← Retour

Les historiettes de Tallemant des Réaux, tome quatrième: Mémoires pour servir à l'histoire du XVIIe siècle

16px
100%
Roquelaure est un danseur d'importance;
Mais
S'il ne connoît l'alliance,
Il ne dansera jamais.

On en fit un autrefois qu'il étoit amoureux de madame de Guemenée; c'est, je pense, sa première galanterie. Le voici:

Marquis de Roquelaure,
Vous êtes un faux galant;
Allez, petit frelaure[213],
Cajoler la Beaustant;
Car pour une princesse,
Vos brusques gentillesses
N'ont pas assez d'attraits;
Retournez au Marais.

Un jour qu'il étoit dans le carrosse d'un homme de la cour, je n'ai pu savoir son nom ou je l'ai oublié, comme ils passoient par la Place Royale, madame de Guemenée, qui sortoit en carrosse, pria celui avec qui étoit Roquelaure qu'elle lui pût dire un mot. Il arrête, et ils se parlent portière à portière. Roquelaure étoit de l'autre côté, elle ne fit pas semblant de le voir. Son ami l'en railla et lui dit: «Roquelaure, la princesse ne te connoît plus.» Cela le mit en colère. «La princesse ne me connoît plus, dit-il, j'ai pourtant pièces en main pour prouver qu'elle me doit bien connoître.» Il dit encore bien d'autres sottises en divers lieux; et sur cela mademoiselle de Rohan lui ayant voulu faire des reproches de ses médisances, et lui ayant dit que madame de Guemenée étoit une personne de laquelle on ne parloit point: «On parle de tout le monde, lui répondit-il; mademoiselle, on parle même de vous.» Depuis il a dit à M. d'Avaugour, en présence de Barrière: «Te souvient-il, Avaugour, quand je te rencontrai sur les escaliers de la Guemenée, que tu avois une croix du bois de la vraie croix, dont elle t'avoit fait présent? Je venois de la b..... trois fois, ou Dieu me damne! et cependant elle faisoit la bigotte avec d'Andilly. Je me moquois bien de toi, qui pensois gagner quelque chose avec ta croix.»

Avant que de parler de madame de Lesdiguières, il faut dire ce qui arriva à Roquelaure en une compagnie particulière. Quelques femmes avoient soupé chez feu Du Gué Bagnols[214], depuis grand janséniste, alors garçon. Madame d'Orgères,[215] qu'on appeloit alors mademoiselle Garnier, aujourd'hui madame de Champlâtreux, y étoit. L'après-souper, Châtillon, La Moussaye, Roquelaure et quelques autres y allèrent. On eut beau dire que c'étoit une compagnie fort particulière, ils entrent; on fut contraint de leur faire bon visage, et enfin chacun s'attacha à celle qu'il rencontra le plus à propos. Il y avoit un lit dans la chambre; plusieurs y étoient couchés: Roquelaure se mit à badiner avec une femme qui lui sembla d'assez bonne composition. Il y avoit du feu; mademoiselle Garnier étoit auprès de la cheminée; la plupart de la compagnie s'en approcha. Le marquis trouva tout assez bien disposé: il tire un homme de sa connoissance à part, et lui dit qu'il le prioit de faire en sorte qu'on amusât mademoiselle Garnier... L'autre y va, et Roquelaure, retourné à sa dame,...... en eut tout ce qu'il voulut sans partir de là. L'insolence qu'il fit à feu madame de Lesdiguières est ce qui a fait le plus de bruit, et avec raison; car un soir, au bal, s'étant mis derrière elle et madame de Longueville, il dit à cette princesse: «Madame, que vous avez été trahie! Toutes les confidences que vous avez faites à cette ingrate, dit-il en montrant madame de Lesdiguières, n'ont pas été tenues secrètes, comme elles devoient. Voici le sein qui les a toutes reçues; c'est à moi qu'elle a tout dit.» Et ensuite, il dit d'étranges choses de la pauvre duchesse. Non content de cela, il écrit au mari même ce qu'il disoit à tout le monde, à savoir que, dans une grande maladie que lui, Roquelaure, venoit d'avoir à Fontainebleau, madame de Lesdiguières, au commencement, avoit envoyé tous les jours pour savoir de ses nouvelles, puis de deux jours l'un, après de loin en loin, et enfin plus du tout; que, le voyant en danger, elle avoit trouvé moyen de retirer toutes ses lettres, et que quand il fut guéri, elle ne le voulut plus recevoir. On dit que se voyant exclu, il dit au suisse: «Suisse, que je voie au moins mon fils; apporte-moi mon fils.» Perdant contre Créqui, héritier présomptif de M. de Lesdiguières avant qu'il eût un fils, il lui disoit: «Créqui, tu te venges, tu te venges. Créqui, sans moi tu eusses eu une belle succession; c'est moi qui lui ai fait un héritier.» On fit en ce temps-là un testament au nom de Roquelaure, où on lui faisoit donner son fils à M. de Lesdiguières, et son esprit à Créqui. Ce M. de Créqui, aujourd'hui premier gentilhomme de la chambre, et duc à brevet, n'a jamais passé pour un grand personnage. On disoit, pour rire, que, quand on manda par lui au cardinal de Valençay qu'il se retirât, le cardinal avoit dit: «Je vois bien qu'on veut que je m'en retourne; car on m'a envoyé un cheval.» Roquelaure disoit qu'il avoit dépensé quarante mille écus auprès de cette carogne; il l'appeloit ainsi. Une demoiselle qu'elle avoit nommée Saint-Nazaire en avoit un diamant de douze cents écus. Le jeu, où il est très-heureux, lui fournissoit de quoi faire toute cette dépense. On disoit qu'il avoit pris quelque jalousie de M. d'Enghien, qui pourtant ne s'est jamais attaché à elle, quoiqu'elle fût bien faite, et qu'elle ne manquât point d'esprit; il avoit le cœur ailleurs. Cette insolence fit un bruit épouvantable. Le coadjuteur, cousin germain de la duchesse, qui avoit été un peu amoureux d'elle, et qui dès le temps de la princesse de Guemenée en vouloit déjà à Roquelaure, le coadjuteur donc, voyant que son frère le duc de Retz ne s'en remuait pas autrement, alla trouver le cardinal Mazarin et lui dit: «Si on ne fait taire Roquelaure, je ne réponds pas que mes amis, que j'ai eu de la peine à retenir, ne le punissent de son insolence.» Le cardinal promit d'y mettre ordre. Le jour même, Roquelaure étant allé, assez bien accompagné, aux Tuileries, le duc enfin se réveilla, et avec ses amis et ceux de son frère y alla si bien secondé que le marquis fut contraint de se retirer. Roquelaure envoya sur cette insulte appeler le duc, qui fut trois quarts d'heure à l'attendre au rendez-vous (c'étoit à la Place Royale), jusqu'à ce qu'un des siens l'y surprit; car il étoit seul. Il envoya ce gentilhomme dire à Roquelaure qu'il falloit aller derrière les Petits-Pères, et qu'il se pourvût d'un second. Roquelaure s'y fait porter en chaise; mais la chose étoit si secrète que ses porteurs le savoient, et le furent dire à Montauron, qui étoit dans l'église à la messe; car il étoit fête; ainsi ils furent arrêtés. Il y en a qui ne le content pas si à l'avantage de ce duc, qui à la vérité n'est pas un grand personnage; mais j'ai ouï dire à gens non suspects une chose de lui qui me feroit croire qu'il n'a pas manqué au rendez vous, c'est qu'un simple gentilhomme de Bretagne l'ayant fait appeler, il y alla. C'est un si grand rêveur, qu'une fois il se jeta, en rêvant, dans un canal où il se pensa noyer. Une fois il fit une sottise sans rêver. A Ingrande, sur la rivière de Loire, il y a une espèce de barque armée pour les traites foraines qui va visiter les bateaux: il crut qu'on lui faisoit tort d'en user ainsi envers lui, et fit jeter dans l'eau le commis sans dire gare; après il se trouva que le commis lui venoit présenter des melons.

Pour Roquelaure, il est fanfaron. Je crois qu'il ne s'est battu qu'une fois, où il n'eut qu'un coup dans ses chausses pour toute blessure: jamais on ne put l'obliger à changer d'habit, et il alla faire des visites avec ce haut-de-chausses. Le coadjuteur, avec son empressement, fit un peu rire les gens, et on disoit: «Ce prêtre en veut donc aussi à la duchesse.» M. de Lesdiguières ne s'ébranla point pour tout cela, et fit par stupidité tout ce qu'un autre auroit pu faire par philosophie. Enfin Roquelaure eut ordre de s'éloigner pour quelque temps.

Roquelaure ne fut pas plus tôt de retour que le bruit courut, car il suffit qu'un homme soit en réputation de bonnes fortunes pour lui en attribuer cent, que madame de Sully, fille du chancelier, avoit pris la place de madame de Lesdiguières, et qu'on y avoit vu entrer Roquelaure par la porte de derrière à heure indue. On l'y avoit vu entrer parce qu'étant sur le soir avec d'autres fainéants comme lui, il leur dit: «Vous autres, vous allez les uns au Palais-Royal, les autres jouer, moi je vais à dames;» disant cela, en se peignant et faisant l'homme accablé de bonnes fortunes. On le suivit et on le vit entrer à l'hôtel de Sully, comme j'ai dit; mais c'étoit pour une suivante appelée Pelloquin[216]. Roquelaure dit qu'il avoit gagné la confidente de madame de Lesdiguières, et que M. le duc d'Enghien, comme il l'avoit su d'elle, écrivoit à madame de Lesdiguières dans les lettres de madame de Longueville. M. le duc fit une fête pour elle, où Roquelaure ne vouloit pas qu'elle allât. Elle s'excusa sur ce qu'il avoit eu tort de la laisser engager, et qu'elle ne pouvoit pas du soir au matin feindre une maladie; elle y fut donc quoiqu'il fût encore venu pour la prier de n'y pas aller; cela acheva de le désespérer. Il dit pour ses excuses du vacarme qu'il fit, qu'elle le menaça de le faire maltraiter. Je doute que cela soit vrai.

Madame de Lesdiguières, pour vérifier la médisance de Roquelaure, souffrit depuis les galanteries de M. d'Émery: on voyoit Césarin, fils de l'intendant de la duchesse, aller et venir sans cesse dans le cabinet de cet homme. Dès le vivant du maréchal de Créqui, son beau-père, elle avoit fait parler d'elle. C'est sur cela que Boissat[217] l'académicien, frère de Boissat, bon officier de cavalerie, s'avisa de lui donner la baie, comme font les masques en Dauphiné et en Provence. Au carnaval, c'étoit à Grenoble, il s'habilla donc en sage-femme, et avoit un écriteau sur l'estomac, où il y avoit: Il n'y a que moi de sage-femme. Il dit quelque chose à la dame dont elle s'offensa fort, outre qu'elle prit l'écriteau à son désavantage. Il lui dit aussi en lui présentant des ciseaux, «qu'il les lui donnoit parce qu'elle découpoit fort bien.» Irritée au dernier point, et fière de sa lieutenance de roi, car M. le comte de Soissons, qui étoit gouverneur de Dauphiné, vivoit encore, elle obligea son mari, qu'on appeloit alors le comte de Saulx, à le faire maltraiter. Boissat eut des coups de bâton, et fut fort blessé à la tête. Par une démangeaison d'écrire, il écrivit sa déconvenue à l'Académie; car il croyoit qu'elle engageroit le cardinal de Richelieu à venger l'affront fait à une personne du corps. Mais il n'avoit pas plus de jugement en cela qu'en autre chose[218]. C'est un homme d'esprit, mais il est hâbleur en diable. Ce qu'il a fait en vers et en prose n'est que médiocre. Je me souviens qu'il vint à Paris incontinent après, et que madame d'Harambure qu'il vit de nuit, car il ne se montroit point, lui ayant dit: «Oseroit-on vous parler d'oublier?—Ah! répondit-il, j'ai reçu des coups trop près de la mémoire.»

La Noye, aujourd'hui le marquis de Piennes, son ami, dès le temps que Monsieur étoit en Flandre (ils l'avoient suivi tous deux), tâcha de faire que le comte de Saulx se battît contre Boissat; mais il n'en put venir à bout. Quand Pellisson fit l'Histoire de l'Académie, on voulut savoir de lui s'il trouveroit bon qu'on y mît sa lettre à l'Académie, comme on y mettoit toutes celles qui avoient été écrites à la Compagnie. Il dit qu'on supprimât la première lettre; et quand on lui demanda si on mettroit le reste, il ne répondit rien. Voilà son silence pris pour approbation. On croit que, comme feu M. de Créqui avoit dit qu'il n'étoit gentilhomme, il ne fût fâché qu'on vît dans ce livre une assemblée de noblesse en sa faveur. Depuis, il s'est ravisé, et un an après a demandé qu'on ôtât tout cela. On lui a promis de l'ôter à la seconde édition; mais à quoi cela servira-t-il? La première édition en sera plus chère. Si j'étois en la place du libraire, je garderois dès à présent ce qui reste, je ferois une seconde édition, et je vendrois sous main les premières; car on dira: Je veux des bons, je veux de ceux où sont les coups de bâton de Boissat.

Il est devenu dévot, a fait des vers latins de dévotion, et s'est marié à Vienne; on ne l'a point revu à Paris. Il dit une plaisante chose, une fois, à un gueux du Cours: «Mon ami, lui dit-il, je m'appelle Boissat, je suis à Monsieur, et je viens de Flandre.»

Reprenons madame de Lesdiguières. Elle eut depuis un autre garçon. On a parlé depuis de M. d'Humières avec elle.

La petite de La Vergne[219], fille de La Vergne, gouverneur de M. de Brezé, qui, dit-on, ressemble à madame de Lesdiguières, dit un jour à Roquelaure, comme il se mettoit auprès d'elle: «Monsieur, prenez garde à la ressemblance.—Mademoiselle, répondit-il, prenez-y garde vous-même.»

Enfin, il falloit que Roquelaure fût puni de toutes ses insolences en apprenant ce que c'est que jalousie. Il devint amoureux de mademoiselle Du Lude, une des plus belles, pour ne pas dire la plus belle de la cour. Il promit cinq cents pistoles à une femme de la mère, si l'affaire réussissoit; car la pucelle eût mieux aimé Vardes que lui, qui n'étoit plus jeune. Le comte Du Lude, depuis un combat qu'il fit avec Vardes durant le blocus de Paris, où ils se blessèrent tous deux cruellement, avoit fait une amitié étroite avec ce jeune cavalier, vouloit lui donner sa sœur et disoit: «Je n'aurai point d'enfants, ma femme est stérile.» (C'est une chasseuse à outrance et qui joue ici au mail publiquement en justaucorps[220].) «J'aime mieux que mon ami ait tout qu'un autre.» Cependant l'affaire réussit, car il fit bien de l'avantage à sa femme; et le lendemain des noces Roquelaure compta les cinq cents pistoles à la suivante, et lui dit: «Mademoiselle, en voilà encore cent par-dessus; mais prenez la peine de vous aller marier où il vous plaira.» Il ne la voulut plus souffrir auprès de sa femme. Nous en parlerons amplement dans les Mémoires de la Régence.

Deux ans après, il lui vint huit mille livres de rente d'une plaisante façon. Un gentilhomme gascon, vieux garçon, en colère contre ses parents, sur le point de mourir, voyant par sa fenêtre une maison qui est à Roquelaure: «Je donne tout mon bien à M. de Roquelaure, dit-il. Ecrivez, notaire. Sa terre m'a fait souvenir de lui.»

Quand il recherchoit mademoiselle Du Lude, la comtesse, mère de la demoiselle, alla naïvement s'informer de lui à madame de Lesdiguières, qui ne put s'empêcher d'en rire, et après lui en dit bien sérieusement ce qu'elle en pensoit, c'est-à-dire que si sa fille vouloit avoir de la complaisance, elle serait fort heureuse avec lui. En effet, Roquelaure est bon mari.

LA TOUR ROQUELAURE.

La Tour, surnommé La Tour-Roquelaure, étoit bien parent de Roquelaure, mais n'étoit point de la même maison, si ce n'est par les femmes; mais on l'appela ainsi à cause qu'il étoit toujours avec le marquis, et que ce fut lui qui l'introduisit dans le monde. Il étoit bien fait et dansoit fort bien; vrai parent de Roquelaure pour l'insolence. Il eut une forte galanterie avec madame de Montglas[221]. Un jour qu'il étoit brouillé avec elle, il dit à la comtesse de Fiesque: «Pensez-vous que je m'en soucie? J'en ai eu assez de choses.» Il dit aussi qu'il avoit couché avec madame de Comminges, avec madame de Fosseuse et avec madame d'Uxelles[222]. «Qui vous croiroit? dit la comtesse, vous n'avez pas une lettre.—Vous avez raison, dit-il, je suis un fat. Je ne coucherai plus avec pas une qu'elle ne m'ait écrit auparavant. Cette Montglas ne m'a jamais voulu écrire à cause de cela.» Leur querelle vint de ce qu'elle ne vouloit pas qu'il entrât, je ne sais quel jour qu'elle avoit fait quelque remède; il entra pourtant et lui parla du style de son cousin. On disoit à cette femme, en la consolant des insolences de cet homme, qu'il falloit pardonner aux amoureux. «Ah! pour amoureux, dit-elle en franche coquette, il l'est autant qu'on le peut être.»

Le comte de Fiesque écrivit en ce temps-là un billet sans signer à Belesbat en ces termes: «M. de Belesbat est prié de se trouver chez M. le marquis de Roquelaure pour, conjointement avec M. de La Tour, vaquer aux affaires de leur vacation.» La Tour fut fort déferré de cette équipée. On lui proposa, pour se raccommoder avec tout le sexe, de faire la fête du Menteur, et que celles qui s'y trouveroient seroient obligées de le recevoir chez elles; car les dames lui avoient fermé la porte. Il n'y mordit point. Avant cela, se trouvant en lieu obscur ou écarté avec madame d'Uxelles, il voulut entreprendre quelque chose; elle le repoussa rudement. «Pardioux, lui dit-il, madame, qu'auriez-vous dit d'un gascon qui n'eût rien entrepris en si belle occasion?» La Tour fut tué à la guerre.

La comtesse de Fiesque écrivit un jour à madame de Montglas: «Ma chère, venez me voir; il est quatre heures, et il n'est venu encore personne; je suis au désespoir.»

Au carnaval de 1652, madame de Montglas fit une plaisante extravagance chez la présidente de Pommereuil. On y devoit jouer Pertharite, roi des Lombards, pièce de Corneille qui n'a pas réussi[223]. Mademoiselle de Rambouillet dit à Segrais, garçon d'esprit, qui est à cette heure à Mademoiselle[224], qu'elle n'avoit point vu l'Amour à la mode[225]; et qu'elle l'aimeroit bien mieux. «Dites-le à la comtesse de Fiesque.» La comtesse le dit à Hippolyte; c'est le fils du président de Pommereuil du premier lit, un benêt qu'on appeloit ainsi parce qu'on lui faisoit la guerre qu'il étoit amoureux de sa belle-mère. Hippolyte, qui étoit épris de la comtesse, alla dire aux comédiens que, quoi qu'il coûtât, il falloit absolument jouer l'Amour à la mode, et les envoya changer d'habits. On joue; madame de Montglas réclame et fait bien du bruit. La comtesse et elle se harpignèrent; les autres ne dirent rien. Au troisième acte, patience échappa à madame de Montglas; elle crie tout haut: «Mon carrosse est-il venu?—Non, madame.—Celui de l'abbé de Richou y est-il? (Notez que c'étoit son galant.)—Oui, madame.» Elle sort, et, par une plaisante rencontre, le comédien qui étoit sur le théâtre dit:

Retraite ridicule et fort extravagante.

C'étoit justement où il en étoit, et dans la comédie une femme se retiroit comme cela brusquement. Cela fit rire jusqu'aux larmes.

LE CHEVALIER DE ROQUELAURE.

Le chevalier de Roquelaure[226] est une espèce de fou, qui est avec cela le plus grand blasphémateur du royaume. On dit qu'il s'est un peu corrigé. A Malte, il fut mis dans un puits, où on le laissa quelque temps par punition. A l'armée navale, le comte d'Harcour fut sur le point de le faire jeter dans la mer avec un boulet au pied. Cela ne le rendit pas plus sage[227]; car quelques années après, ayant trouvé à Toulouse des gens aussi fous que lui, il dit la messe dans un jeu de paume..., baptisa et maria des chiens, et fit et dit toutes les impiétés imaginables. On en avertit la justice. On y fut; mais ils se défendirent. Enfin pourtant il fut pris. Quelques jours après il corrompit le geôlier moyennant six cents pistoles: le geôlier se sauva avec lui, dont mal lui en prit, car le chevalier lui prit son argent, et le renvoya comme un coquin. On les suivit, et le chevalier fut repris. Son frère aîné ne perdit point de temps, et obtint une évocation à Paris, ou, pour mieux dire, une jussion de ne passer point outre. Cela lui sauva la vie. Voilà le chevalier à Paris, qui, au lieu de se retirer, ou du moins de vivre modestement, se promenoit à la vue de tout le monde, ne bougeoit du cabaret, et menoit toujours sa vie ordinaire. Quelques dévots représentèrent à la Reine que sa régence ne prospéreroit point si elle laissoit ce sacrilége impuni. On donne donc ordre, à l'insu du cardinal Mazarin, au prévôt de L'Ile de prendre le chevalier; ce qu'il fit, non sans perdre de ses archers; et, du côté du chevalier, Biran[228], un de ses frères, grand gladiateur, y fut blessé. On le mena à la Bastille, où il fut assez long-temps. Le cardinal assura le marquis de la vie de son frère; car pour la prison, ses parents eussent été ravis qu'on l'y eût tenu à perpétuité. A la cour on murmuroit de cette sévérité, et les femmes même disoient tout haut: «qu'on n'avoit jamais vu arrêter un homme de condition pour des bagatelles comme cela.» Madame de Longueville étoit de ce nombre. Après il fut mené à la Conciergerie, et on parla tout de bon de lui faire son procès. En ce temps-là, comme quelqu'un lui disoit qu'il couroit fortune, et qu'il avoit Dieu pour partie, il répondit: «Dieu n'a pas tant d'amis que moi dans le Parlement.» Quoiqu'il y eût bien des témoins, on ordonna pourtant qu'il seroit plus amplement informé, et cela peut-être pour lui donner le temps de faire évader les témoins; mais le chevalier trouva que le plus sûr, sans doute, étoit de s'évader lui-même. La femme du geôlier, nommé Du Mont, qui étoit une grande coquette, à qui souvent le prisonnier donnoit les violons, devint amoureuse de lui. Il se consoloit avec elle tout doucement; il la gagna, et elle fit faire un trou par lequel il se sauva au bout d'un an de prison. On dit qu'il jouoit au piquet avec le gros La Taulade, qui étoit là pour dettes, quand on lui vint dire à l'oreille que le trou étoit fait; il ne se le fit pas dire deux fois, et fit semblant d'aller dire un mot à quelqu'un. Le chevalier sort; La Taulade, las de l'attendre, alla voir pourquoi il étoit si long-temps; il trouva le trou; l'occasion lui sembla belle, il voulut en faire autant; mais il n'y put jamais passer: la mesure n'avoit pas été prise pour lui. Le lendemain de l'évasion du chevalier il arriva douze témoins contre lui; il en avoit eu peut-être avis, et c'est apparemment ce qui obligea son amante à ne pas différer davantage: on la prit avec son mari, et on la mena au Châtelet. Je pense qu'il n'y a pas eu de preuves contre elle; pour moi, je le lui aurois pardonné, à cause de sa générosité; car elle avoit mieux aimé se priver d'un homme qu'elle aimoit, que de le voir prisonnier.

Il revint à un an de là, et on ne lui dit plus rien. C'est un assez plaisant Robin; il appelle son beau-frère cocu. On ne se fâche point de tout ce qu'il dit. On croit qu'il a été amoureux de madame la Princesse; il lui disoit tout ce qu'il lui plaisoit. Il la suivit à Bordeaux; mais il ne l'a pas suivie en Flandre. Il dit plaisamment, quand M. de Luynes, le janséniste, envoya demander dispense pour épouser sa tante, mademoiselle de Montbason: «Des gens de notre religion ne voudroient pas faire cela.» Il étoit tout mélancolique, disoit-il, de ce qu'on lui avoit défendu de chanter la messe. Une fois il disoit: «Je viens de ce bordel de la maréchale de Roquelaure.» Elle lui disoit: «Chevalier, je suis toute triste, faites-moi rire.» Il lui disoit cent extravagances. Un jour Romainville, illustre impie, son ami, étoit à l'extrémité; un Cordelier vint pour le confesser. Le chevalier prend un fusil, et couchant le Père en joue, lui dit: «Retirez-vous, mon père, ou je vous tue: il a vécu chien, il faut qu'il meure chien.» Cela fit tellement rire Romainville, qu'il en guérit. Cependant le chevalier se confessa à quelques années de là, et mourut comme un autre homme, en disant qu'il ne craignoit que de n'avoir pas assez de temps pour se bien repentir. Il avoit les jambes fort enflées, et il disoit: «Je les veux léguer à Laverdens.» C'est un gros frère qu'il avoit.

BELESBAT.

Belesbat[229] se nomme Hurault, et est de bonne maison. Cette maison a trois branches, celle de Vibraye, celle du chancelier de Cheverny, dont madame de Montglas est petite-fille, et celle de laquelle descendoit le père de M. de Belesbat. C'étoit un maître des requêtes, et il l'a aussi été, et ensuite conseiller d'Etat. Il est demeuré comme un amphibie entre la ville et la cour, quoi que dise ce couplet contre lui:

Ah! que j'aime ce Belesbat,
Quoiqu'il soit un peu fat.
Barbe à coquille,
Et long en ses discours,
Galant de ville,
Et non galant de cour.

Depuis, quoiqu'il fût marié, il ne laisse pas de faire furieusement le galant. Il avoit quarante ans qu'on l'appeloit en riant le Beau Ténébreux, car il a l'honneur d'être pour le moins aussi brun qu'un autre. Il cajoloit, il y a onze ans ou environ, la sœur de Du Gué Bagnols[230], femme d'un maître des comptes, nommé Moussy. Or, durant l'absence de Belesbat, qui, pour avoir dit quelque chose dont il se fût bien passé sur la perte d'Armentières, eut ordre de faire un petit voyage à Vannes, en Bretagne, la dame souffrit quelques autres galants qui effacèrent un peu le Beau Ténébreux de sa mémoire. Au retour, il s'imagina de se maintenir par autorité; il lui défendoit tantôt d'aller au Cours, de voir tels et tels hommes, et ne lui vouloit pas donner la liberté de voir madame de Courcelles-Marguenat, sa bonne amie, aussi femme d'un maître des comptes. Non content de cela, il alla quereller cette madame de Courcelles, et, en présence de quelques personnes, il lui reprocha de l'avoir ruiné auprès de madame Moussy, qu'elle lui avoit donné un autre galant, et qu'elle vouloit que son amie l'imitât, et ne se contentât pas d'un à la fois, «car, ajouta-t-il, madame, on sait bien que tels et tels vous servent,» et les nomma. Comme cette femme se plaignoit hautement de cette insolence, Brancas, l'un des galants que Belesbat avoit nommés, entra; elle lui dit l'outrage qu'on lui venoit de faire. Brancas maltraita l'autre de paroles, et le menaça de le faire sortir s'il continuoit, et enfin Belesbat continuant toujours, il le prit par les épaules et le mit dehors, puis ferma la porte de la chambre. Belesbat ne s'en tint pas là, car il alla prier le prince d'Harcour, qui lui donnoit quelque ombrage, de ne plus voir cette madame de Moussy. «J'y suis engagé il y a long-temps, lui dit-il en présence de Laigues[231], et si elle vous voyoit, je lui ferois un affront.» Il lui en fit un en effet, car il fit avertir Moussy par un billet de se trouver à Saint-Gervais (c'est leur paroisse), où une personne lui diroit une chose qui lui importeroit extrêmement. On dit qu'il reçut ce billet en présence de sa femme, et qu'elle fut aussi à Saint-Gervais, sans dire rien, car elle se doutoit de quelque chose. Là, elle vit que madame de Belesbat[232] présentoit des lettres à Moussy. Cette femme, ravie de se venger, lui dit: «Monsieur, ce sont des lettres de votre femme à M. de Belesbat; où vous verrez Pierre, c'est vous.» Moussy, chose extraordinaire pour un maître des comptes, et qui passe pour une assez pauvre cervelle d'homme, et qui, d'ailleurs, étoit jaloux, car on dit que souvent il a fait faire des représentations à sa femme par toute la famille assemblée, et que là on vespérisoit[233] terriblement la pauvre chrétienne; Moussy prit les lettres, et répondit à madame de Belesbat que ce n'étoit pas là l'écriture de sa femme, et que c'étoit une imposture. Pour faire le conte bon, on ajoutoit qu'il lui avoit dit: «Madame, si vous étiez tant soit peu jolie, je pourrois me venger de votre mari; mais ma foi je me punirois plus que lui.»

La dame accusée a dit pour sa défense que Belesbat avoit ôté à un de ses laquais une lettre qu'elle écrivoit à une de ses amies, et que sur son écriture il en avoit fait contrefaire quantité; et assez de gens ont dit que cela étoit vrai, et que Belesbat étoit homme à se vanter sans fondement; mais cette femme a fait encore une galanterie depuis avec Fieubet, maître des requêtes. Cela n'a pas servi à contredire l'histoire de Belesbat. Le mari prit cela pour argent comptant, ou feignit de le prendre, et envoya prier l'abbé de Belesbat[234] de venir parler à lui chez M. de Saint-Gervais, et lui dit qu'il s'étoit voulu plaindre à lui de l'injure que son frère lui avoit faite, parce qu'il le croyoit homme d'honneur; qu'il lui déclaroit que si M. de Belesbat ne se dédisoit de ce qu'il avoit dit, il le tueroit partout où il le rencontreroit. On disoit qu'il étoit assez étourdi pour cela. Il est bien vrai qu'il fit un peu de peur au galant, et qu'il lui tira vingt coups de pistolet dans ses fenêtres; mais enfin la fureur martiale d'un maître des comptes ne peut pas durer long-temps. Il traita sa femme à l'ordinaire, et on les a vus en ce temps-là à la promenade ensemble. Belesbat, se voyant blâmé par tout le monde, dit que c'étoit sa femme qui avoit surpris ces lettres, et que c'étoit un tour de jalouse. Roquelaure dit là-dessus: «Ce galant de ville veut m'imiter, mais c'est un poltron; il désavoue tout, moi je ne désavoue rien.» Cela mit le Beau Ténébreux en si méchante réputation, qu'ayant été proposé dans une compagnie, lequel il vaudroit mieux être de Belesbat ou de Saint-Germain-Beaupré, tout le monde conclut pour le dernier.

Plus de quinze ans après, cette madame de Moussy et son mari se sont séparés; le jeu en est plus cause que la galanterie, car elle étoit bien passée. Elle jouoit quelquefois d'une telle fureur, qu'elle couchoit pour cela dehors deux et trois nuits. On dit d'elle que pour demeurer à coucher dans des maisons pour rejouer dès le matin, comme on lui refusoit de la retenir, elle subornoit une servante pour coucher avec elle.

MADAME DE COURCELLES-MARGUENAT,
ET MADAME DE CHAUVRY.

Cette madame de Courcelles, que Belesbat ne vouloit pas que madame de Moussy vît, est fille d'un homme riche de Paris qui s'appeloit Passart: elle a un frère maître des comptes. On la maria à un maître des comptes, homme qui n'étoit point mal fait. Elle est petite et a les yeux petits, mais elle est fort jolie et fort coquette. Sa mère lui avoit tant fait entendre de messes, qu'elle n'en fut guère friande quand elle fut mariée. Elle souffrit bien avec son beau-père, un vieux fou, chez qui il falloit aller passer tous les ans six mois, en Champagne; mais en revanche elle en tiroit beaucoup. Le premier qui a fait galanterie avec elle est un conseiller au grand-conseil, nommé Gizaucour; il est de Champagne et étoit voisin du beau-père, et frère de la première femme de Courcelles. Ce Gizaucour se jeta dans la débauche; c'étoit avant que d'être conseiller, et négligea la dame, ou bien en fut négligé; mais il a eu la curiosité d'avoir toujours quelqu'un des gens de la belle à lui, qui lui conte tout ce qu'elle fait. Il dit que Brancas lui succéda, et que durant sa gueuserie, madame de Courcelles répondit pour lui aux marchands. Un soir que Courcelles vint par hasard, et contre sa coutume, dans la chambre de sa femme, il y trouva Brancas qui prenoit congé; il le conduisit en bas. Un valet, favori du mari, dit assez haut pour être entendu de la femme: «Mordieu, je ne saurois souffrir que monsieur fasse comme cela de l'honneur à un homme qui le fait cocu.» Elle le fit chasser; mais il fallut six mois pour cela.

Ce bonhomme de mari, quand elle avoit fait bien des fredaines, se vouloit mêler quelquefois de l'admonester de son devoir. «Je vois bien, lui disoit-elle, que vous êtes en humeur de prêcher.» Elle lui apportoit un grand fauteuil. «Mettez-vous là, lui disoit-elle, et prêchez tout votre soûl.» Puis, quand il avoit bien harangué: «C'est là, lui disoit-elle, le plus court chemin que vous puissiez prendre pour vous faire bien haïr.» Enfin le mari se rebuta, et ne couchoit plus avec elle; mais elle couchoit avec Brancas, et elle se sentit grosse. Or, elle se prévalut de l'arrivée de leur fermier, appelé Fissier, qui étoit un paysan qui avoit bon sens et qu'ils aimoient assez; ils le faisoient toujours manger avec eux. Le soir, quand il fut temps de se coucher, le mari dit: «Je m'en vais, adieu.—Hé! où allez-vous? dit cet homme qui avoit le mot.—Dans mon appartement.—Par ma foi, je vous trouve bien de loisir de faire ainsi lit à part: il ne faut jamais user quatre draps, quand on peut n'en user que deux.» Tout en goguenardant, il les fit coucher ensemble. Une fois, en pareille rencontre, elle fit ôter toutes les vitres de sa chambre, et le soir, feignant que le vitrier lui avoit manqué de parole, elle dit à son mari: «Je m'enrhumerai bien cette nuit; si vous vouliez, je demeurerois ici.—Ce que vous voudrez.» Elle le caressa bien, et il adopta encore cette fois-là l'enfant d'un autre.

Les coquetteries de cette femme firent tourner la cervelle à son mari. Quand elle eut lieu de le traiter un peu de fou, elle l'enferma dans une chambre sur le devant du logis, dont les fenêtres étoient grillées et même condamnées, de peur qu'il ne vît le beau monde qui alloit voir sa femme. On disoit qu'elle avoit Brancas[235] pour brave, le chevalier de Gramont[236] pour plaisant, Charleval[237] pour bel esprit, et le petit Barillon[238] pour payeur. Un jour elle et deux ou trois autres coquettes étoient au Cours avec le chevalier de Gramont et autres. Le petit Coulon, enfant gâté, y étoit; il est leur voisin; elles l'avoient pris en badinant dans leur carrosse. Ces jeunes gens prirent leurs manteaux, à cause d'un vent frais qui se leva, et après, par-dessous leurs manteaux, portèrent la main à ces femmes où vous savez. Ce sont là leurs belles façons de faire. Quelques jours après, cet enfant étoit chez madame la présidente de Pommereuil avec sa mère, et là, ayant froid, il prit son manteau, puis mit la main où vous savez à la présidente. Elle et sa mère le grondèrent. «Ouais! dit-il, je vis faire comme cela l'autre jour au Cours.» On approfondit l'affaire, et la Pommereuil disoit: «Mais ce sont donc des perdues! Il ne les faut plus voir.» Cela se sut, il y eut une querelle du diable. Enfin on les accommoda.

La maréchal d'Albret s'avisa, il y a quelques cinq ans, d'en conter à la Courcelles; elle étoit veuve alors; elle étoit éprise de Bachaumont[239], comme elle l'est encore. Le bruit court qu'ils sont mariés. Le maréchal n'y fit rien, et Roquelaure en faisoit une plaisanterie. «Ce brave Miossens[240], disoit-il, ce conquérant, à qui rien ne résistoit, a été trois mois devant une bicoque, une méchante place qu'on appelle Marguenat, et a levé le piquet honteusement.» Les goguenards disoient: «Il n'avoit garde de la prendre, il y a trop de gens dedans.»

Son mari devint hébêté. Elle l'enferma fort bien dans une chambre. Cependant Bachaumont Le Coigneux s'en éprit, et, le mari étant mort, il vécut avec elle comme avec sa femme. Enfin, au bout de dix ou douze ans, ils firent jeter des bans, et se marièrent comme s'ils n'eussent jamais couché ensemble[241].

Un nommé Cotignon, successeur de Chauvry, étoit conseiller au Parlement; depuis il a vendu sa charge, et vit de ses rentes. Il est fils d'un bonhomme Cotignon[242], qui étoit à la Reine-mère; il a épousé une jolie personne, petite et brune, mais qui a l'esprit fort vif[243]. Ménébrolles, fils de Roullier, homme d'affaires fort riche, fut le premier qui l'entreprit, mais en vain. Ce Ménébrolles est un étourdi qui se disoit le Roquelaure des bourgeois.

Depuis, cette madame de Chauvry eut la connoissance de madame de Courcelles; et le mari, qui n'y prenoit pas plaisir, et qui peut-être savoit que Rambouillet, blondin de réputation, qui étoit frère de sa femme, avoit été de quelques parties de madame de Courcelles, lui défendit absolument de la voir. Or, il y eut je ne sais quelle promenade, où elle alla en cachette; il le sut, chassa le cocher et les laquais, et donna, dit-on, le fouet à sa femme. En voici deux autres vaudevilles:

Du temps de Ménébrolle,
Petite Chauvry,
Vous n'étiez pas sur le rôle
Des coquettes de Paris.
Dieu! quelle misère
En ce siècle-ci:
On donne des étrivières
A madame de Chauvry!
Jusqu'à cette heure[244]
Tu n'es pas cocu;
Mais tu le seras, je meure.
Mon ... vengera mon ...

Elle étoit tellement jalouse de lui, que durant six années elle ne voulut pas souffrir qu'il mît le pied chez sa sœur des Réaux, une des plus belles femmes de la ville, et il ne la voyoit plus que chez le père avec lequel il logeoit. Peu de gens s'en aperçurent. Peut-être avoit-elle remarqué que ce garçon parloit de sa sœur avec trop de tendresse. Lui, comme discret cavalier, a conté à son propre père que pour posséder cette femme il avoit loué une maison proche de la sienne (c'était en un quartier fort éloigné, près les Carmes déchaussés), et que là il avoit fait une ouverture au mur qui rendoit dans une grande armoire de bois de poirier noirci, où elle faisoit semblant de mettre des confitures; et cette armoire étoit scellée dans la muraille. Il passoit comme cela des nuits entières avec elle.

SAINT-GERMAIN BEAUPRÉ,
LE FEU PRÉSIDENT LE BAILLEUL ET SES FILS.

Saint-Germain Beaupré, gouverneur de la Marche, est fils de feu Saint-Germain Beaupré, qui avoit fait sa fortune par le moyen de madame de Sourdis, tante de M. de Beaufort, car ce n'étoit ni un homme de cœur, ni un homme d'une maison fort illustre. Foucault est le nom de la famille. Il devint gouverneur de la Marche, et embellit fort sa maison de Saint-Germain Beaupré, qui est en ce pays-là. C'a été un fort grand tyran en toutes choses: quand un paysan ou un bourgeois avoit du bien, il le forçoit à donner sa fille à quelqu'un des gens de M. le gouverneur, et c'étoit ainsi qu'il récompensoit ses domestiques; grand voleur, grand emprunteur à ne jamais rendre, et grand distributeur de coups de bâton. Quelquefois il lui est arrivé de faire assassiner des gens. Enfin madame de Rambouillet, eu égard au pays montueux où il étoit, et à sa manière de vie, disoit que c'étoit un autre Vieil de la Montagne. Celui dont nous parlons, qui est son aîné, n'a pas eu meilleure réputation que son frère pour la bravoure, et n'est peut-être guère moins pillard. Il eut une querelle avec un gentilhomme de feu M. le Prince, nommé Villepréau, qu'il attaqua si bien à son avantage dans la rue Saint-Antoine, qu'un grand laquais qu'il avoit lui donna un coup d'épée dont il mourut. Saint-Germain voulut faire passer cela pour une rencontre; on demanda sa grâce au Roi, qui dit: «Ce n'est pas à lui qu'il la faut donner, c'est à son grand laquais.» Au siége de Hesdin, Le Drouet, capitaine aux gardes, lui donna un soufflet, et Saint-Germain se laissa accommoder avec ce soufflet par-devers lui. Tout cela le mit en si méchante réputation, qu'encore qu'il ne fût pas mal fait de sa personne, qu'il eût douze mille écus de rente, un gouvernement, de la plus petite province de France à la vérité, mais toujours un gouvernement de province, une belle maison et pour cent mille écus de meubles, le marquis de Rochefort ne lui voulut jamais donner sa fille, quoiqu'elle eût bien des frères et bien des sœurs, et qu'il ne lui donnât pas un gros mariage. Madame de Bouteville lui refusa sa fille, aujourd'hui madame de Châtillon; elle n'avoit pourtant que cinquante mille écus tout au plus. Enfin, voyant le feu président Le Bailleul, surintendant des finances, il épousa la plus jeune de ses trois filles, qui est une fort jolie personne; il n'en eut que cent mille francs; mais il espéroit tout de la faveur du surintendant. Il fut bien attrapé, car l'année ne passa point que d'Émery ne fût surintendant au lieu de Le Bailleul.

Sa femme et lui ne furent pas long-temps bien ensemble: tous les jours ce n'étoit que gronderies. Enfin elle découvrit à son père ce que Saint-Germain vouloit exiger d'elle. Il falloit que l'accusation fût puissante, car Saint-Germain, tout avare qu'il est, se résolut à donner huit mille livres de pension à sa femme qui alla demeurer chez le président.

Depuis cet impertinent s'avisa de dire que sa femme se divertissoit avec un valet-de-chambre qu'il avoit. Peut-être a-t-il trouvé plus à propos de passer pour cocu, que pour s........, et qu'il a voulu être du côté du plus grand nombre. Il dit que ce valet l'avoit trahi, et qu'il étoit cause de tout le désordre qui arriva entre lui et sa femme. Ce fut le bonhomme Perrochel, maître des comptes, qui négocia cette séparation. On disoit qu'il avoit séparé Saint-Germain pour le redonner à sa femme[245], car cette vieille étoit la seule bonne fortune que le cavalier avoit eue.

Au bout d'un an et demi, Saint-Germain et sa femme se remirent ensemble. En un voyage à Paris, comme il fut de retour au logis, un soir, il demanda où étoit sa femme. Elle a mandé, dit-on, qu'elle soupoit chez madame la Princesse, la jeune. Le soupçon le prend, il y va; elle n'y soupoit point. Elle revient à minuit. «D'où venez-vous? De chez madame la Princesse.—Ah! carogne!» Le voilà à coups de pied et à coups de poing.

Le président Le Bailleul, quoiqu'il se dise d'une bonne maison de Normandie, qui s'appelle de Bailleul, n'en est point; car il seroit tout de même descendu des Ballioli, roi d'Écosse, si le nom y faisoit quelque chose. Son père étoit Normand, fort expert à remettre les os disloqués et rompus, et à panser les descentes de boyau: il épousa une bourgeoise. Il est vrai qu'il n'avoit point de boutique, car il n'étoit pas chirurgien, et qu'il se mit je ne sais quelle vision de noblesse dans la tête. On dit qu'il avoit toujours l'épée au côté. Le feu président avoit le talent de son père, et de leur nom on appelle tous les remetteurs des Bailleuls. Le feu Roi avoit quelque affection pour celui-ci, et le fit lieutenant civil, puis il devint président au mortier. Il s'attacha à la Reine, qui le fit surintendant des finances, métier auquel il n'étoit nullement bon, car c'étoit un assez pauvre homme. On faisoit un conte sur cela. On disoit qu'une de ses filles, ou son fils, voyant qu'il disoit en marchandant un cheval: «Je n'en veux point donner soixante écus; mais je vous en donnerai deux cents livres,» lui avoit dit: «Vous verrez qu'on vous fera surintendant des finances, tant vous comptez bien.» On le fit ministre d'État, en lui ôtant les finances. On lui dit que son gendre dépensoit trop, et qu'il s'incommoderoit. «Nous avons accoutumé, répondit-il, de faire comme cela dans notre maison.»

L'aînée de ses filles, qui est une personne de bonne mine, fut mariée avec Girard, seigneur de Tillet, qui est une terre de trente mille livres de rente, à quatre lieues de Paris; c'étoit un des plus riches garçons de la ville. Il l'épousa pour l'estime qu'il faisoit de l'alliance, car il eut si peu de chose en mariage que cela ne valoit pas la peine d'en parler. C'étoit avant la surintendance. Elle commença de bonne heure à faire bien de la dépense, car de trois mille louis d'or qu'il lui envoya, il n'en trouva pas un sou le lendemain de ses noces: le reste alla à proportion. Un an ou deux après son mariage, elle souhaita d'avoir des lettres de recommandation d'une veuve d'un avocat-général de Grenoble, nommée madame de Revel, qui a beaucoup d'esprit et qui faisoit fort joliment des vers; c'étoit pour quelque affaire au parlement de Dauphiné. Madame de Revel les écrivit et les lui voulut porter elle-même. Madame de Tillet n'étoit pas habillée, et ne se voulut pas laisser voir; elle envoya sa suivante en sa place. Mais la Dauphinoise connut aussitôt la vérité. Quelques jours après, pour faire voir à l'autre qu'elle n'étoit pas trop aisée à duper, elle y retourne; mais madame de Tillet fit dire qu'elle n'y étoit pas, et cela arriva plus d'une fois. Enfin madame de Revel emprunte un carrosse et des laquais afin qu'on ne reconnût point son équipage, et y va à une heure précisément. On la fait monter; madame de Tillet la reçoit, ne sachant qui ce pouvoit être; car elle étoit montée en même temps que le laquais. Elle lui dit: «Madame, je demandois madame de Tillet.—Madame, on m'appelle ainsi.—Ce n'est pas vous pourtant que je demande.—Madame, il n'y a que moi céans de ce nom-là.—Mais, madame, j'ai vu céans même une autre madame de Tillet qui ne vous ressemble point du tout.» L'autre reconnoît ce que c'étoit, et se déferre. La Dauphinoise en eut pitié, et lui dit: «Madame, c'est assez joué; je ne voulois que vous faire voir que les provinciales ne sont pas plus bêtes que les autres.» Et après fit une visite comme si de rien n'eût été. Madame de Tillet, avec sa mère, l'alla visiter ensuite; mais elle étoit encore déferrée.

Sa galanterie avec Lillebonne, cadet d'Elbeuf, a bien fait du bruit. Il y en a qui ont dit que La Cour des Bois, cadet de Tillet (il est président je ne sais où), devint amoureux d'elle, et que, pour se venger de ce qu'elle ne l'avoit pas voulu aimer, il fit avertir ou avertit lui-même le mari de tout ce qui se passoit. Tillet alla pour quelque temps au Tillet et envoya un petit laquais chez lui, à Paris, fort adroit, avec ordre de s'amuser, et de se laisser surprendre par le soir, afin d'avoir prétexte d'y demeurer à coucher. Ce petit garçon se met à jouer, après souper, avec un petit laquais de madame, et sur les onze heures et demie il entend bien du bruit. «Qu'est-ce que cela? dit-il. Ne seroient-ce point des voleurs?—Voire! dit l'autre, joue seulement.—Mais je meurs de peur.—Joue seulement, te dis-je; c'est M. de Lillebonne qui vient comme cela coucher tous les soirs avec madame, quand monsieur n'y est pas.» Le lendemain, Le Tillet enleva le Suisse, car la vanité de cette femme en avoit voulu avoir un, et la demoiselle, à qui La Cour des Bois donna fort vilainement des coups de plat d'épée. Le Suisse confessa tout, et le mari renvoya la dame au président Le Bailleul, son père. On dit que les Suisses, qui servent de portiers à Paris, allèrent au nombre de trois cents enlever leur camarade au Tillet; après ils allèrent demander les gages au président. «Paie-le, dirent-ils, il t'a servi et a servi ta fille selon son goût.» Il le fallut payer. Tout cela se fit, dit-on, à la campagne. J'en doute un peu.

Madame Pilou alla comme les autres voir madame Le Bailleul dans cette affliction. Cette sotte femme lui dit: «Ah! madame, mes pauvres filles sont bien malheureuses! (On avoit aussi parlé terriblement de madame d'Uxelles, auparavant madame de Nangis[246].) Le monde est bien acharné sur elles. Mais on dira ce qu'on voudra; mes filles sont bien demoiselles. Celles qui ne sont point demoiselles peuvent bien tomber en ces fautes-là, mais non pas elles.—Ah! ah! madame, dit madame Pilou, me voilà donc bien encarognée, moi qui suis fille et femme de procureurs. Vraiment, vous me donnez là un beau casse-museau.» Le père parloit à peu près de même. Madame de Tillet prit huit mille livres de pension. Le mari est ferme et n'en veut point ouir parler; il dit: «Revenez si vous voulez; mais gare la tour.» Elle est chez sa mère depuis la mort du président Le Bailleul, le père, où elle a sa fille. Lillebonne continue toujours et fort scandaleusement.

MADAME DE CHOISY,
CHAMPAGNE LE COIFFEUR.

Madame de Choisy est sœur de Belesbat. Choisy, maître des requêtes, aujourd'hui chancelier de M. d'Orléans, l'épousa pour avoir de l'alliance; car pour lui c'est peu de chose; et la maltôte a enrichi son père. Elle a été jolie, a de l'esprit, et dit les choses plaisamment. Elle est gaie, et cherche toujours à se divertir: c'est un original en certaines choses. Elle plaisoit tellement au cardinal Mazarin, au commencement de la régence, qu'un jour il dit chez le maréchal d'Estrées: «Quoi! vous vous divertissez céans, et madame de Choisy n'en est pas! Comment se peut-on divertir sans elle[247]

On dit que jamais elle n'a été déferrée qu'une fois. Elle n'étoit pas trop bien avec La Rivière[248]; or, il y avoit une partie de lui, de Goulas[249], de Tambonneau[250] et de sa femme, et de feue mademoiselle de Belesbat, pour aller chez Goulas. Madame de Choisy mouroit d'envie d'en être, et ne savoit comment s'en mettre. Enfin elle résolut de payer d'effronterie. Un jour, à dîner, quoi qu'on lui dît, elle ne déferra point. Cependant La Rivière la poussa de telle force, que mademoiselle de Belesbat en vint contre lui aux grosses paroles. Cela s'apaisa. Elle avoit alors une demoiselle qui n'étoit pas trop sage: cette fille s'avisa de lui dire qu'on ne lui rendoit pas assez d'honneur. «Tu verras, une telle, combien je me vais faire respecter.» La Rivière et les autres surent cela. Ils lui donnent un grand fauteuil, un cadenas, et laissent deux places entre elle et les autres. Elle reçoit tout cela sans s'étonner, comme une chose due. Au milieu du repas, après lui avoir rendu bien des déférences, tout d'un coup La Rivière et Goulas se lèvent, le verre à la main, et lui disent: «A toi, la Choisy.» Cela la déferra tout plat.

La Rivière fit un jour un conte de maître Girard, le concierge des Petites Maisons, qui s'amusa une fois si fort à crosser[251], que les fous, qui n'étoient pas liés, se pensèrent tous sauver. Depuis, quand madame de Choisy disoit des folies, il lui crioit: «Madame, maître Girard crosse; madame, maître Girard crosse.»

Elle appelle ses yeux ses vainqueurs. Un jour qu'elle étoit allée voir madame de Vendôme, une bonne idiote[252], elle lui dit pour excuses de ne lui avoir pas rendu plus souvent ses devoirs, que ses vainqueurs avoient été malades. La bonne princesse crut qu'elle avoit dit ses chevaux, et lui demanda: «Qu'avoient-ils donc? Avoient-ils le farcin?»

Elle disoit familièrement à M. de Candale: «Mais allez au moins faire un tour dans l'antichambre. «Croyez-vous qu'on n'ait point envie de pisser?» Un jour elle eut envie de manger d'une tourte; elle en fait faire une par son sommelier; on la lui apporte devant tout le monde; elle se met à la manger, sans en donner à personne, et puis quand elle en eut assez: «Tenez, leur dit-elle, en voilà encore; mangez si vous voulez.» Elle dit aux gens familièrement: «Vous ne m'accommodez pas; si je puis m'accoutumer à vous, je vous le ferai savoir;» et elle fait ce qu'elle dit.

Quand elle voit trop de gens chez elle à la fois, elle leur dit: «En voilà trop; voyez qui de vous s'en ira.» Elle fit sortir une fois comme cela deux hommes à leur première visite. On trouve tout bon d'elle. Le comte de Roussy, homme grave, qu'elle avoit rencontré le jour de devant quelque part, heurtoit à sa porte: elle met la tête à la fenêtre. «Monsieur le comte, je vous vis hier, c'est assez; j'ai affaire à monsieur que voilà.» C'étoit un jeune homme de quinze ans. On n'en a pourtant jamais médit. Elle dit familièrement aux gens: «Combien y a-t-il que vous ne m'aviez vue? Vous venez un peu trop souvent.»

Jerzé lui fit un jour une malice: il emporta une de ses lettres qu'il trouva sur la table de la princesse Marie[253], à qui elle étoit adressée. Il la fait imprimer et envoie crier devant sa porte: «Voilà la lettre de madame de Choisy à madame la princesse Marie.» Jerzé la va trouver. Elle étoit dans une colère enragée: il lui dit qu'elle avoit grande raison, et qu'il ne falloit point souffrir de ces choses-là. Elle croyoit que la princesse Marie lui avoit fait le tour. Enfin on en sut la vérité; et, ravie de n'avoir point sujet de se plaindre de la princesse, elle pardonna de bon cœur à Jerzé.

On écrit de Naples qu'une dame de fort bonne compagnie, et qui mettoit tout le monde en train, avoit été huée dans les désordres. «Ah! dit-elle, voilà la Choisy de Naples morte.»

Un jour, étant au bal auprès de madame d'Angoulême[254] la jeune, qui seroit bien sa fille, elle lui disoit: «Il faut avouer que les blondes éclatent plus ici; mais nous autres brunes, nous avons l'agrément.» Elle disoit cela du meilleur sérieux qu'elle eût.

Elle fit une fois un vilain tour au curé de Saint-Germain de l'Auxerrois: elle avoit pris un remède; ce remède fut si long-temps à opérer, qu'elle se résolut à aller à la messe avant que de rendre. Mais à peine la messe fut-elle vers la fin, qu'elle se sentit pressée. Elle entre chez le curé, et trouve deux hommes dans sa salle qu'il avoit conviés à dîner; elle leur dit: «Messieurs, M. le curé vous demande.» Elle plante son paquet dans la cuvette où il y avoit du vin à la glace, puis se sauve. Elle loge là, auprès de l'hôtel de Blainville. Le curé la vouloit excommunier: elle répondit «qu'il valoit mieux qu'elle eût fait tout dans la cuvette que dans l'église; et qu'après tout, si elle n'eût été bien craignant Dieu, elle n'eût pas été à la messe en cet état-là.»

Champagne le coiffeur contoit, il y a long-temps, une chose d'elle que personne n'a crue: il disoit qu'étant une fois allé trouver la princesse Marie à Notre-Dame-des-Vertus, où elle prenoit l'air chez Montelon, son avocat, il étoit entré dans la chambre de madame de Choisy, qui y étoit aussi, et que, l'ayant rencontrée au lit, il avoit été assez heureux pour trouver l'heure du berger; mais que ce n'étoit pas ce qu'on pensoit, et qu'elle avoit les cuisses fort maigres. Un des parents de la dame, qui m'a conté cela, dit qu'il chercha quelque temps Champagne pour le rouer de coups, mais que le coquin se cacha. Je ne sais comment, après une chose comme celle-là, la reine de Pologne a pu emmener Champagne avec elle.

Ce faquin, par son adresse à coiffer et à se faire valoir, se faisoit rechercher et caresser de toutes les femmes. Leur foiblesse le rendit si insupportable qu'il leur disoit tous les jours cent insolences: il en a laissé telles à demi coiffées; à d'autres, après avoir fait un côté, il disoit qu'il n'achèveroit pas si elles ne le baisoient; quelquefois il s'en alloit, et disoit qu'il ne reviendroit pas si on ne faisoit retirer un tel qui lui déplaisoit, et qu'il ne pouvoit rien faire devant ce visage-là. J'ai ouï dire qu'il dit à une femme, qui avoit un gros nez: «Vois-tu, de quelque façon que je te coiffe, tu ne seras jamais bien tant que tu auras ce nez-là.» Avec tout cela elles le couroient, et il a gagné du bien passablement; car, comme il n'est pas sot, il n'a pas voulu prendre d'argent, de sorte que les présents qu'on lui faisoit lui valoient beaucoup. Lorsqu'il coiffoit une dame, il disoit ce que telle et telle lui avoit donné, et quand il n'étoit pas satisfait, il ajoutoit: «Elle a beau m'envoyer quérir, elle ne m'y tient plus.» L'idiote, qui entendoit cela, trembloit de peur qu'il ne lui en fît autant, et lui donnoit deux fois plus qu'elle n'eût fait. Avec cela il étoit médisant comme le diable: il n'y avoit personne à sa fantaisie. De Pologne il alla en Suède, et revint ici avec la reine Christine.

M. ET MADAME DE BRÉGIS.

Brégis est fils d'un président des comptes, qui s'appeloit Flesselles. Cet homme, par la vision de conserver de grandes pièces en terres, en charges et en maisons à Paris, payoit une si grande quantité de rentes constituées, qu'on payoit chez lui, à la lettre, comme on fait à l'Hôtel-de-Ville. Brégis étoit cadet[255], et se mit dans le régiment des gardes, où il acheta un drapeau; depuis il devint l'aîné. Son père l'obligea à quitter l'épée. Jamais on ne l'y put faire résoudre qu'en lui disant qu'un conseiller au parlement passoit devant un capitaine aux gardes. Il n'y a pas de difficultés pour des contrats de mariage, enterrements et autres choses semblables. Voilà donc Brégis de robe; mais il n'en fut pas long-temps. Il devint amoureux d'une femme-de-chambre de la reine, appelée mademoiselle de Charan[256], fille du premier lit de madame Hébert, autre femme-de-chambre de la Reine. Pour la lui faire épouser, on donna à cette fille, qui étoit jolie, quoique brune et petite, la qualité de fille de la Reine, de dehors. Le père ne consentit point au mariage; depuis il s'apaisa. On fit un couplet.

Brégis s'est fait de la cour,
Épousant Charan, la belle;
Mais il sera quelque jour
Aussi cocu que Courcelle[257].

On dit qu'il lui avoit fait présent de quelque galanterie pour laquelle il lui fallut subir une opération. Cela se sut, quoique secret, et on l'appela le Petit Castillan, à cause que les chevaux de ce pays-là ont le bout d'une oreille coupé.

Brégis eut, par le crédit de sa femme, je ne sais quel emploi quand on parla d'envoyer à Munster, et de là il fut envoyé en Pologne, où après il eut qualité d'ambassadeur. Du temps du mariage de la reine de Pologne, il alla en Suède, où la Reine se laissa apparemment tromper à la hablerie du cavalier; car pour sa physionomie, quoiqu'il soit bien fait, il a furieusement de ganache. Sa femme cependant s'étoit bien mise dans l'esprit de la Reine, et y a gagné, dit-on, plus de quatre cent mille livres. Elle est coquette en diable; cependant on n'a jamais tranché le mot avec personne. Elle ne manque point d'esprit; mais c'est la plus grande façonnière et la plus vaine créature qui soit au monde. Elle dit une chose jolie quand les Polonois étoient ici. La Reine lui dit: «Mais entendez-vous ce qu'ils disent quand ils vous cajolent?—Hélas! madame, répondit-elle, en cette matière-là on entendroit des Topinamboux.» Or, la reine de Suède fit faire un compliment à madame de Brégis, et lui offrit une province entière, si elle y vouloit venir. Sur cela madame de Brégis lui écrivit la lettre que voici. Je l'ai gardée exprès, parce que le monde étoit si sot que de la trouver belle, et qu'on en a fait, plus de cent copies.

«Madame,

«Il m'auroit été avantageux de garder le silence pour ne pas détruire la bonne impression que Votre Majesté a reçue en ma faveur, si je ne l'avois jugé trop contraire à la reconnoissance que je lui dois des bontés qu'elle me témoigne sans les avoir méritées, si ce n'est que son divin esprit ait pénétré qu'elle a en moi une personne qui est remplie d'un respect et d'une vénération toute particulière pour une reine, qui mériteroit le nom de la plus illustre qui ait jamais existé, si celle que je sers n'étoit d'un mérite qui ne peut être surpassé, et qui m'oblige de lui faire partager un cœur que je lui offrirois tout entier s'il n'étoit préoccupé par une rivale avec laquelle il est toujours heureux d'avoir quelque chose à contester, et si je n'avois cru qu'une infidélité est un sentiment indigne d'être offert à Votre Majesté, ni d'être pris par une personne qui ose désirer son amitié, que je regarde comme une chose qui ne peut être méritée, mais que je lui demande en faveur des sentiments respectueux que M. de Brégis a pour elle, qui sont tels qu'elle ne les peut attendre plus grands de pas un de ceux qui sont assez heureux de voir Votre Majesté en la présence de laquelle il me seroit doux de protester que je suis, etc.[258]

Sur cette lettre, Comminges, qui haïssoit madame de Brégis, avec laquelle il avoit eu prise jusqu'à se dire des injures, car elle l'appela cocu, et lui l'appela p....., écrivit à Benserade en ce sens: «Au reste, après avoir considéré de quelle importance est à l'État l'alliance des Suédois, je souhaiterais qu'on pensât à satisfaire la Reine. On voit bien qu'elle est rivale de la Reine, et qu'elles aiment toutes les deux madame de Brégis, et qu'après l'offre d'une province entière pour l'attirer en son pays, il n'y a point d'apparence qu'elle souffre qu'on lui refuse cette dame. Mon avis seroit donc de lui accorder madame de Brégis, attendu que toutes les inondations des Goths sont venues de ce pays-là, et que si, pour se venger, la reine de Suède en faisoit faire encore une, ils seroient bien plus à craindre maintenant qu'en un autre temps, à cause des frondeurs qui se joindraient à eux infailliblement.»

A La Haye, au retour de Suède, Brégis disoit à la reine de Bohème, qu'il avoit fait à qui tireroit le mieux à coups de pistolet avec je ne sais quel prince d'Allemagne, dont il vantoit fort l'adresse. «Ce prince, madame, tire, et donne droit au milieu d'une richedalle[259]. Moi (dit-il, en montrant son chapeau, qu'il mit exprès pour cela, et avançant le bras), avec mes pistolets de Langen[260], madame, je donne dans le même trou.» Je vous laisse à penser si on se moqua de lui. Cette cour de La Haye n'étoit pas trop mal polie.

Il disoit au prince de Tarente: «J'ai vu une princesse en tel lieu (il nommoit le lieu et la princesse), monsieur, croyez-moi, il y a quelque chose à faire avec elle; ce n'est pas une chose à négliger.» Notez qu'il y avoit trois cents lieues de Hollande pour le moins. Il est en méchante réputation du côté du cœur: je l'ai vu une fois (en 1651) à un bal l'épée au côté; un garçon de la ville nommé Bigot, commissaire des guerres, dit à demi-haut: «De quoi diable s'avise cet homme de porter une épée au bal?» Brégis l'entendit, et quand il eut dansé: «Qui est-ce, dit-il, qui a parlé de mon épée?» Bigot répondit: «C'est moi.» Voilà Brégis surpris; il croyoit qu'on lui feroit des excuses. «Je porte une épée, dit-il, parce qu'étant à la Reine (c'est donc de par sa femme), on ne doit pas aller sans épée en un temps si peu tranquille que celui-ci.»

Brégis avoit amené une belle fille qui avoit résolu, disoit-il, d'entrer aux Filles Repenties; mais elle n'y entroit point. Madame de Brégis, un beau jour, la prend et l'y mène; elle avoit fait promettre à son mari, avant qu'il arrivât, qu'ils feroient lit à part; elle avoit trop souvent des enfants. Au bout de quelque temps pourtant, il fallut coucher ensemble. Le lendemain elle faisoit comme une nouvelle mariée; elle devint grosse aussitôt, et a continué depuis, de sorte qu'elle s'est fort gâtée. Son mari se mit à cajoler la suivante: cette fille le dit à sa maîtresse, qui lui dit: «Donnez-lui rendez-vous au Calvaire, et là je l'irai trouver.» Il y va, et, comme il croyoit tenir la fille, il trouve sa femme et la parenté qui lui chantèrent sa gamme: il se met en colère, donne un soufflet à la fille, et puis s'en va. Il y a eu depuis bien des noises en ménage. Elle s'est fait séparer de biens. Pour sa gloire pourtant elle l'a fait faire lieutenant-général, et il a servi deux campagnes en Italie. Nous en parlerons ailleurs[261].

CÉRISANTE[262] ET MARIGNY.

Cérisante se nommoit Duncan, et étoit fils d'un Écossois huguenot, qui étoit médecin et principal du collége de Saumur; c'est celui qui disoit qu'un médecin étoit une incombustibilité propter religionem. Ce garçon avoit de l'esprit, et faisoit des vers latins aussi bien que personne; mais il avoit une vanité enragée. Il fit dessein de suivre la profession de son père, et fut reçu docteur en médecine à Montpellier. Au retour, on le donna pour précepteur et gouverneur tout ensemble au feu marquis de Fors, fils de M. du Vigean; ce fut ce qui le perdit, car, à l'Académie, il se mit à faire les exercices comme son pupille, et enfin il jeta le froc aux orties. Le marquis, en changeant de religion, acheta le régiment de Navarre, et donna à Cérisante[263] la lieutenance de mestre-de-camp. Le marquis de Fors fut tué à Arras, il avoit bien du cœur et bien de l'esprit; et notre homme fut obligé de se retirer, car on le traitoit de pédant. Par malheur, il étoit devenu amoureux de mademoiselle de Fors, depuis madame de Pons, et aujourd'hui madame la duchesse de Richelieu[264], et, comme la demoiselle n'étoit pas si persuadée du mérite du cavalier que le cavalier en étoit persuadé lui-même, par désespoir il résolut d'aller voir si la fortune lui seroit plus favorable chez les Ottomans que chez les François; mais il en revint sur des lettres de madame du Vigean, qui, par le moyen de madame d'Aiguillon, lui vouloit procurer quelque avancement. En effet, on lui voulut donner un vaisseau, mais il méprisa cela.

Au retour, ayant touché trois ou quatre mille francs, que M. du Vigean lui devoit, il s'en alla en Suède. M. Grotius[265], ambassadeur de Suède en France, lui donna une lettre de recommandation au chancelier Oxenstiern[266], mais peu pressante. Chapelain, que Cérisante connoissoit, s'avisa que M. de Longueville avoit à faire réponse au maréchal Horn[267], qui l'avoit remercié par une lettre de ses civilités, et il lui parla de Cérisante, pour porter sa lettre, le priant de le lui recommander. Le maréchal reçut Cérisante à bras ouverts, le retint chez lui quelques jours, puis le présenta au chancelier, son beau-père, qui, tout puissant en ce temps-là, car la reine étoit encore mineure, lui fit donner un régiment de cavalerie en Allemagne; mais s'étant trouvé qu'on vouloit envoyer ambassadeur en France un homme qui est venu depuis en 1648, le chancelier, qui le haïssoit, l'empêcha, et dit qu'un gentilhomme suffiroit. Il jeta les yeux sur Cérisante, qui se faisoit tout blanc de son épée, et l'envoya ici résident pour agir conjointement avec Grotius que le chancelier vouloit débusquer. En effet, Grotius demanda bientôt son congé, et Cérisante demeura. Chapelain le recommanda à Lionne[268]. Il étoit payé des neuf mille livres qu'on lui donnoit sur l'argent que le Roi fournissoit aux Suédois, il le prenoit même par avance.

Le feu Roi mourut en ce temps-là; on lui demande à lui, qui ne parloit que de madame d'Aiguillon, qui seroit premier ministre. Il dit que ce seroit apparemment le cardinal Mazarin. Cela s'étant trouvé vrai, ils le prirent, pour un plus habile homme qu'il n'étoit.

Voilà notre homme bien à son aise; il se met en équipage, il avoit quatre chevaux, un carrosse bien armoirié, et trois laquais. Il prend un secrétaire, et se fait porter à Charenton un carreau de velours avec de l'or. Il appeloit ce jour-là le jour de son triomphe. Partout il affectoit d'avoir un fauteuil, jusque-là que des dames firent, par malice, clouer tous les fauteuils de leur chambre, afin qu'il n'en pût prendre un, car il en alloit prendre lui-même en un besoin, et c'étoit chez M. du Vigean qu'il tenoit le plus de gravité.

Une fois, à l'hôtel de Rambouillet, M. Chapelain, qui y soupoit avec Voiture et Arnauld, s'y fit mener par Cérisante, qu'on y retint aussi, et en causant avec ces messieurs durant que Cérisante étoit allé parler à quelqu'un, comme il vit que les autres s'en moquoient, il leur dit: «Voyez-vous, c'est un étrange perroquet, ne vous y jouez point.» Ils se mirent à rire, et tout le soir, dès que Chapelain disoit quelque chose, ils lui disoient sans cesse: «Ah! pour cela vous êtes un étrange perroquet;» et se moquèrent de Cérisante en la personne de son ami. Quand il fallut se retirer, Cérisante le remena, et, comme Chapelain est fort cérémonieux, et qu'il ne vouloit pas que l'autre passât le coin de la rue, Cérisante lui dit: «Mais, vraiment, je dirai donc comme les autres que vous êtes un étrange perroquet.» Chapelain se mit à rire, et le conta le lendemain à madame de Rambouillet.

En ce temps-là Bertaut l'Incommode[269] revint de Suède, et rapporta que Marigny[270] étoit fort bien avec la reine de Suède. Par malice, un jour que Cérisante étoit avec elle, elle envoya chercher Bertaut, et lui fit conter cela en sa présence. Cérisante, qui étoit assez fou pour avoir quelque dessein de plaire à la Reine, à mesure que l'autre contoit les progrès de Marigny, se déferroit, et ne savoit ce qu'il vouloit dire. En effet, Marigny étoit assez bien pour avoir été prié par le comte Magnus de La Gardie de le tenir bien dans l'esprit de la Reine, pendant le voyage qu'il venoit faire ici. Marigny, qui a toujours été un fou, frondoit tout haut contre le chancelier Oxenstiern. Ce Marigny étoit fils d'un officier de Nevers, appelé Carpentier. Connoissant la princesse Marie, il alla à Mantoue, où il ne trouva rien à faire; de là il passa à Rome, où je l'ai vu misérable. De retour ici, il trouva moyen d'être secrétaire de M. Servien, qui s'en alloit à Munster; mais il le quitta en Hollande, à cause de quelque démêlé, et s'en alla en Suède. Il est bien fait, il parle facilement, sait fort bien l'espagnol et l'italien, et n'ignore pas un des bons contes qui se font en toutes les trois langues; fait des vers passablement: pour du jugement, il n'en a point; mais la Reine, à qui il avoit affaire, a bien fait voir qu'on n'avoit pas besoin de jugement pour réussir auprès d'elle. Cérisante, jaloux de Marigny, dépêche un de ses frères, nommé Montfort[271], pour tâcher de le détruire. Montfort en dit du mal; Marigny se défend; et, comme il avoit eu avis de toutes les folies de Cérisante, il en fit des contes à la Reine, et le rendit ridicule. Enfin Marigny fit tant de sottises qu'on le voulut assassiner: il se défendit; la Reine prit son parti, mais avec tout cela on lui conseilla de se retirer. On parlera de lui dans la Fronderie.

Voici les folies que Cérisante avoit faites à Paris. Il devint amoureux, à Charenton, d'une belle-fille nommée Lolo: il songea à l'épouser, et fit consulter, disoit-on, si on pouvoit assigner un douaire sur les bienfaits qu'on espéroit recevoir; car il avoit de grandes prétentions sur l'ambassade de Suède en France, et disoit à tout bout de champ, qu'un tabouret siéroit bien à cette fille. On la maria quelque temps après[272]. Quand il sut que l'affaire étoit conclue, par galanterie, il se fit son épitaphe à lui-même. Il s'en fût fort bien passé, car c'étoient des vers françois pitoyables. Pour se moquer de lui, Sablière Rambouillet, comme on l'a su depuis, fit imprimer un billet d'enterrement que voici:

«Vous êtes prié d'assister à l'enterrement de messire Marc Duncan, seigneur de Cérisante, conseiller d'État de la couronne de Suède, résident et prétendant à l'ambassade de France?»

On porta un de ces billets dans une maison où il étoit: il s'emporta, et dit mille extravagances. Cela ne servit qu'à rendre la chose plus plaisante. Il alla voir la belle deux ou trois jours après qu'elle eut été mariée; elle étoit encore chez son père; il lui voulut dire quelque chose tout bas: le mari ne le trouva pas bon, ils se querellèrent. Le mari le menaça de le jeter par les fenêtres. Cérisante lui répondit que sans le respect de madame, il lui donneroit cent coups d'éperon, et se retira après avoir dit adieu pour jamais à cette belle.

Il jeta les yeux sur une autre jolie huguenotte, fille de La Rallière, qui a fait le parti des Aisés[273] et bien d'autres. A cause de lui et de Catalan, autrefois huguenot, on appela la maltôte de la Théologie de Charenton. Il envoya demander cette fille en mariage, et dit à celui qu'il chargea de cette belle commission: «Je pense que le bourgeois sera bien aise.» Il en fut si aise, qu'il répondit que sa fille n'avoit que douze ans, et que quand elle en auroit vingt, il penseroit à la marier. Cependant un an après il la maria avec le comte de Saint-Aignan, fils du marquis de Clermont-Gallerande, de la maison d'Amboise.

Mais voici la plus grande folie de toutes. Un jour qu'il étoit au Cours avec madame de Besançon et sa fille, dans un embarras, Jerzé, qui étoit à la portière du carrosse de M. de Candale qui étoit au fond, dit au cocher de madame de Besançon: «Hé! mon ami, recule un pas; si tu savois ce que tu nous ôtes et le peu que tu nous donnes, tu me ferois cette grâce.» Ce carrosse l'empêchoit de voir quelque belle. Mademoiselle de Besançon s'offensa de cela, et dit en se tournant vers Cérisante: «Vraiment, ces princes chimériques s'en font un peu bien accroire.» Cérisante pensa avoir trouvé une belle occasion de se signaler. Il envoya le lendemain de bonne heure son frère, nommé Sainte-Hélène, faire un appel à M. de Candale. Par bonheur pour ce frère, M. d'Épernon n'en sut rien, car je crois qu'il eût mal passé son temps. M. de Candale dormoit encore: on ne voulut point l'éveiller. Ce garçon attendit si long-temps qu'on se douta de quelque chose; toutefois on le fit parler enfin. M. de Candale, qui ne s'étoit jamais battu, et qui n'avoit point encore été à l'armée, crut que ce seroit mal enfourner que de refuser un appel; il lui demanda donc rendez-vous derrière les Minimes de la Place-Royale. Cependant cela s'évente; M. de Candale alla pourtant au lieu de l'assignation; mais Cérisante fut en grand'peine, et il fallut que le cardinal le prît en sa protection; car on craignoit d'offenser les Suédois. Si feu M. d'Épernon eût vécu, il ne s'en seroit pas sauvé, et les Simons[274] eussent eu là une bonne curée. Il fut si fou que de dire, pour s'excuser, qu'il venoit des rois d'Écosse, et qu'il y en avoit de son nom, et il porta je ne sais quels vieux parchemins à M. de Lionne, par lesquels il prétendoit prouver sa noblesse.

A propos de noblesse, avant cela, il entreprit de se faire déclarer noble à la cour des aides; et, comme il fallut des témoins pour déposer comme son père avoit vécu noblement, il fait ajourner pour témoins le maréchal de Châtillon, le maréchal de La Meilleraye et le marquis de Montausier, et n'en avertit point le rapporteur, qui n'avoit point de greffier, et n'étoit pas seulement en état de les recevoir: il fallut remettre à une autre fois. Le maréchal de Châtillon dit que, sans Cérisante, Arras n'eût pas été pris. Les deux autres, qui avoient étudié à Saumur, dirent que feu M. Duncan avoit été visité et honoré de tous ceux qui venoient étudier à Saumur, quelques grands seigneurs qu'ils fussent. Cérisante prenoit tout cela pour argent comptant, et ne voyoit pas que l'on se moquoit de lui[275].

M. de Metz écrivit en Suède l'extravagance de cet homme, et que, sans le respect de la Reine, on l'auroit traité comme il le méritoit. Au bout de quelque temps, endetté par-dessus les yeux, il fut contraint de s'en aller sans dire gare. Du présent qu'on lui fit en Suède, il envoya de quoi payer ce qu'il devoit ici; et, voyant qu'il n'y avoit guère rien à faire, de là il alla en Pologne, où quelques gentilshommes qu'il avoit connus dans ses voyages lui firent saluer la Reine: il n'y trouva point d'emploi; et il revint à Paris, où il fut quelques jours incognito, de peur de ses créanciers; après il alla à Venise. Là, le marquis de Clermont-Gallerande, aîné de Saint-Aignan, dont nous avons parlé ci-dessus, qui étoit au service de la république, lui conseilla de se faire Turc. Notre homme lui confessa que sans la circoncision cela seroit déjà fait, mais qu'un vieux renégat lui avoit dit que c'étoient de trop grandes douleurs.

Il alla donc à Rome, où il se fit catholique; le pape lui donna pour cela six cents livres de pension. Il étoit sur le point de se faire prêtre. Mais M. de Guise allant à Naples, il lui fut donné par les ministres de France, M. de Saint-Nicolas (Arnauld) en étoit un, pour tenir les chiffres auprès de M. de Guise; car il disoit naïvement qu'il avoit bien voulu laisser le premier lieu à ce prince, et il juroit qu'il ne quitteroit pas ses prétentions pour la fortune du maréchal de Gassion. Il assembla, de son chef, le conseil chez Gennaro Annèse, en qualité d'ambassadeur de France, et fit demander la charge de mestre-de-camp général. Il fit mettre un jour un carreau avec de l'or à l'église, comme ambassadeur. M. de Guise, devant tout le monde, le menaça des Petites-Maisons.

M. de Guise, ne trouvant pas bon qu'il donnât avis de tout à la cour, comme il faisoit, le fit mettre en prison. Ce fut Modène[276], qui, voyant qu'il les traversoit, le fit arrêter comme un homme suspect. Il y avoit trois semaines qu'il étoit en prison, quand un valet adroit qu'il avoit prit son temps de se jeter aux pieds de M. de Guise, devant le peuple, et fit si bien que son maître sortit. Gennaro Annèse, avec lequel il avoit quelque intrigue, le fit sortir. Il eut ensuite quelque commandement vers Salerne; enfin il revint à Naples. Après l'attaque des postes des Espagnols, M. de Guise, voyant que le colonel, qui commandoit à cette attaque, avoit été tué, dit à Cérisante, qui étoit auprès de lui: «Il n'y a plus personne là pour commander.» Cérisante pour cela ne s'offrit point, de peur que M. de Guise ne dît qu'il s'étoit fait de fête; ainsi le duc fut contraint de lui dire qu'il le prioit d'y aller. Il y fut et reçut un coup de mousquet dans le talon dont il mourut au bout de douze jours; il écrivoit à M. de Chapelain, ne croyant pas être blessé si dangereusement, «qu'au moins s'il mouroit, il mourroit comme Achille[277]» On dit que Modène fut cause de cela, et qu'il ne donna pas comme il avoit ordre; de sorte que tout fondit sur notre aventurier. Il fit un testament par lequel il ordonna qu'on l'enterrât à la Madonna del Carmine, et il fit une inscription latine pour mettre sur son tombeau, qui disoit qu'il s'étoit dévoué pour la liberté du peuple de Naples. Il donnoit à son hôte quelque peu d'argent qui lui restoit, avec son équipage qui étoit assez médiocre, et après il ajoutoit: «Quant à mes autres biens, villes, forteresses, châteaux, seigneuries, terres, et tous autres lieux, de quelque titre qu'ils soient titrés, mes héritiers les partageront selon la coutume des lieux où ils sont situés.» Ce testament a été apporté ici, et je le sais d'homme qui l'a vu[278].

MADAME DE GONDRAN.

Cette belle fille, cette Lolo[279], dont nous avons dit que Cérisante devint amoureux, est celle qu'on appela depuis madame de Gondran: elle est fille d'un nommé M. Bigot de La Honville, contrôleur-général des gabelles. La famille des Bigots est une assez bonne famille; mais il n'y a point de gens au monde qui s'estiment plus les uns les autres que ceux-là. Le frère de celui-ci avoit fait un arbre généalogique de leur famille, et écrivoit soigneusement la naissance de tous les enfants issus de Bigots ou de Bigottes; c'est pour cela que l'abbé Tallemant[280] appeloit cette famille la maison d'Autriche. Ils emploient toute la matinée leurs laquais à envoyer savoir des nouvelles les uns des autres. La Honville, comme l'aîné de tous, est aussi le plus grimacier; la première chose qu'il fait quand il est levé, c'est d'aller dans la chambre de sa fille aînée, avec laquelle il loge depuis qu'il est veuf[281], pour savoir comment elle a passé la nuit. Il fit une fois un voyage à Bourbon avec elle, et Louvigny, son mari, qui étoit devenu aveugle; d'Agamy, beau-frère de Louvigny, et sa femme, y étoient aussi. Tout le long du chemin, cet homme venoit dire à sa fille: «Ma fille, ne vous plaît-il pas qu'on mette les chevaux?» La fille, bien instruite, répondoit: «Ce qu'il vous plaira, mon papa, c'est à vous à ordonner.» Il en falloit autant pour déjeûner, autant pour monter en carrosse, autant à la dînée et à la couchée, pour savoir en quelle hôtellerie on iroit; et, sans d'Agamy, car, pour le gendre, il ne souffloit pas, je pense qu'il eût fallu retourner dès l'entrée d'Essone; peut-être même ne fussent-ils point partis, car un jour que cet homme devoit mener chez lui, à la campagne, une de ses sœurs, il fallut, avant que de se quitter, résoudre à quelle heure ils partiroient le lendemain; voilà donc le frère qui, d'un ton grave, dit à sa sœur: «Ma sœur, à quelle heure vous plaît-il que nous partions?—A quelle heure il vous plaira, mon frère.—Mais, ma sœur, c'est pour vous que je vais à La Honville.—Mais, mon frère, c'est vous qui me menez.» Ils furent comme cela un gros quart-d'heure. Moi, qui n'avois point là mon carrosse, et qui voulois que ce monsieur me menât quelque part, j'enrageois de cette cérémonie. Enfin je m'approchai, et leur dit: «Ne sait-on pas bien que pour faire huit ou neuf lieues (car il y en avoit autant de Paris à cette maison), il faut partir à onze heures?» Je terminai tous leurs compliments.

Or, La Honville est situé entre le chemin de Lyon et le chemin d'Orléans; de sorte que cet homme épie tous ceux de sa connoissance qui prennent l'une ou l'autre de ces deux routes, pour les prier de loger chez lui, non pas qu'il y prenne si grand plaisir, mais par vanité; car quand on lui a conseillé de se délivrer de cette servitude qui lui a coûté bon, il a répondu que ses pères en avoient usé ainsi, et qu'il ne vouloit pas dégénérer. Il y mène souvent ses sœurs et leur mesgnie[282], et quand il est dans la cour, il descend le premier, et leur fait un compliment avec autant de sérieux que s'il recevoit M. le chancelier. Ce cérémonieux pourtant fit une chose que les plus libres ne feroient pas; car, quand sa sœur de Mérouville maria sa fille, il lui offrit sa maison des champs; il n'y avoit qu'une carrossée de personnes. Cependant lui laissa faire toute la dépense, et ne leur donna que de l'eau. Il fit la même chose pour ma sœur de Ruvigny, et n'eut pas l'esprit de ne s'y pas trouver. Je m'en crevois de rire, et surtout quand il fallut se mettre à table; car, comme maître de la maison, il vouloit être au bas bout, et d'autre côté, ne donnant point à manger, il voyoit bien qu'il étoit comme un étranger chez lui-même; enfin on le fit mettre au milieu comme un amphibie. Un M. d'Harambure l'attrapa bien, car il lui écrivit: «Je vais moi-même me marier chez vous; je vous prie de nous traiter familièrement, et de retrancher quelque chose de votre ordinaire.» Effectivement il y fut.

Revenons à Lolo. J'ai connu cette personne dès sa plus tendre enfance, car mon frère aîné a épousé sa sœur, et j'ai vu de quelle manière elle a été élevée; je n'ai jamais vu une plus aimable enfant: elle étoit belle, mais elle étoit plus agréable que belle; un air, un enjouement, une vivacité, la plus charmante qu'on se puisse imaginer. Par malheur, sa mère lui manqua de trop bonne heure; car, quoique ce ne fût pas la plus habile personne du monde, elle avoit une sévérité qui étoit très-utile à ses enfants, et les deux filles qu'elle a nourries n'ont fait parler d'elles en façon quelconque: l'aînée même a fort bien vécu avec son mari aveugle; je veux croire qu'il y avoit bien autant de tempérament que de vertu, car elle a bien fait voir, à la nourriture qu'elle a faite de sa sœur Lolo, qu'elle ne voyoit guère plus clair que son mari; car elle souffrit insensiblement un si grand abord de jeunes gens, et même de cavaliers, auprès de cette jeune fille, que quelquefois on y en a compté jusqu'à quinze. Depuis, quand on lui a dit qu'elle avoit perdu sa sœur, elle a paru étonnée comme une personne qui n'y entendoit aucune finesse. Je disois en ce temps-là, de tous ces galants de Lolo: «Voilà les plus sottes gens du monde; ils s'amusent tous à une fille qui n'oseroit conclure avant qu'elle soit mariée, et voilà une femme de vingt-cinq ans, jolie, et dont le mari est aveugle, et au diable l'un, qui a l'esprit de lui en conter.» La bonne opinion qu'elle avoit de sa race est apparemment ce qui l'aveugloit, car elle et les autres de la famille sont naturellement curieux, et remarquent fort bien les défauts d'autrui. Elle et sa sœur mirent la vanité dans la tête de cet enfant; car elles la cajoloient sans cesse, et lui disoient qu'au Cours on n'avoit regardé qu'elle. Un gros frère qu'elle avoit, à qui on avoit donné le nom de Chaumont, et qu'on appeloit vulgairement le gros Lolo, lui disoit tous les jours qu'il n'y avoit rien de si beau que d'être galante. Les cajoleries des étrangers sont suspectes, mais celles des proches passent pour des vérités. Ainsi cette petite fille s'en faisoit un peu bien accroire. Tous les jours ses sœurs et ses frères racontoient à tout le monde combien de gens venoient voir leur Lolo, ce qu'avoit fait celui-ci, ce qu'avoit fait celui-là, et comme, en badinant, elle avoit été enfermée avec le comte de Pas[283] ou quelque autre; car la mode de leur famille, c'est de redire à tort et à travers tout ce que font et disent leurs jeunes gens. Elle fut cajolée par deux Rambouillet, mes cousins-germains, et depuis mes beaux-frères, mais l'un après l'autre. L'aîné, par mon avis, s'en retira de bonne heure; le second, qui s'appelle Sablière[284], ne me crut pas absolument, et s'engagea plus avant que l'autre; mais ayant trouvé moyen de savoir où il en étoit avec cette fille, je lui en dis mon sentiment. Elle l'aimoit, ne songeoit qu'à l'attraper. Il en avoit eu la petite oie[285]. Elle lui eût donné volontiers le reste; s'il eût eu du sens, il étoit aisé de la mitonner de façon qu'il en eût tout eu après qu'elle fut mariée, et elle le fut bientôt; mais il s'alla éprendre d'une autre fille. Masclary[286], secrétaire du Roi, et le meilleur parti qu'elle pouvoit espérer, l'eût épousée sans sa mère, qui ne voulut jamais consentir qu'il épousât une fille qui étoit si fort dans le monde.

Enfin Gondran, fils de l'avocat Galland[287], dont il est fait si honorable mention dans les Mémoires de M. de Rohan, la fit demander; c'étoit pour la seconde fois. D'abord on la lui avoit refusée, en prenant excuse sur la trop grande jeunesse de la fille. Cette fois-ci, le père, qui, comme on a su depuis, n'avoit point d'argent (il avoit trop dépensé à sa maison[288], et son fils aîné lui avoit mangé vingt mille écus), ne fut pas fâché de trouver un amoureux qui ne songeât pas autrement à avoir le mariage avec la fille.

Ce Gondran étoit un brutal, mais il avoit du bien, car son aîné étoit mort sans enfants, et un autre frère s'étoit fait père de l'Oratoire. Une fois il jouoit au tric-trac avec Turcan[289]; ils furent en dispute sur un coup; Turcan lui dit qu'il faisoit bien le roi Gontran d'Orléans[290]. Gondran répliqua quelque sottise, et l'autre lui donna un beau soufflet.

Par vanité, Gondran fit mettre quarante mille livres dans le contrat, au lieu de dix mille écus, et il dit à Patru qu'on lui donnoit une pièce de quarante mille francs. Dans les annonces, il se fit conseiller d'État et point du tout avocat, quoiqu'il allât au Palais tous les jours. Son frère aîné avoit mis monsieur maître[291], n'osant pas mettre messire[292]; il étoit avocat avocassant: il est vrai qu'il avoit un brevet de conseiller d'État. Je ne sais si Gondran en avoit un. Le jour de ses noces, il avoit un habit long. Après dîner on s'alla promener au bois de Vincennes: là le marié ôta sa soutane, et fut tout le jour en habit court, bâti comme un cuistre et sans manteau. Le lendemain nous fûmes tous voir si la mariée étoit morte; elle n'étoit pas morte à la vérité, mais elle ne se portoit pas tout-à-fait bien. Elle fut plus de huit jours à se plaindre. Dès qu'elle aperçut son gros frère qui entra le premier dans la chambre: «Ah! lui dit-elle, mon pauvre Chaumont, ne crains pas que je sois jamais p......» Elle dit cent naïvetés que son père redisoit lui-même comme si c'eût été un enfant; elle avoit pourtant dix-sept à dix-huit ans; mais cette innocente... s'est dédite depuis de ce qu'elle avoit promis à son gros Lolo.

Le mari, d'humeur jalouse, mais qui ne vouloit pas qu'on le crût, s'imagina qu'il couvriroit bien son jeu s'il donnoit à sa femme la même liberté qu'elle avoit eue: il menoit des jeunes gens déjeuner avec elle, et la faisoit saluer à quelques-uns. Cette jeune femme, naturellement étourdie, chez des gens qui ne savoient point vivre, car feu madame Galland n'étoit qu'une happelourde[293], fit bien des sottises en peu de temps. Je ne m'amuserai point à mille petites choses qui lui sont arrivées, je dirai seulement les principales. Quelque temps avant que d'être mariée, un gentilhomme de qualité de Bretagne, huguenot, nommé La Roche Giffard, jeune et bien fait de sa personne, grand parleur, grand vanteur, et tout propre pour réussir auprès d'une coquette de la ville[294], s'étoit mis à la cajoler, encore qu'il fût marié; mais sa femme étoit à la province, et il avoit été marié de si bonne heure, qu'il en étoit déjà las. Elle l'aimoit quand il fut marié, et au bout de huit jours elle avoua à Sablière et à un autre qu'elle ne pouvoit aimer son mari. Voyez le grand sens de la demoiselle.

Quand elle fut chez son mari, La Roche Giffard fit des parties de promenade, car c'étoit l'été; les sœurs de la belle en étoient, et le Breton et elle les prenoient tous pour dupes. Voici comment on sut qu'il en avoit eu toute chose. Madame d'Agamy avoit une cuisinière catholique qui mouroit d'envie de donner sa fille à madame de Gondran: cette fille étoit jeune et jolie, mais elle étoit catholique. On lui dit qu'il falloit que Margot, c'étoit son nom, se fît huguenote. «Bien, dit-elle, il faut donc qu'elle soit de cette chorre-là[295], puisque vous le voulez.» La fille fait profession; la voilà avec madame de Gondran. Bientôt après on s'aperçut chez madame Galland que Margot avoit bien des louis d'or et de beaux bracelets, où il y avoit quelques rubis. On l'accuse d'avoir volé; elle se défend, et dit que si on la presse, elle dira tout. Elle va chez sa mère, et toutes deux ensemble vont trouver madame de Louvigny, à qui elles dirent que le jour du jeûne qui se célébra à Charenton pour le synode national[296], madame de Gondran fit semblant d'être indisposée, et que M. de La Roche Giffard la vint trouver, et que, pour se défaire de Margot, le cavalier avoit fait semblant d'avoir perdu une bague en entrant, et la pria de l'aller chercher; elle chercha long-temps, et La Roche Giffard lui donna bien de l'argent pour la peine qu'elle avoit prise. Depuis, cette Margot fut chassée, se refit catholique et épousa un potier d'étain; car elle avoit gagné honnêtement avec sa maîtresse. La Roche Giffard couchoit aussi avec elle; elle se vantoit qu'il l'alloit voir quelquefois et qu'il lui prêtoit son carrosse pour se promener avec ses voisines. Depuis, elle continua à se divertir; des jeunes gens de sa connoissance l'envoyèrent quérir en chaise: elle vint le plus secrètement qu'elle put; or, elle étoit prête d'accoucher; le mal la prit à table: on la remet vite dans la chaise; elle y accoucha. Les porteurs se déchargèrent de la vache et du veau dans sa boutique, et s'en allèrent le plus vite qu'ils purent.

Une autre fois madame de Gondran fit bien pis. Un soir qu'elle avoit soupé chez son père, qui logeoit au quartier Montmartre, on lui donna un carrosse, une fille et un homme pour l'accompagner chez elle, auprès de Saint-André. Au lieu d'y aller, elle fait passer au faubourg Saint-Germain, à la Ville de Brissach dans la rue de Seine, où logeoit le cavalier de Bretagne. Elle entre seule et monte dans sa chambre sans que personne l'aperçût. En sortant, l'hôtesse la vit et se mit à faire un bruit de diable, que, merci Dieu! elle ne souffriroit point qu'on menât des g...... chez elle. Le galant lui dit qu'elle rêvoit, et que c'étoit une femme de condition. «Voire, reprit-elle, les honnêtes femmes viennent bien toutes seules trouver des hommes à onze heures du soir dans leur chambre.» Cela se sut, car les valets qui l'accompagnoient n'étoient point gagnés. L'hôte et l'hôtesse sont huguenots et étoient assez exacts; c'est une honnête auberge, et tout est plein de gens de la religion, là autour.

En ce temps-là Gondran alla faire un voyage à une terre qu'il avoit en Picardie; il fit ce voyage fort à propos, car, pendant son absence, on empêcha sa femme d'être vache à lait. Elle logeoit chez son père; elle sentit de la cuisson, le dit à sa sœur, qui en parla au jeune Guenaut, leur médecin ordinaire. Lui, qui savoit que le mari étoit débauché, se douta de ce que ce pouvoit être. Le Large la traita et la guérit avant que le mari fût de retour. Nous la trouvions toute changée; mais on nous disoit qu'elle avoit la fièvre toutes les nuits. Il y a toutes les apparences du monde que c'étoit un présent de l'auberge. Le galant, qui ne voyoit pas la belle autant qu'il eût bien voulu, avoit sans doute été en lieu qui n'étoit pas sûr; c'étoit un grand étourdi. Pour le mari, il étoit amoureux et tenoit si grand ordinaire, qu'il n'avoit pas besoin d'aller ailleurs. Cela n'empêcha pas que La Roche Giffard ne retournât chez la belle. On l'a vue montrer à tout le monde les robes qu'elle faisoit faire pour les petites filles du Breton; et si Gondran n'y eût mis ordre, il eût pu habiller les enfants du cavalier en pensant habiller les siens propres; mais il le chassa avant que sa femme devînt grosse.

Le mari fut une fois plus jaloux depuis le soupçon qu'il eut du Breton: il passoit des après-dînées entières dans la chambre de sa femme fait comme un clerc du Palais; car il ne portoit plus la soutane, et n'avoit autre emploi que de barbouiller quelquefois du papier en gardant sa femme. Un jour il lui dit sérieusement: «Que je suis malheureux de vous avoir épousée! Plût à Dieu que feu Louvigny[297] eût eu assez d'éloquence pour persuader à ton père, comme il en avoit envie, de me refuser!» Elle ne s'en offensa point, car elle est d'humeur douce et caressante et qui n'avoit besoin que d'être bien gouvernée; au contraire, elle lui sauta au cou. Quelque temps après, comme elle étoit prête à sortir, il lui demanda où elle alloit: «Je vais en tel lieu.—Je ne veux pas que vous y alliez, La Vespière y doit être.—Si vous craignez cela, venez avec moi; vous pouvez bien venir où je vais.—Non, non, reprit-il, vous n'irez pas.» Il fallut demeurer. Ce La Vespière étoit cadet d'un gentilhomme de Picardie nommé Liambrune; c'étoit un bon gros dada qu'elle n'aimoit point. Ce garçon vint à Paris du temps de feu M. le comte de Soissons; n'ayant pas encore tâté de l'adversité, il étoit assez fier. Il arriva que ce bon gentilhomme s'alla baigner devant l'Arsenal à un endroit où M. le comte jetoit de l'eau à tout le monde; il en jeta donc à La Vespière, qui, comme Picouart, avoit la tête caude, et dit que celui qui l'avoit mouillé étoit un sot. M. le comte se mit à rire, et disoit à ceux de sa troupe: «Ce garçon est nouveau-venu; je crois qu'en descendant du coche il est entré dans le bateau pour se venir baigner.» Le provincial s'échauffoit. Quelqu'un s'approcha de lui, et lui dit: «C'est M. le comte.—Quand ce seroit, répondit-il, M. le marquis, je suis fâché de ne lui avoir pas donné une tape.» Les gens de M. le comte le prirent, et en riant le firent boire. Sans Ruvigny, qui par bonheur se trouvoit là, il couroit quelque fortune. Depuis, au siége d'Arras, où M. d'Enghien fit sa première campagne, comme s'il lui eût été fatal de tomber entre les mains de jeunes princes, celui-ci trouva l'homme et le nom si ridicules, qu'il s'en moquoit sans cesse.

Ce jaloux pourtant a laissé aller sa femme tous les jours au bal la même année: elle cabaloit pour se faire prier partout. Je crois qu'ils étoient las l'un de l'autre; car souvent elle paroissoit fort chagrine, et ce n'étoit pas son ordinaire, car quoiqu'elle fût un peu inégale, elle étoit pourtant assez gaie.

Le galant qui suit La Roche Giffard, car je ne mets que ceux qui ont eu de l'attachement, fut le feu marquis de La Case, frère de mademoiselle de Pons[298]: c'étoit un grand parleur et par conséquent un grand diseur de sottises; il étoit marié avec la veuve de Courtaumer, car les trois principaux galants de madame de Gondran étoient tous trois mariés. Cet homme faisoit le bel esprit; il reprenoit un endroit de l'Epitre de Voiture à M. de Coligny, où il y a:

Ces dieux des fables
Sont pesants comme tous les diables,

parce que, disoit-il, les diables sont des esprits; et une autre fois que chacun disoit à quel âge il eût souhaité de demeurer sans vieillir, il dit que pour lui il eût voulu demeurer à trois mois, parce qu'on en étoit d'autant plus loin de la mort. Par cette raison, il devoit donc souhaiter de demeurer à un jour. Il disoit que madame de Gondran étoit la plus complaisante femme du monde; qu'à Charenton il n'avoit qu'à lui faire signe qu'il vouloit voir son bras et sa main, qu'elle ôtoit aussitôt son gant, si sa gorge, qu'elle faisoit semblant d'avoir à raccommoder un devant, si son visage, qu'elle levoit le masque comme si c'eût été pour se moucher. Il avoit trouvé moyen de faire société avec Gondran, et les deux femmes en étoient. Madame de La Case ou étoit bien stupide ou bien complaisante. Entre autres extravagances qu'ils firent, une fois La Case[299], en soupant, donna un coup à madame de Gondran sur la joue avec une éclanche rôtie, et le jus lui gâta tout son mouchoir; il crut faire une belle galanterie, et elle en rit de tout son cœur. Je crois pourtant qu'il n'y a rien eu entre eux, et en voici une preuve. Un jour Rambouillet l'alla voir, il y trouva une jolie huguenote qui avoit épousé un oncle de Gondran; elle s'appelle madame de L'Orme. Rambouillet se mit à causer avec la belle qui étoit au lit, et madame de L'Orme avec Saintot-Lardenay, qui y arriva en même temps: ils chuchotèrent si fort, que madame de Gondran ne put s'empêcher de leur en faire la guerre. «Sans doute ils nous vendent, dit-elle à Rambouillet.—Point, répondit Saintot, nous ne parlions point de vous; mais nous parlions d'une personne, que vous ne haïssez pas.—Vous pourriez vous tromper, reprit-elle, je ne me soucie de guère de gens.—Ah! madame, répliqua-t-il, nous parlions de M. le marquis de La Case; ne vous souciez-vous point de celui-là?—Pas plus que d'un autre,» dit-elle. Rambouillet, qui vit que Saintot avoit fait une impertinence, et qui craignoit que la dame n'en fît aussi quelqu'une, dit qu'il voyoit bien qu'on lui vouloit faire prendre le change, et qu'il voyoit que c'étoit à ses dépens qu'on avoit parlé tout bas. Madame de L'Orme, de l'autre côté, juroit qu'ils n'avoient pas dit un mot du marquis de La Case. Durant ce temps-là, la maîtresse du logis, qui avoit eu tout le loisir de songer à ce qu'elle avoit à faire, tout d'un coup se mit à pleurer, et dit en colère qu'elle ne trouvoit nullement plaisant qu'on se vînt moquer d'elle en sa propre maison; qu'elle savoit bien que depuis que M. le marquis de La Case venoit chez elle, on avoit dit mille sottises; qu'on avoit fait courir le bruit qu'il étoit amoureux d'elle. «Jésus, madame, disoit Saintot, vous m'apprenez là des choses que j'ignorois.» Ils dirent l'un et l'autre mille extravagances. Saintot et madame de L'Orme sortirent dans ce désordre, et Rambouillet les suivit, car il ne savoit que dire à cette femme. Ils allèrent tous trois prendre une sœur de madame de L'Orme, et se rendirent tous ensemble au Cours. Là, Saintot, comme s'il eût été enragé ce jour-là (il n'avoit guère fréquenté d'honnêtes femmes), voyant passer Turcan[300], dit à madame de L'Orme: «Madame, voilà Turcan; madame, c'est Turcan lui-même; regardez Turcan, madame.» Ce Turcan l'avoit fort cajolée autrefois. Elle ne faisoit pas semblant d'entendre. «Madame, reprit-il après, pourquoi me poussez-vous du genou (elle n'y avoit pas songé)? quelle finesse y entendez-vous?» Rambouillet ne savoit que dire; la dame étoit déferrée; tout ce qu'il put faire, ce fut de changer de discours. Il gronda ensuite Saintot, qui lui dit, pour excuse, une grande impertinence: «J'entendois, dit-il, par le marquis de La Case, le patron de la case, c'est-à-dire Gondran.» Cependant, dès qu'ils furent sortis de chez madame de Gondran, le marquis de La Case y vint. Elle lui dit qu'elle le prioit de ne la plus voir, que cela faisoit dire des sottises. La Case s'en alla en Saintonge quelques jours après.

En ce temps-là, il y eut grand désordre en Bretagne entre La Roche Giffard et sa femme. Elle se douta de quelque chose; et, ayant remarqué qu'il recevoit souvent des lettres sans lui dire de qui elles étoient, un jour qu'il étoit à la chasse, elle rompt la serrure de sa cassette, et trouve vingt lettres d'écriture de femme, et toutes d'une même main. Ces lettres parloient bon françois, et ne laissoient aucun sujet de douter. Elle les prend toutes, se retire chez sa mère, et sans perdre de temps en va prendre acte par-devant le procureur-général du Parlement de Rennes, où les lettres furent toutes lues. La Roche Giffard ne trouve ni ses lettres ni sa femme; il apprend qu'elle étoit chez sa mère; furieux, il assemble ses amis pour la ravoir de force, ou du moins ses lettres, car c'étoit ce qui lui tenoit le plus au cœur. La belle-mère se met en état de le recevoir. Cette première fureur passée, il fallut venir à composition; il promet de bien vivre avec sa femme, et de ne faire plus tant de voyages à Paris, pourvu qu'on lui rendît ses lettres. Cela fut exécuté. Or, on a su d'un ami commun[301] du gendre et de la belle-mère, qu'il y avoit, dans une de ces lettres: «Nous allons à la Honville, nous en partirons à telle heure, il y aura telles personnes; prenez vos mesures, etc.» En une autre: «Nous serons tant de temps à la Bretonnière (c'étoit chez sa belle-mère), tâchez de me voir, etc.» Mais le pis de tout, est une réponse à quelques reproches sur les bruits qui couroient de M. le marquis de La Case, où il y avoit: «Vous avez grand tort d'avoir soupçon de moi; je n'ai jamais aimé qu'un garçon qui est mort, et vous.» Je crois que c'est Du Livet[302], fils d'un président de Rouen. Il mourut d'une blessure qu'il reçut à la bataille de Sédan, et dont il fut long-temps malade. Elle le vit à Bourbon. Ensuite il y avoit: «Je n'ai jamais couché qu'avec mon mari et avec vous. Je souhaite si fort de vous voir, que si vous voulez, je vous suivrai en Catalogne.» Il parloit d'y aller en ce temps-là: il n'y fut pas pourtant.

A Paris, car il y vint ensuite, madame de L'Orme, qui avoit toujours été jalouse de madame de Gondran, aussi n'a-t-elle garde d'être si bien faite, entreprit de se faire aimer de La Roche Giffard: elle lui fit tant d'avances, que le cavalier n'y fut pas plus de temps qu'à l'autre. La sœur Charlotte d'Esgorry avoit aussi son galant; c'étoit Fercourt, son voisin, fils du président Perrot; tous quatre alloient faire des promenades sans aucune fille de chambre, et se divertissoient tout à leur aise. Elles avoient de qui tenir, car la mère a été de bonne composition: Gillot[303], conseiller-clerc de la grand'chambre, l'entretenoit; en ce temps-là, on fit ce vaudeville:

La d'Esgorry, ta hantise
Trop fréquente avec l'Église,
Nous a fait croire de toi
Que tu branles dans ta foi[304].

Gillot n'a pas été le seul; le maréchal de Saint-Luc en a aussi tâté depuis.

Les deux sœurs depuis se brouillèrent, et la cadette ayant été mariée à un jouvenceau de la campagne, nommé Montpinson, elle donna rendez-vous à Fercourt chez madame Du Tort, où ils dînèrent: c'est une veuve, cousine-germaine de Fercourt, qui est aussi une bonne dame. La dame sortit aussitôt qu'ils eurent dîné, et pour lui dire adieu, le galant la roncina fort bien; après elle jura qu'elle ne vouloit plus ouïr parler d'amourettes. Je ne sais ce qui en est, c'est à son mari à s'en informer.

Madame de Gondran alors voyoit plus de monde que jamais. Il prit une vision au mari; il remplit d'eau les galoches de tous les galants de sa femme, et quand ils voulurent sortir, ils trouvèrent leurs galoches toutes trempées.

Un soir qu'on dansoit chez elle, trouvant sa chemise un peu humide, car elle étoit déjà bien grosse, elle alla dans la ruelle du lit, changea de chemise, remit des taffetas à ses cheveux, se rhabilla, se reboucla et revint danser sur nouveaux frais. Elle se serroit tellement pour paroître de belle taille, qu'elle se blessa si fort au côté qu'il s'y fit un trou. Cela me fait ressouvenir de quelques filles de la Reine, qui, pour être chaussées mignonnement, se serrèrent une fois les pieds avec les bandelettes de leurs cheveux, et de douleur, s'évanouirent dans le cabinet de la Reine.

Gondran, qui avoit toujours aimé la goinfrerie, se mit tout-à-fait dans le vin; il l'obligeoit à boire avec lui. Le vin pur qu'elle avaloit la maigrit, et elle devint de plus belle taille qu'elle n'avoit été il y avoit long-temps. Un jour qu'il revint ivre, il tira des bouchons de bouteille de sa poche, et les étalant sur la table: «Tiens, dit-il, voilà de quoi filer.» En ce temps-là, un des Rambouillet, nommé Chavanes, capitaine en Hollande, c'étoit le quatrième à qui madame de Gondran plaisoit fort, fut d'une partie dont elle étoit pour aller à la Honville. Il me dit qu'il l'avoit trouvée fort dévergondée, et que, jouant une farce à trois personnages où elle avoit son habit, elle juroit un mordieu aussi sèchement que personne eût pu faire. A table, elle fit un couplet sur Cabou, cet avocat au conseil, qui danse aux ballets du Roi: c'est une espèce de coquin, qui tire du volant, qui joue, qui danse et qui boit, et qui est maltôtier parmi tout cela.

Elle fit bien d'autres gaillardises, et tout cela ou la plupart à la barbe de son père. En ce voyage de La Honville, on donna du chicotin à Chavanes: c'est une sotte coutume bourgeoise qu'on a là-dedans. Madame Tallemant, la maîtresse des requêtes, en railla fort ce pauvre garçon, qui disoit que, par complaisance, il s'en étoit laissé donner trois jours durant, parce que cela divertissoit la belle; et, quelqu'un ayant appelé, en riant, La Honville l'empire du Chicotin, Sablière et Rambouillet firent deux triolets que voici:

Dans l'empire du Chicotin[305]
On vit d'une plaisante sorte;
On y jeûne soir et matin
Dans l'empire du Chicotin.
On n'y dort non plus qu'un lutin[306],
On s'y jette fenêtre et porte,
Dans l'empire du Chicotin.
Si vous mangez du chicotin,
Vous passerez pour galant homme;
Vous serez toujours le plus fin,
Si vous mangez du chicotin,
Et fussiez-vous le plus badin
Qui soit de Paris jusqu'à Rome,
Si vous mangez du chicotin.

Le bonhomme, quelque mine qu'il fît, ne trouva point tout cela trop bon, et dit, comme on lui parloit de sa bonne chère: «Vous vous moquez, on n'y mange que du chicotin.» Ce pauvre Chavanes, qui étoit un garçon de grand cœur, fut tué depuis à Barcelonne, quand le maréchal de La Mothe fut blessé; il étoit si estimé, que le régiment de Piémont le retira de dessous les pieds des chevaux, et le porta dans la ville, où il mourut au bout de quelques jours. Je veux croire que le nom de Rambouillet, car on l'appeloit ainsi, servit à le faire considérer, car bien des gens croient qu'il étoit fils de M. le marquis de Rambouillet. Il avoit assez d'équipage et étoit fort libéral.

Un certain fou d'abbé de Romilly[307] s'étoit rendu insensiblement si familier chez la belle, qu'en visite, devant tout le monde, il se jetoit sur son lit, et mettoit même la main dedans, et elle ne faisoit qu'en rire. Elle disoit de Mandat, le conseiller, et d'un autre: «Avez-vous jamais vu de si sottes gens; je leur ai mandé qu'il n'y avoit céans ni mari ni belle-mère, et ils n'ont pas l'esprit d'y venir?»

La Case, qui étoit à M. d'Orléans, se rendit à Paris auprès de lui en 1652; il avoit envie, car il étoit toujours amoureux, de dîner avec la Gondran (on commençoit à l'appeler ainsi), et que le mari n'y fût point: il s'avise pour cela de convier Gondran à dîner, qui part à midi ou environ pour s'y rendre. La Case part en même temps de son logis et va chez madame de Gondran, où il se met à dîner avec elle: Gondran alla chercher à dîner où il put, et revint à deux heures, et trouve La Case chez lui, qui dit: «Je suis venu pour dîner avec vous, voyant que vous ne veniez point.—J'étois chez vous à midi et demi, dit Gondran.—Vous vous moquez, répliqua La Case, je vous ai attendu jusqu'à une heure.» Le carnaval suivant, madame de Gondran, qui buvoit comme un Templier, convia madame de Genlis, mademoiselle de Congis et madame de Boudarnault à souper: elles burent si bien, que mademoiselle de Congis, ne pouvant s'en retourner, fut mise au lit avec bien des singeries; elle y vomit si bien qu'elle gâta draps, couverture, carreaux et tapis d'alcôve; une autre en ayant envie, on lui apporta un bassin. En carrosse, la seule qui n'avoit pas vomi dégobilla sur la portière.

Un homme qui avoit la fièvre quarte alla chez elle, c'étoit la première visite: «Je vous veux guérir, lui dit-elle, je vous veux donner de ma tisane, et tout-à-l'heure.» Aussitôt elle envoie quérir du vin d'Espagne et se met à boire avec lui. Il lui prit fantaisie en été de changer de chemise, elle en changea devant un homme qu'elle n'avoit jamais vu que cette fois-là. La première fois qu'elle alla chez madame d'Ombreval, elle donna un grand coup de cul dans le derrière au mari, qui est avocat-général de la cour des aides, disant qu'il falloit faire bientôt connoissance. Etant accouchée depuis trois jours, elle vit sa garde accroupie devant le feu; elle se lève, lui fait prendre un parterre, puis court vite se recoucher.

Une fois La Case, Sablière et Hippolyte[308] se trouvèrent ensemble chez elle. «Or çà, dit Sablière, il n'y en a pas un qui n'en ait été fou; contons ce que nous en savons.» Hippolyte donne dans le panneau et conte son histoire. Elle n'y étoit pas. Sablière et La Case firent semblant de disputer à qui parleroit le premier, et ne dirent rien.

Sur la mort de Sévigny on faisoit faire à Hippolyte de beaux compliments à Gondran: «Il étoit votre allié, disoit Hippolyte.—Mais bien plutôt le vôtre, répondoit Gondran, à cause du bonhomme.» Et Hippolyte répliquoit: «Les cornes d'un père ne touchent pas tant que celles qu'on porte soi-même.»

L'abbé de Sainte-Croix, fils du premier président Molé, depuis garde-des-sceaux, fut ensuite le patron. On dit que le mari y consentoit, car il s'étoit incommodé à la débauche et aux braveries de sa femme. Gondran dit à sa femme: «Fais-toi jolie, il faut que ce garçon-là soit amoureux de toi.» Il lui donna, à ce qu'on dit, un collier de perles de sept mille livres. Voici comme cela se fit: un vieux garçon, ami de Sainte-Croix, lui montroit des raretés et ce collier entre autres: «Ah! qu'elles sont belles! dit la dame.—A votre service, répondit-il.—Vraiment, cela n'est pas de refus.» Et en badinant elle les emporta. On dit que pour une discrétion[309], il donna une toilette de cinq cents écus où tout est d'orfévrerie, et on parle de pendants de six mille livres.

Le commandeur de Saint-Simon lui fit une terrible malice; c'étoit quelque temps après le combat de Saint-Antoine. «Il n'y avoit rien plus pitoyable, disoit-il; vous eussiez vu apporter ce pauvre M. de La Roche....» Elle rougit. Il s'arrête, et puis ajoute: Foucauld[310]. Elle croyoit qu'il alloit dire Giffard. Il lui prit en ce temps-là une haine étrange pour La Case; elle lui défendit son logis. On ne sait pourquoi, si ce n'est que Sainte-Croix ne trouvoit pas bon qu'il y allât.

Gondran tomba malade au mois de mars 1653; il ne fut malade que douze jours: on lui fit venir un ministre, il l'écouta. Madame de Genlis alla dire au curé de Saint-André que Gondran étoit catholique. «J'y irai, dit le curé, quand on m'appellera.» Elle alla au premier président, qui lui demanda si cet homme vouloit des prêtres. «Il ne parle point, dit-elle.—Eh bien, répondit-il, ayez patience.» Elle fut enfin à la Reine, qui y envoya un exempt et des archers du grand-prevôt. Il y entra aussitôt des capucins, et le Père Vigner de l'Oratoire, fils d'un ministre; c'est un religieux fort impétueux et fort impertinent. Sa femme dit: «Il faudroit envoyer quérir M. de Sainte-Croix, c'est son meilleur ami. Il lui fera dire ce qu'il est.» Sainte-Croix apporte l'abjuration de Gondran, faite il y avoit près d'un an. La femme et Sainte-Croix parlent tout bas; Gondran déclare qu'il est catholique. Cependant il avoit été pendant l'été au prêche auprès de Pontoise avec son beau-père; il n'alloit ni à prêche ni à messe. Il appela toujours Sainte-Croix son bon ami. On disoit que Sainte-Croix damnoit la femme et sauvoit le mari. Gondran mourut comme une bête: il disoit à sa garde: «Ah! vieille m........., dès que je me porterai un peu mieux, je te ferai un enfant pour ta récompense.» Quand on lui parloit de mourir, il disoit mille sottises. Le curé de Saint-André conseilla à madame Galland de ne faire qu'un enterrement à la sourdine; cette sotte femme dit qu'il falloit faire les choses honorablement, et il lui en coûta cinq cents écus. Gondran dit à sa femme le soir de ses noces: «Tu m'as bien de l'obligation; ce n'est que pour t'épouser que je ne me suis pas fait catholique.»

Dès qu'elle fut veuve, elle vécut régulièrement, et rendit à sa belle-mère tous les devoirs imaginables. On commençoit à dire que le mari avoit plus de torts qu'elle, et que c'étoit lui qui avoit voulu qu'elle fît galanterie; elle fut plus d'un an et demi à mener la plus triste vie du monde. Elle étoit garde-malade de sa belle-mère, qui puoit d'une façon épouvantable; il ne falloit pas faire semblant de s'en apercevoir et se tenir toujours là à entendre gronder; le meilleur temps qu'elle eût, c'étoit de lire des sermons; avec cela en même temps elle faisoit faire des habits magnifiques. Elle eut cette complaisance pour faire avantager ses enfants par sa belle-mère. A vingt-six ans, elle s'avisa de commencer à apprendre à jouer du grand et du petit luth; mais cela demeura là au bout de quelque temps. Je la fus voir peu après la mort de sa belle-mère (en 1655), je la trouvai qui parloit en personne détachée des choses du monde, qui n'aime que la solitude, les livres et l'ouvrage: «Car, disoit-elle, je ne comprends pas comment on peut s'ennuyer, quand on sait faire du point d'Espagne. J'aime sur toutes choses à rêver, j'y prends le plus grand plaisir du monde; j'aime ma liberté, non pour vivre dans le libertinage, mais pour pouvoir me coucher sur mon lit quand il me plaît. N'y a-t-il pas, ajouta-t-elle, bien du plaisir à pleurer tout son soûl quand on a été quinze jours sans pleurer?» Tantôt elle regrettoit son mari, parloit contre les seconds mariages. Quelque temps après elle se mit en tête de maigrir. Pour cela, elle étoit vingt-quatre heures sans manger, buvoit du vinaigre, mangeoit des citrons et autres vilainies. Elle se joua à se faire hydropique; elle maigrit, mais elle n'a quasi plus de santé; elle est un peu cruche; il lui prend des visions de faire fermer ses fenêtres en plein midi, et de lire sur son lit avec de la bougie. Elle ne voit plus tant d'hommes et est fort mélancolique. Il est vrai qu'elle a perdu assez de procès. On dit pourtant toujours que Sainte-Croix continue à la voir, et il y en a qui disent qu'ils sont mariés, mais qu'à cause des bénéfices on n'en déclare pas le mariage. Je sais bien que Sainte-Croix a vu les sœurs de madame de Gondran quand il y a eu quelque affliction dans la famille. Cette galanterie a cessé, aujourd'hui qu'elle est logée vers le Petit-Luxembourg.

Villars de M. le prince de Conti, Villars, qu'on appelle vulgairement Villars Orondate, à cause de sa mine de héros[311], l'alla voir. Je dirai en passant que madame Pilou ne sachant ce que c'étoit qu'Orondate, l'appela Villars La Rondache; elle en a fait elle-même une plaisanterie, et on ne l'appelle quasi plus que Villars La Rondache.

La dame étoit ravie d'en être coquetée, quand madame de Gouville[312], dont il sera amplement parlé dans les Mémoires de la Régence, aussi bien que de ce Villars[313], enragée de ce qu'il s'attachoit plus à madame de Gondran qu'à elle, alla dire à madame de Villars[314] que son mari étoit épris de cette huguenote. La pauvre madame de Villars, qui étoit folle de son mari, fut trois jours sans manger; enfin il la pressa tant qu'elle lui dit ce que c'étoit. «Je ne la verrai plus,» lui dit-il. Ils se sont épousés par amour et par estime; elle est sœur de Bellefonds. Il fut quelque temps sans y aller. Elle, voyant cela, en usa fort bien, et maintenant elle s'est faite amie de madame de Gondran, et elles mangent quelquefois ensemble.

Cette Gondran voudroit fort attraper le bonhomme d'Entragues-Chantemesle, qui est outré du mariage de son fils, qui, à l'âge de vingt-deux ans, en dépit de lui, a épousé une fille de trente ans qui n'a point de bien. A la vérité elle est de bonne maison: c'est la sœur de Sourdeac de Rieux, dont il est parlé au chapitre des extravagants. Madame de Gondran a joué au vert avec lui; ils sont assez voisins; il se laissoit prendre sans vert; mais j'ai peur, car ce n'est pas un sot, qu'il ne se laisse pas prendre d'une autre façon. Elle changeroit volontiers de religion pour lui; d'Avaux est aussi de ses galants. Il a quitté madame Dalesso.

Madame de Gondran fut à Bourbon l'automne de 1659. Il y avoit là un vieux barbon de doyen des Turlutains[315] de M. le procureur-général, nommé Choppin. Cet homme, dans une compagnie où elle étoit, ayant ouï nommer madame de Gondran, dit: «Madame de Gondran?—Oui, madame de Gondran, répondit-on.—Quoi, cette belle madame de Gondran d'autrefois, dont on a tant parlé?» Quelqu'un ayant peur qu'il ne lui échappât quelque sottise, dit: «Oui, cette belle madame de Gondran elle-même, la voilà.» Ce rustre la regarde. «Ah! madame, on m'avoit dit que vous étiez si belle; je n'eusse jamais cru que c'eût été vous; mais l'âge change bien les gens.» Voilà cette femme déferrée qui ne put que lui dire: «Il est vrai, monsieur, l'âge change bien les gens.» On rompit les chiens par charité. En effet, elle n'est ni âgée ni trop changée. A Paris, comme elle vit qu'on en faisoit le conte, elle le fit elle-même, et s'en railloit la première.

Depuis, ses incommodités continuant, on lui conseilla de voir Le Large, parce que son mari avoit été bien débauché. Elle crut ce conseil et se renferma pour trois semaines; les servantes même, hors une, n'y entroient pas. Tout le monde veut que ce soit la v...... Ce dernier mois de mars 1660, elle se plaignoit fort des douleurs qu'elle sentoit dans les jointures; elle se plaignoit d'une jambe il y avoit long-temps. Au sortir de là, elle ne se pouvoit quasi soutenir; elle m'a dit: «Je ne sais si mes jambes reviendront; mais jusqu'ici je me trouve bien plus mal que je n'étois.»

SÉVIGNY ET SA FEMME.

Sévigny[316], qui par la faveur du coadjuteur, son parent, à qui l'abbé de Livry, Coulanges, fou de la mère, avoit voulu faire sa cour, avoit épousé cette jolie mademoiselle de Chantal, de la maison de Rabutin de Bourgogne, qui avoit cent mille écus en mariage, aujourd'hui cette madame de Sévigny dont nous avons parlé dans l'historiette de Ménage; ce Sévigny devint amoureux de madame de Gondran. Pour moi, j'eusse mieux aimé sa femme. Pour réussir en son dessein, il se met à faire la débauche avec le mari et à le mener promener. Il étoit une fois au Cours avec lui, et le chevalier de Guise se met avec eux; Gondran disoit qu'il n'y avoit point d'homme plus heureux que lui, qui étoit toujours en festin, et avec de grands seigneurs; que les gens de la cour étoient tout autrement agréables que les gens de la ville, et qu'il ne pouvoit plus souffrir les bourgeois. Le chevalier de Guise demanda à voir la belle madame de Gondran; le mari ne s'y opposa pas autrement, mais la belle-mère ne le voulut pas. M. d'Aumale, depuis M. de Reims, aujourd'hui M. de Nemours, y fut reçu: je pense que la soutane rassura la bonne femme.

Ce Sévigny n'étoit point un honnête homme, et il ruinoit sa femme, qui est une des plus aimables et des plus honnêtes personnes de Paris[317]. Elle chante, elle danse, et a l'esprit fort vif et fort agréable; elle est brusque et ne peut se tenir de dire ce qu'elle croit joli, quoique assez souvent ce soient des choses un peu gaillardes; même elle en affecte et trouve moyen de les faire venir à propos. Quelqu'un lui avoit écrit un billet et l'avoit priée de ne le montrer à personne: elle laisse passer quelques jours, puis le montra et lui dit: «Si je l'eusse couvé plus long-temps, il fût devenu poulet

Sévigny avoit fort peu de bien, il faisoit des marchés qu'après il rompoit. On fit séparer sa femme. Cependant, par amitié, elle s'engagea jusqu'à cinquante mille écus. Ces esprits de feu, pour l'ordinaire, n'ont pas grande cervelle. Elle disoit: «M. de Sévigny m'estime et ne m'aime point; moi je l'aime et ne l'estime point.» Ménage lui disoit: «Le plus grand malheur qui pouvoit arriver à M. de Sévigny, c'étoit de vous épouser; car tout le monde dit: Quel homme pour cette femme!»

Elle baisoit un jour Ménage comme son frère; des galants s'en étonnoient. «On baisoit comme cela, leur dit-elle, dans la primitive Eglise.» Une fois qu'il lui disoit qu'elle avoit tort d'avoir mis tant de bien sur la tête de son mari: «Pourvu, dit-elle, que je ne lui mette que cela sur la tête; patience!» Elle faisoit confidence de tout à Ménage, et lui, qui en avoit été amoureux autrefois, lui disoit: «J'ai été votre martyr, je suis à cette heure votre confesseur.—Et moi, répondit-elle, votre vierge[318].» Vassé en a été amoureux; Ménage lui demanda comment cela étoit arrivé; elle se mit à chanter une chanson que Patris fit à Gravelines pour un provincial, où il y avoit:

Chargement de la publicité...