ménage sortit par l'autre. Il fit une satire contre Ménage, où il l'accuse de se servir de Girault à bien des choses. Cette seconde querelle se raccommoda comme la première, mais il faut avouer qu'il n'y a guère l'exemple d'une pareille chose, qu'on aille imprimer une pièce comme celle-là, qui est contre tout un corps d'honnêtes gens, et qu'on ait la hardiesse d'y mettre son nom; c'est là qu'est ce livre adoptivus, à la manière de Balzac; car, pour grossir son volume, il y a ajouté toutes les pièces qui s'adressèrent à lui.
Il avoit déjà imprimé, avant cela, les Origines de la langue françoise, qui est la plus utile chose qu'il ait faite; sa vanité y paroît encore, car en un endroit il dit: «Cela se prouvera par la Relation que M. de Loire[138] me doit dédier.» Et de Loire ne la lui dédia point.
Vaugelas, Chapelain, Conrart et les politiques de l'Académie, craignant sa mordacité, se firent de ses amis. J'ai cent fois ri en mon âme de voir ce pauvre M. de Vaugelas envoyer bien soigneusement l'un après l'autre les cahiers de ses Remarques sur la langue françoise à un homme qui n'a nul génie, et qui ne s'entend point à tout cela, quoiqu'à le voir faire, il semble qu'il n'y ait que lui qui s'y entende. Pour Chapelain, comme j'ai remarqué ailleurs, il lui montrait tout ce qu'il faisoit; et, quand il crut mourir, il avoit ordonné que ce seroit Ménage qui reverroit la Pucelle; cependant il avoit avoué à Patru que ce n'étoit qu'un étourdi. Il n'a pas épargné la Pucelle non plus que les autres. Pour moi, je ne nierai pas qu'il n'ait bien la lecture, que ce ne soit, si vous voulez, un savantasse (il ne l'est pas tant pourtant qu'on disoit bien), mais il n'écrit point bien, et pour ses vers il les fait comme des bouts rimés; il met des rimes, puis il y fait venir ce qu'il a lu, ou ce qu'il a pu trouver. Il a dit parfois les choses assez plaisamment; mais ce n'est nullement un bel esprit. Sa vision d'écrire en tant de langues différentes, car j'espère qu'au premier jour il écrira en espagnol, est une preuve de la vanité la plus puérile qu'on puisse avoir. D'Ablancour lui disoit: «J'ai mauvaise opinion de tes vers grecs, car je les entends trop aisément.» Je ne veux pas dire qu'il ait de la malice, mais au moins n'a-t-il guère de charité ni de jugement. Il se mit à décrier les sonnets de Gombauld, et porta chez MM. Du Puy, qui ne s'y connoissoient point, les premières feuilles de ses poésies. On le pria de ne point nuire à ce pauvre homme. Il retourne chez MM. Du Puy, et dit devant cent personnes: «Je n'oserois plus rien dire de Gombauld, car ses amis m'en ont prié.»
A la vérité, on ne peut pas nier qu'il ne serve ses amis quand il peut; mais on ne sauroit aussi nier qu'il ne s'en vante furieusement. Il n'est point intéressé; mais, comme nous le verrons par la suite, il fait aussi terriblement le libéral, et encore plus l'homme d'importance. Il a quelque fierté, et jamais personne n'a plus fait claquer son fouet: il est de ceux qui perdroient plutôt un ami qu'un bonnet. Dès qu'on parle de quelque chose: «Vous souvient-il, dit-il, du mot que je dis sur cela?» car jamais il n'y eut une plus sèche imagination, et il n'entretient les gens que de mémoire. Toutes les fois qu'il a mangé chez moi, nous avons pris plaisir à lui faire dire une même sottise. On n'avoit qu'à lui dire: «Monsieur Ménage, je vous prie, donnez-moi une pomme de reinette; il me semble que vous vous y connoissez bien.—Vous avez raison, disoit-il aussitôt, car je me pique de me connoître en trois choses, en œufs frais, en pommes de reinette et en amitié.» Voyez le bel assemblage. Cela me fait souvenir de M. de Mâcon (Lingendes), qui disoit «que les trois livres qu'il aimoit le mieux, c'étoit la Bible, Érasme et l'Astrée.» Et aussi de M. de Beaufort. Un jour qu'il étoit chez madame de Longueville, cette princesse dit qu'il n'y avoit rien au monde qu'elle haïsse plus que les araignées; mademoiselle de Vertus dit qu'elle ne haïssoit rien tant que les hannetons. «Et moi, dit M. de Beaufort, je ne hais rien tant que les mauvaises actions.» Voilà qui étoit à peu près assorti comme les œufs frais, les pommes de reinette et l'amitié.
D'abord, comme c'étoit par estime que l'abbé de Retz l'avoit voulu avoir, il fut comme une espèce de petit favori; mais cela ne dura pas toujours. Il se vouloit tirer du pair, et se mêloit même de donner des avis aux autres de la maison. Rousseau, l'intendant, qui étoit bien avec le coadjuteur, ne fut pas fâché que notre homme donnât prise sur lui; et le docteur Paris, un fin Normand qui avoit autrefois servi le coadjuteur dans ses études, homme accrédité de longue main, et duquel il sera parlé souvent dans les Mémoires de la Régence, car il a rendu de grands services au coadjuteur durant la Fronderie, et encore plus durant sa prison. Je dirai, en passant, que ce docteur, ayant un procès avec l'abbé de La Victoire pour un bénéfice (il en plaidoit toujours plusieurs à la fois), le coadjuteur voulut les accommoder. Paris lui dit: «Monsieur, taillez, rognez, faites comme il vous plaira.» Ce Paris donc étoit fort familier avec le coadjuteur. Ménage s'avisa de lui dire qu'il ne vivoit pas avec assez de respect; cet homme le remercia bien humblement, et un jour que quelqu'un, comme Bragelonne, qui étoit de longue main au coadjuteur, et qu'il avoit fait chanoine, s'émancipoit un peu: «Chut! lui dit Paris, en lui montrant Ménage du doigt, vous aurez tantôt une censure.»
Il dit familièrement qu'il ne voit que lui d'homme d'honneur. Il s'étoit engagé à un de ses amis, nommé Lafon, de lui faire obtenir de M. le chancelier des lettres de vétéran au parlement de Rouen, où il n'avoit guère été conseiller. M. le chancelier lui dit: «Cela n'est pas juste, monsieur.—Pour une chose juste, je ne vous la demanderois pas en grâce; je l'ai promis, il faut bien que cela soit.» Le chancelier le fit. A Servien, il s'agissoit des gages d'un cocher chassé, il dit: «Monsieur, pour les cinquante écus dont il s'agit, j'ai promis de les lui faire toucher; je les paierai si vous ne les payez.» Servien les paya.
Le coadjuteur prit quelque temps après un Ecossois, nommé Salmonet, qui devoit être évêque en son pays, mais qui fut contraint d'en sortir à cause des troubles. Il a des lettres, et ne manque point d'esprit: je suis assuré qu'il vendroit Ménage et le livreroit sans que l'autre s'en aperçût. Le coadjuteur lui fit donner une pension du clergé, car il s'étoit fait catholique; outre cela, le coadjuteur prit encore deux ecclésiastiques. Regardez combien en voilà, sans compter un vieux prêtre qui avoit été son précepteur et qui lui servoit d'aumônier. Cependant le coadjuteur n'avoit jamais un ecclésiastique avec lui, mais parfois son écuyer ou un autre gentilhomme. Le père de Gondy s'en fâcha. Il fallut donc mener des gens d'Église. Ménage s'en plaignoit hautement, et disoit que de toutes les visites qu'il faisoit avec M. le coadjuteur, il n'y en avoit aucune qu'il ne pût faire de son chef; les autres, qui s'estimoient autant que lui, n'y vouloient point aller s'il n'y alloit, et ne trouvoient nullement bon qu'il se prétendît mettre entre leur maître et eux.
La Fronde l'acheva, car il se mit à pester, et disoit qu'elle lui ôtoit trois mille livres de rente en bénéfices qu'il auroit sans doute si M. le coadjuteur ne s'étoit point avisé de fronder. Non content de cela, il disoit des choses dont il se fût fort bien passé: «A quoi bon tenir table, disoit-il, quand on doit, et qu'on n'a encore récompensé personne?» Après, il blâmoit toujours le parti du coadjuteur.
Avant la Fronde, il avoit déjà témoigné assez de chagrin d'être à quelqu'un, surtout depuis la mort de son père, qu'il se voyoit du bien honnêtement; mais il eût bien voulu faire rouler un carrosse, et, pour cela, il lui falloit demeurer chez le coadjuteur. «Morbleu! disoit-il quelquefois, je veux faire plus de bien à Girault que M. le coadjuteur ne m'en fera.» Cependant, c'est une chose constante, qu'il est obligé au coadjuteur et au grand abord de sa maison, de presque toute la réputation, et de presque toutes les connoissances qu'il prise le plus, je veux dire celle des grands seigneurs et des grandes dames. Enfin, le coadjuteur s'en fâcha, et, en pleine table, aussi imprudemment que l'autre, dit tout haut, Chapelain y étant présent, que Ménage étoit un étourdi, et pria Chapelain de lui dire qu'il n'étoit nullement satisfait de sa petite conduite[139]. Ménage s'emporta, dit qu'il avoit fait trop d'honneur au coadjuteur. «Si je jouissois de mon bien, dit-il, si l'Anjou étoit paisible, je le planterois là.» Et après il fut quatre jours sans aller chez lui. Chapelain raccommoda la chose, et fit tant que le coadjuteur alla chez Ménage, le prit par la main et le mena dîner avec lui. L'été suivant, dans le dessein d'aller en Anjou, où il vouloit mener deux laquais, il en prit un de plus, et le faisoit manger chez le coadjuteur. Cela n'étoit pas raisonnable, et on ne souffre point ces choses-là dans les grandes maisons, à cause des conséquences; on lui en dit quelque chose; il répondit que ce n'étoit que pour huit jours. Ce laquais y fut quatre mois, et Ménage vouloit que l'argentier prît tant par jour pour la dépense de son laquais, «ou bien, disoit-il, je jetterai cet argent dans la rivière.—De quelle manière mettrai-je cela sur mon compte, disoit cet homme, et prétendez-vous que M. le coadjuteur ait tenu le laquais de M. Ménage en pension?» Au retour, ce même laquais y fut encore un mois.
Il fait profession d'être le plus fier des humains, et dit familièrement qu'il ne voit que lui d'honnête homme. Si fier se prend simplement pour vain, d'accord; mais vous voyez bien que l'affaire de ce laquais n'a que voir avec le magnanime. Il se trouvera par la suite quelque autre chose qui n'y convient peut-être pas plus que celle-là. Son orgueil est bon à quelque chose, à rabattre le caquet à des petits Barillon et autres jeunes gens comme cela.
Quand il vit le coadjuteur cardinal, il se radoucit pourtant un peu pour lui. En ce temps-là lui et Girault se séparèrent. Il s'est vanté diverses fois qu'il avoit donné mille écus à Girault pour amortir la pension d'une prébende du Mans qu'il lui avoit fait avoir; qu'outre cela, il lui donnoit trois cents livres de pension viagère, et qu'il l'avoit fait faire bibliothécaire de M. le cardinal de Retz. Ce petit fat de Girault devint tout-à-coup si fier qu'il fit son apologie à un homme qui le rencontra à pied dans la rue Coquillière, disant qu'il n'avoit pu trouver de chaise.
Ménage, entre autres dames, prétendoit être admirablement bien avec madame de Sévigny la jeune[140], et mademoiselle de La Vergne, aujourd'hui madame de Lafayette. Cependant Le Pailleur m'a juré qu'il leur avoit ouï dire qu'elles aimoient mieux Girault que lui, et qu'elles le trouvoient plus honnête homme; et la dernière, un jour qu'elle avoit pris une médecine, disoit: «Cet importun Ménage viendra tantôt.» Mais la vanité fait qu'elles lui font caresse. Il y a bien des hommes qui ont cette foiblesse. Un jour qu'il étoit chez Nanteuil, le graveur, avec Lionne qui se faisoit faire sa taille-douce, il parloit sans cesse et disoit «qu'il avoit sept cents pistoles qui ne devoient rien à personne; qu'il avoit envie de les employer à un voyage de Rome.—Vous ferez bien mieux, lui dit Nanteuil, de m'en envoyer dix que vous me devez de reste de votre portrait.» Cela le mortifia un peu. Il y a autour de ce portrait: Ægidius Menagius, Guillelmi filius. Son père a fait je ne sais quel petit Traité. «Venez une autre fois tout seul, dit Nanteuil à Lionne.—Voyez-vous, dit l'autre, cela nous sert dans le monde de mener de ces beaux-esprits avec nous.»
Il est quelquefois bien grossier et bien peu civil chez lui; il s'est rogné une fois les ongles devant des gens avec lesquels il n'étoit point familier. Je lui ai ouï dire à deux fort jolies femmes, et il n'y en a pas à la douzaine d'aussi bien faites: «Mesdames, excusez si je vous rends si peu de visites, je ne vois plus que des héroïnes.» Un jour il étoit dans le carrosse de M. de Laon, fils du maréchal d'Estrées; Quillet y étoit aussi. M. de Laon lui dit: «Il faut que j'aille chez M. de Senecterre (Ménage ne le connoissoit pas), après nous irons nous promener.» M. de Senecterre n'y étoit point: «Dites, dit M. de Laon, que c'est l'évêque de Laon, qui étoit venu pour avoir, etc.—Dites, dit Ménage ensuite, qu'un nommé Ménage étoit aussi venu pour avoir l'honneur de le voir.» Quillet, quelques jours après, alla chez la comtesse de Charrost avec M. de Laon. Elle n'y étoit pas: «Dites, dit-il, que c'est l'évêque de Laon.—Dites, ajouta Quillet, que c'est aussi M. Ménage qui, etc.» M. de Laon dit que madame de Sévigny est dans les ouvrages de Ménage ce qu'est le chien du Bassan dans les portraits de ce peintre; il ne sauroit s'empêcher de l'y mettre.
Quelquefois il a mieux rencontré que cela, témoin un jour que le feu premier président voulant dire le conte de Du Montier, le Bourguemestre de Sodome, et ne sachant que mettre au lieu de Sodome, Ménage dit: «Il ne faut que dire, Bourguemestre de Vendôme.»
J'ai déjà remarqué ailleurs qu'il n'étoit pas aimé chez le cardinal de Retz, si ce n'est des gens de livrée et des bas officiers, à cause qu'il leur donnoit les étrennes avec trop de profusion. Outre cela, il se vantoit d'être libre, de n'être à personne. Il disoit des choses messéantes à table, comme de dire que le petit Scarron alloit tenir b..... de filles et de garçons à Saint-Cloud, pour gagner plus que la Durier; tantôt il alloit en Italie, tantôt en Suède, dont la Reine lui avoit envoyé une chaîne d'or; je crois que ce fut pour l'épître qu'il lui fit en lui dédiant les vers de Balzac, car je ne pense pas qu'il y en ait une plus pédantesque au reste du monde. Il y a quelque chose de démonté dans cet esprit, car au même temps qu'il faisoit le libéral, qu'il disoit qu'il n'étoit à personne, il ne laissoit pas d'envoyer quérir tous les soirs sa chandelle chez le cardinal, quoiqu'il ne fût plus logé si près de chez lui, et il se faisoit fort bien saigner, quand il en avoit besoin, par le chirurgien des domestiques, avec lequel on étoit abonné à quinze sols pour saignée; cela se voit par les comptes qu'on m'a voulu montrer.
Il se vantoit d'avoir plus acheté de Cyrus que personne, et d'en avoir le moins lu. Il employoit son argent à aller en chaise, à faire peindre celle-ci ou celle-là, et à envoyer tous les livres nouveaux au maréchal de Brezé, qui, à la vérité, lui demandoit souvent son mémoire; mais Ménage n'avoit garde de le lui envoyer. Le maréchal avoit tort. Ménage, comme j'ai dit, n'est pas vilain, mais il est vain à outrance.
Tout ce que j'ai dit faisoit qu'il n'y avoit pas un ecclésiastique, pas un suivant chez le cardinal qui ne lui en voulût; il arriva une aventure qui le fit bien voir. Un président de Pau, qui croyoit avoir obligation à Rousseau, comme intendant du cardinal de Retz, le convia à dîner dans un jardin avec l'abbé Rousseau son frère, Ménage, Salmonet et cinq autres personnes de la maison. On fit carrousse[141]; on se jeta des bouteilles et des verres après dîner dans ce jardin (c'étoit au mois d'août 1652). Rousseau et trois autres prirent Ménage en badinant, et, l'élevant en l'air, se mirent à dire: «Voilà notre philosophe, il faudroit le mettre dans ce tonneau, ce seroit Diogène.» Ménage crut qu'on se vouloit moquer de lui; il dit qu'il ne prenoit point plaisir à cela, et en mordit un bien serré. Rousseau en voulut faire réprimande à Ménage, quoique le blessé n'en eût pas fait grand bruit. Ménage ne reçut pas bien cela; ils se querellèrent; Rousseau lui donna un soufflet, et son frère l'abbé, qui est un vrai crocheteur, lui donna en même temps un coup de poing à assommer un bœuf, comme s'il falloit tant de gens contre un philosophe. Salmonet voulut faire passer tout cela pour jeu d'ivrognes; l'intendant offrit de lui demander pardon, et son frère aussi, et d'avouer qu'ils étoient ivres: Ménage n'y voulut point entendre, et s'en alla tout furieux dire au cardinal, après lui avoir fait ses plaintes, qu'il ne lui demandoit pas qu'il chassât son intendant qui, quoique insolent, fripon, stupide, lui étoit pourtant nécessaire; mais qu'il le supplioit de lui permettre par un billet signé de sa main de lui faire donner des coups de bâton; et qu'à moins de lui laisser prendre cette petite vengeance, il sortiroit de la maison. Avez-vous jamais vu une plus belle proposition? Le cardinal le regarda comme un homme en colère, tâcha de l'apaiser, mais pourtant ne le mit point en balance avec son intendant. On en fit des contes par la ville. Mademoiselle de Longueville s'en moqua, et on disoit qu'on avoit joué d'une étrange façon à Remue-Ménage; et, pour faire l'histoire meilleure, on disoit que Ménage étoit entré d'un côté en criant au cardinal de Retz: Sire, sire, justice! et que Rousseau de l'autre avoit dit: «Ah! sire, écoutez-nous, etc.[142].» Dans sa fureur Ménage disoit qu'il feroit donner des coups de bâton à Rousseau; que pour cent pistoles il le pouvoit faire assassiner; que dès le soir même on s'étoit offert à lui pour cela. Depuis, il mit de l'eau dans son vin, et se contenta de sortir d'avec le cardinal de Retz. Quelques-uns de ses amis vouloient qu'il y demeurât, et qu'il essuyât plutôt toutes les railleries qu'on pouvoit faire, que de n'avoir pas de quoi vivre comme il avoit accoutumé; d'autres dirent qu'il avoit bien fait. Pour moi, je lui dis que j'eusse pris congé du cardinal avant tout cela, car il ne savoit que trop qu'il n'y étoit plus bien.
Depuis la plainte qu'il fit au cardinal de Retz, il ne mit pas le pied chez lui, ni le cardinal ne lui fit pas dire la moindre parole de consolation, ni ne lui parla point d'aller à Compiègne avec lui, quoiqu'il y menât tout son monde. Il s'en plaignit hautement, dit qu'il avoit mangé douze mille écus à son service, et perdu dix ans de temps. Le cardinal disoit que Ménage ne lui avoit jamais rendu le moindre service en tout ce temps-là. Ménage dit et écrit à toute la terre que s'il n'eût point été au cardinal, Boislève[143] ne lui eût point enlevé une prébende d'Angers qui lui venoit par l'indult que lui avoit donné M. de La Margrie; mais que M. le chancelier ne la voulut jamais signer, et lui en envoya faire des excuses, disant qu'il en avoit ordre: «Ni le cardinal Mazarin, ajoutoit-il, ne m'eût point ôté le joyeux avénement sur Angers que M. de Lionne m'avoit fait avoir.» Mais, comme j'ai déjà remarqué, ni La Margrie ni Lionne ne lui eussent rien donné s'il n'eût été comme le petit favori du coadjuteur. Enfin, le cardinal de Retz a été ravi de s'en défaire.
Sarrazin, son ami, ayant appris cette aventure, lui fit écrire par le prince de Conti. La lettre étoit fort civile; le prince lui demandoit son amitié, et Sarrazin lui offroit toutes choses de sa part, mais il n'accepta point, «parce que, disoit-il, il ne vouloit plus de maître.» Ce lui fut une grande consolation que cette lettre, car il la porta trois mois dans sa poche, et la lisoit à tout le monde.
A un an de là ou environ, mademoiselle de Rambouillet lui fit un étrange compliment: «Monsieur, lui dit-elle, j'ai ouï dire que vous me mêliez dans vos contes, je ne le trouve nullement bon, et vous prie de ne parler de moi ni en bien ni en mal.» Pour moi, si elle m'en avoit dit autant, je n'aurois pas mis le pied à l'hôtel de Rambouillet qu'elle n'eût été mariée, quoique ce soit peut-être un terme bien long[144]. Il ne laissa pas d'y aller et de manger même avec elle à la table de M. de Montausier. Cela ne s'accorde guère avec ce qu'il conte de M. de Rohan-Chabot: «M. de Rohan, disoit-il, qui m'avoit quelque obligation, car je l'ai servi en ce que j'ai pu, et je lui conseillai de se battre après qu'il fut marié (il me sembloit qu'il avoit besoin d'un combat), s'avisa de me dire que dès qu'il seroit à Angers il feroit mettre mon frère, lieutenant particulier, en prison (c'est qu'il étoit maire et ne s'accordoit pas avec lui). Je ne pus souffrir cela, et lui en dis mon sentiment. Depuis, je le saluai très-humblement chez madame de Sévigny en une petite chambre, face à face: il n'ôta point son chapeau. Je déclarai à tout le monde et à ses gens que je ne le saluerois plus: je ne l'ai jamais salué depuis. A Angers, il m'auroit fait assommer: à Paris, on a une liberté qui ne se peut payer.»
Pour subsister, Ménage vendit une terre, qu'il avoit eue en partage, à M. Servien, qui lui fait la rente de l'argent au denier dix-huit. En ce temps-là on le pria de faire quelque chose pour le bonhomme Gombauld; Servien promit de lui faire toucher quinze cents livres, mais il ne se hâtoit pas autrement. Ménage lui déclara qu'il ne signeroit point le contrat de vente de cette terre (que Servien avoit achetée) qui étoit à la bienséance de Sablé, qu'il ne lui tînt parole touchant M. Gombauld. Et cela fut fait; mais il l'a tant chanté que Gombauld ne put s'empêcher de faire cette épigramme, car quoiqu'il ne l'ait point montrée, et qu'il le nie comme beau meurtre, je suis certain que c'est ce qui lui en a fait venir la pensée. La voici:
Il disoit aussi: «M. Servien et M. le premier président sont de mes amis; Scarron me divertit; par leur moyen je lui ai fait toucher treize cents livres; et à cause de madame de Rambouillet, deux cents livres à ce pauvre diable de Neuf-Germain[146].» A l'entendre, mademoiselle Scudéry ne touchoit de l'argent que par son moyen. Trillepert[147], que Sarrazin et lui ont cabalé depuis long-temps, et qui se croit un grand personnage, à cause qu'ils l'ont mis dans un dialogue, lui donna son indult qu'il mit sur Clugny. Cela lui a valu le prieuré de Montdidier qui, dit-on, est, en bon temps, de quatre mille livres de rente; il a eu bien des procès pour cela, et je ne sais où il en est présentement, mais il est M. l'abbé; il n'a pourtant point de carrosse encore.
Ménage de tout temps avoit aimé à voir bien du monde chez lui: quand il fut sorti de chez le cardinal de Retz, il se mit à faire une espèce d'académie où M. Chapelain a encore moins manqué qu'au samedi; il y a bien du fretin. Je ne sais quel président mena une fois son fils à Ménage, c'étoit au mois de septembre, et le pria de trouver bon que ce jeune garçon allât à ses petites académies; Furetière, qui étoit présent, dit malicieusement à ce président: «Mais, monsieur, vous ne songez pas qu'il n'est pas encore la Saint-Rémi.» C'est cette ridicule académie qui a fait faire tant d'épigrammes et de bagatelles contre M. Chapelain et les autres, car ce fut là que les petits Linières, les petits Boileau, etc., firent connoissance avec Chapelain; et Linières ayant offert à M. Chapelain de le mener chez une dame avec laquelle il vouloit faire connoissance, Chapelain s'y fit mener par un autre, ne voulant pas peut-être être présenté de sa main; cela lui fit faire une ou deux épigrammes contre lui, et ensuite contre Conrart, Pellisson, mademoiselle de Scudéry, et enfin contre les principaux de l'Académie, jusques au marquis de Coislin: même on disoit que celui-là le devoit payer pour tous les autres.
Ménage fit en ce temps-là l'églogue intitulée Christine; il la fit imprimer avec ce titre:
CHRISTINE.
ÉGLOGUE.
On dit que le commandeur de Souvré dit, en voyant cela: «Je ne croyois pas que la reine de Suède eût deux noms,» et qu'on lui fit accroire qu'il y avoit une famille d'Églogues comme de Paléologues. Je ne saurois croire que cela soit vrai; le commandeur n'est pas tel qu'on l'a chanté; il est toujours fâcheux qu'on lui ait mis cela sur la tête. Or, il faut conter d'où vient l'Avis à Ménage[148] sur cette églogue. Boileau[149], jeune avocat de vingt-deux ans, fils du greffier de la grand'chambre, porta un jour à Ménage une élégie latine qu'il avoit faite; car il veut faire des vers et en latin et en françois, quoiqu'il n'y soit nullement né; Hallé, poète royal, étoit alors avec Ménage. Boileau dit qu'Ægidius Menagius, Guillelmi filius, le traita fort de petit garçon en présence de cet homme, et lui dit: «Nous lirons cela une autre fois; mais lisez mon élégie latine à la reine de Suède; vous en apprendrez plus là que chez tous les anciens.» Le jeune homme, qui naturellement est mordant, fut bien aise d'avoir trouvé un homme sur qui il y avoit à mordre; mais il ne considéroit pas qu'il imitoit celui à qui il donnoit sur les doigts en entrant comme lui dans le monde par une médisance; il fit l'Avis à Ménage. Bautru, que Ménage croyoit de ses meilleurs amis, en eut une copie, je ne sais comment; car le jeune homme, qui avoit tant promis de n'en point donner, fit comme Ménage à la Requête des Dictionnaires; il la montra au premier président, qui dit à Boileau, qui s'étoit attaché à lui, qu'il la falloit faire imprimer. Le premier président n'avoit trouvé nullement bon que Ménage les eût mis, Servien et lui, comme des égaux; il lui conseilla d'y ajouter quelque chose sur la pédanterie, en cet endroit où il dit que
«Voyez-vous, lui dit-il, si vous étiez des gens d'épée, il y auroit du danger; mais pour des gens de lettres, ils ne versent que de l'encre.» Au bout de quelque temps on vit cet Avis imprimé. Le petit Boileau dit qu'il en avoit donné copie au bon homme Pailleur, et qu'à sa mort, quelqu'un, l'ayant trouvée dans ses papiers, la fit imprimer. Le Pailleur en avoit donné copie à mademoiselle de La Vergne; Ménage l'a su, et il en a été furieusement piqué. Mais ils ont fait leur paix. Il y avoit trois mois que cette pièce couroit, mal imprimée et pleine de fautes, que Ménage, qui l'avoit vue, à ce qu'il dit, ne savoit de qui elle étoit. Quand il sut qui l'avoit faite, la colère le saisit; il vouloit répondre. Chapelain lui conseilla de n'en rien faire. En effet, qu'y avoit-il à dire contre un garçon qu'on ne connoissoit point encore? et pour la critique, c'eût été une chose pitoyable et que personne n'eût lue. Il y eut quelque misérable réponse d'un certain Le Bret qui alloit à son Académie; mais on conseilla à Ménage de la faire supprimer; en effet, il en acheta tous les exemplaires. Il changea donc de batterie, et dit: «Pour Boileau le fils, n'importe, pourvu que le père n'écrive point contre moi.» Et quand on lui demanda: «Qu'avez-vous fait à ce garçon?» il répondit: «Je lui ai fait son Épictète[151].» Boileau, piqué de cela, prend prétexte de ce que sa pièce étoit mal imprimée, et se met à la faire imprimer avec un endroit où il donne sur les doigts à Costar, qui avoit dit dans la Suite de la Défense de Voiture, adressée à Ménage: «Vous avez donc trouvé aussi votre Girac.» Costar n'a osé répondre non plus que l'autre. Avant cela, dès qu'il eut avis de ce que Boileau vouloit faire, il écrivit à quelqu'un une lâche lettre qu'on me fit voir pour l'en empêcher; mais cela ne l'empêcha pas. Patru avoit obtenu de Boileau qu'il se contenteroit de faire imprimer sa lettre, mais qu'il n'y ajouteroit rien; mais Conrart, irrité contre Costar de ce qu'il déchiroit Balzac, avoua à Boileau qu'après ce que Costar avoit dit de lui, il pouvoit mettre tout ce qu'il voudroit. Pellisson, qui est joint par cabale à Ménage, déclara assez brusquement à Boileau que s'il imprimoit, il ne seroit plus son ami ni son serviteur. Il eut tort de prendre parti; car c'est aux amis communs à réconcilier leurs amis; et peut-être s'il n'eût point fait cela, ne se seroit-il point fait certains couplets de chanson contre lui et mademoiselle de Scudéry.
Patru, qui ne trouvoit point qu'il fût avantageux à Boileau non plus qu'à Ménage, de rendre cette pièce plus publique qu'elle n'étoit, alla porter parole à Ménage que Boileau supprimeroit tout ce qu'il faisoit imprimer, quoique cela lui coûtât trente pistoles; qu'après il le lui amèneroit, et que Boileau le prieroit d'oublier le passé, etc. Ménage fit le fier mal à propos, et dit: «Je ne lui veux point de mal, je lui rendrai ses trente pistoles s'il veut; mais je ne puis souffrir qu'il mette le pied céans.» Tout le monde dit que ce procédé étoit ridicule, et le premier président dit: «Refuser d'en croire M. Patru (car le premier président étoit fort persuadé de son mérite)! je vous conseille de mettre cela au bout de votre lettre.» Ménage voulut gronder de ce que Patru et quelques autres, quand Boileau leur demandoit leur avis sur des façons de parler qu'il employoit dans cette lettre, lui dissent leur sentiment et le corrigeassent. On lui répondit: «Pourvu qu'on ne lui donne point de mémoires contre vous, vous ne sauriez vous plaindre qu'on corrige ce qu'il fait contre vous; on corrigera de même ce que vous ferez contre lui. On a fait ce qu'on a pu pour empêcher que vous n'eussiez ce déplaisir, vous ne voulez pas; que voulez-vous qu'on y fasse?» Chapelain disoit: «Ménage est fou, et il lui en cuira.» En effet, jamais rien ne s'est mieux vendu, et je n'ai vu quasi personne qui ne fût bien aise qu'on eût donné sur les doigts à la vanité de Ménage. On disoit: «Gilles a trouvé Gilles (ils s'appellent tous deux ainsi); mais Ménage est Gilles le niais (un enfariné qui s'appelle ainsi).» Je ne voudrois pas jurer qu'on n'eût fait dire à Scaramouche, pour se moquer de Ménage, ce qu'il dit une fois; car, en faisant le pédant, il disoit: «La regina de Suecia scrive à me.»
Depuis, Boileau a encore ajouté la preuve des larcins de Ménage à une nouvelle édition, et cela se vend comme le pain. M. Nublé, avocat, homme de bon sens et de vertu, ami de Ménage de tout temps, et qui ne peut pardonner à Boileau, dit chez M. Lefèvre Chantereau[152], qui a écrit des généalogies de Lorraine et autres, en présence de messieurs Valois et d'un garçon nommé Sauval[153], «qu'il ne trouvoit pas supportable ce qu'avoit fait Boileau contre Ménage,» et s'emporta terriblement. Sauval lui fit l'apologie de Boileau. Nublé lui dit que c'étoit être fou que de défendre une si méchante cause. «Vous êtes fou vous-même, lui dit brusquement l'aîné Valois; vous parlez bien haut; il n'y a que trois jours que vous ne souffliez pas; et vos Ménage et vos Costar ne m'envoient-ils pas tous les jours leur latin et leur grec à corriger? et il y a souvent des barbarismes et des solécismes.» Dans les Mémoires de la Régence il sera encore parlé de Ménage à propos de la reine de Suède.
Boileau dit de la préface de Pellisson sur Sarrazin, et de la lettre dédicatoire de Ménage du même livre, que Pellisson disoit: «Il n'y a rien de si beau que l'Épître dédicatoire;» et que Ménage disoit: «Il faut avouer que la préface est divine.»
Quand Ménage eut cinquante ans, il alla chez toutes les belles de sa connoissance prendre congé d'elles, comme un homme qui renonçoit à la galanterie. Hélas! il n'avoit que faire de cette déclaration; ses galanteries n'ont jamais fait mal à la tête à personne.
M. DE LAVAL.
M. de Laval[154] étoit le second fils de la marquise de Sablé; il fut destiné à être chevalier de Malte. Il y fit quelque caravane au retour, dans le dessein de se faire connoître; et, ne pouvant tirer grand secours de sa maison, il prit une compagnie au régiment de la marine. Le cardinal de Richelieu en eut de la joie, car il étoit bien aise d'avoir un chevalier de Bois-Dauphin capitaine dans son régiment; ce régiment fut embarqué sur l'armée navale que commandoit l'archevêque de Bordeaux[155]. Le chevalier n'y fut pas long-temps sans se faire aimer de tout le monde; il y accordoit les querelles et étoit en grand crédit auprès du général. Je veux croire que sa beauté n'y avoit pas nui; car c'étoit un des plus beaux gentilshommes et des mieux faits de France. Le cardinal mort[156], le chevalier s'attacha à M. d'Enghien, acquit beaucoup de réputation à la bataille de Rocroy et au siége de Thionville, et fut député pour porter la nouvelle de la prise. Il fut reçu admirablement bien à la cour; on le regarda comme une personne qui avoit bien servi, et que M. d'Enghien affectionnoit. Il eut quatre mille livres pour son voyage, et la Reine lui fit donner mille écus de pension. Cela le mit en équipage; d'ailleurs il étoit logé et nourri chez sa mère, alors veuve, qui pour lui avoit vaincu l'aversion qu'elle avoit à voir de grands enfants autour d'elle. En ce temps-là madame de Coislin, fille du chancelier, veuve depuis quelques années[157], visitoit fort souvent la marquise de Sablé, qui logeoit alors à la Place-Royale avec la comtesse de Maure. La jeune veuve logeoit assez près de là dans la rue Barbette, dans la maison de Goulas, secrétaire des commandements de M. d'Orléans, à cette heure l'hôtel d'Estrées[158], dont elle donnoit deux mille écus de loyer; car ce fut elle qui fit enchérir les maisons au point où nous les avons vues. La marquise n'avoit pas autrement recherché l'amitié de madame de Coislin, qui est une personne comme cent autres: on dit même qu'elle est naïve, et qu'il n'y a pas long-temps que, croyant faire plus d'honneur à madame de Longueville, elle mit au-dessus d'une lettre, A madame, madame de Longueville, Longueville[159], mais elle n'avoit pu s'empêcher de la recevoir, tant cette pauvre femme s'étoit donnée à elle à corps perdu. Or, Chabot avoit fait connoissance avec madame de Coislin, un peu après la mort du mari, chez madame de Sully; et, quoiqu'il eût déjà mademoiselle de Rohan en tête, il voyoit pourtant si peu de jour à ce qui est arrivé depuis, qu'il voulut tenter cette aventure, et il y réussit si bien, que s'il eût poussé, il l'eût assurément épousée; mais il en fit sa cour auprès de mademoiselle de Rohan, et lui dit ensuite que si, en méprisant l'avantage qu'il trouvoit, il étoit assuré de faire quelque chose qui lui fût agréable, il n'y penseroit jamais. Il ajouta ensuite tout ce qui pouvait servir à son dessein; car on dit qu'il ne s'y entendoit pas mal. Mademoiselle de Rohan fut touchée de cette générosité; et, comme j'ai dit ailleurs, elle lui donna assurance que ses services seroient reconnus. Dès ce moment Chabot négligea un peu madame de Coislin, et à mesure qu'il s'avançoit auprès de mademoiselle de Rohan, il s'éloignoit de notre veuve. Durant ce refroidissement elle rencontra un jour sur l'escalier de la marquise le chevalier de Bois-Dauphin, qui se sauvoit de crainte d'être arrêté, car il alloit voir mademoiselle de Pons[160] dont il étoit amoureux. Il donna dans les yeux à madame de Coislin; par bonheur il étoit ce jour-là ajusté comme un amant qui espère voir ce qu'il aime. La veuve monte, et dit à la marquise: «Je viens de trouver M. le chevalier de Bois-Dauphin; vraiment, il est bien fait.» Ensuite, toutes les fois qu'elle alloit là-dedans, elle demandoit toujours où étoit M. le chevalier de Bois-Dauphin. Enfin elle le demanda tant, que la marquise fut obligée de lui promettre qu'elle le lui enverroit. On eut assez de peine à l'y faire aller; car c'étoit un vrai jeune homme qui ne songeoit qu'à suivre ses inclinations; il y fut pourtant, et, comme il en sortoit, il trouve madame la chancelière dans la cour, qui dit à sa fille en riant, après avoir demandé qui il étoit, qu'elle ne prendroit point plaisir à trouver souvent de grands chevaliers comme cela auprès d'elle.
Quelque temps après, M. d'Enghien alla en Allemagne mener des troupes au maréchal de Guébriant; ce voyage ne fut pas long; cependant notre veuve s'ennuyoit fort de ne point voir le chevalier qui avoit suivi M. d'Enghien; elle en parla tant que la marquise crut qu'elle en tenoit, et un jour elle lui dit: «Vous parlez tant de ce chevalier, comment l'entendez-vous? N'avez-vous pas conclu avec Chabot?—Vraiment, lui dit l'autre, c'est un plaisant homme que Chabot.» Elle se mit sur sa friperie. Chabot avoit le nez mal fait, Chabot avoit de petits yeux, Chabot ne savoit pas même danser. Le chevalier revient; sa mère lui parle sérieusement, et, à force de le haranguer, le fait résoudre à quitter mademoiselle de Pons, et à penser à sa fortune. Il y eut de la répugnance; mais quand une fois il eut donné sa parole, il fit tout ce qu'on voulut.
La marquise, qui est très-adroite, ne trouva pas à propos que le chevalier allât chez madame de Coislin. Il ne la voyoit que chez sa mère. De longue main les gens de madame de Coislin avoient accoutumé de s'en retourner quand elle étoit chez la marquise, où elle dînoit ou soupoit de deux jours l'un. Le chevalier ne mangeoit pourtant point avec elle; car la marquise tient pour maxime qu'il faut qu'un amant ne fasse devant sa maîtresse que ce qui est de l'essentiel de l'amour, et que, par exemple, il ne faut qu'une grimace en mangeant, ou quelque petite indécence pour tout gâter. Elle appelle cela faire des mortalités. Ces entrevues se faisoient secrètement, car qui que ce soit ne se seroit avisé qu'un garçon comme lui fût si souvent avec sa mère, et puis on savoit, comme j'ai déjà dit, qu'elle n'aimoit point à voir ses enfants. Elle aimoit si fort celui-ci, qu'avant cette amourette, comme il ne se retiroit qu'à minuit, pour avoir le plaisir de l'entretenir, elle veilloit fort souvent jusqu'à trois heures du matin. Ces entrevues durèrent quatre mois. Elle qui s'ennuie quasi de tout, jugez comment elle se divertissoit là. Tantôt elle lisoit, tantôt elle leur disoit en passant: «Mais pensez-vous que je ne sois point lasse de vos coquetteries? Cela durera-t-il long-temps?» ou quelque autre chose de semblable. Enfin mademoiselle de Chalais[161] revint de Sablé fort heureusement pour la marquise, car elle la déchargea d'une partie de la peine, même elle l'en déchargea tout-à-fait; car elle dit du troussement que tout cela n'étoit rien si on n'épousoit. On lui faisoit la guerre de ce qu'elle avoit dit: Si on ne couchoit ensemble; la marquise de Sablé et la veuve eurent dispute, sur ce que cette innocente disoit qu'elle vouloit bien épouser, mais non pas coucher.
La résolution prise d'épouser, la marquise en parla à ses amis, et entre autres à son frère le commandeur de Souvré, qui demanda au cardinal Mazarin sa protection. Le cardinal promit tout ce qu'on voulut, et l'on étoit assuré de l'amitié de M. d'Enghien. On presse donc tout de nouveau madame de Coislin, qui, éprise du chevalier, ne put résister davantage. On fait jeter un ban sous leurs véritables noms, à quelque chose près; il n'y avoit que Saguier pour Séguier, et Lavau pour Laval, et cela pouvoit passer pour une faute de copiste. Pour le nom du marquis de Coislin, il étoit connu de fort peu de gens, et on ne savoit guère qui étoit César Du Cambout[162]. Pour les deux autres, on en eut dispense. Ils vouloient avoir permission d'épouser en quelque village, car la veuve craignoit d'être reconnue de son curé[163]. Le grand-vicaire, car il n'étoit pas sûr de s'adresser à l'archevêque, qui eût tout reconnu incontinent, dit qu'il ne pouvoit donner la dispense, et qu'il les renvoyoit pour cela à leur curé. Le curé refuse. On retourne encore au grand-vicaire, qui renvoie une seconde fois au curé.
Cependant on avoit pris jour pour épouser, et madame de Coislin devoit se rendre chez la marquise le lendemain à dix heures du matin. La marquise, qui avoit de bons espions, fut avertie, avant que de se coucher, que La Feuillade[164], qui fut depuis tué à Lens avec le maréchal de Gassion, avoit été le soir jusqu'à minuit chez madame de Coislin. Il s'étoit avisé, depuis quinze jours ou environ, qu'elle eût bien été son fait, et elle, qui avoit à faire le lendemain une si grande affaire, souffroit un galant chez elle jusqu'à minuit. On a remarqué depuis que cette femme, tant qu'elle a un mari, ne souffre pas la moindre ombre de galanterie, mais que dès qu'elle est veuve elle écoute tout le monde. Pour sa personne, elle est assez belle, mais il n'y a point d'excès. La marquise n'en passa pas mieux la nuit pour avoir su que La Feuillade avoit été si tard chez madame de Coislin; elle se défioit fort de la cervelle de la dame; car une autre fois qu'elle devoit se rendre en un lieu, où l'on croyait les épouser, ne prévoyant pas la difficulté qui se rencontroit, elle n'y alla point pour ne pas perdre une comédie. Le lendemain donc, jour assigné pour épouser, le chevalier de Bois-Dauphin et le chevalier de Rivière[165] avec Couleau, homme d'affaires de la marquise, furent à Saint-Jean; ils demeurèrent à la porte, et Couleau seul entra pour demander au curé permission d'épouser à Saint-Laurent, hors la ville. Le curé, bien loin de la lui donner, se douta de quelque chose, et ne voulut plus rendre la dispense des deux bans que Couleau lui avoit mise entre les mains. Couleau la lui voulut arracher, et rompit un petit morceau du papier qu'il fut contraint de lui laisser, et va conter tout le désordre aux deux chevaliers. Le chevalier de Bois-Dauphin, sans s'émouvoir autrement, voyant qu'il n'y avoit pas moyen d'épouser ce jour-là, s'en alla en franc jeune homme chez les baigneurs; car il s'étoit levé de bonne heure, et n'avoit pas eu le loisir de s'ajuster. Cependant madame de Coislin, qui devoit venir à dix heures, n'étoit pas venue à onze: elle arrive enfin sur le midi, dit pour ses excuses que Pepin, son intendant, l'avoit arrêtée; elle parut assez froide et assez interdite; elle étoit étonnée de ce qu'elle alloit faire. Couleau arrive là-dessus qui conte toute la déconvenue: voilà tout le monde bien déferré. On envoie chercher le commandeur; sa sœur le prie d'aller parler au curé. Il y va et retire la dispense; ensuite il va trouver le grand-vicaire, qui refuse la permission et renvoie encore au curé. Jugez de l'inquiétude de la marquise. Elle voyoit que beaucoup de gens savoient la chose, car elle avoit été obligée de la dire à tous ses amis. Il y avoit jusqu'à quatre-vingts personnes qui savoient ce secret, en comptant M. d'Enghien et la Reine, à qui le cardinal l'avoit dit le matin. Cependant, comme on l'a su depuis, ils ne s'en étoient rien dit l'un à l'autre, et chacun, hors la Reine, le savoit du chevalier, de la marquise ou de son frère. A la vérité, il faut avouer que le peu de cas que l'on faisoit du chancelier avoit fort contribué à faire garder le secret. La marquise craignoit que le curé n'eût lu les noms et n'y eût fait réflexion, ou même que le grand-vicaire ne se doutât de quelque chose; mais ce qui la fâchoit le plus, c'étoit que son fils y eût mis autant de légèreté. Dans ce chagrin on servit à dîner, car on s'attendoit de venir dîner après avoir épousé; mais personne ne put jamais se résoudre à manger, et on fut contraint de tout remporter. Madame de Coislin et la marquise se grondèrent un peu, et l'amante, avec un ton aigre, demanda où étoit donc M. le chevalier de Bois-Dauphin. La marquise l'excusa du mieux qu'elle put, et on passa le temps fort mélancoliquement jusqu'à quatre heures que le chevalier arriva. Sa mère et mademoiselle de Chalais lui parlèrent avant qu'il vît sa future épouse, et le haranguèrent bien pour lui faire promettre qu'il la presseroit d'épouser de quelque façon que ce fût. Il le leur promit; mais il ne le fit que foiblement, ou plutôt ne le fit point du tout; car il lui sembloit que cela n'étoit pas dans la bienséance: il avoit l'âme belle et généreuse; je l'ai remarqué encore à une chose. Il s'étoit fait peindre en Achille, et, pour marquer que c'étoit Achille, le peintre avoit voulu mettre dans l'éloignement, comme il traînoit Hector autour de Troie. Laval lui dit: «Mettez-y autre chose, je vous prie; je n'approuve nullement cette cruauté.» Dès qu'il parut on n'eut plus de peine après madame de Coislin, et elle étoit d'autant plus gaie qu'elle voyoit la nuit approcher (c'étoit l'hiver), pensant qu'elle n'épouseroit point ce jour-là. Elle reculoit toujours par timidité, craignoit le pouvoir d'un chancelier de France, et considéroit que son père l'aimoit tendrement, et beaucoup plus que son autre fille. J'oubliois que la marquise gronda un peu le chevalier, toutefois elle étoit ravie de le voir; car elle avoit appréhendé que, ne croyant pas qu'il y eût rien à faire ce jour-là, il ne retournât qu'à minuit, à son ordinaire. Cependant quarante gentilshommes ou environ qu'il avoit priés de se promener aux environs de Saint-Laurent deux à deux, et tous séparément sans faire semblant de rien, se promenèrent tout leur soûl, car il les oublia et ne leur envoya rien dire.
La marquise, voyant que le commandeur n'avoit fait qu'une partie de ce qu'il falloit, conclut qu'il falloit les faire épouser par le premier prêtre, parce qu'il étoit impossible que la chose ne se sût, et, qu'elle, qui avoit bien des affaires, s'alloit mettre pour rien un chancelier de France sur les bras. Pour cela elle envoya prier l'évêque d'Aire[166] de prendre la peine de venir chez elle; il avoit été élevé auprès de M. d'Auxerre, frère de la marquise, et lui devoit toute sa fortune. M. d'Aire arrive comme on ne trouvoit point de prêtre: «Vraiment, dit-il, ce seroit une étrange chose que, faute d'un prêtre, l'affaire manquât, je les marierai plutôt moi-même; car je ne doute pas, ajouta-t-il, que M. de Saint-Jean ne me donne la permission.» Il y va. Le curé la lui donne à condition qu'il se chargera de l'événement. L'évêque prend ce qu'il falloit pour les marier (un livre et un surplis), et le donne à un de ses parents, qui depuis a été à M. de Laval, pour le porter chez la marquise. Et lui, au lieu d'aller vite achever une affaire si importante et si délicate, s'en alla à une comédie où M. de Bordeaux l'avoit convié. Celui qui avoit apporté le livre pour marier étoit un jeune homme qui s'en alla dans la cuisine de la marquise, et se mit à lire dedans. «Oh! dit-il, c'est un livre à marier.» Le bruit s'épand aussitôt parmi les domestique, les laquais du commandeur et ceux du chevalier de Rivière, qu'on devoit marier quelqu'un ce soir-là. Enfin M. d'Aire arrive à dix heures du soir et les marie[167]. Après tout le monde les laissa, et ils furent une heure et demie ensemble. Les gens de madame de Coislin vinrent à minuit, selon l'ordre qu'ils en avoient. Elle leur dit qu'ils étoient venus bien tard, et s'en retourna comme si de rien n'eût été. Le nouveau marié alla courir chez ses amis pour le leur dire, et éveilla madame de Lansac, sœur de sa mère, à trois heures du matin, et de là il s'alla reposer chez Prudhomme[168]. Le matin, dès cinq heures, il y avoit trois laquais avec des billets à la porte de la marquise pour lui en faire compliment. Madame de Lansac vint après qui lui dit que tout le monde le savoit, et qu'il falloit mettre madame de Coislin en lieu de sûreté. Elle étoit encore au lit que Pepin, son intendant, lui vint dire que tout le monde par la ville disoit qu'elle avoit épousé M. le chevalier de Bois-Dauphin. Elle fit la rieuse au commencement; mais enfin elle le lui avoua. M. le chancelier fut celui qui le sut le plus tard. Sa femme pensa attraper madame de Laval (ce fut ainsi que le chevalier l'appela après avoir été marié, car il est de cette maison) chez la marquise: elle n'eût que le temps de sortir par la porte de derrière. On la mena au Palais-Royal, dans la chambre de madame d'Hautefort qui lui avoit offert retraite.
Ce fut le cardinal qui le dit au chancelier. Cet homme, assez étonné de ce que le cardinal le mandoit, car ils avoient parlé ensemble le jour même au conseil, alla au Palais-Royal avec quelque inquiétude. Le cardinal lui dit: «Monsieur, j'ai une mauvaise nouvelle à vous dire.» Le chancelier crut qu'on lui alloit ôter les sceaux, et lui répondit: «Monsieur, il y a long-temps que je m'y prépare.» Le cardinal continua, et lui conta le mariage de sa fille. On a cru que le cardinal lui voulut donner exprès l'épouvante, afin que, trouvant moins de mal qu'il n'en avoit attendu, il fût plus disposé au pardon; mais je croirois, tout au contraire, que cela fut cause en partie de l'éclat qu'il fit après, fâché de la frayeur qu'il avoit montrée, et d'avoir témoigné qu'il se défioit de son crédit, car il s'emporta autant qu'on se peut emporter. Avant que sa colère eût fait du bruit, M. d'Émery le fut trouver, et lui donna un conseil judicieux: «Vous êtes, lui dit-il, monsieur, en une place où vous ne pouvez vous cacher. Si vous voulez éclater, allez jusqu'au bout; sinon, pardonnez de bonne heure.» Le chancelier ne fit ni l'un ni l'autre, comme on verra par la suite. D'abord il jeta feu et flamme; envoya tout saisir chez sa fille, jusqu'aux chevaux, et prit ses petits enfants chez lui. La chancelière, qui n'aime que sa fille de Sully, la cadette, ou du moins qui l'aime sans comparaison plus que l'autre, elle est plus aimable aussi, l'aigrissoit autant qu'il lui étoit possible; car elle est même jalouse de l'amitié qu'il a pour l'aînée. Ce fut elle qui l'empêcha de voir son gendre pendant un an entier.
Les nouveaux mariés se retirèrent pour quelque temps à Berny; on voulut donner cette petite satisfaction au chancelier. On dit que les gueux qui avoient accoutumé de se bien trouver de la cuisine de madame de Coislin, quand ils virent que M. le chancelier faisoit emporter les meubles de chez sa fille, disoient entre eux: «Vraiment, ce M. le chancelier est plaisant de se fâcher; il a marié sa fille une fois à un petit bossu mal bâti, et il trouve mauvais qu'une autre fois elle se soit mariée à un gentilhomme qui est aussi beau qu'un ange.» Cependant M. le cardinal, M. d'Enghien et cent autres ne perdoient pas une occasion de parler au chancelier pour les nouveaux époux, et ils firent tant qu'il consentit que M. de Meaux, son frère, et M. et madame de Sully les vissent; et quelque temps après il promit lui-même de les voir, mais il ne dit pas quand ce seroit.
En ce temps-là M. d'Enghien fut demander à M. le chancelier la grâce de Saint-Etienne[169]: M. le chancelier la lui refusa, dont le prince irrité lui dit des choses assez fâcheuses, et entre autres qu'on voyoit qu'il faisoit cela à cause de Laval. Laval ayant su la chose, alla vite trouver M. d'Enghien, et lui dit: «Ah! monsieur, vous m'avez perdu.» M. d'Enghien dit qu'il feroit tout ce qu'il voudroit pour raccommoder ce qu'il avoit gâté. En effet, il vit M. le chancelier en lieu tiers, et le satisfit. Le chancelier vit en cela l'estime qu'on faisoit de son gendre, et que sans lui il n'auroit reçu aucune satisfaction de l'injure qu'on lui avoit faite.
Il arriva encore une autre aventure dont Laval tira avantage; car, comme si les gens eussent pris à tâche de faire insulte au chancelier, Tréville, dont la compagnie de mousquetaires avoit été cassée au commencement de la régence, avoit eu un don qui étoit fort à la charge du Béarn, sa patrie; M. le chancelier refusa de lui en donner les expéditions, et lui, par une insolence inouie (c'est un homme fort brutal), rompit les lettres en plein sceau, et se retira en menaçant. Le chancelier faisoit état de s'en plaindre au conseil d'en haut; le lendemain, Laval en est averti par Sainte-Maure, un brave homme de ses amis; il l'envoie appeler Tréville; Tréville dit qu'il voyoit bien d'où cela venoit, et qu'il ne se vouloit point battre: l'autre lui propose tous les expédients imaginables pour faire passer
cela pour une rencontre. Tréville n'y voulut jamais entendre, dit qu'il ne se cacheroit point, et qu'on se rencontreroit bien toujours. Sainte-Maure le menace de dire à tout le monde qu'il a refusé un appel. «Je ne m'en soucie pas, dit Tréville, on sait assez qui je suis.» L'appel se sait, et, en même temps, la cause de l'appel; la Reine, pour satisfaire le chancelier, fit tenir prison à Tréville durant quelques jours. Le chancelier fut touché de la bravoure et de la générosité de son gendre, et le vit bientôt après. La chancelière enrageoit, et fut trois semaines à Pontoise sans vouloir revenir que le chancelier n'eût donné une assez grosse somme d'argent à madame de Sully.
Voilà notre cavalier aux bonnes grâces de son beau-père. Le chancelier ne pouvoit plus vivre sans lui, et lui ne perdoit point occasion de lui rendre ses devoirs. Le désordre de Saint-Eustache servit encore à le faire aimer et estimer du chancelier; voici comment cela arriva. Le curé de Saint-Eustache étant mort, Merlin, un de ses neveux, et le frère d'un maître des requêtes, nommé Poncet, disputèrent cette cure. Les femmes de la paroisse, au moins celles des halles, se trouvèrent au grand conseil le jour de l'audience; ensuite tout le menu peuple de cette grande paroisse s'émut; et, parce que le chancelier portoit Poncet, près de quatre cents femmes voulurent aller chez lui pour lui parler en faveur du neveu de leur curé; car le peuple espéroit qu'il seroit aussi charitable que son oncle avoit été. Le suisse ouvrit pour les repousser, mais il ne put refermer la porte, et ces femmes le pressèrent tellement qu'il fut contraint de s'enfuir, et il se sauva dans une maison vers Saint-Eustache, où il s'enferma: c'étoit le matin. On en vint avertir M. de Laval, qui logeoit dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre; il n'étoit pas achevé d'habiller; il prend son pourpoint à la main, et se fait mener par le carrosse de madame Lansac qui étoit chez lui; il s'habille en chemin faisant. Ses gens avec des armes arrivent presque aussitôt que lui chez le chancelier; ils suivirent leur maître, qui passa sur le ventre à toute cette populace émue, car on avoit sonné le tocsin, et il alla délivrer le suisse. Cet exploit ne se fit pas sans péril, il essuya bien des coups de pierre, et entre autres un gros grès qu'on jeta d'une fenêtre, et qui tomba justement à ses pieds. Avant que d'y aller, il avoit envoyé son frère le chevalier demander à la Reine une compagnie des gardes; cette compagnie fut long-temps à venir, et le suisse étoit délivré quand elle arriva. Dès qu'il ouit le tambour, il y courut encore, et avec ce renfort perça jusqu'à Saint-Eustache, et on a dit qu'à la chaude il tira un coup de pistolet dans l'église. Pour achever l'histoire de l'émeute, j'ajouterai que les femmes des halles allèrent en corps au Palais-Royal, et que là une dame Denise dit à la Reine qu'ils vouloient ce curé-là, parce qu'ils avoient accoutumé de les avoir de père en fils, et qu'ils n'avoient que faire de cet adultère de Poncet; elles vouloient dire indultaire[170]. Enfin, comme on vit que cela alloit trop loin, on fit dire aux paroissiens par Tubeuf, alors marguillier de la paroisse, que la Reine, à leur prière, donnoit la cure au neveu du feu curé. On en chanta le Te Deum, et le peuple disoit que ce M. Tubeuf étoit un honnête partisan. On ajoute encore qu'un charbonnier alla embrasser le nouveau curé, et que, comme l'autre lui disoit: «Vous me gâtez mon surplis,» il lui répondit: «J'ai encore un quart d'écu, monsieur le curé, pour le faire savonner; laissez-moi vous embrasser tout à mon aise.»
Depuis le désordre de Saint-Eustache jusqu'à sa mort, Laval fut le tout puissant chez le chancelier, et la marquise de Sablé y étoit quasi aussi bien que lui. Par une bonté assez rare à la cour, il avoit toujours sur lui une liste de ceux dont il vouloit recommander les affaires à son beau-père. Outre qu'il étoit aimable de sa personne, quoiqu'il commençât un peu à grossir (son père étoit fort gros), il étoit fort civil et dans un perpétuel enjouement. Partout où il se trouva, il fit toujours tout ce qu'un homme de cœur pouvoit faire, et s'il eût vécu, il eût sans doute été bien loin. Le chancelier se résolvoit à ouvrir la grand'bourse pour lui acheter quelque belle charge. A Dunkerque, où il fut tué, il avoit acquis tant de réputation que M. d'Enghien le regardoit comme un appui de sa grandeur. A ce siége pourtant il fit une jeunesse peu excusable. Lui et quelques petits maîtres faisoient la débauche dans une maison devant laquelle on alloit pendre un soldat; ils étoient déjà gaillards, quand quelqu'un, peut-être fut-ce lui-même, car il étoit pitoyable, dit dans la chaleur du vin: «Il faudroit sauver ce pauvre diable et tuer le bourreau.» En effet, ils tirèrent et tuèrent, non pas le bourreau, mais un soldat qui assistoit à l'exécution. Cela fit du désordre: cependant on l'apaisa. On conta cela à la Reine, et le vin fit tout excuser.
Il se piqua de faire un logement qui étoit si important que de là dépendoit le succès du siége; il y alla après que deux autres maréchaux de camp en eurent été repoussés. Il avoit avec lui un ingénieur huguenot, nommé Dutens, qui lui dit qu'il n'y iroit sans casque. Laval lui donna un chapeau de fer qu'il avoit, et après fit le logement; mais il y reçut un coup de mousquet par la tête, dont il mourut au bout de dix-sept jours. Le chevalier Chabot, autre maréchal de camp, garçon de cœur et de mérite, y fut aussi tué en même temps. Cependant, quoiqu'il fût fort estimé, Laval l'obscurcit de telle façon qu'on ne songea pas à le plaindre. Le chancelier pleura de la mort de son gendre comme un enfant, et eut cent fois plus de déplaisir de sa perte, qu'il n'en avoit eu de son mariage. Pour madame de Laval, au bout de quelque temps elle s'apaisa, et bientôt il n'y parut plus. On disoit qu'elle étoit entre deux selles, le cul en terre, parce que sa sœur et les sœurs de son premier mari avoient toutes le tabouret.
Deux mois après, elle fut passer l'automne à Saint-Liébaud[171], vers Moret. Vardes, qui l'avoit vue en divers lieux, mais sans lui en conter, au lieu de prendre occasion du voisinage et de la parenté qui étoit entre lui et l'abbé de Bois-Dauphin[172], qui étoit avec elle, s'avisa mal à propos d'envoyer un gentilhomme à la belle avec une lettre dont elle se mit fort en colère. Il demandoit permission de l'aller voir, et aussi, je pense, de la servir. L'abbé, qui alloit à la chasse, ayant appris cela, rentre et l'apaise du mieux qu'il peut, puis le lendemain va trouver Vardes: «On ne ferme pas la porte aux gens comme vous, lui dit-il; vous n'en deviez point user ainsi.» Vardes confessa qu'il avoit tort. Le chancelier, et c'est ce qui fit parler, prit cela de travers, crut que sa fille vouloit encore se marier à sa fantaisie, et, bien loin de la laisser revenir à Paris, il l'obligea à aller pour quelque temps à Sully.
Elle dit qu'elle est encore un peu jalouse de celles que M. de Laval a aimées, et qu'une de ses plus grandes joies seroit de voir que quelqu'une de celles-là fût devenue laide. Elle prend plaisir, quand elle est en confidence avec quelqu'un, à parler de la passion qu'elle a eue, à dire ce qu'elle a senti et ce qu'elle sent encore, et elle n'a garde de faire tant la coquette cette fois-ci que l'autre.
ESPRIT.
Esprit[173], l'académicien, sortit de chez le chancelier à cause de ce mariage; car jamais le chancelier ne se put persuader qu'un homme qui ne bougeoit de chez madame de Laval ignorât cette amourette: cependant la marquise (de Sablé) et mademoiselle Chalais jurent qu'il n'en savoit rien. Esprit avoit un frère aîné, petit homme, mais qui a de l'esprit comme un lutin: il étoit précepteur de l'abbé de Fiesque, parent de madame de Rambouillet; ainsi il eut entrée à l'hôtel de Rambouillet, et il y introduisit son second frère, aujourd'hui premier médecin de M. d'Anjou[174]; le troisième, dont nous parlons, y fut aussi introduit. A son arrivée de Béziers, lieu de leur naissance, il faisoit de si longues visites qu'on croyoit qu'il vouloit demeurer à coucher chez les gens.
L'abbé de Cerizy, qui étoit chez M. le chancelier, fit en sorte que le chancelier le prit; après on le fit de l'Académie. Il ne sait pourtant quasi rien, et n'avoit que quelques paraphrases de psaumes assez médiocres[175]. Là il intriguoit assez, servoit qui il pouvoit, et parloit plus hardiment que les autres beaux esprits de la maison; car il a toujours fait le plaisant, mais quelquefois il ne l'est guère. Or, un jour Verpillière, qui étoit à madame de Longueville, et dont il sera parlé amplement dans les Mémoires de la Régence, ayant quelque chose à demander à M. le chancelier, Chapelain écrivit à Esprit qu'il se rencontroit la plus belle occasion du monde pour un coquet comme lui, qu'une des plus belles filles de France, etc. Il fit ce qu'on souhaitoit de lui; de sorte que, quand il fut dehors de chez le chancelier, il s'alla loger auprès de l'hôtel de Longueville, où Verpillière le mit bien avec sa maîtresse. Il a eu, par sa faveur, deux mille livres de rente sur une abbaye qu'on donna à La Croisette, intendant de la maison. Il avoit déjà mille livres de pension sur le prieuré d'Argenteuil, que depuis il a remise par scrupule. Madame de Laval les lui avoit fait donner. Il suivit madame de Longueville à Munster; on parlera de lui ailleurs.
Depuis, passant du blanc au noir, après la délivrance de M. le Prince, il se mit dans l'Oratoire où son frère aîné étoit déjà. A cause de ses austérités, il avoit là des maux de tête qui l'eussent rendu tout-à-fait fou, si le médecin ne l'en eût fait sortir. Ce médecin se plaignoit de lui, et disoit: «Quelle folie! il leur faut une inspiration du Saint-Esprit pour se laisser voir à leur parents.» Au sortir de là, il alla se promener. Il fut voir M. et madame de Montausier à Angoulême; il alla en Languedoc, où il se donna au prince de Conti, avec lequel il est présentement; mais il n'est pas si dévot qu'on diroit bien. Depuis il s'est marié avec une assez belle fille, et cela, dit-il, pour l'acquit de sa conscience. Sa maison a une porte dans le jardin du Palais-Royal; on l'y voit toujours avec sa femme. L'abbé d'Effiat prétend qu'elle a dit: «Mon Dieu! je ne m'aperçois point que ce soit par principe de conscience que M. Esprit s'est marié!» Elle l'a dit comme moi.
SARRAZIN.
Sarrazin[176] étoit fils d'un homme de Caen qui étoit comme le parasite d'un vieux garçon nommé Foucault, qui étoit trésorier de France à Caen. Foucault le logeoit chez lui, et enfin lui vendit sa charge, dont il ne toucha que sept ou huit mille livres, qui étoit peut-être tout le vaillant de Sarrazin; le reste se devoit prendre sur les émoluments de l'office. Foucault mourut au bout de deux ans, et Sarrazin épousa la gouvernante du vieux garçon, pour ne rien dire de pis. La donzelle et lui s'étoient apparemment entendus ensemble à piller le vieux garçon. Le Roi obligea les trésoriers de Caen de se faire conseillers de la cour des Aides de Rouen que l'on fit semestre en ce temps-là. Voilà comment notre Sarrazin étoit fils d'un trésorier de France à Caen, et conseiller de la cour des Aides de Rouen. C'étoit si peu de chose pour la naissance qu'il y a encore en Normandie un de ses cousins germains qui est fils d'un ciergier, et qui est curé de village. Cependant quand il vint à Paris, il faisoit l'homme de bonne naissance, et l'homme accommodé. Il eut d'abord la connoissance de mademoiselle Paulet qui, en le présentant, ne manquoit jamais de dire que c'étoit une personne de bon lieu et fort à son aise. Il est vrai qu'il avoit un carrosse; mais ses chevaux étoient les plus mal nourris de France.
Il s'amusa ici à pindariser, et fut contraint d'épouser une vieille madame Du Pile, veuve du maître des comptes. Il a toujours fait le plaisant, et il s'avisa de faire je ne sais quels articles de mariage en prose, qui étoient, à dire vrai, une assez mauvaise galanterie. Il y avoit, entre autres choses, qu'il ne seroit plus sans croix ni pile. A rendre turlupinade pour turlupinade, on lui eût pu dire assez long-temps qu'il n'étoit point sans croix, mais bien sans pile; car sa femme le tourmentoit et ne lui donnoit pas un sou. Elle lui devoit donner mille écus; mais elle vouloit qu'il couchât avec elle; lui ne le vouloit point. «Mais, lui disoit Ménage, que n'y couchez-vous?—Couchez-y vous-même, si vous voulez,» lui répondoit-il. Je crois que Ménage l'a assisté, et la table du coadjuteur, dont il lui donna la connoissance, lui fut d'un grand secours. Une fois qu'il y étoit, Du Bois[177], qu'on appeloit vulgairement le fastidieux M. Du Bois, s'avisa, tandis que tout le monde s'étoit levé pour recevoir un évêque, et qu'on faisoit des révérences, d'arranger les siéges derrière chacun; il oublia Sarrazin, qui, croyant trouver son siége où il l'avoit laissé, voulut s'asseoir, et donna du cul à terre. Quand il fut relevé, on lui demanda quelle pensée il avoit eue en ce moment-là; il prit un ton sérieux, et dit: «J'ai songé si j'étois un homme à qui on dût faire un tour comme celui-là.» Le coadjuteur fut obligé de rechercher d'où cela venoit, et de lui dire qu'il en étoit bien fâché. Pour moi, cela me fait croire que Sarrazin n'avoit pas toute la présence d'esprit imaginable, car il falloit faire accroire que c'étoit sa faute, qu'il étoit bien maladroit, etc.
Il fut près de quatre ans comme le courtisan du coadjuteur, jusqu'à aller à Bourbon avec lui. Je me souviendrai toujours de la burlesque carrossée de gens que c'étoit. Sarrazin, quoique grand et bien fait de sa personne, étoit pourtant ce jour-là terriblement fagoté en auteur, et tous les autres en prêtres de village; cela sentoit la pédanterie à cent pas à la ronde.
J'oubliois que Sarrazin fut mis dans la Bastille, comme on verra dans les Mémoires de la Régence, parce qu'on le soupçonnoit d'avoir fait de méchants vers contre le Roi à l'occasion des machines des comédiens italiens. On lui faisoit tort, il ne les eût pas faits si mauvais. Il jura, au sortir de là, de n'en faire plus; mais il recommença dès le blocus de Paris, ou peut-être plus tôt.
A la guerre de Paris, le coadjuteur fit tant par le moyen de madame de Longueville, que le prince de Conti prit Sarrazin pour secrétaire. La nécessité, ou l'humeur normande, ou peut-être toutes les deux ensemble, firent que Sarrazin, quoiqu'il eût été couché sur l'état de M. le Prince, à la vérité, c'étoit pour la première place vacante, ne fit aucune difficulté d'accepter cet emploi. Le prince de Conti avoit plus de tort que lui; car tandis que Montereul[178] l'académicien étoit à Rome pour lui avoir un chapeau, il lui ôtoit la moitié d'un emploi pour lequel il avoit refusé les plus belles résidences. Montereul, de retour, ne fit point le fâché; il étoit plus fier que l'autre, c'étoit un Français italianisé, Francese romanescato, comme on dit à Rome; et quoiqu'il eût été traité en cadet, lui qui étoit le premier en date, il fit semblant d'être content du partage. Il n'avoit que les bénéfices, et l'autre avoit la maison et le gouvernement (c'étoit la Champagne). On disoit que madame de Longueville avoit porté Sarrazin. Dès la première année, Sarrazin dit à un homme de ma connaissance qu'il n'avoit aucune obligation au coadjuteur de l'avoir fait entrer chez le prince de Conti, et que le coadjuteur lui en devait encore de reste; qu'un temps fut qu'il l'eût voulu voir noyé, et qu'il le donneroit encore au diable sans cet établissement, que quatre ans de son temps ne se pouvoient assez payer. Notez qu'il fût peut-être mort de faim sans lui.
Dès que la paix fut faite, il fit le petit ministre et l'homme passionné pour son maître. Quelqu'un lui ayant dit: «Qu'est-ce cela? je vous trouve tout triste.—Je ne me porte pas bien, répondit-il gravement, M. le prince de Conti se trouve mal.» Il ne s'épargna pas à faire des friponneries. Le coadjuteur présenta l'abbé Amelot au prince de Conti, à qui l'abbé demandoit quelque prieuré. Le prince de Conti accorda le prieuré. L'abbé, pour plus prompte exécution, donne cent pistoles à Sarrazin; Montereul étoit absent, si je ne me trompe. Le premier président de la Cour des aides demande le même bénéfice; le prince de Conti le lui donne. Voyez quelle manière de faire! L'abbé demande ses cent pistoles à Sarrazin, qui répond: «Il n'a pas tenu à moi que vous n'ayez eu le bénéfice; je tiendrai ce que j'ai promis, faites que M. le prince de Conti en fasse de même.» L'abbé se plaint au coadjuteur qui peste: «Comment! ce poétereau, prendre de l'argent de mes amis! un homme dont j'ai fait la fortune!» Sarrazin répondit à cela ce que j'ai déjà dit, qu'il ne lui en avoit aucune obligation, etc. Ménage et lui se brouillèrent là-dessus, et Ménage disoit: «Ils se sont bien rencontrés Montereul et lui pour se tirer de belles bottes de fourberie.»
Il s'est trouvé qu'un nommé Du Bois, qui commandoit les chevau-légers du prince de Conti en Champagne, durant le quartier d'hiver, avoit tant volé, que ce prince fut contraint d'envoyer un exempt de ses gardes pour le faire arrêter; il avoit six mille livres en argent qu'il avoit volées en moins de rien, sans toutes les autres choses. Il ne parut point étonné de se voir pris, et dit qu'il savoit bien qu'il ne seroit pas désavoué. Il avoit été résolu que des six mille livres il en rendroit cinq, quand il arriva un ordre de l'en quitter pour trois mille livres; cet ordre venoit de Sarrazin; cela a fait croire que les deux autres mille livres étoient sa part.
Un gentilhomme de Brie pria Courtin[179] de parler à Sarrazin pour faire déloger des gens de guerre de son village. Sarrazin lui dit: «Cela vaut fait.» Quatre jours se passent; il fallut quarante pistoles, et le village étoit mangé avant que l'ordre arrivât. Il fit pis que tout cela; car après avoir expédié tout ce qu'il falloit pour un quartier d'hiver à Bourgogne, homme de service qui étoit dans le parti du prince de Conti: «Vous verrez, lui dit-il, s'il n'y auroit point dix pistoles pour nous.» Avec cela il n'a pas eu l'occasion de s'enrichir: les brouilleries lui ont nui, et la cour l'a trompé. Il n'eut rien du cardinal qui lui avoit tant promis. Le mariage du prince de Conti fut fait sans qu'on lui donnât un sou; Cosnac[180] n'eût pas même été évêque sans que le prince de Conti s'y obstina. Ils avoient pourtant tous deux bien servi le cardinal, et fort mal leur maître.
Sarrazin n'étoit point fin, quoiqu'il fût Normand; il n'a jamais eu de cervelle: pour preuve de cela, il ne faut que dire qu'il affectoit de faire accroire à Bordeaux qu'on lui envoyait de l'argent de chez lui; car ayant fait une garniture de ruban couleur de rose, il dit qu'il avoit reçu une petite lettre de change de Normandie. Madame de Longueville se moqua fort de cette impertinente vanité. Angerville, gentilhomme de Caen, qui étoit au prince de Conti, lui dit: «Notre cher, je vous avertis qu'il n'y a nulle apparence, dans l'emploi que vous avez (Montereul étoit mort), de croire que les gens seront assez sots pour s'imaginer que vous n'y gagnez pour avoir du ruban.» Le lendemain, pensant bien raccommoder la chose, il prit un méchant habit, et fut quelque jour en linge sale. Il vouloit passer pour un homme qui prévoyoit les choses, et toujours il étoit surpris; il se faisoit toujours de fête mal à propos.
M. le prince de Conti étant demeuré seul à Bordeaux, et se défiant de Marsin[181], se servoit de Chouppes[182], qui un jour lui voulut faire faire quelque chose contre les ordres de la guerre. Angerville tourna cela en raillerie, et lui dit: «On voit bien que c'est pour nous éprouver.» Sarrazin sait cela; il va dire à Angerville que Chouppes s'étoit plaint, et que M. le prince de Conti étoit mal satisfait de son procédé. Angerville, qui connoissoit bien le pélerin[183], va trouver le prince de Conti, qui lui dit qu'il n'y avoit pas songé, et il vouloit en faire recevoir le démenti à Sarrazin devant tout le monde. Angerville le supplia de n'en rien faire. Cent fois le Prince l'a traité de coquin, de fripon, en présence de ses officiers. L'autre sortoit sans rien dire, et puis revenoit aussitôt en bouffonnant: «Quoi, prince, vous rêvez!» disoit-il parfois, et continuoit sur ce ton-là. Tantôt il rimoit, tantôt il contrefaisoit quelqu'un, et faisoit tant qu'il le faisoit rire.
Pour le mariage, le prince de Conti ne s'y résolut qu'à cause qu'il intercepta une lettre de M. le Prince, par laquelle il ordonnoit aux gens de guerre d'obéir effectivement à Marsin, et en apparence au prince de Conti. Marsin et Lenet[184] avoient brouillé les deux frères. Pour madame de Longueville, ce qui la brouilla avec lui, ce fut la galanterie de Matha[185]; car le prince, qui avoit eu la vision de vouloir qu'on crût qu'il avoit couché avec sa propre sœur, dont il avoit été amoureux, ne trouvoit pas bon que Matha eût l'avantage sur lui.
Pour revenir à Sarrazin, madame de Longueville le méprisoit furieusement et ne le pouvoit souffrir. Il est temps de parler de sa mort. Le prince de Conti ne l'a jamais outragé que de paroles; on a eu tort de dire qu'il l'avoit frappé. On croit qu'il a été empoisonné par un certain Catelan, dont la femme couchoit avec lui, après avoir couché, à ce qu'on dit, avec bien d'autres. On a cru cela d'autant plus aisément, que cette femme tomba malade le même jour, eut les mêmes accidents et mourut le même jour que lui et à la même heure[186].
Sa femme s'est encore remariée.
Pour ses ouvrages, il n'y a, ce me semble, rien d'achevé. S'il ne se fût point jeté dans la plaisanterie, il eût été capable de quelque chose de grand. La meilleure chose que nous ayons de lui, c'est la Pompe funèbre de Voiture, où il ne le traite pas bien; et, pour montrer qu'il n'a pas eu dessein de l'épargner, c'est qu'il ne voulut jamais corriger quelques endroits qui ont empêché qu'on ne l'ait imprimée à la suite des œuvres de Voiture[187].
LA MARQUISE DE SY.
M. de Sy étoit de la maison de Bourtomont de Lorraine; mais il demeuroit en Champagne. Sa femme étoit une des plus belles femmes, et lui un des plus pauvres hommes du monde: Amoureux d'elle, c'étoit au commencement de leur mariage, il lui faisoit familièrement des caresses en présence de feu M. le comte (de Soissons), gouverneur de Champagne. Aussi s'en trouva-t-il comme il méritoit, car M. le comte le fit cocu.
Depuis, un nommé Neufchâtel, cadet du baron de Chapelaine, dont le père[188] gagna tout son bien dans les gabelles, acheta la terre de Chapelaine en Champagne, et plusieurs autres, la fit bâtir magnifiquement, et y fit une fort grande dépense. L'Argentier se mit en tête de faire un somptueux bâtiment. A Chapelaine, ce n'est que craie; il fallut faire venir la pierre de fort loin, et le bois aussi. Il y fit porter jusqu'à de la terre, car il n'y pouvoit venir un arbrisseau. Il détourna des ruisseaux, et fit de fort beaux étangs et de beaux moulins. On dit qu'il laissa à son fils quarante mille écus de rente, plus six cent mille livres en argent, sans les meubles. Il y avoit je ne sais quel pronostic, ou plutôt je ne sais quelle vision dans la famille, que cette maison seroit brûlée. Elle le fut, je ne sais comment. Les enfants de Chapelaine ont dissipé la plus grande partie du bien, et sottement rompirent une opale grande comme une assiette pour en avoir chacun un morceau; elle valoit bien quarante mille livres. Cependant il reste encore quarante mille livres de rente dans la maison.
Ce Neufchâtel, qui étoit un brave garçon, et fort bien fait, devint amoureux de la belle, et en jouit. L'affaire se faisoit si hautement, que les parents du marquis de Sy l'obligèrent à appeler Neufchâtel. Cet homme, quoique fort peu vaillant, se battit, mais si mal, qu'on voyoit bien qu'il ne s'étoit battu que pour n'avoir osé contrevenir à un avis de parents. Ce combat donna encore plus de liberté à Neufchâtel: il continue à voir la dame avec tant d'autorité, que le mari et lui partagèrent, et même il eut une nuit par semaine plus que le mari. Cette folle se dégoûte du marquis à tel point, qu'elle ne veut plus qu'il couche avec elle.
C'étoit, comme j'ai dit, un fort pauvre homme, et de plus fort amoureux de sa femme. Ne sachant plus que faire, il se jette aux genoux de Neufchâtel pour obtenir cette grâce de sa femme qui n'y voulut jamais consentir. Les parents de Lorraine, sans qu'il y fût, viennent avec main forte, et surprennent Neufchâtel couché avec la marquise. Il se sauve pourtant, suivi d'un valet, dans un cabinet au bout d'une galerie. Là, avec quelques armes qu'ils avoient, ils se défendirent, en tuèrent un, et puis se sauvèrent. Tout cela ne servit qu'à rendre ces amants plus insolents: ils vendent les troupeaux et coupent les bois; enfin elle se trouve grosse, et, parce que tout le monde savoit qu'il y avoit deux ans que son mari n'avoit couché avec elle, elle s'en alla en Hollande pour y accoucher. Neufchâtel l'y fut trouver, et après, elle retourna en Champagne.
Voici qui est encore pis que tout le reste. Elle maria sa fille, qui n'avoit que onze ans, à Neufchâtel, et le baisoit devant tout le monde comme son gendre, et ils étoient tombés d'accord..... Une nuit qu'elle et Neufchâtel ne pouvoient dormir, ils allèrent fouetter son pauvre mari pour se divertir.
Neufchâtel fut tué au blocus de Paris un an ou environ après qu'il se fut marié. Elle remaria sa fille aussitôt à un gentilhomme nommé Juvigny, à condition que le père de ce garçon coucheroit avec elle; mais elle le trouva bientôt trop vieux. Enfin elle en vint jusqu'à ses valets. Elle mourut, il y a cinq ans ou environ, âgée de trente-neuf à quarante ans.
SOUSCARRIÈRE[189].
Il y avoit un pâtissier à Paris, à l'enseigne des Carneaux, qui traitoit par tête. Ce pâtissier avoit une femme assez jolie, à qui plusieurs personnes firent leur cour, et entre autres M. de Bellegarde. Vers le temps où ce dernier la fréquentoit, cette femme se sentit grosse et accoucha d'un fils. Ce garçon devint adroit à toutes sortes de jeux et d'exercices; il étoit bien fait et heureux au jeu; il se pousse, il gagne. Comme il étoit adroit de la main, il s'adonna à des tours d'adresse, comme de faire tenir une pistole dans la fente d'une poutre, et autres choses semblables. Il y gagna beaucoup, mais son plus grand butin fut dans ce commencement une fourberie. Il trouva un inconnu nommé Dalichon, qui jouoit fort bien à la paume; lui y jouoit bien aussi; il ne faisoit pourtant que seconder; mais c'étoit un des meilleurs seconds de France. Il fait acheter des pourceaux, des bœufs, des vaches à cet homme, et fait courir le bruit que c'étoit un riche marchand de bestiaux, à qui on pouvoit gagner bien de l'argent; que cet homme aimoit la paume: on y jouoit fort en ce temps-là. Souscarrière, c'est le nom d'une maison qu'il acheta dès qu'il eut du bien, faisoit des parties contre cet homme qui faisoit l'Allemand, et découvroit insensiblement son jeu. Notre galant trahissoit ceux qui étoient de son côté, et quand il parioit contre Dalichon, Dalichon se laissoit perdre, et faisoit perdre ceux qui étoient de son côté, ou qui parioient pour lui; et avant que la fourbe fût découverte, on dit que le marchand de bestiaux, à qui Souscarrière ne savoit que donner, gagna plus de cent mille écus. Comme il eut un grand fonds, le petit La Lande190], qui le connoissoit, étant du même métier, car il avoit appris à jouer à la paume au feu Roi, lui dit un jour: «Pardieu: monsieur de Souscarrière, vous êtes bien fait, vous avez de l'esprit, vous avez du cœur, vous êtes adroit et heureux; il ne vous manque que de la naissance; promettez-moi dix mille écus, et je vous fais reconnoître par M. de Bellegarde pour son fils naturel. Il a besoin d'argent; vous lui en pouvez prêter. Voici le grand jubilé: votre mère jouera bien son personnage; elle ira lui déclarer que vous êtes à lui et point au pâtissier; qu'en conscience elle ne peut souffrir que vous ayez le bien d'un homme qui n'est point votre père.» Souscarrière s'y accorde. La pâtissière fit sa harangue; M. de Bellegarde toucha son argent, et La Lande pareillement. Voilà Souscarrière, en un matin, devenu le chevalier de Bellegarde[191].
Quelques années après, Souscarrière, pour se remplumer de quelque perte qu'il avoit faite, alla en Angleterre pour y attraper aussi les gens, car c'est un maître pipeur; il y mena des joueurs de paume, des joueurs de luth et des chanteurs, et tout cela pour amuser le monde. Il eût bien voulu que Ruvigny, dont la sœur étoit mariée en ce pays-là, eût fait le voyage pour l'introduire à la cour. Ruvigny n'avoit garde de vouloir avoir rien de commun avec un homme comme cela. Souscarrière gagna beaucoup en Angleterre, soit au jeu, soit à ses tours d'adresse; il est vrai qu'une fois il fut attrapé, car comme il s'exerçoit à faire tenir une balle dans un nid de pie, qui étoit sur un arbre dans le parc Saint-James, où le Roi alloit quelquefois se promener, un Anglois qui le vit y alla mettre de la mousse, en sorte que la balle n'y pouvoit tenir. Ainsi, quand Souscarrière, ou le chevalier de Bellegarde[192], comme vous voudrez, fit une grosse gageure, se croyant bien assuré de son bâton, l'Anglois, encore plus sûr que lui, gagna tout ce que l'autre voulut, et se moqua fort de lui. A propos de gageure: il fut une fois cause d'une plaisante chose à Ruel, où il y a un jeu de paume. Le cardinal de Richelieu, le maréchal de Brezé et Nogent-Bautru voyoient jouer une partie dont il étoit. Or, il avoit accoutumé de mettre une légère perruque sur ses cheveux, après les avoir bouclés, car il est fort propre, afin de n'avoir qu'à se peigner quand il avoit joué. Le cardinal et le maréchal donnèrent le mot à Souscarrière, afin d'attraper Nogent, qui est avare en diable et demi. Le maréchal commence donc à dire que Souscarrière avoit ce jour-là la tête belle. «Voire, dit Nogent, c'est une perruque.—Gage que non,» dit le maréchal. Ils gagent et qu'on iroit voir quand la partie seroit achevée. Souscarrière cependant est averti que Nogent disoit que c'étoit une perruque; il l'ôte, et Nogent trouva que c'étoit ses cheveux. On fait une autre partie; Souscarrière joue encore. M. de Chavigny arrive. Nogent, qui mouroit d'envie de regagner, fait tomber le discours sur la belle tête de Souscarrière. Chavigny, averti de tout, dit que c'étoit une perruque. Nogent, croyant avoir trouvé sa dupe, gage ce qu'il avoit perdu. Souscarrière eut le mot, remit sa perruque, et Nogent perdit pour la seconde fois.
Ce voyage d'Angleterre lui valut encore beaucoup en une chose, c'est qu'il en apporta l'invention des chaises, dont il eut le don en commun avec madame de Cavoie[193]. Pour les faire valoir, il n'alloit plus autrement, et durant un an on ne rencontroit que lui par les rues, afin qu'on vît que cette voiture étoit commode. Chaque chaise lui rend toutes les semaines cent sous; il est vrai qu'il fournit de chaises, mais les porteurs sont obligés de payer celles qu'ils rompent. Souscarrière enleva la fille d'un nommé Roger, écuyer in ogni modo, à ce qu'on dit, de feu M. de Lorraine[194]. L'affaire s'accommoda, et on disoit qu'il eût eu beaucoup de bien, sans le désordre qui arriva. Cette femme se laissa cajoler par Villandry, cadet de celui que Miossens tua. Il en découvrit quelque chose. On dit qu'il la menaça du poignard, et qu'il fit semblant de la vouloir jeter dans le canal de Souscarrière (c'est vers Gros-Bois). Enfin il eut avis qu'elle avoit donné un bracelet de cheveux à Villandry, et qu'il y avoit eu des rendez-vous[195]. Notre homme en colère, et sans considérer qu'il avoit jusque là donné assez mauvais exemple sur la fidélité à sa femme, rencontre Villandry aux Minimes de la place Royale, à la messe, où il lui donna un soufflet, et mit l'épée à la main dans l'église. Villandry l'appela, et, craignant un peu son adresse, voulut se battre à cheval contre lui dans la place Royale même; mais il ne laissa pas d'être battu. On dit que Villandry lui dit: «Je vous poignarderois si ma réputation étoit établie; mais il faut que je me batte.» Il lui falloit dire à ce jeune homme: «Mais il faut que vous le battiez;» car c'est justement l'épigramme de Gombauld:
On blâma la Reine de n'avoir point puni l'irrévérence de Montbrun (il s'appela ainsi depuis qu'il fut marié) d'avoir frappé et mis l'épée à la main dans une église, et encore durant qu'on disoit la messe.
Montbrun n'avoit point acquis de réputation à l'armée, car il fut à Arras, au moins au convoi; mais il en revint bientôt. Il dit que cette vie-là n'étoit pas sa vie.
Montbrun, après le combat, tint sa femme un an et demi dans une religion à la campagne; puis il lui manda qu'elle pouvoit aller où il lui plairoit, mais qu'il ne la tiendroit jamais pour sa femme. Elle se retira en Lorraine. On se moqua fort de Montbrun d'avoir été à la cavalcade du Roi, et encore côte à côte du marquis de Richelieu. Après il s'avisa d'aller faire fanfare tout seul à la place Royale; car il n'y eut que lui qui alla faire comme cela l'Abencerrage. Au reste, c'est un vrai Sardanapale; il a toujours je ne sais combien de demoiselles; il en élève même de petites pour s'en divertir quand elles seront grandes. Il a des valets de chambre qui jouent du violon; il se donne tous les plaisirs dont il s'avise. Il a entre autres une fille d'une bourgeoise huguenotte, qu'on appelle madame Guionches; il avoit fait changer de religion à cette fille dont il a eu des enfants. Or, à Charenton, on ne veut point recevoir la mère à la communion, à cause qu'elle a vendu sa fille. Un matin, pendant que madame de Rohan, la douairière, logeoit avec Montbrun, ils ne s'étoient pas mal rencontrés; il avoit fait ajuster une fort jolie maison, et s'en étoit gardé une partie en la louant. Ruvigny, qui est député général des huguenots, en attendant que madame de Rohan fût éveillée, alla voir Montbrun; il y trouva cette femme qui se vint jeter à ses pieds, et lui dit: «Eh! monsieur, vous qui êtes député général, représentez, s'il vous plaît, à messieurs du Consistoire que si j'ai scandalisé l'Eglise, je l'édifie bien aussi; car voilà M. le marquis, dit-elle en montrant Montbrun, qui vous dira comme j'ai résisté à tous les religieux, à tous les curés, à tous les docteurs qu'il m'a fait venir.—Mais, ma pauvre madame, dit Ruvigny en riant, que veut-on de vous à Charenton?—Ils sont bien difficiles à contenter, monsieur, reprit-elle; regardez quelle injustice; ils veulent que je quitte M. le marquis, à qui nous avons tant d'obligation. Ne seroit-ce pas une ingratitude punissable devant Dieu et devant les hommes?—Oui, dit Ruvigny, ils ont le plus grand tort du monde. Si vous voulez, j'en parlerai à M. le cardinal.»
En 1660, au commencement, Montbrun s'avisa de semer tout doucement le bruit que son fils (c'est un bâtard adultérin comme lui) étoit fils d'une personne de fort grande qualité[196]. Et après on contoit qu'en Lorraine autrefois la feue duchesse lui dit un jour: «M. de Montbrun,» ou M. de Souscarrière, je ne sais comment il s'appeloit en ce temps-là, «ne servez-vous point de dame; c'est encore la mode ici. Il faut que vous soyez le chevalier de quelque belle.» On ajoute qu'il lui répondit: «Madame, je n'ose me déclarer, car la seule dame pour qui je le pourrois faire, ne le trouveroit sans doute pas bon; elle m'accuseroit de témérité.—Pourquoi? dites? Nommez-la.» Il lui dit que c'étoit elle. Elle lui en sut si bon gré, que depuis, en France, comme il étoit amoureux à l'hôtel de Lorraine d'une mademoiselle Guerelle, une belle fille qui étoit à elle, la duchesse lui fit si bon visage, qu'enfin il en eut ce petit garçon. Eh bien, ne voilà-t-il pas enchérir sur le jubilé? Quand on lui en a parlé il a fait le fin et n'a pas fait semblant d'entendre. Je ne sais ce qui en est; mais il faut que la duchesse ait eu de grandes privautés avec Termes, frère de M. de Bellegarde-Montespan, car il est constant que M. de Langres (La Rivière) a un diamant qui vient d'elle, et que Termes lui a vendu vingt mille livres. Ce bâtard de Montbrun se noya avec tous ceux qui se trouvèrent dans le vaisseau de la Lune, au retour de Gigery. Montbrun en pensa mourir de douleur.
A la mort de M. le Grand[197], de Bellegarde-Montbrun se présenta pour le voir; M. de Bellegarde d'aujourd'hui, alors appelé M. de Montespan, voulut s'y opposer. «Capitan, Capitan,» lui dit Montbrun (je ne sais pourquoi il lui donna ce nom, si ce n'est pour se moquer de son peu de bravoure), «il t'en coûteroit la vie.» L'autre, voyant cette fierté, le laissa entrer, et il y eut la bénédiction de M. le Grand.
La fin de Montbrun n'a pas été agréable. J'ai déjà dit qu'il étoit pipeur. Il alloit jouer chez Frédoc. Un jour qu'il jouoit à la prime contre Mongeorge, brave garçon, fils de M. Gomin l'escamoteur, Mongeorge s'aperçut qu'il avoit escamoté une prime qu'il tenoit sur ses genoux. Voilà un bruit du diable. Mongeorge le traite de fripon et de filou. Par bonheur pour lui, le maréchal de La Ferté entre, et, par compassion pour lui, il parvint à obliger Mongeorge à achever la partie. Mais depuis cela il n'osoit plus guère aller chez Frédoc, ou du moins il envoyoit voir si Mongeorge n'y étoit point. Il avoit soixante-dix-sept ans. La vieillesse et le chagrin de cette aventure le tuèrent.
LA LIQUIÈRE.
C'étoit la femme d'un procureur de Castres nommé Liquière; elle étoit belle, avoit de l'esprit, et étoit d'une complexion fort amoureuse; mais c'étoit une personne assez extraordinaire, car elle donnoit à ses galants, au lieu de recevoir d'eux, et c'étoit la plus grande joie qu'elle pût avoir au monde. Les guerres de la religion obligèrent son mari, qui restoit catholique, à se retirer à Toulouse avec toute sa famille. Comme on commençoit à pacifier toutes choses, un avocat de Castres fut obligé d'aller à Toulouse pour y poursuivre quelques affaires: par hasard il se trouva logé vis-à-vis de cette femme; il la connoissoit déjà: les voilà les plus grands amis du monde. Il devient amoureux d'elle, et lui déclare sa passion. Elle lui répondit naïvement qu'elle étoit engagée ailleurs; «car il faut que vous sachiez, lui dit-elle, que comme je ne puis vivre sans ami, aussi ne puis-je en avoir plus d'un à la fois. Tout ce que je puis faire pour vous présentement, c'est de vous prendre pour mon confident en attendant que la place soit vide; car je vous trouve bien fait et discret, et ce sont les deux seules qualités que j'estime.» Celui qui la possédoit alors étoit un jeune homme nommé Canabère, frère d'un président au mortier, et un des garçons de Toulouse le mieux fait. Le jeune avocat savoit tout ce qui se passoit entre eux, voyoit les poulets du galant, et aidoit quelquefois à la belle à faire réponse; mais quoi qu'il fît, il n'en put jamais rien obtenir, et cette femme, qui gardoit si mal la foi à son mari, la gardoit si exactement à son galant. Enfin Canabère la quitta pour se marier, et, prenant la connoissance du jeune avocat pour prétexte, lui écrivit une lettre pour rompre avec elle. Elle en fut sensiblement touchée, en pleura la moitié d'un jour avec autant de douleur qu'il se pouvoit. Le jeune avocat tâcha de la consoler; mais il n'en put venir à bout. Le soir il la fit souvenir de sa promesse; aussitôt toute son affliction cesse; elle se donne à lui, et d'une extrême tristesse passe en un instant à une extrême joie. Ils vécurent en fort bonne intelligence, et eurent bientôt pour se voir la plus grande commodité du monde; car la chambre de l'édit, qui étoit séparée à cause des troubles[198], se rejoignit après la déclaration du Roi, et fut envoyée à Béziers; de sorte que le mari de cette femme y transporta sa famille; et l'avocat, qui étoit fils d'un conseiller, et qui commençoit à travailler au barreau, fut aussi obligé de s'y rendre.
Le mari, qui n'étoit pas autrement satisfait de la conduite de sa femme, étoit en mauvais ménage avec elle, et elle couchoit d'ordinaire seule dans une arrière-chambre, où l'on ne pouvoit aller sans passer par la chambre du père du mari, dans laquelle il y avoit toujours de la chandelle allumée, parce que cet homme étoit extrêmement vieux et incommodé; et, quoiqu'elle eût assez de commodité de voir de jour son galant, elle eut la fantaisie de passer une nuit avec lui. Il fallut obéir, et passer par cette chambre dont je viens de parler. Le vieillard, qui ne dormoit presque point, soit qu'il eût entendu du bruit, ou qu'il eût entrevu quelque chose, se leva du mieux qu'il put, et, prenant la chandelle, trouva les deux amants couchés ensemble. Ce spectacle le surprit, de sorte qu'il laissa tomber sa chandelle, sans dire autre chose que Jesus Maria, et s'en retourna comme il étoit venu. La belle voulut persuader au galant de sauter par la fenêtre dans le jardin; mais il ne voulut point quitter un chemin qu'il connoissoit pour un autre qu'il ne connoissoit pas, et, retournant sur ses pas, il ne trouva personne qui l'empêchât de se retirer.
Soit que cet accident l'eût dégoûté, ou qu'il pensât à quelque nouvel amour, il commença fort à se relâcher. Il arriva qu'un nommé Gérard, qui étoit de Béziers, s'imagina que ce garçon en vouloit à une personne qu'il aimoit, et, pour se venger, il entreprit de faire l'amour à la Liquière. Elle, qui ne pouvoit endurer qu'on l'aimât à demi, après avoir gagné absolument Gérard, le mit en la place de l'avocat. Sur cela la peste prit à Béziers. Gérard, qui étoit marié, sous prétexte de mettre sa femme et ses enfants en sûreté, les envoya à un village nommé Florensac, après leur avoir promis de les y aller bientôt trouver. La Liquière, de son côté, laissa aussi partir toute sa famille, et, ayant feint d'avoir quelque affaire pour un jour, alla trouver Gérard qui n'étoit point sorti de la ville. Là, malgré la peste et l'affliction générale, ils passèrent le temps aussi tranquillement que de nouveaux mariés eussent pu faire. Cela ne dura guère; car Gérard fut attaqué de la peste, et par conséquent obligé de sortir. Elle le suivit dans la hutte, le servit jusqu'à l'extrémité, et après sa mort, résolut aussi de mourir, baisa cent fois ses charbons, afin de prendre le mal; «car aussi bien, disoit-elle, je me laisserai mourir de faim.» On eut bien de la peine à l'arracher de dessus le corps de cet homme; on la mena dans une autre hutte, où elle fut attaquée. Elle en eut de la joie, et ne recommanda autre chose en mourant sinon qu'on l'enterrât dans la même fosse où l'on avoit mis son amant.
M. DE GUISE,
PETIT-FILS DU BALAFRÉ[199].
M. de Reims, aujourd'hui M. de Guise, est un des hommes du monde le plus enclin à l'amour. Tandis qu'il possédoit tous ces grands bénéfices de la maison de Guise, il devint amoureux de madame de Joyeuse, fille du baron Du Tour, et femme d'un M. de Joyeuse, de Champagne, de la vraie maison de Joyeuse[200]. Le mari, quoique accommodé, se fit l'intendant du galant de sa femme. Ce Joyeuse étoit si lâche que de prendre pension du marquis de Mouy de la maison de Lorraine, qui étoit aussi un des galants de sa femme. Fabri a dépensé cent mille écus auprès d'elle. Elle ne profitoit point de tout cela, et dépensoit tout. C'étoit une fort bonne femme. Joyeuse étoit un original. Il avoit je ne sais quelle fille avec laquelle il couchoit[201], mais il juroit qu'il ne lui faisoit rien, et qu'en cela il n'offensoit pas Dieu.
Madame de Joyeuse n'étoit plus ni jeune ni belle; mais elle avoit bien de l'esprit et jouoit bien de la harpe. Durant cette amourette, M. de Guise donna au frère de la suivante une prébende de Reims. «Mais je veux, lui dit-il, que tu prennes l'habit de chanoine, car c'est à toi que je donne la chanoinie.» En effet, il lui mit l'habit d'hiver de chanoine, et en cet état la croqua. Ce n'étoit pas la première fois.
M. de Reims aima ensuite la Villiers, qui est encore à l'hôtel de Bourgogne[202]. Elle n'étoit pas trop belle. Pour lui plaire, il portoit des bas de soie jaune sous sa soutane: elle aimoit cette couleur.
En ce temps-là, quoique cadet, il le portoit si haut, que, pour imiter les princes du sang, il se faisoit donner la chemise aux plus relevés qui se trouvoient à son lever. Il se trouva huit ou dix personnes qui firent cette sottise-là. Une fois on la présenta comme cela à l'abbé de Retz, qui la laissa tomber dans les cendres et s'en alla.
J'ai parlé ailleurs de ses amours avec madame d'Avenet et la princesse Anne[203].
Etant devenu l'aîné[204], sous prétexte qu'il étoit marié, le cardinal de Richelieu lui voulut ôter ses bénéfices. Cela l'obligea à se retirer à Sedan. Après la mort de M. le comte (de Soissons), étant passé en Flandre, il prit l'écharpe rouge[205], et ce fut pour cela qu'on lui fit ici son procès. Là il devint amoureux de la veuve du comte de Bossu, une fort belle personne; il l'épousa du soir au matin, et, parce qu'il y avoit quelque formalité omise, le mariage fut confirmé par l'archevêque de Malines.
Des chevaliers de Malte, natifs de Provence, se mirent en fantaisie la conquête de l'île de Saint-Domingue, aux Indes, et jetèrent les yeux sur M. de Reims, depuis M. de Guise, pour le mettre à leur tête. Le dessein étoit bien pris; mais le cardinal de Richelieu ne le voulut pas.
M. de Guise revint en France après la mort du cardinal de Richelieu. J'ai dit déjà comme la princesse Anne lui parla et comme elle n'en eut aucune raison. Il alla voir sa sœur l'abbesse de Saint-Pierre à Reims. Il dîna dans un parloir; après il entra dans le couvent comme prince, comme un homme qui avoit été leur archevêque, et comme frère de madame l'abbesse. Là il se mit à courir après les religieuses, et surtout après une qui étoit fort belle fille. «Mon frère, crioit madame de Saint-Pierre, vous moquez-vous? Aux épouses de Jésus-Christ!!!—Ah! ma sœur, disoit-il, Dieu est trop honnête homme pour craindre d'être cocu.» La religieuse, assez fière naturellement, faisoit bien du bruit de cette insolence. L'abbesse eut peur qu'elle n'en fît faire des plaintes à la Reine, et, pour y remédier, elle dit à son frère tout bas: «Faites-en autant à celle-là qui n'est point jolie.—Ma sœur, elle est bien laide. Mais n'importe, puisque vous le voulez, elle sera tâtée.» Cette laide lui en sut si bon gré qu'elle se garda bien de s'en plaindre, et la belle s'apaisa, voyant qu'elle n'étoit pas la seule.
Il alla voir madame de Longueville, chez laquelle M. d'Enghien se trouva. Là il se mit à se vanter, et dit, entre autres choses, qu'en une certaine rencontre il avoit commandé l'armée d'Espagne. «Nous y étions, dit M. d'Enghien qui vouloit rire; il me souvient d'un homme fait de telle façon, avec des plumes de telle couleur, monté sur un tel cheval; tout le reste sembloit lui obéir.» M. de Guise donne dans le panneau, et dit: «C'étoit moi. Justement j'étois habillé comme vous dites.» Il ne fut pas long-temps à la cour sans oublier madame de Bossu, tout de même que la princesse Anne: il devint amoureux d'une fille de la Reine nommée mademoiselle de Pons[206]. Elle étoit fille du marquis de La Case, de la maison de Pons; son père et sa mère étoient venus ici pour quelque affaire. Madame d'Aiguillon fit cajoler cette fille, qui, mourant d'envie de demeurer à la cour, changea de religion, afin d'entrer chez la Reine. Madame de Bossu étoit tout autrement belle; celle-ci étoit trop grossière et trop rouge en visage pour des cheveux blonds, d'ailleurs un accent de Saintonge le plus désagréable du monde, et l'esprit comme le corps; mais coquette et folle de beaux habits autant que fille du monde. On en avoit déjà un peu parlé avec le maréchal d'Aumont, qui n'étoit alors que capitaine des gardes-du-corps, mais qui étoit marié il y avoit quinze ans.
Il a écrit à madame de Bossu qu'il étoit vrai qu'il l'avoit épousée, mais que tant de docteurs lui avoient assuré qu'elle n'étoit pas sa femme, qu'il étoit obligé de les en croire; qu'il alloit mettre ordre à ses affaires et qu'il la satisferoit; car il lui avoit mangé quatre cent mille livres qu'elle avoit, et il la laissa gueuse. Cette femme n'étoit pas de si bonne maison que le comte de Bossu; elle étoit pourtant bien demoiselle[207], et une des plus belles personnes de son temps. Elle vint jusqu'à Rouen, il y a treize ou quatorze ans, déguisée, avec dessein, disoit-elle, de lui demander au milieu du Cours s'il la reconnoissoit pour sa femme, et, s'il disoit que non, de lui tirer un coup de pistolet, et de se tuer elle-même après. Mademoiselle de Rambouillet, aujourd'hui madame de Montausier, qui étoit alors à Rouen pour un procès, quêta pour elle. Le crédit de madame de Guise fit qu'on lui ordonna de se retirer, et elle ne vint point à Paris.
M. de Guise fit d'abord entendre à mademoiselle de Pons que son mariage avec madame de Bossu étoit nul, et qu'il le feroit casser si elle vouloit l'aimer. L'ambition d'être duchesse et princesse fit goûter la proposition à la demoiselle, et insensiblement elle s'y engagea si bien, que M. de Guise n'étoit que douze heures du jour avec elle; car en ce temps-là, comme bien depuis encore, la Reine laissoit faire à ses filles tout ce qu'il leur plaisoit, et on les cajoloit à ses yeux. Pour leur chambre, leur gouvernante la pauvre madame du Puys n'y avoit pas grand pouvoir; elles lui faisoient même des malices épouvantables; car non contentes de lui avoir coupé des crins de vergette dans son lit, pour l'empêcher de dormir, à Fontainebleau, un été qu'il fit un chaud étrange (1646), elles lui mirent des réchauds de feu sous son lit. Elle crut que c'étoit l'air étouffé de Fontainebleau qui lui causoit cette incommodité; elle se leva pour respirer à la fenêtre, pensant que son lit, découvert, se rafraîchiroit, et elle le trouva encore plus chaud; elle fut long-temps avant que de deviner ce que c'étoit.
On voyoit durant cet amour M. de Guise expliquer devant tout le monde à sa maîtresse un rescrit du pape qu'il avoit obtenu, et elle lui faire des difficultés. Un jour, M. d'Orléans la rencontra seule et lui dit plaisamment: «Mademoiselle, si vous n'y prenez garde, mon frère de Guise vous épousera; au moins, je vous en donne avis.» Toutes les fois que la Reine sortoit, on le voyoit suivre le carrosse des filles, et ses folies amoureuses étoient si publiques, que tous les artisans de la rue Saint-Honoré, approchant du Palais-Royal, ne s'entretenoient d'autre chose. On lui rapporta qu'un médecin nommé ........[208], qui servoit la maison, fit quelques vers où il rioit des amours de M. de Guise et de mademoiselle de Pons. Tout ce qui touchoit cette fille étoit à son égard un crime de lèse-majesté; de sorte que, sans s'informer si ce qu'on lui avoit dit étoit vrai, il fit monter ses gens chez cet homme, et il demeura à la porte tandis qu'on le bâtonnoit. Cela est assez vilain, ce me semble.
Un automne que la cour étoit à Fontainebleau, la demoiselle demeura chez sa belle-sœur de La Case, pour se baigner. On la purgea; il se voulut purger aussi. Il prit de la même drogue, la même dose, et de la main du même apothicaire, disant qu'il en avoit besoin, et qu'il ne pouvoit pas se bien porter, puisque mademoiselle de Pons étoit indisposée. Une fois, il lui prit je ne sais quelle vision sur ce qu'elle lui avoit dit qu'il ne l'aimoit point, de tirer son épée, pour se tuer, disoit-il. On entendit un grand cri: on y courut; elle se tuoit de lui dire: «Remettez votre épée, M. de Guise, remettez votre épée, je crois que vous m'aimez plus que votre vie.»
M. d'Orléans le fit nommer son lieutenant-général en Flandre. Il ne put se résoudre à partir; il envoya son train. Il fut fort long-temps en juste-au-corps; mais il n'alla pas plus loin que Fontainebleau; là, pour le moins aussi fou qu'à Paris, il prit des eaux parce qu'elle en prenoit; il les prenoit à même heure qu'elle, et avec les mêmes précautions; soit qu'il fût plus échauffé qu'elle, il les rendoit fort mal, quoiqu'elle les rendît fort bien. Pour y remédier, il lui prit une de ses jupes, et se la mettait quand il buvoit, et cela sérieusement. Toute la cour l'a vu en cet état quinze jours et davantage.
Il passoit les journées entières avec elle; tout le monde étoit en peine de ce qu'il lui pouvoit tant dire; enfin, on découvrit qu'il lui disoit bien souvent des choses par cœur; et un jour qu'elle lui avoit demandé le second volume de Cassandre, il ne le lui envoya pas, mais il le lut toute la nuit, et le lendemain, il le lui récita d'un bout à l'autre, sans s'amuser aux paroles de l'auteur, car il est constant qu'il a la mémoire excellente. Son grand jugement au moins ne l'empêche pas d'en avoir beaucoup. Il sait quelque chose, a de l'esprit, dit les choses agréablement, n'est pas méchant, a de la générosité, du cœur et est fort civil. «C'est dommage qu'il est fou,» comme disoit M. de Chevreuse. A propos de sa civilité, on dit qu'un savetier qu'il salua, car, par une tradition de sa maison, il salue volontiers, lui dit: «Boutez sus, boutez sus; ce n'en est plus le temps;» voulant dire qu'il n'y avoit plus lieu de faire une Ligue. On disoit qu'à une collation à Meudon, il fit venir des marionnettes et des joueurs de passe-passe, et que le bateleur, au lieu de dire à son chien: Pour le roi de France, disoit: Allons, pour mademoiselle de Pons, et qu'au lieu du roi d'Espagne, il disoit: Pour madame de Bossu.
Cet amour ne plaisoit nullement à madame ni à mademoiselle de Guise; et cela les mit si mal, qu'il ne les voyoit plus. Un jour, mademoiselle de Guise se résolut de lui parler, et le disposa à voir madame sa mère. Elle n'y perdit point de temps et fit si bien que madame de Guise et son fils conclurent toutes leurs affaires. Or, il y avoit dans la maison pour deux cent mille livres de pierreries; elles lui appartenoient, il les vouloit avoir. Sa mère, qui voyoit bien que c'étoit pour donner à mademoiselle de Pons, fit ce qu'elle put pour ne s'en point dessaisir; mais voyant qu'il s'y opiniâtroit, elle donna les mains, à condition toutefois qu'il trouveroit bon qu'on lui rembourseroit un collier de dix mille livres que mademoiselle de Guise avoit accoutumé de porter. Il n'y voulut pas consentir, et mademoiselle de Guise, indignée de cette dureté, défit ses perles sur l'heure, et les lui alloit donner, quand un homme vint dire quelque chose à l'oreille de M. de Guise. Il y a apparence que c'étoit un message de la demoiselle. Il part sans songer à ses pierreries. Madame de Guise, voyant cela, porte la cassette de pierreries à madame d'Orléans, et, quand M. de Guise la redemanda, on lui dit qu'elle étoit chez Madame. Cela l'irrita tellement, qu'il commanda à un des siens d'aller dire de sa part à madame de Guise qu'elle sortît tout présentement de l'hôtel de Guise. Ce gentilhomme s'en voulut excuser; mais il lui dit que s'il ne le faisoit, il lui feroit sauter les fenêtres. Il y alla donc; mais l'affaire s'accommoda. Madame de Guise, qui avoit tant craint madame de Bossu, eût bien voulu la tenir, tant elle avoit peur de mademoiselle de Pons.
Quelque temps après il partit pour aller à Rome, avec un frère de mademoiselle de Pons, qu'on appeloit le comte de Rochefort, disant qu'il vouloit sortir d'embarras; que madame de Guise, avant qu'il aimât mademoiselle de Pons, lui disoit qu'il n'étoit point le mari de madame de Bossu, et qu'à cette heure elle dit que si; et que, pour lui, il s'en vouloit tenir au jugement du Saint-Père. Il ne fut pas plus tôt parti que les rieurs disoient: Que ce Pont pourroit bien être à la fin un Pont au change; et d'autres que ce Pont avoit grand besoin d'un garde-fou; d'autres que les fondemens n'en valoient rien, et qu'il pourroit bien devenir Bossu. Et on dit qu'en passant en Provence, il pria un président de demander pour lui mademoiselle d'Alez en mariage. Il laissa à Paris un train complet dans une maison proche du Palais-Royal, dont mademoiselle de Pons se servoit quand elle en avoit besoin, jusqu'à se faire apporter à manger dans sa chambre, car elle en avoit une à part. Elle y fit même tendre un lit de M. de Guise, parce qu'elle devoit faire des remèdes durant quelques jours, et qu'elle vouloit qu'on la vît dans un beau lit.
Son combat avec Coligny, son voyage de Naples, la suite de ses amours et ses autres aventures seront dans les Mémoires de la Régence.
M. de Guise parloit un jour d'un jeune garçon nommé Quinault, qui fait des comédies où il y a beaucoup d'esprit. «Vous voyez, dit-il, c'est le fils d'un boulanger; il n'enfourne pas mal. C'étoit le valet de Tristan; Tristan étoit à moi; c'est comme Élie, qui laissa son manteau à Élisée.—Cela seroit bon, dit Bourdelot qui étoit présent, si Tristan eût eu un manteau.» M. de Guise ne sut que répondre, lui qui s'étoit vanté que Tristan étoit à son service[209].
MADAME DALOT.
Madame Dalot est fille d'un simple bourgeois d'Agen, qui la laissa en fort bas âge riche de cinquante mille écus. Elle avoit encore sa mère qui avoit aussi du bien. La chambre de l'édit étoit alors à Agen. Viger, conseiller huguenot, songea à épouser la mère, et à faire épouser la fille à son fils; mais la fille étoit si jeune qu'on ne put que les accorder. Elle eut de l'aversion pour ce garçon, et elle n'avoit pas encore douze ans qu'elle devint amoureuse d'un jeune homme de la ville, nommé Dalot, qui étoit bien fait et entreprenant; elle consentit qu'il l'enlevât; mais cela n'étoit pas aisé; car madame de Viger, sa mère, la gardoit soigneusement. Néanmoins, il gagna une servante qui l'avertit de tout, et madame de Viger étant absente, il fut introduit dans la maison trois heures avant jour. Comme il alloit à tâtons, au lieu de sa maîtresse il enleva une jeune fille qui couchoit avec elle. Il étoit déjà assez avant dans la rue quand il reconnut son erreur; il fallut donc retourner. Par bonheur il étoit le plus fort, et encore il avoit eu la prévoyance de mettre des tire-fonds aux portes voisines, de peur qu'on ne vînt au secours. Il sortit avec la demoiselle par un trou qu'il avoit fait faire à la muraille de la ville, et se retira dans un château d'un homme de qualité. Là, il fut assiégé dès le lendemain, et il tint le siége tant qu'il eut des vivres. Une belle nuit qu'il faisoit fort obscur, il se sauva avec sa maîtresse en Rouergue, après l'avoir descendue par une fenêtre; ce fut chez M. d'Arpajon, qui lui donna retraite dans une de ses maisons; mais le crédule Viger lui faisant peur, ils se déguisent en pélerins et prennent le chemin de Notre-Dame-de-Craux. En ce voyage, la pauvre petite eut bien de la peine à s'empêcher d'être reconnue; elle étoit déguisée en homme. Enfin, ils passèrent en Savoie et s'allèrent jeter aux pieds de la princesse de Piémont, aujourd'hui madame de Savoie[210]. Elle les prit en affection et fit instruire la dame en sa créance, car elle étoit huguenote. Viger, qui avoit des amis à la cour, fit tant envers le cardinal de Richelieu, que la princesse fut obligée de la renvoyer à Paris, où elle fut mise chez feu madame la comtesse[211]. On dit que M. le cardinal en devint amoureux, et que Dalot en eut bien de la jalousie. Par arrêt du Conseil, elle fut mise dans un couvent, afin d'être en liberté de dire si Dalot l'avoit enlevée de gré ou de force, et si elle le vouloit toujours pour mari. Quelque temps après étant introduite au Conseil d'en haut, elle dit que Dalot l'avoit enlevée de son consentement, que c'étoit son mari et qu'elle n'en auroit jamais d'autre. Ils retournèrent en Savoie, d'où, je ne sais par quelle aventure, ils s'allèrent établir en Guienne. Dalot mourut bientôt après. Elle disoit qu'elle n'avoit point de peur du Roi ni des princes quand elle parla au Conseil, mais seulement du cardinal de Richelieu, et qu'il la faisoit trembler.
Il prit une vision à elle et à deux veuves de qualité de faire un couvent comme celui des chanoinesses de Miremont, et elles disoient qu'elles attendoient des bulles du pape pour cela. Cette femme avoit été fort belle et fort galante: elle eut une fille de Dalot, dont elle étoit furieusement jalouse, car elle avoit vingt-trois ou vingt-quatre ans de plus que sa fille, qui n'étoit pas moins belle qu'elle avoit été à cet âge-là. La fille de son côté n'étoit pas moins galante, et elle haïssoit sa mère comme la peste. Toutes deux sont pestes, mais ne manquent point d'esprit. Dans les derniers troubles, le comte d'Harcourt coucha, dit-on, avec la mère. Un page de Saint-Luc, qui cherchoit le comte, ne le trouvant point dans tout le logis de madame Dalot (on lui avoit dit qu'il y étoit), ouït du bruit en passant près d'un cabinet; il prête l'oreille, il entend madame Dalot qui disoit: «Ah! mon prince, que faites-vous? que voulez-vous faire?» Parmi cela, il y avoit un bruit de chaises; peu de temps après on ne dit plus mot; il n'y avoit que les chaises qui parloient. Saint-Luc fit faire le conte au page devant tout le monde. Le prince de Conti en conta un peu à la fille; Sarrazin un peu davantage et quelques autres; mais M. de Candalle pouvoit bien avoir mis l'aventure à fin.
M. DE ROQUELAURE[212],
BOISSAC, MADAME DE LESDIGUIÈRES.
Le maréchal de Roquelaure eut des garçons de sa seconde femme, et des filles aussi en assez bon nombre. Du premier lit il n'avoit eu que des filles. Il en maria une à feu M. de Gramont, père du maréchal; une autre à feu M. de Noailles, et une troisième à M. de La Vauguyon, père de feu Saint-Mégrin. L'aîné de ses garçons, qui est aujourd'hui duc à brevet, entra dans le monde long-temps après la mort de son père. La mère a vécu fort long-temps, et ils ont eu bien des choses à démêler ensemble. Il y avoit assez d'argent; mais il n'y avoit que vingt mille livres de rente en fonds de terre. On n'a jamais guère vu un homme plus gascon ni plus haut à la main, sans avoir la réputation de brave. Il avoit un tel empire sur les gens de sa volée qu'il les appeloit presque tous par leur nom, et les autres ne le traitoient guère ainsi. Feu Saintot-Lardenay, maître des cérémonies, pour faire l'homme d'importance, un jour à l'hôtel de Bourgogne, crioit d'une loge à Roquelaure, qui étoit vis-à-vis: Roquelaure! Roquelaure! L'autre lui répondit: Saintot, este familiarité ne se font.
En une assemblée, un conseiller au parlement, nommé Blancmesnil, de la famille des Potiers, fils de feu M. d'Ocquerre, secrétaire d'État, et par conséquent cousin de M. de Fresnes, eut prise avec lui pour un siége; et, sur ce que quelqu'un dit que c'étoit un conseiller au parlement, «Un conseiller, mesdioux,» reprit-il, «des bâtons, des bâtons.» L'affaire s'accommoda; mais Blancmesnil s'éloigna pour quelque temps; depuis il s'est fait président aux enquêtes. Roquelaure trouva son Roquelaure quelque temps après; car ayant été pris avec Saint-Mégrin à la bataille d'Honnecourt, ce neveu, qui étoit pourtant aussi vieux que lui, en je ne sais quelle rencontre, lui donna un beau soufflet au sortir de prison. Le maréchal de Gramont les accommoda. En une assemblée, madame Aubert, dont nous parlerons ailleurs, l'ayant pris à danser, il se tourna vers un homme de la cour qu'il appeloit son gouverneur: «Mon gouverneur, lui dit-il tout haut, danserai-je avec cette bourgeoise?» Sur cela on fit ce vaudeville: