Les quatre livres de philosophie morale et politique de la Chine
[23] Paroles du Livre des Vers, ode Fa-mo, section Siao-ya.
[24] Section du Livre des fers, ode Pi-Kong.
[25] Tcheou-koung.
[26] Disciple de MENG-TSEU.
[27] Paroles du Chou-king.
[28] Commentaire.
[29] Ibid.
CHAPITRE VI,
COMPOSÉ DE 10 ARTICLES.
1. Tchin-taï (disciple de MENG-TSEU) dit: Ne pas faire le premier une visite aux princes de tous rangs, paraît être une chose de peu d'importance. Maintenant, supposez que vous soyez allé les voir le premier, le plus grand bien qui pourra en résulter sera de les faire régner selon les vrais principes, le moindre sera de faire parvenir celui que vous aurez visité au rang de chef des vassaux. Or le Mémorial (tchi) dit: En se courbant d'un pied on se redresse de huit. Il me parait convenable que vous agissiez ainsi.
MENG-TSEU dit: Autrefois King-koung, roi de Thsi, voulant aller à la chasse, appela auprès de lui, au moyen de l'étendard orné de plumes, les hommes préposés à la garde du parc royal. Ces derniers ne s'étant pas rendus à l'appel, il résolut de les faire aussitôt mettre à mort. «L'homme éclairé et ferme dans sa résolution [dit à ce sujet KHOUNG-TSEU] n'oublie pas que son corps pourra bien être jeté à la voirie ou dans une fosse pleine d'eau. L'homme brave et résolu n'oublie pas qu'il peut perdre sa tête.» Pourquoi KHOUNG-TSEU fait-il ainsi l'éloge [des hommes de résolution]? Il en fait l'éloge, parce que ces hommes ne se rendirent pas à un signal qui n'était pas le leur. Si, sans attendre le signal qui doit les appeler, des hommes préposés à de certaines fonctions les abandonnaient, qu'arriverait-il de là?
Or cette maxime, de se courber d'un pied pour se redresser de huit, concerne l'utilité ou les avantages que l'on peut retirer de cette conduite. Mais s'il s'agit d'un simple gain ou profit, est-il permis, en vue de ce profit, de se courber de huit pieds pour ne se redresser que d'un?
Autrefois Tchao-kian-tscu [ un des premiers fonctionnaires, ta-fou, de l'État de Tçin] ordonna à Wang-liang [un des plus habiles cochers] de conduire son char pour son serviteur favori nommé Hi. Pendant tout le jour il ne prit pas une bête fauve.
Le favori, en rendant compte à son maître de ce résultat, dit: C'est le plus indigne cocher de tout l'empire!
Quelqu'un ayant rapporté ces paroles à Wang-liang, celui-ci dit: Je prie qu'on me laisse de nouveau conduire le char. Il insista si vivement que le favori Hi y consentit. Dans un seul matin, il prit dix bêtes fauves.
Le favori, en rendant compte à son maître de ce résultat, dit: C'est le plus habile cocher de tout l'empire!
Kian-tseu dit alors: J'ordonne qu'il conduise ton char. Wang-liang, en ayant été averti, refusa en disant: Lorsque pour lui j'ai dirigé ses chevaux selon les règles de l'art, il n'a pas pu prendre une seule bête fauve de toute la journée; lorsque pour lui je les ai laissés aller à tort et à travers, en un seul matin il en a pris dix. Le Livre des Vers dit:
«Quand il n'oublie pas de guider les chevaux selon les règles de l'art,
L'archer lance ses flèches avec la plus grande précision.»
Mais je n'ai pas l'habitude de conduire un char pour un homme aussi ignorant des règles de son art. Je vous prie d'agréer mon refus.
Ainsi un cocher a honte même de se voir adjoint à un [mauvais] archer. Il ne voudrait pas y être adjoint quand même cet archer prendrait autant de bêtes fauves qu'il en faudrait pour former une colline. Que serait-ce donc si l'on faisait plier les règles de conduite les plus droites pour se mettre à la merci des princes en allant les visiter le premier! Or vous vous êtes trompé [dans votre citation]. Celui qui s'est une fois plié soi-même ne peut plus redresser les autres hommes.
2. King-tchun dit: Kong-sun-yen et Tchangni ne sont-ils pas de grands hommes? lorsque l'un d'eux s'irrite, tous les princes tremblent; lorsqu'ils restent en paix, tout l'empire est tranquille.
MENG-TSEU dit: Comment pour cela peuvent-ils être considérés comme grands? Vous n'avez donc jamais étudié le Livre des Rites? Lorsque le jeune homme reçoit le bonnet viril, le père lui donne ses instructions; lorsque la jeune fille se marie, la mère lui donne ses instructions. Lorsqu'elle se rend à la demeure de son époux, sa mère l'accompagne jusqu'à la porte, et l'exhorte en ces termes: Quand tu seras dans la maison de ton mari, tu devras être respectueuse, tu devras être attentive et circonspecte: ne t'oppose pas aux volontés de ton mari. Faire de l'obéissance et de la soumission sa règle de conduite, est la loi de la femme mariée.
Habiter constamment dans la grande demeure du monde[1]; se tenir constamment sur le droit siége du monde[2]; marcher dans la grande voie du monde[3]; quand on a obtenu l'objet de ses vœux [des emplois et des honneurs], faire part au peuple des biens que l'on possède; lorsqu'on n'a pas obtenu l'objet de ses vœux, pratiquer seul les principes de la droite raison en faisant tout le bien que l'on peut faire; ne pas se laisser corrompre par les richesses et les honneurs; rester impassible dans la pauvreté et l'abjection; ne pas fléchir à la vue du péril et de la force armée: voilà ce que j'appelle être un grand homme.
3. Tcheou-siao fit une question en ces termes: Les hommes supérieurs de l'antiquité remplissaient-ils des fonctions publiques? MENG-TSEU dit: Ils remplissaient des fonctions publiques. L'histoire dit: Si KHOUNG-TSEU passait trois lunes sans obtenir de son prince un emploi public, alors il était dans un état inquiet et triste. S'il franchissait les frontières de son pays pour aller dans un État voisin, il portait toujours avec lui des dons de bonne réception. Koung-ming-i disait: Lorsque les hommes de l'antiquité passaient trois lunes sans obtenir de leur prince des emplois publics, alors ils en étaient vivement affligés. [Tcheou-siao dit]: Si l'on est pendant trois mois sans obtenir de son prince un emploi public, et qu'on en soit vivement affligé, n'est-ce pas être beaucoup trop susceptible?
MENG-TSEU dit: Pour un lettré, perdre son emploi, c'est comme pour les princes perdre leur royaume. Le Livre des Rites dit: «Ces princes labourent la terre avec l'aide de leurs fermiers pour fournir du millet à tout le monde; leurs femmes élèvent des vers à soie, et dévident les cocons pour aider à la fabrication des vêtements.»
Si la victime n'est pas parfaitement propre au sacrifice, si le millet que l'on doit offrir n'est pas mondé, si les vêtements ne sont pas préparés, le prince n'ose pas faire la cérémonie aux ancêtres.
Si le lettré n'a pas un champ [comme les fonctions publiques donnent droit d'en avoir un], alors il ne fait pas la cérémonie à ses ancêtres; si la victime qui doit être immolée, si les ustensiles et les vêtements ne sont pas préparés, il n'ose pas se permettre de faire la cérémonie aux ancêtres; alors il n'ose pas se procurer la moindre joie. Cela ne suffit-il pas pour qu'il soit dans l'affliction?
[Tcheou-siao dit:] S'il franchissait les frontières de son pays pour aller dans un État voisin, il portait toujours avec lui des dons de bonne réception; que signifient ces paroles?
MENG-TSEU dit: Pour un lettré, occuper un emploi public, c'est comme pour un laboureur cultiver la terre. Lorsque le laboureur quitte sa patrie, y laisse-t-il les instruments de labourage?
Tcheou-siao dit: Le royaume de Tçin est aussi un royaume où l'on remplit des fonctions publiques. Je n'avais jamais entendu dire que les hommes fussent aussi impatients d'occuper des emplois; s'il convient d'être aussi impatient d'occuper des emplois, que dire des hommes supérieurs qui n'acceptent que difficilement un emploi public?
MENG-TSEU dit: Dès l'instant qu'un jeune homme est né [ses père et mère] désirent pour lui une femme; dès l'instant qu'une jeune fille est née [ses père et mère] désirent pour elle un mari. Le sentiment du père et de la mère [pour leurs enfants], tous les hommes l'ont personnellement. Si, sans attendre la volonté de leurs père et mère et les propositions du chargé d'office[4], les jeunes gens pratiquent une ouverture dans les murs de leurs habitations, afin de se voir l'un l'autre à la dérobée; s'ils franchissent les murs pour se voir plus intimement en secret: alors le père et la mère, ainsi que tous les hommes du royaume, condamneront leur conduite, qu'ils trouveront méprisable.
Les hommes de l'antiquité ont toujours désiré occuper des emplois publics; mais de plus ils détestaient de ne pas suivre la voie droite[5]. Ceux qui ne suivent pas la voie droite en visitant les princes sont de la même classe que ceux qui percent les murs [pour obtenir des entrevues illicites].
4. Pheng-keng (disciple de MENG-TSEU) fit une question en ces termes: Lorsqu'on se fait suivre [comme MENG-TSEU] par quelques dizaines de chars, et que l'on se fait accompagner par quelques centaines d'hommes [qui les montent], n'est-il pas déplacé de se faire entretenir par les différents princes dans ses différentes excursions?
MENG-TSEU dit: S'il fallait s'écarter de la droite voie, alors il ne serait pas convenable de recevoir des hommes, pour sa nourriture, une seule cuillerée de riz cuit; si on ne s'écarte pas de la droite voie, alors Chun peut accepter l'empire de Yao sans que cela paraisse déplacé. Vous, pensez-vous que cela soit déplacé?
—Aucunement. Mais il n'est pas convenable qu'un lettré sans mérite, et vivant dans l'oisiveté, mange le pain des autres [en recevant des salaires en nature qu'il ne gagne pas].
MENG-TSEU dit: Si vous ne communiquez pas vos mérites aux autres hommes; si vous n'échangez rien de ce que vous possédez contre ce que vous ne possédez pas, afin que par votre superflu vous vous procuriez ce qui vous manque, alors le laboureur aura du millet de reste, la femme aura de la toile dont elle ne saura que faire. Mais si vous faites part aux autres de ce que vous possédez [par des échanges], alors le charpentier et le charron pourront être nourris par vous.
Supposons qu'il y ait ici un homme[6] qui dans son intérieur soit rempli de bienveillance, et au dehors plein de commisération pour les autres; que cet homme conserve précieusement la doctrine des anciens rois, pour la transmettre à ceux qui l'étudieront après lui; lorsque cet homme n'est pas entretenu par vous, pourquoi honorez-vous tant les charpentiers et les charrons [qui se procurent leur entretien par leur labeur], et faites-vous si peu de cas de ceux qui [comme l'homme en question] pratiquent l'humanité et la justice?
Tcheou-siao dit: L'intention du charpentier et du charron est de se procurer l'entretien de la vie; l'intention de l'homme supérieur qui pratique les principes de la droite raison est-elle aussi de se procurer l'entretien de la vie?
MENG-TSEU répondit: Pourquoi scrutez-vous son intention? Dès l'instant qu'il a bien mérité envers vous, vous devez le rétribuer, et vous le rétribuez. Or rétribuez-vous l'intention, ou bien rétribuez-vous les bonnes œuvres?
—Je rétribue l'intention.—Je suppose un homme ici. Cet homme a brisé les tuiles de votre maison pour pénétrer dans l'intérieur, et avec les tisons de l'âtre il a souillé les ornements des murs. Si son intention était, en agissant ainsi, de se procurer de la nourriture, lui donnerez-vous des aliments?
—Pas du tout.
—S'il en est ainsi, alors vous ne rétribuez pas l'intention; vous rétribuez les bonnes œuvres.
5. Wen-tchang fit une question en ces termes: Le royaume de Soung est un petit royaume. Maintenant il commence à mettre en pratique le mode de gouvernement des anciens rois. Si les royaumes de Thsi et de Thsou le prenaient en haine et qu'ils portassent les armes contre lui, qu'en arriverait-il?
MENG-TSEU dit: Lorsque Tching-thang habitait le pays de Po, il avait pour voisin le royaume de Ko. Le chef de Ko avait une conduite dissolue, et n'offrait point de sacrifices à ses ancêtres. Thang envoya des hommes qui lui demandèrent pourquoi il ne sacrifiait pas. Il répondit: Je ne puis me procurer de victimes. Thang ordonna de lui envover des bœufs et des moutons. Le chef de Ko les mangea, et n'en eut plus pour offrir en sacrifice. Thang envoya de nouveau des hommes qui lui demandèrent pourquoi il ne sacrifiait pas.—Je ne puis me procurer du millet pour la cérémonie. Thang ordonna que la population de Po allât labourer pour lui, et que les vieillards ainsi que les faibles portassent des vivres à cette population. Le chef de Ko, conduisant avec lui son peuple, alla fermer le chemin à ceux qui portaient le vin, le riz et le millet, et il les leur enleva; et ceux qui ne voulaient pas les livrer, il les tuait. Il se trouvait parmi eux un enfant qui portait des provisions de millet et de viande; il le tua et les lui enleva. Le Chou-king dit: «Le chef de Ko traita en ennemis ceux qui portaient des vivres.» Il fait allusion à cet événement.
Parce que le chef de Ko avait mis à mort cet enfant, Thang lui déclara la guerre. Les populations situées dans l'intérieur des quatre mers dirent unanimement: Ce n'est pas pour enrichir sou empire, mais c'est pour venger un mari ou une femme privés de leurs enfants, qu'il leur a déclaré la guerre.
Thang commença la guerre par le royaume de Ko. Après avoir vaincu onze rois, il n'eut plus d'ennemis dans l'empire. S'il portait la guerre à l'orient, les barbares de l'occident se plaignaient; s'il portait la guerre au midi, les barbares du nord se plaignaient, en disant: Pourquoi nous laisse-t-il pour les derniers?
Les peuples aspiraient après lui comme dans une grande sécheresse ils aspirent après la pluie. Ceux qui allaient au marché n'étaient plus arrêtés en route; ceux qui labouraient la terre n'étaient plus transportés d'un lieu dans un autre. Thang faisait mourir les princes et consolait les peuples, comme dans les temps de sécheresse la pluie qui vient à tomber procure une grande joie aux populations. Le Chou-king dit: «Nous attendons notre prince; lorsque notre prince sera venu, nous serons délivrés de la tyrannie et des supplices.»
Il y avait des hommes qui n'étaient pas soumis; Wou-wang se rendit à l'orient pour les combattre. Ayant rassuré les maris et les femmes, ces derniers placèrent leur soie noire et jaune dans des corbeilles, et dirent: En continuant à servir notre roi des Tcheou, nous serons comblés de bienfaits. Aussitôt ils allèrent se soumettre dans la grande ville de Tcheou. Leurs hommes élevés en dignité remplirent des corbeilles de soie noire et jaune, et ils allèrent avec ces présents au-devant des chefs des Tcheou; le peuple remplit des plats de provisions de bouche et des vases de vin, et il alla avec ces présents au-devant de la troupe de Wou-wang. [Pour obtenir un pareil résultat], celui-ci délivrait ces populations du feu et de l'eau [c'est-à-dire de la plus cruelle tyrannie]; il mettait à mort leurs tyrans; et voilà tout.
Le Taï-chi [un des chapitres du Chou-king] dit: «La renommée de ma puissance s'est étendue au loin; lorsque j'aurai atteint les limites de son royaume, je me saisirai du tyran. Cette renommée s'accroîtra encore lorsque j'aurai mis à mort ce tyran et vaincu ses complices; elle brillera même de plus d'éclat que celle de Thang.»
Le royaume de Soung ne pratique pas le mode de gouvernement des anciens rois, comme il vient d'être dit ci-dessus. S'il pratiquait le mode de gouvernement des anciens rois, toutes les populations situées entre les quatre mers élèveraient vers lui des regards d'espérance, et n'aspireraient qu'en lui, en désirant que le roi de ce royaume devint leur prince. Quoique les royaumes de Thsi et de Thsou soient grands et puissants, qu'aurait-il à en redouter?
6. MENG-TSEU, s'adressant à Thaï-pou-ching (ministre du royaume de Soung), dit: Désirez-vous que votre roi devienne un bon roi? Si vous le désirez, je vous donnerai des instructions bien claires à ce sujet. Je suppose que le premier ministre de Thsou soit ici. S'il désire que son fils parle le langage de Thsi, ordonnera-t-il à un habitant de ce royaume de l'instruire? ordonnera-t-il à un habitant du royaume de Thsou de l'instruire?
—Il ordonnera à un habitant de Thsi de l'instruire.
—Si un seul homme de Thsi lui donne de l'instruction, et qu'en même temps tous les hommes de Thsi lui parlent continuellement leur langue, quand même le maître le frapperait chaque jour pour qu'il apprît à parler la langue de Thsi, il ne pourrait en venir à bout. Si au contraire il l'emmène et le retient pendant plusieurs années dans le bourg de Tchouang-yo[7], quand même il le frapperait chaque jour pour qu'il apprît à parler la langue de Thsou, il ne pourrait en venir à bout.
Vous avez dit que Sie-kiu-tcheou (ministre du royaume de Soung) était un homme doué de vertu, et que vous aviez fait en sorte qu'il habitat dans le palais du roi. Si ceux qui habitent le palais du roi, jeunes et vieux, vils et honorés, étaient tous d'autres Sie-kiu-tcheou, avec qui le roi pourrait-il mal faire? Si ceux qui habitent le palais du roi, jeunes et vieux, vils et honorés, étaient tous différents de Sie-kiu-tcheou, avec qui le roi pourrait-il faire le bien? Si donc il n'y a que Sie-kiu-tcheou d'homme vertueux, que ferait-il seul près du roi de Soung?
7. Kong-sun-tcheou fit une question en ces termes: Vous n'allez pas voir les princes; quel en est le motif?
MENG-TSEU dit: Les anciens qui ne voulaient pas devenir ministres des rois n'allaient pas les voir.
Touan-kan-mo, se sauvant par-dessus le mur, évita le prince, qui alla le visiter. Sie-lieou ferma sa porte, et ne voulut pas le recevoir. L'un et l'autre de ces sages allèrent trop loin. Si le prince insiste fortement, le sage lettré peut aller le visiter.
Yang-ho désirait voir KHOUNG-TSEU, mais il redoutait de ne pas observer les rites.
[Il est dit dans le Livre des Rites:] «Lorsque le premier fonctionnaire porte un présent à un lettré, s'il arrive que celui-ci ne soit pas dans sa maison pour le recevoir, alors il se présente à la demeure du fonctionnaire pour l'en remercier.»
Yang-ho s'informa d'un moment où KHOUNG-TSEU se trouvait absent de sa maison, et il choisit ce moment pour aller porter à KHOUNG-TSEU un petit porc salé. KHOUNG-TSEU, de son côté, s'informa d'un moment où Yang-ho était absent de sa maison pour aller l'en remercier. Dans ces circonstances, Yang-ho fut le premier à faire les avances; comment KHOUNG-TSEU aurait-il pu s'empêcher d'aller le visiter?
Thsêng-tseu disait: Ceux qui se serrent les épaules pour sourire avec approbation à tous les propos de ceux qu'ils veulent flatter, se fatiguent plus que s'ils travaillaient à l'ardeur du soleil.
Tseu-lou disait: Si des hommes dissimulés parlent ensemble avant d'avoir contracté entre eux des liens d'amitié, voyez comme leur visage se couvre de rougeur. Ces hommes-là sont de ceux que je prise peu. En les examinant bien, on peut savoir ce que l'homme supérieur nourrit en lui-même.
8. Taï-yng-tchi [premier ministre du royaume de Soung] disait: Je n'ai pas encore pu n'exiger pour tribut que le dixième des produits[8], ni abroger les droits d'entrée aux passages des frontières et les taxes des marchés. Je voudrais cependant diminuer ces charges pour attendre l'année prochaine, et ensuite je les supprimerai entièrement. Comment faire?
MENG-TSEU dit: Il y a maintenant un homme qui chaque jour prend les poules de ses voisins. Quelqu'un lui dit: Ce que vous faites n'est pas conforme à la conduite d'un honnête homme. Mais il répondit: Je voudrais bien me corriger peu à peu de ce vice; chaque mois, jusqu'à l'année prochaine, je ne prendrai plus qu'une poule, et ensuite je m'abstiendrai complètement de voler.
Si l'on sait que ce que l'on pratique n'est pas conforme à la justice, alors on doit cesser incontinent. Pourquoi attendre à l'année prochaine?
9. Kong-tou-tseu dit: Les hommes du dehors proclament tous, maître, que vous aimez à disputer. Oserais-je vous interroger à cet égard?
MENG-TSEU dit: Comment aimerais-je à disputer? je ne puis m'en dispenser. Il y a longtemps que le monde existe; tantôt c'est le bon gouvernement qui règne, tantôt c'est le trouble et l'anarchie.
A l'époque de l'empereur Yao, les eaux débordées inondèrent tout le royaume. Les serpents et les dragons l'habitaient, et le peuple n'avait aucun lieu pour fixer son séjour. Ceux qui demeuraient dans la plaine se construisaient des huttes comme des nids d'oiseaux; ceux qui demeuraient dans les lieux élevés se creusaient des habitations souterraines. Le Chou-king dit: «Les eaux débordant de toutes parts me donnent un avertissement.» Les eaux débordant de toutes parts sont de grandes et vastes eaux[9]. Chun ayant ordonné à Yu de les maîtriser et de les diriger, Yu fit creuser des canaux pour les faire écouler dans la mer. Il chassa les serpents et les dragons, et les fit se réfugier dans les marais pleins d'herbes. Les eaux des fleuves Kiang, Hoaï, Ho et Han, recommencèrent à suivre le milieu de leurs lits. Les dangers et les obstacles qui s'opposaient à l'écoulement des eaux étant éloignés, les oiseaux de proie et les bêtes fauves, qui nuisaient aux hommes, disparurent; ensuite les hommes obtinrent une terre habitable, et ils y fixèrent leur séjour.
Yao et Chun étant morts, la doctrine d'humanité et de justice de ces saints hommes dépérit. Des princes cruels et tyranniques apparurent pendant une longue série de générations. Ils détruisirent les demeures et les habitations pour faire à leurs places des lacs et des étangs, et le peuple ne sut plus où trouver un lieu pour se reposer. Ils ravagèrent les champs en culture pour en faire des jardins et des parcs de plaisance; ils firent tant que le peuple se trouva dans l'impossibilité de se vêtir et de se nourrir. Les discours les plus pervers, les actions les plus cruelles vinrent encore souiller ces temps désastreux. Les jardins et les parcs de plaisance, les lacs et les étangs, les mares et les marais pleins d'herbes se multiplièrent tant, que les oiseaux de proie et les bêtes fauves reparurent; et lorsqu'il tomba entre les mains de Cheou (ou Tcheou-sin), l'empire parvint au plus haut degré de trouble et de confusion.
Tcheou-koung aida Wou-wang à renverser et détruire Cheou, et à conquérir le royaume de Yan. Après trois années de combats, le prince de ce royaume fut renversé; Wou-wang poursuivit Feï-lian jusque dans un coin de terre fermé par la mer, et le tua. Après avoir éteint cinquante royaumes, il se mit à la poursuite des tigres, des léopards, des rhinocéros, des éléphants[10], et les chassa au loin. L'empire fut alors dans une grande joie. Le Chou-king dit: «Oh! comme ils brillent d'un grand éclat, les desseins de Wen-wang! comme ils furent bien suivis par les hauts faits de Wou-wang! Ils ont aidé et instruit les hommes de nos jours, qui sont leur postérité. Tout est maintenant parfaitement réglé; il n'y a rien à reprendre.»
La génération qui a suivi est dégénérée; les principes d'humanité et de justice [proclamés par les saints hommes et enseignés dans les livres sacrés][11] sont tombés dans l'oubli. Les discours les plus pervers, les actions les plus cruelles, sont venus de nouveau troubler l'empire. Il s'est trouvé des sujets qui ont fait mourir leur prince; il s'est trouvé des fils qui ont fait mourir leur père.
KHOUNG-TSEU, effrayé [de cette grande dissolution], écrivit son livre intitulé le Printemps et l'Automne[12] (Tchun-thsieou). Ce livre contient les devoirs du fils du ciel [ou de l'empereur]. C'est pourquoi KHOUNG-TSEU disait: «Ceux qui me connaîtront ne me connaîtront que d'après le Printemps et l'Automne[13]; ceux qui m'accuseront[14] ne le feront que d'après le Printemps et l'Automne.»
Il n'apparaît plus de saints rois [pour gouverner l'empire]; les princes et les vassaux se livrent à la licence la plus effrénée; les lettrés de chaque lieu[15] professent les principes les plus opposés et les plus étranges; les doctrines des sectaires Yang-tchou et Mé-ti remplissent l'État; et les doctrines de l'empire [celles qui sont professées par l'État], si elles ne rentrent pas dans celles de Yang, rentrent dans celles de Mé. La secte de Yang rapporte tout à soi; elle ne reconnaît pas de princes. La secte de Mé aime tout le monde indistinctement; elle ne reconnaît point de parents. Ne point reconnaître de parents, ne point reconnaître de princes, c'est être comme des brutes et des bêtes fauves.
Koung-ming-i disait: «Les cuisines du prince regorgent de viandes, ses écuries sont remplies de chevaux fringants; mais le peuple porte sur son visage les empreintes de la faim; les campagnes désertes sont encombrées d'hommes morts de misère: c'est ainsi que l'on pousse les bêtes féroces à dévorer les hommes[16].»
Si les doctrines des sectes Yang et Mé ne sont pas réprimées; si les doctrines de KHOUNG-TSEU ne sont pas remises en lumière, les discours les plus pervers abuseront le peuple et étoufferont les principes salutaires de l'humanité et de la justice. Si les principes salutaires de l'humanité et de la justice sont étouffés et comprimés, alors non-seulement ces discours pousseront les bêtes féroces à dévorer les hommes, mais ils exciteront les hommes à se dévorer entre eux.
Moi, effrayé des progrès que font ces dangereuses doctrines, je défends la doctrine des saints hommes du temps passé; je combats Yang et Mé; je repousse leurs propositions corruptrices, afin que des prédicateurs pervers ne surgissent dans l'empire pour les répandre. Une fois que ces doctrines perverses sont entrées dans les cœurs, elles corrompent les actions; une fois qu'elles sont pratiquées dans les actions, elles corrompent tous les devoirs qui règlent l'existence sociale. Si les saints hommes de l'antiquité paraissaient de nouveau sur la terre, ils ne changeraient rien à mes paroles.
Autrefois Yu maîtrisa les grandes eaux et fit cesser les calamités qui affligeaient l'empire; Tcheou-koung réunit sous sa domination les barbares du midi et du septentrion, il chassa au loin les bêtes féroces[17], et toutes les populations de l'empire purent vivre en paix. Après que KHOUNG-TSEU eut achevé la composition de son livre historique le Printemps et l'Automne, les ministres rebelles et les brigands tremblèrent.
Le Livre des Vers dit:
«Les barbares de l'occident et du septentrion sont mis en fuite;
Les royaumes de Hing et de Chou sont domptés;
Personne n'ose maintenant me résister.»
Ceux qui ne reconnaissent ni parents ni princes[18] sont les barbares que Tcheou-koung mit en fuite.
Moi aussi je désire rectifier le cœur des hommes, réprimer les discours pervers, m'opposer aux actions dépravées, et repousser de toutes mes forces des propositions corruptrices, afin de continuer l'œuvre des trois grands saints, YU, TCHEOU-KOUNG et KHOUNG-TSEU[19], qui m'ont précédé. Est-ce là aimer à disputer[20]? Je n'ai pu me dispenser d'agir comme je l'ai fait. Celui qui peut par ses discours combattre les sectes de Yang et de Mé est un disciple des saints hommes.
10. Khouang-tchang dit: Tchin-tchoung-tseu n'est-il pas un lettré plein de sagesse et de simplicité? Comme il demeurait à Ou-ling, ayant passé trois jours sans manger, ses oreilles ne purent plus entendre, et ses yeux ne purent plus voir. Un poirier se trouvait là auprès d'un puits; les vers avaient mangé plus de la moitié de ses fruits. Le moribond, se traînant sur ses mains et sur ses pieds, cueillit le restant pour le manger. Après en avoir goûté trois fois, ses oreilles recouvrèrent l'ouïe, et ses yeux la vue.
MENG-TSEU dit: Entre tous les lettrés du royaume de Thsi, je regarde certainement Tchoung-tseu comme le plus grand[21]. Cependant, malgré cela, comment Tchoung-tseu entend-il la simplicité et la tempérance? Pour remplir le but de Tchoung-tseu, il faudrait devenir ver de terre; alors on pourrait lui ressembler.
Le ver de terre, dans les lieux élevés, se nourrit de terre sèche, et dans les lieux bas, il boit l'eau bourbeuse. La maison qu'habite Tchoung-tseu n'est-ce pas celle que Pé-i[22] se construisit? ou bien serait-ce celle que le voleur Tche[23] bâtit? Le millet qu'il mange n'est-il pas celui que Pé-i sema? ou bien serait-ce celui qui fut semé par Tche? Ce sont là des questions qui n'ont pas encore été résolues.
Kouang-tchang dit: Qu'importe tout cela? Il faisait des souliers de sa personne, et sa femme tissait du chanvre pour échanger ces objets contre des aliments.
MENG-TSEU poursuivit: Tchoung-tseu est d'une ancienne et grande famille de Thsi. Son frère aîné, du nom de Taï, reçoit, dans la ville de Ho, dix mille mesures de grain de revenus annuels en nature. Mais lui regarde les revenus de son frère aîné comme des revenus iniques, et il ne veut pas s'en nourrir; il regarde la maison de son frère aîné comme une maison inique, et il ne veut pas l'habiter. Fuyant son frère aîné et se séparant de sa mère, il est allé se fixer à Ou-ling. Un certain jour qu'il était retourné dans son pays, quelqu'un lui apporta en présent, de la part de son frère aîné, une oie vivante. Fronçant le sourcil à cette vue, il dit: A quel usage destine-t-on cette oie criarde? Un autre jour sa mère tua cette oie et la lui donna à manger. Son frère aîné, revenant du dehors à la maison, dit: Cela, c'est de la chair d'oie criarde. Alors Tchoung-tseu sortit, et il la vomit de son sein.
Les mets que sa mère lui donne à manger, il ne les mange pas; ceux que sa femme lui prépare, il les mange. Il ne veut pas habiter la maison de son frère aîné, mais il habite le village de Ou-ling. Est-ce de cette façon qu'il peut remplir la destination qu'il s'était proposé de remplir? Si quelqu'un veut ressembler à Tchoung-tseu, il doit se faire ver de terre; ensuite il pourra atteindre son but.
[1] C'est-à-dire dans l'humanité. (Commentaire.)
[2] Se maintenir constamment dans les limites des convenances prescrites par les rites. (Commentaire.)
[3] Observer constamment la justice et l'équité dans les fonctions publiques que l'on occupe. (Commentaire.)
[4] Ou entremetteur. Les mariages se font ordinairement en Chine par le moyen des entremetteurs ou entremetteuses avoués, et pour ainsi dire officiels, du moins toujours officieux.
[5] C'est-à-dire qu'ils n'auraient jamais voulu obtenir des emplois par des moyens indignes d'eux.
[6] MENG-TSEU se désigne lui-même.
[7] Bourg très-fréquenté du royaume de Thsi.
[8] Littéralement: qu'une partie sur dix, ou la dime.
[9] Kiang-chouï-tche: koung-chouï-ye.
[10] En un mot, de toutes les bêtes que Cheou-sin entretenait dans ses parcs royaux pour ses plaisirs.
[11] Commentaire.
[12] Histoire du royaume de Lou (sa patrie). (Commentaire.)
[13] C'est seulement dans ce livre que l'on trouve exprimés tous les sentiments de tristesse et de douleur que KHOUNG-TSEU éprouvait pour la perversité de son siècle. (Commentaire.)
[14] Les mauvais princes et les tyrans qu'il flétrit dans ce livre.
[15] Tchou-sse; le Commentaire dit que ce sont les lettrés non employés.
[16] Voyez précédemment, Le roi dit....
[17] De l'espèce des tigres, des léopards, des rhinocéros et des éléphants. (Comm.)
[18] Les sectaires de Yang et de Mé.(Commentaire.)
[19] Commentaire.
[20] La justification de MENG-TSEU peut bien être regardée comme complète, et sa mission d'apôtre infatigable des anciennes doctrines remises en lumière et prêchées avec tant de majesté et de persévérance par KHOUNG-TSEU, se trouve ainsi parfaitement expliquée par lui-même.
[21] Le texte porte: comme le plus grand doigt de la main.
[22] Homme de l'antiquité, célèbre par son extrême tempérance. (Commentaire.)
[23] Homme de l'antiquité, célèbre par son intempérance.
HIA-MENG.
SECOND LIVRE.
CHAPITRE PREMIER,
COMPOSÉ DE 28 ARTICLES.
1. MENG-TSEU dit: Quand même vous auriez la pénétration de Li-leou[1], et l'habileté de Koung-chou-tseu[2], si vous ne faites pas usage du compas et de la règle, vous ne pourrez façonner des objets ronds et carrés. Quand même vous auriez l'ouïe aussi fine que Sse-kouang, si vous ne faites pas usage des six règles musicales, vous ne pourrez mettre en harmonie les cinq tons; quand même vous suivriez les principes de Yao et de Chun, si vous n'employez pas un mode de gouvernement humain et libéral[3], vous ne pourrez pas gouverner pacifiquement l'empire.
Maintenant les princes ont sans doute un cœur humain et une renommée d'humanité, et cependant les peuples ne ressentent pas leurs bienfaits; eux-mêmes ne peuvent pas servir d'exemples ou de modèles aux siècles à venir, parce qu'ils ne pratiquent pas les principes d'humanité et de justice des anciens rois.
C'est pourquoi il est dit: «La vertu seule ne suffit pas pour pratiquer un bon mode de gouvernement; la loi seule ne peut pas se pratiquer par elle-même.»
Le Livre des Vers[4] dit:
«Ils ne pécheront ni par excès ni par oubli;
Ils suivront les lois des anciens.»
Il n'a jamais existé de prince qui se soit mis en défaut en suivant les lois et les institutions des anciens rois.
Lorsque les saints hommes eurent épuisé toutes les facultés de leurs yeux, ils transmirent à la postérité le compas, la règle, le niveau et l'aplomb, pour former les objets carrés, ronds, de niveau et droits; et ces instruments n'ont pas encore pu être remplacés par l'usage. Lorsqu'ils eurent épuisé dans toute son étendue leur faculté de l'ouïe, ils transmirent à la postérité les six liu ou règles de musique, qui rectifient les cinq sons; et ces règles n'ont pas encore pu être remplacées par l'usage. Lorsqu'ils eurent épuisé toutes les facultés de leur intelligence, toutes les inspirations de leur cœur, ils transmirent à la postérité les fruits de leurs méditations en lui léguant un mode de gouvernement qui ne permet pas de traiter cruellement les hommes, et l'humanité s'étendit sur tout l'empire.
C'est pourquoi il est dit: Si vous voulez construire un monument qui domine, vous devez en poser les fondations sur une colline ou un plateau élevé; si vous voulez construire un édifice sans apparence, vous devez en poser les fondations sur un sol bas et humide, le long des rivières et des étangs. Si en exerçant le gouvernemeut on ne suit pas la manière de gouverner des anciens rois, peut-on appeler cette conduite conforme à la sagesse et à la prudence?
C'est pourquoi il n'y a que l'homme humain et plein de compassion pour les hommes qui soit convenablement placé sur le siége élevé de la puissance souveraine. Si un homme inhumain et cruel se trouve placé sur le siège élevé de la puissance souveraine, c'est un fléau qui verse toutes ses iniquités sur la multitude.
Si le supérieur ou le prince ne suit pas la droite règle de conduite et une sage direction, les inférieurs ne suivront aucune loi, ne se soumettront à aucune subordination. Si à la cour on ne fait aucun cas de la droite raison, si on ne croit pas à ses prescriptions; si les magistrats n'ont aucun respect pour les institutions, n'y ajoutent aucune confiance; si les hommes supérieurs se révoltent contre l'équité en violant les lois, et les hommes vulgaires contre la justice: c'est un heureux hasard lorsque, dans de telles circonstances, le royaume se conserve sans périr.
C'est pourquoi il est dit: Ce n'est pas une calamité pour le royaume de ne pas avoir des villes complètement fortifiées de murs intérieurs et extérieurs, de ne pas avoir des cuirasses et des armes en grand nombre; ce n'est pas une cause de ruine pour un empire de ce que les champs et les campagnes éloignés des villes ne soient pas bien cultivés, que les biens et les richesses ne soient pas accumulés. Si le supérieur ou le prince ne se conforme pas aux rites, si les inférieurs n'étudient pas les principes de la raison, le peuple perverti se lèvera en insurrection, et la ruine de l'empire sera imminente.
Le Livre des Vers dit[5]:
«Le ciel est sur le point de renverser la dynastie de (Tcheou).
[Ministres de cette dynastie] ne perdez pas de temps!»
L'expression ne perdez pas de temps est équivalente à celle de ne pas être négligents. Ne pas suivre les principes d'équité et de justice dans le service du prince; ne pas observer les rites en acceptant ou en refusant une magistrature; blâmer vivement dans ses discours les principes de conduite des anciens empereurs: c'est comme si l'on était négligent et insouciant de la ruine de l'empire.
C'est pourquoi il est dit: Exhorter le prince à pratiquer des choses difficiles s'appelle acte de respect envers lui; lui proposer le bien à faire, l'empêcher de commettre le mal, s'appelle dévoûment sincère. Mais dire: Mon prince ne peut pas [exercer un gouvernement humain], cela s'appelle voler.
2. MENG-TSEU dit: Le compas et la règle sont les instruments de perfectionnement des choses carrées et rondes; le saint homme est l'accomplissement parfait des devoirs prescrits entre les hommes.
Si, en exerçant les fonctions et les devoirs de souverain, vous voulez remplir dans toute leur étendue les devoirs du souverain; si, en exerçant les fonctions de ministre, vous voulez remplir dans toute leur étendue les devoirs de ministre: dans ces deux cas, vous n'avez qu'à imiter la conduite de Yao et de Chun, et rien de plus. Ne pas servir son prince comme Chun servit Yao, ce n'est pas avoir du respect pour son prince; ne pas gouverner le peuple comme Yao le gouverna, c'est opprimer le peuple.
KHOUNG-TSEU disait: «Il n'y a que deux grandes voies dans le monde: celle de l'humanité et celle de l'inhumanité; et voilà tout.»
Si la tyrannie qu'un prince exerce sur son peuple est extrême, alors sa personne est mise à mort et son royaume est détruit[6]. Si sa tyrannie n'est pas poussée à l'extrême, alors sa personne est en danger, et son royaume est menacé d'être divisé. Le peuple donne à ces princes les surnoms d'hébété (Yeou), de cruel (Li)[7]. Quand même ces princes auraient des fils pleins de tendresse et de piété filiale pour eux, et des neveux pleins d'humanité, ces derniers, pendant cent générations, ne pourraient changer les noms flétrissants que leur a imposés la justice populaire.
Le Livre des Vers[8] dit:
«L'exemple de la dynastie Yn n'est pas éloigné;
Il en est un autre du temps de la dynastie Hia.»
Ce sont les deux rois [auxquels le peuple a donné des noms flétrissants] qui sont ici désignés.
3. MENG-TSEU dit: Les fondateurs des trois dynasties obtinrent l'empire par l'humanité, leurs successeurs le perdirent par l'inhumanité et la tyrannie.
Voilà les causes qui renversent et élèvent les empires, qui les conservent ou les font périr.
Si le fils du Ciel est inhumain, il ne conserve point sa souveraineté sur les peuples situés entre les quatre mers. Si les rois et princes vassaux sont inhumains, ils ne conservent point l'appui des esprits de la terre et des fruits de la terre. Si les présidents du tribunal suprême et les autres grands fonctionnaires sont inhumains, ils ne conservent point les vénérables temples des ancêtres. Si les lettrés et les hommes du peuple sont inhumains, ils ne conservent pas intacts leurs quatre membres.
Maintenant, si l'on a peur de la mort ou de la perte de quelques membres, et que l'on se plaise néanmoins dans l'inhumanité, n'agit-on pas comme si l'on détestait l'ivresse, et qu'en même temps on se livrât de toutes ses forces à la boisson?
4. MENG-TSEU dit: Si quelqu'un aime les hommes sans en recevoir des marques d'affection, qu'il ne considère que son humanité. Si quelqu'un gouverne les hommes sans que les hommes se laissent facilement gouverner par lui, qu'il ne considère que sa sagesse et sa prudence. Si quelqu'un traite les hommes avec toute la politesse prescrite, sans être payé de retour, qu'il ne considère que l'accomplissement de son devoir.
Lorsqu'on agit ainsi, s'il arrive que l'on n'obtienne pas ce que l'on désire, dans tous les cas on ne doit en chercher la cause qu'en soi-même. Si sa conduite est conforme aux principes de la droiture et de la raison, l'empire retourne de lui-même à la soumission.
Le Livre des Vers[9] dit:
«Celui qui pense toujours à se conformer au mandat du ciel
Attire sur lui un grand nombre de félicités.»
5. MENG-TSEU dit: Les hommes ont une manière constante de parler [sans trop la comprendre]. Tous disent: l'empire, le royaume, la famille. La base de l'empire existe dans le royaume; la base du royaume existe dans la famille; la base de la famille existe dans la personne.
6. MENG-TSEU dit: Il n'est pas difficile d'exercer le gouvernement: il ne faut pas s'attirer de ressentiments de la part des grandes maisons. Ce que ces grandes maisons désirent, un des royaumes [qui constituent l'empire] le désire aussi; ce qu'un royaume désire, l'empire le désire aussi. C'est pourquoi les instructions et les préceptes de vertus se répandront comme un torrent jusqu'aux quatre mers.
7. MENG-TSEU dit: Lorsque la droite règle de la raison est suivie dans l'empire, la vertu des hommes inférieurs sert la vertu des hommes supérieurs; la sagesse des hommes inférieurs sert la sagesse des hommes supérieurs. Mais, quand la droite règle de la raison n'est pas suivie dans l'empire, les petits servent les grands, les faibles servent les forts [ce qui est contraire à la raison]. Ces deux états de choses sont réglés par le ciel. Celui qui obéit au ciel est conservé; celui qui lui résiste périt.
King-koung, prince de Thsi, a dit: «Lorsqu'un prince ne peut pas commander aux autres, si en outre il ne veut recevoir d'ordres de personne, il se sépare par cela même des autres hommes. Après avoir versé beaucoup de larmes, il donne sa fille en mariage au prince barbare du royaume de Ou.»
Maintenant les petits royaumes imitent les grands royaumes, et cependant ils rougissent d'en recevoir des ordres et de leur obéir. C'est comme si des disciples rougissaient de recevoir des ordres de leur maître plus âgé qu'eux, et de lui obéir.
Si les petits royaumes rougissent d'obéir aux autres, il n'est rien de meilleur pour eux que d'imiter Wen-wang. [En le prenant pour exemple], un grand royaume après cinq ans, un petit royaume après sept ans, exerceront assurément le pouvoir souverain dans l'empire.
Le Livre des Vers[10] dit:
«Les descendants de la famille des Chang
Étaient au nombre de plus de cent mille.
Lorsque l'empereur suprême (Chang-ti) l'eut ordonné [en transmettant l'empire à une autre famille],
Ils se soumirent aux Tcheou.
Ils se soumirent aux Tcheou,
Parce que le mandat du ciel n'est pas éternel.
Les ministres de la famille Yn (ou Chang), doués de perspicacité et d'intelligence,
Versant le vin des sacrifices, servent dans le palais impérial.»
KHOUNG-TSEU dit: Comme le nouveau souverain était humain, on ne peut pas considérer ceux qui lui étaient opposés comme nombreux. Si le chef d'un royaume aime l'humanité, il n'aura aucun ennemi ou adversaire dans l'empire.
Maintenant, si l'on désire n'avoir aucun ennemi ou adversaire dans l'empire, et que l'on ne fasse pas usage de l'humanité [pour arriver à ce but], c'est comme si l'on voulait prendre un fer chaud avec la main, sans l'avoir auparavant trempé dans l'eau.
Le Livre des Vers[11] dit:
«Qui peut prendre avec la main un fer chaud
Sans l'avoir auparavant trempé dans l'eau?»
8. MENG-TSEU dit: Peut-on s'entretenir et parler le langage de la raison avec les princes cruels et inhumains? les dangers les plus menaçants sont pour eux des motifs de tranquillité, et les calamités les plus désastreuses sont pour eux des sujets de profit; ils se réjouissent de ce qui cause leur ruine. Si on pouvait s'entretenir et parler le langage de la raison avec les princes inhumains et cruels, y aurait-il un aussi grand nombre de royaumes qui périraient, et de familles qui succomberaient?
Il y avait un jeune enfant qui chantait, en disant:
«L'eau du fleuve Thsang-lang est-elle pure,
Je pourrai y laver les bandelettes qui ceignent ma tête;
L'eau du fleuve Thsang-lang est-elle trouble,
Je pourrai y laver mes pieds.»
KHOUNG-TSEU dit: Mes petits enfants, écoutez ces paroles: Si l'eau est pure, alors il y lavera les bandelettes qui ceignent sa tête; si elle est trouble, alors il y lavera ses pieds; c'est lui-même qui en décidera.
Les hommes se méprisent certainement eux-mêmes avant que les autres hommes les méprisent. Les familles se détruisent certainement elles-mêmes avant que les hommes les détruisent. Les royaumes s'attaquent certainement eux-mêmes avant que les hommes les attaquent.
Le Taï-kia[12] dit: «On peut se préserver des calamités envoyées par le ciel; on ne peut supporter celles que l'on s'est attirées soi-même.» Ces paroles disent exactement ce que je voulais exprimer.
9. MENG-TSEU dit: Kie et Cheou perdirent l'empire, parce qu'ils perdirent leurs peuples; ils perdirent leurs peuples, parce qu'ils perdirent leur affection.
Il y a une voie sûre d'obtenir l'empire: il faut obtenir le peuple, et par cela même on obtient l'empire. Il y a une voie sûre d'obtenir le peuple: il faut obtenir son cœur ou son affection, et par cela même on obtient le peuple. Il y a une voie sûre d'obtenir le cœur du peuple: c'est de lui donner ce qu'il désire, de lui fournir ce dont il a besoin, et de ne pas lui imposer ce qu'il déteste.
Le peuple se rend à l'humanité, comme l'eau coule en bas, comme les bêtes féroces se retirent dans les lieux déserts.
Ainsi, c'est la loutre qui fait rentrer les poissons dans le fond des eaux, et l'épervier qui fait fuir les oiseaux dans l'épaisseur des forêts; ce sont les [mauvais rois] Kie et Tcheou qui font fuir les peuples dans les bras de Tching-thang et de Wou-wang.
Maintenant, si entre tous les princes de l'empire il s'en trouvait un qui chérît l'humanité, alors tous les rois et les princes vassaux [par leur tyrannie habituelle] forceraient leurs peuples à se réfugier sous sa protection. Quand même il voudrait ne pas régner en souverain sur tout l'empire, il ne pourrait pas s'en abstenir.
De nos jours, ceux qui désirent régner en souverains sur tout l'empire sont comme un homme qui pendant une maladie de sept ans cherche l'herbe précieuse (aï) qui ne procure du soulagement qu'après avoir été séchée pendant trois années. S'il ne s'occupe pas déjà de la cueillir, il ne pourra en recevoir du soulagement avant la fin de sa vie. Si les princes ne s'appliquent pas de toute leur intelligence à la recherche et à la pratique de l'humanité, ils s'affligeront jusqu'à la fin de leur vie de la honte de ne pas la pratiquer, pour tomber enfin dans la mort et l'oubli.
Le Livre des Vers[13] dit:
«Comment ces princes pourraient-ils devenir hommes de bien?
Ils se plongent mutuellement dans l'abîme.»
C'est la pensée que j'ai tâché d'exprimer ci-dessus.
10. MENG-TSEU dit: Il n'est pas possible de tenir des discours raisonnables avec ceux qui se livrent, dans leurs paroles, à toute la fougue de leurs passions; il n'est pas possible d'agir en commun dans des affaires qui demandent l'application la plus soutenue, avec des hommes sans énergie qui s'abandonnent eux-mêmes. Blâmer les usages et l'équité dans ses discours, c'est ce que l'on appelle s'abandonner dans ses paroles à la fougue de ses passions. Dire: «Ma personne ne peut exercer l'humanité et suivre la justice,» cela s'appelle abandon de soi-même.
L'humanité, c'est la demeure tranquille de l'homme; la justice, c'est la voie droite de l'homme.
Laisser sa demeure tranquille sans l'habiter, abandonner sa voie droite sans la suivre, ô que cela est lamentable!
11. MENG-TSEU dit: La voie droite est près de vous, et vous la cherchez au loin! C'est une chose qui est de celles qui sont faciles, et vous la cherchez parmi celles qui sont difficiles! Si chacun aime ses père et mère comme on doit les aimer, et respecte ses aînés comme on doit les respecter, l'empire sera dans l'union et l'harmonie.
12. MENG-TSEU dit: Si ceux qui sont dans une condition inférieure [à celle du prince][14] n'obtiennent pas toute la confiance de leur supérieur, le peuple ne pourra pas être gouverné. Il y a une voie sûre d'obtenir la faveur et la confiance du prince: si on n'est pas fidèle envers ses amis, on n'obtient pas la faveur et la confiance du prince. Il y a une voie sûre pour être fidèle envers ses amis: si dans les devoirs que l'on rend à ses père et mère on ne leur procure pas de joie, on n'est pas fidèle envers ses amis. Il y a une voie sûre pour procurer de la joie à ses père et mère; si en faisant un retour sur soi-même on ne se trouve pas vrai, sincère, exempt de feinte et de déguisement, on ne procure pas de joie à ses père et mère. Il y a une voie sûre de se rendre vrai, sincère, exempt de feinte et de déguisement: si on ne sait pas discerner en quoi consiste réellement la vertu, on ne rend pas sa personne vraie, sincère, exempte de feinte et de déguisement.
C'est pourquoi la vérité pure et sincère[15] est la voie du ciel; méditer sur la vérité pour la pratiquer est la voie ou le devoir de l'homme.
Il n'y a jamais eu d'homme qui, étant souverainement vrai, sincère, ne se soit concilié la confiance et la faveur des autres hommes. Il n'y a jamais eu d'homme qui, n'étant pas vrai, sincère, ait pu se concilier longtemps cette confiance et cette faveur.
Ces deux vieillards étaient les vieillards les plus éminents de l'empire; et en se soumettant à Wen-wang, c'étaient les pères de l'empire qui lui avaient fait leur soumission. Dès l'instant que les pères de l'empire s'étaient soumis, à quel autre se seraient donc rendus leurs fils?
Si parmi tous les princes feudataires il s'en trouvait un qui pratiquât le gouvernement de Wen-wang, il arriverait certainement que, dans l'espace de sept années, il parviendrait à gouverner tout l'empire.
14. MENG-TSEU dit: Lorsque Kieou[16] était intendant de la famille Ki, il ne pouvait prendre sur lui d'agir autrement que son maître, et il exigeait en tribut le double de millet qu'autrefois. KHOUNG-TSEU dit: «Kieou n'est plus mon disciple; mes jeunes gens [les autres disciples du Philosophe] devraient le poursuivre publiquement de huées et du bruit des tambours.»
On doit inférer de là que si un prince ne pratique pas un gouvernement humain, et que ses ministres l'enrichissent en prélevant trop d'impôts, ce prince et ses ministres sont réprouvés et rejetés par KHOUNG-TSEU; à plus forte raison repoussait-il ceux qui suscitent des guerres dans l'intérêt seul de leur prince. Si on livre des combats pour gagner du territoire, les hommes tués couvriront les campagnes; si on livre des combats pour prendre une ville, les hommes tués rempliront la ville prise. C'est ce que l'on appelle faire que la terre mange la chair des hommes. Ce crime n'est pas suffisamment racheté par la mort.
C'est pourquoi ceux qui placent toutes leurs vertus à faire la guerre devraient être rétribués de la peine la plus grave. Ceux qui fomentent des ligues entre les grands vassaux devraient subir la peine qui la suit immédiatement; et ceux qui imposent les corvées de cultiver et de semer les terres aux laboureurs dont les champs sont dépouillés d'herbes stériles devraient subir la peine qui vient après.
15. MENG-TSEU dit: De tous les organes des sens qui sont à la disposition de l'homme, il n'en est pas de plus admirable que la pupille de l'œil. La pupille de l'œil ne peut cacher ou déguiser les vices que l'on a. Si l'intérieur de l'âme est droit, alors la pupille de l'œil brille d'un pur éclat; si l'intérieur de l'àme n'est pas droit, alors la pupille de l'œil est terne et obscurcie.
Si vous écoutez attentivement les paroles d'un homme, si vous considérez la pupille de ses yeux, comment pourrait-il se cacher à vous?
16. MENG-TSEU dit: Celui qui est affable et bienveillant ne méprise pas les hommes; celui qui est modéré dans ses exigences ne dépouille pas de force les hommes de ce qu'ils possèdent. Les princes qui méprisent et dépouillent les hommes de ce qu'ils possèdent, et qui n'ont qu'une crainte, celle de ne pas être obéis, comment pourraient-ils être appelés affables et modérés dans leurs exigences? L'affabilité et la modération pourraient-elles consister dans le son de la voix et l'expression riante du visage?
17. Chun-yu-khouen[17] dit: N'est-il Pas conforme aux rites que les hommes et les femmes ne se donnent et ne reçoivent réciproquement de leurs propres mains aucun objet?
MENG-TSEU répondit: C'est conforme aux rites.
—Si la femme de son frère était en danger de se noyer, pourrait-on la secourir avec la main?
—Ce serait l'action d'un loup de ne pas secourir la femme de son frère qui serait eu danger de se noyer. Il est conforme aux rites que l'homme et la femme ne se donnent et ne reçoivent réciproquement de leurs propres mains aucun objet. L'action de secourir avec la main la femme de son frère en danger de se noyer est une exception conforme à la raison.
Maintenant je suppose que l'empire soit sur le point d'être submergé [ou de périr dans les agitations des troubles civils]: que penser du magistrat qui ne s'empresse pas de le secourir?
L'empire sur le point d'être submergé doit être secouru selon les règles de l'humanité et de la justice. La femme de son frère étant en danger de se noyer peut être secourue avec la main. Voudriez-vous que je secourusse l'empire avec ma main?
18. Koung-sun-tcheou dit: Pourquoi un homme supérieur n'instruit-il pas lui-même ses enfants?
MENG-TSEU dit: Parce qu'il ne peut pas employer les corrections. Celui qui enseigne doit le faire selon les règles de la droiture. Si [l'enfant] n'agit pas selon les règles de la droiture, [le père] se fâche; s'il se fâche, il s'irrite; alors il blesse les sentiments de tendresse qu'un fils doit avoir pour son père. «Mon maître [dit le fils en parlant de son père] devrait m'instruire selon les règles de la droiture; mais il ne s'est jamais guidé par les règles de cette droiture.» Dans cet état de choses, le père et le fils se blessent mutuellement. Si le père et le fils se blessent mutuellement, alors il en résulte un grand mal.
Les anciens confiaient leurs fils à d'autres pour les instruire et faire leur éducation.
Entre le père et le fils, il ne convient pas d'user de corrections pour faire le bien. Si le père use de corrections pour porter son fils à faire le bien, alors l'un et l'autre sont bientôt désunis de cœur et d'affections. Si une fois ils sont désunis de cœur et d'affections, il ne peut point leur arriver de malheurs plus grands.
19. MENG-TSEU dit: Parmi les devoirs que l'on rend à ceux qui sont au-dessus de soi[18], quel est le plus grand? C'est celui de servir ses père et mère qui est le plus grand. De tout ce que l'on conserve et protège dans le monde, qu'y a-t-il de plus important? C'est de se conserver soi-même [dans la droite voie] qui est le plus important. J'ai toujours entendu dire que ceux qui ne se laissaient pas égarer dans le chemin de la perdition pouvaient servir leurs parents; mais je n'ai jamais entendu dire que ceux qui se laissaient égarer dans le chemin de la perdition pussent servir leurs parents.
Quel est celui qui est exempt de servir quelqu'un [ou qui est exempt de devoir]? Les devoirs que l'on doit à ses parents forment la base fondamentale de tous les devoirs. Quel est celui qui est exempt des actes de conservation? La conservation de soi-même [dans la droite voie] est la base fondamentale de toute conservation.
Lorsque Thsêng-tseu nourrissait [son père] Thsêng-si, il avait toujours soin de lui servir de la viande et du vin à ses repas. Quand on était sur le point d'enlever les mets, il demandait toujours à qui il pouvait en offrir. S'informait-on s'il y avait des mets de reste, il répondait toujours qu'il y en avait.
Après la mort de Thsêng-si, lorsque Thsêng-youan nourrissait [son père] Thsêng-tseu, il avait toujours soin de lui servir de la viande et du vin à ses repas. Quand on était sur le point d'enlever les mets, il ne demandait pas à qui il pouvait en offrir. S'informait-on s'il y avait des mets de reste, il répondait qu'il n'y en avait pas. Il voulait les faire servir de nouveau [à son père]. Voilà ce que l'on appelle nourrir la bouche et le corps, et rien de plus. Si quelqu'un agit comme Thsêng-tseu, on peut dire de lui qu'il nourrit la volonté, l'intelligence, [qu'il agit convenablement envers ses parents].
Il est permis de servir ses parents comme Thsêng-tseu.
20. MENG-TSEU dit: Tous les hommes ne sont pas propres à réprimander les princes; tous les modes d'administration ne sont pas susceptibles d'être blâmés. Il n'y a que les grands hommes qui puissent réprimer les vices du cœur des princes. Si le prince est humain, rien dans son gouvernement n'est inhumain. Si le prince est juste, rien dans son gouvernement n'est injuste. Si le prince est droit, rien dans son gouvernement qui ne soit droit. Une fois que le prince se sera fait un devoir d'avoir une conduite constamment droite, le royaume sera tranquille et stable.
21. MENG-TSEU dit: Il y a des hommes qui sont loués contre toute attente; il y a des hommes qui sont poursuivis de calomnies, lorsqu'ils ne recherchent que l'intégrité de la vertu.
22. MENG-TSEU dit: Il y a des hommes qui sont d'une grande facilité dans leurs paroles, parce qu'ils n'ont trouvé personne pour les reprendre.
23. MENG-TSEU dit: Un des grands défauts des hommes est d'aimer à être les chefs des autres hommes.
24. Lo-tching-tseu (disciple de MENG-TSEU), ayant suivi Tseu-ngao, se rendit dans le royaume de Thsi.
Lo-tching-tseu étant allé voir MENG-TSEU, MENG-TSEU lui dit: Êtes-vous venu exprès pour me voir?
—Maître, pourquoi tenez-vous un pareil langage?
—Depuis combien de jours êtes-vous arrivé?
—Depuis trois jours.
—Si c'est depuis trois jours, alors n'avais-je pas raison de vous tenir le langage que vous avez entendu?
—Le lieu de mon séjour n'était pas encore déterminé.
—Avez-vous appris que ce n'est qu'après avoir connu le lieu de son séjour que l'on va voir ceux auxquels on doit du respect?
—Je reconnais que j'ai commis une faute.
25. MENG-TSEU continuant à s'adresser à Lo-tching-tseu, lui dit: Vous êtes venu, en accompagnant Tseu-ngao, dans le seul but de boire et de manger. Je ne pensais pas qu'autrefois vous étudiiez les principes d'humanité et de justice des anciens dans le seul but de boire et de manger!
26. MENG-TSEU dit: Le manque de piété filiale est un triple défaut; le manque de postérité est le plus grand des défauts.
Chun se maria sans en prévenir son père et sa mère, dans la crainte de ne pas laisser de postérité. Les hommes supérieurs ont pensé qu'en agissant dans cette intention, c'est comme s'il avait prévenu son père et sa mère.
27. MENG-TSEU dit: Le fruit le plus précieux de l'humanité, c'est de servir ses parents. Le fruit le plus précieux de l'équité, c'est de déférer aux avis de son frère aîné.
Le fruit le plus précieux de la prudence ou de la sagesse, c'est de connaître ces deux choses et de ne pas s'en écarter. Le fruit le plus précieux de l'urbanité est de remplir ces deux devoirs avec complaisance et délicatesse.
Le fruit le plus précieux de la musique [qui produit la concorde et l'harmonie] est d'aimer ces deux choses. Si on les aime, elles naissent aussitôt. Une fois nées, produites, comment pourrait-on réprimer les sentiments qu'elles inspirent? Ne pouvant réprimer les sentiments que ces vertus inspirent, alors, sans le savoir, les pieds les manifestent par leurs mouvements cadencés, et les mains par leurs applaudissements.
28. MENG-TSEU dit: Il n'y avait que Chun qui pût voir, sans plus d'orgueil que si c'eût été un brin d'herbe, un empire désirer ardemment se soumettre à sa domination, et cet empire être plein de joie de sa soumission. Pour lui, ne pas rendre heureux et contents ses parents, c'était ne pas être homme; ne pas leur obéir en tout, c'était ne pas être fils.
Lorsque Chun eut accompli ses devoirs de fils envers ses parents, son père Kou-seou parvint au comble de la joie. Lorsque Kou-seou fut parvenu au comble de la joie, l'empire fut converti à la piété filiale. Lorsque Kou-seou fut parvenu au comble de la joie, tous ceux qui dans l'empire étaient pères ou fils virent leurs devoirs fixés. C'est ce que l'on appelle la grande piété filiale.
[1] Li-leou, homme qui vivait du temps de Hoang-ti, et fameux par sa vue excessivement perçante. (Commentaire.)
[2] Son petit nom était Pan, homme du royaume de Lou, dont l'intelligence et le génie étaient extrêmes. (Commentaire.) Un autre commentateur chinois ajoute que cet homme avait construit pour sa mère un homme en bois qui remplissait les fonctions de cocher, de façon qu'une fois le ressort étant lâché, aussitôt le char était emporté rapidement comme par un mouvement qui lui était propre.
[3] Jin-tching, HUMANUM REGIMEN. La Glose explique ces mots en disant que c'est l'observation et la pratique de lois propres à instruire le peuple et à pourvoir à ses besoins.
[4] Ode Kia-lo, section Ta-ya.
[5] Ode Pan, section Ta-ya.
[6] Pao khi min chin, tseu chin cha, kouë wang. La même maxime est reproduite sous différentes formes dans les Quatre livres moraux. Voyez notre édition chinoise-latine-française du Ta-hio, pag. 78-79.
[7] Comme Yeou-wang et Li-wang, deux rois de la dynastie des Tcheou, qui régnaient 878 et 781 ans avant notre ère.
[8] Ode Tchang, section Ta-ya.
[9] Ode Wen-wang, section Ta-ya.
[10] Ode Wen-wang, section Ta-ya.
[11] Ode Sang-jeou, section Ta-ya.
[12] Chapitre du Chou-king.
[13] Ode Sang-jeou, section Ta-ya.
[14] Comme les ministres. (Commentaire.)
[15] Principe rationnel qui est en nous, vrai dans tout et pour tous, et qui ne trompe jamais: c'est le fondement de la voie céleste. (Commentaire)
[16] Jan-kieou, disciple de KHOUNG-TSEU.
[17] Certain sophiste du royaume de 'Ihsi.'
[18] Ce sont les pères et mères, les personnes plus âgées, et le prince.
CHAPITRE II,
COMPOSÉ DE 33 ARTICLES.
1. MENG-TSEU dit: Chun naquit à Tchou-foung[1], il passa à Fou-hia, et mourut à Ming-thiao; c'était un homme des provinces les plus éloignées de l'orient.
Wen-wang naquit à Khi-tcheou, et mourut à Pi-yng; c'était un homme des provinces les plus éloignées de l'occident.
La distance respective de ces deux régions est de plus de mille li [cent lieues]; l'espace compris entre les deux époques [où naquirent ces deux grands rois] est de plus de mille années. Ils obtinrent tous deux d'accomplir leurs desseins dans le royaume du milieu avec la même facilité que se réunissent les deux parties des tablettes du sceau royal.
Les principes de conduite des premiers saints et des saints qui leur ont succédé sont les mêmes.
2. Lorsque Tseu-tchan présidait à l'administration du royaume de Tching, il prit un homme sur son propre char pour lui faire traverser les rivières Tsin et Veï.
MENG-TSEU dit: Il était obligeant et compatissant, mais il ne savait pas bien administrer.
Si chaque année, au onzième mois, les ponts qui servent aux piétons étaient construits; si au douzième mois les ponts qui servent aux chars étaient aussi construits, le peuple n'aurait pas besoin de se mettre en peine pour passer à gué les fleuves et les rivières.
Si l'homme qui administre un État porte l'équité et la justice dans toutes les parties de son administration, il peut [sans qu'on l'en blâme] éloigner de lui la foule qui se trouverait sur son passage. Comment pourrait-il faire passer l'eau à tous les hommes qu'il rencontrerait?
C'est pourquoi celui qui administre un État, s'il voulait procurer un tel plaisir à chaque individu en particulier, le jour ne lui suffirait pas[2].
3. MENG-TSEU s'adressant à Siouan-wang, roi de Thsi, lui dit: Si le prince regarde ses ministres comme ses mains et ses pieds, alors les ministres regarderont le prince comme leurs viscères et leur cœur; si le prince regarde ses ministres comme les chiens ou les chevaux [de ses écuries], alors les ministres regarderont le prince comme un homme du vulgaire; si le prince regarde ses ministres comme l'herbe qu'il foule aux pieds, alors les ministres regarderont le prince comme un voleur et un ennemi.
Le roi dit: On lit dans le Livre des Rites: [Un ministre qui abandonne le royaume qu'il gouvernait] porte [trois mois] un habit de deuil en mémoire du prince qu'il a servi. Comment un prince doit-il se conduire pour qu'un ministre porte ainsi le deuil après l'avoir quitté?
MENG-TSEU répondit: Il exécute ses avis et ses conseils; il écoute ses remontrances; il fait descendre ses bienfaits parmi le peuple. Si, par une cause quelconque, son ministre le quitte, alors le prince envoie des hommes pour l'escorter jusqu'au delà des frontières de son royaume; en outre, il le précède, [par ses bons offices] près du nouveau prince chez lequel l'ancien ministre a l'intention de se rendre. Si, après son départ, il s'écoule trois années sans qu'il revienne, alors il prend ses champs et sa maison [pour lui en conserver les revenus]. C'est là ce que l'on appelle avoir trois fois accompli les rites. S'il agit ainsi, son ministre, à cause de lui, se revêtira de ses habits de deuil.
Maintenant, si le prince n'exécute pas les avis et les conseils de son ministre; s'il n'écoute pas ses remontrances; s'il ne fait pas descendre ses bienfaits parmi le peuple; si, par une cause quelconque, son ministre venant à le quitter, il le maltraite et le retient par force auprès de lui; qu'en outre il le réduise à la plus extrême misère dans le lieu où il s'est retiré; si le jour même de son départ il se saisit de ses champs et de sa maison: c'est là ce que l'on appelle agir en voleur et en ennemi. Comment ce ministre [ainsi traité] porterait-il le deuil d'un voleur et d'un ennemi?
4. MENG-TSEU dit: Si, sans qu'ils se soient rendus coupables de quelques crimes, le prince met à mort les lettrés, alors les premiers fonctionnaires peuvent quitter le royaume. Si, sans qu'il se soit rendu coupable de quelques crimes, le prince opprime le peuple, alors les lettrés peuvent quitter le royaume.
5. MENG-TSEU dit: Si le prince est humain, personne ne sera inhumain; si le prince est juste, personne ne sera injuste.
6. MENG-TSEU dit: Le grand homme ne pratique pas une urbanité qui manque d'urbanité, ni une équité qui manque d'équité.
7. MENG-TSEU dit: Les hommes qui tiennent constamment le milieu nourrissent ceux qui ne le tiennent pas; les hommes de capacité et de talents nourrissent ceux qui n'en ont pas. C'est pourquoi les hommes se réjouissent d'avoir un père et un frère aîné doués de sagesse et de vertu.
Si les hommes qui tiennent constamment le milieu abandonnent ceux qui ne le tiennent pas; si les hommes de capacité et de talents abandonnent ceux qui n'en ont pas, alors la distance entre le sage et l'insensé ne sera pas de l'épaisseur d'un pouce [la différence entre eux ne sera pas grande].
8. MENG-TSEU dit: Il faut que les hommes sachent ce qu'ils ne doivent pas pratiquer, pour pouvoir ensuite pratiquer ce qui convient.
9. MENG-TSEU dit: Si l'on raconte les actions vicieuses des hommes, comment faire pour éviter les chagrins que l'on se prépare?
10. MENG-TSEU dit: TCHOUNG-NI ne portait jamais les choses à l'excès.
11. MENG-TSEU dit: Le grand homme [ou l'homme d'une équité sans tache][3] ne s'impose pas l'obligation de dire la vérité dans ses paroles [il la dit naturellement]; il ne se prescrit pas un résultat déterminé dans ses actions; il n'a en vue que l'équité et la justice.
12. MENG-TSEU dit: Celui qui est un grand homme, c'est celui qui n'a pas perdu l'innocence et la candeur de son enfance.
13. MENG-TSEU dit: Nourrir les vivants est une action qui ne peut pas être considérée comme une grande action; il n'y a que l'action de rendre des funérailles convenables aux morts qui puisse être considérée comme grande.
14. MENG-TSEU dit: L'homme supérieur fait tous ses efforts pour avancer dans la vertu par différents moyens; ses désirs les plus ardents sont d'arriver à posséder dans son cœur cette vertu, ou cette raison naturelle qui eu constitue la règle. Une fois qu'il la possède, alors il s'y attache fortement, il en fait pour ainsi dire sa demeure permanente; en ayant fait sa demeure permanente, il l'explore profondément; l'ayant explorée profondément, alors il la recueille de tous côtés, et il dispose de sa source abondante. C'est pourquoi l'homme supérieur désire ardemment posséder dans son cœur cette raison naturelle si précieuse.
15. MENG-TSEU dit: L'homme supérieur donne à ses études la plus grande étendue possible, afin d'éclairer sa raison et d'expliquer clairement les choses; il a pour but de ramener sa pensée à plusieurs reprises sur les mêmes objets pour les exposer sommairement et pour ainsi dire dans leur essence.
16. MENG-TSEU dit: C'est par la vertu [c'est-à-dire par l'humanité et la justice][4] que l'on subjugue les hommes; mais il ne s'est encore trouvé personne qui ait pu les subjuguer ainsi. Si l'on nourrit les hommes des aliments de la vertu, on pourra ensuite subjuguer l'empire. Il n'est encore arrivé à personne de régner en souverain, si les cœurs des populations de l'empire ne lui ont pas été soumis.
17. MENG-TSEU dit: Les paroles que l'on prononce dans le monde n'ont véritablement rien de funeste en elles-mêmes; ce qu'elles peuvent avoir réellement de funeste, c'est d'obscurcir la vertu des sages et de les éloigner des emplois publics.
18. Siu-tseu a dit: TCHOUNG-NI faisait souvent le plus grand éloge de l'eau, en s'écriant: «Que l'eau est admirable! que l'eau est admirable[5]!» Quelle leçon voulait-il tirer de l'eau?
MENG-TSEU dit: L'eau qui s'échappe de sa source avec abondance ne cesse de couler ni jour ni nuit. Elle remplit les canaux, les fossés; ensuite, poursuivant sa course, elle parvient jusqu'aux quatre mers. L'eau qui sort de la source coule ainsi avec rapidité [jusqu'aux quatre mers]. C'est pourquoi elle est prise pour sujet de comparaison.
S'il n'y a pas de source, les pluies étant recueillies à la septième ou huitième lune, les canaux et les fossés des champs seront remplis; mais le passant pourra s'attendre à les voir bientôt desséchés. C'est pourquoi, lorsque le bruit et la renommée de son nom dépassent le mérite de ses actions, l'homme supérieur en rougit.
19. MENG-TSEU dit: Ce en quoi les hommes diffèrent des bêtes brutes est une chose bien peu considérable[6]; la foule vulgaire la perd bientôt; les hommes supérieurs la conservent soigneusement.
Chun avait une grande pénétration pour découvrir la raison des choses; il scrutait à fond les devoirs des hommes entre eux. Il agissait selon l'humanité et la justice, sans avoir pour but de pratiquer l'humanité et la justice.
20. MENG-TSEU dit: Yu détestait le vin recherché; mais il aimait beaucoup les paroles qui inspiraient la vertu.
[Tching]-thang tenait constamment le milieu; il établissait les sages [il leur donnait des magistratures], sans acception de lieu et de personne.
Wen-wang considérait le peuple comme un blessé [qui a besoin de beaucoup de soin]; il s'attachait à contempler la droite voie comme s'il ne l'avait jamais vue.
Wen-wang ne méprisait point les hommes et les choses présentes; il n'oubliait pas les hommes et les choses éloignées[7].
Tcheou-koung pensait à réunir dans sa personne [en les imitant] les rois [les plus célèbres] des trois dynasties[8], en pratiquant les quatre principales choses qu'ils avaient pratiquées. Si entre ces choses il s'en trouvait une qui ne convînt plus au temps où il vivait, il y réfléchissait attentivement jour et nuit. Lorsqu'il avait été assez heureux pour trouver la raison de l'inconvenance et de l'inopportunité de cette chose, il s'asseyait pour attendre l'apparition du jour.
21. MENG-TSEU dit: Les vestiges de ceux qui avaient exercé le pouvoir souverain ayant disparu, les vers qui les célébraient périrent. Les vers ayant péri, le livre intitulé le Printemps et l'Automne[9] fut composé [pour les remplacer].
Le livre intitulé Ching [quadrige], du royaume de Tçin; le livre intitulé Thao-wo, du royaume de Thsou; le livre intitulé Tchun-thsieou, du royaume de Lou, ne font qu'un.
Les actions qui sont célébrées dans ce dernier ouvrage sont celles de princes comme Houan, kong du royaume de Thsi; Wen, kong du royaume de Tçin. Le style qui y est employé est historique. KHOUNG-TSEU disait [en parlant de son ouvrage]: «Les choses qui y sont rapportées m'ont paru équitables et justes; c'est ce qui me les a fait recueillir.»
22. MENG-TSEU dit: Les bienfaits d'un sage qui a rempli des fonctions publiques s'évanouissent après cinq générations; les bienfaits d'un sage qui n'a pas rempli de fonctions publiques s'évanouissent également après cinq générations.
Moi, je n'ai pas pu être un disciple de KHOUNG-TSEU; mais j'ai recueilli de mon mieux ses préceptes de vertu des hommes [qui ont été les disciples de Tseu-sse].
23. MENG-TSEU dit: Lorsqu'une chose parait devoir être acceptée, et qu'après un plus mûr examen elle ne paraît pas devoir l'être, si on l'accepte, on blesse le sentiment de la convenance. Lorsqu'une chose paraît devoir être donnée, et qu'après un plus mûr examen elle ne parait pas devoir l'être, si on la donne, on blesse le sentiment de la bienfaisance. Lorsque le temps paraît être venu où l'on peut mourir, et qu'après une réflexion plus mûre il ne parait plus convenir de mourir, si l'on se donne la mort, on outrage l'élément de force et de vie que l'on possède.
24. Lorsque Pheng-meng, apprenant de Y[10] à lancer des flèches, eut épuisé toute sa science, il crut que Y était le seul dans l'empire qui le surpassait dans cet art, et il le tua.
MENG-TSEU dit: Ce Y était aussi un criminel. Koung-ming-i disait: «Il paraît ne pas avoir été criminel;» c'est-à-dire qu'il était moins criminel que Pheng-meng. Comment n'aurait-il pas été criminel?
Les habitants du royaume de Tching ayant envoyé Tseu-cho-jou-tseu pour attaquer le royaume de Weï, ceux de Weï envoyèrent Yu-koung-tchi-sse pour le poursuivre. Tseu-cho-jou-tseu dit: Aujourd'hui je me trouve mal; je ne puis pas tenir mon arc; je me meurs. Interrogeant ensuite celui qui conduisait son char, il lui demanda quel était l'homme qui le poursuivait. Son cocher lui répondit: C'est Yu-koung-tchi-sse.
—Alors j'ai la vie sauve.
Le cocher reprit: Yu-koung-tchi-sse est le plus habile archer du royaume de Weï. Maître, pourquoi avez-vous dit que vous aviez la vie sauve?
—Yu-koung-tchi-sse apprit l'art de tirer de l'arc de Yin-koung-tchi-ta. Yin-koung-tchi-ta apprit de moi l'art de tirer de l'arc. Yin-koung-tchi-ta est un homme à principes droits. Celui qu'il a pris pour ami est certainement aussi un homme à principes droits.
Yu-koung-tchi-sse l'ayant atteint, lui dit: Maître, pourquoi ne tenez-vous pas votre arc en main?
—Aujourd'hui je me trouve mal; je ne puis tenir mon arc.
—J'ai appris l'art de tirer de l'arc de Yin-koung-tchi-ta; Yin-koung-tchi-ta apprit l'art de tirer de l'arc de vous, maître. Je ne supporte pas l'idée de me servir de l'art et des principes de mon maître au préjudice du sien. Quoiqu'il en soit ainsi, l'affaire que j'ai à suivre aujourd'hui est celle de mon prince; je n'ose pas la négliger. Alors il prit ses flèches, qu'il ficha sur la roue du char, et, leur fer se trouvant enlevé, il en lança quatre, et s'en retourna.
25. MENG-TSEU dit: Si [la belle] Si-tseu s'était couverte d'ordures, alors tous les hommes se seraient éloignés d'elle en se bouchant le nez.
Quoiqu'un homme ait une figure laide et difforme, s'il se purifie et tient son cœur sans souillure, s'il se fait souvent des ablutions, alors il pourra sacrifier au souverain suprême (Chang-ti).
26. MENG-TSEU dit: Lorsque dans le monde on disserte sur la nature rationnelle de l'homme, on ne doit parler que de ses effets. Ses effets sont ce qu'il y a de plus important à connaître.
C'est ainsi que nous éprouvons de l'aversion pour un [faux] sage, qui use de captieux détours. Si ce sage agissait naturellement comme Yu en dirigeant les eaux [de la grande inondation], nous n'éprouverions point d'aversion pour sa sagesse. Lorsque Yu dirigeait les grandes eaux, il les dirigeait selon leur cours le plus naturel et le plus facile. Si le sage dirige aussi ses actions selon la voie naturelle de la raison et la nature des choses, alors sa sagesse sera grande aussi.
Quoique le ciel soit très-élevé, que les étoiles soient très-éloignées, si on porte son investigation sur les effets naturels qui en procèdent, on peut calculer ainsi, avec la plus grande facilité, le jour où après mille ans le solstice d'hiver aura lieu.
27. Koung-hang-tseu[11] ayant eu à célébrer en fils pieux les funérailles de son père, un commandant de la droite du prince fut envoyé près de lui pour assister aux cérémonies funèbres.
Lorsqu'il eut franchi la porte du palais, de nombreuses personnes entrèrent en s'entretenant avec le commandant de la droite du prince. D'autres l'accompagnèrent jusqu'à son siége en s'entretenant aussi avec lui.
MENG-TSEU n'adressa pas la parole au commandant de la droite du prince. Celui-ci en fut mortifié, et il dit: Une foule de personnes distinguées sont venues s'entretenir avec moi qui suis revêtu de la dignité de Houan; MENG-TSEU seul ne m'a point adressé la parole; c'est une marque de mépris qu'il m'a témoignée!
MENG-TSEU, ayant entendu ces paroles, dit: On lit dans le Livre des Rites: «Étant à la cour, il ne faut pas se rendre à son siége en s'entretenant avec quelqu'un; il ne faut pas sortir des gradins que l'on occupe pour se saluer mutuellement.» Moi, je ne pensais qu'à observer les rites; n'est-il pas étonnant que Tseu-ngao pense que je lui ai témoigné du mépris?
28. MENG-TSEU dit: Ce en quoi l'homme supérieur diffère des autres hommes, c'est qu'il conserve la vertu dans son cœur. L'homme supérieur conserve l'humanité dans son cœur, il y conserve aussi l'urbanité.
L'homme humain aime les hommes; celui qui a de l'urbanité respecte les hommes.
Celui qui aime les hommes est toujours aimé des hommes; celui qui respecte les hommes est toujours respecté des hommes.
Je suppose ici un homme qui me traite avec grossièreté et brutalité; alors, en homme sage, je dois faire un retour sur moi-même et me demander si je n'ai pas été inhumain, si je n'ai pas manqué d'urbanité: autrement, comment ces choses me seraient-elles arrivées?
Si après avoir fait un retour sur moi-même je trouve que j'ai été humain; si après un nouveau retour sur moi-même je trouve que j'ai eu de l'urbanité; la brutalité et la grossièreté dont j'ai été l'objet existant toujours, en homme sage je dois de nouveau descendre en moi-même et me demander si je n'ai pas manqué de droiture.
Si après cet examen intérieur je trouve que je n'ai pas manqué de droiture, la grossièreté et la brutalité dont j'ai été l'objet existant toujours, en homme sage, je me dis: Cet homme qui m'a outragé n'est qu'un extravagant, et rien de plus. S'il en est ainsi, en quoi diffère-t-il de la bête brute? Pourquoi donc me tourmenterais-je à propos d'une bête brute?
C'est pour ce motif que le sage est toute sa vie intérieurement plein de sollicitudes [pour faire le bien], sans qu'une peine [ayant une cause extérieure][12] l'affecte pendant la durée d'un matin.
Quant aux sollicitudes intérieures, le sage en éprouve constamment. [Il se dit:] Chun était un homme, je suis aussi un homme; Chun fut un exemple de vertus et de sagesse pour tout l'empire, et il put transmettre ses instructions aux générations futures; moi, je n'ai pas encore cessé d'être un homme de mon village [un homme vulgaire]. Ce sont là pour lui de véritables motifs de préoccupations pénibles et de chagrins; il n'aurait plus de sujets d'affliction s'il était parvenu à ressembler à Chun. Quant aux peines qui ont une cause extérieure, étrangère, le sage n'en éprouve pas. Il ne commet pas d'actes contraires à l'humanité; il ne commet pas d'actes contraires à l'urbanité. Si une peine ayant une cause extérieure l'affectait pendant la durée d'un matin, cela ne serait pas alors une peine pour le sage.
29. Yu et Tsi étant entrés dans l'âge de l'égalité d'âme [dans cet âge de la raison où l'on a pris de l'empire sur ses passions et ses penchants][13], ils passèrent trois fois devant leur porte sans y entrer [pour ne pas interrompre les soins qu'ils donnaient à l'intérêt public]. KHOUNG-TSEU loua leur conduite dans ces circonstances.
Yan-tseu[14], dans l'âge des passions turbulentes, habitait une ruelle obscure et déserte, mangeait dans une écuelle de roseaux, et buvait dans une courge. Les hommes n'auraient pu supporter ses privations et ses tristesses. Mais Yan-tseu ne perdit pas son air serein et satisfait. KHOUNG-TSEU loua sa conduite dans cette circonstance.
MENG-TSEU dit: Yu, Tsi et Yan-hoeï se conduisirent d'après les mêmes principes.
Yu agissait comme s'il avait pensé que l'empire étant submergé par les grandes eaux, il avait lui-même causé cette submersion. Tsi agissait comme s'il avait pensé que l'empire épuisé par la famine, il avait lui-même causé cette famine. C'est pourquoi ils éprouvaient une telle sollicitude.
Si Yu, Tsi et Yan-tseu s'étaient trouvés à la place l'un de l'autre, ils auraient agi de même.
Maintenant je suppose que les personnes de ma maison se querellent ensemble, je m'empresserai de les séparer. Quoique leurs cheveux et les bandes de leurs bonnets soient épars de côté et d'autre, je devrai également m'empresser de les séparer.
Si ce sont les hommes d'un même village ou du voisinage qui se querellent ensemble, ayant les cheveux et les bandelettes de leurs bonnets épars de côté et d'autre, je fermerai les yeux sans aller m'interposer entre eux pour les séparer. Je pourrais même fermer ma porte, sans me soucier de leurs différends.
30. Koung-tou-tseu (disciple de MENG-TSEU) dit: Tout le monde dans le royaume prétend que Khouang-tchang n'a point de piété filiale. Maître, comme vous avez avec lui des relations fréquentes, que vous êtes avec lui sur un pied de politesse très-grande, oserais-je vous demander pourquoi on a une telle opinion de lui?
MENG-TSEU dit: Les vices que, selon les mœurs de notre siècle, on nomme défauts de piété filiale, sont au nombre de cinq. Laisser ses quatre membres s'engourdir dans l'oisiveté, au lieu de pourvoir à l'entretien de son père et de sa mère, est le premier défaut de piété filiale. Aimer à jouer aux échecs[15], à boire du vin, au lieu de pourvoir à l'entretien de son père et de sa mère, est le second défaut de piété filiale. Convoiter les richesses et le lucre, et se livrer avec excès à la passion de la volupté, au lieu de pourvoir à l'entretien de son père et de sa mère, est le troisième défaut de piété filiale. S'abandonner entièrement aux plaisirs des yeux et des oreilles, en occasionnant à son père et à sa mère de la honte et de l'ignominie, est le quatrième défaut de piété filiale. Se complaire dans les excès d'une force brutale, dans les rixes et les emportements, en exposant son père et sa mère à toute sorte de dangers, est le cinquième défaut de piété filiale. Tchang-tseu a-t-il un de ces défauts?
Ce Tchang-tseu étant fils, il ne lui convient pas d'exhorter son père à la vertu; ce n'est pas pour lui un devoir de réciprocité.
Ce devoir d'exhorter à la vertu est de règle entre égaux et amis; l'exhortation à la vertu entre le père et le fils est une des causes qui peuvent le plus altérer l'amitié.
Pourquoi Tchang-tseu ne désirerait-il pas que le mari et la femme, la mère et le fils demeurent ensemble [comme c'est un devoir pour eux]? Parce qu'il a été coupable envers son père, il n'a pu demeurer près de lui; il a renvoyé sa femme, chassé son fils, et il se trouve ainsi jusqu'à la fin de sa vie privé de l'entretien et des aliments qu'il devait en attendre. Tchang-tseu, dans la détermination de sa volonté, ne paraît pas avoir voulu agir comme il a agi [envers sa femme et son fils][16]. Mais si, après s'être conduit comme il l'a fait [envers son père, il avait en outre accepté l'alimentation de sa femme et de son fils][17], il aurait été des plus coupables. Voilà l'explication de la conduite de Tchang-tseu [qui n'a rien de répréhensible].
31. Lorsque Thsêng-tseu habitait dans la ville de Wou-tching, quelqu'un, en apprenant l'approche d'un brigand armé du royaume de Youeï, lui dit: Le brigand arrive; pourquoi ne vous sauvez-vous pas? Il répondit [à un de ceux qui étaient préposés à la garde de sa maison][18]: Ne logez personne dans ma maison, afin que les plantes et les arbres qui se trouvent dans l'intérieur ne soient pas détruits; et lorsque le brigand se sera retiré, alors remettez en ordre les murs de ma maison, car je reviendrai l'habiter.
Le brigand s'étant retiré, Thsêng-tseu retourna à sa demeure. Ses disciples dirent: Puisque le premier magistrat de la ville a si bien traité notre maître [en lui donnant une habitation], ce doit être un homme plein de droiture et de déférence! Mais fuir le premier à l'approche du brigand, et donner ainsi un mauvais exemple au peuple qui pouvait l'imiter; revenir ensuite après le départ du brigand, ce n'est peut-être pas agir convenablement.
Chin-yeou-hing ( un des disciples de Thsêng-tseu) dit: C'est ce que vous ne savez pas. Autrefois la famille Chin-yeou ayant eu à souffrir les calamités d'une grande dévastation[19], des soixante-dix hommes qui accompagnaient notre maître (Thsêng-tseu) aucun ne vint l'aider dans ces circonstances difficiles.
Lorsque Tseu-sse habitait dans le royaume de Weï, quelqu'un, en apprenant l'approche d'un brigand armé du royaume de Thsi, lui dit: Le brigand arrive; pourquoi ne vous sauvez-vous pas?
Tseu-sse répondit: Si moi Ki je me sauve, qui protégera le royaume avec le prince?
MENG-TSEU dit: Thsêng-tseu et Tseu-sse eurent les mêmes principes de conduite. Thsêng-tseu était précepteur de la sagesse[20]; il était par conséquent dans les mêmes conditions [de dignité et de sûreté à maintenir] qu'un père et un frère aîné: Tseu-sse était magistrat ou fonctionnaire public; il était par conséquent dans une condition bien inférieure [sous ces deux rapports]. Si Thsêng-tseu et Tseu-sse se fussent trouvés à la place l'un de l'autre, ils auraient agi de même.
32. Tchou-tseu, magistrat du royaume de Thsi, dit: Le roi a envoyé des hommes pour s'informer secrètement si vous différez véritablement, maître, des autres hommes.
MENG-TSEU dit: Si je diffère des autres hommes? Yao et Chun eux-mêmes étaient de la même nature que les autres hommes.
33. [MENG-TSEU] dit: Un homme de Thsi avait une femme légitime et une seconde femme qui habitaient toutes deux dans sa maison.
Toutes les fois que le mari sortait, il ne manquait jamais de se gorger de vin et de viande avant de rentrer au logis. Si sa femme légitime lui demandait qui étaient ceux qui lui avaient donné à boire et à manger, alors il lui répondait que c'étaient des hommes riches et nobles.
Sa femme légitime s'adressant à la concubine, lui dit: Toutes les fois que le mari sort, il ne manque jamais de rentrer gorgé de vin et de viande. Si je lui demande quelles sont les personnes qui lui ont donné à boire et à manger, il me répond: Ce sont des hommes riches et nobles; et cependant aucune personne illustre n'est encore venue ici. Je veux observer en secret où va le mari.
Elle se leva de grand matin, et suivit secrètement son mari dans les lieux où il se rendait. Il traversa le royaume[21] sans que personne vînt l'accoster et lui parler. Enfin il se rendit dans le faubourg oriental, où, parmi les tombeaux, se trouvait un homme qui offrait le sacrifice des ancêtres, dont il mangea les restes sans se rassasier. Il alla encore ailleurs avec la même intention. C'était là sa méthode habituelle de satisfaire son appétit.
Sa femme légitime, de retour à la maison, s'adressant à la concubine, lui dit: Notre mari était l'homme dans lequel nous avions placé toutes nos espérances pour le reste de nos jours, et maintenant voici ce qu'il a fait. Elle raconta ensuite à la concubine ce qu'elle avait vu faire à son mari, et elles pleurèrent ensemble dans le milieu du gynécée. Et le mari, ne sachant pas ce qui s'était passé, revint le visage tout joyeux du dehors se vanter de ses bonnes fortunes auprès de sa femme légitime et de sa femme de second rang.
Si le sage médite attentivement sur la conduite de cet homme, il verra par quels moyens les hommes se livrent à la poursuite des richesses, des honneurs, du gain et de l'avancement, et combien ils sont peu nombreux ceux dont les femmes légitimes et de second rang ne rougissent pas et ne se désolent pas de leur conduite.
[1] Contrée déserte située sur les confins de l'empire chinois.
[2] C'est par des mesures générales, qui sont utiles à tout le monde, et non par des bienfaits particuliers, qui ne peuvent profiter qu'à un très-petit nombre d'individus, relativement à la masse du peuple, qu'un homme d'État, un prince, doivent signaler leur bonne administration.
[3] Commentaire.
[4] Commentaire.
[5] Ἄριστον μὲν ὕδωρ—Pindare.
[6] C'est la raison naturelle. (Commentaire.)
[7] Il y a dans le texte, les prochains et les éloignés, sans substantifs qualifiés. Nous avons suivi l'interprétation de la Glose.
[8] Yu, Tchang, Wen-(wang) et Wou-(wang). (Glose.)
[9] Tchun-thusieo, composé par KHOUNG-TSEU; il forme le cinquième des King. Aucune traduction n'en a encore été publiée en langue européenne.
[10] Prince du royaume de Yeou khioung.
[11] Premier ministre du roi de Thsi.
[12] Glose.
[13] Glose.
[15] Po-i; on voit par là que ce jeu était déjà beaucoup en usage du temps de MENG-TSEU.
[16] Glose.
[17] Ibid.
[18] Ibid.
[19] C'est ainsi que la Glose explique l'expression fou-thsou du texte par tso-louan.
[20] Sse; il avait aussi de nombreux disciples.
[21] Quelques interprètes pensent qu'ici kouè, royaume, signifie ville.
CHAPITRE III,
COMPOSÉ DE 9 ARTICLES.
1. Wen-tchang (disciple de MENG-TSEU) fit une question en ces termes: «Lorsque Chun se rendait aux champs [pour les cultiver], il versait des larmes en implorant le ciel miséricordieux.» Pourquoi implorait-il le ciel en versant des larmes?
MENG-TSEU dit: Il se plaignait [de ne pas être aimé de ses parents], et il pensait aux moyens de l'être.
Wen-tchang dit: Si son père et sa mère l'aimaient, il devait être satisfait, et ne pas oublier leur tendresse. Si son père et sa mère ne l'aimaient pas, il devait supporter ses chagrins sans se plaindre. S'il en est ainsi, Chun se plaignait donc de ses parents?
MENG-TSEU répliqua: Tchang-si, interrogeant Koung-ming-kao, dit: En ce qui concerne ces expressions: Lorsque Chun se rendait aux champs, j'ai entendu là-dessus vos explications; quant à celles-ci, il versait des larmes en implorant le ciel miséricordieux, j'en ignore le sens.
Koung-ming-kao dit: Ce n'est pas une chose que vous puissiez comprendre.
Koung-ming-kao (continua MENG-TSEU) pensait que le cœur d'un fils pieux ne pouvait être ainsi exempt de chagrins. «Pendant que j'épuise mes forces [se disait-il] à cultiver les champs, je ne fais que remplir mes devoirs de fils, et rien de plus. Si mon père et ma mère ne m'aiment pas, y a-t-il de ma faute?»
L'empereur (Yao) lui envoya ses fils, neuf jeunes gens vigoureux, et ses deux filles, et il ordonna à un grand nombre de magistrats ainsi que d'officiers publics de se rendre près de Chun avec des approvisionnements de bœufs, de moutons et de grains pour son service. Les lettrés de l'empire en très-grand nombre se rendirent près de lui.
L'empereur voulut en faire son ministre et lui transmettre l'empire. Ne recevant aucune marque de déférence [ou de soumission au bien] de ses père et mère, il était comme un homme privé de tout, qui ne sait où se réfugier.
Causer de la joie et de la satisfaction aux hommes dont l'intelligence est la plus éclairée dans l'empire, c'est ce que l'on désire le plus vivement, et cependant cela ne suffisait pas pour dissiper les chagrins [de Chun]. L'amour d'une jeune et belle femme est ce que les hommes désirent ardemment; Chun reçut pour femmes les deux filles de l'empereur, et cependant cela ne suffisait pas pour dissiper ses chagrins. Les richesses sont aussi ce que les hommes désirent vivement; en fait de richesses, il eut l'empire en possession, et cependant cela ne suffisait pas pour dissiper ses chagrins. Les honneurs sont ce que les hommes désirent ardemment; en fait d honneurs, il fut revêtu de la dignité de fils du Ciel [ou d'empereur], et cependant cela ne suffisait pas pour dissiper ses chagrins. Le sentiment de causer de la satisfaction et de la joie aux hommes de l'empire dont l'intelligence est la plus éclairée, l'amour de jeunes et belles femmes, les richesses et les honneurs, ne suffisaient pas pour dissiper les chagrins de Chun. Il n'y avait que la déférence de ses père et mère à ses bons conseils qui aurait pu dissiper ses chagrins.
L'homme, lorsqu'il est jeune, chérit son père et sa mère. Quand il sent naître en lui le sentiment de l'amour, alors il aime une jeune et belle adolescente; quand il a une femme et des enfants, alors il aime sa femme et ses enfants; quand il occupe un emploi public, alors il aime le prince. Si [dans ce dernier cas] il n'obtient pas la faveur du prince, alors il en éprouve une vive inquiétude.
Celui qui a une grande piété filiale aime jusqu'à son dernier jour son père et sa mère. Jusqu'à cinquante ans, chérir [son père et sa mère] est un sentiment de piété filiale que j'ai observé dans le grand Chun.
2. Wen-tchang continua ses questions:
Le Livre des Vers[1] dit:
«Quand un homme veut prendre une femme, que doit-il faire?
Il doit consulter son père et sa mère.»
Personne ne pouvait pratiquer plus fidèlement ces paroles que Chun. Chun cependant ne consulta pas ses parents avant de se marier. Pourquoi cela?
MENG-TSEU répondit: S'il les avait consultés, il n'aurait pas pu se marier. La cohabitation ou l'union sous le même toit, de l'homme et de la femme, est le devoir le plus important de l'homme. S'il avait consulté ses parents, il n'aurait pas pu remplir ce devoir[2], le plus important de l'homme, et par là il aurait provoqué la haine de son père et de sa mère.
C'est pourquoi il ne les consulta pas.
Wen-tchang continua: J'ai été assez heureux pour obtenir de vous d'être parfaitement instruit des motifs qui empêchèrent Chun de consulter ses parents avant de se marier; maintenant comment se fit-il que l'empereur ne consulta pas également les parents de Chun avant de lui donner ses deux filles en mariage?
MENG-TSEU dit: L'empereur savait aussi que, s'il les avait consultés, il n'aurait pas obtenu leur consentement au mariage.
Wen-tchang poursuivit: Le père et la mère de Chun lui ayant ordonné de construire une grange à blé, après avoir enlevé les échelles, Kou-seoub [son père] y mit le feu. Ils lui ordonnèrent ensuite de creuser un puits, d'où il ne se fut pas plutôt échappé [par une ouverture latérale qu'il s'était ménagée][3], qu'ils le comblèrent.
Siang[4] dit: «C'est moi qui ai suggéré le dessein d'engloutir le prince de la résidence impériale (Chun); j'en réclame tout le mérite. Ses bœufs et ses moutons appartiennent à mon père et à ma mère; ses granges et ses grains appartiennent à mon père et à ma mère; son bouclier et sa lance, à moi; sa guitare, à moi; son arc ciselé, à moi; à ses deux femmes j'ordonnerai d'orner ma couche.»
Siang s'étant rendu à la demeure de Chun [pour s'emparer de ce qui s'y trouvait, le croyant englouti], il trouva Chun assis sur son lit, et jouant de la guitare.
Siang dit: «J'étais tellement inquiet de mon prince, que je pouvais à peine respirer;» et son visage se couvrit de rougeur. Chun lui dit: «Veuillez, je vous prie, diriger en mon nom cette foule de magistrats et d'officiers publics.» Je ne sais pas si Chun ignorait que Siang avait voulu le faire mourir.
MENG-TSEU dit: Comment l'aurait-il ignoré? Il lui suffisait que Siang éprouvât de la peine pour en éprouver aussi, et qu'il éprouvât de la joie pour en éprouver aussi.
Wen-tchang répliqua: S'il en est ainsi, Chun aurait donc simulé une joie qu'il n'avait pas?—Aucunement. Autrefois des poissons vivants furent offerts en don à Tseu-tchan, du royaume de Tching. Tseu-tchan ordonna que les gardiens du vivier les entretinssent dans l'eau du lac. Mais les gardiens du vivier les firent cuire pour les manger. Étant venus rendre compte de l'ordre qui avait été donné, ils dirent: Quand nous avons commencé à mettre ces poissons en liberté, ils étaient engourdis et immobiles; peu à peu ils se sont ranimés et ont repris de l'agilité; enfin ils se sont échappés avec beaucoup de joie. Tseu-tchan dit: Ils ont obtenu leur destination! ils ont obtenu leur destination!
Lorsque les gardiens du vivier furent partis, ils se dirent entre eux: Qui donc disait que Tseu-tchan était un homme pénétrant? Après que nous avons eu fait cuire et mangé ses poissons, il dit: Ils ont obtenu leur destination! ils ont obtenu leur destination! Ainsi donc le sage peut être trompé dans les choses vraisemblables; il peut être difficilement trompé dans les choses invraisemblables ou qui ne sont pas conformes à la raison. Siang étant venu près de Chun avec toutes les apparences d'un vif sentiment de tendresse pour son frère aîné, celui-ci y ajouta une entière confiance et s'en réjouit. Pourquoi aurait-il eu de la dissimulation?
3. Wen-tchang fit cette nouvelle question: Siang ne pensait chaque jour qu'aux moyens de faire mourir Chun. Lorsque Chun fut établi fils du Ciel [ou empereur], il l'exila loin de lui; pourquoi cela?
MENG-TSEU dit: Il en fit un prince vassal. Quelques-uns dirent qu'il l'avait exilé loin de lui.
Wen-tchang dit: Chun exila le président des travaux publics (Koung-kong) à Yeou-tcheou; il relégua Houan-teou à Tsoung-chan; il fit périr [le roi des] San-miao à San-weï; il déporta Kouan à Yu-chan. Ces quatre personnages étant châtiés, tout l'empire se soumit, en voyant les méchants punis. Siang était un homme très-méchant, de la plus grande inhumanité; pour qu'il fût établi prince vassal de la terre de Yeou-pi, il fallait que les hommes de Yeou-pi fussent eux-mêmes bien criminels. L'homme qui serait véritablement humain agirait-il ainsi? En ce qui concerne les autres personnages [coupables], Chun les punit; en ce qui concerne son frère, il le fit prince vassal!
MENG-TSEU répondit: L'homme humain ne garde point de ressentiments envers son frère; il ne nourrit point de haine contre lui. Il l'aime, le chérit comme un frère, et voilà tout.
Par cela même qu'il l'aime, il désire qu'il soit élevé aux honneurs; par cela même qu'il le chérit, il désire qu'il ait des richesses. Chun, en établissant son frère prince vassal des Yeou-pi, l'éleva aux honneurs et l'enrichit. Si pendant qu'il était empereur son frère cadet fût resté homme privé, aurait-on pu dire qu'il l'avait aimé et chéri?
—Oserais-je me permettre de vous faire encore une question? dit Wen-tchang. «Quelques-uns dirent qu'il l'avait exilé loin de lui.» Que signifient ces paroles?
MENG-TSEU dit: Siang ne pouvait pas posséder la puissance souveraine dans son royaume. Le fils du Ciel [l'empereur] fit administrer ce royaume par un délégué, et c'est de celui-ci qu'il exigeait les tributs. C'est pourquoi on dit que son frère [ainsi privé d'autorité] avait été exilé. Comment Siang aurait-il pu opprimer le peuple de ce royaume [dont il n'était que le prince nominal]? Quoique les choses fussent ainsi, Chun désirait le voir souvent; c'est pourquoi Siang allait le voir à chaque instant. Chun n'attendait pas l'époque où l'on apportait les tributs, ni celle où l'on rendait compte des affaires administratives, pour recevoir le prince vassal des Yeou-pi. Voilà ce que signifient les paroles que vous avez citées.
4. Hian-khieou-meng (disciple de MENG-TSEU) lui fit une question en ces termes: Un ancien proverbe dit: «Les lettrés [quelque] éminents et doués de vertus qu'ils soient, ne peuvent pas faire d'un prince un sujet, et d'un père un fils [en attribuant la supériorité au seul mérite].» Cependant, lorsque Chun se tenait la face tournée vers le midi [c'est-à-dire présidait solennellement à l'administration de l'empire], Yao, à la tête des princes vassaux, la tête tournée vers le nord, lui rendait hommage; Kou-seou, aussi la tête tournée vers le nord, lui rendait hommage. Chun, en voyant son père Kou-seou, laissait paraître sur son visage l'embarras qu'il éprouvait. KHOUNG-TSEU disait à ce propos: «En ce temps-là, l'empire était dans un danger imminent; il était bien près de sa ruine.» Je ne sais si ces paroles sont véritables.
MENG-TSEU dit: Elles ne le sont aucunement. Ces paroles n'appartiennent point à l'homme éminent auquel elles sont attribuées. C'est le langage d'un homme grossier des contrées orientales du royaume de Thsi.
Yao étant devenu vieux, Chun prit en main l'administration de l'empire. Le Yao-tian[5] dit: «Lorsque, après vingt-huit ans [de l'administration de Chun], le prince aux immenses vertus (Yao) mourut, toutes les familles de l'empire, comme si elles avaient porté le deuil de leur père ou de leur mère décédés, le pleurèrent pendant trois ans, et les peuples qui parcourent les rivages des quatre mers s'arrêtèrent et suspendirent dans le silence les huit sons.»
KHOUNG-TSEU dit: «Le ciel n'a pas deux soleils; le peuple n'a pas deux souverains.» Cependant, si Chun fut élevé à la dignité de fils du Ciel, et qu'en outre, comme chef des vassaux de l'empire, il ait porté trois ans le deuil de Yao, il y eut donc en même temps deux empereurs.
Hian-khieou-meng dit: J'ai été assez heureux pour obtenir de vous de savoir que Chun n'avait pas fait Yao son sujet. Le Livre des Vers[6] dit:
«Si vous parcourez l'empire,
Vous ne trouverez aucun lieu qui ne soit le territoire de l'empereur;
Si vous suivez les rivages de la terre, vous ne trouverez aucun homme qui ne soit le sujet de l'empereur.»
Mais, dès l'instant que Chun fut empereur, permettez-moi de vous demander comment Kou-seou [son père] ne fut pas son sujet.
MENG-TSEU dit: Ces vers ne disent pas ce que vous pensez qu'ils disent. Des hommes qui consacraient leurs labeurs au service du souverain, et qui ne pouvaient pas s'occuper des soins nécessaires à l'entretien de leur père et de leur mère, [les ont composés]. C'est comme s'ils avaient dit: Dans ce que nous faisons, rien n'est étranger au service du souverain; mais nous seuls, qui possédons des talents éminents, nous travaillons pour lui; [cela est injuste].
C'est pourquoi ceux qui expliquent les vers ne doivent pas, en s'attachant à un seul caractère, altérer le sens de la phrase, ni, en s'attachant trop étroitement à une seule phrase, altérer le sens général de la composition. Si la pensée du lecteur [ou de celui qui explique les vers] va au-devant de l'intention du poëte, alors on saisit le véritable sens. Si l'on ne s'attache qu'à une seule phrase, celle de l'ode qui commence par ces mots: Que la voie lactée s'étend loin dans l'espace[7], et qui est ainsi conçue[8]: Des débris de la population aux cheveux noirs de Tcheou, il ne reste pas un enfant vivant, signifierait, en la prenant à la lettre, qu'il n'existe plus un seul individu dans l'empire de Tcheou!
S'il est question du plus haut degré de la piété filiale, rien n'est aussi élevé que d'honorer ses parents. S'il est question de la plus grande marque d'honneur que l'on puisse témoigner à ses parents, rien n'est comparable à l'entretien qu'on leur procure sur les revenus de l'État. Comme [Kou-seou] était le père du fils du Ciel, le combler d'honneurs était pour ce dernier la plus haute expression de sa piété filiale; et, comme il l'entretint avec les revenus de l'empire, il lui donna la plus grande marque d'honneur qu'il pouvait lui donner.
Le Livre des Vers[9] dit:
«Il pensait constamment à avoir de la piété filiale,
Et par sa pieté filiale il fut un exemple à tous.»
Voilà ce que j'ai voulu dire.
On lit dans le Chou-king[10]:
«Toutes les fois que Chun visitait son père Kou-seou pour lui rendre ses devoirs, il éprouvait un sentiment de respect et de crainte. Kou-seou aussi déférait à ses conseils.» Cela confirme [ce qui a été dit précédemment] que l'on ne peut pas faire d'un père un fils.
5. Wen-tchang dit: Est-il vrai que l'empereur Yao donna l'empire à Chun?
MENG-TSEU dit: Aucunement. Le fils du Ciel ne peut donner ou conférer l'empire à aucun homme.
Wen-tchang dit: Je l'accorde; mais alors Chun ayant possédé l'empire, qui le lui donna?
MENG-TSEU dit: Le ciel le lui donna.
Wen-tchang continua: Si c'est le ciel qui le lui donna, lui conféra-t-il son mandat par des paroles claires et distinctes?
MENG-TSEU répliqua: Aucunement. Le ciel ne parle pas; il fait connaître sa volonté par les actions ainsi que par les hauts faits [d'un homme]; et voilà tout.
Wen-tchang ajouta: Comment fait-il connaître sa volonté par les actions et les hauts faits [d'un homme]?
MENG-TSEU dit: Le fils du Ciel peut seulement proposer un homme au ciel; il ne peut pas ordonner que le ciel lui donne l'empire. Les vassaux de l'empire peuvent proposer un homme au fils du Ciel; ils ne peuvent pas ordonner que le fils du Ciel lui confère la dignité de prince vassal. Le premier fonctionnaire [ta-fou] d'une ville peut proposer un homme au prince vassal; il ne peut pas ordonner que le prince vassal lui confère la dignité de premier magistrat.
Autrefois Yao proposa Chun au ciel, et le ciel l'accepta; il le montra au peuple couvert de gloire, et le peuple l'accepta. C'est pourquoi je disais: «Le ciel ne parle pas; il fait connaître sa volonté par les actions et les hauts faits d'un homme; et voilà tout.»
Wen-tchang dit: Permettez-moi une nouvelle question. Qu'entendez-vous par ces mots: Il le proposa au ciel, et le ciel l'accepta; il le montra au peuple couvert de gloire, et le peuple l'accepta?
MENG-TSEU dit: Il lui ordonna de présider aux cérémonies des sacrifices, et tous les esprits[11] eurent ses sacrifices pour agréables: voilà l'acceptation du ciel. Il lui ordonna de présider à l'administration des affaires publiques, et les affaires publiques étant par lui bien administrées, toutes les familles de l'empire furent tranquilles et satisfaites: voilà l'acceptation du peuple. Le ciel lui donna l'empire, et le peuple aussi le lui donna. C'est pourquoi je disais: Le fils du Ciel ne peut pas à lui seul donner l'empire à un homme.
Chun aida Yao dans l'administration de l'empire pendant vingt-huit ans. Ce ne fut pas le résultat de la puissance de l'homme, mais du ciel.
Yao étant mort, et le deuil de trois ans achevé, Chun se sépara du fils de Yao, et se retira dans la partie méridionale du fleuve méridional [pour lui laisser l'empire]. Mais les grands vassaux de l'empire, qui venaient au printemps et en automne jurer foi et hommage, ne se rendaient pas près du fils de Yao, mais près de Chun. Ceux qui portaient des accusations ou qui avaient des procès à vider ne se présentaient pas au fils de Yao, mais à Chun. Les poëtes qui louaient les hauts faits dans leurs vers, et qui les chantaient, ne célébraient point et ne chantaient point le fils de Yao, mais ils célébraient et chantaient les exploits de Chun. C'est pourquoi j'ai dit que c'était le résultat de la puissance du ciel. Après cela, Chun revint dans le royaume du milieu[12], et monta sur le trône du fils du Ciel. Si, ayant continué d'habiter le palais de Yao, il avait opprimé et contraint son fils, c'eût été usurper l'empire et non le recevoir du ciel.
Le Taï-tchi[13] dit: «Le ciel voit; mais il voit par [les yeux de] mon peuple. Le ciel entend; mais il entend par [les oreilles de] mon peuple.» C'est là ce que j'ai voulu dire.
6. Wen-tchang fit une autre question en ces termes: Les hommes disent: Ce ne fut que jusqu'à Yu [que l'intérêt public fut préféré par les souverains à l'intérêt privé]; ensuite, la vertu s'étant affaiblie, l'empire ne fut plus transmis au plus sage, mais il fut transmis au fils. Cela n'est-il pas vrai?
MENG-TSEU dit: Aucunement; cela n'est pas ainsi. Si le ciel donne l'empire au sage, alors [l'empereur] le lui donne; si le ciel le donne au fils, alors [l'empereur] le lui donne.
Autrefois Chun proposa Yu au ciel [en le faisant son ministre]. A la dix-septième année de son administration, Chun mourut. Les trois années de deuil étant écoulées, Yu se sépara du fils de Chun, et se retira dans la contrée de Yang-tching. Les populations de l'empire le suivirent, comme, après la mort de Yao, elles n'avaient pas suivi son fils, mais Chun.
Yu proposa Y au ciel [en le faisant son ministre]. A la septième année de son administration, Yu mourut. Les trois années de deuil étant écoulées, Y se sépara du fils de Yu, et se retira dans la partie septentrionale du mont Ki-chan. Ceux qui au printemps et en automne venaient à la cour porter leurs hommages, qui accusaient quelqu'un ou avaient des procès à vider, ne se rendirent pas près de Y, mais ils se présentèrent à Khi [fils de Yu], en disant: C'est le fils de notre prince. Les poëtes qui louent les hauts faits dans leurs vers, et qui les chantent, ne célébrèrent et ne chantèrent pas Y, mais ils chantèrent Khi en disant: C'est le fils de notre prince[14].
Than-tchou (fils de Yao) était bien dégénéré des vertus de son père; le fils de Chun était aussi bien dégénéré. Chun en aidant Yao à administrer l'empire, Yu en aidant Chun à administrer l'empire, répandirent pendant un grand nombre d'années leurs bienfaits sur les populations. Khi, étant un sage, put accepter et continuer avec tout le respect qui lui était dû le mode de gouvernement de Yu. Comme Y n'avait aidé Yu à administrer l'empire que peu d'années, il n'avait pas pu répandre longtemps ses bienfaits sur le peuple [et s'en faire aimer]. Que Chun, Yu et Y diffèrent mutuellement entre eux par la durée et la longueur du temps [pendant lequel ils ont administré l'empire]; que leurs fils aient été, l'un un sage, les autres des fils dégénérés: ces faits sont l'œuvre du ciel, et non celle qui dépend de la puissance de l'homme. Celui qui opère ou produit des effets sans action apparente, c'est le ciel; ce qui arrive sans qu'on l'ait fait venir, c'est la destinée[15].
Pour qu'un simple et obscur particulier arrive à posséder l'empire, il doit, par ses qualités et ses vertus, ressembler à Yao et à Chun, et en outre il doit se trouver un fils du Ciel [ou empereur] qui le propose à l'acceptation du peuple. C'est pour cela [c'est-à-dire parce qu'il ne fut pas proposé à l'acceptation du peuple par un empereur], que TCHOUNG-NI [ou KHOUNG-TSEU] ne devint pas empereur [quoique ses vertus égalassent celles de Yao et de Chun].
Pour que celui qui, par droit de succession ou par droit héréditaire, possède l'empire, soit rejeté par le ciel, il faut qu'il ressemble aux tyrans Kie et Cheou. C'est pourquoi Y-yin et Tcheou-koung ne possédèrent pas l'empire.
Y-yin, en aidant Thang, le fit régner sur tout l'empire. Thang étant mort, Thaï-ting [son fils aîné] n'avait pas été [avant de mourir aussi] constitué son héritier, et Ngaï-ping n'était âgé que de deux ans, Tchoung-jin que de quatre. Thaï-kia [fils de Thaï-ting] ayant renversé et foulé aux pieds les institutions et les lois de Thang, Y-yin le relégua dans le palais nommé Thoung[16] pendant trois années. Comme Thaï-kia, se repentant de ses fautes passées, les avait prises en aversion et s'en était corrigé; comme il avait cultivé, dans le palais de Thoung, pendant trois ans, les sentiments d'humanité, et qu'il était passé à des sentiments d'équité et de justice en écoutant avec docilité les instructions de Y-yin, ce dernier le fit revenir à la ville de Po, sa capitale.
Tcheou-koung n'eut pas la possession de l'empire par les mêmes motifs qui en privèrent Y sous la dynastie Hia, et Y-yin sous celle des Chang.
KHOUNG-TSEU disait: «Thang [Yao] et Yu [Chun] transférèrent l'empire [à leurs ministres]; les empereurs des dynasties Hia, Heou-yin [ou second Chang] et Tcheou, le transmirent à leurs descendants; les uns et les autres se conduisirent par le même principe d'équité et de justice.»
MENG-TSEU répondit: Aucunement; il n'en est pas ainsi. Lorsque Y-yin s'occupait du labourage dans les champs du royaume de Yeou-sin, et qu'il faisait ses délices de l'étude des institutions de Yao et de Chun, si les principes d'équité et de justice [que ces empereurs avaient répandus] n'avaient pas régné alors, si leurs institutions fondées sur la raison n'avaient pas été établies, quand même on l'aurait rendu maître de l'empire, il aurait dédaigné cette dignité; quand même on aurait mis à sa disposition mille quadriges de chevaux attelés, il n'aurait pas daigné les regarder. Si les principes d'équité et de justice répandus par Yao et Chun n'avaient pas régné alors, si leurs institutions fondées sur la raison n'avaient pas été établies, il n'aurait pas donné un fétu aux hommes, et il n'aurait pas reçu un fétu d'eux.
Thang ayant envoyé des exprès avec des pièces de soie afin de l'engager à venir à sa cour, il répondit avec un air de satisfaction, mais de désintéressement: A quel usage emploierais-je les pièces de soie que Thang m'offre pour m'engager à aller à sa cour? Y a-t-il pour moi quelque chose de préférable à vivre au milieu des champs et à faire mes délices des institutions de Yao et de Chun?
Thang envoya trois fois des exprès pour l'engager à venir à sa cour. Après le départ des derniers envoyés, il fut touché de cette insistance, et, changeant de résolution, il dit: «Au lieu de passer ma vie au milieu des champs, et de faire mon unique plaisir de l'étude des institutions si sages de Yao et de Chun, ne vaut-il pas mieux pour moi de faire en sorte que ce prince soit un prince semblable à ces deux grands empereurs? Ne vaut-il pas mieux pour moi de faire en sorte que ce peuple [que je serai appelé à administrer] ressemble au peuple de Yao et de Chun?. Ne vaut-il pas mieux que je voie moi-même par mes propres yeux ces institutions pratiquées par le prince et par le peuple? Lorsque le ciel [poursuivit Y-yin] fit naître ce peuple, il voulut que ceux qui les premiers connaitraient les principes des actions ou des devoirs moraux instruisissent ceux qui devaient les apprendre d'eux; il voulut que ceux qui les premiers auraient l'intelligence des lois sociales la communiquassent à ceux qui devaient ne l'acquérir qu'ensuite. Moi je suis des hommes de tout l'empire celui qui le premier ai cette intelligence. Je veux, en me servant des doctrines sociales de Yao et de Chun, communiquer l'intelligence de ces doctrines à ce peuple qui les ignore. Si je ne lui en donne pas l'intelligence, qui la lui donnera?»
Il pensait que si parmi les populations de l'empire il se trouvait un simple homme ou une simple femme qui ne comprît pas tous les avantages des institutions de Yao et de Chun, c'était comme s'il l'avait précipité lui-même dans le milieu d'une fosse ouverte sous ses pas. C'est ainsi qu'il entendait se charger du fardeau de l'empire. C'est pourquoi en se rendant près de Thang il lui parla de manière à le déterminer à combattre le dernier roi de la dynastie Hia et à sauver le peuple de son oppression.
Je n'ai pas encore entendu dire qu'un homme, en se conduisant d'une manière tortueuse, ait rendu les autres hommes droits et sincères; à plus forte raison ne le pourrait-il pas s'il s'était déshonoré lui-même[17]. Les actions des saints hommes ne se ressemblent pas toutes. Les uns se retirent à l'écart et dans la retraite, les autres se produisent et se rapprochent du pouvoir; les uns s'exilent du royaume, les autres y restent. Ils ont tous pour but de se rendre purs, exempts de toute souillure, et rien de plus.
J'ai toujours entendu dire que Y-yin avait été recherché par Thang pour sa grande connaissance des doctrines de Yao et de Chun; je n'ai jamais entendu dire que ce fût par son habileté dans l'art de cuire et de découper les viandes.
Le Y-hiun[18] dit: «Le ciel ayant décidé sa ruine, Thang commença par combattre Kie dans le Palais des pasteurs[19]; moi j'ai commencé à Po[20].»
8. Wen-tchang fit cette question: Quelques-uns prétendent que KHOUNG-TSEU, étant dans le royaume de Weï, habita la maison d'un homme qui guérissait les ulcères; et que dans le royaume de Thsi il habita chez un eunuque du nom de Tsi-hoan. Cela est-il vrai?
MENG-TSEU dit: Aucunement; cela n'est pas arrivé ainsi. Ceux qui aiment les inventions ont fabriqué celles-là.
Étant dans le royaume de Weï, il habita chez Yan-tcheou-yeou[21]. Comme la femme de Mi-tseu et celle de Tseu-lou [disciple de KHOUNG-TSEU] étaient sœurs, Mi-tseu, s'adressant à Tseu-lou, lui dit: Si KHOUNG-TSEU logeait chez moi[22], il pourrait obtenir la dignité de King ou de premier dignitaire du royaume de Weï.
Tseu-lou rapporta ces paroles à KHOUNG-TSEU. KHOUNG-TSEU dit: «Il y a un mandat du ciel, une destinée.» KHOUNG-TSEU ne recherchait les fonctions publiques que selon les rites ou les convenances, il ne les quittait que selon les convenances. Qu'il les obtînt ou qu'il ne les obtînt pas, il disait: Il y a une destinée. Mais s'il avait logé chez un homme qui guérissait les ulcères et chez l'eunuque Tsi-hoan, il ne se serait conformé ni à la justice ni à la destinée.
KHOUNG-TSEU n'aimant plus à habiter dans les royaumes de Lou et de Weï, il les quitta, et il tomba dans le royaume de Soung entre les mains de Houan, chef des chevaux du roi, qui voulait l'arrêter et le faire mourir. Mais, ayant revêtu des habits légers et grossiers, il se rendit au delà du royaume de Soung. Dans les circonstances difficiles où il se trouvait alors, KHOUNG-TSEU alla demeurer chez le commandant de ville Tching-tseu, qui était ministre du roi Tcheou, du royaume de Tchin.
J'ai souvent entendu tenir ces propos: «Vous connaîtrez les ministres qui demeurent près du prince, d'après les hôtes qu'ils reçoivent chez eux; vous connaîtrez les ministres éloignés de la cour, d'après les personnes chez lesquelles ils logent.» Si KHOUNG-TSEU avait logé chez l'homme qui guérissait les ulcères et chez l'eunuque Tsi-hoan, comment aurait-il pu s'appeler KHOUNG-TSEU?
9. Wen-tchang fit encore cette question: Quelques-uns disent que Pe-li-hi[23] se vendit pour cinq peaux de mouton à un homme du royaume de Thsin qui gardait les troupeaux; et que pendant qu'il était occupé lui-même à faire paître les bœufs, il sut se faire reconnaître et appeler par Mou-koung, roi de Thsin. Est-ce vrai?
MENG-TSEU dit: Aucunement; cela ne s'est pas passé ainsi. Ceux qui aiment les inventions ont fabriqué celles-là.
Pe-li-hi était un homme du royaume de Yu. Les hommes du royaume de Thsin ayant, avec des présents composés de pierres précieuses de la région Tchoui-ki, et de coursiers nourris dans la contrée nommée Kiouë, demandé au roi de Yu de leur permettre de passer par son royaume pour aller attaquer celui de Kouë, Koung-tchi en détourna le roi; Pe-li-hi ne fit aucune remontrance.
Sachant que le prince de Yu [dont il était ministre] ne pouvait pas suivre les bons conseils qu'il lui donnerait dans cette occasion, il quitta son royaume pour passer dans celui de Thsin. Il était alors âgé de soixante et dix ans. S'il n'avait pas su, à cette époque avancée de sa vie, que de rechercher la faveur de Mou-koung en menant paître des bœufs était une action honteuse, aurait-il pu être nommé doué de sagesse et de pénétration? Comme les remontrances [au roi de Yu] ne pouvaient être suivies, il ne fit pas de remontrances; peut-il pour cela être appelé un homme imprudent? Sachant que le prince de Yu était près de sa perte, il le quitta le premier; il ne peut pas pour cela être appelé imprudent.
En ces circonstances il fut promu dans le royaume de Thsin. Sachant que Mou-koung pourrait agir de concert avec lui, il lui prêta son assistance; peut-on l'appeler pour cela imprudent? En étant ministre du royaume de Thsin, il rendit son prince illustre dans tout l'empire, et sa renommée a pu être transmise aux générations qui l'ont suivi. S'il n'avait pas été un sage, aurait-il pu obtenir ces résultats? Se vendre pour rendre son prince accompli est une action que les hommes les plus grossiers du village, qui s'aiment et se respectent, ne feraient pas; et celui que l'on nomme un sage l'aurait faite!