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Les possédés

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— Ne comptez-vous pas venir nous voir à Spassoff?

— Oui, je vais à Spassoff. Il me semble que tout le monde va à
Spassoff…

— Et n'irez-vous pas chez Fédor Matviévitch? Il sera charmé de votre visite. En quelle estime il vous tenait autrefois! Maintenant encore il parle souvent de vous…

— Oui, oui, j'irai aussi chez Fédor Matviévitch.

— Il faut y aller absolument. Il y a ici des moujiks qui s'étonnent: à les en croire, monsieur, on vous aurait rencontré sur la grande route voyageant à pied. Ce sont de sottes gens.

— Je… c'est que je… Tu sais, Anisim, j'avais parié, comme font les Anglais, que j'irais à pied, et je…

La sueur perlait sur son front et sur ses tempes.

— Sans doute, sans doute, … allait continuer l'impitoyable Anisim; Stépan Trophimovitch ne put supporter plus longtemps ce supplice. Sa confusion était telle qu'il voulut se lever et quitter l'izba. Mais on apporta le samovar, et au même instant la colporteuse, qui était sortie, rentra dans la chambre. Voyant en elle une suprême ressource, Stépan Trophimovitch s'empressa de lui offrir du thé. Anisim se retira.

Le fait est que les paysans étaient fort intrigués. «Qu'est-ce que c'est que cet homme-là?» se demandaient-ils, «on l'a trouvé faisant route à pied, il se dit précepteur, il est vêtu comme un étranger, et son intelligence ne paraît pas plus développée que celle d'un petit enfant; il répond d'une façon si louche qu'on le prendrait pour un fugitif, et il a de l'argent!» On pensait déjà à prévenir la police — «attendu qu'avec tout cela la ville était loin d'être tranquille». Mais Anisim ne tarda pas à calmer les esprits. En arrivant dans le vestibule, il raconta à qui voulut l'entendre que Stépan Trophimovitch n'était pas, à vrai dire, un précepteur, mais «un grand savant, adonné aux hautes sciences et en même temps propriétaire dans le pays; depuis vingt-deux ans il demeurait chez la grosse générale Stavroguine dont il était l'homme de confiance, et tout le monde en ville avait pour lui une considération extraordinaire; au club de la noblesse, il lui arrivait de perdre en une soirée des centaines de roubles; son rang dans le tchin était celui de secrétaire, titre correspondant au grade de lieutenant-colonel dans l'armée. Ce n'était pas étonnant qu'il eût de l'argent, car la grosse générale Stavroguine ne comptait pas avec lui», etc., etc.

«Mais c'est une dame, et très comme il faut», se disait Stépan Trophimovitch à peine remis du trouble que lui avait causé la rencontre d'Anisim, et il considérait d'un oeil charmé sa voisine la colporteuse, qui pourtant avait sucré son thé à la façon des gens du peuple. «_Ce petit morceau de sucre, ce n'est rien… _Il y a en elle quelque chose de noble, d'indépendant et, en même temps, de doux. _Le comme il faut tout pur, _seulement avec une nuance sui generis.»

Elle lui apprit qu'elle s'appelait Sophie Matvievna Oulitine et qu'elle avait son domicile à K…, où habitait sa soeur, une veuve appartenant à la classe bourgeoise; elle-même était veuve aussi: son mari, ancien sergent-major promu sous-lieutenant, avait été tué à Sébastopol.

— Mais vous êtes encore si jeune, vous n'avez pas trente ans.

— J'en ai trente-quatre, répondit en souriant Sophie Matvievna.

— Comment, vous comprenez le français?

— Un peu; après la mort de mon mari, j'ai passé quatre ans dans une maison noble, et là j'ai appris quelques mots de français en causant avec les enfants.

Elle raconta que, restée veuve à l'âge de dix-huit ans, elle avait été quelque temps ambulancière à Sébastopol, qu'ensuite elle avait vécu dans différents endroits, et que maintenant elle allait çà et là vendre l'Évangile.

_— Mais, mon Dieu, _ce n'est pas à vous qu'est arrivée dans notre ville une histoire étrange, fort étrange même?

Elle rougit; c'était elle, en effet, qui avait été la triste héroïne de l'aventure à laquelle Stépan Trophimovitch faisait allusion.

_— Ces vauriens, ces malheureux!…_commença-t-il d'une voix tremblante d'indignation; cet odieux souvenir avait rouvert une plaie dans son âme. Pendant une minute il resta songeur.

«Tiens, mais elle est encore partie», fit-il à part soi en s'apercevant que Sophie Matvievna n'était plus à côté de lui. «Elle sort souvent, et quelque chose la préoccupe: je remarque qu'elle est même inquiète… Bah! je deviens égoïste!»

Il leva les yeux et aperçut de nouveau Anisim, mais cette fois la situation offrait l'aspect le plus critique. Toute l'izba était remplie de paysans qu'Anisim évidemment traînait à sa suite. Il y avait là le maître du logis, le propriétaire du chariot, deux autres moujiks (des cochers), et enfin un petit homme à moitié ivre qui parlait plus que personne; ce dernier, vêtu comme un paysan, mais rasé, semblait être un bourgeois ruiné par l'ivrognerie. Et tous s'entretenaient de Stépan Trophimovitch. Le propriétaire du chariot persistait dans son dire, à savoir qu'en suivant le rivage on allongeait la route de quarante verstes et qu'il fallait absolument prendre le bateau à vapeur. Le bourgeois à moitié ivre et le maître de la maison répliquaient avec vivacité:

— Sans doute, mon ami, Sa Haute Noblesse aurait plus court à traverser le lac à bord du bateau, mais maintenant le service de la navigation est suspendu.

— Non, le bateau fera encore son service pendant huit jours! criait Anisim plus échauffé qu'aucun autre.

— C'est possible, mais à cette saison-ci il n'arrive pas exactement, quelquefois on est obligé de l'attendre pendant trois jours à Oustiévo.

— Il viendra demain, il arrivera demain à deux heures précises.
Vous serez rendu à Spassoff avant le soir, monsieur! vociféra
Anisim hors de lui.

_— Mais qu'est-ce qu'il a cet homme? _gémit Stépan Trophimovitch qui tremblait de frayeur en attendant que son sort de décidât.

Ensuite les cochers prirent aussi la parole: pour conduire le voyageur jusqu'à Oustiévo, ils demandaient trois roubles. Les autres criaient que ce prix n'avait rien d'exagéré, et que pendant tout l'été tel était le tarif en vigueur pour ce parcours.

— Mais… il fait bon ici aussi… Et je ne veux pas… articula faiblement Stépan Trophimovitch.

— Vous avez raison, monsieur, il fait bon maintenant chez nous à
Spassoff, et Fédor Matviévitch sera si content de vous voir!

_— Mon Dieu, mes amis, _tout cela est si inattendu pour moi!

À la fin, Sophie Matvievna reparut, mais, quand elle revint s'asseoir sur le banc, son visage exprimait la désolation la plus profonde.

— Je ne puis pas aller à Spassoff! dit-elle à la maîtresse du logis.

Stépan Trophimovitch tressaillit.

— Comment, est-ce que vous deviez aussi aller à Spassoff? demanda-t-il.

La colporteuse raconta que la veille une propriétaire, Nadejda Egorovna Svietlitzine, lui avait donné rendez-vous à Khatovo, promettant de la conduire de là à Spassoff. Et voilà que cette dame n'était pas venue!

— Que ferai-je maintenant? répéta Sophie Matvievna.

_— Mais, ma chère et nouvelle amie, _voyez-vous, je viens de louer une voiture pour me rendre à ce village — comment l'appelle-t-on donc? je puis vous y conduire tout aussi bien que la propriétaire, et demain, — eh bien, demain nous partirons ensemble pour Spassoff.

— Mais est-ce que vous allez aussi à Spassoff?

— Mais que faire? Et je suis enchanté! Je vous conduirai avec la plus grande joie; voyez-vous, ils veulent… j'ai déjà loué… J'ai fait prix avec l'un de vous, ajouta Stépan Trophimovitch qui maintenant brûlait d'aller à Spassoff.

Un quart d'heure après, tous deux prenaient place dans une britchka couverte, lui très animé et très content, elle à côté de lui avec son sac et un reconnaissant sourire. Anisim les aida à monter en voiture.

— Bon voyage, monsieur, cria l'empressé personnage; — combien j'ai été heureux de vous rencontrer!

— Adieu, adieu, mon ami, adieu.

— Vous irez voir Fédor Matviévitch, monsieur…

— Oui, mon ami, oui… Fédor Matviévitch… seulement, adieu.

II

— Voyez-vous, mon amie, vous me permettez de m'appeler votre ami, n'est-ce pas? commença précipitamment le voyageur, dès que la voiture se fut mise en marche. — Voyez-vous, je… _J'aime le peuple, c'est indispensable, mais il me semble que je ne l'avais jamais vu de près. Stasie… cela va sans dire qu'elle est aussi du peuple… mais le vrai peuple, _j'entends celui qu'on rencontre sur la grande route, celui-là n'a, à ce qu'il paraît, d'autre souci que de savoir où je vais… Mais, trêve de récriminations. Je divague un peu, dirait-on; cela tient sans doute à ce que je parle vite.

Sophie Matvievna fixa sur son interlocuteur un regard pénétrant, quoique respectueux.

— Vous êtes souffrant, je crois, observa-t-elle.

— Non, non, je n'ai qu'à m'emmitoufler; le vent est frais, il est même très frais, mais laissons cela. _Chère et incomparable amie, _il me semble que je suis presque heureux, et la faute en est à vous. Le bonheur ne me vaut rien, parce que je me sens immédiatement porté à pardonner à tous mes ennemis…

— Eh bien! c'est ce qu'il faut.

— Pas toujours, _chère innocente. L'Évangile… Voyez-vous, désormais nous le prêcherons ensemble, _et je vendrai avec plaisir vos beaux livres. Oui, je sens que c'est une idée, _quelque chose de très nouveau dans ce genre. _Le peuple est religieux, _c'est admis, _mais il ne connaît pas encore l'Évangile. Je le lui ferai connaître… Dans une exposition orale on peut corriger les erreurs de ce livre remarquable que je suis disposé, bien entendu, à traiter avec un respect extraordinaire. Je serai utile même sur la grande route. J'ai toujours été utile, je le leur ai toujours dit, _à eux et à cette chère ingrate…_Oh! pardonnons, pardonnons, avant tout pardonnons à tous et toujours… Nous pourrons espérer que l'on nous pardonnera aussi. Oui, car nous sommes tous coupables les uns envers les autres. Nous sommes tous coupables!…

— Tenez, ce que vous venez de dire est fort bien, me semble-t-il.

— Oui, oui… Je sens que je parle très bien. Je leur parlerai très bien, mais, mais que voulais-je donc dire d'important? Je perds toujours le fil et je ne me rappelle plus… Me permettez- vous de ne pas vous quitter? Je sens que votre regard et… j'admire même vos façons: vous êtes naïve, votre langage est ingénu, et vous versez votre thé dans la soucoupe… avec ce vilain petit morceau de sucre; mais il y a en vous quelque chose de charmant, et je vois à vos traits… Oh! ne rougissez et n'ayez pas peur de moi parce que je suis un homme. _Chère et incomparable, pour moi une femme, c'est tout. _Il faut absolument que je vive à côté d'une femme, mais seulement à côté… Je sors complètement du sujet… Je ne sais plus du tout ce que je voulais dire. Oh! heureux celui à qui Dieu envoie toujours une femme et… je crois que je suis comme en extase. Dans la grande route même il y a une haute pensée! Voilà, voilà ce que je voulais dire, voilà l'idée que je cherchais et que je ne retrouvais plus. Et pourquoi nous ont-ils emmenés plus loin? Là aussi l'on était bien, ici _cela devient trop froid. À propos, j'ai en tout quarante roubles, et voilà cet argent, _prenez, prenez, je ne saurais pas le garder, je le perdrais, ou l'on me le volerait, et… Il me semble que j'ai envie de dormir, il y a quelque chose qui tourne dans ma tête. Oui, ça tourne, ça tourne, ça tourne. Oh! que vous êtes bonne! Avec quoi me couvrez-vous ainsi?

— Vous avez une forte fièvre, et j'ai mis sur vous ma couverture, mais, pour ce qui est de l'argent, je ne…

— Oh! de grâce, _n'en parlons plus, parce que cela me fait mal; _oh! que vous êtes bonne!

À ce flux de paroles succéda tout à coup un sommeil fiévreux, accompagné de frissons. Les voyageurs firent ces dix-sept verstes sur un chemin raboteux où la voiture cahotait fort. Stépan Trophimovitch s'éveillait souvent, il se soulevait brusquement de dessus le petit coussin que Sophie Matvievna lui avait placé sous la tête, saisissait la main de sa compagne et lui demandait: «Vous êtes ici?» comme s'il craignait qu'elle ne l'eût quitté. Il lui assurait aussi qu'il voyait en songe une mâchoire ouverte, et que cela l'impressionnait très désagréablement. Son état inquiétait fort la colporteuse.

Les voituriers arrêtèrent devant une grande izba à quatre fenêtres, flanquée de bâtiments logeables. S'étant réveillé, Stépan Trophimovitch se hâta d'entrer et alla droit à la seconde pièce, la plus grande et la plus belle de la maison. Son visage ensommeillé avait pris une expression très soucieuse. La maîtresse du logis était une grande et robuste paysanne de quarante ans, qui avait des cheveux très noirs et un soupçon de moustache. Le voyageur lui déclara incontinent qu'il voulait avoir pour lui toute la chambre. «Fermez la porte», ajouta-t-il, «et ne laissez plus entrer personne ici, _parce que nous avons à parler. Oui, j'ai beaucoup à vous dire, chère amie. _Je vous payerai, je payerai!» acheva-t-il en s'adressant à la logeuse avec un geste de la main.

Quoiqu'il parlât précipitamment, il paraissait avoir quelque peine à remuer la langue. La femme l'écouta d'un air peu aimable; elle ne fit aucune objection, mais son acquiescement muet était gros de menaces. Stépan Trophimovitch ne le remarqua pas et, du ton le plus pressant, demanda qu'on lui servît tout de suite à dîner.

Cette fois la maîtresse de la maison rompit le silence.

— Vous n'êtes pas ici à l'auberge, monsieur, nous ne donnons pas à dîner aux voyageurs. On peut vous cuire des écrevisses ou vous faire du thé, mais c'est tout ce que nous avons. Il n'y aura pas de poisson frais avant demain.

Mais Stépan Trophimovitch ne voulut rien entendre. «Je payerai, seulement dépêchez-vous, dépêchez-vous!» répétait-il en gesticulant avec colère. Il demanda une soupe au poisson et une poule rôtie. La femme assura que dans tout le village il était impossible de se procurer une poule; elle consentit néanmoins à aller voir si elle n'en trouverait pas une, mais sa mine montrait qu'elle croyait par là faire preuve d'une complaisance extraordinaire.

Dès qu'elle fut sortie, Stépan Trophimovitch s'assit sur le divan et invita Sophie Matvievna à prendre place auprès de lui. Il y avait dans la chambre un divan et des fauteuils, mais ces meubles étaient en fort mauvais état. La pièce, assez spacieuse, était coupée en deux par une cloison derrière laquelle se trouvait un lit. Une vieille tapisserie jaune, très délabrée, couvrait les murs. Avec son mobilier acheté d'occasion, ses affreuses lithographies mythologiques et ses icônes rangés dans le coin de devant, cette chambre offrait un disgracieux mélange de la ville et de la campagne. Mais Stépan Trophimovitch ne donna pas un coup d'oeil à tout cela et n'alla même pas à la fenêtre pour contempler l'immense lac qui commençait à dix sagènes de l'izba.

— Enfin nous voici seuls, et nous ne laisserons entrer personne!
Je veux vous raconter tout, tout depuis le commencement…

Sophie Matvievna, qui paraissait fort inquiète, se hâta de l'interrompre:

— Savez-vous, Stépan Trophimovitch…

— Comment, vous savez déjà mon nom? fit-il avec un joyeux sourire.

— Tantôt j'ai entendu Anisim Ivanovitch vous nommer, pendant que vous causiez avec lui.

Et, après avoir regardé vers la porte pour s'assurer qu'elle était fermée et que personne ne pouvait entendre, la colporteuse, baissant soudain la voix, apprit à son interlocuteur quel danger l'on courait dans ce village. «Quoique, dit-elle, tous les paysans d'ici soient pêcheurs et vivent principalement de ce métier, cela ne les empêche pas chaque été de rançonner abominablement les voyageurs. Cette localité n'est pas un lieu de passage, on n'y vient que parce que le bateau à vapeur s'y arrête, mais celui-ci fait très irrégulièrement son service: pour peu que le temps soit mauvais, on est obligé d'attendre plusieurs jours l'arrivée du bateau; pendant ce temps-là le village se remplit de monde, toutes les maisons sont pleines, et les habitants profitent de la circonstance pour vendre chaque objet le triple de sa valeur.»

Tandis que Sophie Matvievna parlait avec une animation extrême, quelque chose comme un reproche se lisait dans le regard que Stépan Trophimovitch fixait sur elle; plusieurs fois il essaya de la faire taire, mais la jeune femme n'en poursuivait pas moins le cours de ses récriminations contre l'avidité des gens d'Oustiévo: déjà précédemment elle était venue dans ce village avec une «dame très noble», elles y avaient logé pendant deux jours en attendant l'arrivée du bateau à vapeur, et ce qu'on les avait écorchées! C'était même terrible de se rappeler cela… «Voyez-vous, Stépan Trophimovitch, vous avez demandé cette chambre pour vous seul… moi, ce que je vous en dis, c'est uniquement pour vous prévenir… Là, dans l'autre pièce, il y a déjà des voyageurs: un vieillard, un jeune homme, une dame avec des enfants; mais demain l'izba sera pleine jusqu'à deux heures, parce que le bateau à vapeur n'étant pas venu depuis deux jours arrivera certainement demain. Eh bien, pour la chambre particulière que vous avez louée et pour le dîner que vous avez commandé, ils vous demanderont un prix qui serait inouï même dans une capitale…»

Mais ce langage le faisait souffrir, il était vraiment affligé:

_— Assez, mon enfant, _je vous en supplie; nous avons notre argent et après — et après le bon Dieu. Je m'étonne même que vous, avec votre élévation d'idées… _Assez, assez, vous me tourmentez, _dit-il, pris d'une sorte d'impatience hystérique: — l'avenir est grand ouvert devant nous, et vous… vous m'inquiétez pour l'avenir…

Il se mit aussitôt à raconter toute son histoire, parlant si vite qu'au commencement il était même difficile de le comprendre. Ce récit dura fort longtemps. On servit la soupe au poisson, on servit la poule, on apporta enfin le samovar, et Stépan Trophimovitch parlait toujours… Cette étrange loquacité avait quelque chose de morbide, et, en effet, le pauvre homme était malade. En l'écoutant, Sophie Matvievna prévoyait avec angoisse qu'à cette brusque tension des forces intellectuelles succéderait immédiatement un affaiblissement extraordinaire de l'organisme. Il narra d'abord ses premières années, ses «courses enfantines dans la campagne»; au bout d'une heure seulement, il arriva à ses deux mariages et à son séjour à Berlin. Du reste, je ne me permets pas de rire. Il y avait là réellement pour lui un intérêt supérieur en jeu, et, comme on dit aujourd'hui, presque une lutte pour l'existence. Il voyait devant lui celle dont il rêvait déjà de faire la compagne de sa route future, et il était pressé de l'initier, si l'on peut s'exprimer ainsi. Le génie de Stépan Trophimovitch ne devait plus être un secret pour Sophie Matvievna. Peut-être se faisait-il d'elle une opinion fort exagérée, toujours est-il qu'il l'avait choisie. Il ne pouvait se passer de femme. En considérant le visage de la colporteuse, force lui fut de s'avouer que nombre de ses paroles, des plus importantes même, restaient lettre close pour elle.

«_Ce n'est rien, nous attendrons; _maintenant déjà elle peut comprendre par la divination du sentiment.»

— Mon amie! fit-il avec élan, — il ne me faut que votre coeur, et, tenez, ce charmant, cet adorable regard que vous fixez sur moi en ce moment! Oh! ne rougissez pas! Je vous ai déjà dit…

Ce qui parut surtout obscur à la pauvre Sophie Matvievna, ce fut une longue dissertation destinée à prouver que personne n'avait jamais compris Stépan Trophimovitch et que «chez nous, en Russie, les talents sont étouffés». «C'était bien trop fort pour moi», disait-elle plus tard avec tristesse. Elle écoutait d'un air de compassion profonde, en écarquillant un peu les yeux. Lorsqu'il se répandit en mots piquants à l'adresse de nos «hommes d'avant- garde», elle essaya à deux reprises de sourire, mais son visage exprimait un tel chagrin que cela finit par déconcerter Stépan Trophimovitch. Changeant de thème, il tomba violemment sur les nihilistes et les «hommes nouveaux». Alors son emportement effraya la colporteuse, et elle ne respira un peu que quand le narrateur aborda le chapitre de ses amours. La femme, fût-elle nonne, est toujours femme. Sophie Matvievna souriait, hochait la tête; parfois elle rougissait et baissait les yeux, ce qui réjouissait Stépan Trophimovitch, si bien qu'il ajouta à son histoire force enjolivements romanesques. Dans son récit, Barbara Pétrovna devint une délicieuse brune («fort admirée à Pétersbourg et dans plusieurs capitales de l'Europe»), dont le mari «s'était fait tuer à Sébastopol», uniquement parce que, se sentant indigne de l'amour d'une telle femme, il voulait la laisser à son rival, lequel, bien entendu, n'était autre que Stépan Trophimovitch… «Ne vous scandalisez pas, ma douce chrétienne!» s'écria-t-il presque dupe lui-même de ses propres inventions, — «c'était quelque chose d'élevé, quelque chose de si platonique que pas une seule fois, durant toute notre vie, nous ne nous sommes avoué nos sentiments l'un à l'autre.» Comme la suite l'apprenait, la cause d'un pareil état de choses était une blonde (s'il ne s'agissait pas ici de Daria Pavlovna, — je ne sais à qui Stépan Trophimovitch faisait allusion). Cette blonde devait tout à la brune, qui, en qualité de parente éloignée, l'avait élevée chez elle. La brune, remarquant enfin l'amour de la blonde pour Stépan Trophimovitch, avait imposé silence à son coeur. La blonde, de son côté, en avait fait autant lorsque, à son tour, elle s'était aperçue qu'elle avait une rivale dans la brune. Et ces trois êtres, victimes chacun de sa magnanimité, s'étaient tus ainsi pendant vingt années, renfermant tout en eux-mêmes. «Oh! quelle passion c'était! quelle passion c'était!» sanglota-t-il, très sincèrement ému. — «Je la voyais (la brune) dans le plein épanouissement de ses charmes; cachant ma blessure au fond de moi-même, je la voyais chaque jour passer à côté de moi, comme honteuse de sa beauté.» (Une fois il lui échappa de dire: «comme honteuse de son embonpoint.») À la fin, il avait pris la fuite, s'arrachant à ce rêve, à ce délire qui avait duré vingt ans. — _Vingt ans! _Et voilà que maintenant, sur la grande route… Puis, en proie à une sorte de surexcitation cérébrale, il entreprit d'expliquer à Sophie Matvievna ce que devait signifier leur rencontre d'aujourd'hui, «cette rencontre si imprévue et si fatidique». Extrêmement agitée, la colporteuse finit par se lever; il voulut se jeter à ses genoux, elle fondit en larmes. Les ténèbres s'épaississaient; tous deux avaient déjà passé plusieurs heures enfermés ensemble…

— Non, il vaut mieux que je loge dans cette pièce-là, balbutia-t- elle, — autrement, qu'est-ce que les gens penseraient?

Elle réussit enfin à s'échapper; il la laissa partir après lui avoir juré qu'il se coucherait tout de suite. En lui disant adieu, il se plaignit d'un violent mal de tête. Sophie Matvievna avait laissé son sac et ses affaires dans la première chambre; elle comptait passer la nuit là avec les maîtres de la maison, mais il lui fut impossible de reposer un instant.

À peine au lit, Stépan Trophimovitch eut une de ces cholérines que tous ses amis et moi nous connaissions si bien; ainsi que le lecteur le sait, cet accident se produisait presque régulièrement chez lui à la suite de toute tension nerveuse, de toute secousse morale. La pauvre Sophie Matvievna fut sur pied toute la nuit. Comme, pour donner ses soins au malade, elle était obligée de traverser assez souvent la pièce voisine où couchaient les voyageurs et les maîtres de l'izba, ceux-ci, troublés dans leur sommeil par ces allées et venues, manifestaient tout haut leur mécontentement; ils en vinrent même aux injures lorsque, vers le matin, la colporteuse s'avisa de faire chauffer du thé. Pendant toute la durée de son accès, Stépan Trophimovitch resta dans un état de demi-inconscience; parfois il lui semblait qu'on mettait le samovar sur le feu, qu'on lui faisait boire quelque chose (du sirop de framboises), qu'on lui frictionnait le ventre, la poitrine. Mais, presque à chaque instant, il sentait qu'elle était là, près de lui; que c'était elle qui entrait et qui sortait, elle qui l'aidait à se lever et ensuite à se recoucher. À trois heures du matin le malade se trouva mieux; il quitta son lit, et, par un mouvement tout spontané, se prosterna sur le parquet devant Sophie Matvievna. Ce n'était plus la génuflexion de tout à l'heure; il était tombé aux pieds de la colporteuse et il baisait le bas de sa robe.

— Cessez, je ne mérite pas tout cela, bégayait-elle, et en même temps elle s'efforçait d'obtenir de lui qu'il regagnât son lit.

— Vous êtes mon salut, dit-il en joignant pieusement les mains devant elle; — vous êtes noble comme une marquise! Moi, je suis un vaurien! oh! toute ma vie j'ai été un malhonnête homme!

— Calmez-vous, suppliait Sophie Matvievna.

— Tantôt je ne vous ai dit que des mensonges, — pour la gloriole, pour le chic, pour le désoeuvrement, — tout est faux, tout jusqu'au dernier mot, oh! vaurien, vaurien!

Comme on le voit, après la cholérine, Stépan Trophimovitch éprouvait un besoin hystérique de se condamner lui-même. J'ai déjà mentionné ce phénomène en parlant de ses lettres à Barbara Pétrovna. Il se souvint tout à coup de _Lise, de sa rencontre avec elle le matin précédent: «C'était si terrible et — _sûrement il y a eu là un malheur, mais je ne l'ai pas questionnée, je ne me suis pas informé! Je ne pensais qu'à moi! Oh! qu'est ce qui lui est arrivé? Vous ne le savez pas?» demandait-il d'un ton suppliant à Sophie Matvievna.

Ensuite il jura qu'»il n'était pas un infidèle», qu'il reviendrait à elle (c'est-à-dire à Barbara Pétrovna). «Nous nous approcherons chaque jour de son perron (Sophie Matvievna était comprise dans ce «nous»); nous viendrons à l'heure où elle monte en voiture pour sa promenade du matin, et nous regarderons sans faire de bruit… Oh! je veux qu'elle me frappe sur l'autre joue; je le veux passionnément! Je lui tendrai mon autre joue comme dans votre livre! Maintenant, maintenant seulement j'ai compris ce que signifient ces mots: «tendre l'autre joue.» Jusqu'à ce moment je ne les avais jamais compris!»

Cette journée et la suivante comptent parmi les plus cruelles que Sophie Matvievna ait connues dans sa vie; à présent encore elle ne se les rappelle qu'en frissonnant. Stépan Trophimovitch était trop souffrant pour pouvoir prendre le bateau à vapeur qui, cette fois, arriva exactement à deux heures de l'après-midi. La colporteuse n'eut pas le courage de le laisser seul, et elle n'alla pas non plus à Spassoff. D'après ce qu'elle a raconté, le malade témoigna une grande joie quand il apprit que le bateau était parti:

— Allons, c'est parfait; allons, très bien, murmura-t-il couché dans son lit; — j'avais toujours peur que nous ne nous en allassions. On est si bien ici, on est mieux ici que n'importe où… Vous ne me quitterez pas? Oh! vous ne m'avez pas quitté!

Pourtant on était loin d'être si bien «ici». Stépan Trophimovitch ne voulait rien savoir des embarras de sa compagne; sa tête n'était pleine que de chimères. Quant à sa maladie, il la regardait comme une petite indisposition sans conséquence et il n'y songeait pas du tout. Sa seule idée, c'était d'aller vendre «ces petits livres» avec la colporteuse. Il la pria de lui lire l'Évangile:

Il y a longtemps que je l'ai lu… dans l'original. Si par hasard on me questionnait, je pourrais me tromper; il faut se mettre en mesure de répondre.

Elle s'assit à côté de lui et ouvrit le livre.

Il l'interrompit dès la première ligne:

— Vous lisez très bien. Je vois, je vois, que je ne me suis pas trompé! ajouta-t-il. Ces derniers mots, obscurs en eux-mêmes, furent prononcés d'un ton enthousiaste. Du reste, l'exaltation était en ce moment la caractéristique de Stépan Trophimovitch.

Sophie Matvievna lut le sermon sur la montagne.

— _Assez, assez, mon enfant, _assez!… Pouvez-vous penser que _cela _ne suffit pas?

Et il ferma les yeux avec accablement. Il était très faible, mais n'avait pas encore perdu connaissance. La colporteuse allait se lever, supposant qu'il avait envie de dormir; il la retint:

— Mon amie, j'ai menti toute ma vie. Même quand je disais des choses vraies. Je n'ai jamais parlé pour la vérité, mais pour moi; je le savais déjà autrefois, maintenant seulement je le vois… Oh! où sont les amis que, toute ma vie, j'ai blessés par mon amitié? Et tous, tous! Savez-vous, je mens peut-être encore maintenant; oui, à coup sûr, je mens encore. Le pire, c'est que moi-même je suis dupe de mes paroles quand je mens. Dans la vie il n'y a rien de plus difficile que de vivre sans mentir… et… et sans croire à son propre mensonge, oui, oui, justement! Mais attendez, nous parlerons de tout cela plus tard… Nous sommes ensemble, ensemble! acheva-t-il avec enthousiasme.

— Stépan Trophimovitch, demanda timidement Sophie Matvievna, — ne faudrait-il pas envoyer chercher un médecin au chef-lieu?

Ces mots firent sur lui une impression terrible.

— Pourquoi? _Est-ce que je suis si malade? Mais rien de sérieux. _Et quel besoin avons-nous des étrangers? On me reconnaîtra encore et — qu'arrivera-t-il alors? Non, non, pas d'étrangers, nous sommes ensemble, ensemble!

— Vous savez, dit-il après un silence, — lisez-moi encore quelque chose, n'importe quoi, ce qui vous tombera sous les yeux.

Sophie Matvievna ouvrit le livre et se mit en devoir de lire.

— Au hasard, le premier passage venu, répéta-t-il.

— «Écris aussi à l'ange de l'église de Laodicée…»

— Qu'est-ce que c'est? Quoi? Où cela se trouve-t-il?

— C'est dans l'Apocalypse.

_— Oh! je m'en souviens, oui, l'Apocalypse. Lisez, lisez, _je conjecturerai notre avenir d'après ce livre, je veux savoir ce qu'il en dit; lisez à partir de l'ange, à partir de l'ange…

— «Écris aussi à l'ange de l'église de Laodicée: voici ce que dit celui qui est la vérité même, le témoin fidèle et véritable, le principe des oeuvres de Dieu. Je sais quelles sont tes oeuvres; tu n'es ni froid ni chaud; oh! si tu étais froid ou chaud! Mais parce que tu es tiède et que tu n'es ni froid ni chaud, je te vomirai de ma bouche. Car tu dis: Je suis riche, je suis comblé de biens et je n'ai besoin de rien, et tu ne sais pas que tu es malheureux et misérable, et pauvre, et aveugle, et nu.»

Stépan Trophimovitch se souleva sur son oreiller, ses yeux étincelaient.

— C'est… et c'est dans votre livre? s'écria-t-il; — je ne connaissais pas encore ce beau passage! Ecoutez: plutôt froid, oui, froid que tiède, que seulement tiède. Oh! je prouverai: seulement ne me quittez pas, ne me laissez pas seul! Nous prouverons, nous prouverons!

— Mais je ne vous quitterai pas, Stépan Trophimovitch, je ne vous abandonnerai jamais! répondit Sophie Matvievna.

Elle lui prit les mains, les serra dans les siennes et les posa sur son coeur en le regardant avec des yeux pleins de larmes. «Il me faisait vraiment pitié en ce moment-là!» a-t-elle raconté plus tard.

Un tremblement convulsif agita les lèvres du malade.

— Pourtant, Stépan Trophimovitch, qu'est-ce que nous allons faire? Si l'on prévenait quelqu'un de vos amis ou de vos proches?

Mais il fut si effrayé que la colporteuse regretta de lui avoir parlé de la sorte. Il la supplia en tremblant de n'appeler personne, de ne rien entreprendre; il exigea d'elle une promesse formelle à cet égard. «Personne, personne! répétait-il, — nous deux, rien que nous deux! Nous partirons ensemble

Pour comble de disgrâce, les logeurs commençaient aussi à s'inquiéter; ils bougonnaient, harcelaient de leurs réclamations Sophie Matvievna. Elle les paya et s'arrangea de façon à leur prouver qu'elle avait de l'argent, ce qui lui procura un peu de répit. Toutefois le maître de l'izba demanda à voir les «papiers» de Stépan Trophimovitch. Avec un sourire hautain celui-ci indiqua du geste son petit sac où se trouvait un document qui lui avait toujours tenu lieu de passeport: c'était un certificat constatant sa sortie du service. Sophie Matvievna montra cette pièce au logeur, mais il ne s'humanisa guère: «Il faut, dit-il, transporter le malade ailleurs, car notre maison n'est pas un hôpital, et s'il venait à mourir ici, cela nous attirerait beaucoup de désagréments.» Sophie Matvievna lui parla aussi d'envoyer chercher un médecin au chef-lieu, mais c'eût été une trop grosse dépense, et force fut de renoncer à cette idée. La colporteuse angoissée revint auprès de Stépan Trophimovitch. Ce dernier s'affaiblissait à vue d'oeil.

— Maintenant lisez-moi encore quelque chose… l'endroit où il est question des cochons, dit-il tout à coup.

— Quoi? fit avec épouvante Sophie Matvievna.

— L'endroit où l'on parle des cochons… C'est aussi dans votre livre… ces cochons… je me rappelle, des diables entrèrent dans des cochons, et tous se noyèrent. Lisez-moi cela, j'y tiens absolument; je vous dirai ensuite pourquoi. Je veux me remettre en mémoire le texte même.

Sophie Matvievna connaissait bien les évangiles; elle n'eut pas de peine à trouver dans celui de saint Luc le passage qui sert d'épigraphe à ma chronique. Je le transcris de nouveau ici:

— «Or il y avait là un grand troupeau de pourceaux qui paissaient sur une montagne, et les démons Le priaient qu'Il leur permit d'entrer dans ces pourceaux, et il le leur permit. Les démons étant donc sortis de cet homme entrèrent dans les pourceaux, et le troupeau se précipita de la montagne dans le lac, et y fut noyé. Et ceux qui les paissaient, voyant ce qui était arrivé, s'enfuirent et le racontèrent dans la ville et à la campagne. Alors les gens sortirent pour voir ce qui s'était passé, et, étant venus vers Jésus, ils trouvèrent l'homme, duquel les démons étaient sortis, assis aux pieds de Jésus, habillé et dans son bon sens, et ils furent saisis de frayeur. Et ceux qui avaient vu la chose leur racontèrent comment le démoniaque avait été délivré.»

— Mon amie, dit Stépan Trophimovitch fort agité, — savez-vous, ce passage merveilleux et… extraordinaire a été pour moi toute ma vie une pierre d'achoppement… aussi en avais-je gardé le souvenir depuis l'enfance. Mais maintenant il m'est venu une idée; une comparaison. J'ai à présent une quantité effrayante d'idées: voyez-vous, c'est trait pour trait l'image de notre Russie. Ces démons qui sortent du malade et qui entrent dans des cochons — ce sont tous les poisons, tous les miasmes, toutes les impuretés, tous les diables accumulés depuis des siècles dans notre grande et chère malade, dans notre Russie! Oui, cette Russie, que j'aimais toujours. Mais sur elle, comme sur ce démoniaque insensé, veille d'en haut une grande pensée, une grande volonté qui expulsera tous ces démons, toutes ces impuretés, toute cette corruption suppurant à la surface… et eux-mêmes demanderont à entrer dans des cochons. Que dis-je! peut-être y sont-ils déjà entrés! C'est nous, nous et eux, et Pétroucha… _et les autres avec lui, _et moi peut-être le premier: affolés, furieux, nous nous précipiterons du rocher dans la mer, nous nous noierons tous, et ce sera bien fait, car nous ne méritons que cela. Mais la malade sera sauvée, et «elle s'assiéra aux pieds de Jésus…» et tous la contempleront avec étonnement… Chère, _vous comprendrez après, _maintenant cela m'agite trop… Vous comprendrez après… Nous comprendrons ensemble.

Le délire s'empara de lui, et à la fin il perdit connaissance. Toute la journée suivante se passa de même. Sophie Matvievna pleurait, assise auprès du malade; depuis trois nuits elle avait à peine pris un instant de repos, et elle évitait la présence des logeurs qui, elle le pressentait, songeaient déjà à les mettre tous deux à la porte. La délivrance n'arriva que le troisième jour. Le matin, Stépan Trophimovitch revint à lui, reconnut la colporteuse et lui tendit la main. Elle fit le signe de la croix avec confiance. Il voulut regarder par la fenêtre: «_Tiens, un lac, _dit-il; ah! mon Dieu, je ne l'avais pas encore vu…» En ce moment un équipage s'arrêta devant le perron de l'izba, et dans la maison se produisit un remue-ménage extraordinaire.

III

C'était Barbara Pétrovna elle-même qui arrivait dans une voiture à quatre places, avec Daria Pavlovna et deux laquais. Cette apparition inattendue s'expliquait le plus naturellement du monde: Anisim, qui se mourait de curiosité, était allé chez la générale dès le lendemain de son arrivée à la ville et avait raconté aux domestiques qu'il avait rencontré Stépan Trophimovitch seul dans un village, que des paysans l'avaient vu voyageant seul à pied sur la grande route, qu'enfin il était parti en compagnie de Sophie Matvievna pour Oustiévo, d'où il devait se rendre à Spassoff. Comme, de son côté, Barbara Pétrovna était déjà fort inquiète et cherchait de son mieux le fugitif, on l'avertit immédiatement de la présence d'Anisim. Après que celui-ci l'eût mise au courant des faits rapportés plus haut, elle donna ordre d'atteler et partit en toute hâte pour Oustiévo. Quant à la maladie de son ami, elle n'en avait encore aucune connaissance.

Sa voix dure et impérieuse intimida les logeurs eux-mêmes. Elle ne s'était arrêtée que pour demander des renseignements, persuadée que Stépan Trophimovitch se trouvait depuis longtemps déjà à Spassoff; mais, en apprenant qu'il n'avait pas quitté la maison et qu'il était malade, elle entra fort agitée dans l'izba.

— Eh bien, où est-il? Ah! c'est toi! cria-t-elle à la vue de Sophie Matvievna, qui justement se montrait sur le seuil de la seconde pièce; — à ton air effronté, j'ai deviné que c'était toi! Arrière, coquine! Qu'elle ne reste pas une minute de plus ici! Chasse-la, ma mère, sinon je te ferai mettre en prison pour toute ta vie! Qu'on la garde pour le moment dans une autre maison! À la ville, elle a déjà été emprisonnée et elle le sera encore. Je te prie, logeur, de ne laisser entrer personne ici, tant que j'y serai. Je suis la générale Stavroguine, et je prends pour moi toute la maison. Mais toi, ma chère, tu me rendras compte de tout.

Le son de cette voix qu'il connaissait bien effraya Stépan Trophimovitch. Il se mit à trembler. Mais déjà Barbara Pétrovna était dans la chambre. Ses yeux lançaient des flammes; avec son pied elle attira à elle une chaise, se renversa sur le dossier et interpella violemment Daria Pavlovna:

— Retire-toi pour le moment, reste avec les logeurs. Qu'est-ce que cette curiosité? Aie soin de bien fermer la porte en t'en allant.

Pendant quelque temps elle garda le silence et attacha sur le visage effaré du malade un regard d'oiseau de proie.

— Eh bien, comment vous portez-vous, Stépan Trophimovitch? Vous faisiez un petit tour de promenade? commença-t-elle soudain avec une ironie pleine de colère.

_— Chère, _balbutia-t-il dans son émoi, — j'étudiais la vraie vie russe… et je prêcherais l'Évangile…

— Ô homme effronté, ingrat! vociféra-t-elle tout à coup en frappant ses mains l'une contre l'autre. — Ce n'était pas assez pour vous de me couvrir de honte, vous vous êtes lié… Oh! vieux libertin, homme sans vergogne!

— Chère…

La voix lui manqua, tandis qu'il considérait la générale avec des yeux dilatés par la frayeur.

—Qui est-elle?

_— C'est un ange… c'était plus qu'un ange pour moi, toute la nuit elle… Oh! _ne criez pas, ne lui faites pas peur, chère, chère…

Barbara Pétrovna se dressa brusquement sur ses pieds: «De l'eau, de l'eau!» fit-elle d'un ton d'épouvante; quoique Stépan Trophimovitch eût repris ses sens, elle continuait à regarder, pâle et tremblante, son visage défait; maintenant seulement elle se doutait de la gravité de sa maladie.

— Daria, dit-elle tout bas à la jeune fille, — il faut faire venir immédiatement le docteur Zaltzfisch; qu'Alexis Égorovitch parte tout de suite; il prendra des chevaux ici, et il ramènera de la ville une autre voiture. Il faut que le docteur soit ici ce soir.

Dacha courut transmettre l'ordre de la générale. Le regard de Stépan Trophimovitch avait toujours la même expression d'effroi, ses lèvres blanches frémissaient, Barbara Pétrovna lui parlait comme à un enfant:

— Attends, Stépan Trophimovitch, attends, mon chéri! Eh bien, attends donc, attends, Daria Pavlovna va revenir et… Ah! mon Dieu, ajouta-t-elle, — logeuse, logeuse, mais viens donc, toi du moins, matouchka!

Dans son impatience, elle alla elle-même trouver la maîtresse de la maison.

— Fais revenir _celle-là _tout de suite, à l'instant. Ramène-la, ramène-la!

Par bonheur, Sophie Matvievna n'était pas encore sortie de la maison; elle allait franchir le seuil de la porte avec son sac et son petit paquet, quand on lui fit rebrousser chemin. Sa frayeur fut telle qu'elle se mit à trembler de tous ses membres. Barbara Pétrovna la saisit par le bras comme un milan fond sur un poulet, et, d'un mouvement impétueux, l'entraîna auprès de Stépan Trophimovitch.

— Eh bien, tenez, la voilà. Je ne l'ai pas mangée. Vous pensiez que je l'avais mangée.

Stépan Trophimovitch prit la main de Barbara Pétrovna, la porta à ses yeux, puis, dans un accès d'attendrissement maladif, commença à pleurer et à sangloter.

— Allons, calme-toi, calme-toi, allons, mon cher, allons, batuchka! Ah! mon Dieu, mais calmez-vous donc! cria avec colère la générale. — Oh! bourreau, mon éternel bourreau!

— Chère, balbutia enfin Stépan Trophimovitch en s'adressant à Sophie Matvievna, — restez-là, chère, j'ai quelque chose à dire ici…

Sophie Matvievna se retira aussitôt.

— Chérie… chérie… fit il d'une voix haletante.

— Ne parlez pas maintenant, Stépan Trophimovitch, attendez un peu, reposez-vous auparavant. Voici de l'eau. Mais attendez donc!

Barbara Pétrovna se rassit sur la chaise. Le malade lui serrait la main avec force. Pendant longtemps elle l'empêcha de parler. Il se mit à baiser la main de la générale tandis que celle-ci, les lèvres serrées, regardait dans le coin.

_— Je vous aimais! _laissa-t-il échapper à la fin. Jamais encore Barbara Pétrovna ne l'avait entendu proférer une telle parole.

— Hum, grommela-t-elle.

—Je vous aimais toute ma vie… vingt ans!

Elle se taisait toujours. Deux minutes, trois minutes s'écoulèrent ainsi.

— Et comme il s'était fait beau pour Dacha, comme il s'était parfumé!… dit-elle tout à coup d'une voix sourde mais menaçante, qui stupéfia Stépan Trophimovitch.

— Il avait mis une cravate neuve…

Il y eut de nouveau un silence pendant deux minutes.

— Vous vous rappelez le cigare?

— Mon amie, bégaya-t-il terrifié.

— Le cigare, le soir, près de la fenêtre… au clair de la lune… après notre entrevue sous la charmille… à Skvorechniki? T'en souviens-tu? T'en souviens-tu?

En même temps, Barbara Pétrovna se levait d'un bond, saisissait l'oreiller par les deux coins et le secouait sans égards pour la tête qui reposait dessus.

— T'en souviens-tu, homme vain, homme sans gloire, homme pusillanime, être éternellement futile? poursuivit-elle d'un ton bas, mais où perçait l'irritation la plus violente. À la fin elle lâcha l'oreiller, se laissa tomber sur sa chaise et couvrit son visage de ses mains. — Assez! acheva-t-elle en se redressant. — Ces vingt ans sont passés, ils ne reviendront plus; moi aussi je suis une sotte.

— Je vous aimais, répéta en joignant les mains Stépan Trophimovitch.

De nouveau, la générale se leva brusquement.

— «Je vous aimais… je vous aimais…» pourquoi me chanter toujours cette antienne? Assez! répliqua-t-elle. — Et maintenant si vous ne vous endormez pas tout de suite, je… Vous avez besoin de repos; dormez, dormez tout de suite, fermez les yeux. Ah! mon Dieu, il veut peut-être déjeuner! Qu'est-ce que vous mangez? Qu'est-ce qu'il mange? Ah! mon Dieu, où est-elle celle-là? Où est- elle?

Elle allait se mettre en quête de Sophie Matvievna, quand Stépan Trophimovitch balbutia d'une voix à peine distincte qu'il dormirait en effet une heure, et ensuite — un bouillon, un thé… enfin il est si heureux! Il s'endormit, comme il l'avait dit, ou plutôt il feignit de dormir. Après avoir attendu un moment, Barbara Pétrovna sortit sur la pointe du pied.

Elle s'installa dans la chambre des logeurs, mit ces derniers à la porte et ordonna à Dacha d'aller lui chercher celle-là. Alors commença un interrogatoire sérieux.

— À présent, matouchka, raconte-moi tout en détail; assieds-toi près de moi, c'est cela. Eh bien?

— J'ai rencontré Stépan Trophimovitch…

— Un instant, tais-toi. Je t'avertis que si tu me mens ou si tu caches quelque chose, tu auras beau ensuite te réfugier dans les entrailles de la terre, tu n'échapperas pas à ma vengeance. Eh bien?

— J'ai rencontré Stépan Trophimovitch… dès mon arrivée à Khatovo… déclara Sophie Matvievna presque suffoquée par l'émotion…

— Attends un peu, une minute, pourquoi te presses-tu ainsi?
D'abord, toi-même, quelle espèce d'oiseau es-tu?

La colporteuse donna, du reste, aussi brièvement que possible, quelques renseignements sur sa vie passée, à partir de son séjour à Sébastopol. Barbara Pétrovna écouta en silence, se redressant sur sa chaise et tenant ses yeux fixés avec une expression sévère sur le visage de la jeune femme.

— Pourquoi es-tu si effrayée? Pourquoi regardes-tu à terre? J'aime les gens qui me regardent en face et qui disputent avec moi. Continue.

Sophie Matvievna fit le récit détaillé de la rencontre, parla des livres, raconta comme quoi Stépan Trophimovitch Stépan Trophimovitch avait offert de l'eau-de-vie à une paysanne…

— Bien, bien, approuva Barbara Pétrovna, — n'omets pas le moindre détail.

— Quand nous sommes arrivés ici, poursuivit la colporteuse, — il était déjà très malade et parlait toujours; il m'a raconté toute sa vie depuis le commencement, cela a duré plusieurs heures.

— Raconte-moi ce qu'il t'a dit de sa vie.

Cette exigence mit Sophie Matvievna dans un grand embarras.

— Je ne saurais pas reproduire ce récit, fit-elle les larmes aux yeux, — je n'y ai presque rien compris.

— Tu mens; il est impossible que tu n'y aies pas compris quelque chose.

— Il m'a longuement parlé d'une dame de la haute société, qui avait les cheveux noirs, reprit Sophie Matvievna, rouge comme une pivoine; du reste, elle avait remarqué que Barbara Pétrovna était blonde et n'offrait aucune ressemblance avec la «brune».

— Une dame qui avait les cheveux noirs? — Qu'est-ce que c'est bien que cela? Allons, parle!

— Il m'a dit que cette dame l'avait passionnément aimé pendant toute sa vie, pendant vingt années entières; mais que jamais elle n'avait osé lui avouer son amour et qu'elle se sentait honteuse devant lui, parce qu'elle était trop grosse…

— L'imbécile! déclara sèchement Barbara Pétrovna qui cependant paraissait songeuse.

Sophie Matvievna n'était plus en état de retenir ses larmes.

— Je ne saurais pas bien raconter, car, pendant qu'il parlait, j'étais moi-même fort inquiète pour lui, et puis je ne pouvais pas comprendre, parce que c'est un homme si spirituel…

— Ce n'est pas une corneille comme toi qui peut juger de son esprit. Il t'a offert sa main?

La narratrice se mit à trembler.

— Il s'est amouraché de toi? — Parle! Il t'a proposé le mariage? cria Barbara Pétrovna.

— À peu près, répondit en pleurant Sophie Matvievna. — Mais j'ai pris tout cela pour l'effet de la maladie et n'y ai attaché aucune importance, ajouta-t-elle en relevant hardiment les yeux.

— Comment t'appelle-t-on: ton prénom et ta dénomination patronymique?

— Sophie Matvievna.

— Eh bien, sache, Sophie Matvievna, que c'est l'homme le plus vain, le plus mauvais… Seigneur! Seigneur! Me prends-tu pour une vaurienne?

La colporteuse ouvrit de grands yeux.

— Pour une vaurienne, pour un tyran? Crois-tu que j'aie fait le malheur de sa vie?

— Comment cela serait-il possible, alors que vous-même pleurez?

Des larmes mouillaient, en effet, les paupières de Barbara
Pétrovna.

— Eh bien, assieds-toi, assieds-toi, n'aie pas peur. — Regarde- moi encore une fois en face, entre les deux yeux; pourquoi rougis- tu? Dacha, viens ici, regarde-la: qu'en penses-tu? son coeur est pur…

Et soudain la générale tapota la joue de Sophie Matvievna, chose qui effraya celle-ci plus encore peut-être qu'elle ne l'étonna.

— C'est dommage seulement que tu sois sotte. — On n'est pas sotte comme cela à ton âge. C'est bien, ma chère, je m'occuperai de toi. Je vois que tout cela ne signifie rien. Pour le moment reste ici, je me charge de ton logement et de ta nourriture; tu seras défrayée de tout… en attendant, je prendrai des informations.

La colporteuse fit remarquer timidement qu'elle était forcée de partir au plus tôt.

— Rien ne te force à partir. — J'achète en bloc tous tes livres, mais je veux que tu restes ici. Tais-toi, je n'admets aucune observation. Voyons, si je n'étais pas venue, tu ne l'aurais pas quitté, n'est-ce pas?

— Pour rien au monde je ne l'aurais quitté, répondit d'une voix douce, mais ferme, Sophie Matvievna qui s'essuyait les yeux.

Le docteur Zaltzfisch n'arriva qu'à une heure avancée de la nuit. C'était un vieillard qui jouissait d'une grande considération, et un praticien expérimenté. Peu de temps auparavant, une disgrâce administrative lui avait valu la perte de sa position dans le service, et, depuis lors, Barbara Pétrovna s'était mise à le «protéger» de tout son pouvoir. Il examina longuement Stépan Trophimovitch, questionna, puis déclara avec ménagement à la générale que, par suite d'une complication survenue dans l'état du malade, celui-ci se trouvait en grand danger: «Il faut, dit-il, s'attendre au pire.» Durant ces vingt ans Barbara Pétrovna avait insensiblement perdu l'habitude de prendre au sérieux quoi que ce fût qui concernât Stépan Trophimovitch; les paroles du médecin la bouleversèrent.

— Se peut-il qu'il n'y ait plus aucun espoir? demanda-t-elle en pâlissant.

— Il n'en reste plus guère, mais…

Elle ne se coucha pas de la nuit et attendit impatiemment le lever du jour. Dès que le malade eut ouvert les yeux (il avait toujours sa connaissance, quoiqu'il s'affaiblît d'heure en heure), elle l'interpella du ton le plus résolu:

— Stépan Trophimovitch, il faut tout prévoir. — J'ai envoyé chercher un prêtre. Vous êtes tenu d'accomplir le devoir…

Connaissant les convictions de celui à qui elle s'adressait, la général craignait fort que sa demande ne fût repoussée. Il la regarda d'un air surpris.

— C'est absurde, c'est absurde! vociféra-t-elle, croyant déjà à un refus; — à présent il ne s'agit plus de jouer à l'esprit fort, le temps de ces gamineries est passé.

— Mais… est-ce que je suis malade?

Il devint pensif et consentit. Je fus fort étonné quand plus tard Barbara Pétrovna m'apprit que la mort ne l'avait nullement effrayé. Peut-être ne la croyait-il pas si prochaine, et continuait-il à regarder sa maladie comme une bagatelle.

Il se confessa et communia de très bonne grâce. Tout le monde, y compris Sophie Matvievna et les domestiques eux-mêmes, vint le féliciter d'avoir reçu les sacrements. Tous, jusqu'au dernier, avaient peine à retenir leurs larmes en voyant le visage décharné, les lèvres blêmes et tremblantes du moribond.

_— Oui, mes amis, _et je m'étonne seulement que vous soyez si… préoccupés. Demain sans doute je me lèverai, et nous… partirons… _Toute cette cérémonie… _que je considère, cela va sans dire, avec tout le respect voulu… était…

Le pope s'était déjà dépouillé de ses ornements sacerdotaux,
Barbara Pétrovna le retint:

— Je vous prie instamment, batuchka, de rester avec le malade; on va servir le thé; parlez-lui, s'il vous plaît, des choses divines pour l'affermir dans la foi.

L'ecclésiastique prit la parole; tous étaient assis ou debout autour du lit de Stépan Trophimovitch.

— À notre époque de péché, commença le pope en tenant à la main sa tasse de thé, — la foi au Très Haut est l'unique refuge du genre humain dans toutes les épreuves et tribulations de la vie, aussi bien que dans l'espoir du bonheur éternel promis aux justes…

Stépan Trophimovitch parut tout ranimé; un fin sourire glissa sur ses lèvres.

— Mon père, je vous remercie, et vous êtes bien bon, mais…

— Pas de _mais, _pas de mais! s'écria Barbara Pétrovna bondissant de dessus son siège. — Batuchka, dit-elle au pope, — c'est un homme qui… dans une heure il faudra encore le confesser! Voilà l'homme qu'il est!

Le malade eut un sourire contenu.

— Mes amis, déclara-t-il, — Dieu m'est nécessaire, parce que c'est le seul être qu'on puisse aimer éternellement…

Croyait-il réellement, ou bien l'imposante solennité du sacrement qui venait de lui être administré agissait-elle sur sa nature artistique? Quoi qu'il en soit, il prononça d'une voix ferme et, dit-on, avec beaucoup de sentiment quelques mots qui étaient la négation formelle de ses anciens principes.

— Mon immortalité est nécessaire, parce que Dieu ne voudrait pas commettre une iniquité, éteindre à tout jamais la flamme de l'amour divin, une fois qu'elle s'est allumée dans mon coeur. Et qu'y a-t-il de plus précieux que l'amour? L'amour est supérieur à l'existence, l'amour est la couronne de la vie, et comment se pourrait-il que la vie ne lui fût pas soumise? Si j'ai aimé Dieu, si je me suis réjoui de mon amour, est-il possible qu'il nous éteigne, moi et ma joie, qu'il nous fasse rentrer l'un et l'autre dans le néant? Si Dieu existe, je suis immortel! Voilà ma profession de foi.

— Dieu existe, Stépan Trophimovitch, je vous assure qu'il existe, fit d'un ton suppliant Barbara Pétrovna, — rétractez-vous, renoncez à toutes vos sottises au moins une fois dans votre vie! (Évidemment elle n'avait pas du tout compris la «profession de foi» du malade.)

— Mon amie, reprit-il avec une animation croissante, quoique sa voix s'arrêtât souvent dans son gosier, — mon amie, quand j'ai compris… cette joue tendue… alors aussi j'ai compris plusieurs autres choses… _J'ai menti toute ma vie, _toute, toute ma vie! Je voudrais… du reste demain… Demain nous partirons tous.

Barbara Pétrovna fondit en larmes. Stépan Trophimovitch cherchait des yeux quelqu'un.

— La voilà, elle est ici, dit la générale qui, prenant Sophie Matvievna par la main, l'amena auprès du lit. Le malade eut un sourire attendri.

— Oh! je voudrais vivre encore! s'écria-t-il avec une énergie extraordinaire. — Chaque minute, chaque instant de la vie doit être un bonheur pour l'homme… oui, cela doit être! C'est le devoir de l'homme même d'organiser ainsi son existence; c'est sa loi — loi cachée, mais qui n'en existe pas moins… Oh! je voudrais voir Pétroucha… et tous les autres… et Chatoff!

Je note que ni Daria Pavlovna, ni Barbara Pétrovna, ni même Zaltzfisch, arrivé le dernier de la ville ne savaient encore rien au sujet de Chatoff.

L'agitation fébrile de Stépan Trophimovitch allait toujours en augmentant et achevait d'épuiser ses forces.

— La seule pensée qu'il existe un être infiniment plus juste, infiniment plus heureux que moi, me remplit tout entier d'un attendrissement immense, et, qui que je sois, quoi que j'aie fait, cette idée me rend glorieux! Son propre bonheur est pour l'homme un besoin bien moindre que celui de savoir, de croire à chaque instant qu'il y a quelque part un bonheur parfait et calme, pour tous et pour tout. Toute la loi de l'existence humaine consiste à toujours pouvoir s'incliner devant l'infiniment grand. Ôtez aux hommes la grandeur infinie, ils cesseront de vivre et mourront dans le désespoir. L'immense, l'infini est aussi nécessaire à l'homme que la petite planète sur laquelle il habite… Mes amis, tous, tous: vive la Grande Pensée! L'immense, l'éternelle Pensée! Tout homme, quel qu'il soit, a besoin de s'incliner devant elle. Quelque chose de grand est nécessaire même à l'homme le plus bête. Pétroucha… Oh! que je voudrais les voir tous encore une fois! Ils ne savent pas, ils ne savent pas qu'en eux aussi réside cette grande, cette éternelle Pensée!

Le docteur Zaltzfisch qui n'avait pas assisté à la cérémonie entra à l'improviste et fut épouvanté de trouver là tant de monde. Il mit aussitôt cette foule à la porte, insistant pour qu'on épargnât toute agitation au malade.

Stépan Trophimovitch expira trois jours après, mais la connaissance l'avait déjà complètement abandonné lorsqu'il mourut. Il s'éteignit doucement, comme une bougie consumée. Barbara Pétrovna fit célébrer un service funèbre à Oustiévo, puis elle ramena à Skvorechniki les restes de son pauvre ami. Le défunt repose maintenant dans le cimetière qui avoisine l'église; une dalle de marbre a déjà été placée sur sa tombe; au printemps prochain, on mettra une inscription et un grillage.

L'absence de Barbara Pétrovna dura huit jours. La générale revint ensuite à la ville, ramenant dans sa voiture Sophie Matvievna qui, sans doute, restera désormais chez elle. Détail à noter, dès que Stépan Trophimovitch eut perdu l'usage de ses sens, Barbara Pétrovna ordonna de nouveau à la colporteuse de quitter l'izba et demeura seule auprès du malade pour lui donner des soins. Mais sitôt qu'il eût rendu le dernier soupir, elle se hâta de rappeler Sophie Matvievna et lui proposa ou plutôt la somma de venir se fixer à Skvorechniki. En vain la jeune femme effrayée balbutia un timide refus, la générale ne voulut rien entendre.

— Tout cela ne signifie rien! J'irai moi-même vendre l'Évangile avec toi. Maintenant, je n'ai plus personne sur la terre.

— Pourtant vous avez un fils, observa Zaltzfisch.

— Je n'ai plus de fils, répondit Barbara Pétrovna.

L'événement allait bientôt lui donner raison.

CHAPITRE VIII
CONCLUSION.

Toute les vilenies et tous les crimes dont on a lu le récit se découvrirent fort vite, beaucoup plus vite que ne l'avait prévu Pierre Stépanovitch. La nuit où son mari fut assassiné, la malheureuse Marie Ignatievna s'éveilla avant l'aurore, le chercha à ses côtés, et, ne le trouvant pas, fut prise d'une inquiétude indicible. Dans la chambre couchait la garde envoyée par Arina Prokhorovna. Elle essaya vainement de calmer la jeune femme, et, dès qu'il commença à faire jour, elle courut chercher l'accoucheuse après avoir assuré à la malade que madame Virguinsky savait où était son mari et quand il reviendrait. En ce moment, Arina Prokhorovna était elle-même fort soucieuse, car elle venait d'apprendre de la bouche de son mari ce qui s'était passé cette nuit-là à Skvorechniki. Il était rentré chez lui entre dix et onze heures du soir dans un état d'agitation effrayant. Se tordant les mains, il s'était jeté à plat ventre sur son lit et ne cessait de répéter à travers les sanglots qui secouaient convulsivement tout son corps: «Ce n'est pas cela, pas cela; ce n'est pas du tout cela!» À la fin, naturellement, pressé de questions par sa femme, il lui avoua tout, mais il ne révéla rien à aucune personne de la maison. Lorsque Arina Prokhorovna eut décidé son mari à se mettre au lit, elle le quitta en lui disant d'un ton sévère: «Si tu veux braire, brais du moins dans ton oreiller pour qu'on ne t'entende pas, et demain, si tu n'es pas un imbécile, ne fais semblant de rien». Puis, en prévision d'une descente de police, elle cacha ou détruisit tout ce qui pouvait être compromettant: des papiers, des livres, des proclamations peut-être. Cela fait, madame Virguinsky se dit que personnellement elle n'avait pas grand chose à craindre, pas plus que sa soeur, sa tante, l'étudiante et peut- être aussi son frère, l'homme aux longues oreilles. Le matin, quand la garde malade vint la trouver, elle ne se fit pas prier pour aller voir Marie Ignatievna. D'ailleurs, un motif particulier la décida à se rendre à la maison Philippoff: la veille son mari lui avait parlé des calculs fondés par Pierre Stépanovitch sur le suicide de Kiriloff; or, n'ajoutant qu'une foi médiocre aux propos d'un homme que la terreur semblait avoir affolé, elle était pressée de s'assurer s'il y avait là autre chose que les rêves d'un esprit en délire.

Mais quand elle arriva chez Marie Ignatievna, il était trop tard: après le départ de la garde malade, la jeune femme restée seule n'avait pu y tenir, elle avait quitté son lit, avait jeté sur elles les premières nippes venues, — des vêtements fort légers pour la saison, — et s'était rendue au pavillon de Kiriloff, pensant que l'ingénieur pouvait mieux que personne lui donner des nouvelles de son mari.

Il est facile de se représenter l'effet que produisit sur l'accouchée le spectacle qui s'offrit à ses yeux. Chose à remarquer, elle ne lut pas la lettre laissée en évidence sur la table par le suicidé, sans doute son trouble ne lui permit pas de l'apercevoir. Elle revint en courant à sa chambrette, prit l'enfant et sortit de la maison. La matinée était humide, il faisait du brouillard. Dans cette rue écartée, on ne rencontrait aucun passant. Marie Ignatievna s'essoufflait à courir dans la boue froide; à la fin elle alla frapper de porte en porte; la première resta inexorablement fermée; la seconde tardant à s'ouvrir, l'impatience la prit, et elle s'en fut cogner à la suivante. Là demeurait notre marchand Titoff. Les lamentations incohérentes de Marie Ignatievna jetèrent l'émoi dans cette maison; elle assurait qu'»on avait tué son mari», mais sans fournir aucun détail précis à ce sujet. Les Titoff connaissaient un peu Chatoff et son histoire: ils furent saisis à la vue de cette femme accouchée, disait-elle, depuis vingt-quatre heures seulement, qui, par un froid pareil, courait les rues à peine vêtue, avec un baby presque nu sur les bras. Leur première idée fut qu'elle avait le délire, d'autant plus qu'ils ne pouvaient s'expliquer, d'après ses paroles, qui avait été tué: si c'était son mari ou Kiriloff. S'apercevant qu'ils ne la croyaient pas, elle voulut s'en aller, mais ils la retinrent de force; elle cria, dit-on, et se débattit d'une façon terrible. On se rendit à la maison Philippoff; au bout de deux heures le suicide de Kiriloff et son écrit posthume furent connus de toute la ville. La police interrogea l'accouchée, qui n'avait pas encore perdu l'usage de ses sens; ses réponses prouvèrent qu'elle n'avait pas lu la lettre de Kiriloff, mais alors d'où concluait-elle que son mari était tué aussi? — À cet égard, on ne put tirer d'elle aucun éclaircissement. Elle ne savait que répéter: «Puisque celui-là est tué, mon mari doit l'être aussi; ils étaient ensemble!» Vers midi elle eut une syncope et ne recouvra plus sa connaissance, trois jours après elle expira. L'enfant, victime du froid, était mort avant sa mère. Ne trouvant plus à la maison Philippoff ni Marie Ignatievna, ni le baby, Arina Prokhorovna comprit que c'était mauvais signe et songea à retourner chez elle au plus vite; mais, avant de s'éloigner, elle envoya la garde malade «demander au monsieur du pavillon si Marie Ignatievna était chez lui et s'il savait quelque chose d'elle». Cette femme revint en poussant des cris épouvantables. Après lui avoir demandé de se taire au moyen du fameux argument: «On vous appellera devant la justice», madame Virguinsky s'esquiva sans bruit.

Il va de soi que ce matin même elle fut invitée à fournir des renseignements, comme ayant donné des soins à l'accouchée; mais sa déposition se réduisit à fort peu de chose; elle raconta très nettement et avec beaucoup de sang-froid tout ce qu'elle-même avait vu et entendu chez Chatoff; quant au reste, elle déclara n'en avoir aucune connaissance et n'y rien comprendre.

On peut se figurer quel vacarme ce fut dans la ville. Une nouvelle «histoire», encore un meurtre! Mais ici il y avait autre chose: on commençait à s'apercevoir qu'il existait réellement une société secrète d'assassins, de boute-feu révolutionnaires, d'émeutiers. La mort terrible de Lisa, l'assassinat de la femme Stavroguine, la fuite de Stavroguine lui-même, l'incendie, le bal au profit des institutrices, la licence qui régnait dans l'entourage de Julie Mikhaïlovna… Il n'y eut pas jusqu'à la disparition de Stépan Trophimovitch où l'on ne voulût absolument voir une énigme. Dans les propos qu'on échangeait à voix basse, le nom de Nicolas Vsévolodovitch revenait sans cesse. À la fin de la journée, on apprit aussi le départ de Pierre Stépanovitch et, chose singulière, ce fut de lui qu'on parla le moins. En revanche on s'entretint beaucoup, ce jour-là, du «sénateur». Pendant presque toute la matinée, une foule nombreuse stationna devant la maison Philippoff. La lettre de Kiriloff trompa effectivement l'autorité. On crut et à l'assassinat de Chatoff par l'ingénieur, et au suicide de l'»assassin». Toutefois l'erreur ne fut pas de longue durée. Par exemple, le «parc» dont il était parlé en termes si vagues dans la lettre de Kiriloff ne dérouta personne, contrairement aux prévisions de Pierre Stépanovitch. La police se transporta aussitôt à Skvorechniki. Outre qu'il n'y avait pas d'autre parc que celui-là dans nos environs, une sorte d'instinct fit diriger les investigations de ce côté: Skvorechniki était, en effet, mêlé directement ou indirectement à toutes les horreurs des derniers jours. C'est ainsi, du moins, que je m'explique le fait. (Je note que, dès le matin, Barbara Pétrovna ne sachant rien encore était partie à la recherche de Stépan Trophimovitch.) Grâce à certains indices, le soir du même jour, le corps fut découvert dans l'étang; on avait trouvé sur le lieu du crime la casquette de Chatoff, oubliée avec une étourderie singulière par les assassins. L'examen médical du cadavre et différentes présomptions donnèrent à penser, dès le premier moment, que Kiriloff devait avoir eu des complices. Il était hors de doute que Chatoff et Kiriloff avaient fait partie d'une société secrète non étrangère aux proclamations. Mais quels étaient ces complices? Personne, ce jour-là, ne songea à soupçonner quelqu'un des _nôtres _On savait que Kiriloff vivait en reclus et dans une solitude telle que, comme le disait la lettre, Fedka, si activement recherché partout, avait pu loger chez lui pendant dix jours… Ce qui surtout énervait l'esprit public, c'était l'impossibilité de tirer au clair ce sinistre imbroglio. Il serait difficile d'imaginer à quelles conclusions fantastiques serait arrivée notre société en proie à l'affolement de la peur, si tout ne s'était brusquement expliqué le lendemain, grâce à Liamchine.

Il ne put y tenir et donna raison au pressentiment qui, dans les derniers temps, avait fini par inquiéter Pierre Stépanovitch lui- même. Placé sous la surveillance de Tolkatchenko, le Juif passa dans son lit toute la journée qui suivit le crime et, en apparence, il fut très calme: le visage tourné du côté du mur, il ne disait pas un mot et répondait à peine, si on lui adressait la parole. De la sorte, il ne sut rien de ce qui avait eu lieu ce jour-là en ville. Mais ces événements parvinrent à la connaissance de Tolkatchenko; en conséquence, le soir venu, il renonça au rôle que Pierre Stépanovitch lui avait confié auprès de Liamchine, et quitta la ville pour se rendre dans le district; autrement dit, il prit la fuite. Comme l'avait prédit Erkel, tous perdirent la tête. Je note en passant que, dans l'après-midi de ce même jour, Lipoutine disparut aussi. Toutefois, le départ de celui-ci ne fut connu de l'autorité que le lendemain soir; on alla interroger sa famille qui, fort inquiète de cette fugue, n'avait pas osé en parler dans la crainte de le compromettre.

Mais je reviens à Liamchine. À peine eut-il été laissé seul qu'il s'élança hors de chez lui et, naturellement, ne tarda pas à apprendre l'état des choses. Sans même repasser à son domicile, il se mit à fuir en courant tout droit devant lui. Mais l'obscurité était si épaisse et l'entreprise offrait tant de difficultés, qu'après avoir enfilé successivement deux ou trois rues, il regagna sa demeure, où il s'enferma pour la nuit. Le matin, paraît-il, il essaya de se tuer, mais cette tentative ne réussit pas. Jusqu'à midi il resta chez lui, portes closes; puis tout d'un coup il alla se dénoncer. Ce fut, dit-on, en se traînant sur ses genoux qu'il se présenta à la police; il sanglotait, poussait des cris, baisait le parquet et se déclarait indigne même de baiser les bottes des hauts fonctionnaires qu'il avait devant lui. On le calma, on fit plus, on lui prodigua des caresses. Son interrogatoire dura trois heures. Il avoua tout, révéla le dessous des événements, ne cacha rien de ce qu'il savait, devançant les questions et entrant même dans des détails inutiles. Bref, sa déposition montra les choses sous leur vrai jour: le meurtre de Chatoff, le suicide de Kiriloff, l'incendie, la mort des Lébiadkine, etc., passèrent au second plan, tandis qu'au premier apparurent Pierre Stépanovitch, la société secrète, l'organisation, le réseau. Quand on demanda à Liamchine quel avait été le mobile de tant d'assassinats, de scandales et d'abominations, il s'empressa de répondre que «le but était l'ébranlement systématique des bases, la décomposition sociale, la ruine de tous les principes: quand on aurait semé l'inquiétude dans les esprits, jeté le trouble partout, amené la société vacillante et sceptique à un état de malaise, d'affaiblissement et d'impuissance qui lui fit désirer de toute ses forces une idée dirigeante, alors on devait lever l'étendard de la révolte en s'appuyant sur l'ensemble des sections déjà instruites de tous les points faibles sur lesquels il y avait lieu de porter l'attaque». Il acheva en disant que Pierre Stépanovitch n'avait fait dans notre ville qu'un essai de ce désordre systématique et comme une répétition d'un programme d'action ultérieure, c'était son opinion personnelle (à lui, Liamchine), et il priait qu'on lui tînt compte de la franchise de ses déclarations: elle prouvait qu'il pouvait rendre dans l'avenir des services à l'autorité. À la question: Y a-t-il beaucoup de sections? il répondit qu'il y en avait une multitude innombrable, que leur réseau couvrait toute la Russie, et, quoiqu'il ne fournît aucune preuve à l'appui de son dire, je pense qu'il parlait en toute sincérité. Seulement il ne faisait que citer le programme de la société imprimé à l'étranger et le projet d'action ultérieure dont Pierre Stépanovitch avait rédigé le brouillon. Le passage de la déposition de Liamchine concernant «l'ébranlement des bases» était emprunté mot pour mot à cet écrit, quoique le Juif prétendit n'émettre que des considérations personnelles. Sans attendre qu'on l'interrogeât au sujet de Julie Mikhaïlovna, il déclara avec un empressement comique «qu'elle était innocente et qu'on s'était seulement joué d'elle». Mais il est à noter qu'il ne négligea rien pour disculper Nicolas Vsévolodovitch de toute participation à la société secrète, de toute entente avec Pierre Stépanovitch. (Les mystérieuse et fort ridicules espérances que ce dernier avait fondées sur Stavroguine, Liamchine était bien loin de les soupçonner.) À l'en croire, Pierre Stépanovitch seul avait fait périr les Lébiadkine, dans le but machiavélique d'asseoir sa domination sur Nicolas Vsévolodovitch en le mêlant à un crime. Mais, au lieu de la reconnaissance sur laquelle il comptait, Pierre Stépanovitch n'avait provoqué que l'indignation et même le désespoir dans l'âme du «noble» Nicolas Vsévolodovitch. Toujours sans qu'on le questionnât, Liamchine laissa entendre, évidemment à dessein, que Stavroguine était probablement un oiseau de très haute volée, mais qu'il y avait là un secret; «il a vécu chez nous, pour ainsi dire, incognito», observa le Juif, «et il est fort possible qu'il vienne encore de Pétersbourg ici (Liamchine était sûr que Stavroguine se trouvait à Pétersbourg), seulement ce sera dans de tout autres conditions et à la suite de personnages dont on entendra peut-être bientôt parler chez nous». Il ajouta qu'il tenait ces renseignements de Pierre Stépanovitch, «l'ennemi secret de Nicolas Vsévolodovitch».

(N.B. Deux mois après, Liamchine avoua que c'était en vue de s'assurer la protection de Stavroguine qu'il avait mis tous ses soins à le disculper: il espérait qu'à Pétersbourg Nicolas Vsévolodovitch lui obtiendrait une commutation de peine, et qu'il ne le laisserait pas partir pour la Sibérie sans lui donner de l'argent et des lettres de recommandation. On voit par là combien Liamchine s'exagérait l'importance de Stavroguine.)

Le même jour, naturellement, on arrêta Virguinsky et avec lui toutes les personnes de sa famille. (Arina Prokhorovna, sa soeur, sa tante et l'étudiante ont été mises en liberté depuis longtemps; on dit même que Chigaleff ne tardera pas à être relâché, lui aussi, attendu qu'aucun des chefs d'accusation ne le vise; du reste, ce n'est encore qu'un bruit.) Virguinsky fit immédiatement les aveux les plus complets; il était au lit avec la fièvre lorsque la police pénétra dans son domicile, et on prétend qu'il la vit arriver avec une sorte de plaisir: «Cela me soulage le coeur», aurait-il dit. Dans les interrogatoires, il paraît qu'il répond franchement et non sans une certaine dignité. Il ne renonce à aucune de ses «lumineuses espérances», tout en maudissant le fatal «concours de circonstances», qui lui a fait déserter la voie du socialisme pour celle de la politique. L'enquête semble démontrer qu'il n'a pris au crime qu'une part fort restreinte, aussi peut-il s'attendre à une condamnation relativement légère. Voilà du moins ce qu'on assure chez nous.

Quant à Erkel, il est peu probable que le bénéfice des circonstances atténuantes lui soit accordé. Depuis son arrestation, il se renferme dans un mutisme absolu, ou ne parle que pour altérer la vérité. Jusqu'à présent on n'a pas pu obtenir de lui un seul mot de repentir. Et pourtant il inspire une certaine sympathie même aux magistrats les plus sévères; sans parler de l'intérêt qu'éveillent sa jeunesse et son malheur, on sait qu'il n'a été que la victime d'un suborneur politique. Mais c'est surtout sa piété filiale, aujourd'hui connue, qui dispose les esprits en sa faveur. Sa mère est maintenant dans notre ville. C'est une femme faible, malade, vieillie avant l'âge; elle pleure et se roule littéralement aux pieds des juges en implorant la pitié pour son fils. Il en adviendra ce qu'il pourra, mais chez nous beaucoup de gens plaignent Erkel.

Lipoutine séjournait depuis deux semaines à ¨Pétersbourg, quand il y fut arrêté. Sa conduite est difficile à expliquer. Il s'était muni, dit-on, d'un faux passeport et d'une somme d'argent considérable; rien ne lui aurait été plus aisé que de filer à l'étranger. Cependant il resta à Pétersbourg. Après avoir cherché pendant quelque temps Stavroguine et Pierre Stépanovitch, il s'adonna soudain à la débauche la plus effrénée, comme un homme qui a perdu tout bon sens et n'a plus aucune idée de sa situation. On l'arrêta dans une maison de tolérance, où il fut trouvé en état d'ivresse. Maintenant s'il faut en croire les on dit, Lipoutine n'est nullement abattu. Il prodigue les mensonges dans ses interrogatoires, et se prépare avec une certaine solennité à passer en jugement; l'issue du procès ne paraît pas l'inquiéter; il a l'intention de prendre la parole au cours des débats. Infiniment plus convenable est l'attitude de Tolkatchenko, qui a été arrêté dans le district dix jours après son départ de notre ville: il ne ment pas, ne biaise pas, dit tout ce qu'il sait, ne cherche pas à se justifier et reconnaît ses torts en toute humilité. Seulement il aime aussi à poser pour l'orateur, il parle beaucoup et s'écoute parler; sa grande prétention est de connaître le peuple et les éléments révolutionnaires (?) qu'il contient; sur ce chapitre il est intarissable; lui aussi compte, dit-on, prononcer un discours à l'audience. De même que Lipoutine, Tolkatchenko semble espérer un acquittement, et cela ne laisse pas d'être étrange.

Je le répète, cette affaire n'est pas encore finie. Maintenant que trois mois se sont écoulés, notre société, remise de ses alarmes, envisage les choses avec beaucoup plus de sang-froid. C'est à ce point qu'aujourd'hui plusieurs considèrent Pierre Stépanovitch sinon tout à fait comme un génie, du moins comme un homme «doué de facultés géniales». «Une organisation!» disent-ils au club, en levant le doigt en l'air. Du reste, tout cela est fortement innocent, et ceux qui parlent ainsi sont le petit nombre. Au contraire, les autres, sans nier l'intelligence de Pierre Stépanovitch, voient en lui un esprit totalement ignorant de la réalité, féru d'abstractions, développé dans un sens exclusif et, par suite, extrêmement léger.

Je ne sais vraiment de qui parler encore pour n'oublier personne. Maurice Nikolaïévitch nous a quittés définitivement. La vieille générale Drozdoff est tombée en enfance… Mais il me reste à raconter une histoire très sombre. Je m'en tiendrai aux faits.

En arrivant d'Oustiévo, Barbara Pétrovna descendit à sa maison de ville. Elle apprit brusquement tout ce qui s'était passé chez nous en son absence, et ces nouvelles la bouleversèrent. Elle s'enferma seule dans sa chambre. Il était tard, tout le monde était fatigué, on alla bientôt se coucher.

Le lendemain matin, la femme de chambre remit d'un air mystérieux à Daria Pavlovna une lettre qui, dit-elle, était arrivée dans la soirée de la veille, mais, comme mademoiselle était déjà couchée, elle n'avait pas osé l'éveiller. Cette lettre n'était pas venue par la poste, un inconnu l'avait apportée à Skvorechniki et donnée à Alexis Egoritch; celui-ci s'était aussitôt rendu à la ville, avait remis le pli à la femme de chambre, et immédiatement après était retourné à Skvorechniki.

Daria Pavlovna, dont le coeur battait avec force, regarda longtemps la lettre sans pouvoir se résoudre à la décacheter. Elle en avait deviné l'expéditeur: c'était Nicolas Stavroguine. Sur l'enveloppe la jeune fille lut l'adresse suivante: «À Alexis Egoritch, pour remettre en secret à Daria Pavlovna».

Voici cette lettre:

«Chère Daria Pavlovna,

«Jadis vous vouliez être ma «garde-malade», et vous m'avez fait promettre que je vous appellerais quand il le faudrait. Je pars dans deux jours et je ne reviendrai plus. Voulez-vous venir avec moi?

«L'an dernier, comme Hertzen, je me suis fait naturaliser citoyen du canton d'Uri, et personne ne le sait. J'ai acheté dans ce pays une petite maison. Je possède encore douze mille roubles; nous nous transporterons là-bas et nous y resterons éternellement. Je ne veux plus aller nulle part désormais.

«Le lieu est fort ennuyeux; c'est un vallon resserré entre des montagnes qui gênent la vue et la pensée; il y fait fort sombre. Je me suis décidé pour cet endroit parce qu'il s'y trouvait une maisonnette à vendre. Si elle ne vous plaît pas, je m'en déferai et j'en achèterai une autre ailleurs.

«Je ne me porte pas bien, mais j'espère que l'air de la Suisse me guérira de mes hallucinations. Voilà pour le physique; quant au moral, vous savez tout; seulement, est-ce bien tout?

«Je vous ai raconté beaucoup de ma vie, mais pas tout. Même à vous je n'ai pas tout dit! À propos, je vous certifie qu'en conscience je suis coupable de la mort de ma femme. Je ne vous ai pas vue depuis lors, c'est pourquoi je vous déclare cela. Du reste, j'ai été coupable aussi envers Élisabeth Nikolaïevna, mais sur ce point je n'ai rien à vous apprendre; tout ce qui est arrivé, vous l'aviez en quelque sorte prédit.

«Il vaut mieux que vous ne veniez pas. C'est une terrible bassesse que je fais en vous appelant auprès de moi. Et pourquoi enseveliriez-vous votre vie dans ma tombe? Vous êtes gentille pour moi et, dans mes accès d'hypocondrie, j'étais bien aise de vous avoir à mes côtés: devant vous, devant vous seule je pouvais parler tout haut de moi-même. Mais ce n'est pas une raison. Vous vous êtes définie vous-même une «garde-malade», — tel est le mot dont vous vous êtes servie; pourquoi vous immoler ainsi? Remarquez encore qu'il faut n'avoir pas pitié de vous pour vous appeler, et ne pas vous estimer pour vous attendre. Cependant je vous appelle et je vous attends. En tout cas il me tarde d'avoir votre réponse, car je dois partir très prochainement. Si vous ne me répondez pas, je partirai seul.

«Je n'espère rien de l'Uri; je m'en vais tout bonnement. Je n'ai pas choisi exprès un site maussade. Rien ne m'attache à la Russie où, comme partout, je suis un étranger. À la vérité, ici plus qu'en un autre endroit j'ai trouvé la vie insupportable; mais, même ici, je n'ai rien pu détester!

«J'ai mis partout ma force à l'épreuve. Vous m'aviez conseillé de faire cela, «pour apprendre à me connaître». Dans ces expériences, comme dans toute ma vie précédente, je me suis révélé immensément fort. Vous m'avez vu recevoir impassible le soufflet de votre frère; j'ai rendu mon mariage public. Mais à quoi bon appliquer cette force, — voilà ce que je n'ai jamais vu, ce que je ne vois pas encore, malgré les encouragements que vous m'avez donnés en Suisse et auxquels j'ai prêté l'oreille. Je puis, comme je l'ai toujours pu, éprouver le désir de faire une bonne action et j'en ressens du plaisir; à côté de cela je désire aussi faire du mal et j'en ressens également de la satisfaction. Mais ces impressions, quand elles se produisent, ce qui arrive fort rarement, sont, comme toujours, très légères. Mes désirs n'ont pas assez de force pour me diriger. On peut traverser une rivière sur une poutre et non sur un copeau. Ceci pour que vous ne croyiez pas que j'aille dans l'Uri avec des espérances quelconques.

«Selon ma coutume, je n'accuse personne. J'ai expérimenté la débauche sur une grande échelle et j'y ai épuisé mes forces, mais je ne l'aime pas et elle n'était pas mon but. Vous m'avez suivi dans ces derniers temps. Savez-vous que j'avais pris en grippe nos négateurs eux-mêmes, jaloux que j'étais de leurs espérances? Mais vous vous alarmiez à tort: ne partageant aucune de leurs idées, je ne pouvais être leur associé. Une autre raison encore m'empêchait de me joindre à eux, ce n'était pas la peur du ridicule, — je suis au-dessus de cela, — mais la haine et le mépris qu'ils m'inspiraient; j'ai, malgré tout, les habitudes d'un homme comme il faut, et leur commerce me répugnait. Mais si j'avais éprouvé à leur égard plus de haine et de jalousie, peut-être me serais-je mis avec eux. Jugez si j'en ai pris à mon aise!

«Chère amie, créature tendre et magnanime que j'ai devinée! Peut- être attendez-vous de votre amour un miracle, peut-être vous flattez-vous qu'à force de répandre sur moi les trésors de votre belle âme, vous finirez par devenir vous-même le but qui manque à ma vie? Non, mieux vaut ne pas vous bercer de cette illusion: mon amour sera aussi mesquin que je le suis moi-même, et vous n'avez pas de chance. Quand on n'a plus d'attache à son pays, m'a dit votre frère, on n'a plus de dieux, c'est-à-dire plus de but dans l'existence. On peut discuter indéfiniment sur tout, mais de moi il n'est sorti qu'une négation sans grandeur et sans force. Encore me vanté-je en parlant ainsi. Tout est toujours faible et mou. Le magnanime Kiriloff a été vaincu par une idée, et — il s'est brûlé la cervelle; mais je vois sa magnanimité dans ce fait qu'il a perdu la tête. Jamais je ne pourrai en faire autant. Jamais je ne pourrai croire aussi passionnément à une idée. Bien plus, il m'est impossible de m'occuper d'idées à un tel point. Jamais, jamais je ne pourrai me brûler la cervelle!

«Je sais que je devrais me tuer, me balayer de la surface de la terre comme un misérable insecte; mais j'ai peur du suicide, car je crains de montrer de la grandeur d'âme. Je vois que ce serait encore une tromperie, — un dernier mensonge venant s'ajouter à une infinité d'autres. Quel avantage y a-t-il donc à se tromper soi-même, uniquement pour jouer à l'homme magnanime? Devant toujours rester étranger à l'indignation et à la honte, jamais non plus je ne pourrai connaître le désespoir.

«Pardonnez-moi de vous écrire si longuement. Dix lignes suffisaient pour appeler ma «garde-malade».

«Après avoir pris le train l'autre jour, je suis descendu à la sixième station, et j'habite là incognito chez un employé dont j'ai fait la connaissance il y a cinq ans, au temps de mes folies pétersbourgeoises. Écrivez-moi à l'adresse de mon hôte, vous la trouverez ci-jointe.

«Nicolas Stavroguine.»

Daria Pavlovna alla aussitôt montrer cette lettre à Barbara Pétrovna. La générale en prit connaissance et, voulant être seule pour la relire, pria Dacha de se retirer, mais un instant après elle rappela la jeune fille.

— Tu pars? demanda-t-elle presque timidement.

— Oui.

— Va tout préparer pour le voyage, nous partons ensemble!

Dacha regarda avec étonnement sa bienfaitrice.

— Mais que ferais-je ici maintenant? N'est-ce pas la même chose? Je vais aussi élire domicile dans le canton d'Uri et habiter au milieu de ces montagnes… Sois tranquille, je ne serai pas gênante.

On se mit à hâter les préparatifs de départ afin d'être prêts pour le train de midi. Mais une demi-heure ne s'était pas encore écoulée, quand parut Alexis Egoritch. Le domestique venait de Skvorechniki, où, dit-il, Nicolas Vsévolodovitch était arrivé «brusquement» par un train du matin; le barine avait un air qui ne donnait pas envie de l'interroger, il avait tout de suite passé dans son appartement, où il s'était enfermé.

— Quoiqu'il ne m'en ait pas donné l'ordre, j'ai cru devoir vous informer de la chose, ajouta Alexis Egoritch, dont le visage était très sérieux.

Sa maîtresse s'abstint de le questionner et se contenta de fixer sur lui un regard pénétrant. En un clin d'oeil la voiture fut attelée. Barbara Pétrovna partit avec Dacha. Pendant la route, elle fit souvent, dit-on, le signe de la croix.

On eut beau chercher Nicolas Vsévolodovitch dans toutes les pièces de son appartement, on ne le trouva nulle part.

— Est-ce qu'il ne serait pas dans la mezzanine? observa avec réserve Fomouchka.

Il est à noter que plusieurs domestiques avaient pénétré à la suite de Barbara Pétrovna dans l'appartement de son fils; les autres attendaient dans la salle. Jamais auparavant ils ne se seraient permis une telle violation de l'étiquette. La générale voyait cela et ne disait rien.

On monta à la mezzanine; il y avait là trois chambres, on ne trouva personne dans aucune.

— Mais est-ce qu'il n'est pas allé là? hasarda quelqu'un en montrant la porte d'une petite pièce au haut d'un escalier de bois long, étroit et excessivement roide. Le fait est que cette porte toujours fermée était maintenant grande ouverte.

— Je n'irai pas là. Pourquoi aurait-il grimpé là-haut? dit Barbara Pétrovna, qui, affreusement pâle, semblait interroger des yeux les domestiques. Ceux-ci la considéraient en silence. Dacha tremblait.

Barbara Pétrovna monta vivement l'escalier; Dacha la suivit, mais la générale ne fut pas plutôt entrée dans la chambre qu'elle poussa un cri et tomba sans connaissance.

Le citoyen du canton d'Uri était pendu derrière la porte. Sur la table se trouvait un petit bout de papier contenant ces mots écrits au crayon: «Qu'on n'accuse personne de ma mort, c'est moi qui me suis tué». À côté de ce billet il y avait un marteau, un morceau de savon et un gros clou, dont sans doute le défunt s'était muni pour être prêt à tout événement. Le solide lacet de soie, évidemment choisi d'avance, que Nicolas Vsévolodovitch s'était passé au cou, avait été au préalable savonné avec soin. Tout indiquait que la préméditation et la conscience avaient présidé jusqu'à la dernière minute à l'accomplissement du suicide.

Après l'autopsie du cadavre, nos médecins ont complètement écarté l'hypothèse de l'aliénation mentale.

FIN

     [1] Les mots en italique sont en français dans le texte.
     [2] C'est Tourguéneff que Dostoïevsky a voulu
représenter ici sous le nom de Karmazinoff. Il est à peine
besoin de faire remarquer que ce prétendu portrait n'est
qu'une injurieuse caricature.
     [3] Ce nom, emprunté au célèbre ouvrage de
Larmontoff: le Héros de notre temps, est devenu en Russie
synonyme de Don Juan.
     [4] Le poud équivaut à peu près à 20 kilogrammes.
     [5] Un mètre 82 centimètres.
     [6] En Russie, une couronne (viénetz) est posée sur la
tête des jeunes époux pendant la cérémonie nuptiale.
     [7] Nom donné en Russie aux insurgés du 14/26
décembre 1825.
     [8] Les zemstros sont des assemblées provinciales qui
correspondent à peu près à nos conseils généraux.
     [9] Gardien d'un enfant.
     [10] Fils de gentilhomme.
     [11] « Rassie » pour « Russie », « Aglois » pour
« Anglais » et plus bas « astrolome » pour « astronome »,
etc… traduisent un défaut de prononciation de Fedka le
forçat. (Note de E-books Libres et Gratuits).
     [12] Proverbe russe qui correspond à notre proverbe
français: Il vaut mieux s'adresser à Dieu qu'à ses saints.
     [13] Nom donné par les gens du peuple à Pétersbourg.
     [14] Pièce de deux kopeks.
     [15] Pièces de dix kopeks.
     [16] Fou religieux.
     [17] Membre d'une association d'ouvriers ou d'employés.
     [18] Un des cinq conjurés qui furent pendus après
l'insurrection du 14 décembre 1825.
     [19] On sait que les Russes ont l'habitude de s'embrasser
sur la bouche.
     [20] 1/13 octobre.
     [21] Mesure de capacité pour les liquides qui équivaut à
12 l. 2.
     [22] Les Skoptzi (Eunuques) prétendent avoir pour
grand-prêtre le tzar Pierre III, toujours vivant et présent au
milieu d'eux.
     [23] Ivan Sousloff, paysan de Vladimir, fut adopté par
Daniel Philippovitch, fondateur de la secte des Flagellants, et
contribua puissamment aux progrès de cette hérésie.
     [24] Toutes les phrases en italiques dans ce chapitre sont
en français dans le texte.
     [25] Locution proverbiale qui revient à dire: « Pas un de
vous ne sortira blanc de cette affaire. »
     [26] Partisans de la civilisation occidentale.
     [27] Il y a ici un calembour intraduisible: l'auteur joue
sur les mots tchast (poste de police) et tchastni
(particulier).
     [28] Quartier situé au-delà de la rivière.
     [29] Les phrases en italiques dans ce chapitre sont en
français dans le texte.
     [30] Les mots en italiques dans ce chapitre sont en
français dans le texte.

End of Project Gutenberg's Les possédés, by Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski

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