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Les quatre livres de philosophie morale et politique de la Chine

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[1] Un des ministres du roi de Thsi.

[2] Littéralement: des clochettes et des tambours, des flûtes et autres instruments à vent.

[3] Tchouan, ancien livre perdu. (Commentaire.)

[4] Ode Ngo-tsiang, section Tchéou-soung.

[5] Commentaire.

[6] Ode Hoang-i, section Ta-ya.

[7] Chap. Taï-chi. Voyez la note 58 ci-devant, et l'édition citée, p. 84.

[8] Commentaire. Tchou-hi fait remarquer qu'il y a quelques légères différences dans la citation de MENG-TSEU avec le texte du Chou-king tel qu'il était constitué de son temps.

[9] C'est-a-dire, à la volonté, aux vœux de l'empire lui-même, des populations qui demandaient un gouvernement doux et humain, et qui abhorraient la tyrannie sous laquelle le dernier roi les avait opprimées.

[10] Commentaire.

[11] Ainsi se nommaient les anciens empereurs de la Chine.

[12] Commentaire.

[13] Lieou, couler; figurément: s'abandonner an courant des plaisirs, aux voluptés, etc.

[14] Lian.

[15] Hoang.

[16] Wang.

[17] Commentaire.

[18] C'était un lieu où les empereurs des Tchéou, dans les visites qu'ils faisaient à l'orient de leur empire, recevaient les hommages des princes vassaux. Il en restait encore des vestiges du temps des Han. (Commentaire.)

[19] Ode Tching-youeï, section Siao-ya.

[20] Il y a dans le texte, une maladie.

[21] Ode Kong-lieou, section Ta-ya.

[22] Ode Mien, section Ta-ya.

[23] Commentaire chinois.

[24] L'argument de MENG-TSEU, pour faire comprendre au roi de Thsi qu'il devait réformer son gouvernement ou abdiquer, était habile; mais il ne fut pas efficace.

[25] Commentaire.

[26] Fondateur de la seconde dynastie chinoise.

[27] Dernier roi de la première dynastie.

[28] Fondateur de la troisième dynastie.

[29] Dernier roi de la deuxième dynastie. Voyez la Chine, ou Résumé de l'histoire et de la civilisation chinoise, déjà cité, pag. 60 et 77.

[30] Le mot chinois que nous rendons par tyran est tsan, composé du radical générique pervers, cruel, vicieux, et de deux lances qui désignent les moyens violents employés pour commettre le mal et exercer la tyrannie.

[31] Commentaire. Le suffrage du peuple le constitue prince; son abandon n'en fait plus qu'un simple particulier, un homme privé, passible des mêmes châtiments que la foule.

[32] Il indique l'État et le roi de Thsi.

[33] Chapitre Tchoung-hoeï-tchi-kao, édition citée pag. 69. Tchou-hi dit que les textes cités dans ce paragraphe différent aussi légèrement du texte actuel du Chouking.

[34] Commentaire.

[35] C'était pour le peuple une bien plus grande perte que celle des trente-trois chefs de troupes.

[36] Le prince et les chefs. (Commentaire.)

[37] Ils se soucient fort peu de la vie du peuple. (Commentaire.)

[38] Commentaire.

[39] Il n'est plus nécessaire de continuer l'œuvre commune. (Commentaire.)

[40] C'est-à-dire que lorsque sa personne est un obstacle au repos et à la tranquillité d'un peuple, il fait abnégation de ses intérêts privés, en faveur de l'intérêt général, auquel il n'hésite pas à se sacrifier; il est vrai qu'il y a bien peu d'hommes supérieurs qui agissent ainsi.

[41] Commentaire.

[42] MENG-TSEU était pauvre lorsqu'il perdit son père; mais lorsqu'il perdit sa mère il était riche et grand fonctionnaire public. De là la différence dans les funérailles qu'il fit faire à ses père et mère.


CHAPITRE III,

COMPOSÉ DE 9 ARTICLES.

1. Kong-sun-tcheou [disciple de MENG-TSEU] fit une question en ces termes: Maître, si vous obteniez une magistrature, un commandement provincial dans le royaume de Thsi, on pourrait sans doute espérer de voir se renouveler les actions méritoires de Kouan-tchoung et de Yan-tseu?

MENG-TSEU dit: Vous êtes véritablement un homme de Thsi. Vous connaissez Kouan-tchoung et Yan-tseu; et voilà tout!

Quelqu'un interrogea Thseng-si [petit-fils de Thseng-tseu] en ces termes: Dites-moi lequel de vous ou de Tseu-lou est le plus sage? Thseng-si répondit avec quelque agitation: Mon aïeul avait beaucoup de vénération pour Tseu-lou.—S'il en est ainsi, alors dites-moi lequel de vous ou de Kouan-tchoung est le plus sage? Thseng-si parut s'indigner de cette nouvelle question qui lui déplut, et il répondit: Comment avez-vous pu me mettre en comparaison avec Kouan-tchoung? Kouan-tchoung obtint les faveurs de son prince, et celui-ci lui remit toute son autorité. Outre cela, il dirigea l'administration du royaume si longtemps[1], que ses actions si vantées [eu égard à ses moyens d'action] ne sont que fort ordinaires. Pourquoi me mettez-vous en comparaison avec cet homme?

MENG-TSEU dit: Thseng-si se souciait fort peu de passer pour un autre Kouan-tchoung, et vous voudriez que moi je désirasse de lui ressembler!

Le disciple ajouta: Kouan-tchoung rendit son prince le chef des autres princes; Yan-tseu rendit son prince illustre. Kouan-tchoung et Yan-tseu ne sont-ils pas dignes d'être imités?

MENG-TSEU dit: Il serait aussi facile de faire un prince souverain de Thsi que de tourner la main.

Le disciple reprit: S'il en est ainsi, alors les doutes et les perplexités de votre disciple sont portés à leur dernier degré; car enfin, si nous nous reportons à la vertu de Wen-wang, qui ne mourut qu'après avoir atteint l'âge de cent ans, ce prince ne put parvenir au gouvernement de tout l'empire. Wou-wang et Tcheou-koung continuèrent l'exécution de ses projets. C'est ainsi que par la suite la grande rénovation de tout l'empire fut accomplie. Maintenant vous dites que rien n'est si facile que d'obtenir la souveraineté de l'empire, alors Wen-wang ne suffit plus pour être offert en imitation.

MENG-TSEU dit: Comment la vertu de Wen-wang pourrait-elle être égalée? Depuis Tching-thang jusqu'à Wou-ting, six ou sept princes doués de sagesse et de sainteté ont paru. L'empire a été soumis à la dynastie de Yn pendant longtemps. Et par cela même qu'il lui a été soumis pendant longtemps, il a été d'autant plus difficile d'opérer des changements. Wou-ting convoqua à sa cour tous les princes vassaux, et il obtint l'empire avec la même facilité que s'il eût tourné sa main. Comme Tcheou [ou Cheou-sin] ne régna pas bien longtemps après Wou-ting[2], les anciennes familles qui avaient donné des ministres à ce dernier roi, les habitudes de bienfaisance et d'humanité que le peuple avait contractées, les sages instructions et les bonnes lois, étaient encore subsistantes. En outre, existaient aussi Weï-tseu, Weï-tchoung[3], les fils du roi; Pi-kan, Ki-tseu[4] et Kiao-ke. Tous ces hommes, qui étaient des sages, se réunirent pour aider et servir ce prince. C'est pourquoi Cheou-sin régna longtemps et finit par perdre l'empire. Il n'existait pas un pied de terre qui ne fût sa possession, un peuple qui ne lui fût soumis. Dans cet état de choses, Wen-wang ne possédait qu'une petite contrée de cent li [dix lieues] de circonférence, de laquelle il partit [pour conquérir l'empire]. C'est pourquoi il éprouva tant de difficultés.

Les hommes de Thsi ont un proverbe qui dit: Quoique l'on ait la prudence et la pénétration en partage, rien n'est avantageux comme des circonstances opportunes; quoique l'on ait de bons instruments aratoires, rien n'est avantageux comme d'attendre la saison favorable. Si le temps est arrivé, alors tout est facile.

Lorsque les princes de Hia, de Yn et de Tcheou florissaient[5], leur territoire ne dépassa jamais mille li [ou cent lieucs] d'étendue[6]; le royaume de Thsi a aujourd'hui cette étendue de territoire. Le chant des coqs et les aboiements des chiens se répondant mutuellement [tant la population est pressée] s'étendent jusqu'aux quatre extrémités des frontières; par conséquent le royaume de Thsi a une population égale à la leur [à celle de ces royaumes de mille li d'étendue]. On n'a pas besoin de changer les limites de son territoire pour l'agrandir, ni d'augmenter le nombre de sa population. Si le roi de Thsi pratique un gouvernement humain [plein d'amour pour le peuple][7], personne ne pourra l'empêcher d'étendre sa souveraineté sur tout l'empire.

En outre, on ne voit plus surgir de princes qui exercent la souveraineté. Leur interrègne n'a jamais été si long que de nos jours. Les souffrances et les misères des peuples, produites par des gouvernements cruels et tyranniques, n'ont jamais été si grandes que de nos jours. Il est facile de faire manger ceux qui ont faim et de faire boire ceux qui ont soif.

KHOUNG-TSEU disait: La vertu dans un bon gouvernement se répand comme un fleuve; elle marche plus vite que le piéton ou le cavalier qui porte les proclamations royales.

Si de nos jours un royaume de dix mille chars vient à posséder un gouvernement humain, les peuples s'en réjouiront comme [se réjouit de sa délivrance] l'homme que l'on a détaché du gibet où il était suspendu la tête en bas. C'est ainsi que si on fait seulement la moitié des actes bienfaisants des hommes de l'antiquité, les résultats seront plus que doubles. Ce n'est que maintenant que l'on peut accomplir de telles choses.

2. Kong-sun-tcheou fit une autre question en ces termes: Maître, je suppose que vous soyez grand dignitaire et premier ministre du royaume de Thsi, et que vous parveniez à mettre en pratique vos doctrines de bon gouvernement, quoiqu'il puisse résulter de là que le roi devienne chef suzerain des autres rois, ou souverain de l'empire, il n'y aurait rien d'extraordinaire. Si vous deveniez ainsi premier ministre du royaume, éprouveriez-vous dans votre esprit des sentiments de doute ou de crainte? MENG-TSEU répondit: Aucunement. Dès que j'ai eu atteint quarante ans, je n'ai plus eprouvé ces incertitudes de l'esprit.

Le disciple ajouta: S'il en est ainsi, alors, maître, vous surpassez de beaucoup Meng-pen.

Il n'est pas difficile, reprit MENG-TSEU, de rester impassible. Kao-tseu, à un âge plus jeune encore que moi, ne se laissait ébranler l'âme par aucune émotion.

—Y a-t-il des moyens ou des principes fixes pour ne pas se laisser ébranler l'âme?

—Il y en a.

Pe-koung-yeou entretenait son courage viril de cette manière: il n'attendait pas, pour se défendre, d'être accablé sous les traits de son adversaire, ni d'avoir les yeux éblouis par l'éclat de ses armes; mais, s'il avait reçu la moindre injure d'un homme, il pensait de suite à la venger, comme s'il avait été outragé sur la place publique ou à la cour. Il ne recevait pas plus une injure d'un manant vêtu d'une large veste de laine, que d'un prince de dix mille chars [du roi d'un puissant royaume]. Il réfléchissait en lui-même s'il tuerait le prince de dix mille chars, comme s'il tuerait l'homme vêtu d'une large veste de laine. Il n'avait peur d'aucun des princes de l'empire; si des mots outrageants pour lui, tenus par eux, parvenaient à ses oreilles, il les leur renvoyait aussitôt.

C'est de cette manière que Meng-chi-che entretenait aussi son courage viril. Il disait: «Je regarde du même œil la défaite que la victoire. Calculer le nombre des ennemis avant de s'avancer sur eux, et méditer longtemps sur les chances de vaincre avant d'engager le combat, c'est redouter trois armées ennemies.» Pensez-vous que Meng-chi-che pouvait acquérir la certitude de vaincre? Il pouvait seulement être dénué de toute crainte; et voilà tout.

Meng-chi-che rappelle Thsêng-tseu pour le caractère; Pe-koung-lieou rappelle Tseu-hia. Si l'on compare le courage viril de ces deux hommes, on ne peut déterminer lequel des deux surpasse l'autre; cependant Meng-chi-che avait le plus important [celui qui consiste à avoir un empire absolu sur soi-même].

Autrefois, Thsêng-tseu s'adressant à Tseu-siang, lui dit: Aimez-vous le courage viril? j'ai beaucoup entendu parler du grand courage viril [ou de la force d'âme] à mon maître [KHOUNG-TSEU]. Il disait: Lorsque je fais un retour sur moi-même, et que je ne me trouve pas le cœur droit, quoique j'aie pour adversaire un homme grossier, vêtu d'une large veste de laine, comment n'éprouverais-je en moi-même aucune crainte? Lorsque je fais un retour sur moi-même, et que je me trouve le cœur droit, quoique je puisse avoir pour adversaires mille ou dix mille hommes, je marcherais sans crainte à l'ennemi.

Meng-chi-che possédait la bravoure qui naît de l'impétuosité du sang, et qui n'est pas à comparer au courage plus noble que possédait Thsêng-tseu [celui d'une raison éclairée et souveraine][8].

Kong-sun-tcheou dit: Oserais-je demander sur quel principe est fondée la force ou la fermeté d'âme[9] de mon maître, et sur quel principe était fondée la force ou fermeté d'âme de Kao-tseu? Pourrais-je obtenir de l'apprendre de vous? [MENG-TSEU répondit]: Kao-tseu disait: «Si vous ne saisissez pas clairement la raison des paroles que quelqu'un vous adresse, ne la cherchez pas dans [les passions de] son âme; si vous ne la trouvez pas dans [les passions de] son âme, ne la cherchez pas dans les mouvements désordonnés de son esprit vital.»

Si vous ne la trouvez pas dans [les passions] de son âme, ne la cherchez pas dans les mouvements désordonnés de son esprit vital; cela se doit; mais si vous ne saisissez pas clairement la raison des paroles que quelqu'un vous adresse, ne la cherchez pas dans [les passions] de son âme; cela ne se doit pas. Cette intelligence [que nous possédons en nous, et qui est le produit de l'âme][10] commande à l'esprit vital. L'esprit vital est le complément nécessaire des membres corporels de l'homme; l'intelligence est la partie la plus noble de nous-même; l'esprit vital vient ensuite. C'est pourquoi je dis: Il faut surveiller avec respect son intelligence, et ne pas troubler[11] son esprit vital.

[Le disciple ajouta]: Vous avez dit: «L'intelligence est la partie la plus noble de nous-même; l'esprit vital vient ensuite.» Vous avez encore dit: «Il faut surveiller avec respect son intelligence, et entretenir avec soin son esprit vital.» Qu'entendez-vous par là?—MENG-TSEU dit: Si l'intelligence est livrée à son action individuelle[12], alors elle devient l'esclave soumise de l'esprit vital; si l'esprit vital est livré à son action individuelle, alors il trouble l'intelligence. Supposons maintenant qu'un homme tombe la tête la première, ou qu'il fuie avec précipitation; dans les deux cas, l'esprit vital est agité, et ses mouvements réagissent sur l'intelligence.

Le disciple continua: Permettez que j'ose vous demander, maître, en quoi vous avez plus raison [que Kaotseu]?

MENG-TSEU dit: Moi, je comprends clairement le motif des paroles que l'on m'adresse; je dirige selon les principes de la droite raison mon esprit vital qui coule et circule partout.

—Permettez que j'ose vous demander ce que vous entendez par l'esprit vital qui coule et circule partout?—Cela est difficile à expliquer.

Cet esprit vital a un tel caractère, qu'il est souverainement grand [sans limites][13], souverainement fort [rien ne pouvant l'arrêter][14]. Si on le dirige selon les principes de la droite raison, et qu'on ne lui fasse subir aucune perturbation, alors il remplira l'intervalle qui sépare le ciel et la terre.

Cet esprit vital a encore ce caractère, qu'il réunit en soi les sentiments naturels de la justice ou du devoir et de la raison; sans cet esprit vital, le corps a soif et faim.

Cet esprit vital est produit par une grande accumulation d'équité [un grand accomplissement de devoirs][15], et non par quelques actes accidentels d'équité et de justice. Si les actions ne portent pas de la satisfaction dans l'âme, alors elle a soif et faim. Moi, pour cette raison, je dis donc: Kao-tseu n'a jamais connu le devoir, puisqu'il le jugeait extérieur à l'homme.

Il faut opérer de bonnes œuvres, et ne pas en calculer d'avance les résultats. L'âme ne doit pas oublier son devoir, ni en précipiter l'accomplissement. Il ne faut pas ressembler à l'homme de l'État de Soung. Il y avait dans l'État de Soung un homme qui était dans la désolation de ce que ses blés ne croissaient pas; il alla les arracher à moitié, pour les faire croître plus vite. Il s'en revint l'air tout hébété, et dit aux personnes de sa famille: Aujourd'hui je suis bien fatigué; j'ai aidé nos blés à croître. Ses fils accoururent avec empressement pour voir ces blés; mais toutes les tiges avaient séché.

Ceux qui, dans le monde, n'aident pas leurs blés à croître, sont bien rares. Ceux qui pensent qu'il n'y a aucun profit à retirer [de la culture de l'esprit vital], et l'abandonnent à lui-même, sont comme celui qui ne sarcle pas ses blés; ceux qui veulent aider prématurément le développement de leur esprit vital sont comme celui qui aide à croître ses blés en les arrachant à moitié. Non-seulement dans ces circonstances on n'aide pas, mais on nuit.

—Qu'entendez-vous par ces expressions: Je comprends clairement le motif des paroles que l'on m'adresse?

MENG-TSEU dit: Si les paroles de quelqu'un sont erronées, je connais ce qui trouble son esprit ou l'induit en erreur; si les paroles de quelqu'un sont abondantes et diffuses, je connais ce qui le fait tomber ainsi dans la loquacité; si les paroles de quelqu'un sont licencieuses, je sais ce qui a détourné son cœur de la droite voie; si les paroles de quelqu'un sont louches, évasives, je sais ce qui a dépouillé sou cœur de la droite raison. Dès l'instant que ces défauts sont nés dans le cœur d'un homme, ils altèrent ses sentiments de droiture et de bonne direction; dès l'instant que l'altération des sentiments de droiture et de bonne direction du cœur a été produite, les actions se trouvent viciées. Si les saints hommes apparaissaient de nouveau sur la terre, ils donneraient sans aucun doute leur assentiment à mes paroles.

Tsaï-ngo et Tseu-koung parlaient d'une manière admirablement éloquente; Jan-nieou, Min-tseu et Yan-youan savaient parfaitement bien parler des actions conformes à la vertu. KHOUNG-TSEU réunissait toutes ces qualités, et cependant il disait: «Je ne suis pas habile dans l'art de la parole.» D'après ce que vous avez dit, maître, vous seriez bien plus consommé dans la sainteté?—O le blasphème! reprit MENG-TSEU; comment pouvez-vous tenir un pareil langage?

Autrefois Tseu-koung, interrogeant KHOUNG-TSEU, lui dit: Maître, êtes-vous un saint? KHOUNG-TSEU lui répondit: Un saint? je suis bien loin de pouvoir en être un! j'étudie sans jamais me lasser les préceptes et les maximes des saints hommes, et je les enseigne sans jamais me lasser.—Tseu-koung ajouta: «Étudier sans jamais se lasser, c'est être éclairé; enseigner les hommes sans jamais se lasser, c'est posséder la vertu de l'humanité. Vous possédez les lumières de la sagesse et la vertu de l'humanité, maître; vous êtes par conséquent saint.» Si KHOUNG-TSEU [ajouta MENG-TSEU] n'osait pas se permettre d'accepter le titre de saint, comment pouvez-vous me tenir un pareil langage?

Kong-sun-tcheou poursuivit: Autrefois j'ai entendu dire que Tseu-hia, Tseu-yeou et Tseu-tchang avaient tous une partie des vertus qui constituent le saint homme; mais que Jan-nieou, Min-tseu et Yan-youan en avaient toutes les parties, seulement bien moins développées. Oserais-je vous demander dans lequel de ces degrés de sainteté vous aimeriez à vous reposer?

MENG-TSEU dit: Moi? je les repousse tous[16].—Le disciple continua: Que pensez-vous de Pe-i et de Y-yin?

—Ils ne professent pas les mêmes doctrines que moi.

«Si votre prince n'est pas votre prince[17], ne le servez pas; si le peuple n'est pas votre peuple[18], ne lui commandez pas. Si l'État est bien gouverné et en paix, alors avancez-vous dans les emplois; s'il est dans le trouble, alors retirez-vous à l'écart.» Voilà les principes de Pe-i. «Qui servirez-vous, si ce n'est le prince? à qui commanderez-vous, si ce n'est au peuple? Si l'État est bien gouverné, avancez-vous dans les emplois; s'il est dans le trouble, avancez-vous également dans les emplois.» Voilà les principes de Y-yin. «S'il convient d'accepter une magistrature, acceptez cette magistrature; s'il convient de cesser de la remplir, cessez de la remplir; s'il convient de l'occuper longtemps, occupez-la longtemps; s'il convient de vous en démettre sur-le-champ, ne tardez pas un instant.» Voilà les principes de KHOUNG-TSEU. L'un et les autres sont de saints hommes du temps passé. Moi, je n'ai pas encore pu parvenir à agir comme eux; toutefois ce que je désire par-dessus tout, c'est de pouvoir imiter KHOUNG-TSEU.

Pe-i et Y-yin sont-ils des hommes du même ordre que KHOUNG-TSEU?—Aucunement. Depuis qu'il existe des hommes jusqu'à nos jours, il n'y en a jamais eu de comparable à KHOUNG-TSEU!

—Mais cependant n'eurent-ils rien de commun?—Ils eurent quelque chose de commun. S'ils avaient possédé un domaine de cent li d'étendue, et qu'ils en eussent été princes, tous les trois auraient pu devenir assez puissants pour convoquer à leur cour les princes vassaux et posséder l'empire. Si en commettant une action contraire à la justice, et en faisant mourir un innocent, ils avaient pu obtenir l'empire, tous les trois n'auraient pas agi ainsi. Quant à cela, ils se ressemblaient.

Le disciple poursuivit: Oserais-je vous demander en quoi ils différaient?

MENG-TSEU dit: Tsaï-ngo, Tseu-koung et Yeou-jo étaient assez éclairés pour connaître le saint homme (KHOUNG-TSEU[19]); leur peu de lumières cependant n'alla pas jusqu'à exagérer les éloges de celui qu'ils aimaient avec prédilection[20].

Tsaï-ngo disait: Si je considère attentivement mon maître, je le trouve bien plus sage que Yao et Chun.

Tseu-koung disait: En observant les usages et la conduite des anciens empereurs, je connais les principes qu'ils suivirent dans le gouvernement de l'empire; en écoutant leur musique, je connais leurs vertus. Si depuis cent générations je classe dans leur ordre les cent générations de rois qui ont régné, aucun d'eux n'échappera à mes regards. Eh bien, depuis qu'il existe des hommes jusqu'à nos jours, je puis dire qu'il n'en a pas existé de comparable à KHOUNG-TSEU.

Yeou-jo disait: Non-seulement les hommes sont de la même espèce, mais le Khi-lin ou la licorne, et les autres quadrupèdes qui courent; le Foung-hoang ou le phénix, et les autres oiseaux qui volent; le mont Taï-chan, ainsi que les collines et autres élévations; les fleuves et les mers, ainsi que les petits cours d'eau et les étangs, appartiennent aux mêmes espèces. Les saints hommes comparés avec la multitude sont aussi de la même espèce; mais ils sortent de leur espèce, ils s'élèvent au-dessus d'elle, et dominent la foule des autres hommes. Depuis qu'il existe des hommes jusqu'à nos jours, il n'y en a pas eu de plus accompli que KHOUNG-TSEU.

3. MENG-TSEU dit: Celui qui emploie toutes ses forces disponibles[21] à simuler les vertus de l'humanité veut devenir chef des grands vassaux. Pour devenir chef des grands vassaux, il doit nécessairement avoir un grand royaume. Celui qui emploie toute sa vertu à pratiquer l'humanité règne véritablement; pour régner véritablement, il n'a pas à attendre, à convoiter un grand royaume. Ainsi Tching-thang, avec un État de soixante et dix li [sept lieues] d'étendue; Wen-wang avec un État de cent li [dix lieues] d'étendue, parvinrent à l'empire.

Celui qui dompte les hommes et se les soumet par la force des armes ne subjugue pas les cœurs; pour cela, la force, quelle qu'elle soit, est toujours insuffisante[22]. Celui qui se soumet les hommes par la vertu porte la joie daus les cœurs qui se livrent sans réserve, comme les soixante et dix disciples de KHOUNG-TSEU se soumirent à lui.

Le Livre des Vers[23] dit:

«De l'occident et de l'orient,

Du midi et du septentrion,

Personne ne pensa à résister.»

Cette citation exprime ma pensée.

4. MENG-TSEU dit: Si le prince est plein d'humanité, il se procure une grande gloire; s'il n'a pas d'humanité, il se déshonore. Maintenant si, en haïssant le déshonneur, il persévère dans l'inhumanité, c'est comme si en détestant l'humidité on persévérait à demeurer dans les lieux bas.

Si le prince hait le déshonneur, il ne peut rien faire de mieux que d'honorer la vertu et d'élever aux dignités les hommes distingués par leur savoir et leur mérite. Si les sages occupent les premiers emplois publics; si les hommes de mérite sont placés dans des commandements qui leur conviennent, et que le royaume jouisse des loisirs de la paix[24], c'est le temps de reviser et de mettre dans un bon ordre le régime civil et le régime pénal. C'est en agissant ainsi que les autres États, quelque grands qu'ils soient, se trouveront dans la nécessité de vous respecter.

Le Livre des Vers[25] dit:

«Avant que le ciel soit obscurci par des nuages ou que la pluie tombe,

J'enlève l'écorce de la racine des mûriers

Pour consolider la porte et les fenêtres de mon nid[26].

Après cela, quel est celui d'entre la foule au-dessous de moi

Qui oserait venir me troubler?»

KHOUNG-TSEU disait: O que celui qui a composé ces vers connaissait bien l'art de gouverner!

En effet, si un prince sait bien gouverner son royaume, qui oserait venir le troubler?

Maintenant, si, lorsqu'un royaume jouit de la paix et de la tranquillité, le prince emploie ce temps pour s'abandonner à ses plaisirs vicieux et à la mollesse, il attirera inévitablement sur sa tête de grandes calamités.

Les calamités, ainsi que les félicités, n'arrivent que parce qu'on se les est attirées.

Le Livre des Vers[27] dit:

«Si le prince pense constamment à se conformer au mandat qu'il a reçu du ciel,

Il s'attirera beaucoup de félicités.»

Le Taï-kia[28] dit: «Quand le ciel nous envoie des calamités, nous pouvons quelquefois les éviter; quand nous nous les attirons nous-mêmes, nous ne pouvons les supporter sans périr.» Ces citations expriment clairement ce que je voulais dire.

5. MENG-TSEU dit: Si le prince honore les sages, et emploie les hommes de mérite dans des commandements; si ceux qui sont distingués par leurs talents et leurs vertus sont placés dans les hautes fonctions publiques, alors tous les lettrés de l'empire seront dans la joie et désireront demeurer à sa cour. Si dans les marchés publics on n'exige que le prix de location des places que les marchands occupent, et non une taxe sur les marchandises; si, les règlements des magistrats qui président aux marchés publics étant observés, on n'exige pas le prix de location des places, alors tous les marchands de l'empire seront dans la joie, et désireront porter leurs marchandises sur les marchés du prince [qui les favorisera ainsi].

Si aux passages des frontières on se borne à une simple inspection sans exiger de tribut ou de droits d'entrée, alors tous les voyageurs de l'empire seront dans la joie et désireront voyager sur les routes du prince qui agira ainsi.

Que ceux qui labourent ne soient assujettis qu'à l'assistance [c'est-à-dire à labourer une portion déterminée des champs du prince], et non à payer des redevances, alors tous les laboureurs de l'empire seront dans la joie, et désireront aller labourer dans les domaines du prince. Si les artisans qui habitent des échoppes ne sont pas assujettis à la capitation et à la redevance en toiles, alors toutes les populations seront dans la joie, et désireront devenir les populations du prince.

S'il se trouve un prince qui puisse fidèlement pratiquer ces cinq choses, alors les populations des royaumes voisins lèveront vers lui leurs regards comme vers un père et une mère. Or on n'a jamais vu, depuis qu'il existe des hommes jusqu'à nos jours, que des fils et des frères aient été conduits à attaquer leurs père et mère. Si cela est ainsi, alors le prince n'aura aucun ennemi dans l'empire. Celui qui n'a aucun adversaire dans l'empire est l'envoyé du ciel. Il n'a pas encore existé d'homme qui, après avoir agi ainsi, n'ait pas régné sur tout l'empire.

6. MENG-TSEU dit: Tous les hommes ont un cœur compatissant et miséricordieux pour les autres hommes. Les anciens rois avaient un cœur compatissant, et par cela même ils avaient un gouvernement doux et compatissant pour les hommes. Si le prince a un cœur compatissant pour les hommes, et qu'il mette en pratique un gouvernement doux et compatissant, il gouvernera aussi facilement l'empire qu'il tournerait un objet dans la paume de sa main.

Voici comment j'explique le principe que j'ai avancé ci-dessus, que tous les hommes ont un cœur compatissant et miséricordieux pour les autres hommes: Je suppose que des hommes voient tout à coup un jeune enfant près de tomber dans un puits; tous éprouvent à l'instant même un sentiment de crainte et de compassion caché dans leur cœur; et ils éprouvent ce sentiment, non parce qu'ils désirent nouer des relations d'amitié avec le père et la mère de cet enfant; non parce qu'ils sollicitent les applaudissements ou les éloges de leurs amis et de leurs concitoyens, ou qu'ils redoutent l'opinion publique.

On peut tirer de là les conséquences suivantes: Si l'on n'a pas un cœur miséricordieux et compatissant, on n'est pas un homme; si l'on n'a pas les sentiments de la honte [de ses vices] et de l'aversion [pour ceux des autres], on n'est pas un homme; si l'on n'a pas les sentiments d'abnégation et de déférence, on n'est pas un homme; si l'on n'a pas le sentiment du vrai et du faux, ou du juste et de l'injuste, on n'est pas un homme.

Un cœur miséricordieux et compatissant est le principe de l'humanité; le sentiment de la honte et de l'aversion est le principe de l'équité et de la justice; le sentiment d'abnégation et de déférence est le principe des usages sociaux; le sentiment du vrai et du faux, ou du juste et de l'injuste, est le principe de la sagesse.

Les hommes ont en eux-mêmes ces quatre principes, comme ils ont quatre membres. Donc le prince qui, possédant ces quatre principes naturels, dit qu'il ne peut pas les mettre en pratique, se nuit à lui-même, se perd complètement; et ceux qui disent que leur prince ne peut pas les pratiquer, ceux-là perdent leur prince.

Chacun de nous, nous avons ces quatre principes en nous-mêmes, et si nous savons tous les développer et les faire fructifier, ils seront comme du feu qui commence à brûler, comme une source qui commence à jaillir. Si un prince remplit les devoirs que ces sentiments lui prescrivent, il acquerra une puissance suffisante pour mettre les quatre mers sous sa protection. S'il ne les remplit pas, il ne sera pas même capable de bien servir son père et sa mère.

7. MENG-TSEU dit: L'homme qui fait des flèches n'est-il pas plus inhumain que l'homme qui fait des cuirasses ou des boucliers? Le but de l'homme qui fait des flèches est de blesser les hommes, tandis que le but de l'homme qui fait des cuirasses et des boucliers est d'empêcher que les hommes soient blessés. Il en est de même de l'homme dont le métier est de faire des vœux de bonheur à la naissance des enfants, et de l'homme dont le métier est de faire des cercueils[29]. C'est pourquoi on doit apporter beaucoup d'attention dans le choix de la profession que l'on veut embrasser.

KHOUNG-TSEU disait: Dans les villages, l'humanité est admirable. Si quelqu'un ayant à choisir le lieu de sa demeure ne va pas habiter là où réside l'humanité, comment obtiendrait-il le nom d'homme sage et éclairé? Cette humanité est une dignité honorable conférée par le ciel, et la demeure tranquille de l'homme. Personne ne l'empêchant d'agir librement, s'il n'est pas humain, c'est qu'il n'est pas sage et éclairé.

Celui qui n'est ni humain ni sage et éclairé, qui n'a ni urbanité ni équité, est l'esclave des hommes. Si cet esclave des hommes rougit d'être leur esclave, il ressemble au fabricant d'arcs qui rougirait de fabriquer des arcs, et au fabricant de flèches qui rougirait de fabriquer des flèches.

S'il rougit de son état, il n'est rien, pour en sortir, à la pratique de l'humanité.

L'homme qui pratique l'humanité est comme l'archer; l'archer se pose d'abord lui-même droit, et ensuite il lance sa flèche. Si, après avoir lancé sa flèche, il n'approche pas le plus près du but, il ne s'en prend pas à ceux qui l'ont vaincu, mais au contraire il en cherche la faute en lui-même; et rien de plus.

8. MENG-TSEU dit: Si Tseu-lou se trouvait averti par quelqu'un d'avoir commis des fautes, il s'en réjouissait.

Si l'ancien empereur Yu entendait prononcer des paroles de sagesse et de vertu, il s'inclinait en signe de vénération pour les recueillir.

Le grand Chun avait encore des sentiments plus élevés: pour lui la vertu était commune à tous les hommes. Si quelques-uns d'entre eux étaient plus vertueux que lui, il faisait abnégation de lui-même pour les imiter. Il se réjouissait d'emprunter ainsi des exemples de vertu aux autres hommes, pour pratiquer lui-même cette vertu.

Dès le temps où il labourait la terre, où il fabriquait de la poterie, où il faisait le métier de pêcheur, jusqu'à celui où il exerça la souveraineté impériale, il ne manqua jamais de prendre pour exemple les bonnes actions des autres hommes.

Prendre exemple des autres hommes pour pratiquer la vertu, c'est donner aux hommes les moyens de pratiquer cette vertu. C'est pourquoi il n'est rien de plus grand, pour l'homme supérieur, que de procurer aux autres hommes les moyens de pratiquer la vertu.

9. MENG-TSEU dit: Pe-i ne servait pas le prince qui n'était pas le prince de son choix, et il ne formait pas des relations d'amitié avec des amis qui n'étaient pas de son choix. Il ne se présentait pas à la cour d'un roi pervers, il ne s'entretenait pas avec des hommes corrompus et méchants; se tenir à la cour d'un roi pervers, parler avec des hommes corrompus et méchants, c'était pour lui comme s'asseoir dans la boue avec des habits de cour. Si nous allons plus loin, nous trouverons qu'il a encore poussé bien au delà ses sentiments d'aversion et de haine pour le mal: s'il se trouvait avec un homme rustique dont le bonnet n'était pas convenablement placé sur sa tête, détournant aussitôt le visage, il s'éloignait de lui, comme s'il avait pensé que son contact allait le souiller. C'est pourquoi il ne recevait pas les invitations des princes vassaux qui se rendaient près de lui, quoiqu'ils missent dans leurs expressions et leurs discours toute la convenance possible: ce refus provenait de ce qu'il aurait cru se souiller en les approchant [parce qu'il les avait tous en aversion].

Lieou-hia-hoeï [premier ministre du royaume de Lou] ne rougissait pas de servir un mauvais prince, et il ne dédaignait pas une petite magistrature. S'il était promu à des fonctions plus élevées, il ne cachait pas ses principes de droiture, mais il se faisait un devoir de suivre constamment la voie droite. S'il était négligé et mis en oubli, il n'en avait aucun ressentiment; s'il se trouvait dans le besoin et la misère, il ne se plaignait pas. C'est pourquoi il disait: «Ce que vous faites vous appartient, et ce que je fais m'appartient. Quand même vous seriez les bras nus et le corps nu à mes côtés, comment pourriez-vous me souiller?» C'est pourquoi il portait toujours un visage et un front sereins dans le commerce des hommes; et il ne se perdait point. Si quelqu'un le prenait par la main et le retenait près de lui, il restait. Celui qui, étant ainsi pris par la main et retenu, cédait à cette invitation, pensait que ce serait aussi ne pas rester pur que de s'éloigner.

MENG-TSEU dit: Pe-i avait un esprit étroit; Lieou-hia-hoeï manquait de tenue et de gravité. L'homme supérieur ne suit ni l'une ni l'autre de ces façons d'agir.

[1] Pendant quarante années. (Commentaire.)

[2] Il n'y a que sept générations de distance. (Comm.) Les tables chronologiques chinoises placent la dernière année du règne de Won-ting 1266 ans avant notre ère, et la première de celui de Cheou-sin, 1154; ce qui donne un intervalle de cent douze années entre les deux règnes.

[3] Beaux-frères de Cheou-sin.

[4] Voyez chapitre précédemment ici.

[5] Aux époques de Yu, de Thang, de Wen wanq et de Wou-wang.

[6] Selon Tchou-hi, il est ici question du domaine royal, Wang ki [qui avait toujours 1,000 li d'étendue, et que les anciens rois gouvernaient par eux-mêmes].

[7] Commentaire.

[8] Commentaire.

[9] Littéralement: l'inébranlabilité du cœur.

[10] Commentaire.

[11] «Entretenir avec soin.» (Commentaire.)

[12] Tchouan-i-ye. (Commentaire.)

[13] Commentaire.

[14] Ibid.

[15] Commentaire.

[16] C'est au plus haut degré de sainteté qu'il aspire.

[17] C'est-à-dire s'il n'est pas éclairé. (Commentaire.)

[18] S'il n'est pas honorable. (Commentaire.)

[19] Commentaire.

[20] «Les paroles de ces témoins oculaires sont dignes de confiance.» (Commentaire.) C'étaient des disciples éminents du philosophe.

[21] «Comme les armes et les moyens de séduction.» (Commentaire.)

[22] Conférez le Tao-te-king, de LAO-TSEU.

[23] Ode Wen-wang, section Ta-ya.

[24] «Qu'il n'ait rien à craindre de l'extérieur ni à souffrir de l'intérieur.» (Comm.)

[25] Ode Tchi-hiao, section Kouë-foung.

[26] C'est un oiseau qui parle.

[27] Ode Wen-wawg, section Ta-ya.

[28] Chapitre du Chou-king.

[29] Le premier ne désire que des naissances, et l'autre ne désire que des décès.


CHAPITRE IV,

COMPOSÉ DE 14 ARTICLES.

1. MENG-TSEU dit: Les temps propices du ciel ne sont pas à comparer aux avantages du terrain; les avantages du terrain ne sont pas à comparer à la concorde entre les hommes.

Supposons une ville ceinte de murs intérieurs de trois li de circonférence et de murs extérieurs de sept li de circonférence, entourée d'ennemis qui l'attaquent de toutes parts sans pouvoir la prendre. Pour assiéger et attaquer cette ville, les ennemis ont dû obtenir le temps du ciel qui convenait; mais cependant comme ils n'ont pas pu prendre cette ville, c'est que le temps du ciel n'est pas à comparer aux avantages du terrain [tels que murs, fossés et autres moyens de défense].

Que les murailles soient élevées, les fossés profonds, les armes et les boucliers solides et durs, le riz abondant; si les habitants fuient et abandonnent leurs fortifications, c'est que les avantages du terrain ne valent pas l'union et la concorde entre les hommes.

C'est pourquoi il est dit: Il ne faut pas placer les limites d'un peuple dans des frontières toutes matérielles, ni la force d'un royaume dans les obstacles que présentent à l'ennemi les montagnes et les cours d'eau, ni la majesté imposante de l'empire dans un grand appareil militaire. Celui qui a pu parvenir à gouverner selon les principes de l'humanité et de la justice trouvera un immense appui dans le cœur des populations. Celui qui ne gouverne pas selon les principes de l'humanité et de la justice trouvera peu d'appui. Le prince qui ne trouvera que peu d'appui dans les populations sera même abandonné par ses parents et ses alliés. Celui qui aura pour l'assister dans le péril presque toutes les populations recevra les hommages de tout l'empire.

Si le prince auquel tout l'empire rend hommage attaque celui qui a été abandonné même par ses parents et ses alliés, qui pourrait lui résister? C'est pourquoi l'homme d'une vertu supérieure n'a pas besoin de combattre; s'il combat, il est sûr de vaincre.

2. MENG-TSEU se disposait à aller rendre visite au roi (de Thsi), lorsque le roi lui envoya un messager pour lui dire de sa part qu'il avait bien désiré le voir, mais qu'il était malade d'un refroidissement qu'il avait éprouvé, et qu'il ne pouvait affronter le vent. Il ajoutait que le lendemain matin il espérait le voir à sa cour, et il demandait s'il ne pourrait pas savoir quand il aurait ce plaisir. MENG-TSEU répondit avec respect que malheureusement il était aussi malade, et qu'il ne pouvait aller à la cour.

Le lendemain matin, il sortit pour aller rendre les devoirs de parenté à une personne de la famille Toudg-kouo. Kong-sun-tcheou (son disciple) dit: Hier, vous avez refusé [de faire une visite au roi] pour cause de maladie; aujourd'hui vous allez faire une visite de parenté; peut-être cela ne convient-il pas. MENG-TSEU dit: Hier j'étais malade, aujourd'hui je vais mieux; pourquoi n'irais-je pas rendre mes devoirs de parenté?

Le roi envoya un exprès pour demander des nouvelles du philosophe, et il fit aussi appeler un médecin. Meng-tchoung-tseu [frère et disciple de MENG-TSEU] répondit respectueusement à l'envoyé du roi: Hier il reçut une invitation du roi; mais, ayant éprouvé une indisposition qui l'a empêché de vaquer à la moindre affaire, il n'a pu se rendre à la cour. Aujourd'hui, son indisposition s'étant un peu améliorée, il s'est empressé de se rendre à la cour. Je ne sais pas s'il a pu y arriver ou non.

Il envoya aussitôt plusieurs hommes pour le chercher sur les chemins, et lui dire que sou frère le priait de ne pas revenir chez lui, mais d'aller à la cour.

MENG-TSEU ne put se dispenser de suivre cet avis, et il se rendit à la demeure de la famille King-tcheou, où il passa la nuit. King-tseu lui dit: Les principaux devoirs des hommes sont: à l'intérieur ou dans la famille, entre le père et les enfants; à l'extérieur ou dans l'État, entre le prince et les ministres. Entre le père et les enfants, la tendresse et la bienveillance dominent; entre le prince et les ministres, la déférence et l'équité dominent. Moi Tcheou, j'ai vu la déférence et l'équité du roi pour vous, mais je n'ai pas encore vu en quoi vous avez eu de la déférence et de l'équité pour le roi. MENG-TSEU dit: Eh! pourquoi donc tenez-vous un pareil langage? Parmi les hommes de Thsi il n'en est aucun qui s'entretienne de l'humanité et de la justice avec le roi. Ne regarderaient-ils pas l'humanité et la justice comme dignes de louanges! Ils disent dans leur cœur: A quoi servirait-il de parler avec lui d'humanité et de justice? Voilà ce qu'ils disent. Alors il n'est pas d'irrévérence et d'injustices plus grandes que celles-là! Moi, je n'ose parler devant le roi, si ce n'est conformément aux principes de Yao et de Chun. C'est pour cela que de tous les hommes de Thsi aucun n'a autant que moi de déférence et de respect pour le roi.

King-tseu dit: Pas du tout; moi je ne suis pas de cet avis-là. On lit dans le Livre des Rites: «Quand votre père vous appelle, ne différez pas pour dire: Je vais; quand l'ordre du prince vous appelle, n'attendez pas votre char.» Vous aviez fermement l'intention de vous rendre à la cour; mais, après avoir entendu l'invitation du roi, vous avez aussitôt changé de résolution. Il faut bien que votre conduite ne s'accorde pas avec ce passage du Livre des Rites.

MENG-TSEU répondit: Qu'entendez-vous par là? Thsêng-tseu disait: «Les richesses des rois de Tçin et de Thsou ne peuvent être égalées: ces rois se prévalent de leurs richesses, moi je me prévaux de mon humanité; ces rois se fient sur leur haute dignité et leur puissance, moi je me fie sur mon équité. De quoi ai-je donc besoin?» Si ces paroles n'étaient pas conformes à l'équité et à la justice, Thsêng-tseu les aurait-il tenues? Il y a peut-être dans ces paroles (de Thsêng-tseu) une doctrine de haute moralité. Il existe dans le monde trois choses universellement honorées: l'une est le rang; l'autre, l'âge; et la troisième, la vertu. A la cour, rien n'est comparable au rang; dans les villes et les hameaux, rien n'est comparable à l'âge; dans la direction et l'enseignement des générations, ainsi que dans l'amélioration du peuple, il n'y a rien de comparable à la vertu. Comment pourrait-il arriver que celui qui ne possède qu'une de ces trois choses [le rang] méprisât l'homme qui en possède deux?

C'est pourquoi, lorsqu'un prince veut être grand et opérer de grandes choses, il a assez de raison pour ne pas appeler à chaque instant près de lui ses sujets. S'il désire avoir leur avis, il se rend alors près d'eux; s'il n'honore pas la vertu, et qu'il ne se réjouisse pas des bonnes et saines doctrines, il n'agit pas ainsi. Alors il n'est pas capable de remplir ses fonctions[1].

C'est ainsi que Tching-thang s'instruisit d'abord près de Y-yin, qu'il fit ensuite son ministre. Voilà pourquoi il gouverna sans peine. Houan-koung s'instruisit d'abord près de Kouan-tchoung, qu'il fit ensuite son ministre. Voilà pourquoi il devint sans peine le chef de tous les grands vassaux.

Maintenant les territoires des divers États de l'empire sont de la même classe [ou à peu près d'une égale étendue]; les avantages sont les mêmes. Aucun d'eux ne peut dominer les autres. Il n'y a pas d'autre cause à cela, sinon que les princes aiment à avoir des ministres auxquels ils donnent les instructions qu'il leur convient, et qu'ils n'aiment pas à avoir des ministres dont ils recevraient eux-mêmes la loi.

Tching-thang n'aurait pas osé faire venir près de lui Y-yin, ni Kouan-koung appeler près de lui Houan-tchoung. Si Houan-tchoung ne pouvait pas être mandé près d'un petit prince, à plus forte raison celui qui ne fait pas grand cas de Kouan-tchoung!

3. Tchin-thsin (disciple de MENG-TSEU) fit une question en ces termes: Autrefois, lorsque vous étiez dans le royaume de Thsi, le roi vous offrit deux mille onces d'or double, que vous ne voulûtes pas recevoir. Lorsque vous étiez dans le royaume de Soung, le roi vous en offrit quatorze cents onces, et vous les reçûtes. Lorsque vous étiez dans le royaume de Sie, le roi vous en offrit mille onces, et vous les reçûtes. Si dans le premier cas vous avez eu raison de refuser, alors, dans les deux derniers cas, vous avez eu tort d'accepter; si dans les deux derniers cas vous avez eu raison d'accepter, alors, dans le premier cas, vous avez eu tort de refuser. Maître, il faut nécessairement que vous me concédiez l'une ou l'autre de ces propositions.

MENG-TSEU dit: J'ai eu raison dans tous les cas.

Quand j'étais dans le royaume de Soung, j'allais entreprendre un grand voyage; celui qui entreprend un voyage a besoin d'avoir avec lui des présents de voyage. Le roi me parla en ces termes: «Je vous offre les présents de l'hospitalité.» Pourquoi ne les aurais-je pas acceptés?

Lorsque j'étais dans le royaume de Sie, j'avais l'intention de prendre des sûretés contre tout fâcheux événement. Le roi me parla en ces termes: «J'ai appris que vous vouliez prendre des sûretés pour continuer votre voyage; c'est pourquoi je vous offre cela pour vous procurer des armes.» Pourquoi n'aurais-je pas accepté?

Quant au royaume de Thsi, il n'y avait pas lieu [de m'offrir et d'accepter les présents du roi]. S'il n'y avait pas lieu de m'offrir ces présents, je les aurais donc reçus comme don pécuniaire. Comment existerait-il un homme supérieur capable de se laisser prendre à des dons pécuniaires?

4. Lorsque MENG-TSEU se rendit à la ville de Phing-lo, il s'adressa à l'un des premiers fonctionnaires de la ville, et lui dit: Si l'un de vos soldats porteurs de lance abandonne trois fois son poste en un jour, l'expédierez-vous ou non? Il répondit: Je n'attendrais pas la troisième fois pour l'expédier.

[MENG-TSEU ajouta]: S'il en est ainsi, alors vous-même vous avez abandonné votre poste, et cela un grand nombre de fois. Dans les années calamiteuses, dans les années de stérilité et de famine, les vieillards et les infirmes du peuple dont vous devez avoir soin, qui se sont précipités dans les fossés pleins d'eau et dans les mares des vallées; les jeunes gens forts et robustes qui se sont dispersés et se sont rendus dans les quatre parties de l'empire [pour y chercher leur nourriture], sont au nombre de plusieurs milliers.

[Le magistrat] répondit: Il ne dépend pas de moi Kiu-sin que cela ne soit ainsi.

[MENG-TSEU] poursuivit: Maintenant, je vous dirai que s'il se trouve un homme qui reçoive d'un autre des bœufs et des moutons pour en être le gardien et les faire paître à sa place, alors il lui demandera nécessairement des pâturages et de l'herbe pour les nourrir. Si, après lui avoir demandé des pâturages et des herbes pour nourrir son troupeau, il ne les obtient pas, alors pensez-vous qu'il ne le rendra pas à l'homme qui le lui a confié, ou qu'au contraire il se tiendra là immobile en le regardant mourir?

[Le magistrat] répondit: Pour cela, c'est la faute de moi Kiu-sin.

Un autre jour, MENG-TSEU étant allé voir le roi, il lui dit: De tous ceux qui administrent les villes au nom du roi, votre serviteur en connaît cinq; et parmi ces cinq il n'y a que Khoung-kiu-sin qui reconnaisse ses fautes. Lorsqu'il les eut racontées au roi, le roi dit: Quant à ces calamités, c'est moi qui en suis coupable.

5. MENG-TSEU s'adressant à Tchi-wa [ta-fou, ou l'un des premiers fonctionnaires de Thsi], lui dit: Vous avez refusé le commandement de la ville de Ling-khieou, et vous avez sollicité les fonctions de chef de la justice. Cela paraissait juste, parce que ce dernier poste vous donnait la faculté de parler au roi le langage de la raison. Maintenant, voilà déjà plusieurs lunes d'écoulées depuis que vous êtes en fonctions, et vous n'avez pas encore parlé?

Tchi-wa ayant fait des remontrances au roi, qui n'en tint aucun compte, se démit de ses fonctions de ministre, et se retira.

Les hommes de Thsi dirent: Quant à la conduite de Tchi-wa [à l'égard du roi], elle est parfaitement convenable; quant à celle de MENG-TSEU, nous n'en savons rien.

Kong-tou-tseu instruisit son maître de ces propos.

MENG-TSEU répliqua: J'ai toujours entendu dire que celui qui a une magistrature à remplir, s'il ne peut obtenir de faire son devoir, se retire; que celui qui a le ministère de la parole pour donner des avertissements au roi, s'il ne peut obtenir que ses avertissements soient suivis, se retire. Moi, je n'ai pas de magistrature à remplir ici; je n'ai pas également le ministère de la parole; alors, que je me produise à la cour pour faire des représentations, ou que je m'en éloigne, ne suis-je pas libre d'agir comme bon me semble?

6. Lorsque MENG-TSEU était revêtu de la dignité honoraire de King, ou de premier fonctionnaire dans le royaume de Thsi, il alla faire des compliments de condoléance à Teng; et le roi envoya Wang-kouan, premier magistrat de la ville de Ko, pour l'assister dans ses fonctions d'envoyé. Wang-kouan, matin et soir, voyait MENG-TSEU; mais, en allant et en revenant de Teng à Thsi, pendant toute la route MENG-TSEU ne s'entretint pas avec lui des affaires de leur légation.

Kong-sun-tcheou dit: Dans le royaume de Thsi, la dignité de King, ou de premier fonctionnaire, n'est pas petite. La route qui mène de Thsi à Teng n'est pas également peu longue. En allant et en revenant, vous n'avez pas parlé avec cet homme des affaires de votre légation; quelle en est la cause?

MENG-TSEU dit: Ces affaires avaient été réglées par quelqu'un; pourquoi en aurais-je parlé[2]?

7. MENG-TSEU quitta le royaume de Thsi pour aller rendre les devoirs funèbres [à sa mère] dans le royaume de Lou. En revenant dans le royaume de Thsi, il s'arrêta dans la petite ville de Yng. Tchoung-yu [un de ses anciens disciples] lui dit avec soumission: Ces jours passés, ne sachant pas que votre disciple Yu était tout à fait inepte, vous m'avez ordonné, à moi Yu, de faire faire un cercueil par un charpentier. Dans la douleur où vous vous trouviez, je n'ai pas osé vous questionner à cet égard. Aujourd'hui je désire vous demander une explication sur un doute que j'ai: le bois du cercueil n'était-il pas trop beau?

MENG-TSEU dit: Dans la haute antiquité, il n'y avait point de règles fixes pour la fabrication des cercueils, soit intérieurs, soit extérieurs. Dans la moyenne antiquité, les planches du cercueil intérieur avaient sept pouces d'épaisseur; le cercueil extérieur était dans les mêmes proportions. Cette règle était observée par tout le monde, depuis l'empereur jusqu'à la foule du peuple; et ce n'était pas assurément pour que les cercueils fussent beaux. Ensuite les parents se livraient à toute la manifestation des sentiments de leur cœur.

Si on n'a pas la faculté de donner à ses sentiments de douleur toute l'expression que l'on désire[3], on ne peut pas se procurer des consolations. Si on n'a pas de fortune, on ne peut également pas se donner la consolation de faire à ses parents de magnifiques funérailles. Lorsqu'ils pouvaient obtenir d'agir selon leur désir, et qu'ils en avaient les moyens, tous les hommes de l'antiquité employaient de beaux cercueils. Pourquoi moi seul n'aurais-je pas pu agir de même?

Or, si lorsque leurs père et mère viennent de décéder, les enfants ne laissent pas la terre adhérer à leur corps, auront-ils un seul sujet de regret [pour leur conduite]?

J'ai souvent entendu dire que l'homme supérieur ne doit pas être parcimonieux à cause des biens du monde, dans les devoirs qu'il rend à ses parents.

8. Tching-thoung (ministre du roi de Thsi), de son autorité privée, demanda à MENG-TSEU si le royaume de Yan pouvait être attaqué ou subjugué par les armes.

MENG-TSEU dit: Il peut l'être. Tseu-khouaï (roi de Yan) ne peut, de son autorité privée, donner Yan à un autre homme. Tseu-tchi (son ministre) ne pouvait accepter le royaume de Yan du prince Tseu-khouaï. Je suppose, par exemple, qu'un magistrat se trouve ici, et que vous ayez pour lui beaucoup d'attachement. Si, sans en prévenir le roi, et de votre autorité privée, vous lui transférez la dignité et les émoluments que vous possédez; si ce lettré, également sans avoir reçu le mandat du roi, et de son autorité privée, les accepte de vous; alors pensez-vous que ce soit licite? En quoi cet exemple diffère-t-il du fait précédent?

Les hommes de Thsi[4] ayant attaqué le royaume de Yan, quelqu'un demanda à MENG-TSEU s'il n'avait pas excité Thsi à conquérir Yan? Il répondit: Aucunement. Tching-thoung m'a demandé si le royaume de Yan pouvait être attaqué et subjugué par les armes. Je lui ai répondu en disant qu'il pouvait l'être. Là-dessus le roi de Thsi et ses ministres l'ont attaqué. Si Tching-thoung m'avait parlé ainsi: Quel est celui qui peut l'attaquer et le conquérir? alors je lui aurais répondu en disant: Celui qui en a reçu la mission du ciel, celui-là peut l'attaquer et le conquérir.

Maintenant, je suppose encore qu'un homme en ait tué un autre. Si quelqu'un m'interroge à ce sujet, et me dise: Un homme peut-il en faire mourir un autre? alors je lui répondrai en disant: Il le peut. Mais si cet homme me disait: Quel est celui qui peut tuer un autre homme? alors je lui répondrais en disant: Celui qui exerce les fonctions de ministre de la justice, celui-là peut faire mourir un autre homme [lorsqu'il mérite la mort].

Maintenant, comment aurais-je pu conseiller de remplacer le gouvernement tyrannique de Yan par un autre gouvernement tyrannique[5]?

9. Les hommes de Yan se révoltèrent. Le roi de Thsi dit: Comment me présenterai-je sans rougir devant MENG-TSEU?

Tchin-kia (un de ses ministres) dit: Que le roi ne s'afflige pas de cela. Si le roi se compare à Tcheou-koung[6], quel est celui qui sera trouvé le plus humain et le plus prudent?

Le roi dit: Oh! quel langage osez-vous tenir?

Le ministre poursuivit: Tcheou-koung avait envoyé Kouan-cho pour surveiller le royaume de Yn; mais Kouan-cho se révolta avec le royaume de Yn [contre l'autorité de Tcheou-koung]. Si, lorsque Tcheou-koung chargea Kouan-cho de sa mission, il prévoyait ce qui arriverait, il ne fut pas humain; s'il ne le prévoyait pas, il ne fut pas prudent. Si Tcheou-koung ne fut pas d'une humanité et d'une prudence consommée, à plus forte raison le roi ne pouvait-il pas l'être [dans la dernière occasion]. Moi Tchin-kia, je vous prie de me laisser aller voir MENG-TSEU, et de lui expliquer l'affaire.

Il alla voir MENG-TSEU, et lui demanda quel homme c'était que Tcheou-koung.

MENG-TSEU répondit: C'était un saint homme de l'antiquité.

—N'est-il pas vrai qu'il envoya Kouan-cho pour surveiller le royaume de Yn, et que Kouan-cho se révolta avec ce royaume?—Cela est ainsi, dit-il.

Tcheou-koung prévoyait-il qu'il se révolterait, lorsqu'il le chargea de cette mission?

—Il ne le prévoyait pas.

—S'il en est ainsi, alors le saint homme commit par conséquent une faute.

Tcheou-koung était le frère cadet de Kouan-cho qui était son frère aîné. La faute de Tcheou-koung n'est-elle pas excusable?

En effet, si les hommes supérieurs de l'antiquité commettent des fautes, ils se corrigent ensuite. Si les hommes [prétendus] supérieurs de notre temps commettent des fautes, ils continuent à suivre la mauvaise voie [sans vouloir se corriger]. Les fautes des hommes supérieurs de l'antiquité sont comme les éclipses du soleil et de la lune, tous les hommes les voyaient; et quant à leur conversion, tous les hommes la contemplaient avec joie. Les hommes supérieurs de nos jours, non-seulement continuent à suivre la mauvaise voie, mais encore ils veulent la justifier.

10. MENG-TSEU se démit de ses fonctions de ministre honoraire [à la cour du roi de Thsi] pour s'en retourner dans sa patrie.

Le roi étant allé visiter MENG-TSEU, lui dit: Aux jours passés, j'avais désiré vous voir, mais je n'ai pas pu l'obtenir. Lorsque enfin j'ai pu m'asseoir à vos côtés, toute ma cour en a été ravie. Maintenant vous voulez me quitter pour retourner dans votre patrie; je ne sais si par la suite je pourrai obtenir de vous visiter de nouveau.

MENG-TSEU répondit: Je n'osais pas vous en prier. Certainement c'est ce que je désire.

Un autre jour, le roi s'adressant à Chi-tseuu, lui dit: Je désire retenir MENG-TSEU dans mon royaume en lui donnant une habitation et en entretenant ses disciples avec dix mille mesures [tchoung] de riz, afin que tous les magistrats et tous les habitants du royaume aient sous les yeux un homme qu'ils puissent révérer et imiter. Pourquoi ne le lui annonceriez-vous pas en mon nom?

Chi-tseu confia cette mission à Tchin-tseu, pour en prévenir son maître MENG-TSEU. Tchin-tseu rapporta à MENG-TSEU les paroles de Chi-tseu.

MENG-TSEU dit: C'est bien; mais comment ce Chi-tseu ne sait-il pas que je ne puis accéder à cette proposition[7]? Si je désirais des richesses, comment aurais-je refusé cent mille mesures de riz[8] pour en accepter maintenant dix mille? Est-ce là aimer les richesses?

Ki-sun disait: C'était un homme bien extraordinaire que Tseu-cho-i! Si, en exerçant des fonctions publiques, il n'était pas promu à un emploi supérieur, alors il cessait toute poursuite; mais il faisait plus, il faisait en sorte que son fils ou son frère cadet fût élevé à la dignité de King [l'une des premières du royaume]. En effet, parmi les hommes, quel est celui qui ne désire pas les richesses et les honneurs? Mais Tseu-cho-i lui seul, au milieu des richesses et des honneurs, voulait avoir le monopole, et être le chef du marché qui perçoit pour lui seul tous les profits.

L'intention de celui qui, dans l'antiquité, institua les marchés publics, était de faire échanger ce que l'on possédait contre ce que l'on ne possédait pas. Ceux qui furent commis pour présider à ces marchés n'avaient d'autre devoir à remplir que celui de maintenir le bon ordre. Mais un homme vil se trouva, qui fit élever un grand tertre au milieu du marché pour y monter. De là il portait des regards de surveillance à droite et à gauche, et recueillait tous les profits du marché. Tous les hommes le regardèrent comme un vilain et un misérable. C'est ainsi que depuis ce temps-là sont établis les droits perçus dans les marchés publics; et la coutume d'exiger des droits des marchands date de ce vilain homme.

11. MENG-TSEU, en quittant le royaume de Thsi, passa la nuit dans la ville de Tcheou. Il se trouva là un homme qui, à cause du roi, désira l'empêcher de continuer son voyage. Il s'assit près de lui, et lui parla. MENG-TSEU, sans lui répondre, s'appuya sur une table et s'endormit.

L'hôte, qui voulait le retenir, n'en fut pas satisfait, et il lui dit: Votre disciple a passé une nuit entière avant doser vous parler; mais comme il voit, maître, que vous dormez sans vouloir l'écouter, il vous prie de le dispenser de vous visiter de nouveau.

MENG-TSEU lui répondit: Asseyez-vous; je vais vous instruire de votre devoir. Autrefois, si Mou-kong, prince de Lou, n'avait pas eu un homme [de vertus éminentes] auprès de Tseu-sse, il n'aurait pas pu le retenir [à sa cour]. Si Sie-lieou et Chin-thsiang n'avaient pas eu un homme [distingué] auprès de Mou-kong, ils n'auraient pas pu rester auprès de sa personne.

Vous, vous avez des projets relativement à un vieillard respectable[9], et vous n'êtes pas même parvenu à me traiter comme Tseu-sse le fut. N'est-ce pas vous qui avez rompu avec le vieillard? ou si c'est le vieillard qui a rompu avec vous?

12. MENG-TSEU ayant quitté le royaume de Thsi, Yn-sse, s'adressant à plusieurs personnes, leur dit: Si MENG-TSEU ne savait pas que le roi ne pouvait pas devenir un autre Tching-thang ou un autre Wou-wang, alors il manque de perspicacité et de pénétration. Si au contraire il le savait, et que dans cette persuasion il soit également venu à sa cour, alors c'était pour obtenir des émoluments. Il est venu de mille li [cent lieues] pour voir le roi, et, pour n'avoir pas réussi dans ce qu'il désirait, il s'en est allé. Il s'est arrêté trois jours et trois nuits à la ville de Tcheou avant de continuer sa route; pourquoi tous ces retards et ces délais? Moi Sse, je ne trouve pas cela bien.

Kao-tseu rapporta ces paroles à son ancien maître MENG-TSEU.

MENG-TSEU dit: Comment Yn-sse me connaît-il? Venir de cent lieues pour voir le roi, c'était là ce que je désirais vivement [pour propager ma doctrine]. Je quitte ce royaume parce que je n'ai pas obtenu ce résultat. Est-ce là ce que je désirais? Je n'ai pu me dispenser d'agir ainsi.

J'ai cru même trop hâter mon départ en ne passant que trois jours dans la ville de Tcheou avant de la quitter. Le roi pouvait changer promptement sa manière d'agir. S'il en avait changé, alors il me rappelait près de lui.

Lorsque je fus sorti de la ville sans que le roi m'eût rappelé, j'éprouvai alors un vif désir de retourner dans mon pays. Mais, quoique j'eusse agi ainsi, abandonnais-je pour cela le roi? Le roi est encore capable de faire le bien, de pratiquer la vertu. Si un jour le roi m'emploie, alors non-seulement le peuple de Thsi sera tranquille et heureux, mais toutes les populations de l'empire jouiront d'une tranquillité et d'une paix profondes. Le roi changera peut-être bientôt sa manière d'agir; c'est l'objet de mes vœux de chaque jour.

Suis-je donc semblable à ces hommes vulgaires, à l'esprit étroit, qui, après avoir fait à leur prince des remontrances dont il n'a tenu aucun compte, s'irritent et laissent apparaître sur leur visage le ressentiment qu'ils en éprouvent? Lorsque ces hommes ont pris la résolution de s'éloigner, ils partent et marchent jusqu'à ce que leurs forces soient épuisées, avant de s'arrêter quelque part pour y passer la nuit.—Yn-sse ayant entendu ces paroles, dit: Je suis véritablement un homme vulgaire.

13. Pendant que MENG-TSEU s'éloignait du royaume de Thsi, Tchoung-yu, un de ses disciples, l'interrogea en chemin, et lui dit: Maître, vous ne me semblez pas avoir l'air bien satisfait. Aux jours passés, moi Yu, j'ai souvent entendu dire à mon maître: «L'homme supérieur ne murmure point contre le ciel, et ne se plaint point des hommes.»

MENG-TSEU répondit: Ce temps-là différait bien de celui-ci[10].

Dans le cours de cinq cents ans, il doit nécessairement apparaître un roi puissant [qui occupe le trône des fils du Ciel][11]; et dans cet intervalle de temps doit aussi apparaître un homme qui illustre son siècle. Depuis l'établissement de la dynastie des Tcheou jusqu'à nos jours, il s'est écoulé plus de sept cents ans. Que l'on fasse le calcul de ce nombre d'années écoulées [en déduisant un période de cinq cents ans], alors on trouvera que ce période est bien dépassé [sans cependant qu'un grand souverain ait apparu]. Si on examine avec attention le temps présent, alors on verra qu'il peut apparaître maintenant.

Le ciel, à ce qu'il semble, ne désire pas encore que la paix et la tranquillité règnent dans tout l'empire. S'il désirait que la paix et la tranquillité régnassent dans tout l'empire, et qu'il me rejetât, qui choisirait-il dans notre siècle [pour accomplir cette mission]? Pourquoi donc n'aurais-je pas un air satisfait?

14. MENG-TSEU ayant quitté le royaume de Thsi, et s'étant arrêté à Kieou[12], Kong-sun-tcheou lui fit une question en ces termes: Exercer une magistrature, et ne pas en accepter les émoluments, était-ce la règle de l'antiquité?

MENG-TSEU répondit: Aucunement. Lorsque j'étais dans le pays de Thsoung, j'obtins de voir le roi. Je m'éloignai bientôt, et je pris la résolution de le quitter entièrement. Je n'en voulus pas changer; c'est pourquoi je n'acceptai point d'émoluments.

Peu de jours après, le roi ayant ordonné de rassembler des troupes [pour repousser une agression], je ne pus prendre congé du roi. Mais je n'avais pas du tout l'intention de demeurer longtemps dans le royaume de Thsi.

[1] MENG-TSEU veut faire dépendre les princes des sages et des hommes éclairés, et non les sages et les hommes éclairés des princes. Il relève la dignité de la vertu et de la science, qu'il place au-dessus du rang et de la puissance. Jamais peut-être la philosophie n'a offert un plus noble sentiment de sa dignité et de la valeur de ses inspirations. Il serait difficile de reconnaître ici (pas plus que dans aucun autre écrivain chinois) cet esprit de servitude dont on a bien voulu les gratifier en Europe.

[2] Selon plusieurs commentateurs chinois, la cause du silence que MENG-TSEU avait gardé avec son second envoyé, c'est le mépris qu'il avait pour lui.

[3] Si des lois spéciales règlent les funérailles.

[4] Le prince et ses ministres. (Commentaire.)

[5] Littéralement, remplacer un yan par un yan, ou un tyran par un autre tyran. C'est l'interprétation des commentateurs chinois.

[6] Un des plus grands hommes de la Chine. Voyez l'Histoire précédemment citée, cette page et suiv.

[7] C'est-à-dire demeurer de nouveau dans le royaume de Thsi, puisque sa doctrine sur le gouvernement n'y était pas admise. (Commentaire.)

[8] Il désigne les émoluments de la dignité de King, qu'il avait refusés (Comm.)

[9] Il se désigne ainsi lui-même. (Commentaire.)

[10] Littéralement: Illud unum tempus, hoc unum tempus.

[11] Commentaire.

[12] Ville située sur les frontières de Thsi.


CHAPITRE V,

COMPOSÉ DE 5 ARTICLES.

1. Wen-koung, prince de Teng, héritier présomptif du trône de son père[1], voulant se rendre dans le royaume de Thsou, passa par celui de Soung, pour voir MENG-TSEU.

MENG-TSEU l'entretint des bonnes dispositions naturelles de l'homme; il lui fit nécessairement l'éloge de Yao et de Chun.

L'héritier du trône, revenant du royaume de Thsou, alla de nouveau visiter MENG-TSEU. MENG-TSEU lui dit: Fils du siècle, mettez-vous en doute mes paroles? Il n'y a qu'une voie pour tout le monde, et rien de plus.

Tching-hian, parlant à King-kong, roi de Thsi, lui disait: Ces grands sages de l'antiquité n'étaient que des hommes; nous aussi, qui vivons, nous sommes des hommes; pourquoi craindrions-nous de ne pas pouvoir égaler leurs vertus?

Yan-youan disait: Quel homme était-ce que Chun, et quel homme suis-je? Celui qui veut faire tous ses efforts peut aussi l'égaler.

Kong-ming-i disait: Wen-wang est mon instituteur et mon maître. Comment Tcheou-koung me tromperait-il?

Maintenant, si vous diminuez la longueur du royaume de Teng pour augmenter et fortifier sa largeur, vous en ferez un État de cinquante li carrés. De cette manière vous pourrez en former un bon royaume [en y faisant régner les bons principes de gouvernement]. Le Chou-king dit: «Si un médicament ne porte pas le trouble et le désordre dans le corps d'un malade, il n'opérera pas sa guérison.»

2. Ting-kong, prince de Teng, étant mort, le fils du siècle [l'héritier du trône], s'adressant à Jan-yeou, lui dit: Autrefois MENG-TSEU s'entretint avec moi dans l'État de Soung. Je n'ai jamais oublié dans mon cœur ce qu'il me dit. Maintenant que par un malheureux événement je suis tombé dans un grand chagrin, je désire vous envoyer pour interroger MENG-TSEU, afin de savoir de lui ce que je dois faire dans une telle circonstance.

Jan-yeou s'étant rendu dans le royaume de Tseou, interrogea MENG-TSEU. MENG-TSEU répondit: Les questions que vous me faites ne sont-elles pas véritablement importantes? C'est dans les funérailles qu'on fait à ses parents que l'on manifeste sincèrement les sentiments de son cœur. Thseng-tseu disait: Si pendant la vie de vos parents vous les servez selon les rites; si après leur mort vous les ensevelissez selon les rites; si vous leur offrez les sacrifices tsi selon les rites, vous pourrez être appelé plein de piété filiale. Je n'ai jamais étudié les rites que l'on doit suivre pour les princes de tous les ordres; cependant j'en ai entendu parler. Un deuil de trois ans; des habillements de toile grossière, grossièrement faits; une nourriture de riz, à peine mondé, et cuit dans l'eau: voilà ce qu'observaient et dont se servaient les populations des trois dynasties, depuis l'empereur jusqu'aux dernières classes du peuple.

Après que Jan-yeou lui eut rapporté ces paroles, le prince ordonna de porter un deuil de trois ans. Les ministres parents de son père et tous les fonctionnaires publics ne voulurent pas s'y conformer; ils dirent: De tous les anciens princes de Lou [d'où viennent nos ancêtres], aucun n'a pratiqué cette coutume d'honorer ses parents décédés; de tous nos anciens princes, aucun également n'a pratiqué ce deuil. Quant à ce qui vous concerne, il ne vous convient pas d'agir autrement; car l'histoire dit: «Dans les cérémonies des funérailles et du sacrifice aux mânes des défunts, il faut suivre la coutume des ancêtres.» C'est-à-dire que nos ancêtres nous ont transmis le mode de les honorer, et que nous l'avons reçu d'eux.

Le prince, s'adressant à Jan-yeou, lui dit: Dans les jours qui ne sont plus, je ne me suis jamais livré à l'étude de la philosophie[2]. J'aimais beaucoup l'équitation et l'exercice des armes. Maintenant les anciens ministres et alliés de mon père et tous les fonctionnaires publics n'ont pas de confiance en moi; ils craignent peut-être que je ne puisse suffire à l'accomplissement des grands devoirs qui me sont imposés. Vous, allez encore pour moi consulter MENG-TSEU à cet égard.—Jan-yeou se rendit de nouveau dans le royaume de Tseou pour interroger MENG-TSEU. MENG-TSEU dit: Les choses étant ainsi, votre prince ne doit pas rechercher l'approbation des autres. KHOUNG-TSEU disait: «Lorsque le prince venait à mourir, les affaires du gouvernement étaient dirigées par le premier ministre[3]. L'héritier du pouvoir se nourrissait de riz cuit dans l'eau, et son visage prenait une teinte très-noire. Lorsqu'il se plaçait sur son siège dans la chambre mortuaire, pour se livrer à sa douleur, les magistrats et les fonctionnaires publics de toutes classes n'osaient se soustraire aux démonstrations d'une douleur dont l'héritier du trône donnait le premier l'exemple. Quand les supérieurs aiment quelque chose, les inférieurs l'affectionnent bien plus vivement encore. La vertu de l'homme supérieur est comme le vent, la vertu de l'homme inférieur est comme l'herbe. L'herbe, si le vent vient à passer sur elle, s'incline nécessairement.» Il est au pouvoir du fils du siècle d'agir ainsi.

Lorsque Jan-yeou lui eut rapporté ces instructions, le fils du siècle dit: C'est vrai, cela ne dépend que de moi. Et pendant cinq lunes il habita une hutte en bois [construite en dehors de la porte du palais, pour y passer le temps du deuil], et il ne donna aucun ordre concernant les affaires de l'État. Tous les magistrats du royaume et les membres de sa famille se firent un devoir de l'appeler versé dans la connaissance des rites. Quand le jour des funérailles arriva, des quatre points du royaume vinrent de nombreuses personnes pour le contempler; et ces personnes, qui avaient assisté aux funérailles, furent très-satisfaites de l'air consterné de son visage et de la violence de ses gémissements.

3. Wen-koung, prince de Teng, interrogea MENG-TSEU sur l'art de gouverner.

MENG-TSEU dit: Les affaires du peuple[4] ne doivent pas être négligées. Le Livre des Vers dit[5]:

«Pendant le jour, vous, cueillez des roseaux;

Pendant la nuit, vous, faites-en des cordes et des nattes:

Hâtez-vous de monter sur le toit de vos maisons pour les réparer.

La saison va bientôt commencer où il faudra semer tous les grains.»

C'est là l'avis du peuple. Ceux qui ont une propriété permanente suffisante pour leur entretien ont l'esprit constamment tranquille; ceux qui n'ont pas une telle propriété permanente n'ont pas un esprit constamment tranquille. S'ils n'ont pas l'esprit constamment tranquille, alors violation du droit, perversité du cœur, dépravation des mœurs, licence effrénée; il n'est rien qu'ils ne commettent: si on attend que le peuple soit plongé dans le crime pour le corriger par des châtiments, c'est prendre le peuple dans des filets. Comment un homme, possédant la vertu de l'humanité, et siégeant sur un trône, pourrait-il prendre ainsi le peuple dans des filets?

C'est pour cette raison qu'un prince sage est nécessairement réfléchi et économe: il observe les rites prescrits envers les inférieurs, et, en exigeant les tributs du peuple, il se conforme à ce qui est déterminé par la loi et la justice.

Yang-hou disait: Celui qui ne pense qu'à amasser des richesses n'est pas humain; celui qui ne pense qu'à exercer l'humanité n'est pas riche.

Sous les princes de la dynastie Hia, cinquante arpents de terre payaient tribut [ou étaient soumis à la dîme]; sous les princes de la dynastie de Yn, soixante et dix arpents étaient assujettis à la corvée d'assistance (tsou); les princes de la dynastie de Tcheou exigèrent l'impôt tche [qui comprenait les deux premiers tributs] pour cent arpents de terre [que reçut chaque famille]. En réalité, l'une et l'autre de ces dynasties prélevèrent la dime[6] sur les terres. Le dernier de ces tributs est une répartition égale de toutes les charges; le second est un impôt d'aide ou d'assistance mutuelle.

Loung-tseu[7] disait: En faisant la division et la répartition des terres, on ne peut pas établir de meilleur impôt que celui de l'assistance (tsou); on ne peut pas en établir de plus mauvais que celui de la dîme (koung). Pour ce dernier tribut, le prince calcule le revenu moyen de plusieurs années, afin d'en faire la base d'un impôt constant et invariable. Dans les années fertiles où le riz est très-abondant, et où ce ne serait pas exercer de la tyrannie que d'exiger un tribut plus élevé, on exige relativement peu. Dans les années calamiteuses, lorsque le laboureur n'a pas même de quoi fumer ses terres, on exige absolument de lui l'intégralité du tribut. Si celui qui est constitué pour être le père et la mère du peuple agit de manière à ce que les populations, les regards pleins de courroux, s'épuisent jusqu'à la fin de l'année par des travaux continuels, sans que les fils puissent nourrir leurs père et mère, et qu'en outre les laboureurs soient obligés d'emprunter à gros intérêts pour compléter leurs taxes; s'il fait en sorte que les vieillards et les enfants, à cause de la détresse qu'ils éprouvent, se précipitent dans les fossés pleins d'eau, en quoi sera-t-il donc le père et la mère du peuple?

Les traitements ou pensions héréditaires[8] sont déjà en vigueur depuis longtemps dans le royaume de Teng.

Le Livre des Vers dit[9]:

«Que la pluie arrose d'abord les champs que nous cultivons eu commun[10];

Et qu'elle atteigne ensuite nos champs privés.»

C'est seulement lorsque le système du tribut d'assistance (tsou) est en vigueur que l'on cultive des champs en commun. D'après cette citation du Livre des Vers, on voit que même sous les Tcheou on percevait encore le tribut d'assistance.

Établissez des écoles de tous les degrés pour instruire le peuple, celles où l'on enseigne à respecter les vieillards, celles où l'on donne l'instruction à tout le monde indistinctement, celles où l'on apprend à tirer de l'arc, qui se nommaient Hiao sous les Hia, Siu sous les Yin, et Tsiang sous les Tcheou. Celles que l'on nomme hio (études) ont conservé ce nom sous les trois dynasties. Toutes ces écoles sont destinées à enseigner aux hommes leurs devoirs. Lorsque les devoirs sont clairement enseignés par les supérieurs, les hommes de la foule commune s'aiment mutuellement dans leur infériorité.

S'il arrivait qu'un grand roi apparût dans l'empire, il prendrait certainement votre gouvernement pour exemple. C'est ainsi que vous deviendrez le précepteur d'un grand roi.

Le Livre des Vers dit:

«Quoique la famille des Tcheou possédât depuis longtemps une principauté royale,

Elle a obtenu du ciel une investiture nouvelle[11]

C'est de Wen-wang qu'il est question. Si vous faites tous vos efforts[12] pour mettre en pratique les instructions ci-dessus[13], vous pourrez aussi renouveler votre royaume.

Wen-koung envoya Pi-tchen pour interroger MENG-TSEU sur les terres divisées en carrés égaux.

MENG-TSEU dit: Votre prince est disposé à pratiquer un gouvernement humain, puisqu'il vous a choisi pour vous envoyer près de moi; vous devez faire tous vos efforts pour répondre à sa confiance. Ce gouvernement humain doit commencer par une détermination des limites ou bornes des terres. Si la détermination des limites n'est pas exacte, les divisions en carrés des champs ne seront pas égales, et les salaires ou émoluments en nature prélevés en impôt ne seront pas justement répartis. C'est pourquoi les princes cruels et leurs vils agents se soucient fort peu de la délimitation des champs. Une fois la détermination des limites exécutée exactement, la division des champs et la répartition des salaires ou traitements en nature pourront être assises sur des bases sûres et déterminées convenablement.

Quoique le territoire de l'État de Teng soit étroit et petit, il faut qu'il y ait des hommes supérieurs [par leur savoir[14], des fonctionnaires publics], il faut qu'il y ait des hommes rustiques. S'il n'y a pas d'hommes supérieurs ou de fonctionnaires publics, personne ne se trouvera pour gouverner et administrer les hommes rustiques; s'il n'y a pas d'hommes rustiques, personne ne nourrira les hommes supérieurs ou les fonctionnaires publics.

Je voudrais que dans les campagnes éloignées des villes, sur neuf divisions quadrangulaires égales, une d'elles [celle du milieu] fût cultivée en commun pour subvenir aux traitements des magistrats ou fonctionnaires publics par la corvée d'assistance; et que dans le milieu du royaume [près de la capitale] on prélevât la dîme, comme impôt ou tribut.

Tous les fonctionnaires publics, depuis les plus élevés en dignité jusqu'aux plus humbles, doivent chacun avoir un champ pur [dont les produits sont employés uniquement dans les sacrifices ou cérémonies en l'honneur des ancêtres]. Le champ pur doit contenir cinquante arpents.

Les autres [les frères cadets qui ont atteint leur seizième année][15] doivent avoir vingt-cinq arpents de terre.

Ni la mort ni les voyages ne feront sortir ces colons de leur village. Si les champs de ce village sont divisés en portions quadrangulaires semblables au dehors comme au dedans, ils formeront des liens étroits d'amitié; ils se protégeront et s'aideront mutuellement dans leurs besoins et leurs maladies; alors toutes les familles vivront dans une union parfaite.

Un li carré d'étendue constitue un tsing [portion carrée de terre]; un tsing contient neuf cents arpents; daus le milieu se trouve le champ public[16]. Huit familles, ayant toutes chacune cent arpents en propre, entretiennent ensemble le champ public ou commun. Les travaux communs étant achevés, les familles peuvent ensuite se livrer à leurs propres affaires. Voilà ce qui constitue l'occupation distincte des hommes des champs.

Voilà le résumé de ce système. Quant aux modifications et améliorations qu'on peut lui faire subir, cela dépend du prince et de vous.

4. Il fut un homme du nom de Hiu-hing qui, vantant beaucoup les paroles de l'ancien empereur Chin-noung, passa du royaume de Thsou dans celui de Teng. Étant parvenu à la porte de Wen-koung, il lui parla ainsi: «Moi, homme d'une région éloignée, j'ai entendu dire que le prince pratiquait un gouvernement humain[17]. Je désire recevoir une habitation et devenir son paysan.»

Wen-koung lui donna un endroit pour habiter. Ceux qui le suivaient, au nombre de quelques dizaines d'hommes, étaient couverts d'habits de laine grossière. Les uns tressaient des sandales, les autres des nattes de jonc, pour se procurer leur nourriture.

Un certain Tchin-siang, disciple de Tchin-liang[18], accompagné de son frère cadet nommé Sin, portant les instruments de labourage sur leurs épaules, vinrent de l'État de Soung dans celui de Teng, et dirent: «Nous avons appris que le prince pratiquait le gouvernement des saints hommes [de l'antiquité]; il est donc aussi lui-même un saint homme. Nous désirons être les paysans du saint homme.»

Tchin-siang ayant vu Hiu-hing en fut ravi de joie. Il rejeta complétement les doctrines qu'il avait apprises de son premier maître, pour étudier celles de Hiu-hing.

Tchin-siang étant allé voir MENG-TSEU, lui rapporta les paroles de Hiu-hing, en disant: «Le prince de Teng est véritablement un sage prince; mais, quoiqu'il en soit ainsi, il n'a pas encore été instruit des saines doctrines. Le prince sage cultive la terre et se nourrit avec le peuple; il gouverne en même temps qu'il prépare lui-même ses aliments. Maintenant le prince de Teng a des greniers et des trésors privés; en agissant ainsi, il fait tort au peuple pour s'entretenir lui-même. Comment peut-on l'appeler sage?»

MENG-TSEU dit: Hiu-tseu [le philosophe Hiu ou Hiu-hing] sème certainement lui-même le millet dont il se nourrit?

—Oui.

Hiu-tseu tisse certainement lui-même la toile de chanvre dont il fait ses vêtements?

—En aucune façon. Hiu-tseu porte des vêtements de laine.

Hiu-tseu porte un bonnet?

—Il porte un bonnet.

—Quel genre de bonnet?

—Un bonnet de toile sans ornement.

—Tisse-t-il lui-même cette toile?

—Aucunement. Il l'échange contre du millet.

—Pourquoi Hiu-tseu ne la tisse-t-il pas lui-même?

—En le faisant il nuirait à ses travaux d'agriculture.

Hiu-tseu se sert-il de vases d'airain ou de vases de terre pour cuire ses aliments? Se sert-il d'un soc de fer pour labourer?

—Sans doute.

—Les confectionne-t-il lui-même?

—Aucunement. Il les échange contre du millet.

—Si celui qui échange contre du millet les instruments aratoires et les ustensiles de cuisine dont il se sert ne croit pas faire du tort aux fabricants d'instruments aratoires et d'ustensiles de cuisine, alors ces derniers, qui échangent leurs instruments aratoires et leurs ustensiles de cuisine contre du millet pensent-ils faire du tort aux laboureurs? Pourquoi donc Hiu-tseu ne se fait-il pas potier et forgeron? Il n'aurait qu'à prendre dans l'intérieur de sa maison tous ces objets dont il a besoin pour s'en servir. Pourquoi se donner tant de peine de faire des échanges pareils avec tous les artisans? Comment Hiu-tseu ne craint-il pas tous ces ennuis?

Tchin-siang répondit: Les travaux des artisans ne peuvent certainement pas se faire en même temps que ceux de l'agriculture.

S'il en est ainsi, reprit MEUNG-TSEU, le gouvernement d'un empire est donc la seule occupation qui puisse s'allier avec les travaux de l'agriculture? Il est des affaires qui appartiennent aux grands hommes[19], il en est qui appartiennent aux hommes du commun. Or une seule personne [en cultivant la terre] prépare [au moyen des échanges] les objets que tous les artisans confectionnent. Si vous étiez obligé de les confectionner vous-même pour vous en servir ensuite, ce serait forcer tout le monde à être sans cesse sur les chemins. C'est pourquoi il est dit: «Les uns travaillent de leur intelligence, les autres travaillent de leurs bras. Ceux qui travaillent de leur intelligence gouvernent les hommes; ceux qui travaillent de leurs bras sont gouvernés par les hommes. Ceux qui sont gouvernés par les hommes nourrissent les hommes; ceux qui gouvernent les hommes sont nourris par les hommes.»

C'est la loi universelle du monde[20].

Dans le temps de Yao, l'empire n'était pas encore tranquille. D'immenses eaux, débordant de toutes parts, inondèrent l'empire; les plantes et les arbres croissaient avec surabondance; les oiseaux et les bêtes fauves se multipliaient à l'infini; les cinq sortes de grains ne pouvaient mûrir; les oiseaux et les bêtes fauves causaient les plus grands dommages aux habitants; leurs vestiges se mêlaient sur les chemins avec ceux des hommes jusqu'au milieu de l'empire. Yao était seul à s'attrister de ces calamités. Il éleva Chun [à la dignité suprême] pour l'aider à étendre davantage les bienfaits d'un bon gouvernement. Chun ordonna à I (Pe-i) de présider au feu.

Lorsque I eut incendié les montagnes et les fondrières, les oiseaux et les bêtes fauves [qui infestaient tout] se cachèrent.

Yu rétablit le cours des neuf fleuves, fit écouler le Thsi et le Ta dans la mer. Il dégagea le cours des fleuves Jou et Han des obstacles qui les obstruaient; il fit couler les rivières Hoaï et Sse dans le fleuve Kiang. Cela fait, les habitants du royaume du milieu purent ensuite obtenir des aliments [en labourant et ensemençant les terres][21]. A cette époque, Yu fut huit années absent [occupé de ses grands travaux]; il passa trois fois devant la porte de sa maison sans y entrer. Aurait-il pu labourer ses terres, quand même il l'aurait voulu?

Heou-tsi enseigna au peuple à semer et à moissonner. Lorsque les cinq sortes de grains furent semés, et que les champs ensemencés furent purgés de la zizanie, les cinq sortes de grains vinrent à maturité, et les hommes du peuple eureut de quoi se nourrir.

Les hommes ont en eux le principe de la raison; mais si tout en satisfaisant leur appétit, en s'habillant chaudement, en se construisant des habitations commodes, ils manquent d'instruction, alors ils se rapprochent beaucoup des brutes.

Les saints hommes (Yao et Chun) furent affligés de cet état de choses. Chun ordonna à Sie de présider à l'éducation du peuple, et de lui enseigner les devoirs des hommes, afin que les pères et les enfants aient de la tendresse les uns pour les autres; que le prince et ses ministres aient entre eux des rapports équitables; que le mari et la femme sachent la différence de leurs devoirs mutuels; que le vieillard et le jeune homme soient chacun à leur place; que les amis et les compagnons aient de la fidélité l'un pour l'autre.

L'homme aux mérites éminents[22] disait [à son frère Sie]: «Va consoler les populations; appelle-les à toi; ramène-les à la vertu; corrige-les, aide-les, fais-les prospérer; fais que par elles-mêmes elles retournent au bien; en outre, répands sur elles de nombreux bienfaits.» Lorsque ces saints hommes se préoccupaient ainsi avec tant de sollicitude du bonheur des populations, pensez-vous qu'ils aient eu le loisir de se livrer aux travaux de l'agriculture?

Yao était tourmenté par la crainte de ne pas rencontrer un homme comme Chun [pour l'aider à gouverner l'empire]; et Chun était tourmenté par la crainte de ne pas rencontrer des hommes comme Yu et Kao-Yao. Ceux qui sont tourmentés de la crainte de ne pas cultiver cent arpents de terre, ceux-là sont des agriculteurs.

L'action de partager aux hommes ses richesses s'appelle bienfaisance; l'action d'enseigner la vertu aux hommes s'appelle droiture du cœur; l'action d'obtenir l'affection des hommes pour gouverner l'empire s'appelle humanité. C'est pour cette raison qu'il est facile de donner l'empire à un homme, mais qu'il est difficile d'obtenir l'affection des hommes pour gouverner l'empire.

KHOUNG-TSEU disait: O que Yao fut grand comme prince! Il n'y a que le ciel qui soit grand; il n'y a que Yao qui ait imité sa grandeur. Que ses vertus et ses mérites étaient incommensurables! Les populations ne purent trouver de termes pour les qualifier. Quel prince c'était que Chun! qu'il était grand et sublime! Il posséda l'empire sans s'en glorifier.—

Tant que Yao et Chun gouvernèrent l'empire, n'eurent-ils pas assez de quoi occuper toute leur intelligence, sans se livrer encore aux travaux de l'agriculture?

J'ai entendu dire que certains hommes, en se servant [des enseignements et des doctrines répandus par les grands empereurs] de la dynastie Hia, avaient changé les mœurs des barbares; je n'ai jamais entendu dire que des hommes éclairés par ces doctrines aient été convertis à la barbarie par les barbares. Tchin-liang, natif de l'État de Thsou, séduit par les principes de Tcheou-koung et de Tchoung-ni, étudia dans la partie septentrionale du royaume du milieu. Les savants de cette région septentrionale n'ont peut-être jamais pu le surpasser en savoir; il est ce que vous appelez un lettré éminent par ses talents et son génie. Vous et votre frère cadet, vous avez été ses disciples quelques dizaines d'années. Votre maître mort, vous lui avez aussitôt fait défection.

Autrefois, lorsque KHOUNG-TSEU mourut, après avoir porté son deuil pendant trois ans, ses disciples, ayant disposé leurs effets pour s'en retourner chacun chez eux, allèrent tous prendre congé de Tseu-koung. Lorsqu'ils se retrouvèrent ainsi en présence l'un de l'autre, ils fondirent en larmes et gémirent à en perdre la voix. Ensuite ils s'en retournèrent dans leurs familles. Tseu-koung revint près du tombeau de son maître; il se construisit une demeure près de ce tombeau, et l'habita seul pendant trois années. Ensuite il s'en retourna dans sa famille.

Un autre jour, Tseu-hia, Tseu-tchang et Tseu-yeou, considérant que Yeou-jo avait beaucoup de ressemblance avec le saint homme [leur maître], ils voulaient le servir ainsi qu'ils avaient servi KHOUNG-TSEU. Comme ils pressaient Thseng-fseu de se joindre à eux, Thseng-tseu leur dit: Cela ne convient pas. Si vous lavez quelque chose dans le Hiang et le Han, et si vous exposez cet objet au soleil d'automne pour le sécher, oh! qu'il sera éclatant et pur! sa blancheur ne pourra être surpassée.

Maintenant ce barbare des régions méridionales, homme à la langue de l'oiseau criard Kioué, ne possède aucunement la doctrine des anciens rois; comme vous avez abandonné votre maître pour étudier sous lui, vous différez beaucoup de Thseng-tseu.

J'ai entendu dire que «l'oiseau sortant de la profonde vallée s'envolait sur les hauts arbres[23].» Je n'ai jamais entendu dire qu'il descendait du sommet des arbres pour s'enfoncer dans les vallées ténébreuses. Le Lou-soung[24] dit:

«Il[25] mit en fuite les barbares de l'occident et du septentrion,

Et il dompta les royaumes de Jung et de Chou

C'est sous un homme des régions barbares que Tcheou-koung vainquit, que vous étudiez! Je pense, moi, que ce n'est pas bien de changer ainsi.

[Tching-liang répondit:] Si l'on suivait la doctrine de Hiu-tseu, alors la taxe dans les marchés ne serait pas double, et la fraude ne s'exercerait pas jusqu'au centre du royaume. Quand même vous enverriez au marché un jeune enfant de douze ans, on ne le tromperait pas. Si des pièces de toile de chanvre et d'étoffe de soie avaient la même longueur et la même largeur, alors leur prix serait le même; si des tas de chanvre brut et de chanvre filé, de soie écrue et de soie préparée, avaient le même poids, alors leur prix serait le même; si les cinq sortes de grains étaient en même quantité, petite ou grande, alors leur prix serait le même; et des souliers grands ou petits se vendraient également le même prix.

MENG-TSEU dit: L'inégale valeur des choses est dans la nature même des choses. Certaines choses diffèrent entre elles d'un prix double, quintuple; certaines autres, d'un prix décuple, centuple; d'autres encore, d'un prix mille fois ou dix mille fois plus grand. Si vous confondez ainsi toutes choses en leur donnant à toutes une valeur proportionnée seulement à la grandeur ou à la quantité, vous jetez le trouble dans l'empire. Si de grands souliers et de petits souliers sont du même prix, quel homme voudrait en confectionner de grands? Si l'on suivait les doctrines de Hiu-tseu, on s'exciterait mutuellement à exercer la fraude: comment pourrait-on alors gouverner sa famille et l'État?

5. Un nommé I-tchi, disciple de , demanda, par l'entremise de Siu-phi[26] à voir MENG-TSEU. MENG-TSEU dit: Je désire certainement le voir; mais maintenant je suis encore malade. Lorsque je serai mieux, moi j'irai le voir. Que I-tseu se dispense donc de venir.

Le lendemain il demanda encore à voir MENG-TSEU. MENG-TSEU dit: Aujourd'hui je puis le voir. Si je ne le ramène pas à la droiture et à la vérité, alors c'est que la doctrine que nous suivons ne porte pas l'évidence avec soi. Mais j'ai l'espérance de le ramener aux véritables principes. J'ai entendu dire que I-tseu était le disciple de . Or la secte de se fait une règle de la plus grande économie dans la direction des funérailles. Si I-tseu pense à changer les mœurs et les coutumes de l'empire, pourquoi regarde-t-il cette règle comme contraire à la raison, et en fait-il peu de cas? Ainsi I-tseu a enseveli ses parents avec somptuosité; alors il suit de là qu'il s'est conduit envers ses parents selon les principes que sa secte méprise.

Siu-tseu rapporta ces paroles à I-tseu. I-tseu dit: C'est aussi la doctrine des lettrés. «Les [saints] hommes de l'antiquité avaient la même tendresse pour un jeune enfant au berceau que pour tout autre[27].» Que signifient ces paroles? Or, moi Tchi, j'estime que l'on doit également aimer tout le monde sans acception de personne; mais il faut commencer par ses parents.

Siu-tseu rapporta ces paroles à MENG-TSEU. MENG-TSEU dit: I-tseu croit-il qu'il ne doive pas y avoir de différence entre les sentiments que l'on porte au fils de son frère aîné, et les sentiments que l'on porte au jeune enfant au berceau de son voisin? C'est du Chou-king qu'il a tiré sa citation; mais elle signifie simplement que si un jeune enfant qui ne fait encore que se traîner se laisse tomber dans un puits, ce n'est pas la faute de l'enfant. Or le ciel, en produisant des êtres vivants, a fait en sorte qu'ils aient en eux un principe fondamental unique [qui est de devoir la naissance à leur père et à leur mère][28]. Cependant I-tseu partage en deux ce principe fondamental [en obligeant d'aimer pareillement son père et sa mère et les hommes qui passent sur le chemin][29]; par conséquent il est dans l'erreur.

Or, dans les siècles reculés de la haute antiquité, l'usage n'était pas encore établi d'ensevelir ses parents. Lorsque leurs père et mère étaient morts, les enfants prenaient leurs corps et les allaient jeter dans des fosses pratiquées le long des chemins. Le lendemain, lorsqu'ils repassaient auprès d'eux, et qu'ils voyaient que les loups les avaient dévorés, ou que les vers les avaient rongés, une sueur froide couvrait leur front; ils en détournaient leurs regards et ne pouvaient plus en supporter la vue. Cette sueur qui couvrait leur front n'était pas produite en eux pour avoir vu les corps d'autres personnes que ceux de leurs père et mère; mais c'est la douleur qui, de leur cœur, parvenait jusqu'à leur front.

Ils s'en retournaient promptement, et, rapportant avec eux un panier et une bêche, ils couvraient de terre le corps de leurs parents. Si cette action de recouvrir de terre le corps de leurs parents était naturelle et conforme à la raison, alors il faut nécessairement que le fils pieux et l'homme humain aient une règle à suivre pour enterrer leurs parents.

Siu-tseu rapporta ces paroles à I-tseu. I-tseu, hors de lui-même, s'écria au même instant: Je suis instruit dans la bonne doctrine!

[1] Littéralement, fils de la génération ou du siècle.

[2] Littéralement, à étudier et à interroger.

[3] Le plus âgé des six King ou grand» dignitaires. (Commentaire.)

[4] Celle de l'agriculture. (Commentaire.)

[5] Ode Thsi-youeï, section Pin-foung.

[6] Ou de dix parties une. (Commentaire.)

[7] Ancien sage. (Commentaire.)

[8] Traitements prélevés sur les revenus royaux, et accordés aux fils et aux petits-fils de ceux qui se sont illustrés par leurs mérites ou leurs actions dans l'État. (Commentaire.)

[9] Ode Ta-tien, section Siao-ya.

[10] «Les champs communs d'abord, les champs privés ensuite.» (Commentaire.)

[11] Ces deux vers sont déjà cités dans le Ta-hio, chap. II, §3.

[12] Il indique Wen-koung. (Commentaire.)

[13] L'établissement des écoles de tous les degrés. (Commentaire.)

[14] Nécessité d'établir des écoles.

[15] Commentaire.

[16] On représente cette division des terres par un carré partagé en neuf carrés égaux, dont celui du milieu constitue le champ public.

[17] Il veut parler de la distribution des terres en portions carrées. (Commentaire.)

[18] Du royaume de Thsou.

[19] A ceux qui gouvernent un empire. (Commentaire.)

[20] Les principes d'économie politique que le philosophe chinois a fait ressortir avec tant d'art et de finesse dans les pages précédentes ne seraient pas désavoués par les premiers économistes modernes. En les comparant aux principes de même nature des anciens philosophes de la Grèce, on peut juger de quel côté est la plus haute raison.

[21] Commentaire. Voyez pour les travaux de Yu les Livres sacrés de l'Orient, pag. 60.

[22] Yao, ainsi appelé par ses ministres. (Commentaire.)

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