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Les historiettes de Tallemant des Réaux, tome sixième: Mémoires pour servir à l'histoire du XVIIe siècle

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The Project Gutenberg eBook of Les historiettes de Tallemant des Réaux, tome sixième

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Title: Les historiettes de Tallemant des Réaux, tome sixième

Author: Tallemant des Réaux

Editor: marquis de H. de Chateaugiron

L.-J.-N. Monmerqué

Jules-Antoine Taschereau

Release date: April 27, 2014 [eBook #45513]
Most recently updated: October 24, 2024

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Hélène de Mink, and the
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(This file was produced from images generously made
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(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES HISTORIETTES DE TALLEMANT DES RÉAUX, TOME SIXIÈME ***

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.

1

MÉMOIRES
DE
TALLEMANT DES RÉAUX.

2

PARIS, IMPRIMERIE DE DECOURCHANT.
Rue d'Erfurth, no 1, près de l'Abbaye.

3

LES HISTORIETTES
DE
TALLEMANT DES RÉAUX.


MÉMOIRES
POUR SERVIR A L'HISTOIRE DU XVIIe SIÈCLE,
PUBLIÉS
SUR LE MANUSCRIT INÉDIT ET AUTOGRAPHE;
AVEC DES ÉCLAIRCISSEMENTS ET DES NOTES,
PAR MESSIEURS
MONMERQUÉ,
Membre de l'Institut,
DE CHATEAUGIRON ET TASCHEREAU.

TOME SIXIÈME

PARIS,
ALPHONSE LEVAVASSEUR, LIBRAIRE,
PLACE VENDÔME, 16.


1835

MÉMOIRES
DE
TALLEMANT.

LE PARQUET.

Le Parquet, qu'on appelle à cette heure Potel-Romain, à cause qu'il parle fort de Rome, où il a été, est fils d'un M. Potel, greffier du Conseil. Il n'avoit plus que sa mère quand il se mit dans le monde. C'étoit un gros garçon, noir et plein de rougeurs, la bouche enfoncée et les yeux de travers; avec cela il venoit de quitter la perruque, et avoit trois ou quatre moustaches postiches [1] de chaque côté, où il y avoit plus de douze aunes de ruban noir: on n'avoit pas encore trouvé les coins de cheveux. Il n'y avoit rien de plus plaisant que de voir Des Cures, autre louche, et lui se faire la révérence.

Le Parquet débuta par madame de Ribaudon, à qui il donna les violons et la comédie; il lui donna cadeau [2] et à plusieurs autres; et un jour il mena les vingt-quatre violons aux Tuileries. Il n'étoit bruit que de lui; il se fourroit parmi les gens de la cour, et il pouvoit se vanter que la cour et la ville se moquoient de lui en même temps. On en fit un vaudeville assez plaisant:

C'est monsieur Du Parquet,

Cet homme si coquet;

Hé! quoi, ne connoissez-vous pas

Le brave Du Parquet et ses louches appas?

Les dames dans le Cours,

Pour lui, font mille tours;

Et tous les princes, de bon cœur,

Lui vont criant: Parquet, ton serviteur.

Il est divertissant

Lui seul plus que cinq cents:

Sans ce garçon, le cabinet,

Ni les ruelles n'ont rien de parfait.

Et il y en avoit encore une qui disoit:

Il n'est pas jusqu'au perroquet,

Qui ne dise: Bonjour Parquet.

Cette chanson, chantée par tous les laquais, le fit déserter, et il alla à Rome, où il fut assez long-temps pour être appelé au retour Potel-Romain.

On avertit sa mère que ce garçon se faisoit moquer de lui; mais cette bonne femme dit que c'étoit une chose étrange qu'on portât une telle envie à ce pauvre Parquet; qu'on vouloit l'empêcher de se faire valoir, que jamais garçon n'avoit mieux débuté que lui, que tout le monde l'aimoit à la cour, que M. de Beaufort le voyoit de bon œil (c'étoit au commencement de la Régence); que cela venoit de ses frères; mais qu'ils avoient beau faire, qu'elle ne les aimeroit jamais autant que lui. Enfin cette femme mourut. Parquet, un peu revenu, s'en alla voyager; depuis il s'est fort mis dans la crapule et dans les chansons. Il a mis tout Cyrus en couplets, sur l'air de la Duchesse; ils sont assez plaisants. Il est mort jeune.

FOURBERIES.

Un nommé Audebert de Poitiers et sa femme, pour bien marier une petite fille qui leur venoit de naître (c'étoit leur premier enfant), se résolurent d'être quinze ans sans coucher ensemble, ou du moins sans travailler à la propagation du genre humain. A quinze ans ils la marient comme une fille unique, et dont la mère n'auroit plus d'enfants. Le soir même des noces, Audebert et sa femme se remirent à provigner, et elle conçut dès cette nuit-là. Le gendre fut bien étonné de voir sa belle-mère grosse et les testons [3] de sa femme changés en demi-quarts d'écus.


Furetière, ne sachant comment obliger sa mère à lui donner partage, s'avisa d'une plaisante invention, mais qui n'étoit pas autrement selon les bonnes mœurs. Il avoit une sœur assez jolie; il fait qu'un de ses amis se trouve une ou deux fois en lieu où elle étoit; cet homme faisoit l'homme de qualité; il s'éprend, il parle; la dame charge son fils de s'en informer. Cet homme se disoit d'auprès de Reims. Furetière apporte des lettres à sa mère, où l'on disoit les plus belles choses du monde de cet homme; il envoyoit des gens de temps en temps, qui se disoient de Reims; la mère aussitôt s'informoit à eux; ils disoient merveilles, et lui avouoient qu'il falloit que ce gentilhomme fût bien amoureux, car, pour le bien, il auroit trouvé tout autre chose. La mère, en se vantant, disoit à son fils: «Tu as toujours fait le bel esprit; trouve donc un parti comme celui-là pour toi.» La demande se fait: on vient à faire des articles. Le fils consent à tout, pourvu que la mère l'égale; et quand il eut touché son fait, l'accordé disparut. La fille, quoiqu'il y allât du sien, car il avoit fallu souffrir quelques privautés, dit que le tour lui avoit semblé si plaisant, qu'elle n'en pouvoit vouloir du mal à son frère.


Le maître du Gros-Chenet, hôtellerie dans la rue Saint-Martin, avoit le plus furieux nez qu'on ait jamais vu; c'étoit un maître nez, qui en avoit de petits aux deux côtés. Un gentilhomme avoit accoutumé de loger chez lui; et, comme cet homme étoit bon et facile, il en emprunta à diverses fois de petites sommes, et enfin cela monta jusqu'à huit cents livres, et le gentilhomme lui en fit une promesse. Cet homme ne savoit ni lire ni écrire, et, ne se défiant point du cavalier, il se contenta de faire écrire au dos de cette promesse par son fillot, le fils du savetier son voisin, Promesse de monsieur un tel de la somme de huit cents livres, et il la met parmi ses papiers. Au bout de quelque temps, le hobereau ne revenant point, l'hôtelier appelle son fillot: «Prends une telle promesse; lis: Je soussigné confesse, etc.» Et, au lieu de seing, il y avoit: «Quel chien de nez vous avez! quel grand diable de nez vous avez!» Le petit garçon lit tout, de suite. Son parrain, croyant qu'il se moquoit de lui, lui donne un beau soufflet: voilà l'enfant à pleurer, qui lui soutient qu'il y avoit ainsi. Il appelle quelqu'un. On dit que cet enfant ne mentoit pas. Il n'y avoit ni date ni nom. Le hobereau pourtant fut condamné quelque temps après, car on trouva des témoins, et on lui confronta son écriture.


Un prêtre, à Arcueil, où est l'aquéduc, pour attraper de l'argent, s'associa avec un pâtissier du village, et lui fit porter au fond de l'aquéduc une manne pleine de tourtières de cuivre. Là, toutes les nuits, il faisoit un bruit enragé avec ses tourtières: le prêtre servit fort à faire accroire que c'étoit le diable, et qu'il gardoit là-dedans de grands trésors, et que, si on lui faisoit quelque offrande, on en tireroit bien des richesses. Trois jeunes garçons, persuadés par leurs pères avares, y vont pour lui faire offrande chacun d'une pièce de cinquante-huit sous; ils trouvent un homme avec une grande barbe qui leur dit: «Que voulez-vous?—Nous venons vous faire offrande.—Vos pièces ne sont pas de poids,» leur dit-il. Ils y retournent avec des pièces d'un écu [4], et rapportent chacun un plat d'argent d'un marc. Voilà le monde bien étonné. La femme d'un sergent, dont le mari étoit absent, eut le vent de cela; elle avoit deux mille cinq cents livres en argent; elle parle au prêtre, qui voulut mille écus, à condition qu'au bout d'un mois elle en auroit quarante mille, et ainsi tous les mois, et que, quand elle auroit soixante et dix ans, le diable feroit d'elle ce qu'il lui plairoit: pour cela elle vendit des meubles, et parfit la somme de mille écus. Le sergent revient, demande ce que sont devenus ses meubles et son argent. «Là, là, dit-elle, ne faites point de bruit pour si peu de chose. Avant qu'il soit long-temps, vous verrez tel qui vous méprise, vous venir faire la cour.» Elle lui conta l'histoire. Le prêtre s'en étoit déjà enfui; mais il fut attrapé. On le condamna aux galères et le pâtissier aussi; pour la femme du sergent, elle fut condamnée au fouet, pour s'être, autant qu'en elle étoit, donnée au diable (1651).

Agnan a été le premier qui ait eu de la réputation à Paris. En ce temps-là, les comédiens louoient des habits à la friperie; ils étoient vêtus infâmement, et ne savoient ce qu'ils faisoient. Depuis vint Valeran [5], qui étoit un grand homme de bonne mine; il étoit chef de la troupe; il ne savoit que donner à chacun de ses acteurs, et il recevoit l'argent lui-même à la porte. Il avoit avec lui un nommé Vautray, que Mondory a vu encore, et dont il faisoit grand cas. Il y avoit deux troupes alors à Paris; c'étoient presque tous filous, et leurs femmes vivoient dans la plus grande licence du monde; c'étoient des femmes communes, même aux comédiens de la troupe dont elles n'étoient pas.

Le premier qui commença à vivre un peu plus réglement [6], ce fut Gaultier-Garguille [7]: il étoit de Caen, et s'appeloit Fleschelles. Scapin, célèbre acteur italien, disoit qu'on ne pouvoit trouver un meilleur comédien. Gaultier étudioit son métier assez souvent, et il est arrivé quelquefois que, comme un homme de qualité qui l'affectionnoit l'envoyoit prier à dîner, il répondoit qu'il étudioit.

Belleville, dit Turlupin [8], vint un peu après Gaultier-Garguille, et ils ont long-temps joué ensemble avec La Fleur, dit Gros-Guillaume [9], qui étoit le fariné; Gaultier le vieillard, et Turlupin le fourbe. Turlupin, renchérissant sur la modestie de Gaultier-Garguille, meubla une chambre proprement; car tous les autres étoient épars çà et là, et n'avoient ni feu ni lieu. Il ne voulut point que sa femme jouât (elle a joué depuis sa mort, étant remariée avec d'Orgemont dont nous parlerons ensuite), et il lui fit visiter le voisinage; enfin il vivoit en bourgeois.

La comédie pourtant n'a été en honneur que depuis que le cardinal de Richelieu en a pris soin, et, avant cela, les honnêtes femmes n'y alloient point. Il trouva Bellerose [10] sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne avec sa femme, bonne actrice, la Beaupré et la Violette, personne aussi bien faite qu'on en pût trouver; elle a eu bien des galants, et, lorsqu'elle ne valoit plus rien, l'abbé d'Armentières, qui devint après l'aîné, par la mort de son frère, la tira du théâtre, et en fit le fou à un point si étrange, qu'après sa mort il eut long-temps le crâne de cette femme dans sa chambre.

Mondory commença à paroître en ce temps-là. Il étoit fils d'un juge ou d'un procureur fiscal de Thiers, en Auvergne [11], où l'on faisoit autrefois toutes les cartes à jouer; pour lui, il se disoit fils de juge. Son père l'envoya à Paris chez un procureur. On dit que ce procureur, qui aimoit assez la comédie, lui conseilla d'y aller les fêtes et les dimanches, et qu'il y dépenseroit et s'y débaucheroit moins que partout ailleurs. Il y prit tant de plaisir qu'il se fit comédien lui-même; et, quoiqu'il n'eût que seize ans, on lui donnoit des principaux personnages, et insensiblement il fut le chef d'une troupe, composée de Le Noir et de sa femme qui avoit été au prince d'Orange. Cette Le Noir étoit aussi jolie personne qu'on pût trouver. Le Noir mourut, et sa femme s'en tira. Le comte de Belin, qui avoit Mairet à son commandement, faisoit faire des pièces, à condition qu'elle eût le principal personnage; car il en étoit amoureux, et la troupe s'en trouvoit bien. La Villiers [12] y étoit aussi. On dit que Mondory s'en éprit, mais qu'elle le haïssoit; et que la haine qui fut entre eux fut cause, qu'à l'envie l'un de l'autre, ils se firent deux si excellentes personnes en leur métier. Le comte de Belin, pour mettre cette troupe en réputation, pria madame de Rambouillet de souffrir qu'ils jouassent chez elle la Virginie de Mairet [13]. Le cardinal de La Valette y étoit, qui fut si satisfait de Mondory, qu'il lui donna pension. Il en donnoit comme cela aux hommes extraordinaires qui lui plaisoient.

Mondory eut toujours de la reconnoissance pour madame de Rambouillet; car ce fut de ce jour-là qu'il commença à entrer en quelque crédit. Sa femme n'a jamais pensé à monter sur le théâtre, et lui n'a jamais joué à la farce; c'est le premier qui s'est avisé de cela: Bellerose y jouoit. Il ne laissa voir sa femme à personne, et il disoit aux gens: «C'est une innocente qui ne bouge des églises.» Il tiroit part et demie. Il étoit de certaines conversations spirituelles chez Giry [14] et chez Du Ryer [15], et faisoit des vers passablement: il ne manquoit point d'esprit, et savoit fort bien son monde. Je me souviens qu'on fit une certaine pièce qu'on appeloit l'Esprit Fort [16], où l'on avançoit, en contant les visions de l'Esprit Fort, que Mondory faisoit mieux que Bellerose [17]; et, Bellerose, car c'étoit à l'Hôtel de Bourgogne, et en parlant à lui, qu'on disoit cela, faisoit la plus sotte mine du monde à cet endroit-là, au lieu de ne faire pas semblant de l'entendre. Cependant tout le monde fut bientôt de l'avis de l'Esprit Fort; mais le Roi, peut-être pour faire dépit au cardinal de Richelieu, qui affectionnoit Mondory, tira Le Noir et sa femme de la troupe du Marais (c'est où jouoit Mondory), et les mit à l'Hôtel de Bourgogne [18]. Mondory prit Baron [19], et dans peu sa troupe valoit encore mieux que l'autre; car lui seul valoit mieux que tout le reste: il n'étoit ni grand, ni bien fait; cependant il se mettoit bien, il vouloit sortir de tout à son honneur, et, pour faire voir jusqu'où alloit son art, il pria des gens de bon sens, et qui s'y connoissoient, de voir quatre fois de suite la Marianne [20]. Ils y remarquèrent toujours quelque chose de nouveau; aussi, pour dire le vrai, c'étoit son chef-d'œuvre, et il étoit plus propre à faire un héros qu'un amoureux. Ce personnage d'Hérode lui coûta bon; car, comme il avoit l'imagination forte, dans le moment il croyoit quasi être ce qu'il représentoit, et il lui tomba en jouant ce rôle une apoplexie sur la langue qui l'a empêché de jouer depuis [21]. Le cardinal de Richelieu l'y obligea une fois; mais il ne put achever [22]. Si ce cardinal eût voulu, au moins Mondory en eût-il pu instruire d'autres; mais, pour cela, il eût fallu lui donner de l'autorité, car il n'y avoit si petit acteur qui ne crût en savoir autant que lui. Ce fut lui qui fit venir Bellemore, dit le Capitan Matamore [23], bon acteur. Il quitta le théâtre parce que Desmarets lui donna, à la chaude, un coup de canne derrière le théâtre de l'Hôtel de Richelieu. Il se fit ensuite commissaire de l'artillerie, et y fut tué. Il n'osa se venger de Desmarets, à cause du cardinal, qui ne le lui eût pas pardonné.

Le cardinal, après que Mondory eut cessé de monter sur le théâtre, faisoit jouer les deux troupes ensemble chez lui, et il avoit dessein de n'en faire qu'une. Baron et la Villiers, avec son mari, et Jodelet [24] même allèrent à l'Hôtel de Bourgogne. D'Orgemont et Floridor avec la Beaupré soutinrent la troupe du Marais, à laquelle Corneille, par politique, car c'est un grand avare, donnoit ses pièces; car il vouloit qu'il y eût deux troupes.

D'Orgemont, à mon goût, valoit mieux que Bellerose, car Bellerose étoit un comédien fardé, qui regardoit où il jetteroit son chapeau, de peur de gâter ses plumes: ce n'est pas qu'il ne fît bien certains récits, et certaines choses tendres, mais il n'entendoit point ce qu'il disoit. Baron de même n'avoit pas le sens commun; mais si son personnage étoit celui d'un brutal, il le faisoit admirablement bien. Il est mort d'une étrange façon. Il se piqua au pied, en marchant trop brutalement sur son épée, comme il faisoit le personnage de don Diègue, au Cid, et la gangrène s'y mit. Floridor [25] étoit amoureux de la femme de Baron, et une fois qu'il sembla au mari qu'elle avoit parlé trop passionnément à Floridor, au sortir de la scène, il lui donna deux bons soufflets. Elle est encore fort jolie; ce n'est pas une merveilleuse actrice, mais elle est fort bien, et elle réussit admirablement pour la beauté; cependant elle a eu seize enfans [26].

D'Orgemont mourut bientôt après [27]. Floridor, qui y est aujourd'hui, lui succéda. Il jouoit encore au Marais avec la Beaupré [28], vieille et laide, quand il arriva une assez plaisante chose. Sur le théâtre, elle et une jeune comédienne se dirent leurs vérités. «Eh bien! dit la Beaupré, je vois bien, mademoiselle, que vous voulez me voir l'épée à la main.» Et en disant cela, c'étoit à la farce, elle va quérir deux épées point épointées. La fille en prit une, croyant badiner. La Beaupré, en colère, la blessa au cou, et l'eût tuée, si on n'y eût couru. Depuis, M. de Beaufort donnant certaine comédie où cette fille étoit nécessaire, il l'alla prier de venir. Elle y alla embéguinée, quoiqu'elle eût juré de ne jouer jamais avec la Beaupré. Plusieurs personnes lui parlèrent d'accommodement; elle dit qu'elle n'en vouloit rien faire, et elle s'en alla dès qu'elle eut fini, car son rôle ne duroit pas jusqu'à la fin de la pièce. Cette Beaupré quitta le théâtre il y a six ans, et présentement elle joue en Hollande.

Floridor, las d'être au Marais avec de méchants comédiens, acheta la place de Bellerose [29] avec ses habits, moyennant vingt mille livres; cela ne s'étoit jamais vu. Le chef ayant part et demie dans la pension que le Roi donne aux comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, c'est ce qui fit donner cet argent. Ce Floridor est fils d'un ministre; il s'appelle Josias. Autrefois, quand il paroissoit, du temps de Mondory, les laquais crioient sans cesse: «Josias, Josias.» Ils le faisoient enrager. C'est un médiocre comédien, quoi que le monde en veuille dire; il est toujours pâle; cela vient d'un coup d'épée qu'il a eu autrefois dans le poumon; ainsi point de changement de visage. Montfleury [30], s'il n'étoit point si gros, et qu'il n'affectât point trop de montrer sa science, seroit un tout autre homme que lui. Jodelet, pour un fariné naïf, est un bon acteur; il n'y a plus de farce qu'au Marais, où il est, et c'est à cause de lui qu'il y en a. Il dit une plaisante chose au Timocrate [31] du jeune Corneille, dont la scène est à Argos; on lui avoit dit qu'il y avoit dans cette ville-là une fontaine où Junon, tous les ans, revenoit prendre une nouvelle virginité. Il vint conter cela après que la pièce fut achevée [32], et dit: «S'il y avoit une fontaine comme cela au Marais, il faudroit que le bassin en fût bien grand.» Il fait bien un personnage de valet, et Villiers dit: «Philippin [33], mari de la Villiers, ne le fait pas mal aussi, mais n'est pas si bien.» Jodelet parle du nez, pour avoir été mal pansé de la v....., et cela lui donne de la grâce. Gros-Guillaume autrefois ne disoit quasi rien; mais il disoit les choses si naïvement, et avoit une figure si plaisante, qu'on ne pouvoit s'empêcher de rire en le voyant; peut-être s'il fût venu du temps de Trivelin, de Scaramouche et de Briguelle [34], qu'il n'auroit pas tant fait rire les gens.

Il faut finir par la Béjard [35]. Je ne l'ai jamais vue jouer; mais on dit que c'est la meilleure de toutes. Elle est dans une troupe de campagne [36]; elle a joué à Paris, mais ç'a été dans une troisième troupe qui n'y fut que quelque temps. Son chef-d'œuvre, c'étoit le personnage d'Epicharis, à qui Néron venoit de faire donner la question [37].

Un garçon, nommé Molière, quitta les bancs de la Sorbonne pour la suivre [38]; il en fut long-temps amoureux, donnoit des avis à la troupe, et enfin s'en mit et l'épousa [39]. Il fait des pièces où il y a de l'esprit; ce n'est pas un merveilleux acteur, si ce n'est pour le ridicule. Il n'y a que sa troupe qui joue ses pièces; elles sont comiques [40]. Il y a dans une autre troupe un nommé Filandre qui a aussi de la réputation; mais il ne me semble pas naturel. La Bellerose est la meilleure comédienne de Paris; mais elle est si grosse que c'est une tour [41]. La Beauchâteau est aussi bonne comédienne; elle ne manque jamais, et fait bien certaines choses [42].

Le théâtre du Marais n'a pas un seul bon acteur ni une seule bonne actrice.

Il y a à cette heure une incommodité épouvantable à la comédie, c'est que les deux côtés du théâtre sont pleins de jeunes gens assis sur des chaises de paille; cela vient de ce qu'ils ne veulent pas aller au parterre [43], quoiqu'il y ait souvent des soldats à la porte, et que les pages ni les laquais ne portent plus d'épées. Les loges sont fort chères, et il y faut songer de bonne heure. Pour un écu ou pour un demi-louis [44], on est sur le théâtre; mais cela gâte tout, et il ne faut quelquefois qu'un insolent pour tout troubler. Les pièces ne sont plus guère bonnes.

CONTES DE PRÉDICATEURS
ET DE MINISTRES.

M. de Mâcon, ci-devant M. de Sarlat, a eu grande réputation pour la prédication, quand il étoit M. de Lingendes [45]. Il prêchoit une fois un carême à Rennes, il étoit alors à Monsieur; il avoit été avant cela au comte de Moret. Un charlatan, qui se disoit aussi à Monsieur, le vint trouver un jour, et lui dit qu'étant à même maître et de même profession [46], il avoit pris la hardiesse de lui venir faire la révérence. «Hé! qui êtes-vous, monsieur?—Je suis, dit-il, cet homme qui monte sur le théâtre dans cette place; nous parlons tous deux en public.» M. de Rennes arrive là-dessus. «Monsieur, lui dit M. de Lingendes, je suis ravi d'une chose; si par hasard je tombois malade, voilà monsieur qui achèvera: nous sommes de même profession.» Il eût été plus tôt évêque s'il n'eût point été à Monsieur. Son cousin, le Père de Lingendes [47], un des meilleurs prédicateurs de la Société, le remit bien avec les Jésuites; il étoit brouillé avec eux; il le fit prêcher dans leurs églises. Ce furent eux qui, par le moyen de M. de Noyers, le firent évêque de Sarlat; depuis il permuta pour d'autres bénéfices, et enfin il fut évêque de Mâcon à la régence. Il ne sait que médiocrement ce que c'est qu'éloquence; il y a quelquefois beaucoup d'esprit dans ses sermons; il fait quelquefois aussi des prédications de cordelier; il se pique surtout de bien entendre saint Paul; cependant, quand il l'explique, on ne l'entend pas autrement. On en a fort médit avec une madame de Marigny, femme d'esprit, qui logeoit sur la Tournelle; il y avoit un vaudeville:

Éloquente de Marigny,

Quel amoureux te baise?

Je le connois, je l'ai vu dans la chaise.

Il passe pour un bon courtisan, et il est toujours prêt à flatter ceux qui donnent les bénéfices. Une fois il dit une chose chez madame Saintot [48], qui n'étoit guère judicieuse. Quelqu'un lui dit: «Je pense que le sermon d'hier est le meilleur que vous ayez fait.—Le meilleur que j'aie fait, reprit-il, c'est celui d'un tel jour; il me valut soixante pistoles.» Une autre fois il étoit encore chez madame Saintot, avec quatre ou cinq autres prélats ou abbés; pas un ne sut dire quelle fête il étoit.


Un curé, au prône, dit: «Voyons quelle fête il y a cette semaine: Saint-Simon Saint-Jude. Judas fêté! Il ne faudra la chômer que le matin pour saint Simon, ou, plutôt, point du tout, pour apprendre à saint Simon à hanter mauvaise compagnie.»


Un ministre disoit toujours en prêchant: Il n'y a ni rime ni raison, et il répétoit cela cent fois pour un sermon. Ses brebis s'en ennuyèrent, et en demandèrent un autre. On leur dit: «Eh bien! êtes-vous contents?—Oui, dirent-ils naïvement, il n'y a ni rime ni raison à ses sermons.»


Un prédicateur, ne voyant pour tout auditeurs que sept femmes, leur dit: «Je ne laisserai pas de prêcher; notre Seigneur prêcha bien pour trois p......, et vous voilà sept.»


Le Père Bouvard, Cordelier, avoit de l'esprit, mais il disoit quelquefois de grandes grotesques. En prêchant sur Flos campi, il dit que cette tulipe avoit été fouettée pour nous. On dit une tulipe fouettée [49]; il méritoit d'être fouetté lui-même.


Un prédicateur disoit qu'on appeloit la femme mulier, parce qu'elle est mule hier, mule aujourd'hui, mule in æternum.


Un ministre gascon, en prêchant sur la parabole de la vigne, prêcha si longuement, qu'un des auditeurs s'en alla en disant qu'il alloit quérir une serpe pour faire un passage à ce pauvre homme; qu'autrement il ne sortiroit jamais de cette vigne.


Un moine prêchoit à Cinq-Queues, près Pont-Sainte-Maxence, le jour de la fête du village. Il crut que le patron s'appeloit saint Queux; dans son sermon, il leur dit: «Il faut que vous imitiez en toutes choses votre bon patron, M. saint Queux.» Un marguillier lui dit: «C'est saint Martin.—Votre bon patron, reprit-il, M. saint Martin, et en grec M. saint Queux.» C'est ainsi qu'il s'en sauva.


A Saint-Pierre-aux-Bœufs [50], les marguilliers et le curé étant en dispute, avoient nommé deux prédicateurs pour le carême. Il fut conclu, pour les accommoder, que l'un prêcheroit le matin, et l'autre l'après-dînée. Le jour de Pâques fleuries, le premier, qui étoit l'archidiacre de Bayeux, dit qu'il laissoit à celui qui prêcheroit après lui à expliquer si c'étoit un âne ou une ânesse sur qui Notre-Seigneur étoit monté; que c'étoit un célèbre Cordelier, un grand personnage, qui leur expliqueroit aisément le plus grand mystère qu'il y eût dans l'Évangile du jour. Le Cordelier monte en chaire, et dit: «Puisque M. l'archidiacre a laissé à expliquer si c'est un âne ou une ânesse, je vous prie, messieurs, de lui dire que c'est un âne.»


Un curé, parlant contre les Juifs, disoit: «Vous étiez bien enragés d'aller faire mourir un pauvre diable qui ne vous faisoit point de mal!»

Un Italien, qui a traduit l'Illustre Bassa [51], pour dire que Soliman donna deux montres [52] à son armée, a mis, due horologi.


Un Jésuite, à l'Oratoire, au lieu de dire des langues de feu, dit des langues de bœuf.


Un Cordelier comparoit Notre-Seigneur à une bécasse, à cause que tout en est bon.


Un prédicateur parlant de l'épée que Denys le tyran avoit fait suspendre à un filet [53], ne se souvint plus de la suite, et il dit hardiment: «Le fil est bon; il durera bien jusqu'à demain. Demain nous dirons le reste.»

MADAME DE VIEILLEVIGNE.

Madame de Vieillevigne est Bretonne; elle avoit un frère nommé Guergroy, gentilhomme fort accommodé, qui étoit un plaisant homme. A toute heure il quittoit la compagnie, pour aller, disoit-il, à M. le cardinal de Richelieu qui n'avoit jamais ouï parler de lui: il avoit un cheval magnifique, et étoit logé comme un paysan; il mourut jeune et sans enfants, et laissa sa sœur de Vieillevigne héritière. Or le mari de cette femme est un homme riche, mais si stupide, qu'à l'Académie, M. de Benjamin fut contraint de lui faire écrire sur ses bottes: «Jambe droite et jambe gauche.» Une fois on lui fit accroire qu'il étoit de bois: «Mais je me remue, disoit-il.—C'est par ressort,» lui répliqua-t-on. Depuis cela on l'appeloit l'homme de bois. Sa femme avoit un lévrier le plus beau du monde, et qu'elle aimoit tendrement: on mena ce lévrier à la chasse du sanglier quasi en dépit d'elle; il y fut tué. On ne savoit comment le lui dire: «Laissez-moi faire, dit le mari. Ma mie, lui dit-il, votre lévrier a été tué; mais consolez-vous, Henri le Grand le fut bien.»

Elle gouvernoit tout chez cet homme; elle avoit une procuration générale; cependant elle disoit toujours: «M. de Vieillevigne me laisse toute la peine.» Elle ne concluoit rien sans faire semblant de lui en parler; elle lui faisoit troquer des chevaux avec ceux qui le venoient voir, et, quand elle est avec lui, il n'est pas la moitié si sot que quand elle n'y est pas. Un jour que le maréchal de La Meilleraye lui envoya un gentilhomme, ce gentilhomme, dans la basse-cour, se mit à faire ses nécessités; il étoit pressé. Il avoit envoyé son laquais au château savoir si monsieur y étoit: ce laquais le trouve dans la cour. Vieillevigne s'avance, et dit à ce garçon: «Va-t'en boire.» Et quoiqu'il vît cet homme accroupi sur le fumier, il va toujours à lui; l'autre lui crioit: «Monsieur, je suis au désespoir.... Voire, voire, achevez, ne vous embarrassez point; donnez, je tiendrai votre cheval.» Il prend ce cheval pendant que l'autre relevoit ses chausses. Il n'avoit qu'un garçon qui est mort fou. Il fut question de marier leur fille aînée; la mère avoit inclination pour le fils de La Roche-Giffard, qui est son neveu à la mode de Bretagne, et qui a ses terres proche des siennes, mais ni tous ses amis ni le maréchal de La Meilleraye ne l'ont jamais pu persuader au père; il disoit, pour ses raisons, que le père, comme il étoit vrai, l'avoit méprisé, et qu'il étoit mort les armes à la main contre le Roi. Cependant, comme cette femme avoit une procuration générale, et qu'elle s'étoit munie d'un bon avis de parents, elle fit faire des articles et des annonces. On menoit le bon homme un peu tard au prêche, afin qu'il ne les entendît pas. Pas un de ses gens, car tout dépend de madame, ne lui en dit mot. On l'amusa à la porte du temple, tandis qu'on marioit sa fille. Sa femme dit que, par ce moyen, elle ne marie point sa fille comme principale héritière, et qu'ainsi elle peut couper pour quatre cent mille livres de bois, et en avantager les cadettes. Le mariage a été approuvé par le parlement de Bretagne. Il est pourtant fâcheux d'avoir ainsi diffamé son mari.

PRONOSTICS.

Je ne m'amuserai point à mettre ici tous les contes qu'on fait de Nostradamus; je marquerai seulement quelque chose de ses Centuries.

Siècle nouveau, alliance nouvelle,

Un marquisat mis dedans la nacelle.

A qui plus fort des deux l'emportera, etc. [54].

Voilà le second mariage de Henri IV, et la guerre du marquisat de Saluces bien marqués.

Quand de Robin la traîtreuse entreprise, etc. [55].

On voit clairement que Robin, c'est Biron retourné, car La Fin est nommé dans le quatrain, et ce fut La Fin qui le découvrit.

Celui de M. de Montmorency est encore plus exprès:

Nove obturée au grand Montmorency,
Hors lieux prouvés, livré à claire peine.

Nove, c'est Castelnaudary, dont on lui ferma les portes; lieux prouvés, c'est-à-dire lieux publics. Il ne fut pas décapité en place publique. Livré à claire peine, c'est la façon de prononcer de Toulouse.

On y a trouvé:

Sénat de Londre à mort mettra son roi.

Et quand Dom Tadée mourut auprès du Pont-Rouge, on trouva:

A Ponte-Rosse chef Barberin mourra.

Il y a bien des choses qu'on n'entend pas. Depuis on a bien falsifié ses Centuries; mais, dans ceux qui sont imprimés avant le commencement du siècle, on y voit ce que je viens de marquer.


Il y a ici un maître des requêtes nommé Villayer, qui dit que son frère étoit fort des amis de Nostradamus, et voici ce qu'il en conte. Un jour Nostradamus lui dit: «Je vous dirai votre fortune et celle de vos enfants; mais je veux que cela soit passé par-devant notaire, et en présence de six témoins, afin que vous ne doutiez pas de ma science.» Cela fut écrit chez un notaire, comme il avoit dit. Entre autres choses il lui prédit qu'il seroit marié deux fois (Villayer n'avoit alors que vingt ans), mais qu'il feroit couper la tête à sa première femme (cela est arrivé, il la lui fit couper pour adultère et pour empoisonnement; en Bretagne l'adultère suffit, et Villayer étoit de ce pays-là, et y demeuroit). Il lui dit qu'il en auroit une fille qui seroit mariée à un tel, dont j'ai oublié le nom; cela arriva encore. Il lui dit après que, de sa seconde femme, il auroit trois fils, que deux seroient tués à la guerre et l'autre à un siége fameux; ce fut à Cazal, du temps du maréchal de Toiras. Il dit aussi que ses filles mourroient devant lui. Or Villayer en avoit une d'environ trente-deux ans qui étoit mariée, c'étoit une personne fort enjouée, et qui badinoit toujours avec le bon homme. «Tu as beau faire, lui disoit-il, il faut que tu passes la première.» En effet, il l'enterra.


Un autre maître des requêtes, nommé M. de Refuge, croyoit fort à l'astrologie judiciaire: lui étant né un fils, il fit aussitôt son horoscope. Le chancelier de Sillery, qui savoit comme il s'adonnoit à cette science, lui demanda ce que les astres promettoient à cet enfant. «J'en aurai, répondit-il, beaucoup de satisfaction, si je le puis sauver un certain jour qu'il est menacé d'un grand accident (et il le lui marqua); il doit être tué d'un coup de pied de cheval.» Ce jour-là étant venu, Refuge s'enferme dans une chambre avec la nourrice et l'enfant, car cela lui devoit arriver avant que d'être sevré. Par malheur, le chancelier de Sillery, qui avoit oublié le jour et la prédiction, ayant à lui recommander une affaire qu'il devoit rapporter le lendemain, l'envoya prier de le venir trouver. Il s'excuse par trois et quatre fois, mais il n'osa lui mander pourquoi il restoit au logis, croyant que le chancelier se moqueroit de lui. Enfin M. de Sillery lui mande que c'étoit pour le service du Roi. Il fallut donc sortir; et, au lieu d'emporter sa clef, il la donne à une servante, avec défense d'ouvrir. La nourrice, qui s'ennuyoit dans cette chambre, presse cette servante, deux heures durant, de lui ouvrir: la servante le lui refuse. Enfin, le mari de cette femme, qui étoit de la campagne, arrive à cheval. La nourrice fait de nouveaux efforts, la servante lui ouvre; la nourrice avoit son enfant à son cou. Pour aider à tirer un bissac qui étoit sur ce cheval, elle met son enfant à terre. Ce cheval rue et donne droit dans la tête de l'enfant qui mourut sur l'heure.


Un gentilhomme anglois, qui s'étoit attaché à Buckingham, eut plusieurs fois des visions la nuit que le duc devoit être assassiné; il n'osoit le lui dire, de peur qu'il se moquât de lui; enfin, pourtant, il s'y hasarda. Quelques jours après, un Écossois, qui avoit eu querelle avec le domestique du duc, et qui croyoit que c'étoit à cause de cela qu'il lui avoit refusé une compagnie de gens de pied, enragé de cela, sort en dessein de tuer ou le duc ou son domestique, le premier qu'il rencontreroit des deux. Il trouva le duc, et le tua.


J'ai vu à Rome un Père Bagnarée, Augustin, homme vénérable. Il s'adonna à l'astrologie judiciaire, et, ayant trouvé qu'il devoit mourir avec un habit rouge, il conclut qu'il devoit être cardinal. Pour y parvenir, il se mit à faire toutes les fourberies dont il se put aviser, pour amasser de quoi acheter le chapeau. Il avoit bien vingt-cinq mille écus quand il mourut. Voici une de ses friponneries, ou plutôt un de ses crimes, qui lui valut trois mille livres. Un Juif de Rome avoit un ennemi qui étoit chrétien; ce Juif fut quelques jours sans paroître, et on ne pouvoit découvrir ce qu'il étoit devenu. Les Juifs, en général, firent publier qu'ils donneroient trois mille livres à quiconque révéleroit le meurtrier; car ils ne doutoient pas qu'on ne l'eût tué. Le meurtrier se confesse au Père Bagnarée, et dit qu'il avoit coupé le Juif à morceaux, et l'avoit jeté en tel lieu dans un privé. Le Père fait tomber entre les mains des Juifs une lettre qui portoit: «Mettez les trois mille livres en tel lieu, et vous trouverez le nom du meurtrier qu'on aura mis en la place de l'argent.» Cela fut fait. Il trouva aussi dans l'horoscope qu'il avoit fait du pape Urbain, qu'il mourroit un tel jour: persuadé de cela, il offre à je ne sais quelles gens de l'empoisonner pour une certaine somme. Il croyoit gagner cela sans péril, et que les autres penseroient que le pape, qui seroit mort de mort naturelle, seroit mort de poison. La chose se découvre: il se sauve; mais celui qui étoit avec lui le trahit, et lui ayant donné une potion endormante, il l'enlève de Venise, où ils étoient, jusque sur les terres du pape. Là, pour ne pas diffamer l'habit de Saint-Augustin, on le pendit avec un habit de pénitent rouge.


Un garçon, nommé Malual, fils d'un homme d'affaires, se fit faire son horoscope, et parce qu'il y avoit qu'il mourroit entre six et sept, le 7 du mois d'août 1653, il prit la poste en Foretz, où il se trouvoit, au commencement de ce mois fatal, de peur de tomber malade à la campagne; il s'échauffa en venant à Paris, prit une bonne pleurésie dont il mourut le 7 d'août, à trois heures du matin.


Du temps de la Reine-mère, il y avoit ici un Écossois nommé Inglis, dont on conte assez de choses. M. de Sancy, alors homme d'épée, et depuis évêque de Saint-Malo, pour le surprendre, lui envoya sa nativité sans se nommer. «Ah! dit Inglis, dès qu'il se fut mis à faire sa figure, je le connois, le petit rousseau, il fera le voyage de Constantinople.» Il y fut en ambassade.

Il dit d'un gentilhomme, qui étoit gouverneur de Nesle: «Il me presse par écrit de lui faire sa figure; mais il a pensé ne m'en presser plus: il a été en danger de se noyer il n'y a que quatre jours.» Gombauld, à qui Inglis dit cela, trouva ce gentilhomme sur le Pont-Neuf, qui lui dit: «En venant, j'ai pensé me noyer.» Il lui manqua le temps justement.

Il demandoit toujours quelque chose, et jamais n'obtenoit rien; il venoit toujours trop tard. Une fois il alla demander à la Reine la charge d'un homme qui se portoit assez bien. «Cette charge ne vaque pas.—Il est vrai, madame, mais celui qui la possède mourra dans huit jours.» Elle la lui promit. L'homme mourut dans le terme, mais le pauvre Inglis mourut quatre jours devant. Il mourut comme subitement. Il n'avoit garde de le savoir; car ses parents, qui ne vouloient pas qu'il s'adonnât à l'astrologie, lui célèrent toujours sa nativité.


Un gentilhomme, nommé Boyer, avoit inventé je ne sais quelle carte sur laquelle il tiroit sa figure, et avec une pirouette il devinoit. Rudavel a appris de lui, et Arnauld de Rudavel. Gombauld, qui logeoit avec lui, lui dit: «Hier, à minuit, une femme est venue loger céans.» Il fait sa figure, il fait aller sa pirouette; il trouve qu'il y avoit du meurtre, et que cette femme avoit du jaune à son habit. Effectivement elle avoit une jupe jaune, et il y avoit eu du sang répandu. Ce Boyer fut appelé en duel, et dit avant que de partir: «Ma figure dit que je n'en reviendrai pas.» Il y fut assassiné.

PIERRE PHILOSOPHALE.

L'empereur Rodolphe II, dernier du nom, avoit un premier médecin qu'on disoit avoir trouvé la pierre philosophale. Son maître ne permettoit point qu'on l'inquiétât sur cela; car il lui faisoit, dit-on, de l'or potable [56], et le tint en santé longues années. Ce médecin avoit à son service un François, âgé de treize ans, ou environ; c'étoit un garçon qui s'étoit débauché; il le prit en affection, et lui montra tous ses secrets. Le médecin vient à mourir; ce garçon, nommé Saint-Léger, eut peur qu'on ne l'enfermât, il se sauve. On le cherche partout; point de nouvelles. On avoit son portrait; on en fait faire plusieurs copies qu'on envoie partout. Il vient à Paris, et, pour se cacher, il offre à un homme, qui tenoit des pensionnaires à l'Université, de lui donner tout ce qu'il voudroit pour un trou de chambre, à condition de guérir la femme de cet homme, qui étoit abandonnée des médecins; l'hôte déloge quelqu'un, lui donne un bouge [57]. Or, il y avoit là-dedans, en pension, un petit garçon de Paris, nommé Du Pré; c'est de lui que je sais ceci. Saint-Léger se servit de lui à bien des choses, parce qu'il le reconnut discret. Ce M. Du Pré là est un galant homme. Saint-Léger lui envoyoit chercher des drogues ordinaires chez l'apothicaire, dans lesquelles il mettoit d'une certaine poudre, et il guérit l'hôtesse en fort peu de jours. Souvent il donnoit un coffret à ce petit garçon pour porter à un affineur qui en avoit une clef: le coffret étoit pesant; quelquefois on donnoit un écu d'or au petit Du Pré. Ce Saint-Léger n'avoit pour tout instrument qu'un petit fourneau portatif. Il falloit qu'il fît sa poudre fort aisément, car Du Pré dit qu'en trois ou quatre mois, il lui en vit user plus de trente fois plein une poire à porter de la poudre à canon dans la poche. Il fit des cures admirables dans le temps qu'il fut à l'Université. Voici comme il fut découvert. Le garçon de l'apothicaire de l'hôtesse avoit vu ce portrait que Beringhen [58], père de M. le premier, qui étoit curieux de chimie, avoit fait venir d'Allemagne, car son maître le servoit; il en avertit donc Beringhen: voilà un exempt qui vient demander cet homme. Du Pré dit: «Il est allé à la messe.» Il y étoit allé en effet; mais apparemment il avoit eu le vent de quelque chose, car on ne l'a jamais vu depuis.

MONCONTOUR.

Moncontour est fils de Bordeaux, receveur-général de Tours, dont Bordeaux, ambassadeur en Angleterre, qui n'est point son parent, quoiqu'il porte même nom, a épousé la fille. Ce garçon a fait autant de folles dépenses qu'homme de sa sorte. Il étoit ici conseiller au Grand-Conseil. Il a eu des garnitures de point de Gênes de six mille livres (collet, manchettes et canons). Pour un an, il a pris pour cent pistoles de peignes; les parties du rôtisseur montent à dix mille écus pour un an, en chapons de Bruges [59]. On le dupoit. Le lieutenant-civil conte qu'une nuit, qu'il faisoit courir pour attraper des filous, on prit trois jeunes hommes qu'on lui amena: le premier étoit fort propre; il se dit valet-de-chambre de M. de Moncontour; le second, quasi aussi propre que lui, se dit valet de garde-robe de M. de Moncontour, et le troisième, qui ne leur cédoit guère, se dit chef de sommellerie de M. de Moncontour. Ils alloient, disoient-ils, chercher leur maître qui étoit chez une dame de qualité. «Et qui est-elle?—Monsieur, nous n'oserions la nommer.» Or, cette dame de qualité, c'étoit madame de Gaillonnet [60].

Il y aura trois ans cet automne, que Prunevaux, intendant des finances, maria sa fille avec Moncontour, qu'on croyoit riche. Quelques jours après les noces, ce galant homme de Moncontour va trouver le receveur des consignations, Betaud, qui avoit une tapisserie de dix mille livres à vendre, parce qu'elle étoit trop haute pour les exhaussements de sa maison; ils tombent d'accord du prix; Betaud se contente du billet de Moncontour, payable à volonté. Deux jours après, Betaud demanda, par rencontre, à Prunevaux, si cette tapisserie avoit plu à sa fille; il se trouva qu'il ne savoit ce que c'étoit. Betaud va faire des reproches à Moncontour, qui lui avoue qu'il l'avoit mise en gage pour trois mille livres chez un tapissier; qu'au reste, c'étoit pour une bonne action, et pour délivrer le monde de ce voleur de l'Escluselles; qu'au lieu de dix mille livres, il feroit à Betaud une promesse de trois mille livres, après que la tapisserie auroit été retirée de chez le tapissier; ce qu'il fit; car Betaud aima mieux perdre mille écus que dix mille francs.

Ce l'Escluselles étoit un illustre filou qui avoit eu bien des familiarités avec la Gaillonnet, et même lui avoit prêté quelquefois de l'argent. Un jour il voulut qu'elle lui donnât une obligation, elle le maltraita; il prit son temps, et la vola, elle et Moncontour, au retour de Forges, mais seulement jusqu'à la concurrence de sa dette. Ils le firent prendre, et ce fut pour le faire dépêcher que Moncontour emprunta ces trois mille livres; car le lieutenant-criminel, qui disoit qu'il n'étoit pas trop chargé, dès qu'il vit de l'argent, dit: «C'est un coquin, il en faut purger le monde.» Effectivement, il fut roué.

Au bout de deux ou trois mois, Prunevaux fit séparer sa fille de biens; il ne lui avoit pas donné grand-chose. Peu de temps après, Bordeaux, père de Moncontour, s'absenta. On accuse Bordeaux, l'intendant des finances, beau-père de sa fille, de lui avoir fait faire une banqueroute frauduleuse. Il en a fait autant autrefois lui-même.

Moncontour reçut assez bien cette calamité; il disoit à ses confrères du Grand-Conseil: «Remettez un peu cette buvette sur pied; car désormais je n'aurai plus d'ordinaire que celui-là.» Quelquefois il disoit: «Depuis que mon père a fait un trou à la nuit, je me trouve plus en repos que jamais: lui et mon beau-père ne faisoient que me gronder, ma femme étoit jalouse, mes valets demandoient sans cesse; me voilà délivré de tout cela.»

CONTES, NAIVETÉS, BONS MOTS, ETC.

Le père de feu M. le marquis de Rambouillet avoit une tante, abbesse de Poissy; en ce temps-là on se divertissoit fort bien dans les religions; le marquis y avoit une galanterie: sa maîtresse s'appeloit Le May. Un jour qu'il y fut dîner, c'étoit vers la mi-juin, sa tante lui envoya une vieille religieuse, nommée Rosmadec, pour l'entretenir pendant qu'il dînoit: cela ne lui plaisoit nullement, et il eût bien voulu que c'eût été sa maîtresse. Au dessert, on lui présenta des pommes ridées et des cerises nouvelles; au même temps, la jeune religieuse qu'il demandoit entra; et M. de Rambouillet dit en repoussant ses pommes: «Quand Le May vient, qu'on m'ôte Rosmadec.»


Un vieillard de quatre-vingts ans, étant logé à Montpellier, à une extrémité de la ville, s'avisa d'aller loger à l'autre bout, et dit pour raison: «J'ai toujours tâché de n'être à charge à personne; je n'ai plus guère à vivre, et, si je fusse demeuré où j'étois, on eût eu beaucoup de peine à me porter au cimetière; au lieu qu'où je suis, il n'y aura qu'un pas à faire.»


Un Poitevin huguenot, nommé M. Matthieu, pour être exempt de tailles, soutint qu'il étoit de la maison de Saint-Matthieu, qui est une bonne maison de Poitiers, et disoit pour ses raisons que ses ancêtres s'étant faits de la religion, en haine des saints, au lieu de Saint-Mathieu, s'étoient seulement appelés Matthieu.


Un conseiller de Paris jouoit à la paume; on lui vint dire: «Monsieur, madame vient d'accoucher.—Eh bien! cet enfant ne lui rentrera pas dans le corps.» A une demi-heure de là, on lui vint dire: «Madame est encore accouchée d'un autre enfant.—Ah! pardieu! dit-il, je m'en vais. Si je n'y allois, elle ne feroit qu'accoucher tout aujourd'hui.»


Une femme disoit: «Ce livre est assez agréable, mais il a un mauvais accent.»


Un Allemand, en voyageant, quand le vin étoit bon, écrivoit sur la cheminée de l'hôtellerie: Est, et Est, Est, quand il étoit excellent. A Montefiascone, en Italie, où il y a de fort bon muscat, il écrivit: Est, Est, Est, et en but tant qu'il en creva. Son valet lui fit cette épitaphe:

Est, Est, Est et propter Est, Est, Est
Dominas meus hic est [61].


M. d'Arpajon [62], voulant faire le bel esprit, s'avisa de traiter Sarrazin et Pellisson; et, pour cajoler Sarrazin: «Ah! monsieur, lui dit-il, que j'aime votre Printemps [63]!—Je ne l'ai point fait, dit Sarrazin, c'est une pièce de Montplaisir.—Ah! votre Temple de la Mort est admirable.—C'est de Habert [64], le commissaire de l'artillerie.» Enfin, Pellisson, par pitié, trouva moyen de le faire tomber sur le sonnet d'Ève [65].

D'Audiguier [66], auteur de Lisandre et Caliste, disoit à Théophile qu'il ne tailloit sa plume qu'avec son épée: «Je ne m'étonne donc pas, lui dit Théophile, que vous écriviez si mal.»


M. de Criqueville, président au mortier de Rouen, voulut sur ses vieux jours épouser la fille du président de Franqueville, son collègue; tout étoit d'accord, quand quelqu'un lui dit qu'il rêvoit. Il s'en dédit, et, pour toute raison, il dit que, quand il la fit demander, il ne l'avoit vue que de pourfil, et que, depuis, l'ayant vue de plein front, elle ne lui avoit pas plu.


Un bourgeois de Châlons avoit son fils au collége des Jésuites de Reims. Ce fils, par l'avis des Jésuites, lui demanda les Vies des Saints: il lui envoya les Vies des Hommes illustres de Plutarque, et lui manda que c'étoient les saints des honnêtes gens.


Ce prieur de Bourgueil, que M. de Reims fit assassiner, fut assez simple pour se laisser persuader, par un nommé Langeys, de coller à son bréviaire une promesse qu'il lui avoit faite, afin de s'en ressouvenir toujours. Quand il la fallut produire, elle se rompit toute.


Dans les chapitres des Chartreux, chaque religieux peut écrire son sentiment au général. Un religieux de Paris écrivit qu'il y avoit beaucoup de choses à louer dans leur ordre; mais qu'il y trouvoit un grand défaut: c'est de n'avoir point de femmes, et qu'au moins il en faudroit une pour deux. «Pour moi, ajouta-t-il, je me contenterai de la moitié de la meunière.» La meunière étoit jolie. Le général manda au procureur de Paris: «Un tel religieux vit-il bien mieux que pas un? Regardez ce qu'il m'écrit.» Le procureur fut bien surpris.


Un sot de Chinon apporta beaucoup de ruban bleu de Paris, en disant que c'étoit la mode d'en porter en écharpe, et qu'il en avoit vu au Roi même.


Une dame, un peu galante, pour s'accoutumer à ne point rougir, voulut se hasarder de conter une de ses amourettes, sans nommer personne; elle dit donc: «Une dame donne rendez-vous à son galant, et étant couchés ensemble, on heurta; le galant se jette dans un cabinet, et, comme il faisoit froid, il prit un drap pour se couvrir. Jamais, ajouta-t-elle, je ne fus si déferrée que quand je me vis sans drap.»


Un Sédanois, nommé Gohard, valet du beau-frère de M. Conrart, se retiroit fort souvent dans un petit cabinet, et il écrivoit sans qu'on pût savoir ce que c'étoit. Enfin on trouva moyen d'y entrer, et on vit un gros livre, où il y avoit au haut: «Aujourd'hui, sixième de mai 1645, je commence, moyennant la grâce de Dieu, à copier, pour la septième fois, le Nouveau-Testament, que j'achèverai, Dieu aidant, au bout de l'an.»


Le maréchal de Gassion avoit un parent qui partagea avec un cadet qu'il avoit, et lui donna mille écus pour sa légitime, à condition qu'il en emploieroit cinq cents à un drapeau, en Hollande. Ce garçon mangea tout. L'aîné, sans y être obligé, envoya encore cinq cents écus; mais il mit l'argent en main tierce pour faire acheter ce drapeau. Le cadet fit si bien qu'il eut l'argent, et le mangea, et haie-au-bout [67]. Ses créanciers lui prêtent de quoi aller en son pays, où il disoit qu'il feroit bien danser son frère, et rapporteroit de quoi tout payer. L'aîné en eut avis, et lui écrivit que sa maison étoit bonne, qu'il avoit des arquebuses à croc [68], et quelques fauconneaux [69]; qu'il braqueroit tout contre lui. Ce cadet lui fait réponse, il n'y avoit que cela dans la lettre: Amourcez, yé pars.


Un laquais de madame de Rambouillet, et qui plus est, né natif de Rambouillet même, comme quelqu'un lui demanda: «Qui est avec Madame?» répondit: «C'est un verrier [70].» Il étoit nuit. Les verriers ne vont pas à ces heures... «Oh! dit-il, c'est un verrier, comme M. de Neufgermain.» C'étoit Segrais.


Menous, intendant des Tuileries, étant amoureux de la femme qu'il épousa depuis (elle s'appelle Le Coq), fit faire un cachet, où l'amour tenoit sur le poing un coq en guise d'épervier, et il y avoit autour: Avec lui je prends tous les cœurs.


François Ier, étant chez madame d'Estampes, sut que Brissac, depuis maréchal de France, s'étoit caché sous le lit pour n'avoir pas eu le temps de se sauver. Il demanda des confitures, et en mangeant du cotignac, qu'il trouvoit admirable, il en jeta une boîte sous le lit, et dit: «Tiens, Brissac, il faut que tout le monde vive [71]


Le feu comte Du Lude, pour se moquer de l'huissier de chez le Roi, qui ne l'avoit pas voulu laisser entrer, à cause qu'il n'étoit pas trop bien vêtu, fit habiller magnifiquement son cocher. L'huissier lui ouvre, et refuse l'entrée au comte. «Si vous ne voulez pas que j'entre, dit le comte, renvoyez-moi donc mon cocher; qu'il me ramène. Hé! maître Pierre!...—Monsieur, revenez, revenez.» Tout le monde se moqua du pauvre huissier.


Le même heurta assez fort au cabinet de M. de Schomberg, surintendant des finances; il étoit son neveu; un nouveau suivant, qui ne le connoissoit point, dit: «Qui heurte comme cela?—Ouvre.—Monsieur, on ne heurte point ainsi céans.» Il entre et va pisser dans la cheminée. «Ne pisse-t-on point ainsi céans?» M. de Schomberg n'en fit que rire.


Madame Causse, mère de madame Du Candal, le feu s'étant pris chez elle, s'enfuit toute nue avec sa fille, qui n'étoit qu'une enfant, dans le devant de sa chemise.


Sarrau, conseiller au Parlement, sa femme étant accouchée subitement auprès du feu, lui qui étoit au lit se lève, met l'enfant dans le devant de sa chemise, et va appeler des femmes. Elles, voyant cet homme en cet état, s'enfuirent.


Un Juif, converti depuis, voyant que ses affaires alloient mal, et que tout lui réussissoit de travers, s'adressant à des gens qui lui représentoient que c'étoit que Dieu l'aimoit, et qu'il le visitoit, répondit plaisamment: «Mais que ne visite-t-il le pape et les cardinaux qui sont ses anciens amis, au lieu de moi, qui ne le connois que depuis trois jours?»


Une fille de quelque âge, qu'on appeloit mademoiselle de Bordeaux, disoit que c'étoit une sottise que de se marier, que les gens d'esprit se jetoient dans l'église, ou demeuroient garçons, et étoient presque toujours de bonne humeur; et que, pour le reste, on le mettoit au haras, pour empêcher le monde de finir.


A Alençon, il y avoit un M. Fouteau; pour rire, on appeloit sa femme mademoiselle Foutelle. Un homme alla le demander, et dit: «Monsieur Fouteau y est-il?—Non, dit une fille.—Et mademoiselle Foutelle?—Non, monsieur; elle mange son potage.»


A Rome, on dit, quand on voit un vieux cardinal courbé, qu'il cherche les clefs; car dès qu'ils les ont trouvées, ils se portent le mieux du monde.


On demanda une fois quelle sorte de gouvernement c'étoit que la Rochelle: «C'est une Jobelinocratie,» répondit un galant homme.


La Des Urlis, comédienne au Marais, pour dire le premier personnage, disoit: «Le grand emploi.»


Le vieux Péna, célèbre médecin, fut appelé pour voir un malade à Paris. «De quel pays êtes-vous? lui demanda-t-il.—De Saumur.—De Saumur, et vous êtes malade! Quel pain mangez-vous?...—Du pain de la belle Cave [72].—Vous êtes de Saumur, vous mangez du pain de la belle Cave, et vous êtes malade!... Quelle viande mangez-vous?—Du mouton qui paît au Chardonnet.—Vous êtes de Saumur, vous mangez du pain de la belle Cave, et du mouton qui paît au Chardonnet, et vous êtes malade!... Quel vin buvez-vous?—Des coteaux.—Vous êtes de Saumur, etc., vous buvez du vin des coteaux, et vous êtes malade!.... Allez, vous vous moquez des gens.» Et il le laissa là. Quand il abandonnoit un malade, il disoit: «Faites-lui ceci et cela, et de temps en temps donnez-lui quelque boutade de paradis.»


En voici un quasi semblable. Un rousseau alla se confesser; le prêtre lui demanda combien il y avoit qu'il ne s'étoit confessé. «Dix ans, car je n'ai point péché depuis.—Et de quel métier êtes-vous?—Sergent.—Et de quel pays?—Normand.—Vous êtes sergent, Normand et rousseau, et vous n'avez péché il y a dix ans. Allez, dit-il, il en faut avoir des reliques;» et avec son couteau il lui coupe un petit bout de l'oreille.


Le petit de Chavigny, qui se fait à cette heure appeler M. le marquis de Chavigny [73], à l'âge de treize ans, étoit à une assemblée où madame des Réaux [74] et son frère Sablière étoient. Sablière, en buvant après lui, lui dit: «N'y a-t-il rien à gagner, au moins?—Non, dit-il, tu n'en aimeras qu'un peu mieux ta sœur.» Il l'avoit trouvée fort à son goût.


Un marchand de Montauban, tenté de se marier, prioit Dieu sur ce sujet avec beaucoup de ferveur; et, parce qu'il ne pouvoit s'empêcher de parler haut, il alloit sur le toit de sa maison. Une fois on l'épia, et on ouït qu'il disoit: «Seigneur, qui as fait le soleil chaud et la lune morfondante, donne-moi une bonne femme; tu en penses quelquefois donner de bonnes, que tu en donnes de bien mauvaises.»


Mon père avoit un commis naïf, fort dévot et fort chaste: un jour il ne trouvoit pas son compte; on ouït qu'il prioit Dieu, et disoit: «Seigneur, tu sais que j'ai mon pucelage, et cependant je ne trouve pas mon compte.»


Un homme disoit: «Cicéron aimoit bien son cinquième frère; car il adresse tant de choses, ad Quintum fratrem


Feu M. d'Épernon, étant chez le feu Roi, le Roi dit à Marais, qui contrefait tout le monde: «Fais comme fait M. d'Épernon, quand il est malade.—Holà! aucuns, faites-moi benir Vlaise (c'étoit son bouffon).—Monseigneur, nous ne saurions.—Comment, à un homme de ma condition...—Il est mort, il y a deux mois.—Faites-le-moi venir nonobstant toutes choses.» M. d'Épernon rioit du bout des dents. Le Roi sort. Marais lui voulut faire des excuses. «Non, non, dit-il, je ne vis jamais un meilleur bouffon que vous.»


Un huguenot, nommé M. Dangeau, qui a la mine fort niaise, au sortir de l'Académie, alla à la cour; je ne sais quel éveillé lui vint dire: «Monsieur, pensez que vous avez étudié en philosophie.—Oui, répondit-il naïvement, j'ai fait mon cours.—Hé bien! ajouta l'autre, vous répondrez donc bien à cet argument: Tout homme est animal, etc.—Voyons si vous répondrez bien à celui-ci, reprit Dangeau: Tout homme est menteur; vous êtes homme, donc vous êtes menteur.» Et lui donna un grand soufflet.


Chavanes, un des Rambouillet, un peu avant que d'aller à Barcelone, où il fut tué, s'amusoit fort à lire les Épîtres de Sénèque, où ce philosophe parle de la mort, et disoit: «On ne fait cela qu'une fois en sa vie; je veux apprendre à le faire de bonne grâce; car j'aurois grand'honte de le faire aussi sottement que beaucoup de gens que je vois.»


Il y avoit trois Martin à Paris: Martin mangé, un qui s'étoit ruiné à tenir table; Martin qu'on mange, l'oncle de Villemontée, et Martin qui mange, celui du cardinal de Richelieu. Ce Martin qu'on mange vit encore, et tient encore table; il étoit je ne sais quoi à la grande écurie. Il traita autrefois feu M. de Bellegarde, et toute la pâtisserie et autres choses étoient en figures de mors de bride, même on en fit des pâtés tout pleins [75].


Le duc de Savoie, le bossu, étant amoureux de sa belle-fille, Madame Royale, lui donna une collation, où toute la vaisselle d'argent étoit en forme de guitare, à cause qu'elle en jouoit. Elle le contrefaisoit avec Cesy, qu'il chassa ainsi que toutes les autres [76].


Un bourgeois de Thouars, appelé au Consistoire, où le ministre Rivet présidoit, on lui fit réprimande de ce qu'il buvoit. «Je bois, dit-il en riant, et il n'y a personne de vous autres, messieurs, qui ne boive.—Mais vous battez votre femme.—Et qui voulez-vous qui la batte? Si mademoiselle Rivet fait quelque chose qui ne soit pas bien, appellerez-vous vos voisins pour la châtier?» Et il s'en sauva ainsi en goguenardant.


La Cuisse, chirurgien qui accouche les femmes, dit qu'un jour une personne bien faite et bien vêtue, le vint prier chez lui de l'accoucher, le contenta bien, et après le pria de donner l'enfant à un homme fait de telle façon. Quelque temps après, on vint quérir La Cuisse pour une maîtresse des requêtes; c'étoit elle-même, et elle lui dit tout bas: «Je crierai cette fois pour celle-ci et pour l'autre.»


Le jeune Guenaut, médecin [77], venoit d'accoucher une fille de bon lieu, et, comme il en emportoit l'enfant sous son manteau, un grand laquais de la maison lui vint dire tout bas à l'oreille: «Monsieur, se porte-t-il bien?—Quel coquin est-ce-là? dit le médecin.—Monsieur, répond le laquais, j'y ai autant d'intérêt qu'un autre, pour le moins; c'est de mon fait.»


Un conseiller, dans la deuxième des enquêtes, pensant tirer un procès d'un sac, en tira un chapon tout lardé. Voilà un éclat de rire qui prend à tout le monde. «C'est, dit le conseiller, mon coquin de clerc qui, étant ivre, a pris l'un pour l'autre.»


Un nommé M. Heroüard, qui étoit assez fort en gueule, sortoit de Paris pour aller aux champs; c'étoit la semaine sainte. Il trouva à la porte un embarras de charrettes chargées de veaux. «Il entre bien des veaux à Paris, dit-il.—Il en sort bien aussi,» dit le charretier.


Feu M. d'Humières étoit rousseau; sa mère lui fit teindre les cheveux, et un jour, étant chez mademoiselle de Jonquières, qui étoit de ses voisines à la campagne, elle lui dit: «Ne trouvez-vous pas mon fils bien mieux comme cela?—Madame, je l'ai toujours trouvé fort bien.—Mais dites, dites en conscience.—Madame, je ne l'ai jamais vu autrement.» Et elle fit toujours semblant de ne s'être point aperçu qu'il eût été rousseau.


Le feu évêque de Rennes étoit homme de bien et savant; les tailleurs lui allèrent demander un saint pour patron. «Mais nous en voulons un, dirent-ils, qui sans doute soit en paradis.—J'y rêverai, leur dit-il, revenez demain.» Ils reviennent. «Mes amis, leur dit-il, prenez le bon larron; car, ou Notre Seigneur n'a pas dit vrai, ou il est en paradis. Vous savez qu'il lui dit: Tu seras ce soir en paradis avec moi.» Ils le prirent. Il s'appelle Dimas en je ne sais quelle légende.


Il y a cinq ans que, dans l'île Notre-Dame [78], on voyoit pour de l'argent quatre pièces de tapisserie à l'antique, les plus belles du monde; dans la première, il y avoit un jeune homme avec ces deux vers:

De ce beau jeu d'amours
J'en veux parler toujours;

dans la seconde, un homme de trente ans:

Et moi pareillement
J'en parle bien souvent;

dans la troisième, un homme de quarante-cinq ans avec une dame de trente:

Et moi, tel que je suis,
J'en parle quand je puis;

dans la dernière, un vieillard tout blanc avec une vieille. Il levoit les mains au ciel, et disoit:

O grand Dieu que j'adore!
En parle-t-on encore?

Un docteur s'avisa de vouloir haranguer un jour qu'on recevoit des maîtres-ès-arts; il demeura court dès la seconde ligne. Il appelle son cuistre [79], et lui donne la clef de sa chambre pour aller quérir sa harangue; cependant il pria la compagnie de se donner patience. Le cuistre mêle la serrure et revient les vides. Il fallut que le docteur descendît.


Le duc d'Ossone, ayant à juger un cordonnier qui avoit tué un prêtre, lui demanda: «Pourquoi l'as-tu tué?—Il avoit tué mon père, et pour cela on ne fit que le suspendre à divinis pour six mois.—Hé bien, dit le duc, je te condamne aussi à ne faire de souliers de six mois.»


Un neveu de Voiture, nommé l'abbé Du Val, jeune homme qui a de l'esprit, mais peu de cervelle, s'est jeté dans la dévotion, et, en répondant à des vers que des dames lui avoient envoyés, il mit au haut une croix et ces mots: In hoc signo vincam [80].


Quelqu'un écrivoit de l'armée: «Un tel régiment est arrivé trop tard, quoiqu'il soit venu toujours volant


Un Basque, entendant prêcher le miracle des cinq poissons, dit: «Il falloit donc que ce fussent des balenats [81]


M. de Bouchu, maître des requêtes, dit que sa femme, sept ou huit jours après leurs noces, voyant que cela diminuoit étrangement, alla trouver sa belle-mère, et lui dit tout en pleurs «qu'elle ne savoit pas ce qu'elle pouvoit avoir fait à M. de Bouchu; mais qu'elle voyoit un si grand changement dans les caresses qu'il lui faisoit, qu'assurément il étoit mal satisfait d'elle.» La belle-mère se mit à rire, et la désabusa. C'est une grande sottise d'aller se tuer si mal à propos.


Une femme de Paris qu'on avoit menée voir quelques parents à Vitry-le-François, disoit naïvement: «Voici une jolie ville; mais je n'aime point ces villes qui sont en mi les champs.»


Deux cordeliers qui faisoient fort bonne chère à dîner se moquoient de deux minimes, qui ne mangeoient que des carottes, et leur disoient: «Notre saint François vaut bien le vôtre.» Après dîner, les minimes montent à cheval, et les cordeliers sur la haquenée des cordeliers; alors les minimes eurent leur revanche, et leur dirent: «Notre saint François vaut bien le vôtre.»


D'Allancourt avoit un laquais qui lui disoit: «N'allez pas si vite avec votre cheval, car on dira: Voilà un laquais qui est fou et son maître aussi.»


Bertaut le Châtré [82], voulant mettre son laquais en métier, lui dit: «Regarde de quel métier tu veux être. Veux-tu être chapelier?—Non, monsieur; il n'y a rien au-dessous.—Hé bien! menuisier?—Il n'y a rien au-dessous.—Potier d'étain?—Il n'y a rien au-dessous.—Hé! quoi donc?—Tailleur ou cordonnier; car si je ne suis bon tailleur, je serai raccommodeur; si je ne suis bon cordonnier, je serai bon savetier.»


Un gentilhomme de Languedoc ayant gagné son procès à Castres, avec dépens, convia tout ce qu'il trouva de gens à dîner, disant que sa partie étoit condamnée aux dépens, et il vouloit renvoyer l'hôte à sa partie pour être payé.


Dans les Cévennes, quand il faut faire une députation, on la fait au rabais. N'est-ce pas le moyen d'avoir de bons députés?


Un capitaine wallon, en Hollande, voyant que tout le monde mettoit des devises à son drapeau, mit dans le sien: «Bon capitaine wallon pour le service de Son Excellence.»


M. de Châlons (Vialart), voulant instruire les paysans de son diocèse, demanda à ceux d'un village où il y a un château: «Mes amis, que faut-il faire pour se sauver?—Monseigneur, dirent-ils, il faut se retirer dans le château, quand les gendarmes venont.»


Une femme, en pleurant son mari, disoit: «Hélas! il me disoit toujours: Va-t'en au diable! mais il y est bien allé le premier.»


A l'éclipse de 1652, les gens de la comtesse de Fiesque regardoient dans un miroir, la porte de la rue ouverte; il passa une chaise: «Regardez, dit un d'eux, on va en chaise dans le soleil.»


Un sergent, à Bordeaux, prit son père prisonnier, disant «qu'il valoit mieux qu'il gagnât cet argent-là qu'un étranger.»


L'avocat du roi de La Rochelle s'appeloit Reveau; c'étoit un impertinent Jean de lettres, s'il en fut jamais. Il épousa une veuve; il disoit le lendemain qu'il avoit trouvé douze plus grands plaisirs en son cabinet que celui-là. Il étoit puceau. Depuis, on appela cela le treizième de M. Reveau.


L'abbé Ruccellaï [83] et un homme de qualité du Dauphiné étoient une fois chez madame de Rambouillet. On parla de voleurs; Ruccellaï dit: «Subito che si piglia un ladro, in Italia, s'impicca [84].» Bressieu crut que ladro vouloit dire ladre. «Mais je ne vois point de raison à cela, dit-il. Il faut donc pendre M. de Rostaing.—E ladro, monsu de Rostaing?» disoit l'abbé. Enfin, après en avoir bien ri, M. de Rambouillet les mit d'accord.


Une Espagnole, s'étant confessée, refusa de dire son nom au confesseur en lui disant: «Padre, mi nombre non es mis pecados: Mon nom n'est pas mes péchés.»


Un ivrogne en mourant demandoit des santés à ses amis, comme les autres des messes; «car il n'y a rien, disoit-il, qui éteigne plus promptement le feu du purgatoire.»


A Toulouse, les médecins font bien plus les entendus qu'ailleurs; ils ne daignent pas fouetter leurs mules; leurs valets les fouettent derrière. Un jour, le valet d'un d'eux nommé Le Coq, qui est un fameux médecin, fouetta la mule de trop près; la mule lui donna un coup de pied. Le garçon prend un pavé, et au lieu de donner dans les fesses à la mule, il donna dans les reins à son maître. Le docteur se retourne: «Qu'est-ce que cela?—C'est que la mule m'a donné un coup de pied.—Elle m'en a donné un aussi à moi.» Ne voilà-t-il pas un grand personnage?


Le laquais de Boileau [85] fut, par l'ordre de son maître, pour voir si le premier président de Bellièvre étoit si changé qu'on disoit, après sa mort, en son habit de parade. «Voire, dit le laquais, il n'est changé que par le visage.»


Madame Chaban, femme du commis du comptant de La Bazinière, elle dont Benserade avoit été le galant, s'avisa, long-temps après les Uraniens et les Jobelins [86], de dire qu'on lui avoit donné les plus jolies stances du monde, et elle dit par cœur le sonnet de Job. On la berna; on le lui fit redire trois fois, et on lui en fit donner copie.


Madame de Grimault dit aussi une fois à l'hôtel de Rambouillet qu'elle avoit vu la plus belle stance du monde. Elle en rompit tant la tête qu'enfin on lui dit: «Si vous l'avez trouvée si belle, apparemment vous l'aurez retenue; car, au pis aller, il n'y sauroit avoir que dix vers?—Jésus! dit-elle, vous vous moquez; il y en avoit plus de soixante.»


Henri IV, étant à Cîteaux, disoit: «Ah! que voici qui est beau! mon Dieu, le bel endroit!...» Un gros moine, à toutes les louanges que le Roi donnoit à leur maison, disoit toujours: Transeuntibus. Le Roi y prit garde, et lui demanda ce qu'il vouloit dire: «Je veux dire, Sire, que cela est beau pour les passans, et non pas pour ceux qui y demeurent toujours.»


Henri IV, à Poissy, demanda à la petite de Maupeou, depuis abbesse de Saint-Jacques-de-Vitry: «Qui est votre père, mignonne?—C'est le bon Dieu, Sire.—Ventre-saint-gris! je voudrois bien être son gendre.» Elle en demanda plus d'un au bon Dieu, la bonne dame, et elle juroit familièrement par les six enfants que j'ai portés.


Un jour on entendit recommander aux prières un vieux M. Guretin, agent de quelque prince d'Allemagne; cependant il étoit au prêche lui-même. Tout le monde lui demanda ce que cela vouloit dire. «Je vous assure, dit-il, qu'un homme de mon âge a à craindre quand il perd l'appétit. J'avois accoutumé tous les soirs de manger une perdrix, et hier je n'en ai mangé que la moitié.»


Une femme, qui s'étoit fait recommander aux prières, alla le jour même en visite, disant «que les prières de l'Église étoient toujours bonnes.»


La Reine-mère demanda un jour, en riant, au passager du port de Nully [87] si sa femme étoit belle. «Ma foi! ce dit-il, madame, l'on en f..... de plus laides.»


Un solliciteur de procès de Castres écrivit une lettre d'amour dont on n'a pu retrouver que le commencement; le voici: «Je n'eusse jamais pensé, belle Marion, que l'absence eût été une si cruelle passion, comme à présent j'en fais l'office. Éloigné de l'orient de votre belle face, toutes choses me semblent noires au prix de votre belle clarté, qui remplissoit mon cœur de joie, et n'a mon dit cœur autre nourriture que de soupirs et de larmes.» Or, il avoit un rival qui eut jalousie de cette lettre, et fit écrire contre par un pédant qui la réfutoit sérieusement. C'est encore une grande perte que d'avoir perdu cela.


La Hoguette [88] a mis sur sa porte: Santé et badinage; et sur son colombier: Ils sont pris s'ils ne s'envolent.


Un ministre, en priant Dieu, dit: «Seigneur, tu nous conserveras, tu nous l'as promis, tu n'es point Normand.»


D'Ablancour disoit à sa cousine Du Fort, qui s'étoit fait farder dans son portrait: «Voilà comme tu seras à la résurrection.»


Le laquais de Gombauld, lisant le livre des Rois, disoit: «Si j'eusse été Dieu, je n'eusse point fait de si sots rois que cela.»


Un batelier à qui on demandoit si Jésus-Christ étoit Dieu, répondit: «Il le sera quand le bonhomme sera mort.»


M. Desmarets étant à Nanteuil chez M. de Schomberg, il y trouva un vieux gentilhomme qui se vantoit de faire bien des vers. Ce pauvre homme envoya toute la nuit quérir son cercueil. Deux jours après, il envoya ce quatrain à M. de Schomberg:

Je vous envoie des perdreaux,

Si j'avois meilleur, vous l'auriez;

Je ne vous envoie point de levrauts,

Car je n'ai pas de levriers.

Le même M. Desmarets trouva une fois à la campagne une fille qui faisoit fort le bel esprit. Elle disoit que les arondelles voloient sur l'orifice du chaos. «Ouais, dit Desmarets, qu'est-ce que ceci?» Il se met à l'entretenir en même style, et après lui écrivit une lettre de la même force. Elle n'osa répondre; mais, tandis qu'il fut dans le pays, elle ne vouloit parler qu'à lui. Un bon gentilhomme à qui elle montra cette lettre, dit: «Vraiment, voilà de beaux vers.»


Une vieille madame Mousseaux, mère du grand-audiencier, avoit épousé un jeune homme nommé Saint-André, qui, pour n'être pas avec elle, alloit le plus souvent qu'il pouvoit à la campagne; elle en enrageoit, et écrivoit sur son almanach: «Un tel jour mon cœur est parti, un tel jour mon cœur est revenu.»


M. Montereul, de l'Académie, celui qui étoit au prince de Conti, comme on lui demandoit s'il disoit son bréviaire dans les courses qu'il faisoit, car il a été dépêché bien des fois, répondit:

Dieu, en courant, ne veut être adoré [89].


Un Gascon avoit fait un sonnet sur la mort de M. de Montmorency, où il y avoit à la fin:

La parque le prit par-derrière,
N'osant le prendre par-devant.


Un mari ayant trouvé sa femme dans un lieu obscur, la caressa sans rien dire; elle résista, mais enfin il en vint à bout. Elle s'aperçut après que c'étoit lui: «Hé! vraiment, dit-elle, si j'eusse su que c'eût été vous, je n'eusse pas fait tant de façons.»


Un valet disoit à son maître: «Monsieur, si je rencontre des voleurs, je me laisserai voler hardiment.»


Un laquais disoit: «Allons là-haut, madame nous fera rire.»


Un autre laquais ne vouloit point quitter son maître, et disoit: «Où en trouverois-je un qui me fît autant rire que celui-là?»


Un moine prêchoit sur la mort à Fontevrault: il y avoit une fort jolie religieuse à un coin de la grille; elle lui avoit été cruelle. Il disoit: «On dit à la Mort: Prends cette vieille.—Je ne veux pas, dit-elle; je veux cette jeune, je veux cette jeune.» Il trouva moyen de dire deux fois je veux cette jeune.


Colomby l'académicien [90] étoit le plus vain de tous les hommes. Il demanda un jour à M. de Vardes: «Que tirez-vous bien de la cour?—Six mille livres, dit Vardes.—Ah! siècle ingrat, s'écria Colomby, je n'en ai que douze, moi!»


Un gentilhomme du feu comte du Lude étant à l'extrémité, comme on lui parla de se confesser, dit: «Je n'ai jamais rien voulu faire sans le consentement de Monsieur, il faut savoir s'il le trouve bon.» Le consentement venu, le curé le pressa fort de restituer certain argent. «Mon cher, disoit-il, si je ne meurs pas, je n'aurai plus rien.» Enfin, il envoie quérir un de ses amis. «Écoute, un tel, lui dit-il, rends cet argent qui est dans un coffre dont voilà la clef; mais garde-toi bien de te tromper, viens bien voir si je suis mort avant que de le rendre.»


Un officier de M. de Rheims venoit de boire, disoit-il, avec ses intimes. «Et comment les appelez-vous? lui dit-on.—Ma foi, répondit-il, je ne sais pas comment ils se nomment.»


Montaigne [91] étant un jour malade, on le pressa tant qu'il souffrit qu'on fît venir un médecin. Il demanda à ce médecin comment il se nommoit: «Les savants, dit cet homme, me nomment Egidius, et les ignorants m'appellent Gilles.» Montaigne le chassa, et oncques plus n'en voulut voir.


Une parente de M. le marquis de Rambouillet emprunta deux chevaux de carrosse à madame de Rambouillet; ces chevaux ne revenant pas, on y envoya, et on trouva qu'elle les faisoit labourer.


Un maire d'Amiens haranguant M. d'Aumale, de la Ligue, qui y faisoit son entrée, lui dit entre autres belles choses: «J'on veu vo' mère, elle n'est mie si grande que vous, mais on dit volontiers que petite vache fait grand viau.»


Une fermière à qui on disoit: «Vous avez mal à la rate.—C'est mon, dit-elle, nos pères plaquent là nos mères; ils s'amusont ben à nous faire des rates. C'est les gentilshommes qui en ont.—Je crois, ajoutoit-elle, que le Roi en a une belle et grosse, car on dit qu'il est ben gentilhomme.»


Un nommé Le Sage se fit catholique, moyennant quoi M. de Montmorency lui donna deux cents pistoles, un cheval et une place de gendarme. M. Le Faucheur [92] lui dit: «Or ça, ne savez-vous pas que notre religion est la meilleure?—Aussi, dit cet homme, ai-je pris du retour.»


M. de Matignon, entendant parler du don gratuit, demanda si c'étoit un feuillant ou un chartreux.


Montpipeau disoit à madame d'Auvray, belle femme de son voisinage, ce vers de Corneille:

Vous quitter et mourir m'est une même chose.

Sa femme l'épioit et l'entendit; et quand madame d'Auvray alla prendre congé d'elle, en présence de son mari, elle lui dit: «Ah! Madame,

Vous quitter et mourir m'est une même chose.»


Un homme de la province, dont la femme avoit eu un enfant au bout de trois mois de mariage: quand ce vint au carnaval, de peur des railleries, il se mit devant sa porte avec une table et des jetons. «Que faites-vous là? lui demanda-t-on.—Je suppute combien j'aurai d'enfants, à un tous les trois mois, si je suis quarante ans en ménage.»


Patin [93], le médecin, dit que la fièvre continue dans un corps, c'est un Jésuite dans un État.


Une femme de Montpellier, qui vouloit bien parler françois, pour dire la migraine, disoit la grenade, à cause que miougrane, en languedocien, veut dire grenade.


Une couturière, nommée madame Colin, payoit par jour la nourrice de son enfant, et comme on lui disoit: «Vous moquez-vous? vous en auriez meilleur marché par mois.—Oh! vous vous trompez, répondit-elle, vous ne savez pas combien les mois vont vite.»

J'étois encore en logique, quand Louvigny [94], mon parent, me mena à la campagne voir ses sœurs. Je ne les avois jamais vues chez elles; je songeai, la nuit avant que de partir, que je devenois amoureux de l'aînée. C'étoit une veuve qui, quoique petite et de l'âge de trente ans, ne laissoit pas que d'être fort jolie. Plusieurs personnes avoient soupiré pour elle; mais on n'avoit point dit qu'elle en eût aimé pas un. Mon songe ne fut pas faux; je m'attachai à la veuve dès le premier soir. Il falloit que nous eussions quelque sympathie l'un pour l'autre; car elle me traita toujours avec la plus grande bonté du monde; et quand je lui dis adieu, elle me baisa si fort au milieu de la bouche, que ce baiser me fit une profonde plaie au cœur. Louvigny, qui avoit une belle femme, et qui étoit marié il n'y avoit pas long-temps [95], ne voulut pas demeurer là plus de six jours, et me fit partir par une pluie effroyable. Nous étions à cheval; un écolier n'a pas, pour l'ordinaire, tout ce qu'il lui faut. Je ne sais si c'étoit ma casaque qui étoit trop courte, ou si c'étoient mes bottes, mais jamais je ne les pus faire joindre, et l'eau entroit dans mes jambes tout à son aise. Hélas! le cœur me saigne quand je songe à un pauvre bas de soie vert qui fut tout déteint.

A la Saint-Martin, ma veuve [96] revint à Paris; j'y allai tout aussitôt. J'avois honte de paroître crotté devant elle; alors il n'y avoit ni chaises ni galoches, et de la Place-Maubert, où je logeois, il y avoit bien loin à la rue Montorgueil, où elle logeoit avec sa sœur. Je cherche chez les loueurs; j'y trouve un cheval qui pouvoit passer pour un cheval bourgeois; je louai une selle honnête et une bride à un sellier; j'avois déjà un laquais. En cet équipage, mon frère aîné [97] me trouve vers Saint-Innocent, rue St.-Denis. «Où vas-tu, chevalier?» me dit-il. On m'appeloit ainsi à cause que j'étois fou de l'Amadis.—«Je m'en vais, lui dis-je, chez M. d'Agamy [98], on y doit lire une comédie.—Je ne te demande pas, me dit-il, ce que tu y vas faire?» Il sut après que l'on n'y devoit rien lire. En ce commencement je m'excusois toujours, sans qu'on m'accusât, et quand on me trouvoit chez la belle et qu'on me disoit: «Ah! vous voilà, chevalier,» je disois toujours, ou: «Je suis venu jouer aux quilles,» ou: «Je suis venu jouer au volant.» Le monde se mettoit à rire. Insensiblement je m'enferrai si bien que je ne songeois plus qu'à cela. Les gens en railloient; moi, je m'en déferrois. Elle croyoit badiner et se plaisoit à être aimée; mais cela alla plus loin qu'elle ne pensoit. L'abbé de Cérisy [99], un des plus beaux esprits du siècle, en étoit amoureux il y avoit plus de deux ans; elle le souffroit, et il y étoit fort familier en ce temps-là; lui et trois autres frères qu'il avoit, dont l'un a eu une grande réputation pour la poésie [100]. Ils étoient dans cette maison tous les jours et à toutes les heures. Deux autres beaux-esprits, Malleville et Gombauld, y venoient souvent l'après-dînée; Rénevilliers [101] n'en bougeoit: on s'y divertissoit assez bien.

L'abbé fut bientôt jaloux de moi; aussi, pour dire le vrai, la veuve ne prenoit guère garde à tout ce qu'elle faisoit; elle l'appeloit d'un bout de la chambre pour lui demander s'il ne trouvoit pas que le noir me seïoit [102] bien. Alors les jeunes gens ne prenoient pas le noir de si bonne heure qu'on fait maintenant. Un jour qu'elle étoit au lit, voyant qu'il n'y avoit plus de place dans la ruelle, elle me fit mettre dessus, et, pour cela, il fallut que le pauvre abbé se rangeât afin de me laisser passer. Le pis de tout, ce fut quand il la trouva comme elle me mettoit des mouches sur des égratignures que m'avoit faites un impertinent de notre auberge, à qui j'avois donné un soufflet pour quelque sottise qu'il avoit dite d'un de mes oncles. Un jour on me dit que l'abbé avoit parlé de moi comme d'un écolier; je fis ce couplet sur un air qui couroit alors:

Mon rival, il est vrai, vous avez du mérite;

Contre vous ma force est petite.

Vous en faites peut-être aussi trop peu d'état:

David étoit ainsi méprisé par Goliath.

Et puis, je le chantai à la belle, qui le trouva fort plaisant. Elle écrivit de sa main de méchants rondeaux que j'avois faits pour elle, car c'est l'amour qui m'a fait faire des vers; elle pour qui l'abbé avoit fait tant de belles choses. Elle et sa sœur n'étoient jamais d'accord; elle lui dit une fois familièrement: «Sans moi, vous ne verriez pas une âme.» Il est vrai que sa sœur étoit et est encore fort laide, car le temps n'embellit pas; mais elle ne laissoit pas d'être coquette. J'ai eu quelquefois bien du plaisir à voir toutes les façons qu'elle faisoit quand le commissaire d'artillerie [103] étoit auprès d'elle. Ce garçon, peut-être pour servir son frère, lui rendoit quelque complaisance; mais, par malheur, il fut tué dès la première année de mes amours [104]. Cette sœur a de l'esprit, mais elle vouloit toujours chercher midi à quatorze heures, et il lui échappoit souvent des pointes; à l'autre, il lui échappoit des naïvetés. Elle lui disoit une fois, pour la consoler de ce que ses enfants n'étoient pas jolis: «Ma sœur, que voulez-vous? les souris font des souris.» Pour la veuve, jamais il n'y eut une femme qui se dorlotoit comme elle; un jour, à la campagne, d'Agamy, Rénevilliers, et autres chasseurs, avoient dîné-déjeûné à dix heures, pour aller à la chasse, et avant que de partir, ils avoient déchargé leurs arquebuses. «Jésus! dit cette femme, le moyen de dormir céans! On n'a fait que tirer toute la nuit?» Elle soutenoit qu'il venoit du vent par une croisée qu'on avoit murée, et que, puisqu'il y avoit eu une fenêtre en cet endroit-là, il ne pouvoit jamais être si bien joint que le reste. Quelquefois elle disoit, car elle étoit assez gaie naturellement: «J'ai pensé dire une bonne chose, mais je l'ai bien rengaînée;» et, après, pour peu qu'on la pressât, elle la disoit. Il lui prenoit de temps en temps des accès de dévotion. On conte qu'allant à Bourbon avec Madame de.... [105], elles avoient deux carrosses; elle s'amusa à la dînée à lire un sermon avec une demoiselle de cette dame; on met les chevaux; un carrosse part; l'autre crut qu'elle et cette demoiselle étoient dedans. On eût été comme cela jusqu'au gîte, si par hasard, dans un chemin fort large, les deux carrosses ne se fussent joints; quelqu'un du premier carrosse cria: «Mademoiselle Le G.... [106], parlez un peu.» On répond: «Elle est avec vous.—Point, c'est avec vous.» On ne la trouve pas; il fallut retourner la quérir. Elle et cette demoiselle lisoient encore de tout leur cœur. Une fois une de leurs amies disoit: «Il n'y a pas loin d'ici à notre maison des champs; j'y vais avec mes mules en deux heures [107].—Jésus! dit la veuve, comment pouvez-vous faire? Je ne saurois aller avec les miennes jusqu'au bout de ce jardin sans me rompre le cou.» On lui faisoit accroire qu'elle avoit dit que son fils étoit mort à cause qu'un ver lui avoit pissé contre le cœur.

Elle eut une fois une plaisante bizarrerie. D'Agamy avoit prié l'abbé (de Cérisy) de faire une chanson qui commence:

La commère au cul crotté
Veut toujours qu'on la gratte, etc.

ou plutôt des couplets que chantoit Gauthier-Garguille autrefois, et sur le sens de sa chanson qui commençoit aussi la Commère au cul crotté [108]. Il les fit et les lui dit: la veuve ne trouva pas bon que son mourant eût fait cela pour le mari de sa sœur, et elle lui défendit de la donner; lui qui n'osoit dire la vérité, disoit: «Cette chanson me pourra nuire si elle est vue;» et il trouvoit toujours quelque échappatoire. On découvrit enfin ce que c'étoit; et son frère [109], pour l'obliger à ne plus faire le renchéri: «Laissez-le là, dit-il, j'en ferai une plus belle.» Il en fit cinq ou six couplets; mais ceux de l'abbé étoient plus naturels; car il réussissoit admirablement bien en chansons à danser. L'abbé, voyant qu'on chantoit les couplets de son frère, fut tout glorieux de donner les siens.

Pour revenir à mon amour, j'eus bientôt des bracelets de cheveux, et la pauvre femme en tenoit, quand tout-à-coup je lui fis un tour de jeune homme. J'étois sur le point de sortir du collége, lorsque mon père ayant changé de logis, un samedi que je pensois coucher chez lui, la maison où il alloit n'étant pas encore toute meublée, on m'envoya coucher chez une de nos cousines [110]. Le père étoit à la cour; on me mit dans le lit de la fille, qui alla coucher avec sa mère. Cette fille étoit toute jeune et toute belle; je n'y fis que rêver toute la nuit, et le lendemain je trouvai que j'avois une grande disposition à l'aimer; insensiblement je me pris, et un sot camarade que j'avois eu au collége, et qui étoit un peu roman [111], acheva de me gâter. Nous prenions tous deux la générosité de travers; et, quoique ce parti me fût fort désavantageux, j'eusse fait volontiers une sottise, si on me l'eût laissé faire. Elle aimoit un garçon [112], qui avoit aimé sa sœur aînée, qui étoit morte, disoit-on, d'amour pour lui, mais avec une bonne fluxion sur le poumon, et à cause de laquelle on lui fit faire un voyage en Hollande, où il n'avoit aucune affaire. Pour dire ce que je pense brièvement, je crois que cette fille, se trouvant un parti fort au-dessous de moi, car on parloit de me faire conseiller, ne crut nullement que je fusse pour elle, et qu'elle avoit plus d'espérance d'épouser l'autre. Quoi qu'il en soit, me voilà triste à un point étrange, et plus transi que l'abbé, mon rival. Je tombai dans une telle mélancolie, que mon oncle de La Leu [113], je ne sais si c'est son esprit qui lui suggéra cela, s'alla mettre dans la tête que j'avois quelque maladie de garçon. On députe mon frère aîné pour m'en parler: «Qu'à cela ne tienne, lui dis-je, vous en aurez le cœur éclairci;» et sur l'heure je lui fis exhibition des pièces. Au bout de trois mois, convaincu que la demoiselle étoit un peu férue de l'autre, je fis un effort pour me délivrer. Je passai une nuit entière sans dormir; mais le lendemain, il n'y avoit pas un chaînon entier à mes chaînes. Le dépit fit ce que la raison n'avoit pu faire. Je trouvai à propos, pour plus grande sûreté, de faire un petit voyage en Berry chez madame d'Harambure [114].

Cependant la veuve, comme j'ai su depuis, avoit pensé enrager. Il y avoit une jeune veuve dans notre rue, qui me témoignoit la meilleure volonté du monde; elle reçut des vers où je disois qu'elle m'aimoit; elle me permit de lui écrire; mais en jeune homme, j'oubliai de lui demander l'adresse; ce qu'il y avoit de bon en cette affaire, c'est qu'elle étoit accordée, et effectivement elle fut mariée à un mois de là. Je pars avec Tallemant, frère de madame d'Harambure [115]; il voulut passer par cette maison, où j'étois devenu amoureux de la veuve. Là je me renflammai quasi, car la pauvre femme me vouloit rattraper en Berry. Il fut question de voir si je devois écrire à cette veuve qui étoit mariée. Tallemant, qui tout le long du chemin m'avoit conté ses bonnes fortunes de Languedoc, et que je prenois pour un héros en galanterie, me fit écrire contre mon avis, et chargea un si habile homme de rendre ma lettre en main propre, que le mari la reçut au lieu de la femme, et toute ma galanterie s'en alla au diable.

Je cajolai un peu la fille d'un gentilhomme voisin de madame d'Harambure; après nous allâmes voir madame Bigot à Argent [116], où je m'épris terriblement de mademoiselle de Mouriou [117]. Ils me faisoient la guerre, qu'en un bal, quand je lui tenois la main, je mettois mon chapeau dessus, de peur qu'on ne s'en aperçût, et qu'une fois je m'endormis quasi sur son épaule. J'étois pourtant bien amoureux, et en revenant je songeai tant à elle toute la nuit, que je ne fis que pleurer et me plaindre jusqu'au jour.

Me voilà revenu à Paris. Je fis des vers sur mon absence; car j'en tins encore un mois durant pour mademoiselle de Mouriou. On me les fit lire chez la veuve, où étoit l'abbé de Cérisy, à qui j'avois donné bien du relâche; il les loua fort. Or, la petite fille [118] que j'avois quittée, et cette autre, à qui Tallemant m'avoit fait écrire si à propos, s'y rencontrèrent; elles étoient parentes de la veuve. Cette dernière et chacune d'elles croyoient que c'étoit pour elle que j'avois fait ces vers dans mon voyage; car toute femelle aime à être aimée. Cela me servit auprès de ma veuve; elle s'imagina que je ne l'avois pas oubliée; et, un jour, à propos de je ne sais quoi, elle me dit: «Cela n'est pas si vrai, qu'il est vrai que je suis votre servante.» Nous voilà mieux ensemble que jamais. Ce fut de ce temps-là qu'elle me conta combien l'abbé étoit jaloux: «Il ne me demande qu'un peu d'amitié; et il lui arrive souvent de pleurer auprès de moi; il ne parle jamais de vous.» Je m'aperçus bien à son discours que les amants qui prétendent si peu de chose ne sont pas les mieux reçus; d'ailleurs on avoit là-dedans une certaine opinion qu'il avoit toujours la foire; en effet, son teint un peu jaune et pâle étoit le teint d'un foireux. Il avoit beaucoup d'esprit et beaucoup de vivacité; mais il disoit quelquefois des pointes; et, quand il lui sembloit qu'il avoit dit quelque chose de plaisant, il en rioit tout le premier, et, si quelqu'un ne l'avoit pas entendu, il lui disoit: «Vous ne savez pas que je disois telle chose.» Pour moi, j'étois gai, remuant, sautant, et faisant une fois plus de bruit qu'un autre; car, quoique mon tempérament penchât vers la mélancolie, c'était une mélancolie douce, et qui ne m'empêchoit jamais d'être gai quand il le falloit; avec cela, la veuve me trouvoit beaucoup de brillant dans l'esprit: je ne sais si les autres étoient de son avis. J'étois de toutes les promenades, de tous les divertissements, et la belle ne pouvoit rien faire sans moi; aussi n'étois-je guère sans elle; j'étudiois le matin, et l'après-dîner, je la lui donnois tout entière. Je n'ai jamais mieux passé mon temps, car j'étois bien aimé et bien amoureux: on avoit toute liberté de se parler et de se baiser, car les deux sœurs ne mangeoient point ensemble, et étoient moins unies que jamais. D'Agamy et sa femme voyoient bien que la veuve en tenoit, et cela commençoit à leur déplaire, aussi bien qu'à l'abbé. Dans nos caresses nous avions quelquefois les plus violents transports du monde; nous étions bien épris tous deux. Elle avoit de l'esprit, et faisoit parfois des vers dans sa passion. Un jour je la trouvai pâle au Cours; je lui envoyai le lendemain des vers que j'ai perdus, où je parlois de la frayeur que cette pâleur me donnoit. Elle me répondit par ce quatrain:

Si tu n'as point trouvé les roses

Qui sur mon teint étoient écloses,

Daphnée, ne t'en étonne pas,

C'est qu'elles descendoient plus bas.

Moi qui aime à conclure, je voulus voir si je pourrois mettre l'aventure à fin. Je me hasarde; on me rebute, on me gronde, on me menace; mais, en sortant, on me dit: «Je vous aurois bien plus maltraité, si je ne craignois de vous perdre encore une fois.» Cela me rassure fort: je recommence; on me repousse, on me déclare que pour tout le reste on me le permettoit, mais que, pour cela, je n'avois que faire d'y prétendre. Désespérant d'en venir à bout, j'entendis bien plus volontiers que je n'eusse fait, à un voyage d'Italie que deux de mes frères me proposèrent [119]; et puis je n'avois que dix-huit ans, j'étois en âge d'aimer à courir.

Ce voyage ne fut pas plus tôt conclu, que la veuve se met en courroux, et elle le témoignoit si visiblement que tout le monde s'en apercevoit. En jouant aux quilles, elle ne vouloit plus prendre la boule de ma main, et faisoit mille autres choses d'une grande prudence. Je l'apaisai pourtant en une visite de quatre heures, où je lui représentai qu'elle me désespéroit; et je l'attendris si bien que, moitié figue, moitié raisin, j'en eus ce que je demandois, il y avoit si long-temps. Je voulus rompre mon voyage, ou du moins je m'en remis entièrement à elle; c'étoit une chose si arrêtée qu'elle eut assez de sens pour me dire qu'il falloit le faire, et que cela feroit trop parler les gens. Regardez quelle bizarrerie, d'attendre à la veille de mon départ. Elle me laissa encore, en une autre visite, faire tout ce que je voulus; elle me donna son portrait, elle voulut avoir le mien. Elle me chargea de bagues et de bracelets; mais ni elle ni moi ne songeâmes à aucune adresse pour nous écrire. Je fus dire adieu à mon rival, qui eut la plus grande joie du monde de me voir partir.

A Lyon, comme si je ne pouvois voyager sans devenir amoureux, je m'épris terriblement de la fille d'un de nos amis chez lequel nous logions. C'étoit une fille bien faite, bien brusque, qui avoit de la voix et de l'esprit. Pour cette fois-là, je n'ai pas tant de tort qu'à l'autre, car, je ne sais par quelle fatalité, cette fille eut d'abord de la bonne volonté pour moi, quoique je ne fusse pas le plus beau des trois; elle fit, dès le premier jour, une alliance avec moi, et m'appela sa sympathie. On nous mena promener aux jardins de l'Athénée, qu'on appelle aujourd'hui Ainay [120]; nous nous détournâmes un peu, elle et moi; j'étois le plus aise du monde, et il me sembloit que j'étois pour le moins Périandre ou Merindon [121]. Il fallut partir au bout de trois jours; mais, pour me consoler, j'emportai des bracelets de cheveux, et j'eus permission d'écrire. Tout cela ne m'empêcha pas de me bien divertir en Italie, tant c'est belle chose que jeunesse; à la vérité, j'avois quelquefois de mauvaises heures. La veuve m'écrivit à Rome, par la voie du petit Guénault, son médecin [122];....... il n'y avoit rien de particulier. Je lui répondis, et n'en reçus jamais qu'une seule lettre.

De retour en France, nous voilà encore logés à Lyon chez la belle. Je voulois familièrement qu'elle me laissât monter dans sa chambre par une échelle de corde, et je lui proposai de l'aller trouver l'été à la campagne, où elle devoit demeurer trois mois. Elle me dit qu'il y avoit trop de péril à tout cela. Je reçus de ses lettres à Paris pendant quelque temps: elle écrivoit bien; puis tout-à-coup elle cessa de m'écrire. Je n'ai jamais pu savoir pourquoi, car elle mourut bientôt après.

Revenons à la veuve. Je croyois qu'elle me recevroit avec la plus grande joie du monde; mais je fus bien attrapé, quand elle me rebuta plus que jamais, et me reprocha la peine où je l'avois mise; cette peine venoit de ce que, s'étant saisie, à mon départ ou depuis, en songeant à ce qu'elle venoit de faire pour moi, ce que vous savez s'arrêta aussitôt...... Elle crut être grosse, se découvrit au jeune Guénault, et ce fut dans cette inquiétude qu'elle m'écrivit [123].

Je la blâmai fort de s'être effrayée si à la légère, et d'avoir tout dit à un tiers. «Hé, pourquoi? me répondit-elle; il sait bien que c'est à bonne intention, et je lui ai dit que vous m'aviez promis de m'épouser.» Je crois, mais je ne l'assurerois pas, qu'en badinant...... elle pourroit bien m'avoir dit: «N'es-tu pas mon mari?» et que lui ayant répondu: «Oui,» elle pourroit avoir pris cela pour argent comptant. Nous voilà brouillés. L'abbé, bien loin de profiter de mon absence, l'avait trouvée plus chagrine que jamais. Le crucifix prit ce temps-là pour lui donner un coup de pied, et depuis il ne fut amoureux que de la vierge Marie. La pauvre Lyonnoise mourut durant notre divorce, et la veuve, qui passoit déjà pour une capricieuse dans mon esprit, avoit besoin de cela pour me retenir; car, n'ayant plus personne, je fis bien plus de choses que je n'en eusse fait pour me remettre bien avec elle.

Un peu plus habile que je n'étois, je m'avisai de cajoler une fille qui en avoit bonne envie: elle étoit parente et suivante d'une madame de Mérouville [124], avec laquelle Louvigny demeuroit.

Tout ce monde-là, aussi bien que mon père, ne logeoit pas loin du logis de la veuve, où, à cause du grand jardin qui y étoit, on se divertissoit plus qu'en aucune autre maison. Je badinois avec cette fille à ses yeux; cela la fit revenir, et je remontai sur ma bête. Cette fille m'appeloit mon mari, et m'aimoit de tout son cœur.

J'ai parlé ailleurs de la maison de La Honville [125]. Quoique la veuve ne fût pas de ces parties-là, j'y allois souvent. Tout le monde de chez M. de La Honville m'aimoit fort; j'étois le bel-esprit de la troupe, et on m'estimoit terriblement. Une fois, une madame Du Candal, veuve d'un conseiller au Parlement, grande femme fort bien faite et fort raisonnable, mais un peu coiffée de sa parente, vint à La Honville que j'y étois. Elle étoit fille d'une sœur [126] de La Honville qui logeoit avec son frère. De tout temps cette femme m'avoit plu; aussi a-t-elle un agrément que j'ai vu à peu de personnes. Mon humeur, mon emportement, ma gaîté ne lui déplurent pas non plus. En badinant, nous faisons une alliance; nous voilà aussi mari et femme. Depuis cela, je la visitai plus soigneusement; mais il n'y avoit aucune liberté chez son beau-père, où elle logeoit. La première femme [127], voyant que je me trouvois presque toujours chez La Honville quand l'autre [128] y venoit dîner, entra en quelque jalousie et me fit la mine. Le lendemain, je la vais trouver dans sa chambre, et, après l'avoir bien haranguée pour l'obliger à me dire ce qu'elle avoit contre moi, elle me prend la main et me baise. «Allez, dit-elle, vous ne le saurez jamais, mais je ne vous en aimerai pas moins.» Voyant cela, je voulus tenter si je ne trouverois point l'heure du berger. «Mon Dieu! me dit-elle, si j'étois capable de faire une sottise, ce seroit pour l'amour de vous; contentez-vous de cela, et aimez-moi à cela près, si vous en êtes capable.» Avec elle, j'en suis toujours demeuré là; elle est encore fille, et nous nous aimons de bonne amitié.

La veuve grondoit assez de ces petits voyages à La Honville, mais je lui disois qu'il falloit donc que je rompisse avec mes frères, et ma belle-sœur [129], et toute ma famille. Sa sœur [130] malicieusement ne manquoit pas de lui faire remarquer que je n'étois jamais si ajusté que quand j'allois voir madame du Candal, qui alors délogea de chez son beau-père, et alla demeurer avec sa mère, vers le Marais. Tout ce qu'elle et son mari disoient contre moi ne servoit qu'à les faire regarder comme des espions. Une fois que nous étions à un divertissement chez une des parentes de la veuve, on se mit à danser aux chansons; elle me tenoit par la main, et sans y penser elle alla chanter:

Guillot est mon ami,

Quoique le monde en raille;

Il n'est point endormi

Quand il faut qu'il travaille.

Ah! je ris alors qu'il me baise;

Car il meurt de plaisir et moi d'aise.

Ma foi, le monde en railla cette fois-là, et nous fûmes un peu déferrés tous les deux.

La veuve, qui déjà étoit assez capricieuse, le devint encore davantage par les soupçons que ses parens lui mirent dans l'esprit. Un jour que je la trouvai seule auprès du feu, elle se glisse dans un cabinet au coin de la cheminée, dont la porte avait un petit poids qui la faisoit fermer fort aisément. Voilà visage de bois: je presse, je prie; elle ne veut point ouvrir. Je m'en vais: à la porte de la rue, je me ravise, et me viens cacher de l'autre côté de la cheminée, après être rentré fort doucement; puis je laisse aller l'huis vert [131] de toute ma force, pour lui faire accroire que je m'en allois: cela réussit. Elle sort; je la happe, et cætera. Cette bizarrerie me le fit trouver trois fois meilleur. Comme cette femme n'étoit pas naturellement dévergondée, et que ce n'étoit que la force de la passion qui l'emportoit, elle ne se put jamais résoudre à me donner un rendez-vous: il la falloit toujours prendre de force. Comme c'étoit toujours à recommencer, on ne pouvoit pas bien prendre ses mesures, et se cacher de sa femme de chambre comme on eût fait. J'ai assez vu de femmes, mais je n'en ai jamais vu une si désintéressée; elle ne voulut pas seulement prendre des gants quand je revins d'Italie.

Elle devint insensiblement si jalouse, qu'elle l'étoit de toutes les femmes que je voyois, mais bien plus de madame d'Harambure que de pas une autre: elle a toujours eu plus de jalousie de celles que je n'aimois pas que de celles que j'aimois; car elle n'en a pas le quart autant de madame du Candal et de mademoiselle des Marais, dont nous parlerons ailleurs [132].

Cependant je m'enflammai pour cette autre veuve, car la première me grondoit trop. Chez sa mère, on avoit un peu plus de liberté. Un jour que nous y faisions collation, elle nous donna des abricots, et nous conta que, croyant en avoir fait de bien plus beaux que sa mère, elle met sur les siens: Abricots de ma façon. Par malheur, ses abricots se candirent, et ceux de sa mère se conservèrent fort bien: elle en changea un beau matin toutes les couvertures, et dit: «Regardez comme les miens se sont bien conservés.» Or, elle avoit une fille qui n'étoit guère jolie. «Ma foi, ce lui dis-je, madame, votre bonne maman vous surpasse bien autant en filles qu'en abricots: vous êtes une belle ouvrière auprès d'elle.»

Une fois, je trouvai bien du crachottis auprès du feu. «Jésus! lui dis-je, qu'est-ce que cela?—Hélas! dit-elle, c'est M. Mestresat qui a fait là le lac de Genève [133].» Je lui donnois fort souvent des vers; mais, comme elle vit que j'en tenois, elle me fit une petite querelle pour ne m'appeler plus son mari; j'entendis bien sa finesse, et fis semblant d'en être un peu alarmé. Comme elle logeoit fort loin, je ne la voyois pas bien à mon aise, et je fus ravi quand on parla de la faire loger auprès de M. de La Honville. Toute la difficulté étoit que, pour avoir la maison qu'on vouloit faire prendre à sa mère, il falloit perdre un quartier de celle qu'elle quittoit: la bonne femme ne pouvoit s'y résoudre. J'envoyai un de mes amis qui loua cette maison sous main pour un quartier, disant qu'une dame de sa connoissance se trouvoit sur le carreau. Je trouvai moyen de le faire savoir à la belle, qui prit cela le mieux du monde, et fit pourtant en sorte qu'elle délogea sans qu'il en coûtât un sou, ni à sa mère, ni à moi; car elle persuada au propriétaire d'y aller loger lui-même. Mais je fus bien attrapé, car ses tantes ou ses cousines étoient toujours avec elle, et je lui parlois dix fois moins que je ne faisois auparavant. Enfin elle se résolut, croyant n'avoir point d'enfants, d'épouser M. de Montlouet d'Angennes [134], parce qu'il n'en avoit point eu avec sa première femme; elle n'en eut que tous les ans [135]. Il étoit de mes amis, et m'appeloit son pupille; j'étois même le confident de ses amours, et j'ai quelquefois fait des vers pour lui. Elle lui fut long-temps cruelle jusqu'au mépris. «Hélas! disois-je, le pauvre homme! il ne fait que blanchir contre.» Il étoit trop vieux pour elle. Dès qu'il l'eut épousée, je résolus de ne plus penser à elle, et un jour je lui dis: «Je gage, madame, que vous avez brûlé tous les vers que je vous ai donnés.—Point, dit-elle; je vous les montrerai encore tous.—Cela n'est plus bon à rien, lui dis-je; vous êtes devenue la femme de mon ami: je vous conseille de les brûler, cela pourroit faire du désordre.» Elle vit pourquoi je le disois, et me répondit en rougissant: «On en fera ce que vous voudrez.» Je ne sais ce qui en est arrivé depuis, mais nous avons toujours eu bien de l'estime l'un pour l'autre.

Madame d'Harambure morte, je croyois que la veuve ne seroit plus si folle que par le passé; mais ce fut encore pis que jamais. Elle étoit si extravagante sur ce chapitre, qu'elle croyoit que je couchois avec toutes les femmes que je voyois. «Le moyen que les autres vous résistent, disoit-elle, si je ne vous ai pu résister!» Enfin elle vint à un tel excès qu'elle m'accusoit de coucher avec ses sœurs; elle en avoit deux, toutes deux laides [136], et qui me haïssoient comme la peste; elle m'en accusoit aussi avec les miennes. «Oui, disoit-elle, et je ne voudrois pas jurer que même vous épargnez vos tantes.—Mais comment est-ce donc que j'y puis suffire?—Ah! répondit-elle, il n'y a jamais rien eu de si brutal, de si animal que vous; vous avez une sensualité infatigable.»

Elle me faisoit beaucoup plus d'honneur qu'à moi n'appartenoit.

Voici deux des plus plaisantes visions qu'elle ait eues. Madame Tallemant, la maîtresse des requêtes [137], se blessa; elle s'alla mettre dans l'esprit que cette femme étoit grosse de mon fait, et qu'ayant reconnu combien j'étois infidèle, elle avoit mieux aimé se blesser que de mettre au jour l'enfant d'un si méchant homme. L'autre fut qu'une fille de madame Cramail, aujourd'hui la marquise de La Barre-Chivray [138], ayant eu la petite vérole, au retour d'un petit voyage de La Honville, où j'avois été avec elle, la veuve raisonna ainsi: «Il n'y a rien qui donne tant la petite vérole que l'émotion. Cette fille lui a tout accordé, cela l'a émue.» Si la moindre des trois personnes avec lesquelles elle disoit que je concubinois eût voulu me laisser faire, je l'eusse bien plantée là; car elle ne me faisoit coucher qu'avec Lolo, madame Du Candal et mademoiselle Des Marais, aujourd'hui madame de Launay [139], sans conter madame de Louvigny et bien d'autres.

Une fois, à La Honville, cette Lolo, car je badinois toujours, avoit les mains embarrassées à je ne sais quoi; je me mis à la baiser: «Hé! que faites-vous? me dit-elle.—Je prends mon temps.» Depuis, quand je la baisois, elle crioit: «Ma sœur, [140] comme il prend son temps! venez vite, il prend son temps.» Un jour que je lui baisois la main gauche, finement elle la couvroit de la droite qui étoit nue. «Celle-là, lui dis-je, m'est tout aussi bonne que l'autre.» J'ai oublié bien des folies et bien des impromptus, et mille autres bagatelles. La vision qu'elle eut de sa sœur, avec laquelle elle logeoit, vint de ce que cette femme eut un mal de mère si furieux, qu'elle parla un langage articulé que personne n'entendoit, et elle vouloit que cela vînt de ce que je lui avois brouillé la cervelle. Je ne savois plus où j'en étois; je ne voulois pas pourtant jeter le manche après la cognée, parce que j'avois dessein de faire durer cela jusqu'à ce que je pusse me déclarer pour la petite Rambouillet. Elle me fit un jour une proposition: «Mettez, disoit-elle, ma conscience en repos.—Eh bien! voulez-vous que je vous épouse?—Non.—Que voulez-vous donc?—Trouvez quelque invention.» Et après, elle me disoit: «Mais n'est-ce pas assez que vous m'ayez durant cinq ans violée?» Elle appeloit cela violer, parce qu'elle faisoit d'abord quelque résistance; puis elle changeoit tout-à-coup de discours. «Ah! si j'étois assurée que vous m'aimassiez bien, je ne m'en soucierois; mais vous avez honte de m'aimer.» Et alors elle me vouloit obliger à faire des extravagances pour lui témoigner que je l'aimois. Tout ce que je pus faire, ce fut de prendre quelque prétexte, comme je fis, pour ne plus voir sa sœur avec qui elle étoit mal; car l'autre l'avoit obligée d'assez mauvaise grâce à déloger d'avec elle. Il lui prit une nouvelle bizarrerie. Elle avoit je ne sais quelle espèce de demoiselle avec elle qu'elle faisoit toujours venir dans sa chambre. Un beau jour je l'attrapai plaisamment. Comme elle étoit allée conduire une dame jusqu'à la porte de l'antichambre, je la suivis; sa petite demoiselle demeura auprès du feu. Je prends la veuve et je l'emporte de l'antichambre dans une garde-robe, où je m'enferme avec elle, et je la tins tant que je voulus. Je la fis un peu revenir de ses folies. Elle sortit de sa maison parce que l'horloge de l'hôtel d'Épernon [141] sonnoit les demi-heures et les quarts, et que cela lui coupoit, disoit-elle, sa vie en trop de morceaux.

Quand l'abbé de Cérisy eut fait la Vie du cardinal de Bérulle [142], qui étoit son ami, il lui en envoya un exemplaire. Elle lui manda gracieusement, quelques jours après, qu'elle n'avoit jamais cru qu'il pût devenir assez idiot pour écrire de si sots miracles. On n'en vendit quasi point. M. de Grasse (Godeau) disoit que c'étoit une vie écrite par épigrammes, tant il y avoit de traits. Patru disoit qu'il y avoit cinq ou six cents têtes à cet ouvrage, car il commence à tout bout de champ, comme s'il étoit à la première ligne. Le libraire s'y pensa ruiner. Le bon abbé avoit plus d'esprit que de jugement.

Nous nous brouillâmes encore bien des fois, et nous raccommodâmes aussi. Enfin, las de ses bizarreries, et ayant été obligé, par des considérations de famille, à faire demander la petite Rambouillet, me voilà accordé sans le lui dire [143]. Mon frère l'abbé, par malice, lui alla annoncer cette nouvelle. Elle n'a jamais été si sage que cette fois-là; car elle reçut cela comme une chose indifférente. Je ne laissois pas d'aller chez elle; mais je prenois garde qu'il y eût compagnie. Une fois, par malheur, je la trouvai seule; elle sortit de sa chambre en colère et me donna un grand coup de poing; après je ne m'y frottai plus. La sœur et son mari eurent une joie étrange de voir que je me mariois: nous nous étions remis bien ensemble, il y avoit quelque temps, du consentement de la veuve; elle-même s'étoit réconciliée avec eux. Or, quand M. Rambouillet se voulut remarier, elle y prétendit fort, tant pour être plus magnifique que sa sœur, que peut-être pour me faire enrager à mon tour. Le bonhomme n'y voulut point entendre. Il étoit accordé, il y avoit deux jours, quand une fille que je ne connoissois point me vint dire que M. Le Faucheur, le ministre, qui logeoit en même maison que la veuve, étoit fort mal et demandoit à parler à moi. Je fais mettre les chevaux au carrosse, et cependant je dis à tous ceux que je rencontrai que le pauvre M. Le Faucheur étoit bien mal. J'y vais vite; mais je trouve cette même fille au bas de l'escalier qui me dit: «Monsieur, c'est mademoiselle Le G.... [144] qui veut vous parler.» Je monte. Elle commence par des larmes et par des reproches, et me dit enfin qu'il falloit que je l'épousasse, ou que je lui fisse épouser mon beau-père. «Pour moi, lui dis-je, mes articles sont signés il y a long-temps, et ceux de mon beau-père futur le furent avant-hier.» Elle se mit à tempêter, que je m'en repentirois, que quelque jour son fils seroit grand, que j'avois beau faire, que la petite Rambouillet ne seroit jamais que ma g...., et que si elle eût su cela, elle l'eût laissée tomber en la présentant au baptême. Elle est sa marraine. Je lui parlai doucement, la remis du mieux que je pus, et me retirai quand je la vis un peu apaisée. Cependant je fus en transes jusque devant l'arche [145], que j'appris qu'elle n'étoit point au prêche; car elle étoit si outrée, que je craignois qu'elle n'allât faire quelque opposition ridicule. Sa sœur a été assez étourdie pour me dire depuis: «Il me semble que vous deviez marier ma sœur avec votre beau-père; c'étoit le moins que vous fussiez obligé de faire pour elle.» Cette pauvre femme ne me sauroit encore voir sans surprise. J'ai eû du déplaisir de ne pouvoir l'assister en quelques affaires qu'elle a eues; mais il n'y a jamais eu moyen d'en approcher. Elle hait le cardinal, et dit assez plaisamment que le soleil de mars est mazarin, à cause qu'il lui fait mal à la tête.

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