Les Rues de Paris, tome troisième: Biographies, portraits, récits et légendes
C
Cadran (rue du): Ainsi nommée à cause d'un grand cadran qui ornait l'une des maisons.
Caire: La rue, la place et le passage du Caire ne remontent pas au-delà de ce siècle. Ils furent construits sur l'emplacement du couvent des Filles-Dieu, fondation en faveur des vieilles femmes pauvres et réduites à la mendicité. En 1790, le couvent, dont les religieuses avaient été chassées, fut déclaré propriété nationale, et plus tard démoli.
Caille (rue de la): La Caille, astronome célèbre, né en 1713, mort en 1762.
Canettes (rue des): Ce nom vient d'une enseigne.
Capucines (boulevard des): Ce nom vient de l'ancien couvent des Capucines qui se trouvait dans ce quartier.
Cassette (rue): Altération du mot Cassel, nom donné à un hôtel qui s'élevait dans cette rue.
Cassini (rue): Cassini (Jean-Dominique), célèbre astronome, était né à Perinaldo, dans le comté de Nice (8 juin 1625). Il mourut à Paris en 1712.
Caumartin (rue): Ouverte en 1780. Messire Antoine Louis Lefebvre de Caumartin, chevalier, marquis de Saint-Ange, comte de Moret, seigneur de Caumartin, fut prevôt des marchands de 1778 à 1784.
Calandre (rue de la): Ce nom vient d'une enseigne qui représentait certaine machine avec laquelle on tabisait, polissait ou calandrait les étoffes de soie. «Vers le milieu de la rue en effet, dit Sauval, pend une enseigne à demi-rompue, où cette grande machine est peinte et, pas plus que dans les autres enseignes, il n'y a ni grive ni patte pelue ni alouette.» Car certains auteurs voulaient que la calandre fût le charançon qui ronge le froment, d'autres qu'elle désignât la grive, d'autres encore une grosse alouette. «Tous ces gens-là se sont tourmentés l'esprit bien mal à propos pour vouloir trouver dans leur fantaisie une chose qui se voit et qu'ils pouvaient trouver dans cette rue même.»
Petit-Carreau (rue du). On disait autrefois des Petits-Carreaux. «Il court, dit un ancien auteur, un proverbe des habitants de la rue des Petits-Carreaux dont je ne sais point l'origine:
Les enfants des Petits-Carreaux
Se font pendre comme des veaux.
S'il n'y a de la raison, du moins y a-t-il de la rime; mais pour moi je pense qu'il a plus de rime que de raison.»
Canivet (rue de): En vieux langage canif ou petit couteau.
Capucines (rue des): Ce nom vient d'un couvent qui existait autrefois en cet endroit. Les religieuses s'appelaient aussi les Pauvres Dames ou Filles de la Passion.
Carmes (rue des): Elle doit son nom aux religieux Carmes qui vinrent s'y établir, en 1318.
Carnot (rue): Carnot (L. N. M.), né en 1753, mort en 1823, l'un des hommes célèbres de la Révolution et qui, par l'énergique impulsion donnée à la défense nationale, comme à tous les services militaires, mérita qu'on dît de lui qu'il avait su organiser la victoire. Le mot semble devenu banal à force d'avoir été répété, qu'importe s'il est vrai!
Carrousel (place du): C'était autrefois un terrain vague qui s'étendait entre les anciens murs de Paris et le palais des Tuileries. On y traça, en 1600, un jardin qui plus tard s'appela Jardin de Mademoiselle parce que Mademoiselle de Montpensier habitait le palais des Tuileries et possédait ce jardin détruit en 1655. Louis XIV choisit cet emplacement pour les grandes fêtes qu'il voulut donner les 5 et 6 juin 1662, et qui se composèrent surtout de courses et du fameux carrousel où figuraient le roi, les princes et tous les grands seigneurs de la cour. Depuis lors, l'endroit s'appela place du Carrousel.
Cerisaie (rue de la): Au commencement du XVIe siècle, s'élevait, à la place des maisons qui forment cette rue, une superbe allée de cerisiers, ravissante à voir dans la saison des fleurs comme dans celle des fruits. Mais un beau jour, à la grande désolation des écoliers et des moineaux, les cerisiers furent abattus et remplacés par des maisons, quelques-unes grandes et belles; car c'est dans cette rue que se trouve l'hôtel de Philibert Delorme, le célèbre architecte, et construit par lui-même. Avant la Révolution, on y voyait aussi l'hôtel de Lesdiguières, bâti pour le financier Zamet.
«En 1742, dit M. Lazare, ses magnifiques jardins ne contenaient plus qu'un seul monument, c'était le tombeau d'une chatte qui avait appartenu à Françoise Marguerite de Gondy, veuve d'Emmanuel de Lesdiguières, duc de Créquy. On y lisait une épitaphe dont le tour élégant révèle un égoïsme bien naïf:
Ci-gît une chatte jolie,
Sa maîtresse, qui n'aima rien,
L'aima jusqu'à la folie.
Pourquoi le dire? On le voit bien.
Champ-de-Mars. Jusqu'en 1770, ce terrain fut occupé par les cultures des maraîchers. À cette époque, toutes les plantations furent enlevées, et, à leur place, on traça un immense parallélogramme de 1,000 mètres environ sur 500 de largeur qui s'appela le Champ-de-Mars parce qu'il servait aux exercices de l'École militaire.
Champs-Élysées. Au commencement du XVIIe siècle, des horticulteurs et des maraîchers occupaient ce quartier maintenant l'un des plus magnifiques, on pourrait dire le plus magnifique de Paris par ses jardins véritablement dignes de leur nom, et ses monuments, ou plutôt ses maisons moins recommandables au point de vue de l'architecture, hélas! que pour leur air d'aisance et de richesse: le luxe à défaut d'art. En 1616, Marie de Médicis fit planter la promenade dite le Cours la Reine, fermée aux deux extrémités par une grille et bordée au nord et au midi par des fossés.
Vers 1670, en même temps qu'avaient lieu de nouvelles plantations on traçait la grande avenue des Champs-Élysées, dans l'axe du palais des Tuileries. Puis deux autres avenues, où s'élevaient de grands et beaux hôtels, furent également ouvertes, partant du faubourg Saint-Honoré pour aboutir aux Champs-Élysées qui devinrent de plus en plus la promenade favorite des Parisiens et qui le seront longtemps encore en dépit des craintes ou des prévisions manifestées par M. Louis Lazare. La transformation récente des Champs-Élysées, naguère arides et poudreux, en un véritable Eden, peut rassurer sur l'avenir et l'on n'a plus à redouter que les rues et les maisons envahissent les terrains où s'épanouissent ces magnifiques corbeilles de fleurs, où verdoient tant de beaux gazons, et qu'ornent tant d'arbustes aux espèces variées. Nous espérons même quelque chose de plus, c'est que nos édiles, si prompts aux démolitions, comprendront la nécessité de mettre le marteau dans cet énorme tas de moëllons qui s'appelle le Palais de l'Industrie, une lourde bâtisse, aussi déplaisante à voir que peu utile et qui pourrait être avantageusement remplacée par des eaux jaillissantes, des statues, des arbres et des parterres. On trouverait sans peine un local plus favorable pour les expositions de peinture et de sculpture; car dans celui-ci au moindre froid on gèle; et dans la belle saison au contraire, par le manque de ventilation, sous la toiture en verre, la chaleur devient vite intolérable et fait d'une visite au Salon un supplice plutôt qu'un plaisir.
Champollion (rue): J. F. Champollion, né à Figeac (1791) mort à Paris en 1831, est devenu célèbre par ses travaux sur l'Égypte ancienne et en particulier sur la langue des hiéroglyphes qu'il paraît avoir déchiffrée.
Championnet (rue): Jean Étienne Championnet (1762-1800) commandant en chef de l'armée d'Italie fit, en 1798, la conquête du royaume de Naples.
Charonne (rue de): Nom d'un village auquel la voie conduisait.
Châteaudun (rue): Ce nom a remplacé la désignation précédente: rue du Cardinal Fesch. Il n'est pas besoin de rappeler la résistance héroïque de cette toute petite ville lors de la grande invasion prussienne (8 octobre 1870).
Croix des petits Champs (rue): La construction d'une partie de cette voie publique remonte au règne de Philippe-Auguste. Elle fut ouverte sur un terrain qui consistait en jardins, ou petits champs dont elle a tiré une partie de son nom. Une croix, placée à côté de la seconde maison après la rue du Pélican, a complété la dénomination.
Chanoinesse (rue): A pris son nom des chanoines qui l'habitaient. On l'appelait aussi Cloître-Notre-Dame.
Sainte-Chapelle. Ce monument auquel une restauration intelligente a rendu toute sa beauté, fut élevé par les ordres de saint Louis qui le destinait à renfermer les précieuses Reliques acquises par lui des Vénitiens et de l'empereur de Constantinople. «Un célèbre architecte de ce temps, nommé Eudes de Montreuil, fut chargé de la construction de la nouvelle chapelle. Il y fit preuve d'une grande habileté, et y déploya tout le luxe d'ornements, toute la légèreté de construction que l'architecture gothique avait empruntée des Arabes et qui en faisait alors le caractère. Ce monument est travaillé avec toute la délicatesse d'une châsse en orfèvrerie; et après six cents ans, c'est encore un des édifices les plus curieux et les plus élégants de Paris.
«.... Les vitraux qui existent encore sont un monument précieux de ce qu'était la peinture sur verre au XIIIe siècle.... Dès le sixième d'ailleurs, il est question de vitres peintes dans les chroniques. Celles de la Sainte-Chapelle sont remarquables par leur hauteur, la variété et la vivacité de leurs teintes. L'ordonnance des tableaux qu'elles représentent est bizarre, leur fabrication plate et sans effet; le dessin des figures, tracé sur un fond uni, est accompagné seulement de quelques hachures afin de donner un peu de relief au sujet et ce dessin est tout à fait barbare; mais cette vivacité éblouissante de couleurs, que tant de siècles n'ont pu altérer, fait encore l'étonnement et l'admiration des connaisseurs.» (Saint-Victor).
Le zèle religieux de saint Louis n'éclata pas seulement dans l'érection de ce beau monument, tous les ans, le jour du Vendredi-Saint, il se rendait en grand appareil à la sainte Chapelle; et là, revêtu de ses habits royaux, il exposait lui-même les monuments de la Passion à la vénération du peuple, exemple suivi par plusieurs de ses successeurs. «Il semble, dit Saint-Victor, que le président Hénault n'ait point assez senti tout ce qu'il y avait d'admirable dans ce pieux et grand roi. Il l'admire sans doute lorsqu'il le voit réduisant les rebelles, combattant les ennemis de son royaume, rendant à ses peuples une justice exacte et vigilante, etc.; mais cet historien, abusant d'un mot employé par le père Daniel, le trouve singulier lorsqu'il le voit dans son intérieur donnant à la prière le temps qu'il pouvait dérober aux affaires, témoignant une entière déférence à sa mère, une douceur paternelle à ses domestiques. Peu s'en faut qu'il ne le présente alors comme tombé dans un état d'imbécillité. «Dans ces moments, dit-il, ses domestiques devenaient ses maîtres, sa mère lui commandait, et les pratiques de la dévotion la plus simple remplissaient ses journées.» Ce qui semble petit au président Hénault à nos yeux est sublime; et comme d'après son propre aveu, les vertus solides et la noble fermeté qui composaient le caractère de saint Louis ne se sont jamais démenties, ce mélange touchant de grandeur et d'humilité nous offre un être presque au-dessus de l'humanité, un héros tel que le paganisme n'en pouvait produire, le véritable héros chrétien.»
Chardonnet ou Chardonneret (rue St-Nicolas du): S'appelle ainsi à cause de l'église St-Nicolas bâtie à l'une de ses extrémités; «puis d'un certain terroir en friche, dit Sauval, voisin de l'église et tout rempli de chardons qui couvraient un grand espace de ce quartier là. Si le peuple dit la rue du Chardonneret et non du Chardonnet, c'est que le petit oiseau qui porte ce nom lui est plus connu que celui de chardonnet. «Dans le Dit des Rues de Paris, on lit ces deux vers:
En la rue de Saint-Nicolas
Du Chardonnet ne fus pas las.
Charlot (rue): C'est le nom d'un riche financier qui, vers le milieu du XVIIe siècle, y possédait plusieurs belles maisons. Charlot, pauvre paysan du Languedoc, venu à Paris en veste et sabot, put, au bout de quelques années, se rendre adjudicataire des gabelles et de cinq grosses fermes et fit une grosse fortune.
Châtelet (place du): «La justice ordinaire de la ville de Paris, dit un auteur ancien, est le Châtelet. Elle s'exerce sous le nom du Prévôt de Paris. Tous les jugements qui se rendent au Châtelet et tous les actes des notaires sont intitulés en son nom.»
Chat qui pêche (rue du): Ce nom vient d'une enseigne.
Chauchat (rue): Chauchat (Jacques) avocat au parlement, conseiller d'État, fut élu échevin le 17 août 1778.
Chénier (rue): André Chénier bien plus que son frère Marie-Joseph a donné son nom à cette rue.
Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques,
a dit ce poète dont quelques pièces, l'Aveugle, la Liberté, le Jeune Malade, etc., sont d'admirables chefs-d'œuvre qu'on ne peut trop louer pour l'exquise pureté de la forme. On regrette que, dans les Idylles, et surtout les Élégies, cette belle langue devienne le plus souvent celle de la passion, et d'une passion qui parle aux sens bien plus qu'à l'âme. Le poète semble traduire Catulle et Properce plus encore que Théocrite et Virgile.
On sait qu'André Chénier, né à Constantinople (1762), périt à Paris sur l'échafaud l'avant-veille du 9 thermidor, et qu'il fut l'une des dernières et illustres victimes de la Terreur dont il avait flétri les coryphées, «ces bourreaux barbouilleurs de lois», dans des iambes immortels.
Cherche-Midi (rue du): Autrefois des Vieilles Tuileries, puis chasse-midi et enfin cherche-midi «qui était le nom d'une enseigne que je pense y avoir vue, dit Sauval, où se voyait peint un cadran et des gens qui cherchaient midi à quatorze heures. Ce nom, tout corrompu et faux qu'il est, plaît si fort à ceux du faubourg St-Germain, où cette rue est située, qu'ils l'ont transporté aux filles de la congrégation de Notre-Dame qui y ont un monastère.... L'enseigne après a semblé si belle qu'elle a été gravée et mise à des almanachs tant de fois qu'on ne voyait autre chose: et même on en a fait un proverbe: Il cherche midi à quatorze heures; c'est un chercheur de midi à quatorze heures, dit-on en parlant de gens qui cherchent à reprendre quelque chose mal à propos où il n'y a rien à reprendre, ou qui s'embarrassent pour des choses qu'ils ne sauraient avoir.»
Chérubini (rue): Chérubini, compositeur de musique célèbre surtout par sa belle Messe et son grand Requiem (1760-1842).
Chevalier du Guet, (rue du): Ce nom vient d'une maison que le roi avait acquise pour loger le chevalier ou commandant du guet (garde de Paris alors). La compagnie du chevalier du guet se composait d'un capitaine, quatre lieutenants, un guidon, huit exempts, cinquante archers à cheval, un enseigne, huit sergents de commandement et cent hommes de pied, ayant tous des provisions du roi à la nomination du capitaine, deux greffiers contrôleurs, un payeur de solde.
Ces archers étaient habillés de bleu avec des bandoulières semées d'étoiles d'argent et de fleurs de lys d'or, bordées d'un galon or et argent.
Les huit sergents portaient des justes-au-corps galonnés d'argent et les ceinturons de même sans bandoulières.
Cité (rue de la): En 1834, on confondit sous cette seule dénomination les trois rues de la Lanterne, (nom qui vient d'une enseigne); de la Juiverie, ainsi nommée parce qu'au XIIe siècle elle était habitée par les juifs; du Marché-Palu; ce nom venait d'un marché qui s'y tenait de temps immémorial et que le sol boueux et marécageux, qui ne fut que tardivement pavé, avait fait surnommer palu de palus, marais.
Cléry (rue de): Ce nom vient de l'hôtel Cléry qui s'y trouvait situé et qui aboutissait sur les fossés de la ville. Pour moi ce nom rappelle celui du pieux serviteur de Louis XVI, et rayonne comme le symbole du dévouement et de l'héroïque fidélité.
Vieux-Colombier (rue du): Elle doit son nom à un colombier que les religieux de St-Germain des Près y avaient fait bâtir au XVe siècle. La caserne des Pompiers, qui se voit aujourd'hui vers le milieu de la rue, formait avant la Révolution le couvent ou asile des Orphelins de St-Sulpice ou de la Mère de Dieu, fondé par le vénérable Olier, en 1648, pour les enfants, filles et garçons, de la paroisse qui restaient sans parents.
Cocatrix (rue):
En la rue Cocatrix vins,
Où l'on boit souvent de bons vins,
Dont maint homme souvent se varie (s'enivre).
Cocatrix était le nom d'une famille bien connue au XIIIe siècle et du fief qui lui appartenait, situé entre la rue St-Pierre-aux-Bœufs et celle des Deux-Ermites.
Colomb Christophe (rue): Cet illustre Génois à qui la découverte de l'Amérique valut tant de gloire et que l'Espagne, dotée par lui d'un immense empire, récompensa par l'ingratitude, joignait au grand caractère, à l'intelligence supérieure, les vertus d'un saint. Des historiens vont jusqu'à lui attribuer le don des miracles; l'auteur d'une consciencieuse et intéressante Histoire de Christophe Colomb en deux volumes, de date assez récente, M. Roselly de Lorgnes est de ceux-là et réclame, pour son héros et le nôtre, les honneurs de la canonisation.
Salle au Comte (rue): À la fin du XIIIe siècle, dans cette rue s'élevait un hôtel appartenant au comte de Dammartin et qu'on appelait la Salle du Comte ou au comte.
Concorde (place de la): S'appelait Place Louis XV, parce qu'elle fut tracée sous le règne de ce prince dont la statue équestre s'élevait au milieu de la place qui s'appela de la Révolution à cette époque si triste de nos annales où se dressait en permanence, en face du jardin des Tuileries, l'échafaud sur lequel montèrent tour à tour Louis XVI, Marie-Antoinette, Mme Élisabeth, Malesherbes, Beauharnais, Chénier, Barnave, et tant d'autres illustres victimes auxquelles bientôt d'ailleurs, par un juste jugement de Dieu, succédèrent les bourreaux.
Par suite d'un décret du 26 octobre 1795, la place se nomma de la Concorde, désignation qui paraît devoir lui rester définitivement et qu'elle reprit après 1830; car, pendant la Restauration, elle s'appela de nouveau place Louis XV.
Au milieu de la place s'élève le grand obélisque rapporté d'Égypte en 1833 et qui s'encadre entre deux fontaines en bronze d'un assez bel aspect. Des autres embellissements de ce vaste pourtour nous n'avons rien à dire; ils nous semblent d'un goût fort contestable, en particulier les maisonnettes servant de piédestaux aux statues, et les ennuyeux dallages en bitume qui ne servent guère qu'aux exercices des amateurs du patin à roulettes. Assurément de frais gazons et des corbeilles de fleurs récréeraient bien mieux la vue.
Condé (rue de): Elle a pris ce nom lorsque Henri de Bourbon, prince de Condé, vint loger à l'hôtel de Gondy. On connaît les beaux vers de Boileau sur Condé.
Un bruit s'épand qu'Enghien et Condé sont passés;
Condé, dont le seul nom fait tomber les murailles,
Force les escadrons et gagne les batailles;
Enghien, de son hymen le seul et digne fruit,
Par lui dès son enfance à la victoire instruit.
Épître IV.—Au Roi.
Coq-Héron (rue du): L'impasse de ce nom (origine inconnue) devint une rue en 1543, sous le règne de François Ier qui ordonna de démolir l'hôtel de Flandre pour vendre le terrain à des particuliers avec la faculté de bâtir.
Dans cette rue se voient, d'un côté, les bâtiments de la Caisse d'Épargne, et de l'autre, des dépendances de l'Hôtel-des-Postes dont la principale entrée se trouve rue Jean-Jacques Rousseau.
Coquillière (rue): Elle aurait dû d'abord son nom à Pierre Cocquettier, bourgeois de Paris, qui, en 1292, y possédait une belle maison qu'il vendit à Guy de Dampierre, comte de Flandre. Le peuple changea ce nom en celui de Coquetière, à cause des coquetiers ou marchands d'œufs qui passaient par cette voie pour se rendre aux halles ou qui peut-être y tenaient leurs boutiques. Au temps de Clément Marot, elle prit le nom de rue Coquillart d'un certain gentilhomme qui avait trois coquilles d'or dans ses armes. Le poète lui fit, après sa mort, cette épitaphe:
La mort est jeu pire qu'aux quilles,
Ni qu'aux échecs, ni qu'au gaillard,
À ce méchant jeu Coquillart
Perdit sa vie et ses coquilles.
On ne dit point à quelle époque la rue prit son nom définitif de: Coquillière.
Corbeau (rue du): Ouverte en 1826 sur un terrain appartenant à M. Corbeau.
Corbineau (rue): Corbineau (Claude-Louis-Constant-Esprit-Juvenal-Gabriel), né à Laval le 7 mars 1772, s'engagea, dès l'âge de seize ans, dans la compagnie des gendarmes de la reine. Il était général lorsqu'il fut tué à Eylau par un boulet. On cite de lui dans cette bataille un trait non moins curieux qu'admirable.
Il sabrait vigoureusement un corps de Russes lorsque tout à coup l'arme échappe de ses mains.
«Ramasse-moi mon sabre, et rends-le moi!» cria-t-il au Russe qui se trouvait le plus près de lui.
Stupéfait, le soldat ennemi, qui peut-être ne comprenait pas notre langue mais cédait à l'éloquence du geste et à la fascination du regard, se baisse, ramasse le sabre et le remet à Corbineau et celui-ci continue à charger.
L'Empereur, en apprenant la mort de Corbineau, fut vivement impressionné et il murmura: «Quoi! réduit à rien par un boulet!»
Cordonnerie (rue de la): Son nom lui vint des vendeurs de cuirs et cordonniers qui l'habitaient. Ce n'est que par syncope que ceux qui font et vendent des souliers sont nommés cordonniers, car originairement on les appelait cordouanniers, parce que le premier cuir dont les Français se servirent, venant de Cordoue, était appelé Cordouan.
Cossonnerie (rue de la): Est fort ancienne. Au XIIe siècle, on l'appelait via cochoneria ou de la cochonnerie. «Il semblerait, dit un vieil auteur, qu'autrefois on y ait tenu le marché aux cochons et celui de la volaille, ou qu'elle ait été longtemps habitée par des charcutiers et des poulaillers, car anciennement cossonniers et cossonnerie voulaient dire la même chose que poulaillers et poulaillerie; j'apprends même de quelques vieillards qu'à certains jours de la semaine on y tenait un marché de cochons et de volailles.»
Cours. Le nombre des rues et places qui portaient autrefois ce nom était considérable. La plupart étaient des maisons accompagnées d'une cour comme la cour des Miracles, la cour des Fontaines, etc.
Coupe-Gorge et Coupe-Gueule (rues): Toutes deux dans le quartier de la Sorbonne; «elles prirent des noms si étranges, dit Sauval, à cause des brigandages et massacres qui s'y faisaient toutes les nuits», et par ce motif furent fermées de portes et de fait supprimées. Ces dénominations sinistres, très-multipliées dans le vieux Paris, sont, pour le dire en passant, la meilleure preuve qu'il ne faisait pas si bon à vivre à cette époque que le croient et le disent des écrivains érudits et bien intentionnés d'ailleurs, mais aux opinions systématiques et qui volontiers nous représentent ces temps comme un autre âge d'or. Ce n'est point ainsi qu'en jugeaient les contemporains, chroniqueurs et poètes, qui, regardant autour d'eux, ne trouvaient guère qu'à blâmer, mais par une autre exagération, et par suite de cet effet d'optique singulier qui fait que, pour bien voir un tableau, il ne faut être placé ni trop près ni trop loin. Je ne parle point ici des auteurs de fabliaux et contes, illisibles pour la plupart par tant de passages licencieux qui nous donnent des mœurs du temps une idée assez fâcheuse. Mais des auteurs plus sérieux, des hommes graves, dans leurs histoires et chroniques, semblent trop confirmer par ce qu'ils racontent les dits scandaleux des trouvères. Les poètes satiriques parlent de leur siècle comme parleront du leur plus tard Mathurin, Regnier, Boileau, Gilbert et de nos jours tel moraliste qui, dans ses plus violentes sorties, ne saurait guère aller plus loin que l'honnête Guyot, le poète du XIIIe siècle (1204).
Du siècle puant et horrible
M'estuet (m'émeut) commencer une bible (livre)
Pour poindre et pour aiguillonner
Et pour grand exemple donner.
Suit une longue description des travers et des vices du temps dans laquelle abondent les portraits qui ne sont pas flattés, aussi bien que les tableaux fort peu couleur de rose. Citons quelques passages comme pièces à l'appui.
Le monde nos (nous) ont encombré
D'ort siècle de désespéré;
Trop est notre loi au-dessous,
Qui bien nos (nous) voudroit juger tous,
Si, comme je sais et comme je crois,
Jà (déjà) n'en eschaperoient trois
Qu'ils ne fussent damnés sans fin.
Où sont li (les) bon, où sont li fin (vrai),
Où sont li (les) sage, où sont li prou (braves)?
S'il estoient tuit (tous) en un fou (feu),
Jà des Princes, si comme je cuit (pense),
N'y auroit un brûlé ni cuit.
Un poète à qui sa haute position permettait de mieux juger encore et qui, dans ses voyages, avait acquis une longue expérience par la comparaison des divers pays, le Seigneur de Berze (dans la Bible au Seigneur de Berze), n'est pas moins sévère que Guyot:
Li (les) uns usent lor (leur) temps en guerre,
Et as (aux) autres taut-on (enlève) leur terre;
Li (les) uns languist d'infirmité,
Li autres choit en pauvreté.
L'autre est blasmé et en vergogne
Et cil (celui) qui mieux a sa besogne,
C'est cil qui convoite encor plus:
Nul rien de bien je n'y truis (trouve).
Il soloit (avait coutume) estre un temps jadis
Que li siècles estoient jolis
Et pleins d'aucune vaine joie:
Or, n'est solaz (plaisir) que je y voie
En quoi li (les) hom (hommes) se delitoit (délectait),
En faire ce que il cuidoit (pensait)
Qui venist à l'autre à plaisir:
Or (à présent) se delitent en trahir,
Et li uns de l'autre engeingnier (tromper);
Cil qui mieux sait deschevauchier (renverser)
Son compagnon, cil vaut ores (à présent) miex (mieux).
Convoitise, angoisse et orgueix (orgueil)
Ont si (ainsi) toute joie périe
Qu'elle est par tout le mont (monde) faillie.
...............
Le pauvre brait toujours et crie
Qu'il ait avoir et manantie (richesse),
Et le riche meurt de paor (peur)
Qu'il ne la perde chacun jor (jour).
...............
Li (le) mariage dont Dieu dist
À quoi le siècle se tenist (tint)
Pour garder ailleurs de péché,
Sont tuit (tout) corrompu et brisé,
Et la foi et la loyauté
Sont changés en fausseté;
Et li (les) chevaliers, qui devoient
Défendre de cil (ceux) qui roboient
Les menues gens et garder,
Sont or (à présent) plus engrant (ardents) de rober (voler)
Que li autres et plus angoisseus:
Tout tourne et à gas et à geus (risée et jeu)
Quanques (tout ce que) Dieu avait establi.
Des laboureurs je vous di (dis)
Que li un conquiert (prend) volontiers
Sur son compagnon deux quartiers
De terre, s'il peut, en emblant (volant),
Et boute adez (ensuite) la borne avant.
En plusieurs manières sont faux
Et tricheors (tricheurs) li plusieurs d'aux (d'eux);
Et li Provoire (prêtre) et li Clergé
Sont plus désirant de péché
Que li autre ne sont assez.
Tout est le siècle bestornez (renversé)
D'ensi (depuis) comme il fut establiz,
Tuit (tous) s'atornent (s'adonnent) mès aux deliz (délits).
...............
Molt (beaucoup) eussions fait bel exploit
Si les Ordres (religieux) fussent tenues;
Mais elles sont si corrompues,
Que petit (peu) en tient nului (aucun) ores (à présent)
Ce qui leur fut commandé lores (autrefois).
Ainsi chacune se discorde
De Dieu servir d'aucune rien (façon).
Et Nonnains a-t-il molt de bien
S'elles tenissent (tinssent) chastée (chasteté)
Si comme elle estoit ordenée (ordonnée);
Mais elles ont maisons plusors (plusieurs)
Où l'on pense à de vainz ators (atours),
Plus qu'on ne fait de Dieu servir;
Toute voie (toutefois) et (est) à souffrir;
Car s'aucune méprend (agit mal) de rien,
Il y a d'autres qui font bien.
Supposé que de notre temps les gens du monde méritassent les mêmes reproches et un blâme aussi énergique, assurément si l'on parlait de notre Clergé, des prêtres réguliers et séculiers, comme le font Guyot et le Seigneur de Berze, on crierait à la calomnie, et l'on aurait raison. Mais quoi, à toutes les époques, nous voyons moralistes, satiriques, prédicateurs, même ceux de l'esprit le plus large et le plus élevé, faire la leçon aux contemporains, blâmés comme les pires de tous. N'est-ce pas Bossuet qui, en plein XVIIe siècle, dans ce grand XVIIe siècle, illustré par tant de gloires et l'honneur de notre histoire, s'écriait avec un accent, d'amère douleur: «Eh! quel siècle fut plus débordé que le nôtre!»
Croissant (rue du): Ce nom vient d'une enseigne.
Croix-Rouge (carrefour de la): Il s'appelait au XVe siècle Carrefour de la Maladrerie à cause de plusieurs bâtiments ou granges dans lesquelles on logeait les pauvres malades. Ce nom fut remplacé par la désignation actuelle qui vient d'une croix peinte en rouge qu'on voyait au milieu de la place, laquelle, sous la Révolution, s'appela du Bonnet rouge.
Cujas (rue): Cujas (Jacques), célèbre jurisconsulte né à Toulouse en 1520 et mort en 1590, se recommandait par la vertu autant que par la science. Ses Commentaires sur le Droit romain font encore autorité.
Culture Ste-Catherine (rue): On prononçait coulture. Cette rue et plusieurs autres avec elle s'appelèrent de ce nom qui signifie un endroit propre à être cultivé. Il y avait jadis à Paris un grand nombre de ces terrains appartenant à des églises, à des abbayes, la culture Saint-Éloi, la culture Saint-Gervais, Saint-Lazare, etc.
Au coin de cette rue Culture Ste-Catherine, dans la nuit du 13 au 14 juin 1391, Pierre de Craon tenta par vengeance d'assassiner le connétable de Clisson. Il le laissa pour mort sur la place, mais le connétable n'était que blessé et guérit assez promptement. Les biens de Pierre de Craon furent confisqués, son hôtel démoli et l'emplacement où il s'élevait servit dès lors de cimetière à la paroisse Saint-Jean.
Cuvier (rue): Georges Cuvier, né en 1769 mourut en 1832. L'illustre naturaliste, qui fut un éminent écrivain, a jeté les bases de cette branche nouvelle de la science qu'on appelle la Paléontologie, dont les progrès ont été si rapides. Un des résultats les plus considérables des récentes découvertes géologiques, fruit de patientes investigations, a été de prouver le merveilleux accord de la cosmogonie de Moïse avec les faits mis en lumière par la science. «Chose admirable, dit Cuvier, les dépôts et les débris fossiles suivent absolument, dans les degrés de leur enfoncement dans le sein de la terre, l'ordre des jours où les substances auxquelles elles ont rapport furent créées d'après le récit de Moïse... Élevé dans toute la science des Égyptiens, Moïse nous a laissé une Cosmogonie dont l'exactitude se vérifie chaque jour. Les observations géologiques s'accordent parfaitement avec la Genèse sur l'ordre dans lequel ont été successivement créés tous les êtres organisés[43].»
[43] Cuvier:—Recherches sur les ossements des quadrupèdes fossiles.
D
Daguerre (rue): L. Jacques Daguerre (1788-1851) inventeur du Diorama, en 1822, l'est aussi du Daguerréotype (1839) réservé à une bien autre fortune grâce aux perfectionnements de la découverte. Le procédé, qui consistait d'abord à fixer les images sur la plaque métallique par la seule action de la lumière, est devenu surtout populaire par la Photographie qui, à l'aide du verre dépoli, reproduit l'empreinte sur le papier et tire autant d'épreuves que l'on désire.
L'engouement pour les cartes-portraits et les albums paraît cependant très-refroidi.
C'est une question de savoir si le peintre Daguerre, avec sa découverte qui donne trop aux procédés matériels, n'a pas nui à l'art plus qu'il ne l'a servi. Toppffer assez compétent est pour l'affirmative. J'inclinais, moi-même à cette opinion lorsque j'ai lu, d'un écrivain éminent, une page éloquente qui m'a fait réfléchir et m'a converti, peu s'en faut, à la photographie.
«Voici que, depuis peu de jours, dit le père Gratry dans les Sources (2e partie), l'art de fixer l'image de la figure humaine devient si populaire et si facile, que les peintres, aidés du soleil, parcourent dans toute l'Europe jusqu'aux moindres villages, et font si bien que fort souvent ils ne laissent pas dans la contrée une seule figure humaine sans la saisir. Eh bien! voilà les portraits des ancêtres. Ce qui n'était possible, il y a plusieurs siècles, qu'aux rois et aux seigneurs, sera bientôt réalisé pour tous; l'usage de ces collections s'étendra; on mettra les noms et les dates, puis quelques faits saillants: fonctions, honneurs, services, actes de dévouement. Les maires et les curés signeront les portraits, constateront les souvenirs. Voilà les parchemins, voilà les titres de noblesse! Ô mon frère qui que vous soyez, devenez fondateur ou bien régénérateur d'une race noble! Portez avec vigueur à son grand but, qui est la multiplication des justes et des enfants de Dieu, celles des lignées humaines, dont vous êtes un anneau: en cela seul, vous aurez été un bienfaiteur de la patrie et de l'humanité.»
Nous voilà bien loin de Daguerre et de sa plaque!
Davoust (rue): Davoust (Louis-Nicolas) maréchal de France et prince d'Eckmühl, joignait à de grands talents militaires, prouvés surtout par la victoire d'Auesterdæt, une honorable indépendance de caractère. Né en 1770, il est mort en 1823.
Dauphin (rue du): Relativement récente, car elle ne date que du XVIIe siècle. Elle s'appelait d'abord St-Vincent; mais vers 1744, le Dauphin (père de Louis XVI) prit l'habitude de suivre cette rue pour aller entendre la messe à St-Roch. Un matin, pendant qu'il priait, le peuple, à qui ce prince était cher par ses vertus, enleva l'ancienne inscription pour la remplacer par une nouvelle, celle de rue du Dauphin.
Dauphine (rue): Ce nom lui fut donné en l'honneur du Dauphin, depuis Louis XIII (1606).
Dauphine (place): Fut faite sous le règne de Henri IV, et à cette époque Paris ne comptait comme places publiques que la Grève, les Halles, le parvis Notre-Dame, la place Maubert, celle du Chevalier-du-Guet, de Sainte-Opportune et de la Croix-du-Tiroir.
«Lorsque le projet de bâtir le Pont-Neuf avait été conçu, dit Saint-Victor, on avait coupé l'île de la Gourdaine du côté du grand cours de l'eau, le moulin de la Monnaie avait été détruit, et sur les deux côtés du triangle qui forme ce terrain avaient été construits les deux quais que nous voyons aujourd'hui. Commencés en 1580, puis interrompus, ils furent repris vers le temps où l'on finissait le pont et achevés en 1611. Tout l'espace qui s'étendait depuis l'Éperon jusqu'au jardin du Palais était encore en prairies: «c'était, dit Sauval, une solitude stérile, déserte et abandonnée qui, tous les ans, était noyée et cachée sous l'eau.» Henri IV en fit don, en 1607, au premier président de Harlay, à la charge d'y bâtir, suivant les plans et devis qui lui seraient donnés par le grand voyer et sous la condition de quelques redevances. Ce magistrat fit construire d'abord, le long des murs du jardin, une rue de maisons uniformes qui aboutit aux deux quais du grand et du petit cours d'eau et qui fut nommée rue du Harlay. Sur le plateau triangulaire qui formait le reste de l'île, on ouvrit une place qui fut environnée de maisons à double corps de logis dont l'un a vue sur la place et l'autre sur les quais. Le plan en fut donné par le roi qui la nomma place Dauphine, en mémoire de la naissance de son fils Louis XIII.
Sous la Révolution, la place s'appela Place de Thionville, et garda ce nom jusqu'à la Restauration. C'est au milieu de cette place, à l'endroit à peu près où se voit le monument de Desaix, que furent brilles, sous Philippe IV dit le Bel, Jacques Molay, grand maître des Templiers et le maître de Normandie. L'île dite de la Gourdaine appartenait alors à l'abbaye de St-Germain des Prés et le roi crut devoir écrire aux religieux de l'abbaye que par cette exécution il n'avait aucunement prétendu porter atteinte à leurs droits de propriété. Le fait est assez curieux pour ne pas l'oublier.
David (rue): Louis David, né en 1748, mort en 1825. Très vraie nous paraît cette réflexion de Raczynski à propos de ce maître: «Dans les Sabines de David par exemple, il y a de très grandes beautés. Les enfants dans ce tableau sont dignes du Dominiquin.... Si au lieu de brûler de l'encens sur les autels du paganisme et de la Révolution, il avait élevé son âme aux inspirations chrétiennes, s'il avait été donné à ce cœur de connaître la charité, la piété et le calme religieux, il eut sans doute atteint le sublime de l'art.»
Dans la bouche du critique, ces observations ont plus de portée encore.
Delaroche (rue): Paul Delaroche, né en 1797, mort en 1856. Lenormant a dit de cet illustre peintre: «Tous les moyens employés par l'artiste sont pour ainsi dire sa création, et par un bonheur sans égal il trouve le secret de s'adresser à tout le monde; tandis que le peuple, dans le sens véritable et étendu du mot, est séduit et captivé par une réalité saisissante, l'homme de l'art reconnaît un talent original, des ressources étonnantes, et son suffrage, arraché peut-être, n'en est que plus sincère et plus profond.»
«... Après ce que j'ai dit, j'ai peu de chose à ajouter sur son caractère pour faire juger l'homme en même temps que le peintre. On s'arrange mieux aujourd'hui d'épines dorsales plus souples que la sienne: mais il s'inquiétait peu qu'on le trouvât raide pourvu que sa conscience lui dît qu'il était bon. Il était par-dessus tout l'homme du devoir et du travail; il avait à un degré supérieur le sentiment de la dignité de l'artiste: et ceux qui dépendaient de lui, enfants, élèves et domestiques, savaient seuls qu'il n'y avait pas de bornes à la douceur intime de son caractère.... Il laisse de beaux exemples et n'a donné que de bonnes leçons.»
Casimir Delavigne (rue): Né en 1793, mort en 1843, Casimir Delavigne a prouvé, (comme Racine avec Athalie), par sa tragédie des Enfants d'Édouard que, sans une intrigue amoureuse, un drame pouvait offrir l'intérêt le plus soutenu, le plus profond, tenir jusqu'à la fin le spectateur haletant sous le coup de son émotion croissant de scène en scène, et le conduire le cœur serré par l'angoisse, les yeux pleins de larmes, au dénouement des plus pathétiques. La plupart des autres pièces de l'auteur, les Vêpres siciliennes, le Paria, Marino Faliero, etc, ont vieilli, pour la forme comme pour le fond; la tragédie des Enfants d'Édouard, de beaucoup supérieure, vraiment remarquable même, a gardé tout son attrait restée à bon droit au théâtre. Beaucoup de vers sont devenus proverbe, celui-ci par exemple:
Quand ils ont tant d'esprit les enfants vivent peu.
On y regrette seulement quelques hémistiches malveillants à l'adresse du clergé. Delavigne par malheur était imbu de préjugés rétrogrades et voltairiens, qui, dans le Don Juan d'Autriche, s'accentuent jusqu'à l'ineptie et au ridicule. Le caractère honorable du poète, qui n'était point un bohème comme tels autres de nos contemporains, rend plus extraordinaire le penchant à ces sottises peu dignes d'un esprit aussi élevé, penchant qui doit tenir à une première et fausse éducation. Mais il dépendait de Casimir Delavigne de s'éclairer par l'expérience, par l'étude, la réflexion aidées de la conscience; et précisément parce qu'il eut plus de lumières, il semble moins excusable d'avoir persévéré dans ces vulgaires errements.
Les Messéniennes, poésies lyriques, qui eurent naguère tant de retentissement et commencèrent la réputation de l'auteur, ne se lisent plus guère.
Saint-Denis (rue): Est l'une des plus anciennes de Paris. Elle existait comme rue avant la fin du XIe siècle, et avait pris tout naturellement son nom du chemin qui conduisait au village de St-Denis (ancienne Catalocum), où l'on vénérait le tombeau du saint martyr, et de ses compagnons. C'était et ce fut longtemps un pèlerinage des plus célèbres.
La rue à l'abbé de Saint-Denis
Sied assez près de Saint-Denis[44].
«À deux lieues est l'abbaye laquelle est d'excellent édifice, dit un vieil auteur[45]: là sont les corps de St-Denis et ses compagnons St-Ruth et St-Eleuthère, en grandes riches fiertes (châsses). Si y est une maisoncelle (petite maison) dessus appelée tégurion, toute d'argent, à riches pierres, laquelle fit saint Éloi. Si fut d'abord la couverture de l'église d'argent; mais puis, pour une grande guerre, fut découverte et fut pour ce baillé à l'église un des saints Clous, une partie de la sainte Couronne, une partie de la Lance, une partie de la sainte Croix, le Suaire de Notre-Seigneur, la destre de saint Siméon, une chemise de Notre-Dame et autres notables reliques. Illec (là) sont moult de riches sépultures de rois et de princes; là prend le roi l'oriflamme quand il va en guerre; c'est un gonfanon dont la hampe est dorée et la bannière vermeille à cinq franges où l'on met houppes de vert.»
C'était par la rue St-Denis que les rois et les reines de France faisaient leur entrée solennelle dans Paris. Toutes les rues sur leur passage étaient tendues d'étoffes magnifiques de soie et de drap. Voici ce que Froissard nous raconte à propos de l'entrée dans Paris de la trop fameuse Isabeau, femme de Charles VI: «À la Porte aux Peintres, rue St-Denis, on voyait un ciel nué et étoilé très richement, et Dieu par figure séant en sa majesté, le Père, le Fils et le Saint-Esprit; et dans ce ciel petits enfants de chœur chantaient moult doucement en forme d'anges; et lorsque la reine passa dans sa litière découverte sous la porte de ce paradis, deux anges descendirent d'en haut tenant en leur main une très riche couronne d'or, garnie de pierres précieuses et la mirent moult doucement sur le chef de la reine, chantant en vers:
Dame enclose entre fleurs de lys,
Reine êtes-vous de paradis,
De France et de tout pays.
Nous remontons au paradis.
On sait que saint Denis, apôtre des Gaules, qui fut le premier évêque de Paris, souffrit le martyre dans cette ville avec ses compagnons, Rustique, prêtre, et Eleuthère, diacre, et que tous trois eurent la tête tranchée. Les Actes nous apprennent de plus qu'après l'exécution, les corps des saints furent jetés dans la Seine par les bourreaux; mais une pieuse chrétienne du nom de Catulla, à la faveur des ténèbres et aidée de quelques serviteurs sans doute, put les retirer et les enterrer honorablement non loin du lieu où les confesseurs avaient été décapités. Sur cette tombe vénérée, les fidèles élevèrent une chapelle, comme on l'a dit plus haut, remplacée au cinquième siècle par une église. Puis, lorsque le roi Dagobert fonda la célèbre abbaye de St-Denis, il y fit transporter les précieuses reliques.
Mais à quelle date faut-il placer le martyre de saint Denis? «L'opinion la plus probable, dit Godescard, est qu'il souffrit durant la persécution de Valérien, en 272.» Mais une tradition fort ancienne et respectable autant que vraisemblable, d'après des hagiographes consciencieux, veut que saint Denis, premier évêque de Lutèce, fût celui-là même que saint Paul convertit à Athènes et qui est connu sous le nom de l'Aréopagite. Dès le temps des apôtres, et envoyé par eux, il avait porté l'Évangile dans les Gaules; son martyre remonterait donc au premier siècle de l'ère chrétienne. Il ne nous appartient pas, à nous trop peu versé dans ces matières, de décider à ce sujet; il nous semble toutefois, en ne consultant que les simples lumières du bon sens, que le triomphe définitif de cette opinion, s'appuyant de preuves sérieuses, ne pourrait qu'ajouter à la gloire de l'église gallicane puisque l'évêché de Paris remonterait ainsi à la plus haute antiquité.
St-Denis (porte): En 1671, le prévôt des marchands et les échevins décidèrent qu'on érigerait un arc de triomphe en mémoire des glorieux exploits de Louis XIV dans la Flandre et la Franche-Comté. La ville de Paris fit les frais de cette construction. Ils s'élevèrent à 500,122 f. Les sculptures, commencées par Girardon d'après les dessins donnés par François Blondel, furent achevées par Michel Anguier. L'arc de triomphe fut restauré en 1807 par M. Cellerier.
Descartes (rue): René Descartes, mathématicien et métaphysicien célèbre, né en 1596, mourut en 1650. Il a fait dire de lui: «Tout est tellement plein dans le système de Descartes que la pensée ne peut s'y faire jour et y trouver place. On est toujours tenté de crier comme au parterre: «De l'air! de l'air! On étouffe, on est moulu!» J'en crois plus volontiers ici Joubert que le poète quand il dit:
Descartes, ce mortel dont on eût fait un Dieu!
Desèze (rue): Romain ou Raymond, comte Desèze, né à Bordeaux en 1750, mort en 1828, l'un des défenseurs de Louis XVI.
Diamants (rue des cinq): Ce nom vient d'une enseigne.
St-Dominique St-Germain (rue): S'appelle ainsi depuis l'an 1643, que les Jacobins obtinrent la permission de lui donner ce nom au lieu de celui de Rue aux Vaches, Chemin aux Vaches, qu'elle portait parce que les vaches du faubourg St-Germain passaient par ce sentier pour aller paître au Pré aux Clercs. (Il y a longtemps de cela).
Dragon (rue et cour du): Ce nom vient d'un dragon sculpté au-dessus de l'une des portes de la Cour.
Draperie (rue de la Vieille): Après l'expulsion des Juifs, en 1183, Philippe-Auguste établit dans cette rue des drapiers auxquels il donna 24 maisons moyennant 100 livres de rentes. De là le nom de la draperie qui devint, en 1313, la Viez Draperie.
Du Sommerard (rue): Du Sommerard est le savant antiquaire à qui l'on doit la création du Musée de Cluny, par suite du don qu'il fit à la ville de Paris de sa précieuse collection. Né en 1779, il mourut en 1842.
E
Éblé (rue): Engagé volontaire dès l'âge de 9 ans comme fils d'un officier, Éblé (Jean-Baptiste) était capitaine au moment de la Révolution qui lui ouvrit une plus large carrière. Général de brigade en septembre 1793, on lui dut une nouvelle et meilleure organisation de l'artillerie. Après avoir fait la plupart de nos grandes campagnes, il fut, lors de la guerre de Russie, nommé commandant en chef des équipages et rendit, en cette qualité, des services inappréciables.
Quand vinrent les désastres de la retraite, Éblé dirigea la construction des ponts qui permirent aux débris de l'armée de franchir la Bérésina et sauvèrent la vie à tant d'infortunés. Le brave général, pour hâter l'exécution du travail, et réparer, au besoin, les accidents, resta trois jours et trois nuits sur la rive du fleuve les pieds dans l'eau et dans la glace. Victime ou plutôt martyr de son dévouement, par suite de la fatigue et du froid, il s'éloigna malade. Quelques jours après, il expirait à Koenisberg au moment où l'Empereur le nommait inspecteur-général et commandant en chef de l'artillerie de l'armée.
Échaudé (rue de l'): On appelle échaudé un îlot de maisons en forme triangulaire qui donne sur trois rues.
Échelle (rue de l'): On nommait échelles autrefois certains lieux d'exécution à cause d'une espèce d'échelle sur laquelle on attachait les coupables.
École, (rue de l'): Voici ce que nous en apprend Le Dit des Rues de Paris:
En après est, rue de l'École,
La demeure à dame Nicole;
En cette rue, ce me semble,
Vend-on foin et fouarre (paille).
Le vieux poète Rutebœuf nous a laissé de l'écolier d'alors un portrait pris sur le vif et curieux aujourd'hui encore à reproduire:
Quand il est à Paris venuz
Por faire à quoi il est tenuz
Et por (pour) mener honeste vie,
Si bestorne (renverse) la prophétie.
Gaing de soc et d'arérure (labourage)
Nos convertit en arméure (armure);
Por chacune rue regarde
Où voie la belle musarde;
Partout regarde, partout muse;
Ses argenz faut (gaspille) et sa robe uze:
Or est tout au recoumancier (recommencer).
Ne fait or bien ce semancier
En carême que l'on doit faire,
Chose qui à Dieu doive plaire.
En lieu de haires haubers vestent,
Et boivent tant qu'ils s'entêtent.
École Polytechnique: Cette École célèbre, fondée, en 1794, sous le titre de: École centrale des Travaux publics, parce qu'elle était destinée surtout à former des ingénieurs, prit le nom d'École Polytechnique que lui donna la loi du 1er septembre 1795, modifiant son organisation. Les savants les plus illustres de l'époque, Lagrange, Laplace, Berthollet, Fourcroy, Monge, etc., tinrent à honneur d'y professer. Les élèves se réunissaient dans les amphithéâtres du Palais-Bourbon; mais, après le décret du 16 juillet 1804, qui déclara qu'à l'avenir ils seraient casernés, l'École fut transférée sur la montagne Sainte-Geneviève, dans le local qu'elle occupe aujourd'hui.
L'admission a toujours lieu par voie de concours, et des examinateurs spéciaux en décident. La durée des cours est de deux ans, suivis de nouveaux et rigoureux examens. Les élèves s'ils n'ont pas échoué, en sortant fruits-secs, ont le droit de choisir, d'après le rang qu'ils occupent sur la liste dressée par le jury, le service public (ponts-et-chaussées, mines, artillerie, état-major, etc.) dans lequel ils veulent entrer. Aux derniers nécessairement les moins bonnes places: tardè venientibus ossa.
Deux-Écus (rue des): Guillot, en 1300, la nomme des Écus seulement. C'est là que naquit, il y a pas mal d'années déjà, certain auteur assez de nos amis, et qui, nous l'espérons, n'est point tout à fait indifférent au lecteur. Pas n'est besoin de dire son nom. Avoir son berceau rue des Deux-Écus, pour un poète ou un littérateur, cela ne vous semble-t-il pas un présage et un indice assuré de la vocation?
Elzevir (rue): Ce nom fut rendu célèbre par plusieurs imprimeurs du XVIe et du XVIIe siècle établis à Amsterdam et à Leyde, et dont les bibliophiles recherchent curieusement aujourd'hui encore les belles éditions comme d'autres amateurs font des tableaux, dessins, sculptures etc.
Enfants-Rouges (rue des): Ce nom lui vient d'un hôpital qui se trouvait rue Portefoin et s'appelait ainsi au XVIe siècle. Par lettres patentes du mois de janvier 1536, François Ier se déclare fondateur de cet hospice spécialement destiné à recevoir les enfants orphelins natifs de Paris. Il est ordonné par les mêmes lettres que ces enfants seront perpétuellement appelés Enfants-Dieu et qu'on les vêtira d'étoffe rouge, «pour marquer que c'est la charité qui les fait subsister.» C'est ce qui leur fit donner par le peuple, en dépit de l'ordonnance royale, le nom d'Enfants-Rouges.
Enfer (rue d'): Ce n'était au XIIIe siècle qu'un chemin nommé de Vanves et d'Issy parce qu'il conduisait à ces deux villages. On le désigna ensuite sous la dénomination de Vauvert, parce qu'il se dirigeait vers le château de ce nom que remplaça plus tard le couvent des Chartreux. Cette voie publique prit successivement le nom de Porte-Gibard, de rue Saint-Michel, et faubourg Saint-Michel. Enfin on l'appela rue d'Enfer parce qu'elle devint, dit M. L. Lazare, «un lieu de débauches et de voleries, un enfer pour les pauvres bourgeois qui se hasardaient le soir dans ce quartier perdu.»
D'après Sainte-Foix, le château de Vauvert, bâti par le roi Robert, fut abandonné par ses successeurs. «Le hasard voulut que des esprits ou revenants s'avisèrent de s'emparer de ce vieux château. On y entendait des hurlements affreux. On y voyait des spectres traînant des chaînes, et entre autres un monstre vert, avec une grande barbe blanche, moitié homme et moitié serpent, armé d'une grosse massue et qui semblait toujours prêt à s'élancer sur les passants. Que faire d'un pareil château? Les Chartreux le demandèrent à saint Louis; il le leur donna avec toutes les appartenances et dépendances. Les revenants n'y revinrent plus; le nom d'Enfer resta seulement à la rue, en mémoire de tout le tapage que les diables y avaient fait.»
Dans la rue d'Enfer, au nº 74, se trouve, comme on sait, l'hospice des Enfants-Trouvés, dit aujourd'hui des Enfants-Assistés.
Épée de Bois (rue de l'): Ce nom vient d'une enseigne.
Deux-Ermites (rue des): Ce nom vient également d'une enseigne.
Vieille-Estrapade (rue de la): Autrefois rue des Fossés Saint-Marcel, nom qu'elle échangea contre celui de l'Estrapade parce que c'était l'endroit où s'infligeait ce supplice alors en usage dans l'armée. Voici en quoi il consistait: On soulevait au moyen d'une poulie le condamné jusqu'à une certaine hauteur d'où on le laissait retomber violemment à terre, ce qui lui disloquait les bras d'habitude liés sur la poitrine. Ce supplice barbare, a disparu depuis longtemps du code militaire; n'eut-il pas mieux valu n'en point perpétuer le souvenir par le nom donné à cette rue?
Étienne du Mont (église Saint): Il existait une chapelle de ce nom dès les premières années du XIIIe siècle (1221). Elle fit place plus tard à la basilique actuelle, commencée sous François Ier (1517), mais terminée bien des années après, et remarquable par son jubé, le seul qui se voie à Paris. Le tombeau de sainte Geneviève, resté dans cette église bien que les reliques aient été transportées au Panthéon (Sainte-Geneviève), attire tous les ans un grand concours de pèlerins.
Sur les murailles des inscriptions rappellent que dans cette paroisse reposaient les corps de plusieurs hommes illustres dans les lettres, les sciences et les arts: Eustache Lesueur, B. Pascal, Racine et Tournefort. Des vitraux remarquables qui datent du XVIe siècle, et plusieurs beaux tableaux dont un signé Largillière, ornent l'église.
Étoile (rue et place de l'): Ce nom vient de la disposition de la place où les rues viennent aboutir comme autant de rayons. Au milieu du périmètre s'élève l'Arc de Triomphe de l'Étoile. Un décret du 18 juillet 1806 ordonna la construction de ce monument gigantesque à la gloire des armées françaises. Le premier architecte fut M. Chalgrin auquel succédèrent MM. Goust et Blouet; le monument, par suite des vicissitudes politiques, n'ayant pu être terminé qu'après bien des années, fut inauguré le 29 juillet 1836. D'un aspect vraiment imposant, l'Arc de Triomphe a inspiré à Victor Hugo plusieurs odes qui sont assurément de ses meilleures.
Vieilles-Étuves (rue des): Une rue des plus anciennes et autrefois des plus curieuses du vieux Paris. «En sortant de la rue du Chastiau-fêtu, (nom que portait la partie de la rue Saint-Honoré située entre la rue Tirechape et celle de l'Arbre-Sec), on entrait, dit M. L. Lazare, en tournant à droite, dans la rue des Vieilles-Étuves. Le matin, une heure après l'ouverture des boutiques, on entendait le barbier étuviste qui vous criait:
Seignor, quar vous allez baingner;
Et estuver sans dilayer (tarder);
Li bains sont chaut, c'est sans mentir[46].»
«En ce moment, de joyeux étudiants, couverts de capes ou de mantes déchirées, entraient dans ces étuves en fredonnant l'acrostiche suivant composé sous le règne de Louis XII pour le blason de la ville de Paris:
Paisible domaine,
Amoureux vergier,
Repos sans dangier,
Iustice certaine
S'est Paris entier.
«D'autres clercs s'arrêtaient devant un homme portant un broc d'une main et tenant de l'autre un panier rempli de cornes semblables à celles des moissonneurs. Cet homme chantait à tue-tête:
Bon vin à bouche bien espicé.
«Puis des femmes de la Halle, aux larges épaules, aux manches retroussées, criaient de toute la force de leurs poumons:
J'ai chastaignes de Lombardie!
J'ai raisin d'outre mer—raisin!
J'ai porcés et j'ai naviaux (navets),
J'ai pois en cosse tout noviaux!
«Plus loin, on voyait une grosse et joyeuse commère qui portait sur le ventre tout l'attirail d'un restaurateur. Elle arrêtait les passants en leur débitant cette petite chanson:
Chaudes oublies renforcies,
Galettes chaudes, échaudés,
Roinsolles (sortes de gaufres), çà denrée aux dez.
«Parfois de jeunes et jolies filles de la campagne venaient offrir les plus belles fleurs et les meilleurs fruits de la saison, en murmurant d'une voix douce:
... Aiglantier,
Verjux de grain à faire allie!
Alies y a d'alisier.
«Souvent on voyait quelques fripiers de la rue Tirechape qui arrêtaient les clercs aux mantes rapées en leur disant:
«Et comme ces écoliers avaient plus de trous aux genoux et aux coudes que de blancs d'angelots et de sous parisis dans leurs surcots, ils s'esquivaient tout honteux pour se soustraire à l'importunité de ces chevaliers de l'aiguille.
«Telle était, aux XIVe et XVe siècles, la physionomie de la rue des Vieilles-Étuves.»
Les bains auxquels elle devait son nom étaient en grand renom dans la ville où, ce dont nous ne nous doutons guère aujourd'hui, «les étuves, Sauval l'affirme, étaient si communes qu'on ne pouvait faire un pas sans en trouver.»
«L'usage des étuves, dit un plus ancien auteur, était aussi commun en France, même parmi le peuple, qu'il l'est et l'a toujours été dans la Grèce et l'Asie. On y allait presque tous les jours: saint Rigobert fit bâtir des bains pour ses chanoines et leur fournissait le bois pour chauffer leur eau. Il paraît que les personnes qu'on priait à dîner ou souper étaient en même temps invitées à se baigner, témoin ce passage de la Chronique de Louis XI: «Le mois suivant, le roi soupa à l'hôtel du sire Denis Hasselin, son panetier, où il fit grande chère, et y trouva trois beaux bains richement tendus pour y prendre son plaisir de se baigner ce qu'il ne fit pas parce qu'il était enrhumé.»
Par malheur ce n'était pas peut-être l'amour seul de la propreté chez nos aïeux qui avait fait se multiplier ainsi les bains; car ces établissements n'étaient pas des mieux famés dans la cité. Le chapitre LXXXIII du Livre des Métiers, d'Étienne Boileau, contient relativement aux Étuveurs des règlements fort sévères, celui-ci entre autres: «Que nuls ne crient, ne fassent crier leurs étuves jusques à temps qu'il soit jour.»
Un fait curieux et plus ignoré encore, c'est que le monopole des bains appartenait à la communauté des maîtres barbiers perruquiers. Aussi sur leur enseigne on lisait: «Céans, on fait le poil proprement et l'on tient bains et estuves.»
Eugène (Boulevard du Prince): Eugène Beauharnais, fils de l'Impératrice Joséphine, nommé vice-roi d'Italie en 1805 par Napoléon qui même l'avait désigné pour son successeur (et certes il pouvait plus mal choisir), fit preuve de talents militaires autant que d'honnêteté et de patriotisme à l'heure des suprêmes périls. On ne saurait donc que blâmer la décision récente, prise par un pouvoir intérimaire, n'ayant aucune autorité pour cela, et qui d'un trait de plume a substitué, pour le boulevard, au nom du Prince Eugène celui de Voltaire. On a fait plus sinon pis, et la statue, une laide effigie de l'insulteur de la Pucelle, a remplacé sur son propre socle, déshonoré et usurpé presque clandestinement, celle du brave soldat, français si loyal. Voilà certes de la réaction et puerile et misérable. N'était-ce pas d'ailleurs assez et trop qu'à Paris une grande voie portât le nom de cet Arouet naturalisé Prussien par l'abjection de ses flatteries envers Frédéric, et pour tout homme de cœur ne reste-t-il point à jamais infâme par le cynisme de son impiété comme par l'absence de tout patriotisme? Ces vérités nous les avons dites ailleurs, mais on ne saurait trop les répéter quand se reproduisent, avec obstination, les mêmes scandales qui prouvent une aberration si inconcevable.
[46] Les Crieries de Paris.
F
Fagon (rue): Fagon, médecin de Louis XIV, (1638-1718) n'était point un médecin à la Molière, d'après le témoignage de Boileau.
Ferronnerie (rue de la): Elle s'appelait ainsi depuis que le roi saint Louis avait permis à de pauvres férons d'occuper les places régnant le long des charniers. Aussi, devenue par là trop étroite, cette rue se trouvait constamment obstruée; Henri II, pour l'élargir et rendre la circulation plus facile, donna l'ordre d'enlever les échoppes des Ferronniers, ordre qui ne fut point exécuté, soit par crainte du mécontentement populaire, soit à cause de la mort du roi.
En 1648 seulement, ces chétives boutiques disparurent; elles devaient être remplacées, d'après un nouveau plan, par des maisons qui auraient davantage encore rétréci la voie. Mais lorsqu'on commençait à creuser les fondations, au risque de mettre à découvert les ossements remplissant les charniers du cimetière, une émeute violente éclata qui ne s'apaisa que par la cessation des travaux. Sauval dit avec raison que «si en 1554, les échoppes eussent été ruinées, notre Henri-le-Grand n'eût pas été là malheureusement assassiné comme il fut en 1610.»
Avant la Révolution, on voyait, vis-à-vis de la place où fut commis le crime, un buste de Henri IV avec cette inscription:
Henrici Magni recreat præsentia cives,
Quos illi æterno fœdere junxit amor.
Je trouve, dans Germain Brice, à propos du procès de Ravaillac ce passage qui me paraît curieux à reproduire: «Son procès lui fut fait avec toute l'attention requise dans une si importante affaire; et à la question qui lui fut donnée avec toute rigueur, il avoua des choses si étranges que les juges, surpris et effrayés, jurèrent entre eux sur les Saints Évangiles de n'en jamais rien découvrir à cause des suites horribles qui en pourraient arriver; ils brûlèrent même les dépositions et tout le procès-verbal au milieu de la Chambre et il n'en est resté que quelques légers soupçons sur lesquels on n'a pu fonder jusqu'ici aucun véritable jugement.»
La narration de Germain Brice, suivant Sainte-Foix, manque d'exactitude. «Ravaillac soutint toujours à la question qu'il n'avait point de complices, et s'il avoua des choses étranges, ce ne fut que lorsqu'il eut demandé, à la première tirade des chevaux, à être relâché.... Il dicta alors un testament de mort que le greffier affecta d'écrire si mal que les experts en écriture n'ont jamais pu y rien découvrir.»
Férou (rue): Ce nom vient d'une famille notable de la bourgeoisie, à qui appartenait très anciennement le terrain ou clos sur lequel la rue fut ouverte au commencement du XVIe siècle.
Femme sans tête (rue de la): A pris son nom d'une enseigne représentant une femme qui n'avait point de tête et qui tenait un verre à la main. Au-dessous se lisait cette légende: Tout en est bon.
Feuillantines (rue des): Ce nom vient des religieuses Feuillantines dont le couvent se trouvait dans l'impasse. Elles étaient venues s'établir à Paris, en 1622, à la sollicitation de Anne Gobelin, veuve du sieur d'Estourmel de Plainville, capitaine des gardes du roi. Pour la construction des bâtiments et de la chapelle cette dame fit don d'une somme de vingt-sept mille livres. Elle dota également la communauté d'une rente annuelle de 2,000 livres.
Feydau (rue): Ce nom était celui d'une famille autrefois très-connue dans la magistrature.
Fidélité (rue de la): Ouverte sur les terrains et bâtiments occupés jadis par la communauté des Filles de la charité. En 1793, on chassa les religieuses et les jardins et bâtiments, déclarés propriété nationale, furent vendus sauf réserve d'une portion de terrain nécessaire pour la rue projetée. Son nom lui vint du voisinage de l'église St-Laurent appelée sous la Révolution: Temple de l'Hymen et de la Fidélité.
Figuier (rue du): Dès l'année 1300 cette rue était tout entière bâtie. Elle prit le nom de rue du Figuier parce qu'on voyait très anciennement, au carrefour formé par les rues du Fauconnier, de la Mortellerie et des Barrés, un magnifique figuier qui fut toujours renouvelé jusqu'en 1655; à cette époque, les besoins de la circulation le firent abattre.
Filles-Dieu (rue des): Ce nom vient du couvent des religieuses dites Filles-Dieu qui s'élevait dans le voisinage.
Filles St-Thomas (rue des): Ce nom vient d'un couvent de religieuses de l'ordre de St-Dominique qui se trouvait près du Temple et dans lequel les sœurs s'installèrent en 1632.
Fléchier (rue): Fléchier (Esprit), prédicateur célèbre sous Louis XIV, mourut évêque de Nîmes en 1710.
Florentin (rue St): Cette rue s'appela ainsi à cause de l'hôtel qu'y fit construire, vers 1678, le ministre Phélippeaux, duc de la Vrillière et comte de St-Florentin.
Florian (rue): J. P. Claris de Florian, né en 1755, mort en 1794, a eu la gloire, et seul, de laisser, après La Fontaine, un recueil de fables populaire et avec toute justice. Si Florian reste au second rang et, dans sa forme agréable, choisie, délicate pourtant, n'atteint pas à l'art merveilleux de celui qu'on a nommé par excellence le Fabuliste, il a d'autres mérites qui le rendent préférable à mettre aux mains des enfants. Sa morale, davantage à leur portée, d'habitude est très saine et l'on admire, chez l'officier de dragons devenu poète, cette parfaite honnêteté de sentiments, cette bonté, cette tendresse, cet accent ému et sincère où l'on sent à chaque instant vibrer le cœur. Est-il besoin de citer Le Lapin et la Sarcelle, l'Enfant et les Sarigues, etc.
Florian avait écrit aussi plusieurs romans, Estelle et Nemorin, Gonzalve de Cordoue, etc., dans le genre pastoral et sentimental et, chose singulière! ils reçurent le meilleur accueil de la société corrompue du XVIIIe siècle. Aussi faux de ton que certaines peintures de Boucher ou Lancret, mais non point malhonnêtes comme les toiles de ces messieurs, ils firent larmoyer nos bisaïeules promptes au sourire comme aux larmes. On ne lit plus aujourd'hui ces récits démodés qui tous ensemble ne valent pas une des fables du poète.
For l'Évêque (rue du): C'est-à-dire le Siége de la juridiction temporelle de l'Évêque.
Fouarre (rue de): Fut ainsi nommée à cause de la paille ou fouarre qu'on y vendait et dont les écoliers se servaient, aux jours de leurs assemblées et actions publiques, pour joncher les écoles et s'asseoir tandis que les régents et docteurs se tenaient dans des chaires ou sur des siéges élevés.
Four St-Germain (rue du): Elle fut ainsi appelée à cause du four banal de l'abbaye St-Germain des Prés construit au coin de la rue Neuve-Guillemin. Des fours semblables existaient dans les divers quartiers de Paris, et les habitants étaient obligés, sous peine d'amende et de confiscation, d'y faire cuire leur pain, ce qui produisait un revenu assuré et considérable au propriétaire laïque ou ecclésiastique. Mais de ce monopole il résultait des abus qui le rendirent oppressif et gênant pour les habitants. Des plaintes s'élevèrent et si vives, si persistantes qu'enfin Philippe-Auguste, par une ordonnance de l'année 1200, supprima les priviléges en autorisant les boulangers à faire construire des fours dans leurs maisons, moyennant une redevance annuelle par chacun d'eux de neufs sols trois deniers une obole.
Plus tard, le mot four, eut, paraît-il, une autre signification. On lit dans le journal de la cour de Louis XIV, du 10 janvier 1695: «Il y avait plusieurs soldats et même des gardes du corps qui, dans Paris et sur les chemins voisins, prenaient par force des gens qu'ils croyaient en état de servir et les menaient dans des maisons qu'ils avaient pour cela dans Paris, où ils les enfermaient et ensuite les vendaient malgré eux aux officiers qui faisaient ces recrues; ces maisons s'appelaient fours.»
Le roi, informé de ces faits odieux, ordonna de saisir à la fois tous ces racoleurs interlopes, et d'instruire immédiatement leur procès. Huit des plus coupables furent pendus. De leurs interrogatoires et de leurs aveux il résulta que Paris ne comptait pas moins de vingt-huit de ces fours ou prisons anonymes dans lesquelles, en outre des conscrits, on entraînait par force ou par ruse des femmes et des enfants qu'on vendait pour servir à peupler les colonies d'Amérique. De pareils crimes, non moins odieux qu'audacieux, pouvaient-ils être trop sévèrement châtiés?
Francs-Bourgeois, au marais, (rue des): Vers le milieu du XIIIe siècle, cette rue déjà construite s'appelait des Viez Poulies d'un jeu alors fort en vogue et dont les exercices avaient lieu dans une des maisons de la rue. Vers le milieu du siècle suivant (1350), Jean Roussel et Alix sa femme firent construire un grand hôtel destiné à servir d'asile à vingt-quatre pauvres. En 1315, la fille de Jean Roussel, mariée à Pierre le Mazurier, du consentement de celui-ci, donna cet hôpital au grand prieur de France avec 70 livres de rente, à condition de loger deux pauvres dans chaque chambre. La rue s'appela dès lors des Francs-Bourgeois parce que les pauvres de l'asile étaient francs, c'est-à-dire exempts de toutes taxes et impôts.
François-Miron (rue): Ce fut par les soins de ce prévôt des marchands justement célèbre que l'Hôtel de Ville put s'achever en 1606. François Miron ne se borna pas à faire preuve de zèle en stimulant l'architecte et les ouvriers; il n'hésita pas devant des sacrifices personnels considérables pour diminuer les dépenses à la charge de l'état, et donna 900 livres de son propre argent et plus de vingt-deux mille livres qui lui revenaient par les droits de sa charge. On lui doit les ornements de la façade, le grand perron, les escaliers, le portique et la statue équestre de Henri IV placée au-dessus de la porte d'entrée.
François Ier (rue): Nous avons été sévère peut-être, dans la France héroïque, pour François Ier homme d'état et souverain. Voici sur le Restaurateur des lettres une belle page qu'il nous paraît juste de reproduire: «Mais depuis, dit le seigneur de la Planche, la bonté de Dieu s'est déployée sur nous et sur toute la France, par la main de ce grand roi, François Ier de nom, qui nous a tirés comme d'un tombeau les sciences, les arts, les lettres et bonnes disciplines ensevelies en une fondrière d'ignorance; et à l'aide d'un Amyot, d'un Jacques Colin et de tant d'autres excellents ouvriers, nous a rendu les outils de sagesse tranchants en notre langue maternelle; tellement qu'ils n'y a artisan qui ne puisse s'il veut, de lui-même, et sans rien dérober à sa besogne, se rendre savant.»
Citons un autre passage non moins curieux de Brantôme: «De plus, ce roi a été très bon catholique, sans jamais s'être dérogé de la sainte foi et religion catholique pour entrer le moins du monde en l'hérésie de Luther qui commença à venir de son temps: comme fit le roi Henri d'Angleterre, son bon frère et son contemporain, encore que toutes choses nouvelles plaisent; mais telle nouveauté ne lui plut point, et ne l'approuva jamais, disant qu'elle tendait du tout à la subversion de la monarchie divine et humaine. Il aima et embrassa fort l'Église catholique, apostolique et romaine, la servant fort révéremment sans aucune bigoterie et hypocrisie.»
Franklin (rue): Benjamin Franklin, né à Boston, en 1706, simple ouvrier d'abord, puis prote, et enfin maître imprimeur et devenu l'un des personnages considérables de la colonie, fut, lors de la guerre avec la métropole, envoyé en France pour proposer un traité d'alliance qu'il sut faire accepter par le roi Louis XVI. Il eut également l'honneur de négocier et signer le traité de paix qui assura l'indépendance des États-Unis. On lui doit, comme savant, l'invention du paratonnerre.
Frochot (rue): Nicolas-Thérèse-Benoist Frochot (1760-1828), fut préfet de la Seine de 1800 à 1812, et Paris eut beaucoup à se louer de cet administrateur éminent.
Frondeurs (rue des): Les troubles de la Fronde, pendant la minorité de Louis XIV sont célèbres dans notre histoire. Cet endroit sans doute fut un de ceux où se réunissaient les Frondeurs.
G
Galande, (rue): Ce nom est visiblement une altération de celui de Garlande que portait une famille bien connue au XIe siècle:
..... La rue de Gallande
Où il n'a foret ni lande.
(Le dit des Rues).
Gaillon (rue): A pris ce nom d'un hôtel qui s'appelait ainsi et sur l'emplacement duquel s'éleva l'église Saint-Roch.
Galvani (rue): Médecin et physicien italien, né à Bologne le 9 septembre 1737, Galvani mourut dans cette même ville le 4 novembre 1798. Sa découverte la plus importante est celle de l'électricité animale, comme il l'appelait et que les savants, d'un accord unanime, ont appelée Galvanisme du nom de son auteur.
Mauvais Garçons (rue des): Cette rue s'appela d'abord rue de Craon, parce que les seigneurs de Craon y avaient bâti leur hôtel; mais depuis le règne de Charles VI, «comme ce fut, dit Sauval, dans ce logis-là que Pierre de Craon se cacha avec d'autres déterminés pour assassiner le connétable de Clisson, cela fut cause que la rue changea de nom et fut appelée la rue des Mauvais-Garçons.»
Il y avait une rue du même nom donnant d'un bout dans la rue des Boucheries Saint-Germain; son nom, paraît-il, lui venait d'une enseigne.
Geindre (rue): Jaillot fait venir ce mot de junior employé dans les anciens titres pour désigner un compagnon, un aide, un commis.
Geoffroy Saint-Hilaire (rue): Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844), célèbre naturaliste français, créa l'enseignement de la Zoologie et par suite les collections et la ménagerie du Jardin des Plantes. Le nom de cet homme illustre est à bon droit populaire, car, cher aux savants, il ne doit pas être moins cher aux familles d'artisans comme aux écoliers de tout âge auxquels, pour les jeudis et dimanches, il a ménagé un lieu de promenade qui offre tant d'attrait à la curiosité et où le plaisir s'unit à l'instruction.
Germain-Pilon (rue): Ce célèbre sculpteur (1515-1590), l'émule de Jean Goujon, mérite une place à part dans l'histoire de l'art, par son talent original qui n'est point gâté par l'affectation du savoir et la fausse imitation qu'on pourrait qualifier la parodie de l'antique.
Saint-Germain des Prés (église de): «L'abbaye de Saint-Germain des Prés, dit Sainte-Foix, proche et hors des murs de Paris, ressemblait à une citadelle; ses murailles étaient flanquées de tours et environnées de fossés. Un canal, large de treize à quatorze toises, qui commençait à la rivière et qu'on appelait la petite Seine, coulait le long du terrain où est à présent la rue des Petits-Augustins (Bonaparte) et allait tomber dans ces fossés. La prairie, que ce canal partageait en deux, fut nommée le grand et le petit prés aux Clercs, parce que les écoliers, que l'on appelait autrefois clercs, allaient s'y promener les jours de fête. Le petit pré était le plus proche de la ville.»
En 1460, les fossés furent comblés et sur le terrain qu'ils occupaient on bâtit un des côtés des rues Saint-Benoît, Sainte-Marguerite et du Colombier.
Gouvion Saint-Cyr (rue): Le maréchal Gouvion Saint-Cyr (Laurent) (1764-1830), après avoir pris une part glorieuse aux guerres de la République et de l'Empire, devint, sous la Restauration, de 1815 à 1821, ministre de la guerre. On lui dut la réorganisation de l'armée et sur des bases qui ont mérité les éloges des juges les plus compétents. «Les lois sur le recrutement, dit quelque part Gouvion Saint-Cyr, sont des institutions.»
Grenelle (rue de): Elle s'appelait autrefois chemin de Grenelle parce qu'il conduisait à ce village.
Guillemin, (rue Neuve): S'appelait d'abord rue de la Corne, nom qui lui fut donné «à cause de quelque tête de cerf (que le peuple appelle corne) scellée dans les murs de la maison qui en fait le coin vers la rue du Vieux Colombier.» Ce nom fut ensuite changé en celui de Guillemin parce que sur le terrain que couvre la rue se trouvait auparavant un jardin appartenant à une famille de ce nom. «Et parce que ce mot de Guillemin est un peu proverbial, le peuple, qui se plaît à tourner tout en raillerie, non content d'avoir ajouté au nom de Guillemin, propriétaire du jardin, l'épithète de Croque-sol, le donna encore à la rue de sorte qu'il l'appelle plus souvent la rue Guillemin Croque-sol que la rue Guillemin.»
Saint-Germain l'Auxerrois. Cette église est une des plus anciennes et des plus remarquables de Paris, et il n'en est aucune pourtant dont l'origine présente plus d'obscurité. Il est certain qu'elle existait au VIIe siècle, puisque saint Landri, évêque de Paris, mort vers l'an 655 ou 656, y fut inhumé. L'église subsista, telle qu'elle avait été bâtie d'abord, jusqu'au siége de Paris par les Normands. Ces barbares l'épargnèrent tant qu'elle leur parut utile à leur défense; ils la fortifièrent à cet effet d'un fossé dont on retrouve encore la trace aujourd'hui dans la rue qui en porte le nom; mais lorsqu'ils furent forcés de battre en retraite, ils la détruisirent de fond en comble. Helgaud, moine de Fleury, nous apprend que le roi Robert la fit rebâtir. À différentes reprises, elle fut reconstruite ou réparée par l'ordre de nos rois qui la considéraient comme leur paroisse quand ils eurent fait du Louvre leur demeure habituelle. Ce qu'on voit de plus ancien dans l'édifice est le grand portail qui paraît être du siècle de Philippe-le-Bel; le vestibule ou portique qui le précède ne fut construit que sous le règne de Charles VII.
Gesvres (quai de): «Il faut se figurer, dit Jaillot, qu'au commencement du siècle passé, le terrain, qui est entre le Pont-au-Change et le pont Notre-Dame, allait en pente jusqu'à la rivière, et qu'il n'était couvert que par quelques vilaines maisons qui formaient la Tuerie et l'Écorcherie. En 1641, le marquis de Gesvres demanda ce terrain au Roi et, sur l'avis des trésoriers de France, il obtint des lettres-patentes, au mois de février 1642, lettres qui, malgré l'opposition des bouchers et des propriétaires de forges du Pont-au-Change, furent enregistrées le 30 août de la même année: En voici la teneur:
«Louis (etc.) savoir faisons que Nous, ayant pris en considération les signalés recommandables services que le marquis de Gesvres nous a rendus dès sa tendre jeunesse, tant en nos armées qui ont tenu la campagne qu'es siéges les plus importants dans l'Allemagne, la Flandre et l'Espagne où, en divers combats et entreprises, il a donné telle preuve de son courage et de sa valeur, qu'au prix de son sang et de plusieurs blessures et d'une prison de neuf mois, il a mérité de Nous et du public l'estime et les gratifications qui sont dues à ceux qui nous servent avec tant de cœur et de fidélité. À quoi ayant égard comme aux grandes et excessives dépenses qu'il a faites jusques à présent dans nos armées et qu'il est encore obligé de continuer à l'avenir à icelui avons.... accordé, donné, octroyé, cédé, quitté, transporté et délaissé du tout à toujours les places qui sont entre les ponts Notre-Dame et aux Changeurs, du côté de l'Écorcherie, sur la largeur qui se rencontrera depuis la culée du pont Notre-Dame jusqu'à la première pile d'icelui, pour en quelle place y faire construire, à ses frais et dépens, un quai porté sur arcades et piliers posés d'alignement, depuis le point de la dite première pile du dit pont Notre-Dame jusques à celles du Pont-aux-Changeurs de présent construit de neuf: et quatre rues, l'une de vingt pieds de large avec maisons, qui prendra son embouchure sur le pont Notre-Dame, etc., etc.»
Gît-le-Cœur (rue): Il y a contestation sur l'origine de cette dénomination. Piganiol prétend qu'elle vient d'un descendant de Jacques Cœur, propriétaire d'une des maisons. Cette opinion paraît peu fondée; la plus vraisemblable et la plus suivie veut que le mot Gît-le-Cœur soit une corruption de Gilles queux ou Gui le queux, Gilles le cuisinier dans le vieux langage.
Au coin de cette rue, François Ier avait fait bâtir un petit palais communiquant par un escalier avec l'hôtel habité par la duchesse d'Étampes. Vers le commencement du siècle, Sainte-Foix voulut visiter cette résidence jadis fameuse et voici ce qu'il raconte: «Le cabinet de la duchesse d'Étampes sert à présent d'écurie à une auberge qui a retenu le nom de la Salamandre. Un chapelier fait sa cuisine dans la chambre du lever de François Ier, et la femme d'un libraire était en couches dans le petit salon de délices lorsque j'allai pour examiner les restes du palais.»
Sic transit gloria mundi.
Glatigny (rue de): Des titres anciens disent qu'on voyait en cet endroit une maison de Glatigny, qui, en 1241, appartenait à Robert et Guillaume de Glatigny. Au XIVe siècle, cette rue fort mal habitée s'appela le Val d'Amour.
Gluck (rue): Gluck (Christophe Willibald), célèbre compositeur de musique, (1714-1787), auteur d'Alceste, Iphigénie en Aulide, etc.
Gobelins (rue et manufacture des): L'établissement des Gobelins, dont la réputation est européenne, doit son nom à une famille qu'on croit originaire de Reims et dont le chef «Jéhan Gobelin, teinturier en escarlate» fonda en 1450 une fabrique bientôt des plus prospères, et qui resta la propriété de l'un des membres de la famille jusqu'au commencement du XVIIe siècle. À cette époque, dans une des maisons qu'il avait acquises de la famille Gobelin, Henri IV fonda l'établissement que la perfection de ses produits a rendu si fameux.
Godot de Mauroy (rue): Ouverte en 1818 seulement et qui doit son nom aux frères Godot de Mauroy, propriétaires du terrain.
Goujon (rue Jean): Jean-Goujon, sculpteur d'un talent délicat autant qu'original, périt malheureusement dans la fatale journée de la Saint-Barthélemy (1572). Il fut tué, disent les biographes, d'un coup d'arquebuse tiré sur lui pendant qu'il travaillait aux sculptures du Louvre. Possible qu'il se trouvât sur son échafaud, mais je doute qu'en un pareil moment, il songeât à tenir l'ébauchoir ou le ciseau. Maudite d'ailleurs la balle et maudit l'assassin, quel qu'il fût, qui nous ont privés de tant de chefs-d'œuvre qu'on pouvait attendre encore de l'artiste dans toute la vigueur de l'âge et le plein épanouissement de son génie!
Gracieuse (rue): Ce nom vient de Jean Gracieuse qui habitait dans cette rue, vers 1243, une maison à lui appartenant.
Grande-Truanderie (rue de la): Deux étymologies: les uns font venir ce nom du vieux mot truand qui signifiait un gueux, un vagabond, un diseur de bonne aventure, espèce de gens qu'on suppose avoir occupé cette rue autrefois. D'autres, et c'est le plus grand nombre, font dériver ce nom du vieux mot tru, truage qui signifie tribut, impôt, subside; Jaillot incline à cette opinion.
Grange aux Belles (rue): Désignation pittoresque dont l'origine est inconnue.
Grange-Batelière (rue): Origine douteuse: tout ce qu'on sait de plus précis, c'est que, dans une déclaration faite en 1522, les religieuses de l'abbaye Saint-Antoine reconnaissent que, le 12 avril 1204, on leur donna un muids de grains à prendre sur la Grange-Batelière. L'abbé Lebœuf pense que cette dénomination de Granchia Batelleria provient des joûtes ou exercices militaires qui se faisaient en cet endroit.
Gravilliers (rue des): En 1250, elle s'appelait Gavelier, nom d'un bourgeois notable qui l'habitait. Par corruption, ce nom s'est changé en celui des Gravilliers, qui sait comment?
Grenétat (rue): On comprend plus difficilement toutefois que ce nom de Grenétat vienne de d'Arnetal, transformé en Garnetal et enfin Grenétat.
Grégoire de Tours (rue Saint): Saint Grégoire de Tours, né à Tours en 559, mourut en 593, dans cette même ville dont il était évêque. Son grand ouvrage, ayant pour titre Histoire ecclésiastique des Francs, est admirable par la candeur et la sincérité de la narration, quoiqu'il laisse à désirer au point de vue de la critique historique. Sans ce trésor, ou cet ensemble inappréciable de faits recueillis par le bon évêque avec une sollicitude si persévérante, que saurions-nous des premiers temps de nos annales?
Grès (rue des): Autrefois le passage des Jacobins; dès l'année 1220, les Frères Prêcheurs ou Dominicains eurent, dans la rue Saint-Jacques, avec un couvent, une église dédiée à saint Jacques le Majeur, leur patron. C'est de là que leur vint le nom de Jacobins, sous lequel furent généralement connus dès lors les Dominicains de Paris. Ce nom de Jacobins, étrangement détourné de sa signification primitive, sert aujourd'hui à désigner la pire espèce des révolutionnaires, parce que les séances d'un club trop fameux sous la révolution, et dont Robespierre était l'idole, se tenaient dans un ancien couvent des Jacobins (Dominicains).
Guénégaud (rue): Ce nom vient d'un hôtel appartenant à Henri de Guénégaud, ministre et secrétaire d'État en 1641.
Guisarde (rue): On lui donna ce nom en souvenir de l'hôtel du Petit-Bourbon qui, du temps de la Ligue, était habité par la fameuse duchesse de Montpensier et servait de quartier-général à la faction des Guises.
H
Halles (les): Avant Philippe-Auguste, le terrain occupé depuis par les Halles, n'était qu'un grand espace vague appelé Champeaux. «Les malades de la prieuré de St-Ladre, dit Corrozet, avaient dans ce temps et d'ancienneté acquis le droit de marché et foire publique pour distribuer toutes marchandises, lequel marché se tenait près de leur maison. Mais le roi Philippe-Auguste, ayant fait fermer sa ville de Paris, acheta le droit d'iceux et ordonna qu'il serait tenu dedans une grande place vague nommée les Champeaux (petits-champs), auquel lieu furent édifiés maisons, habitations, ouvroirs, boutiques et places publiques, pour y vendre toutes sortes de marchandises et les tenir et serrer en sûreté et fut appelé ce marché les Halles, ou alles de Paris, pour ce que chacun y allait.»
«C'est un endroit qu'il faut éviter, suivant G. Brice, à cause des embarras continuels qui s'y trouvent.» Cette remarque porterait à faux maintenant que les réglements de police y ont mis bon ordre en facilitant la circulation et empêchant l'encombrement par des heures fixées pour l'arrivée et le départ des voitures qui apportent les comestibles.
La Harpe (rue de):
Vins en la rue de la Harpe,
Je n'avais hareng ni carpe.
lisons-nous dans Le Dit des Rues. Cette voie fort ancienne fut ainsi nommée à cause d'une enseigne. Du Breuil assure qu'elle s'appelait auparavant Ste-Côme sans dire d'où lui vient ce renseignement.
«Au fond d'une assez vilaine maison, dit de son côté Ste-Foix, qui a pour enseigne la Croix de fer, on voit une salle très vaste voûtée et haute d'environ quarante pieds. C'est un reste de l'ancien palais des Thermes, et un précieux monument de la façon dont bâtissaient les Romains...» Ce fut la demeure ordinaire de nos rois de la première race. «Childebert, écrit Fortunat, allait de son palais par ses jardins, jusqu'aux environs de l'église St-Vincent.» Les princesses Gisla et Rotrude, filles de Charlemagne, y furent reléguées après sa mort. Ce grand homme avait un peu trop fermé les yeux sur leur conduite, apparemment par cette même tendresse qui l'avait empêché, dit le P. Daniel, de les marier.
Beaucoup de gens se trompent donc qui croient que cette rue s'appelle ainsi en souvenir de La Harpe, l'auteur du Cours de Littérature ancienne et moderne.
Haussmann (boulevard): Notre introduction, ainsi qu'on l'a vu, contenait une appréciation en quelques lignes de l'œuvre de M. Haussmann, le Paris transformé, comme disaient les courtisans. Nous revenions ici sur ce sujet plus longuement et plus sévèrement, mais dans les circonstances actuelles, il nous paraît convenable de retrancher de cet article tout ce qui concernait M. Haussmann puisque nous aurions plus à blâmer qu'à louer; car dans cette gigantesque entreprise, poursuivie avec une hâte et une activité fiévreuses, et l'on sait au prix de quels sacrifices, ou plutôt de quelles ruines, si l'on voit d'excellentes choses, des choses urgentes, indispensables, habilement exécutées, combien qui ne sont que pour l'ostentation et font de Paris une ville impossible!
Haxo (rue): Il y eut deux généraux de ce nom, le premier, Nicolas Haxo, qui périt au combat de la Roche-sur-Yon (Vendée) en 1794; le second, François-Nicolas, baron de Haxo, neveu du précédent, général de division du génie, mort en 1838, à l'âge de soixante-quatre ans.
Cette rue Haxo est devenue célèbre par un récent et trop tragique évènement! C'est là, dans une sorte d'enclos qui s'y trouve, qu'ont été fusillés ou plutôt assassinés, pêle-mêle et Dieu sait avec quelles horribles circonstances! (le 26 mai 1871), comme otages de la Commune et martyrs du devoir, onze prêtres ou religieux et trente-neuf gendarmes ou gardiens de la paix. Parmi les ecclésiastiques, nous citerons, l'abbé Planchat, aumônier du patronage Ste-Anne, le séminariste Seigneuret, et les jésuites Olivain, Caubert, de Bengy, dont les tombes se voient maintenant, dans l'église du Jésù, avec celles de leurs deux confrères, morts comme eux pour la foi, à la Roquette.
Hautefeuille (rue): D'après Jaillot, elle a pris ce nom à cause des arbres hauts et touffus qui bordaient jadis la voie. «Il appuie son opinion, dit Lazare, sur un article des premiers statuts faits pour les Cordeliers, d'après lequel le jeu de paume est interdit aux religieux sous la Haute-feuillée.»
Haudriettes (rue des Vieilles): Ce nom vient du couvent des religieuses dites Haudriettes, qui avaient pour fondateur Étienne Haudri.
Heaumerie (rue de la): Elle doit son nom à une enseigne représentant un heaume (casque). La plupart des maisons d'ailleurs étaient occupées par des Heaumiers (armuriers.)
Honoré (rue St): On ne sait pas quel nom elle portait avant de prendre celui qu'elle porte actuellement, et qui n'est pas fort ancien; car il ne lui fut donné paraît-il, qu'après la construction de l'église St-Honoré. «C'est une des rues les plus marchandes de Paris, dit Sauval, surtout, depuis le cimetière St-Innocent jusqu'à St-Honoré, non pas toujours des deux côtés à la fois, mais alternativement et avec interruption tantôt d'un côté tantôt de l'autre. Et de fait, depuis la rue des Déchargeurs jusqu'à la rue Tirechape, les maisons sont habitées par de riches drapiers qui les louent bien chèrement et dont les boutiques et les magasins sont pleins de marchandises et de draps de toute sorte. De l'autre côté vis-à-vis, elle n'est occupée que par des fripiers mal fournis et autres semblables artisans qui ne font pas grand trafic et qui louent peu leurs logis.... De savoir maintenant la raison de cette alternative de trafic si bizarre dans une même rue, c'est une chose difficile autant que de dire pourquoi les drapiers sont sortis de la rue de la Vieille Draperie, les Passementiers de la rue de la Vieille Monnaie, etc.»
Honoré-Chevalier (rue): Nom d'un des principaux propriétaires riverains au XVIe siècle.
Huchette (rue de la):
La rue de la Huchette à Paris
Première dont pas n'a mépris,
doit son nom à une enseigne. Au commencement du XVIIe siècle, on l'appelait aussi des Rôtisseurs à cause du grand nombre d'industriels en ce genre qu'on y voyait et dont les établissements par leur grandeur et la multitude des fourneaux, causèrent, disent les auteurs du temps, un tel étonnement au père Bonaventure Catalagirone, l'un des négociateurs de la paix de Vervins, qu'à son retour en Italie, il ne parlait de cette rue pantagruélique qu'avec stupeur: «Veramente queste rotisserie sono causa stupenda.»
«À toute heure du jour, dit l'auteur du Tableau de Paris, on y trouve des volailles cuites; les broches ne désemparent point le foyer le plus ardent; un tourne-broche éternel, qui ressemble à la roue d'Ixion, entretient la torréfaction. La fournaise des cheminées ne s'éteint que pendant le carême; et si le feu prenait dans cette rue dangereuse par la construction de ses antiques maisons, l'incendie serait inextinguible.»
Hurleur (rue du Grand): Origine douteuse. L'opinion la plus probable est celle qui fait venir cette dénomination du nom propre Heu-leu, Hugues le Loup, par corruption Hurleur.
I
Imprimerie Nationale: François Ier, par lettres patentes du 17 janvier 1538, nomma Conrad Néobard, son imprimeur, l'imprimeur du roi et jouissant de priviléges très-étendus. Mais l'Imprimerie royale, proprement dite, ne fut créée que beaucoup plus tard, sous Louis XIII; elle doit sa fondation à Richelieu, en 1640, et dès l'origine, elle se distingua par la perfection de ses produits. Des types choisis, une mise en page intelligente, un beau et bon papier, le tirage très net, recommandent le premier livre imprimé dans l'établissement. C'était un in-folio: de Imitatione Christi, que suivit ou précéda un Novum Testamentum dans le même format.
Les ateliers étaient établis dans une des ailes du Louvre, où ils restèrent jusqu'à l'année 1808. Alors, par un décret en date du 6 mars, l'Imprimerie Impériale fut transférée rue Vieille-du-Temple, dans l'ancien Palais-Cardinal, approprié à cet effet, et elle s'y trouve encore. Les ateliers, vastes et bien aérés, non moins bien éclairés, se divisent en ateliers de fonderie, composition, impression, séchage, brochage, reliure, etc. Le nombre des ouvriers et ouvrières, en temps ordinaire, s'élève à 1,000 environ, d'après M. L. Lazare, et chacun d'eux, après trente années de service, a droit à une pension de retraite.
Une anecdote en terminant. Lors de la visite que le pape Pie VII, venu à Paris pour sacrer l'Empereur, fit à l'Imprimerie Impériale, quand il entra dans les ateliers, les ouvriers, compositeurs, imprimeurs, etc., se découvrirent soudain respectueusement, un seul excepté qui d'un air rogue, malgré les observations et les murmures de ses camarades, s'obstinait à garder sa casquette.
«Mon ami, dit le pape avec douceur en s'approchant de lui, découvrez-vous, la bénédiction d'un vieillard porte toujours bonheur.»
À ces mots non-seulement l'ouvrier fut prompt à retirer sa casquette, mais, tremblant d'émotion et les yeux pleins de larmes, il voulut s'agenouiller pour recevoir la bénédiction du souverain pontife.
Innocents (Marché des): Établi sur l'emplacement du cimetière et de l'église des Saints-Innocents, construite au temps de Louis VII, dit le Jeune. Ce ne fut que longtemps après (1786) qu'on démolit avec l'église les fameux charniers, contigus au cimetière. Ils consistaient en une grande galerie voûtée dans laquelle se faisaient enterrer les privilégiés de la fortune. Cette galerie pavée de tombeaux, tapissée de monuments funèbres, servait néanmoins de passage aux piétons, et pour ce motif était encombrée de boutiques de mercerie, lingerie, modes (étrange rapprochement!) et de bureaux d'écrivains publics. Elle occupait une partie de la largeur actuelle de la rue de la Ferronnerie. «C'est au milieu des débris vermoulus de trente générations qui n'offrent plus que des os en poudre, dit Mercier, c'est au milieu de l'odeur fétide et cadavéreuse qui vient offenser l'odorat, qu'on voit celles-ci acheter des modes et celles-là dicter des lettres amoureuses.»
Lors de la démolition de l'église, en 1786, fut construite la fontaine dite des Innocents dont les matériaux, pour la plus grande partie, provenaient d'un monument adossé à l'église et formant l'angle des rues aux Fers et Saint-Denis. L'idée et l'exécution font honneur à l'ingénieur nommé Six. Cinq des figures de Naïades sont de Jean Goujon, et ajoutent beaucoup, par leur admirable exécution, à la valeur du monument.
Institut. Ancien collége des Quatre-Nations fondé par Mazarin et pour lequel il avait légué une somme de deux millions en argent, plus 45,000 livres de rentes sur l'Hôtel-de-Ville de Paris. Le collége s'appelait des Quatre-Nations, pour indiquer les pays appelés à jouir des bénéfices de cette fondation. Là, devaient être élevés les enfants des gentilshommes ou principaux bourgeois de Pignerol et son territoire, de l'Alsace et pays d'Allemagne, de l'État ecclésiastique, de Flandre et de Roussillon. Le collége a subsisté jusqu'à la Révolution française.
Invalides, (Hôtel des): Commencé sous Louis XIII par les ordres de Richelieu qui confia la direction des travaux à Libéral Bruant, il fut complété et achevé sous Louis XIV. La partie de l'édifice exécutée sur les plans de L. Bruant se compose de la cour d'honneur entourée d'arcades, des bâtiments qui l'environnent et de l'église. Le reste est l'œuvre de Mansart.
«Plus les âges qui ont élevé nos monuments ont eu de piété et de foi, dit un éloquent écrivain[47], plus ces monuments ont été frappants par la grandeur et par le caractère. On en voit un exemple remarquable dans l'Hôtel des Invalides et dans l'École militaire; on dirait que le premier a fait monter ses voûtes dans le ciel à la voix du siècle religieux, et que le second s'est abaissé vers la terre à la parole du siècle athée.
«Trois corps de logis, formant avec l'église un carré long, composent l'édifice des Invalides. Mais quel goût dans cette simplicité! quelle beauté dans cette cour qui n'est pourtant qu'un cloître militaire où l'art a mêlé les idées guerrières aux idées religieuses, et marié l'image d'un camp de vieux soldats aux souvenirs attendrissants d'un hospice! C'est à la fois le monument du Dieu des Armées et du Dieu de l'Évangile. La rouille des siècles qui commence à le couvrir lui donne de nobles rapports avec ces vétérans, ruines animées, qui se promènent sous ces vieux portiques. Dans les avant-cours, tout retrace l'idée des combats: fossés, glacis, remparts, canons, tentes, sentinelles. Pénétrez-vous plus avant, le bruit s'affaiblit par degrés, et va se perdre à l'église, où règne un profond silence. Ce bâtiment religieux est placé derrière les bâtiments militaires, comme l'image du repos et de l'espérance, au fond d'une vie pleine de troubles et de périls.
«Le siècle de Louis XIV est peut-être le seul qui ait bien connu ces convenances morales, et qui ait toujours fait dans les arts ce qu'il fallait faire, rien de moins, rien de plus. L'or du commerce a élevé les fastueuses colonnades de l'hôpital de Greenwich en Angleterre; mais il y a quelque chose de plus fier et de plus imposant dans la masse des Invalides. On sent qu'une nation qui bâtit de tels palais pour la vieillesse de ses armées a reçu la puissance du glaive ainsi que le sceptre des arts.»
On sait qu'aux voûtes de l'église se voient suspendus les drapeaux de toutes couleurs, glorieux trophées conquis sur l'ennemi.
Est-il permis de ne pas dire, quoique personne ne l'ignore, que, dans la crypte de l'église, se trouve le tombeau de Napoléon Ier, dont le corps, jusqu'en 1840, reposa sous le saule de Sainte-Hélène et qui fut alors, après vingt-cinq ans, rapporté de la terre d'exil.
Il est là, sous trois pas un enfant le mesure.
(Lamartine).
[47] Chateaubriand. Génie du Christianisme.
J
Jacob (rue): Doit son nom à la reine Marguerite de Valois qui avait fait vœu de bâtir un autel et fit construire le couvent et l'église des Petits-Augustins où s'éleva l'autel Jacob.
Saint-Jacques de la Boucherie (Tour): Lors de la démolition de l'église, vendue, en 1797, comme propriété nationale, cette Tour avait été conservée. La ville de Paris l'ayant achetée des héritiers Dubois pour la somme de 250,000, elle fut classée parmi les monuments historiques, ce qui la mettait pour toujours à l'abri de la pioche des démolisseurs. La tour, habilement restaurée par l'architecte Th. Ballu, s'élève maintenant au milieu des frais ombrages d'un square bien connu des mères de famille du quartier et de leurs gentils bambins.
Voyez se dresser, veuve et seule,
Du sein des arbustes fleuris,
La tour Saint-Jacque, une autre aïeule
Des édifices de Paris.
Longtemps son destin fut précaire;
Mais, comme un riche reliquaire
Que quelque amoureux antiquaire
Conserve précieusement,
Qu'il tonne, qu'il vente ou qu'il pleuve,
Elle est désormais à l'épreuve
Et, sur sa base, au bord du fleuve,
Assise inébranlablement.
a dit un poète contemporain[48]. Au premier étage se voit une statue de Pascal, et une inscription placée sur l'une des parois rappelle que ce fut dans la Tour St-Jacques que Blaise fit ses premières expériences relatives à la pesanteur de l'air.
St-Jacques (rue): A longtemps été divisée en plusieurs tronçons appelés de noms divers: Grande rue du Petit-Pont, Grande rue St-Benoît, Grande rue St-Étienne des Grès. Son nom actuel, qu'elle porte dans toute sa longueur, vient originairement de la chapelle St-Jacques qui s'y trouvait et que desservaient, depuis l'année 1218, les religieux dominicains.
Japy (rue): Elle doit son nom à une famille d'horlogers célèbres, dont le chef, Frédéric Japy, était fils d'un maréchal ferrant de Beaucourt, arrondissement de Béfort (Haut-Rhin). Après avoir fait son apprentissage en Suisse, chez un horloger distingué du pays, nommé Perrelet, il vint à Paris en 1789 «ayant pour toute mise de fonds, dit M. Lazare, ses bras et son cœur.» Trente ans après, il cédait à ses trois fils son établissement très-prospère et l'un des plus considérables de France et même d'Europe.
Jardinet (rue du): A pris ce nom du jardin du collége de l'hôtel Vendôme situé entre cette rue et celle du Battoir.
Jean de l'Épine (rue): C'était le nom du greffier criminel du Parlement qui habitait cette rue en 1426 et probablement fit remplacer par son nom propre celui de la Tonnellerie qu'elle portait. De même la rue Jean-Pain-Mollet, voisine, cessa de s'appeler du Croc, en 1263, à cause d'un notable bourgeois qui y possédait une fort belle maison et s'appelait Jean-Pain-Mollet.
Jeûneurs (rue des): Altération du mot Jeux-Neufs, nom que portait la rue vers 1643, parce qu'elle avait été construite sur l'emplacement des jeux de boules.
Joubert (rue): L'éminent écrivain auquel, dans nos Biographies, nous avons consacré toute une étude, en réalité cependant n'est point celui qui, dans la pensée de nos édiles, a donné son nom à la rue; mais, comme on l'a dit, Joubert (Barthélemy-Catherine) né à Pont-de-Veaux en 1769 et qui se distingua plus avec l'épée qu'avec la plume. Engagé volontaire en 1791, il s'éleva promptement aux premiers grades, général en chef des Armées de Hollande, Mayence, Italie. Lorsqu'il fut tué à la bataille de Novi, il comptait trente ans à peine.
Juifs (rue des): Aujourd'hui supprimée. «Les Juifs, dit Sauval, ont logé à Paris dans plusieurs rues outre la rue des Juifs; on croit qu'ils avaient encore la rue des Rosiers, la rue de la Juivrerie, la rue Violette, la rue de la Tixeranderie, la rue St-Bon, de la Halle au Blé, de la Grande et petite Friperie, et même qu'ils étaient propriétaires de toutes les maisons composant ces rues.»
Joquelet (rue): Nom d'un bourgeois de Paris, propriétaire d'une des maisons de cette rue.
Jour (rue du): Appelée au XIIIe siècle rue Raoul-Roissolle, témoin ce vers de Guillot:
Par la rue de la Croix-Neuve
Ving en la rue Raoul-Roissolle.
nom d'un des propriétaires riverains. En 1350, Charles V fit construire, entre les rues Montmartre et Coquillière, un manége dit Séjour du roi, et la rue bientôt s'appela du Séjour, que le populaire abrégea et dont il fit la rue du Jour.
Jouy (rue de): Ainsi nommée d'un hôtel qui s'y trouvait et qui appartenait à l'abbé de Jouy (XIIIe siècle).
Juillet (rue du 29): Ouverte en 1826, elle s'appelait rue du Duc de Bordeaux, nom qui fut changé en celui du 29 Juillet par une ordonnance ministérielle du 19 août 1830, signée Guizot.
Julienne (rue de): Julienne est le nom d'un artiste et amateur célèbre au temps de Louis XV.
Jussienne (rue de la): Altération un peu bien forte du nom de sainte Marie l'Égyptienne dont une chapelle s'élevait jadis dans cette rue.
Jussieu (rue de): Les de Jussieu forment une famille dont tous les membres ont bien mérité de la science. (1606-1758). Au botaniste Antoine de Jussieu, on dut une méthode de classification qui remplaça celle de Linnée;—Son frère, Bertrand (1699-1777), est auteur des familles naturelles. Joseph, autre frère, (1704-1779), voyagea dans l'Amérique méridionale, d'où il rapporta d'intéressants matériaux. Laurent de Jussieu, neveu du précédent (1746-1836) publia le Genera plantarum et laissa un fils du nom d'Adrien (1797-1853) qui fut aussi botaniste distingué.
Justice (palais de): Existait déjà comme édifice public au temps de la domination romaine. Réparé et agrandi par les maires du palais, il devint la demeure des rois sous le règne de Hugues Capet et plusieurs de ses successeurs l'habitèrent; Louis-le-Gros entre autres y mourut. De nouvelles constructions s'élevèrent successivement; puis l'édifice presque en entier fut rebâti par Philippe-le-Bel qui y installa son parlement.
Les voûtes de la Grande salle, dite aujourd'hui des Pas Perdus, étaient alors en bois et soutenues par des piliers de même matière, enrichis de dorures sur un fond couleur d'azur. Dans les espaces qui les séparaient, s'élevaient les statues de nos rois depuis Pharamond. Le 7 mai de l'an 1618, un incendie dont la cause est restée inconnue détruisit cette salle antique et magnifique et une grande partie des bâtiments voisins. La salle alors fut reconstruite, mais en pierres de taille et moëllons, par Desbrosses, l'architecte du palais du Luxembourg. Les travaux, poussés avec une grande activité, étaient complètement terminés en 1622.
[48] Amédée Pommier.
K
Kléber (rue): Jean-Baptiste Kléber, fils d'un terrassier de la maison de Rohan, né à Strasbourg en 1754; d'abord officier au service de l'Autriche, il rentra en France après avoir donné sa démission et devint inspecteur des bâtiments publics. Engagé volontaire en 1792, il s'éleva promptement aux premiers grades et s'illustra dans les armées du Nord et de Sambre et Meuse. Il périt, comme on sait, en Égypte, assassiné par un fanatique du nom de Soleiman (14 juin 1800.) «Kléber, c'était le dieu Mars en uniforme, a dit de lui Napoléon dans ses Mémoires; courage, conception, il avait tout.»
Si l'on en croit Rovigo, l'aide-de-camp de Desaix, le caractère chez Kléber n'était point à la hauteur des talents militaires: «C'était un homme de bien et incontestablement un général brave et habile, mais d'une bonté et d'une faiblesse de caractère qui contrastaient singulièrement avec sa haute stature qui avait quelque chose d'imposant.... Son caractère naturel était frondeur et il disait lui-même qu'il n'aimait la subordination qu'en sous-ordre. Son esprit, quoique agréable, n'était pas d'une portée très-étendue... À tous ces inconvénients se joignait celui d'une ignorance totale dans la conduite des affaires de cabinet, en sorte qu'il ne pouvait manquer d'être à la merci de tout le monde et particulièrement de ceux qui voulaient faire de lui un moyen de rentrer en France.»
Encore que politiquement Kléber en Égypte ait fait des fautes glorieusement et complètement rachetées par l'homme de guerre, ce jugement paraît trop sévère et la position particulière de Savary, auprès de l'Empereur, nous le rend suspect. (Voir la France héroïque, article Marceau).
L
La Feuillade (rue de): La Feuillade, de la maison d'Aubusson, gouverneur du Dauphiné, et colonel du régiment des Gardes-Françaises, qui a érigé la statue de Louis XIV à la place des Victoires, a fait sa fortune par mille quolibets qu'il disait au roi.[49] «Il y a des gens qui gagnent à être extraordinaires: ils voguent, ils cinglent dans une mer où les autres échouent et se brisent, dit La Bruyère; ils parviennent en blessant toutes les règles de parvenir; ils tirent de leur irrégularité et de leur folie tous les fruits d'une sagesse la plus consommée; .... ils s'attirent à force d'être plaisants des emplois graves, et s'élèvent par un continuel enjouement jusqu'au sérieux des dignités;... ce qui reste d'eux sur la terre, c'est l'exemple de leur fortune, fatal à ceux qui voudraient le suivre.»
Laffite (rue): On sait la part considérable que ce célèbre banquier prit à la révolution de 1830 et dont pour sa fortune il n'eut pas à se féliciter. Il est mort en 1844.
Lancry (rue de): Ouverte en 1776 sur un terrain appartenant aux sieurs Lancry et Lollot.
Lard (rue au): Ainsi nommée parce qu'on y vendait force lard et charcuterie.
La Reynie (rue): La Reynie (Gabriel-Nicolas) fut le premier lieutenant (préfet de police) de Paris et il rendit dans ce poste de grands services dont Louis XIV le récompensa par le titre de conseiller d'État. Il mourut en 1709.
La Rochefoucauld (rue de): On ne peut refuser à l'auteur des Maximes le mérite d'un style net, incisif et qui met fortement en relief une pensée rarement banale; mais le moraliste chez lui ne vaut pas l'écrivain, car il exagère en calomniant la nature humaine qu'il semble avoir pris à tâche de nous montrer par ses côtés les plus défectueux. De la médaille il ne veut voir et découvrir que le revers. À Dieu ne plaise que l'égoïsme, que l'amour-propre soient les mobiles uniques de nos actions même les meilleures en apparence! Il est (et non par exception) d'humbles vertus, d'héroïques dévouements, de sublimes sacrifices d'autant plus admirables que le motif qui les inspire vient de plus haut, entièrement généreux et désintéressé.
Las Cases (rue de): Ouverte en 1828, elle a pris en 1830 le nom de Las Cases, auteur du Mémorial de Sainte-Hélène. Las Cases est mort en 1842.
Lavoisier (rue): Lavoisier (Antoine-Laurent), célèbre chimiste qui, à l'âge de 23 ans (il était né en 1743), avait remporté le prix proposé par l'Académie des Sciences pour le meilleur mode d'éclairage de la ville de Paris. Il fut l'une des victimes de la Terreur. (8 mai 1794).
Lazare (prison de Saint): Ce monument remonte à la plus haute antiquité puisqu'il est mentionné dans un titre de l'année 1110; c'était alors une maladrerie. Plusieurs siècles après, en 1632, cette maison devint la propriété des Prêtres de la Mission, institués par Saint-Vincent de Paul, qui s'y installèrent en l'agrandissant par de nouvelles constructions; ils l'habitèrent jusqu'au mois de juillet 1789 où l'émeute les en chassa. En 1793, l'établissement devint une prison trop célèbre sous la Révolution. André Chénier, qui la quitta pour marcher à l'échafaud en compagnie de Roucher, l'auteur des Mois (7 thermidor 1794), y composa ses magnifiques iambes:
Quand au mouton bêlant la sombre bergerie
Ouvre ses cavernes de mort,
Et le reste.
Légion-d'Honneur (palais de la): Construit en 1786 par le prince de Salm, cet édifice, devenu propriété nationale, fut affecté par Napoléon 1er à la demeure du grand chancelier de la Légion-d'Honneur et au service des bureaux.
Le Graverend (rue): Jurisconsulte éminent, le Graverend, né à Rennes en 1776, y mourut le 5 novembre 1827.
Cardinal Lemoine (rue du): Jean Lemoine, cardinal, fonda, en 1302, un collége longtemps célèbre à l'intention des pauvres maîtres et écoliers de la rue du Chardonnet, ainsi qu'il les appelait. Cet établissement fut, comme tant d'autres, supprimé par la Révolution et devint propriété nationale.
Lions St-Paul (rue des): Cette rue prit son nom du bâtiment et des cours où étaient renfermés les grands et les petits lions du roi. «Un jour que François Ier s'amusait à regarder un combat de ses lions, une dame, ayant laissé tomber son gant, dit à de Lorges: «Si vous voulez que je croie que vous m'aimez autant que vous me le jurez tous les jours, allez ramasser mon gant.» De Lorges descend, ramasse le gant au milieu de ces terribles animaux, remonte, le jette au nez de la dame, et depuis, malgré toutes les avances et les agaceries qu'elle lui faisait, il ne voulut jamais la voir.» (Sainte-Foix.)
Excellente leçon donnée à la coquetterie!
Licorne (rue de la): Ce nom vient d'une enseigne qu'on y voyait en 1297, et qui représentait un unicorne, comme on disait alors, et la rue s'appelait de l'Unicorne. «Cependant j'ai ouï dire que bien des gens prétendaient que ce nom ne lui avait été donné qu'à l'occasion d'une licorne qu'on y montrait autrefois pour de l'argent; pour quoi je serais de leur opinion volontiers s'ils pouvaient nous faire voir une licorne en vie; mais qu'ils ne se mettent point en peine d'en chercher, car il n'y en a jamais eu au monde, si ce n'est en peinture.» (Sauval.)
Lobau (rue): Georges Mouton, comte de Lobau, naquit le 21 février 1770 à Phalsbourg. Engagé volontaire en 1792, sa bravoure à l'armée du Rhin lui valut l'épaulette d'officier. Aide-de-camp de Joubert à Novi, il reçut dans ses bras le général frappé mortellement et qui bientôt expira. Colonel en 1800, général de brigade en 1805, Mouton mérita à la bataille d'Essling (1809) d'être nommé comte de Lobau, «pour avoir sept fois, aux termes du décret, repoussé l'ennemi et par là assuré la gloire de nos armes.»
Quelques temps après, l'Empereur voyant à la Cour arriver la comtesse Lobau, s'approcha d'elle et lui dit: «Votre mari est brave comme son épée et lui aussi méritait d'être prince d'Essling.»
Après 1830, Lobau fut fait commandant en chef des gardes nationales de France. Tout le monde se rappelle le moyen original autant qu'efficace employé par lui pour dissiper, place Vendôme, une émeute sans effusion de sang. Les pompes remplacèrent, et avec un plein succès, les canons. Les Parisiens mis en gaîté par l'expédient ne purent garder beaucoup rancune au vieux brave, mais néanmoins se vengèrent par d'interminables plaisanteries, dont le maréchal[50] riait tout le premier sous sa moustache grise. Lobau mourut en 1838 (27 novembre.)
Lombards (rue des): Elle a pris son nom de certains usuriers et créanciers si impatients que par ironie on disait autrefois à Paris la Patience des Lombards.
Louis-le-Grand (rue): Il est assez curieux de voir le jugement porté sur Louis XIV par Napoléon et les motifs pour lesquels il l'exalte ou le blâme: «Louis XIV fut un grand roi: c'est lui qui a élevé la France au premier rang des nations de l'Europe; c'est lui qui le premier a eu 400,000 hommes sur pied et 100 vaisseaux en mer; il a accru la France de la Franche-Comté, du Roussillon, de la Flandre, etc;.... Mais les 200 millions de dettes, mais Versailles, mais Marly, ce favori sans mérite, mais mademoiselle de Maintenon, Villeroi, Tallard, Marsin, etc! Eh! le soleil n'a-t-il pas ses taches? Depuis Charlemagne, quel est le souverain, roi de France, qu'on puisse comparer à Louis XIV sur toutes ses faces[51]?»
Louis-Philippe (passage): Autrefois rue de Lappe, nom d'un jardinier qui l'habitait en 1635.
Lourcine (rue de): Cette rue dépendait au XIIe siècle du fief de Lourcine (Laorcinis) appartenant à la commanderie de St-Jean de Latran. Elle porte dans certains actes le nom de rue Franchise à cause du privilége dont les artisans jouissaient sur son territoire.
Louvre (palais du): La véritable origine de ce château est ignorée et l'étymologie de son nom n'est pas mieux connue; la plus vraisemblable est celle qu'on tire du mot saxon louer qui en français signifie château. Presque tous nos historiens font honneur de sa fondation à Philippe-Auguste; mais il n'est pas difficile de prouver que ce prince n'a fait que le réparer et l'augmenter. Le Louvre, habité par nos rois, fut par eux continuellement agrandi et embelli. François Ier commença, en 1528, un nouveau bâtiment qui ne fut achevé que vingt ans après, sous le règne de Henri II. Louis XIII le fit augmenter aussi et posa la première pierre des nouvelles constructions au mois de juillet 1624. Sous Louis XIV, les augmentations furent plus considérables encore; c'est alors que s'éleva la magnifique colonnade exécutée d'après les dessins de Perrault qui de médecin devint architecte. Napoléon Ier donna une impulsion nouvelle aux travaux que la Révolution avait interrompus, et, de notre temps, nous avons vu se réaliser le projet longtemps ajourné de la réunion du Louvre aux Tuileries, projet dont le premier, dit-on, Henri IV eut la pensée.
Dans les Mémoires de Tavannes, on lit un passage singulièrement curieux pour l'époque et relatif à l'achèvement du Louvre: «... Mais à la vérité, pour faire de tels bâtiments, dit le contemporain de François Ier, il faudrait que le roi de France fût au moins seigneur de tous les Pays-Bas, en bornant son état de la rivière du Rhin, en occupant les comtés de Ferrette, de Bourgogne, Franche-Comté et Savoie qui seraient les limites devers les montagnes d'Italie, et d'autre part le comté de Roussillon et ce qui va jusqu'au proche des Pyrénées.»
La galerie des tableaux, ou Musée du Louvre, est une des plus riches de l'Europe. Toutes les grandes écoles Italienne, Flamande, Espagnole, Française y sont représentées par d'admirables chefs-d'œuvre, peinture et dessins.
Dans le Louvre se voient également le Musée des Souverains, le Musée de la Marine, la galerie Sauvageot, etc.
Lune (rue de la): Ce nom vient d'une enseigne.
Luxembourg (palais et jardin du):
J'aime du Luxembourg la pose solennelle:
Aux quatre points du ciel il élargit une aile;
Sous une Médicis, le ciseau florentin
Voulut donner ce Louvre au vieux quartier latin;
Le temps, qui ronge tout de ses dents incisives
N'a pas encor mordu sur ces pierres massives;
Vierge d'impur ciment, fort de son unité,
Ce compacte château vit pour l'éternité.
Il étale au dehors de ses murs granitiques
La colonne toscane aux bracelets antiques,
Et semble dédaigner dans son style grossier
Ces frêles ornements que cartonne Percier,
Ces colonnes d'un jour qui, pour être immortelles,
Coiffent leurs chapiteaux de bonnets de dentelles,
Ces feuillets de sculpture où, par quatrains égaux
L'architecte galant écrit ses madrigaux.
J'aime surtout ses bois, terrestres élysées;
Ses pelouses de fleurs par des talus brisées;
La mousse en relief sur les murs décrépits;
L'allée où le gramen déroule ses tapis;
Ses autels où la fable a sculpté ses idoles;
Les cygnes du bassin, gracieuses gondoles;
Et les lacs de gazon qu'un balustre épineux
Borde, en faisant courir ses losanges de nœuds.
Là, toujours indocile au goût systématique,
Quelque plan imprévu rompt les lignes d'optique;
Là, rien n'attriste l'œil, car un heureux dédain
Au compas de Lenôtre enleva ce jardin.
Ces vers du poète de la Némésis, écrits en 1831, et si remarquables au point de vue historique et descriptif, étaient plus vrais alors qu'aujourd'hui, surtout en ce qui concerne le jardin si malheureusement mutilé et diminué en dépit des réclamations les plus instantes. La suppression de la Pépinière en particulier, en vue de mesquins calculs financiers, a été un acte véritable de vandalisme qui ôte beaucoup au jardin de son caractère pittoresque. Espérons maintenant que les terrains, distraits par un plan malencontreux du Luxembourg, lui seront rendus, plantés à nouveau d'arbres et d'arbustes pour l'agrément des promeneurs et de la nombreuse population enfantine du quartier à laquelle c'est un devoir comme un bonheur de penser.
[49] La Feuillade d'ailleurs, brave jusqu'à la témérité, avait des talents militaires.
[50] Il avait été nommé en 1831.
[51] Gourgaud et Montholon: Mémoires dictés à Sainte-Hélène, T. VII.
M
Macdonald (rue): Macdonald (Étienne), duc de Tarente, né en 1765, mort en 1840. «Il était de ceux dont les dehors heureux sont, d'une âme pure et généreuse, la digne et fidèle image. Rien en lui ne dissimulait. Son âme ressortait dans tous les traits de sa noble figure.» Ainsi s'exprime M. de Ségur qui n'est point démenti par les faits. Deux épisodes seulement:
À Wagram, avec deux divisions, Macdonald enfonce le centre de l'armée autrichienne couvert par plus de 200 pièces de canon.
«C'est à présent entre nous à la vie, à la mort!» lui dit, en le nommant maréchal de France sur le champ de bataille, l'Empereur qui avait conçu contre le brave général des préventions mal fondées.
Après cette même bataille, Macdonald fut laissé à Gratz avec un corps d'armée. L'ordre et la discipline qu'il maintint parmi ses troupes furent tels que le pays s'aperçut à peine de leur présence. Aussi, les États reconnaissants vinrent offrir au maréchal, lors de son départ, un présent de 200,000 florins. Il les refusa ainsi qu'un magnifique écrin, en disant:
«Si vous croyez me devoir quelque chose, je vous laisse un moyen de vous acquitter par les soins que vous prendrez des 300 malades laissés par nous dans votre ville.»
Lamartine n'est que juste quand il dit dans le Chant du Sacre: