Les rues de Paris, tome premier: Biographies, portraits, récits et légendes
[41] De Gérando. Vie de Caffarelli; in-8º, 1801.
DE LA CHAISE
Cette rue s'appela d'abord chemin de la Maladrerie, puis rue des Teigneux, noms qui lui furent donnés à cause d'un hôpital s'élevant sur l'emplacement occupé ensuite par l'hospice des Petits Ménages, monument, non, bâtiment qui lui-même va disparaître, car les démolisseurs sont à l'œuvre et paraissent pressés d'en finir.
On n'aura point à le regretter, si surtout à la place de ce vaste mais peu gracieux édifice, ayant un peu l'extérieur d'une prison, nous voyons s'épanouir le beau square que promet l'ancien jardin de l'établissement. De la rue on apercevait à travers la grille deux ou trois allées d'arbres magnifiques, et l'on n'eût pas demandé mieux parfois que de se reposer sous leur ombrage[42].
Comment et à quelle époque la rue, dite des Teigneux, prit-elle le nom de la Chaise? Nous l'ignorons. Ce dernier nom lui vient-il d'une enseigne ainsi qu'un historien l'affirme, ou du célèbre Jésuite qui fut pendant tant d'années le confesseur de Louis XIV? Cette version me paraît préférable, d'abord comme la plus naturelle; puis parce qu'elle rappelle le souvenir d'un homme qui, dans le poste le plus difficile qui fut jamais, fit preuve d'un mérite peu ordinaire, soit que la prudence chrétienne, ce que nous inclinons à croire, ait dicté sa conduite; soit, comme l'ont prétendu ses ennemis, qu'elle fut le résultat des calculs de la politique et d'une merveilleuse habileté.
François d'Aix de la Chaise, petit neveu du père Cotton, confesseur de Henri IV, né au château d'Aix, le 25 août 1624, était fils de Georges d'Aix, seigneur de la Chaise, et de Renée de Rochefort. Sa rhétorique terminée au collège de Roanne, il entra comme novice chez les Jésuites. Après deux années de préparation, chargé tour à tour du cours d'humanités et du cours de philosophie, il professa avec éclat, à ce point que ses leçons furent imprimées en 1661, sous ce titre: Abrégé de mon cours de philosophie[43]. Nommé supérieur de la province de Lyon, il fut, sans doute par le conseil de l'Archevêque de cette ville, Villeroi, frère du maréchal, choisi comme confesseur du roi Louis XIV, en remplacement du père Terrier, qui venait de mourir.
«Jusque-là, dit un biographe, le Père La Chaise avait vécu à plus de cent lieues de la cour. Il y parut au commencement de 1675 et s'y montra simple et aisé dans ses manières, poli et prévenant sans affectation. Tous les suffrages se réunirent bientôt en sa faveur.»
Cette unanimité dans la bienveillance ne devait pas être de longue durée; car, jeté au milieu de toutes les intrigues de la cour comme des complications et des difficultés suscitées tour à tour et presque coup sur coup par les passions du roi, l'affaire du jansénisme, celle du quiétisme, la révocation de l'édit de Nantes, la déclaration de 1682, etc: «Quelque avis qu'il embrassât, dit le biographe déjà cité, il se faisait des ennemis et il lui arriva plus d'une fois de déplaire également aux partis opposés.»
Le biographe exagère et le bon Père ne tint pas autant qu'il l'affirme la balance égale entre les opinions, à moins qu'elles ne fussent indifférentes au point de vue de la conscience. Mais ce qui doit surtout lui mériter nos éloges, c'est que, chargé, par suite de sa position, de la feuille des bénéfices, il s'attachait à ne faire que de bons choix. Il donna aux missions une grande impulsion. Les jansénistes, dont l'hostilité l'honore, l'accusaient de favoriser les passions du roi; le fait est qu'il travailla avec persévérance à ruiner l'influence de Mme de Montespan et qu'il y parvint. Après la mort de la reine, il crut sage de conseiller et de bénir le mariage du roi avec Mme de Maintenon, qui, dit-on, ne lui pardonna pas de s'être opposé à la publicité de cette union restée morganatique; il semblait difficile que la veuve de Scarron fût déclarée officiellement reine de France.
Dans sa lettre au cardinal de Noailles (8 octobre 1708), Mme de Maintenon pourtant rendait au père La Chaise cette justice: «Qu'il avait osé louer, en présence du roi, la générosité et le désintéressement de Fénelon.»
Il ne craignait pas d'ailleurs de dire la vérité au roi et même assez rudement parfois, d'après ce que racontait Louis XIV lui-même, après la mort du père La Chaise: «Je lui disais quelquefois: «Vous êtes trop doux!—Ce n'est pas moi qui suis trop doux, répondait-il, c'est vous, sire, qui êtes trop dur.»
Le roi cependant ne voulut jamais consentir à ce qu'il prît sa retraite bien que, devenu plus qu'octogénaire, le père La Chaise la demandât; mais y mit-il assez d'insistance? «Il lui fallut porter le fardeau jusqu'au bout. La décrépitude et les infirmités ne purent l'en délivrer. Sa mémoire s'était éteinte, son jugement affaibli, ses connaissances brouillées, et Louis XIV se faisait apporter ce cadavre pour dépêcher avec lui les affaires accoutumées.»
Ainsi s'exprime Saint-Simon, si peu favorable aux Jésuites. Plus loin il ajoute: «Désintéressé en tout genre quoique fort attaché à sa famille; facile à revenir quand il avait été trompé, et ardent à réparer le mal que son erreur lui avait fait faire; d'ailleurs judicieux et précautionné, il ne fit jamais de mal qu'à son corps défendant. Les ennemis même des Jésuites furent forcés de lui rendre justice et d'avouer que c'était un homme de bien, honnêtement né et très-digne de remplir sa place.»
Sa conduite, à l'égard de ses nombreux ennemis, en est la meilleure preuve: «Libelles, couplets satiriques, histoires scandaleuses, dit M. de Chantelauze, ne cessèrent de l'assaillir de toutes parts durant tout le cours de son ministère. Bien qu'il eût en main un pouvoir qui dût inspirer de sérieuses craintes à ses ennemis, il ne se vengea de leurs calomnies en toute occasion que par le silence. Plusieurs puissantes cabales s'élevèrent sourdement contre lui pour le supplanter: il eut l'habileté de les découvrir à temps et de les déjouer sans en tirer vengeance et sans faire le moindre éclat.»
Le chancelier d'Aguesseau, un contemporain du père La Chaise et très-prévenu contre les Jésuites, dit aussi de lui: «Le père La Chaise était un bon gentilhomme, qui aimait à vivre en paix et à y laisser vivre les autres; capable d'amitié, de reconnaissance, et bienfaisant.»
Ce bon gentilhomme, comme dit assez singulièrement le célèbre magistrat, était brave à l'occasion, témoin ce passage d'une lettre de Boileau à Racine, datée de Mons, à l'époque du siége: «J'ai oublié de vous dire que, pendant que j'étais sur le mont Pagnotte, à regarder l'attaque, le R. P. de La Chaise était dans la tranchée et même tout près de l'attaque pour la voir plus distinctement. J'en parlais hier à son frère (capitaine des gardes) qui me dit tout naturellement: Il se fera tuer un de ces jours. Ne dites rien de cela à personne, car on croirait la chose inventée, et elle est très-vraie et très-sérieuse.»
Le P. La Chaise mourut à Paris, le 20 janvier 1709, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans. Il était membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et se montrait fort assidu aux séances.
Les Jésuites avaient acheté, en 1626, non loin de Paris, une maison de campagne appelée la Folie-Regnault, qu'ils nommèrent plus tard le Mont-Louis, en l'honneur du roi. Cette résidence que Louis XIV fit embellir et agrandir, par considération pour son confesseur, devint une villa fort agréable, comme on dirait aujourd'hui, où volontiers le père La Chaise aimait à venir se reposer et se distraire en compagnie de ses confrères. Aussi lorsque sous l'Empire, ce terrain fut converti en cimetière, le funèbre enclos prit le nom de La Chaise. Quand on songe qu'en soixante années au plus, le cimetière de l'Est, continuellement agrandi, est devenu l'immense nécropole que nous voyons, on ne peut s'empêcher de dire avec le refrain de la ballade allemande: Les morts vont vite.
[42] Ces arbres, à l'exception de trois ou quatre, ont été abattus l'an dernier, pendant le siége.
[43] 2 petits vol. in-folio, à Lyon.
CHARLEMAGNE
Nous ne saurions raconter ici la vie du grand Empereur, si célèbre dans les chroniques et les épopées du moyen-âge, d'autant plus que nous l'avons fait ailleurs assez longuement[44] et que nous n'aimons point à nous répéter. Sauf quelques exceptions d'ailleurs, les récits de guerre n'entrent point dans notre nouveau cadre.
Mais nous trouvons, dans le vieux chroniqueur presque contemporain, connu sous le nom de moine de Saint Gal, un très-curieux épisode et qui nous semble avoir le mérite d'être parfaitement de circonstance avec la folie des mœurs actuelles. Nous reproduisons donc, tout au long, en le traduisant du latin, ce récit original et si fort empreint de ce qu'on appelle la couleur locale.
Un certain jour de fête, après la célébration de la messe, l'Empereur dit aux siens:
«Ne nous laissons point engourdir dans un repos qui nous mènerait à la paresse; allons chasser jusqu'à ce que nous ayons pris quelque venaison.»
La journée cependant était pluvieuse et froide, Charles portait comme à l'ordinaire un vêtement de peau de brebis de peu de valeur. Arrivant de Pavie, dont les marchands vénitiens avaient fait comme l'entrepôt du commerce de l'Orient, les grands au contraire étaient parés, ainsi qu'aux jours de fête, d'habits magnifiques en étoffes légères et moelleuses, ornées de plumes d'oiseaux de Phénicie et de plumes de paon, d'autres fois enrichies ou surchargées de fourrures, de pourpre de Tyr, et même de franges faites d'écorces de cèdre. L'Empereur ayant donné immédiatement le signal du départ, tous durent se mettre en chasse dans ce costume, et galoper tout le jour à travers les fourrés, les buissons et les ronces où les brillantes mais peu solides étoffes laissèrent maints lambeaux; elles furent en outre transpercées par la pluie, tachées par la boue comme par le sang des bêtes fauves tuées pendant la chasse. Puis au retour, comme les courtisans, tout honteux de leurs habits déchirés et flétris, grelottant aussi par le froid, se hâtaient de descendre de cheval pour courir changer de vêtements, l'Empereur, qui voulait que la leçon fût complète, dit d'un ton bref:
«Inutile de changer d'habits avant l'heure du coucher; ceux-ci sècheront mieux sur nous.»
Alors chacun, plus soucieux de son corps que de sa parure, s'empresse pour trouver un foyer où se réchauffer. Mais la chaleur du feu acheva de détériorer les minces étoffes et les légères fourrures qui, toutes grippées et plissées, se collaient sur les membres et le soir achevèrent de se gâter quand il fallut les retirer. Cependant l'Empereur avait donné l'ordre que tous, le lendemain, se présentassent devant lui avec le costume de la veille. On pense ce qu'il était. Il fallut obéir pourtant, mais non sans grande honte pour les illustres personnages, si fiers naguère de leurs vêtements superbes et chèrement payés qui maintenant, insuffisants à les couvrir, ressemblaient avec leurs trous et leurs taches aux haillons du pauvre. Charles alors, souriant non sans quelque malice, dit à l'un des serviteurs de sa chambre:
«Frotte un peu notre habit dans tes mains et apporte-nous-le.»
Le serviteur fit ce qui lui était ordonné. L'Empereur aussitôt, prenant de ses mains et montrant le vêtement redevenu parfaitement propre et où l'on ne remarquait ni tache, ni déchirure, s'écria:
«Ô les plus fous des hommes! Quel est maintenant le plus précieux et le plus utile de nos habits? Est-ce le mien que je n'ai acheté qu'un sou ou les vôtres si peu solides et qui vous ont coûté tant de livres pesant d'argent?»
Les courtisans, interdits et silencieux, baissaient la tête et la rougeur de leurs visages attestait leur confusion
[44] France héroïque, t. Ier.
CHATEAUBRIAND
I
«On n'est plus assez juste pour Chateaubriand tant vanté naguère!» écrivait un jour avec toute raison notre excellent confrère et ami Léon Gautier. Le temps est loin, hélas! où un poète républicain adressait à l'auteur du Génie du Christianisme cette épître qui n'est pas assurément l'une des pièces les moins remarquables de la Némesis:
Fils du Nord, le Midi t'adopta pour enfant.
Oh! Dieu t'avait créé pour les sublimes sphères,
Où meurt le bruit lointain des mondaines affaires;
Il te mit dans les airs où ton vol s'abîma
Comme le grand condor que vénère Lima:
Oiseau géant, il fuit notre terre profane,
Dans l'océan de l'air il se maintient en panne;
Là, du lourd quadrupède il contemple l'abri,
L'aigle qui passe en bas lui semble un colibri,
Et noyé dans l'azur comme une tache ronde,
On dirait qu'immobile il voit tourner le monde.
C'était là ton domaine alors, que revenant
Des huttes du Sachem sur le vieux continent,
Tu t'élevas si haut d'un seul bond que l'Empire
Un instant s'arrêta pour écouter ta lyre.
Le monde des beaux-arts à peine renaissant
Se débattait encore dans son limon de sang;
Ce chaos attendait ta parole future;
Tu dis le fiat lux de la littérature.
Quelques années après, un illustre orateur, du haut de la chaire de Notre-Dame, adressait au même poète un hommage plus solennel encore quoique en moins de paroles: «... Et tant d'autres que je ne veux pas nommer, pour ne pas approcher trop près des grands noms de l'époque; car, si j'en approchais, pourrais-je m'empêcher de saluer cet illustre vétéran, ce prince de la littérature française et chrétienne, sur qui la postérité semble avoir passé déjà tant on respire dans sa gloire le parfum et la paix de l'antiquité.»
Ce langage dans la bouche de Lacordaire étonnerait sans doute aujourd'hui que, provoquée surtout par les Mémoires d'Outre tombe, la réaction s'accentue si énergiquement et ne reste pas toujours dans la juste mesure. Du grand écrivain si l'on ne se tait pas, on parle presque avec le ton du dédain, et cela de jeunes Messieurs tout fiers d'écrire, au courant de la plume et sans râture dans le journal en vogue, la chronique quotidienne et qui croient bien dans le for intérieur que feu Chateaubriand ne leur va pas à la cheville. Le chantre des Martyrs! bath, un phraseur et qui avait l'ingénuité de croire que les écrits, dignes de ce nom, ne s'improvisent pas, que:
La méditation du génie est la sœur;
que les grandes pensées ne sauraient se passer de la nouveauté et de la splendeur de la forme. Quoique on prétende aujourd'hui, Chateaubriand n'est pas le premier venu dans la république des lettres et il a laissé bon nombre de pages qui sont des plus belles de notre langue et que ne doit pas dédaigner la postérité. Dans le Génie du Christianisme en particulier, si l'auteur avec un grand appareil scientifique, se montre parfois médiocre docteur, faible théologien, polémiste arriéré; si, comme critique littéraire, il laisse à désirer par exemple lorsqu'il s'emporte à des louanges tellement hyperboliques pour B. Pascal dont «les Pensées tiennent plus du Dieu que de l'homme;» il n'est que juste de reconnaître que beaucoup de chapitres, tout le livre en particulier relatif à l'histoire naturelle, Instinct des Oiseaux, Migrations des Oiseaux, des Plantes etc., n'ont rien perdu de leur fraîcheur et de leur éclat. Il y a là un souffle puissant, un parfum de grâce et de poésie dont l'âme se sent doucement pénétrée comme d'une rosée céleste. Il en est de même de bien des pages qu'un chrétien seul pouvait écrire et dans lesquelles vibre l'accent de la conviction, le chapitre sur l'Extrême-Onction entre autres, ceux relatifs aux Missions, etc. Sans doute on peut reprocher parfois à l'auteur dans son meilleur langage un peu trop d'alliage et le mélange de locutions profanes; mais qui sait si ce n'était point une nécessité de l'époque et si, pour être compris de son siècle, il ne fallait pas ce style parfois un peu bariolé et qui s'efforce le plus possible de dérober aux regards ce que Bossuet appelle éloquemment «la face hideuse de l'Évangile?»
Pour juger sainement du livre et tenir compte à l'auteur de tout le bien qu'il a produit, il faut se rappeler dans quelles circonstances il parut et quel était l'état général des esprits au lendemain du XVIIIe siècle et de la Révolution. Voici à ce sujet et comme indication sûre, d'après un témoin oculaire, ce qui se passait en 1797 ou 1798 dans l'atelier du peintre David:
«Il arriva qu'un des élèves, en racontant une histoire bouffonne, y mêla à plusieurs reprises le nom de Jésus-Christ. La première fois, Maurice ne dit rien, seulement sa physionomie devint sévère; mais lorsque le conteur eut répété de nouveau le nom sacré, alors les yeux du chef de la secte des penseurs s'enflammèrent, et Maurice fit taire le mauvais plaisant en lui imposant impérieusement silence. L'étonnement des élèves parut grand; mais il ne fut exprimé que sur la physionomie de chacun qui resta muet. Maurice était sujet à des colères très-vives, mais qui duraient peu; il avait d'ailleurs du tact, et en cette occasion, il sentit la nécessité de justifier par quelques paroles la hardiesse de la sortie qu'il venait de faire:
«—Belle invention vraiment, dit-il en continuant de peindre, que de prendre Jésus-Christ pour sujet de plaisanterie! Vous n'avez donc jamais lu l'Évangile tous tant que vous êtes? L'Évangile! c'est plus beau qu'Homère, qu'Ossian! Jésus-Christ au milieu des blés, se détachant sur un ciel bleu! Jésus-Christ disant: «Laissez venir à moi les petits enfants!» Cherchez donc des sujets de tableaux plus grands, plus sublimes que ceux-là! Imbécile, ajouta-t-il en s'adressant avec un ton de supériorité amicale à son camarade qui avait plaisanté, achète donc l'Évangile et lis-le avant de parler de Jésus-Christ.»
«Il faut le répéter, de telles paroles, dites à cette époque et dans un lieu tout à fait public, eussent certainement excité de la rumeur et pu compromettre la sûreté du harangueur. Tous les élèves le sentirent bien; car lorsque Maurice eut cessé de parler, il y eut un intervalle de silence assez long pendant lequel tout le monde se consulta du regard pour savoir comment on prendrait la chose.
«Le brave Moriès trancha la difficulté: «C'est bien cela, Maurice!» dit-il d'une voix ferme; et à peine ces mots eurent-ils été prononcés que tous les élèves crièrent à plusieurs reprises: Vive Maurice!
«On aurait tort de croire cependant que, dans le sentiment généreux que fit éclater cette jeunesse, il entrât des idées de piété. À l'atelier de David, comme par toute la France alors, on était et l'on affectait surtout d'être très-indévot.»
C'est à ce moment là même ou bientôt après, que parut le livre de Chateaubriand et l'on sait avec quel immense succès. Il fallait pour cela qu'il parlât au siècle une langue que celui-ci pût tout d'abord comprendre, qui lui fût sympathique bien loin de l'effaroucher, ce qui n'empêche pas que cette langue riche, imagée, colorée, brillantée, mais parfois trop humaine, n'ait fréquemment aussi la vraie note chrétienne, capable de faire sur le lecteur une heureuse impression, plus sans doute qu'on ne veut l'admettre aujourd'hui. Il nous semble que le livre, débarrassé du fatras scientifique et soi-disant théologique, et allégé par quelques autres retranchements, pourrait être grandement utile encore. Dans nul autre peut-être de ses ouvrages, Chateaubriand ne fut mieux inspiré, moins obsédé de préoccupations étrangères ou personnelles, et l'on sent à l'énergie de son accent, à la vivacité de sa foi, qu'il était dans toute la ferveur du néophyte et sous le coup encore du douloureux événement qui l'avait frappé comme un coup de foudre en déterminant sa conversion ainsi que lui-même l'a proclamé dans une page éloquente:
«Ma mère, dit-il, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans les cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira sur un grabat où ses malheurs l'avait reléguée. Le souvenir de mes égarements répandit sur ses derniers jours une grande amertume. Elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j'avais été élevé. Ma sœur me manda les derniers vœux de ma mère; quand la lettre me parvint au delà des mers, ma sœur elle-même n'existait plus; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d'interprète à la mort, m'ont frappé; je suis devenu chrétien; je n'ai point cédé, j'en conviens, à de grandes lumières surnaturelles; ma conviction est sortie de mon cœur; j'ai pleuré et j'ai cru.»
L'Itinéraire de Paris à Jérusalem est un livre des plus remarquables et dans lequel on sent la conviction comme aussi sans doute dans les Martyrs encore que Chateaubriand, dominé par ses souvenirs ou ses préjugés classiques, ait fort enguirlandé, enjolivé, poétisé le paganisme de la décadence qui fait trop belle figure en vérité à côté du christianisme de l'âge d'or ou de l'âge héroïque. Puis dans tel chapître, l'épisode de Velléda par exemple, le langage des passions terrestres, des passions coupables, fait explosion avec trop de violence et ce n'est pas à tort que Feller a dit: Un reproche assez grave a été fait à Chateaubriand; dans le tableau qu'il fait des passions, ses peintures sont si voluptueuses qu'elles ne peuvent être mises sans danger sous les yeux de la jeunesse et qu'elles seraient même capables de troubler l'âge mûr et la vieillesse.» Reproches qui peuvent et doivent s'adresser à Réné, Atala, les Martyrs, la Vie de Rancé.
Dans des livres même sérieux pour le fond comme
pour la forme, les Études et Discours historiques par
exemple, l'illustre écrivain, qu'on ne saurait excuser
parfois de témérité, quant à ses appréciations des faits
politiques ou religieux, n'est pas toujours assez discret
dans ses peintures ou ses citations, qu'il s'agisse des
mœurs des païens ou de celles de telle période de notre
histoire. On ne saurait l'excuser par exemple de sa complaisance
à citer tout au long, à propos du règne de
Henri III, un immonde épisode qu'il copie textuellement
dans Brantôme, (Les Femmes galantes). Ces passages risqués
et ces témérités de langage sont d'autant plus regrettables
que le livre est en général écrit de la meilleure
plume du maître, qu'il abonde en portraits étonnants
de relief, en tableaux saisissants, en réflexions et commentaires
vraiment éloquents.
II
La politique a beaucoup, et trop même, préoccupé Chateaubriand, par l'entraînement d'illusions généreuses sans doute, mais il faut bien le reconnaître aussi, par la passion de la popularité, par le vain désir de jouer un grand rôle, d'être un personnage important dans l'État:
Redemandait toujours un nouvel aliment.
Quand ton char eut touché la borne de l'arène,
Tu voulus réunir dans ta main souveraine
La palme politique et celle des beaux-arts.
Chateaubriand croyait sans doute, comme il le disait, n'écouter que la voix du patriotisme quand c'était surtout un sentiment personnel, égoïste qui lui soufflait ses résolutions et lui dictait plus d'une fausse démarche. «M. de Villèle, dit Feller, lui obtint le ministère des affaires étrangères; mais Chateaubriand ne croyait lui devoir aucune reconnaissance pour tant de bons offices: la domination du premier ministre lui devenait insupportable, il prit la résolution de le supplanter, et l'on ne peut s'empêcher de blâmer sa conduite à cette époque. M. de Villèle lui était sans doute infiniment inférieur comme écrivain, mais il lui était de beaucoup supérieur comme homme d'état; pour le renverser, Chateaubriand descendit à des manœuvres peu dignes de lui..... Contre son intention sans doute, les coups qu'il avait portés à M. de Villèle étaient retombés sur le gouvernement et contribuèrent à décider la chute de la Restauration.»
Dans la brochure intitulée: De la Restauration et de la Monarchie élective, publiée en 1831, on lit cette phrase entre autres: «Je suis bourbonnien par honneur, royaliste par raison et conviction, républicain par goût et par caractère.» L'homme qui parlait et qui agissait ainsi se croyait de bonne foi un grand homme d'État et s'étonnait et s'indignait qu'on ne le prît pas au sérieux.
Il ne semble pas douteux que cette personnalité, si fortement accusée dans les Mémoires d'Outre-tombe, n'ait été le grand malheur et aussi le tort de Chateaubriand qui eût dû apporter plus de désintéressement dans l'accomplissement de sa glorieuse tâche et donner à ses nobles labeurs leur véritable but dans lequel sa propre gloire ne vînt que comme une préoccupation secondaire, dernière, et non principale, comme l'affirme un de ses admirateurs, M. Loménie: «Paraître sous un beau jour devant la postérité, voilà la pensée dominante de toute la vie de Chateaubriand.... Il n'hésite jamais à tout sacrifier, non-seulement des intérêts ou des ambitions, mais peut-être aussi quelquefois des convenances et des devoirs du moment, à cette constante préoccupation de l'avenir.»
Cela est d'autant plus étrange, d'autant plus inexplicable que, sincèrement et au plus profond de son cœur, Chateaubriand était chrétien et d'un christianisme non pas seulement spéculatif et théorique. Pourtant ce grand esprit, cette sublime intelligence, cette haute expérience même ne suffirent pas à l'éclairer dans la pratique, à faire tomber ce fatal bandeau que l'orgueil avait épaissi sur ses yeux à lui révéler ce qu'il avait proclamé plus d'une fois lui-même comme une vérité certaine, élémentaire, à savoir que l'humilité, que l'oubli plus ou moins complet de soi-même est la vertu essentielle du fidèle et que la religion seule peut et doit nous l'inspirer. Par l'obsession de cet orgueil étrangement naïf, et ces travers de son esprit, en dépit de son génie, l'illustre écrivain ne fit ni aux autres ni à lui-même tout le bien qu'il eût pu, et s'il faut l'avouer même, il fit à eux comme à lui, plus d'une fois, quelque mal. Comme nous l'avons dit, dans la plupart de ses ouvrages, il est un certain nombre de passages, de pages même qu'on s'étonne d'y lire, et que la main d'un chrétien, s'il les avait écrites dans la fièvre du travail, n'aurait pas dû hésiter, après réflexion, à effacer.
Pour lui-même, l'illustre poète, faute d'une règle de conduite assez ferme, en écoutant trop, ce semble, les entraînements de l'ambition et d'autres, a vu souvent sa vie troublée par l'inquiétude, empoisonnée par les cruels déboires, par les déceptions amères, bouleversée même par des orages. Par les mêmes motifs, et faute sans doute d'avoir fait à la préoccupation religieuse la plus large part dans sa vie, ses dernières années furent désolées par cet ennui morne, par ces incurables et, sous certains rapports, inexcusables tristesses à l'état de phénomène et dont plusieurs témoins oculaires nous font de si prodigueux récits. Madame de Bawr dit dans ses Mémoires et Souvenirs:
«Comment donc devînt-il si indifférent à tant de gloire? Hélas! il ne put supporter la perte de sa jeunesse. Sans qu'il fût atteint d'aucune infirmité, d'aucune souffrance grave, il était si malheureux de vieillir que rien ici-bas n'excita plus son intérêt, ne lui apporta plus de joie. Cette mélancolie de caractère, dont son ardente imagination lui donna des accès auxquels nous devons Réné et tant d'autres belles pages, devint une tristesse habituelle. La tête penchée, l'œil abattu, il restait immobile et silencieux au milieu de ses amis et de ses admirateurs sans prendre plus de part à ce qui se disait autour de lui qu'il n'en prenait aux plus grands évènements du monde. Pensait-il à ses belles années? Dans ce cas il faut croire que le brillant souvenir de la jeunesse ajoutait encore à sa peine. Quelles que fussent les idées qui venaient assombrir son visage, il était douloureux de voir ce beau génie sous le poids d'un malheur sans remède et de voir s'éteindre le feu d'une vie de gloire et d'amour dont la flamme ne se ranimait que par instants.»
M. Loménie n'est pas moins affirmatif: «Il croyait peu, il est vrai, au génie de ses contemporains et à la durée de leur gloire, mais il doutait presque autant de son génie et la crainte d'être enseveli dans le commun naufrage des réputations de son siècle et de manquer le but de sa vie, faisait le tourment secret de ses derniers jours... Le sentiment religieux, quoique très vif dans cette âme d'artiste, ne fut jamais assez fort pour lui faire prendre résolûment en mépris la destinée de son nom.
«Tant que la veillesse ne lui fit point trop sentir ses atteintes, il résista de son mieux aux impulsions de ce caractère malheureux... Mais plus tard, cette caducité, si odieuse à sa poétique imagination, le fit s'abandonner tout entier à une profonde et incurable mélancolie. À mesure que ses facultés faiblissaient, il se repliait sur lui-même et, ne voulant pas qu'on vît son esprit subir comme son corps la pression des années, il s'imposait le silence et ne parlait presque plus[45].»
La biographe ajoute cependant en façon de correctif: «L'auteur du Génie du Christianisme n'a certainement pas échappé à la grande infirmité de notre époque. Il a eu sa part, et une assez forte part d'égoïsme et d'orgueil. Mais ceux qui ont pu l'étudier de près dans sa vieillesse, à cet âge où les traits de caractère deviennent, comme les traits du visage, plus accentués et plus saillants, ceux-là savent tout ce qui se mêlait de noblesse d'âme et de sincère défiance de soi-même à cet égoïsme et à cet orgueil qu'engendrent les séductions de la gloire.»
Pour être juste et comme circonstance atténuante, faudrait-il ajouter que chez le poète cet état douloureux autant que singulier pouvait tenir à je ne sais quelle disposition physique et maladive, à une lacune dans l'organisation. L'admirable Joubert, dans cette étonnante lettre du 21 octobre 1803, où le Chateaubriand, qui sera pour tant d'autres une énigme incompréhensible, se trouve, nombre d'années à l'avance, si bien déchiffré, et l'on peut dire, percé à jour, Joubert nous dit en propres termes:
«Un fonds d'ennui, qui semble avoir pour réservoir l'espace immense qui est vacant entre lui-même et ses pensées exige perpétuellement de lui des distractions qu'aucune occupation, aucune société ne lui fourniront jamais à son gré et auxquelles aucune fortune ne pourrait suffire, s'il ne devenait tôt ou tard sage et réglé. Tel est en lui l'homme natif...»
Citons de cette lettre quelques passages encore non moins instructifs que curieux: «Il est certain qu'il a blessé dans son ouvrage des convenances importantes, et que même il s'en soucie fort peu, car il croit que son talent s'est encore mieux déployé dans ces écarts.
«Il est certain qu'il aime mieux les erreurs que les vérités dont son livre est rempli, parce que ces erreurs sont plus siennes, il en est plus l'auteur.
«.... Il a, pour ainsi dire, toutes ses facultés en dehors, et ne les tourne point en dedans. Il ne se parle point, il ne s'écoute guère, il ne s'interroge jamais, à moins que ce ne soit pour savoir si la partie inférieure de son âme, je veux dire son goût et son imagination, sont contents, si sa pensée est arrondie, si ses phrases sont bien sonnantes, si ses images sont bien peintes, etc., observant peu si tout cela est bon; c'est le moindre de ses soucis.
«Il parle aux autres, c'est pour eux seuls et non pas pour lui qu'il écrit; aussi c'est leur suffrage plus que le sien qu'il ambitionne, et de là vient que son talent ne le rendra jamais heureux, car le fondement de la satisfaction qu'il pourrait en recevoir est hors de lui, loin de lui, varié, mobile, inconnu.
«Sa vie est autre chose. Il la compose, ou pour mieux dire, il la laisse s'arranger d'une toute autre manière. Il n'écrit que pour les autres et ne vit que pour lui. Il ne songe point à être approuvé, mais à se contenter. Il ignore même profondément ce qui est approuvé dans le monde ou ce qui ne l'est pas.
«Il n'y a songé de sa vie et ne veut point le savoir. Il y a plus: comme il ne s'occupe jamais à juger personne, il suppose aussi que personne ne s'occupe à le juger. Dans cette persuasion, il fait avec une pleine et entière sécurité ce qui lui passe par la tête, sans s'approuver ni se blâmer le moins du monde.»
Cette lettre, qu'on a le regret de ne pouvoir citer en entier, atteste chez son auteur une sagacité de coup d'œil qui tient de la divination, et vient à l'appui, ce semble, des considérations présentées plus haut. Il n'a manqué à Chateaubriand, pour son propre bonheur et même pour sa gloire devant la postérité, qu'une pratique plus conforme à sa théorie.
Quoiqu'il en soit, il résulte de là pour qui sait réfléchir, un grand enseignement, une leçon formidable et salutaire: c'est que les dons de l'intelligence pas plus que les richesses matérielles ne sont un présent gratuit; il faut les recevoir de la main de Dieu, quand ils nous viennent, avec une profonde gratitude, mais aussi avec tremblement par la crainte d'en user mal et que l'orgueil ou la vanité ne nous les rende fatals alors même qu'ils profiteraient aux autres. Si le succès couronne nos efforts, si la gloire entoure notre nom de son auréole, si nous devenons célèbres, tâchons de rester modestes, d'être de plus en plus humbles, en pensant que, par nous-même, nous ne sommes rien, nous ne pouvons rien, et que cette petite flamme qu'on appelle le génie, un souffle peut l'éteindre quand il n'a pas dépendu de nous de l'allumer. Cette fugitive lueur, c'est le feu sacré venu du ciel, mais un mensonge de la Fable à tort prétendit que Prométhée avait pu dérober aux dieux la mystérieuse étincelle. Si nous ne pouvons être tout à fait indifférent aux murmures caressants de la renommée, aux douces joies d'un triomphe mérité, efforçons-nous d'épurer nos intentions, de travailler, de lutter, de souffrir pour le vrai bien, pour le vrai beau en vue de la récompense la plus sublime et des espérances d'une sainte immortalité.
Chateaubriand (Réné) était né à Saint-Malo en 1768, il mourut à Paris en 1848, au lendemain de la révolution de février, aussi disparut-il de la scène sans faire plus de bruit que le moindre des littérateurs en temps ordinaire. Il est enterré, comme on sait, sur un rocher qui s'élève au milieu des flots, non loin de sa ville natale. Lui-même s'était inquiété longtemps à l'avance de se préparer une tombe à part et dans un mode qui ne fût point banal. S'il y eut là encore quelque calcul de la vanité, celle-ci s'est méprise; car maintenant les pèlerins deviennent rares de plus en plus sur l'ilot. Ceux qui parfois encore y abordent, ne sont guère que de pauvres matelots, ignorant le nom de grand homme et qui ne s'arrêtent pas là d'habitude pour déposer des couronnes, mais pour faire sécher leurs filets.
[45] Loménie.—Biographie des contemporains par un homme de rien.
CHAUVEAU-LAGARDE
Cet homme éminent, l'une des gloires les plus pures du barreau moderne, peut et doit être proposé en exemple aux jeunes stagiaires comme aux avocats en renom; car il réunit toutes les vertus qui rendent cette profession si admirable quand on l'exerce comme elle devrait toujours s'exercer. Véritablement éloquent, de «cette éloquence qui est l'âme même,» comme a dit si bien le père Lacordaire, et dont, en effet, les inspirations venaient du cœur, Chauveau-Lagarde ne montrait pas pour ses clients moins de zèle que de désintéressement, et plus d'une fois il leur ouvrit sa bourse, bien loin d'accepter des honoraires. À ces vertus il joignait le courage qui ne reculait pas devant l'accomplissement d'un devoir pour lui sacré, fut-ce au péril de sa vie.
Né à Chartres, le 21 janvier 1756, Chauveau-Lagarde (Claude-François) était fils d'un modeste artisan récompensé, ce qui n'arrive pas toujours, des sacrifices bien lourds qu'il s'était imposés pour son éducation, par les succès de l'enfant au collége d'abord, puis par ceux du jeune homme au barreau. Car, avant 89, Chauveau-Lagarde comptait déjà parmi les avocats distingués au Parlement, et les évènements politiques vinrent ouvrir à son talent une nouvelle et plus glorieuse carrière, quand par le triomphe des violents montagnards, jacobins, maratistes, hébertistes, la Révolution, qui avait éveillé tant d'espérances cruellement déçues, fut devenue le régime abominable de la Terreur. Alors que la guillotine, par décret spécial, se dressait en permanence (moins le couperet, retiré tous les soirs) sur la place dite aujourd'hui de la Concorde, la profession d'avocat exposait à de grands périls et, pour les éviter ou les braver, il ne fallait pas moins de courage que d'habileté. Chauveau-Lagarde eut l'un et l'autre, et souvent il ne craignit pas de disputer obstinément à Fouquier-Tainville ses victimes. Plus d'une fois, trop rarement au gré de son désir, il eut le bonheur de les lui arracher comme il fit du général Miranda, acquitté grâce à l'éloquente plaidoirie de son défenseur.
Il fut moins heureux pour d'autres, pour Brissot, pour Charlotte Corday; mais celle-ci, condamnée à l'avance, pouvait-elle être sauvée «quand, dit un historien, son héroïsme se glorifiait de ce qu'on lui imputait à crime.» Aux questions du président, lorsqu'elle comparut devant le tribunal, elle répondit: «Oui, c'est moi qui ai tué Marat.
—Qui vous a poussée à ce meurtre?
—Ses crimes.
—Quels sont ceux qui vous l'ont conseillé?
—Moi seule; je l'avais résolu depuis longtemps; j'ai voulu rendre la paix à mon pays.
—Croyez-vous donc avoir tué tous les Marat?
—Hélas! non, reprit-elle.
Comment défendre une prévenue qui s'accusait ainsi elle-même? «Chauveau-Lagarde, dit M. Durozoir, sans démentir ni son caractère, ni l'opinion qu'il s'était formée comme citoyen ou comme homme de l'assassinat de Marat» (blâmable au point de vue de la stricte morale), sut remplir noblement sa mission d'humanité. Il prononça en faveur de l'accusée un court mais émouvant plaidoyer, en s'efforçant, chose à peu près impossible d'ailleurs, d'appeler l'indulgence des juges sur sa cliente entraînée, disait-il, comme malgré elle, par le fanatisme et l'exaltation politique. Mais ici il fut interrompu par Charlotte Corday qui, dans un langage énergique, rétablit les faits et maintint le caractère véritable selon elle de son acte accompli, après mûre réflexion, dans la plénitude de la raison et avec une volonté tranquille et résolue, par pur dévoûment à la patrie. Du reste, elle se plut à rendre justice au zèle de son défenseur, et la condamnation prononcée, elle lui dit:
«Vous m'avez défendue, Monsieur, d'une manière délicate et généreuse; c'était la seule qui pût me convenir; je vous en remercie et je veux vous donner une preuve de mon estime. On vient de m'apprendre que tous mes biens sont confisqués: je dois quelque chose à la prison, je vous charge d'acquitter cette dette.»
Chauveau-Lagarde s'empressa d'accomplir ce pieux devoir, et avant même que Charlotte quittât la prison pour être conduite à l'échafaud, toujours calme, toujours forte et courageuse, mais revenue de quelques-unes de ses illusions d'après ce fragment d'une lettre à Barbaroux: «Quel triste peuple pour fonder une république! On ne conçoit pas ici qu'une femme inutile, dont la plus longue vie n'est bonne à rien, puisse s'immoler de sang-froid à son pays.» La pauvre jeune héroïne n'eût pas dû ignorer que l'assassinat jamais n'a rien fondé, et qu'une vie n'est jamais inutile, n'est jamais trop longue, lorsqu'elle est remplie par la pratique des humbles et pieuses vertus et des obscurs dévoûments qui sont l'honneur de la femme, jeune fille où mère de famille.
Quelques mois après l'exécution de Charlotte Corday, Chauveau-Lagarde fut choisi d'office par le tribunal pour défendre une autre et plus illustre accusée, l'infortunée Marie-Antoinette. «Quelques personnes, dit Chauveau-Lagarde lui-même dans sa brochure si intéressante relative au procès[46], ont vanté le prétendu courage qu'il nous fallut (à M. Tronçon-Ducoudray et à moi) pour accepter cette tâche à la fois honorable et pénible: elles se sont trompées. Il n'y a point de vrai courage sans réflexion. Nous ne songeâmes pas même aux dangers que nous allions courir. Je partis à l'instant pour la prison, plein du sentiment d'un devoir si sacré, mêlé de la plus profonde amertume.»
Puis il reprend avec un accent où le cœur se trahit, où l'on sent cette vivacité de souvenirs du témoin oculaire ému, attendri: «La chambre où fut renfermée la Reine était alors divisée en deux parties par un paravent. À gauche en entrant était un gendarme avec ses armes; à droite, on voyait dans la partie occupée par la Reine, un lit, une table, deux chaises. Sa Majesté était vêtue de blanc avec la plus extrême simplicité.
«..... En abordant la Reine avec un saint respect, mes genoux tremblaient sous moi; j'avais les yeux humides de pleurs; je ne pus cacher le trouble dont mon âme était agitée, et mon embarras fut tel, que je ne l'eusse éprouvé jamais à ce point si j'avais eu l'honneur d'être présenté à la Reine et de la voir au milieu de sa cour, assise sur un trône, environnée de tout l'éclat de sa couronne.
«Elle me reçut avec une majesté si pleine de douceur, qu'elle ne tarda pas à me rassurer par la confiance dont je m'aperçus bientôt qu'elle m'honorait à mesure que je lui parlais et qu'elle m'observait.» De cette confiance d'ailleurs le défenseur sut se montrer digne. «Je lus avec elle son acte d'accusation. À la lecture de cette œuvre d'enfer, mois seul je fus anéanti. La Reine sans s'émouvoir, me fit des observations,» insistant sur l'inanité de l'accusation fondée sur cette prétendue conspiration contre la France, d'accord avec les ennemis de l'extérieur et de l'intérieur.
Les pièces annexées à l'acte d'accusation pourtant étaient en si grand nombre, qu'il semblait impossible, dans le peu de temps qui restait, d'en prendre connaissance. L'avocat obtint, non sans peine, de la Reine qu'elle fît une demande à la Convention pour qu'il lui fût accordé un délai rigoureusement nécessaire. La note fut remise à Fouquier-Tainville qui promit de la communiquer à l'Assemblée; mais il n'en fit rien, on n'en fit qu'un usage inutile, puisque, le lendemain matin, dès huit heures, ainsi qu'il avait été annoncé, les débats commencèrent, ils durèrent pendant vingt heures consécutives.
«Il faut avoir été présent, dit Chauveau-Lagarde, à tous les détails de ce débat trop fameux pour avoir une juste idée du beau caractère que la Reine y a développé;» «plus occupée des autres que d'elle-même, comme l'a écrit M. de Montjoie; elle mit tous ses soins à ne compromettre aucune des personnes qui lui avaient été attachées.»
«..... La Reine fut, dans son procès, comme elle l'avait toujours été durant le cours de sa vie, admirable de bonté. En voici d'ailleurs comme preuve quelques traits que j'ai recueillis dans ses réponses:
«On lui reproche d'avoir, avec le Roi, trompé le peuple:
»Elle répond: «Que sans doute le peuple a été trompé; qu'il l'a même été cruellement; mais que ce n'est assurément ni par le Roi, ni par elle qui l'ont toujours également aimé.
»On reprochait à la Reine d'avoir entretenu, avant la Révolution, des rapports politiques avec le roi de Bohème et de Hongrie (Joseph II).
»Elle répond: «Qu'elle n'a jamais entretenu avec son frère que des rapports d'amitié et point de politique; mais que si elle en avait eu de ce genre, ils auraient été tous à l'avantage de la France.
»On l'accuse d'avoir constamment nourri avec le Roi le projet de détruire la liberté, en remontant sur le trône, à quelque prix que ce soit.
»Elle répond: «Que le Roi et elle n'avaient pas besoin de remonter sur le trône, puisqu'ils y étaient qu'ils n'avaient, au reste, jamais désiré rien autre chose que le bonheur de la France; et qu'il leur aurait suffi que la France fût heureuse pour qu'ils le fussent eux-mêmes.»
Toutes les autres et si nombreuses questions faites à l'illustre accusée avaient le même caractère de puérilité odieuse ou d'absurdité ridicule; et toujours elle sut répondre avec autant de dignité que d'à-propos. Mais qu'importait au tribunal! que lui importait la plaidoierie des avocats dont Chauveau-Lagarde dit modestement: «Sans doute quelque talent que déploya M. Tronçon-Ducoudray dans sa plaidoierie et quelque zèle que je pouvais avoir mis dans la mienne, nos défenses furent nécessairement au-dessous d'une telle cause, pour laquelle toute l'éloquence d'un Bossuet ou d'un Fénelon n'aurait pu suffire ou serait restée du moins impuissante.»
«... Ce que je puis dire, d'ailleurs, c'est que ni la présence des bourreaux devant lesquels un mot, un geste, une réticence pouvaient être un crime, ni l'appareil épouvantable de la mort dont nous étions environnés, ne nous ont fait oublier nos obligations; mais qu'au contraire nous combattîmes avec chaleur, avec énergie et de toutes nos forces, tous les chefs d'accusation, et que nous plaidâmes pendant plus de trois heures.... Il ne faut pas que les étrangers puissent croire que, dans les temps horribles où la Reine et Mme Élisabeth ont été assassinées, elles aient péri sans défense; ou, ce qui serait la même chose, pour ne pas dire plus affreux encore, que les Français qui furent chargés de les défendre n'aient pas senti toute l'importance de la mission qui leur était confiée.»
«... J'avais ainsi plaidé pendant près de deux heures, j'étais accablé de fatigue; la Reine eut la bonté de le remarquer et de me dire avec l'accent le plus touchant:
«Combien vous devez être fatigué, M. Chauveau-Lagarde: je suis bien sensible à toutes vos peines.»
«Ces mots qu'on entendit autour d'elle ne furent point perdus pour les bourreaux... La séance fut un instant suspendue avant que M. Tronçon-Ducoudray prît la parole. Je voulus en vain me rendre auprès de la Reine: un gendarme m'arrêta sous ses propres yeux. M. Tronçon-Ducoudray, ayant ensuite plaidé, fut arrêté de même en sa présence; et de ce moment, il ne nous fut plus permis de lui parler.»
Voilà ces temps, ces affreux temps que, de nos jours encore, certains écrivains, par une aberration de la folie ou du crime, osent excuser, que dis-je? justifier, glorifier, et si l'on en croyait leur langage, qu'on peut croire une misérable forfanterie, voudraient nous ramener!
Les défenseurs revirent la Reine de loin seulement lorsqu'ils entrèrent, toujours escortés par les gendarmes, pour le prononcé de l'arrêt. «Cet horrible arrêt, dit Chauveau-Lagarde, nous ne pûmes l'entendre sans en être consternés; la Reine seule l'écouta d'un air calme... Ce calme ne l'a point abandonnée jusqu'à ses derniers moments. Rentrée à la prison et avant de s'endormir dans la sécurité de sa conscience, du sommeil des justes, elle écrivit à Mme Élisabeth la lettre que la Providence vient de révéler au monde, et qui est un monument éternel de l'inébranlable fermeté d'âme ainsi que de l'inépuisable bonté de cœur qu'elle avait manifestée durant tout le cours du procès.»
Les deux courageux avocats, après avoir été fouillés et longuement interrogés sans qu'on trouvât rien à leur charge, furent laissés cependant dans la prison: «moins occupés de ce que nous allions devenir, dit la Notice historique, que de l'épouvantable issue de cet horrible procès. Quand on nous mit en liberté... la Reine n'existait plus.»
Sept mois après, Chauveau-Lagarde fut averti par un message de Mme Élisabeth, qu'il était choisi pour la défendre. C'était la veille même du jugement (9 mai 1794). Tout aussitôt, il courut à la prison, mais on ne lui permit pas de communiquer avec son auguste cliente. Fouquier-Tainville, par une exécrable perfidie, motiva le refus d'autorisation sur l'ajournement du procès qui ne devait pas avoir lieu de sitôt; et le lendemain matin, en entrant dans la salle des séances du tribunal, Chauveau-Lagarde avait la douleur d'apercevoir «Mme Élisabeth environnée d'une foule d'autres accusés, sur le haut des gradins où on l'avait placée tout exprès la première pour la mettre plus en évidence.»
L'acte d'accusation fut plus absurde et plus odieux, s'il était possible, que celui dirigé contre la Reine: on en jugera par ces deux griefs principaux: «La complicité dans la conspiration du Roi et de la Reine contre la nation.—Les secours donnés par elle (Madame) aux blessés du Champ-de-Mars qu'elle avait pansés de ses propres mains.»
«Accusation monstrueuse, dit éloquemment Chauveau-Lagarde, et bien digne de ces temps d'irréligion et d'immoralité où ce qui paraissait le plus criminel à ces pervers était précisément ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes.»
La princesse, en présence de ces assassins à gages affublés de la toge du juge, fut admirable de fermeté et ne montra pas moins de présence d'esprit que de dignité dans ses réponses. Bien que son défenseur n'eût pu conférer avec elle, et que le débat n'eût duré qu'un instant, Chauveau-Lagarde prit la parole et se montra à la hauteur de sa mission, en établissant d'abord que l'acte d'accusation n'avait aucune base sérieuse et que les faits allégués ne prouvaient rien autre chose que la bonté de cœur de Madame et l'héroïsme de son amitié.
«Après avoir développé ces premières idées (lisons-nous dans la Notice historique), je finis en disant: qu'au lieu d'une défense je n'aurais plus à présenter pour Mme Élisabeth que son apologie; mais que, dans l'impuissance où j'étais d'en trouver une qui fût digne d'elle, il ne me restait plus qu'une seule observation à faire, c'est que la princesse, qui avait été à la cour de France le plus parfait modèle de toutes les vertus, ne pouvait être l'ennemie des Français.»
À ces paroles prononcées avec l'énergique accent de la conviction, le président du Tribunal, Dumas, s'emporta jusqu'au délire de la fureur, en reprochant avec une brutalité sauvage et impie à l'avocat «de corrompre la morale publique en ayant l'audace de parler des vertus de l'accusée.» «Il fut aisé de s'apercevoir que Mme Élisabeth qui, jusqu'alors, était restée calme et comme insensible à ses propres dangers, fut émue de ceux auxquels je venais de m'exposer: et après avoir, comme la Reine, entendu sans s'émouvoir son arrêt de mort, comme la Reine, elle a consommé paisiblement le grand sacrifice de sa vie.»
Après l'audience, Dumas, toujours frénétique, proposa au tribunal de faire arrêter l'avocat. On ne l'osa pas encore cependant, parce qu'on voulait avoir l'air de laisser la liberté aux défenseurs tant qu'ils existaient, et ils ne furent supprimés que deux mois après «comme les fauteurs salariés de la tyrannie, dit le rapport à ce sujet, voués par état à la défense des ennemis du peuple.»
Bientôt après, 1er juillet, Chauveau-Lagarde, arrêté à la campagne, à vingt lieues de Paris, fut amené par des gendarmes à la prison de la Conciergerie. L'ordre d'arrestation portait «qu'il serait traduit sous trois jours au tribunal révolutionnaire pour y être jugé, attendu qu'il était temps que le défenseur de la Capet (sic) portât sa tête sur le même échafaud.»
Mais le prisonnier eut le bonheur d'être oublié dans cette foule de victimes que le tribunal immolait sans relâche: «Je ne réclamai point, dit-il, je gagnai du temps, et après quarante jours de captivité, je fus mis en liberté dix jours après la mort de Robespierre et de Payan qui m'avait fait arrêter.»
Libre, le courageux avocat reprit avec la même indépendance l'exercice de sa profession. En 1797, nous le voyons défendre, devant une commission militaire, l'abbé Brottier, accusé de conspiration royaliste. Sous l'Empire, à force de démarches et de persévérance, il obtient la grâce du lieutenant-colonel espagnol Darguines, que son éloquence n'avait pu faire absoudre. Sous la Restauration, à laquelle ses sympathies étaient acquises, un proscrit, le général Bonnaire, ne fit pas en vain appel à son dévouement; et ce fut grâce à Chauveau-Lagarde, sans doute, que la déportation, au lieu de la peine capitale, fut prononcée en présence des charges sérieuses qui pesaient sur l'accusé, «coupable au moins, dit M. Leroy, d'une grande faiblesse dans des circonstances graves, et que la prudence comme le sang-froid avaient abandonné.»
La noble indépendance de son caractère ne nuisit point à Chauveau-Lagarde parmi les esprits élevés de son parti. La duchesse d'Angoulême fit au défenseur de sa mère et de sa tante l'accueil le plus bienveillant et lui dit avec un accent ému: «Depuis longtemps je connais vos sentiments.»
Pourtant il semble que le gouvernement de la Restauration qui, parfois, avec les intentions les meilleures, circonvenu par l'intrigue ou la passion, se montrait trop avare de ses faveurs pour les vrais dévouements, ne reconnut point, autant qu'il eût dû, les services de Chauveau-Lagarde, et ce fut presque tardivement que celui-ci fut appelé à siéger à la Cour de cassation. Il reçut de plus la décoration de la Légion d'honneur et des titres de noblesse. L'illustre avocat, d'ailleurs, jouissait depuis longtemps de la plus belle des récompenses, l'estime universelle, méritée par une vie sans tache. Dirai-je aussi aux yeux de tous les gens de bien, cette gloire, cet incomparable honneur d'avoir pu défendre, au péril de sa vie, deux des plus augustes victimes de la Révolution. «Qu'y a-t-il, en effet, de plus admirable que cette princesse... qui, toujours reine, toujours mère, toujours épouse, toujours elle-même, a su finir, comme Louis XVI, par demander à Dieu la grâce de ses bourreaux..... Quant à Mme Élisabeth de France, ne s'est-elle pas aussi, par son angélique résignation, élevée comme au-dessus de l'humanité même[47]?»
Chauveau-Lagarde mourut en chrétien, il n'est pas besoin de le dire, à Paris, le 24 février 1841, ne laissant qu'une fortune modeste et bien inférieure à celle que son grand talent et sa réputation pouvaient lui faire acquérir s'il n'eût point été aussi désintéressé.
Depuis longues années dans la tombe l'avait précédé l'autre défenseur de Marie-Antoinette, Tronçon-Ducoudray, mort, victime de son dévouement, à Synnamarie, où il avait été déporté.
[46] Notice historique sur les procès de la reine Marie-Antoinette et de Madame Élisabeth; in-8º, 1816.
[47] Notice historique sur le procès de la Reine, etc.
QUELQUES MOTS SUR LA CHEVALERIE[48]
«On place ordinairement l'institution de la chevalerie à l'époque de la première croisade, dit Chateaubriand, quoiqu'elle remonte à une date fort antérieure. Elle est née du mélange des nations arabes et des peuples septentrionaux, lorsque les deux grandes invasions du Nord et du Midi se heurtèrent sur les rivages de la Sicile, de l'Italie, de la Provence, et dans le centre de la Gaule,» ce qui ferait remonter l'institution à la seconde moitié du VIIIe siècle, mais son existence officielle, si l'on me permet cette expression, ne date guère que du XIe siècle et ce n'est qu'à cette époque qu'on la voit régulièrement organisée.
»Mais, dit l'historien déjà cité, on a eu tort de vouloir faire des chevaliers un corps de chevalerie. Les cérémonies de la réception du chevalier, l'éperon, l'épée, l'accolade, la veille des armes, les grades de page, de damoiseau, de poursuivant, d'écuyer, sont des usages et des institutions militaires qui remplaçaient d'autres usages et d'autres institutions tombées en désuétude; mais ils ne constituaient pas un corps de troupes homogène, discipliné, agissant sous un même chef, dans une même subordination. Les ordres religieux chevaleresques ont été la cause de cette confusion d'idées; ils ont fait supposer une chevalerie historique collective, lorsqu'il n'existait qu'une chevalerie individuelle. Au surplus, cette chevalerie fut délicate, vaillante, généreuse, et garda l'empreinte des deux climats qui la virent éclore; elle eut le vague et la rêverie du ciel noyé des Scandinaves, l'éclat et l'ardeur du ciel pur d'Arabie.»
Dans ces temps si différents des nôtres, où la guerre était en quelque sorte l'état normal de la société, où la police, à vrai dire, n'existait point, le but avoué du chevalier, sa mission glorieuse autant qu'utile, était la protection du faible, de la femme, de la veuve, comme de l'orphelin.
Ils flamboyaient ainsi que des éclairs soudains,
Puis s'évanouissaient, laissant sur les visages
La crainte et la lueur de leurs brusques passages,
Ils étaient dans des temps d'oppression, de deuil
.............
Les spectres de l'honneur du droit, de la justice;
Ils foudroyaient le crime, ils souffletaient le vice;
On voyait le vol fuir, l'imposture hésiter,
Blêmir la trahison, et se déconcerter
Toute puissance injuste, inhumaine, usurpée,
Devant ces magistrats sinistres de l'épée...
a dit admirablement le poète. Le dévouement aux dames, l'inviolable fidélité à la parole jurée, la défense du prêtre, du religieux, du pèlerin, du berger gardant son troupeau, ou du laboureur piquant ses bœufs, tels étaient les devoirs du chevalier, et auxquels il s'engageait par des serments solennels. Comme, au reste, pendant longtemps, à ces devoirs la plupart se montrèrent généreusement fidèles, l'institution rendit à la civilisation d'immenses services, dont les peuples lui furent reconnaissants. Aussi, quoique disparue depuis des siècles, elle a laissé, ainsi qu'on l'a dit, «des traces ineffaçables de son souvenir dans nos mœurs, dans nos idées, dans notre langage, dans les rapports de famille, et dans le droit des gens.»
Mais on ne peut dissimuler pourtant que, par l'exaltation de certains sentiments, la chevalerie, celle surtout qu'on appelait la chevalerie errante, fut entraînée à des écarts qui précipitèrent sa décadence, écarts qu'aujourd'hui nous avons peine à croire, tant sont prodigieuses ces exagérations, dont plusieurs, tout probablement, furent des actes de folie véritable qui conduiraient maintenant leur auteur à Charenton. Il y eut alors chez certains chevaliers un étrange amalgame des pratiques de la religion avec la fidélité, on pourrait dire, la dévotion à la Dame de leurs pensées, dont le culte devenait une espèce d'idolâtrie à la fois superstitieuse et fanatique. Car le chevalier prenait les couleurs de sa dame, subissait avec une humble soumission ses dédains, ses caprices, si déplaisants qu'ils fussent; bien plus, il l'invoquait à l'heure du combat, même à l'heure de la mort. C'est à cette divinité terrestre qu'il rapportait toute la gloire de ses exploits.
On voyait, pour citer quelques exemples, tel chevalier qui, pour expier un tort souvent imaginaire, s'arrachait un ongle, se coupait même un doigt, qu'il envoyait en témoignage de repentir à la belle offensée. Un autre se couvrait un œil d'un bandeau et se condamnait à ne pas y voir pendant un laps de temps considérable. Qu'auraient fait de plus les faquirs de l'Inde? Un troisième parcourait le monde costumé d'une façon ridicule, en Vénus, en Junon, par exemple, mais d'ailleurs armé de la lance, et, sous son vêtement féminin, couvert de l'armure, il forçait tous les chevaliers qu'il rencontrait à rompre une lance en l'honneur de sa dame. D'autres, et nullement pour l'amour du ciel, s'imposaient des jeûnes excessifs, de longues et pénibles retraites dans les lieux les plus déserts, les bois et les rochers, en s'exposant à toutes les intempéries des saisons, comme fit l'Orlando furioso, d'après un poète trop célèbre.
L'Église dut plus d'une fois intervenir pour réprimer ces excès, et il ne fallut pas moins que sa haute et sainte autorité et sa fermeté pour y réussir, en tournant cette fiévreuse exaltation vers le bien, ce qui donna naissance aux ordres religieux et militaires, ou du moins servit à leur développement.
La vie du chevalier était soumise à des règles comme à des épreuves, lors de ses débuts; un noviciat assez long précédait d'ordinaire la réception, qui se faisait de la façon la plus solennelle et avec des cérémonies à la fois graves et touchantes dont le jeune chevalier devait se souvenir à jamais. Parfois cependant, vu la nécessité pressante, dans le déclin de l'institution surtout, la chevalerie se conférait sur la brèche, dans la tranchée d'une ville assiégée ou sur le champ de bataille. C'est ainsi qu'à Marignan, François Ier voulut être armé chevalier de la main de Bayard.
«Bayard, mon ami, lui dit-il d'après un vieil auteur, je veux être aujourd'hui fait chevalier par vos mains; car avez vertueusement, en plusieurs royaumes et provinces, combattu contre plusieurs nations... Donc, mon ami, dépêchez-vous.»
»Alors prit son épée Bayard, et dit:
«Sire, autant vaille que si estais Roland ou Olivier, Godefroy ou Baudouin, son frère.
»Et puis après, cria hautement l'épée en la main droite:
«Tu es bienheureuse d'avoir aujourd'hui, à un si beau et puissant roi, donné l'ordre de la chevalerie. Certes, ma bonne épée, vous serez moult bien comme relique gardée, et sur toutes autres honorée, et ne vous porterai jamais si ce n'est contre Turcs, Sarrasins et Mores.»
«Et puis fait deux sauts, et après remet au fourreau son épée.»
Pour la chevalerie, existait la dégradation, à laquelle on était condamné pour crime de félonie, et qui s'accomplissait avec des circonstances qui la rendaient terrible. On faisait monter le coupable sur un échafaud dressé tout exprès en place publique. Là, on brisait sous ses yeux les deux pièces de son armure; son écu, le blason gratté, était attaché à la queue d'une cavale pour être traîné par les rues. Le héraut d'armes outrageait, par toutes les injures que l'imagination pouvait lui fournir, le misérable, fou de honte et de douleur. Les prêtres alors récitaient les vigiles funèbres, terminées par les malédictions du psaume 108. Puis quelqu'un demandait par trois fois le nom du dégradé, et par trois fois le héraut répondait: «Nescio! Je ne connais pas le nom de cet homme; il n'y a devant nous qu'un parjure et un félon.»
Tout n'était pas fini pourtant: car, après qu'on avait répandu sur la tête du coupable un bassin d'eau chaude, il était tiré jusqu'au pied de l'échafaud avec une corde. Là, on l'étendait sur une civière en le couvrant d'un drap mortuaire, et dans cet état on le portait à l'église voisine, où le clergé, sur un mode lugubre et lent, psalmodiait à l'intention de cette espèce de cadavre, de ce mort vivant, les prières des défunts. Effrayant spectacle! mais admirable aussi, mais salutaire, qui devait faire sur les esprits, ou plutôt sur les cœurs, une impression ineffaçable et rendre, pour ceux-là surtout qui en avaient été les témoins, la violation du serment presque impossible
[48] À propos de l'impasse dit des Chevaliers.
DE CHEVERUS (LE CARDINAL)
De Cheverus (Jean Louis Anne-Madeleine) né à Mayenne, le 28 janvier 1768, d'une ancienne famille de magistrats, «s'est attiré dans les deux mondes, dit M. Delambre, par sa piété et ses vertus, l'estime et l'affection des hommes même les plus opposés à ses croyances; et revenu au sein de sa patrie après trente années d'absence, il a retracé le même spectacle d'une vie pure, apostolique, gagnant tous les cœurs, multipliant les fidèles, par son aimable simplicité et l'inaltérable aménité de son caractère.»
«Nous l'avons vu au milieu de nous, écrivait à l'époque de sa mort un pieux ecclésiastique, tel qu'il avait été à Boston et à Montauban, inspirant l'amour par toutes les qualités qui gagnent les cœurs, commandant le respect par les vertus les plus éminentes. Dans sa conduite comme évèque, comme homme privé, il a toujours été égal à lui-même, c'est-à-dire plein d'une haute sagesse, ne s'occupant que de ses devoirs et se conciliant par son zèle, sa prudence, sa douceur, sa charité, sa simplicité, une vénération et une confiance universelles.»
Écoutons maintenant le témoignage des protestants. Un journal de Boston, en parlant de M. de Cheverus et de l'abbé de Malignon, s'exprime ainsi: «Ces hommes sont si savants qu'il n'y a pas moyen d'argumenter avec eux; leur vie est si pure et si évangélique qu'il n'y a rien à leur reprocher.
Dans un autre numéro du même journal on lit encore: «En voyant de tels hommes, qui peut douter s'il est permis à la nature humaine d'approcher de la perfection de l'Homme-Dieu et de l'imiter de très près.»
Une autre fois, c'est un protestant de la ville qui vient trouver l'abbé de Cheverus pour lui dire les larmes aux yeux: «Je ne croyais pas qu'un homme de votre religion pût être un homme de bien; je viens vous faire réparation d'honneur; je vous déclare que je vous estime et vénère comme le plus vertueux que j'aie connu.»
Voilà, pris au hasard entre mille, quelques-uns des témoignages publiés ou privés d'admiration et d'estime rendus à ce saint évèque qui fit bénir dans les deux mondes sa charité inépuisable, héroïque parfois, comme sa douceur merveilleuse, et fut dans ce siècle tourmenté un autre St-François de Sales. N'est-ce pas un bonheur d'avoir à raconter, quoique, hélas! trop brièvement, cette vie si pleine et dans laquelle abondent les traits touchants ou sublimes? Heureux si nous pouvons faire passer dans l'âme du lecteur quelques-unes des émotions qui, plus d'une fois, ont remué délicieusement notre cœur, et fait trembler des larmes à nos paupières! Mais c'est trop insister sur l'exorde, venons aux preuves, à savoir aux faits eux-mêmes dont l'éloquence sera bien autrement persuasive que tous les discours.
Après avoir fait avec succès ses études classiques au collége de Louis-le-Grand, le jeune Cheverus, aspirant à l'honneur du sacerdoce, étudia la théologie au collége de St-Magloire tenu par les Oratoriens. Ferme dans sa vocation bien que l'avenir fût gros de menaces qui ne devaient que trop tôt devenir des réalités, il fut ordonné prêtre le 18 décembre 1790, lors de la dernière ordination publique qui ait eu lieu à Paris avant la Révolution, alors que déjà l'Église, dépouillée de tous ses biens, la constitution civile du clergé décrétée avec obligation du serment, le prêtre fidèle à ses devoirs se voyait placé entre sa conscience et le martyre. Pour le jeune de Cheverus le choix n'était pas douteux: il refusa le serment, et pendant deux ans, ne s'en dévoua pas moins aux saintes fonctions de son ministère qu'il lui fallait exercer d'ordinaire en secret au milieu de continuelles alarmes. Vers la fin de l'année 1792 cependant, alors que tous les prêtres insermentés se voyaient condamnés à la déportation, l'abbé de Cheverus put, à l'aide d'un passeport, passer en Angleterre. Pour s'y créer des ressources, il entra comme professeur de français dans une pension tenue par un ministre protestant, et, en moins d'une année, il avait appris la langue anglaise dont il ne connaissait pas le premier mot lors de son arrivée dans l'île. Il s'exprimait assez bien déjà pour pouvoir se charger du service d'une chapelle catholique à Londres et même faire des instructions dans la langue du pays. Cependant, par un touchant scrupule, doutant qu'il pût être compris par tous, la première fois qu'il prêcha, après être descendu de chaire, il s'approcha d'un des auditeurs qu'à son extérieur il jugeait devoir être un artisan, et lui demanda:
—Pardon, mon ami, j'aurais une petite question à vous faire.
—Faites, monsieur, l'abbé, je tâcherai d'y répondre de mon mieux.
—Vous assistiez au sermon, je crois. Là, franchement, la main sur la conscience, m'avez-vous toujours entendu, c'est-à-dire compris? Ce n'est pas un compliment que je vous demande.
—Monsieur le curé, en toute sincérité, voici ce que je puis vous répondre: votre sermon n'était pas comme ceux des autres, il n'y avait pas un seul mot du dictionnaire, tous les mots se comprenaient tout seuls.
Dans le courant de l'année 1795, le jeune prêtre reçut une lettre de l'abbé de Malignon, ancien docteur et professeur en Sorbonne, qui, lors de la Révolution, était passé en Amérique où ses talents et ses vertus, dignement appréciés, trouvaient largement à s'exercer. De Boston qu'ils habitait, il écrivait au jeune de Cheverus, qu'il avait connu naguère en France, pour lui demander de venir l'aider dans l'exercice de son laborieux mais fructueux ministère. L'abbé de Cheverus, assuré que là bas il y avait plus de bien à faire encore qu'en Angleterre où, grâce à la proscription, les prêtres catholiques se comptaient par centaines, partit pour l'Amérique. On pense avec quelles larmes paternelles, le vénérable abbé de Malignon serra dans ses bras et sur son cœur, ce frère ou plutôt ce fils qui lui apportait, dans son lointain exil, avec la joie de sa présence, comme un parfum de la patrie qu'il n'espérait plus revoir. Puis, pour l'apôtre qui déjà commençait à sentir le poids des ans, quel bonheur de pouvoir compter sur le zèle de ce vaillant, de ce savant, de ce vertueux collaborateur, au bout de quelques mois estimé, aimé, apprécié dans la ville à l'égal de lui-même et qu'il savait capable, au besoin, de le suppléer, malgré sa jeunesse, dans les circonstances les plus difficiles! Aussi qu'on juge de son émotion quand un matin arriva un message de l'évêque de Baltimore, qui, instruit par la voix publique des mérites du prêtre français, lui offrait la cure importante de Sainte-Marie à Philadelphie. Mais, sans hésiter d'un instant, l'abbé de Cheverus, tout en remerciant Mgr Carrol dans les termes les plus respectueux comme les plus chaleureux, répondit qu'il ne pouvait, dans aucun cas, se séparer de l'abbé de Malignon qui l'avait appelé en Amérique et était pour lui non pas seulement un vénérable ami, mais un bien-aimé père.
Pourtant, à quelque temps de là, il le quittait, à la vérité pour une absence seulement de quelque mois employés à évangiliser les bons Indiens de Passamaquody et de Penobscot, une mission qui fut des plus pénibles au point de vue de la fatigue matérielle, mais dont il fut amplement dédommagé par ces consolations les plus douces au cœur de l'apôtre. «Jamais il n'avait fait encore pareille route» dit l'éloquent auteur[49] de cette Vie de cardinal de Cheverus qu'il n'est plus besoin de recommander:
«Une sombre forêt, aucun chemin tracé, des broussailles et des épines à travers lesquelles il était obligé de s'ouvrir un passage et puis, après de longues fatigues, point d'autre nourriture que le morceau de pain qu'ils avaient pris à leur départ; le soir pas d'autre lit que quelques branches d'arbres étendues par terre, et encore fallait-il allumer un grand feu tout autour pour éloigner les serpents et autres animaux dangereux qui auraient pu, pendant le sommeil, leur donner la mort. Ils marchaient ainsi depuis plusieurs jours lorsqu'un matin (c'était un dimanche), grand nombre de voix, chantant avec ensemble et harmonie, se font entendre dans le lointain. M. de Cheverus écoute, s'avance et à son grand étonnement il discerne un chant qui lui est connu, la messe royale de Dumont, dont retentissent nos grandes églises et cathédrales de France, dans nos plus belles solennités. Quelle aimable surprise et que de douces émotions son cœur éprouva! Il trouvait réunis à la fois dans cette scène l'attendrissant et le sublime; car quoi de plus attendrissant que de voir un peuple sauvage, sans prêtres depuis cinquante ans, et qui n'en est pas moins fidèle à solenniser le jour du Seigneur; et quoi de plus sublime que ces chants sacrés inspirés par la piété seule, retentissant au loin dans cette immense et majestueuse forêt?»
Trois mois s'étaient écoulés au milieu des fatigues et des consolations abondantes de cette heureuse mission, lorsque un message, arrivé non sans peine à l'abbé de Cheverus, le fit revenir en toute hâte à Boston où la fièvre jaune avait éclaté. Le prêtre intrépide, pareil au soldat que le champ de bataille attire, accourut aussitôt au poste du péril, et comme si lui-même il eut été invulnérable, il se prodigua de jour et de nuit, à la fois aumônier, infirmier, ensevelisseur au besoin. Comme quelques amis le blâmaient de se ménager trop peu et de s'exposer même témérairement, il fit cette réponse qu'on eût dû écrire en lettres d'or sur quelque monument de la ville:
«Il n'est pas nécessaire que je vive, mais il est nécessaire que les malades soient soignés et les moribonds assistés.»
Est-il besoin d'ajouter que ces nouvelles preuves d'un dévouement si souvent héroïque ne firent qu'ajouter à la vénération de tous «catholiques et protestants pour le bon prêtre; en voici une preuve des plus touchantes:
»Chose remarquable! dit M. Delambre, dans les repas de cérémonie où les bienséances l'obligeaient à se trouver et où assistaient jusqu'à trente ministres de sectes diverses, c'était toujours lui que le maître de la maison et les ministres eux-mêmes invitaient, comme le plus digne, à bénir la table et qui faisait avec le signe de la croix la prière accoutumée de l'Église catholique.»
Le nombre des fidèles, grâce à de tels exemples, allant toujours en augmentant, la chapelle devenait insuffisante d'autant plus que nombre de protestants ne se montraient pas moins empressés que les catholiques pour assister aux instructions et même aux offices. L'abbé de Cheverus, afin de répondre aux désirs de ces âmes pieuses, prit courageusement l'initiative d'une souscription ayant pour but la construction d'une église; et le président des États-Unis à cette époque, John Adams fut le premier, quoique protestant, à s'inscrire sur la liste «couverte bientôt des noms les plus honorables protestants aussi bien que catholiques.»
L'abbé de Cheverus fit aussitôt creuser les fondations; mais, dans son zèle conseillé par la prudence, quand les sommes par lui reçues se trouvèrent épuisées, il suspendit les travaux et ne permit de les reprendre qu'après avoir touché l'argent nécessaire. Dans un pays où la banqueroute est endémique, il croyait ne pouvoir être trop prudent en n'escomptant point par le crédit un avenir incertain et des ressources éventuelles; car des dettes, s'il n'eût pu tenir à ses engagements, c'était pour son ministère encore plus que pour lui-même la déconsidération et la ruine de toute influence.
Dans le courant de l'année 1803, il eut occasion de prouver que chez lui la charité la plus sublime, la compassion la plus tendre s'unissaient à toute la vigueur d'une âme sacerdotale. Deux pauvres Irlandais, condamnés à mort pour un crime dont ils étaient innocents, lui écrivirent de la prison de Northampon pour réclamer le secours de son ministère. La lettre reçue, l'abbé part aussitôt et prodigue à ces infortunés toutes les consolations que lui suggère un cœur attendri par la pitié en même temps qu'exalté par la foi. Le jour fixé pour l'exécution arrive; il est d'usage, paraît-il, aux États-Unis, c'était du moins la coutume à cette époque, de conduire, avant de le mener au milieu du supplice, le condamné à l'église ou au temple pour y entendre une suprême exhortation.
L'abbé de Cheverus, monté en chaire, aperçoit au-dessous de lui toute une foule empressée et compacte, composée de femmes surtout, qui venaient attirées par une curiosité blâmable et pour assister aux derniers moments des malheureux condamnés. Alors, enflammé d'une sainte indignation, lui d'ordinaire tout onction et toute douceur, il s'écrie avec le geste véhément et la voix tonnante d'un Bridaine:
«Les orateurs sont ordinairement flattés d'avoir un auditoire nombreux et moi j'ai honte de celui que j'ai sous les yeux. Il y a donc des hommes pour qui la mort de leurs semblables est un spectacle de plaisir, et un objet de curiosité? Mais vous surtout, femmes, que venez-vous faire ici? Est-ce pour essuyer les sueurs froides de la mort qui découlent du visage de ces infortunés? Est-ce pour éprouver les émotions douloureuses que cette scène doit inspirer à toute âme sensible? Non sans doute: c'est donc pour voir leurs angoisses et les voir d'un œil sec, avide et empressé? Ah! j'ai honte pour vous et vos yeux sont pleins d'homicide. Vous vous vantez d'être sensibles et vous dites que c'est la première vertu de la femme; mais si le supplice d'autrui est pour vous un plaisir et la mort d'un homme un amusement de curiosité qui vous attire, je ne dois plus croire à la vertu; vous oubliez votre sexe, vous en faites le déshonneur et l'opprobre.»
Ambroise ou Chrysostôme n'aurait pas mieux dit. À de tels élans on reconnaît le grand cœur; et c'est à eux surtout que peut s'appliquer cette belle parole de Lacordaire: «L'éloquence c'est l'âme même.» Après cette terrible apostrophe, il n'est pas besoin de dire qu'autour de l'échafaud rares furent les curieux et surtout les curieuses. Personne cependant ne garda rancune au courageux apôtre, et, tout au contraire, ce fut une joie universelle quand, quelques années après, on apprit que l'abbé de Cheverus, promu à l'épiscopat, était choisi pour remplir l'un des quatre nouveaux siéges érigés en Amérique, celui de Boston, diocèse comprenant toute la Nouvelle-Angleterre. Cette haute dignité avait été proposée d'abord à l'abbé de Malignon, qui certes en était digne par ses vertus et par sa science; il en donna la meilleure preuve puisque, dans son humilité, il fit si bien que M. de Cheverus fut nommé à sa place comme plus apte à remplir ces hautes fonctions dans les circonstances actuelles.
Le nouvel évêque d'ailleurs ne trompa point l'attente de son ami ni celle de ses ouailles, et sa dignité ne refroidit en rien l'ardeur de son zèle, bien au contraire. Évêque, il resta missionnaire, se faisant tout à tous selon la parole du grand Paul, et continuant d'exercer toutes les fonctions du saint ministère, baptisant, confessant, catéchisant, visitant les pauvres, les malades, et les plus délaissés, les plus abandonnés. Un jour, la vieille domestique qui le servait remarque que Monseigneur, sorti de bonne heure pour se rendre à l'église, rentrait plus tard qu'à l'ordinaire, et sur ses vêtements froissés elle aperçoit des traces de poussière mêlée avec un grossier duvet. Le lendemain et le jour suivant, elle fait la même remarque. Alors, se doutant bien qu'il y avait là quelque touchant mystère de charité, et craignant que son maître ne fût entraîné par son zèle, elle le suit à distance un matin et le voit, dans un faubourg éloigné de la ville, entrer dans une cabane. Elle s'approche, et alors, appuyée contre la cloison, retenant son souffle, elle regarde à travers les planches mal jointes, et que voit-elle? sur un misérable grabat, un pauvre vieux nègre, malade, infirme que l'évêque, agenouillé près de lui, console, encourage, en lui parlant comme un père eût fait à son fils. Après avoir allumé du feu, il le découvre doucement, panse ses plaies, puis il lui fait manger les aliments préparés de ses propres mains, et l'ayant ensuite recouché avec la plus tendre sollicitude, il lui dit adieu en l'embrassant tout inondé des larmes du pauvre noir qui ne trouvait pas de mots pour exprimer sa gratitude, mais ne fut pas aussi muet quand, plus tard convalescent, il s'agit de la publier dans la ville, malgré le silence à lui recommandé par le prélat.
Une autre fois, c'est un brave matelot qui, au retour d'un long voyage, trouve, montant son escalier et portant une charge de bois sur l'épaule, le bon évêque auquel, avant de partir, il avait recommandé naïvement sa femme et qui, à défaut d'une sœur de charité, faisait auprès de la pauvre malade les fonctions d'infirmier. On conçoit après des traits pareils, qui se renouvelaient chaque jour, que l'évêque de Boston fût des plus chers à son troupeau. Nombre de gens voulaient au baptême donner à leurs fils le nom de Jean par affection pour leur pasteur. Un jour, celui-ci demandant au parrain selon l'usage quel nom il voulait donner à l'enfant, l'autre répondit:
—Jean de Cheverus, évêque.
—Comment dites-vous?
—Jean de Cheverus, évêque! reprit le brave homme sans sourciller. Le prélat sourit, puis il murmura:
—Pauvre enfant, Dieu te garde de jamais le devenir! Ce n'est pas un léger fardeau.
Vers la fin de l'année 1818, Mgr de Cheverus eut une grande douleur, il perdit son ami, son père, le bon abbé Malignon. Le chagrin qu'il ressentit de cette perte comme ses fatigues et ses occupations qui s'en accrurent, le défunt n'ayant pu d'abord être remplacé, eurent une action fâcheuse sur sa santé. Son état même devint assez pénible pour qu'il prît conseil des médecins; tous furent d'avis que le climat rigoureux de Boston lui était contraire, à ce point qu'à leur dire un nouvel hiver passé par lui sous ce ciel inclément pourrait être mortel. Qu'on juge des perplexités de l'évêque alors que, dans le même temps, il recevait du roi Louis XVIII l'invitation ou plutôt l'ordre de revenir en France pour y occuper l'un des siéges vacants. M. Hyde de Neuville, dans un récent voyage à Boston, avait vu son compatriote à l'œuvre et n'avait pu se tenir, après son retour, d'en parler au roi. M. de Cheverus, bien que son cœur fût resté tout français, et qu'il lui semblât doux de revoir la terre natale, ne pouvait se décider pourtant à se séparer de ses enfants d'adoption, et à une lettre plus pressante du grand aumônier, parlant au nom du roi, il répondit «qu'il suppliait Sa Majesté de lui pardonner de faire ce qu'il croyait devant Dieu être de son devoir.»
Le refus ne fut pas admis, et le grand aumônier insista dans les termes les plus énergiques précisément alors que les médecins déclaraient le climat de Boston trop rigoureux pour l'évêque. Mgr de Cheverus, dont le cœur était combattu et comme déchiré entre deux partis vers lesquels il inclinait également, se résigna enfin au départ. Dieu sait ce qu'il lui en coûtait et avec quelles larmes il se sépara de son troupeau désolé, après avoir fait don au diocèse et à ses amis de tout ce qu'il possédait, l'église, la maison épiscopale, le couvent des Ursulines, restés sa propriété; il donna aussi ses ornements, jusqu'à ses livres. Il ne se réservait rien et partait plus pauvre qu'il n'était venu. La ville presque entière voulut lui faire cortége à sa sortie des murs, et quarante voitures au moins l'accompagnèrent pendant plusieurs lieues sur la route de New-York. Quand enfin, il fallut se séparer, protestants et catholiques s'agenouillèrent également pour recevoir une dernière fois sa bénédiction.
Vers la fin de l'année 1823, Mgr de Cheverus arrivait en France, et la tristesse qu'il ressentait souvent encore à la pensée de ceux qu'il laissait orphelins, s'adoucit peu à peu par la joie de revoir, avec la terre natale, de vieux amis, des parents qui lui faisaient fête, et auxquels il croyait avoir dit un éternel adieu. Présenté au roi lors de son arrivée à Paris, puis nommé à l'évêché de Montauban, après quelques retards provenant de difficultés relatives à l'enregistrement des bulles, il put faire son entrée dans sa ville épiscopale où sa réputation l'avait devancé; aussi catholiques et protestants s'empressèrent à l'envi pour le recevoir et les ministres furent des premiers à venir le saluer. Un trait touchant marqua les débuts de son épiscopat. Il apprit que, dans une ville assez importante de son diocèse, le maire et le curé ne vivaient point en bonne intelligence, mais par la faute surtout du premier. L'évêque va le trouver:
«Monsieur, lui dit-il, j'ai un grand service à vous demander; vous me trouverez sans doute indiscret, mais j'attends tout de votre obligeance.
—Monseigneur, répond le maire, vous me rendez confus; qu'aurais-je à vous refuser? je serais trop heureux s'il était quelque moyen de vous prouver que je partage les sentiments de respect, d'affection, de vénération pour notre premier pasteur qui remplissent ici tous les cœurs.
—Eh bien! reprend aussitôt l'évêque en l'embrassant, le service que j'ai à vous demander c'est d'aller porter ce baiser de paix à votre curé.
—Monseigneur, je ne puis pas vous dire: Non! et j'y vais de ce pas.» Ce qui eut lieu en effet et la réconciliation fut complète.
L'année suivante, la charité de l'évêque eut à s'exercer sur un plus vaste théâtre. Par suite d'un débordement du Tarn, deux faubourgs de la ville furent envahis, et les habitants chassés de leur domicile quand ils avaient pu fuir. L'évêque, après avoir pendant toute une journée, monté dans une barque, aidé au sauvetage, ouvre son palais aux victimes du fléau dont le nombre s'éleva bientôt à plus de trois cents. Une pauvre femme cependant restait au dehors regardant les fenêtres d'un air désolé. L'évêque l'aperçoit.
—Mais pourquoi, demande-t-il à quelqu'un, cette pauvre femme n'entre-t-elle pas comme les autres? Il y a de la place encore, il y en aura toujours.
—Elle n'ose pas! fut-il répondu, elle n'est point catholique, mais protestante.
—Qu'importe! répond l'homme de Dieu qui descend au plus vite les degrés, traverse la cour, sort dans la rue et s'approchant de l'infortunée:
—Entrez, ma fille, entrez, dit-il, et ne craignez rien, je sais ce qui vous arrête. Mais ne sommes-nous pas tous frères dans le malheur surtout?
Après de tels actes de bonté, on pense avec quels regrets, moins de deux années après, les fidèles de Montauban virent s'éloigner leur pasteur nommé à l'archevêché de Bordeaux en remplacement de Mgr d'Aviau du Bois-Sanzay, décédé. Les pleurs que faisait verser la mort de ce dernier ne furent point taris, mais ils coulèrent avec moins d'amertume dès qu'on sut le nom de son successeur, accueilli, quoique inconnu de la plupart, comme un père qui revient au milieu de ses enfants, et il fut bien en effet pour tous un père.
Après les évènements de 1830, éliminé de la chambre des pairs dont il faisait partie, il apprit que des personnages influents s'employaient activement auprès du gouvernement pour faire comprendre l'archevêque dans une nouvelle promotion. Il fit alors publier dans les journaux une note conçue en ces termes: «Je me réjouis de me trouver hors de la carrière politique. J'ai pris la ferme résolution de ne pas y rentrer et de n'accepter aucune place, aucune fonction. Je désire rester au milieu de mon troupeau, et continuer à y exercer un ministère de charité, de paix et d'union. Je prêcherai la soumission au nouveau gouvernement; j'en donnerai l'exemple, et nous ne cesserons, mon clergé et moi, de prier avec nos ouailles pour la prospérité de notre chère patrie.»
Cette sage ligne de conduite n'empêchait point la fidélité à d'anciennes convictions. Lors de la captivité de la duchesse de Berry, Mgr de Cheverus demanda qu'il lui fût permis d'aller lui porter les consolations de son ministère. Et certain jour, il disait aux autorités de la ville pour lui toutes bienveillantes: «Je ne serais pas digne de votre estime si je vous cachais mes affections pour la famille déchue, et vous devriez me mépriser comme un ingrat puisque Charles X m'a comblé de ses bontés.»
Lors de l'invasion du choléra en 1832, l'archevêque fit de son palais épiscopal une vaste ambulance dont il était à la fois le grand aumônier et le premier infirmier et au-dessus de la porte d'entrée on lisait en gros caractères: Maison de secours.
Aussi dans la ville de Bordeaux, ou plutôt dans le diocèse, la satisfaction fut générale quand on apprit que, dans le consistoire du 1er février 1836, le pape avait nommé Mgr de Cheverus cardinal. Lui seul parut ne pas se réjouir, étranger qu'il était à toute pensée d'ambition. Des amis étant venus le féliciter, il leur dit avec un sourire: «Qu'importe d'être enveloppé après la mort d'un suaire rouge ou noir.»
Cette parole était-elle l'effet d'un pressentiment? Il avait reçu la barrette dans les premiers jours de mai, et trois mois après, le 19 juillet, il succombait aux suites d'une attaque d'apoplexie et de paralysie, mais non foudroyante, ce qui lui laissa toute sa liberté d'esprit pour se disposer par l'accomplissement des saints devoirs à ce solennel passage auquel il était toujours préparé d'ailleurs, pas n'est besoin de le dire.
Le deuil dans le diocèse fut universel parmi les laïques comme parmi ses prêtres que le cardinal accueillait toujours avec une bienveillance si paternelle.
Mgr de Cheverus était mort le jour même de la fête de Saint Vincent de Paul dont il rappelait les vertus comme celles de Saint François de Sales, surtout son inaltérable douceur et sa parfaite charité. C'est par cette charité, par la prédication toute puissante de l'exemple qu'il gagnait les cœurs, plus encore que par son éloquence si persuasive pourtant, et qu'il ramena dans le sein de l'Église tant de protestants, parmi lesquels plusieurs ministres.
Quelques anecdotes encore à ce sujet: «S'il était permis, disait-il, de ne pas aimer un homme parce qu'il se trompe ou ne voit pas les choses comme nous, la charité serait bannie de la terre, car il n'y a que dans le ciel qu'on ne se trompe pas.»
C'était chez lui une règle invariable de ne jamais avoir ni contestation ni dispute avec qui que ce fût: «Pour disputer ou contester, disait-il, il faut être deux et je ne veux me faire le second de personne.»
On l'engageait à choisir pour certaines visites pastorales une saison moins rigoureuse: «Ce qui serait plus commode pour moi, répondit-il, serait plus gênant pour les pauvres; c'est à moi à prendre le temps qui leur convient le mieux.»
Heureux de rendre service, il disait: «Quel bonheur de pouvoir procurer un moment de jouissance à ses frères! Qu'on est heureux de pouvoir faire un cœur content!»
Mais si tolérant, si doux pour le personnes, le cardinal était inflexible sur les principes. Un jour, on vint se plaindre à lui d'un refus de sépulture fait à l'égard d'un homme riche mort, comme il avait vécu, dans le désordre. On blâmait à ce sujet l'intolérance du curé.
«L'intolérance, reprit avec force le cardinal, elle est tout entière de votre côté: vous ne pouvez souffrir qu'un prêtre remplisse son devoir et vous le voulez forcer à reconnaître pour catholique un homme dont la vie et la mort ont été anti-catholiques.»
Et cependant, comme nous l'avons dit, cette fermeté n'ôtait rien à sa tolérance éclairée, à sa charité. Aussi les protestants, les juifs même, témoignaient pour lui d'une profonde vénération. Le grand rabbin qui, lors de l'arrivée du prélat à Bordeaux, était venu le premier lui faire visite et le complimenter, entretenait avec lui les meilleurs rapports. Un jour, sous le coup d'une grande affliction, la perte d'une fille chérie, il vient trouver l'archevêque pour lui demander des consolations en disant: «Je viens chercher des consolations près du représentant de Jésus-Christ qui pleurait sur Lazare[50].»
La mémoire de Mgr de Cheverus est restée en grande vénération dans son diocèse, en voici une preuve à la fois curieuse et touchante. L'anecdote a de plus le mérite d'être inédite. Une bonne dame, qui avait eu de grandes obligations au prélat, arrivée à Bordeaux, en venant de Paris, voulut aller prier sur sa tombe. Le monument se compose, nous a-t-on dit, d'une petite chapelle et d'une pierre tombale. L'étrangère, après être restée agenouillée quelque temps, se sentant fatiguée, avisa près d'un autre monument une chaise laissée là sans doute par quelque visiteuse. Elle se leva, et en l'absence du propriétaire, la prit soit pour se reposer, soit pour s'appuyer à défaut de prie-Dieu et continuer ses de profundis. Mais tout à coup une femme du peuple qui priait de l'autre côté, s'approchant, lui dit:
—Hé bien! que faites-vous là?
—Vous le voyez, j'emprunte un moment cette chaise; je me sentais fatiguée..
—C'est fâcheux! Mais il faut aller vous asseoir ou vous reposer ailleurs. Ici, ce serait manquer de respect à la mémoire du Saint. Pour ma part, je ne le permettrai point.
Et sans plus de façon, enlevant la chaise, elle alla la reporter où la dame l'avait prise.
[49] Huen-Dubourg (M. l'abbé Hamon, je crois).
[50] Vie du Cardinal de Cheverus, par M. Huen-Dubourg (Hamon).
COCHIN
Cette rue, nous la mentionnons seulement pour mémoire, puisque, de création récente, elle a disparu déjà par suite des démolitions. Son nom lui avait été donné en souvenir d'un contemporain, d'un homme de bien, Jean-Denys-Marie Cochin, né à Paris le 14 juillet 1789 (jour de la prise de la Bastille), et qui fut successivement maire, conseiller municipal, député du XIIe arrondissement, administrateur des hospices, du Mont-de-Piété, etc.
On lui dut la première salle d'asile et, pour le XIIe arrondissement, des améliorations précieuses: la canalisation de la Bièvre, le grand réservoir de l'Estrapade, l'élargissement des boulevards extérieurs, etc. «Mais les salles d'asile et les écoles gratuites, dit M. Louis Lazare, eurent toujours sa première pensée et ses soins les plus actifs et les plus constants. Il sentait que, pour régénérer une pauvre et ignorante population, il fallait la prendre au berceau; dans de nombreux écrits, il s'efforça d'enseigner aux autres les devoirs qu'il pratiquait si bien.»
—Je n'ai qu'un regret, dit-il en mourant jeune encore (18 août 1841), celui de n'avoir pu réaliser tout le bien qui était dans mon cœur!
Ce nom de Cochin, donné pareillement à l'hôpital presque voisin, rappelle un bienfaiteur de l'humanité, un de ses héros, devrais-je dire, un prêtre vénérable, mort curé de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, le 3 juin 1783. Il était né non loin de cette église, le 17 janvier 1726. Tout enfant, il reçut les éléments de l'instruction du supérieur général des Chartreux, et sa vocation religieuse s'étant manifestée, il fut admis au séminaire de Saint-Magloire, d'où il sortit docteur. Sa science ne le rendit point orgueilleux, et volontiers il laissait ses livres pour la visite des pauvres et des malades.
Ses vertus le firent nommer jeune encore (il n'avait pas trente ans) à la cure de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, où son zèle devait se manifester d'une façon si admirable. Dans le courant de l'année 1765, une épidémie de petite vérole éclata dans Paris avec une violence terrible, qui faisait de la contagion un fléau non moins redoutable que la peste ou le choléra, avant que la précieuse découverte de Jenner (la vaccine) fût venue neutraliser ses ravages. La maladie sévissait tout particulièrement sur la paroisse dont était curé le bon abbé Cochin, qui, le jour et la nuit, se dévouait pour le service corporel et spirituel des malades. Ses amis, voyant sa fatigue, s'inquiétèrent; ils lui représentèrent vivement le danger auquel il s'exposait, en ajoutant qu'il serait prudent, qu'il serait sage à lui de laisser le soin de visiter les malades atteints de la variole à ceux de ses vicaires qui déjà avaient subi l'influence de la maladie.
—À Dieu ne plaise! répondit le généreux pasteur. Que penseriez-vous d'un soldat qui demanderait son congé en temps de guerre, ou déserterait, par peur du péril, en face de l'ennemi?
Il continua de visiter assiduement les malades, et par une sorte de miracle, sans cesse au milieu de cette atmosphère empoisonnée, n'en reçut aucune atteinte. Mais quelques années après, en 1771, dans des circonstances semblables, il n'en fut point de même, et le bon curé, cette fois, obtint presque cette couronne du martyr qu'ambitionnait son dévouement; il tomba malade à son tour de la petite vérole. Les prières sans doute de ses chers paroissiens, de ses enfants, firent violence au ciel, et longtemps entre la vie et la mort, l'abbé Cochin guérit, mais sa santé resta gravement altérée, au point qu'à deux reprises, il voulut se démettre de ses fonctions. La paroisse aussi se ressentit longtemps du passage du fléau, d'autant plus que le faubourg Saint-Jacques était surtout peuplé par des familles d'ouvriers travaillant dans les carrières voisines. Cependant il ne se trouvait point d'hôpital, pas même d'infirmerie dans tout le quartier; il fallait porter les malades, les blessés mêmes à l'Hôtel-Dieu, et trop souvent le transport, avec les retards qu'il entraînait, devenait fatal aux infortunés.
Le bon curé s'en émut, et il résolut de doter sa paroisse d'un hospice. Il possédait un patrimoine d'un revenu d'environ 1,500 livres qu'il vendit, et avec cet argent il acheta un terrain sur lequel s'éleva, d'après les plans de l'architecte Viel, son ami, un établissement qui fut appelé, suivant le désir du fondateur, simplement: Hospice de la paroisse Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Commencé en 1779, l'édifice fut bâti avec rapidité et il était terminé en moins de quatre années, vers 1782, peu de temps avant la mort du zélé pasteur, tranquille sur l'avenir de la fondation, assurée par une dotation de quinze mille livres de revenu due à des âmes charitables.
Une circonstance touchante, relative à la pose de la première pierre de cette maison, ne doit pas être oubliée.
On ne choisit point, comme il est assez d'usage pour cette solennité, un personnage considérable selon le monde; mais, par une pieuse inspiration du curé, deux pauvres de la paroisse, furent élus à cet effet en assemblée générale de charité comme les plus recommandables par leurs vertus.
Non moins instruit que pieux et zélé, l'abbé Cochin trouvait le temps, au milieu des occupations si nombreuses que lui créait la charité, de composer, en outre de ses prônes et instructions, des ouvrages, ayant pour but l'édification, mais dont la publication effrayait sa modestie. «Ce fut avec beaucoup de peine, dit M. A. Biot dans sa Notice, que de son vivant il livra à l'impression quelques opuscules. Il avait recommandé par son testament de ne pas mettre au jour ses manuscrits; ses héritiers jugèrent à propos de ne pas se conformer sur ce point à ses intentions. Le produit de ses œuvres posthumes fut consacré à l'hospice Cochin.»
COLBERT ET LOUVOIS
J.-B. Colbert, ministre et secrétaire d'état, contrôleur général des finances sous Louis XIV, né en 1619, mourut en 1683. On sait en quels termes Mazarin mourant recommandait au roi son futur successeur:
«Je dois beaucoup à Votre Majesté, mais je crois m'acquitter en lui donnant Colbert.»
On sait de même avec quels éloges les contemporains, prosateurs et poètes, parlent de ce célèbre ministre. Son nom revient plus d'une fois dans les Satires de Boileau, mais non pas comme celui de Cotin, Quinault, Bonnecorse, etc., pour servir de jouet au poète railleur, tout au contraire:
Va, par tes cruautés mériter la fortune,
dit Despréaux dans la huitième Satire. Racine, en dédiant «à Monseigneur Colbert» sa tragédie de Bérenice, ne lui ménage pas les compliments: «..... Ce qui fait son plus grand mérite (de la tragédie) auprès de vous, c'est, Monseigneur, que vous avez été témoin du bonheur qu'elle a eu de ne pas déplaire à Sa Majesté.
«L'on sait que les moindres choses vous deviennent considérables, pour peu qu'elles puissent servir à sa gloire et à son plaisir; et c'est ce qui fait qu'au milieu de tant d'importantes occupations, où le zèle de votre prince et le bien public vous tiennent continuellement attaché, vous ne dédaignez pas quelquefois de descendre jusqu'à nous, pour nous demander compte de notre loisir.
«J'aurais ici une belle occasion de m'étendre sur vos louanges si vous me permettiez de vous louer. Et que ne dirais-je point de tant de rares qualités qui vous ont attiré l'admiration de toute la France; de cette pénétration à laquelle rien n'échappe; de cet esprit vaste qui embrasse, qui exécute tout à la fois de grandes choses; de cette âme que rien n'étonne, que rien ne fatigue!
«Mais, Monseigneur, il faut être plus retenu à vous parler de vous-même; et je craindrais de m'exposer, par un éloge importun, à vous faire repentir de l'attention favorable dont vous m'avez honoré.»
Malgré quelques dissonnances, le concert de louanges en l'honneur du marquis de Louvois, ministre de la guerre et de la marine sous Louis XIV, n'est pas moins bruyant. L'auteur des Caractères lui-même, si rude à tant d'autres, faisant un sujet de louanges pour Louvois de ce qui méritait le blâme peut-être, ne va-t-il pas jusqu'à dire:
«De même une bonne tête ou un ferme génie qui se trouve né avec cette prudence que les autres hommes cherchent vainement à acquérir, qui a fortifié la trempe de son esprit par une grande expérience; que, le nombre, le poids, la diversité, la difficulté et l'importance des affaires occupent seulement et n'accablent point; qui par l'étendue de ses vues et de sa pénétration se rend maître de tous les évènements; qui, bien loin de consulter toutes les réflexions qui sont écrites sur le gouvernement et la politique est peut-être de ces âmes sublimes nées pour régir les autres et sur qui ces premières règles ont été faites; qui est détourné par les grandes choses qu'il fait des belles ou des agréables qu'il pourrait lire, et qui, au contraire, ne perd rien à retracer et à feuilleter pour ainsi dire sa vie et ses actions; un homme ainsi fait peut dire aisément et sans se commettre qu'il ne connaît aucun livre et qu'il ne lit jamais[51].»
Comment s'étonner, après ces citations, que l'éloge de Louvois et plus encore celui de Colbert se trouve comme stéréotypé dans toutes les histoires et qu'on ne tarisse pas sur leur compte, même certains écrivains qui se proclament libéraux et se piquent d'indépendance vis-à-vis des puissances, qualifiant «d'esprit courtisanesque et rétrograde» la réserve et les témoignages de respect pour l'autorité dont ne se croient jamais affranchis les historiens qui savent ne rien sacrifier des principes tout en n'oubliant point, dans leur impartialité, ce qu'ils doivent à la vérité. Nous en trouvons un remarquable exemple dans un auteur que nous avons eu plus d'une fois l'occasion de citer et dont nous reproduisons d'autant plus volontiers les appréciations sur Colbert et Louvois qu'elles différent beaucoup des jugements du plus grand nombre, de la presque totalité (à l'égard de Colbert surtout) des écrivains même monarchiques et conservateurs auxquels le parti pris de la tradition semble avoir fait illusion et dérobé la claire-vue des évènements. Voici comment St-Victor s'exprime sur Colbert:
«Il entendait les finances, le commerce, les manufactures et toutes les branches de l'administration intérieure, aussi bien que Louvois entendait la guerre; et pour les administrateurs exclusifs de cette science industrielle qu'il rendit florissante en France plus qu'elle ne l'avait été jusqu'à lui, il n'y eut jamais de plus grand ministre que Colbert. Il faudrait sans doute le louer sans réserve, si, tout en administrant avec cette supériorité qu'on ne peut lui contester, son esprit se fût élevé au-dessus du matériel de son administration, et si, non moins blâmable en ce point que son rival, il n'eût pas, comme lui, cherché à tout abattre sous le despotisme étroit dans lequel leurs basses flatteries avaient renfermé leur maître et dont ils partageaient avec lui, et à l'ombre de son nom, les funestes prérogatives.... Tout ce qui osait résister à ce despotisme sans règles et sans bornes devait être brisé. Ce n'était point assez que Louis XIV eût la plénitude du pouvoir temporel à un degré où aucun roi de France ne l'avait possédé avant lui; il arriva, ainsi que nous l'avons vu, qu'un pape eut l'audace de ne pas se plier à toutes ses volontés; il convint d'apprendre au pouvoir spirituel à quelle distance il devait se tenir du grand roi, et comme nous l'apprend Bossuet lui-même, «les quatre articles sortirent à cet effet des bureaux du surintendant.»
La conduite de Louis XIV, par exemple, conseillé ou mieux influencé, entraîné du côté où il penchait par Colbert, dans l'affaire du duc de Créquy à Rome, comment la comprendre, et surtout, dit très-bien St-Victor, comment l'excuser? «En fut-il jamais de plus dure, de plus injuste, de plus cruelle même et d'un plus dangereux exemple? Quel triomphe pour le roi de France de se montrer plus puissant que le pape comme prince temporel, et sous ce rapport, de ne mettre aucune différence entre lui et le dey d'Alger ou la république de Hollande; de refuser toutes les satisfactions convenables à sa dignité que celui-ci s'empressait de lui offrir à l'occasion d'un malheureux évènement que les hauteurs de son ambassadeur avaient provoqué et dont il lui avait plu de faire une insulte[52]; de violer en lui tous les droits de la souveraineté en le citant devant une de ses cours de justice et en séquestrant une de ses provinces; de le contraindre, par un tel abus de la force, à s'humilier devant lui par une ambassade extraordinaire dont l'effet immanquable était d'affaiblir, au profit de son orgueil, la vénération que ses peuples devaient au Père commun des fidèles et dont son devoir à lui-même était de leur donner le premier l'exemple? Il le remporta ce déplorable triomphe....»
«Louvois avait fait de Louis XIV le vainqueur et l'arbitre de l'Europe: Colbert jugea que ce n'était point assez et ne prétendit pas moins qu'à le soustraire entièrement à l'ascendant, de jour en jour moins sensible, que l'autorité spirituelle exerçait sur le souverain. Il n'y réussit point entièrement parce qu'il aurait fallu pour obtenir un tel succès que Louis XIV cessât d'être catholique; mais le mal qu'il fit pour l'avoir tenté fut irréparable.»
Néanmoins il ne faut pas dire: «Qu'importe!» à propos du repentir tardif de Colbert tourmenté sur son lit de mort, d'après ce qu'on rapporte, de remords et d'anxiétés qui prouvent qu'en agissant comme on l'a vu, dans l'intérêt de son ambition seule, il faisait violence à sa propre conscience:
«Oh! s'écriait-il avec une amère douleur, combien n'étais-je pas aveugle et insensé? Hélas! si j'avais fait pour le Roi du ciel la moindre partie de ce que j'ai fait pour un roi de la terre, si j'avais donné au souci de l'éternité un peu davantage de ce temps prodigué si malheureusement à de vaines sollicitudes, hélas! je serais en ce moment plus tranquille!»
Un autre et grand sujet d'inquiétude pour le mourant dut être le ressouvenir de certaines opérations financières, au profit de l'État, sur lesquelles autrefois il avait pu se faire illusion, mais qu'il appréciait comme la probité sévère avait fait dès lors. À Colbert, comme on l'a souvent répété «Louis XIV dut ce rétablissement des finances qui le rendit en peu d'années maître si tranquille et si absolu de son royaume; mais il n'est pas inutile d'observer, pour réduire à sa juste valeur ce qui, au premier coup d'œil, pourrait sembler un effort du génie, que cette restauration financière ne fût opérée que par un odieux abus de ce pouvoir qui déjà ne voulait plus reconnaître de borne et qu'une banqueroute fut le moyen expéditif que le contrôleur général imagina pour arriver au but qu'il voulait atteindre. Elle fut opérée tout à la fois et sur les engagements de la cour connus sous le nom de billets d'épargne et sur les rentes de l'Hôtel-de-Ville[53], par des manœuvres qui ne peuvent étonner de la part d'un homme dont la conduite envers Fouquet n'offre qu'un tissu de bassesses, de fourberies et de cruautés, mais qui étaient assurément fort indignes de la probité du grand roi. Enfin ce qui eût été difficile pour qui aurait voulu avant tout être juste, se fit très facilement par l'injustice et par la violence.»
Le jugement motivé de l'auteur du Tableau historique et pittoresque de Paris sur Louvois (t. 4, 1re partie) ne nous semble pas moins digne d'attention.
«Louvois mourut pendant le cours de cette guerre (1692) que son égoïsme cruel et sa basse jalousie avait allumée; et sa mort prévint de quelques instants la disgrâce éclatante que lui préparait son maître désabusé.... On ne peut nier que ce ministre ne possédât à un très haut degré, ainsi que nous l'avons déjà dit, la sagacité et l'activité nécessaires pour saisir l'ensemble et les détails de la vaste administration qui lui avait été confiée, et qu'il ne l'eût perfectionnée de manière à y produire ce qu'on n'aurait pas cru possible avant lui; mais sans parler des guerres injustes et impolitiques dans lesquelles il entraîna Louis XIV, guerres qui creusèrent pour la monarchie un abîme que rien n'a pu combler, et même en ne le considérant que comme ministre de la guerre, ce qui est son beau côté, il est important de remarquer que, sous ce rapport, il fut encore pernicieux à la France en voulant tout soumettre à ce mécanisme administratif qu'il avait si singulièrement perfectionné. L'ordre du tableau, dont il fut l'inventeur et qui plut à un monarque absolu dont la politique était de tout niveler autour de lui, éteignit toute émulation, toute ardeur pour le service militaire, et détruisit l'école des grands capitaines. Le système de tracer les plans de campagne dans le cabinet et de tenir ainsi les généraux à la lisière acheva ce que l'ordre du tableau avait commencé.» (Saint-Victor).
Louvois aussi bien que Colbert réussit à confisquer à son profit la meilleure et la plus solide part du pouvoir en persuadant au roi qu'il n'était que le simple exécuteur de ses volontés, quand lui ministre faisait faire au souverain tout ce qu'il voulait et voici comment d'après ce que Saint Simon nous raconte: «Son esprit naturellement petit (nous laissons à Saint Simon la responsabilité de ce langage excessif à notre sens), se plut en toutes sortes de détails. Il (le roi) entra sans cesse dans les deniers sur les troupes, habillement, évolutions, armement, exercice, discipline, en un mot, dans toutes sortes de bas détails; il ne s'en occupait pas moins sur ses bâtiments, sa maison civile, ses extraordinaires de bouche: il croyait toujours apprendre quelque chose à ceux qui en ce genre en savaient le plus, qui recevaient en novices les leçons qu'ils savaient par cœur depuis longtemps. Ces pertes de temps, qui paraissaient au roi avoir tout le mérite d'une application continuelle, étaient le triomphe de ses ministres qui, avec un peu d'art et d'expérience à le tourner, faisaient venir comme de lui ce qu'ils voulaient eux-mêmes, et qui conduisaient le grand monarque selon leurs vues et trop souvent selon leurs intérêts tandis qu'ils s'applaudissaient de le voir se noyer dans les détails.»
Saint-Victor, après d'autres considérations qu'il est inutile de reproduire, arrive à cette conclusion: «Colbert et Louvois furent de grands ministres si ce nom peut être donné à d'habiles administrateurs, à des hommes actifs, vigilants, rompus à tous les détails du service dont ils avaient acquis une longue expérience dans les emplois subalternes, capables en même temps d'en saisir l'ensemble avec une grande perspicacité et d'y apporter de nouveaux perfectionnements. Mais si, pour mériter une si haute renommée, ce n'est point assez de se courber vers ces soins matériels et qu'il faille comprendre que les sociétés se composent d'hommes et non de choses, que leur véritable prospérité est dans l'ordre que l'on sait établir au milieu des intelligences; enfin, si gouverner est autre chose qu'administrer, nous ne craignons pas de le dire, jamais ministres ne se montrèrent plus étrangers que ces deux personnages si étrangement célèbres à la science du gouvernement; et les jugeant par des faits irrécusables, il nous sera facile de prouver que tous les deux furent funestes à la France et lui firent un mal qui n'a point été réparé.»
Encore que ce langage, qui contredit bien des opinions reçues, soit de nature à étonner, il mérite qu'on le prenne en sérieuse considération, car l'écrivain ne se prononce pas à la légère, mais après mûre réflexion et examen consciencieux des faits. On sent que la vérité lui coûte à dire, qu'il blâme à regret, par la force de la conviction et certainement eût préféré, à l'exemple de tant d'autres, n'avoir qu'à applaudir. Amicus Plato sed amica veritas.
[51] De l'Homme: Chap. XXI des Caractères.
[52] Ses laquais avaient chargé, l'épée à la main, une escouade de Corses qui protégeait les exécutions de la justice.
À l'aspect de l'arrêt qui retranche un quartier!
a dit Boileau qu'on peut s'étonner de voir approuver pareille mesure.
COMBES (MICHEL)
Né à Feurs (Loire), le 20 octobre 1787, Combes entra au service comme volontaire en 1803; après avoir servi avec distinction sous l'Empire, il se trouvait chef de bataillon lors du désastre de Waterloo. Resté l'un des derniers sur le champ de bataille, et désespéré de la défaite, il quitta la France, où il ne revint qu'après les évènements de 1830. Rentré dans l'armée comme lieutenant-colonel du 24e de ligne, il fut nommé colonel du 66e en décembre 1831, et ce fut en cette qualité qu'il s'empara de la forteresse d'Ancône. Désavoué, et pas à tort, par son gouvernement, Combes se vit retirer son commandement; mais l'année suivante, remis en activité, il fut fait colonel de la légion étrangère, et quelques mois après, du 47e de ligne.
Pourtant un biographe affirme qu'à cette même époque, prenant en dégoût sa carrière, il songeait à demander sa retraite, lorsqu'il fut appelé à faire partie du corps expéditionnaire du général Bugeaud, en Afrique. Sa conduite au combat de la Sicka lui valut la croix de commandeur de la Légion d'honneur. Mais quelle récompense n'eût-il pas méritée par son héroïque dévouement devant Constantine, s'il avait survécu à la victoire? La tranchée ouverte le 12 octobre 1837, l'assaut fut résolu pour le lendemain matin 13. Combes commandait la deuxième colonne d'attaque, à la tête de laquelle il s'élança, sous une grêle de balles, vers la brèche, en criant:
«En avant, mes amis, et vive à jamais la France!»
Arrivé l'un des premiers au sommet de la brèche, le colonel, quoique blessé assez grièvement au cou, n'en continua pas moins de marcher en avant. Une barricade, à l'abri de laquelle les Arabes faisaient un feu meurtrier, barrait le passage. Comprenant de quelle importance il était de renverser cet obstacle, Combes, montrant du doigt la barricade à ses soldats, s'écrie:
«La croix d'honneur est derrière ce retranchement; qui veut la gagner?
—Moi!» s'écrie le sous-lieutenant du 47e, Besson, qui, d'un bond, franchit la barricade en entraînant derrière lui ses braves voltigeurs. Presque au même instant, Combes, atteint mortellement, reçoit en pleine poitrine une balle qui lui traverse le poumon. Mais, dominant la douleur par l'énergie de la volonté et préoccupé avant tout de la pensée d'assurer la victoire, il dit aux soldats, qui l'entourent d'un air inquiet:
«Ce n'est rien, mes enfants, je marcherai bientôt à votre tête.»
Sûr enfin que toute résistance sérieuse a cessé, il quitte la brèche, et d'un pas ferme encore, se rend auprès du commandant du siége pour lui rendre compte du succès décisif des colonnes d'assaut.
«La ville ne peut tenir plus longtemps, dit-il avec calme, le feu continue, mais va bientôt cesser; je suis heureux et fier d'être le premier à vous l'annoncer. Ceux qui ne sont pas blessés mortellement pourront se réjouir d'un aussi beau succès, pour moi, je suis satisfait d'avoir pu verser encore une fois mon sang pour ma patrie. Je vais me faire panser,» ajouta-t-il, avec un sourire qui prouvait qu'il ne se faisait pas illusion sur la gravité de sa blessure. En effet, en dépit de sa stoïque fermeté, à quelques pas de là, chancelant et prêt à s'évanouir par la perte du sang, il dut être transporté à l'ambulance où il expira bientôt âgé de cinquante ans seulement.
Le gouvernement ordonna que le buste du vaillant soldat ornerait l'une des salles de l'Hôtel-de-Ville de Feurs, où son cœur serait également déposé. Une pension de 2,000 francs fut allouée à sa veuve, à titre de récompense nationale.
Entre les noms qu'ont illustrés nos guerres d'Afrique, celui du colonel Combes est assurément l'un des plus glorieux, et l'épisode du siége de Constantine, dans sa simplicité sublime, est l'un des plus admirables que rappellent nos annales militaires.
COMMINES
Philippe de Commines naquit au château de Commines sur la Lys, à deux lieues de Ménin. Quoique sa famille fût des plus honorables de la province, son éducation, comme il arrivait souvent alors pour les jeunes gentilshommes, fut assez négligée, et souvent il regretta de n'avoir pas appris le latin. En 1464, à l'âge de 19 ans, il entra au service de Charles, comte de Charolais, fils du duc de Bourgogne. «Au saillir de mon enfance, dit-il au livre 1er de ses Mémoires, et en l'âge de pouvoir monter à cheval, je hantai à Lisle vers le duc Charles de Bourgogne, lors appelé comte de Charolais, lequel me prit à son service.»
L'année suivante, (1465) il se trouvait à la bataille de Monthléry, livrée contre les troupes du roi de France par le comte de Charolais et les seigneurs et princes unis pour faire la guerre à leur Suzerain. «Et fut cette guerre depuis appelée le Bien Public, pour ce qu'elle s'entreprenoit sous couleur de dire que c'estoit pour le bien public.»
Commines pendant le combat se tenait auprès du prince «et me trouvai ce jour toujours avec lui ayant moins de crainte que je n'eus jamais en lieu où je me trouvasse depuis, pour la jeunesse en quoi j'étais, et que je n'avais nulle connaissance du péril; mais étais ébahi comme nul s'osait défendre contre tel prince à qui j'étais, estimant que ce fut le plus grand de tous les autres. Ainsi sont gens qui n'ont point d'expérience, dont vient qu'ils soutiennent assez d'argus (arguments) mal fondés et avec peu de raisons. Par quoi fait bon user de l'opinion de celui qui dit que: «l'on ne se repent jamais pour parler peu, mais bien souvent de trop parler.»
La victoire, après une assez grande effusion de sang, semblait rester indécise, lorsque la retraite du roi, pendant la nuit, fut regardée par les alliés comme l'aveu d'une défaite. Le comte en particulier triomphait d'un succès qui devait être pour son malheur comme l'historien en fait la remarque: «Tout ce jour demeura encore monseigneur de Charolais, sur le champ, fort joyeux, estimant la gloire être sienne. Ce qui depuis lui a coûté bien cher: car oncques puis il n'usa de conseil d'homme mais du sien propre: et au lieu qu'il était très-inutile pour la guerre paravant ce jour, et n'aimait nulle chose qui y appartint, depuis furent muées et changées ses pensées, car il a continué jusques à sa mort; et par là fut finie sa vie et sa maison détruite; et si elle ne l'est du tout, si est-elle toute désolée.»
Commines, devenu chambellan de Charles le Téméraire, qui avait succédé à son père Philippe comme duc de Bourgogne, se trouvait à Péronne lors de l'entrevue du duc avec le roi de France; Louis XI, s'était pris à son propre piége en se mettant à la discrétion de celui qu'il espérait tromper. On sait que Charles, ayant acquis la preuve de la trahison du roi qui excitait sous main les Liégeois à la révolte, ordonna de fermer les portes du château et retint le monarque prisonnier. Et dans la première émotion de sa colère, il se fût emporté peut-être aux dernières extrémités, s'il n'eût été retenu par ses conseillers dont était Commines qui réussirent, non sans peine, à réconcilier les deux princes.
«Comme le duc arriva en sa présence, la voix lui tremblait, tant il était ému, et prêt de se courroucer. Il fit humble contenance de corps; mais son geste et parole était âpre, demandant au roi s'il ne voulait pas tenir le traité de paix, qui avait été écrit et accordé, et si ainsi le voulait jurer, et le roi lui répondit que oui... Ces paroles éjouirent fort le duc; et incontinent fut apporté le dit traité de paix, et fut tirée des coffres du roi la vraie croix, que saint Charlemagne portait, qui s'appelle la croix de la victoire; et jurèrent la paix; et tantôt furent sonnées les cloches par la ville: et tout le monde fut fort éjoui. Autrefois a plu au roi me faire cet honneur de dire que j'avais bien servi à cette pacification[54].»
En effet, dans ses lettres patentes, plus tard Louis XI déclara qu'il avait obligation à Commines, lors de sa détention à Péronne. Louis, qui se connaissait en hommes et qui avait vu Commines à l'œuvre, ne négligea rien pour se l'attacher, et il y réussit d'autant mieux que le chambellan de Charles, témoin de ses violences, prévoyait que, dans un temps plus ou moins éloigné, ce caractère fougueux et emporté causerait sa ruine. Aussi ne se fit-il pas trop prier pour l'abandonner et passer au service de Louis XI (1472).
Charles, furieux, ordonna la confiscation de tous ses biens, mais le roi s'empressa de dédommager Commines, par le don de riches seigneuries; en outre des terres de Bran et Brandon, en Poitou, il lui donna la principauté de Talmont et les seigneuries de Curzon, Aulonne, Chasteau-Gontier et les Chaulmes dans le même pays. En 1474, Commines reçut encore en toute propriété la seigneurie de Chaillot près Paris et celle de la Chèvre en Poitou; l'année suivante, il épousa Hélène de Chambres qui lui apportait en dot la seigneurie d'Argenton et plusieurs autres.
Créé sénéchal du Poitou en 1477, Commines se trouvait l'un des personnages les plus importants du royaume et l'un des familiers du roi qu'il eut plusieurs fois l'honneur de recevoir dans son château. On s'explique ainsi que, comblé par le prince de tant de bienfaits, il ne le juge pas avec la même sévérité que la plupart des autres historiens et glisse sur les côtés fâcheux de son caractère sans les dissimuler entièrement. Je trouve donc qu'il y a exagération dans ce jugement de certains biographes: «Il est vrai que Commines, le serviteur le plus fidèle et le plus habile de Louis XI, fut aussi le plus dévoué pour tous les actes injustes, cruels et perfides que l'histoire reproche à ce monarque.
«... Il a été beaucoup loué; mais ce qu'on ne peut approuver, c'est le sang-froid avec lequel il parle des actes les plus iniques et les plus révoltants..., il est vrai que des actes auxquels il ne fut pas toujours étranger n'ont pu exciter son indignation. Aussi n'y a-t-il pas plus de leçons de morale à tirer de ses Mémoires qu'il n'y en a à prendre dans sa vie publique[55].»
Ces affirmations sont assurément beaucoup trop absolues, et il est tel passage des Mémoires qui semble les contredire entièrement, celui-ci par exemple relatif à la mort du connétable de saint Paul livré au roi par le duc de Bourgogne: «Il n'était nul besoin au dit duc, qui était si grand prince, de lui donner une sûreté pour le prendre; et fut grande cruauté de le bailler où il était certain de la mort, et pour avarice. Après cette grande honte qu'il se fit, il ne mit guère à recevoir du dommage. Et ainsi, à voir les choses que Dieu a faites de notre temps, et fait chacun jour, semble qu'il ne veuille rien laisser impuni; et peut-on voir évidemment que ces étranges ouvrages viennent de lui; car ils sont hors des œuvres de nature, et sont des punitions soudaines; et par espécial contre ceux qui usent de violence et de cruauté, qui communément ne peuvent être petits personnages, mais très-grands de seigneurie ou d'autorité de prince.» (Liv. IV.)
À propos de la mort du duc de Bourgogne tué sous les murs de Nancy, il dit encore: «et périt lui et sa maison, comme j'ai dit, au lieu où il avait consenti par avarice de bailler (livrer) le connétable, et peu de temps après. Dieu lui veuille pardonner ses péchés! je l'ai vu grand et honorable prince, et autant estimé et requis de ses voisins, un temps a été, que nul prince qui fut en chrétienté ou par aventure plus. Je n'ai vu nulle occasion pour quoi plutôt il dût avoir encouru l'ire de Dieu, que de ce que toutes les grâces et honneurs qu'il avait reçus en ce monde, il les estimait tous être procédés de son sens et vertu sans les attribuer à Dieu comme il devait.» (Liv. V.)
Commines n'approuve pas, bien s'en faut, la conduite que tint le roi après la mort du duc, et ses procédés injustes vis-à-vis de l'héritière légitime Marguerite: «Mais nonobstant qu'il fût ainsi hors de toute crainte, Dieu ne lui permit pas de prendre cette matière qui était si grande, par le bout qu'il la devait prendre.... pour joindre à sa couronne toutes ces grandes seigneuries, où il ne pouvait prétendre nul bon droit; ce qu'il devait faire par quelque traité de mariage ou les attraire à soi par vraie et bonne amitié, comme aisément il le pouvait faire.... Mais par aventure Notre Seigneur ne lui voulut pas de tous points accomplir son désir, pour aucunes raisons que j'ai dites, ou qu'il ne voulait point qu'il usurpât sur ces pays du Hainaut pour ce qu'il n'y avait aucun titre.»
Voici maintenant comment Commines nous parle de Louis XI dans les derniers temps de sa vie: «Le roi s'en retourna à Tours (1481), et s'enfermait fort, et tellement que peu de gens le voyaient; et entra en merveilleuse suspicion de tout le monde; et avait peur qu'on ne lui ôtât ou diminuât son autorité. Il recula de lui toutes gens qu'il eut accoutumés, et les plus prochains qu'il eut jamais.... Mais ceci ne dura guères; car il ne vécut point longuement; et fit de bien étranges choses.»
«Notre Roi était en ce Plessis, avec peu de gens, sauf archers, et en ces suspicions dont j'ai parlé; mais il y avait pourvu; car il ne laissait nuls hommes, ni en la ville, ni aux champs dont il eut suspicion; mais par archers les en faisait aller et conduire. Il semblait mieux, à le voir, homme mort que vif, tant était maigre; ni jamais homme ne l'eût cru. Il se vêtait richement, ce que jamais n'avait accoutumé par avant.... Il faisait d'âpres punitions, pour être craint, et de peur de perdre obéissance; car ainsi me le dit lui-même. Il renvoyait officiers et cassait gens d'armes, rognait pensions, et en ôtait de tous points. Et me dit, peu de jours avant sa mort, qu'il passait temps à faire et à défaire gens.. et le faisait de peur qu'on ne le tînt pour mort.»
«... Mais tout ainsi qu'à deux grands personnages qu'il avait fait mourir de son temps (dont de l'un fit conscience à son trépas, et de l'autre non, ce fut du duc de Nemours, et du comte de Saint-Paul) fut signifiée la mort par commissaires députés à ce faire, lesquels commissaires en briefs mots leur déclarèrent leur sentence et baillèrent confesseur pour disposer de leurs consciences, en peu d'heures qu'ils leur baillèrent à ce faire; tout ainsi signifièrent à notre roi, les dessus dits, sa mort en brièves paroles et rudes, disant:
«Sire, il faut que nous nous acquittions, n'ayez plus d'espérance en ce saint homme (l'ermite Paul), ni en autre chose; car sûrement il est fait de vous; et pour ce pensez à votre conscience, car il n'y a nul remède...»
«Quelle douleur lui fut d'ouïr cette nouvelle et cette sentence? Car oncques homme ne craignit plus la mort.... Faut revenir à dire qu'ainsi comme de son temps furent trouvées ces mauvaises et diverses prisons, tout ainsi avant mourir, il se trouva en semblables et plus grandes prisons, et aussi plus grande peur il eut que ceux qu'il y avait tenus. Laquelle chose je tiens à très grande grâce pour lui et pour partie de son purgatoire. Et l'ai dit ici pour montrer qu'il n'est nul homme de quelque dignité qu'il soit qui ne souffre ou en secret ou en public, et par espécial ceux qui font souffrir les autres.»
Ce langage n'est pas assurément d'un homme habitué «à ne voir et considérer les actes les plus iniques que comme des moyens de succès et ne les juger que par les résultats[56]».
La conclusion de ce sixième livre n'est pas moins admirable et le prédicateur dans la chaire ne s'exprimerait pas autrement. «Or, voyez-vous la mort de tant de grands hommes en si peu de temps, qui tant ont travaillé pour s'accroître et pour avoir gloire, et tant en ont souffert de passions et de peines, et abrégé leur vie; et par aventure leurs âmes en pourraient souffrir.... N'eut-il pas mieux valu à eux, et à tous autres princes, et hommes de moyen état, qui ont vécu sous ces grands, et vivront sous ceux qui règnent, élire le moyen chemin en ces choses. C'est à savoir, moins se soucier, et moins se travailler, et entreprendre moins de choses, et plus craindre à offenser Dieu, et à persécuter le peuple, et leurs voisins, et par tant de voies cruelles que j'ai assez déclarées par ci-devant, et prendre des aises et plaisirs honnêtes? Leurs vies en seraient plus longues. Les maladies en viendraient plus tard, et leur mort en serait plus regrettée, et de plus de gens, et moins désirée, et aurait moins à douter (craindre) la mort. Pourrait-on voir de plus beaux exemples pour connaître que c'est peu de chose que de l'homme; et que cette vie est misérable et briève et que ce n'est rien des grands; et qu'incontinent qu'ils sont morts, tout homme en a le corps en horreur et vitupère? et qu'il faut que l'âme sur l'heure se sépare d'eux et qu'elle aille recevoir son jugement? Et à la vérité, en l'instant que l'âme est séparée du corps, jà la sentence en est donnée de Dieu, selon les œuvres et mérites du corps, laquelle sentence s'appelle le jugement particulier.» (Liv. VI).
Ce langage n'est pas celui du politique, mais du chrétien amené à la saine appréciation des choses par les malheurs d'autrui et aussi par sa propre et douloureuse expérience. Celle-ci ne manqua pas à Commines; car, après la mort de Louis XI, devenu suspect à la régente par suite de ses relations avec le duc d'Orléans (depuis Louis XII), il fut arrêté et pendant plus de deux années retenu dans une étroite prison, (bien étroite) pendant huit mois surtout, puisque c'était une de ces fameuses cages de fer imaginées par Louis XI: «Il avait fait de vigoureuses prisons, comme cages de fer et autres de bois, couvertes de plaques de fer par le dehors et par le dedans avec terribles ferrures de quelques huit pieds de large et de la hauteur d'un homme et un pied de plus. Le premier qui les dévisa (essaya) fut l'évêque de Verdun qui, en la première qui fut faite, fut mis incontinent et y a couché quatorze ans. Plusieurs l'ont maudit, et moi aussi qui en ont tâté sous le roi de présent (Charles VIII) l'espace de huit mois.»
Rendu à la liberté, Commines retrouva en partie son crédit et fut chargé de plusieurs missions importantes par Charles VIII auquel il rendit de grands services pendant l'expédition d'Italie. Mais sous le successeur de ce prince, sous Louis XII, pour qui Commines s'était naguère si fort compromis, il ne fut aucunement employé, et vécut (qui sait pourquoi?) dans une sorte de disgrâce, ce qui lui permit d'ailleurs d'achever tout à loisir la rédaction de ses Mémoires. Il mourut, en 1509, dans son château d'Argenton.
La première édition des Mémoires, in-fol. fut publiée à Paris en 1523.