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Les trois mousquetaires, Volume 1 (of 2)

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—Donné! s’écria d’Artagnan.

—Oh! mon Dieu! oui, donné! c’est le mot dit Porthos, car il valait certainement cent cinquante louis, et le ladre n’a voulu me le payer que quatre-vingts.

—Sans la selle? demanda Aramis.

—Oui, sans la selle.

—Vous remarquerez, messieurs, dit Athos, que c’est encore Porthos qui a fait le meilleur marché de nous tous.

Ce fut alors un hourrah de rires dont le pauvre Porthos fut tout saisi; mais on lui expliqua bientôt la raison de cette hilarité, qu’il partagea bruyamment, selon sa coutume.

—De sorte que nous sommes tous en fonds? dit d’Artagnan.

—Mais pas pour mon compte, dit Athos; j’ai trouvé le vin d’Espagne d’Aramis si bon, que j’en ai fait charger une soixantaine de bouteilles dans le fourgon des laquais: ce qui m’a fort désargenté.

—Et moi, dit Aramis, imaginez donc que j’avais donné jusqu’à mon dernier sou à l’église de Montdidier et aux jésuites d’Amiens; que j’avais pris en outre des engagements qu’il m’a fallu tenir, des messes commandées pour moi, et pour vous, messieurs, que l’on dira, messieurs, et dont je ne doute pas que nous ne nous trouvions à merveille.

—Et moi, dit Porthos, ma foulure, croyez-vous qu’elle ne m’a rien coûté? sans compter la blessure de Mousqueton, pour laquelle j’ai été obligé de faire venir le chirurgien deux fois par jour, lequel m’a fait payer ses visites double, sous prétexte que cet imbécile de Mousqueton avait été se faire donner une balle dans un endroit qu’on ne montre ordinairement qu’aux apothicaires; aussi je lui ai bien recommandé de ne plus se faire blesser là.

—Allons, allons, dit Athos en échangeant un sourire avec d’Artagnan et Aramis, je vois que vous vous êtes conduit grandement à l’égard du pauvre garçon: c’est d’un bon maître.

—Bref, continua Porthos, ma dépense payée, il me restera bien une trentaine d’écus.

—Et à moi une dizaine de pistoles, dit Aramis.

—Allons, allons, dit Athos, il paraît que nous sommes les Crésus de la société. Combien vous reste-t-il sur vos cent pistoles, d’Artagnan?

—Sur mes cent pistoles? D’abord, je vous en ai donné cinquante.

—Vous croyez?

—Pardieu!

—Ah! c’est vrai, je me rappelle.

—Puis, j’en ai payé six à l’hôte.

—Quel animal que cet hôte! pourquoi lui avez-vous donné six pistoles?

—C’est vous qui m’avez dit de les lui donner.

—C’est vrai que je suis trop bon. Bref, en reliquat?

—Vingt-cinq pistoles, dit d’Artagnan.

—Et moi, dit Athos en tirant quelque menue monnaie de sa poche, moi...

—Vous, rien.

—Ma foi, ou si peu de chose, que ce n’est pas la peine de rapporter à la masse.

—Maintenant, calculons combien nous possédons en tout: Porthos?

—Trente écus.

—Aramis?

—Dix pistoles.

—Et vous, d’Artagnan?

—Vingt-cinq.

—Cela fait en tout? dit Athos.

—Quatre cent soixante-quinze livres! dit d’Artagnan, qui comptait comme Archimède.

—Arrivés à Paris, nous en aurons bien encore quatre cents, dit Porthos, plus les harnais.

—Mais nos chevaux d’escadron? dit Aramis.

—Eh bien! des quatre chevaux des laquais nous en ferons deux de maître que nous tirerons au sort; avec les quatre cents livres, on en fera un demi pour un des démontés, puis nous donnerons les grattures de nos poches à d’Artagnan, qui a la main bonne, et qui ira les jouer dans le premier tripot venu, voilà.

—Dînons donc, dit Porthos, cela refroidit.

Les quatre amis, plus tranquilles désormais sur leur avenir, firent honneur au repas, dont les restes furent abandonnés à MM. Mousqueton, Bazin, Planchet et Grimaud.

En arrivant à Paris, d’Artagnan trouva une lettre de M. de Tréville qui le prévenait que, sur sa demande, le roi venait de lui promettre son admission prochaine dans les mousquetaires.

Comme c’était tout ce que d’Artagnan ambitionnait au monde, à part bien entendu le désir de retrouver madame Bonacieux, il courut tout joyeux chez ses camarades, qu’il venait de quitter il y avait une demi-heure, et qu’il trouva fort tristes et fort préoccupés. Ils étaient réunis en conseil chez Athos: ce qui indiquait toujours des circonstances d’une certaine gravité.

M. de Tréville venait de les avertir que l’intention bien arrêtée de Sa Majesté étant d’ouvrir la campagne le 1er mai, ils eussent à préparer incontinent leurs équipages.

Les quatre philosophes se regardèrent tout ébahis: M. de Tréville ne plaisantait pas sous le rapport de la discipline.

—Et à combien estimez-vous ces équipages? dit d’Artagnan.

—Oh! il n’y a pas à dire, reprit Aramis, nous venons de faire nos comptes avec une lésinerie de Spartiates, et il nous faut à chacun quinze cents livres.

—Quatre fois quinze font soixante, soit six mille livres, dit Athos.

—Moi, dit d’Artagnan, il me semble qu’avec mille livres chacun, il est vrai que je ne parle pas en Spartiate, mais en procureur...

Ce mot de procureur réveilla Porthos.

—Tiens, j’ai une idée! dit-il.

—C’est déjà quelque chose: moi, je n’en ai pas même l’ombre, dit froidement Athos; mais quant à d’Artagnan, messieurs, l’espérance d’être bientôt des nôtres l’a rendu fou; mille livres! je déclare que pour moi seul il m’en faut deux mille.

—Quatre fois deux font huit, dit alors Aramis: c’est donc huit mille livres qu’il nous faut pour nos équipages, sur lesquels équipages, il est vrai, nous avons déjà les selles.

—Plus, dit Athos, en attendant que d’Artagnan, qui allait remercier M. de Tréville, eût fermé la porte, plus ce beau diamant qui brille au doigt de notre ami. Que diable! d’Artagnan est trop bon camarade pour laisser des frères dans l’embarras, quand il porte à son médius la rançon d’un roi.

XXIX
LA CHASSE A L’ÉQUIPEMENT

Le plus préoccupé des quatre amis était bien certainement d’Artagnan, quoique d’Artagnan, en sa qualité de garde, fût bien plus facile à équiper que Messieurs les mousquetaires, qui étaient des seigneurs; mais notre cadet de Gascogne était, comme on a pu le voir, d’un caractère prévoyant et presque avare, et avec cela (expliquez les contraires) glorieux presque à rendre des points à Porthos. A cette préoccupation de sa vanité, d’Artagnan joignait en ce moment une inquiétude moins égoïste. Quelques informations qu’il eût pu prendre sur madame Bonacieux, il ne lui en était venu aucune nouvelle. M. de Tréville en avait parlé à la reine; la reine ignorait où était la jeune mercière et avait promis de la faire chercher. Mais cette promesse était bien vague et ne rassurait guère d’Artagnan.

Athos ne sortait pas de sa chambre; il était résolu à ne pas risquer une enjambée pour s’équiper.

—Il nous reste quinze jours, disait-il à ses amis; eh bien, si au bout de ces quinze jours je n’ai rien trouvé, ou plutôt si rien n’est venu me trouver, comme je suis trop bon catholique pour me casser la tête d’un coup de pistolet, je chercherai une bonne querelle à quatre gardes de Son Éminence ou à huit Anglais, et je me battrai jusqu’à ce qu’il y en ait un qui me tue, ce qui, sur la quantité, ne peut manquer de m’arriver. On dira alors que je suis mort pour le roi, de sorte que j’aurai fait mon service sans avoir eu besoin de m’équiper.

Porthos continuait à se promener, les mains derrière le dos, en hochant la tête de haut en bas et disant:

—Je poursuivrai mon idée.

Aramis, soucieux et mal frisé, ne disait rien.

On peut voir par ces détails désastreux que la désolation régnait dans la communauté.

Les laquais, de leur côté, comme les coursiers d’Hippolyte, partageaient la triste peine de leurs maîtres. Mousqueton faisait des provisions de croûtes; Bazin, qui avait toujours donné dans la dévotion, ne quittait plus les églises; Planchet regardait voler les mouches; et Grimaud, que la détresse générale ne pouvait déterminer à rompre le silence imposé par son maître, poussait des soupirs à attendrir des pierres.

Les trois amis, car, ainsi que nous l’avons dit, Athos avait juré de ne pas faire un pas pour s’équiper; les trois amis sortaient donc de grand matin et rentraient fort tard. Ils erraient par les rues, regardant sur chaque pavé pour savoir si les personnes qui y étaient passées avant eux n’y avaient pas laissé quelque bourse. On eût dit qu’ils suivaient des pistes, tant ils étaient attentifs partout où ils allaient. Quand ils se rencontraient, ils avaient des regards désolés qui voulaient dire: As-tu trouvé quelque chose?

Cependant, comme Porthos avait trouvé le premier son idée, et comme il l’avait poursuivie avec persistance, il fut le premier à agir. C’était un homme d’exécution que ce digne Porthos. D’Artagnan l’aperçut un jour qu’il s’acheminait vers l’église Saint-Leu, et le suivit instinctivement: il entra au lieu saint après avoir relevé sa moustache et allongé sa royale, ce qui annonçait toujours de sa part les intentions les plus conquérantes. Comme d’Artagnan prenait quelques précautions pour se dissimuler, Porthos crut n’avoir pas été vu. D’Artagnan entra derrière lui, Porthos alla s’adosser au côté d’un pilier; d’Artagnan, toujours inaperçu, s’appuya de l’autre.

Justement il y avait un sermon, ce qui faisait que l’église était fort peuplée. Porthos profita de la circonstance pour lorgner les femmes: grâce aux bons soins de Mousqueton, l’extérieur était loin d’annoncer la détresse de l’intérieur; son feutre était bien un peu râpé, sa plume était bien un peu déteinte, ses broderies étaient bien un peu ternies, ses dentelles étaient bien éraillées; mais dans la demi-teinte toutes ces bagatelles disparaissaient, et Porthos était toujours le beau Porthos.

D’Artagnan remarqua, sur le banc le plus rapproché du pilier où Porthos et lui étaient adossés, une espèce de beauté mûre, un peu jaune, un peu sèche, mais raide et hautaine sous ses coiffes noires. Les yeux de Porthos s’abaissaient furtivement sur cette dame, puis papillonnaient au loin dans la nef.

De son côté, la dame, qui de temps en temps rougissait, lançait avec la rapidité de l’éclair un coup d’œil sur le volage Porthos, et aussitôt les yeux de Porthos de papillonner avec fureur. Il était clair que c’était un manège qui piquait au vif la dame aux coiffes noires, car elle se mordait les lèvres jusqu’au sang, se grattait le bout du nez, et se démenait désespérément sur son siège.

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Ce que voyant Porthos, il retroussa de nouveau sa moustache, allongea une seconde fois sa royale, et se mit à faire des signaux à une belle dame qui était près du chœur, et qui, non seulement était une belle dame, mais encore une grande dame sans doute, car elle avait derrière elle un négrillon qui avait apporté le coussin sur lequel elle était agenouillée, et une suivante qui tenait le sac armorié dans lequel on renfermait le livre où elle lisait sa messe.

La dame aux coiffes noires suivit à travers tous ses détours les regards de Porthos, et reconnut qu’ils s’arrêtaient sur la dame au coussin de velours, au négrillon et à la suivante.

Pendant ce temps, Porthos jouait serré: c’étaient des clignements d’yeux, des doigts posés sur les lèvres, de petits sourires assassins qui réellement assassinaient la belle dédaignée.

Aussi poussa-t-elle, en forme de meâ culpâ et en se frappant la poitrine, un hum! tellement vigoureux que tout le monde, même la dame au coussin rouge, se retourna de son côté; Porthos tint bon: pourtant il avait bien compris, mais il fit le sourd.

La dame au coussin rouge fit un grand effet, car elle était fort belle, sur la dame aux coiffes noires, qui vit en elle une rivale véritablement à craindre; un grand effet sur Porthos, qui la trouva beaucoup plus jolie que la dame aux coiffes noires; un grand effet sur d’Artagnan, qui reconnut la dame de Meung, de Calais et de Douvres, que son persécuteur, l’homme à la cicatrice, avait saluée du nom de milady.

D’Artagnan, sans perdre de vue la dame au coussin rouge, continua de suivre le manège de Porthos, qui l’amusait fort; il crut deviner que la dame aux coiffes noires était la procureuse de la rue aux Ours, d’autant mieux que l’église Saint-Leu n’était pas très éloignée de ladite rue.

Il devina alors par induction que Porthos cherchait à prendre sa revanche de sa défaite de Chantilly, alors que la procureuse s’était montrée si récalcitrante à l’endroit de la bourse.

Mais au milieu de tout cela, d’Artagnan remarqua aussi que pas une figure ne correspondait aux galanteries de Porthos. Ce n’étaient que chimères et illusions; mais pour un amour réel, pour une jalousie véritable, y a-t-il d’autres réalités que les illusions et les chimères?

Le sermon finit: la procureuse s’avança vers le bénitier; Porthos l’y devança, et, au lieu d’un doigt, y mit toute la main. La procureuse sourit, croyant que c’était pour elle que Porthos se mettait en frais: mais elle fut promptement et cruellement détrompée: lorsqu’elle ne fut plus qu’à trois pas de lui, il détourna la tête, fixant invariablement les yeux sur la dame au coussin rouge, qui s’était levée et qui s’approchait suivie de son négrillon et de sa fille de chambre.

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Lorsque la dame au coussin rouge fut près de Porthos, Porthos tira sa main toute ruisselante du bénitier; la belle dévote toucha de sa main effilée la grosse main de Porthos, fit en souriant le signe de la croix et sortit de l’église.

C’en fut trop pour la procureuse: elle ne douta plus que cette dame et Porthos fussent en galanterie. Si elle eût été une grande dame, elle se serait évanouie; mais comme elle n’était qu’une procureuse, elle se contenta de dire au mousquetaire avec une fureur concentrée:

—Eh! monsieur Porthos, vous ne m’en offrez pas à moi, d’eau bénite?

Porthos fit, au son de cette voix, un soubresaut comme ferait un homme qui se réveillerait après un somme de cent ans.

—Ma... madame! s’écria-t-il, est-ce bien vous? Comment se porte votre mari, ce cher monsieur Coquenard? Est-il toujours aussi ladre qu’il était? Où avais-je donc les yeux que je ne vous ai pas même aperçue pendant les deux heures qu’a duré ce sermon?

—J’étais à deux pas de vous, monsieur, répondit la procureuse; mais vous ne m’avez pas aperçue parce que vous n’aviez d’yeux que pour la belle dame à qui vous venez de donner de l’eau bénite.

Porthos feignit d’être embarrassé.

—Ah! dit-il, vous avez remarqué...

—Il eût fallu être aveugle pour ne pas le voir.

—Oui, dit négligemment Porthos, c’est une duchesse de mes amies avec laquelle j’ai grand’peine à me rencontrer à cause de la jalousie de son mari, et qui m’avait fait prévenir qu’elle viendrait aujourd’hui, rien que pour me voir, dans cette chétive église, au fond de ce quartier perdu.

—Monsieur Porthos, dit la procureuse, auriez-vous la bonté de m’offrir le bras pendant cinq minutes? je causerais volontiers avec vous.

—Comment donc, madame, dit Porthos en se clignant de l’œil à lui-même comme un joueur qui rit de la dupe qu’il va faire.

En ce moment d’Artagnan passait poursuivant milady; il jeta un regard de côté sur Porthos et vit ce coup d’œil triomphant.

—Eh! eh! se dit-il à lui-même en raisonnant dans le sens de la morale étrangement facile de cette époque galante, en voici un qui pourrait bien être équipé pour le terme voulu.

Porthos, cédant à la pression du bras de sa procureuse comme une barque cède au gouvernail, arriva au cloître Saint-Magloire, passage peu fréquenté, enfermé d’un tourniquet à ses deux bouts. On n’y voyait, le jour, que mendiants qui mangeaient ou enfants qui jouaient.

—Ah! monsieur Porthos! s’écria la procureuse, quand elle se fut assurée qu’aucune personne étrangère à la population habituelle de la localité ne pouvait les voir ni les entendre: ah! monsieur Porthos! vous êtes un grand vainqueur, à ce qu’il paraît!

—Moi, madame! dit Porthos en se rengorgeant, et pourquoi cela?

—Et les signes de tantôt, et l’eau bénite? Mais c’est une princesse pour le moins, que cette dame avec son négrillon et sa fille de chambre!

—Vous vous trompez; mon Dieu non, répondit Porthos, c’est tout bonnement une duchesse.

—Et ce coureur qui attendait à la porte, et ce carrosse avec un cocher à grande livrée qui attendait sur son siège?

Porthos n’avait vu ni le coureur ni le carrosse, mais, de son regard de femme jalouse, madame Coquenard avait tout vu.

Porthos regretta de n’avoir pas, du premier coup, fait la dame au coussin rouge princesse.

—Ah! vous êtes l’enfant chéri des belles, monsieur Porthos! reprit en soupirant la procureuse.

—Mais, répondit Porthos, vous comprenez qu’avec un physique comme celui dont la nature m’a doué, je ne manque pas de bonnes fortunes.

—Mon Dieu! comme les hommes oublient vite! s’écria la procureuse en levant les yeux au ciel.

—Moins vite encore que les femmes, ce me semble, répondit Porthos; car enfin moi, madame, je puis dire que j’ai été votre victime, lorsque mourant, blessé, je me suis vu abandonné des chirurgiens; moi, le rejeton d’une famille illustre, qui m’étais fié à votre amitié, j’ai manqué mourir de mes blessures d’abord, et de faim ensuite, dans une mauvaise auberge de Chantilly, et cela sans que vous ayez daigné répondre une seule fois aux lettres brûlantes que je vous ai écrites.

—Mais, monsieur Porthos, murmura la procureuse, qui sentait qu’à en juger par la conduite des plus grandes dames de ce temps-là, elle était dans son tort.

—Moi qui avais sacrifié pour vous la baronne de...

—Je le sais bien.

—La comtesse de...

—Monsieur Porthos ne m’accablez pas.

—La duchesse de...

—Monsieur Porthos, soyez généreux!

—Vous avez raison, madame, et je n’achèverai pas.

—Mais c’est mon mari qui ne veut pas entendre parler de prêter.

—Madame Coquenard, dit Porthos, rappelez-vous la première lettre que vous m’avez écrite et que je conserve gravée dans ma mémoire.

La procureuse poussa un gémissement.

—Mais c’est qu’aussi, dit-elle, la somme que vous demandiez à emprunter était un peu bien forte.

—Madame Coquenard, je vous donnais la préférence. Je n’ai eu qu’à écrire à la duchesse de... Je ne veux pas dire son nom, car je ne sais pas ce que c’est que de compromettre une femme; mais ce que je sais, c’est que je n’ai eu qu’à lui écrire pour qu’elle m’en envoyât quinze cents.

La procureuse versa une larme.

—Monsieur Porthos, dit-elle, je vous jure que vous m’avez grandement punie, et que si dans l’avenir vous vous retrouviez en pareille passe vous n’auriez qu’à vous adresser à moi.

—Fi donc, madame! dit Porthos comme révolté, ne parlons pas argent, s’il vous plaît, c’est humiliant.

—Ainsi, vous ne m’aimez plus! dit lentement et tristement la procureuse.

Porthos garda un majestueux silence.

—C’est ainsi que vous me répondez? Hélas! je comprends.

—Songez à l’offense que vous m’avez faite, madame: elle est restée là, dit Porthos, en posant la main à son cœur et en l’y appuyant avec force.

—Je la réparerai; voyons, mon cher Porthos!

—D’ailleurs, que vous demandais-je, moi? reprit Porthos avec un mouvement d’épaules plein de bonhomie, un prêt, pas autre chose. Après tout, je ne suis pas un homme déraisonnable. Je sais que vous n’êtes pas riche, madame Coquenard, et que votre mari est obligé de saigner les pauvres plaideurs pour en tirer quelques pauvres écus. Oh! si vous étiez comtesse, marquise ou duchesse, ce serait autre chose et vous seriez impardonnable.

La procureuse fut piquée.

—Apprenez, monsieur Porthos, dit-elle, que mon coffre-fort, tout coffre-fort de procureuse qu’il est, est peut-être mieux garni que celui de toutes vos mijaurées ruinées.

—Double offense que vous m’avez faite alors, dit Porthos en dégageant le bras de la procureuse de dessous le sien; car si vous êtes riche, madame Coquenard, alors votre refus n’a plus d’excuse.

—Quand je dis riche, reprit la procureuse, qui vit qu’elle s’était laissé entraîner trop loin, il ne faut pas prendre le mot au pied de la lettre. Je ne suis pas précisément riche, je suis à mon aise.

—Tenez, madame, dit Porthos, ne parlons plus de tout cela, je vous prie. Vous m’avez méconnu; toute sympathie est éteinte entre nous.

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—Ingrat que vous êtes!

—Ah! je vous conseille de vous plaindre! dit Porthos.

—Allez donc avec votre belle duchesse! je ne vous retiens plus.

—Eh! elle n’est déjà point si déchirée, que je crois!

—Voyons, monsieur Porthos, encore une fois, c’est la dernière: m’aimez-vous encore?

—Hélas! madame, dit Porthos du ton le plus mélancolique qu’il put prendre, quand nous allons entrer en campagne, dans une campagne où mes pressentiments me disent que je serai tué...

—Oh! ne dites pas de pareilles choses! s’écria la procureuse en éclatant en sanglots.

—Quelque chose me le dit, continua Porthos en mélancolisant de plus en plus.

—Dites plutôt que vous avez un nouvel amour.

—Non pas, je vous parle franc. Nul objet nouveau ne me touche, et même je sens là, au fond de mon cœur, quelque chose qui parle pour vous. Mais, dans quinze jours, comme vous le savez ou comme vous ne le savez pas, cette fatale campagne s’ouvre; je vais être affreusement préoccupé de mon équipement. Puis, je vais faire un voyage dans ma famille, au fond de la Bretagne, pour réaliser la somme nécessaire à mon départ.

Porthos remarqua un dernier combat entre l’amour et l’avarice.

—Et comme, continua-t-il, la duchesse que vous venez de voir à l’église a ses terres près des miennes, nous ferons le voyage ensemble. Les voyages, vous le savez, paraissent beaucoup moins longs quand on les fait à deux.

—Vous n’avez donc point d’amis à Paris, monsieur Porthos? dit la procureuse.

—J’ai cru en avoir, mais j’ai bien vu que je me trompais.

—Vous en avez, monsieur Porthos, vous en avez, reprit la procureuse dans un transport qui la surprit elle-même; revenez demain à la maison. Vous êtes le fils de ma tante, mon cousin par conséquent; vous venez de Noyon en Picardie, vous avez plusieurs procès à Paris, et pas de procureur. Retiendrez-vous bien tout cela?

—Parfaitement, madame.

—Venez à l’heure du dîner.

—Fort bien.

—Et tenez ferme devant mon mari, qui est retors, malgré ses soixante-seize ans.

—Soixante-seize ans! peste! le bel âge! reprit Porthos.

—Le grand âge, vous voulez dire, monsieur Porthos. Aussi le pauvre cher homme peut me laisser veuve d’un moment à l’autre, continua la procureuse en jetant un regard significatif à Porthos. Heureusement que par contrat de mariage nous nous sommes tout passé au dernier vivant.

—Tout? dit Porthos.

—Tout.

—Vous êtes femme de précaution, je le vois, ma chère madame Coquenard, dit Porthos en serrant tendrement la main de la procureuse.

—Nous voilà donc réconciliés, cher monsieur Porthos? dit-elle en minaudant.

—Pour la vie, répliqua Porthos sur le même air.

—Au revoir donc, mon traître.

—Au revoir, mon oublieuse.

—A demain, mon ange.

—A demain, flamme de ma vie.

XXX
MILADY

D’Artagnan avait suivi milady sans être aperçu par elle: il la vit monter dans son carrosse, et il l’entendit donner à son cocher l’ordre d’aller à Saint-Germain.

Il était inutile d’essayer de suivre une voiture emportée au trot de deux vigoureux chevaux. D’Artagnan revint donc rue Férou.

Dans la rue de Seine, il rencontra Planchet, qui s’était arrêté auprès de la boutique d’un pâtissier, et qui semblait en extase devant une brioche de la forme la plus appétissante.

Il lui donna l’ordre d’aller seller deux chevaux dans les écuries de M. de Tréville, un pour lui, d’Artagnan, l’autre pour lui, Planchet, et de venir le joindre chez Athos, M. de Tréville, une fois pour toutes, ayant mis ses écuries au service de d’Artagnan.

Planchet s’achemina vers la rue du Colombier, et d’Artagnan vers la rue Férou. Athos était chez lui, vidant tristement une des bouteilles de ce fameux vin d’Espagne qu’il avait rapporté de son voyage en Picardie. Il fit signe à Grimaud d’apporter un verre pour d’Artagnan, et Grimaud obéit comme d’habitude.

D’Artagnan raconta alors à Athos tout ce qui s’était passé à l’église entre Porthos et la procureuse, et comment leur camarade était probablement, à cette heure, en voie de s’équiper.

—Quant à moi, répondit Athos à tout ce récit, je suis bien tranquille, ce ne seront pas les femmes qui feront les frais de mon harnais.

—Et cependant, beau, poli, grand seigneur comme vous l’êtes, mon cher Athos, il n’y aurait ni princesses ni reines à l’abri de vos traits amoureux.

—Que ce d’Artagnan est jeune! dit Athos en haussant les épaules.

Et il fit signe à Grimaud d’apporter une seconde bouteille.

En ce moment, Planchet passa modestement la tête par la porte entre-bâillée, et annonça à son maître que les deux chevaux étaient là.

—Quels chevaux? demanda Athos.

—Deux chevaux que M. de Tréville me prête pour la promenade, et avec lesquels je vais aller faire un tour à Saint-Germain.

—Et qu’allez-vous faire à Saint-Germain? demanda encore Athos.

Alors d’Artagnan lui raconta la rencontre qu’il avait faite dans l’église, et comment il avait retrouvé cette femme qui, avec le seigneur au manteau noir, et à la cicatrice près de la tempe, était sa préoccupation éternelle.

—C’est-à-dire que vous êtes amoureux de celle-là, comme vous l’étiez de madame Bonacieux, dit Athos en haussant dédaigneusement les épaules, comme s’il eût pris en pitié la faiblesse humaine.

—Moi, point du tout! s’écria d’Artagnan. Je suis seulement curieux d’éclaircir le mystère auquel elle se rattache. Je ne sais pourquoi, je me figure que cette femme, tout inconnue qu’elle m’est et tout inconnu que je lui suis, a une action sur ma vie.

—Au fait, vous avez raison, dit Athos, je ne connais pas une femme qui vaille la peine qu’on la cherche quand elle est perdue. Madame Bonacieux est perdue, tant pis pour elle, qu’elle se retrouve.

—Non, Athos, non, vous vous trompez, dit d’Artagnan; j’aime ma pauvre Constance plus que jamais, et si je savais le lieu où elle est, fût-elle au bout du monde, je partirais pour la tirer des mains de ses ennemis; mais je l’ignore, toutes mes recherches ont été inutiles. Que voulez-vous, il faut bien se distraire.

—Distrayez-vous donc avec milady, mon cher d’Artagnan; je le souhaite de tout mon cœur, si cela peut vous amuser.

—Écoutez, Athos, dit d’Artagnan, au lieu de vous tenir renfermé ici comme si vous étiez aux arrêts, montez à cheval et venez vous promener avec moi à Saint-Germain.

—Mon cher, répliqua Athos, je monte mes chevaux quand j’en ai, sinon je vais à pied.

—Eh bien! moi, répondit d’Artagnan en souriant de la misanthropie d’Athos, qui, dans un autre, l’eût certainement blessé; moi, je suis moins fier que vous, je monte tout ce que je trouve. Ainsi, au revoir, mon cher Athos.

—Au revoir, dit le mousquetaire en faisant signe à Grimaud de déboucher la bouteille qu’il venait d’apporter.

D’Artagnan et Planchet se mirent en selle et prirent le chemin de Saint-Germain.

Tout le long de la route, ce qu’Athos avait dit au jeune homme de madame Bonacieux lui revenait à l’esprit. Quoique d’Artagnan ne fût pas d’un caractère fort sentimental, la jolie mercière avait fait une impression réelle sur son cœur: comme il le disait, il était prêt à aller au bout du monde pour la chercher. Mais le monde a bien des bouts, par cela même qu’il est rond; de sorte qu’il ne savait de quel côté se tourner.

En attendant, il allait tâcher de savoir ce que c’était que milady. Milady avait parlé à l’homme au manteau noir, donc elle le connaissait. Or, dans l’esprit de d’Artagnan, c’était l’homme au manteau noir qui avait enlevé madame Bonacieux une seconde fois, comme il l’avait enlevée une première. D’Artagnan ne mentait donc qu’à moitié, ce qui est bien peu mentir, quand il disait qu’en se mettant à la recherche de milady, il se mettait en même temps à la recherche de Constance.

Tout en songeant ainsi et en donnant de temps en temps un coup d’éperon à son cheval, d’Artagnan avait fait la route et était arrivé à Saint-Germain. Il venait de longer le pavillon où dix ans plus tard devait naître Louis XIV. Il traversait une rue fort déserte, regardant à droite et à gauche s’il ne reconnaîtrait pas quelque vestige de sa belle Anglaise, lorsque au rez-de-chaussée d’une jolie maison qui, selon l’usage du temps, n’avait aucune fenêtre sur la rue, il vit apparaître une figure de connaissance. Cette figure se promenait sur une sorte de terrasse garnie de fleurs, Planchet la reconnut le premier.

—Eh! monsieur, dit-il, s’adressant à d’Artagnan, ne remettez-vous point ce visage qui baye aux corneilles?

—Non, dit d’Artagnan; et cependant je suis certain que ce n’est pas la première fois que je le vois, ce visage.

—Je le crois pardieu bien, dit Planchet: c’est ce pauvre Lubin, le laquais du comte de Wardes, celui que vous avez si bien accommodé il y a un mois, à Calais, sur la route de la maison de campagne du gouverneur.

—Ah! oui bien, dit d’Artagnan, et je le reconnais à cette heure. Crois-tu qu’il te reconnaisse, toi?

—Ma foi, monsieur, il était si fort troublé que je doute qu’il ait gardé de moi une mémoire bien nette.

—Eh bien! va donc causer avec ce garçon, dit d’Artagnan, et informe-toi dans la conversation si son maître est mort.

Planchet descendit de cheval, marcha droit à Lubin, qui en effet ne le reconnut pas, et les deux laquais se mirent à causer dans la meilleure intelligence du monde, tandis que d’Artagnan poussait les deux chevaux dans une ruelle et, faisant le tour d’une maison, s’en revenait assister à la conférence derrière une haie de coudriers.

Au bout d’un instant d’observation derrière la haie, il entendit le bruit d’une voiture, et il vit s’arrêter en face de lui le carrosse de milady. Il n’y avait pas à s’y tromper, milady était dedans. D’Artagnan se coucha sur le cou de son cheval afin de tout voir sans être vu.

Milady sortit sa charmante tête blonde par la portière, et donna des ordres à sa femme de chambre.

Cette dernière, jolie fille de vingt à vingt-deux ans, alerte et vive, véritable soubrette de grande dame, sauta en bas du marchepied sur lequel elle était assise, selon l’usage du temps, et se dirigea vers la terrasse où d’Artagnan avait aperçu Lubin.

D’Artagnan suivit la soubrette des yeux, et la vit s’acheminer vers la terrasse. Mais par hasard un ordre de l’intérieur avait appelé Lubin, de sorte que Planchet était resté seul, regardant de tous côtés par quel chemin avait disparu d’Artagnan.

La femme de chambre s’approcha de Planchet, qu’elle prit pour Lubin, et lui tendant un petit billet:

—Pour votre maître, dit-elle.

—Pour mon maître? reprit Planchet étonné.

—Oui, et très pressé. Prenez donc vite.

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Là-dessus elle s’enfuit vers le carrosse, retourné à l’avance du côté par lequel il était venu: elle s’élança sur le marchepied et le carrosse repartit.

Planchet tourna et retourna la lettre, puis, accoutumé à l’obéissance passive, il sauta à bas de la terrasse, enfila la ruelle et rencontra au bout de vingt pas d’Artagnan, qui, ayant tout vu, allait au-devant de lui.

—Pour vous, monsieur, dit Planchet, présentant le billet au jeune homme.

—Pour moi? dit d’Artagnan; en es-tu bien sûr?

—Pardieu! si j’en suis sûr; la soubrette a dit: «Pour ton maître.» Je n’ai d’autre maître que vous; ainsi... Un joli brin de fille, ma foi, que cette soubrette.

D’Artagnan ouvrit la lettre et lut ces mots:

«Une personne qui s’intéresse à vous plus qu’elle ne peut le dire, voudrait savoir quel jour vous serez en état de vous promener dans la forêt. Demain, à l’hôtel du Champ-du-Drap-d’Or, un laquais noir et rouge attendra votre réponse.»

—Oh! oh! se dit d’Artagnan, voilà qui est un peu vif. Il paraît que milady et moi nous sommes en peine de la santé de la même personne. Eh bien! Planchet, comment se porte ce bon M. de Wardes? il n’est donc pas mort?

—Non, monsieur, il va aussi bien qu’on peut aller avec quatre coups d’épée dans le corps, car vous lui en avez, sans reproche, allongé quatre, à ce cher gentilhomme et il est encore bien faible, ayant perdu presque tout son sang. Comme je l’avais dit à monsieur, Lubin ne m’a pas reconnu, et m’a raconté d’un bout à l’autre notre aventure.

—Fort bien, Planchet, tu es le roi des laquais; maintenant, remonte à cheval et rattrapons le carrosse.

Ce ne fut pas long, au bout de cinq minutes on aperçut le carrosse arrêté sur le revers de la route; un cavalier richement vêtu se tenait à la portière.

La conversation entre milady et le cavalier était tellement animée que d’Artagnan s’arrêta de l’autre côté du carrosse sans que personne autre que la jolie soubrette s’aperçût de sa présence.

La conversation avait lieu en anglais, langue que d’Artagnan ne comprenait pas; mais, à l’accent, le jeune homme crut deviner que la belle Anglaise était fort en colère; elle termina par un geste qui ne lui laissa point de doute sur la nature de cette conversation: c’était un coup d’éventail appliqué de telle force que le petit meuble féminin vola en mille morceaux.

Le cavalier poussa un éclat de rire qui parut exaspérer milady.

D’Artagnan pensa que c’était le moment d’intervenir; il s’approcha de l’autre portière et se découvrant respectueusement:

—Madame, dit-il, me permettrez-vous de vous offrir mes services? il me semble que ce cavalier vous a mise en colère. Dites un mot, madame, et je me charge de le punir de son manque de courtoisie.

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Aux premières paroles, milady s’était retournée, regardant le jeune homme avec étonnement, et lorsqu il eut fini:

—Monsieur, dit-elle en très bon français, ce serait de grand cœur que je me mettrais sous votre protection si la personne qui me querelle n’était point mon frère.

—Ah! excusez-moi, alors, dit d’Artagnan; vous comprenez que j’ignorais cela, madame.

—De quoi donc se mêle cet étourneau, s’écria, en s’abaissant à la hauteur de la portière, le cavalier que milady avait désigné comme son parent, et pourquoi ne passe-t-il pas son chemin?

—Étourneau vous-même, dit d’Artagnan en se baissant à son tour sur le cou de son cheval, et en répondant de son côté par la portière; je ne passe pas mon chemin parce qu’il me plaît de m’arrêter ici.

Le cavalier adressa quelques mots en anglais à sa sœur.

—Je vous parle français, moi, dit d’Artagnan; faites-moi donc, je vous prie, le plaisir de me répondre en la même langue. Vous êtes le frère de madame, soit, mais vous n’êtes pas le mien, heureusement.

On eût pu croire que milady, craintive comme l’est ordinairement une femme, allait s’interposer dans ce commencement de provocation, afin d’empêcher que la querelle n’allât plus loin; mais, tout au contraire, elle se rejeta au fond de son carrosse, et cria froidement au cocher:

—Touche à l’hôtel!

La jolie soubrette jeta un regard d’inquiétude sur d’Artagnan, dont la bonne mine paraissait avoir produit son effet sur elle.

Le carrosse partit et laissa les deux hommes en face l’un de l’autre, aucun obstacle matériel ne les séparant plus.

Le cavalier fit un mouvement pour suivre la voiture, mais d’Artagnan, dont la colère déjà bouillonnante s’était encore augmentée en reconnaissant en lui l’Anglais qui, à Amiens, lui avait gagné son cheval et avait failli gagner à Athos son diamant, sauta à la bride et l’arrêta.

—Eh! monsieur, dit-il, vous me semblez encore plus étourneau que moi, car vous me faites l’effet d’oublier qu’il y a entre nous une petite querelle engagée.

—Ah! ah! dit l’Anglais, c’est vous, mon maître. Il faut donc toujours que vous jouiez un jeu ou un autre?

—Oui, et cela me rappelle que j’ai une revanche à prendre. Nous verrons, mon cher monsieur, si vous maniez aussi adroitement la rapière que le cornet.

Vous voyez bien que je n’ai pas d’épée, dit l’Anglais; voulez-vous faire le brave contre un homme sans armes?

—J’espère bien que vous en avez chez vous, répliqua d’Artagnan. En tout cas, j’en ai deux, et, si vous le voulez, je vous en jouerai une.

—Inutile, dit l’Anglais, je suis muni suffisamment de ces sortes d’ustensiles.

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—Eh bien! mon digne gentilhomme, reprit d’Artagnan, choisissez la plus longue et venez me la montrer ce soir.

—Où cela, s’il vous plaît?

—Derrière le Luxembourg, c’est un charmant quartier pour les promenades dans le genre de celle que je vous propose.

—C’est bien, on y sera.

—Votre heure?

—Six heures.

—A propos, vous avez aussi probablement un ou deux amis?

—Mais j’en ai trois qui seront fort honorés de jouer la même partie que moi.

—Trois? à merveille! comme cela se rencontre! dit d’Artagnan, c’est juste mon compte.

—Maintenant, qui êtes-vous? demanda l’Anglais.

—Je suis monsieur d’Artagnan, gentilhomme gascon, servant aux gardes, compagnie de M. des Essarts. Et vous?

—Moi, je suis lord de Winter, baron de Sheffield.

—Eh bien! je suis votre serviteur, monsieur le baron, dit d’Artagnan, quoique vous ayez des noms difficiles à bien retenir.

Et piquant son cheval, il le mit au galop, et reprit le chemin de Paris.

Comme il avait l’habitude de le faire en pareille occasion, d’Artagnan descendit droit chez Athos. Il le trouva couché sur un grand canapé, où il attendait, comme il avait dit, que son équipement le vînt trouver.

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Il raconta à Athos tout ce qui venait de se passer, moins la lettre de M. de Wardes.

Athos fut enchanté lorsqu’il sut qu’il allait se battre contre un Anglais. Nous avons dit que c’était son rêve.

On envoya chercher à l’instant même Porthos et Aramis par les laquais, et on les mit au courant de la situation.

Porthos tira son épée hors du fourreau et se mit à espadonner contre le mur en se reculant de temps en temps et en faisant des pliés comme un danseur, Aramis, qui travaillait toujours à son poème, s’enferma dans le cabinet d’Athos et pria qu’on ne le dérangeât plus qu’au moment de dégainer.

Athos demanda par signe à Grimaud une bouteille.

Quant à d’Artagnan, il arrangea en lui-même un petit plan dont nous verrons plus tard l’exécution, et qui lui promettait quelque gracieuse aventure, comme on pouvait le voir aux sourires qui, de temps en temps, passaient sur son visage, dont ils éclairaient la rêverie.

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Table des matières

TABLE DES CHAPITRES DU TOME PREMIER

  Pages.
  LETTRE D’ALEXANDRE DUMAS FILS VII
 
  PRÉFACE XVII
 
I. —Les trois présents de M. d’Artagnan père 1
II. —L’antichambre de M. de Tréville 22
III. —L’audience 37
IV. —L’épaule d’Athos, le baudrier de Porthos, le mouchoir d’Aramis 53
V. —Les mousquetaires du roi et les gardes de M. le Cardinal 64
VI. —Sa Majesté le roi Louis treizième 80
VII. —L’intérieur des mousquetaires 106
VIII. —Une intrigue de cour 118
IX. —D’Artagnan se dessine 130
X. —Une souricière au dix-septième siècle 142
XI. —L’intrigue se noue 156
XII. —Georges Villiers, duc de Buckingham 180
XIII. —Monsieur Bonacieux 191
XIV. —L’homme de Meung 203
XV. —Gens de robe et gens d’épée 217
XVI. —Où Monsieur le garde des sceaux Séguier chercha plus d’une fois la cloche pour la sonner comme il le faisait autrefois 229
XVII. —Le ménage Bonacieux 245
XVIII. —L’amant et le mari 262
XIX. —Plan de campagne 271
XX. —Voyage 283
XXI. —La comtesse de Winter 302
XXII. —Le ballet de la Merlaison 316
XXIII. —Le rendez-vous 327
XXIV. —Le pavillon 342
XXV. —Porthos 356
XXVI. —La thèse d’Aramis 381
XXVII. —La femme d’Athos 403
XXVIII. —Retour 429
XXIX. —La chasse à l’équipement 448
XXX. —Milady 460
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TABLE DES GRAVURES DU TOME PREMIER

  Pages.
VIGNETTE SOUS LE TITRE: Médaillons des Mousquetaires III
FRONTISPICE: Alexandre Dumas V
LETTRE D’ALEXANDRE DUMAS FILS: Alexandre Dumas fils VII
CUL-DE-LAMPE: Le roman national XVI
PRÉFACE: La plume d’Alexandre Dumas XVII
CUL-DE-LAMPE: La Renommée XX
«—Continuez donc la danse puisqu’il le veut absolument.» 1
M. d’Artagnan père ceignit à son fils sa propre épée 5
D’Artagnan prit chaque sourire pour une insulte 7
«—Devant une femme tous n’oseriez pas fuir.» 16
Il le vendit trois écus. 21
Les trois autres s’escrimaient contre lui de leurs épées fort agiles. 28
On admirait avec enthousiasme le baudrier brodé. 32
«—Il me plaît de vous dire que vous m’impatientez.» 36
«—N’avez-vous un si beau baudrier d’or que pour y suspendre une épée de paille?». 40
«—Un chirurgien! Sang-Dieu! mon brave Athos va trépasser.» 44
«—Diable de fou!» murmura M. de Tréville. 52
«—Lâchez-moi donc, je vous prie.» 53
«—Ventrebleu! vous êtes donc enragé.» 56
Il tira le mouchoir de dessous le pied du mousquetaire. 60
D’Artagnan n’aborda son adversaire que le chapeau à la main. 66
«—Nous allons avoir l’honneur de vous charger.» 74
«—A moi, monsieur le garde, je vous tue!» 75
Il porta Jussac sous le porche du couvent. 78
On les voyait entrelacés, tenant toute la largeur de la rue. 79
«—Brave jeune homme!» murmura le roi. 83
Une de ces balles passa près du visage de d’Artagnan. 87
«—A nous, mousquetaires!» 90
Bernajoux raconta les choses exactement. 94
«—Voici, dit le roi, une preuve de ma satisfaction.» 104
Il faisait des ronds en crachant dans l’eau. 106
Athos rossait Grimaud. 108
Mousqueton faisait, à la suite de son maître, fort bonne figure. 110
Ce fut le tour d’Athos, de Porthos et d’Aramis de monter la garde avec d’Artagnan. 117
On dévora sa provision de deux mois. 120
«—Plus haut! beaucoup plus haut!» dit Bonacieux. 124
«—L’homme de Meung!» 129
«—Votre affaire n’est pas mauvaise.» 133
«—A la santé du Roi et du Cardinal.» 140
«—Tous pour un, un pour tous.» 141
«—Oh! monsieur, monsieur, vous aller vous tuer.» 145
D’Artagnan était vainqueur sans beaucoup de peine 147
Elle passa son bras sous celui de d’Artagnan 151
D’un tour de doigt il remit la pendule à son heure 155
Que diable pouvait donc signifier ce mouchoir? 163
D’Artagnan saisit la main qu’on lui tendait et la baisa 171
«—Au nom du ciel, milord!» s’écria madame Bonacieux 179
Buckingham, resté seul, s’approcha d’une glace 182
Il baisa le bas de sa robe 184
Anne d’Autriche tendit sa main en fermant les yeux 190
M. Bonacieux était dans la plus grande perplexité 195
«—Mais ce n’est pas M. d’Artagnan que vous me montrez là!» 199
Il poussa un faible gémissement et il s’évanouit 202
On lui fit monter un escalier 204
«—Vous êtes accusé de haute trahison.» 207
«—C’est lui! celui qui m’a enlevé ma femme.» 210
Puis il sortit à reculons 215
«—Plaît-il?» dit le roi avec hauteur 221
«—Tête gasconne, en finirez-vous?» dit le roi 226
M. de Tréville délivra le mousquetaire 228
«—Madame, vous allez recevoir la visite du chancelier.» 234
«—La lettre est là.» 239
Le cardinal prit la lettre et la lut 241
«—Vous paraîtrez à ce bal.» 247
«—Tiens, dit la reine, voici une bague d’un grand prix.» 251
«—D’où vient cet argent?» 257
«—Sauver la reine avec l’argent du cardinal.» 265
«—Silence!» dit d’Artagnan en lui prenant la main 269
Un hurlement terrible interrompit leurs réflexions 270
«—Pour Londres!» s’écria Porthos 279
Et chacun allongea la main vers le sac 282
Porthos l’appela ivrogne; l’étranger tira son épée 284
Et chacun de ces hommes prit un mousquet caché 286
Et l’on galopa encore pendant deux heures 287
On descendit Aramis à la porte du cabaret 288
«—Au large, d’Artagnan, pique, pique!» 291
«—Et un pour moi! Au dernier les bons!» 295
Cinq minutes après, ils étaient à bord 298
«—Juste ciel! qu’ai-je lu!» s’écria le duc 301
Les chevaux allaient comme le vent 303
Tout à coup le duc poussa un cri terrible 305
«—Tenez, lui dit-il, voici les ferrets de diamants.» 310
«—Allez donc et que Dieu vous conduise.» 314
Messieurs les échevins allèrent au-devant du roi 317
«—Madame, pourquoi n’avez-vous point vos ferrets?» 320
Le ballet dura une heure 323
D’Artagnan se jeta à genoux 326
«—Ah! faites donc le bon apôtre?» 332
«—Vendre cette bague!... jamais!» 336
Planchet tout ébahi était en train de les étriller 341
En un instant il fut au milieu des branches 347
Lequel monta avec précaution à l’échelle 352
Deux hommes descendirent par l’échelle et la portèrent dans la voiture 353
«—Vos bas et vos souliers réclament aussi un coup de brosse 359
Il est tombé en arrière 371
A la vue de son ami, Porthos jeta un grand cri de joie 374
«—Or, par ce soupirail, je jette le lasso.» 380
D’Artagnan s’ennuyait profondément, le curé aussi 388
«—La pose était quelque peu abandonnée.» 396
Et les deux amis se mirent à danser 402
«—Ah! vous ne me connaissez pas!» 411
«—Ah! messieurs, vous voulez de la bataille!» 417
En même temps Grimaud parut à son tour derrière son maître 420
L’image de la dévastation 421
L’hôte rentra avec les bouteilles demandées 424
Et il la pendit à un arbre 428
«—Deux as!» 437
«—Qu’est-ce que cela?... rien que des selles!» 441
«—Vous mangez du cheval» 444
La dame aux coiffes noires suivit les regards de Porthos 451
Porthos tira sa main toute ruisselante du bénitier 453
«—Ingrat que vous êtes,» dit la procureuse 458
«—Un billet, pour votre maître,» dit-elle 465
Le petit meuble féminin vola en mille morceaux 467
D’Artagnan sauta à la bride et l’arrêta 469
Porthos se mit à espadonner contre le mur 470
CUL-DE-LAMPE: Mars envoie l’Amour solliciter la Fortune 471
TABLE DES CHAPITRES: D’Artagnan, Athos, Porthos, Aramis 473
CUL-DE-LAMPE: L’amour et les armes 474
TABLE DES GRAVURES: S. M. Louis treizième, roi de France et de Navarre.—Armand-Jean du Plessis, cardinal, duc de Richelieu 475
CUL-DE-LAMPE: S. M. Anne d’Autriche, reine de France et de Navarre 479
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IMPRIMÉ
PAR
CHAMEROT ET RENOUARD
19, rue des Saints-Pères, 19
PARIS

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Au lecteur.

Ce livre électronique reproduit dans son intégralité la version originale.

L’orthographe a été conservée. Seules quelques erreurs évidentes de typographie ou d’impression ont été corrigées. La liste de ces modifications se trouve ci-après. Dans le texte les corrections sont soulignées en gris. En passant la souris sur le texte corrigé on fait apparaître le texte original. Enfin, la ponctuation a été tacitement corrigée à quelques endroits.

Corrections.

  • Page 33: «raconte-il» remplacé par «raconte-t-il» (Et que raconte-t-il? demanda Porthos).
  • Page 121: «exétcuant» remplacé par «exécutant» (ne reculant jamais, exécutant isolément ou ensemble les résolutions).
  • Page 121: «la Porte» remplacé par «la porte» (lorsque l’on frappa doucement à la porte).
  • Page 211: «Estefana» remplacé par «Estefania» (Doña Estefania seulement).
  • Page 233: «Estefana» remplacé par «Estefania» (camériste espagnole, doña Estefania).
  • Page 237: «Estefana» remplacé par «Estefania» (Estefania, donnez les clefs).
  • Page 312: «Sand» remplacé par «Sund» (Allez au port, demandez le brick le Sund).
  • Page 390: «Agurmentum» remplacé par «Argumentum» (Argumentum omni denudatum ornamento).
  • Page 399: «continua-il» remplacé par «continua-t-il» (La vie est pleine d’humiliations et de douleurs, continua-t-il).
  • Page 399: «amertune» remplacé par «amertume» (en donnant à sa voix une légère teinte d’amertume).
  • Page 439: «aquiesça» remplacé par «acquiesça» (il acquiesça donc et choisit les cent pistoles).
  • Page 442: «syllable» remplacé par «syllabe» (J’ai commencé un poème en vers d’une syllabe).
  • Page 443: «échauffourrée» remplacé par «échauffourée» (dans notre échauffourée de la rue Férou).
  • Page 449: «pas» remplacé par «par» (Ils erraient par les rues).
  • Page 468: «Vouz» remplacé par «Vous» (Vous voyez bien que je n’ai pas d’épée).
  • Page 470: inséré «de» (Moi, je suis lord de Winter).
  • Page 470: «Scheffield» remplacé par «Sheffield» (baron de Sheffield).

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