Les Rues de Paris, tome troisième: Biographies, portraits, récits et légendes
Au beau drame de Cléopâtre
Où fut l'aspic de Vaucanson,
Tant fut sifflé qu'à l'unisson
Sifflaient et parterre et théâtre;
Et le souffleur, oyant cela,
Croyant encor souffler, siffla.
SAINT VICTOR
Peu après le massacre de la légion thébaine, le césar Maximien vint à Marseille où, comme la bête féroce plus terrible quand elle a goûté du sang, il déclara avec une fureur nouvelle la guerre aux chrétiens, aux Christocoles, comme il les appelait par dérision. Dès le lendemain de son arrivée, il fait annoncer que tous ceux qui refuseront de sacrifier aux idoles périront par les plus cruels supplices. Au milieu de la consternation que ces menaces répandent dans la ville, Victor, soldat chrétien que la foi rend intrépide, court de maison en maison, pour raffermir et consoler ses frères. Arrêté dans ce pieux office, il est traîné devant le tribunal militaire où d'un visage assuré, d'une voix ferme, il se déclare hautement, hardiment chrétien. Alors du milieu de la multitude païenne qui se pressait autour du tribunal, s'élèvent des cris et des murmures qui bientôt sont des malédictions et des outrages. Le préfet militaire ordonne que la cause, la première sans doute depuis l'entrée du César, soit renvoyée à celui-ci. Victor en effet comparaît devant Maximien qui, tour à tour employant les promesses et les menaces, le presse de sacrifier aux idoles; mais le martyr ne répond à ces sollicitations que par une généreuse profession de foi:
—Je suis le soldat du Christ, dit-il, de Jésus, Seigneur et Sauveur, qui par amour pour nous s'est fait homme! Mort parce que lui-même l'a voulu de la main des impies, et ressuscité le troisième jour par la toute puissance de sa vertu divine, il est remonté au ciel où il règne et règnera éternellement. Lui seul est Dieu, lui seul mérite nos adorations et nos hommages!
Maximien, plein de colère, ordonne que le brave soldat soit à l'instant dépouillé de ses vêtements et qu'on lui ôte ses armes. Après cette espèce de dégradation, le légionnaire, les mains liées derrière le dos, devra être promené par toute la ville pour y être livré aux risées et aux insultes de la populace. Mais Victor, le front serein, souriait aux insulteurs dont plusieurs aux outrages joignaient les coups, et s'applaudissait de souffrir pour Jésus-Christ.
Après qu'il eût été ainsi quelque temps le jouet de cette sauvage multitude, le Martyr, souillé de boue et de crachats, tout déchiré et tout sanglant, est ramené au tribunal du préfet militaire. Là de nouveau on le presse de sacrifier aux idoles:
«Après avoir appris par une première expérience, lui dit le président, ce qu'il en coûte de désobéir en oubliant ce que tu dois à César et à la République, oseras-tu bien t'obstiner encore? Seras-tu assez aveugle pour dédaigner la faveur des Dieux et celle de notre invincible prince, assez insensé pour sacrifier toutes les joies du monde, la gloire, l'honneur et la vie même qui est d'un si grand prix, à je ne sais quel Jésus, obscur malfaiteur que les Juifs eux-mêmes, ses compatriotes, ont crucifié? Voudras-tu de gaîté de cœur attirer sur toi la colère des Dieux et des hommes; et, en désespérant tous ceux qui te sont chers, te condamner toi-même à la plus cruelle des morts? Va, crois-moi plutôt, renonce à cette chimère d'un Dieu que tu n'as jamais vu, qui toujours d'ailleurs a vécu pauvre et misérable, et par sa triste fin a prouvé combien faible était sa puissance. Si tu obéis, non-seulement par cet acte de sagesse tu évites l'horreur des supplices, mais tu t'acquiers la bienveillance de César et tu peux espérer de te voir un jour porté aux plus hauts honneurs. Que si follement au contraire tu t'obstines, malheur à toi, malheur! Pour cette gloire chimérique que tu rêves, il faut t'attendre au sort du Crucifié et même à une destinée pire.
Victor inébranlable, et le cœur plein de l'esprit divin qui se reflète sur son visage intrépide, répond:
«Pourquoi ces injustes reproches au sujet de César et de la République; jamais je n'oubliai, le ciel m'en est témoin, ce que je dois à l'une et l'autre. Chaque jour, je prie, matin et soir, pour le salut de notre prince et la conservation de tout l'empire; chaque jour, devant Dieu j'immole ces hosties spirituelles pour la prospérité de l'état.»
Après avoir montré ce qu'étaient les faux dieux, tous abominables et infâmes non moins qu'impuissants, le Martyr repousse éloquemment les attaques dirigées contre Jésus-Christ qu'il glorifie en ces termes:
«Oui, ce doux Sauveur s'est fait homme, mais, en se revêtant de notre chair mortelle, il n'a rien perdu de sa divinité; car, dans les merveilles de sa vie, il nous a laissé un modèle accompli de toutes les vertus, un immortel exemple à imiter. S'il a voulu être ici bas le plus pauvre de tous, lui si riche, c'est afin d'enrichir les indigents. Par sa mort glorieuse et toute volontaire, il a acquitté pour toujours notre dette envers son père. Oh! qu'elle est riche cette pauvreté qui, quand il lui a plu, sut nourrir tout un peuple avec quelques poissons! Qu'elle est forte cette faiblesse qui a guéri tant de langueurs et tant d'infirmités! Qu'elle est vivante cette mort qui nous ressuscite, nous tous qui croyons!
»Et, pour que vous ne puissiez douter de la vérité de toutes ces choses, elles ont été prédites dès le commencement et appuyées par un grand nombre de miracles. Puis, si vous savez en bien juger, combien il est grand celui à qui tout l'univers obéit! celui dans lequel il n'y a ni ombre ni défaut, dont la charité accueille tous ceux qui le veulent et dont nul ne peut tromper l'infaillible justice.
»Lequel de vos dieux lui est semblable? Lequel peut lui être comparé? Lui qui a fait les cieux et la terre et tout ce qu'ils renferment selon la parole du prophète. Les dieux des nations au contraire ne sont que des démons et ils brûlent et brûleront éternellement dans les flammes inextinguibles avec leurs adorateurs.
»C'est pourquoi, vous tous, hommes prudents, hommes doctes, dans la plénitude de votre raison et le calme de votre esprit (afin de ne pas vous perdre à jamais), examinez la vérité de ce que je vous déclare et dont vous serez bientôt, Dieu aidant, convaincus. Et alors obéissez à votre très saint, très clément, très juste Créateur et Sauveur, dont l'humilité, si vous adhérez de cœur à sa loi, vous élèvera, dont la pauvreté vous enrichira, dont la mort vous fera vivre de la vraie vie en attendant la gloire de la bienheureuse immortalité.»
Ce discours du nouvel Étienne ne fit qu'irriter davantage les juges et l'auditoire. Astérius, le juge principal, ordonne que Victor soit mis à la torture. Pendant que les bourreaux déchiraient ses membres sanglants, le saint Martyr, les yeux levés au ciel, remerciait Jésus de l'éprouver par ces souffrances qu'il bénissait comme une grâce. Alors le divin Sauveur, attendri par ce zèle sublime, apparut à son vaillant athlète, et, lui montrant le signe de la victoire, la croix qui rayonnait entre ses mains divines, il dit:
—Paix à toi, Victor, je suis Jésus qui souffre dans mes saints les tourments et les injures. Continue et sois ferme; moi qui suis ta force dans le combat, je serai ta récompense après la victoire.
À la voix du Sauveur, les souffrances du Martyr cessèrent soudain. Son cœur fut inondé d'une joie céleste qui faisait resplendir son visage et s'exhalait en actions de grâces pour son divin Visiteur.
Les licteurs, épuisés de fatigue autant qu'étonnés de voir la merveilleuse constance du Martyr, durent s'arrêter. Victor fut conduit à la prison et jeté dans un cachot, lieu horrible où le jour n'arrivait pas, où l'air manquait. Mais là encore, il se vit fortifié par les consolations divines; des anges, envoyés par le Sauveur, vinrent le visiter, et, au milieu de la nuit la plus profonde, la prison s'illumina soudain d'une clarté céleste. Trois soldats préposés à la garde de Victor, éblouis de cette lumière miraculeuse, tombent aux pieds du martyr, et se frappant à l'envi la poitrine, en confessant Jésus crucifié, ils demandent le baptême. Victor, délivré déjà de ses chaînes, après avoir instruit en quelques mots, comme les circonstances le permettaient, les nouveaux convertis, les conduit à une fontaine voisine et répand tour à tour sur leurs têtes, pieusement inclinées, l'eau qui, par la vertu des paroles saintes, fait les païens enfants de l'Église; puis tous reviennent à la prison. Le matin venu, la nouvelle de cette prodigieuse conversion se répandit dans toute la ville. Maximien, l'un des premiers, en est instruit; transporté d'une rage nouvelle, forcené de colère, surtout contre Victor qu'il accuse de ce qu'il appelle la trahison des autres, il fait venir le Martyr et les soldats convertis en sa présence et leur ordonne de sacrifier immédiatement, montrant tout prêts les bourreaux armés du glaive en cas de refus.
—Nous sommes chrétiens, répondent avec Victor les nouveaux convertis, Alexandre, Félicien, Longin; nous ne manquerons pas aux promesses de notre récent baptême! Nous ne pouvons offrir l'encens aux idoles.
Les trois soldats à l'instant sont égorgés; mais Victor est réservé à de plus cruelles épreuves. On le livre aux licteurs qui, armés de nerfs de bœufs et de bâtons, le frappent furieusement et sans relâche. Mais le sang coule en vain, les instruments du supplice tombent par la fatigue des mains des bourreaux sans qu'ils aient pu triompher de la constance du Martyr. On le reconduit dans sa prison. Trois jours après, Maximien le fait amener de nouveau devant lui, puis il ordonne qu'un autel de Jupiter soit apporté. Alors s'adressant à Victor:
—Offre l'encens au grand Jupiter, et, par cet honneur rendu au Souverain des Dieux, rachète ton crime et rentre en grâce auprès de nous.
Victor garde le silence, mais tout bouillant au dedans d'une généreuse colère, il s'avance comme pour obéir vers l'autel que portait le prêtre et d'un coup de pied il le jette à quelques pas. Maximien, par la violence de sa colère, reste quelques instants muet et comme interdit, puis avec un geste terrible, il crie aux licteurs:
—Qu'on coupe le pied du sacrilége!
L'ordre est exécuté. Pendant la cruelle opération, le Martyr, joignant les mains, le visage radieux, s'applaudit de pouvoir offrir au Seigneur Jésus ce sanglant débris comme les prémices de son corps.
Le César cependant regardait d'un œil farouche le Martyr, et paraissait hésiter, sans doute incertain sur le choix du supplice qui pourrait rendre la mort plus douloureuse. Enfin, comme fixé, il sourit d'une façon sinistre et dit aux licteurs:
—À la Boulangerie publique cet impie et qu'il soit broyé sous les meules. Allez!
Les licteurs s'éloignent entraînant ou plutôt portant Victor, toujours calme et souriant, et qu'on peut suivre à la trace du sang qui coule à flots de l'horrible blessure. Le Martyr n'a pas l'air de s'en apercevoir. On arrive à la Boulangerie publique où de lourdes meules, mises en mouvement par une machine et par des esclaves, servaient à broyer le grain qu'on versait par monceaux sur l'arène. À la place du grain, c'est Victor qu'on étend sur la dalle où la meule passe et repasse; bientôt on entend crier les os du Martyr et son sang jaillit de tous les membres et du tronc, comme le jus sort des raisins mûrs quand on les foule. Et le Martyr, les mains jointes, autant qu'il le peut, continue à prier. Mais soudain on entend un affreux craquement; les meules s'arrêtent et les esclaves font de vains efforts pour les ébranler. Ils y renoncent bientôt en reconnaissant que la machine, par un miracle à ce que crurent les chrétiens, s'était brisée soudainement. Cependant le Martyr respirait encore et ses regards toujours aussi sereins disaient assez que dans ce corps, qui n'était plus que tronçons et débris, l'âme, comme dans une forteresse ruinée la sentinelle héroïque, l'âme restait invaincue. Le Martyr n'eut pas besoin de ranimer son courage pour le dernier combat que devait couronner la victoire. Un licteur s'étant approché:
—Par Jupiter, s'écria-t-il, il vit encore; mais ses membres sont donc d'airain ou de fer! Nous allons voir pourtant.
Et d'un coup de hache, il sépara la tête du saint de son corps, si l'on pouvait appeler encore de ce nom cette masse informe et sanglante aplatie par la meule. Au même instant, on entendit une voix céleste qui disait:
—Heureux Victor, tu as vaincu, tu as vaincu!
Maximien cependant n'était point satisfait encore; car il lui fallait bien confesser sa défaite. Espérant au moins triompher des morts puisqu'il n'avait pu vaincre les vivants, il ne permit pas qu'on ensevelît les corps des Martyrs.
—Non, dit-il, on sait la folie des Christocoles qui en feraient des reliques et des dieux à leur mode. Que les corps des rebelles soient jetés à la mer pour être la pâture des poissons, digne sépulture de ces impies.
L'ordre fut exécuté; mais les anges du Seigneur veillaient sur les saintes dépouilles et, protégées par eux, elles furent portées rapidement vers le rivage opposé où de pieux chrétiens s'empressèrent de les recueillir. On les déposa avec les cérémonies accoutumées au fond d'une crypte creusée dans le rocher; et là Dieu glorifia ses héros par de nombreux miracles dus à leur intercession[20].
[20] Acta Sanctorum.
VILLE-HARDOUIN
La famille de Ville-Hardouin, une des plus illustres de la Champagne, habitait le château de ce nom, à une demi-lieue de l'Aube, entre Arcis et Bar. C'est là que naquit Geoffroy vers 1164, d'autres disent 1167. Lorsque Foulques, curé de Neuilly, prêcha la quatrième croisade, Geoffroy, chef de la famille, remplissait les fonctions de maréchal de Champagne et son noble caractère lui avait conquis l'estime universelle. L'un des premiers, il prit la croix à l'exemple du jeune et brillant Thibaut, comte de Champagne, son suzerain et chef désigné de la croisade. Mais Thibaut ne devait pas voir la Terre Sainte. Pendant qu'il faisait ses préparatifs de départ, tombé malade, il se mit au lit et, peu de temps après, il serrait pour la dernière fois la main au maréchal de Champagne qui nous a raconté cette mort prématurée en quelques lignes émues.
La croisade perdait ainsi son chef et plusieurs semblaient découragés; mais Ville-Hardouin, non moins éloquent et insinuant que brave, diplomate autant que guerrier, sut réunir en faisceau toutes les volontés déjà détournées de leur but. Envoyé en ambassade à Venise, il se concilia la sympathie du doge et des sénateurs, et obtint, avec les navires de transport nécessaires aux croisés, des secours considérables en hommes et chevaux. Le doge Dandolo lui-même, vieillard presque octogénaire, voulut commander les troupes de la République, et prit en grande affection le maréchal ce qui aplanit bien des difficultés. On sait que, par un concours inattendu de circonstances et certaines ambitions aidant, la croisade, détournée de son premier but, aboutit à la prise de Constantinople et à la fondation d'un empire latin dans cette ville en faveur de Baudouin, comte de Flandre. Après un règne fort court, celui-ci eut pour successeur son frère Henri, gendre du marquis de Montferrat, Boniface, qui avait été le chef de la croisade en remplacement de Thibaut, et au lendemain de la victoire, avait obtenu pour sa part la royauté ou principauté de Thessalonique. Il tenait Ville-Hardouin en très haute estime, et l'appelant dans son royaume, il lui fit don de plusieurs cités formant ensemble un domaine considérable où le maréchal de Champagne mourut en 1213.
«Ce serait ici le lieu, dit excellemment Du Cange dans son Éloge de Ville-Hardouin[21], d'étaler les belles qualités qui le firent admirer et le rendirent recommandable même parmi les étrangers: sa piété envers Dieu, sa prudence et sa dextérité dans les affaires qui le firent réputer, en plusieurs occasions où il porta la parole, comme le mieux disant, le plus éloquent et le plus judicieux de son temps, son courage et son adresse dans la conduite des armées, sa fidélité inviolable envers ses princes, et tant d'autres vertus qui éclatent dans toute la suite de l'Histoire qu'il a dressée non tant de cette fameuse conquête, comme de ses belles actions, lesquelles toutefois il a décrites avec tant de retenue et de candeur qu'il est aisé de juger qu'il en a plus passé sous silence qu'il n'en a mis au jour. Mais il suffit que lui-même ait dressé matière à ses louanges et qu'à l'exemple de ces grands capitaines des siècles passés qui ont mieux aimé rédiger eux-mêmes les principales actions de leur vie que d'en laisser la charge à des écrivains ignorants, il ait laissé à la postérité de quoi relever sa mémoire par ce monument qui durera plus que le marbre et le bronze.»
Citons, comme un spécimen du langage de Ville-Hardouin, ce passage relatif à la prise de Constantinople. Il suffira de modifier non le style, mais l'orthographe, pour qu'il soit intelligible à la plupart des lecteurs. «.... Et les autres gens, qui furent espandus parmi la ville, gagnèrent. Et fut si grand le gain fait que nul ne vous en saurait dire la fin, et d'or et d'argent, et vaisselemente, et de pierres précieuses, et de corps saints (reliques), et de draps de soie, et de robes vaires (multicolores), grises et hermines, et tous les chers avoirs qui oncques furent trouvés en terre. Et bien témoigne Geoffroy de Ville-Hardouin, le maréchal de Champagne, à son escient et pour vérité, que, puis que le monde fut estoré (créé), ne fut tant gagné en une ville. Chacun prit hôtel tant comme lui plut, car il y en avait assez.
«Ainsi se hébergèrent les pèlerins (croisés) et les Vénitiens. Et fut grande la joie de l'honneur et de la victoire que Dieu leur avait donnée. Et bien en durent Notre-Seigneur louer, car ils n'avaient pas plus de vingt mille hommes d'armes, et par l'aide de Dieu, en avaient pris plus de trois cent mille, et en la plus forte ville du monde qui grande ville fut et la mieux fermée.
«Lors fut crié par tout l'ost, de par le marquis de Montferrat, qui sire (chef) était de l'armée et des autres barons: que tous les avoirs qu'ils avaient gagnés fussent apportés ensemble, si comme ils l'avaient assuré et juré et fait sous peine d'escommuniement. Et furent nommés le lieu en trois églises; et le mit-on en la garde des Français et des Vénitiens et des plus loyaux qu'on put trouver. Lors commencèrent à apporter le gain et mettre ensemble. Les uns apportèrent bien, les autres mauvaisement; car convoitise, qui est racine de tous maux, ne leur laissa (permit). Ainsi commencèrent d'ici en avant les convoiteux à retenir des choses et Notre Sire les commença moins à aimer qu'il n'avait devant fait. Ha! comme ils s'étaient loyalement maintenus jusqu'à ce point! Et Notre Sire leur avait bien montré, car de toutes leurs affaires les avait Dieu exaucés et honorés sur toutes les autres gens. Et maintes fois ont mal les bons pour les mauvais.»
Au fond, ce qui ressort le plus clairement de ce récit, c'est que la grande cité prise par les croisés fut entièrement pillée. C'était le droit de la guerre à cette époque. Il faut se féliciter que le progrès des mœurs condamne de plus en plus aujourd'hui ces façons d'agir, et que les nations civilisées soient unanimes à considérer le pillage d'une ville, d'une capitale en particulier, comme un procédé sauvage, un abus odieux de la victoire qui ferait honte à Attila lui-même. Revenons au Chroniqueur.
Voici, pour terminer, le dramatique récit de la mort du marquis du Montferrat, tué malheureusement dans une rencontre: «Et quand le marquis fut à Messinople (Mosynopolis) ne tarda plus que six jours qu'il fit une chevauchée par le conseil des Grecs de la terre, en la montagne de Messinople, plus d'une grande journée loin. Et comme il eut été en la terre et vint au partir, les Bougres (Bulgares) se furent assemblés de la terre; et virent que le marquis était avec peu de gens; et vinrent de toutes parts et l'assaillirent à l'arrière-garde. Et quand le marquis ouït le cri, si sali (sauta) en un cheval tout désarmé une glave[22] en sa main. Et quand il vint là où ils étaient assemblés, à l'arrière-garde, si leur courut sus et les cacha (rejeta) une grande pièce arrière. Là fut féru d'une sagette (flèche) parmi le gros du bras et sous l'épaule mortellement, si qu'il commença moult à répandre de sang. Et quand sa gent virent ce si se commencèrent fort à esmayer (effrayer) et à déconfire et mauvaisement maintenir. Et cil (ceux) qui furent entour le marquis le soutinrent. Et il perdit moult de sang. Si commença à pâmer. Et quand ses gens virent qu'ils n'avaient nulle aide de lui si se commencèrent à déconfire (débander) et à lui laisser. Ainsi furent déconfits par cette mésaventure et cils qui restèrent avec lui furent morts. Et le marquis eut la tête coupée; et la gent du pays envoyèrent à Johannis (roi des Bulgares) la tête et ce fut une des plus grandes joies qu'il eut oncques. Hélas! quel dommage en eut l'Empereur et tous les latins de la terre de Roumanie, de tel homme perdre par telle mésaventure, un des meilleurs chevaliers et des plus vaillants et des plus larges (généreux) qui fut au remanant (reste) du monde. Et cette mésaventure si advint en l'an de l'Incarnation mil deux cent sept.»
Ce récit termine l'Histoire de la Conquête de Constantinople, par Ville-Hardouin. La première édition imprimée parut à Venise en 1573; la seconde, faite d'après celle-ci sans doute, fut publiée à Paris en 1585.
SAINT VINCENT DE PAUL
I
Cet homme de Dieu qu'on pourrait appeler, si l'expression ne semblait hasardée, un saint surtout moderne, naquit, le 24 avril 1576, à Ranquine, petit hameau du canton de Pouy, près de Dax (Landes). Son père se nommait Guillaume de Paul et sa mère Bertrande de Moras. «Ses premières années, dit Godescard, se passèrent à garder le troupeau de son père qui, apercevant en cet enfant de bénédiction les dispositions les plus rares, se détermina à le faire étudier et le mit en pension chez les cordeliers d'Acqs.» Abelly, le bon évêque, de Rodez, contemporain et ami de Vincent de Paul, et auteur d'une vie du Saint qui passe pour un des chefs-d'œuvre du genre, Abelly dit mieux encore: «Quoique les perles naissent dans une nacre mal polie et souvent toute fangeuse, elles ne laissent pas que de faire éclater leur vive blancheur au milieu de cette bourbe qui ne sert qu'à en relever le lustre et faire mieux connaître leur valeur. La vivacité d'esprit dont Dieu avait doué notre jeune Vincent, commençant à paraître parmi ces bas emplois où il était occupé, elle en fut d'autant plus remarquée; et son père reconnut bien que cet enfant pouvait faire quelque chose de meilleur que de mener paître les bestiaux!»
Ses progrès furent tels qu'au bout de quatre années, il entrait comme précepteur chez M. de Commet, avocat de la ville. Son séjour dans cette maison fut assez court malgré la grande estime qu'on lui témoignait; il en sortit à l'âge de vingt ans pour se rendre à Toulouse où il fit son cours de théologie. Sous-diacre et diacre en 1598, il fut ordonné prêtre deux ans après.
En 1605, il dut faire un voyage à Marseille pour y recevoir une somme de 1500 livres qu'un ami lui avait léguée. Or, voici ce qui au retour lui arriva et ce qu'il nous a raconté lui-même avec une singulière vivacité de style et un rare bonheur d'expressions:
«Je m'embarquai, dit-il, pour Narbonne, pour y être plutôt et pour épargner, ou pour mieux dire, pour n'y jamais être et pour tout perdre. Le vent nous fut autant favorable qu'il fallait pour nous rendre ce jour-là à Narbonne, qui était faire cinquante lieues, si Dieu n'eût permis que trois brigantins turcs, qui côtoyaient le golfe de Lyon pour attraper les barques qui venaient de Beaucaire, ne nous eussent donné la chasse et attaqués si vivement que, deux ou trois des nôtres étant tués et le reste blessé, et même moi qui eus un coup de flèche qui me servira d'horloge tout le reste de ma vie, n'eussions été contraints de nous rendre à ces félons. Les premiers éclats de leur rage furent de hacher notre pilote en mille pièces, pour avoir perdu un des principaux des leurs, outre quatre ou cinq forçats que les nôtres tuèrent; cela fait, ils nous enchaînèrent, et après nous avoir grossièrement pansés, ils poursuivirent leur pointe faisant mille voleries, donnant néanmoins liberté à ceux qui se rendaient sans combattre, après les avoir volés; et enfin chargés de marchandises, au bout de sept ou huit jours, ils prirent la route de Barbarie, tanière et spélonque de voleurs sans aveu du Grand-Turc, où étant arrivés il nous exposèrent en vente avec un procès-verbal de notre capture, qu'ils disaient avoir été faite dans un navire espagnol, parce que sans ce mensonge nous aurions été délivrés par le consul que le roi tient dans ce lieu là, pour rendre libre le commerce aux Français.... Les marchands nous vinrent, sur la place, visiter tout de même qu'on fait à l'achat d'un cheval ou d'un bœuf, nous faisant ouvrir la bouche pour voir nos dents, palpant nos côtes, sondant nos plaies, et nous faisant cheminer le pas, trotter et courir, puis lever des fardeaux, et puis lutter pour voir la force d'un chacun et mille autres sortes de brutalités.
«Je fus vendu à un pêcheur qui fut contraint de se défaire bientôt de moi, pour n'avoir rien de si contraire que la mer; et depuis, par le pêcheur à un vieillard, médecin spagirique, souverain tireur de quintessences, homme fort humain et traitable lequel, à ce qu'il me disait, avait travaillé l'espace de cinquante ans à la pierre philosophale. Il m'aimait fort et se plaisait à me discourir de l'alchimie, et puis de sa loi, à laquelle il faisait tous ses efforts pour m'attirer, me promettant force richesses et tout son savoir. Dieu opéra toujours en moi une croyance de délivrance par les assidues prières que je lui faisais, et à la Vierge-Marie, par la seule intercession de laquelle je crois fermement avoir été délivré. L'espérance donc et la ferme croyance que j'avais de vous revoir, Monsieur, me fit être plus attentif à m'instruire du moyen de guérir la gravelle, en quoi je lui voyais journellement faire des merveilles; ce qu'il m'enseigna et même me fit préparer et administrer les ingrédiens.
«Je fus donc avec ce vieillard depuis le mois de septembre 1605 jusqu'au mois d'août 1606, qu'il fut pris et mené au Grand-Sultan, pour travailler pour lui, mais en vain; car il mourut de regret par les chemins. Il me laissa à un sien neveu, vrai anthropomorphite, qui me revendit bientôt après la mort de son oncle... Un renégat de Nice, en Savoie, ennemi de nature, m'acheta et m'emmena en son temar (lisez timar), ainsi s'appelle le bien que l'on tient comme métayer du Grand-Seigneur, car là le peuple n'a rien, tout est au Sultan: le temar de celui-ci était dans la montagne, où le pays est extrêmement chaud et désert. L'une des trois femmes qu'il avait était Grecque chrétienne, mais schismatique; une autre était Turque, qui servit d'instrument à l'immense miséricorde de Dieu pour retirer son mari de l'apostasie, et le remettre au giron de l'Église, et me délivrer de mon esclavage. Curieuse qu'elle était de savoir notre façon de vivre, elle me venait voir tous les jours aux champs, où je fossoyais; et un jour elle me commanda de chanter les louanges de mon Dieu. Le ressouvenir du Quomodò cantabimus in terrâ alienâ des enfants d'Israël, captifs en Babylone, me fit commencer, la larme à l'œil, le psaume Super flumina Babylonis, et puis, le Salve Regina et plusieurs autres choses, en quoi elle prenait tant de plaisir que c'était merveille. Elle ne manqua pas de dire à son mari, le soir, qu'il avait eu tort de quitter sa religion, qu'elle estimait extrêmement bonne, pour un récit que je lui avais fait de notre Dieu, et quelques louanges que j'avais chantées en sa présence: en quoi elle disait avoir ressenti un tel plaisir qu'elle ne croyait point que le paradis de ses pères et celui qu'elle espérait fût si glorieux, ni accompagné de tant de joie, que le contentement qu'elle avait ressenti pendant que je louais mon Dieu; concluant qu'il y avait en cela quelque merveille. Cette femme, comme un autre Caïphe, ou comme l'ânesse de Balaam, fit tant par ses discours que son mari me dit dès le lendemain qu'il ne tenait qu'à une commodité que nous nous sauvassions en France; mais qu'il y donnerait tel remède que dans peu de jours Dieu en serait loué. Ce peu de jours dura dix mois qu'il m'entretint en cette espérance, au bout desquels nous nous sauvâmes avec un petit esquif, et nous rendîmes, le 28 juin 1607, à Aigues-Mortes, et tôt après en Avignon, où M. le vice-légat reçut publiquement le renégat, avec la larme à l'œil et le sanglot au cœur, dans l'église de St-Pierre, à l'honneur de Dieu et édification des assistants[23].»
Cette narration est parfaite à tous égards. Nous y regrettons cependant une lacune, relative à la bonne créature qui fut l'instrument de la délivrance de saint Vincent de Paul. On aimerait à savoir ce qu'elle devint, heureux d'apprendre qu'elle ne demeura point sur la terre infidèle et fut récompensée de sa charité par la grâce de la conversion.
Vincent, après un voyage fait à Rome, sa dévotion satisfaite, revint en France. Arrivé à Paris, il se logea dans le faubourg St-Germain, non loin de l'hôpital de la Charité dont il allait souvent servir et consoler les malades. Dans le même hôtel, habitait un juge du village de Sore, dans le district de Bordeaux. Certain jour que ce juge était sorti, une somme de 400 écus lui fut dérobée. On ne découvrit l'auteur du vol que cinq ou six années après, parce qu'arrêté pour un autre méfait, il avoua son premier crime, en proclamant l'innocence de Vincent de Paul trop injustement accusé. En effet, le juge, exaspéré de sa perte, n'avait pas craint d'accuser le saint prêtre qu'il décriait, par cette calomnie, auprès de toutes ses connaissances et amis. «Le Saint, dit l'hagiographe, se contenta de nier le fait, en ajoutant: «Dieu sait bien la vérité.» Mais, d'ailleurs, il ne lui échappa aucune plainte contre son accusateur.
Après avoir été quelque temps curé de Clichy, Vincent quitta cette paroisse pour se charger de l'éducation des enfants de M. de Gondi, comte de Joigny, général des galères de France. Il était depuis peu dans cette maison quand il fut averti que ce seigneur devait provoquer en duel un de ses ennemis. Suivant l'usage des temps chevaleresques, M. de Gondi voulut entendre la messe avant d'aller se battre. Vincent, ayant quitté l'autel, aborde le comte à la sortie de la chapelle, et lui dit: «Souffrez, monsieur, souffrez que je vous dise un mot en toute humilité. Je sais de bonne part que vous avez dessein d'aller vous battre en duel. Mais je vous dis, de la part de mon Sauveur, que je vous ai montré maintenant et que vous venez d'adorer, que si vous ne quittez ce mauvais dessein, il exercera sa justice sur vous et sur votre postérité.»
Étonné d'abord de ce langage qui ménageait si peu son orgueil, le comte, qui dans le fond du cœur était chrétien, se sentit touché, et en remerciant l'homme de Dieu, déclara renoncer à son coupable projet. Quelque temps après, Vincent donna la mission à Folleville, sur les terres de la famille de Gondi, dans le diocèse d'Amiens, et les résultats furent admirables. Cette même année, de l'aveu de son guide, Bérulle, il quitta la maison du comte de Joigny pour aller desservir la cure de Châtillon-les-Dombes, dans la Bresse. «On ne saurait croire tout le bien que fit cet homme apostolique pendant le court espace de temps (cinq mois) qu'il resta chargé de cette paroisse où, dans l'intérêt des pauvres et des infirmes, il institua une confrérie de charité devenue le modèle de toutes celles qui s'établirent par la suite en France.» Cédant aux instances de la comtesse de Joigny, Vincent de Paul revint dans cette maison vers la fin de 1617; mais à la condition que, chargé seulement de la haute surveillance de l'éducation des enfants, il aurait toute liberté de se livrer à son goût pour les missions, ce qu'il fit dans les diocèses de Sens, Soissons, Beauvais. Pendant les loisirs que lui laissait l'intervalle entre les missions, il eut la pensée de visiter les prisons où les forçats étaient détenus avant de partir pour les ports de mer et fut grandement contristé de ce qu'il trouva: «Il vit, dit un biographe, des malheureux renfermés dans d'obscures et profondes cavernes, mangés de vermine, atténués de langueur et de pauvreté et entièrement négligés pour le corps et pour l'âme.»
Vincent s'occupa avec zèle de l'une et de l'autre. Par les aumônes qu'il recueillit, il améliora fort la situation matérielle des pauvres prisonniers, et, par ses instructions pleines de simplicité et d'onction, il n'aida pas moins au soulagement de leurs maux spirituels. Le changement qui s'opéra chez ces malheureux fut tel qu'il frappa tous les yeux; le comte de Joigny en entretint le roi Louis XIII qui voulut que Vincent de Paul fût établi aumônier général des galères (8 février 1619). Deux années après, Vincent partit incognito pour Marseille afin de s'assurer par lui-même de l'état des forçats sur les galères, et se dérober en même temps aux honneurs qu'on ne pouvait manquer de rendre à sa dignité.
[23] Lettre écrite à M. de Commet (24 juillet 1607).
II
En 1623, à la suite d'une mission, il établit à Mâcon deux Confréries de Charité pour l'assistance des pauvres et des malades, mais non sans grande difficulté d'abord comme on voit par une lettre écrite à mademoiselle Legras qui fut sa principale et zélée auxiliaire dans ses œuvres: «Quand j'établis la Charité à Mâcon, dit-il, chacun se moquait de moi; on me montrait au doigt par les rues, croyant que je n'en pourrais jamais venir à bout; et quand la chose fut faite, chacun fondait en larmes de joie; et les échevins de la ville me faisaient tant d'honneur au départ que, ne le pouvant porter, je fus contraint de partir en cachette, pour éviter cet applaudissement; et c'est là une des charités les mieux établies.»
L'année suivante, il fonda la congrégation des Prêtres de la Mission. «L'on peut dire avec vérité que cette Congrégation a été en son commencement comme le petit grain de sénevé de l'Évangile, qui, étant la moindre entre toutes les semences, devient un arbre sur les branches duquel les oiseaux peuvent se poser.» Ces prêtres furent aussi appelés Lazaristes par suite du don que fit à la compagnie naissante le prieur de Saint-Lazare, Adrien Lebon, de sa maison et de tous ses biens pour concourir à l'instruction et au soulagement, suivant le but de l'institution, des peuples de la campagne. À la première ouverture que Lebon lui fit à ce sujet, Vincent n'en pouvait croire ses oreilles. «J'avais, dit-il, dans une de ses lettres, les sens interdits comme un homme surpris du bruit d'un canon, lorsqu'on le tire proche de lui sans qu'il y pense; il reste comme étourdi de ce coup imprévu et moi, je demeurai sans parole, si étonné d'une telle proposition que lui-même s'en apercevant me dit: Quoi! vous tremblez?»
En effet, dans sa modestie, Vincent était comme épouvanté de la proposition «si fort au-dessus, dit-il, de lui et des prêtres de sa compagnie, qu'il se ferait scrupule d'y penser.» Il fallut deux années au prieur de Saint-Lazare pour triompher des scrupules de Vincent et ce ne fut qu'au mois de janvier 1632 que le vénérable bienfaiteur eut la joie de mettre les Prêtres de la Mission en possession de ses biens. De Lestocq, curé de saint Laurent, écrivait à ce sujet: «Dans les visites que nous avons rendues plus de trente fois, l'espace de plus d'un an, à M. Vincent, nous avons eu mille peines à l'ébranler et à le disposer à accepter Saint-Lazare.» Vincent de Paul avait coutume de répondre à ceux qui le pressaient de profiter de son crédit dans l'intérêt de sa Congrégation: «Pour tous les biens de la terre je ne ferai jamais rien contre Dieu ni contre ma conscience. La compagnie ne périra pas par la pauvreté; je crains plutôt que, si la pauvreté lui manque, elle ne vienne à périr.» Aussi vit-on, certain jour, Vincent de Paul refuser une somme de 600,000 mille francs qu'on lui offrait pour construire une nouvelle église. Il répondit «que les pauvres étaient trop nombreux en ce moment et que les premiers temples que demande Jésus-Christ sont ceux de la charité et de la miséricorde.»
Dès l'année 1634, il avait établi la Congrégation des Filles de Charité, dites aussi sœurs de saint Vincent de Paul. «Ces filles, disait admirablement le saint, n'ont ordinairement pour monastères que les maisons des malades, pour cellule qu'une chambre de louage, pour chapelle que l'église de leur paroisse, pour cloître que les rues de la ville ou les salles des hôpitaux, pour clôture que l'obéissance, pour grille que la crainte de Dieu, et pour voile qu'une sainte et exacte modestie.» «Et cependant, comme dit très-bien la Biographie de Michaud, elles se préservent de la contagion du vice, et font germer partout sous leurs pas la vertu.» Mêlées au monde, elles sont demeurées les fidèles servantes de Dieu et n'ont point jusqu'ici dégénéré de la ferveur de leur première et sainte institution.
Une des dernières fondations de saint Vincent de Paul, et qui n'est pas la moins touchante, fut celle relative aux Enfants-Trouvés dont Abelly nous dit: «On a remarqué qu'il ne se passe aucune année qu'il ne se trouve au moins trois ou quatre cents enfants exposés tant en la ville qu'aux faubourgs; et, selon l'ordre de la police, il appartenait à l'office des commissaires du Chatelet de lever ces enfants... Ils les faisaient porter ci-devant en une maison qu'on appelait la Couche, en la rue Saint-Landry, où ils étaient reçus par une certaine veuve qui y demeurait avec une ou deux servantes, et se chargeait du soin de leur nourriture; mais ne pouvant suffire pour un si grand nombre, ni entretenir des nourrices pour les allaiter ni nourrir et élever ceux qui étaient sevrés, faute d'un revenu suffisant, la plupart de ces pauvres enfants mouraient de langueur en cette maison, ou même les servantes, pour se délivrer de l'importunité de leurs cris, leur faisaient prendre une drogue pour les endormir, qui causait la mort à plusieurs. Ceux qui échappaient à ce danger étaient ou donnés à qui les venait demander, ou vendus à si vil prix, qu'il y en a eu pour lesquels on n'a payé que vingt sous.... Et on a su qu'on en avait acheté pour servir aux mauvais desseins de personnes qui supposaient des enfants dans les familles ou (ce qui fait horreur) pour servir à des opérations magiques et diaboliques.» Saint Vincent, touché de si grandes misères, dans sa tendre compassion, avait recueilli un grand nombre de ces malheureuses victimes du vice et de la misère, placées par lui dans diverses maisons. Tout à coup il apprend que, par des motifs trop longs à développer ici, on voulait abandonner les orphelins. L'homme de Dieu, sous le coup de son émotion, convoque une assemblée générale des dames qui l'aidaient dans ses bonnes œuvres et, après avoir exposé nettement la situation, il conclut en ces termes:
«Or, sus, Mesdames, la charité et la compassion vous ont fait adopter ces petites créatures pour vos enfants; vous avez été leurs mères selon la grâce, depuis que leurs mères selon la nature les ont abandonnées: voyez maintenant si vous voulez aussi les abandonner. Cessez d'être leurs mères pour devenir à présent leurs juges: leur vie et leur mort sont entre vos mains: je m'en vais prendre les voix et les suffrages; il est temps de prononcer leur arrêt et de savoir si vous ne voulez plus avoir de miséricorde pour eux. Ils vivront si vous continuez d'en prendre un charitable soin; et au contraire, ils mourront et périront infailliblement si vous les abandonnez: l'expérience ne permet pas d'en douter.»
À ces mots sortis du plus profond des entrailles et prononcés avec un accent qu'on ne peut rendre, un frémissement parcourt l'assemblée, les sanglots éclatent, des larmes coulent de tous les yeux et il est résolu à l'unanimité que la bonne œuvre sera continuée. Les orphelins étaient sauvés!...
Quelques années après, eut lieu la création du vaste hospice de la Salpêtrière pour lequel la reine, Anne d'Autriche, avait donné l'enclos et la maison de ce nom où plus de cinq mille mendiants furent admis et pourvus de toutes les choses nécessaires à la vie. Combien d'autres et excellentes œuvres dues à l'initiative de cet homme apostolique qui savait si bien concilier le zèle avec la tolérance, ou mieux la charité!
Franchement opposé à la secte janséniste, «il sut, dit un de ses historiens, sans jamais franchir les bornes d'une juste modération, s'arranger si bien qu'il écarta l'erreur de tous les lieux dont la garde était commise à ses soins.»
Saint Vincent de Paul parlait avec une merveilleuse onction, et l'on a vu, par nos citations, comment il écrivait. Collet nous apprend que, de son temps il existait encore plus de sept mille lettres du saint dont il a écrit la vie. Vincent de Paul fut lié avec tous les personnages illustres et vénérables de son temps, saint François de Sales, Olier, le cardinal de Bérulle, Bossuet, etc., Anne d'Autriche qui, veuve de Louis XIII et devenue régente, nomma Vincent président du tribunal de conscience. On sait que l'homme de Dieu avait assisté le roi à son lit de mort (1643).
Saint Vincent de Paul fut longuement éprouvé par la maladie, ainsi que nous l'apprend l'évêque de Rodez: «Pour ne pas ennuyer le lecteur par le récit de toutes les autres maladies que Dieu a envoyées de temps en temps à M. Vincent pour exercer sa vertu, il suffira de dire qu'il y a peu d'infirmités et d'incommodités corporelles qu'il n'ait éprouvées, Dieu l'ayant ainsi voulu afin qu'il fût capable de compatir à celles du prochain.... Mais pour venir à la plus grande et à la plus fâcheuse de toutes les incommodités de M. Vincent, que l'on peut appeler une espèce de martyre, qui a enfin terminé sa vie... il faut savoir qu'il a porté l'incommodité de l'enflure de ses jambes et de ses pieds l'espace de quarante-cinq ans; et elle était quelquefois si forte, qu'il avait grand peine de se soutenir ou de marcher, et d'autres fois, si enflammée et si douloureuse, qu'il était contraint de se tenir au lit... sur la fin de l'année 1659, il fut obligé (à cause de son infirmité), de célébrer en la chapelle de l'infirmerie; mais les jambes lui ayant enfin manqué tout à fait en l'année 1660, qui fut sa dernière, il ne put plus dire la sainte messe, mais il continua de l'entendre jusqu'au jour de son décès quoiqu'il souffrît une peine incroyable pour aller de sa chambre à la chapelle, étant contraint de se servir de potences (béquilles) pour marcher.» Pendant les quatre dernières années de sa vie, par suite de ses infirmités et de l'âge, il ne pouvait plus du tout sortir. Après de cruelles souffrances, supportées avec une admirable résignation, il expira dans la maison de Saint-Lazare, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans, (27 septembre 1660). «Il est mort sans fièvre et sans accident extraordinaire, ayant cessé de vivre par une pure défaillance de la nature, comme une lampe qui s'éteint insensiblement quand l'huile vient à lui manquer... Ayant rendu le dernier soupir, son visage ne changea point, il demeura dans sa douceur et sérénité ordinaire, étant dans sa chaise en la même posture qu'il eût sommeillé.» (abelly). Les grands et le peuple, la cour et la ville, disent les biographes, les magistrats et les religieux versèrent des larmes à la nouvelle de sa mort. Jamais on n'avait entendu un concert si unanime de louanges. Et ce concert il s'est continué jusqu'à nos jours; ce grand homme de bien est vénéré, malgré sa qualité de saint[24], même des incroyants, de ceux tout au moins qui, victimes de l'erreur, auraient honte de l'injustice et de la grossière impiété.
Une anecdote encore avant de terminer. Ce ne fut point sans effort que notre Saint arriva à ce haut degré de vertu, témoin ce qu'il racontait lui-même: «Je m'aperçus, dit-il, en m'examinant, d'une certaine rudesse et brusquerie de manières surtout avec les grands du monde et je sentis qu'il y avait nécessité d'y apporter remède. Je m'adressai alors à Notre-Seigneur et je le priai instamment de me changer cette humeur sèche et rebutante et de me donner un esprit doux et bénin.»
Le Saint fut exaucé et sut dès lors si bien veiller sur lui-même que sa douceur et son affabilité passèrent en commun proverbe[25].
Saint Vincent de Paul, au reste, ne recommandait rien tant que la douceur «étant, dit Abelly, comme la fleur de cette divine vertu de charité, qui relève d'autant plus par son excellence qu'il y a plus de difficulté à réprimer les saillies de la nature qui se couvre souvent du manteau du zèle pour se laisser aller plus librement aux emportements de ses passions.
«Il tenait encore pour une autre maxime de cette vertu, de ne contester jamais contre personne, non pas même contre ceux qu'on était obligé de reprendre; mais il voulait qu'on se servît toujours de paroles douces et affables, selon que la prudence et la charité le requéraient. Par ce même principe, il défendait aux siens d'entrer en des altercations ou aigreurs quand il était question de conférer avec les hérétiques, parce qu'on les gagne bien plutôt par une douce et amiable remontrance: «Quand on dispute, disait-il, contre quelqu'un, la contestation dont on use en son endroit lui fait bien voir qu'on veut emporter le dessus; c'est pourquoi il se prépare à la résistance plutôt qu'à la reconnaissance de la vérité: de sorte que, par ce débat, au lieu de faire quelque ouverture à son esprit, on ferme ordinairement la porte de son cœur; comme au contraire la douceur et l'affabilité le lui ouvrent. Nous avons sur cela un bel exemple en la personne du bien-heureux François de Sales, lequel, quoiqu'il fût très-savant dans les controverses, convertissait néanmoins les hérétiques plutôt par sa douceur que par sa doctrine.»
«.... Il faisait néanmoins une grande différence entre la véritable vertu de douceur et celle qui n'en a que l'apparence; car la fausse douceur est molle, lâche, indulgente; mais la véritable douceur n'est point opposée à la fermeté dans le bien, à laquelle même elle est plutôt toujours conjointe par cette connexion qui se trouve entre les vraies vertus; et à ce sujet, il disait: «Qu'il n'y avait point de personnes plus constantes et plus fermes dans le bien que ceux qui sont doux et débonnaires; comme au contraire ceux qui se laissent emporter à la colère et aux passions de l'appétit irascible sont ordinairement fort inconstants parce qu'ils n'agissent que par boutades et par emportements; ce sont comme des torrents qui n'ont de la force et de l'impétuosité que dans leurs débordements, lesquels tarissent aussitôt qu'ils sont écoulés; au lieu que les rivières, qui représentent les personnes débonnaires, vont sans bruit, avec tranquillité, et ne tarissent jamais.»
L'église de saint Vincent de Paul, élevée, il y a peu d'années, rue La Fayette, comme monument, ne manque pas de grandeur. Elle est ornée à l'intérieur de fresques en harmonie avec l'architecture, et qui sont dignes du pinceau de cet illustre maître, Hippolyte Flandrin. Dans l'église ou chapelle des Lazaristes (rue de Sèvres, 93), dédiée pareillement à saint Vincent de Paul, se voit, dans une châsse vitrée, le corps tout entier du Saint, précieuse relique, exposée plus particulièrement, certains jours, à la vénération des fidèles dont le concours est merveilleux.
[24] Il fut canonisé, en 1737, par Clément XIII qui fixa sa fête au 19 juillet.
[25] Il existe plusieurs Vies de saint Vincent de Paul. La dernière et la plus complète, dit-on, est celle de M. l'abbé Meynard en 4 volumes. (Bray et Retaux éditeurs).
LES VIEILLES RUES
ET LES AUTRES.
LE VIEUX PARIS
Beaucoup de rues nouvelles, bâties si vite, s'improvisent en quelque sorte, ce qui fait qu'on les désigne d'une façon assez arbitraire, et le plus souvent comme le plus facilement, par un nom propre. Il n'en était point ainsi autrefois alors que, dans la ville ou les faubourgs, les maisons, s'élevant successivement et lentement, finissaient, comme au village, par former une rue après un laps de temps plus ou moins long. La dénomination sortait de la nature même des choses, et presque toujours originale et pittoresque, tellement que d'habitude le nom adopté par le populaire se conservait par la tradition seule de longues années, des siècles; car ce n'est qu'en 1728, qu'on a commencé à placer des inscriptions à l'entrée des rues pour rappeler leur nom. Les origines de nos anciennes voies sont donc pour la plupart curieuses et singulières; «elles proviennent, dit très bien Saint Victor, ou du nom de quelque personnage distingué qui y possédait une maison remarquable, ou de quelque enseigne singulière qui avait frappé les yeux du peuple, ou de quelque évènement extraordinaire qui y était arrivé. Plusieurs devaient leur titre à leur malpropreté habituelle, d'autres aux vols et assassinats qui s'y commettaient; quelques-unes enfin ont des noms dont l'origine et le sens sont entièrement inconnus.[26]» Afin d'ajouter à l'intérêt de ces récits historiques, nous nous proposons de faire connaître les dites origines aussi bien que les souvenirs qui s'y rattachent. Grâce à tant d'épisodes, d'anecdotes, de détails variés, et souvent presque inédits, cette Seconde Partie de notre travail n'offrira pas moins d'attrait, nous osons l'espérer, que la Première composée de biographies développées.
Mais avant de commencer, afin que rien ne soit perdu pour le lecteur, il nous semble utile de résumer en quelques pages les récits des historiens[27], formant souvent d'énormes volumes, et relatifs aux origines du vieux Paris lui-même.
Les origines de cette ville, pour nous servir d'une expression banale mais forcée, se perdent dans la nuit des temps. Vers l'an 54 avant Jésus-Christ, on voit ses habitants, membres de la tribu gauloise des Parisii, combattre courageusement les Romains qui voulaient les soumettre; mais après avoir repoussé Labiénus, lieutenant de César, ils furent vaincus par celui-ci qui s'empara de l'île où s'élevait Lutèce (Lutetia); car tel était le nom que portait alors la cité; «nom que les uns dérivent de lutum, boue, argile, parce que le territoire de cette ville était marécageux, dit M. Louvet, et auquel d'autres trouvent une origine celtique, en sorte qu'il signifierait ville entourée d'eau, ou encore île du Corbeau.»
Quoiqu'il en soit, César, pour s'assurer de sa conquête, la fit entourer de murailles et deux tours ou forteresses s'élevèrent à la tête des ponts de bois jetés sur le fleuve à l'endroit où se trouvent aujourd'hui le Petit-Pont et le Pont-au-Change. Dès lors, Lutèce devint la résidence des gouverneurs romains dans les Gaules. On sait qu'elle était particulièrement chère à Julien, qui y reçut le titre d'auguste. Vers l'an 245[28], saint Denis vint y prêcher l'Évangile avec ses compagnons et leur martyre prépara le triomphe de la foi.
Chilpéric Ier, roi des Francs, eut la gloire de chasser les Romains de Paris qui devint sous Clovis, son fils et son successeur, la capitale du royaume. Probablement c'est alors que la cité échangea son nom ancien de Lutèce contre celui de Paris, Parisius, dit saint Grégoire de Tours. Ce nom lui vient selon toute apparence de ses premiers habitants les Parisii, cette origine paraît beaucoup plus vraisemblable que l'opinion, chère à nos vieux auteurs pourtant, qui, par une tradition fabuleuse sans nul doute, fait descendre la famille royale des Francs et les fondateurs de Paris des Troyens et du fils de Priam.
Les princes mérovingiens témoignèrent tous d'une grande prédilection pour Paris, leur capitale; il n'en fut pas de même des Carlovingiens qui n'y résidèrent que par intervalles. Sous les descendants dégénérés de Charlemagne, on sait que la ville fut plus d'une fois exposée aux ravages des barbares du Nord, dits Normands, et le siége qu'elle soutint contre eux, au temps d'Eudes et de l'évêque Gozlin, est célèbre. Hugues Capet, le fondateur de la 3e dynastie, s'établit de nouveau à Paris qui n'a plus cessé d'être la capitale du royaume. Déjà la ville commençait à s'étendre sur les deux côtés du fleuve, aussi Philippe Auguste ordonna la construction d'un nouveau mur d'enceinte qui, partant du Louvre, s'arrêtait au quai des Ormes et des Célestins, en passant par la rue St-Honoré, la pointe Ste-Eustache, la place Baudoyer, etc.
Une quatrième enceinte s'éleva au temps où Marcel était prévôt des marchands (1356). La ville s'agrandit encore ce qu'elle ne cessa de faire, au point qu'il fallait constamment reculer les fortifications, tantôt d'un côté tantôt d'un autre, tantôt au nord, tantôt au midi. Car Paris, si rudement éprouvé pendant les guerres religieuses du 16e siècle, resta ville de guerre jusqu'au règne de Louis XIV qui fit abattre les murailles, combler et planter d'arbres les fossés changés en boulevards pour la promenade[29]. La ville alors put s'étendre en toute liberté. La Révolution fut un temps d'arrêt pour ce mouvement d'expansion, les travaux s'étant ralentis ou même arrêtés alors que, sous ce régime abominable autant qu'inepte de la Terreur, la richesse, l'apparence même de la fortune devenait un crime. Le calme rétabli, Napoléon, consul et surtout empereur, se préoccupa constamment de l'agrandissement et de l'embellissement de Paris qui lui dut de nombreux monuments, la Bourse, la colonne de la Place Vendôme, les ponts d'Austerlitz, d'Iéna, des Arts, etc.
Sous la Restauration comme pendant le règne de Louis Philippe, d'importants travaux s'exécutèrent à Paris qui cependant gardait toujours un peu, dans certains quartiers surtout, la Cité, la rue St-Jacques, le faubourg St-Germain, etc., sa vieille physionomie qu'il perd tous les jours davantage depuis les dernières et colossales entreprises qui font de la ville entière un vaste chantier de démolition et de construction. On ne saurait nier assurément que la ville y gagne au point de vue de l'hygiène et que beaucoup de ces grands travaux n'aient leur utilité, ne fussent même d'une absolue nécessité; il est permis toutefois de regretter qu'on ait voulu tout faire à la fois et en outre que les plans généralement adoptés semblent avoir pour résultat de donner à la grande capitale, remarquable naguère par ses aspects variés et pittoresques, un caractère monotone d'uniformité. Qu'y a-t-il pour le rêve et la poésie dans l'interminable rue Lafayette, aux maisons ennuyeusement pareilles, ou dans l'éternel boulevard Haussmann[30]?
Faut-il répéter, après bien d'autres, que dans toutes ces habitations nouvelles, luxueuses en dépit de l'architecture banale, il n'y a place que pour les riches et même richissimes et que, nous ne dirons pas les pauvres gens, mais les gens modestes, lettrés, artistes et autres, ne trouvent plus à se loger. À cela on répond que les dites demeures royales et princières ne sont mie faites pour eux, pas plus que les cages dorées, enluminées, sculptées pour les vulgaires pierrots. Fort bien alors, mais c'est les forcer à percher sur les arbres et pignons, ce qui n'est guère commode et récréatif en hiver, outre que dame Police ne le tolère point.
Un mot encore avant de terminer. Voici des Parisiens et Parisiennes un assez joli portrait que Sauval traçait, il y a longtemps déjà[31], et qui aujourd'hui encore ne manque ni de vérité, ni d'actualité: «Les Parisiens sont bons, dociles, fort civils, aiment les plaisirs, la bonne chère, le changement de modes, d'habits, d'affaires.... Les gens riches et qualifiés se traitent et s'habillent aussi magnifiquement qu'ils se logent... Les dames de qualité et les riches n'y font rien que jouer, se promener, faire des visites, aller au bal et à la comédie; elles sont si superbement vêtues qu'elles dépensent en gants, en passementeries et autres galanteries plus que des princesses étrangères en toute leur maison. Les Grands en un mot (les Riches), hommes et femmes, font tant d'excès que leur revenu, quelque prodigieux qu'il soit, n'y pouvant suffire, ils dissipent en peu d'années ce que leurs pères, durant toute leur vie, ont eu bien de la peine à amasser.»
[26] Saint-Victor: Tableau historique et pittoresque de Paris; 3 vol. in-4º ou 8 vol. in-8º, 2e édit. 1822.
[27] Corrozet, Sauval, Félibien et Lobineau, l'abbé Lebœuf, Jaillot, Ste-Foix, St-Victor, Piganiol de la Force, etc.
[28] D'après une ancienne tradition, dès le premier siècle de l'ère chrétienne, et au temps des apôtres mêmes.
[29] Est-il besoin de rappeler qu'en 1840, grâce à M. Thiers, les fortifications ont été relevées et plus formidables?
[30] Nous écrivions cette introduction avant les derniers évènements.
[31] Sauval est mort en 1670. Son livre, en 3 volumes in-fº, a pour titre: Recherches des Antiquités de la ville de Paris.
APRÈS LES DEUX SIÈGES (1870-1871)
I
Le chapitre qu'on vient de lire était écrit, on le comprend, depuis assez longtemps déjà, car notre livre allait être mis sous presse quand éclata la guerre (juillet 1870). Au lendemain de l'armistice, nous écrivions:
Ce paragraphe, qui nous avait paru si curieux à reproduire naguère, a singulièrement perdu de son actualité et de son piquant aujourd'hui. Dans Paris assiégé, dans Paris ville de guerre, plus de bourgeois passionnés du luxe et du bien-être, plus de négociants et de banquiers ne songeant qu'à la Bourse et aux affaires, mais des milliers et des milliers de braves soldats, ardents à l'exercice et soucieux seulement de bonnes armes, afin de pouvoir faire hardiment face à l'ennemi. Les Parisiennes, elles aussi, ne se préoccupent plus, oh! plus du tout, de la toilette, mais des graves devoirs de la mère de famille et des soins de la ménagère, et simplement vêtues, courent dès le matin au marché à moins qu'elles ne s'empressent pour aider ou suppléer au besoin la sœur de charité dans les ambulances.
C'est donc en toute vérité qu'un éminent académicien auquel cette fois on ne peut qu'applaudir, disait récemment dans une conférence au profit des blessés: «Je ne vous dirai pas, comme on le répète trop, que vous êtes sublimes, que vous emportez l'admiration du monde; non! Je vous dirai simplement, ce qui est bien plus fort, selon moi, que vous êtes redevenus honnêtes! Avec l'honnêteté a reparu un mot que je n'ai pas entendu vingt fois en vingt ans sur les boulevards, et que je trouve maintenant sur toutes les bouches; c'est le mot devoir. Vous rencontrez un ami qui revient du rempart, fatigué, blêmi; vous le plaignez: «Que voulez-vous,» mon cher, vous répond-il, il faut faire son devoir.»
«.... Brave et cher Paris! je m'étonne toujours d'entendre dire qu'il est triste d'aspect! Paris triste! Je ne l'ai jamais trouvé si beau! Oui, ce Paris cerné, bloqué, bastionné, sans chemins de fer, sans spectacles, sans gaz, et se découronnant par ses propres mains des forêts qui l'environnent comme une veuve qui coupe sa chevelure en signe de deuil, ce Paris me semble mille fois plus brillant que dans ses beaux jours de fête!... Que dis-je? plus brillant même que dans ces incomparables mois de l'Exposition universelle, où il donnait une hospitalité si loyale et si cordiale à ceux qui l'égorgent aujourd'hui. Car Paris alors n'exposait que son génie; aujourd'hui, il expose aux yeux du monde quelque chose qui vaut mille fois plus que toutes les merveilles de l'industrie, de la science et de l'art: son âme.»
Un confrère de M. E. Legouvé, M. Vitet, auquel nous devons tant de beaux travaux sur l'art, faisant trêve à ses chères études, a écrit aussi sur Paris assiégé des pages éloquentes dont nous détachons avec bonheur ce fragment: «... En attendant et quoi qu'on fasse, je demande à Paris de reprendre au plus vite cette mâle attitude qui pendant six semaines lui a fait tant d'honneur.... Laissons-là ces idées d'atermoiements, de suspension de siége, d'armistice et d'accommodement; pensons à la défense et ne pensons qu'à elle.
«Ne rêvez plus théâtres rouverts, promenades, voyages, libres correspondances; ne laissez pas votre imagination savourer ces fruits défendus; parcourez le rempart, et, du dehors surtout, regardez cette ville à l'aspect si nouveau, si désolé, si nu, si grandiose et si fier. Regardez cet immense espace qui vous sépare des bastions, puis, en levant la tête, ces longues files horizontales qui vous transportent en idée au fond des grandes landes ou devant les dunes de la mer.
«Il y a des gens à qui ce spectacle, ces audacieux travaux et ces canons montrant leur gueule aux échancrures des tertres de gazon, causent une sorte de serrement de cœur; qui en détournent les yeux, ne pensant qu'aux douleurs et aux larmes dont ils ont devant eux le triste avertissement. Sans me croire insensible, je confesse que chez moi le premier mouvement devant ce Paris transfiguré est une sorte de satisfaction intérieure que tout cela soit comme sorti de terre, si promptement, si noblement, sous les yeux et avec le concours de cette population frivole et généreuse. Tout n'est donc pas perdu, puisque de tels élans partent encore de nous! Aussi, quand il m'arrive de penser que peut-être nos maux auront un terme, et qu'on pourrait encore s'occuper quelque jour des embellissements de Paris, le premier que je rêve est de lui maintenir sa couronne guerrière, ses ponts-levis, ses cavaliers et ses glacis immenses qui l'isolent et lui forment un si beau piédestal. Cette parure lui sied, je veux qu'il la conserve.»
Nous sommes pleinement de l'avis de M. Vitet.
Ce qui rend mémorable à toujours cet effort prodigieux du patriotisme, même non couronné par la victoire suprême, ce sont les épreuves que Paris, le Paris des fêtes et des plaisirs et des jouissances (trop, hélas! mais noblement expiées) a dû subir et qui, chose singulière! semblent avoir échappé aux prévisions des écrivains cités par nous. Faut-il parler de ces citadins habitués, routinés, si l'on me permet le mot, aux délices de Capoue et, du jour au lendemain, condamnés aux plus rudes exercices de la vie militaire, aux veilles de nuit sur le rempart par la pluie, le vent, la neige, le froid (et quel froid!), et plus tard à l'entrée en campagne par la saison la plus rigoureuse, quand le gel fait que le fusil vous brûle presque les mains! Dirons-nous les privations en tout genre et pour beaucoup si pénibles! Plus de lait, plus d'œufs, plus de légumes frais quand les autres vont s'épuisant tous les jours comme la viande de cheval, d'ânon, de mulet; quand la volaille devient un mythe, les gourmets ayant peine même à prix d'or[32] à se procurer un chat maigre ou quelque rat d'égoût. Pouvons-nous oublier les pauvres femmes, souvent si délicates, et dans l'intérêt du ménage, par le temps le plus rude, pour obtenir un morceau de viande, ou leur part de pommes de terre, se résignant à faire queue de longues heures, des nuits entières parfois! Faction qui valait celle du rempart et, s'il faut le dire même, tout autrement pénible souvent!
Aussi M. Cochin n'avait pas tort d'écrire dans le Français (13 décembre 1870): «C'est encore un beau spectacle, un bon résultat, qui fait honneur aux femmes plus qu'aux hommes, car ce mot que me disait un jour un pauvre enfant est toujours vrai:
«Que fait ta maman?
«—Elle fait la soupe.
«—Et ton papa?
«—Il la mange.
«Celles qui font la soupe ont en ce moment une admirable vertu.» Assurément. Toutes ces cruelles misères d'ailleurs, dont les écrivains en question ne semblaient point s'être douté, elles ont été supportées bravement, courageusement, gaîment même, non pas quelques semaines, mais des mois et de longs mois.
[32] Quelques chiffres seulement. Un poulet ordinaire se vendait de 30 à 40 francs, un lapin idem; une oie ou une dinde 90 et 100 francs, la livre de beurre 36 francs, un œuf 2 fr. 50 et 3 francs (etc.). Quand tant d'autres faisaient preuve d'un si généreux patriotisme, il faut bien reconnaître que Messieurs les marchands de comestibles songeaient surtout à faire leurs affaires en spéculant sur notre détresse!
II
Voilà donc ce que nous écrivions au lendemain du siége de Paris dont, sans faire précisément l'histoire, nous racontions quelques épisodes glorieux en les faisant suivre de considérations ou restrictions. Celles-ci étaient relatives au caractère trop humain des vertus mêmes que nous avions eu plaisir à louer; après M. Vitet, nous regrettions que l'immense majorité, dans cette grande et noble ville, au milieu de circonstances si graves, continuât de témoigner de sa profonde insouciance au point de vue religieux, et, dans ce péril suprême, au lieu d'invoquer l'intervention de Celui qui peut tout, parût s'étonner, s'indigner qu'on essayât de la rappeler à son devoir en l'invitant à lever ses mains vers le ciel. Nous déplorions la tolérance coupable du gouvernement comme de la population en face de scandales d'impiété qui auraient dû soulever l'indignation générale; nous étions comme forcé d'attribuer le malheur de la défaite à cette demi-complicité comme à l'orgueil insensé qui avait fait qu'en s'exaltant dans la confiance exagérée de sa force, on n'avait jamais paru compter (au moins le grand nombre) que sur soi-même et sur son courage aidé de bonnes armes, chassepots et canons. Dans cette capitulation nouvelle et dernière, hélas! qui avait été pour nous comme pour tout bon Français une humiliation profonde et une si poignante douleur, il nous était difficile de ne pas voir un châtiment, châtiment pour la France comme pour Paris.
Mais combien nous étions loin de prévoir que, pour celle-ci, pour la cité reine, ce n'était qu'un avant-goût, et comme un léger essai, une sorte d'avertissement des justices d'en haut, avertissement qui, dédaigné bien loin d'être compris, (témoin les élections attestant, bientôt après, une aberration si prodigieuse et de si furieux instincts de désordre,) allait attirer sur nous, par l'insurrection du 18 mars, un tel déluge de calamités! On sait le reste et la folie furieuse de cette tyrannie jacobine, socialiste, athée qui, pendant deux mois, a tenu la France en échec et Paris dans un si rude esclavage en pillant les caisses publiques, emprisonnant les prêtres et les notables, profanant et dévastant les églises, forçant, sous peine de mort, les citoyens à combattre pour une cause à leurs yeux exécrable et maudite. Puis, quand enfin cette abominable cause semble définitivement perdue, ces scélérats, les pires de tous, se vengent par des crimes sans nom, par l'assassinat de sang-froid d'un archevêque, de prêtres vénérables, de courageux magistrats, de pauvres soldats désarmés! Ils se vengent, les infâmes, avec le concours des galériens et autres, par l'incendie allumé sur tous les points de la capitale et par des moyens, comme avec un ensemble qui annonce une satanique préméditation. Les paroles manquent pour qualifier de tels forfaits qui rendront infâmes à jamais ces noms de Commune, Communeux, Internationale, et, il faut bien le dire, font maudire par la France, par l'Europe entière, ceux qui servent d'instruments toujours dociles aux sectaires et révolutionnaires, j'entends les Parisiens! Mais nous Parisien, et vraiment natif de la grande cité, chose assez rare parmi ceux qui l'habitent, nous croyons qu'à cela, il y a manque de réflexion comme de justice et nous sommes heureux de voir que nous ne sommes pas seul de notre avis et que d'autres aussi protestent. Nous ne pouvons qu'applaudir du cœur et des mains au langage de M. Victor Cochinat, quand il dit dans la Petite Presse (juin 1871):
«Parmi les soixante mille insurgés qui ont été tués ou faits prisonniers il n'y a pas six mille Parisiens réels. La plus grande partie de ces routiers sont venus de l'étranger ou sont nés, hélas! dans nos départements.
«Ce fait nous a été affirmé à Versailles, par un militaire de grande compétence, sous les yeux duquel passent presque tous les fédérés qu'on dirige vers nos ports.
«Oui, tous ces révoltés de l'ordre social sont en majorité de nationalité étrangère, et—chose ennuyeuse à dire—c'est parmi les irréguliers nés dans les départements que le Comité central a recruté la partie la plus énergique de sa triste armée.
⁂
«Ce renseignement nous a soulagé, car enfin il était pénible de penser que la ville aux mœurs si douces, cette patrie de l'élégance et de la politesse fût le nid de tant de voleurs et de pétroleurs!
«Aussi, comme à l'avenir le gouvernement devra veiller sur tous ces aventuriers, ces bohêmes et ces vagabonds qui viennent à Paris de tous les coins de l'horizon!
«Ce sont eux qui forment les légions des guerres civiles, et qui se montrent les exécuteurs les plus dociles et en même temps les plus farouches des ordres de leurs exécrables chefs!
«Ils se soucient bien de Paris, de sa beauté, de ses richesses et de ces monuments qui font sa grandeur! Ils sont étrangers! Pour gagner le salaire avilissant que les chefs de l'Internationale leur envoient sous forme d'assistance, ils seront toujours prêts à porter le fer et le feu dans la cité où ils se sont abattus.
⁂
«Singulière injustice!
«Nous entendons toujours les étrangers et les provinciaux murmurer et crier contre les Parisiens. Ce sont les Parisiens qui font tout le mal; ce sont eux qui troublent le repos public en France et en Europe!
«Maudits Parisiens! Sans eux tout serait tranquille, et les campagnards vendraient leurs denrées à des prix fabuleux... Or, quels sont ceux qui font les révolutions à Paris? quels sont les émeutiers de profession? Ce sont les étrangers, ou bien des gens nés hors Paris.
«Il faut être juste aussi et ne pas toujours mettre sur le compte des Parisiens les mauvaises actions des aventuriers du monde!
«M. Thiers a fort bien expliqué la cause de cette injustice dans le discours qu'il fit à Bordeaux à propos de l'installation de l'Assemblée à Versailles.
«—Paris ne fait pas les révolutions, a dit l'habile orateur, il est le lieu où on vient les faire.»
Après ces réflexions et observations qu'il nous a paru préférable de ne point renvoyer aux Varia, venons à l'historique des rues vieilles et nouvelles.
A
Abattoir (rue de l'): Elle porte ce nom parce qu'elle se dirige vers l'abattoir Montmartre.
Abbaye (rue de): Ce nom vient de l'ancienne abbaye de St-Germain des Prés dont l'église actuelle n'était qu'une dépendance.
Acacias (rue des): À Neuilly se trouvent non-seulement une rue mais un passage et une impasse qui portent ce nom. Aussi, nulle part ailleurs aux environs de Paris, ces beaux arbres, importés d'Afrique, ne se voient en plus grand nombre. À l'époque de la floraison, tout chargés et constellés de ces longues grappes blanches qui répandent dans l'air un parfum délicieux, ils offrent à l'œil un ravissant spectacle. Aux premiers rayons du soleil et par une belle matinée, se promener dans les allées des Sablons est un plaisir que, je ne dis pas le citadin, mais l'habitant des villas d'alentour n'apprécie pas autant qu'il le devrait.
Il y a une rue des Acacias à Montmartre et un passage de ce nom à Vaugirard.
Adam, (rue): Adam Billaut, dit maître Adam, le poète menuisier de Nevers, mort en 1662. «Maître Adam, dit Feller, était contemporain de Malherbe; mais loin de vivre comme lui dans le monde lettré ou au milieu de la cour, un travail pénible et grossier prenait tous ses instants. Néanmoins dans ses beaux morceaux, dans ceux où il est poète par le cœur. Maître Adam est peut-être plus correct que Malherbe et l'inspiration lui révèle tout à coup des secrets d'harmonie qu'une étude laborieuse apprenait lentement au rival de Ronsard.»
La première édition des poésies d'Adam Billaut parut en 1644: En tête du volume se lisait un sonnet à la louange du poète menuisier et signé de ce grand nom: Pierre Corneille. Citons seulement les deux tercets:
Nous savons, dirent-ils[33], le pouvoir d'un métier;
Il sera fameux poète et fameux menuisier,
Afin qu'un peu de bien suive beaucoup d'estime.
À ce nouveau parti l'âme les prit au mot,
Et, s'assurant bien plus au rabot qu'à la rime,
Elle entra dans le corps de maître Adam Billaut.
Affre (rue): Un monument, dans l'église Notre-Dame, a été élevé à la mémoire de ce prélat dont l'histoire comme la poésie se sont plu à glorifier l'héroïque dévouement, lors des journées de juin 1848. Est-il besoin de rappeler que, victime ou plutôt martyr de son zèle, il tomba mortellement atteint d'une balle en franchissant une barricade, alors que, pour mettre fin à la guerre civile, il portait des paroles de paix aux insurgés du faubourg St-Antoine? Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis! Cette sainte parole du divin Maître s'applique admirablement au disciple, Denis Auguste Affre.
Aguesseau (rue d'): François d'Aguesseau, chancelier de France, ne à Limoges en 1668, mort en 1751. Cet illustre magistrat se distinguait par la fermeté du caractère, la gravité des mœurs, la haute intelligence unie à une science profonde. Sa vertu toutefois n'était pas exempte de quelque alliage, et d'après son dernier historien, M. Marc Monnier, ce chrétien des anciens jours ne savait pas assez se défendre des préjugés de son Ordre et de certaines tendances gallicanes, jansénistes (etc).
Aiguillerie (rue de l'): Ce nom lui vient des marchands d'aiguilles qui y demeuraient. Lebœuf et Robert ont cru reconnaître dans cette rue celle que Guillot appelle: Rue à petits souliers de Bazenne.
Alembert (rue d'):.... «M. d'Alembert, écrivait Ducis, qui a vécu si agité et si tourmenté, repose maintenant peut-être à côté de quelque porteur d'eau qui a supporté sa condition avec patience et par caractère était cent fois plus philosophe que lui.»
On connaît les vers de Gilbert:
Et ce froid d'Alembert, chancelier du Parnasse,
Qui se croît un grand homme et fit une préface.
Alain Chartier (rue): Le poète Alain Chartier, né en 1386, mourut en 1458; il ne faut pas le confondre avec Jean Chartier auteur d'une Histoire de Charles VII, écrite un peu trop sans doute sur le ton du panégyrique, mais qui d'ailleurs offre des détails intéressants. Le défaut de critique est compensé, dans une certaine mesure, par le charme de la narration, les agréments du style et des portraits bien touchés.
Aligre (rue d'): Étienne d'Aligre (1560-1635) fut chancelier de France aussi bien que son fils né en 1592 et mort en 1677. Le dernier descendant de cette famille, le marquis d'Aligre, né en 1770, mort en 1847, en laissant une immense fortune, dut aux millions qu'il avait su acquérir, dans ce siècle positif, une sorte de célébrité. Mais qui maintenant songe à ce défunt Crésus, non pas même peut-être ceux qui jouissent de ses trésors?
Ambroise Paré (rue): Né en 1517, mort en 1590, ce célèbre praticien, dont le zèle égalait la science, et qui fut cher au roi Henri II comme à ses trois fils, doit être regardé comme le Père de la chirurgie en France. Il a laissé de nombreux écrits qui prouvent que chez lui la théorie savante se déduisait de l'expérimentation et de la pratique.
Amélie (rue): Cette rue n'est point très ancienne. Elle s'appelait autrefois Rue Projetée, nom qu'en 1824, par suite d'une décision du ministre de l'intérieur, elle échangea contre celui qu'elle porte actuellement en souvenir de Mlle Amélie, fille de M. Pihan de la Forest, l'un des principaux propriétaires riverains. Cette jeune personne, morte à l'âge de 15 ans, avait été, dans sa courte existence, un modèle accompli des plus touchantes vertus.
Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses!
Mais n'était-ce pas plutôt un lys, et le plus beau de tous, que cette céleste enfant, cette sœur des anges, à qui sa robe d'innocence servit de linceul et qui laissait après elle un tel parfum de piété et de sainteté?
Amelot (rue): Amelot, ministre du roi Louis XVI, est mort dans la prison du Luxembourg en 1794. Est-ce lui qui a donné son nom à la rue et non pas plutôt cet Amelot dont La Bruyère nous a laissé le portrait et qui demeurait rue Vieille du Temple: «Un bourgeois (Amelot) aime les bâtiments; il se fait bâtir un hôtel si beau, si riche et si orné qu'il est inhabitable: le maître honteux de s'y loger, ne pouvant peut-être se résoudre à le louer à un prince ou à un homme d'affaires, se retire au galetas où il achève sa vie pendant que l'enfilade et les planchers de rapport sont en proie aux Anglais et aux Allemands qui voyagent et qui viennent là du Palais-Royal, du palais Lesdiguières et du Luxembourg. On heurte sans fin à cette belle porte: tous demandent à voir la maison et personne à voir Monsieur.»
Anglais (rue des):
Et parmi la rue aux Anglais
Vins à grand feste et à grand glais (bruit)
[34].
Ce nom lui vient, selon toute apparence, du long séjour que les Anglais firent en France, au temps de Charles VI et de Charles VII (1415 à 1450). De là, suivant les vieux auteurs, le proverbe: «Il y a des Anglais dans cette rue, pour dire: je dois de l'argent à quelqu'un de ceux qui y demeurent, je n'y veux pas passer.» «Car enfin, ajoute Sauval, l'église de Notre-Dame, ni la Bastille et quelques autres édifices semblables ne sont point d'eux; ils n'ont rien fait ici ni par toute la France, qu'entasser ruines sur ruines. J'en excepte le duc de Bedfort, car celui-là prenait plaisir à agrandir ses palais et à les rendre plus logeables; pour les autres, ils n'ont eu autre soin que de s'enrichir de la dépouille des Parisiens.»
L'opinion de Sauval, quant à l'origine de cette rue, adoptée par le plus grand nombre des auteurs et qui a pour elle la vraisemblance, est néanmoins contredite par le savant Jaillot: «Cette opinion, dit-il, ne me paraît pas admissible, la rue des Anglais étant ainsi nommée plus de deux siècles avant le règne de Charles VI. N'est-il pas plus vraisemblable d'en attribuer l'origine aux Anglais que la célébrité de notre Université engagea de venir s'instruire à Paris, et dont le nombre était si grand dès les commencements qu'ils formèrent une des quatre Nations qui composaient ce corps, à laquelle on a depuis donné le nom de Nation d'Allemagne, au lieu de celui d'Angleterre qu'elle portait auparavant et qu'elle n'a gardé que jusque en 1436, époque à laquelle on ne la retrouve plus sur les registres de l'Université[35].»
Quoiqu'on dise Jaillot, la première opinion me paraît préférable.
Anglade (rue de l'): Nom d'un propriétaire de l'un des terrains sur lequel s'ouvrit la rue.
Sainte-Anne (rue). (Quartier du Palais-Royal): Ce nom lui fut donné en l'honneur d'Anne d'Autriche, femme de Louis XIII «qui, dit un contemporain[36] n'aima point la reine autant qu'elle le méritait; car il courut toute sa vie après des bêtes ou se laissa gouverner par des favoris.»
Quel séduisant portrait cependant l'historien, qui peint d'après nature, nous fait de la princesse! «Grande et bien faite, elle a une mine douce qui ne manque jamais d'inspirer l'amour et le respect... Ses yeux sont parfaitement beaux, le doux et le grave s'y mêlent agréablement.... Sa bouche est petite et vermeille, et la nature lui a été libérale de toutes les grâces dont elle avait besoin. Par un de ses sourires elle peut acquérir mille cœurs. Ses cheveux sont beaux et leur couleur châtain-clair; elle en a beaucoup. Ses mains qui ont reçu des louanges de toute l'Europe, qui sont faites pour le plaisir des yeux, pour porter un sceptre et pour être admirées, joignent l'adresse avec une extrême blancheur... Elle n'est pas esclave de la mode, mais elle s'habille bien.
«La nature lui a donné de belles inclinations; ses sentiments sont tous nobles: elle a l'âme pleine de douceur et de fermeté. Dans sa plus grande jeunesse, elle a donné des marques de dévotion et de charité... Les vertus avec les années se sont fortifiées en elle, et nous la voyons sans relâche prier et donner... La vertu de la reine est solide et sans façon; elle est modeste sans être choquée de l'innocente gaîté et son exemplaire pureté pourrait servir d'exemple à toutes les femmes. Elle croit facilement le bien et n'écoute pas volontiers le mal... Elle est douce, affable, familière avec tous ceux qui l'approchent et ont l'honneur de la servir. Elle a beaucoup d'esprit et ce qu'elle en a est tout à fait naturel... Il semble que la reine était née pour rendre par son amitié le feu roi le plus heureux mari du monde; et certainement il l'aurait été s'il avait voulu l'être.»
Tant il est vrai, comme dit le Saint Livre qu'on est toujours puni par où l'on pèche.
Antin (chaussée d'): Cette rue est relativement récente; car, au commencement du 17e siècle, ce n'était qu'un chemin tortueux qui, de la porte Gaillon, se dirigeait vers les Porcherons (barrière des Martyrs). On l'appelait indifféremment chemin de l'Égoût Gaillon, des Porcherons, de la Chaussée d'Antin. Le pré des Porcherons était pour les roués de la Régence ce que le Pré aux Clercs avait été naguère pour ceux du moyen-âge. Par un arrêt du Conseil du 31 juillet 1720, le chemin fut rectifié et élargi; des maisons s'élevèrent régulièrement de chaque côté, la nouvelle voie prit le nom de rue de l'Hôtel Dieu, parce qu'elle conduisait à une ferme de cet hôpital: puis ce nom fut changé en celui de Chaussée d'Antin parce que la rue commençait au rempart en face duquel avait été bâti l'hôtel d'Antin.
En 1791, nouveau changement. Mirabeau, le grand orateur de la Révolution, étant mort dans cette rue, à l'hôtel qui porte aujourd'hui le nº 42, l'Assemblée Nationale, sur la proposition de Bailly, décida que la rue s'appellerait désormais rue de Mirabeau. Au-dessus de la porte de l'hôtel où le célèbre tribun avait rendu le dernier soupir, on plaça une plaque de marbre noir sur laquelle se lisaient ces vers en lettres dorées:
La mémoire de Mirabeau devenue impopulaire, l'inscription fut enlevée et la rue se nomma du Mont-Blanc, en souvenir de la réunion de ce département à la France.
En 1816, elle reprit son appellation monarchique de Chaussée d'Antin qui, cette fois, paraît devoir lui rester.
À propos des constructions nouvelles et luxueuses qui s'élevaient dans la Chaussée d'Antin au commencement du XVIIe siècle, je trouve dans un auteur contemporain (1725) une page des plus curieuses et qu'on me saura gré de transcrire: «Tout ce quartier, dit Germain Brice[37], ainsi que bien d'autres de la ville autrefois négligés et absolument inhabités, se remplissent de nos jours d'une quantité extrême de maisons pour lesquelles on fait des dépenses prodigieuses par le secours des nouvelles fortunes; si ces entreprises continuent de la sorte, la ville de Paris, sans bornes, comme elle a été jusqu'à présent, s'étendra à l'infini et pourra, dans la suite des temps, tomber dans le triste inconvénient de ces fameuses et superbes villes dont l'histoire fait mention, qui se sont détruites par le luxe immodéré, et par leur grandeur même, telles que Thèbes, Memphis, Palmyre, Babylone, Héliopolis, Persépolis, Leptis et Rome même, qui n'est plus à présent qu'un squelette décharné de ce qu'elle était dans sa splendeur, sans parler de beaucoup d'autres villes fameuses dont l'histoire fait mention. Si l'on consulte la bonne politique, on ne doit pas souffrir qu'il se trouve une ville dans un état qui surpasse autant les autres par sa grandeur, et par conséquent par sa puissance et par le nombre de ses habitants.»
Ne dirait-on pas ce paragraphe écrit d'hier? L'auteur cependant tenait la plume il y a quelque cent quarante ans. Que dirait-il aujourd'hui?
Saint-Antoine (rue): Formait autrefois plusieurs voies portant des noms différents: rue de la Porte Baudoyer, de l'Aigle, et du Pont Perrin. Son nom unique lui vient d'une abbaye à laquelle le chemin conduisait. Dans cette rue, près de la première porte ou bastille Saint-Antoine, fut massacré Étienne Marcel, le trop fameux prévôt des marchands, qui voulait livrer Paris au roi de Navarre, Charles-le-Mauvais (1358).
Dans cette rue encore eut lieu le dernier tournoi où Henri II tomba frappé à mort par le tronçon de lance du comte de Montgommery, meurtrier involontaire d'ailleurs (1559).
À l'extrémité de cette voie enfin, sur la place qui porte ce nom, s'élevait la forteresse dite de la Bastille, bâtie par Hugues Aubriot, prévôt de Paris, sous le règne de Charles V (1369), et qui, défendue seulement par quelques soldats invalides, fut prise par le peuple, le 14 juillet 1789, puis démolie.
À l'entrée de la rue, on voyait autrefois aussi une Porte triomphale, construite par l'architecte Blondel, qui donna les dessins des portes Saint-Denis et Saint-Martin. Elle fut démolie en 1777 parce qu'elle gênait la circulation.
Arbalète (rue de): Ce nom vient d'une enseigne.
Arago (rue): François Arago, notre contemporain, célèbre astronome, né en 1786, mort à Paris en 1853, secrétaire perpétuel de l'académie des sciences, directeur de l'Observatoire. Doué d'une rare facilité d'élocution, d'une parole singulièrement lucide, il avait au plus haut degré le talent, en vulgarisateur émérite, de mettre la science à la portée des ignorants. Il a laissé de nombreux ouvrages et en particulier trois volumes de Notices écrites avec élégance et avec l'accent de la sincérité. Celle de Gay-Lussac en particulier nous a frappé.
Arbre-Sec (rue de l'): A pris son nom d'une enseigne. Suivant quelques auteurs, c'est à l'extrémité de cette rue, à l'endroit où elle fait angle avec la rue saint Honoré et là même où s'élève la Fontaine, qu'eut lieu l'exécution de la reine Brunehilde ou Brunehaut, traînée à la queue d'une cavale indomptée par l'ordre de Clotaire II. «Lors commanda le roi qu'elle fût liée, par les bras et par les cheveux, à la queue d'un jeune cheval qui oncques (jamais) n'eût été dompté, et traînée par tout l'ost (armée). Ainsi comme le roi commanda fut fait; au premier coup que celui qui était sur le cheval férit des éperons, il le lança si raidement qu'il fit la cervelle voler des deux pieds de derrière. Le corps fut traîné parmi les buissons, par épines, par monts et vallées, tant qu'elle (Brunehaut) fut toute dérompue des membres[38].»
Jeanne d'Arc (rue et place): Dans les notes du chant XIe de la traduction de l'Énéide par Barthélemy, je trouve sur notre Héroïne une page remarquable et qui emprunte un intérêt particulier au nom de l'auteur. Il est admirable de voir le satirique passionné de la Villéliade, de la Némésis, des Journées de la Révolution, etc., tenir ce langage que nous avons plaisir à reproduire: «La seule grande figure de femme qui surpasserait et Clorinde et Camille et toutes les guerrières et amazones des temps fabuleux ou modernes, la seule digne encore aujourd'hui de monter sur le piédestal épique, et de donner à notre littérature une illustration qui lui manque, c'est notre Jeanne d'Orléans si guerrière, si sainte, si inspirée, si chevaleresque, si digne du respect de toutes les générations et si lâchement assassinée par les Anglais, par Chapelain et par Voltaire.»
Ces lignes sont de celles qui honorent la mémoire de Barthélemy mort récemment et presque oublié après avoir fait tant de bruit naguère.
Argenson (rue d'): Trois personnages de ce nom furent ministres, sous la régence et sous Louis XV.
Argenteuil (rue d'): S'appela ainsi parce qu'elle fut bâtie sur l'ancien chemin qui conduisait au village d'Argenteuil. Le 1er septembre 1684, au nº 18, mourut l'auteur de Polyeucte, de Cinna, des Horaces, etc., le grand Corneille, réduit à une telle détresse que Boileau devait solliciter pour lui un secours du roi. Peu de temps avant qu'il s'alitât, d'après ce qu'on raconte, le poète auquel on devait plus tard élever des statues, descendait péniblement sa rue et s'arrêtait devant l'échoppe d'un savetier pour faire raccommoder sa chaussure, sans doute faute d'une seconde paire qui lui permît de changer. Pourtant M. Th. Gautier a eu tort, dans sa pièce, l'Anniversaire de Corneille, où se trouvent d'excellents vers, de dire en terminant:
Louis, ce vil détail, que le bon goût dédaigne,
Ce soulier recousu me gâte tout ton règne.
Car le roi, dès qu'il fut instruit par Boileau de la position de Corneille, lui envoya deux cents louis d'or qui furent portés au malade par Besset de la Chapelle, inspecteur des Beaux-Arts.
Beaux-Arts (École des): Cette École a été élevée sur l'emplacement qu'occupait l'ancien couvent des Petits-Augustins, devenu après la Révolution le Musée des Petits-Augustins. Ce Musée supprimé a fait place à l'École par suite d'un décret du 24 avril 1816. En outre des constructions nouvelles élevées du côté du quai, comme dans les cours intérieures, le Palais s'est enrichi de précieux débris provenant de l'ancien château de Gaillon. Dans le grand Amphithéâtre, dit Hémicycle, se voient les remarquables peintures qui sont le plus beau titre de gloire de Paul Delaroche.
Saint-André-des-Arts (rue): «La rue St-André-des-Arts, qui commence au pont Saint-Michel et finit à la porte de Bussy, dit Sauval, est une des plus anciennes de l'Université et bien que les vieilles chartes lui donnent quantité de noms, rarement pourtant y lit-on celui qu'elle devrait porter et qu'elle portait originairement. Tantôt c'est la rue St-Germain des Prés, parce qu'elle conduit au faubourg St-Germain et à l'abbaye de ce nom; tantôt c'est la grande rue St-André à cause qu'elle passe devant l'église St-André (aujourd'hui démolie), tantôt c'est la rue St-André-des-Arts comme étant placée tout à l'entrée de l'Université[39], où s'enseignent les arts et les sciences. Il y a même des gens qui l'appellent Saint-André-des-Arcs parce qu'ils prétendent qu'elle était habitée par les faiseurs d'arcs avant qu'on eût trouvé la poudre à canon, et qu'à la guerre, au lieu de mousquets, on se servait d'arcs, de flèches et d'arbalètes; et ce qui les rend doublement opiniâtres là dessus est le nom de quelques rues voisines qui aide à les tromper comme celui de la Bouclerie où ils s'imaginent qu'on faisait les boucliers, et tout de même l'autre de la rue des Sachettes, mot corrompu, à ce qu'ils disent, des Sagettes, à raison que là s'achetaient les flèches.
«Le véritable nom cependant de la rue Saint-André-des-Arts, est la rue St-André-de-Haas, nom que même on a donné longtemps à la rue de la Huchette qui continuait la rue St-André jusqu'au Petit Châtelet: et c'était celui tant du territoire où sont situées ces deux rues que des vignes mêmes qui le couvrirent jusqu'en 1179; car ce fut en ce temps là que Hughues, abbé de Saint-Germain des Prés, donna ce vignoble à bâtir.»
Mais dom Félibien et dom Lobineau, les savants bénédictins, contredisent formellement Sauval et non sans quelque vivacité. «Des gens qui croient deviner plus juste que les autres prétendent que c'est du nom de Laas que s'est formé le surnom de Saint-André-des-Arcs, qu'il faudrait plutôt appeler selon eux, Saint-André-de-Laas ou de Leas. Mais ils se trompent dans leur conjecture. Saint Louis, dans une charte de l'an 1261, l'appelle parochia sancti Andreæ de Arsiciis (paroisse de Saint-André-des-Arsis). Ainsi, le vrai nom de cette rue doit être des Ars par abrégé des Arsis[40]». Mais sur le sens de ce dernier mot ou n'est pas d'accord et Jaillot à son tour combat cette affirmation, d'où forcément il faut conclure que, si l'origine de cette dénomination quant à la première partie (Saint-André) n'est point douteuse, on ne peut avoir aucune certitude sur l'origine du mot: Arts ou Arcs.
Naguère, à l'extrémité de cette rue, on voyait encore «quelques maisons sur pied, reste des siècles passés, dit Germain Brice, entre lesquelles on en distingue une, où sur la porte, on remarque un éléphant en sculpture chargé de sa tour.» C'est là que demeurait le médecin de Louis XI, le fameux Coyetier «lequel, dit Commines, lui était si très rude qu'on ne dirait pas à un valet les outrageantes et dures paroles qu'il lui disait et si (or) le craignait tant le dit seigneur qu'il ne l'eût osé envoyer hors d'avec lui parce que le dit médecin lui disait audacieusement ces mots:
«—Je sais bien qu'un matin vous m'envoyerez comme vous avez fait d'autres, mais (par un grand serment qu'il lui jurait) vous ne vivrez pas huit jours après». Ce mot épouvantait si fort le roi qu'il ne cessait de le flatter et de lui donner, ce qui lui était un grand purgatoire en ce monde.»
Coyetier, riche des présents de Louis XI, s'était fait bâtir l'hôtel en question. Il avait pris pour devise ou pour symbole «selon l'usage grossier de ce temps-là,» un abricotier dans un écusson penché qu'il avait fait sculpter au-dessus de la porte d'entrée «parce que, dit Germain Brice, le mot était composé de son nom (Coyetier) et d'abri, pour faire entendre que Coyetier était à l'abri et en sûreté dans ce lieu de retraite éloigné de la cour.» Il y vécut et mourut en effet tranquillement.
Arras (rue d'): Ce nom vient du collége qui très anciennement se voyait dans la rue.
Arsenal (rue de l'): Les bâtiments qu'occupe aujourd'hui la bibliothèque sont ceux de l'ancien arsenal.
Aubry-le-Boucher (rue): On l'appelait ainsi dès le XIIIe siècle. Ce nom lui vient paraît-il, d'un boucher nommé Aubry qui y demeurait; car, outre qu'elle était voisine de la Grande-Boucherie, on la désigne ainsi dans les plus anciens titres. À une certaine époque, le peuple, par corruption ou pour abréger, prononçait: Briboucher.
Aubigné (rue d'): Agrippa d'Aubigné, né en 1550, mort en 1630, a laissé des Mémoires sur les guerres de religion auxquelles il prit une part active. Il était grand'père de Mme de Maintenon.
Audran (rue): Gérard Audran, né à Lyon en 1640, mort à Paris en 1703, a laissé un grand nombre de gravures qui sont des chefs-d'œuvre. Maniant avec une rare habileté la pointe et le burin, ayant au plus haut degré l'intelligence du dessin, il savait au besoin faire disparaître les incorrections et les négligences des originaux qu'il reproduisait d'ailleurs avec une rare fidélité. On cite entre ses planches les plus remarquables l'Enée, la Sainte-Agnès, d'après le Dominiquin, la Femme adultère,—le Temps—Pyrrhus, d'après Poussin; les Batailles d'Alexandre, d'après Lebrun, etc. Audran sut mélanger parfois heureusement l'eau forte et le burin. Milézia va jusqu'à dire de cet éminent artiste: «Il n'a point eu d'imitateurs et ne pouvait en avoir; pour graver comme Audran, il faudrait être ce maître lui-même.»
Augustins (rue des vieux): Elle s'appela ainsi parce que ce fut en cet endroit que les religieux Augustins eurent leur premier établissement.
Austerlitz (quai et pont d'): On leur donna ce nom en mémoire de la bataille gagnée, le 2 décembre 1805, par les Français sur les Austro-Russes.
Ave Maria (rue de): Ce nom fut donné par le roi Louis XI à un couvent de religieuses de la Tierce-Ordre pénitente et observante de St-François. Ce couvent sert aujourd'hui de caserne.
Parmi les écrits que nous aurons l'occasion de citer dans notre travail sur les vieilles rues, il s'en trouve de singuliers, et les plus anciens de tous peut-être: ce sont des poèmes descriptifs, si l'on peut appeler du nom de poèmes ces litanies peu harmonieuses de vers sur des sujets qu'on ne s'aviserait guère aujourd'hui de mettre en rimes, comme le dit le judicieux abbé Lebœuf. Mais les trouvères du XIIe et du XIIIe siècle, dont la langue rimée était la langue habituelle, trouvaient plaisir à certaines difficultés. Il faut convenir cependant qu'ils ne réussissaient pas toujours à les surmonter, et la sèche nomenclature des Moustiers de Paris, de Rutebœuf, par exemple, n'a pas la grâce de quelques-uns de ses autres poèmes. Plus curieux, pour le fond comme pour la forme, me paraît le poème de Guillaume de la Villeneuve, les Crieries de Paris, que j'aurai plus d'une fois l'occasion de citer et qui commence ainsi:
Or vous dirai en quelle guise
Et en quelle manière vont
Cil (ceux) qui denrées à vendre ont
Et qui pensent de leur preu (profit) faire,
Qui jà ne finiront de braire (crier).
Parmi Paris jusqu'à la nuit
Ne cuidiez-vous (pensez-vous) qu'il leur (anuit) ennuie
Que jà ne seront à séjour:
Oiez qu'on crie au point du jour:
...............
Oisons, pigeons et chair salée,
Chair fraîche moult (beaucoup) bien conraée (parée),
Et de l'allie (sauce à l'ail) à grand planté (abondance).
Et puis après, pois chauds pilés,
Et féves chaudes par delez (auprès),
Aulx et oignons à longue haleine,
Puis après, cresson de fontaine,
Cerfeuil, pourpier tout de venue (tout de même),
Puis après, porète (poirée) menue,
...............
J'ai bon fromage de Champagne,
Or y a fromage de Brie.
...............
Li (les) autres dit autres nouvelles:
Qui vend vieux pots et vieilles pelles! etc.
Il se trouve aussi parfois des vers bien frappés dans Le Dit des Rues de Paris, de Guillot, publié pour la première fois par l'abbé Lebœuf (T. II de son livre), et dont voici le début:
Maint dit a fait de Rois, de Comte,
Guillot de Paris en son conte;
Les rues de Paris brièment
A mis en rime, oyez comment.
La pièce se termine par ces vers témoignant des bons sentiments de l'auteur encore que tels autres passages soient moins édifiants:
Le doux Seigneur du firmament
Et sa très douce chère Mère
Nous défende de mort amère.
Quoique assez heureux, ces vers pourtant ne valent pas, pour l'originalité de l'idée et même pour la forme, le début d'un autre poème du même genre, par un anonyme, et publié sous ce titre: Les Rues de Paris en vers, dans le savant ouvrage de M. Giraud: Paris sous le règne de Philippe-le-Bel.
Aucunes gens m'ont demandé
Pourquoi me suis si empiré.
Ne me vient pas de maladie,
Il me vient de mélancolie.
L'autre jour à Paris alé (allai),
Oncques mais (jamais) n'y avais été.
Avecque moi menai ma femme.
Emprès (près) rue Neuve-Notre-Dame,
La perdis en un carrefour;
On n'y voit non plus qu'en un four:
D'un côté alla et moi d'autre;
Oncques puis ne vîmes l'un l'autre.
Or ai-je bien fait mon devoir.
Vous saurez bien si je dis voir (vrai),
Quand vous saurez où je l'ai quise (cherchée),
En quel (quelle) manière et en quel (quelle) guise.
En effet, il n'est aucune rue ni ruellette de la ville que l'époux dolent ne visite et ne nomme; mais à la parfin, la chose faite en conscience et la dame ne se retrouvant point, non plus que la Creüse d'Enée, notre homme en prend son parti assez vite, ce semble, et sur un ton qui ne témoigne pas d'un chagrin bien profond:
Tant l'ai quise que j'en suis las:
Or, la quière qui voudra,
Jamais mon corps ne la querra.
Ce mari-là n'est pas difficile à consoler du veuvage. J'aime à croire qu'il n'en était pas beaucoup alors sur ce patron.
Maintenant revenons à l'historique des rues.
[33] Apollon et Orphée.
[34] Le dit. des Rues de Paris.
[35] Jaillot.—Recherches sur Paris, 1772.
[36] Madame de Motteville.
[37] Description de la Ville de Paris—4 vol. in-12—1725.
[38] Chroniques de Saint-Denis, T. 1er.
[39] On appelait l'Université cette partie méridionale de la ville où se trouvaient alors à peu près exclusivement les colléges et les écoles.
[40] Histoire de Paris, T. Ier.
B
Babille (rue): Laurent Jean Babille fut échevin de la ville de Paris en 1762 et 1763. Quels services a-t-il rendus qui lui méritèrent un souvenir spécial, on ne nous le dit pas. Peut-être seulement demeurait-il dans cette rue.
Babylone (rue): Elle doit son nom à Bernard de Sainte-Thérèse, évêque de Babylone, qui possédait plusieurs maisons et jardins sur l'emplacement desquels fut construit le séminaire des Missions Étrangères.
Bailleul (rue): C'était le nom d'un président qui y demeurait.
Baillif (rue): Pour Baillifre, nom du surintendant de la musique de Henri IV, qui lui donna des terrains bordant cette voie pour y bâtir.
Balzac (rue de): De Jean Louis de Balzac (1586-1655) on a dit qu'il fut l'un des écrivains qui ont le plus contribué à former la langue quoique aujourd'hui on ne lise plus guère ou même pas du tout ses ouvrages. Ce n'est pas lui d'ailleurs qui a donné son nom à la rue, mais notre contemporain, Honoré de Balzac, qui y est mort en 1850, à l'âge de 51 ans, au milieu de sa plus grande vogue comme romancier. On ne peut lui refuser, en dépit de sa fécondité, un talent peu ordinaire. La Comédie humaine atteste une puissance singulière de conception et d'observation; mais cette dernière et précieuse qualité trop souvent se gâte par l'exagération; comme l'a dit fort bien M. de Pontmartin, Balzac presque toujours vers la fin «se grise avec son sujet», et il ne voit plus ses personnages qu'à travers une lentille qui grossit démesurément leurs traits défectueux surtout. Puis le sens moral trop fréquemment lui fait défaut, et il est peu d'ouvrages de lui qu'on puisse lire sans inconvénient. Rien qui repose, rien qui rassérène dans ces pages si souvent désolantes par l'implacable dissection de l'âme humaine. Cet étrange moraliste (car il avait cette prétention) calomnie la nature humaine même viciée, et à Dieu ne plaise que notre société, encore que malade, soit telle qu'il nous la représente d'habitude. Le monde aristocratique en particulier, qu'il faisait vanité de bien connaître, lui paraît surtout étranger d'après les types qu'il nous en a laissés, et qu'on n'y rencontre, assurément, que par une très-rare exception.
D'après ce que nous venons de dire, faut-il s'étonner que l'Œuvre entier de Balzac ait été condamné par la congrégation de l'Index?
Barbette (rue): Elle s'appela ainsi parce qu'elle passait devant un hôtel de ce nom célèbre dans l'histoire de Charles VI et construit par Étienne Barbette, prévôt des marchands sous Philippe-le-Bel. Le duc d'Orléans, frère du roi (Charles VI), sortant de l'hôtel dit le petit Séjour de la Reine qu'habitait Isabeau de Bavière, fut assassiné à la porte Barbette par Jean-sans-Peur et ses mauvais garçons.
Barillerie (rue de la): Vis-à-vis le Palais. Elle porte déjà ce nom dans un concordat passé en 1280 entre Philippe-le-Hardi et les couvents de Saint-Maur et de Saint-Éloi. Mais Robertus Cenalis, dans sa Hiérarchie française, l'appelle la rue de la Babillerie, via locutuleia, à cause sans doute du parlement voisin où pour plaider il faut parler «ce qui se fait de vive voix» dit assez naïvement Sauval.
Barouillère (rue): Elle s'appela tour à tour des Vieilles Tuileries, Saint-Michel, et enfin de la Barouillère. «Je ne sais, dit Jaillot, quand on lui donna ce nom, mais il est certain qu'elle le doit à Nicolas Richard, sieur de la Barouillère, à qui l'abbé de Saint-Germain céda, le 8 octobre 1644, huit arpents à la charge d'y bâtir, et sous la condition que, si l'on perçait des rues sur ce terrain, on leur donnerait le nom d'un saint indiqué, qu'on en ferait mettre la statue au coin de la rue et au dessous les armes de l'abbaye.»
Barrés (rue des): Cette rue doit son nom aux Carmes qu'on désignait sous le nom de Barrés, en raison de leurs manteaux peints de différentes couleurs et formant des barres.
Beaubourg (rue): Au commencement du XIe siècle, de pauvres paysans élevèrent en cet endroit quelques chaumières. L'agrément du site en attira d'autres qui s'y établirent également et le hameau, qui devint un village, s'appela Beau-Bourg.
Voilà ce que racontent plusieurs historiens d'après une tradition contestée par Sauval. Suivant lui, cette rue doit son nom à Jean Beaubourg natif de Beau-Bourg, village ou bourg et paroisse de Brie, duquel descendait le président Beaubourg, conseiller d'état souvent chargé par le roi Louis XIII de missions importantes.
Batignolles (rue, place, boulevard des): Ce nom vient de l'ancien village des Batignolles qui, aussi bien que celui de Monceaux auquel il fut réuni en 1830, ne se composait que de quelques chaumières ou pauvres maisons. «Mais dans le mouvement de translation rapide qu'éprouve la population de Paris du sud-est au nord-ouest, l'humble hameau des Batignolles a acquis une grande importance.... C'est aujourd'hui une ville plus étendue, plus riche, plus peuplée que beaucoup de préfectures.»
Ainsi s'exprimait, en 1861, un des rédacteurs du Dictionnaire de la Conversation et de la Lecture. Depuis lors, les Batignolles n'ont fait que s'accroître et ce quartier est à présent l'un des plus populeux de la capitale dont par suite de l'annexion il fait partie.
Battoir (rue du): Ce nom vient d'une enseigne.
Beaujolais (rue): Ouverte en 1784, elle fut nommée ainsi en l'honneur du comte de Beaujolais, fils du duc d'Orléans.
Beaumarchais (boulevard): Caron de Beaumarchais (1732-1799) doit surtout sa célébrité à sa comédie: Le Mariage de Figaro, une œuvre qu'on pourrait qualifier diabolique au point de vue du talent comme de la morale, et si malheureusement autorisée par la royauté, si follement applaudie par l'aristocratie dont elle préparait la chute. Dans cette pièce profondément immorale, mais avec tous les raffinements de l'art le plus savant, rien qui soit respecté, et j'admire que des femmes, des jeunes filles même, fût-ce en s'abritant derrière l'éventail pour cacher leur rougeur, osent assister jusqu'au bout à ce spectacle qui n'est qu'un long scandale. Qu'importe le talent quand on en fait cet indigne usage! Qu'importe la verve, qu'importe l'esprit quand ce rire qui provoque le nôtre n'est que le rire du démon!
Beaurepaire (rue de): S'appelait ainsi dès le commencement du XIVe siècle (1313). Ce mot, dans le vieux langage, signifie belle demeure, belle retraite, beau repaire.
Beautreillis (rue de): Autrefois rue Girard Becquet. On l'appela rue Beautreillis à cause d'une belle treille «ou, pour parler à la façon du temps passé, d'un beau treillis qui faisait une des principales beautés du jardin de l'hôtel royal de Saint-Paul.... Je dirai encore que les treilles ont fait longtemps un des principaux ornements des jardins de nos rois et que, pendant plusieurs siècles, les mûriers, les ormes et les chênes n'ont passé que pour des arbres champêtres et sauvages qui ne devaient paraître et faire ombre que dans les forêts.» (Sauval).
Belle-Chasse (rue de): Elle doit son nom au clos de Belle-Chasse sur lequel fut bâti le couvent des religieuses du Saint-Sépulcre, vulgairement appelées Religieuses de Belle-Chasse.
La communauté se composait de vingt religieuses seulement qui suivaient la règle de saint Augustin. On les avait nommées d'abord les Filles à Barbier à cause d'un fameux traitant (financier) qui leur avait donné une partie du vaste espace qu'elles occupaient.
Bellefond (rue de): Elle dut son nom à Mme de Bellefond, abbesse de Montmartre.
Saint-Benoît (rue): Se nomma ainsi parce qu'elle s'étendait le long du jardin des religieux de Saint-Germain des Prés qui suivaient la règle de saint Benoît. «Il n'y a pas plus de vingt ans, dit Sauval, qu'elle s'appelait la rue des Égoûts, parce que, jusqu'à ce temps-là, elle a été coupée en deux et empuantie par un égout découvert qui maintenant passe sous le pavé, ce qui est cause qu'on la nomme quelquefois la rue de l'Égoût couvert.»
Bergère (rue): Dans la table des rues de Valleyre, elle est appelée du Berger dont on a fait rue Bergère.
Berryer (cité): Antoine Pierre Berryer, né en 1788, mort en 1869, comptait au premier rang de nos orateurs politiques. Un discours de Berryer à la Chambre s'annonçait comme un évènement et les huissiers se trouvaient fort empêchés à l'ouverture des portes par l'empressement des amateurs, curieux et curieuses. Mais les triomphes de Berryer au Palais-Bourbon s'alternaient (chose rare et qui semble l'exception) avec ses succès au barreau. Dans les dramatiques procès de cours d'assises surtout, il avait peu d'égaux parmi ses confrères qu'il a fait pleurer plus d'une fois, et aussi les jurés et les juges, sans compter les bons gendarmes. On comprend dès lors l'influence toute puissante de cette parole émue, passionnée, ardente, de ce geste pathétique, sur la partie féminine de l'auditoire bientôt tout entier noyé dans les larmes.
Dans notre volume: Je Politique, se trouve une Étude développée sur Berryer que nous avons eu maintes fois, comme journaliste, l'occasion d'entendre dans nos assemblées politiques. Du reste, il fallait l'entendre plutôt que le lire, car l'originalité de la forme manquait un peu à sa phrase trop facilement faite, alors qu'elle n'était plus soutenue par l'accent fiévreux de la voix et la fougue du geste.
Bertin Porée (rue): Elle portait ce nom dès l'année 1240, et le tenait d'un bourgeois qui y demeurait.
Bétizy (rue de): a pris ce nom de Jacques Bétizy, avocat au Parlement. Ce fut dans la deuxième maison à gauche, en entrant par la rue de la Monnaie, que l'amiral de Coligny fut assassiné, dans la nuit de la Saint-Barthélemy, (1572), par les séides du duc de Guise, dit le Balafré. Deux des meurtriers, Le Besme et Pétrucci, après avoir percé de coups l'amiral, jetèrent le cadavre dans la cour où le duc de Guise, pour le reconnaître, essuya avec son mouchoir le sang qui couvrait le visage, et sûr que sa victime n'avait pu lui échapper, il dit: «C'est bien commencé, allons continuer.»
Faut-il croire au fait suivant rapporté par Pierre Mathieu? «Il affirme avoir entendu raconter plusieurs fois à Henri IV que, le soir du 26 août, peu d'heures avant le massacre, jouant aux dés avec le duc de Guise, il parut des gouttes de sang sur la table, et que les ayant fait essuyer, elles reparurent encore, ce qui le frappa au point qu'il quitta le jeu.»
Il existait très anciennement une rue de ce nom, témoin ce distique du Dit des Rues de Paris:
En la rue de Béthisi
Entré, ne fus pas éthisi (malade d'éthisie).
Bibliothèque Nationale. Ce fut en 1721 seulement que les bâtiments de la rue Richelieu furent affectés au service de la Bibliothèque Royale. Les livres se trouvaient en dernier lieu placés dans deux maisons ayant appartenu à Colbert et voisines de son hôtel, rue Vivienne. Mais leur nombre allant toujours en s'augmentant, sur la proposition de l'abbé Bignon, conservateur, le duc d'Orléans donna l'ordre de transporter toutes ces richesses dans le local qu'elles occupent aujourd'hui. Ces vastes bâtiments étaient un démembrement de l'hôtel Mazarin divisé en deux parties par les héritiers.
On sait que Charles V doit être regardé comme le fondateur de la Bibliothèque Royale. La collection d'ouvrages recueillis par lui et placés dans une tour du Louvre, dite Tour de la Librairie, occupait trois étages et comptait 910 volumes, nombre considérable pour le temps. La collection formée par Charles V fut dispersée sous le règne désastreux de Charles VI; ce fut plus tard Louis XI qui recueillit les livres épars dans les diverses maisons royales et dont le nombre s'augmenta vite grâce à la découverte récente de l'Imprimerie. Cette Bibliothèque, d'abord installée à Blois, puis à Fontainebleau et constamment augmentée, ne fut transportée à Paris qu'en juin 1595 par l'ordre de Henri IV. Placée d'abord dans le collége de Clermont, puis dans une maison de la rue de la Harpe, elle comptait, à la mort de Louis XIV (1715), environ 70,000 volumes transférés, comme on l'a dit, dès l'année 1666, rue Vivienne, dans les deux grandes maisons appartenant à Colbert.
Bicêtre (hospice de): Bicêtre était un château appartenant à la reine Anne d'Autriche. Destiné d'abord aux Enfants-Trouvés, il est devenu un vaste hospice pour la vieillesse en même temps qu'un hôpital pour les aliénés pauvres qu'on y soigne avec sollicitude, et qui, bien entendu, occupent un bâtiment séparé.
Bienfaisance (rue de la): Elle a pris ce nom en souvenir du docteur Goetz, qui demeurait au nº 13 et était devenu par son zèle et son dévouement la Providence du quartier. Il mourut en 1813.
Bièvre (rue de): Ainsi appelée de la rivière voisine.
Billaut (rue): Ci-devant de l'Oratoire du Roule, maintenant rue Jules Favre.
Blancs-Manteaux (rue des):
En la rue des Blancs-Mantiaux
Entrai, où je vis maintes piaux
Mettre en conroi[41] et blanche et noire,
lisons-nous dans le Dit des Rues de Paris, ce poème très peu poétique mais si curieux de Guillot publié par l'abbé Lebœuf[42]. Celte rue se nommait au XIIIe siècle (vers 1268) de la Petite Parcheminerie, quand les religieux de l'ordre des Serviteurs de la Vierge Marie, mère de Jésus, vinrent s'y établir et y bâtirent leur couvent: «que nous voyons encore à l'un de ses bouts, dit un auteur ancien; mais le peuple qui aime la brièveté quand il s'agit de nommer une chose, voyant l'habit blanc de ces religieux, laissa là bien vite cette longue traînée de mots dont était composé leur nom et les appela simplement Blancs-Manteaux, et tout de même leur rue des Blancs-Manteaux,» nom qui se trouve dans les actes de l'année 1289.
Blé (Halle au): Cet édifice, bâti sur l'emplacement de l'ancien hôtel de Soissons, fut commencé en 1763 et terminé en 1767, d'après les dessins de Camus de Mézières. La coupole, construite en 1783 par MM. Legrand et Molina, mais dont la charpente était en bois, fut détruite par un incendie dans l'année 1802. Aussi la remplaça-t-on par une armature en fer et fonte de fer, couverte de planches de cuivre étamé, sous laquelle la marchandise en toute saison se trouve à l'abri. Nulle crainte d'incendie maintenant.
Boïeldieu, (rue): François-Adrien Boïeldieu, compositeur célèbre, auteur de la Dame Blanche, la Tante Aurore, le Calife de Bagdad, le Pré aux Clercs, etc. Né à Rouen le 15 décembre 1775, il est mort à Paris, le 8 octobre 1834. Boïeldieu joignait au génie de l'artiste, les plus nobles qualités du cœur et de l'esprit. En lisant certains traits de sa vie, on serait tenté de croire que c'est à lui que pensait Mme de Bawr quand elle écrivait dans ses Souvenirs: «Une remarque que j'ai toujours eu lieu de faire c'est que les personnes que l'on pleure le plus longtemps, quand la mort les a frappées, sont celles qui étaient bonnes. Depuis que j'existe j'ai vu mourir bien des gens distingués; la douleur de leur famille, de leurs amis était vive; mais le temps produisait sur elle son effet accoutumé, même lorsque ceux dont je parle laissaient après eux une grande célébrité. En un mot j'ai reconnu que l'on peut oublier assez promptement l'homme d'esprit ou l'homme de talent avec lequel on a vécu, mais qu'on n'oublie jamais celui dont mille circonstances de la vie viennent sans cesse nous rappeler la bonté.»
Boissy d'Anglas (rue): Le comte de Boissy d'Anglas (1756-1826), député à la Convention Nationale qu'il présidait dans la fameuse journée du 1er prairial an III (26 mai 1795) et par la fermeté héroïque de son attitude sauva de l'envahissement des factieux jacobins. Il a suffi de cette noble page dans sa vie pour rendre son nom à jamais célèbre.
Bouloi (rue du): En 1359, elle est désignée sous le nom de rue aux Bouliers, dite la Cour Basile. Au XVe siècle, c'était la rue Baizile. Au XVIe, on la nomme rue des Bouliers, dite la cour Basile. Elle prend ensuite le nom de rue du Bouloi, mot dont l'origine est inconnue.
Bourgogne (rue de): Louis XIV ordonna, par un arrêt de son conseil du 23 août 1707, que la rue prendrait ce nom en l'honneur de son petit-fils, le duc de Bourgogne, dont la naissance fut accueillie avec de tels transports. «Chacun, dit Choisy, se donnait la liberté d'embrasser le roi. La foule le porta depuis la surintendance où madame la Dauphine accoucha jusqu'à ses appartements; il se laissait embrasser à qui voulait. Le bas peuple paraissait hors de sens; on faisait des feux de joie, et tous les porteurs de chaises brûlaient familièrement la chaise dorée de leur maîtresse. Ils firent un grand feu dans la cour de la galerie des Princes, et y jetèrent une partie des lambris et des parquets destinés pour la grande galerie. Bontemps, en colère, le vint dire au roi qui se mit à rire et dit: «Qu'on les laisse faire, nous aurons d'autres parquets.» La joie parut aussi vive à Paris et parut de bien plus longue durée; les boutiques furent fermées trois jours durant; toutes les rues étaient pleines de tables où les passants étaient conviés et forcés de boire sans payer; et tel artisan mangea cent écus, dans ces trois jours, qu'il ne gagnait pas dans une année.»
Voici de ce jeune prince, dont la mort prématurée et presque tragique devait tromper tant d'espérances, un remarquable portrait: «Ce prince, dit St-Simon, naquit terrible et sa première jeunesse fit trembler: dur et colère jusqu'aux derniers emportements, et jusque contre les choses inanimées; impétueux avec fureur; incapable de souffrir la moindre résistance, même des heures et des éléments, sans entrer en des fougues à faire craindre que tout se rompît dans son corps; opiniâtre à l'excès, passionné pour toute espèce de volupté. Il n'aimait pas moins le vin, la bonne chère, la chasse avec fureur, la musique avec une sorte de ravissement, et le jeu encore où il ne pouvait supporter d'être vaincu, et où le danger avec lui était extrême; enfin, livré à toutes les passions et emporté à tous les plaisirs, souvent farouche, naturellement porté à la cruauté, barbare en railleries et à produire les ridicules avec une justesse qui assommait. De la hauteur des cieux, il ne regardait les hommes que comme des atômes avec qui il n'avait aucune ressemblance quels qu'ils fussent. À peine messieurs ses frères lui paraissaient-ils des intermédiaires entre lui et le genre humain, quoiqu'on eût toujours affecté de les élever tous trois ensemble dans une parfaite égalité.»
Il fallait un miracle pour lutter contre un pareil tempérament, arriver à le modifier, à le transformer. Le miracle eut lieu grâce à l'influence religieuse et à des précepteurs tels que Fénelon, Fleury et le duc de Beauvilliers. «De cet abîme sortit un prince affable, doux, humain, modéré, patient, modeste, pénitent et autant et quelquefois au delà de ce que son état pouvait comporter, humble et austère pour soi.»
Le caractère du jeune prince alors peut se résumer dans ces paroles mémorables qu'il prononçait un jour devant Louis XIV à Marly:
«Un roi est fait pour ses sujets et non les sujets pour le roi.»
La mort si cruelle, si soudaine, qui le frappait à la fleur de ses années et le ravissait à l'espoir de la plus belle couronne de la terre, selon l'expression d'un grand pape, le trouva résigné, courageux, admirable. Que de larmes fit couler cette catastrophe dont les plus indifférents furent navrés et consternés! Fénelon lui ne put jamais s'en consoler et depuis lors il ne fit plus que languir.
Bons Enfants (rue des): En 1208, alors que s'achevait l'église St-Honoré, un bourgeois de Paris, nommé Ada, et sa femme résolurent de fonder un collége auprès de la nouvelle église. En conséquence, ils firent construire un bâtiment assez grand pour recevoir treize étudiants de Paris, mis sous la direction d'un chanoine de St-Honoré. Le collége s'appela d'abord Hôpital des Pauvres Écoliers, pauvres en effet puisque logés seulement, chaque jour, ils devaient aller quêter leur nourriture dans les rues de la capitale comme nous l'apprennent les vers du vieux poète:
Les Bons Enfants orrez crier
Du pain nes veuil pas oublier.
Mais, grâce à des donations successives importantes, le collége put s'agrandir en même temps que s'améliorait la position des pensionnaires dont le nom de: les pauvres écoliers fut changé en celui des Bons Enfants, on ne dit pas précisément à quelle occasion.
Bourdonnais, (rue des): A pris son nom des sires Adam et Guillaume Bourdon.
Bourg l'Abbé (rue de):
Si m'en allai au Bourg l'abbé,
Où l'on parlait bien d'un abbé.
Le Bourg l'Abbé, ainsi appelé parce qu'il dépendait de l'abbé de St-Martin, existait déjà sous les rois de la seconde race. Il fut enfermé dans Paris sous le règne de Philippe-Auguste, lors de la construction de la nouvelle enceinte, et le principal chemin du Bourg prit, en 1210, le nom de Bourg l'Abbé. Les habitants de l'endroit passaient pour peu spirituels quoique d'humeur folâtre, et l'on disait d'eux en façon de proverbe: «Ce sont gens de Bourg l'Abbé, ils ne demandent qu'amour et simplesse.»
Bourse (palais de la): Un décret impérial du 16 mars 1808 ordonna la construction de l'édifice dont la première pierre fut posée le 24 du même mois. L'architecte Brogniart dirigea les travaux jusqu'à sa mort arrivée en 1813. Il eut pour successeur M. Labarre; mais par suite du ralentissement des travaux, après les désastres de 1815, le monument ne put être achevé et inauguré que dans l'année 1827.
Boucheries (rue des): Vis-à-vis du grand Châtelet, avait pris son nom de la Grande-Boucherie qui s'y trouvait, la plus ancienne et longtemps même la seule de la ville; elle avait été établie en 1153. «Autrefois, dit Germain Brice, elle appartenait à une communauté de bourgeois qui faisaient comme une espèce de petite république entre eux dont le crédit était si grand, sous le règne de Charles VI, qu'il arrivait souvent de grands désordres lorsqu'ils étaient mécontents.»
Boutebrie (rue): S'appelait vers la fin du XIIIe siècle Erembourg de Brie, nom d'un propriétaire riverain. D'Erembourg de Brie on a fait Boutebrie.
Billettes, (rue des): Elle devait ce nom aux religieux hospitaliers de Notre-Dame qui portaient sur leurs habits de petits scapulaires, dits billettes. Dans certains actes on l'appelle aussi la rue où Dieu fut bouilli, la rue du Dieu bouilli, voici pour quel motif. La maison, qui fut depuis le couvent, appartenait à un juif riche sans doute. «Ce juif, d'après une tradition ancienne, dit G. Brice, par une impiété exécrable, perça de plusieurs coups de couteau une hostie consacrée et voulut ensuite la brûler; mais miraculeusement elle lui échappa en s'élevant dans la pièce et fut recueillie par une vieille femme qui entra inopinément chez cet impie et porta l'hostie au curé de St-Jean où depuis elle a été conservée avec beaucoup de vénération. Ce malheureux juif fut brûlé et sa maison confisquée.»
Brantôme (rue): P. de Bourdeilles, seigneur de Brantôme (1527-1614), gentilhomme gascon, est auteur de nombreux écrits qui se distinguent par le style original et verveux, mais où trop souvent le lecteur honnête regrette le choix du sujet, les épisodes et les détails scabreux de mœurs contemporaines que la liberté ou mieux la crudité du langage gaulois ne met que trop en relief. Ce reproche s'adresse beaucoup moins aux Vies des grands capitaines français et étrangers qu'à tel des autres ouvrages de l'auteur dont la lecture vaut celle des pires romans. L'histoire écrite de cette façon n'est qu'un pamphlet ordurier. Il semble pourtant que le Seigneur de Bourdeilles n'en avait pas conscience, et qu'il écrivit ce qu'il voyait ou entendait en toute sûreté de conscience et en s'estimant un parfait chrétien.
Breda (rue de): Ouverte en 1830 sur les terrains appartenant à M. Breda.
Bridaine (rue): Jacques Bridaine (1701-1767), prédicateur populaire célèbre, dont l'apostolat eut des résultats prodigieux. Ses sermons n'ont pu être recueillis soit parce qu'il prêchait d'abondance et en vrai missionnaire, soit à cause de son humilité qui prenait peu souci de conserver à la postérité ces pieux discours. Tout le monde cependant a lu l'exorde de l'un d'eux publié pour la première fois, je crois, par Maury et qui suffirait à la gloire de Bridaine.
Brise-Miche (rue): La distribution des pains ou miches qu'on faisait, suivant l'usage, aux chanoines de la collégiale St-Merry avait lieu dans cette rue, d'où la dénomination brise-miche.
Bout du monde (rue du): S'appela ainsi, disent les vieux auteurs, à cause d'un méchant rébus de Picardie qui s'y voyait dans une enseigne où l'on avait représenté un os, un bouc, un duc (oiseau), et un monde (globe), avec cette inscription au bas: Au bouc du monde.
Ce qui prouve qu'on cultivait le calembourg bien avant la venue du fameux M. de Bièvre, et qu'on le faisait alors tout aussi bon ou tout aussi mauvais que lui et ses successeurs.
Braque (rue de): Elle doit son nom à Arnould de Braque qui, en 1348, y fit élever, à ses frais, une chapelle et un hôpital.
Brosse (rue Guy de la): Médecin de Louis XIII, Guy de la Brosse, savant botaniste, donna au roi le terrain où fut tracé le jardin des Plantes, aujourd'hui si célèbre. Il obtint de Richelieu son patronage bienveillant pour le nouvel établissement dont un édit spécial, du mois de janvier 1626, autorisa la création. Guy de la Brosse, nommé intendant (directeur), ne s'occupa plus que de développer l'établissement pour lequel une maison d'habitation fut construite en même temps que le jardin s'enrichissait des plantes les plus rares. Guy de la Brosse mourut dans un âge très avancé et fut enterré dans la chapelle de la maison.
Broussais (rue): Ce célèbre médecin, né en 1772, mort à Paris en 1838, avait le tort d'être trop systématique, et ce qui est pire, matérialiste.
Bûcherie (rue de la): Ainsi nommée à cause du voisinage du port aux bûches. L'École de Médecine s'élevait autrefois dans cette rue où elle fut construite vers 1472. À cette époque les professeurs de la faculté étaient clercs et s'engageaient à garder le célibat.
Buci (rue de): Elle doit son nom à Simon de Buci qui acheta en 1350 le terrain et la porte St-Germain à laquelle il donna également son nom. Cette porte, reconstruite sans doute, s'élevait autrefois à l'extrémité de la rue St-André-des-Arts aboutissant au carrefour. C'est par là qu'on entrait dans le faubourg St-Germain. En 1673, par suite d'un arrêt spécial, la porte de Buci fut démolie parce qu'elle gênait la circulation.
Buffon (rue de): Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, le célèbre naturaliste, né en 1707, mourut en 1788, à la veille de la Révolution. «Quand on a lu M. de Buffon, on se croit savant. On se croit vertueux, quand on a lu Rousseau. On n'est cependant pour cela ni l'un ni l'autre.» Malgré ce jugement sévère de Joubert, Buffon n'est pas le premier venu et l'on ne peut dire qu'il ait escamoté sa réputation. Il sait peindre, par malheur pour lui plus que pour son modèle, regardant la nature à distance et du fond de son cabinet, il semble peu soucieux de se déranger pour elle. Celle-ci se venge, et ne se montrant à ce cérémonieux qu'en grande parure, elle lui dérobe ses secrets les plus intimes et sa mystérieuse poésie. On dit que l'illustre académicien, au lieu de courir les bois et les prairies, comme Bernardin de St-Pierre, sans nul souci de son costume et des accrocs, ne quittait guère son fauteuil et qu'il écrivait toujours en grande toilette, avec jabot et manchettes de dentelles et l'épée au côté. On s'en aperçoit à sa phrase trop faite, mais qui pourtant a du nombre et de l'ampleur. C'est un écrivain assurément et aussi un savant que Buffon, mais on le voudrait plus homme et surtout plus chrétien, ce qui lui donnerait la clé de bien des énigmes. Son génie manque d'entrailles; ce lumineux foyer lance des rayons, mais sans donner de chaleur. On souhaiterait qu'une si belle intelligence prît davantage conseil du cœur. L'auteur du Génie du Christianisme est donc fondé à dire: «Il ne manquerait rien à Buffon s'il avait autant de sensibilité que d'éloquence. Remarque étrange, que nous avons lieu de faire à tous moments, que nous répétons jusqu'à satiété, et dont nous ne saurions trop convaincre le siècle: sans religion, point de sensibilité. Buffon surprend par son style, mais rarement il attendrit. Lisez l'admirable article du chien: tous les chiens y sont: le chien chasseur, le chien berger, le chien sauvage, le chien de grand seigneur, le chien petit-maître, etc. Qu'y manque-t-il enfin? Le chien de l'aveugle. Et c'est celui-là dont se fût d'abord souvenu un chrétien.»