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Les quatre livres de philosophie morale et politique de la Chine

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[30] Citation du Livre des Vers. Weï-foung, ode Pao-yéou-kou.

[31] Demeure pour passer les années de deuil.

[32] Au lieu de se tenir à un angle de l'appartement, comme il convenait à un jeune homme.

[33] Au lieu de marcher à leur suite.


CHAPITRE XV,

COMPOSÉ DE 41 ARTICLES.

1. Ling-kong, prince de Weï, questionna KHOUNG-TSEU sur l'art militaire. KHOUNG-TSEU lui répondit avec déférence: Si vous m'interrogiez sur les affaires des cérémonies et des sacrifices, je pourrais vous répondre en connaissance de cause. Quant aux affaires de l'art militaire, je ne les ai pas étudiées. Le lendemain matin il partit.

Étant arrivé dans l'État de Tching, les vivres lui manquèrent complètement. Les disciples qui le suivaient tombaient de faiblesse, sans pouvoir se relever.

Tseu-lou, manifestant son mécontentement, dit: Les hommes supérieurs éprouvent donc aussi les besoins de la faim? Le Philosophe dit: L'homme supérieur est plus fort que le besoin; l'homme vulgaire, dans le besoin, se laisse aller à la défaillance.

2. Le Philosophe dit: Sse, ne pensez-vous pas que j'ai beaucoup appris, et que j'ai retenu tout cela dans ma mémoire?

[Le disciple] répondit avec respect: Assurément; n'en est-il pas ainsi?

Il n'en est pas ainsi; je ramène tout à un seul principe.

3. Le Philosophe dit: Yeou [petit nom de Tseu-lou], ceux qui connaissent la vertu sont bien rares!

4. Le Philosophe dit: Celui qui sans agir gouvernait l'État, n'était-ce pas Chun? comment faisait-il? Offrant toujours dans sa personne l'aspect vénérable de la vertu, il n'avait qu'à se tenir la face tournée vers le midi, et cela suffisait.

5. Tseu-tchang demanda comment il fallait se conduire dans la vie.

Le Philosophe dit: Que vos paroles soient sincères et fidèles; que vos actions soient constamment honorables et dignes; quand même vous seriez dans le pays des barbares du midi et du nord, votre conduite sera exemplaire. Mais, si vos paroles ne sont pas sincères et fidèles, vos actions constamment honorables et dignes, quand même vous seriez dans une cité de deux mille familles, ou dans un hameau de vingt-cinq, que penserait-on de votre conduite?

Lorsque vous êtes en repos, ayez toujours ces maximes sous les yeux; lorsque vous voyagez sur un char, voyez-les inscrites sur le joug de votre attelage. De cette manière, votre conduite sera exemplaire.

Tseu-tchang écrivit ces maximes sur sa ceinture.

6. Le Philosophe dit: Oh! qu'il était droit et véridique l'historiographe Yu (grand dignitaire du royaume de Weï)! Lorsque l'État était gouverné selon les principes de la raison, il allait droit comme une flèche; lorsque l'État n'était pas gouverné par les principes de la raison, il allait également droit comme une flèche.

Khiu-pe-yu était un homme supérieur! Si l'État était gouverné par les principes de la droite raison, alors il remplissait des fonctions publiques; si l'État n'était pas gouverné par les principes de la droite raison, alors il résignait ses fonctions et se retirait dans la solitude.

7. Le Philosophe dit: Si vous devez vous entretenir avec un homme [sur des sujets de morale], et que vous ne lui parliez pas, vous le perdez. Si un homme n'est pas disposé à recevoir vos instructions morales, et que vous les lui donniez, vous perdez vos paroles. L'homme sage et éclairé ne perd pas les hommes [faute de les instruire]; il ne perd également pas ses instructions.

8. Le Philosophe dit: Le lettré qui a les pensées grandes et élevées, l'homme doué de la vertu de l'humanité, ne cherchent point à vivre pour nuire à l'humanité; ils aimeraient mieux livrer leur personne à la mort pour accomplir la vertu de l'humanité.

9. Tseu-koung demanda en quoi consistait la pratique de l'humanité. Le Philosophe dit: L'artisan qui veut bien exécuter son œuvre doit commencer par bien aiguiser ses instruments. Lorsque vous habiterez dans un État quelconque, fréquentez pour les imiter les sages d'entre les grands fonctionnaires de cet État, et liez-vous d'amitié avec les hommes humains et vertueux d'entre les lettrés.

10. Yan-youan demanda comment il fallait gouverner un État.

Le Philosophe dit: Suivez la division des temps de la dynastie Hia.

Montez les chars de la dynastie Yn; portez les bonnets de la dynastie Tcheou. Quant à la musique, adoptez les airs chaô-woû [de Chun].

Rejetez les modulations de Tching; éloignez de vous les flatteurs. Les modulations de Tching sont licencieuses; les flatteurs sont dangereux.

11. Le Philosophe dit: L'homme qui ne médite ou ne prévoit pas les choses éloignées doit éprouver un chagrin prochain.

12. Le Philosophe dit: Hélas! je n'ai encore vu personne qui aimât la vertu comme on aime la beauté corporelle[34].

13. Le Philosophe dit: Tsang-wen-tchoung n'était-il pas un secret accapareur d'emplois publics? Il connaissait la sagesse et les talents de Lieou-hia-hoeï, et il ne voulut point qu'il put siéger avec lui à la cour.

14. Le Philosophe dit: Soyez sévères envers vous-mêmes et indulgents envers les autres, alors vous éloignerez de vous les ressentiments.

15. Le Philosophe dit: Si un homme ne dit point souvent en lui-même: Comment ferai-je ceci? comment éviterai-je cela? comment, moi, pourrais-je lui dire: Ne faites pas ceci, évitez cela? C'en est fait de lui.

16. Le Philosophe dit: Quand une multitude de personnes se trouvent ensemble pendant toute une journée, leurs paroles ne sont pas toutes celles de l'équité et de la justice; elles aiment à ne s'occuper que de choses vulgaires et pleines de ruses. Qu'il leur est difficile de faire le bien!

17. Le Philosophe dit: L'homme supérieur fait de l'équité et de la justice la base de toutes ses actions; les rites forment la règle de sa conduite; la déférence et la modestie le dirigent au dehors; la sincérité et la fidélité lui servent d'accomplissements. N'est-ce pas un homme supérieur?

18. Le Philosophe dit: L'homme supérieur s'afflige de son impuissance [à faire tout le bien qu'il désire]; il ne s'afflige pas d'être ignoré et méconnu des hommes.

19. Le Philosophe dit: L'homme supérieur regrette de voir sa vie s'écouler sans laisser après lui des actions dignes d'éloges.

20. Le Philosophe dit: L'homme supérieur ne demande rien qu'à lui-même; l'homme vulgaire et sans mérite demande tout aux autres.

21. Le Philosophe dit: L'homme supérieur est ferme dans ses résolutions, sans avoir de différends avec personne; il vit en paix avec la foule, sans être de la foule.

22. Le Philosophe dit: L'homme supérieur ne donne pas de l'élévation à un homme pour ses paroles; il ne rejette pas des paroles à cause de l'homme qui les a prononcées.

23. Tseu-koung fit une question en ces termes: Y a-t-il un mot dans la langue que l'on puisse se borner à pratiquer seul jusqu'à la fin de l'existence? Le Philosophe dit: Il y a le mot chou[35], dont le sens est: Ce que l'on ne désire pas qui nous soit fait, il ne faut pas le faire aux autres.

24. Le Philosophe dit: Dans mes relations avec les hommes, m'est-il arrivé de blâmer quelqu'un, ou de le louer outre mesure? S'il se trouve quelqu'un que j'aie loué outre mesure, il a pris à tâche de justifier par la suite mes éloges.

Ces personnes [dont j'aurais exagéré les défauts ou les qualités] pratiquent les lois d'équité et de droiture des trois dynasties; [quel motif aurais-je eu de les en blâmer]?

25. Le Philosophe dit: J'ai presque vu le jour où l'historien de l'empire laissait des lacunes dans ses récits [quand il n'était pas sûr des faits]; où celui qui possédait un cheval le prêtait aux autres pour le monter; maintenant ces mœurs sont perdues.

26. Le Philosophe dit: Les paroles artificieuses pervertissent la vertu même; une impatience capricieuse ruine les plus grands projets.

27. Le Philosophe dit: Que la foule déteste quelqu'un, vous devez examiner attentivement avant de juger; que la foule se passionne pour quelqu'un, vous devez examiner attentivement avant de juger.

28. Le Philosophe dit: L'homme peut agrandir la voie de la vertu; la voie de la vertu ne peut pas agrandir l'homme.

29. Le Philosophe dit: Celui qui a une conduite vicieuse, et ne se corrige pas, celui-là peut être appelé vicieux.

30. Le Philosophe dit: J'ai passé des journées entières sans nourriture, et des nuits entières sans sommeil, pour me livrer à des méditations, et cela sans utilité réelle; l'étude est bien préférable.

31. Le Philosophe dit: L'homme supérieur ne s'occupe que de la droite voie; il ne s'occupe pas du boire et du manger. Si vous cultivez la terre, la faim se trouve souvent au milieu de vous; si vous étudiez, la félicité se trouve dans le sein même de l'étude. L'homme supérieur ne s'inquiète que de ne pas atteindre la droite voie; il ne s'inquiète pas de la pauvreté.

32. Le Philosophe dit: Si l'on a assez de connaissance pour atteindre à la pratique de la raison, et que la vertu de l'humanité que l'on possède ne suffise pas pour persévérer dans cette pratique; quoiqu'on y parvienne, on finira nécessairement par l'abandonner.

Dans le cas où l'on aurait assez de connaissance pour atteindre à la pratique de la raison, et où la vertu de l'humanité que l'on possède suffirait pour persévérer dans cette pratique; si l'on n'a ni gravité ni dignité, alors le peuple n'a aucune considération pour vous.

Enfin, quand même on aurait assez de connaissance pour atteindre à la pratique de la raison, que la vertu de l'humanité que l'on possède suffirait pour persévérer dans cette pratique, et que l'on y joindrait la gravité et la dignité convenables; si l'on traite le peuple d'une manière contraire aux rites, il n'y a pas encore là de vertu.

33. Le Philosophe dit: L'homme supérieur ne peut pas être connu et apprécié convenablement dans les petites choses, parce qu'il est capable d'en entreprendre de grandes. L'homme vulgaire, au contraire, n'étant pas capable d'entreprendre de grandes choses, peut être connu et apprécié dans les petites.

34, Le Philosophe dit: La vertu de l'humanité est plus salutaire aux hommes que l'eau et le feu: j'ai vu des hommes mourir pour avoir foulé l'eau et le feu; je n'en ai jamais vu mourir pour avoir foulé le sentier de l'humanité.

35. Le Philosophe dit: Faites-vous un devoir de pratiquer la vertu de l'humanité, et ne l'abandonnez pas même sur l'injonction de vos instituteurs.

36. Le Philosophe dit: L'homme supérieur se conduit toujours conformément à la droiture et à la vérité, et il n'a pas d'obstination.

37. Le Philosophe dit: En servant un prince, ayez beaucoup de soin et d'attention pour ses affaires, et faites peu de cas de ses émoluments.

38. Le Philosophe dit: Ayez des enseignements pour tout le monde, sans distinction de classes ou de rangs.

39. Le Philosophe dit: Les principes de conduite étant différents, on ne peut s'aider mutuellement par des conseils.

40. Le Philosophe dit: Si les expressions dont on se sert sont nettes et intelligibles, cela suffit.

L'intendant de la musique, nommé Mian[36], vint un jour voir (KHOUNG-TSEU). Arrivé au pied des degrés, le Philosophe lui dit: Voici les degrés. Arrivé près des siéges, le Philosophe lui dit: Voici les siéges. Et tous deux s'assirent. Le Philosophe l'informa alors qu'un tel s'était assis là, un tel autre là. L'intendant de la musique, Mian, étant parti, Tseu-tchang fit une question en ces termes: Ce que vous avez dit à l'intendant est-il conforme aux principes?

41. Le Philosophe dit: Assurément; c'est là la manière d'aider et d'assister les maîtres d'une science quelconque.

[34] Voyez la même pensée exprimée ci-devant.

[35] Voyez ce mot, et l'explication que nous en avons donnée dans notre édition déjà citée du Ta-hio, en chinois, en latin et en français, avec la traduction complète du commentaire de Tchou-hi, p. 66. Voyez aussi la même maxime déjà plusieurs fois exprimée précédemment.

[36] Il était aveugle.


CHAPITRE XVI,

COMPOSÉ DE 14 ARTICLES.

1. Ki-chi était sur le point d'aller combattre Tchouan-yu[37].

Jan-yeou et Ki-lou, qui étaient près de KHOUNG-TSEU, lui dirent: Ki-chi se prépare à avoir un démêlé avec Tchouan-yu.

Le Philosophe dit: Khieou (Jan-tjeou)! n'est-ce pas votre faute?

Ce Tchouan-yu reçut autrefois des anciens rois la souveraineté sur Thoung-moung[38].

En outre, il rentre par une partie de ses confins dans le territoire de l'État (de Lou). Il est le vassal des esprits de la terre et des grains [c'est un État vassal du prince de Lou]. Comment aurait-il à subir une invasion?

Jan-yeou dit: Notre maître le désire. Nous deux, ses ministres, nous ne le désirons pas.

KHOUNG-TSEU dit: Khieou! [l'ancien et illustre historien] Tcheou-jin a dit: «Tant que vos forces vous servent, remplissez votre devoir; si vous ne pouvez pas le remplir, cessez vos fonctions. Si un homme en danger n'est pas secouru; si, lorsqu'on le voit tomber, on ne le soutient pas, alors à quoi servent ceux qui sont là pour l'assister?»

Il suit de là que vos paroles sont fautives. Si le tigre ou le buffle s'échappent de l'enclos où ils sont renfermés; si la tortue à la pierre précieuse s'échappe du coffre où elle était gardée, à qui en est la faute?

Jan-yeou dit: Maintenant, ce pays de Tchouan-yu est fortifié, et se rapproche beaucoup de Pi [ville appartenant en propre à Ki-chi]. Si maintenant on ne s'en empare pas, il deviendra nécessairement, dans les générations à venir, une source d'inquiétudes et de troubles pour nos fils et nos petits-fils.

KHOUNG-TSEU dit: Khieou! l'homme supérieur hait ces détours d'un homme qui se défend de toute ambition cupide, lorsque ses actions le démentent.

J'ai toujours entendu dire que ceux qui possèdent un royaume, ou qui sont chefs de grandes familles, ne se plaignent pas de ce que ceux qu'ils gouvernent ou administrent sont peu nombreux, mais qu'ils se plaignent de ne pas avoir l'étendue de territoire qu'ils prétendent leur être due; qu'ils ne se plaignent pas de la pauvreté où peuvent se trouver les populations, mais qu'ils se plaignent de la discorde qui règne entre elles et eux. Car, si chacun obtient la part qui lui est due, il n'y a point de pauvres; si la concorde règne, il n'y a pas pénurie d'habitants; s'il y a paix et tranquillité, il n'y a pas cause de ruine ou de révolution.

Les choses doivent se passer ainsi. C'est pourquoi, si les populations éloignées ne sont pas soumises, alors cultivez la science et la vertu, afin de les ramener à vous par vos mérites. Une fois qu'elles sont revenues à l'obéissance, alors faites-les jouir de la paix et de la tranquillité.

Maintenant, Yeou et Khieou, en aidant votre maître, vous ne ramènerez pas à l'obéissance les populations éloignées, et celles-ci ne pourront venir se soumettre d'elles-mêmes. L'État est divisé, troublé, déchiré par les dissensions intestines, et vous n'êtes pas capables de le protéger.

Et cependant vous projetez de porter les armes au sein de cet État. Je crains bien que les petits-fils de Ki n'éprouvent un jour que la source continuelle de leurs craintes et de leurs alarmes n'est pas dans le pays de Tchouan-yu, mais dans l'intérieur de leur propre famille.

2. KHOUNG-TSEU dit: Quand l'empire est gouverné par les principes de la droite raison, alors les rites, la musique, la guerre pour soumettre les rebelles, procèdent des fils du Ciel [des empereurs]. Si l'empire est sans loi, s'il n'est pas gouverné par les principes de la droite raison, alors les rites, la musique, la guerre pour soumettre les rebelles, procèdent des princes tributaires ou des vassaux de tous les rangs. Quand [ces choses, qui sont exclusivement dans les attributions impériales,] procèdent des princes tributaires, il arrive rarement que, dans l'espace de dix générations[39], ces derniers ne perdent pas leur pouvoir usurpé [qui tombe alors dans les mains des grands fonctionnaires publics]. Quand il arrive que ces actes de l'autorité impériale procèdent des grands fonctionnaires, il est rare que, dans l'espace de cinq générations, ces derniers ne perdent pas leur pouvoir [qui tombe entre les mains des intendants des grandes familles]. Quand les intendants des grandes familles s'emparent du pouvoir royal, il est rare qu'ils ne le perdent pas dans l'espace de trois générations.

Si l'empire est gouverné selon les principes de la droite raison, alors l'administration ne réside pas dans les grands fonctionnaires.

Si l'empire est gouverné selon les principes de la droite raison, alors les hommes de la foule ne s'occupent pas à délibérer et à exprimer leur sentiment sur les actes qui dépendent de l'autorité impériale.

3. KHOUNG-TSEU dit: Les revenus publics n'ont pas été versés à la demeure du prince pendant cinq générations; la direction des affaires publiques est tombée entre les mains des grands fonctionnaires pendant quatre générations. C'est pourquoi les fils et les petits-fils des trois Houan [trois familles de princes de Lou] ont été si affaiblis.

4. KHOUNG-TSEU dit: Il y a trois sortes d'amis qui sont utiles, et trois sortes qui sont nuisibles. Les amis droits et véridiques, les amis fidèles et vertueux, les amis qui ont éclairé leur intelligence, sont les amis utiles; les amis qui affectent une gravité tout extérieure et sans droiture, les amis prodigues d'éloges et de basses flatteries, les amis qui n'ont que de la loquacité sans intelligence, sont les amis nuisibles.

5. KHOUNG-TSEU dit: Il y a trois sortes de joies ou satisfactions qui sont utiles, et trois sortes qui sont nuisibles. La satisfaction de s'instruire à fond dans les rites et la musique, la satisfaction d'instruire les hommes dans les principes de la vertu, la satisfaction de posséder l'amitié d'un grand nombre de sages, sont les joies ou satisfactions utiles; la satisfaction que donne la vanité et l'orgueil, la satisfaction de l'oisiveté et de la mollesse, la satisfaction de la bonne chère et des plaisirs, sont les satisfactions nuisibles.

6. KHOUNG-TSEU dit: Ceux qui sont auprès des princes vertueux pour les aider dans leurs devoirs ont trois fautes à éviter: de parler sans y avoir été invités, ce qui est appelé précipitation; de ne pas parler lorsqu'on y est invité, ce qui est appelé taciturnité; de parler sans avoir observé la contenance et la disposition [du prince], ce qui est appelé aveuglement.

7. KHOUNG-TSEU dit: Il y a pour l'homme supérieur trois choses dont il cherche à se préserver: dans le temps de la jeunesse, lorsque le sang et les esprits vitaux ne sont pas encore fixés [que la forme corporelle n'a pas encore pris tout son développement][40], ce que l'on doit éviter, ce sont les plaisirs sensuels; quand on a atteint la maturité, et que le sang et les esprits vitaux ont acquis toute leur force et leur vigueur, ce que l'on doit éviter, ce sont les rixes et les querelles; quand on est arrivé à la vieillesse, que le sang et les esprits vitaux tombent dans un état de langueur, ce que l'on doit éviter, c'est le désir d'amasser des richesses.

8. KHOUNG-TSEU dit: Il y a trois choses que l'homme supérieur révère: il révère les décrets du ciel, il révère les grands hommes, il révère les paroles des saints.

Les hommes vulgaires ne connaissent pas les décrets du ciel, et par conséquent ils ne les révèrent pas; ils font peu de cas des grands hommes, et ils se jouent des paroles des saints.

9. KHOUNG-TSEU dit: Ceux qui, du jour même de leur naissance, possèdent la science, sont les hommes du premier ordre [supérieurs à tous les autres]; ceux qui, par l'étude, acquièrent la science, viennent après eux; ceux qui, ayant l'esprit lourd et épais, acquièrent cependant des connaissances par l'étude, viennent ensuite; enfin ceux qui, ayant l'esprit lourd et épais, n'étudient pas et n'apprennent rien, ceux-là sont du dernier rang parmi les hommes.

10. KHOUNG-TSEU dit: L'homme supérieur, ou l'homme accompli dans la vertu, a neuf sujets principaux de méditations: en regardant, il pense à s'éclairer; en écoutant, il pense à s'instruire; dans son air et son attitude, il pense à conserver du calme et de la sérénité; dans sa contenance, il pense à conserver toujours de la gravité et de la dignité; dans ses paroles, il pense à conserver toujours de la fidélité et de la sincérité; dans ses actions, il pense à s'attirer toujours du respect; dans ses doutes, il pense à interroger les autres; dans la colère, il pense à réprimer ses mouvements; en voyant des gains à obtenir, il pense à la justice.

11. KHOUNG-TSEU dit: «On considère le bien comme si on pouvait l'atteindre; on considère le vice comme si on touchait de l'eau bouillante.» J'ai vu des hommes agir ainsi, et j'ai entendu des hommes tenir ce langage.

«On se retire dans le secret de la solitude pour chercher dans sa pensée les principes de la raison; on cultive la justice pour mettre en pratique ces mêmes principes de la raison.» J'ai entendu tenir ce langage, mais je n'ai pas encore vu d'homme agir ainsi.

12. King-kong, prince de Thsi, avait mille quadriges de chevaux. Après sa mort, on dit que le peuple ne trouva à louer en lui aucune vertu. Pei et Chou-tsi moururent de faim au bas de la montagne Cheou-yang, et le peuple n'a cessé jusqu'à nos jours de faire leur éloge.

N'est-ce pas cela que je disais?

13. Tchin-kang fit une question à Pe-yu (fils de KHOUNG-TSEU) en ces termes: Avez-vous entendu des choses extraordinaires?

Il lui répondit avec déférence: Je n'ai rien entendu. [Mon père] est presque toujours seul. Moi Li, en passant un jour rapidement dans la salle, je fus interpellé par lui en ces termes: Etudiez-vous le Livre des Vers? Je lui répondis avec respect: Je ne l'ai pas encore étudié.—Si vous n'étudiez pas le Livre des Vers, vous n'aurez rien à dire dans la conversation. Je me retirai, et j'étudiai le Livre des Vers.

Un autre jour qu'il était seul, je passai encore à la hâte dans la salle, et il me dit: Etudiez-vous le Livre des Rites? Je lui répondis avec respect: Je ne l'ai pas encore étudié.—Si vous n'étudiez pas le Livre des Rites, vous n'aurez rien pour vous fixer dans la vie. Je me retirai, et j'étudiai le Livre des Rites.

Après avoir entendu ces paroles, Tchin-kang s'en retourna et s'écria tout joyeux: J'ai fait une question sur une chose, et j'ai obtenu la connaissance de trois. J'ai entendu parler du Livre des Vers, du Livre des Rites; j'ai appris en outre que l'homme supérieur tenait son fils éloigné de lui.

14. L'épouse du prince d'un État est qualifiée par le prince lui-même de Fou-jin, ou compagne de l'homme. Cette épouse [nommée Fou-jin] s'appelle elle-même petite fille. Les habitants de l'État l'appellent épouse ou compagne du prince. Elle se qualifie, devant les princes des différents États, pauvre petite reine. Les hommes des différents États la nomment aussi compagne du prince.

[37] Nom d'un royaume. (Commentaire.)

[38] Nom d'une montagne. (Ibid.)

[39] Ou de dix périodes de trente années.

[40] Commentaire.


CHAPITRE XVII,

COMPOSÉ DE 26 ARTICLES.

1. Yang-ho (intendant de la maison de Ki-chi) désira que KHOUNG-TSEU lui fit une visite. KHOUNG-TSEU n'alla pas le voir. L'intendant l'engagea de nouveau en lui envoyant un porc. KHOUNG-TSEU, ayant choisi le moment où il était absent pour lui faire ses compliments, le rencontra dans la rue.

[Yang-ho] aborda KHOUNG-TSEU en ces termes: Venez, j'ai à parler avec vous. Il dit: Cacher soigneusement dans son sein des trésors précieux, pendant que son pays est livré aux troubles et à la confusion, peut-on appeler cela de l'humanité? [Le Philosophe] dit: On ne le peut.—Aimer à s'occuper des affaires publiques et toujours perdre les occasions de le faire, peut-on appeler cela sagesse et prudence? [Le Philosophe] dit: On ne le peut.—Les soleils et les lunes [les jours et les mois] passent, s'écoulent rapidement. Les années ne sont pas à notre disposition.—KHOUNG-TSEU dit: C'est bien, je me chargerai d'un emploi public.

2. Le Philosophe dit: Par la nature, nous nous rapprochons beaucoup les uns des autres; par l'éducation, nous devenons très-éloignés.

3. Le Philosophe dit: Il n'y a que les hommes d'un savoir et d'une intelligence supérieurs qui ne changent point en vivant avec les hommes de la plus basse ignorance, de l'esprit le plus lourd et le plus épais.

4. Le Philosophe s'étant rendu à Wou-tching (petite ville de Lou), il y entendit un concert de voix humaines mêlées aux sons d'un instrument à cordes.

Le maître se prit à sourire légèrement, et dit: Quand on tue une poule, pourquoi se servir d'un glaive qui sert à tuer les bœufs?

Tseu-yeou répondit avec respect: Autrefois, moi Yen, j'ai entendu dire à mon maître que si l'homme supérieur qui occupe un emploi élevé dans le gouvernement étudie assidûment les principes de la droite raison [les rites, la musique, etc.], alors par cela même il aime les hommes et il en est aimé; et que si les hommes du peuple étudient assidûment les principes de la droite raison, alors ils se laissent facilement gouverner.

Le Philosophe dit: Mes chers disciples, les paroles de Yen sont justes. Dans ce que j'ai dit il y a quelques instants, je ne faisais que plaisanter.

5. Kong-chan, feï-jao (ministre de Ki-chi), ayant appris qu'une révolte avait éclaté à Pi, en avertit le Philosophe, selon l'usage. Le Philosophe désirait se rendre auprès de lui.

Tseu-lou, n'étant pas satisfait de cette démarche, dit: Ne vous y rendez pas, rien ne vous y oblige; qu'avez-vous besoin d'aller voir la famille de Kong-chan?

Le Philosophe dit: Puisque cet homme m'appelle, pourquoi n'aurait-il aucun motif d'agir ainsi? S'il lui arrive de m'employer, je ferai du royaume de Lou un État de Tcheou oriental[41].

6. Tseu-tchang demanda à KHOUNG-TSEU ce que c'était que la vertu de l'humanité. KHOUNG-TSEU dit: Celui qui peut accomplir cinq choses dans le monde est doué de la vertu de l'humanité. [Tseu-tchang] demanda en suppliant quelles étaient ces cinq choses. [Le Philosophe] dit: Le respect de soi-même et des autres, la générosité, la fidélité ou la sincérité, l'application au bien, et la bienveillance pour tous.

Si vous observez dans toutes vos actions le respect de vous-même et des autres, alors vous ne serez méprisé de personne; si vous êtes généreux, alors vous obtiendrez l'affection du peuple; si vous êtes sincère et fidèle, alors les hommes auront confiance en vous; si vous êtes appliqué au bien, alors vous aurez des mérites; si vous êtes bienveillant et miséricordieux, alors vous aurez tout ce qu'il faut pour gouverner les hommes.

7. Pi-hi (grand fonctionnaire de l'État de Tçin) demanda à voir [KHOUNG-TSEU]. Le Philosophe désira se rendre à son invitation.

Tseu-lou dit: Autrefois, moi Yeou, j'ai souvent entendu dire à mon maître ces paroles: Si quelqu'un commet des actes vicieux de sa propre personne, l'homme supérieur ne doit pas entrer dans sa demeure. Pi-hi s'est révolté contre Tchoung-meou[42]; d'après cela, comment expliquer la visite de mon maître?

Le Philosophe dit: Oui, sans doute, j'ai tenu ces propos; mais ne disais-je pas aussi: Les corps les plus durs ne s'usent-ils point par le frottement? Ne disais-je pas encore: La blancheur inaltérable ne devient-elle pas noire par son contact avec une couleur noire? Pensez-vous que je suis un melon de saveur amère, qui n'est bon qu'à être suspendu sans être mangé?

8. Le Philosophe dit: Yeou, avez-vous entendu parler des six maximes et des six défauts qu'elles impliquent? [Le disciple] répondit avec respect: Jamais.—Prenez place à côté de moi, je vais vous les expliquer.

L'amour de l'humanité, sans l'amour de l'étude, a pour défaut l'ignorance ou la stupidité; l'amour de la science, sans l'amour de l'étude, a pour défaut l'incertitude ou la perplexité; l'amour de la sincérité et de la fidélité, sans l'amour de l'étude, a pour défaut la duperie; l'amour de la droiture, sans l'amour de l'étude, a pour défaut une témérité inconsidérée; l'amour du courage viril, sans l'amour de l'étude, a pour défaut l'insubordination; l'amour de la fermeté et de la persévérance, sans l'amour de l'étude, a pour défaut la démence ou l'attachement à une idée fixe.

9. Le Philosophe dit: Mes chers disciples, pourquoi n'étudiez-vous pas le Livre des Vers?

Le Livre des Vers est propre à élever les sentiments et les idées;

Il est propre à former le jugement par la contemplation des choses;

Il est propre à réunir les hommes dans une mutuelle harmonie;

Il est propre à exciter des regrets sans ressentiments.

[On y trouve enseigné] que lorsqu'on est près de ses parents, on doit les servir, et que lorsqu'on en est éloigné, on doit servir le prince.

On s'y instruit très au long des noms d'arbres, de plantes, de bêtes sauvages et d'oiseaux.

10. Le Philosophe interpella Pé-yu (son fils), en disant: Vous exercez-vous dans l'étude du Tcheou-nan et du Tchao-nan [les deux premiers chapitres du Livre des Vers]? Les hommes qui n'étudient pas le Tcheou-nan et le Tchao-nan sont comme s'ils se tenaient debout le visage tourné vers la muraille.

11. Le Philosophe dit: On cite à chaque instant les Rites! les Rites! Les pierres précieuses et les habits de cérémonies ne sont-ils pas pour vous tout ce qui constitue les rites? On cite à chaque instant la Musique! la Musique! Les clochettes et les tambours ne sont-ils pas pour vous tout ce qui constitue la musique?

12. Le Philosophe dit: Ceux qui montrent extérieurement un air grave et austère, lorsqu'ils sont intérieurement légers et pusillanimes, sont à comparer aux hommes les plus vulgaires. Ils ressemblent à des larrons qui veulent percer un mur pour commettre leurs vols.

13. Le Philosophe dit: Ceux qui recherchent les suffrages des villageois sont des voleurs de vertus.

14. Le Philosophe dit: Ceux qui dans la voie publique écoutent une affaire et la discutent font un abandon de la vertu.

15. Le Philosophe dit: Comment les hommes vils et abjects pourraient-ils servir le prince?

Ces hommes, avant d'avoir obtenu leurs emplois, sont déjà tourmentés de la crainte de ne pas les obtenir; lorsqu'ils les ont obtenus, ils sont tourmentés de la crainte de les perdre.

Dès l'instant qu'ils sont tourmentés de la crainte de perdre leurs emplois, il n'est rien dont ils ne soient capables.

16. Le Philosophe dit: Dans l'antiquité, les peuples avaient trois travers d'esprit; de nos jours, quelques-uns de ces travers sont perdus; l'ambition des anciens s'attachait aux grandes choses et dédaignait les petites; l'ambition des hommes de nos jours est modérée sur les grandes choses et très-ardente sur les petites.

La gravité et l'austérité des anciens étaient modérées sans extravagance; la gravité et l'austérité des hommes de nos jours est irascible, extravagante. La grossière ignorance des anciens était droite et sincère; la grossière ignorance des hommes de nos jours n'est que fourberie, et voilà tout.

17. Le Philosophe dit: Les hommes aux paroles artificieuses et fleuries, aux manières engageantes, sont rarement doués de la vertu de l'humanité.

18. Le Philosophe dit: Je déteste la couleur violette [couleur intermédiaire], qui dérobe aux regards la véritable couleur de pourpre. Je déteste les sons musicaux de Tching, qui portent le trouble et la confusion dans la véritable musique. Je déteste les langues aiguës [ou calomniatrices], qui bouleversent les États et les familles.

19. Le Philosophe dit: Je désire ne pas passer mon temps à parler.

Tseu-koung dit: Si notre maître ne parle pas, alors comment ses disciples transmettront-ils ses paroles à la postérité?

Le Philosophe dit: Le ciel, comment parle-t-il? les quatre saisons suivent leur cours; tous les êtres de la nature reçoivent tour à tour l'existence. Comment le ciel parle-t-il?

20. Jou-pei[43] désirait voir KHOUNG-TSEU. KHOUNG-TSEU s'excusa sur son indisposition; mais aussitôt que le porteur du message fut sorti de la porte, le Philosophe prit sa guitare, et se mit à chanter, dans le dessein de se faire entendre.

21. Tsaï-ngo demanda si, au lieu de trois années de deuil après la mort des parents, une révolution de douze lunes [ou une année] ne suffirait pas.

Si l'homme supérieur n'observait pas les rites sur le deuil pendant trois années, ces rites tomberaient certainement en désuétude; si pendant trois années il ne cultivait pas la musique, la musique certainement périrait.

Quand les anciens fruits sont parvenus à leur maturité, de nouveaux fruits se montrent et prennent leur place. On change le feu en forant les bois qui le donnent[44]. Une révolution de douze lunes peut suffire pour toutes ces choses.

Le Philosophe dit: Si l'on se bornait à se nourrir du plus beau riz, et à se vêtir des plus beaux habillements, seriez-vous satisfait et tranquille?—Je serais satisfait et tranquille.

Si vous vous trouvez satisfait et tranquille de cette manière d'agir, alors pratiquez-la.

Mais cet homme supérieur [dont vous avez parlé], tant qu'il sera dans le deuil de ses parents, ne trouvera point de douceur dans les mets les plus recherchés qui lui seront offerts; il ne trouvera point de plaisir à entendre la musique, il ne trouvera point de repos dans les lieux qu'il habitera. C'est pourquoi il ne fera pas [ce que vous proposez; il ne réduira pas ses trois années de deuil à une révolution de douze lunes]. Maintenant, si vous êtes satisfait de cette réduction, pratiquez-la.

Tsaï-ngo étant sorti, le Philosophe dit: Yu (petit nom de Tsaï-ngo) n'est pas doué de la vertu de l'humanité. Lorsque l'enfant a atteint sa troisième année d'âge, il est sevré du sein de ses père et mère; alors suivent trois années de deuil pour les parents; ce deuil est en usage dans tout l'empire; Yu n'a-t-il pas eu ces trois années d'affection publique de la part de ses père et mère?

22. Le Philosophe dit: Ceux qui ne font que boire et manger pendant toute la journée, sans employer leur intelligence à quelque objet digne d'elle, font pitié. N'y a-t-il pas le métier de bateleur? Qu'ils le pratiquent, ils seront des sages en comparaison!

23. Tseu-lou dit: L'homme supérieur estime-t-il beaucoup le courage viril? Le Philosophe dit: L'homme supérieur met au-dessus de tout l'équité et la justice. Si l'homme supérieur possède le courage viril ou la bravoure sans la justice, il fomente des troubles dans L'État. L'homme vulgaire qui possède le courage viril, ou la bravoure sans la justice, commet des violences et des rapines.

24. Tseu-koung dit: L'homme supérieur a-t-il en lui des sentiments de haine ou d'aversion? Le Philosophe dit: Il a en lui des sentiments de haine ou d'aversion. Il hait ou déteste ceux qui divulguent les fautes des autres hommes; il déteste ceux qui, occupant les rangs les plus bas de la société, calomnient leurs supérieurs; il déteste les braves et les forts qui ne tiennent aucun compte des rites; il déteste les audacieux et les téméraires qui s'arrêtent au milieu de leurs entreprises sans avoir le cœur de les achever.

[Tseu-koung] dit: C'est aussi ce que moi Sse, je déteste cordialement. Je déteste ceux qui prennent tous les détours, toutes les précautious possibles pour être considérés comme des hommes d'une prudence accomplie; je déteste ceux qui rejettent toute soumission, toute règle de discipline, afin de passer pour braves et courageux; je déteste ceux qui révèlent les défauts secrets des autres, afin de passer pour droits et sincères.

25. Le Philosophe dit: Ce sont les servantes et les domestiques qui sont les plus difficiles à entretenir. Les traitez-vous comme des proches, alors ils sont insoumis; les tenez-vous éloignés, ils conçoivent de la haine et des ressentiments.

26. Le Philosophe dit: Si, parvenu à l'âge de quarante ans [l'âge de la maturité de la raison], on s'attire encore la réprobation [des sages], c'en est fait, il n'y a plus rien à espérer.

[41] C'est-à-dire qu'il introduira dans l'État de Lou, situé à l'orient de celui des Tcheou, les sages doctrines de l'antiquité conservées dans ce dernier État.

[42] Nom de cité.

[43] Homme du royaume de Lou.

[44] C'était un usage de renouveler le feu à chaque saison.


CHAPITRE XVIII,

COMPOSÉ DE 11 ARTICLES.

1. Weï-tseu[45] ayant résigné ses fonctions, Ki-tseu[46] devint l'esclave (de Cheou-sin). Pi-kan lit des remontrances, et fut mis à mort. KHOUNG-TSEU dit: La dynastie Yn (ou Chang) eut trois hommes doués de la grande vertu de l'humanité[47].

2. Lieou-hia-hoeï exerçait l'emploi de chef des prisons de l'État; il fut trois fois destitué de ses fonctions. Une personne lui dit: Et vous n'avez pas encore quitté ce pays? Il répondit: Si je sers les hommes selon l'équité et la raison, comment trouverais-je un pays où je ne serais pas trois fois destitué de mes fonctions? Si je sers les hommes contrairement à l'équité et à la raison, comment devrais-je quitter le pays où sont mon père et ma mère?

3. King-kong, prince de Thsi, s'occupant de la manière dont il recevrait KHOUNG-TSEU, dit: «Je ne puis le recevoir avec les mêmes égards que j'ai eus envers Ki-chi[48]. Je le recevrai d'une manière intermédiaire entre Ki et Meng[49].» Il ajouta: «Je suis vieux, je ne pourrais pas utiliser sa présence.» KHOUNG-TSEU se remit en route pour une autre destination.

4. Les ministres du prince de Thsi avaient envoyé des musiciennes au prince de Lou. Ki-hoan-tseu (grand fonctionnaire de Lou) les reçut; mais pendant trois jours elles ne furent pas présentées à la cour. KHOUNG-TSEU s'éloigna [parce que sa présence gênait la cour].

5. Le sot Tsie-yu, de l'État de Thsou, en faisant passer son char devant celui de KHOUNG-TSEU, chantait ces mots: «Oh! le phénix! oh! le phénix! comme sa vertu est en décadence! Les choses passées ne sont plus soumises à sa censure; les choses futures ne peuvent se conjecturer. Arrêtez-vous donc! arrêtez-vous donc! Ceux qui maintenant dirigent les affaires publiques sont dans un éminent danger!»

KHOUNG-TSEU descendit de son char dans le dessein de parler à cet homme; mais celui-ci s'éloigna rapidement, et le Philosophe ne put l'atteindre pour lui parler.

6. Tchang-tsiu et Ki-nie étaient ensemble à labourer la terre. KHOUNG-TSEU, passant auprès d'eux, envoya Tseu-lou leur demander où était le gué [pour passer la rivière].

Tchang-tsiu dit: Quel est cet homme qui conduit le char? Tseu-lou dit: C'est KHOUNG-KHIEOU. L'autre ajouta: C'est KHOUNG-KHIEOU de Lou?—C'est lui-même.—Si c'est lui, il connaît le gué.

[Tseu-lou] fit la même demande à Ki-nie. Ki-nie dit: Mon fils, qui êtes-vous? Il répondit: Je suis Tching-yeou.—Êtes-vous un des disciples de KHOUNG-KHIEOU de Lou? Il répondit respectueusement: Oui.—Oh! l'empire tout entier se précipite comme un torrent vers sa ruine, et il ne se trouve personne pour le changer, le réformer! Et vous, vous êtes le disciple d'un maître qui ne fuit que les hommes [qui ne veulent pas l'employer][50]. Pourquoi ne vous faites-vous pas le disciple des maîtres qui fuient le siècle [comme nous]?—Et le laboureur continua à semer son grain.

Tseu-lou alla rapporter ce qu'on lui avait dit. Le Philosophe s'écria en soupirant: Les oiseaux et les quadrupèdes ne peuvent se réunir pour vivre ensemble; si je n'avais pas de tels hommes pour disciples, qui aurais-je? Quand l'empire a de bonnes lois et qu'il est bien gouverné, je n'ai pas à m'occuper de le réformer.

7. Tseu-lou étant resté en arrière de la suite du Philosophe, il rencontra un vieillard portant une corbeille suspendue à un bâton. Tseu-lou l'interrogea en disant: Avez-vous vu notre maître? Le vieillard répondit: Vos quatre membres ne sont pas accoutumés à la fatigue; vous ne savez pas faire la distinction des cinq sortes de grains: quel est votre maître? En même temps il planta son bâton en terre, et s'occupa à arracher des racines.

Tseu-lou joignit les mains sur sa poitrine en signe de respect, et se tint debout près du vieillard.

Ce dernier retint Tseu-lou avec lui pour passer la nuit. Il tua une poule, prépara un petit repas, et lui offrit à manger. Il lui présenta ensuite ses deux fils.

Le lendemain, lorsque le jour parut, Tseu-lou se mit en route pour rejoindre son maître, et l'instruire de ce qui lui était arrivé. Le Philosophe dit: C'est un solitaire qui vit dans la retraite. Il fit ensuite retourner Tseu-lou pour le voir. Mais lorsqu'il arriva, le vieillard était parti [afin de dérober ses traces].

Tseu-lou dit: Ne pas accepter d'emploi public est contraire à la justice. Si on se fait une loi de ne pas violer l'ordre des rapports qui existent entre les différents âges, comment serait-il permis de violer la loi de justice, bien plus importante, qui existe entre les ministres et le prince[51]? Désirant conserver pure sa personne, on porte le trouble et la confusion dans les grands devoirs sociaux. L'homme supérieur qui accepte un emploi public remplit son devoir. Les principes de la droite raison n'étant pas mis en pratique, il le sait [et il s'efforce d'y remédier].

8. Des hommes illustres sans emplois publics furent Pe-y, Chou-thsi (prince deKou-tchou), Yu-tchoung (le même que Taï-pé, du pays des Man ou barbares du midi), Y-ye, Tchou-tchang, Lieou-hia-hoeï et Chao-lien (barbares de l'est).

Le Philosophe dit: N'abandonnèrent-ils jamais leurs résolutions, et ne déshonorèrent-ils jamais leur caractère, Pe-y et Chou-thsi? On dit que Lieou-hia-hoeï et Chao-lien ne soutinrent pas jusqu'au bout leurs résolutions, et qu'ils déshonorèrent leur caractère. Leur langage était en harmonie avec la raison et la justice, tandis que leurs actes étaient en harmonie avec les sentiments des hommes. Mais en voilà assez sur ces personnes et sur leurs actes.

On dit que Yu-tchoung et Y-ye habitèrent dans le secret de la solitude, et qu'ils répandirent hardiment leur doctrine. Ils conservèrent à leur personne toute sa pureté; leur conduite se trouvait en harmonie avec leur caractère insociable, et était conforme à la raison.

Quant à moi, je diffère de ces hommes; je ne dis pas d'avance: Cela se peut, cela ne se peut pas.

9. L'intendant en chef de la musique de l'État de Lou, nommé Tchi, se réfugia dans l'État de Thsi.

Le chef de la seconde tablée ou troupe, Kan, se réfugia dans l'État de Tsou. Le chef de la troisième troupe, Liao, se réfugia dans l'État de Thsai. Le chef de la quatrième troupe, Kiouë, se réfugia dans l'État de Thsin.

Celui qui frappait le grand tambour, Fang-chou, se retira dans une île du Hoang-ho.

Celui qui frappait le petit tambour, Wou, se retira dans le pays de Han.

L'intendant en second, nommé Yang, et celui qui jouait des instruments de pierre, nommé Siang, se retirèrent dans une île de la mer.

10. Tcheou-koung (le prince de Tcheou) s'adressa à Lou-koung (le prince de Lou), en disant: L'homme supérieur ne néglige pas ses parents et ne les éloigne pas de lui; il n'excite pas des ressentiments dans le cœur de ses grands fonctionnaires, en ne voulant pas se servir d'eux; il ne repousse pas, sans de graves motifs, les anciennes familles de dignitaires, et il n'exige pas toutes sortes de talents et de services d'un seul homme.

11. Les [anciens] Tcheou avaient huit hommes accomplis; c'étaient Pe-ta, Pe-kouo, Tchoung-to, Tchoung-kouë, Chou-ye, Chou-hia, Ki-souï, Ki-wa.

[45] Prince feudataire de l'État de Weï, frère du tyran Cheou-sin. Voyez notre Résumé historique de l'histoire et de la civilisation chinoises, etc., pag. 70 et suiv.

[46] Oncle de Cheou-sin, ainsi que Pi-kan, que le premier fit périr de la manière la plus cruelle, Voyez l'ouvrage cité, p 70, 2e col.

[47] Weï-tseu, Ki-tseu, et Pi-kan.

[48] Grand de premier ordre de l'État de Lou.

[49] Grand du dernier ordre de l'État de Lou.

[50] Commentaire chinois.

[51] Si l'homme a des devoirs de famille à remplir, il a aussi des devoirs sociaux plus importants, et auxquels il ne peut se soustraire sans faillir; tel est celui d'occuper des fonctions publiques lorsque l'on peut être utile à son pays. C'est manquer à ce devoir que de s'éloigner de la vie politique et de se retirer dans la retraite lorsque ses services peuvent être utiles. Voila la pensée d'un philosophe chinois, qui avait à combattre des sectateurs d'une doctrine contraire. Voyez notre édition du Livre de la Raison suprême et de la Vertu, du philosophe LAO-TSEU, le contemporain de KHOUNG-TSEU.


CHAPITRE XIX,

COMPOSÉ DE 25 ARTICLES [52].

1. Tseu-tchang dit: L'homme qui s'est élevé au-dessus des autres par les acquisitions de son intelligence[53] prodigue sa vie à la vue du danger. S'il voit des circonstances propres à lui faire obtenir des profits, il médite sur la justice et le devoir. En offrant un sacrifice, il médite sur le respect et la gravité, qui en sont inséparables. En accomplissant des cérémonies funèbres, il médite sur les sentiments de regret et de douleur qu'il éprouve. Ce sont là les devoirs qu'il se plaît à remplir.

2. Tseu-tchang dit: Ceux qui embrassent la vertu sans lui donner aucun développement; qui ont su acquérir la connaissance des principes de la droite raison sans pouvoir persévérer dans sa pratique: qu'importe au monde que ces hommes aient existé ou qu'ils n'aient pas existé?

3. Les disciples de Tseu-hia demandèrent à Tseu-tchang ce que c'était que l'amitié ou l'association des amis. Tseu-tchang dit: Qu'en pense votre maître Tseu-hia? [Les disciples] répondirent avec respect: Tseu-hia dit que ceux qui peuvent se lier utilement par les liens de l'amitié s'associent, et que ceux dont l'association serait nuisible ne s'associent pas. Tseu-tchang ajouta: Cela diffère de ce que j'ai entendu dire. J'ai appris que l'homme supérieur honorait les sages et embrassait dans son affection toute la multitude; qu'il louait hautement les hommes vertueux et avait pitié de ceux qui ne l'étaient pas. Suis-je un grand sage; pourquoi, dans mes relations avec les hommes, n'aurais-je pas une bienveillance commune pour tous? Ne suis-je pas un sage; les hommes sages (dans votre système) me repousseront. S'il en est ainsi, pourquoi repousser de soi certains hommes?

4. Tseu-hia dit: Quoique certaines professions de la vie soient humbles[54], elles sont cependant véritablement dignes de considération. Néanmoins, si ceux qui suivent ces professions veulent parvenir à ce qu'il y a de plus éloigné de leur état[55], je crains qu'ils ne puissent réussir. C'est pourquoi l'homme supérieur ne pratique pas ces professions inférieures.

5. Tseu-hia dit: Celui qui chaque jour acquiert des connaissances qui lui manquaient, et qui chaque mois n'oublie pas ce qu'il a pu apprendre, peut être dit aimer l'étude.

6. Tseu-hia dit: Donnez beaucoup d'étendue à vos études, et portez-y une volonté ferme et constante. Interrogez attentivement, et méditez à loisir sur ce que vous avez entendu. La vertu de l'humanité, la vertu supérieure est là.

7. Tseu-hia dit: Tous ceux qui pratiquent les arts manuels s'établissent dans des ateliers pour confectionner leurs ouvrages; l'homme supérieur étudie pour porter à la perfection les règles des devoirs.

8. Tseu-hia dit: Les hommes vicieux déguisent leurs fautes sous un certain dehors d'honnêteté.

9. Tseu-hia dit: L'homme supérieur a trois apparences changeantes: si on le considère de loin, il parait grave, austère; si on approche de lui, on le trouve doux et affable; si on entend ses paroles, il paraît sévère et rigide.

10. Tseu-hia dit: Ceux qui remplissent les fonctions supérieures d'un État se concilient d'abord la confiance de leur peuple pour obtenir de lui le prix de ses sueurs; s'ils n'obtiennent pas sa confiance, alors ils sont considérés comme le traitant d'une manière cruelle. Si le peuple a donné à son prince des preuves de sa fidélité, il peut alors lui faire des remontrances; s'il n'a pas encore donné des preuves de sa fidélité, il sera considéré comme calomniant son prince.

11. Tseu-hia dit: Dans les grandes entreprises morales, ne dépassez pas le but; dans les petites entreprises morales, vous pouvez aller au delà ou rester en deçà sans de grands inconvénients.

12. Tseu-yeou dit: Les disciples de Tseu-hia sont de petits enfants; ils peuvent arroser, balayer, répondre respectueusement, se présenter avec gravité et se retirer de même. Ce ne sont là que les branches ou les choses les moins importantes; mais la racine de tout, la chose la plus importante, leur manque complètement[56]. Que faut-il donc penser de leur science?

Tseu-hia, ayant entendu ces paroles, dit: Oh! Yan-yeou excède les bornes. Dans l'enseignement des doctrines de l'homme supérieur, que doit-on enseigner d'abord, que doit-on s'efforcer d'inculquer ensuite? Par exemple, parmi les arbres et les plantes, il y a différentes classes qu'il faut distinguer. Dans renseignement des doctrines de l'homme supérieur, comment se laisser aller à la déception? Cet enseignement a un commencement et une fin; c'est celui du saint homme.

13. Tseu-hia dit: Si pendant que l'on occupe un emploi public on a du temps et des forces de reste, alors on doit s'appliquer à l'étude de ses devoirs; quand un étudiant est arrivé au point d'avoir du temps et des forces de reste, il doit alors occuper un emploi public.

14. Tseu-yeou dit: Lorsqu'on est en deuil de ses père et mère, on doit porter l'expression de sa douleur à ses dernières limites, et s'arrêter là.

15. Tseu-yeou dit: Mon ami Tchang se jette toujours dans les plus difficiles entreprises; cependant il n'a pas encore pu acquérir la vertu de l'humanité.

10. Thsêng-tseu dit: Que Tchang a la contenance grave et digne! cependant il ne peut pas pratiquer avec les hommes la vertu de l'humanité!

17. Thsêng-tseu dit: J'ai entendu dire au maître qu'il n'est personne qui puisse épuiser toutes les facultés de sa nature. Si quelqu'un le pouvait, ce devrait être dans l'expression de la douleur pour la perte de ses père et mère.

18. Thsêng-tseu dit: J'ai entendu souvent le maître parler de la piété filiale de Meng-tchouang-tseu. [Ce grand dignitaire de l'État de Lou] peut être imité dans ses autres vertus; mais, après la mort de son père, il ne changea ni ses ministres ni sa manière de gouverner; et c'est en cela qu'il est difficile à imiter.

19. LorsqueMeng-chi (Meng-tchouang-tseu) nomma Yang-fou ministre de la justice, Yang-fou consulta Thsêng-tseu [son maître] sur la manière dont il devait se conduire. Thsêng-tseu dit: Si les supérieurs qui gouvernent perdent la voie de la justice et du devoir, le peuple se détache également du devoir et perd pour longtemps toute soumission. Si vous acquérez la preuve qu'il a de tels sentiments de révolte contre les lois, alors ayez compassion de lui, prenez-le en pitié et ne vous en réjouissez jamais.

20. Tseu-koung dit: La perversité de Cheou-(sin) ne fut pas aussi extrême qu'on l'a rapporté. C'est pour cela que l'homme supérieur doit avoir en horreur de demeurer dans des lieux immondes; tous les vices et les crimes possibles lui seraient imputés.

21. Tseu-koung dit: Les erreurs de l'homme supérieur sont comme des éclipses du soleil et de la lune. S'il commet des fautes, tous les hommes les voient; s'il se corrige, tous les hommes le contemplent.

22. Kong-sun-tchao, grand de l'État de Weï, questionna Tseu-koung en ces termes: A quoi ont servi les études de Tchoung-ni [KHOUNG-TSEU]?

Tseu-koung dit: Les doctrines des [anciens rois] Wen et Wou ne se sont pas perdues sur la terre; elles se sont maintenues parmi les hommes. Les sages ont conservé dans leur mémoire leurs grands préceptes de conduite; et ceux qui étaient avancés dans la sagesse ont conservé dans leur mémoire les préceptes de morale moins importants qu'ils avaient laissés au monde. Il n'est rien qui ne se soit conservé des préceptes et des doctrines salutaires de Wen et de Wou. Comment le maître ne les aurait-il pas étudiés? et même comment n'aurait-il eu qu'un seul et unique précepteur?

23. Chou-sun, du rang de Wou-chou [grand de l'État de Lou], s'entretenant avec d'autres dignitaires du premier ordre à la cour du prince, dit: Tseu-koung est bien supérieur en sagesse à Tchoung-ni.

Tseu-fou, du rang de King-pe [grand dignitaire de l'État de Lou], en informa Tseu-koung. Tseu-koung dit: Pour me servir de la comparaison d'un palais et de ses murs, moi Sse, je ne suis qu'un mur qui atteint à peine aux épaules; mais, si vous considérez attentivement tout l'édifice, vous le trouverez admirable.

Les murs de l'édifice de mon maître sont très-élevés. Si vous ne parvenez pas à en franchir la porte, vous ne pourrez contempler toute la beauté du temple des ancêtres, ni les richesses de toutes les magistratures de l'État.

Ceux qui parviennent à franchir cette porte sont quelques rares personnes. Les propos de mon supérieur [Wou-chou, relativement à KHOUNG-TSEU et à lui] ne sont-ils pas parfaitement analogues?

24. Chou-sun Wou-chou ayant de nouveau rabaissé le mérite de Tchoung-ni, Tseu-koung dit: N'agissez pas ainsi; Tchoung-ni ne doit pas être calomnié. La sagesse des autres hommes est une colline ou un monticule que l'on peut franchir; Tchoung-ni est le soleil et la lune, qui ne peuvent pas être atteints et dépassés. Quand même les hommes [qui aiment l'obscurité] désireraient se séparer complétement de ces astres resplendissants, quelle injure feraient-ils au soleil et à la lune? Vous voyez trop bien maintenant que vous ne connaissez pas la mesure des choses.

25. Tching-tseu-king (disciple de KHOUNG-TSEU), s'adressant à Tseu-koung, dit: Vous avez une constance grave et digne; en quoi Tchoung-ni est-il plus sage que vous?

Tseu-koung dit: L'homme supérieur, par un seul mot qui lui échappe, est considéré comme très-éclairé sur les principes des choses; et par un seul mot il est considéré comme ne sachant rien. On doit donc mettre une grande circonspection dans ses paroles.

Notre maître ne peut pas être atteint [dans son intelligence supérieure]; il est comme le ciel, sur lequel on ne peut monter, même avec les plus hautes échelles.

Si notre maître obtenait de gouverner des États, il n'avait qu'à dire [au peuple]: Etablissez ceci, aussitôt il l'établissait; suivez cette voie morale, aussitôt il la suivait; conservez la paix et la tranquillité, aussitôt il se rendait à ce conseil; éloignez toute discorde, aussitôt l'union et la concorde régnaient. Tant qu'il vécut, les hommes l'honorèrent; après sa mort, ils l'ont regretté et pleuré. D'après cela, comment pouvoir atteindre à sa haute sagesse?

[52] Ce chapitre ne rapporte que les dits des disciples de KHOUNG-TSEU. Ceux de Tseu-hia sont les plus nombreux; ceux de Tseu-koung, après. (Commentaire.)

[53] Tel est le sens du mot sse, donné par quelques commentateurs chinois.

[54] Comme celles de laboureur, jardinier, médecin, etc. (Commentaire.)

[55] Comme le gouvernement du royaume, la pacification de l'empire, etc. (Commentaire.)

[56] Voyez le Ta-hio, chap. I, les articles 1-5.


CHAPITRE XX,

COMPOSÉ DE 3 ARTICLES.

1. Yao dit: O Chun! le ciel a résolu que la succession de la dynastie impériale reposerait désormais sur votre personne. Tenez toujours fermement et sincèrement le milieu de la droite voie. Si les peuples qui sont situés entre les quatre mers souffrent de la disette et de la misère, les revenus du prince seront à jamais supprimés.

Chun confia aussi un semblable mandat à Yu. [Celui-ci] dit: Moi humble et pauvre Li, tout ce que j'ose, c'est de me servir d'un taureau noir [dans les sacrifices]; tout ce que j'ose, c'est d'en instruire l'empereur souverain et auguste. S'il a commis des fautes, n'osé-je [moi, son ministre] l'en blâmer? Les ministres naturels de l'empereur [les sages de l'empire][57] ne sont pas laissés dans l'obscurité; ils sont tous en évidence dans le cœur de l'empereur. Ma pauvre personne a beaucoup de défauts qui ne sont pas communs [aux sages] des quatre régions de l'empire. Si les [sages] des quatre régions de l'empire ont des défauts, ces défauts existent également dans ma pauvre personne.

Tcheou (Wou-wang) eut une grande libéralité; les hommes vertueux furent à ses yeux les plus éminents.

[Il disait]: Quoique l'on ait des parents très-proches [comme des fils et des petits-fils], il n'est rien comme des hommes doués de la vertu de l'humanité[58]! je voudrais que les fautes de tout le peuple retombassent sur moi seul.

[Wou-wang] donna beaucoup de soin et d'attention aux poids et mesures. Il examina les lois et les constitutions, rétablit dans leurs emplois les magistrats qui en avaient été privés, et l'administration des quatre parties de l'empire fut remise en ordre.

Il releva les royaumes détruits [il les rétablit et les rendit à leurs anciens possesseurs][59]; il renoua le fil des générations interrompues [il donna des rois aux royaumes qui n'en avaient plus][60]; il rendit leurs honneurs à ceux qui avaient été exilés. Les populations de l'empire revinrent d'elles-mêmes se soumettre à lui.

Ce qu'il regardait comme de plus digne d'attention et de plus important, c'était l'entretien du peuple, les funérailles et les sacrifices aux ancêtres.

Si vous avez de la générosité et de la grandeur d'àme, alors vous vous gagnez la foule; si vous avez de la sincérité et de la droiture, alors le peuple se confie à vous; si vous êtes actif et vigilant, alors toutes vos affaires ont d'heureux résultats; si vous portez un égal intérêt à tout le monde, alors le peuple est dans la joie.

2. Tseu-tchang fit une question à KHOUNG-TSEU en ces termes: Comment pensez-vous que l'on doive diriger les affaires de l'administration publique? Le Philosophe dit: Honorez les cinq choses excellentes[61], fuyez les quatre mauvaises actions[62]; voilà comment vous pourrez diriger les affaires de l'administration publique. Tseu-tchang dit: Qu'appelez-vous les cinq choses excellentes? Le Philosophe dit: L'homme supérieur [qui commande aux autres] doit répandre des bienfaits, sans être prodigue; exiger des services du peuple, sans soulever ses haines; désirer des revenus suffisants, sans s'abandonner à l'avarice et à la cupidité; avoir de la dignité et de la grandeur, sans orgueilleuse ostentation, et de la majesté sans rudesse.

Tseu-tchang dit: Qu'entendez-vous par être bienfaisant sans prodigalité? Le Philosophe dit: Favoriser continuellement tout ce qui peut procurer des avantages au peuple, en lui faisant du bien, n'est-ce pas là être bienfaisant sans prodigalité? Déterminer, pour les faire exécuter par le peuple, les corvées qui sont raisonnablement nécessaires, et les lui imposer: qui pourrait s'en indigner? Désirer seulement tout ce qui peut être utile à l'humanité, et l'obtenir, est-ce là de la cupidité? Si l'homme supérieur [ou le chef de l'État] n'a ni une trop grande multitude de populations, ni un trop petit nombre; s'il n'a ni de trop grandes ni de trop petites affaires; s'il n'ose avoir de mépris pour personne: n'est-ce pas là le cas d'avoir de la dignité sans ostentation? Si l'homme supérieur compose régulièrement ses vêtements, s'il met de la gravité et de la majesté dans son attitude et sa contenance, les hommes le considéreront avec respect et vénération; n'est-ce pas là de la majesté sans rudesse?

Tseu-tchang dit: Qu'en tendez-vous par les quatre mauvaises actions? Le Philosophe dit: C'est ne pas instruire le peuple et le tuer [moralement, en le laissant tomber dans le mal][63]: on appelle cela cruauté ou tyrannie; c'est ne pas donner des avertissements préalables, et vouloir exiger une conduite parfaite: on appelle cela violence, oppression; c'est différer de donner ses ordres, et vouloir l'exécution d'une chose aussitôt qu'elle est résolue: on appelle cela injustice grave; de même que, dans ses rapports journaliers avec les hommes, montrer une sordide avarice, on appelle cela se comporter comme un collecteur d'impôts.

3. Le Philosophe dit: Si l'on ne se croit pas chargé de remplir une mission, un mandat, on ne peut pas être considéré comme un homme supérieur.

Si l'on ne connaît pas les rites ou les lois qui règlent les relations sociales, on n'a rien pour se fixer dans sa conduite.

Si l'on ne connaît pas la valeur des paroles des hommes, on ne les connaît pas eux-mêmes.

[57] Commentaire.

[58] Chapitre Taï-tchi, du Chou-king. Voyez la traduction que nous en avons publiée dans les Livres sacrés de l'Orient. Paris, F. Didot, 1840.

[59] Commentaire.

[60] Ibid.

[61] «Ce sont des choses qui procurent des avantages au peuple.» (Commentaire.)

[62] «Ce sont celles qui portent un détriment au peuple.» (Commentaire.)

[63] Commentaire.

FIN DU LUN-YU.


MENG-TSEU,

QUATRIÈME LIVRE CLASSIQUE.

PREMIER LIVRE.

CHAPITRE PREMIER,

COMPOSÉ DE 7 ARTICLES.

1. MENG-TSEU alla visiter Hoeï-wang, prince de la ville de Liang [roi de l'État de Weï][1].

Le roi lui dit: Sage vénérable, puisque vous n'avez pas jugé que la distance de mille li [cent lieues] fût trop longue pour vous rendre à ma cour, sans doute que vous m'apportez de quoi enrichir mon royaume?

MENG-TSEU répondit avec respect: Roi! qu'est-il besoin de parler de gains ou de profits? j'apporte avec moi l'humanité, la justice; et voilà tout.

Si le roi dit: Comment ferai-je pour enrichir mon royaume? les grands dignitaires diront: Comment ferons-nous pour enrichir nos familles? Les lettrés et les hommes du peuple diront: Comment ferons-nous pour nous enrichir nous-mêmes? Si les supérieurs et les inférieurs se disputent ainsi à qui obtiendra le plus de richesses, le royaume se trouvera en danger. Dans un royaume de dix mille chars de guerre, celui qui détrône ou tue son prince doit être le chef d'une famille de mille chars de guerre[2]. Dans un royaume de mille chars de guerre, celui qui détrône ou tue son prince doit être le chef d'une famille de cent chars de guerre[3]. De dix mille prendre mille, et de mille prendre cent, ce n'est pas prendre une petite portion[4]. Si on place en second lieu la justice, et en premier lieu le gain ou le profit, tant que [les supérieurs] ne seront pas renversés et dépouillés, [les inférieurs] ne seront pas satisfaits.

Il n'est jamais arrivé que celui qui possède véritablement la vertu de l'humanité abandonnât ses parents [ses père et mère]; il n'est jamais arrivé que l'homme juste et équitable fit peu de cas de son prince.

Roi, parlons en effet de l'humanité et de la justice; rien que de cela. A quoi bon parler de gains et de profits?

2. MENG-TSEU étant allé voir un autre jour Hoeï-wang, de Liang, le roi, qui était occupé sur son étang à considérer les oies sauvages et les cerfs, lui dit: Le sage ne se plaît-il pas aussi à ce spectacle?

MENG-TSEU lui répondit respectueusement: Il faut être parvenu à la possession de la sagesse pour se réjouir de ce spectacle. Si l'on ne possède pas encore la sagesse, quoique l'on possède ces choses, on ne doit pas s'en faire un amusement.

Le Livre des Vers[5] dit:

«Il commence (Wen-wang) par esquisser le plan de la tour de l'Intelligence [observatoire];

Il l'esquisse, il en trace le plan, et on l'exécute;

La foule du peuple, en s'occupant de ces travaux,

Ne met pas une journée entière à l'achever.

En commençant de tracer le plan (Wou-wang) défendait de se hâter;

Et cependant le peuple accourait à l'œuvre comme un fils.

Lorsque le roi (Wou-wang) se tenait dans le parc de l'Intelligence,

Il aimait à voir les cerfs et les biches se reposer en liberté, s'enfuir à son approche;

Il aimait à voir ces cerfs et ces biches éclatants de force et de santé,

Et les oiseaux blancs, dont les ailes étaient resplendissantes.

Lorsque le roi se tenait près de l'étang de l'Intelligence,

Il se plaisait à voir la multitude des poissons dont il était plein bondir sous ses yeux.»

Wen-wang se servit des bras du peuple pour construire sa tour et pour creuser son étang; et cependant le peuple était joyeux et content de son roi. Il appela sa tour la Tour de l'Intelligence [parce qu'elle avait été construite en moins d'un jour][6]; et il appela son étang l'Étang de l'Intelligence [pour la même raison]. Le peuple se réjouissait de ce que son roi avait des cerfs, des biches, des poissons de toutes sortes. Les hommes [supérieurs] de l'antiquité n'avaient de joie qu'avec le peuple, que lorsque le peuple se réjouissait avec eux; c'est pourquoi ils pouvaient véritablement se réjouir.

Le Tchang-tchi[7] dit: «Quand ce soleil périra, nous périrons avec lui.» Si le peuple désire périr avec lui, quoique le roi ait une tour, un étang, des oiseaux et des bêtes fauves, comment pourrait-il se réjouir seul?

3. Hoeï-wang de Liang dit: Moi qui ai si peu de capacité dans l'administration du royaume, j'épuise cependant à cela toutes les facultés de mon intelligence. Si la partie de mon État située dans l'enceinte formée par le fleuve Hoang-ho vient à souffrir de la famine, alors j'en transporte les populations valides à l'orient du fleuve, et je fais passer des grains de ce côté dans la partie qui entoure le fleuve. Si la partie de mon État située à l'orient du fleuve vient à souffrir de la famine, j'agis de même. J'ai examiné l'administration des royaumes voisins; il n'y a aucun [prince] qui, comme votre pauvre serviteur, emploie toutes les facultés de son intelligence à [soulager son peuple]. Les populations des royaumes voisins, cependant, ne diminuent pas, et les sujets de votre pauvre serviteur n'augmentent pas. Pourquoi cela?

MENG-TSEU répondit respectueusement: Roi, vous aimez la guerre; permettez-moi d'emprunter une comparaison à l'art militaire: Lorsqu'au son du tambour le combat s'engage, que les lances et les sabres se sont mêlés; abandonnant leurs boucliers et traînant leurs armes, les uns fuient; un certain nombre d'entre eux font cent pas et s'arrêtent, et un certain nombre d'autres font cinquante pas et s'arrêtent: si ceux qui n'ont fui que de cinquante pas se moquent de ceux qui ont fui de cent, qu'en penserez-vous?

[Le roi] dit: Il ne leur est pas permis de railler les autres; ils n'ont fait que fuir moins de cent pas. C'est également fuir. [MENG-TSEU] dit: Roi, si vous savez cela, alors n'espérez pas voir la population de votre royaume s'accroître plus que celle des royaumes voisins.

Si vous n'intervenez point dans les affaires des laboureurs en les enlevant, par des corvées forcées, aux travaux de chaque saison, les récoltes dépasseront la consommation. Si des filets à tissu serré ne sont pas jetés dans les étangs et les viviers, les poissons de diverses sortes ne pourront pas être consommés. Si vous ne portez la hache dans les forêts que dans les temps convenables, il y aura toujours du bois en abondance. Ayant plus de poissons qu'il n'en pourra être consommé, et plus de bois qu'il n'en sera employé, il résultera de là que le peuple aura de quoi nourrir les vivants et offrir des sacrifices aux morts; alors il ne murmurera point. Voilà le point fondamental d'un bon gouvernement.

Faites planter des mûriers dans les champs d'une famille qui cultive cinq arpents de terre, et les personnes âgées pourront se couvrir de vêtements de soie. Faites que l'on ne néglige pas d'élever des poules, des chiens[8] et des pourceaux de toute espèce, et les personnes âgées de soixante et dix ans pourront se nourrir de viande. N'enlevez pas, dans les saisons qui exigent des travaux assidus, les bras des familles qui cultivent cent arpents de terre, et ces familles nombreuses ne seront pas exposées aux horreurs de la faim. Veillez attentivement à ce que les enseignements des écoles et des colléges propagent les devoirs de la piété filiale et le respect équitable des jeunes gens pour les vieillards, alors on ne verra pas des hommes à cheveux blancs traîner ou porter de pesants fardeaux sur les grands chemins. Si les septuagénaires portent des vêtements de soie et mangent de la viande, et si les jeunes gens à cheveux noirs ne souffrent ni du froid ni de la faim, toutes les choses seront prospères. Il n'y a pas encore eu de prince qui, après avoir agi ainsi, n'ait pas régné sur le peuple.

Mais, au lieu de cela, vos chiens et vos pourceaux dévorent la nourriture du peuple, et vous ne savez pas y remédier. Le peuple meurt de faim sur les routes et les grands chemins, et vous ne savez pas ouvrir les greniers publics. Quand vous voyez des hommes morts de faim, vous dites: Ce n'est pas ma faute, c'est celle de la stérilité de la terre. Cela diffère-t-il d'un homme qui, ayant percé un autre homme de son glaive, dirait: Ce n'est pas moi, c'est mon épée! Ne rejetez pas la faute sur les intempéries des saisons, et les populations de l'empire viendront à vous pour recevoir des soulagements à leurs misères.

4. Hoeï-wang de Liang dit: Moi, homme de peu de vertu, je désire sincèrement suivre vos leçons.

MENG-TSEU ajouta avec respect: Tuer un homme avec un bâton ou avec une épée, trouvez-vous à cela quelque différence?

Le roi dit: Il n'y a aucune différence.—Le tuer avec une épée ou avec un mauvais gouvernement, y trouvez-vous de la différence?

Le roi dit: Je n'y trouve aucune différence. [MENG-TSEU] ajouta: Vos cuisines regorgent de viandes, et vos écuries sont pleines de chevaux engraissés. Mais le visage décharné du peuple montre la pâleur de la faim, et les campagnes sont couvertes des cadavres de personnes mortes de misère. Agir ainsi, c'est exciter des bêtes féroces à dévorer les hommes.

Les bêtes féroces se dévorent entre elles et sont en horreur aux hommes. Vous devez gouverner et vous conduire dans l'administration de l'État comme étant le père et la mère du peuple. Si vous ne vous dispensez pas d'exciter les bêtes féroces à dévorer les hommes, comment pourriez-vous être considéré comme le père et la mère du peuple?

TCHOUNG-NI a dit: «Les premiers qui façonnèrent des statues ou mannequins de bois [pour les funérailles] ne furent-ils pas privés de postérité?» Le Philosophe disait cela, parce qu'ils avaient fait des hommes à leur image, et qu'ils les avaient employés [dans les sacrifices]. Qu'aurait-il dit de ceux qui agissent de manière à faire mourir le peuple de faim et de misère?

5. Hoëi-wang de Liang dit: Le royaume de Tçin[9] n'avait pas d'égal en puissance dans tout l'empire. Sage vénérable, c'est ce que vous savez fort bien. Lorsqu'il tomba en partage à ma chétive personne, aussitôt à l'orient je fus défait par le roi de Thsi, et mon fils ainé périt. A l'occident, j'ai perdu dans une guerre contre le roi de Thsin sept cents li de territoire[10]. Au midi j'ai reçu un affront du roi de Thsou. Moi, homme de peu de vertu, je rougis de ces défaites. Je voudrais, pour l'honneur de ceux qui sont morts, effacer en une seule fois toutes ces ignominies. Que dois-je faire pour cela?

MENG-TSEU répondit respectueusement: Avec un territoire de cent li d'étendue [dix lieues], on peut cependant parvenir à régner en souverain.

Roi, si votre gouvernement est humain et bienfaisant pour le peuple, si vous diminuez les peines et les supplices, si vous allégez les impôts et les tributs de toute nature, les laboureurs sillonneront plus profondément la terre, et arracheront la zizanie de leurs champs. Ceux qui sont jeunes et forts, dans leurs jours de loisir, cultiveront en eux la vertu de la piété filiale, de la déférence envers leurs frères aînés, de la droiture et de la sincérité. A l'intérieur, ils s'emploieront à servir leurs parents; au dehors, ils s'emploieront à servir les vieillards et leurs supérieurs. Vous pourrez alors parvenir à leur faire saisir leurs bâtons pour frapper les durs boucliers et les armes aiguës des hommes de Thsin et de Thsou.

Les rois de ces États dérobent à leurs peuples le temps le plus précieux, en les empêchant de labourer leur terre et d'arracher l'ivraie de leurs champs, afin de pouvoir nourrir leurs pères et leurs mères. Leurs pères et leurs mères souffrent du froid et de la faim; leurs frères, leurs femmes et leurs enfants sont séparés l'un de l'autre et dispersés de tous côtés [pour chercher leur nourriture].

Ces rois ont précipité leurs peuples dans un abîme de misère en leur faisant souffrir toutes sortes de tyrannies. Prince, si vous marchez pour les combattre, quel est celui d'entre eux qui s'opposerait à vos desseins?

C'est pourquoi il est dit: «Celui qui est humain n'a pas d'ennemis.» Roi, je vous en prie, plus d'hésitation.

6. MENG-TSEU alla visiter Siang-wang de Liang [fils du roi précédent].

En sortant de son audience, il tint ce langage à quelques personnes: En le considérant de loin, je ne lui ai pas trouvé de ressemblance avec un prince; en l'approchant de près, je n'ai rien vu en lui qui inspirât le respect. Tout en l'abordant, il m'a demandé: Comment faut-il s'y prendre pour consolider l'empire? Je lui ai répondu avec respect: On lui donne de la stabilité par l'unité.—Qui pourra lui donner cette unité?

J'ai répondu avec respect: Celui qui ne trouve pas de plaisir à tuer les hommes peut lui donner cette unité.

—Qui sont ceux qui viendront se rendre à lui?—J'ai répondu avec respect: Dans tout l'empire il n'est personne qui ne vienne se soumettre à lui. Roi, connaissez-vous ces champs de blé en herbe? Si, pendant la septième ou la huitième lune, il survient une sécheresse, alors ces blés se dessèchent. Mais si dans l'espace immense du ciel se forment d'épais nuages, et que la pluie tombe avec abondance, alors les tiges de blé, reprenant de la vigueur, se redressent. Qui pourrait les empêcher de se redresser ainsi? Maintenant ceux qui, dans tout ce grand empire, sont constitués les pasteurs des hommes[11], il n'en est pas un qui ne se plaise à faire tuer les hommes. S'il s'en trouvait parmi eux un seul qui n'aimât pas à faire tuer les hommes, alors toutes les populations de l'empire tendraient vers lui leurs bras, et n'espéreraient plus qu'en lui. Si ce que je dis est la vérité, les populations viendront se réfugier sous son aile, semblables à des torrents qui se précipitent dans les vallées. Lorsqu'elles se précipiteront comme un torrent, qui pourra leur résister?

7. Siouan-wang, roi de Thsi, interrogea MENG-TSEU en disant: Pourrais-je obtenir de vous d'entendre le récit des actions de Houan, prince de Thsi, et de Wen, prince de Tçin?

MENG-TSEU répondit avec respect: De tous les disciples de TCHOUNG-NI aucun n'a raconté les faits et gestes de Houan et de Wen. C'est pourquoi ils n'ont pas été transmis aux générations qui les ont suivis; et votre serviteur n'en a jamais entendu le récit. Si vous ne cessez de me presser de questions semblables, quand nous occuperons-nous de l'art de gouverner un empire?

[Le roi] dit: Quelles règles faut-il suivre pour bien gouverner?

[MENG-TSEU] dit: Donnez tous vos soins au peuple, et vous ne rencontrerez aucun obstacle pour bien gouverner.

Le roi ajouta: Dites-moi si ma chétive personne est capable d'aimer et de chérir le peuple?

—Vous en êtes capable, répliqua MENG-TSEU.

—D'où savez-vous que j'en suis capable? [MENG-TSEU] dit: Votre serviteur a entendu dire à Hou-hé[12] ces paroles: «Le roi était assis dans la salle d'audience; des hommes qui conduisaient un bœuf lié par des cordes vinrent à passer au bas de la salle. Le roi, les ayant vus, leur dit: Où menez-vous ce bœuf? Ils lui répondirent respectueusement: Nous allons nous servir [de son sang] pour arroser une cloche. Le roi dit: Lâchez-le; je ne puis supporter de voir sa frayeur et son agitation, comme celle d'un innocent qu'on mène au lieu du supplice. Ils répondirent avec respect: Si nous agissons ainsi, nous renoncerons donc à arroser la cloche de son sang? [Le roi] reprit: Comment pourriez-vous y renoncer? remplacez-le par un mouton.» Je ne sais pas si cela s'est passé ainsi.

Le roi dit: Cela s'est passé ainsi.

MENG-TSEU ajouta: Cette compassion du cœur suffit pour régner. Les cent familles [tout le peuple chinois] ont toutes considéré le roi, dans cette occasion, comme mû par des sentiments d'avarice; mais votre serviteur savait d'une manière certaine que le roi était mû par un sentiment de compassion.

Le roi dit: Assurément. Dans la réalité, j'ai donné lieu au peuple de me croire mû par des sentiments d'avarice. Cependant, quoique le royaume de Thsi soit resserré dans d'étroites limites, comment aurais-je sauvé un bœuf par avarice? seulement je n'ai pu supporter de voir sa frayeur et son agitation, comme celle d'un innocent qu'on mène au lieu du supplice. C'est pourquoi je l'ai fait remplacer par un mouton.

MENG-TSEU dit: Prince, ne soyez pas surpris de ce que les cent familles ont considéré le roi comme ayant été mû, dans cette occasion, par des sentiments d'avarice. Vous aviez fait remplacer une grande victime par une petite; comment le peuple aurait-il deviné le motif de votre action? Roi, si vous avez eu compassion seulement d'un être innocent que l'on menait au lieu du supplice, alors pourquoi entre le bœuf et le mouton avez-vous fait un choix? Le roi répondit en souriant: C'est cependant la vérité; mais quelle était ma pensée? Je ne l'ai pas épargné à cause de sa valeur, mais je l'ai échangé contre un mouton. Toutefois le peuple a eu raison de m'accuser d'avarice.

MENG-TSEU dit: Rien en cela ne doit vous blesser; car c'est l'humanité qui vous a inspiré ce détour. Lorsque vous aviez le bœuf sous vos yeux, vous n'aviez pas encore vu le mouton. Quand l'homme supérieur a vu les animaux vivants, il ne peut supporter de les voir mourir; quand il a entendu leurs cris d'agonie, il ne peut supporter de manger leur chair. C'est pourquoi l'homme supérieur place son abattoir et sa cuisine dans des lieux éloignés.

Le roi, charmé de cette explication, dit: On lit dans le Livre des Vers:

«Un autre homme avait une pensée;

Moi, je l'ai devinée, et lui ai donné sa mesure[13]

Maître, vous avez exprimé ma pensée. J'avais fait cette action; mais en y réfléchissant à plusieurs reprises, et en cherchant les motifs qui m'avaient fait agir comme j'ai agi, je n'avais pu parvenir à m'en rendre compte intérieurement. Maître, en m'expliquant ces motifs, j'ai senti renaître en mon cœur de grands mouvements de compassion. Mais ces mouvements du cœur, quel rapport ont-ils avec l'art de régner?

MENG-TSEU dit: S'il se trouvait un homme qui dît au roi: Mes forces sont suffisantes pour soulever un poids de trois mille livres, mais non pour soulever une plume; ma vue peut discerner le mouvement de croissance de l'extrémité des poils d'automne de certains animaux, mais elle ne peut discerner une voiture chargée de bois qui suit la grande route: roi, auriez-vous foi en ses paroles?—Le roi dit: Aucunement.—Maintenant vos bienfaits ont pu atteindre jusqu'à un animal, mais vos bonnes œuvres n'arrivent pas jusqu'aux populations. Quelle en est la cause? Cependant, si l'homme ne soulève pas une plume, c'est parce qu'il ne fait pas usage de ses forces; s'il ne voit pas la voiture chargée de bois, c'est qu'il ne fait pas usage de sa faculté de voir; si les populations ne reçoivent pas de vous des bienfaits, c'est que vous ne faites pas usage de votre faculté bienfaisante. C'est pourquoi, si un roi ne gouverne pas comme il doit gouverner [en comblant le peuple de bienfaits][14], c'est parce qu'il ne le fait pas, et non parce qu'il ne le peut pas.

Le roi dit: En quoi diffèrent les apparences du mauvais gouvernement par mauvais vouloir ou par impuissance?

MENG-TSEU dit: Si l'on conseillait à un homme de prendre sous son bras la montagne Taï-chan pour la transporter dans l'Océan septentrional, et que cet homme dit: Je ne le puis, on le croirait, parce qu'il dirait la vérité; mais si on lui ordonnait de rompre un jeune rameau d'arbre, et qu'il dit encore: Je ne le puis, alors il y aurait de sa part mauvais vouloir, et non impuissance. De même, le roi qui ne gouverne pas bien comme il le devrait faire n'est pas à comparer à l'espèce d'homme essayant de prendre la montagne de Taï-chan sous son bras pour la transporter dans l'Océan septentrional, mais à l'espèce d'homme disant ne pouvoir rompre le jeune rameau d'arbre.

Si la piété filiale que j'ai pour un parent, et l'amitié fraternelle que j'éprouve pour mes frères, inspirent aux autres hommes les mêmes sentiments; si la tendresse toute paternelle avec laquelle je traite mes enfants inspire aux autres hommes le même sentiment, je pourrai aussi facilement répandre des bienfaits dans l'empire que de tourner la main. Le Livre des Vers dit:

«Je me comporte comme je le dois envers ma femme,

Ensuite envers mes frères aîné et cadets,

Afin de gouverner convenablement mon État, qui n'est qu'une famille[15]»

Cela veut dire qu'il faut cultiver ces sentiments d'humanité dans son cœur, et les appliquer aux personnes désignées, et que cela suffit. C'est pourquoi celui qui met en action, qui produit au dehors ces bons sentiments, peut embrasser dans sa tendre affection les populations comprises entre les quatre mers; celui qui ne réalise pas ces bons sentiments, qui ne leur fait produire aucun effet, ne peut pas même entourer de ses soins et de son affection sa femme et ses enfants. Ce qui rendait les hommes des anciens temps si supérieurs aux hommes de nos jours n'était pas autre chose; ils suivaient l'ordre de la nature dans l'application de leurs bienfaits, et voilà tout. Maintenant que vos bienfaits ont pu atteindre les animaux, vos bonnes œuvres ne s'étendront-elles pas jusqu'aux populations, et celles-ci en seront-elles seules privées?

Quand on a placé des objets dans la balance, on connaît ceux qui sont lourds et ceux qui sont légers. Quand on a mesuré des objets, on connaît ceux qui sont longs et ceux qui sont courts. Toutes les choses ont en général ce caractère; mais le cœur de l'homme est la chose la plus importante de toutes. Roi, je vous en prie, mesurez-le [c'est-à-dire, tâchez d'en déterminer les véritables sentiments].

O roi! quand vous faites briller aux yeux les armes aiguës et les boucliers, que vous exposez au danger les chefs et leurs soldats, et que vous vous attirez ainsi les ressentiments de tous les grands vassaux, vous en réjouissez-vous dans votre cœur?

Le roi dit: Aucunement. Comment me réjouirais-je de pareilles choses? Tout ce que je cherche en agissant ainsi, c'est d'arriver à ce qui fait le plus grand objet de mes désirs.

MENG-TSEU dit: Pourrais-je parvenir à connaître le plus grand des vœux du roi? Le roi sourit, et ne répondit pas.

[MENG-TSEU] ajouta: Serait-ce que les mets de vos festins ne sont pas assez copieux et assez splendides pour satisfaire votre bouche? et vos vêtements assez légers et assez chauds pour couvrir vos membres? ou bien serait-ce que les couleurs les plus variées des fleurs ne suffisent point pour charmer vos regards, et que les sons et les chants les plus harmonieux ne suffisent point pour ravir vos oreilles? ou enfin, les officiers du palais ne suffisent-ils plus à exécuter vos ordres en votre présence? La foule des serviteurs du roi est assez grande pour pouvoir lui procurer toutes ces jouissances; et le roi, cependant, n'est-il pas affecté de ces choses?

Le roi dit: Aucunement. Je ne suis point affecté de ces choses.

MENG-TSEU dit: S'il en est ainsi, alors je puis connaître le grand but des désirs du roi. Il veut agrandir les terres de son domaine, pour faire venir à sa cour les rois de Thsin et de Thsou, commander à tout l'empire du milieu, et pacifier les barbares des quatre régions. Mais agir comme il le fait pour parvenir à ce qu'il désire, c'est comme si l'on montait sur un arbre pour y chercher des poissons.

Le roi dit: La difficulté serait-elle donc aussi grande?

MENG-TSEU ajouta: Elle est encore plus grande et plus dangereuse. En montant sur un arbre pour y chercher des poissons, quoiqu'il soit sûr que l'on ne puisse y en trouver, il n'en résulte aucune conséquence fâcheuse; mais en agissant comme vous agissez pour obtenir ce que vous désirez de tous vos vœux, vous épuisez en vain toutes les forces de votre intelligence dans ce but unique; il s'ensuivra nécessairement une foule de calamités.

[Le roi] dit: Pourrais-je savoir quelles sont ces calamités?

[MENG-TSEU] dit: Si les hommes de Tseou[16] et ceux de Thsou entrent en guerre, alors, ô roi! lesquels, selon vous, resteront vainqueurs?

Le roi dit: Les hommes de Thsou seront les vainqueurs.

—S'il en est ainsi, alors un petit royaume ne pourra certainement en subjuguer un grand. Un petit nombre de combattants ne pourra certainement pas résister à un grand nombre; les faibles ne pourront certainement pas résister aux forts. Le territoire situé dans l'intérieur des mers [l'empire de la Chine tout entier] comprend neuf régions de mille li chacune. Le royaume de Thsi [celui de son interlocuteur], en réunissant toutes ses possessions, n'a qu'une seule de ces neuf portions de l'empire. Si avec [les forces réunies] d'une seule de ces régions il veut se soumettre les huit autres, en quoi différera-t-il du royaume de Tseou, qui attaquerait celui de Thsou? Or il vous faut réfléchir de nouveau sur le grand objet de vos vœux.

Maintenant, ô roi! si vous faites que dans toutes les parties de votre administration publique se manifeste l'action d'un bon gouvernement; si vous répandez au loin les bienfaits de l'humanité, il en résultera que tous ceux qui dans l'empire occupent des emplois publics voudront venir résider à la cour du roi; que tous les laboureurs voudront venir labourer les champs du roi; que tous les marchands voudront venir apporter leurs marchandises sur les marchés du roi; que tous les voyageurs et les étrangers voudront voyager sur les chemins du roi; que toutes les populations de l'empire, qui détestent la tyrannie de leurs princes, voudront accourir à la hâte près du roi pour l'instruire de leurs souffrances. S'il en était ainsi, qui pourrait les retenir?

Le roi dit: Moi, homme de peu de capacité, je ne puis parvenir à ces résultats par un gouvernement si parfait; je désire que vous, maître, vous aidiez ma volonté [en me conduisant dans la bonne voie][17]; que vous m'éclairiez par vos instructions. Quoique je ne sois pas doué de beaucoup de perspicacité, je vous prie cependant d'essayer cette entreprise.

[MENG-TSEU] dit: Manquer des choses[18] constamment nécessaires à la vie, et cependant conserver toujours une âme égale et vertueuse, cela n'est qu'en la puissance des hommes dont l'intelligence cultivée s'est élevée au-dessus du vulgaire. Quant au commun du peuple, alors s'il manque des choses constamment nécessaires à la vie, par cette raison il manque d'une âme constamment égale et vertueuse; s'il manque d'une âme constamment égale et vertueuse, violation de la justice, dépravation du cœur, licence du vice, excès de la débauche, il n'est rien qu'il ne soit capable de faire. S'il arrive à ce point de tomber dans le crime [en se révoltant contre les lois][19], on exerce des poursuites contre lui, et on lui fait subir des supplices. C'est prendre le peuple dans des filets. Comment, s'il existait un homme véritablement doué de la vertu de l'humanité, occupant le trône, pourrait-il commettre cette action criminelle de prendre ainsi le peuple dans des filets?

C'est pourquoi un prince éclairé, en constituant comme il convient la propriété privée du peuple[20], obtient pour résultat nécessaire, en premier lieu, que les enfants aient de quoi servir leurs père et mère; en second lieu, que les pères aient de quoi entretenir leurs femmes et leurs enfants; que le peuple puisse se nourrir toute la vie des productions des années abondantes, et que, dans les années de calamités, il soit préservé de la famine et de la mort. Ensuite il pourra instruire le peuple, et le conduire dans le chemin de la vertu. C'est ainsi que le peuple suivra cette voie avec facilité.

Aujourd'hui la constitution de la propriété privée du peuple est telle, qu'en considérant la première chose de toutes, les enfants n'ont pas de quoi servir leurs père et mère, et qu'en considérant la seconde, les pères n'ont pas de quoi entretenir leurs femmes et leurs enfants; qu'avec les années d'abondance le peuple souffre jusqu'à la fin de sa vie la peine et la misère, et que dans les années de calamités il n'est pas préservé de la famine et de la mort. Dans de telles extrémités, le peuple ne pense qu'à éviter la mort en craignant de manquer du nécessaire. Comment aurait-il le temps de s'occuper des doctrines morales pour se conduire selon les principes de l'équité et de la justice?

O roi! si vous désirez pratiquer ces principes, pourquoi ne ramenez-vous pas votre esprit sur ce qui en est la base fondamentale [la constitution de la propriété privée][21]?

Faites planter des mûriers dans les champs d'une famille qui cultive cinq arpents de terre, et les personnes âgées de cinquante ans pourront porter des vêtements de soie; faites que l'on ne néglige pas d'élever des poules, des pourceaux de différentes espèces, et les personnes âgées de soixante et dix ans pourront se nourrir de viande. N'enlevez pas, dans les temps qui exigent des travaux assidus, les bras des familles qui cultivent cent arpents de terre, et ces familles nombreuses ne seront pas exposées aux souffrances de la faim. Veillez attentivement à ce que les enseignements des écoles et des colléges propagent les devoirs de la piété filiale et le respect équitable des jeunes gens pour les vieillards, alors on ne verra pas des hommes à cheveux blancs traîner ou porter de pesants fardeaux sur les grandes routes. Si les septuagénaires portent des vêtements de soie et mangent de la viande, et si les jeunes gens à cheveux noirs ne souffrent ni du froid ni de la faim, toutes les choses seront prospères. Il n'y a pas encore eu de prince qui, après avoir agi ainsi, n'ait pas régné sur tout l'empire.

[1] Petit État de la Chine à l'époque de MENG-TSEU, et dont la capitale se nommait Ta-liang; de son vivant, ce prince se nommait Weï-yng; après sa mort, on le nomma Liang-hoeï-wang, roi bienfaisant de la ville de Liang. Selon le Li-taï-ki-sse, il commença a régner la 6e année de Lie-wang des Tcheou, c'est-à-dire 370 ans avant notre ère. Son règne dura dix-huit ans. La visite que lui fit MENG-TSEU dut avoir lieu (d'après le §3 de ce chapitre, pag. 249) après la 9e année de son règne ou après la 362e année qui a précédé notre ère.

[2] «Un grand vassal, possédant un fief de mille li ou cent lieues carrées.» (Commentaire.)

[3] Un ta-fou, ou grand dignitaire (Ibid).

[4] C'est prendre le dixième, qui était alors la proportion habituelle de l'impôt public.

[5] Section Ta-ya, ode Ling-thaï.

[6] Commentaire.

[7] Chapitre du Chou-king. Voyez la note [58] ci-devant.

[8] Il y a en Chine des chiens que l'on mange; l'on peut en voir au Jardin des Plantes de Paris.

[9] Une partie du royaume de Weï appartenait autrefois au royaume de Tçin.

[10] Cet événement eut lieu la 8e et la 9e année du règne de Hoeï-wang ou 363-362 ans avant notre ère.

[11] Jin-mou. «Ce sont les princes qui nourrissent ci entretiennent [littéralement: qui font paître] les peuples. (Comm.) Cette expression se trouve aussi dans Homère: Ποιμὴν λαῶν.

[12] L'un des ministres du roi.

[13] Ode Khiao-yen, section Siao-ya.

[14] Commentaire.

[15] Ode Sse-tchaï, section Ta-ya.

[16] le royaume de Tseou était petit; celui de Thsou était grand. (Commentaire.)

[17] Commentaire.

[18] Tchan, patrimoine quelconque en terres ou en maisons; moyens d'existence.

[19] Commentaire.

[20] Le texte porte: Tchi min tchi tchan: CONSTITUENDO POPULI REM-FAMILIAREM. La Glose ajoute: Tchan, chi tien tchan; CETTE PROPRIÉTÉ PRIVÉE EST UNE PROPRIÉTÉ EN CHAMPS CULTIVABLES.

[21] Commentaire chinois. Le paragraphe qui suit est une répétition de celui qui se trouve déjà dans ce même chapitre, p. 247.


CHAPITRE II,

COMPOSÉ DE 16 ARTICLES.

1. Tchouang-pao[1], étant allé voir MENG-TSEU, lui dit: Moi Pao, un jour que j'étais allé voir le roi, le roi, dans la conversation, me dit qu'il aimait beaucoup la musique. Moi Pao, je n'ai su que lui répondre. Que pensez-vous de cet amour du roi pour la musique?—MENG-TSEU dit: Si le roi aime la musique avec prédilection, le royaume de Thsi approche beaucoup [d'un meilleur gouvernement].

Un autre jour, MENG-TSEU étant allé visiter le roi, lui dit: Le roi a dit dans la conversation, à Tchouang-y-tseu (Tchouang-pao), qu'il aimait beaucoup la musique; le fait est-il vrai? Le roi, ayant changé de couleur, répondit: Ma chétive personne n'est pas capable d'aimer la musique des anciens rois. Seulement j'aime beaucoup la musique appropriée aux mœurs de notre génération.

MENG-TSEU dit: Si le roi aime beaucoup la musique, alors le royaume de Thsi approche beaucoup [d'un meilleur gouvernement]. La musique de nos jours ressemble à la musique de l'antiquité.

Le roi dit: Pourrais-je obtenir de vous des explications là-dessus?

MENG-TSEU dit: Si vous prenez seul le plaisir de la musique, ou si vous le partagez avec les autres hommes, dans lequel de ces deux cas éprouverez-vous le plus grand plaisir? Le roi dit: Le plus grand sera assurément celui que je partagerai avec les autres hommes. MENG-TSEU ajouta: Si vous jouissez du plaisir de la musique avec un petit nombre de personnes, ou si vous en jouissez avec la multitude, dans lequel de ces deux cas éprouverez-vous le plus grand plaisir? Le roi dit: Le plus grand plaisir sera assurément celui que je partagerai avec la multitude.

—Votre serviteur vous prie de lui laisser continuer la conversation sur la musique.

Je suppose que le roi commence à jouer en ce lieu de ses instruments de musique, tout le peuple entendant les sons des divers instruments de musique[2] du roi, éprouvera aussitôt un vif mécontentement, froncera le sourcil, et il se dira: «Notre roi aime beaucoup à jouer de ses instruments de musique; mais comment gouverne-t-il donc, pour que nous soyons arrivés au comble de la misère? Les pères et les fils ne se voient plus; les frères, les femmes, les enfants sont séparés l'un de l'autre et dispersés de tous côtés.» Maintenant, que le roi aille à la chasse dans ce pays-ci, tout le peuple, entendant le bruit des chevaux et des chars du roi, voyant la magnificence de ses étendards ornés de plumes et de queues flottantes, éprouvera aussitôt un vif mécontentement, froncera le sourcil, et il se dira: «Notre roi aime beaucoup la chasse; comment fait-il donc pour que nous soyons arrivés au comble de la misère? Les pères et les fils ne se voient plus; les frères, les femmes et les enfants sont séparés l'un de l'autre et dispersés de tous côtés.» La cause de ce vif mécontentement, c'est que le roi ne fait pas participer le peuple à sa joie et à ses plaisirs.

Je suppose maintenant que le roi commence à jouer en ces lieux de ses instruments de musique, tout le peuple, entendant les sons des divers instruments du roi, éprouvera un vif sentiment de joie que témoignera son visage riant, et il se dira: «Notre roi se porte sans doute fort bien, autrement comment pourrait-il jouer des instruments de musique?» Maintenant, que le roi aille à la chasse dans ce pays-ci, le peuple, entendant le bruit des chevaux et des chars du roi, voyant la magnificence de ses étendards ornés de plumes et de queues flottantes, éprouvera un vif sentiment de joie que témoignera son visage riant, et il se dira: «Notre roi se porte sans doute fort bien, autrement comment pourrait-il aller à la chasse? La cause de cette joie, c'est que le roi aura fait participer le peuple à sa joie et à ses plaisirs.

Maintenant, si le roi fait participer le peuple à sa joie et à ses plaisirs, alors il régnera véritablement.

2. Siouan-wang, roi de Thsi, interrogea MENG-TSEU en ces termes: J'ai entendu dire que le parc du roi Wen-wang avait soixante et dix li [sept lieues] de circonférence; les avait-il véritablement?

MENG-TSEU répondit avec respect: C'est ce que l'histoire rapporte[3].

Le roi dit: D'après cela, il était donc d'une grandeur excessive?

MENG-TSEU dit: Le peuple le trouvait encore trop petit.

Le roi ajouta: Ma chétive personne a un parc qui n'a que quarante li [quatre lieues] de circonférence, et le peuple le trouve encore trop grand; pourquoi cette différence?

MENG-TSEU dit: Le parc de Wen-wang avait sept lieues de circuit; mais c'était là que se rendaient tous ceux qui avaient besoin de cueillir de l'herbe ou de couper du bois. Ceux qui voulaient prendre des faisans ou des lièvres allaient là. Comme le roi avait son parc en commun avec le peuple, celui-ci le trouvait trop petit [quoiqu'il eût sept lieues de circonférence]; cela n'était-il pas juste?

Moi, votre serviteur, lorsque je commençai à franchir la frontière, je m'informai de ce qui était principalement défendu dans votre royaume, avant d'oser pénétrer plus avant. Votre serviteur apprit qu'il y avait dans l'intérieur de vos lignes de douanes un parc de quatre lieues de tour; que l'homme du peuple qui y tuait un cerf était puni de mort, comme s'il avait commis le meurtre d'un homme; alors c'est une véritable fosse de mort de quatre lieues de circonférence ouverte au sein de votre royaume. Le peuple, qui trouve ce parc trop grand, n'a-t-il pas raison?

3. Siouan-wang, roi de Thsi, fit une question en ces termes: Y a-t-il un art, une règle à suivre pour former des relations d'amitié entre les royaumes voisins?

MENG-TSEU répondit avec respect: Il en existe. Il n'y a que le prince doué de la vertu de l'humanité qui puisse, en possédant un grand État, procurer de grands avantages aux petits. C'est pourquoi Tching-thang assista l'État de Ko, et Wen-wang ménagea celui des Kouen-i [ou barbares de l'occident]. Il n'y a que le prince doué d'une sagesse éclairée qui puisse, en possédant un petit État, avoir la condescendance nécesssaire envers les grands États. C'est ainsi que Taï-wang se conduisit envers les Hiun-yo [ou barbares du nord], et Keou-tsian envers l'État de Ou.

Celui qui, commandant à un grand État, protége, assiste les petits, se conduit d'une manière digne et conforme à la raison céleste; celui qui, ne possédant qu'un petit État, a de la condescendance pour les grands États, respecte, en lui obéissant, la raison céleste; celui qui se conduit d'une manière digne et conforme à la raison céleste est le protecteur de tout l'empire; celui qui respecte, en lui obéissant, la raison céleste, est le protecteur de son royaume.

Le Livre des Vers[4] dit:

«Respectez la majesté du ciel,

Et par cela même vous conserverez le mandat qu'il vous a délégué.»

Le roi dit: La grande, l'admirable instruction! Ma chétive personne a un défaut, ma chétive personne aime la bravoure.

[MENG-TSEU] répondit avec respect: Prince, je vous en prie, n'aimez pas la bravoure vulgaire [qui n'est qu'une impétuosité des esprits vitaux][5]. Celui qui possède celle-ci saisit son glaive en jetant autour de lui des regards courroucés, et s'écrie: «Comment cet ennemi» ose-t-il venir m'attaquer?» Cette bravoure n'est que celle d'un homme vulgaire qui peut résister à un seul homme. Roi, je vous en prie, ne vous occupez que de la bravoure des grandes âmes.

Le Livre des Vers[6] dit:

«Le roi (Wen-wang), s'animant subitement, devint rouge de colère;

Il fit aussitôt ranger son armée en ordre de bataille,

Afin d'arrêter les troupes ennemies qui marchaient sur elle;

Afin de rendre plus florissante la prospérité des Tcheou;

Afin de répondre aux vœux ardents de tout l'empire.»

Voilà la bravoure de Wen-wang. Wen-wang ne s'irrite qu'une fois, et il pacifie toutes les populations de l'empire.

Le Chou-king, ou Livre par excellence[7], dit: «Le ciel, en créant les peuples, leur a préposé des princes [pour avoir soin d'eux][8]; il leur a donné des instituteurs [pour les instruire]. Aussi est-il dit: Ils sont les auxiliaires du souverain suprême, qui les distingue par des marques d'honneur dans les quatre parties de la terre. Il n'appartient qu'à moi (c'est Wou-wang qui parle) de récompenser les innocents et de punir les coupables. Qui, dans tout l'empire, oserait s'opposer à sa volontés[9]

Un seul homme (Cheou-sin) avait commis des actions odieuses dans tout l'empire; Wou-wang en rougit. Ce fut là la bravoure de Wou-wang; et Wou-wang, s'étant irrité une seule fois, pacifia toutes les populations de l'empire.

Maintenant, si le roi, en se livrant une seule fois à ses mouvements d'indignation ou de bravoure, pacifiait toutes les populations de l'empire, les populations n'auraient qu'une crainte, c'est que le roi n'aimât pas la bravoure.

4. Siouan-wang, roi de Thsi, était allé voir MENG-TSEU dans le Palais de la neige (Siouëi-koung). Le roi dit: Convient-il aux sages de demeurer dans un pareil lieu de délices? MENG-TSEU répondit avec respect: Assurément. Si les hommes du peuple n'obtiennent pas cette faveur, alors ils accusent leur supérieur [leur prince].

Ceux qui n'obtiennent pas cette faveur, et qui accusent leur supérieur, sont coupables; mais celui qui est constitué le supérieur du peuple, et qui ne partage pas avec le peuple ses joies et ses plaisirs, est encore plus coupable.

Si un prince se réjouit de la joie du peuple, le peuple se réjouit aussi de sa joie. Si un prince s'attriste des tristesses du peuple, le peuple s'attriste aussi de ses tristesses. Qu'un prince se réjouisse avec tout le monde, qu'il s'attriste avec tout le monde; en agissant ainsi, il est impossible qu'il trouve de la difficulté à régner.

Autrefois King-kong, roi de Thsi, interrogeant Yan-tseu [son premier ministre], dit: Je désirerais contempler les [montagnes] Tchouan-fou et Tchao-wou, et, suivant la mer au midi [dans l'Océan oriental][10], parvenir à Lang-ye. Comment dois-je agir pour imiter les anciens rois dans leurs visites de l'empire?

Yan-tseu répondit avec respect: O l'admirable question! Quand le fils du Ciel[11] se rendait chez les grands vassaux, on nommait ces visites, visites d'enquêtes (sun-cheou); faire ces visites d'enquêtes, c'est inspecter ce qui a été donné à conserver. Quand les grands vassaux allaient faire leur cour au fils du Ciel, on appelait ces visites comptes-rendus [chou-tchi]. Par comptes-rendus on entendait rendre compte [au roi ou à l'empereur] de tous les actes de son administration. Aucune de ces visites n'était sans motif. Au printemps [les anciens empereurs] inspectaient les champs cultivés, et fournissaient aux laboureurs les choses dont ils avaient besoin. En automne ils inspectaient les moissons, et ils donnaient des secours à ceux qui ne récoltaient pas de quoi leur suffire. Un proverbe de la dynastie Hia disait: «Si notre roi ne visite pas [le royaume], comment recevrons-nous ses bienfaits? Si notre roi ne se donne pas le plaisir d'inspecter [le royaume], comment obtiendrons-nous des secours?» Chaque visite, chaque récréation de ce genre, devenait une loi pour les grands vassaux.

Maintenant les choses ne se passent pas ainsi. Des troupes nombreuses se mettent en marche avec le prince [pour lui servir de garde][12], et dévorent toutes les provisions. Ceux qui éprouvent la faim ne trouvent plus à manger; ceux qui peuvent travailler ne trouvent plus de repos. Ce ne sont plus que des regards farouches, des concerts de malédictions. Dans le cœur du peuple naissent alors des haines profondes; il résiste aux ordres [du roi], qui prescrivent d'opprimer le peuple. Le boire et le manger se consomment avec l'impétuosité d'un torrent. Ces désordres sont devenus la frayeur des grands vassaux.

Suivre le torrent qui se précipite dans les lieux inférieurs, et oublier de retourner sur ses pas, on appelle cela suivre le courant[13]; suivre le torrent en remontant vers sa source, et oublier de retourner sur ses pas, on appelle cela suivre sans interruption ses plaisirs[14]; poursuivre les bêtes sauvages sans se rassasier de cet amusement, on appelle cela perdre son temps en choses vaines[15]; trouver ses délices dans l'usage du vin, sans pouvoir s'en rassasier, on appelle cela se perdre de gaîtê de cœur[16].

Les anciens rois ne se donnaient point les satisfactions des deux premiers égarements du cœur [le lieou et le lian], et ils ne mettaient pas en pratique les deux dernières actions vicieuses [le hoang et le wang]. Il dépend uniquement du prince de déterminer en cela les principes de sa conduite.

King-kong fut très-satisfait [de ce discours de Yan-tseu]. Il publia aussitôt dans tout le royaume un décret royal par lequel il informait le peuple qu'il allait quitter [son palais splendide] pour habiter dans les campagnes. Dès ce moment il commença à donner des témoignages évidents de ses bonnes intentions en ouvrant les greniers publics pour assister ceux qui se trouvaient dans le besoin. Il appela auprès de lui l'intendant en chef de la musique, et lui dit: «Composez pour moi un chant de musique qui exprime la joie mutuelle d'un prince et d'un ministre.» Or cette musique est celle que l'on appelle Tchi-chao et Kio-chao [la première qui a rapport aux affaires du prince, la seconde qui a rapport au peuple][17]. Les paroles de cette musique sont l'ode du Livre des Vers qui dit:

«Quelle faute peut-on attribuer

Au ministre qui modère et retient son prince?

Celui qui modère et retient le prince aime le prince.»

5. Siouan-wang, roi de Thsi, lit une question en ces termes: Tout le monde me dit de démolir le Palais de la lumière (Ming-thang)[18]; faut-il que je me décide à le détruire?

MENG-TSEU répondit avec respect: Le Palais de la lumière est un palais des anciens empereurs. Si le roi désire pratiquer le gouvernement des anciens empereurs, il ne faut pas qu'il le détruise.

Le roi dit: Puis-je apprendre de vous quel était ce gouvernement des anciens empereurs?

[MENG-TSEU] répondit avec respect: Autrefois, lorsque Wen-wang gouvernait [l'ancien royaume de] Khi, les laboureurs payaient comme impôt la neuvième partie de leurs produits; les fonctions publiques [entre les mains des descendants des hommes illustres et vertueux des premiers temps] étaient, par la suite des générations, devenues salariées; aux passages des frontières et sur les marchés, une surveillance active était exercée, mais aucun droit n'était exigé; dans les lacs et les étangs, les ustensiles de pêche n'étaient pas prohibés; les criminels n'étaient pas punis dans leurs femmes et leurs enfants. Les vieillards qui n'avaient plus de femmes étaient nommés veufs ou sans compagnes (kouan); la femme âgée qui n'avait plus de mari était nommée veuve ou sans compagnon (koua); le vieillard privé de fils était nommé solitaire (tou); les jeunes gens privés de leurs père et mère étaient nommés orphelins sans appui (kou). Ces quatre classes formaient la population la plus misérable de l'empire, et n'avaient personne qui s'occupât d'elles. Wen-wang, en introduisant dans son gouvernement les principes d'équité et de justice, et en pratiquant dans toutes les occasions la grande vertu de l'humanité, s'appliqua d'abord au soulagement de ces quatre classes. Le Livre des Vers dit:

«On peut être riche et puissant;

Mais il faut avoir de la compassion pour les malheureux veufs et orphelins[19]

Le roi dit: Qu'elles sont admirables les paroles que je viens d'entendre! MENG-TSEU ajouta: O roi! si vous les trouvez admirables, alors pourquoi ne les pratiquez-vous pas? Le roi dit: Ma chétive personne a un défaut[20], ma chétive personne aime les richesses.

MENG-TSEU répondit avec respect: Autrefois Kong-lieou aimait aussi les richesses.

Le Livre des Vers[21] dit [en parlant de Kong-lieou]:

«Il entassait [des meules de blé], il accumulait [les grains dans les greniers];

Il réunissait des provisions sèches dans des sacs sans fond et dans des sacs avec fond.

Sa pensée s'occupait de pacifier le peuple pour donner de l'éclat à son règne.

Les arcs et les flèches étant préparés,

Ainsi que les boucliers, les lances et les haches,

Alors il commença à se mettre en marche.»

C'est pourquoi ceux qui restèrent eurent des blés entassés en meules, et des grains accumulés dans les greniers, et ceux qui partirent [pour l'émigration dans le lieu nommé Pin] eurent des provisions sèches réunies dans des sacs; par suite de ces mesures, ils purent alors se mettre en marche. Roi, si vous aimez les richesses, partagez-les avec le peuple; quelle difficulté trouverez-vous alors à régner?

Le roi dit: Ma chétive personne a encore une autre faiblesse, ma chétive personne aime la volupté.

MENG-TSEU répondit avec respect: Autrefois Taï-wang [l'ancêtre de Wen-wang] aimait la volupté; il chérissait sa femme.

Le Livre des Vers dit[22]:

«Tan-fou, surnommé Kou-kong [le même que Taï-wang],

Arriva un matin, courant à cheval;

En longeant les bords du fleuve occidental,

Il parvint au pied du mont Khi.

Sa femme Kiang était avec lui:

C'est là qu'il fixa avec elle son séjour.»

En ce temps-là il n'y avait dans l'intérieur des maisons aucune femme indignée [d'être sans mari][23]; et dans tout le royaume il n'y avait point de célibataire. Roi, si vous aimez la volupté [aimez-la comme Tai-wang], et rendez-la commune à toute la population [en faisant que personne ne soit privé des plaisirs du mariage]; alors quelle difficulté trouverez-vous à régner?

6. MENG-TSEU s'adressant à Siouan-wang, roi de Thsi, lui dit: Je suppose qu'un serviteur du roi ait assez de confiance dans un ami pour lui confier sa femme et ses enfants au moment où il va voyager dans l'État de Thsou. Lorsque cet homme est de retour, s'il apprend que sa femme et ses enfants ont souffert le froid et la faim, alors que doit-il faire?—Le roi dit: Il doit rompre entièrement avec son ami.

MENG-TSEU ajouta: Si le chef suprême de la justice (Sse-sse) ne peut gouverner les magistrats qui lui sont subordonnes, alors quel parti doit-on prendre à son égard?

Le roi dit: Il faut le destituer.

MENG-TSEU poursuivit: Si les provinces situées entre les limites extrêmes du royaume ne sont pas bien gouvernées, que faudra-t-il faire?

Le roi [feignant de ne pas comprendre] regarda à droite et à gauche, et parla d'autre chose[24].

7. MENG-TSEU étant allé visiter Siouan-wang, roi de Thsi, lui dit: Ce qui fait appeler un royaume ancien, ce ne sont pas les vieux arbres élevés qu'on y trouve, ce sont les générations successives de ministres habiles qui l'ont rendu heureux et prospère. Roi, vous n'avez aucun ministre intime [qui ait votre confiance, comme vous la sienne]; ceux que vous avez faits hier ministres, aujourd'hui vous ne vous rappelez déjà plus que vous les avez destitués.

Le roi dit: Comment saurais-je d'avance qu'ils n'ont point de talents, pour les repousser?

MENG-TSEU dit: Le prince qui gouverne un royaume, lorsqu'il élève les sages aux honneurs et aux dignités, doit apporter dans ses choix l'attention et la circonspection la plus grande. S'il agit en sorte de donner la préférence [à cause de sa sagesse] à un homme d'une condition inférieure sur un homme d'une condition élevée, et à un parent éloigné sur un parent plus proche, n'aura-t-il pas apporté dans ses choix beaucoup de vigilance et d'attention?

Si tous ceux qui vous entourent vous disent: Un tel est sage, cela ne doit pas suffire [pour le croire]; si tous les grands fonctionnaires disent: Un tel est sage, cela ne doit pas encore suffire; si tous les hommes du royaume disent: Un tel est sage, et qu'après avoir pris des informations pour savoir si l'opinion publique était fondée, vous l'avez trouvé sage, vous devez ensuite l'employer [dans les fonctions publiques, de préférence à tout autre].

Si tous ceux qui vous entourent vous disent: Un tel est indigne [ou impropre à remplir un emploi public], ne les écoutez pas; si tous les grands fonctionnaires disent: Un tel est indigne, ne les écoutez pas; si tous les hommes du royaume disent: Un tel est indigne, et qu'après avoir pris des informations pour savoir si l'opinion publique était fondée, vous l'avez trouvé indigne, vous devez ensuite l'éloigner [des fonctions publiques].

Si tous ceux qui vous entourent disent: Un tel doit être mis à mort, ne les écoutez pas; si tous les grands fonctionnaires disent: Un tel doit être mis à mort, ne les écoutez pas; si tous les hommes du royaume disent: Un tel doit être mis à mort, et qu'après avoir pris des informations pour savoir si l'opinion publique était fondée, vous l'avez trouvé méritant la mort, vous devez ensuite le faire mourir. C'est pourquoi on dit que c'est l'opinion publique qui l'a condamné et fait mourir.

Si le prince agit de cette manière [dans l'emploi des honneurs et dans l'usage des supplices][25], il pourra ainsi être considéré comme le père et la mère du peuple.

8. Siouan-wang, roi de Thsi, fit une question en ces termes: Est-il vrai que Tching-tang[26] détrôna Kie[27] et l'envoya en exil, et que Wou-wang[28] mit à mort Cheou-(sin)[29]?

MENG-TSEU répondit avec respect: L'histoire le rapporte.

Le roi dit: Un ministre ou sujet a-t-il le droit de détrôner et de tuer son prince?

MENG-TSEU dit: Celui qui fait un vol à l'humanité est appelé voleur; celui qui fait un vol à la justice [qui l'outrage], est appelé tyran[30]. Or un voleur et un tyran sont des hommes que l'on appelle isolés, réprouvés [abandonnés de leurs parents et de la foule][31]. J'ai entendu dire que Tching-tang avait mis à mort un homme isolé, réprouvé [abandonné de tout le monde], nommé Cheou-sin; je n'ai pas entendu dire qu'il eût tué son prince.

9. MENG-TSEU étant allé visiter Siouan-wang, roi de Thsi, lui dit: Si vous faites construire un grand palais, alors vous serez obligé d'ordonner au chef des ouvriers de faire chercher de gros arbres [pour faire des poutres et des solives]; si le chef des ouvriers parvient à se procurer ces gros arbres, alors le roi en sera satisfait, parce qu'il les considérera comme pouvant supporter le poids auquel on les destine. Mais si le charpentier, en les façonnant avec sa hache, les réduit à une dimension trop petite, alors le roi se courroucera, parce qu'il les considérera comme ne pouvant plus supporter le poids auquel on les destinait. Si un homme sage s'est livré à l'étude dès son enfance, et que parvenu à l'âge mur et désirant mettre en pratique les préceptes de sagesse qu'il a appris, le roi lui dise: Maintenant abandonnez tout ce que vous avez appris, et suivez mes instructions; que penseriez-vous de cette conduite?

En outre, je suppose qu'une pierre de jade brute soit en votre possession, quoiqu'elle puisse peser dix mille i [ou 200,000 onces chinoises], vous appellerez certainement un lapidaire pour la façonner et la polir. Quant à ce qui concerne le gouvernement de l'État, si vous dites [à des sages]: Abandonnez tout ce que vous avez appris, et suivez mes instructions, agirez-vous différemment que si vous vouliez instruire le lapidaire de la manière dont il doit tailler et polir votre pierre brute?

10. Les hommes de Thsi attaquèrent ceux de Yan, et les vainquirent.

Siouan-wang interrogea [MENG-TSEU], en disant: Les uns me disent de ne pas aller m'emparer [du royaume de Yan], d'autres me disent d'aller m'en emparer. Qu'un royaume de dix mille chars puisse conquérir un autre royaume de dix mille chars dans l'espace de cinq décades [ou cinquante jours] et l'occuper, la force humaine ne va pas jusque-là. Si je ne vais pas m'emparer de ce royaume, j'éprouverai certainement la défaveur du ciel; si je vais m'en emparer, qu'arrivera-t-il?

MENG-TSEU répondit avec respect: Si le peuple de Yan se réjouit de vous voir prendre possession de cet État, allez en prendre possession; l'homme de l'antiquité qui agit ainsi fut Wou-wang. Si le peuple de Yan ne se réjouit pas de vous voir prendre possession de ce royaume, alors n'allez pas en prendre possession; l'homme de l'antiquité qui agit ainsi fut Wen-wang.

Si avec les forces d'un royaume de dix mille chars vous attaquez un autre royaume de dix mille chars, et que le peuple vienne au-devant des armées du roi en leur offrant du riz cuit à manger et du vin à boire, pensez-vous que ce peuple ait une autre cause d'agir ainsi, que celle de fuir l'eau et le feu [ou une cruelle tyrannie]? Mais si vous rendiez encore cette eau plus profonde, et ce feu plus brûlant [c'est-à-dire, si vous alliez exercer une tyrannie plus cruelle encore], il se tournerait d'un autre côté pour obtenir sa délivrance; et voilà tout.

11. Les hommes de Thsi ayant attaqué l'État de Yan et l'ayant pris, tous les autres princes résolurent de délivrer Yan. Siouan-wang dit: Les princes des différents États ont résolu en grand nombre d'attaquer ma chétive personne; comment ferai-je pour les attendre? MENG-TSEU répondit avec respect: Votre serviteur a entendu parler d'un homme qui, ne possédant que soixante et dix li [sept lieues] de territoire, parvint cependant à appliquer les principes d'un bon gouvernement à tout l'empire; Tching-thang fut cet homme. Mais je n'ai jamais entendu dire qu'un prince possédant un État de mille li[32] [cent lieues] craignît les attaques des hommes.

Le Chou-king, Livre par excellence, dit que «Tching-thang, allant pour la première fois combattre les princes qui tyrannisaient le peuple, commença par le roi de Ko; l'empire mit en lui toute sa confiance; s'il portait ses armes vers l'orient, les barbares de l'occident se plaignaient [et soupiraient après leur délivrance]; s'il portait ses armes au midi, les barbares du nord se plaignaient [et soupiraient après leur délivrance], en disant: Pourquoi nous place-t-il après les autres[33]?» Les peuples aspiraient après lui, comme, à la suite d'une grande sécheresse, on aspire après les nuages et l'arc-en-ciel. Ceux qui [sous son gouvernement] se rendaient sur les marchés n'étaient plus arrêtés en route; ceux qui labouraient la terre n'étaient plus transportés d'un lieu dans un autre. Tching-thang mettait à mort les princes [qui exerçaient la tyrannie][34] et soulageait les peuples. Comme lorsque la pluie tombe dans un temps désiré, les peuples éprouvaient une grande joie.

Le Chou-king dit encore: «Nous attendions évidemment notre prince; après son arrivée, nous avons été rendus à la vie.»

Maintenant, le roi de Yan opprimait son peuple; vous êtes allé pour le combattre et vous l'avez vaincu. Le peuple de Yan, pensant que le vainqueur les délivrerait du milieu de l'eau et du feu [de la tyrannie sous laquelle il gémissait], vint au-devant des armées du roi, en leur offrant du riz cuit à manger et du vin à boire. Mais si vous faites mourir les pères et les frères aînés; si vous jetez dans les liens les enfants et les frères cadets; si vous détruisez les temples dédiés aux ancêtres; si vous enlevez de ces temples les vases précieux qu'ils renferment, qu'en résultera-t-il? L'empire tout entier redoutait certainement déjà la puissance de Thsi. Maintenant que vous avez encore doublé l'étendue de votre territoire, sans pratiquer un gouvernement humain, vous soulevez par là contre vous toutes les armées de l'empire.

Si le roi promulguait promptement un décret qui ordonnât de rendre à leurs parents les vieillards et les enfants, de cesser d'enlever des temples les vases précieux; et si, de concert avec le peuple de Yan, vous rétablissez à sa tête un sage prince et quittez son territoire, alors vous pourrez parvenir à arrêter [les armées des autres princes toutes prêtes à vous attaquer].

12. Les princes de Tseou et de Lou étant entrés en hostilités l'un contre l'autre, Mou-hong [prince de Tseou] fit une question en ces termes: Ceux de mes chefs de troupes qui ont péri en combattant sont au nombre de trente-trois, et personne d'entre les hommes du peuple n'est mort en les défendant. Si je condamne à mort les hommes du peuple, je ne pourrai pas faire mourir tous ceux qui seront condamnés; si je ne les condamne pas à mort, ils regarderont, par la suite, avec dédain, la mort de leurs chefs et ne les défendront pas. Dans ces circonstances, comment dois-je agir pour bien faire?

MENG-TSEU répondit avec respect: Dans les dernières années de stérilité, de désastres et de famine, le nombre des personnes de votre peuple, tant vieillards qu'infirmes, qui se sont précipités dans des fossés pleins d'eau ou dans des mares, y compris les jeunes gens forts et vigoureux qui se sont dispersés dans les quatre parties de l'empire [pour chercher leur nourriture], ce nombre, dis-je, s'élève à près de mille[35]; et pendant ce temps les greniers du prince regorgeaient d'approvisionnements; ses trésors étaient pleins; et aucun chef du peuple n'a instruit le prince de ses souffrances. Voilà comment les supérieurs[36] dédaignent et tyrannisent horriblement les inférieurs[37]. Thseng-tseu disait:

«Prenez garde! prenez garde! Ce qui sort de vous retourne à vous!» Le peuple maintenant est arrivé à rendre ce qu'il a reçu. Que le prince ne l'en accuse pas.

Dès l'instant que le prince pratique un gouvernement humain, aussitôt le peuple prend de l'affection pour ses supérieurs, et il donnerait sa vie pour ses chefs.

13. Wen-kong, prince de Teng, fit une question en ces termes: Teng est un petit royaume; mais, comme il est situé entre les royaumes de Thsi et de Thsou, servirai-je Thsi, ou servirai-je Thsou?

MENG-TSEU répondit avec respect: C'est un de ces conseils qu'il n'est pas en mon pouvoir de vous donner. Cependant, si vous continuez à insister, alors j'en aurai un [qui sera donné par la nécessité]: creusez plus profondément ces fossés, élevez plus haut ces murailles; et si avec le concours du peuple vous pouvez les garder; si vous êtes prêt à tout supporter jusqu'à mourir pour défendre votre ville, et que le peuple ne vous abandonne pas, alors c'est là tout ce que vous pouvez faire [dans les circonstances où vous vous trouvez].

14. Wen-kong, prince de Teng, fit une autre question en ces termes: Les hommes de Thsi sont sur le point de ceindre de murailles l'État de Sië; j'en éprouve une grande crainte. Que dois-je faire dans cette circonstance?

MENG-TSEU répondit avec respect: Autrefois Taï-wang habitait dans la terre de Pin; les barbares du nord, nommés Joung, l'inquiétaient sans cesse par leurs incursions; il quitta cette résidence et se rendit au pied du mont Khi, où il se fixa; ce n'est pas par choix et de propos délibéré qu'il agit ainsi, c'est parce qu'il ne pouvait pas faire autrement.

Si quelqu'un pratique constamment la vertu, dans la suite des générations il se trouvera toujours parmi ses fils et ses petits-fils un homme qui sera élevé à la royauté. L'homme supérieur qui veut fonder une dynastie, avec l'intention de transmettre la souveraine autorité à sa descendance, agit de telle sorte que son entreprise puisse être continuée. Si cet homme supérieur accomplit son œuvre [s'il est élevé à la royauté][38], alors le ciel a prononcé[39]. Prince, que vous fait ce royaume de Thsi? Efforcez-vous de pratiquer la vertu [qui fraye le chemin à la royauté], et bornez-vous là.

15. Wen-kong, prince de Teng, fit encore une question en ces termes: Teng est un petit royaume. Quoiqu'il fasse tous ses efforts pour être agréable aux grands royaumes, il ne pourra éviter sa ruine. Dans ces circonstances, que pensez-vous que je puisse faire? MENG-TSEU répondit avec respect: Autrefois, lorsque Tai-wang habitait le territoire de Pin, et que les barbares du nord l'inquiétaient sans cesse par leurs incursions, il s'efforçait de leur être agréable en leur offrant comme en tribut des peaux de bêtes et des pièces d'étoffe de soie, mais il ne parvint pas à empêcher leurs incursions; il leur offrit ensuite des chiens et des chevaux, et il ne parvint pas encore à empêcher leurs incursions; il leur offrit enfin des perles et des pierres précieuses, et il ne parvint pas plus à empêcher leurs incursions. Alors, ayant assemblé tous les anciens du peuple, il les informa de ce qu'il avait fait, et leur dit: Ce que les Joung [barbares du nord ou Tartares] désirent, c'est la possession de notre territoire. J'ai entendu dire que l'homme supérieur ne cause pas de préjudice aux hommes au sujet de ce qui sert à leur nourriture et à leur entretien[40]. Vous, mes enfants, pourquoi vous affligez-vous de ce que bientôt vous n'aurez plus de prince? je vais vous quitter.—Il quitta donc Pin, franchit le mont Liang; et, ayant fondé une ville au pied de la montagne Khi, il y fixa sa demeure. Alors les habitants de Pin dirent: C'était un homme bien humain [que notre prince]! nous ne devons pas l'abandonner. Ceux qui le suivirent se hâtèrent comme la foule qui se rend au marché.

Quelqu'un dit [aux anciens]: Ce territoire nous a été transmis de génération en génération; ce n'est pas une chose que nous pouvons, de notre propre personne, céder [à des étrangers]; nous devons tout supporter, jusqu'à la mort, pour le conserver et ne pas l'abandonner.

Prince, je vous prie de choisir entre ces deux résolutions.

16. Phing-kong, prince de Lou, était disposé à sortir [pour visiter MENG-TSEU][41], lorsque son ministre favori Thsang-tsang lui parla ainsi: Les autres jours, lorsque le prince sortait, il prévenait les chefs de service du lieu où il se rendait; aujourd'hui, quoique les chevaux soient déjà attelés au char, les chefs de service ne savent pas encore où il va. Permettez que j'ose vous le demander. Le prince dit: Je vais faire une visite à MENG-TSEU. Thsang-tsang ajouta: Comment donc! la démarche que fait le prince est d'une personne inconsidérée, en allant le premier rendre visite à un homme du commun. Vous le regardez sans doute comme un sage? Les rites et l'équité sont pratiqués en public par celui qui est sage; et cependant les dernières funérailles que MENG-TSEU a fait faire [à sa mère] ont surpassé [en somptuosité] les premières funérailles qu'il fit faire [à son père, et il a manqué aux rites]. Prince, vous ne devez pas le visiter. Phing-kong dit: Vous avez raison.

Lo-tching-tseu [disciple de MENG-TSEU] s'étant rendu à la cour pour voir le prince, lui dit: Prince, pourquoi n'êtes-vous pas allé voir MENG-KHO [MENG-TSEU]? Le prince lui répondit: Une certaine personne m'a informé que les dernières funérailles que MENG-TSEU avait fait faire [à sa mère] avaient surpassé [en somptuosité] les premières funérailles qu'il avait fait faire [à son père]. C'est pourquoi je ne suis pas allé le voir. Lo-tching-tseu dit: Qu'est-ce que le prince entend donc par l'expression surpasser? Mon maître a fait faire les premières funérailles conformément aux rites prescrits pour les simples lettrés, et les dernières conformément aux rites prescrits pour les grands fonctionnaires; dans les premières il a employé trois trépieds, et dans les dernières il en a employé cinq: est-ce là ce que vous avez voulu dire?—Point du tout, repartit le roi. Je parle du cercueil intérieur et du tombeau extérieur, ainsi que de la beauté des habits de deuil. Lo-tching-tseu dit: Ce n'est pas en cela que l'on peut dire qu'il a surpassé [les premières funérailles par le luxe des dernières]; les facultés du pauvre et du riche ne sont pas les mêmes[42].

Lo-tching-tseu étant allé visiter MENG-TSEU, lui dit: J'avais parlé de vous au prince; le prince avait fait ses dispositions pour venir vous voir; mais c'est son favori

Thsang-tsang qui l'en a empêché: voilà pourquoi le prince n'est pas réellement venu.

MENG-TSEU dit: Si l'on parvient à faire pratiquer au prince les principes d'un sage gouvernement, c'est que quelque cause inconnue l'y aura engagé; si on n'y parvient pas, c'est que quelque cause inconnue l'en a empêché. Le succès ou l'insuccès ne sont pas au pouvoir de l'homme; si je n'ai pas eu d'entrevue avec le prince de Lou, c'est le ciel qui l'a voulu. Comment le fils de la famille Thsang [Thsang-tsang] aurait-il pu m'empècher de me rencontrer avec le prince?

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