← Retour

Les historiettes de Tallemant des Réaux, tome sixième: Mémoires pour servir à l'histoire du XVIIe siècle

16px
100%

MUETS.

J'ai vu mille fois un homme muet et sourd, assez bien fait de sa personne et assez propre. Il plioit le linge admirablement bien en toutes sortes d'animaux [146], et se faisoit entendre aussi bien que personne ait jamais fait. Il alloit à Charenton, et, quand par signes on lui demandoit de quelle religion il étoit, il mettoit son chapeau sur sa tête, et son manteau sur les deux épaules, puis mettoit une table devant lui; il faisoit des mains comme un ministre en chaire. Avec tout cela, quand il y avoit procession à Saint-Sulpice, sa paroisse, il prenoit une hallebarde et, marchant devant, il faisoit ranger le monde. Il lui prit envie de se marier, et pour faire entendre sa volonté il se présenta au consistoire. Mestrezat, le ministre, fut le premier qu'on envoya pour tâcher d'entendre ce qu'il vouloit. Le muet lui fit quelques signes, et se touchoit, mettoit les mains l'une dans l'autre, comme ceux qui se donnent la foi; mais le bonhomme n'y comprit rien. On y envoya ensuite Daillé, aussi ministre, à qui, outre tous les signes précédents, il en fit encore un autre, car faisant un rond de son pouce et du doigt index de la main gauche, il passoit dedans le doigt index de la droite. On lui permit de se marier, voyant qu'il savoit si bien ce qu'il demandoit, et qu'il étoit si bien préparé. Sa femme et lui se mirent à se mêler de maquerellage. Un jour de petits enfants lui avoient fait quelque niche; il prit un pistolet et en suivit un. Un armurier l'arrêta; il tira à cet homme sans le blesser; pourtant voilà de la rumeur: on pilla la maison du muet, et je ne sais ce qu'il devint.


Il y avoit sur le chemin de Notre-Dame-de-Liesse [147] un gueux qui faisoit le muet; effectivement, il savoit si bien retirer sa langue qu'on ne la voyoit point du tout. Une dame de mes amies (madame Perreau) se douta qu'il y avoit de la subtilité, et lui promit dix sous s'il lui vouloit dire combien il y avoit qu'il étoit muet. Il fut long-temps à s'y résoudre; enfin il lui dit: «Madame, il y a quatre ans que je suis muet.» Et il eut son demi-quart d'écu.


Tillet-Saint-Leu, conseiller à la grand'chambre, a un grand fils bien fait, qui est d'église: ce garçon est sourd et muet naturellement. Cependant insensiblement il a appris quelques mots; il parle comme un enfant qui ne sait que quelques façons de parler; il écrit des lettres comme celles que les enfants dictent: cela ne se suit point. Il n'entend que certaines personnes, encore est-ce plutôt au mouvement de leurs lèvres qu'autrement; il est propre, il fait bien des choses de ses doigts; et ce qui m'étonne le plus, c'est qu'il danse bien et en cadence.

CONTES SUR LE MARIAGE.

Milord Digby, homme de qualité en Angleterre, étoit un homme qui aimoit fort les secrets; il a cherché la pierre philosophale. La peinture étoit une de ses passions. Or cet homme avoit une femme qui étoit une des plus belles personnes de l'Angleterre [148], il l'aimoit tendrement; mais il vouloit bien qu'on le sût; et comme il affectoit de passer pour le meilleur mari du monde, et que son esprit se portoit assez de soi-même aux choses extraordinaires, il fit peindre sa femme nue, puis en mettant sa chemise, en habit du matin, habillée, coiffée de nuit, les cheveux épars, se coiffant; bref, de toutes les manières dont il put s'aviser; et, comme elle mourut jeune, il la fit peindre dès le commencement de son mal, puis quand elle fut affoiblie, et ensuite quasi tous les jours jusqu'à sa mort. Ces derniers portraits étoient bien faits, mais ils faisoient peur. Ils étoient tous de la main d'un excellent enlumineur.


Feu M. de Noailles avoit un Suisse qui se marioit en tous les lieux où son maître faisoit d'ordinaire du séjour. Il avoit une femme en Rouergue, une en Limosin une en Gascogne et une à Paris.


Un homme qui fut en prison parce qu'il avoit quatre femmes, interrogé à la Tournelle pourquoi il en avoit tant épousé, répondit naïvement qu'il avoit voulu voir s'il en trouverait une bonne; que la première ne valoit rien du tout, la seconde guère mieux, la troisième n'étoit pas si méchante, la quatrième un peu meilleure que la précédente, et qu'il espéroit enfin rencontrer ce qu'il cherchoit. On trouva qu'il disoit cela si bonnement, qu'on se contenta de l'envoyer aux galères [149] pour punition de la folle entreprise qu'il avoit faite.


A propos de cela, outre la vigne qu'on dit que M. l'archevêque doit donner à celui qui au bout de l'an n'aura point de repentir de s'être marié, on dit qu'il y avoit un curé à Sainte-Opportune qui disoit au prône qu'il donneroit des pois pour le carême à ceux qui n'obéissoient point à leurs femmes. Quand il avoit questionné les maris, pas un n'emportoit de ses pois. Un crocheteur y alla, bien résolu d'en avoir; le curé l'interroge sur la taverne, etc., il ne le pouvoit attraper. «Prenez donc des pois, lui dit-il.» Comme le crocheteur remplissoit son sac: «Vous deviez, ajouta-t-il, en prendre un plus grand.—Je le voulois, dit le crocheteur, mais notre femme n'a pas voulu.—Ah! je vous tiens, dit le curé: vous n'avez que faire de sac; laissez mes pois.»


Un procureur disoit à une partie: «Ne vous mettez pas en peine pour vos contredits; au pis aller, ma femme les fera.»

Feu Jean Gravé, sieur de Launay, étoit fils d'un riche marchand de Saint-Malo. Le trafic d'Espagne a fait de bonnes maisons dans cette ville-là, et il y a eu des marchands riches de cinq cent mille écus. Launay fit la marchandise aussi lui-même, et tint quelques fermes du roi. Il devint plus riche que son père, et quelques envieux l'accusèrent de fausse monnoie, quand Montauron fit un parti de faux monnoyeurs et de rogneurs. On n'a jamais su parfaitement la vérité de cette affaire; car, par l'arrêt qu'il obtint ici, il ne fut pas entièrement déchargé, et cependant quelques-uns des accusateurs furent appliqués à la question, et d'autres bannis. Pour moi, je pense qu'il étoit innocent [150].

Se voyant beaucoup de bien en fonds de terre et en argent, avec une charge de trésorier des Etats de Bretagne, Launay vint s'établir à Paris, où il se mit dans les affaires du Roi, et il y gagna encore beaucoup. Cet homme n'étoit bon qu'à cela: hors le numéro [151], il n'avoit pas le sens commun. La Grossetière [152], mon beau-frère, disoit que c'étoit le fils d'un dogue de Saint-Malo. Il parloit comme un paysan. Malleville m'a conté que cet homme, en sa petite jeunesse, fut quelques années à Paris, logé chez son père. En ce temps-là, Malleville avoit fait imprimer certaines lettres des Amours des Déesses qu'il a désavouées depuis: en un endroit, Vénus écrivoit à Adonis qu'elle étoit comme prisonnière, et que jamais la pauvre Io ne fut gardée si sévèrement. Launay, qui n'avoit jamais entendu parler de la pauvre Io, corrige hardiment, et, au lieu de la pauvre Io, met le pauvre Job, puis il dit à Malleville: «Vous avez pris un grand impertinent d'imprimeur; regardez quelle faute il avoit faite.» La jeunesse du quartier, à qui je contai cela, car Launay vint loger devant chez mon père, ne l'appeloit plus que le pauvre Job. Une fois, il contait une querelle, et il disoit: «Ils se donnèrent des coups de poing et des coups de soufflet

Ce bel-esprit avoit une petite femme qui n'étoit pas trop mal faite; mais c'étoit une vraie petite bourgeoise de Saint-Malo, qui pourtant faisoit fort la dame. «Elle a raison, disions-nous, car elle est dame née, et on ne l'appelle jamais mademoiselle.» De bourgeoise elle fut madame.

Launay avoit une cousine-germaine, mariée en Normandie à un hobereau, ou soi-disant, car je vois des gens qui en doutent. Madame de Launay d'aujourd'hui [153], sa fille, m'a dit, mais elle a de la vanité à revendre, qu'il étoit gouverneur de Honfleur. Peut-être étoit-ce quelque officier. Cette parente étoit veuve et chargée d'un grand garçon et de trois filles. La seconde étoit une fort belle personne: son frère, qui étoit toujours chez Launay, lui proposa d'aller chercher cette fille, et de la donner à madame de Launay. Il y va avec un des amis du pauvre Job, nommé La Bouvraye. Ce La Bouvraye m'a dit qu'il n'a jamais vu un tel pouillier [154] que cette maison: les filles étoient les servantes de leur mère, et elles étoient habillées comme des gueuses. Cette belle avoit des taches de rousseur sur la gorge, faute d'un mouchoir ou faute de soin. Ils l'amènent chez Launay, et ce pauvre La Bouvraye en devint amoureux en chemin. A peine fut-elle arrivée que madame de Launay renvoie sa suivante, et cette belle fille l'a peignée bien des fois: il est vrai qu'elle l'appeloit ma cousine, et Launay l'appeloit ma nièce. En Bretagne, on appelle neveux et nièces ceux sur qui on a le germain; de là vient qu'on dit nièces et neveux à la mode de Bretagne.

La première fois que je vis cette belle fille, ce fut chez ma mère; je la trouvai qui se chauffoit dans l'antichambre avec la demoiselle de ma mère; elle me parut trop bien faite pour être traitée en suivante. «Jésus! mademoiselle; eh! que faites-vous ici? Ne voulez-vous pas venir là dedans?» En disant cela, je la prends; elle étoit fort simple, et se laissoit assez conduire [155], et je la fais asseoir en rang dans la chambre de ma mère. Depuis, elle fut assise partout comme une parente. Je donnai les violons ensuite, et je la fis danser des premières. Elle étoit fort mal en habits, et une pauvre jupe de taffetas bleu déteint, qui étoit sa plus belle jupe, avoit plus de cinquante taches. Tout le monde pourtant la trouva fort belle, quoique ses yeux ne fussent pas si doux, à beaucoup près, qu'ils le furent depuis; car la femme de chambre de madame de Launay, croyant faire merveille, lui avoit fait les sourcils. Je lui dis que cette coquetterie-là ne lui étoit pas avantageuse. La pauvre fille crut avoir fait un grand crime, et souffrit beaucoup plus patiemment une assez grande maladie qu'elle eut, parce que, durant ce temps-là, ses sourcils eurent le loisir de revenir. Nous lui faisions la guerre, que Guénault [156] lui tâtant le ventre, elle lui disoit: «Pas si bas, M. Guénault, pas si bas.» C'étoit un drôle qui la trouvoit fort à son goût. Le premier jour qu'elle se sentit indisposée, elle mit une cornette. Hélas! il n'y a jamais eu de cornette si modeste, il n'y avoit pas une dent de rat de dentelle, et, faute d'autre habit, elle avoit une cornette blanche avec sa robe. Madame de Launay ne la traitoit pas trop bien au commencement, et j'enrageois de voir cette petite bourgeoise [157] se faire servir par une fille que tant d'honnêtes gens eussent si volontiers servie. Enfin, comme elle vit que cette fille jouoit bien et heureusement, elle fit un fonds, et la mit de moitié. La belle gagna, et de son gain s'habilla passablement. Plusieurs la cajolèrent; mais pas un n'y réussit; c'étoit une personne timide, et persuadée que tous les hommes étoient des trompeurs. Je fus son premier ami, elle avoit quelque confiance en moi; mais je ne m'en pus tenir à l'amitié. Par vanité autant que par autre raison, j'eusse été ravi d'en être aimé; car, pour dire le vrai, je voyois bien qu'il n'y avoit rien à faire que par des voies qui n'étoient point les miennes, je veux dire par le légitime. Je lui montrois l'italien à un baiser par mois; mais elle ne voulut pas tenir long-temps ce marché-là. Elle l'a appris depuis qu'elle fut mariée. Je fis des vers pour elle, et je fis si bien qu'elle me permit, faute d'autre commodité, de les couler adroitement dans sa robe, qui étoit troussée, et cela en un lieu où il y avoit assez de gens. Elle en laissa tomber quelque chose, car il y avoit plus d'une pièce. Comme elle les portoit sur elle pour les apprendre par cœur, quelques jours après, comme je causois avec madame de Launay et elle, ma belle-sœur Tallemant [158], leur amie, y vint; elle se mit à me faire la guerre d'un certain sonnet qu'elle avoit trouvé, qui effectivement avoit été fait pour mademoiselle Des Marais, et que je lui avois donné; mais que je disois avoir fait pour une autre, dont elle savoit bien que je n'étois point amoureux, et je lui en avois fait confidence. On le lut tout haut, et notre peu fine demoiselle ne put s'empêcher de rougir et de me faire signe. On parla ensuite d'autre chose, et, en sortant, je lui dis qu'elle me faisoit tort de se défier de ma discrétion, et que je n'avois garde de rien dire. «Ce n'est pas cela, répondit-elle, c'est que je n'en ai encore rien dit à madame.—Comment, lui répliquai-je, seriez-vous assez innocente pour lui en parler?» Il survint du monde, et je ne lui en pus dire davantage. A quelque temps de là, je me trouvai seul avec elle et madame de Launay; je ne sais comment on vint à demander si une prude pourroit s'empêcher d'ouvrir une lettre qu'elle trouveroit sur sa table, quand elle sauroit que ce seroit une lettre d'amour, pourvu qu'elle fût seule et qu'elle fût assurée qu'on n'en sauroit rien? Mademoiselle Des Marais dit «que, pour elle, elle ne seroit pas assez curieuse pour l'ouvrir.—Là, là, répondit l'autre, il n'y auroit pas plus de danger qu'à recevoir des vers d'amour de monsieur que voilà.» Je vous laisse à penser si je fus surpris; cependant, je tournai tout cela en raillerie, quoique la fille s'en défendît sérieusement et assez mal. Elle me dit des choses après lesquelles une personne raisonnable, si une personne pouvoit faire ce qu'elle fit là, me devoit au moins défendre de mettre le pied chez elle; cependant, avant que de sortir, nous fûmes les meilleurs amis du monde. La première fois que je pus parler à la belle, je lui fis bien des reproches; mais elle me dit qu'elle étoit bien fâchée d'avoir attendu si tard à le dire à madame; elle avoit cru que madame de Launay avoit trouvé les vers qu'elle avoit perdus, et qu'elle n'en avoit voulu rien témoigner pour voir si la fille continueroit d'en recevoir. Et puis la pauvre mademoiselle Des Marais craignoit plus que toutes les choses du monde de retourner chez sa mère. Je me contentai donc, voyant à qui j'avois affaire, de l'aimer de bonne amitié.

Je ne parle point de toutes les folies qu'on faisoit dans le quartier avec Lolo et ses sœurs [159]. Nous fûmes plusieurs fois trois et quatre jours à la campagne ensemble, et je m'y divertissois toujours mieux qu'un autre; car j'avois toujours quelque attachement pour la belle, et cela m'occupoit l'esprit agréablement; je n'en étois que de meilleure compagnie. Quand ceux qui étoient de cette société se souviennent de toutes les folies qu'ils m'ont vu faire, ils en rient encore, et Lolo m'en a parlé plus de cent fois depuis.

La petite madame de Launay n'étoit pas saine, et la grosse Champré [160], qui logeoit tout contre chez elle, lui faisoit faire des choses qui la tuèrent au bout de trois ans. Elle passoit les nuits à courir les sérénades, et se baignoit avec une fluxion sur les oreilles. Je prédis un jour à mademoiselle Des Marais qu'avant qu'il fût deux ans, elle coucheroit au grand lit, et je fus prophète. Launay étoit sensuel; il avoit beaucoup de bien; il avoit promis dix mille écus en mariage à cette fille, il les gagnoit en l'épousant. Il la connoissoit, et elle avoit tout le soin de son ménage; car la petite dame se déchargea enfin de tout sur elle. Madame de Launay morte, cette fille se conduisit assez bien; elle étoit devenue plus habile avec le temps. La Bouvraye voulut l'épouser; mais elle n'en voulut pas. Elle fit dire à Launay, par son frère, qu'elle ne pouvoit demeurer avec un homme de son âge, sans faire parler: il n'avoit pas cinquante ans; qu'elle le prioit de trouver bon qu'elle se retirât chez sa mère. Launay répondit: «Je n'ai pas juré de ne me pas remarier, et j'épouserai aussi bien votre sœur qu'une autre; donnez-vous un peu de patience.» Ma belle-sœur Tallemant fut du conseil, où il fut résolu qu'elle ne verroit pas un homme, non pas même moi qui étois accordé alors. Cette madame Tallemant ne la conseilla pas toujours si bien. On a su depuis que Launay ne fut pas long-temps sans promettre à sa nièce de l'épouser, et qu'aussitôt il songea à faire venir la dispense. La dispense venue, il l'épousa secrètement, et, pour coucher ensemble, elle se plaignoit que la petite de Launay lui donnoit des coups de pied et l'empêchoit de dormir. On mit donc un petit garçon en sa place qui n'étoit pas d'âge à rien remarquer, comme l'autre eût fait. Ce qui l'embarrassoit le plus, c'étoit que son mari ne pouvoit s'empêcher de la caresser devant ses gens, et qu'il l'appeloit quelquefois ma femme, au lieu de ma nièce. Enfin elle se trouva grosse, car elle a été fort féconde, et il fallut déclarer le mariage au bout de deux mois. «Hé bien! me dit-elle quand je la vis, voilà la prophétie accomplie.—Oui, lui dis-je, mais je n'eusse jamais prédit qu'une prude comme vous dût coucher deux mois avec un homme sans en rien dire, et qu'un dévergondé comme moi se mariât en face de l'Église.» Son mari, dans le contrat de mariage, reconnut avoir reçu vingt mille écus; mais il lui donna d'abord trois cents louis d'or pour jouer, et, faisant une affaire, il y avoit toujours quelque chose pour elle. Elle a pu épargner beaucoup. Il lui déclara qu'il vouloit la trouver au logis, quand il revenoit de ville; cependant, dès qu'il avoit dit trois mots, il dormoit, et en plein jour. Pour cela, il lui laissa recevoir qui elle voulut, et jouir tout son soûl. Elle eut bien de la peine à le faire résoudre à laisser mettre de l'argent à ses meubles [161]. Jamais femme n'a tant gâté de belles hardes que celles-là.

Madame Tallemant la mit dans la magnificence des habillements, en lui disant: «Qui fera de la dépense que ceux qui sont bien riches?» Quand je la voyois si magnifique, je disois «que je voudrois avoir cette jupe de taffetas bleu pour la lui montrer, comme une reine de la Chine montroit la truelle de son père, qui étoit maçon, au roi son fils, quand il faisoit trop le fier.» A la Chine, on cherche la plus belle fille pour le roi, sans regarder à la naissance.

Elle n'en usa pas trop bien; car, comme si son mari en l'épousant eût eu quelque grand avantage, elle lui fit prendre un plus grand air qu'il n'avoit fait jusque là, et l'obligea à se faire président des comptes à Nantes. Toute la famille étoit aux dépens de son mari. Des Marais, dans le parti des tailles de Beauce, vola si bien en commandant les fusiliers de Launay, qu'il se mit bientôt à son aise, et après il épousa la bâtarde du feu marquis de Maulny, frère de M. de Bouillon La Mark. Il avoit fait connoissance en Beauce avec cette fille, et son frère, qui se fait appeler l'abbé de La Mark. Ils étoient tous deux fils d'une madame de Talsy, qui ne fut pourtant jamais épousée; elle s'appeloit Salviati en son nom: Maulny lui avoit fait ces deux enfants. La cadette de madame de Launay vint demeurer avec elle, et enfin Launay la maria à un gentilhomme de Normandie nommé Morinville. Elle est belle femme, mais non pas comme sa sœur. Mademoiselle Des Marais, de tout temps, nous avoit dit qu'elle avoit une petite sœur qui seroit admirablement belle. Cette fille arrivée, elle la trouva fort changée, et la vouloit renvoyer. «Ah! disoit-elle, qu'on se va moquer de moi!»

Voilà toute la cour chez madame de Launay. Un jour, elle alla jouer chez madame de Nemours, qu'elle avoit vue à Bourbon; elle ne gagna que dix pistoles, et les jeta pour les cartes assez dédaigneusement. Feu M. de Nemours s'y trouva, qui les prit fort bien, et dit en riant: «Vraiment, cette madame de Launay est la plus généreuse personne du monde; elle sait que nous n'avons pas trop d'argent, et elle nous rend ce qu'elle nous a gagné.» Elle étoit fort belle alors, et je disois: «Si j'étois le Roi, je me contenterois de ma fermière.» Son mari étoit fermier des entrées. Depuis, les enfants l'ont un peu gâtée. Elle porta son mari à acheter Sablé. Voyez le plaisant homme pour avoir une terre de cette importance! les gentilshommes qui en relevoient juroient de le jeter dans la rivière. L'affaire ne s'acheva pas.

Elle réussissoit admirablement bien au bal, car elle dansoit fort bien, est de belle taille, et ne rougit jamais. Il y avoit bien des femmes qui en enrageoient, et le bruit couroit qu'on cabaloit pour l'empêcher d'être conviée. Un homme lui envoya une fois un faux billet de bal; la maîtresse de ce bal-là en avoit donné un, pour la convier, à un valet qui le perdit; elle y alla donc sur ce faux billet. Le lendemain, cet homme lui avoua la malice; mais elle le gronda fort, car, enviée comme elle étoit, il ne falloit que cela pour lui faire recevoir un affront. Ensuite elle voulut être des assemblées de la haute volée; enfin elle fut chez madame de Chevreuse, mais on ne la mit qu'au deuxième rang, et elle ne dansa point. Roquelaure, en sortant, l'aperçut: «Hélas! madame, lui dit-il, je ne vous savois non plus ici qu'à mille diables.» Un an après, comme elle étoit bien encore d'une autre façon dans le grand monde, il lui arriva bien pis que cela au Louvre. Roquelaure, qu'elle ne vouloit point voir au commencement, étoit devenu son bon ami; il lui mit dans la tête qu'elle pouvoit aller danser au Louvre, à ces petites assemblées particulières qui se faisoient dans le cabinet de la Reine, et que, pour cela, il ne falloit qu'aller avec la comtesse de Ludre. Elle le croit, se flattant de ce qu'elle est fille d'un hobereau; car elle a fait tout ce qu'elle a pu pour faire croire que Launay l'avoit épousée pour l'alliance. L'huissier voulut bien laisser entrer la comtesse de Ludre, mais point madame de Launay. La comtesse ne la voulut pas abandonner, et elles revinrent toutes deux. Cela se sut le lendemain. Roquelaure, qui badine toujours avec Monsieur, lui dit: «Oh! vraiment, il y aura grand'presse à vous envoyer des beautés, vous leur faites fermer la porte au nez.» La Reine l'entendit, et dit quelque petite chose qui n'étoit pas trop bon pour la belle. Il lui arriva aussi de faire une incongruité au bal chez M. le chancelier, où étoit le Roi; car, étant allée prendre quelqu'un qui étoit derrière lui, Sa Majesté se leva, et elle dit bonnement que ce n'étoit pas lui qu'elle avoit pris, mais M. de Roquelaure, qui étoit auprès du Roi. Cependant tout cela ne lui nuisit point dans le monde; on admiroit comment elle avoit pu recevoir toute la cour chez elle, et même le roi d'Angleterre, sans qu'on en eût jamais médit. La vérité est qu'elle n'est point encline à l'amour; ce n'est pas qu'elle ne soit coquette de coquetterie de vanité; mais ses passions dominantes, qui sont le jeu et le grand monde, étant satisfaites, elle ne songeoit pas à l'amour; d'ailleurs, elle avoit toujours le ventre plein. Elle disoit pour ses raisons qu'en jouant, elle faisoit des amis à son mari. Je disois: «Il y a un moyen de lui en faire, bien plus sûr que celui-là.»

Launay mourut neuf ans après l'avoir épousée. Elle eut le courage de prendre le soin des affaires et y gagna; d'ailleurs elle a la garde noble de ses enfants. Voilà aussitôt sa sœur aînée chez elle; c'est une brutale, et qui avec cela s'est éreintée en tombant de cheval à la chasse. Elle lui voulut donner deux mille livres tous les ans, et qu'elle se retirât à la campagne, ou bien qu'elle demeurât dans un monastère sans être religieuse, si elle ne vouloit; mais cette impertinente vouloit demeurer à Paris. Elle trouva à la marier à je ne sais quel vieux hidalgo, et lui donna dix mille écus. Cet homme la devoit venir voir; un certain jour elle s'exerce à aller au-devant de lui jusqu'à la porte, et lui faire la révérence sans bâton. Elle la fit plusieurs fois; mais, quand ce fut au fait et au prendre, elle tomba si rudement, qu'elle se pensa rompre le cou.

Madame de Launay effectivement est bonne parente; elle a fait aussi pour les enfants de son frère, qui fut tué au combat de Saint-Antoine, tout ce qu'elle pouvoit faire; mais elle eut une grande mortification. Cette petite de Launay, qu'elle accusoit autrefois de lui donner des coups de pied, lui fit un fort vilain tour: elle se laissa cajoler par Gadagne, beau garçon, mais peu accommodé, et s'y engagea si bien, qu'enfin il la lui fallut donner. Le grand abord qu'il y avoit là-dedans facilita cette affaire; la veuve ne prenoit pas garde d'assez près à sa belle-fille; on lui en donna avis; elle n'en voulut rien croire, et après il ne fut plus temps d'y mettre remède. Cela fit crier les parents de la première femme. Cette petite madame de Gadagne, au bout de huit jours, disoit: Nous autres femmes. Elle a un emportement pour ce mari qui est le plus incommode du monde: elle veut sans cesse badiner avec lui, jusqu'à l'empêcher de boire à table; enfin il s'en fâcha un jour en compagnie. Elle ne parle que de lui.

Cette femme a des vanités bien ridicules, comme d'avoir un valet de chambre qu'elle appelle toujours mon valet. Elle affecte un certain air de personne de qualité; elle fait fort la précieuse, et vous diriez qu'elle fait honneur aux gens. Toutes ses habitudes sont à la cour; il n'y a que la seule madame Tallemant qui soit de la ville; mais l'autre aussi est toujours dans l'adoration. Cela fait dire bien des choses qu'on ne diroit pas, si elle faisoit un peu moins l'entendue. Elle disoit une fois que la Reine d'Angleterre, faute d'une chaise honnête, n'avoit pas le jubilé en chaise. «Je pensai, ajouta-t-elle, lui en faire faire une [162]

Le grand monde qu'elle a vu lui a ouvert l'esprit; elle est d'une conversation raisonnable et aisée; mais elle ne dira jamais des choses fort spirituelles. La plus grande faute de jugement qu'elle ait faite en sa conduite depuis qu'elle est veuve, c'est d'avoir prétendu à M. de Lesdiguières. L'année passée, il la vit quelque part; elle lui plut, et comme c'est un homme fort coquet, et puis c'est tout, il se mit à lui en conter et à la voir fort souvent. Elle, sous prétexte de jouer au mail le matin, car sa maison a une porte qui rend dans le Palais-Royal, souffroit qu'il vînt chez elle à huit heures du matin. Elle s'étoit mise depuis la mort de son mari à jouer au mail et à courir à cheval avec la comtesse du Lude. Elle avoit des bonnets de plumes et des justaucorps. Elle fit pis, car un jour que cet homme étoit chez elle, la grosse madame Tallemant dit: «Allons-nous promener? Qu'on mette donc les chevaux au carrosse.» Je ne sais si l'ordre fut bien ou mal donné, mais quand on descendit, il n'y avoit que le carrosse du duc. Voilà madame Tallemant dedans, qui l'y fit mettre aussi. A la promenade le long de l'eau, quelqu'un voit un laquais de madame de Launay derrière avec ceux de M. de Lesdiguières; il l'appelle: «Hé, laquais, est-ce que M. de Lesdiguières a épousé madame de Launay?» Le duc, apercevant cela, fait venir ce laquais, et lui demande ce que c'étoit; le laquais le dit naïvement. Voilà les dames à éclater, comme s'il y eût bien eu de quoi rire. Les amies de madame de Launay, si amies se peuvent dire, madame de Brancas et mademoiselle de Beaumont, se déchaînèrent un jour en présence de madame de Bonnelle contre l'étourderie de madame de Launay. Elle le sut, et sa sœur de Mérinville, qui est ici six mois de l'année chez elle, l'alla quereller de ce qu'elle n'avoit pas querellé les autres, et qu'elle vouloit bien qu'on sût que, quand on étoit demoiselle, on pouvoit prétendre à tout. Par là, il est clair que madame de Launay a donné dans le panneau. Madame de Villeroy et toutes les parentes du duc, qui n'est pas un grand personnage, en furent un peu alarmées. Il n'y avoit pourtant pas de quoi excuser une folie; car il s'en faut bien qu'elle soit si belle qu'autrefois, et c'eût été une extravagance à l'un et à l'autre; mais le tabouret est une belle chose. Madame de Villeroy en dit par où elle en savoit, elle soutint que cette femme n'étoit point demoiselle, et alla rechercher tout ce que nous avons écrit touchant son avènement à Paris. Le duc se mit après à en cajoler d'autres, et on se moqua de la pauvre madame de Launay; c'est un homme qui a beaucoup de train: on disoit que c'étoit la maison de Paris où, à proportion, il se dépensoit le plus en vin. «Jésus! dis-je, il eût donc bien fait d'épouser madame de Launay; il eût beaucoup épargné sur les entrées.» Elle y étoit intéressée. Pour faire la femme de grande qualité en toutes choses, elle va à la messe aux Quinze-Vingts [163], en justaucorps; elle y étoit une fois avec un justaucorps de velours noir, tout couvert de rubans couleur de feu; et, ce qu'il y a de meilleur, c'est que, pour être plus à la cavalière, elle ne met jamais qu'un genou en terre. Je sais que madame de Montausier s'en est fort raillée. Avec tout cela elle est dévote, et me disoit une fois qu'elle vouloit en être quitte pour cent mille ans de purgatoire. «Par ma foi! lui dis-je, vous seriez bien gresillée quand vous sortiriez de là.» Ce carnaval, le Roi l'ayant trouvée chez madame la Comtesse [164], où elle joue presque tous les jours, la mit d'une mascarade à l'improviste, et dernièrement il devoit aller jouer au Palais-Royal avec elle; cela l'achèvera. Je voudrois donc qu'il lui donnât après cela son pucelage [165].

TOURS, MALICES.—TOURS DE BOHÊMES.

Un secrétaire du Roi, nommé Renouard, qui avoit grand crédit à la Chancellerie, pour faire enrager Lugoli, grand-prévôt de l'hôtel, du temps de Henri IV, dressa des lettres d'abolition de tous les crimes imaginables, les fit sceller et puis les envoya à Lugoli. On conte de ce Lugoli, qu'ayant pris un gentilhomme qui, étant du parti de la Ligue, avoit fait bien des méchancetés, et se doutant que madame de Guise le réclameroit, il le fit pendre brusquement. Madame de Guise n'y manqua pas; le Roi lui accorde la grâce. Lugoli dit qu'il étoit dépêché. Voilà madame de Guise à pester. «Ah! madame, dit-il, si vous saviez combien il est mort bon catholique, vous ne le plaindriez pas.»


Le petit de Maincour-Gayan, voyant qu'on lui avoit défendu de manger de certaines poires qui étoient dans un panier pour faire un présent, et qu'on les avoit comptées en sa présence, les mordit toutes l'une après l'autre, et les arrangea si bien qu'il n'y paroissoit pas; puis il dit: «Le compte y est.»


Un autre enfant, auquel on avoit donné à choisir de deux pommes fort égales, en lui disant: «Prenez celle qu'il vous plaira, et donnez l'autre à votre cadet,» mordit dans l'une, et, la présentant à son frère, lui dit: «Tiens, mon frère, voilà la tienne,» puis il mordit vite dans l'autre.


Il y avoit un éveillé de cordonnier à la rue Saint-Antoine, à l'enseigne du Pantalon, qui, quand il voyoit passer un arracheur de dents, faisoit semblant d'avoir une dent gâtée, puis le mordoit bien serré, et crioit après: «Au renard!» Un arracheur de dents, qui savoit cela, cacha un petit pélican [166] dans sa main, et lui arracha la première dent qu'il put attraper, puis il se mit à crier: «Au renard!»


Un garçon d'arracheur de dents en arracha deux à un homme au lieu d'une. Cet homme vouloit faire du bruit: «Taisez-vous, lui dit-il, si mon maître le sait, il vous fera payer pour deux.»


La Grossetière [167], qui en toutes choses est un homme tout de soufre, eut une grande patience en pareille occasion: Dupont l'opérateur lui arracha une bonne dent pour une mauvaise; il ne dit rien, sinon: «Arrachez donc cette fois-là celle qui me fait mal.»


Le prince de Tingry, père de madame de Luxembourg, étoit un ridicule de corps et d'esprit, et par-dessus tout cela fort glorieux. Le feu comte de Tonnerre, qui étoit un faiseur de malices, l'attrapa bien une fois. C'étoit à Tonnerre, où il y avoit un fort bel hôpital, contigu au château: il fit retrancher et tapisser une salle de cet hôpital avec des tapisseries magnifiques, mais il n'y avoit qu'un dais de natte et une citrouille creusée pour cadenas, s'excusant sur ce que, cadenas et dais n'étant pas à son usage, il n'en avoit pu trouver d'autres. Lorsque le prince fut couché, il fit défaire la tapisserie, et le lendemain ce beau seigneur se trouva en même salle que les pauvres. Il s'en plaignit, mais tout le monde n'en fit que rire.


Saint-Gelais, pour se moquer de je ne sais quel grand Halbreda [168], qui étoit lecteur aux Jeux Floraux de Rouen, y envoya une ballade dont le refrain étoit:

Un grand pendard tel que je pourrois être.

Tout le monde se crevoit de rire de voir cet homme lire cela sérieusement.


Un jeune gentilhomme normand, nommé Maromme, qui avoit bien de l'esprit, en dînant avec un autre, trouva certaines olives fort à son goût, et, pour empêcher l'autre d'en manger: «Ami, lui dit-il, tu contes telle chose d'une façon dont tout le monde ne tombe pas d'accord.—Ah! dit l'autre, c'est pourtant la vérité.—Redis-la-moi donc.» Cet homme se met à conter, et lui à manger les olives. Quand il n'y en eut plus: «Mon cher, lui dit-il, en voilà assez; toutes les olives sont mangées.»


Le père de Clinchamp, dont, nous avons parlé [169] ailleurs, s'avisa, pour se divertir un jour de mardi gras, de faire entre-convier à faux, pour souper, sept ou huit familles des plus considérables de Caen, et qui pour l'ordinaire se divertissoient le mieux au carnaval. Chacun croyoit souper chez son voisin, et comme cela on n'apprêta à souper chez personne, et on jeûna dès la veille du jour des Cendres. Lui, pour se moquer d'eux, se tint en lieu où il les vit tous sortir de leurs maisons pour aller les uns chez les autres: ce ne fut que gronderies jusqu'à ce qu'on eût su la vérité.


Camusat, le libraire de l'Académie, avoit acheté des livres de mathématiques. Il y en avoit un de perspective fort commun, mais avec lequel on avoit relié un petit traité fort rare, intitulé: Alæ et scalæ mathematicæ. Quelques gens lui avoient voulu donner une pistole de tout ensemble. Le Pailleur et deux autres mathématiciens se mirent en tête d'attraper ce libraire; ils envoyèrent un d'entre eux demander là-dedans les livres de perspective. Camusat lui montra celui-là. «Ah! le bon livre! dit cet homme. Si je ne l'avois point, je vous en donnerois trois pistoles; mais qu'est-ce qu'il y a au bout? Alæ, etc. Qu'est-ce que cela? Je ne connois point ce traité-là!......» Il le méprisa tant que le libraire le lui donna pour dix sols. Les autres y vont ensuite, et, ayant vu le livre, «Que faites-vous de cela? lui dirent-ils.—Ce que j'en fais! Vous ne l'auriez pas pour deux pistoles.—Je vous en fournirai à vingt sous pièce, dit Le Pailleur; mais qu'y avoit-il là au bout?—Alæ, etc., dit Camusat.—Et qu'avez-vous vendu cela?—Dix sols.—Dix sols! je vous en aurois donné dix livres.» Il pensa crever, car il étoit glorieux.


Le marquis de Resnel acheta un fief qui relevoit d'un autre fief appartenant à un riche apothicaire de Paris. Ce sire lui fit dire qu'il lui devoit foi et hommage, et cela assez incivilement. Le marquis, résolu de s'en venger, vient à Paris, se met au lit, et le soir envoie commander un lavement chez cet apothicaire, pour un grand seigneur qui logeoit en tel lieu: le maître y voulut aller lui-même, et prit même ses habits des dimanches. Le feint malade ne se laissa point voir au nez; l'apothicaire lui donne le lavement, et, avant qu'il se fût retiré, le marquis lui lâche tout au visage en lui disant: «Voilà comme je vous fais foi et hommage, monsieur l'apothicaire.» Grand procès pour cela; mais les juges rirent tant qu'il fallut que l'apothicaire s'accommodât.


Un jeune garçon, natif de Palestrine, en Italie, servoit à Rome madame de Pisani, mère de madame de Rambouillet. Il étoit naturellement enclin à la bouffonnerie; il se débauche et se met avec des comédiens, et devient un si excellent homme en son métier, qu'il faisoit également bien toutes sortes de personnages; on le surnomma le docteur de Palestrine, parce qu'il faisoit plus souvent le rôle de docteur. Il voyagea par toute l'Europe, et étoit caressé de tout le monde; il revenoit de temps en temps voir sa maîtresse à Paris, et logeoit chez elle. Elle, pour divertir Henri IV, et depuis la Reine-mère, le prioit de jouer avec les comédiens italiens qui étoient ici. Une fois, étant à Rome, il s'avisa de faire una burla à Paul Jordan, duc de Bracciane, chef de la maison des Ursins [170]. Ce seigneur étoit fort humain et fort populaire; il faisoit belle dépense et avoit toujours une assez belle cour. En allant à la messe à pied, assez proche de chez lui, il étoit toujours accompagné de beaucoup de gens de qualité, et parloit tantôt à l'un et tantôt à l'autre. Le docteur loue des gueux qu'il fit bien habiller à la juiverie; il avoit choisi ceux qui ressembloient le mieux aux courtisans du duc, et leur donna à chacun le nom de ces courtisans qui leur convenoit le mieux. Pour représenter je ne sais quel gros homme, il prit un gueux qui contrefaisoit l'hydropique en demandant l'aumône. Pour lui, il s'étoit habillé le plus approchant qu'il avoit pu du duc de Bracciane. En cet équipage, il attend que Paul Jordan sortît de chez lui, se met à sa suite de l'autre côté de la rue, et le contrefait en toute chose jusqu'à l'église, y entre; l'un se met à droite, l'autre à gauche; il continue à l'imiter, et l'accompagne jusque chez lui en le contrefaisant. Paul Jordan se tenoit les côtes de rire.


Un soldat de fortune, nommé Maffecourt, qui est présentement major de Vitry-le-Français, sa patrie, a fait bien des tours en sa vie. Il avoit un frère curé de Saint-Denis en France. Notre homme, qui étoit alors chevau-léger de la garde, y alla pour tâcher de l'escroquer. En arrivant, il dit qu'il alloit à l'armée et qu'il lui venoit dire adieu. «Ah! dit le curé, qui craignoit le coup d'estocade, vous me voyez bien en colère, je n'ai pas un sol.—Ah! mon frère, dit Maffecourt, j'ai vingt pistoles à votre service.» Cela attendrit le prêtre, qui lui en donna soixante. Après avoir servi long-temps, il obtint des lettres de noblesse, et les faisoit enregistrer à Vitry; l'assesseur, nommé L'abbé, qui en enrageoit, lui dit: «M. de Maffecourt, il y a bien plus de plaisir à se faire nobilis [171] qu'à apprendre le métier de chaussetier, devant le Palais [172].—Hé! répondit-il, il fait bien meilleur être le premier noble de sa race que de voir mourir son père dans l'hôpital [173].» Ce monsieur le major, quoique marié, aime les fillettes, et pour cela il cache toujours son argent. Sa femme, qui est adroite, quand elle savoit qu'il en avoit, se levoit la nuit pour fouiller partout. Tout le jour il portoit son argent sur lui; et dès que sa femme étoit endormie, il le mettoit dans la pochette de sa jupe de dessus. Elle n'avoit garde de l'aller chercher là.


Un Bohême, déguisé en maréchal, eut l'insolence de déferrer un des chevaux d'un carrosse qui étoit avec plusieurs devant une église, faisant semblant qu'il le ferreroit mieux à sa boutique. Le cocher n'y étoit pas.


Jean-Charles, fameux capitaine de Bohêmes, fit une fois un plaisant tour à un curé. Il étoit logé dans un village dont le curé étoit riche et avare et fort haï de ses paroissiens; il ne bougeoit de chez lui, et les Bohêmes ne lui pouvoient rien attraper. Que firent-ils? Ils feignent qu'un d'entre eux a fait un crime, et le condamnent à être pendu à un quart de lieue du village, où ils se rendent avec tout leur attirail. Cet homme, à la potence, demande un confesseur; on va quérir le curé. Il n'y vouloit point aller; ses paroissiens l'y obligent. Des Bohémiennes cependant entrent chez lui, lui prennent cinq cents écus, et vont vite joindre la troupe. Dès que le pendard les vit, il dit qu'il en appeloit au Roi de la Petite-Egypte; aussitôt le capitaine crie: «Ah! le traître! je me doutois bien qu'il en appelleroit.» Incontinent il trousse bagage. Ils étoient bien loin avant que le curé fût chez lui. Ce Jean-Charles-là mena quatre cents hommes à Henri IV, qui lui rendirent de bons services.


Un Bohême vola un mouton auprès de Roye, en Picardie, il n'y a que deux ans; il le voulut vendre cent sous à un boucher; le boucher n'en vouloit donner que quatre livres. Le boucher s'en va; le Bohême tire le mouton d'un sac, où il l'avoit mis, et y met au lieu un de leurs petits garçons, puis il court après le boucher, et lui dit: «Donnez en cinq livres et vous aurez le sac par-dessus.» Le boucher paie et s'en va. Quand il fut chez lui, il ouvre son sac; il fut bien étonné quand il en vit sortir un petit garçon qui, ne perdant point de temps, prend le sac et s'enfuit avec. Jamais pauvre homme n'a été tant raillé que ce boucher.


Jean-Charles a dit au Pailleur qu'un petit cochon ne crioit point quand on le tenoit par la queue, et que leur plus sûre invention pour ouvrir les portes, c'étoit d'avoir grand nombre de clefs; qu'il s'en trouvoit toujours quelqu'une propre pour la serrure.


La Melson [174], belle-fille, femme de conscience de Camus, surnommé Gambade, fils de Camus le riche, s'avisa un jour de faire sécher de la plus fine pour la mettre en poudre, et après elle s'en alla en carrosse chez des apothicaires demander de cette poudre. Quelques-uns, après l'avoir goûtée, se contentèrent de dire qu'ils n'en connoissoient point et qu'ils ne devinoient point ce que ce pouvoit être, qu'il n'y avoit rien de plus mauvais goût. Un plus délicat dit que c'étoit de la merde, et excita une si bonne garde contre eux qu'ils eurent de la peine à se sauver.


Il y avoit à Paris un maître des Comptes, nommé Belot, qui avoit une jolie femme. Elle fut la première qui prit un justaucorps, avec un bonnet de plumes, et qui alla à cheval. Elle apprit à tirer en volant, et souvent, avec sa robe de velours, il lui est arrivé d'aller tirer aux hirondelles, au Pré-aux-Clercs. Le mari étoit jaloux, et se tenoit fort souvent dans la chambre de sa femme, et, selon que les gens lui déplaisoient, il les conduisoit plus ou moins loin. Une fois, il dit à Saucour, qui lui faisoit compliment: «Si je me croyois, je vous accompagnerois jusques au bout de la rue.» C'étoit à dire n'y revenez plus. En Brie, chez une madame de Passy, on lui fit une terrible méchanceté à la chasse; on monta bien tout le monde, et on ne lui donna qu'un bidet. Il demeura derrière et voyoit sa femme courir belle allure avec des galants. Il pensa enrager. Au bout de quelque temps, par le moyen de la frérie, elle le réduisit; il aimoit la tourte de pigeonneaux. A un certain banquet, un homme apporta chez lui le dessert, et il oublia du sucre; on mangea le fruit sans sucre; jamais Belot ne voulut qu'on en donnât. Il lui prenoit quelquefois des visions de vouloir retenir les gens à coucher. On dit qu'il étoit réduit quand il mourut, et que sa femme en fut affligée, quoiqu'il fût gros comme un tonneau.


La princesse de Savoie [175], qui épousa son oncle le cardinal, n'avoit alors que quatorze ans et étoit assez enjouée. Un jour elle s'avisa de faire mettre une traînée de poudre à canon sous les siéges qu'elle avoit fait ranger dans sa chambre pour recevoir des dames, et quand la compagnie fut assise, elle y fit mettre le feu.

LA MARQUISE DE BROSSE
ET MAUCROIX [176].

C'étoit la fille de cette madame de Joyeuse, dont nous avons parlé dans l'historiette de M. de Guise [177]. Elle avoit de l'esprit, chantoit joliment, étoit de la plus fine taille qu'on pût voir, avoit les yeux admirablement beaux; avec tout cela, ce n'étoit pas une grande beauté, mais à tout prendre, on ne pouvoit guère trouver une plus aimable personne. Elle n'avoit que quatre ans quand Maucroix, alors jeune garçon [178], suivant ou voulant suivre le barreau, sentit qu'il avoit de l'inclination pour elle. Le père de ce garçon avoit été intendant d'un parent de M. de Joyeuse, homme de bonne maison, nommé M. de Cany; cela avoit fait la connoissance. Comme ce garçon est bien fait, a beaucoup de douceur et beaucoup d'esprit, et fait aussi bien des vers et des lettres que personne, à quinze ans elle eut de l'inclination pour lui. Il étoit fort familier dans la maison, et le père et la mère n'étoient pas des gens trop réguliers. Le père avoit je ne sais quelle petite demoiselle qu'on appeloit Toussine, avec laquelle il couchoit entre deux draps, et disoit qu'il n'offensoit point Dieu, parce qu'il ne lui faisoit rien. Un jour il jeta sa fille en présence de sa femme sur un lit, disant qu'il vouloit savoir comment Charlotte étoit faite..........

La mère étoit la meilleure femme du monde et la plus douce; à la vérité, un peu encline à la luxure. Son propre père un jour lui dit, en présence de l'évêque de Mende, frère de madame de Joyeuse: «Oui, ma fille, votre mari est si impertinent que c'est offenser Dieu que de ne le pas faire cocu.» Elle rioit comme une folle, et le Père en Dieu en sourioit. Fabry lui vouloit donner cinquante mille écus pour coucher avec elle, et, pour lui montrer combien il l'aimoit, il avala une fois l'urine de son pot de chambre. Un jour Maucroix trouva sa confession par écrit, où il y avoit «que quand elle regardoit attentivement le crucifix, elle avoit des pensées de blasphème.»

Pour revenir à leur fille, un jour, à Reims, elle feignit de se trouver mal, afin de laisser sortir sa mère, et de demeurer seule avec Maucroix. Quelque temps après, elle fut accordée avec Lenoncourt, qui fut tué à Thionville, quand M. le Prince la prit. Entre deux, le jeune homme, qui avoit été obligé de venir à Paris, devint amoureux d'une jolie fille, et l'aînée de cette fille devint amoureuse de lui. Il n'aimoit que la cadette, et étoit aimé de l'une et de l'autre; mais cela n'alla qu'à quelques baisers, et à quelques autres privautés. Cependant on maria mademoiselle de Joyeuse au marquis de Brosses, de la maison de Thiercelin [179]. C'est un homme fort brutal, peu brave, roux, et qui avoit été fort débauché; en effet, il gâta sa femme, et fut enfin cause de sa mort; car, comme elle étoit plutôt maigre que grasse, les remèdes desséchants la rendirent enfin pulmonique.

Notre avocat étant devenu chanoine de Rheims, la belle, qui l'aimoit toujours, le renflamma bien aisément. Le mari ne se doutoit de rien; car le galant avoit eu l'adresse de se mettre admirablement bien avec lui. La première faveur qu'il en eut, ce fut de lui baiser la main; et quand elle vit qu'il ne demandoit que cela, car il lui portoit beaucoup de respect: «Ah! lui dit-elle, de tout mon cœur.» Une autre fois, comme elle étoit dans le lit, il la voulut baiser; en cet instant quelqu'un parut. «Ah! lui dit-elle, quand vous n'aurez que cela à me dire, il n'est point nécessaire d'approcher de si près.» Elle avoit l'esprit présent. Quand on jouoit au reversis, elle ne manquoit jamais de se mettre auprès de lui, et tenoit toujours un des pieds du chanoine entre les siens; puis, quand elle avoit le talon, qu'on appelle le pied en Champagne, elle crioit en riant: «J'ai le pied, j'ai le pied!» On fit je ne sais quelle promenade sur la frontière, chez le comte de Grandpré [180], son parent, qui étoit aussi un peu amoureux d'elle; il y en avoit bien d'autres. Ce comte leur fit une malice: car, en chemin, il leur fit donner une fausse alarme. Voilà tous les hommes à cheval; le mari d'y aller mal envis [181]. Elle ne songea point à lui; mais elle se mit à crier: «Monsieur de Maucroix, gardez-vous bien d'y aller.» Une des dames de la compagnie disoit naïvement au cocher qui avoit le mot: «Hé! mon pauvre cocher, romps-nous le cou si tu veux, pourvu que tu ailles à toute bride.»

Elle contoit à Maucroix toutes les folies de ses autres amans; il y en eut qui lui présentèrent un poignard pour avoir l'honneur de mourir de sa main, et d'autres firent d'autres extravagances. Fabry, à qui la mère avoit tant coûté, étoit bien disposé à faire encore plus de dépense pour la fille, si elle eût voulu; mais elle le traita toujours fièrement. Enfin un jour qu'elle avoua à Maucroix qu'elle l'aimoit plus que sa vie, elle se mit à chanter ces paroles qu'on chantoit alors:

Tircis, que dois-je faire?

Tout m'est contraire.

Pour te guérir,

Je voudrois bien te secourir;

Mais, quand mon cœur le veut,

L'honneur me dit que cela ne se peut,

Et qu'il vaut mieux mourir.

Les confesseurs l'intimidoient et lui disoient que ce seroit un sacrilége. Quand elle avoit été à confesse, elle disoit à son amant: «Ils m'ont dit que c'étoit un sacrilége;» et, ce jour-là, elle ne le baisoit qu'aux yeux. Elle lui avoit de l'obligation. Comme elle étoit une fois à Paris, Fabry, enragé de ce qu'elle avoit été à Saint-Cloud, à un cadeau du comte du Roule, parent de madame de Canaple, avec laquelle et trois ou quatre autres dames elle étoit allée, écrivit, ou plutôt fit écrire d'une main inconnue une lettre au mari, comme s'il y eût eu une galanterie liée avec le comte, et que tout le monde en fût scandalisé. Le mari, en colère, ordonne à sa femme de le venir trouver en Champagne, et lui mit quelques mots de Saint-Cloud dans la lettre. La pauvrette part, et alloit comme à la mort. De Brosses envoie aussitôt un gentilhomme à M. de Joyeuse lui déclarer qu'il lui vouloit renvoyer sa fille, etc. Le gentilhomme étoit à peine parti, que le chanoine, qui étoit fort bien avec le marquis, se met à lui faire des remontrances, et le ramène si bien, qu'il envoie un autre gentilhomme pour faire revenir cet envoyé, dont la marquise lui rendit très-humbles grâces. Cependant son mari la maltraita fort, sans la soupçonner pourtant d'aucune galanterie; mais il étoit mal satisfait du père, qui ne lui donnoit point ce qu'il lui avoit promis. Le père, s'étant aperçu de l'attachement du chanoine, en écrit à sa fille, et il lui représentoit qu'après avoir résisté au favori d'un roi (c'étoit M. le Grand qui en avoit été un peu épris en un voyage de Champagne), il lui seroit honteux, etc. Elle en avertit Maucroix, et lui dit: «Mon père enverra tout dire à mon mari.» Le chanoine prend les devants, et déclare au marquis que, pour ne pas les brouiller davantage, M. de Joyeuse et lui, il se vouloit retirer, et ne plus le voir qu'en lieu tiers. «Comment, dit le mari, M. de Joyeuse prétend me tyranniser!» Il lui écrivit en colère, et, depuis, le bonhomme n'eut plus lieu de parler contre le chanoine. Une fois qu'elle étoit au lit et qu'ils étoient seuls, elle se mit à trembler, et lui dit: «Tenez, voyez comme j'ai les mains froides, j'ai le frisson; je vous prie, allez-vous-en.—Ah! madame, répondit-il, vous défiez-vous de mon respect?» Il se contint, et jamais il ne lui a mis le marché au poing. «Ah! dit-elle, je l'avoue, ce respect mérite quelque récompense.» Elle se laissa baiser, elle se laissa toucher, et lui avoua qu'après cela elle ne pouvoit plus répondre de rien. En effet, il n'y en avoit pour quatre jours quand la marquise de Mirepoix [182], qui étoit amoureuse d'elle, la vint enlever. La belle, qui étoit coquette, mais point p....., n'en fut point fâchée; car elle voyoit bien le péril. Le chanoine dit que c'étoit une plaisante chose que de voir ces deux femmes ensemble; celle-ci, toute jeune, toute belle qu'elle étoit, aimoit l'autre quasi comme elle en étoit aimée, et disoit: «De quoi est-ce que je m'avise d'aimer une personne qui n'est ni jeune ni belle?» Il y avoit mille querelles et mille réconciliations. On conte une bonne vision de cette madame de Mirepoix. Quand il la faut saigner, on est trois heures à la prêcher, et quand on la va piquer, tout le domestique qu'on fait venir exprès jette de grands cris, et cela, dit-elle, l'empêche de si fort sentir la piqûre. Mademoiselle de Roquelaure, sa sœur, est quasi de même, et le chevalier fit saigner, il y a quelque temps, son valet pour lui, et juroit que jamais saignée ne lui avoit tant fait de bien. Voici une chose plus étrange d'un maître des comptes de Montpellier, nommé Clauzel, homme d'honneur et de bon sens. Pour le saigner, il faut faire sonner des trompettes ou battre des tambours, et son sang s'arrête dès qu'on cesse de sonner ou de battre; il faut qu'il s'imagine dans ce temps-là être à la guerre. Je le sais de gens qui l'ont vu plus d'une fois.

Or, avant que de retourner à Rheims, la marquise de Brosses vint à Paris, et se laissa cajoler par bien des gens. Vardes fut celui qui lui plut davantage; il est vrai qu'elle a avoué depuis au chanoine que, dès qu'elle l'entendoit parler, elle le méprisoit, et qu'elle n'avoit jamais vu des sentiments moins d'honnête homme que les siens.

Au retour, notre chanoine trouva la belle bien changée; le voilà dans une jalousie effroyable; il souffroit plus qu'une âme damnée. Je le persuade de venir à Paris. Il n'y est pas plus tôt qu'elle y arrive; il disoit: «Je la fuis, et elle me suit.» Mais la vérité est qu'il n'y étoit venu qu'à cause qu'il espéroit qu'elle y viendroit. Elle y accoucha, et cette couche la changea extrêmement; avec cela, son mal commençoit à la presser. Il eut une petite consolation en ce qu'il lui donna un peu de jalousie à son tour. On dit à la dame que le chanoine logeoit chez un de ses amis, qui avoit une fort belle femme. En effet, on ne mentoit pas, et c'est une des plus belles et des mieux dansantes de Paris. Un jour donc, elle lui dit en sortant: «Adieu, et n'oubliez pas les gens, encore qu'ils ne soient plus beaux.»

Le mari se mit en ce temps-là à la maltraiter; apparemment il s'étoit aperçu des privautés que le chanoine avoit eues avec elle. La coquetterie de Vardes et d'autres l'avoit choqué; il n'étoit pas satisfait de son beau-père; il disoit que sa femme étoit fière; tout cela ensemble fit qu'elle fut doublement affligée. L'état pitoyable où elle étoit donnoit de la compassion au chanoine, et lui faisoit quasi oublier le méchant tour qu'elle lui avoit fait. Enfin le mari la laissa en Champagne, sans un sou et malade, et lui s'en alla en Touraine, où est son bien. Le chanoine l'assiste, et la reçoit chez lui. Il a un frère aîné, qui est aussi chanoine de Rheims, et qui, de plus, a un bénéfice dont il avoit, je pense, quelque obligation à M. de Joyeuse. La mère, étant malade, s'étoit fait porter dans leur logis à Rheims, et elle y étoit morte; la fille en fit de même. Là, elle avoua au chanoine que tout ce qu'elle avoit vu à la cour ne l'avoit jamais pu guérir, qu'elle l'aimoit encore, mais qu'elle le prioit d'oublier toutes les folies qu'ils avoient faites ensemble. Elle souffrit long-temps; il souffroit assurément plus qu'elle. Je n'ai jamais vu un homme si affligé, et, à cause de lui, je me suis réjoui de la mort de cette belle, parce qu'il étoit en un tel état que je ne savois ce qui en seroit arrivé. Il a été plus de quatre ans à s'en consoler, et il n'y a eu qu'une nouvelle amour qui l'ait pu guérir; aussi est-ce une chose bien cruelle que la fortune lui amène, s'il faut ainsi dire, dans son propre lit, la personne qu'il aime en un état languissant, afin qu'il ait le déplaisir de la voir mourir.

Vandy, aujourd'hui gouverneur de Montmédy, étoit un des amoureux de la marquise; il m'a dit qu'avec un billet que M. de Joyeuse lui avoit donné, il alla, bien accompagné, attendre à sept lieues d'ici le marquis de Brosses, qui menoit sa femme à la campagne, et la lui ôta, après lui avoir lu le billet qui contenoit que le père l'avoit prié de ramener sa fille à Paris, où il l'attendoit. Le mari, enragé de cet écorne [183], disoit qu'il se vouloit battre contre Vandy. Vandy lui dit que, pour le lendemain, tant qu'il voudroit. La colère du marquis se passa sans qu'il y eût de sang répandu. Vandy eut bien de la jalousie à son tour. Vardes est parent du mari; cela lui donna un grand accès auprès de la belle; il en eut une bague qui venoit de Vandy. La marquise, lorsque Vandy se plaignit à elle de cette faveur faite à son rival (c'étoit en présence de la marquise de Mirepoix), lui dit: «Ne vous jouez pas à penser la lui ôter; car, outre qu'il ne le souffriroit pas autrement, vous m'obligeriez à lui faire telle faveur que personne ne la lui pourroit ôter.—Ah! ma cousine, ajouta-t-elle en jetant ses bras au cou de la marquise de Mirepoix, que je viens de dire une grande sottise! Mais aussi pourquoi me met-on en colère?» L'amant jaloux proposa à Vardes de porter cette bague au Marché-aux-Chevaux, à sept heures du matin, pour voir qui méritoit le mieux de l'avoir. Il jure que Vardes ne fit pas semblant d'entendre. Il n'en demeura pas là; il envoya un brave, son domestique, pour parler à la marquise. Saint-Thomas, sa suivante, lui dit qu'on ne la voyoit point. «Par la sang Dieu!...—Tu es donc venu pour faire un appel à madame?—Je suis venu pour lui déclarer que M. de Vandy est guéri, qu'il ne sera jamais son serviteur, et qu'il lui fera du déplaisir partout où il pourra.»

Quant au comte de Grand-Pré, il est toujours fait comme un Cravate [184]. Il avoit épousé, n'ayant pu avoir la marquise, une madame Couci, belle personne, qu'il avoit faite à sa mode; elle chassoit avec lui, et même elle alloit presque en parti; elle étoit demi-guerrière. Quatre fois le jour il se couchoit avec elle, et quelquefois au milieu d'un bois; il est de grand'vie: cependant Givry, son lieutenant de roi à Mouzon, méchant arbalétrier, le faisoit cocu. On croit même qu'il le savoit; cela n'empêchoit pas que le galant ne fût son meilleur ami.

CONTES DE BÊTES.

Il y avoit chez M. de Morangis une biche et un singe; le singe tourmentoit fort la biche, et étoit toujours sur son dos. Cette bête un jour s'en va sur le Pont-Neuf, ayant ce singe sur la croupe (M. de Morangis logeoit à la rue Dauphine); et de là elle se jette dans la rivière. Elle se sauva et le singe fut noyé.


Un petit chien de M. de Vence (Godeau), dès qu'on prononçoit le nom d'un gros chien dont il avoit été mordu, aboyoit et tiroit la soutane de son maître comme pour lui demander vengeance; à Paris, deux ans après, il faisoit la même chose, quoiqu'il eût été mordu en Provence.


Le comte de Saint-Paul, père du duc de Fronsac, qui fut tué à Montpellier, avoit un dogue, du temps qu'il étoit gouverneur d'Orléans, qui alloit et venoit chargé de lettres à son cou. On le connoissoit dans les hôtelleries, où son maître logeoit avec lui, on lui faisoit bonne chère, et personne n'eût osé lui ôter son paquet.


A un voyage de la cour, un chariot embourbé arrêtoit tous les équipages; un cocher, las d'attendre, alla pour voir à quoi il tenoit; il reconnut à ce chariot un cheval qu'il avoit mené autrefois, et avec lequel il avoit fait une fort tendre amitié: le cheval le reconnut aussi, et se mit à hennir. «Hé quoi! Gros-Jean (c'était le nom de l'animal), nous veux-tu faire coucher ici?» Ce cheval, à ces mots, fit un tel effort, qu'il tira le chariot du bourbier.


Feu M. de Guise, étant à Florence, avoit un grand coursier fort vite; on le voulut faire courir pour le prix à la Saint-Jean, car à Florence on a gardé cela des anciens, et même de faire aller des chariots autour des deux pyramides, comme dans le cirque; or, c'est dans une rue qui n'est pas droite que les chevaux courent. Ce coursier fit un effort pour gagner un tournant qu'il y avoit, au tiers ou au milieu de la carrière, et, quand il l'eut gagné, la rue étant plus étroite, à coups de pied il faisoit tenir derrière tous les autres chevaux qui étoient beaucoup plus petits que lui, et il s'en alla gravement au petit pas jusqu'au bout de la carrière.


A propos de chevaux, je ne saurois que je ne mette ici la pitoyable aventure de chevaux de Chambonnière [185], cet excellent joueur de clavecin. Il avoit un carrosse, mais, faute de nourriture, il envoyoit paître ses chevaux sur le rempart du Marais. Je vous laisse à penser en quel état ils étoient. Des écorcheurs les prirent pour des chevaux condamnés, et un beau matin ils les écorchèrent tous les deux.


Une femme de ma connoissance (mademoiselle Guedon) avoit une petite épagneule qu'elle laissa en Poitou, en venant s'établir à Paris; à dix ans de là, elle envoya des hardes à celle qui avoit la chienne; elle les avoit arrangées elle-même dans le coffre. Cette petite chienne se mit à baiser ces hardes, à les lécher, et à faire cent sauts à l'entour.


Il y peut avoir quatorze ans, qu'un capitaine françois mourut à Nancy, et fut enterré aux Pères Picpus; cet homme avoit un chien qui ne l'avoit jamais quitté; ce pauvre animal se met sur la tombe de son maître, et n'en sortoit que pour aller chercher à manger. Il mena cette vie pendant quatre ou cinq ans, et il y est mort. Tout le monde le connoissoit, et on l'appeloit le chien du capitaine.


Un pâtissier de Vitry, nommé Jacquemard, a un barbet qui, sans qu'on y prît garde, se mit dans un bateau de blé, que son maître conduisoit à Paris. Le pâtissier s'en aperçoit à Châlons; il le donne à garder à une femme chez qui il logeoit, car il avoit peur de le perdre à Paris; le chien s'échappe, et ne sentant plus son maître, il se mit à suivre le chemin qu'avoit fait le bateau de Vitry à Châlons, remonte la rivière vingt lieues durant; elle étoit en bien des lieux débordée; il la passa et repassa cent fois. Il arriva à Vitry au bout de trois jours et demi; mais il n'en pouvoit plus.


Une dame, à qui je me fie, a vu une ânesse, à Surênes, tourner avec sa bouche une grosse clef d'écurie, et ouvrir la porte pour aller trouver son petit.


Cette femme-là a un chat qui a autant d'esprit que le fameux chat de Mondory [186], dont parle La Chambre [187], car ayant remarqué que la chatte descend quand on sonne une clochette pour dîner, il la sonne quand il a envie qu'elle vienne, et elle vient. Il l'a vue cent fois nettoyer ses pattes avant que de sauter sur le lit de sa maîtresse.


Un nommé Néron avoit attelé des cerfs à un chariot; après il enchaîna des puces à un chariot aussi. Il avoit appris à une chèvre à marcher sur la corde, ou plutôt sur deux cordes; il avoit un petit chat-huant qu'il tenoit dans une cage; il lui avoit plumé les moignons des ailes, avoit attaché à l'une une rondache, et à l'autre une épée; il l'avoit habillé en cavalier. Il disoit qu'il n'y avoit point d'animal, hors une poule, à qui il n'eût appris quelque chose. Il est parlé dans les lettres de Voiture [188] du singe de mademoiselle Coinet; c'étoit une chanteuse qui avoit appris à un singe à jouer de la guitare; il y jouoit effectivement une sarabande, mais il manquoit toujours en un endroit.

CONTES DE MOURANTS.

Un soldat espagnol, comme on étoit prêt de faire naufrage, se mit à manger un petit morceau de pain, en disant: Menester comer un poquito para bever tanto [189].


A Toulouse, un jeune homme de dix-huit ans dit, en riant, au bourreau qu'il connoissoit: «Compère, tu devois mettre un peu de coton, à cause de la connoissance.»


Quand M. de Bouillon commandoit en Italie, un peu avant la prise de M. le Grand, deux soldats furent condamnés à être passés par les armes; après, on s'avisa, à cause que l'armée diminuoit, de se contenter d'un, et, à faute de bulletins, on les fit jouer aux dés: l'un vouloit jouer à la chance. «Je ne la sais pas, dit l'autre.—Bien donc, à la rafle.» Il jette le dé et amène dix-sept; l'autre joue, mais sans espérance, et amène trois as. Le premier dit sans s'étonner: «Voilà mourir à beau jeu.» Les officiers, surpris de cette résolution, firent dessein de le sauver; mais ils voulurent voir auparavant jusqu'où iroit sa constance. On lui demande s'il vouloit être bandé. «Non,» dit-il. Il choisit ses parrains, et tirant dix écus qu'il avoit, il dit à l'un d'eux: «Tiens, prends cinq écus pour boire, et des cinq autres fais en prier Dieu pour moi.» On l'attache, il ferme les yeux. On tire, mais les officiers avoient fait ôter les balles; aussitôt on le délie. «Allez vous faire saigner, lui dit-on.—Je n'en ai pas besoin, répondit-il. Camarade, rends-moi mes dix écus, et allons les boire.»


Un vieux conseiller de Bordeaux, nommé d'Andrault, avoit eu toute sa vie une telle passion pour les nouvelles, qu'à l'article de la mort il envoya chercher un Portugais, grand nouvelliste, pour savoir de lui ce qu'il avoit appris par le dernier ordinaire, et il ajouta: «Je suis bien fâché de ne pouvoir attendre l'autre courrier; mais il faut que je parte.» Et il mourut un moment après.


Un vieux reître de Gascon, nommé Calverac, qui avoit bien des iniquités sur le corps, étant à l'extrémité, avoit grand'peur du diable. Les ministres de Bordeaux lui promettoient assez le paradis; il n'en étoit pas bien persuadé. «Mais me le promettez-vous? leur disoit-il.—Oui.—Touchez donc là.» Il leur touche dans la main, et aux anciens aussi; après il leur dit encore: «Mais le promettez-vous bien?—Oui.—Touchez donc là encore une fois.»


On disoit à une vieille paysanne fort incommodée: «Vous seriez bien heureuse d'être délivrée de tous vos maux.—Je vous entends, dit-elle, mais on est si long-temps mort.»


Un vieux libertin, nommé Bourleroy, étant à l'article de la mort, madame de Nogent-Bautru, car il étoit des amis de son mari, lui envoya un confesseur. «Voilà, lui dit-on, un confesseur que madame de Nogent vous envoie.—Hé, la bonne dame, dit-il, tout est bien venu de sa part. Si elle m'envoyoit le turban, je le prendrois.» Le confesseur vit bien qu'il n'y avoit rien à faire.


Au siége de La Rochelle, le comte de Jonzac, de la maison de Sainte-Maure, avoit un régiment d'infanterie. En une sortie, les Rochellois le mirent en fuite avec son régiment. Le lendemain ils sortirent encore; mais on les repoussa en leur criant: «Tu n'as pas trouvé ton Jonzac.» Lui-même, un jour ou deux après, voyant deux soldats qui se battoient, courut pour les séparer: «Qu'y a-t-il? leur cria-t-il. Contez-moi votre différend?—Monsieur, dit l'un, il dit que je suis du régiment de Jonzac.» Je vous laisse à penser si M. le comte se vanta d'en être le mestre-de-camp.


Quand Urbain VIII fit ôter les portes de bronze du Panthéon pour en faire un autel à Saint-Pierre, on fit ce pasquin:

Quod non fecêre barbari, fecêre Barbarini.

Le pape Sixte-Quint, ayant fait sa sœur, qui avoit été lavandière, duchesse de Camerino, on mit à Pasquin une chemise fort sale avec ce mot: «Depuis qu'on fait les lavandières duchesses, il n'y a pas moyen de se faire blanchir.»


Petitpuis-Lebœuf, à Saumur, étoit un débauché qui dansant un jour au bal, avec la sénéchale de Saumur, Du Rosay, un emplâtre tomba de ses chausses; elle qui croyoit le déferrer, lui dit: «Monsieur, ramassez votre emplâtre.» Il ne se déferre point, met la main dans ses chausses, et, en ayant tiré un autre emplâtre: «Madame, lui répondit-il, voilà le mien; il faut que ce soit le vôtre.» Il se trouva qu'il avoit deux p....... à la fois.

CHARPY, SIEUR DE SAINTE-CROIX.

Charpy est de Brest; il étoit avocat à Lyon quand M. le Grand (de Cinq-Mars) le prit. Ce n'a jamais été un homme fort judicieux: il s'amusoit à s'habiller comme son maître, il est vrai qu'alors on ne portoit ni dentelles ni argent; et, dès que M. le Grand avoit un habit, le lendemain son secrétaire en faisoit faire un de même. Le feu Roi, pour rire, en frappant un jour sur l'épaule à M. le Grand, qui étoit tourné, dit: «Charpy, écoutez.» M. le Grand fut surpris de cela. «Je pensois, dit le Roi, que ce fût Charpy; car il est toujours habillé comme vous.» Ce galant homme faisoit d'assez méchants vers. Il en fit une fois quatorze cents sur le mariage de madame de Montausier. On disoit en badinant que ce n'étoit que de la charpie. Ce fut lui qui fit ce sonnet pour mademoiselle de Bouteville, aujourd'hui madame de Châtillon, où il lui dit qu'elle ne ressemble guère à son père.

Car il donnoit la vie et vous donnez la mort.

Charpy fut ici quelques années, au commencement de la Régence, à donner des violons, à donner cadeau à quelques femmes de son quartier. Il avoit des tableaux; il avoit un carrosse. Cela venoit des arrêts du Conseil qu'il contrefaisoit avec un homme d'Eglise. Il fallut s'enfuir. Il fut pendu en effigie. Depuis quelque temps il est revenu, et s'est fait appeler Sainte-Croix. Il s'est mis la dévotion dans la tête, et a fait un livre où il prétend prouver, par quelques passages de la sainte Écriture, qu'il viendra un véritable vicaire de Jésus-Christ en terre, qui remettra le monde comme autrefois en état d'innocence, sous la loi du christianisme; pourtant il trouve des choses dans l'Apocalypse que personne n'a jamais vues que lui. Il s'est fait peindre nu en chemise avec ce livre à la main: vous diriez qu'il va faire l'amende honorable ainsi en chemise. Or, un jour qu'il étoit dans l'église des Quinze-Vingts, madame Hansse, veuve de l'apothicaire de la Reine, y vint; elle loge dans les Quinze-Vingts mêmes. Il l'accosta et lui parla de dévotion avec tant d'emportement, qu'il charma cette femme qui est dévote. Elle le loge chez elle. Lui, qui est si charitable qu'il aime son prochain comme lui-même, s'est mis à aimer la petite madame Patrocle, la fille de madame Hansse: elle est femme de chambre de la Reine, et son mari est aussi à elle. Charpy se met si bien dans l'esprit du mari et s'impatronise tellement de lui et de sa femme, qu'il en a chassé tout le monde, et elle ne va en aucun lieu qu'il n'y soit, ou bien le mari. Madame Hansse, qui a enfin ouvert les yeux, en a averti son gendre; il à répondu que c'étoient des railleries, et prend Charpy pour le meilleur ami qu'il ait au monde. Souvent les maris font leur héros de ceux qui les font cocus. Cependant la Sorbonne a refusé de donner l'approbation à son livre. Il les traite tous d'ignorants. Madame Hansse, enfin, n'a plus voulu qu'ils logeassent avec elle. Charpy n'est plus en même logis que la dame; mais il la voit toujours de même. Quand il prie Dieu, il dit: «Seigneur, je me résigne à ta volonté: si tu m'envoies des bénéfices, je serai ecclésiastique; si tu ne m'en envoies point, je me résoudrai à la retraite.» Par ces façons de faire, il a attrapé le prieuré de..... [190], sans le demander; même le cardinal l'a prié de le prendre en attendant mieux. Il prétend avoir donné de bons avis à Son Eminence.

NAIVETÉS, BONS MOTS, RÉPARTIES,
CONTES DIVERS.

M. de Saintes, fils naturel du maréchal de Bassompierre, dit qu'une nuit il fut réveillé par un coup de pistolet qu'on tira dans sa chambre. «Qu'est-ce que cela?—C'est, monsieur, que j'avois peur qu'une souris ne vous réveillât, et je l'ai tuée.»


Saint-Luc, père du maréchal, se trouva à la porte du cabinet, avec M. de Luxembourg, qui, croyant que l'autre lui vouloit mettre le pied devant, lui dit: «Me le disputerez-vous, à moi qui ai eu quatre empereurs de ma maison?—Ma foi, lui dit Saint-Luc, je me trompe fort, si vous êtes jamais le cinquième.»


Un ministre, à qui le marquis de La Case avoit donné charge de lui chercher un précepteur pour ses enfants, lui fit ainsi réponse: «Je ne manquerai pas de m'informer de quelque cuistre [191] pour vos petits Alexandres.»


Un gentilhomme de Poitou, pour avoir des œufs de pigeon qui étoient dans un trou à une muraille d'une ferme, prit une grande échelle, à laquelle il attacha son cheval; il chassa de ce trou la femelle qui couvoit: le cheval eut peur et entraîne l'échelle. Le bon nobilis se rompit la tête; mais, en montrant son chapeau plein d'œufs: «Bon, dit-il, ils ne sont pas cassés.»


Madame Des Hagens [192], du temps du maréchal d'Ancre, oyant dire que la seigneurie de Venise étoit bien riche, dit: «Qu'il la falloit marier avec Monsieur, quand il seroit grand.» Elle prit seigneurie pour signora.


Un jour qu'on parloit de successions, un gentilhomme, qui pourtant étoit à son aise, dit: «Pour moi, je crois que si le diable mouroit, je n'hériterois pas de ses cornes.—Là, là, mon ami, dit naïvement sa femme, de quoi vous fâchez-vous, n'en avez-vous pas assez?»


On avoit à faire pendre un pauvre diable à Autun; le bourreau étoit malade; on en fit venir un du lieu le plus proche. Quand il fut arrivé, on le fit venir à l'hôtel-de-ville, car le crime regardoit la communauté; il demanda combien il y avoit à gagner. «Dix livres, lui dit-on.—Messieurs, répondit-il, il n'y a pas moyen de s'y sauver. Si c'étoit quelqu'un de vous autres messieurs qui avez de bons habits, très-volontiers; mais ce misérable en a un qui ne vaut pas trois sols.»


Un vieux gentilhomme d'auprès de Reims, nommé Louversy, comme le feu Roi passoit par là, lui demanda son chauffage dans une forêt. Le Roi le lui accorda: «Mais, Sire, lui dit-il, je serai cent ans à faire faire ce qu'il faut pour cela; je vous prie, donnez-le-moi de votre main.—Mais, répondit le Roi, cela ne se fait point, et vous n'avez ni papier ni encre.—J'en ai, Sire, et une table aussi.» Il tend son dos, et son affaire fut faite.


Une femme fort innocente, étant grosse pour la première fois, comme son mari parla de faire un voyage, se mit à pleurer. «Hé! dit-elle, de quoi vivra l'enfant en votre absence?»


Un jeune garçon d'Auvergne voulut être reçu avocat à Paris; il part, et prend si bien ses mesures que, quand il pria Bataille de le présenter, il n'y avoit plus qu'un jeudi d'audience jusqu'à la fin du parlement. Bataille lui dit: «Trouvez-vous à sept heures demain matin au Palais, et apportez vos licences [193].» Bataille y va, mais il ne trouve pas son provincial; en attendant, il va dire au parquet qu'il avoit des licences pour présenter un avocat, mais que, par hasard, il les avoit oubliées chez lui. On prend cela pour argent comptant; on ouvre. Son homme ne vint qu'à neuf heures. «Et où vous êtes-vous amusé?—Monsieur, dit-il, excusez-moi; en venant, j'ai rencontré un gros moineau vert qui parle; je m'y suis arrêté jusqu'à cette heure.» Pensez qu'il faisoit beau voir un animal en robe de Palais, entendre jaser si long-temps un perroquet! Il fallut qu'il s'en retournât en son pays sans rien faire.


Un homme fut prié de faire un rebus pour la ville de Poitiers: il mit trois poys: poy-un, poy-deux, poy-tiers.


Un bûcheron, qui se vouloit marier, vint pour se faire faire la barbe; on ne la lui avoit jamais faite. «Comment voulez-vous qu'on vous la fasse? dit le barbier.—Laissez-moi, dit-il, deux baliveaux le long des lèvres de dessus, et coupez-moi tout le reste à blanc étau


François Ier étoit à table, quand on lui présenta une épigramme qui lui plut fort, et en mangeant il disoit sans cesse: «Ah! la bonne épigramme!........» Un bon gentilhomme qui ouït cela, dit après au maître-d'hôtel: «Que vouloit dire le Roi? Oh! la bonne épigramme! oh! la bonne épigramme! disoit-il à tout bout de champ. Est-ce quelque viande nouvelle? Hé! je vous prie, faites-nous-en goûter.»


Un homme de Reims fit une comédie pour le collége: c'étoit l'Élection de Nicolas, patriarche d'Antioche. Or les douze qui la devoient donner étoient tombés d'accord que le premier qui entreroit dans l'église seroit élu. Un héraut de Sainte-Vie fut le premier; il dit son nom: c'étoit Nicolas. Les douze répétoient ce mot de Nicolas l'un après l'autre, et cela en trois beaux vers alexandrins. Ce même homme dédia cette belle pièce à trois frères de la ville de Reims, qu'il appeloit le Geryon rhémois.


Un curé de Picardie, appelé en témoignage, dit: «C'étoit la nuit, je mis la tête à la fenêtre, et quand je vis que je ne voyois rien, je retournai coucher avec Jeanne.»


Un homme de Créon, auprès de Bordeaux, demandoit au Palais des estaquettes: ce sont des aiguillettes de cuir. On ne l'entendoit point; son valet lui dit: «Anen-nous-en, non y a pas estaquettes; pensa bous esta à Créon?—Allons-nous-en, il n'y a point d'estaquettes; pensez-vous être à Créon?»


M. d'Elbœuf, père du dernier mort, aimoit le bon vin. Un jour, à la campagne, après avoir communié, le curé lui donna du vin dans un verre. Il le goûta et le trouva bon. «Monsieur le curé, lui dit-il tout bas, où l'avez-vous pris?—A la corne, monsieur.—Venez-vous-en dîner avec moi, et en apportez trois bouteilles.»


Bertault l'incommodé dit à une dame: «Cherchez-vous la rue du Bout-du-Monde? la voici.—Non, dit-elle, je cherche la rue des Deux-Boules.—Vous n'avez pas trouvé ce que vous cherchez?» répondit-il.


Un Espagnol du royaume de Murcie, pays fort chaud, venu en France l'hiver, comme il passoit par un village, les chiens aboyèrent après lui; il voulut prendre une pierre, il trouva qu'elle tenoit, à cause de la gelée. «Peste du pays! dit-il, on y attache les pierres, et on y lâche les chiens.»


Le feu Roi trouva un paysan naïf dans je ne sais quel village, vers Saint-Germain; il s'en voulut divertir et le fit approcher. «Hé bien, Monsieur, lui dit cet homme, les blés sont-ils aussi beaux vers chez vous qu'ils sont vers chez nous?» Il se nommoit Jean Doucet. Le Roi le prit en affection, et le mena à Saint-Germain. Là, il se mit à jouer à la pierrette avec lui, et lui gagna dix sols, ce dont l'autre pensa enrager. Le Roi en étoit si aise qu'il porta ces dix sols à Ruel, pour les montrer au cardinal. Un jour le Roi lui donna vingt écus d'or; il les prit, et, frappant sur son gousset, il disoit: «I vous revanront, Sire, i vous revanront; vous mettez tant de ces tailles, de ces diebleries sur les pauvres gens.» On lui fit faire une innocente d'écarlate avec de l'or, et on le renvoya à son village, d'où il venoit voir le Roi deux fois la semaine. Une fois il vint sans innocente, et dit pour raison qu'il étoit fête, et que quand il alloit à la messe, on ne faisoit que regarder son clinquant, et on ne prioit point Dieu. La famille de cet homme eut quelque petite gratification du Roi; je pense qu'il mourut en même temps que son maître. Ses neveux, qu'on appelle les Jean Doucet, ont voulu prendre sa place; mais ce sont de méchants bouffons [194].


Le maître-d'hôtel d'un seigneur napolitain eut prise au marché avec le maître-d'hôtel d'un autre seigneur, à qui emporteroit un poisson qu'ils marchandoient. Le premier fut gourmé, et on lui cassa les dents; il s'en plaignit à son maître, et lui dit plusieurs fois: «Monsieur, c'est votre affaire.» Le maître, ennuyé de cela, lui dit d'un fort grand sang-froid: «Tu verras, quand tu mangeras des croûtes, si c'est ton affaire ou la mienne.»


A une procession, un drôle qui étoit Jésus fut fouetté un peu trop fort par celui qui faisoit le bourreau: «Ah! lui dit-il, si jamais tu es Dieu, je t'étrillerai en diable.»


Une bonne femme dit à une Reine de France qui alloit en pélerinage à Chartres, pour avoir des enfants: «Vous n'avez qu'à vous en retourner, celui qui les faisoit est mort.»


Il y a à Montmartre un tableau de Notre-Seigneur et de la Madeleine, de la bouche de laquelle sort un écriteau où il y a Raboni. Les bonnes femmes en ont fait un saint Rabonny qui rabonnit les maris, et on y fait des neuvaines pour cela.


Une pauvre femme faisoit reproche à une autre d'avoir épousé un gueux de ces rues. «Dites un gueux, dit l'autre, qui ne demande qu'aux carrosses, et qui gagne quarante sols par jour.»


Un laquais de Champagne, qui étoit filleul de son maître, demandoit à tout le monde au palais si on n'avoit pas vu son parrain.


Un bourgeois de La Rochelle demandoit à Paris le logement de mademoiselle la secrétaire: c'étoit une femme de Paris qui, ayant épousé un homme de cette ville-là, y alla pour quelque temps avec lui pour voir ses parents; et, pour la distinguer, on l'appeloit mademoiselle la secrétaire, à cause que son mari, étoit secrétaire du Roi.


Un nommé Du Mousset, trésorier de France à Châlons, reçut un soufflet sur l'œil, en jouant; sa femme s'écria: «Ah! mon Dieu, mon cœur est borgne.» Une autre, racontant la maladie de son mari, disoit: «Je lui disois quelquefois: Mon cœur, tirez la langue.»


Maillet [195] signa ainsi une lettre d'amour: «Celui qui ne peut commencer de vous espérer, ni finir de vous écrire.» Ce pauvre poète alla trouver une femme qui chantoit sur le Pont-Neuf; il lui demanda combien elle donnoit de la plus belle chanson. «Un écu; mais si elle étoit si belle, si belle, on iroit jusqu'à quatre livres.» Il lui promit qu'elle seroit admirable. La voilà imprimée. Ce n'étoit qu'astres, que soleils, etc. On n'en vendit pas une. La chanteuse le mit en procès. Il va trouver Gombauld, lui conte l'affaire; Gombauld rendit l'écu qu'il avoit reçu, et le procès fut terminé.


Ceux de Rhetel, à l'entrée de M. de Nevers, avoient fait peindre, sur la porte de leur ville, des cerfs qui avoient le nez vert, et lui dirent: Nous sommes cerfs au né vert


Un homme avoit gagné six quarts d'écus au curé de Brie-sur-Marne; le curé ne le paya point. Le lendemain à l'offrande, au lieu de cracher au bassin, il dit: «Reste à cinq, monsieur le curé.»


Le grand-prieur de La Porte disoit: «Je ne suis pas plus à mon aise que quand je n'avois que vingt-cinq mille livres de rentes; cela ne me sert qu'à avoir plus de voleurs autour de moi. Mon sommelier dit que le vin lui appartient dès qu'il est à la barre, et n'a point d'autre raison à m'alléguer, sinon qu'on en use ainsi chez M. le cardinal; le piqueur prétend que le lard est à lui dès qu'il en a levé deux tranches; le cuisinier n'est pas plus homme de bien qu'eux, ni l'écuyer ni le cocher; sans parler du maître-d'hôtel, qui est le voleur major; mais ce qui me chicane le plus, c'est que mes valets de chambre me disent: «Monsieur, vous portez trop long-temps cet habit; il nous appartient.»


Autrefois on portoit un chaperon à l'enterrement de ses plus proches parents. Un gentilhomme des voisins de M. de Racan, ayant perdu sa femme, lui demanda comment il falloit qu'il fût pour l'enterrement. «Il y en a encore, dit Racan, qui prennent une robe et un chaperon.» Le bon nobilis prit une robe d'avocat et un chaperon de vieille, qui étoit large d'un demi-pied, et se le mit sur la tête.


Un Gascon, qui se mêloit de faire des vers, fit un poème des guerres de la religion, et en un endroit il disoit:

Il y eut grand' mêlée,
La rivière entre deux.


Un homme de La Rochelle disoit du feu Roi: «Il prit Arras en cinquante-quatre journées.»


Housset l'intendant, une nuit, fit semblant d'avoir la colique; sa femme le suit. Au lieu d'aller au privé, il alla coucher avec la suivante; elle les surprit. Depuis, on appela cela la colique-Housset.


Feu M. de Guise disoit à un honnête homme de Paris, qui avoit une maison proche de Meudon, sur le même coteau: «J'ai plus belle vue que vous.—Vous me pardonnerez, monsieur, car de ma maison je vois votre château, et de votre château vous voyez ma maison, qui n'est qu'une petite chaumière.»


Un Normand disoit naïvement: «M. de Longueville est un bon prince, il prend bien la peine de prier Dieu.»


Une grosse madame disoit à une simple femme: «Pour moi, j'aimerois mieux n'aller point en paradis que de n'y être au-dessus de vous.—Hé! madame, dit l'autre, quand vous serez au-dessus de nous, ne nous pissez pas au moins sur la tête.»


Le prince d'Orange, Maurice, aimoit fort les cochons de lait; ayant à traiter un ambassadeur, il dit à son maître-d'hôtel: «Qu'on nous fasse bonne chère, qu'on nous serve un cochon de lait sur l'assiette.»


Un gentilhomme fit appeler un autre en duel, parce qu'il l'avoit loué de grande mémoire: il avoit ouï dire que c'étoit marque de peu de jugement; et, après, quoiqu'il fût fort brave, il ne se trouva pas au rendez-vous, de peur de passer pour avoir de la mémoire s'il s'en étoit ressouvenu.


Pitard disoit à Théophile: «C'est dommage qu'ayant tant d'esprit, vous sachiez si peu de choses.» «—C'est dommage, répondit Théophile, que, sachant tant de choses, vous ayez si peu d'esprit.»


L'hôtesse du Lion-d'Or, à Saumur, étoit fort jolie, et avoit un gros brutal de mari. Un Gascon, voyant cela, lui dit: «Madame, je ne comprends point comment on vous a donnée à cet homme; il falloit que vous eussiez fait quelque gaillardise de fille.»


Un Gascon disoit que pour entrer chez le cardinal de Richelieu, il avoit dit: «Je suis à monsu de Biscarrat.» Et après, il ajouta: «Je ne lui faisois pas tort.»


Un Provençal vouloit avoir le bénéfice d'un homme, et, ne l'ayant pu persuader de le lui résigner, il l'enlève et le met en prison dans une cave; là, le poignard sur la gorge, il le presse de lui résigner son bénéfice; l'autre, qui n'avoit que cela pour tout bien, dit qu'il aimoit autant mourir. Le galant homme, le voyant si résolu, s'en va à Avignon trouver le vice-légat, lui expose qu'un tel étoit mort, et qu'il lui venoit demander son bénéfice. «Vous êtes venu trop tard, répond le vice-légat, je l'ai donné ce matin.—Mais, monsieur, répond froidement cet homme, quel fondement a eu celui qui vous l'a demandé?—Il m'a dit que cet homme ne paroissoit plus, et qu'on le tenoit pour mort.—Il n'est point mort, répliqua-t-il, et il n'en mourra pas.» Il avoit dessein de le tuer, s'il obtenoit le bénéfice.


Un de mes oncles avoit un cocher nommé Nicolas Volant; un de ses camarades lui emprunta vingt écus. «J'en veux avoir une promesse.» C'étoit dans l'écurie; il n'y avoit ni papier, ni encre: «Écris-la sur la muraille avec ton couteau.» Il écrit: «Je soussigné, reconnois devoir la somme de soixante livres, que je promets payer au porteur de la présente.


Un homme, qui avoit un valet fort sot, lui mit par écrit tout ce qu'il avoit à faire avec lui. Allant à la campagne, le maître tombe dans un fossé; il appelle ce garçon qui, au lieu de courir, lui crie: «Attendez, que je voie si cela est sur mon mémoire.»


Un de mes frères a un cocher qui prioit Dieu pour tout ce qu'il aimoit en la manière suivante: «Je prie Dieu pour moi, pour ma femme, pour monsieur et pour madame, pour mes chevaux et pour les enfans du logis.»


Deux cochers se disputoient une fois, et l'un disoit: «Je ne sais pourquoi vous niez cela; vous me l'avez dit en présence de vos chevaux.»


Le feu gazetier [196], à la révolte de Portugal, mettoit entre les titres du Roi de Portugal: Roi d'Aquen et d'Alen, et de delà la mer; au lieu qu'il falloit mettre: Roi de deçà et de delà la mer, à cause qu'il a quelques places en Afrique.


Son fils, qui est un sot au prix de lui, disoit l'autre jour, parlant de je ne sais quelle entrée: «Quand le magistrat eut achevé sa harangue, le canon commença la sienne.» Quand les ennemis étoient à Fismes (en 1650), il disoit, en parlant de Château-Thierry: «Notre bourgeoisie se rassure plus que jamais, surtout depuis l'arrivée du vicomte d'Espaux, qui s'est jeté dedans cette ville avec une bonne partie de la noblesse du pays.» Apparemment quelqu'un lui avoit écrit cela pour se moquer de lui; car le vicomte n'y mena que des vaches, des moutons et des cochons, pour les mettre en lieu sûr. Celui qui commandoit dans le château s'appelle Després; c'est un fort gros homme; son cocher disoit: «Mon maître a juré de crever sur le rempart.»


Castille, frère de Jeannin, ayant marchandé long-temps un petit chien à Bologne, s'en alla sans l'acheter; et quand il fut à quatre lieues de là, il renvoya un homme pour demander le nom de ce chien. Un autre de ses frères se piquoit tellement de belles mains, qu'il ne les montroit que sur de la panne noire pour les faire paroître encore plus blanches; la nuit, il les tenoit passées dans des rubans qui étoient attachées au dossier; il y mettoit toutes les drogues imaginables. Il en vouloit faire autant à son estomac; le camphre le tua.


Une paysanne, comme on portoit en procession le chef de saint Marc, le jour de sa fête, par les vignes, qui avoient été gelées pendant la nuit, dit naïvement: «Haussez, haussez-le bien haut, qu'il voie le beau ménage qu'il a fait.»


Une vieille femme n'alloit jamais à l'enterrement, et disoit: «Pourquoi irois-je? ils ne viendront pas au mien.»


Les capucins de Grasse prirent un garçon qui voloit leurs fruits; ils firent venir le père, qui lui dit: «Hé bien, si tu ne veux rien valoir, fais-toi au moins capucin.»


M. de Nevers, gouverneur de Champagne, étant logé dans l'hôtel-de-ville, à Vitry, vit je ne sais quel gaillard de bourgeois, dans la place, qui alla donner un coup de genou dans le derrière à un autre; il demanda à un officier qui l'entretenoit: «Qui est cet homme?—Monseigneur, lui dit-il gravement, c'est M. le Prince;» car nous appelons Rois et Princes ceux qui sont un peu fous.


Un Italien appela un homme, cavallo di Christo, pour dire un âne.


Un cocher d'un de mes amis, à qui son maître avoit dit de le venir éveiller à quatre heures pour partir à la fraîcheur, l'alla éveiller à deux, en lui disant naïvement: «Monsieur, dépêchez-vous de dormir; car vous n'avez plus que deux heures.» Quelquefois on a fait la même chose aux gens par malice.


Le vieux Pena, célèbre médecin, étoit tout de travers sur son mulet, et ne prenoit pas trop garde où il se mettoit. Un jour, il se fourra dans un bourbier; il ne savoit comment s'en tirer, et il disoit à son mulet: «Courage, mon ami, sors-moi d'ici; montre-toi le plus sage.»


Le maître d'hôtel de l'évêque de Mende mit sur les parties: Item, pour un pâté de six blancs, trois sols [197].


Furetière demanda de l'argent à son père pour acheter un livre: «Et sais-tu, lui dit-il, tout ce qui est dans celui que tu achetas l'autre jour?» C'étoit un dictionnaire. Quillet dit qu'il a vu un garçon qui vouloit traduire Calepin en françois [198].


Ma mère me dit un jour: «Pourquoi acheter des livres, n'avez-vous pas fait toutes vos études?»


Un François nommé La Fosse, qui est au service du grand-duc, traduit Tacite en Octaves.


Du Moulin, le ministre, dit à un homme de soixante-dix ans, qui se marioit, et qui étoit venu trop tard: «Une autre fois, venez un peu de meilleure heure.»


Le Pailleur avoit un frère curé vers Dreux en Normandie. Quand il prenoit quelque vicaire, il lui demandoit: «D'où êtes-vous?—D'un tel lieu.—Auprès de quelle ville, de quel diocèse?—De Séez, par exemple.—Vous êtes donc Normand?—Et voire; mais je n'y ai pas été nourri.»


Il y a un secrétaire du Roi, huguenot, nommé Courtaut, qui demeure exprès dans l'île Notre-Dame, «pour ramasser, dit-il, les pierres sur le quai, de peur qu'on ne les jette aux bateaux qui reviennent de Charenton,» et il croit rendre un grand service à l'Église [199].


Madame de Ville-Savin, qu'on appelle la très-humble servante du genre humain, ayant trouvé mademoiselle Véron qui sortoit d'une maison où elle entroit, se mit à l'embrasser. «Ah! ma chère, remontez; quoi, je vous verrois si peu!» Elle la fit remonter, et après elle demanda qui elle étoit; «car; ajouta-t-elle, j'ai si mauvaise mémoire!...—C'est mademoiselle Véron, lui dit quelqu'un.—Jésus! reprit-elle, avoir oublié le nom de la meilleure de mes amies!...» Elle ne l'avoit jamais vue.


Le jardinier de madame de L'Estang, ma belle-sœur, en lui écrivant de Beauce, mettoit pour adresse, devant la maison fondue, parce qu'il y avoit trois ans qu'une maison fondit devant notre porte.


Un Gascon, m'entendant appeler Gédéon chez mon père (c'est mon nom de baptême), m'appeloit M. de Gédéon [200].


M. de Vendôme, bâtard de Henri IV, passant à Noyon, logea aux Trois-Rois. Le fils du maître de la maison, nouvellement reçu avocat, crut que sa nouvelle dignité l'autorisoit à aller faire la révérence à M. de Vendôme; il y va. M. de Vendôme lui demande qui il étoit. « Monsieur, je suis le fils des Trois-Rois.—Le fils de trois Rois..... Monsieur, je ne suis le fils que d'un; vous prendrez le fauteuil: je vous dois tout honneur et tout respect.»


Un ivrogne pissoit dans sa cour; il pleuvoit et une gouttière alloit. Il demeuroit trop long-temps; sa femme l'appelle. Il croyoit que c'était en pissant qu'il faisoit le bruit que faisoit l'eau de la gouttière, et il lui répondit: «Va, va, je pisserai tant qu'il plaira à Dieu.»


Une fille (mademoiselle Armenauld) disoit que quand elle trouvoit des ordures dans un livre, elle les marquoit pour ne les pas lire.


Un gentilhomme, qui nourrissoit assez mal sa meute, ayant trouvé une charogne, se mit à crier: «Au plus nécessaire, chiens, au plus nécessaire!»


Un Ecossois qui n'avoit pu vendre son hareng à propos, s'alla promener, aux fêtes de Pâques, à Bordeaux, dans les allées du cardinal de Sourdis; le rossignol chantoit déjà. «Ah! petit l'oiseau, dit-il, toi n'avoir point d'hareng à vendre.»


Une madame Goile, femme d'un vendeur de marée, en titre d'office [201], personne bien faite, comme on lui demanda chez madame d'Agamy si elle n'avoit jamais eu la vérole: «Je n'ai eu, dit-elle, ni la grosse ni la petite.»


Un avocat au conseil, nommé Chapuiseau, fit un cachet où un chat puisoit de l'eau. Il composa un livre qu'il appeloit le Devoir de l'homme. Il promit à un conseiller, nommé Champdent, de le lui montrer manuscrit; il fut chez ce conseiller, et, n'ayant trouvé que madame, il lui voulut laisser son livre (c'était un gros rouleau qu'il avoit fourré dans ses chausses, et qui paroissoit). Il y met la main pour le tirer. «Jésus! monsieur Chapuiseau, que faites-vous?—Madame, dit-il naïvement, c'est le Devoir de l'homme


Sa belle armoirie m'a fait souvenir d'un idiot de La Rochelle, qui montroit la porte de Cogne à un autre, et lui disoit: «Ces fleurs-de-lys, c'est le Roi; ce navire, la ville, et ce cheval, c'est mon père.» Son père étoit maire quand cette porte fut bâtie, et il y avoit mis ses armes.


Un chancelier voulant expliquer au Roi une lettre du Roi Jacques, où il y avoit: Mitto tibi quinque molossos [202], dit: Cinq mulets. «Voire, dit le Roi, des mulets.» Quelqu'un dit: «Ce sont des dogues.—Je croyois, dit le chancelier, qu'il y eût muletos


Un pédant d'environ quarante-cinq ans prit un jeune corbeau, et dit: «Je veux voir s'il vit cent ans, comme le disent les naturalistes.»


Une dame huguenotte, à qui on demandoit de quel canton étoit son suisse, dit: «Il est du canton de Villiers-le-Bel [203]; il y a beaucoup de huguenots dans ce pays-là». Elle croyoit que l'habit faisoit le suisse. Une autre disoit «du point de Gênes de Villiers-le-Bel.» On y fait de la dentelle; mais elle n'est point belle.


Un évêque de la maison d'Ambres étoit un petit tyranneau; il ne vouloit point payer de la paille qu'on lui avoit fournie, et disoit en riant: «Ne savez-vous pas bien que l'ambre attire la paille?»


Une blanchisseuse, pour bien louer ma mère, après avoir dit cent fois: «Oh! la brave femme que c'est!» ajouta: «Et qui a bien soin du linge!»


Le Nostre [204], jardinier des Tuileries, mais qui est très-habile en son métier, et qui gagne bien plus avec les gens qui ont de belles maisons qu'avec le Roi, a fait des armes sur lesquelles, au lieu de casque, il a mis un gros chou-cabus dont les premières feuilles pendent des deux côtés, comme des plumes. Le Nostre est curieux et a de fort beaux tableaux. Il laisse la clef de son cabinet en un certain endroit que tous les honnêtes gens savent; et, quoiqu'il y ait de fort petites pièces et même des livres, il n'a jamais rien perdu.


Madame de La Brène, femme d'un Luxembourg, alla pour voir la mer; là, elle demanda où étoit donc ce flux et reflux dont elle avoit tant ouï parler. On le lui montra du mieux qu'on put. «Voire, dit-elle, cela, le flux et reflux! Eh! ce n'est que de l'eau verte!»


Une fille qui avoit été élevée comme orpheline par l'église de Charenton, s'en alla un jour au consistoire et leur dit: «Messieurs, j'ai lu dans saint Paul qu'il vaut mieux se marier que de brûler; s'il vous plaît de me donner un mari, car je sens que j'en ai besoin?» Elle dit cela avec la plus grande naïveté du monde: les voilà tout déferrés; ils lui dirent qu'elle sortît. Ils ne se purent regarder sans rire. Ils la marièrent du mieux qu'ils purent.


Menour, intendant des jardins du Roi, étoit logé aux Tuileries; il avoit un valet qui, quand il venoit des gens demander si ce n'étoit pas là qu'on voyoit les bêtes, leur disoit que oui; puis les menoit dans une salle, et les faisoit passer devant un grand miroir; après il leur disoit: «Vous les avez vues.» Et, s'ils étoient assez bons pour payer par avance, il se moquoit d'eux.


Un paysan de Colombe portoit la croix à une procession qu'on faisoit de nuit dans les vignes, de peur qu'elles ne gelassent; en passant dans la sienne, il tâta le bourgeon, et l'ayant trouvé gelé, il jeta la croix en disant: «La portera qui voudra! je n'ai plus que faire à la procession.»


Feu Melson, grand goguenard, étoit secrétaire interprète des langues étrangères, et n'en savoit pas une. Des ambassadeurs suisses regardoient dîner la Reine, et parloient entre eux tout haut. Elle fait appeler Melson et lui dit: «Faites votre charge, que disent ces messieurs?—Ils disent que vous êtes belle, madame, ou s'ils ne le disent pas, ils le devroient dire.»


La fille aînée de Melson, qui est une personne assez plaisante, dit que son père ne faisoit point carême, et qu'une fois qu'on lui avoit servi une longe de veau, il n'y toucha pas, et se contenta de son potage. Charlotte [205], c'est le nom de cette fille, suivit cette longe de veau en bas, et ne put s'empêcher d'en prendre un lardon; une de ses sœurs arrive, qui la défie en riant d'en manger: elle en mange; sa sœur se laisse tenter. Les deux autres, car elles étoient quatre, surviennent: la longe de veau fut expédiée. Le lendemain, le père demande sa longe de veau. On lui dit l'histoire; il ne gronda point autrement, mais il dit qu'il vouloit qu'elles s'en confessassent. Pâques venu, les trois cadettes dirent à leur sœur: «Au moins nous n'avons rien de la longe de veau, et c'est à vous à vous en confesser pour toutes; c'est vous qui nous avez induites en tentation.—Ma foi, leur dit-elle, je n'en ai pas dit un mot.» Elle retourne au confesseur qui étoit bien empêché, et lui dit: «Mon père, telle et telle chose est.—Allez, dit-il, dites deux Ave davantage.» Elle retourne. «Hé bien, ma sœur?—Dame! dit-elle, je n'ai pas parlé de vous.» La seconde va donc. Elle eut assez de peine à aborder le père. «Qu'y a-t-il encore? lui dit-il.—C'est que....—Voilà bien de quoi me rompre la tête; dites deux Ave de plus comme votre sœur.» La troisième fend la presse, et lui voulut parler encore de cela. Il se fâcha, et se levant de son confessionnaire: «Que tous ceux, dit-il, qui ont mangé de la longe de veau disent huit Ave, et qu'on ne m'en parle plus.»


Un paysan se sentant un peu ivre, au lieu de passer sur une poutre qui étoit sur un ruisseau, se mettoit dans l'eau, et tenoit la poutre: «Je ne saurois que me mouiller, disoit-il, au lieu que si je tombois, je me blesserois peut-être bien fort.»


Un procureur du Châtelet disoit que pour dix ans, il avoit tourné le dos à Dieu, afin de faire sa fortune.


Un cordonnier dit à un médecin: «Monsieur, je vous trouve toujours étudiant; n'êtes-vous pas passé maître? Pour moi, je faisois tout aussi bien des souliers le jour que je fus reçu, que j'en saurois faire à cette heure.»


On alloit pendre un Picard; une femme de sa connoissance le rencontra. «Hé, un tel, comment te portes-tu?—Je me porte assez bien, répondit-il; mais cette penderie me déplaît.»


Une voleuse cacha une montre sonnante où vous savez. On la dépouille; on ne trouve rien; mais, par malheur, la montre sonna.


Un Languedocien, amoureux d'une fille nommée Catine, fit une espèce d'histoire contenant neuf livres, qu'il appeloit la Catinerie.


Un homme, en racontant ses voyages, mettoit des pays où ils ne sont point. Quelqu'un lui dit: «Vous n'observez pas la géographie.—Pour la géographie, répondit-il, nous la laissâmes à main gauche.»


La femme d'un commis de M. Rambouillet [206], nommé Paris, craignoit extrêmement le tonnerre. Il tonne un coup; elle prend de l'eau bénite, et fait le signe de la croix; il tonne encore, elle en fait apporter davantage et s'en frotte les deux paumes des mains; le tonnerre se renforce, elle en fait venir un plein bassin. Voici un assez grand coup, elle s'en frotte tout le visage; il fait un coup furieux, elle se jette tout le bassin sur la tête.


Pour faire entendre à un homme quel étoit le père des quatre fils Aymon, on lui dit: «Par exemple, si maître Jean, le maréchal, avoit quatre fils, on diroit les quatre fils maître Jean le maréchal, comme on dit les quatre fils Aymon; c'est qu'Aymon avoit quatre fils. Eh bien! qui est donc le père des quatre fils Aymon?—C'est, dit-il, maître Jean le maréchal [207]


Un paysan ne manquoit jamais à s'enivrer après avoir fait ses pâques; et, comme on lui en faisoit réprimande: «Quoi! disoit-il, mon Dieu ne me vient voir qu'une fois l'an, et je ne lui ferois pas bonne chère?»


Un curé passoit l'eau pour porter le Corpus Domini à un malade; un pâtre de sa paroisse étoit delà la rivière; il faisoit assez mauvais temps, il vouloit qu'on le remît à bord; et, comme le batelier lui disoit: «Quoi, vous portez Notre-Seigneur, et vous avez peur!....—Ne laisse pas de me mettre à bord, dit le prêtre, le diable emporte qui s'y fie!»


Un bourgeois de Reims, ennuyé d'attendre qu'une compagnie d'infanterie qui étoit à la porte eût permission d'entrer dans la ville, vouloit passer tout à cheval par un tourniquet, et il s'y obstina quelque temps. Un soldat se mit à crier à un autre: «Eh! La Verdure, Hérode, à ce que je vois, n'a pas tué tous les Innocents


Un père Crochard eut ordre de la Reine-mère d'instruire une huguenotte; il y eut pour cela un souper où on y servit un grand pâté. Le père, qui étoit fort ignorant, s'y prit ainsi: «Vous voyez bien, dit-il, ce pâté; tout en est bon, hors ce petit endroit brûlé. Tout ce bon, ce sont les catholiques; ce petit endroit brûlé, ce sont les huguenots. Vous ne voudriez pas manger de cet endroit?» Cela la persuada.


Un capucin croyoit avoir fait une belle stance du Benedicite, et avoit fait ceci sur la lune:

Reine de la moitié de l'an,

Vous, de qui le vaste océan

Suit le carrosse comme un page,

Louez le seigneur obligeant

Qui, pour avoir cet équipage,

Par les mains du soleil, vous prête de l'argent.


Un bourgeois de Troyes, nommé Chaumont, n'avoit qu'un fils et une fille; la fille étoit mariée, le fils étoit bachelier de Sorbonne. Ce garçon étoit logé dans la Sorbonne même; cela se fait sous le nom d'un docteur. Il mourut; le père vint à Paris durant sa maladie: le voilà au désespoir. Son gendre lui dit: «Monsieur, je m'en vais en Sorbonne pour mettre ordre à tout pour l'enterrement, etc.—Oui, dit le bonhomme, et prenez garde à ses flageolets.» Il en avoit les meilleurs du monde.


Comme le premier président de Bellièvre [208] n'étoit encore que conseiller-d'Etat et ambassadeur à Londres, un Anglois, qu'on avoit fâché dans la cuisine, vint dire à madame l'ambassadrice qu'on l'avoit menacé de lui couper les c........ Cette femme dit: «Fi le vilain!» Il s'excusa, en disant qu'au vilain mot il y avoit deux points sur l'U, et que ce n'étoit pas la même chose.


Un comédien, ne se souvenant pas d'un vers qui rimoit en ame, dit:

Hélas! madame, hélas! madame, hélas! madame.


Madame Nolet avoit un laquais qui portoit Amadis à l'église: à cause que ce livre commence par ces mots: Un peu après la mort et passion de Notre Seigneur, il le prenoit pour un livre de dévotion [209].


Le laquais de l'abbé Favre dit à une dame qui vouloit qu'il allât dire à son maître qu'il se dépêchât de s'habiller, et qu'elle paieroit sa messe: «Pour qui le prenez-vous, madame? Je veux bien que vous sachiez que mon maître ne dit point la messe pour de l'argent; il la dit pour son plaisir.»


Un maquignon, à Rouen, voulant bien louer son cheval, dit: «Il a la bouche admirable, et a, pour tout dire, une bouche de Coquerel;» c'étoit un avocat célèbre en Normandie. En faisant aller son cheval, il disoit: «Ah! bouche de Coquerel!»


Borbonius, père de l'Oratoire [210], qui ne savoit que du latin, et qu'on fit de l'Académie françoise, à cause de ses vers latins, quand ce vint à opiner sur abominer, dit: «Je l'aimerois mieux qu'exécrer


Des fous d'amoureux, en buvant à la santé de leurs maîtresses, se passèrent dans la forcele de l'estomac des rubans qu'ils en avoient eus. Un d'eux en mourut, la gangrène s'y étant mise; un autre en fut fort malade, car il eut un apostume épouvantable; et si le chirurgien, en le soignant, n'eût aperçu un bout de ruban, on n'eût point su d'où venoit sa fièvre; car il vouloit que ce ruban y demeurât, et cachoit son apostume. Le chirurgien tira le ruban sans en rien dire: le pus vint, et ce maître-fou fut guéri.


Un libraire de Saumur, nommé Lerpinière, tenoit des étrangers en pension. Un jour qu'il y avoit un lièvre à dîner, il voulut faire le goguenard; et, sur ce qu'un d'eux lui avoit demandé comment on prenoit les lièvres en France, il lui dit qu'on semoit des fèves dures en certains endroits, et que, comme le lièvre vouloit les casser, il fermoit les yeux, et qu'en cet instant on le happoit. En disant cela, il les ferma; l'étranger, qui vit qu'il se moquoit de lui, lui donna un bon soufflet qui fit bien ouvrir les yeux au libraire.


Un pauvre diable, avocat huguenot de Castres, nommé Merle, devint ici amoureux d'une gourgandine, qu'il épousa, disoit-il, pour la retirer du vice. Pour lui témoigner son amour, il mit les dix catégories en vers.

La substance, la quantité,

La relation, la qualité,

Agir, patir (languir sans cesse),

Où, quand (finiront mes ennuis)?

Situation, avoir (sont dix

Justes témoins de ma détresse).

Il disoit que ce qui étoit enclos de parenthèse étoit superflu. Il fit tenir un de ses enfants à M...... [211], en lui disant: «Monsieur, on m'a dit que vous nourrissiez un merle [212], vous en nourrirez bien deux.» Il en fit tenir encore un au fils aîné, et un jour il leur mena ses enfants en leur disant: «Voilà les fillaux de votre maison.» Une fois, il fit je ne sais quels vers, où le merle se mettoit sous la protection de l'aigle, son roi, son seigneur et son maître, à cause qu'il y avoit, disoit-il, un aigle dans leurs armes; mais il se trompoit encore comme au rossignol, car ce sont des pigeons. Il laissoit toujours l'enseigne de son logis en grosses lettres: Demeure de Merle, sieur de la Salle. Il disoit: «Je suis un pauvre gentilhomme, fils d'un procureur à la Chambre de l'édit de Castres.» Il se mit en tête qu'il étoit de la maison de Marle, la meilleure de la robe, mais qui est faillie [213]. «Mais pourquoi vous appelez-vous Merle?—C'est, disoit-il, qu'en Champagne, d'où vient cette maison, on met un a pour un e, et on dit Marle au lieu de Merle


Un autre impertinent de Castres avoit fait des vers à la Reine-mère, et il y avoit en un endroit:

Madame, vous avez trois uniques enfants,

Dont les uns sont petits et les autres sont grands.

En ce pays-là, un enfant, c'est un garçon.


Un conseiller-d'État, en mourant, défendit qu'on mît la qualité de conseiller du Roi dans son billet d'enterrement. «Il est si mal conseillé, dit-il, que j'aurois peur qu'on ne m'en demandât compte en l'autre monde.»


Les gueux qui demandoient sur le chemin de Charenton, ne demandoient jamais qu'au nom de Dieu et de Notre Seigneur; jamais au nom de la Vierge ni des Saints.


M. Lumagne, banquier, disoit à sa femme, comme elle alloit à confesse: «Ma mie, ne manquez pas de vous confesser que vous en avez refusé à votre mari.—Hé! répondit-elle, monsieur Lumagne, vous en ai-je jamais refusé?»


M. de Gordes, capitaine des gardes, disoit à un garde dont il avoit donné la charge, croyant qu'il avoit été tué: «Ce n'est pas vous, vous êtes mort.»


Un paysan me disoit, parlant d'un de ses voisins qui étoit mort: «Il y faudra bien tous venir. Mais ardez, monsieur, il y fera aussi bon dans cent ans qu'à cette heure.»


Carlincas, languedocien, qui a fait de si jolies épigrammes, et qui est mort capitaine en Hollande, vint à Paris sans un sou, trouver son aîné qui étoit soldat aux gardes. «Hé! lui dit l'aîné, que viens-tu faire ici? j'ai bien de la peine à vivre, je tire le diable par la queue, et tu me viens encore tomber sur les bras.—Est-il possible, dit Carlincas en pleurant, qu'un garçon qui n'a que dix-huit ans, et qui a de quoi plaire aux dames, ne trouve pas à gagner sa vie dans une ville comme Paris?....»


Bauyn, conseiller au parlement, voyant que lui et Perrot de la Malemaison étoient entrés en même jour à la grand'chambre, se mit à lui en faire compliment. «Je me réjouis, dit-il, qu'après avoir fait nos classes ensemble, soutenu ensemble un acte, étudié en droit, été reçus conseillers [214], et mariés en même temps, nous soyons encore montés ensemble à la grand'chambre, on peut dire de nous: Arcades ambo.—Bon pour vous et pour votre mulet», répondit l'autre. Ce Perrot n'étoit pourtant pas un grand personnage, mais il rencontra bien cette fois-là. Il avoit un clerc à qui il demandoit: «Un tel, suis-je prêt pour ce procès?» Ce clerc s'appelle Bessin. On disoit: «Ce n'est pas un conseiller-clerc, mais c'est un clerc-conseiller que Bessin.»


Le curé de Pantin, à une lieue de Paris, pria les marguilliers de sa paroisse de lui laisser faire l'inscription d'une verrière qu'ils avoient fait mettre à l'église, et, après y avoir rêvé long-temps, il fit ces deux vers:

Les marguilliers de Sainte-Marguerite [215]
Ont fait bouter cette verrière icyte.


Un sergent qui jouoit fort mal au piquet, disoit à ceux qui rioient de ses bévues: «C'est vous qui me faites faillir; je ne fais pas une faute quand personne ne me regarde.» Il n'avoit garde de les voir.


Une fois qu'il y avoit des comédiens espagnols à la cour, une dame pria sérieusement mademoiselle de Neufvic de l'avertir quand il faudroit rire.


Le cardinal Baronius empêcha qu'on ne fît pape le cardinal Tosco, en disant: «A Dieu ne plaise que je donne ma voix à un homme qui a toujours à la bouche le mot de cazzo!» Ce Tosco disoit après: «Questi furfanti non han voluto far mi papa Cazzo, ed han fatto un papa coglione.» Son cocher, au sortir de là, lui ayant demandé où il vouloit aller: «Al Fiume,» répondit-il. On l'eût appelé Cazzo primo. Il dit à Paul V, qui le vouloit faire son vicaire: «Santissimo Padre, non ho potuto esser vicario di Pietro, non voglio esser vicario di Paolo.»


Un ministre gascon, nommé Tournon, prêchant ici contre le purgatoire, dit «que c'étoit une rôtisserie d'âmes.» Un autre, nommé d'Huisseau, disoit: «Or, comme le cerveau est la partie la plus éloignée des feces.» Il vouloit dire fæces [216], en latin. Le peuple entendoit fesses, et des femmes me disoient: «Voilà un vilain homme, de parler de c.l en chaire.»


On appeloit Méreau et Briquet, l'un beau-frère, l'autre gendre de M. Bignon: les martyrs de M. Bignon; car il leur fit prendre des charges d'avocat-général au grand conseil et au parlement, dont ils n'étoient point capables, et ils crevèrent tous deux à force de se tourmenter à étudier et à travailler.


Les jésuites, quand le prince de Conti fut mis dans leur collége, firent peindre feu M. le Prince couché, qui montroit du doigt une montagne éclairée, sur laquelle un ange tenoit le portrait du prince de Conti avec ces mots: Claro lux addita monti. Leur collége s'appelle le collége de Clermont. Ne voilà-t-il pas qui est beau!....


Un valet maltois, qui étoit à un chevalier de la suite de l'abbé de Retz, comme nous étions au palais Farnèse [217], à Rome, voyant qu'on nous disoit qu'un certain marmouset avoit été adoré par les païens, y alla dévotement faire toucher son chapelet.


Madame Sanquin, femme du maître-d'hôtel ordinaire de Henri IV le feu s'étant pris à sa chambre, jeta un grand miroir par la fenêtre, de peur qu'il ne fût brûlé.


On alloit pendre un Gascon et un Picard; le Picard pleuroit, le Gascon lui en faisoit honte. «Cela est bon, dit le Picard, pour vous autres Gascons qui avez accoutumé d'être pendus.»


Un Allemand, à la paume, demanda à boire; on lui donna de la bière: il en souffla l'écume, en disant que cela faisoit venir la gravelle.


Le fermier de madame de L'Estang [218] (en 1652) lui écrivoit: «Je n'ai pu tenir contre l'armée des Princes; car il y a une brèche à votre cour, comme vous savez.» Notez que c'est une maison plate.


Madame d'Usez, seconde femme de feu M. d'Usez [219], alla voir la Reine un peu après ses noces; la Reine lui dit: «Eh bien, madame d'Usez, M. d'Usez vous a-t-il donné de beaux habits?—Non, dit-elle, madame, il ne m'a pas encore accoutrée.»


En un village d'Espagne, on condamna un tailleur à être pendu; les habitants allèrent trouver le juge, et lui dirent: «Cela nous incommodera bien, car il n'y a que ce tailleur. Laissez-le-nous, et, si c'est que vous vouliez pendre quelqu'un, nous avons deux charrons, prenez lequel il vous plaira: ce sera assez d'un de reste.»


Un Allemand disoit à un Italien: «Non sum fœmina, sed masculus.Tanto melius,» répondoit l'autre.


La veuve d'un chandelier avoit un garçon qui lui demanda en grâce qu'elle le laissât coucher au coin de son feu; après il lui demanda permission de se mettre au pied du lit; enfin, il se met dedans, et là, vous m'entendez bien. Elle faisoit semblant de dormir, puis quand elle sentit que c'étoit fait, elle dit: «Ah! méchant garçon.—Maîtresse, lui dit-il, ne vous hobez; ceu qui y est, y est; Dieu y boute l'âme!»


Le maréchal de Cossé, pour ne pas faire la guerre contre les huguenots, disoit: «Si Dieu est dans l'hostie, ils ne l'en ôteront pas; s'il n'y est point, nous ne l'y mettrons pas.»


Un bourreau vouloit quitter la ville d'Angers parce qu'on n'y faisoit point d'œuvre délicate, qu'on n'y faisoit que pendre.


Loyauté, avocat, disoit aux conseillers qu'il faisoit une compilation d'arrêts impertinents; mais qu'il étoit accablé, qu'il en avoit déjà six volumes in-folio.


Deux avocats bègues plaidèrent à Angers devant le lieutenant particulier, qui étoit un rieur; il les avertit l'un et l'autre de mieux prononcer; ils n'en firent rien. Lui, pour se moquer d'eux, au lieu d'une sentence, dit: «Après qu'un tel a dit: Babe, babe, babe, et qu'un tel a dit babe, babe, etc., nous avons ordonné et ordonnons: Babe, babe, babe.» Il y eut procès pour cela: à Paris on n'en fit que rire.


Un autre lieutenant particulier du Châtelet avoit promis à un homme de lui donner surséance, sans intérêts, quoiqu'il eût passé une obligation; il prononça donc comme il avoit promis. Le procureur lui cria: «Monsieur, je suis fondé en obligation.—Et moi, dit-il, en promesse


Une femme, ayant été mise à la Bastille, crut que les prisonniers pouvoient épargner sur ce que le Roi payoit pour eux à M. Du Tremblay [220], et qu'ils ne payoient que selon qu'ils mangeoient; elle ne demandoit quasi que des œufs, et en sortant elle dit qu'elle vouloit parler à madame la geôlière pour compter avec elle.


Une huguenotte ayant à passer une grande cour au grand soleil, dit: «Il faut passer ce torrent de Cédron.» Une autre disoit: «Cette zautaride du Pont-Neuf,» pour cette zone torride.


On demandoit à un Saintongeois: «Est-ce toi ou ton frère qui est mort?—Ce n'est pas moi, dit-il; mais j'ai été bien plus malade que lui.»


Il y avoit un impertinent à Chinon, qui avoit fait des harangues pour tous les accidents de la vie, et même pour la potence.


Bautru sauva je ne sais quel homme de la corde. «Monsieur, lui dit-il, je vous remercie. Ce n'est pas que le monde ne soit composé de gens qui sont pendus et de gens qui ne le sont pas.»


Du Haillan demanda un jour un bénéfice à Henri IV, et lui dit: «Sire, vous faites du bien à des traîtres, et n'en faites pas à vos véritables serviteurs.—Pardieu! dit le Roi en colère, je fais du bien à qui il me plaît.—Il est vrai, Sire, répliqua Du Haillan; mais il vous doit plaire d'en faire à des gens comme moi.»


Philippe III dit au marquis de Sainte-Croix, à une promenade: «Cobrios, marquez di Santa-Cruz.» Le marquis lui fait une grande révérence comme pour le remercier, quand le Roi ajouta: «Porque il sol no le haga mal [221].»


Son fils, Philippe IV, avoit gagné je ne sais quelle Espagnole sans se faire connoître, en lui promettant une bague de cinq cents écus; mais quand il fut près de conclure, il se découvrit. Elle, à l'instant, tire la bague de son doigt et la lui rend en disant: «Assez vuestra maestad.» Lui, pensant qu'elle croyoit être assez payée de l'honneur qu'il lui faisoit, la lui voulut remettre au doigt. «Non, non, dit-elle, puisque vous êtes roi, vous paierez en roi; il me faut dix mille écus.» Et il n'en put rien avoir.


Un procureur, las de tous les interrogatoires que sa femme faisoit à une servante qu'elle vouloit prendre, en lui demandant: «Savez-vous faire ceci? savez-vous faire cela?» dit: «Savez-vous f......?» La fille, qui ne savoit ce que cela vouloit dire, répondit: «Monsieur, pour peu qu'on me le montre, je l'aurai bientôt appris.»


Les Hollandois ayant pris Wesel, le curé pria le prince d'Orange qu'on le fît ministre du lieu. «Je suis accoutumé, lui dit-il, à gouverner ce peuple ici, et eux sont accoutumés à moi; je les rendrai bons sujets des États.»


Ceux de Saint-Maixent, en Poitou, quand le feu Roi y passa, mirent une belle chemise blanche à un pendu qui étoit à leurs justices [222], à cause que c'étoit sur le chemin.


La femme du ministre Aubertin disoit de son mari, chez qui il y avoit souvent concert de musique, que de tous les instruments, il n'y en avoit point qu'elle aimât tant que la flûte de M. Aubertin. Il jouoit de la flûte douce.


Un apothicaire gascon écrivoit: «Je couche toutes les nuits avec madame de Pranzac.» C'étoit une belle personne. Il vouloit dire qu'il couchoit dans la même chambre qu'elle.


Un maire de La Rochelle, nommé Fiefmignon, pour voir si une cuirasse étoit à l'épreuve, fut si sot que de se la mettre sur le corps, et de se faire tirer par son valet un grand coup de mousquet. Par bonheur, la cuirasse se trouva bonne; mais le coup le porta par terre tout hors de lui.


Une mademoiselle Massane, fort jolie fille, un jour qu'on lui avoit dit qu'elle ordonnât à dîner, fit mettre un lapin au pot, et ma femme [223], à l'âge de treize ans, ordonna qu'on apportât un demi-bœuf de la boucherie.


Le baron de Ville enlevoit avec quarante chevaux mademoiselle de Longueval [224], qui avoit pour toute défense sa tante, une suivante et un petit laquais: elle étoit en carrosse. Un des braves qui assistoient le baron lui vint demander avec grand empressement: «Monsieur, tuerons-nous d'abord?» Depuis on a pensé en faire enrager ce pauvre nobilis.


Un sot de Paris, nommé Mortfontaine-Hotteman, jouoit à un petit jeu où il faut dire la pensée de toute la compagnie, et n'ayant pas bien dit à sa fantaisie, s'écria: «Ah! je suis un sot!...—Vous l'avez trouvé cette fois-là; vous avez dit la pensée de toute la compagnie.»


Un homme que je n'avois jamais vu, en voyant marier des gens à Charenton, me dit: «Je serois bien fâché d'être en leur place.—Haïssez-vous tant le mariage? lui dis-je.—C'est, répliqua-t-il, que ma femme seroit morte.»


Une bourgeoise, qui avoit un fils au collége des jésuites, lui disoit: «Seras-tu toujours dans ces écuries?» Elle vouloit dire décuries.


Le feu Roi d'Angleterre [225] aimoit fort M. de Bellièvre, depuis premier président. Un jour il le mena promener, et voulut que tous ceux qui l'avoient accompagné en fussent, jusqu'à un valet de chambre. M. de Bellièvre, voyant que le Roi le vouloit absolument, ne lui dit point qui étoit cet homme. On alla quasi au galop, car les carrosses vont vite en ce pays-là. «Or çà, monsieur l'ambassadeur, dit le Roi, combien croyez-vous que nous ayons fait de chemin?—Trois milles, Sire.» Après, le Roi demanda à tout le monde, jusqu'à ce valet de chambre qui dit: «Ah! Sire, nous sommes bien à dix milles d'ici


Mario Frangipani, cadet et héritier de Pompeo, son frère, haïssoit toujours le pape et les cardinaux. Quelqu'un lui disoit: «Mais pourquoi haïssez-vous les cardinaux?—Je les hais si peu, dit-il, que je voudrois qu'ils fussent tous papes.»


Madame Cormel faisoit un jour des réprimandes à une gueuse qui traînoit deux ou trois petits enfants, de ce qu'elle ne se contenoit point, n'ayant pas de quoi se nourrir elle seule. «Que voulez-vous? lui répondit la pauvre femme, quand le pain nous manque, nous nous ruons sur la chair.»


Rotrou [226], le poète comique, ou tragique, ou tragi-comique, comme il vous plaira, cajoloit une fille à Dreux, sa patrie. Elle le recevoit assez mal. On lui dit: «Vous maltraitez bien cet homme: savez-vous bien qu'il vous immortalisera.—Lui? dit-elle. Ah! qu'il y vienne pour voir.»


Un laquais qu'on envoyoit dans la rue Dauphine, comme on lui demandoit s'il reviendroit bientôt: «C'est, répondit-il, selon les chansons qu'on chantera sur le Pont-Neuf.»


Un laquais qu'on avoit envoyé d'une campagne à trois lieues de Paris, pour savoir à la ville des nouvelles de quelqu'un, fut deux ou trois jours en son voyage, et, arrivant comme on se réjouissoit à table, dès la porte, il se mit à crier: «All' a dit comme cela: Il se porte un peu mieux.» Il entendoit parler de la femme du malade.


Des porteurs de chaises disoient: «Regardez quel embarras depuis qu'on joue le Camard.» Ils vouloient dire Camma [227] qu'on jouoit à l'Hôtel de Bourgogne.


Un intendant de Languedoc, dont la femme étoit morte dans Béziers, vouloit que la province la fît enterrer à ses dépens. Un député qu'on lui envoya lui dit que cela tireroit à conséquence. «Si c'étoit vous, Monsieur, on le feroit volontiers.»


Un Languedocien, qui croyoit qu'on voloit à toutes heures sur le Pont-Neuf, y passant, se mit à courir de toute sa force, en tenant son chapeau à deux mains. Il trouva un homme du pays qui lui dit: «Qu'y a-t-il?—J'ai passé, dit-il, et j'ai encore mon chapeau.» Un autre laissa sa montre à un de ses amis à Orléans, de peur qu'on ne la lui volât ici.


Boisset, le musicien, fut prié par Gombauld d'assister à la lecture d'une pièce de théâtre; il s'y ennuyoit terriblement, et quand un acte fut lu, il demanda à L'Estoile [228]: «Monsieur, y a-t-il bien des actes à une pièce?—Selon, dit L'Estoile, quelquefois onze, quelquefois vingt-quatre.» Cela l'épouvanta. Il donna un tour de pilier [229] sans attendre davantage.


Un cocher, après avoir donné l'avoine à ses chevaux, ôtoit son chapeau, et disoit Benedicite tout du long.


En Hollande, on fait payer la qualité et le bruit; ils demandent assez plaisamment quand il y a deux ou trois François: «Quel régiment est logé céans?» Une fois, M. de Vendôme, étant à cheval, s'arrêta sous la porte de l'hôtellerie, pour laisser passer une ondée. Il fallut payer le couvert et l'ordure que ses chevaux avoient faite sous la porte.


Morin, le fleuriste (c'est le jeune), est une espèce de philosophe; une fois qu'il étoit bien malade, son curé lui disoit: «Ramassez toutes vos peines et les offrez à Dieu.—Je lui ferois là, dit-il, un beau présent!»


Furetière soupoit dans une compagnie où il y avoit un chirurgien qui, voulant faire réchauffer un plat, le fit fondre, de façon qu'on eût dit d'un bassin de barbier. «Je me doutois bien, dit Furetière, que vous nous voudriez donner un plat de votre métier.»


On disoit de madame d'Herbelay, femme d'un maître des requêtes, qu'elle faisoit bien d'être grande et forte, car elle portoit trente procureurs à son cou. Le premier président Le Jay lui avoit donné un collier dont les perles coûtoient mille livres pièce; c'étoit la finance des offices de procureur qu'il avoit eue.


Il y a au carrosse du premier président Pontac, à Bordeaux, quatre P entrelacés. On disoit que cela vouloit dire: «Pauvres plaideurs, prenez patience.»


Un fou nommé Cyrano [230] fit une pièce de théâtre, intitulée: la Mort d'Agrippine, où Séjanus disoit des choses horribles contre les dieux. La pièce étoit un pur galimatias. Sercy, qui l'imprima, dit à Boisrobert qu'il avoit vendu l'impression en moins de rien. «Je m'en étonne, dit Boisrobert.—Ah! Monsieur, reprit le libraire, il y a de belles impiétés.»

Chargement de la publicité...