Les quatre livres de philosophie morale et politique de la Chine
[29] Vase hou-lien, richement orné, dont en faisait usage pour mettre le grain dans le temple des ancêtres. On peut voir les nos 21, 22, 23 (45e planche) des vases que l'auteur de cette traduction a fait graver, et publier dans le 1er volume de sa Description historique, géographique et littéraire de l'empire de la Chine; Paris, F. Didot, 1837.
[30] Deux fils du prince Kou-tchou.
[31] «Laissez venir à moi les petits enfants.» (Évangile.)
CHAPITRE VI,
COMPOSÉ DE 28 ARTICLES.
1. Le Philosophe dit: Young peut remplir les fonctions de celui qui se place sur son siège, la face tournée vers le midi (c'est-à-dire gouverner un État).
Tchoung-koung (Young) dit: Et Tsang-pe-tseu? Le Philosophe dit: Il le peut; il a le jugement libre et pénétrant.
Tchoung-koung dit: Se maintenir toujours dans une situation digne de respect, et agir d'une manière grande et libérale dans la haute direction des peuples qui nous sont confiés, n'est-ce pas là aussi ce qui rend propre à gouverner? Mais si on n'a que de la libéralité, et que toutes ses actions répondent à cette disposition de caractère, n'est-ce pas manquer des conditions nécessaires et ne posséder que l'excès d'une qualité?
Le Philosophe dit: Les paroles de Young sont conformes à la raison.
2. Ngaï-kong demanda quel était celui des disciples du Philosophe qui avait le plus grand amour de l'étude.
KHOUNG-TSEU répondit avec déférence: Il y avait Yan-hoeï qui aimait l'étude avec passion; il ne pouvait éloigner de lui l'ardent désir de savoir; il ne commettait pas deux fois la même faute. Malheureusement sa destinée a été courte, et il est mort jeune. Maintenant il n'est plus[32]! je n'ai pas appris qu'un autre eût un aussi grand amour de l'étude.
3. Tseu-hoa ayant été envoyé (par le Philosophe) dans le royaume de Tchi, Yan-tseu demanda du riz pour la mère de Tseu-hoa, qui était momentanément privée de la présence de son fils. Le Philosophe dit: Donnez-lui-en une mesure. Le disciple en demanda davantage. Donnez-lui-en une mesure et demie, répliqua-t-il. Yan-tseu lui donna cinq ping de riz (ou huit mesures).
Le Philosophe dit: Tchi (Tseu-hoa), en se rendant dans l'État de Thsi, montait des chevaux fringants, portait des pelisses fines et légères; j'ai toujours entendu dire que l'homme supérieur assistait les nécessiteux, et n'augmentait pas les richesses du riche.
Youan-sse (un des disciples du Philosophe) ayant été fait gouverneur d'une ville, on lui donna neuf cents mesures de riz pour ses appointements. Il les refusa.
Le Philosophe dit: Ne les refusez pas; donnez-les aux habitants des villages voisins de votre demeure.
4. Le Philosophe, interpellant Tchoung-koung, dit: Le petit d'une vache de couleur mêlée, qui aurait le poil jaune et des cornes sur la tête, quoiqu'on puisse désirer ne l'employer à aucun usage, [les génies] des montagnes et des rivières le rejetteraient-ils?
5. Le Philosophe dit: Quant à Hoeï, son cœur pendant trois mois ne s'écarta point de la grande vertu de l'humanité. Les autres hommes agissent ainsi pendant un jour ou un mois; et voilà tout!
6. Ki-kang-tseu demanda si Tchoung-yeou pourrait occuper un emploi supérieur dans l'administration publique. Le Philosophe dit: Yeou est certainement propre à occuper un emploi dans l'administration publique; pourquoi ne le serait-il pas?—Il demanda ensuite: Et Sse est-il propre à occuper un emploi supérieur dans l'administration publique?—Sse a un esprit pénétrant, très-propre à occuper un emploi supérieur dans l'administration publique; pourquoi non?—Il demanda encore: Kieou est-il propre à occuper un emploi supérieur dans l'administration publique?—Kieou, avec ses talents nombreux et distingués, est très-propre à occuper un emploi supérieur dans l'administration publique; pourquoi non?
7. Ki-chi envoya un messager à Min-tseu-kien (disciple de KHOUNG-TSEU), pour lui demander s'il voudrait être gouverneur de Pi. Min-tseu-kien répondit: Veuillez remercier pour moi voire maître; et s'il m'envoyait de nouveau un messager, il me trouverait certainement établi sur les bords de la rivière Wan (hors de ses États).
8. Pe-nieou (disciple de KHOUING-TSEU) étant malade, le Philosophe demanda à le voir. Il lui prit la main à travers la croisée, et dit: Je le perds! c'était la destinée de ce jeune homme qu'il eut cette maladie; c'était la destinée de ce jeune homme qu'il eût cette maladie!
10. Yan-kieou dit: Ce n'est pas que je ne me plaise dans l'étude de votre doctrine, maître; mais mes forces sont insuffisantes. Le Philosophe dit: Ceux dont les forces sont insuffisantes font la moitié du chemin et s'arrêtent; mais vous, vous manquez de bonne volonté.
11. Le Philosophe, interpellant Tseu-hia, lui dit: Que votre savoir soit le savoir d'un homme supérieur, et non celui d'un homme vulgaire.
12. Lorsque Tseu-yeou était gouverneur de la ville de Wou, le Philosophe lui dit: Avez-vous des hommes de mérite? Il répondit: Nous avons Tan-taï, surnommé Mie-ming, lequel en voyageant ne prend point de chemin de traverse, et qui, excepté lorsqu'il s'agit d'affaires publiques, n'a jamais mis les pieds dans la demeure de Yen (Tseu-yeou).
13. Le Philosophe dit: Meng-tchi-fan (grand de l'État de Lou) ne se vantait pas de ses belles actions. Lorsque l'armée battait en retraite, il était à l'arrière-garde; mais lorsqu'on était près d'entrer en ville, il piquait son cheval et disait: Ce n'est pas que j'aie eu plus de courage que les autres pour rester en arrière; mon cheval ne voulait pas avancer.
14. Le Philosophe dit: Si l'on n'a pas l'adresse insinuante de To, intendant du temple des ancêtres, et la beauté de Soung-tchao, il est difficile, hélas! d'avancer dans le siècle où nous sommes.
15. Le Philosophe dit: Comment sortir d'une maison sans passer par la porte? pourquoi donc les hommes ne suivent-ils pas la droite voie?
16. Le Philosophe dit: Si les penchants naturels de l'homme dominent son éducation, alors ce n'est qu'un rustre grossier; si, au contraire, l'éducation domine les penchants naturels de l'homme [dans lesquels sont compris la droiture, la bonté de cœur, etc.], alors ce n'est qu'un homme politique. Mais lorsque l'éducation et les penchants naturels sont dans d'égales proportions, ils forment l'homme supérieur.
17. Le Philosophe dit: La nature de l'homme est droite; si cette droiture du naturel vient à se perdre pendant la vie, on a repoussé loin de soi tout bonheur.
18. Le Philosophe dit: Celui qui connaît les principes de la droite raison n'égale pas celui qui les aime; celui qui les aime n'égale pas celui qui en fait ses délices et les pratique.
19. Le Philosophe dit: Les hommes au-dessus d'une intelligence moyenne peuvent être instruits dans les plus hautes connaissances du savoir humain; les hommes au-dessous d'une intelligence moyenne ne peuvent pas être instruits des hautes connaissances du savoir humain.
20. Fan-tchi demanda ce que c'était que le savoir. Le Philosophe dit: Employer toutes ses forces pour faire ce qui est juste et convenable aux hommes; révérer les esprits et les génies, et s'en tenir toujours à la distance qui leur est due: voilà ce que l'on peut appeler savoir. Il demanda ce que c'était que l'humanité. L'humanité [dit le Philosophe], c'est ce qui est d'abord difficile à pratiquer, et que l'on peut cependant acquérir par beaucoup d'efforts: voilà ce qui peut être appelé humanité.
21. Le Philosophe dit: L'homme instruit est [comme] une eau limpide qui réjouit; l'homme humain est [comme] une montagne qui réjouit. L'homme instruit a en lui un grand priucipe de mouvement, l'homme humain un principe de repos. L'homme instruit a en lui des motifs instantanés de joie; l'homme humain a pour lui l'éternité.
22. Le Philosophe dit: L'État de Thsi, par un changement ou une révolution, arrivera à la puissance de l'État de Lou; l'État de Lou, par une révolution, arrivera au gouvernement de la droite raison.
23. Le Philosophe dit: Lorsqu'une coupe à anses a perdu ses anses, est-ce encore une coupe à anses, est-ce encore une coupe à anses?
24. Tsaï-ngo fit une question en ces termes: Si un homme plein de la vertu de l'humanité se trouvait interpellé en ces mots: «Un homme est tombé dans un puits,» pratiquerait-il la vertu de l'humanité, s'il l'y suivait? Le Philosophe dit: Pourquoi agirait-il ainsi? Dans ce cas, l'homme supérieur doit s'éloigner; il ne doit pas se précipiter lui-même dans le puits; il ne doit point s'abuser sur l'étendue du devoir, qui ne l'oblige point à perdre la vie [pour agir contrairement aux principes de la raison].
25. Le Philosophe dit: L'homme supérieur doit appliquer toute son étude à former son éducation, à acquérir des connaissances; il doit attacher une grande importance aux rites ou usages prescrits. En agissant ainsi, il pourra ne pas s'écarter de la droite raison.
26. Le Philosophe ayant fait une visite à Nan-tseu (femme de Ling-koung, prince de l'État de Weï), Tseu-lou n'en fut pas satisfait. KHOUNG-TSEU s'inclina en signe de résignation, et dit: «Si j'ai mal agi, que le ciel me rejette, que le ciel me rejette.»
27. Le Philosophe dit: L'invariabilité dans le milieu est ce qui constitue la vertu; n'en est-ce pas le faite même? Les hommes rarement y persévèrent.
28. Tseu-koung dit: S'il y avait un homme qui manifestât une extrême bienveillance envers le peuple, et ne s'occupât que du bonheur de la multitude, qu'en faudrait-il penser? pourrait-on l'appeler homme doué de la vertu de l'humanité? Le Philosophe dit: Pourquoi se servir [pour le qualifier] du mot humanité? ne serait-il pas plutôt un saint? Yao et Chun sembleraient même bien au-dessous de lui.
L'homme qui a la vertu de l'humanité désire s'établir lui-même, et ensuite établir les autres hommes; il désire connaître les principes des choses, et ensuite les faire connaître aux autres hommes.
Avoir assez d'empire sur soi-même pour juger des autres par comparaison avec nous, et agir envers eux comme nous voudrions que l'on agît envers nous-même, c'est ce que l'on peut appeler la doctrine de l'humanité; il n'y a rien au delà.
[32] Yan-hoeï mourut à trente-deux ans.
CHAPITRE VII,
COMPOSÉ DE 37 ARTICLES.
1. Le Philosophe dit: Je commente, j'éclaircis (les anciens ouvrages), mais je n'en compose pas de nouveaux. J'ai foi dans les anciens, et je les aime; j'ai la plus haute estime pour notre Lao-pang[33].
2. Le Philosophe dit: Méditer en silence et rappeler à sa mémoire les objets de ses méditations; se livrer à l'étude, et ne pas se rebuter; instruire les hommes, et ne pas se laisser abattre: comment parviendrai-je à posséder ces vertus?
3. Le Philosophe dit: La vertu n'est pas cultivée; l'étude n'est pas recherchée avec soin; si l'on entend professer des principes de justice et d'équité, on ne veut pas les suivre; les méchants et les pervers ne veulent pas se corriger: voilà ce qui fait ma douleur!
4. Lorsque le Philosophe se trouvait chez lui, sans préoccupation d'affaires, que ses manières étaient douces et persuasives! que son air était affable et prévenant!
5. Le Philosophe dit: O combien je suis déchu de moi-même! depuis longtemps, je n'ai plus vu en songe Tcheou-koung[34].
6. Le Philosophe dit: Que la pensée soit constamment fixée sur les principes de la droite voie;
Que l'on tende sans cesse à la vertu de l'humanité;
Que l'on s'applique, dans les moments de loisir, à la culture des arts[35].
7. Le Philosophe dit: Dès l'instant qu'une personne est venue me voir, et m'a offert les présents d'usage[36], je n'ai jamais manqué de l'instruire.
8. Le Philosophe dit: Si un homme ne fait aucun effort pour développer son esprit, je ne le développerai point moi-même. Si un homme ne veut faire aucun usage de sa faculté de parler, je ne pénétrerai pas le sens de ses expressions; si, après avoir fait connaître l'angle d'un carré, on ne sait pas la dimension des trois autres angles, alors je ne renouvelle pas la démonstration.
9. Quand le Philosophe se trouvait à table avec une personne qui éprouvait des chagrins de la perte de quelqu'un, il ne pouvait manger pour satisfaire son appétit. Le Philosophe, dans ce jour (de deuil) se livrait lui-même à la douleur, et il ne pouvait chanter.
10. Le Philosophe, interpellant Yen-youan, lui dit: Si on nous emploie dans les fonctions publiques, alors nous remplissons notre devoir; si on nous renvoie, alors nous nous reposons dans la vie privée. Il n'y a que vous et moi qui agissions ainsi.
Tseu-lou dit: Si vous conduisiez trois corps d'armée ou Kiun de douze mille cinq cents hommes chacun, lequel de nous prendriez-vous pour lieutenant?
Le Philosophe dit: Celui qui de ses seules mains nous engagerait au combat avec un tigre; qui, sans motifs, voudrait passer un fleuve à gué; qui prodiguerait sa vie sans raison et sans remords: je ne voudrais pas le prendre pour lieutenant. Il me faudrait un homme qui portât une vigilance soutenue dans la direction des affaires; qui aimât à former des plans et à les mettre à exécution.
11. Le Philosophe dit: Si, pour acquérir des richesses par des moyens honnêtes, il me fallait faire un vil métier, je le ferais; mais si les moyens n'étaient pas honnêtes, j'aimerais mieux m'appliquer à ce que j'aime.
12. Le Philosophe portait la plus grande attention sur l'ordre, la guerre et la maladie.
13. Le Philosophe étant dans le royaume de Thsi, entendit la musique nommée Tchao (de Chun). Il en éprouva tant d'émotion, que pendant trois lunes il ne connut pas le goût des aliments. Il dit: Je ne me figure pas que depuis la composition de cette musique on soit jamais arrivé à ce point de perfection.
14. Yen-yeou dit: Notre maître aidera-t-il le prince de Weï? Tseu-koung dit: Pour cela, je le lui demanderai.
Il entra (dans l'appartement de son maître), et dit: Que pensez-vous de Pe-i et de Chou-tsi? Le Philosophe dit: Ces hommes étaient de véritables sages de l'antiquité. Il ajouta: N'éprouvèrent-ils aucun regret?—Ils cherchèrent à acquérir la vertu de l'humanité, et ils obtinrent cette vertu: pourquoi auraient-ils éprouvé des regrets? En sortant (Tseu-koung) dit: Notre maître n'assistera pas (le prince de Weï).
15. Le Philosophe dit: Se nourrir d'un peu de riz, boire de l'eau, n'avoir que son bras courbé pour appuyer sa tête, est un état qui a aussi sa satisfaction. Être riche et honoré par des moyens iniques, c'est pour moi comme le nuage flottant qui passe.
16. Le Philosophe dit: S'il m'était accordé d'ajouter à mon âge de nombreuses années, j'en demanderais cinquante pour étudier le Y-king, afin que je pusse me rendre exempt de fautes graves.
17. Les sujets dont le Philosophe parlait habituellement étaient le Livre des Vers, le Livre des Annales et le Livre des Rites. C'étaient les sujets constants de ses entretiens.
18. Ye-kong interrogea Tseu-lou sur KHOUNG-TSEU. Tseu-lou ne lui répondit pas.
Le Philosophe dit: Pourquoi ne lui avez-vous pas répondu? C'est un homme qui, par tous les efforts qu'il fait pour acquérir la science, oublie de prendre de la nourriture; qui, par la joie qu'il éprouve de l'avoir acquise, oublie les peines qu'elle lui a causées, et qui ne s'inquiète pas de l'approche de la vieillesse. Je vous en instruis.
19. Le Philosophe dit: Je ne naquis point doué de la science. Je suis un homme qui a aimé les anciens, et qui a fait tous ses efforts pour acquérir leurs connaissances.
20. Le Philosophe ne parlait, dans ses entretiens, ni des choses extraordinaires, ni de la bravoure, ni des troubles civils, ni des esprits.
21. Le Philosophe dit: Si nous sommes trois qui voyagions ensemble, je trouverai nécessairement deux instituteurs [dans mes compagnons de voyage]; je choisirai l'homme de bien pour l'imiter, et l'homme pervers pour me corriger.
22. Le Philosophe dit: Le ciel a fait naître la vertu en moi; que peut donc me faire Hoan-touï?
23. Vous, mes disciples, tous tant que vous êtes, croyez-vous que j'aie pour vous des doctrines cachées? Je n'ai point de doctrines cachées pour vous. Je n'ai rien fait que je ne vous l'aie communiqué, ô mes disciples! C'est la manière d'agir de KHIEOU (de lui-même).
24. Le Philosophe employait quatre sortes d'enseignements: la littérature, la pratique des actions vertueuses, la droiture ou la sincérité, et la fidélité.
25. Le Philosophe dit: Je ne puis parvenir à voir un saint homme; tout ce que je puis, c'est de voir un sage.
Le Philosophe dit; Je ne puis parvenir à voir un homme véritablement vertueux; tout ce que je puis, c'est de parvenir à voir un homme constant et ferme dans ses idées.
Manquer de tout, et agir comme si l'on possédait avec abondance; être vide, et se montrer plein; être petit, et se montrer grand, est un rôle difficile à soutenir constamment.
26. Le Philosophe péchait quelquefois à l'hameçon, mais non au filet; il chassait aux oiseaux avec une flèche, mais non avec des pièges.
27. Le Philosophe dit: Comment se trouve-t-il des hommes qui agissent sans savoir ce qu'ils font? je ne voudrais pas me comporter ainsi. Il faut écouter les avis de beaucoup de personnes, choisir ce que ces avis ont de bon et le suivre; voir beaucoup et réfléchir mûrement sur ce que l'on a vu; c'est le second pas de la connaissance.
28. Les Heou-hiang (habitants d'un pays ainsi nommé) étaient difficiles à instruire. Un de leurs jeunes gens étant venu visiter les disciples du Philosophe, ils délibérèrent s'ils le recevraient parmi eux.
Le Philosophe dit: Je l'ai admis à entrer [au nombre de mes disciples]; je ne l'ai pas admis à s'en aller. D'où vient cette opposition de votre part? cet homme s'est purifié, s'est renouvelé lui-même afin d'entrer à mon école; louez-le de s'être ainsi purifié; je ne réponds pas de ses actions passées ou futures.
29. Le Philosophe dit: L'humanité est-elle si éloignée de nous! je désire posséder l'humanité, et l'humanité vient à moi.
30. Le juge du royaume de Tchin demanda si Tchao-kong connaissait les rites. KHOUNG-TSEU dit: Il connaît les rites.
KHOUNG-TSEU s'étant éloigné, [le juge] salua Ou-ma-ki, et, le faisant entrer, il lui dit: J'ai entendu dire que l'homme supérieur ne donnait pas son assentiment aux fautes des autres; cependant un homme supérieur y a donné son assentiment. Le prince s'est marié avec une femme de la famille Ou, du même nom que le sien, et il l'a appelée Ou-meng-tseu. Un prince doit connaître les rites et coutumes: pourquoi, lui, ne les connaît-il pas?
Ou-ma-ki avertit le Philosophe, qui s'écria: Que KHIEOU est heureux! s'il commet une faute, les hommes sont sûrs de la connaître.
31. Lorsque le Philosophe se trouvait avec quelqu'un qui savait bien chanter, il l'engageait à chanter la même pièce une seconde fois, et il l'accompagnait de la voix.
32. Le Philosophe dit: En littérature, je ne suis pas l'égal d'autres hommes. Si je veux que mes actions soient celles d'un homme supérieur, alors je ne puis jamais atteindre à la perfection.
33. Le Philosophe dit: Si je pense à un homme qui réunisse la sainteté à la vertu de l'humanité, comment oserais-je me comparer à lui! Tout ce que je sais, c'est que je m'efforce de pratiquer ces vertus sans me rebuter, et de les enseigner aux autres sans me décourager et me laisser abattre. C'est là tout ce que je vous puis dire de moi. Kong-si-hoa dit: Il est juste d'ajouter que nous, vos disciples, nous ne pouvons pas même apprendre ces choses.
34. Le Philosophe étant très-malade, Tseu-lou le pria de permettre à ses disciples d'adresser pour lui leurs prières[37] aux esprits et aux génies. Le Philosophe dit: Cela convient-il? Tseu-lou répondit avec respect: Cela convient. Il est dit dans le livre intitulé Louï: «Adressez vos prières aux esprits et aux génies d'en haut et d'en bas [du ciel et de la terre].» Le Philosophe dit:
La prière de KHIEOU [la sienne] est permanente.
35. Le Philosophe dit: Si l'on est prodigue et adonné au luxe, alors on n'est pas soumis. Si l'on est trop parcimonieux, alors on est vil et abject. La bassesse est cependant encore préférable à la désobéissance.
36. Le Philosophe dit: L'homme supérieur a de l'équanimité et de la tranquillité d'àme. L'homme vulgaire éprouve sans cesse du trouble et de l'inquiétude.
37. Le Philosophe était d'un abord aimable et prévenant; sa gravité sans roideur et la dignité de son maintien inspiraient du respect sans contrainte.
[33] Sage, ta-fou, de la dynastie des Chang.
[34] Voyez notre Description de la Chine, t. 1, p. 84 et suiv.
[35] Ces arts sont, selon le Commentaire, les rites, la musique, l'art de tirer de l'arc, l'équitation, l'écriture et l'arithmétique.
[36] Des morceaux de viande salée et sechée au soleil.
[37] Le mot chinois, selon le commentateur, implique l'Idée d'éviter le mal et d'avancer dans la vertu avec l'assistance des esprits. Si l'on n'a aucun motif de prier, alors l'on ne doit pas prier.
CHAPITRE VIII,
COMPOSÉ DE 21 ARTICLES.
1. Le Philosophe dit: C'est Taï-pé[38] qui pouvait être appelé souverainement vertueux! ou ne trouvait rien à ajouter à sa vertu. Trois fois il refusa l'empire, et le peuple ne voyait rien de louable dans son action désintéressée.
2. Le Philosophe dit: Si la déférence et le respect envers les autres ne sont pas réglés par les rites ou l'éducation, alors ce n'est plus qu'une chose fastidieuse; si la vigilance et la sollicitude ne sont pas réglées par l'éducation, alors ce n'est qu'une timidité outrée; si le courage viril n'est pas réglé par l'éducation, alors ce n'est que de l'insubordination; si la droiture n'est pas réglée par l'éducation, alors elle entraîne dans une grande confusion.
Si ceux qui sont dans une condition supérieure traitent leurs parents comme ils doivent l'être, alors le peuple s'élèvera à la vertu de l'humanité. Pour la même raison, s'ils ne négligent et n'abandonnent pas leurs anciens amis, alors le peuple n'agira pas d'une manière contraire.
3. Thsêng-tseu, étant dangereusement malade, fit venir auprès de lui ses disciples, et leur dit: Découvrez-moi les pieds, découvrez-moi les mains. Le Livre des Vers dit:
«Ayez la même crainte et la même circonspection
Que si vous contempliez sous vos yeux un abîme profond,
Que si vous marchiez sur une glace fragile!»
Maintenant ou plus tard, je sais que je dois vous quitter, mes chers disciples.
4. Thsêng-tseu étant malade, Meng-king-tseu (grand du royaume de Lou) demanda des nouvelles de sa santé. Thsêng-tseu prononça ces paroles: «Quand l'oiseau est près de mourir, son chant devient triste; quand l'homme est près de mourir, ses paroles portent l'empreinte de la vertu.»
Les choses que l'homme supérieur met au-dessus de tout, dans la pratique de la raison, sont au nombre de trois: dans sa démarche et dans son attitude, il a soin d'éloigner tout ce qui sentirait la brutalité et la rudesse; il fait en sorte que la véritable expression de sa figure représente autant que possible la réalité et la sincérité de ses sentiments; que dans les paroles qui lui échappent de la bouche et dans l'intonation de sa voix, il éloigne tout ce qui pourrait être bas ou vulgaire et contraire à la raison. Quant à ce qui concerne les vases en bambous [choses moins importantes], il faut que quelqu'un préside à leur conservation.
5. Thsêng-tseu dit: Posséder la capacité et les talents, et prendre avis de ceux qui en sont dépourvus; avoir beaucoup, et prendre avis de ceux qui n'ont rien; être riche, et se comporter comme si l'on était pauvre; être plein, et paraître vide ou dénué de tout; se laisser offenser sans en témoigner du ressentiment; autrefois j'avais un ami qui se conduisait ainsi dans la vie.
6. Thsêng-tseu dit: L'homme à qui l'on peut confier un jeune orphelin de six palmes (tchi) de haut[39], à qui l'on peut remettre l'administration et le commandement d'un royaume de cent li d'étendue, et qui, lorsque apparaît un grand déchirement politique, ne se laisse pas arracher à son devoir, n'est-ce pas un homme supérieur? Oui, c'est assurément un homme supérieur!
7. Thsêng-tseu dit: Les lettrés ne doivent pas ne pas avoir l'âme ferme et élevée, car leur fardeau est lourd, et leur route longue.
L'humanité est le fardeau qu'ils ont à porter (ou le devoir qu'ils ont à remplir): n'est-il pas en effet bien lourd et bien important? C'est à la mort seulement qu'on cesse de le porter: la route n'est-elle pas bien longue?
8. Le Philosophe dit: Elevons notre esprit par la lecture du Livre des Vers; établissons nos principes de conduite sur le Livre des Rites; perfectionnons-nous par la Musique.
9. Le Philosophe dit: On peut forcer le peuple à suivre les principes de la justice et de la raison; on ne peut pas le forcer à les comprendre.
10. L'homme qui se plait dans les actions courageuses et viriles, s'il éprouve les privations et les souffrances de la misère, causera du trouble et du désordre; mais l'homme qui est dépourvu des vertus de l'humanité, les souffrances et les privations même lui manquant, causera beaucoup plus de troubles et de désordres.
11. Le Philosophe dit: Supposé qu'un homme soit doué de la beauté et des talents de Tcheou-koung, mais qu'il soit en même temps hautain et d'une avarice sordide, ce qui lui reste de ses qualités ne vaut pas la peine qu'on y fasse attention.
12. Le Philosophe dit: Il n'est pas facile de trouver une personne qui pendant trois années se livre constamment à l'étude [de la sagesse] sans avoir en vue les émoluments qu'elle peut en retirer.
13. Le Philosophe dit: Celui qui a une foi inébranlable dans la vérité, et qui aime l'étude avec passion, conserve jusqu'à la mort les principes de la vertu, qui en sont la conséquence.
Si un État se trouve en danger de révolution [par suite de son mauvais gouvernement], n'allez pas le visiter; un pays qui est livré au désordre ne peut pas y rester. Si un empire se trouve gouverné par les principes de la droiture et de la raison, allez le visiter; s'il n'est pas gouverné par les principes de la raison, restez ignorés dans la retraite et la solitude.
Si un État est gouverné par les principes de la raison, la pauvreté et la misère sont un sujet de honte; si un État n'est pas gouverné parles principes de la raison, la richesse et les honneurs sont alors les sujets de honte[40].
14. Le Philosophe dit: Si vous n'occupez pas des fonctions dans un gouvernement, ne donnez pas votre avis sur son administration.
15. Le Philosophe dit: Comme le chef de musique nommé Tchi, dans son chant qui commence par ces mots: Kouan-tsiu-tchi-louan, avait su charmer l'oreille par la grâce et la mélodie!
16. Le Philosophe dit: Être courageux et hardi sans droiture, hébété sans attention, inepte sans sincérité; je ne connais pas de tels caractères.
17. Le Philosophe dit: Étudiez toujours comme si vous ne pouviez jamais atteindre [au sommet de la science], comme si vous craigniez de perdre le fruit de vos études.
18. Le Philosophe dit: O quelle élévation, quelle sublimité dans le gouvernement de Chun et de Yu! et cependant il n'était encore rien à leurs yeux.
19. Le Philosophe dit: O qu'elle était grande la conduite de Yao dans l'administration de l'empire! qu'elle était élevée et sublime! il n'y a que le ciel qui pouvait l'égaler en grandeur; il n'y a que Yao qui pouvait imiter ainsi le ciel! Ses vertus étaient si vastes et si profondes, que le peuple ne trouvait point de noms pour leur donner!
O quelle grandeur! quelle sublimité dans ses actions et ses mérites! et que les monuments qu'il a laissés de sa sagesse sont admirables!
20. Chun avait cinq ministres; et l'empire était bien gouverné.
Wou-wang disait: J'ai pour ministres dix hommes d'État habiles dans l'art de gouverner.
KHOUNG-TSEU dit: Les hommes de talent sont rares et difficiles à trouver; n'est-ce pas la vérité? A partir de l'époque de Chang (Yao) et de Yu (Chun) jusqu'à ces ministres (de Wou-wang), pleins de mérites, il y a eu une femme, ainsi que neuf hommes de talent; et voilà tout.
De trois parties qui formaient l'empire (Wen-wang) en eut deux, avec lesquelles il continua à servir la dynastie de Yn. La vertu du fondateur de la dynastie des Tcheou peut être appelée une vertu sublime.
21. Le Philosophe dit: Je ne vois aucun défaut dans Yu! il était sobre dans le boire et le manger, et souverainement pieux envers les esprits et les génies. Ses vêtements ordinaires étaient mauvais et grossiers; mais comme ses robes et ses autres habillements de cérémonies étaient beaux et parés! Il habitait une humble demeure; mais il employa tous ses efforts à faire élever des digues et creuser des canaux pour l'écoulement des eaux. Je ne vois aucun défaut dans Yu.
[38] Fils ainé de Taï-wang, des Tchéou.
[39] L'héritier du trône.
[40] Ces admirables principes n'ont pas besoin de commentaire».
CHAPITRE IX,
COMPOSÉ DE 30 ARTICLES.
1. Le Philosophe parlait rarement du gain, du destin [ou mandat du ciel, ming] et de l'humanité [la plus grande des vertus].
2. Un homme du village de Ta-hiang dit: Que KHOUNG-TSEU est grand! cependant ce n'est pas son vaste savoir qui a fait sa renommée.
Le Philosophe ayant entendu ces paroles, interpella ses disciples en leur disant: Que dois-je entreprendre de faire? Prendrai-je l'état de voiturier, ou apprendrai-je celui d'archer? Je serai voiturier.
3. Le Philosophe dit: Autrefois on portait un bonnet d'étoffe de lin, pour se conformer aux rites; maintenant on porte un bonnet de soie comme plus économique; je veux suivre la multitude. Autrefois on s'inclinait respectueusement au bas des degrés de la salle de réception pour saluer son prince, en se conformant aux rites; maintenant on salue en haut des degrés. Ceci est de l'orgueil. Quoique je m'éloigne en cela de la multitude, je suivrai le mode ancien.
4. Le Philosophe était complètement exempt de quatre choses: il était sans amour-propre, sans préjugés, sans obstination et sans égoïsme.
5. Le Philosophe éprouva des inquiétudes et des frayeurs à Kouang. Il dit: Wen-wang n'est plus; la mise en lumière de la pure doctrine ne dépend-elle pas maintenant de moi?
Si le ciel avait résolu de laisser périr cette doctrine, ceux qui ont succédé à Wen-wang, qui n'est plus, n'auraient pas eu la faculté de la faire revivre et de lui rendre son ancien éclat. Le ciel ne veut donc pas que cette doctrine périsse. Que me veulent donc les hommes de Kouang?
6. Un Taï-tsaï, ou grand fonctionnaire public, interrogea un jour Tseu-koung en ces termes: Votre maître est-il un saint? N'a-t-il pas un grand nombre de talents?
Tseu-koung dit: Certainement le ciel lui a départi presque tout ce qui constitue la sainteté, et, en outre, un grand nombre de talents.
Le Philosophe ayant entendu parler de ces propos, dit: Ce grand fonctionnaire me connait-il? Quand j'étais petit, je me suis trouvé dans des circonstances pénibles et difficiles; c'est pourquoi j'ai acquis un grand nombre de talents pour la pratique des affaires vulgaires. L'homme supérieur possède-t-il un grand nombre de ces talents? Non, il n'en possède pas un grand nombre.
Lao (un des disciples de KHOUNG-TSEU) dit: Le Philosophe répétait souvent: «Je ne fus pas employé jeune dans les charges publiques; c'est pourquoi je m'appliquai à l'étude des arts.»
7. Le Philosophe dit: Suis-je véritablement en possession de la science? je n'en sais rien[41]. Mais s'il se rencontre un ignorant qui me fasse des questions, tant vides soient-elles, j'y réponds de mon mieux, en épuisant le sujet sous toutes ses faces.
8. Le Philosophe dit: L'oiseau nommé Foung ou Foung-ling ne vient pas, le fleuve ne fait pas sortir de son sein le [tableau sur lequel est figuré le dragon]. C'en est fait de moi.
9. Lorsque le Philosophe voyait quelqu'un en habits de deuil, ou portant le bonnet et la robe de magistrat, ou aveugle, quand même il eut été plus jeune que lui, il se levait à son approche [s'il se trouvait assis]. S'il passait devant lui assis, le Philosophe accélérait le pas.
10. Yen-youan s'écria en soupirant: Si je considère la doctrine de notre maître, je ne vois rien de plus élevé; si je cherche à la pénétrer, je ne trouve rien de plus impénétrable; si je la regarde comme devant mes yeux et me précédant, aussitôt elle m'échappe et me fuit.
Mon maître m'a cependant conduit pas à pas; il a développé graduellement mon esprit, car il savait admirablement captiver les hommes par ses paroles; il a étendu beaucoup mes connaissances dans les sciences qui constituent l'éducation, et il m'a surtout fait étudier le Livre des Rites.
Si je voulais m'arrêter, je ne le pouvais pas. Quand j'avais épuisé toutes mes forces, [cette doctrine] était toujours là comme fixée devant moi à une certaine distance. Quoique j'aie désiré ardemment de l'atteindre, je n'ai pu y parvenir.
11. Le Philosophe étant très-malade, Tseu-lou lui envoya un disciple pour lui servir de ministre.
Dans un intervalle [de souffrance] que lui laissa la maladie, le Philosophe dit: N'y a-t-il pas déjà longtemps que Yeou (Tseu-lou) se conduit d'une manière peu conforme à la raison? Je n'ai pas de ministres, et cependant j'ai quelqu'un qui en fait les fonctions; qui trompé-je, de moi ou du ciel?
Plutôt que de mourir entre les mains d'un ministre, n'aurait-il pas mieux valu pour moi de mourir entre les mains de mes disciples? Quoique, dans ce dernier cas, je n'eusse pas obtenu de grandes funérailles, je serais mort dans la droite voie!
12. Tseu-koung dit: Si j'avais un beau joyau dans les circonstances actuelles, devrais-je le renfermer et le cacher dans une boîte, ou chercher à le vendre un bon prix? Le Philosophe dit: Vendez-le! vendez-le! Mais j'attendrais quelqu'un qui pût l'estimer sa valeur.
13. Le Philosophe témoigna le désir d'aller habiter parmi les Kieou-i, ou les neuf tribus barbares des régions orientales. Quelqu'un dit: Ce serait une condition vile et abjecte; comment avoir un pareil désir? Le Philosophe dit: Où l'homme supérieur, le sage, habite, comment y aurait-il bassesse et abjection?
14. Le Philosophe dit: Lorsque du royaume de Weï je retournai dans celui de Lou, je corrigeai et rectifiai la musique. Les chants compris sous les noms de Ya et de Soung [deux divisions du Livre des Vers] furent remis chacun à la place qu'ils doivent occuper.
15. Le Philosophe dit: Quand vous êtes hors de chez vous, rendez vos devoirs à vos magistrats supérieurs. Quand vous êtes chez vous, faites votre devoir envers vos père et mère et vos frères. Dans les cérémonies funèbres, ne vous permettez aucune négligence. Ne vous livrez à aucun excès dans l'usage du vin. Comment pourrais-je tolérer une conduite contraire?
16. Le Philosophe, étant sur le bord d'une rivière, dit: Comme elle coule avec majesté! elle ne s'arrête ni jour ni nuit!
17. Le Philosophe dit: Je n'ai encore vu personne qui aimât autant la vertu que l'on aime la beauté du corps.
18. Le Philosophe dit: Soit une comparaison: je veux former un monticule de terre; avant d'avoir rempli un panier, je puis m'arrêter; je m'arrête. Soit une autre comparaison: je veux niveler un terrain; quoique j'aie déjà transporté un panier de terre, j'ai toujours la liberté de discontinuer ou d'avancer; je puis agir d'une façon ou d'une autre.
19. Le Philosophe dit: Dans le cours de nos entretiens, celui dont l'esprit ne se lassait point, ne s'engourdissait point, c'était Hoeï.
20. Le Philosophe, parlant de Yen-youan (Hoeï), disait: Hélas! je le vis toujours avancer et jamais s'arrêter.
21. Le Philosophe dit: L'herbe pousse, mais ne donne point de fleurs; si elle donne des fleurs, elle ne produit point de graines mûres. Voilà où en est le sage!
22. Le Philosophe dit: Dès l'instant qu'un enfant est né, il faut respecter ses facultés; la science qui lui viendra par la suite ne ressemble en rien à son état présent. S'il arrive à l'âge de quarante ou de cinquante ans sans avoir rien appris, il n'est plus digne d'aucun respect.
23. Le Philosophe dit: Un langage sincère et conforme à la droite raison n'obtiendra-t-il pas l'assentiment universel? C'est un changement de conduite, une conversion à la vertu, qui est honorable et bien par-dessus tout. Un langage insinuant et flatteur ne causera-t-il pas de la satisfaction à celui qui l'entend? c'est la recherche du vrai qui est honorable et bien par-dessus tout. Éprouver de la satisfaction en entendant un langage flatteur, et ne pas rechercher le vrai; donner son assentiment à un langage sincère et conforme à la droite raison, et ne pas se convertir à la vertu: c'est ce que je n'ai jamais approuvé et pratiqué moi-même.
24. Le Philosophe dit: Mettez toujours au premier rang la droiture du cœur et la fidélité; ne contractez point d'amitié avec ceux qui ne vous ressemblent pas; si vous commettez une faute, alors ne craignez pas de changer de conduite.
25. Le Philosophe dit: A une armée de trois divisions (un corps de 37,500 hommes) on peut enlever son général [et la mettre en déroute]; à l'homme le plus abject ou le plus vulgaire, on ne peut enlever sa pensée!
26. Le Philosophe dit: S'il y a quelqu'un qui, vêtu d'habits les plus humbles et les plus grossiers, puisse s'asseoir sans rougir à côté de ceux qui portent les vêtements les plus précieux et les plus belles fourrures, c'est Yeou!
«Sans envie de nuire et sans désirs ambitieux,
A quelle action simple et vertueuse n'est-on pas propre[42]?»
Tseu-lou (Yeou) avait sans cesse la maxime précédente à la bouche. Le Philosophe dit: C'est à l'étude et à la pratique de la droite raison qu'il faut surtout s'appliquer; comment suffirait-il de faire le bien?
27. Le Philosophe dit: Quand la saison de l'hiver arrive, c'est alors que l'on reconnaît le pin et le cyprès [dont les feuilles ne tombent pas], tandis que les autres feuilles tombent.
28. Celui qui est instruit et éclairé par la raison n'hésite point; celui qui possède la vertu de l'humanité n'éprouve point de regret; celui qui est fort et courageux n'a point de crainte.
29. Le Philosophe dit: On peut s'appliquer de toutes ses forces à l'étude, sans pouvoir rencontrer les vrais principes de la raison, la véritable doctrine; on peut rencontrer les vrais principes de la raison, sans pouvoir s'y établir d'une manière fixe; on peut s'y établir d'une manière fixe, sans pouvoir déterminer leur valeur d'une manière certaine, relativement aux temps et aux circonstances.
30. «Les fleurs du prunier sont agitées de côté et d'autre,
«Et je pense à leur porter un appui.
Comment ne penserais-je pas à toi,
O ma demeure, dont je suis si éloigné[43]!»
Le Philosophe dit: On ne doit jamais penser à la distance, quelle qu'elle soit, qui nous sépare [de la vertu].
[41] Wou-tchi-ye; non scio equidem.
[42] Paroles du Livre des Vers.
[43] Citation d'un ancien Livre des Vers. Les deux premiers vers n'ont aucun sens, selon TCHOU-HI; ils servent seulement d'exorde aux deux suivants.
CHAPITRE X,
COMPOSÉ DE 18 ARTICLES.
1. KHOUNG-TSEU, lorsqu'il résidait encore dans son village, était extrêmement sincère et droit; mais il avait tant de modestie, qu'il paraissait dépourvu de la faculté de parler.
Lorsqu'il se trouva dans le temple des ancêtres et à la cour de son souverain, il parla clairement et distinctement; et tout ce qu'il dit portait l'empreinte de la réflexion et de la maturité.
2. A la cour, il parla aux officiers inférieurs avec fermeté et droiture; aux officiers supérieurs, avec une franchise polie.
Lorsque le prince était présent, il conservait une attitude respectueuse et digne.
3. Lorsque le prince le mandait à sa cour, et le chargeait de recevoir les hôtes[44], son attitude changeait soudain. Sa démarche était grave et mesurée, comme s'il avait eu des entraves aux pieds.
S'il venait à saluer les personnes qui se trouvaient auprès de lui, soit à droite, soit à gauche, sa robe, devant et derrière, tombait toujours droite et bien disposée.
Son pas était accéléré en introduisant les hôtes, et il tenait les bras étendus comme les ailes d'un oiseau.
Quand l'hôte était parti, il se faisait un devoir d'aller rendre compte [au prince] de sa mission en lui disant: «L'hôte n'est plus en votre présence.»
4. Lorsqu'il entrait sous la porte du palais, il inclinait le corps, comme si la porte n'avait pas été assez haute pour le laisser passer.
Il ne s'arrêtait point en passant sous la porte, et dans sa marche il ne foulait point le seuil de ses pieds.
En passant devant le trône, sa contenance changeait tout à coup; sa démarche était grave et mesurée, comme s'il avait eu des entraves. Ses paroles semblaient aussi embarrassées que ses pieds.
Prenant sa robe avec les deux mains, il montait ainsi dans la salle du palais, le corps incliné, et retenait son haleine comme s'il n'eût pas osé respirer.
En sortant, après avoir fait un pas, il se relâchait peu à peu de sa contenance grave et respectueuse, et prenait un air riant; et, quand il atteignait le bas de l'escalier, laissant retomber sa robe, il étendait de nouveau les bras comme les ailes d'un oiseau; et en repassant devant le trône sa contenance changeait de nouveau, et sa démarche était grave et mesurée, comme s'il avait eu des entraves aux pieds.
5. En recevant la marque distinctive de sa dignité [comme envoyé de son prince], il inclina profondément le corps, comme s'il n'avait pu la supporter. Ensuite il l'éleva en haut avec les deux mains, comme s'il avait voulu la présenter à quelqu'un, et la baissa jusqu'à terre, comme pour la remettre à un autre; présentant dans sa contenance et son attitude l'apparence de la crainte, et dans sa démarche tantôt lente, tantôt rapide, comme les différents mouvements de son âme.
En offrant les présents royaux selon l'usage, il avait une contenance grave et affable; en offrant les autres présents, son air avait encore quelque chose de plus affable et de plus prévenant.
6. Le Philosophe ne portait point de vêtements avec des parements pourpres ou bleu foncé.
Il ne faisait point ses habillements ordinaires d'étoffe rouge ou violette.
Dans la saison chaude, il portait une robe d'étoffe de chanvre fine ou grossière, sous laquelle il en mettait toujours une autre pour faire ressortir la première.
Ses vêtements noirs (d'hiver) étaient fourrés de peaux d'agneau; ses vêtements blancs, de peaux de daim; ses vêtements jaunes, de peaux de renard.
La robe qu'il portait chez lui eut pendant longtemps la manche droite plus courte que l'autre.
Son vêtement de nuit ou de repos était toujours une fois et demie aussi long que son corps.
Il portait dans sa maison des vêtements épais faits de poils de renard.
Excepté dans les temps de deuil, aucun motif ne l'empêchait de porter attaché à ses vêtements tout ce qui était d'usage.
S'il ne portait pas le vêtement propre aux sacrifices et aux cérémonies nommé wei-chang, sa robe était toujours un peu ouverte sur le côté.
Il n'allait pas faire de visites de condoléance avec une robe garnie de peaux d'agneau et un bonnet noir.
Le premier jour de chaque lune, il mettait ses habits de cour, et se rendait au palais [pour présenter ses devoirs au prince].
7. Dans les jours d'abstinence, il se couvrait constamment d'une robe blanche de lin.
Dans ces mêmes jours d'abstinence, il se faisait toujours un devoir de changer sa manière de vivre; il se faisait aussi un devoir de changer le lieu où il avait l'habitude de reposer.
8. Quant à la nourriture, il ne rejetait pas le riz cuit à l'eau, ni les viandes de bœuf ou de poisson découpées en petits morceaux.
Il ne mangeait jamais de mets corrompus par la chaleur, ni de poisson ni des autres viandes déjà entrées en putréfaction. Si la couleur en était altérée, il n'en mangeait pas; si l'odeur en était mauvaise, il n'en mangeait pas; s'ils avaient perdu leur saveur, il n'en mangeait pas; si ce n'était pas des produits de la saison, il n'en mangeait pas.
La viande qui n'était pas coupée en lignes droites, il ne la mangeait pas. Si un mets n'avait pas la sauce qui lui convenait, il n'en mangeait pas.
Quand même il aurait eu beaucoup de viande à son repas, il faisait en sorte de n'en prendre jamais une quantité qui excédât celle de son pain ou de son riz. Il n'y avait que pour sa boisson qu'il n'était pas réglé; mais il n'en prenait jamais une quantité qui pût porter le trouble dans son esprit.
Si le vin était acheté sur un marché public, il n'en buvait pas; si on lui présentait de la viande sèche achetée sur les marchés, il n'en mangeait pas.
Il ne s'abstenait pas de gingembre dans ses aliments.
Il ne mangeait jamais beaucoup.
Quand on offrait les sacrifices et les oblations dans les palais du prince, il ne retenait pas pour lui, même pour une nuit, la viande qu'il avait reçue. Quand il y offrait lui-même les oblations de viande à ses ancêtres, il ne passait pas trois jours sans la servir; si les trois jours étaient passés, on ne la mangeait plus.
En mangeant, il n'entretenait point de conversation; en prenant son repos au lit, il ne parlait point.
Quand même il n'eût pris que très-peu d'aliments, et des plus communs, soit des végétaux, ou du bouillon, il en offrait toujours une petite quantité comme oblation ou libation; et il faisait cette cérémonie avec le respect et la gravité convenables.
9. Si la natte sur laquelle il devait s'asseoir n'était pas étendue régulièrement, il ne s'asseyait pas dessus.
10. Quand des habitants de son village l'invitaient à un festin, il ne sortait de table que lorsque les vieillards qui portaient des bâtons étaient eux-mêmes sortis.
Quand les habitants de son village faisaient la cérémonie nommée nô, pour chasser les esprits malins, il se revêtait de sa robe de cour, et allait s'asseoir parmi les assistants du côté oriental de la salle.
11. Quand il envoyait quelqu'un prendre des informations dans d'autres États, il lui faisait deux fois la révérence, et l'accompagnait jusqu'à une certaine distance.
Kang-tseu lui ayant envoyé un certain médicament, il le reçut avec un témoignage de reconnaissance; mais il dit: KHIEOU ne connaît pas assez ce médicament, il n'ose pas le goûter.
12. Son écurie ayant été incendiée, le Philosophe, de retour de la cour, dit: Le feu a-t-il atteint quelque personne? je ne m'inquiète pas des chevaux.
13. Lorsque le prince lui envoyait en présent des aliments[45], il se faisait aussitôt un devoir de les placer régulièrement sur sa table et de les goûter. Lorsque le prince lui envoyait un présent de chair crue, il la faisait toujours cuire, et il l'offrait ensuite [aux mânes de ses ancêtres]. Si le prince lui envoyait en présent un animal vivant, il se faisait un devoir de le nourrir et de l'entretenir avec soin. S'il était invité par le prince à dîner à ses côtés, lorsque celui-ci se disposait à faire une oblation, le Philosophe en goûtait d'abord.
S'il était malade, et que le prince allât le voir, il se faisait mettre la tête à l'orient, se revêtait de ses habits de cour, et se ceignait de sa plus belle ceinture.
Lorsque le prince le mandait près de lui, sans attendre son attelage, qui le suivait, il s'y rendait à pied.
14. Lorsqu'il entrait dans le grand temple des ancêtres, il s'informait minutieusement de chaque chose.
15. Si quelqu'un de ses amis venait à mourir, n'ayant personne pour lui rendre les devoirs funèbres, il disait: Le soin de ses funérailles m'appartient.
Recevait-il des présents de ses amis, quoique ce fussent des chars et des chevaux, s'il n'y avait pas de viande qu'il pût offrir comme oblation à ses ancêtres, il ne les remerciait par aucune marque de politesse.
16. Quand il se livrait au sommeil, il ne prenait pas la position d'un homme mort; et lorsqu'il était dans sa maison, il se dépouillait de sa gravité habituelle.
Si quelqu'un lui faisait une visite pendant qu'il portait des habits de deuil, quand même c'eût été une personne de sa connaissance particulière, il ne manquait jamais de changer de contenance et de prendre un air convenable; s'il rencontrait quelqu'un en bonnet de cérémonie, ou qui fût aveugle, quoique lui-même ne portât que ses vêtements ordinaires, il ne manquait jamais de lui témoigner de la déférence et du respect.
Quand il rencontrait une personne portant des vêtements de deuil, il la saluait en descendant de son attelage; il agissait de même lorsqu'il rencontrait les personnes qui portaient les tablettes sur lesquelles étaient inscrits les noms des citoyens[46].
Si l'on avait préparé pour le recevoir un festin splendide, il ne manquait jamais de changer de contenance et de se lever de table pour s'en aller.
Quand le tonnerre se faisait entendre tout à coup, ou que se levaient des vents violents, il ne manquait jamais de changer de contenance [de prendre un air de crainte respectueux envers le ciel][47].
17. Quand il montait sur son char, il se tenait debout ayant les rênes en mains.
Quand il se tenait au milieu, il ne regardait point en arrière, ni ne parlait sans un motif grave; il ne montrait rien du bout du doigt.
18. Il disait: Lorsque l'oiseau aperçoit le visage du chasseur, il se dérobe à ses regards, et il va se reposer dans un lieu sûr.
Il disait encore: «Que le faisan qui habite là au sommet de la colline sait bien choisir son temps [pour prendre sa nourriture]!» Tseu-lou ayant vu le faisan, voulut le prendre; mais celui-ci poussa trois cris, et s'envola.
[44] Les princes ou grands vassaux qui gouvernent le royaume. (TCHOU-HI.)
[45] Cette usage est maintenu en Chine jusqu'à nos jours. Voyez les divers relations d'ambassades européennes la cour de l'empereur de la Chine.
[46] Quels beaux sentiments, et comme ils relèvent la dignité de l'homme!
[47] Commentaire chinois.
HIA-LUN,
SECOND LIVRE.
CHAPITRE XI,
COMPOSÉ DE 25 ARTICLES.
1. Le Philosophe dit: Ceux qui les premiers firent des progrès dans la connaissance des rites et dans l'art de la musique sont regardés [aujourd'hui] comme des hommes grossiers. Ceux qui après eux et de notre temps ont fait de nouveaux progrès dans les rites et dans la musique sont regardés comme des hommes supérieurs.
Pour mon propre usage, je suis les anciens.
2. Le Philosophe disait: De tous ceux qui me suivirent dans les États de Tchin et de Tsaï, aucun ne vient maintenant à ma porte [pour écouter mes leçons].
Ceux qui montraient le plus de vertu dans leur conduite étaient Yan-youan, Min-tseu-kian, Jan-pe-nieou et Tchoung-koung; ceux qui brillaient par la parole et dans les discussions étaient Tsaï-ngo, et Tseu-koung; ceux qui avaient le plus de talents pour l'administration des affaires étaient Jan-yeou et Ki-lou; ceux qui excellaient dans les études philosophiques étaient Tseu-yeou et Tseu-hia.
3. Le Philosophe dit: Hoeï ne m'aidait point [dans mes discussions][1]; dans tout ce que je disais, il ne trouvait rien dont il ne fût satisfait.
4. Le Philosophe dit: O quelle piété filiale avait Min-tseu-kian! Personne ne différait là-dessus de sentiment avec le témoignage de ses père et mère et de ses frères.
5. Nan-young trois fois par jour répétait l'ode Pe-koueï du Livre des Vers. KHOUNG-TSEU lui donna la fille de son frère en mariage.
6. Ki-kang-tseu demanda lequel des disciples du Philosophe avait le plus d'application et d'amour pour l'étude. KHOUNG-TSEU répondit avec déférence: C'était Yan-hoeï qui aimait le plus l'étude! mais, malheureusement, sa destinée a été courte; il est mort avant le temps. Maintenant c'en est fait; il n'est plus!
7. Yan-youan étant mort, Yan-lou (père de Yan-youan) pria qu'on lui remît le char du Philosophe pour le vendre, afin de faire construire un tombeau pour son fils avec le prix qu'il en retirerait.
Le Philosophe dit: Qu'il ait du talent ou qu'il n'en ait pas, chaque père reconnaît toujours son fils pour son fils. Li (ou Pe-yu, fils de KHOUNG-TSEU) étant mort, il n'eut qu'un cercueil intérieur, et non un tombeau. Je ne puis pas aller à pied pour faire construire un tombeau [à Yan-youan]; puisque je marche avec les grands dignitaires, je ne dois pas aller à pied.
8. Yan-youan étant mort, le Philosophe dit: Hélas! le ciel m'accable de douleurs! hélas! le ciel m'accable de douleurs!
9. Yan-youan étant mort, le Philosophe le pleura avec excès. Les disciples qui le suivaient dirent: Notre maître se livre trop à sa douleur.
[Le Philosophe] dit: N'ai-je pas éprouvé une perte extrême?
Si je ne regrette pas extrêmement un tel homme, pour qui donc éprouverais-je une pareille douleur?
10. Yan-youan étant mort, ses condisciples désirèrent lui faire de grandes funérailles. Le Philosophe dit: Il ne le faut pas.
Ses condisciples lui firent des funérailles somptueuses.
Le Philosophe dit: Hoeï (Yan-youan) me considérait comme son père; moi je ne puis le considérer comme mon fils; la cause n'en vient pas de moi, mais de mes disciples.
11. Ki-lou demanda comment il fallait servir les esprits et les génies. Le Philosophe dit: Quand on n'est pas encore en état de servir les hommes, comment pourrait-on servir les esprits et les génies?—Permettez-moi, ajouta-t-il, que j'ose vous demander ce que c'est que la mort? [Le Philosophe] dit: Quand on ne sait pas encore ce que c'est que la vie, comment pourrait-on connaître la mort?
12. Min-tseu se tenait près du Philosophe, l'air calme et serein; Tseu-lou, l'air austère et hardi; Jan-yeou et Tseu-Koung, l'air grave et digne. Le Philosophe en était satisfait.
En ce qui concerne Yeou (ou Tseu-lou, dit-il), il ne lui arrivera pas de mourir de sa mort naturelle[2].
13. Les habitants du royaume de Lou voulaient construire un grenier public.
Min-tseu-kian dit: Pourquoi l'ancien ne servirait-il pas encore, et pourquoi agir comme vous le faites? Qu'est-il besoin de le changer et d'en construire un autre [qui coûtera beaucoup de sueurs au peuple][3]?
Le Philosophe dit: Cet homme n'est pas un homme à vaines paroles; s'il parle, c'est toujours à propos et dans un but utile.
14. Le Philosophe dit: Comment les sons de la guitare[4] de Yeou (Tseu-lou) peuvent-ils parvenir jusqu'à la porte de KHIEOU? [à cause de cela] les disciples du Philosophe ne portaient plus le même respect à Tseu-lou. Le Philosophe dit: Yeou est déjà monté dans la grande salle, quoiqu'il ne soit pas encore entré dans la demeure intérieure.
15. Tseu-koung demanda lequel de Sse ou de Chang était le plus sage? Le Philosophe dit: Sse dépasse le but; Chang ne l'atteint pas.
—Il ajouta: Cela étant ainsi, alors Sse est-il supérieur à Chang?
Le Philosophe dit: Dépasser, c'est comme ne pas atteindre.
16. Ki-chi était plus riche que Tcheou-koung, et cependant Kieou levait pour lui des tributs plus considérables, et il ne faisait que les augmenter sans cesse.
Le Philosophe dit: Il n'est pas de ceux qui fréquentent mes leçons. Les petits enfants doivent publier ses crimes au bruit du tambour, et il leur est permis de le poursuivre de leurs railleries.
17. Tchaï est sans intelligence.
San a l'esprit lourd et peu pénétrant.
Sse est léger et inconstant.
Yeou a les manières peu polies.
18. Le Philosophe dit: Hoeï, lui, approchait beaucoup de la voie droite! il fut souvent réduit à la plus extrême indigence.
Sse ne voulait point admettre le mandat du ciel; mais il ne cherchait qu'à accumuler des richesses. Comme il tentait beaucoup d'entreprises, alors il atteignait souvent son but.
19. Tseu-tchang demanda ce que c'était que la voie ou la règle de conduite de l'homme vertueux par sa nature. Le Philosophe dit: Elle consiste à marcher droit sans suivre les traces des anciens, et ainsi à ne pas pénétrer dans la demeure la plus secrète [des saints hommes].
20. Le Philosophe dit: Si quelqu'un discourt solidement et vivement, le prendrez-vous pour un homme supérieur, ou pour un rhéteur qui en impose?
21. Tseu-lou demanda si aussitôt qu'il avait entendu une chose [une maxime ou un précepte de vertu enseigné par le Philosophe] il devait la mettre immédiatement en pratique? Le Philosophe dit: Vous avez un père et un frère aîné qui existent encore [et qui sont vos précepteurs naturels]; pourquoi donc, aussitôt que vous auriez entendu une chose, la mettriez-vous immédiatement en pratique? Yan-yeou demanda également si aussitôt qu'il avait entendu une chose il devait la mettre immédiatement en pratique? Le Philosophe dit: Aussitôt que vous l'avez entendue, mettez-la en pratique. Kong-si-hoa dit: Yeou (Tseu-lou) a demandé si aussitôt qu'il avait entendu une chose il devait la mettre immédiatement en pratique? Le maître a répondu: Vous avez un père et un frère aîné qui existent encore. Khieou (Yan-yeou) a demandé si aussitôt qu'il avait entendu une chose il devait la mettre immédiatement en pratique? Le maître a répondu: Aussitôt que vous l'avez entendue, mettez-la en pratique. Moi, Tchi (Kong-si-hoa), j'hésite [sur le sens de ces deux réponses]; je n'ose faire une nouvelle question. Le Philosophe dit: Quant à Khieou, il est toujours disposé à reculer; c'est pourquoi je l'aiguillonne pour qu'il avance: Yeou aime à surpasser les autres hommes; c'est pourquoi je le retiens.
22. Le Philosophe éprouva un jour une alarme dans Kouang. Yan-youan était resté en arrière. [Lorsqu'il eut rejoint], le Philosophe lui dit: Je vous croyais mort! [Le disciple] dit: Le maître étant vivant, comment Hoeï (Yan-youan) oserait-il mourir?
23. Ki-tseu-jan[5] demanda si Tchouang-yeou et Yan-khieou pouvaient être appelés de grands ministres.
Le Philosophe répondit: Je pensais que ce serait sur des choses importantes et extraordinaires que vous me feriez une question, et vous êtes venu me parler de Yeou et de Khieou!
Ceux que l'on appelle grands ministres servent leur prince selon les principes de la droite raison [et non selon les désirs du prince][6]; s'ils ne le peuvent pas, alors ils se retirent.
Maintenant Yeou et Khieou peuvent être considérés comme ayant augmenté le nombre des ministres.
Il ajouta: Alors ils ne feront donc que suivre la volonté de leur maître?
Le Philosophe dit: Faire périr son père ou son prince, ce ne serait pas même suivre sa volonté.
24. Tseu-lou[7] fit nommer Tseu-kao gouverneur de Pi.
Le Philosophe dit: Vous avez fait du tort à ce jeune homme.
Tseu-lou dit: Il aura des populations à gouverner, il aura les esprits de la terre et des grains à ménager; qu'a-t-il besoin de lire des livres [en pratiquant les affaires comme il va le faire]? il deviendra par la suite assez instruit.
Le Philosophe dit: C'est là le motif pourquoi je hais les docteurs de cette sorte.
25. Tseu-lou, Thseng-sie[8], Yan-yeou, Kong-si-hoa, étaient assis aux côtés du Philosophe.
Le Philosophe dit: Ne serais-je même que d'un jour plus âgé que vous, n'en tenez compte dans nos entretiens [n'ayez aucune réserve par rapport à mon âge].
Demeurant à l'écart et dans l'isolement, alors vous dites: Nous ne sommes pas connus. Si quelqu'un vous connaissait, alors que feriez-vous?
Tseu-lou répondit avec un air léger, mais respectueux: Supposé un royaume de dix mille chars de guerre, pressé entre d'autres grands royaumes, ajoutez même, par des armées nombreuses, et qu'avec cela il souffre de la disette et de la famine; que Yeou (Tseu-lou) soit préposé à son administration, en moins de trois années je pourrais faire en sorte que le peuple de ce royaume reprît un courage viril et qu'il connût sa condition. Le Philosophe sourit à ces paroles.
Et vous, Khieou, que pensez-vous?
Le disciple répondit respectueusement: Supposé une province de soixante ou de soixante et dix li d'étendue, ou même de cinquante ou de soixante li, et que Khieou soit préposé à son administration, en moins de trois ans je pourrais faire en sorte que le peuple eût le suffisant. Quant aux rites et à la musique, j'en confierais l'enseignement à un homme supérieur.
Et vous, Tchi, que pensez-vous?
Le disciple répondit respectueusement: Je ne dirai pas que je puis faire ces choses; je désire étudier. Lorsque se font les cérémonies du temple des ancêtres, et qu'ont lieu de grandes assemblées publiques, revêtu de ma robe d'azur et des autres vêtements propres à un tel lieu et à de telles cérémonies, je voudrais y prendre part en qualité d'humble fonctionnaire.
Et vous, Tian, que pensez-vous?
Le disciple ne fit plus que tirer quelques sons rares de sa guitare; mais, ces sons se prolongeant, il la déposa, et, se levant, il répondit respectueusement: Mon opinion diffère entièrement de celles de mes trois condisciples.—Le Philosophe dit: Qui vous empêche de l'exprimer? chacun ici peut dire sa pensée. [Le disciple] dit: Le printemps n'étant plus, ma robe de printemps mise de côté, mais coiffé du bonnet de virilité[9], accompagné de cinq ou six hommes et de six ou sept jeunes gens, j'aimerais à aller me baigner dans les eaux de l'Y[10], à aller prendre le frais dans ces lieux touffus où l'on offre les sacrifices au ciel pour demander la pluie, moduler quelques airs, et retourner ensuite à ma demeure.
Le Philosophe, applaudissant à ces paroles par un soupir de satisfaction, dit: Je suis de l'avis de Tian.
Les trois disciples partirent, et Thseng-sie resta encore quelque temps. Thseng-sie dit: Que doit-on penser des paroles de ces trois disciples? Le Philosophe dit: Chacun d'eux a exprimé son opinion, et voilà tout.—Il ajouta: Maître, pourquoi avez-vous souri aux paroles de Yeou?
[Le Philosophe] dit: On doit administrer un royaume selon les lois et coutumes établies; les paroles de Yeou n'étaient pas modestes, c'est pourquoi j'ai souri.
Mais Khieou lui-même n'exprimait-il pas le désir d'administrer aussi un État? Comment voir cela dans une province de soixante à soixante et dix li, et même de cinquante à soixante li d'étendue? ce n'est pas là un royaume.
Et Tchi, n'était-ce pas des choses d'un royaume dont il entendait parler? ces cérémonies du temple des ancêtres, ces assemblées publiques, ne sont-elles pas le privilége des grands de tous les ordres? et comment Tchi pourrait-il y prendre part en qualité d'humble fonctionnaire? qui pourrait donc remplir les grandes fonctions?
[1] Parce qu'il était toujours de l'avis de son maître.
[2] A cause de son esprit aventureux et hardi.
[3] Commentaire de TCHOU-HI.
[4] Instrument de musique nommé sse en chinois. On en peut voir la figure dans notre ouvrage cité. Planche 2.
[5] Fils puîné de Ki-chi, qui, par la grande puissance que sa famille avait acquise, avait fait nommer ses deux fils ministres. (TCHOU-HI.)
[6] Commentaire.
[7] Tseu-lou était gouverneur de Ki-chi.
[8] Père de Thseng-tseu, rédacteur du Ta-hio.
[9] Kouan, bonnet que le père donne à son fils à l'âge de vingt an».
[10] Située au midi de la ville de Kou.
CHAPITRE XII,
COMPOSÉ DE 24 ARTICLES.
1. Yan-youan demanda ce que c'était que la vertu de l'humanité. Le Philosophe dit: Avoir un empire absolu sur soi-même, retourner aux rites [ou aux lois primitives de la raison céleste manifestée dans les sages coutumes], c'est pratiquer la vertu de l'humanité. Qu'un seul jour un homme dompte ses penchants et ses désirs déréglés, et qu'il retourne à la pratique des lois primitives, tout l'empire s'accordera à dire qu'il a la vertu de l'humanité. Mais la vertu de l'humanité dépend-elle de soi-même, ou bien dépend-elle des autres hommes? Yan-youan dit: Permettez-moi de demander quelles sont les diverses ramifications de cette vertu? Le Philosophe dit: Ne regardez rien contrairement aux rites; n'entendez rien contrairement aux rites; ne dites rien contrairement aux rites; ne faites rien contrairement aux rites. Yan-youan dit: Quoique Hoeï (lui-même) n'ait pas fait preuve jusqu'ici de pénétration, il demande à mettre ces préceptes en pratique.
2. Tchoung—houng demanda ce que c'était que la vertu de l'humanité. Le Philosophe dit: Quand vous êtes sorti de chez vous, comportez-vous comme si vous deviez voir un hôte d'une grande distinction; en dirigeant le peuple, comportez-vous avec le même respect que si vous offriez le grand sacrifice. Ce que vous ne désirez pas qui vous soit fait à vous-même, ne le faites pas aux autres hommes. [En vous comportant ainsi] dans le royaume, personne n'aura contre vous de ressentiment; dans votre famille, personne n'aura contre vous de ressentiment.
Tchoung-houng dit: Quoique Young (Tchoung-houng) n'ait pas fait preuve jusqu'ici de pénétration, il demande à mettre ces préceptes en pratique.
3. Sse-ma-nieou demanda ce que c'était que la vertu de l'humanité.
Le Philosophe dit: Celui qui est doué de la vertu de l'humanité est sobre de paroles.—Il ajouta: Celui qui est sobre de paroles, c'est celui-là que l'on appelle doué de la vertu de l'humanité. Le Philosophe dit: Pratiquer l'humanité est une chose difficile; pour en parler, ne faut-il pas être sobre de paroles?
4. Sse-ma-nieou demanda ce qu'était l'homme supérieur. Le Philosophe dit: L'homme supérieur n'éprouve ni regrets ni crainte. [Sse-ma-nieou] ajouta: Celui qui n'éprouve ni regrets ni crainte, c'est celui-là que l'on appelle l'homme supérieur. Le Philosophe dit: Celui qui, s'étant examiné intérieurement, ne trouve en lui aucun sujet de peine, celui-là qu'aurait-il à regretter? qu'aurait-il à craindre?
5. Sse-ma-nieou, affecté de tristesse, dit: Tous les hommes ont des frères; moi seul je n'en ai point!
Tseu-hia dit: Chang (lui-même) a entendu dire:
Que la vie et la mort étaient soumises à une loi immuable fixée dès l'origine, et que les richesses et les honneurs dépendaient du ciel;
Que l'homme supérieur veille avec une sérieuse attention sur lui-même, et ne cesse d'agir ainsi; qu'il porte dans le commerce des hommes une déférence toujours digne, avec des manières distinguées et polies, regardant tous les hommes qui habitent dans l'intérieur des quatre mers [tout l'univers] comme ses propres frères. En agissant ainsi, pourquoi l'homme supérieur s'affligerait-il donc de n'avoir pas de frères?
6. Tseu-tchang demanda ce que c'était que la pénétration. Le Philosophe dit: Ne pas écouter des calomnies qui s'insinuent à petit bruit comme une eau qui coule doucement, et des accusations dont les auteurs seraient prêts à se couper un morceau de chair pour les affirmer; cela peut être appelé de la pénétration. Ne pas tenir compte des calomnies qui s'insinuent à petit bruit comme une eau qui coule doucement, et des accusations dont les auteurs sont toujours prêts à se couper un morceau de chair pour les affirmer; cela peut être aussi appelé de l'extrême pénétration.
7. Tseu-koung demanda ce que c'était que l'administration des affaires publiques. Le Philosophe dit: Ayez de quoi fournir suffisamment aux besoins des populations, des troupes en quantité suffisante, et que le peuple vous soit fidèle.
Tseu-koung dit: Si l'on se trouve dans l'impossibilité de parvenir à ces conditions, et que l'une doive être écartée, laquelle de ces trois choses faut-il écarter de préférence? [Le Philosophe] dit: Il faut écarter les troupes.
Tseu-koung dit: Si l'on se trouve dans l'impossibilité de parvenir aux autres conditions, et qu'il faille en écarter encore une, laquelle de ces deux choses faut-il écarter de préférence? [Le Philosophe] dit: Écartez les provisions. Depuis la plus haute antiquité, tous les hommes sont sujets à la mort; mais un peuple qui n'aurait pas de confiance et de fidélité dans ceux qui le gouvernent ne pourrait subsister.
8. Ko-tseu-tching (grand de l'État de Weï) dit: L'homme supérieur est naturel, sincère; et voilà tout. A quoi sert-il de lui donner les ornements de l'éducation?
Tseu-koung dit: Oh! quel discours avez-vous tenu, maître, sur l'homme supérieur! quatre chevaux attelés ne pourraient le ramener dans votre bouche. Les ornements de l'éducation sont comme le naturel; le naturel, comme les ornements de l'éducation. Les peaux de tigre et de léopard, lorsqu'elles sont tannées, sont comme les peaux de chien et de mouton tannées.
9. Ngaï-koung questionna Yeou-jo en ces termes: L'année est stérile, et les revenus du royaume ne suffisent pas; que faire dans ces circonstances?
Yeou-jo répondit avec déférence: Pourquoi n'exigez-vous pas la dîme? [Le prince] dit: Les deux dixièmes ne me suffisent pas; d'après cela, que ferais-je du dixième seul?
[Yeou-jo] répondit de nouveau avec déférence: Si les cent familles [tout le peuple chinois] ont le suffisant, comment le prince ne l'aurait-il pas? les cent familles n'ayant pas le suffisant, pourquoi le prince l'exigerait-il?
L'homme parfait ne recherche point les richesses; il a même du respect pour les phénomènes extraordinaires[11].
11. King-kong, prince de Thsi, questionna KHOUNG-TSEU sur le gouvernement.
KHOUNG-TSEU lui répondit avec déférence: Que le prince soit prince; le ministre, ministre; le père, père; le fils, fils. [Le prince] ajouta: Fort bien! c'est la vérité! si le prince n'est pas prince, si le ministre n'est pas ministre, si le père n'est pas père, si le fils n'est pas fils, quoique les revenus territoriaux soient abondants, comment parviendrais-je à en jouir et à les consommer?
12. Le Philosophe dit: Celui qui avec la moitié d'une parole peut terminer des différends, n'est-ce pas Yeou (Tseu-lou)?
Tseu-lou ne met pas l'intervalle d'une nuit dans l'exécution de ses résolutions.
13. Le Philosophe dit: Je puis écouter des plaidoiries, et juger des procès comme les autres hommes; mais ne serait-il pas plus nécessaire de faire en sorte d'empêcher les procès[12]?
14. Tseu-tchang fit une question sur le gouvernement. Le Philosophe dit: Réfléchissez mûrement, ne vous lassez jamais de faire le bien et de traiter les choses avec droiture.
15. Le Philosophe dit: Celui qui a des études très-étendues en littérature se fait un devoir de se conformer aux rites; il peut même prévenir les séditions.
16. Le Philosophe dit: L'homme supérieur perfectionne ou développe les bonnes qualités des autres hommes; il ne perfectionne pas ou ne développe pas leurs mauvais penchants; l'homme vulgaire est l'opposé.
17. Ki-kang-tseu questionna KHOUNG-TSEU sur le gouvernement. KHOUNG-TSEU répondit avec déférence: Le gouvernement, c'est ce qui est juste et droit. Si vous gouvernez avec justice et droiture, qui oserait ne pas être juste et droit?
18. Ki-kang-tseu ayant une grande crainte des voleurs, questionna KHOUNG-TSEU à leur sujet. KHOUNG-TSEU lui répondit avec déférence: Si vous ne désirez point le bien des autres, quand même vous les en récompenseriez, vos sujets ne voleraient point.
19. Ki-kang-tseu questionna de nouveau KHOUNG-TSEU sur la manière de gouverner, en disant: Si je mets à mort ceux qui ne respectent aucune loi, pour favoriser ceux qui observent les lois, qu'arrivera-t-il de là? KHOUNG-TSEU répondit avec déférence: Vous qui gouvernez les affaires publiques, qu'avez-vous besoin d'employer les supplices? aimez la vertu, et le peuple sera vertueux. Les vertus d'un homme supérieur sont comme le vent; les vertus d'un homme vulgaire sont comme l'herbe; l'herbe, lorsque le vent passe dessus, s'incline.
20. Tseu-tchang demanda quel devait être un chef pour pouvoir être appelé illustre [ou d'une vertu reconnue par tous les hommes]?
Le Philosophe répondit: Qu'appelez-vous illustration?
Tseu-tchang répondit avec respect: Si l'on réside dans les provinces, d'entendre bien parler de soi; si l'on réside dans sa famille, d'entendre bien parler de soi.
Le Philosophe dit: Cela, c'est simplement une bonne renommée, et non de l'illustration. L'illustration dont il s'agit consiste à posséder le naturel, la droiture, et à chérir la justice; à examiner attentivement les paroles des hommes, à considérer leur contenance, à soumettre sa volonté à celle des autres hommes. [De cette manière] si l'on réside dans les provinces, on est certainement illustre; si l'on réside dans sa famille, on est certainement illustre.
Cette renommée, dont il s'agit, consiste quelquefois à ne prendre que l'apparence de la vertu de l'humanité, et de s'en éloigner dans ses actions. En demeurant dans cette voie, on n'éprouve aucun doute; si l'on réside dans les provinces, on entendra bien parler de soi; si l'on réside dans sa famille, on entendra bien parler de soi.
21. Fan-tchi ayant suivi le Philosophe dans la partie inférieure du lieu sacré où l'on faisait les sacrifices au ciel pour demander la pluie [Wou-yu] dit: Permettez-moi que j'ose vous demander ce qu'il faut faire pour accumuler des vertus, se corriger de ses défauts, et discerner les erreurs de l'esprit[13]?
Le Philosophe dit: Oh! c'est là une grande et belle question!
Il faut placer avant tout le devoir de faire ce que l'on doit faire [pour acquérir la vertu], et ne mettre qu'au second rang le fruit que l'on en obtient; n'est-ce pas là accumuler des vertus? combattre ses défauts ou ses mauvais penchants, ne pas combattre les défauts ou les mauvais penchants des autres, n'est-ce pas là se corriger de ses défauts? par un ressentiment ou une colère d'un seul matin perdre son corps, pour que le malheur atteigne ses parents, n'est-ce pas là un trouble de l'esprit?
22. Fan-tchi demanda ce que c'était que la vertu de l'humanité. Le Philosophe dit: Aimer les hommes.—Il demanda ce que c'était que la science. Le Philosophe dit: Connaître les hommes. Fan-tchi ne pénétra pas le sens de ces réponses.
Le Philosophe dit: Elever aux honneurs les hommes justes et droits, et repousser tous les pervers; on peut, en agissant ainsi, rendre les pervers justes et droits.
Fan-tchi, en s'en retournaut, rencontra Tseu-hia, et lui dit: Je viens de faire une visite à notre maître, et je l'ai questionné sur la science. Le maître m'a dit: Elever aux honneurs les hommes justes et droits, et repousser tous les pervers; on peut, en agissant ainsi, rendre les pervers justes et droits. Qu'a-t-il voulu dire?
Tseu-hia dit: O que ces paroles sont fertiles en applications!
Chun, ayant obtenu l'empire, choisit parmi la foule, et éleva aux plus grands honneurs Kao-yao; ceux qui étaient vicieux et pervers, il les tint éloignés. Chang, ayant obtenu l'empire, choisit parmi la foule, et éleva aux plus grands honneurs Y-yn; ceux qui étaient vicieux et pervers, il les tint éloignés.
23. Tseu-koung demanda comment il fallait se comporter dans ses relations avec ses amis? Le Philosophe dit: Avertissez avec droiture de cœur, et ramenez votre ami dans le chemin de la vertu. Si vous ne pouvez pas agir ainsi, abstenez-vous. Ne vous déshonorez pas vous-même.
24. Thsêng-tseu dit: L'homme supérieur emploie son éducation [ou ses talents acquis par l'étude] à rassembler des amis, et ses amis à l'aider dans la pratique de l'humanité.
[11] Plusieurs commentateurs chinois regardent cette phrase comme défectueuse ou interpolée.
[12] Ce paragraphe se trouve déjà dans le Ta-hio, chap. IV, §1.
CHAPITRE XIII,
COMPOSÉ DE 30 ARTICLES.
1. Tseu-lou fit une question sur la manière de bien gouverner. Le Philosophe dit: Donnez le premier au peuple, et de votre propre personne, l'exemple de la vertu; donnez le premier au peuple, et de votre propre personne, l'exemple des labeurs[14].
—Je vous prie d'ajouter quelque chose à ces instructions.—Ne vous lassez jamais d'agir ainsi.
2. Tchoung-koung, exerçant les fonctions de ministre de Ki-chi, fit uue question sur la manière de bien gouverner. Le Philosophe dit: Commencez par avoir de bons fonctionnaires sous vos ordres pour diriger avec intelligence et probité les diverses branches de votre administration; pardonnez les fautes légères; élevez les hommes de vertus et de talents aux dignités publiques. [Tchoung-koung] ajouta: Comment connaître les hommes de vertus et de talents afin de les élever aux dignités? [Le Philosophe] dit: Elevez aux dignités ceux que vous connaissez être tels; ceux que vous ne connaissez pas, croyez-vous que les autres hommes les négligeront?
3. Tseu-lou dit: Supposons que le prince de l'État de Meï vous désire, maître, pour diriger les affaires publiques; à quoi vous appliqueriez-vous d'abord de préférence?
Le Philosophe dit: Ne serait-ce pas à rendre correctes les dénominations mêmes des personnes et des choses?
Tseu-lou dit: Est-ce véritablement cela? Maître, vous vous écartez de la question. A quoi bon cette rectification?
Le Philosophe dit: Vous êtes bien simple, Yeou! L'homme supérieur, dans ce qu'il ne connaît pas bien, éprouve une sorte d'hésitation et d'embarras.
Si les dénominations ne sont pas exactes, correctes, alors les instructions qui les concernent n'y répondent pas comme il convient; les instructions ne répondant pas aux dénominations des personnes et des choses, alors les affaires ne peuvent être traitées comme il convient.
Les affaires n'étant pas traitées comme il convient, alors les rites et la musique ne sont pas en honneur; les rites et la musique n'étant pas en honneur, alors les peines et les supplices n'atteignent pas leur but d'équité et de justice; les peines et les supplices n'atteignant pas leur but d'équité et de justice, alors le peuple ne sait où poser sûrement ses pieds et tendre ses mains.
C'est pourquoi l'homme supérieur, dans les noms qu'il donne, doit toujours faire en sorte que ses instructions y répondent exactement; les instructions étant telles, elles devront être facilement exécutées. L'homme supérieur, dans ses instructions, n'est jamais inconsidéré ou futile.
4. Fan-tchi pria son maître de l'instruire dans l'agriculture. Le Philosophe dit: Je n'ai pas les connaissances d'un vieil agriculteur. Il le pria de lui enseigner la culture des jardins. Il répondit: Je n'ai pas les connaissances d'un vieux jardinier.
Fan-tchi étant sorti, le Philosophe dit: Quel homme vulgaire que ce Fan-siu!
Si ceux qui occupent les rangs supérieurs dans la société aiment à observer les rites, alors le peuple n'osera pas ne pas les respecter; si les supérieurs se plaisent dans la pratique de la justice, alors le peuple n'osera pas ne pas être soumis; si les supérieurs chérissent la sincérité et la fidélité, alors le peuple n'osera pas ne pas pratiquer ces vertus. Si les choses se passent ainsi, alors les peuples des quatre régions, portant sur leurs épaules leurs enfants enveloppés de langes, accourront se ranger sous vos lois. [Quand on peut faire de pareilles choses], à quoi bon s'occuper d'agriculture?
5. Le Philosophe dit: Qu'un homme ait appris à réciter les trois cents odes du Livre des Vers, s'il reçoit un traitement pour exercer des fonctions dans l'administration publique, qu'il ne sait pas remplir; ou s'il est envoyé comme ambassadeur dans les quatre régions du monde, sans pouvoir par lui-même accomplir convenablement sa mission; quand même il aurait encore lu davantage, à quoi cela servirait-il?
6. Le Philosophe dit: Si la personne de celui qui commande aux autres ou qui les gouverne est dirigée d'après la droiture et l'équité, il n'a pas besoin d'ordonner le bien pour qu'on le pratique; si sa personne n'est pas dirigée par la droiture et l'équité, quand même il ordonnerait le bien, il ne serait pas obéi.
7. Le Philosophe dit: Les gouvernements des États de Lou et de Wëi sont frères.
8. Le Philosophe disait de Kong-tseu-king, grand de l'État de Weï, qu'il s'était parfaitement bien comporté dans sa famille. Quand il commença à posséder quelque chose, il disait: J'aurai un jour davantage; quand il eut un peu plus, il disait: C'est bien; quand il eut de grandes richesses, il disait: C'est parfait.
9. Le Philosophe ayant voulu se rendre dans l'État de Wëi, Yan-yeou conduisit son char.
Le Philosophe dit: Quelle multitude [quelle grande population]!
Yan-yeou dit: Une grande multitude en effet. Qu'y aurait-il à faire pour elle? Le Philosophe dit: La rendre riche et heureuse. [Le disciple] ajouta: Quand elle serait riche et heureuse, que faudrait-il faire encore pour elle? [Le Philosophe] dit: L'instruire.
10. Le Philosophe dit: Si [un gouvernement] voulait m'employer aux affaires publiques, dans le cours d'une douzaine de lunes je pourrais déjà réformer quelques abus; dans trois années, la réformation serait complète.
11. Le Philosophe dit: «Si des hommes sages et vertueux gouvernaient un État pendant sept années, ils pourraient dompter les hommes cruels [les convertir au bien] et supprimer les supplices.» Qu'elles sont parfaites ces paroles [des anciens sages]!
12. Le Philosophe dit: Si je possédais le mandat de la royauté, il ne me faudrait pas plus d'une génération[15] pour faire régner partout la vertu de l'humanité.
13. Le Philosophe dit: Si quelqu'un règle sa personne selon les principes de l'équité et de la droiture, quelle difficulté éprouvera-t-il dans l'administration du gouvernement? s'il ne règle pas sa personne selon les principes de l'équité et de la droiture, comment pourrait-il rectifier la conduite des autres hommes?
14. Yan-yeou étant revenu de la cour, le Philosophe lui dit: Pourquoi si tard? [Le disciple] lui répondit respectueusement: Nous avons eu à traiter des affaires concernant l'administration. Le Philosophe dit: C'étaient des affaires de famille, sans doute; car, s'il se fût agi des affaires d'administration publique, quoique je ne sois plus en fonctions, je suis encore appelé à en prendre connaissance.
15. Ting-kong (prince de Lou) demanda s'il y avait un mot qui eût la puissance de faire prospérer un État. KHOUNG-TSEU lui répondit avec déférence: Un seul mot ne peut avoir cette puissance; on peut cependant approcher de cette concision désirée.
Il y a un proverbe parmi les hommes qui dit: «Faire son devoir comme prince est difficile; le faire comme ministre n'est pas facile[16].»
Si vous savez que de faire son devoir comme prince est une chose difficile, n'est-ce pas en presque un seul mot trouver le moyen de faire prospérer un État?
[Le même prince] ajouta: Y a-t-il un mot qui ait la puissance de perdre un État? KHOUNG-TSEU répondit avec déférence: Un seul mot ne peut avoir cette puissance; on peut cependant approcher de cette concision désirée. Il y a un proverbe parmi les hommes qui dit: «Je ne vois pas qu'un prince ait plaisir à remplir ses devoirs, à moins que ses paroles ne trouvent point de contradicteurs.» Qu'il fasse le bien, et qu'on ne s'y oppose pas: n'est-ce pas en effet très-bien? qu'il fasse le mal, et que l'on ne s'y oppose pas: n'est-ce pas, dans ce peu de mots, trouver la cause de la ruine d'un État?
16. Ye-koung demanda ce que c'était que le bon gouvernement.
Le Philosophe dit: Rendez satisfaits et contents ceux qui sont près de vous, et ceux qui sont éloignés accourront d'eux-mêmes.
17. Tseu-hia, étant gouverneur de Kiu-fou (ville de l'État de Lou), demanda ce que c'était que le bon gouvernement. Le Philosophe dit: Ne désirez pas aller trop vite dans l'expédition des affaires, et n'ayez pas en vue de petits avantages personnels. Si vous désirez expédier promptement les affaires, alors vous ne les comprendrez pas bien; si vous avez en vue de petits avantages personnels, alors les grandes affaires ne se termineront pas convenablement.
18. Ye-kong, s'entretenant avec KHOUNG-TSEU, dit: Dans mon village, il y a un homme d'une droiture et d'une sincérité parfaites; son père ayant volé un mouton, le fils porta témoignage contre lui.
KHOUNG-TSEU dit: Les hommes sincères et droits de mon lieu natal diffèrent beaucoup de celui-là: le père cache les fautes de son fils, le fils cache les fautes de son père. La droiture et la sincérité existent dans cette conduite.
19. Fan-tchi demanda ce que c'était que la vertu de l'humanité. Le Philosophe répondit: Dans la vie privée, ayez toujours une tenue grave et digne; dans le maniement des affaires, soyez toujours attentif et vigilant; dans les rapports que vous avez avec les hommes, soyez droit et fidèle à vos engagements. Quand même vous iriez parmi les barbares des deux extrémités de l'empire, vous ne devez point négliger ces principes.
20. Tseu-koung fit une question en ces termes: A quelles conditions un homme peut-il être appelé lettré du premier ordre (ssè), ou homme d'État? Le Philosophe dit: Celui qui, dans ses actions et dans sa personne, a toujours le sentiment de la honte du mal; qui, envoyé comme ambassadeur dans les quatre régions, ne déshonore pas le mandat de son prince; celui-là peut être appelé lettré du premier ordre ou homme d'État.
[Tseu-koung] ajouta: Permettez-moi de vous demander quel est celui qui vient après? [Le Philosophe] dit: Celui dont les parents et les proches vantent la piété filiale, et dont les compagnons de jeunesse célèbrent la déférence fraternelle.
Il ajouta encore: Permettez-moi de vous demander quel est celui qui vient ensuite? [Le Philosophe] dit: Celui qui est toujours sincère dans ses paroles, ferme et persévérant dans ses entreprises; quand même il aurait la dureté de la pierre, qu'il serait un homme vulgaire, il peut cependant être considéré comme celui qui suit immédiatement.
Il poursuivit ainsi: Ceux qui sont de nos jours à la tête de l'administration publique, quels hommes sont-ils?
Le Philosophe dit: Hélas! ce sont des hommes de la même capacité que le boisseau nommé téou et la mesure nommée chao. Comment seraient-ils dignes d'être comptés?
21. Le Philosophe dit: Je ne puis trouver des hommes qui marchent dans la voie droite, pour leur communiquer la doctrine; me faudra-t-il recourir à des hommes qui aient les projets élevés et hardis, mais qui manquent de résolution pour exécuter, ou, à défaut de science, doués d'un caractère persévérant et ferme? Les hommes aux projets élevés et hardis, mais qui manquent de résolution pour exécuter, en avançant dans la voie droite, prennent, pour exemple à suivre, les actions extraordinaires des grands hommes; les hommes qui n'ont qu'un caractère persévérant et ferme s'abstiennent au moins de pratiquer ce qui dépasse leur raison.
22. Le Philosophe dit: Les hommes des provinces méridionales ont un proverbe ainsi conçu: «Un homme qui n'a point de persévérance n'est capable ni d'exercer l'art de la divination, ni celui de la médecine.» Ce proverbe est parfaitement juste.
«Celui qui ne persévère pas dans sa vertu éprouvera quelque honte.» [Y-king.]
Le Philosophe dit: Celui qui ne pénètre pas le sens de ces paroles n'est propre à rien.
23. L'homme supérieur vit en paix avec tous les hommes, sans toutefois agir absolument de même.
L'homme vulgaire agit absolument de même, sans toutefois s'accorder avec eux.
24. Tseu-koung fit une question en ces termes: Si tous les hommes de son village chérissent quelqu'un, qu'en faut-il penser? Le Philosophe dit: Cela ne suffit pas pour porter sur lui un jugement équitable.—Si tous les hommes de son village haïssent quelqu'un, qu'en faut-il penser? Le Philosophe dit: Cela ne suffit pas pour porter sur lui un jugement équitable. Ce serait, bien différent si les hommes vertueux d'entre les habitants de ce village le chérissaient, et si les hommes vicieux de ce même village le haïssaient.
25. Le Philosophe dit: L'homme supérieur est facilement servi, mais difficilement satisfait. Si on tâche de lui déplaire par des moyens contraires à la droite raison, il n'est point satisfait. Dans l'emploi qu'il fait des hommes, il mesure leur capacité [il les emploie selon leur capacité]. L'homme vulgaire est difficilement servi et facilement satisfait. Si on tâche de lui plaire, quoique ce soit par des moyens contraires à la raison, il est également satisfait. Dans l'emploi qu'il fait des hommes il ne cherche que son avantage personnel.
26. Le Philosophe dit: L'homme supérieur, s'il se trouve dans une haute position, ne montre point de faste et d'orgueil; l'homme vulgaire montre du faste et de l'orgueil, sans être dans une position élevée.
27. Le Philosophe dit: L'homme qui est ferme, patient, simple et naturel, sobre en paroles, approche beaucoup de la vertu de l'humanité.
28. Tseu-lou fit une question en ces termes: A quelles conditions un homme peut-il être appelé lettré du premier ordre, ou homme d'État? Le Philosophe dit: Rechercher le vrai avec sincérité, exposer le résultat de ses recherches ou de ses informations avec la même sincérité; avoir toujours un air affable et prévenant: voilà ce que l'on peut appeler les conditions d'un lettré de premier ordre. Les amis et les connaissances doivent être traités avec sincérité et franchise; les frères, avec affabilité et prévenance.
29. Le Philosophe dit: Si un homme vertueux instruisait le peuple pendant sept ans, il pourrait le rendre habile dans l'art militaire.
30. Le Philosophe dit: Employer à l'armée des populations non instruites dans l'art militaire, c'est les livrer à leur propre perte.
[14] Ces deux maximes sont exprimées dans le texte par quatre caractères: sian-tchi, lâo-tchî; PRÆEAS EO, LABORES EO.
[15] Un laps de temps de trente années. (TCHOU-HI.)
[16] Wêï kiùn, nân; wêï tchin, pòu ì: agere principem, difficile; agere ministrum, non facile.
CHAPITRE XIV,
COMPOSÉ DE 47 ARTICLES.
1. Hien[17] demanda ce que c'était que la honte. Le Philosophe dit: Quand l'État est gouverné par les principes de la droite raison, recevoir des émoluments[18]; quand l'État n'est pas gouverné par les principes de la droite raison, recevoir également des émoluments: c'est là de la honte.
2.—Aimer à dompter son désir de combattre, et ne pas satisfaire ses ressentiments, ni ses penchants avides; cela ne peut-il pas être considéré comme la vertu de l'humanité?
Le Philosophe dit: Si cela peut être considéré comme difficile, comme la vertu de l'humanité, c'est ce que je ne sais pas.
3. Le Philosophe dit: Si un lettré aime trop l'oisiveté et le repos de sa demeure, il n'est pas digne d'être considéré comme lettré.
4. Le Philosophe dit: Si l'État est gouverné par les principes de la droite raison, parlez hautement et dignement, agissez hautement et dignement. Si l'État n'est pas gouverné par les principes de la droite raison, agissez toujours hautement et dignement, mais parlez avec mesure et précaution.
5. Le Philosophe dit: Celui qui a des vertus doit avoir la faculté de s'exprimer facilement; celui qui a la faculté de s'exprimer facilement ne doit pas nécessairement posséder ces vertus. Celui qui est doué de la vertu de l'humanité doit posséder le courage viril; celui qui est doué du courage viril ne possède pas nécessairement la vertu de l'humanité.
6. Nan-koung-kouo questionna KHOUNG-TSEU en ces termes: Y savait parfaitement tirer de l'arc; Ngao savait parfaitement conduire un navire, même dans un bassin à sec. L'un et l'autre cependant ne trouvèrent-ils pas la mort? Yu et Tsie labouraient la terre de leur propre personne, et cependant ils obtinrent l'empire. Le maître ne répondit point. Nan-koung-kouo sortit. Le Philosophe dit: C'est un homme supérieur que cet homme-là! comme il sait admirablement rehausser la vertu!
7. Le Philosophe dit: Il y a eu des hommes supérieurs qui n'étaient pas doués de la vertu de l'humanité; mais il n'y a pas encore eu d'homme sans mérite qui fût doué de la vertu de l'humanité.
8. Le Philosophe dit: Si l'on aime bien, ne peut-on pas aussi bien châtier[19]? Si l'on a de la droiture et de la fidélité, ne peut-on pas faire des remontrances?
9. Le Philosophe dit: S'il fallait rédiger les documents d'une mission officielle, Pi-chin en traçait le plan et les esquissait; Chi-chou les examinait attentivement et y plaçait les dits des anciens; l'ambassadeur chargé de remplir la mission, Tseu-yu, corrigeait le tout; Tseu-tchan, de Thoung-li, y ajoutait les divers ornements du style.
10. Quelqu'un demanda quel était Tseu-tchan? Le Philosophe dit: C'était un homme bienfaisant.
On demanda aussi quel était Tseu-si? [Le Philosophe] dit: Celui-là? celui-là? [cette question est déplacée].
On demanda quel était Kouan-tchoung? Il dit: C'est un homme qui avait enlevé à Pe-chi[20] un fief de trois cents familles. [Cependant ce dernier] se nourrissant d'aliments grossiers, ne laissa échapper jusqu'à la fin de ses jours aucune parole de ressentiment ou d'indignation.
11. Le Philosophe dit: Il est difficile d'être pauvre, et de n'éprouver aucun ressentiment; il est facile en comparaison d'être riche, et de ne pas s'en enorgueillir.
12. Le Philosophe dit: Meng-kong-tcho (grand fonctionnaire du royaume de Lou) est très-propre à être le premier intendant des familles Tchao et Weï[21]; mais il n'est pas capable d'être grand fonctionnaire des petits États de Ting et de Sie.
13. Tseu-lou demanda en quoi consistait l'homme accompli. Le Philosophe répondit: S'il réunit la science de Wou-tchoung[22], la modération de Kong-tcho[22b], la force virile de Tchouang-tseu de Pian[23], l'habileté dans les arts de Jen-khieou; si, outre cela, il est versé dans la connaissance des rites et de la musique, il peut être considéré comme un homme accompli.
Il ajouta: Qu'est-il besoin que l'homme accompli de nos jours soit tel qu'il vient d'être décrit? Si, en voyant un profit à obtenir, il pense à la justice; si, en voyant un danger, il dévoue sa vie; si, lorsqu'il s'agit d'anciens engagements, il n'oublie pas les paroles de ses jours d'autrefois, il pourra aussi être considéré comme un homme accompli.
14. Le Philosophe questionna Kong-ming, surnommé Kia[24], sur Kong-tcho-wen-tseu[25], en ces termes: Faut-il le croire? on dit que votre maître ne parle pas, ne rit pas, et n'accepte rien de personne?
Kong-ming-kia répondit avec respect: Ceux qui ont rapporté cela vont trop loin. Mon maître parle en temps opportun; il ne fatigue pas les autres de ses discours. Quand il faut être joyeux, il rit; mais il ne fatigue pas les autres de sa gaîté. Quand cela est juste, il reçoit ce qu'on lui offre; mais on n'est pas fatigué de sa facilité à recevoir. Le Philosophe dit: Il se comporte ainsi! commeut se peut-il comporter ainsi!
15. Le Philosophe dit: Tsang-wou-tchoung cherchait à obtenir du prince de Lou que sa postérité eût toujours la terre de Fang en sa possession. Quoiqu'il eût dit qu'il ne voulait pas l'exiger de son prince, je n'ajoute pas foi à ses paroles.
16. Le Philosophe dit: Wen-kong, prince de Tçin, était un fourbe sans droiture; Wan-kong, prince de Thsi, était un homme droit sans fourberie.
17. Tseu-lou dit: Wan-kong tua Kong-tseu-kieou. Tchao-hoü mourut avec lui; Kouan-tchoung ne mourut pas: ne doit-on pas dire qu'il a manqué de la vertu de l'humanité?
Le Philosophe dit: Wan-kong réunit et pacifia tous les grands de l'État, sans recourir à la force des armes; ce résultat fut dû à l'habileté de Kouan-tchoung: quel est celui dont l'humanité peut égaler la sienne!
18. Tseu-koung dit: Kouan-tchoung n'était pas dénué de la vertu de l'humanité. Lorsque Wan-kong tua Kong-tseu-kieou, [Kouan-tchoung, son ministre] ne sut pas mourir; mais il aida le meurtrier dans ses entreprises.
Le Philosophe dit: Kouan-tchoung aida Wan-kong à soumettre les grands de tous les ordres, à remettre de l'unité et de l'ordre dans l'empire. Le peuple, jusqu'à nos jours, a conservé les bienfaits de son administration. Sans Kouan-tchoung j'aurais les cheveux rasés, et ma robe suspendue en nœuds à mon côté gauche [selon la coutume des barbares][26].
Pourquoi [Kouan-tchoung], comme un homme ou une femme vulgaire, aurait-il accompli le devoir d'une médiocre fidélité, en s'étranglant ou en se jetant dans un fossé plein d'eau, sans laisser un souvenir dans la mémoire des hommes[27]!
19. L'intendant de Kong-tcho-wen-tseu, étant devenu ministre par le choix et avec l'appui de ce grand dignitaire, se rendit avec lui à la cour du prince. Le Philosophe ayant appris ce fait, dit: Il était digne par ses vertus et ses connaissances d'être considéré comme paré des ornements de l'éducation (wen).
20. Le Philosophe ayant dit que Ling-kong, prince de Weï, était sans principes, Khang-tseu observa que s'il en était ainsi, pourquoi n'avait-il pas été privé de sa dignité?
KHOUNG-TSEU dit: Tchoung-cho-yu préside à la réception des hôles et des étrangers; Chou-to préside aux cérémonies du temple des ancêtres; Wang-sun-kia préside aux affaires militaires: cela étant ainsi, pourquoi l'aurait-on privé de sa dignité?
21. Le Philosophe dit: Celui qui parle sans modération et sans retenue met difficilement ses paroles en pratique.
22. Tchin-tching-tseu (grand de l'État de Thsi) mit à mort Kien-kong (prince de Thsi).
KHOUNG-TSEU se purifia le corps par un bain, et se rendit à la cour (de Lou), où il annonça l'événement à Ngai-kong (prince de Lou) en ces termes: Tchin-heng a tué son prince, je viens demander qu'il soit puni.
Le prince dit: Exposez l'affaire à mes trois grands dignitaires.
KHOUNG-TSEU dit: Comme je marche immédiatement après les grands dignitaires, je n'ai pas cru devoir me dispenser de vous faire connaître l'événement. Le prince dit: C'est à mes trois grands dignitaires qu'il faut exposer le fait.
Il exposa le fait aux trois grands dignitaires, qui jugèrent que cette démarche ne convenait pas. KHOUNG-TSEU ajouta: Comme je marche immédiatement après les grands dignitaires, je n'ai pas cru devoir me dispenser de vous faire connaître le fait.
23. Tseu-lou demanda comment il fallait servir le prince. Le Philosophe dit: Ne l'abusez pas, et résistez-lui dans l'occasion.
24. Le Philosophe dit: L'homme supérieur s'élève continuellement en intelligence et en pénétration; l'homme sans mérites descend continuellement dans l'ignorance et le vice.
25. Le Philosophe dit: Dans l'antiquité, ceux qui se livraient à l'étude le faisaient pour eux-mêmes; maintenant, ceux qui se livrent à l'étude le font pour les autres [pour paraître instruits aux yeux des autres][28].
26. Kieou-pe-yu (grand dignitaire de l'État de Weï) envoya un homme à KHOUNG-TSEU pour savoir de ses nouvelles. KHOUNG-TSEU fit asseoir l'envoyé près de lui, et lui fit une question en ces termes: Que fait votre maître? L'envoyé repondit avec respect: Mon maître désire diminuer le nombre de ses défauts, mais il ne peut en venir à bout. L'envoyé étant sorti, le Philosophe dit: Quel digne envoyé! quel digne envoyé!
27. Le Philosophe dit: Que lorsqu'une chose ne rentrait pas dans ses fonctions, il ne fallait pas se mêler de la diriger.
28. THSÊNG-TSEU dit: «Quand l'homme supérieur médite sur une chose, il ne sort pas de ses fonctions.» (Y-King.)
29. Le Philosophe dit: L'homme supérieur rougit de la crainte que ses paroles ne dépassent ses actions.
30. Le Philosophe dit: Les voies droites, ou vertus principales de l'homme supérieur, sont au nombre de trois, que je n'ai pas encore pu complètement atteindre: la vertu de l'humanité, qui dissipe les tristesses; la science, qui dissipe les doutes de l'esprit; et le courage viril, qui dissipe les craintes.
Tseu-koung dit: Notre maître parle de lui-même avec trop d'humilité.
31. Tseu-koung s'occupait à comparer entre eux les hommes des diverses contrées. Le Philosophe dit: Sse, vous êtes sans doute un sage très-éclairé; quant à moi, je n'ai pas assez de loisir pour m'occuper de ces choses.
32. Ne vous affligez pas de ce que les hommes ne vous connaissent point; mais affligez-vous plutôt de ce que vous n'avez pas encore pu mériter d'être connu.
33. Le Philosophe dit: Ne pas se révolter d'être trompé par les hommes, ne pas se prémunir contre leur manque de foi, lorsque cependant on l'a prévu d'avance, n'est-ce pas là être sage?
34. Weï-seng, surnommé Mèou, s'adressant à KHOUNG-TSEU, lui dit: KHIEOU [petit nom du Philosophe], pourquoi êtes-vous toujours par voies et par chemins pour propager votre doctrine? N'aimez-vous pas un peu trop à en parler?
KHOUNG-TSEU dit: Je n'oserais me permettre d'aimer trop à persuader par la parole; mais je hais l'obstination à s'attacher à une idée fixe.
35. Le Philosophe dit: Quand on voit le beau cheval nommé Ki, on ne loue pas en lui la force, mais les qualités supérieures.
36. Quelqu'un dit: Que doit-on penser de celui qui rend bienfaits pour injures[29]?
Le Philosophe dit: [Si l'on agit ainsi], avec quoi payera-t-on les bienfaits mêmes?
Il faut payer par l'équité la haine et les injures, et les bienfaits par des bienfaits.
37. Le Philosophe dit: Je ne suis connu de personne.
Tseu-koung dit: Comment se fait-il que personne ne vous connaisse? Le Philosophe dit: Je n'en veux pas au ciel, je n'en accuse pas les hommes. Humble et simple étudiant, je suis arrivé par moi-même à pénétrer les choses. Si quelqu'un me connaît, c'est le ciel!
38. Kong-pe-liao calomniait Tseu-lou près de Ki-sun. Tseu-fou, king-pe (grand de l'État de Lou) en informa le Philosophe en ces termes: Son supérieur [Ki-sun] a certainement une pensée de doute d'après le rapport de Kong-pe-liao. Je suis assez fort pour châtier [le calomniateur], et exposer son cadavre dans la cour du marché.
Le Philosophe dit: Si la voie de la droite raison doit être suivie, c'est le décret du ciel; si la voie de la droite raison doit être abandonnée, c'est le décret du ciel. Comment Kong-pe-liao arrêterait-il les décrets du ciel?
39. Le Philosophe dit: Les sages fuient le siècle.
Ceux qui les suivent immédiatement fuient leur patrie.
Ceux qui suivent immédiatement ces derniers fuient les plaisirs.
Ceux qui viennent après fuient les paroles trompeuses.
40. Le Philosophe dit: Ceux qui ont agi ainsi sont au nombre de sept.
41. Tseu-lou passa la nuit à Chi-men. Le gardien de la porte lui dit: D'où venez-vous? Tseu-lou lui dit: Je viens de près de KHOUNG-TSEU. Le gardien ajouta: Il doit savoir sans doute qu'il ne peut pas faire prévaloir ses doctrines, et cependant il s'applique toujours activement à les propager.
42. Le Philosophe étant un jour occupé à jouer de son instrument de pierre nommé king, dans l'État de Weï, un homme, portant un panier sur ses épaules, vint à passer devant la porte de KHOUNG-TSEU, et s'écria: Oh! qu'il a de cœur celui qui joue ainsi du king!
Après un instant de silence, il ajouta: O les hommes vils! quelle harmonie! king! king! personne ne sait l'apprécier. Il a cessé de jouer; c'est fini.
«Si l'eau est profonde, alors ils la passent sans relever leur robe;
Si elle n'est pas profonde, alors ils la relèvent[30].»
Le Philosophe dit: Pour celui qui est persévérant et ferme, il n'est rien de difficile.
43. Tseu-tchang dit: Le Chou-king rapporte que Kao-tsoung passa dans le Lyang-yn[31] trois années sans parler; quel est le sens de ce passage?
Le Philosophe dit: Pourquoi citer seulement Kao-tsoung? Tous les hommes de l'antiquité agissaient ainsi. Lorsque le prince avait cessé de vivre, tous les magistrats ou fonctionnaires publics qui continuaient leurs fonctions recevaient du premier ministre leurs instructions pendant trois années.
44. Le Philosophe dit: Si celui qui occupe le premier rang dans l'État aime à se conformer aux rites, alors le peuple se laisse facilement gouverner.
45. Tseu-lou demanda ce qu'était l'homme supérieur. Le Philosophe répondit: Il s'efforce constamment d'améliorer sa personne pour s'attirer le respect.—C'est là tout ce qu'il fait?—Il améliore constamment sa personne pour procurer aux autres du repos et de la tranquillité.—C'est là tout ce qu'il fait?—Il améliore constamment sa personne pour rendre heureuses toutes les populations. Il améliore constamment sa personne pour rendre heureuses toutes les populations: Yao et Chun eux-mêmes agirent ainsi.
46. Youan-jang (un ancien ami du Philosophe), plus âgé que lui, était assis sur le chemin les jambes croisées. Le Philosophe lui dit: Étant enfant, n'avoir pas eu de déférence fraternelle; dans l'âge mûr, n'avoir rien fait de louable; parvenu à la vieillesse, ne pas mourir: c'est être un vaurien. Et il lui frappa les jambes avec son bâton [pour le faire relever].
47. Un jeune homme du village de Kiouë-thang était chargé par le Philosophe de recevoir les personnes qui le visitaient. Quelqu'un lui demanda s'il avait fait de grands progrès dans l'étude.
Le Philosophe dit: J'ai vu ce jeune homme s'asseoir sur le siège[32]; je l'ai vu marchant de pair avec ses maîtres[33]; je ne cherche pas à lui faire faire des progrès dans l'étude, je désire seulement qu'il devienne un homme distingué.
[17] Petit nom de Youan-sse.
[18] Pour des fonctions que l'on ne remplit pas, ou que l'on n'a pas besoin de remplir.
«L'État étant bien gouverné, ne pas remplir activement ses fonctions; l'État étant mal gouverné, ne pas avoir le courage d'être seul vertueux, et cependant savoir consommer ses émoluments; dans l'un et l'autre cas on doit éprouver de la honte.» (TCHOU-HI)
[19] «Qui aime bien, châtie bien,» dit aussi un proverbe français.
[20] Grand de l'État de Thsi.
[21] Familles de l'État de Tçin, ayant le rang de king, donné aux premiers dignitaires.
[22] Grand fonctionnaire de Lou.
[23] Grand fonctionnaire de la ville de Pian, dans l'État de Lou.
[24] De l'État de Weï.
[25] Grand dignitaire de l'État de Weï.
[26] Commentaire.
[27] Ces paroles éloquentes du philosophe chinois sont une admirable leçon pour ceux qui placent la loi du devoir dans de vaines et stériles doctrines. Oh! sans doute il vaut cent fois mieux consacrer sa vie au service de son pays, au bonheur de l'humanité tout entière, que de la jeter en holocauste à une vaine poussière! Si, comme le dit le grand philosophe que nous traduisons, Kouan-tchoung s'était suicidé, comme des esprits étroits l'auraient voulu, pour ne pas survivre à la défaite et à la mort du prince dont il était le ministre, il n'aurait pas accompli les grandes réformes populaires qu'il accomplit, et, par suite de l'état de barbarie où serait tombée la Chine, KHOUNG-TSEU n'aurait été lui-même qu'un barbare!
[28] Commentaire.
[29] Voyez l'Évangile et le Koran. L'Évangile dit qu'il faut rendre le bien pour le mal; le Koran, qu'il faut rendre le mal pour le mal. Le précepte du Philosophe chinois nous parait moins sublime que celui de Jésus, mais peut-être plus conforme aux lois équitables de la nature humaine. Tchou-hi, sur cette phrase, renvoie au livre de Lao-tseu, où le caractère té, ordinairement vertu, est expliqué par Ngan-hoeï, bienfaisant, bienfaits.