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Manuscrit de mil huit cent quatorze, trouvé dans les voitures impériales prises à Waterloo, contenant l'histoire des six derniers mois du règne de Napoléon

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The Project Gutenberg eBook of Manuscrit de mil huit cent quatorze, trouvé dans les voitures impériales prises à Waterloo, contenant l'histoire des six derniers mois du règne de Napoléon

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Title: Manuscrit de mil huit cent quatorze, trouvé dans les voitures impériales prises à Waterloo, contenant l'histoire des six derniers mois du règne de Napoléon

Author: baron Agathon-Jean-François Fain

Release date: September 22, 2010 [eBook #33796]

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Rénald Lévesque and the
Online Distributed Proofreaders Europe at
http://dp.rastko.net. This file was produced from images
generously made available by the Bibliothèque nationale
de France (BnF/Gallica)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MANUSCRIT DE MIL HUIT CENT QUATORZE, TROUVÉ DANS LES VOITURES IMPÉRIALES PRISES À WATERLOO, CONTENANT L'HISTOIRE DES SIX DERNIERS MOIS DU RÈGNE DE NAPOLÉON ***





MÉMOIRES

DES

CONTEMPORAINS.





SE TROUVE AUSSI

A LA GALERIE DE BOSSANGE PÈRE

LIBRAIRE DE S. A. S. MONSEIGNEUR LE DUC d'ORLÉANS,
rue de Richelieu, nº 60.




IMPRIMERIE DE LACHEVARDIÈRE FILS,
SUCCESSEUR DE CELLOT,
rue du Colombier, n. 30.




MÉMOIRES
DES
CONTEMPORAINS,
POUR SERVIR A L'HISTOIRE DE FRANCE,
ET PRINCIPALEMENT A CELLE
DE LA RÉPUBLIQUE ET DE L'EMPIRE.


Deuxième livraison.

SECONDE ÉDITION.

PARIS,
BOSSANGE FRÈRES, LIBRAIRES,
RUE DE SEINE, Nº 12.
1824.




MANUSCRIT

DE

MIL HUIT CENT QUATORZE,

TROUVÉ DANS LES VOITURES IMPÉRIALES PRISES A WATERLOO,
CONTENANT
L'Histoire des six derniers mois du règne de
NAPOLÉON;

Par le Baron FAIN,

SECRÉTAIRE DU CABINET A CETTE ÉPOQUE,
MAÎTRE DES REQUÊTES, ETC.




AVERTISSEMENT

DES ÉDITEURS.

Cet ouvrage, terminé au commencement de 1815, avait été perdu avec beaucoup d'autres papiers dans les voitures impériales prises à Waterloo; et c'est sous le titre anonyme de Manuscrit de mil huit cent quatorze, trouvé à Waterloo, qu'il nous a été présenté.

Occupés d'en donner une édition, nous avons mis tous nos soins à chercher quel en était l'auteur, et voici ce que nous avons appris d'une manière certaine.

Napoléon, en quittant Fontainebleau pour se rendre à l'île d'Elbe, avait chargé le baron Fain, son secrétaire du cabinet, de préparer sur les dernières années un relevé de faits et de dates qui pût lui servir de canevas, selon son usage, lorsqu'il voudrait dicter cette partie de son histoire. C'est en voulant s'acquitter de cette tâche que M. Fain a rédigé le manuscrit perdu quelque temps après à Waterloo. Nous publions cet ouvrage tel qu'il est sorti des mains de l'auteur à l'époque que nous venons de citer. Cependant quelques aperçus qui ne sont qu'indiqués dans le texte ont depuis été confirmés par des écrivains qu'on ne saurait taxer d'être au nombre des partisans de Napoléon; et nous avons cru devoir citer en notes certains passages de leurs écrits, qui, pouvant être considérés comme l'aveu de la partie adverse, sont de nature à dissiper des incertitudes toujours fatigantes pour le lecteur.

Nous donnons à la fin de chaque partie un supplément composé de pièces que nous avons puisées dans des portefeuilles riches en matériaux historiques, et qui complètent cet ouvrage dans les détails les plus importants.



PRÉFACE.

Aussitôt après la chute du gouvernement impérial, les vainqueurs se sont empressés de raconter les événements à leur manière. Toutes les trompettes ont sonné pour eux: c'est l'usage!

Cependant les armées françaises avaient fait leur devoir, et la patrie reconnaissante élevait la voix en leur honneur; mais celui qui pouvait seul faire le juste partage de la louange et du blâme n'était plus là! A son défaut, bien des gens ont cru devoir faire les parts eux-mêmes. On s'est mis à l'ouvrage. Chacun a fait de l'histoire pour son compte; chacun a voulu fixer l'attention du public sur le point où il s'est trouvé. L'épisode est devenu le sujet principal; les papiers d'état-major, les états de situation, ont été déployés, et tout le fatras de la controverse militaire n'a fourni que trop de volumes! Sous cette masse de détails, les grands traits de l'histoire courent risque de disparaître, ou de n'être plus éclairés que par un faux jour! Mais le temps roule dans sa marche sur les petites combinaisons de l'amour-propre et de l'esprit de parti; il écrase avec indifférence les pygmées comme les grains de sable, et ne laisse à la postérité que des vestiges dignes d'elle!

De toutes les apologies auxquelles la grande catastrophe de 1814 pouvait donner naissance, une seule eût été digne de passer aux siècles à venir: elle manque, et ce sera la plus grande lacune de l'histoire de nos jours. Ainsi, tout le monde a parlé, excepté celui qu'on avait besoin d'entendre!

Il faut pourtant suppléer, s'il est possible, à son silence. En attendant qu'une plume fidèle et exercée entreprenne cette tâche, les faits parlent: ils suffisent déjà. On veut seulement essayer, dans l'écrit qu'on soumet ici au lecteur, de rétablir les événements dans leur ordre et dans leur véritable proportion.

L'auteur écrit dépourvu de matériaux; mais il était auprès de Napoléon: le souvenir de ce qu'il a vu, de ce qu'il a entendu et de ce qu'il a senti, sera son guide. Il a suivi les marches du grand quartier général; il a été témoin des événements principaux; la position où il était lui a permis de voir, du point le plus élevé, l'ensemble des affaires et de les juger dans le rapport qu'elles avaient entre elles... Il aura atteint le but qu'il se propose, s'il parvient à mettre un moment le lecteur dans la même position.



TABLE DES CHAPITRES.

PREMIÈRE PARTIE.

SÉJOUR DE NAPOLÉON A PARIS.

Chap. Ier. Arrivée de Napoléon à Paris.--Ses premières dispositions 1

Chap. II. Propositions de Francfort. 5

Chap. III. Les alliés reprennent l'offensive. 12

Chap. IV. Un parti d'opposition éclate à Paris.--Napoléon renvoie le corps législatif.--Conspiration intérieure. 17

Chap. V. Invasion du territoire français. 25

Chap. VI. Projets de Napoléon pour l'ouverture de la campagne.--Formation des réserves.--Coup d'oeil sur nos autres armées. 30

Chap. VII. Reprise des négociations.--Progrès de l'invasion étrangère. 41

Chap. VIII. Dernières dispositions.--Départ de Napoléon pour l'armée. 46

Supplément à la première partie. 49

DEUXIÈME PARTIE.

JOURNAL DE LA CAMPAGNE.

Chap. Ier. Arrivée de Napoléon à Châlons-sur-Marne. 83

Chap. II. L'armée reprend l'offensive.--Bataille de Brienne. 88

Chap. III. Retraite de l'armée française.--Conditions dictées par le congrès. 102

Chap. IV. Seconde expédition contre le maréchal Blücher.--Combat de Champaubert.--Bataille de Montmirail.--Combats de Château-Thierry et de Fauchas. 113

Chap. V. Retour sur la Seine.--Combats de Nangis et de Montereau.--Poursuite des Autrichiens jusqu'au-delà de Troyes. 125

Chap. VI. L'armée française rentre dans Troyes.--Second séjour de Napoléon dans cette ville.--Négociation de l'armistice à Lusigny. 148

Chap. VII. Troisième expédition contre le maréchal Blücher.--Retour de Napoléon sur la Marne. 160

Chap. VIII. Excursion au-delà de l'Aisne.--Bataille de Craonne.--Combats de Laon et de Reims. 176

Chap. IX. Napoléon ramène l'armée sur la Seine.--Combat d'Arcis. 196

Chap. X. Marches et contre-marches entre Vitry, Saint-Dizier et Doulevent. 212

Chap. XI. Retour sur Paris. 224

Supplément à la deuxième partie. 235

TROISIÈME PARTIE.

SÉJOUR DE L'EMPEREUR A FONTAINEBLEAU.

Chap. Ier. L'armée se range autour de Fontainebleau.--Nouvelles de Paris.--Succès du parti royaliste. 355

Chap. II. Suite des nouvelles qu'on reçoit de Paris. 363

Chap. III. Influence des événements de Paris sur Fontainebleau. 369

Chap. IV. Suites de la défection du duc de Raguse. 379

Chap. V. Traité du 11 avril. 390

Chap. VI. Dispersion de la famille impériale. 398

Supplément à la troisième partie. 408




MANUSCRIT

DE

MIL HUIT CENT QUATORZE.


PREMIÈRE PARTIE.

SÉJOUR DE NAPOLÉON A PARIS.

(Du 9 novembre 1813 au 24 janvier suivant.)

Bellum parare simul et ærario parcere, cogere ad
militiam eos quos nolis offendere, domi forisque omnia
curare, et ea agere inter invidos, occursantes et factiosos,
opinione asperius est.

Sallust., Jugurtha








Fac similé de l'abdication de Napoléon. Voyez page 389.
Calqué sur l'original et gravé par Pierre Tardieu.


«Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur, fidèle à son serment, déclare qu'il renonce pour lui et ses enfants aux trônes de France et d'Italie, et qu'il n'est aucun sacrifice, même celui de la vie, qu'il ne soit prêt à faire aux intérêts de la France.»




MANUSCRIT

DE

MIL HUIT CENT QUATORZE.


PREMIÈRE PARTIE.

CHAPITRE Ier.


ARRIVÉE DE NAPOLÉON A PARIS.--SES PREMIÈRES
DISPOSITIONS.

(Novembre 1813.)

On venait de perdre l'Allemagne; il ne restait plus qu'à sauver la France, ou à succomber avec elle.

Napoléon est de retour à Paris le 9 novembre 1813. Il met toute son activité à tirer parti des moyens qui lui restent.

Ses premiers mots au sénat sont ceux-ci: «Toute l'Europe marchait avec nous il y a un an; toute l'Europe marche aujourd'hui contre nous.»

Une levée de trois cent mille hommes est aussitôt décrétée.

Des ingénieurs sont envoyés sur les routes et dans les places du nord. Ils sont chargés de relever les vieilles murailles qui servaient de remparts à l'ancienne France, de tracer des redoutes sur les hauteurs propres à servir de point de ralliement dans nos retraites, de fortifier les défilés où le courage national pourra disputer le passage; enfin de tout préparer pour la coupure des digues et des ponts qu'il faudra abandonner.

Des commandes sont faites aux dépôts de remontes, aux fonderies, aux manufactures d'armes, aux ateliers d'habillement; partout.

Mais il faut de l'argent: la trésorerie n'en a plus. Napoléon en fait prendre dans son trésor privé. En vain on propose de réserver cette ressource pour des placements secrets qui assureraient le sort de sa famille contre les grands revers dont elle est menacée: ces conseils sont rejetés comme trop personnels, et le baron de La Bouillerie, trésorier de la couronne, est chargé de porter trente millions en écus dans les caisses de la trésorerie. Ce secours ranime le crédit. Tous les services reprennent leur activité.

Des conseils d'administration, des conseils de guerre, des conseils de finances, se succèdent d'heure en heure aux Tuileries. Les journées sont trop courtes; mais Napoléon a la ressource des nuits. Il consacre ses veilles à lire ce que les ministres n'ont pas eu le temps de lui dire, à signer ce qui n'a pu être expédié dans la journée, et à méditer ses plans.

L'armée d'Allemagne vient de rentrer dans nos limites par les ponts de Mayence. Il faut lui assigner une position où elle puisse prendre le repos dont elle a besoin. Dans ce moment, elle forme sa ligne derrière le Rhin, et cette ligne, qu'elle prolonge chaque jour davantage, va bientôt s'étendre depuis Huningue jusqu'aux sables de la Hollande; mais l'affaiblissement de nos régiments et l'épuisement de nos magasins ne permettent guère de penser à défendre un front de cette étendue. Déjà ceux qui ne voient que la question militaire s'alarment de ce que nos troupes vont être disséminées. Nous ne pouvons sérieusement songer à défendre le Rhin: dès lors ils voudraient qu'on se hâtât de l'abandonner. Napoléon se décide par d'autres considérations: nous sommes faibles, mais cette faiblesse est un secret qu'il faut garder le plus long-temps possible. Les alliés, étonnés de nous avoir vaincus, viennent de s'arrêter à l'aspect de notre territoire, si long-temps sacré pour eux. De son côté, la France semble avoir conservé, de la longue habitude de vaincre, un reste de confiance qui la soutient contre l'excès de ses revers. Il faut bien se garder de porter atteinte à ces illusions protectrices. Quand l'ennemi attaquera, il sera temps de reculer. Notre armée reçoit donc l'ordre de conserver ses quartiers le long du Rhin. L'ennemi va respecter cette barrière assez long-temps pour justifier la hardiesse qui s'y confie; et le prestige de nos aigles, encore debout sur la rive gauche, prêtera un dernier appui aux négociations qui vont être renouées.




CHAPITRE II.

PROPOSITIONS DE FRANCFORT.

(Suite de novembre.)

Des ouvertures pour la paix venaient d'être faites.

Le 5 novembre, le prince régent d'Angleterre avait déclaré dans le parlement «qu'il n'était ni dans l'intention de l'Angleterre, ni dans celle des puissances alliées, de demander à la France aucun sacrifice incompatible avec son honneur et ses justes droits.»

Le 14 novembre, le baron de Saint-Aignan arrive à Paris, chargé par les alliés de faire des communications qui confirment ces dispositions pacifiques. M. de Saint-Aignan, écuyer de l'empereur, était dans ces derniers temps ministre de France à la cour de Weimar. Une bande de partisans l'avait enlevé de sa résidence; mais sa réputation personnelle, son alliance avec le duc de Vicence, et l'intérêt que lui portait la cour de Weimar, avaient concouru à sa délivrance. M. de Metternich avait pensé à profiter de son retour en France pour faire parvenir des propositions à Napoléon. Il avait donc appelé M. de Saint-Aignan à Francfort. Le 9 novembre, dans un entretien confidentiel, auquel assistaient M. de Nesselrode, ministre de Russie, et lord Alberdeen, ministre d'Angleterre, M. de Metternich avait posé les bases d'une pacification générale; et M. de Saint-Aignan les avait recueillies sous sa dictée. Ce sont ces bases que M. de Saint-Aignan apporte à Napoléon1.

Note 1: (retour) Les pièces de cette négociation ont été imprimées dans le numéro du Moniteur qui devait paraître le 20 janvier 1814, et qui a été retiré après l'impression. Ces pièces sont dans le supplément de la première partie.

Les alliés offraient la paix à condition que la France abandonnerait l'Allemagne, l'Espagne, la Hollande, l'Italie, et se retirerait derrière ses frontières naturelles des Alpes, des Pyrénées et du Rhin.

Après les conditions proposées à Prague quatre mois auparavant, celles-ci devaient paraître bien dures. Abandonner l'Allemagne, ce n'était que se soumettre à ce que les derniers événements de la guerre avaient à peu près décidé; abandonner l'Espagne, ce n'était que convertir en obligation formelle la disposition volontaire où l'on était déjà de céder à la résistance des Espagnols: mais renoncer à la Hollande, que nous possédions encore tout entière, et qui semblait nous offrir tant de ressources; mais abdiquer la souveraineté de l'Italie, qui était encore intacte, et dont les forces suffisaient pour faire diversion à toute la puissance autrichienne, c'étaient des sacrifices immenses, que Napoléon ne pouvait faire qu'à une paix prompte, franche, et qui préservât la France de toute invasion étrangère. Cependant ce n'était pas la cessation des hostilités qui était offerte à Napoléon pour prix de son adhésion aux bases proposées; c'était seulement l'ouverture d'une négociation. Ce point est important et mérite qu'on veuille bien y faire attention. En effet, un dernier article dicté à M. de Saint-Aignan portait que si ces bases étaient admises, on proposait d'ouvrir la négociation dans une des villes des bords du Rhin, mais que la négociation ne suspendrait pas les opérations militaires. Ainsi Napoléon, en renonçant à l'Allemagne et à l'Espagne, en détachant de sa cause la Hollande et toute l'Italie, n'obtenait pas même la certitude de préserver la France d'une invasion; la paix définitive n'en restait pas moins incertaine et flottante dans l'avenir des opérations militaires.

Ces propositions, apportées par M. de Saint-Aignan, étaient donc non seulement dures et humiliantes, mais encore d'une franchise suspecte. Cependant on ne les rejette pas.

Le 16 novembre, M. le duc de Bassano écrit à M. de Metternich qu'une paix qui aura pour base l'indépendance de toutes les nations, tant sous le point de vue continental que sous le point de vue maritime, est l'objet constant des voeux et de la politique de Napoléon, et qu'il accepte la réunion d'un congrès à Manheim.

Mais à Francfort on ne trouve pas que cette réponse soit assez précise. M. de Metternich répond qu'on ne pourra négocier que lorsqu'on saura avec plus de certitude que le cabinet des Tuileries admet les bases précédemment communiquées.

Voilà donc le mois de novembre perdu en préliminaires! Certains salons de Paris veulent en rejeter tout le blâme sur le duc de Bassano: on l'accuse d'avoir répondu à Francfort d'une manière trop vague, et l'on affecte de désespérer du succès de toute négociation tant que ce ministre restera aux affaires étrangères. Ceci tient à des intrigues qui commençaient à agiter la haute société, et qui n'ont eu que trop d'influence sur les événements de 1814.

Quel que fût le crédit personnel du duc de Bassano, il n'allait pas jusqu'à résoudre des difficultés d'une nature aussi grave; et dans de telles circonstances, l'opinion du ministre devait toujours céder à la détermination d'un prince «qui se servait des hommes de mérite sans les associer à son autorité, qui leur demandait plus d'obéissance que de conseils2,» et dont tout le monde célèbre ou blâme l'immuable volonté. Le duc de Bassano, «distingué par son mérite non moins que par son intégrité, joignait à une fidélité incorruptible l'heureux talent d'ôter à la vérité ce qu'elle avait de désagréable, sans jamais la déguiser3.» De son côté, Napoléon, loin de craindre la vérité, l'attirait à lui par les voies les plus contradictoires, et par les correspondances les plus confidentielles. On ne pouvait lui rien cacher; on ne lui cachait rien.

Note 3: (retour)3 Portrait du ministre de Julien, par Gibbon, tome IV, chap. xix, pag. 351.

Napoléon n'ignore pas que c'est contre sa personne que se dirigent les censures qui semblent ne s'adresser qu'à son ministre; mais, dédaignant d'approfondir les secrètes intentions des frondeurs, et ne voulant y voir que les préventions d'un parti qu'on peut ménager, il croit devoir y céder, et, par cette concession faite au retour de la confiance, il prélude aux concessions plus importantes qu'il veut faire à la pacification générale. Le 20 novembre, il rappelle le duc de Bassano au ministère de la secrétairerie-d'état, et, dans le choix de celui qui le remplace aux affaires étrangères, il donne une nouvelle preuve de ses intentions conciliantes. Le duc de Vicence a mérité, dans sa brillante ambassade de Pétersbourg, l'estime de l'empereur Alexandre; c'est lui que l'empereur Alexandre et l'empereur d'Autriche semblent demander pour négociateur; c'est à lui que Napoléon croit devoir confier son portefeuille des relations extérieures.

Le nouveau ministre est chargé de rassurer entièrement les alliés sur les dispositions pacifiques de Napoléon. Le 2 décembre, il écrit à M. de Metternich que Napoléon adhère très positivement aux bases générales et sommaires communiquées par M. de Saint-Aignan.

Le corps législatif était convoqué pour le 2 décembre; on l'ajourne au 19, dans l'espérance qu'à cette époque tous les délais préliminaires seront épuisés, et même que le congrès de Manheim sera ouvert: mais douze jours s'écoulent sans que la négociation fasse aucun progrès. On reçoit enfin une lettre de M. de Metternich; elle est du 10 décembre, et contient la nouvelle inattendue que les alliés ont jugé à propos de consulter l'Angleterre, et que leur décision dépend de sa réponse.

La gazette de Francfort, du 7 décembre, avait déjà publié une proclamation datée du 1er, qui aurait dû faire pressentir un changement dans les intentions des alliés. On y faisait sérieusement un crime à Napoléon des levées d'hommes qui avaient lieu dans toute la France: parce que les souverains du Nord avaient parlé de paix, il semblait que le gouvernement français n'eût plus de dispositions défensives à prendre. A la suite de ces récriminations peu pacifiques, les alliés promettaient ironiquement à la France de ne mettre bas les armes qu'après avoir abattu sa prépondérance.

L'espoir d'une négociation franche et loyale s'affaiblissait donc de plus en plus.

Le jour fixé définitivement pour l'ouverture du corps législatif arrive..., et, dans son discours d'ouverture, Napoléon n'a rien à dire sur la négociation qui est le sujet de l'attente générale, si ce n'est que «rien ne s'oppose de sa part au rétablissement de la paix.»




CHAPITRE III.

LES ALLIÉS REPRENNENT L'OFFENSIVE.

(Décembre 1813.)

Il devient chaque jour plus évident que des changements sont survenus, vers la fin de novembre, dans la politique des alliés.

C'était assez pour la Russie et pour l'Autriche de nous confiner derrière le Rhin; mais cela ne pouvait suffire à l'Angleterre, qui ne voulait pas nous laisser maîtres d'Anvers et de la côte Belgique.

Les Anglais sont bien informés du découragement contre lequel Napoléon lutte à Paris, de la défection qu'il va éprouver en Hollande, et de la vaste conspiration qui couve en France et travaille déjà les principaux corps de l'état. Ils ont donc conçu l'espoir d'un succès plus complet que celui dont on paraît vouloir se contenter à Francfort. En attendant que l'inexorable histoire révèle les causes secrètes qui ont suggéré de nouvelles prétentions aux alliés, contentons-nous de remarquer que c'est bien certainement dans le court intervalle de temps écoulé entre les ouvertures faites à M. de Saint-Aignan et la réponse définitive du duc de Vicence que cette révolution s'est opérée... Tout-à-coup les alliés se décident à reprendre l'offensive et à aller dicter au coeur de la France la paix qu'ils avaient d'abord eu l'intention de négocier sur les bords du Rhin.

Quels que soient cependant les encouragements et même les assurances que donne l'Angleterre, il reste encore aux alliés une telle idée de nos ressources, qu'ils pensent ne pouvoir entreprendre l'invasion du territoire français qu'à l'aide d'un développement de forces immenses. La seule opération du passage du Rhin les intimide au point qu'ils ne voient d'autre parti à prendre que d'éluder la difficulté, en violant la neutralité des Suisses.

Dès le 18 novembre, la diète helvétique avait réclamé le respect dû à son territoire. Elle avait envoyé des députés extraordinaires porter à Paris et à Francfort sa protestation contre toute violence qui lui serait faite sur ses limites; elle avait placé des bataillons qui formaient un cordon que M. de Watteville commandait...: mais M. Senft de Pilsac était à Zurich, préparant au nom des alliés la révolution qui devait délivrer la Suisse, c'est-à-dire l'enlever à l'influence de la France, pour la placer sous celle de la coalition. L'agent de M. de Metternich n'était que trop secondé par l'impatience qu'avaient les anciennes familles oligarchiques de rentrer dans la possession exclusive du pouvoir.

Le 20 décembre au matin, le général Bubna n'hésite plus à se présenter sur la frontière des Suisses; il est à la tête de cent soixante mille hommes. Il déclare que cette armée va passer le Rhin dans la nuit, entre Rhinfeld et Bâle. Aussitôt les bataillons du général Watteville se replient; le mouvement général des alliés se démasque, et les opérations militaires de la campagne commencent.

Trois grandes armées se présentent pour entrer en France.

C'est d'abord celle du prince de Schwartzenberg, qui vient de pénétrer par la Suisse, sous la conduite du général Bubna: elle est composée d'Autrichiens, de Bavarois et de Wurtembergeois; les gardes impériales d'Autriche et de Russie s'y trouvent. On l'appelle la grande armée. Les généraux Barclay de Tolly, Witgenstein, de Wrede, le prince de Wurtemberg, le général Bubna, le prince de Hesse-Hombourg, les généraux Gyulay, Bianchi, Colloredo, et le prince Lichtenstein, y ont les principaux commandements. L'empereur Alexandre, le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche, suivent en personne les mouvements de cette armée, qui doit commencer par envahir l'Alsace et la Franche-Comté.

La seconde armée est commandée par le maréchal Blücher: c'est l'armée prussienne de Silésie; des divisions russes et saxonnes y ont été ajoutées. Ces troupes, rassemblées autour de Francfort, attendent sur les bords du Rhin que le prince de Schwartzenberg ait réussi dans son entreprise sur la Suisse. Du moment que le maréchal Blücher recevra la nouvelle que les Autrichiens ont surpris le passage du Rhin, il tentera de son côté le passage à Manheim et se jettera sur la Lorraine.

Les généraux Saint-Priest, Langeron, York, Saken et Kleist, sont les lieutenants de Blücher.

La troisième armée, composée des troupes du prince de Suède, des Russes du général Voronzof et du général Wintzingerode, et des Prussiens du général Bulow, vient de traverser le Hanovre et la Hesse; elle a détruit le royaume de Westphalie. Renforcée par les Anglais du général Graham, elle est destinée à prendre la Hollande, et doit ensuite pénétrer en Belgique.

Il est convenu qu'on ne s'arrêtera pas devant les places de guerre, et qu'on passera par-dessus toutes nos anciennes lignes de défense. C'est un hourra général qu'il s'agit de faire sur Paris.

Le 21 décembre, à Loerach, les souverains alliés publient les proclamations qui donnent le signal des hostilités.




CHAPITRE IV.

UN PARTI D'OPPOSITION ÉCLATE A PARIS.--NAPOLÉON
RENVOIE LE CORPS LÉGISLATIF.--- CONSPIRATION
INTÉRIEURE.

(Fin de décembre 1815.)

La nouvelle de l'entrée du prince Schwartzenberg en Suisse arrive à Paris peu de jours après l'ouverture du corps législatif. Dès ce moment, tout espoir de paix est perdu. Devant le développement de tant de forces, le prestige des nôtres tombe; et désormais ce n'est plus qu'à force de soumissions... ou d'énergie qu'on pourra sauver la France. Se soumettre à tout, ou tout risquer! dans cette rigoureuse alternative, le choix de Napoléon ne pouvait être douteux. Bien des gens ont regretté qu'on n'eût pas cédé: bien des gens auraient regretté qu'on ne se fût pas défendu. Ne vaut-il pas mieux périr que de se soumettre au joug de l'étranger?4 Est-ce d'ailleurs un moyen d'arrêter l'ennemi que de montrer à quel point de faiblesse on est tombé? Enfin les souverains resteront-ils sur nos frontières pour nous écouter, s'ils apprennent de notre bouche même qu'ils sont les maîtres de venir dicter la loi dans Paris?

Note 4: (retour) Le sénateur Lambrechts, Principes politiques, 1815.

Un beau désespoir peut encore nous secourir. Tout est donc mis en oeuvre par le gouvernement pour porter les esprits à de grandes résolutions. «Entourée de débris, la France lève une tête encore menaçante: elle était moins puissante, moins forte, moins riche, moins féconde en ressources en 1792, quand ses levées en masse délivrèrent la Champagne!... en l'an VII, quand la bataille de Zurich arrêta une nouvelle invasion de toute l'Europe!... en l'an VIII, quand la bataille de Marengo acheva de sauver la patrie5!» Napoléon tient dans ses mains les mêmes ressorts; mais, il faut en convenir, ils ont perdu leur trempe républicaine. La plupart de nos chefs sont fatigués; cependant le feu sacré anime toujours la jeunesse française et brille encore sur quelques fronts chauves consacrés à la gloire: c'est le dernier espoir de la patrie!

Note 5: (retour) 5: Discours du comte Regnault de Saint-Jean-d'Angely au corps législatif.

Napoléon veut, avant tout, se concilier la confiance des députés des départements. Il n'a pu leur annoncer la paix, il veut du moins les convaincre qu'il a fait ce qui dépendait de lui pour la négocier: mais sa parole ne suffit plus; il se croit obligé de communiquer les pièces à une commission tirée du sénat et de la chambre des députés. MM. de Lacépède, Talleyrand, Fontanes, Saint-Marsan, Barbé-Marbois et Beurnonville, sont les commissaires du sénat; MM. le duc de Massa, Raynouard, Lainé, Gallois, Flaugergues et Maine de Biran, sont les commissaires du corps législatif. Ils se réunissent, le 4 décembre, chez l'archichancelier; les conseillers d'état Regnault de Saint-Jean-d'Angely et d'Hauterive leur communiquent les pièces.

En prouvant que le gouvernement avait fait tout ce qu'il pouvait faire pour négocier, Napoléon avait espéré qu'un cri d'honneur en appellerait aux armes: mais le sénat, sur le rapport de ses commissaires, le prie de faire un dernier effort pour obtenir la paix. «C'est le voeu de la France et le besoin de l'humanité. Si l'ennemi persiste dans ses refus, ajoute le sénat, eh bien! nous combattrons pour la patrie, entre les tombeaux de nos pères et les berceaux de nos enfants!»

Dans sa réponse au sénat, Napoléon cherche à expliquer de nouveau ses véritables dispositions: «Il n'est plus question, dit-il, de recouvrer les conquêtes que nous avons perdues. Je ferai sans regret les sacrifices qu'exigent les bases préliminaires proposées par l'ennemi, et que j'ai acceptées; mais si l'ennemi ne signe pas la paix sur les bases qu'il a lui-même offertes, il faut le combattre!»

Le corps législatif se prête encore moins que le sénat à donner son assentiment au parti extrême vers lequel Napoléon semble pencher. Sur la proposition du député Lainé, qui est rapporteur des commissaires, l'assemblée exige que le gouvernement se lie pour l'avenir par des engagements qui sont la censure du passé. On ne peut refuser ouvertement de combattre pour l'intégrité du territoire; mais on profite de l'urgence des besoins pour demander des garanties de liberté et de sûreté individuelle, demande qui n'était autre chose qu'une accusation indirecte de tyrannie.

Ainsi donc, au lieu d'un concert de zèle et de dévouement contre l'ennemi commun, Napoléon n'entend que des murmures et des reproches!... On savait que l'Angleterre pratiquait des intelligences dans nos provinces, notamment à Bordeaux, et qu'elle s'efforçait de réveiller partout les espérances des vieux partisans de la maison de Bourbon. Ces renseignements rendaient l'opposition inopinée du corps législatif plus grave et plus embarrassante. Le temps, qui éclaircit tout, et l'ivresse du succès, qui est toujours indiscrète, nous révèleront un jour cette conjuration6; alors la police ne la connaissait qu'imparfaitement. Néanmoins Napoléon ne peut s'empêcher de reconnaître dans ce qui se passe autour de lui une intrigue liée par des factieux. Cédant à ses soupçons, il prend le parti de dissoudre le corps législatif; et, dans l'audience de congé qu'il donne aux députés, il laisse échapper l'expression de son vif mécontentement: «Je vous avais appelés pour m'aider, leur dit-il, et vous êtes venus dire et faire ce qu'il fallait pour seconder l'étranger: au lieu de nous réunir, vous nous divisez. Ignorez-vous que, dans une monarchie, le trône et la personne du monarque ne se séparent point? Qu'est-ce que le trône? Un morceau de bois couvert d'un morceau de velours; mais, dans la langue monarchique, le trône, c'est moi! Vous parlez du peuple; ignorez-vous que c'est moi qui le représente par-dessus tout? On ne peut m'attaquer sans attaquer la nation elle-même. S'il y a quelques abus, est-ce le moment de me venir faire des remontrances, quand deux cent mille Cosaques franchissent nos frontières? Est-ce le moment de venir disputer sur les libertés et les sûretés individuelles, quand il s'agit de sauver la liberté politique et l'indépendance nationale? Vos idéologues demandent des garanties contre le pouvoir: dans ce moment, toute la France ne m'en demande que contre l'ennemi... Vous avez été entraînés par des gens dévoués à l'Angleterre; et M. Lainé, votre rapporteur, est un méchant homme7

Note 6: (retour) Voici les détails qui ont été publiés à cet égard:

Depuis le mois de mars 1813, une confédération royaliste s'était organisée au centre de la France. Les ducs de Duras, de La Trémouille et de Fitz-James, MM. de Polignac, Ferrand, Adrien de Montmorency, Sosthène de La Rochefoucauld, de Sesmaisons, et Laroche-Jaquelain, en étaient l'âme. On se réunissait au château d'Ussé, en Touraine, chez M. de Duras. Le préfet de Nantes lui-même était de ces conciliabules (Histoire de 1814, par M. Beauchamp, tom. II, pag. 45). La perte de la bataille de Leipsick et l'évacuation de l'Allemagne avaient donné un nouvel essor aux projets des royalistes de l'ouest et du midi. Le comte Suzannet avait pris secrètement le commandement du Bas-Poitou, Charles d'Autichamp s'était chargé du commandement d'Angers, le duc de Duras de celui d'Orléans et de Tours, le marquis de Rivière de celui du Berry (Voyez même histoire, tom. II, pag. 50). Sur ces entrefaites, le duc d'Angoulême débarquait à Saint-Jean-de-Luz, et se rendait au quartier général de Wellington. Toute la confédération de l'ouest devait se déclarer au premier signal du duc de Berry, qu'on attendait impatiemment à Jersey. M. Tassard de Saint-Germain était à Bordeaux à la tête d'une association composée d'un grand nombre de personnes de toutes les classes... M. le chevalier de Gombaut était aussi à la tête d'une association pieuse qui avait le même but politique. Le marquis de Laroche-Jaquelain était plus particulièrement attaché à l'association du chevalier de Gombaut. L'ordre fut donné de l'arrêter: averti par le comte de Lynck, maire de Bordeaux, il échappa aux recherches en se réfugiant dans sa famille... Le comte de Lynck avait fait en 1813 (novembre) un voyage à Paris. Après s'être concerté avec M. Labarthe, autrefois à la tête d'une association royaliste, et avec MM. de Polignac, il était reparti pour Bordeaux, plein de la ferme volonté d'y servir puissamment le roi... Depuis long-temps cette secrète intention germait dans le coeur du comte de Lynck. (Voyez le même ouvrage, pag. 50.) Le député Lainé, lié avec le comte de Lynck, avait reçu ses confidences et partageait ses projets (Ibid., tom. II, pag. 86 et 87).

Note 7: (retour) Tandis que Napoléon se livrait à cette conversation animée, un auditeur était là, qui avait la prétention de la dérober pour l'histoire. Ainsi des phrases échappées d'abondance, des expressions hasardées dans la vivacité du dialogue, sont devenues des documents authentiques, au gré de la mémoire d'un individu anonyme, ou plutôt au gré de la partialité des écrivains. Quoi qu'il en soit, les pensées grandes et fortes qui rendent cette conversation si remarquable n'ont pu être entièrement dénaturées: elles percent dans le libelle à travers les expressions triviales sous lesquelles l'affectation du mot à mot les a travesties.

Quelque vif que soit cet éclat, le député Lainé retourne dans ses foyers, aussi libre que ses collègues.




CHAPITRE V.

INVASION DU TERRITOIRE FRANÇAIS.

(Janvier 1814.)

L'année 1814 commence au milieu de ces graves dissensions.

Les nouvelles les plus alarmantes arrivent des divers points de notre frontière: le prince Schwartzenberg, maître des passages de la Suisse, a d'abord jeté le gros de son armée sur Huningue et Béfort. Sa droite, qui a voulu s'étendre trop vite dans la vallée d'Alsace, a éprouvé, le 24 décembre, un échec à Colmar; il a dirigé son aile gauche, à travers la Suisse, jusque sur Genève. Cette place était une des portes de l'empire, et de puissants renforts lui arrivaient de Grenoble; mais au premier moment du danger le général Jordy, commandant la garnison, frappé d'un coup de sang, tombe mort subitement sur la place d'armes: le préfet Capelle prend la fuite; et les Genevois, devenus maîtres de leur conduite, abaissent aussitôt leurs ponts-levis devant l'avant-garde autrichienne. Le général Bubna a pris possession de Genève le 28 décembre. Les dernières dépêches annoncent que le prince Schwartzenberg, après avoir laissé en arrière quelques détachements pour masquer Huningue et Béfort, pousse ses colonnes du centre sur Épinal, Vesoul et Besançon.

Le duc de Bellune est accouru de Strasbourg avec une armée qui n'est pas de dix mille hommes! Il désespère d'arrêter les Autrichiens dans les défilés des Vosges. Le 4 janvier, l'ennemi entre à Vesoul; le 9 janvier, Besançon est investi.

De son côté, le maréchal Blücher a effectué le passage du Rhin dans la nuit du 1er janvier, et sur trois points différents. Au centre, les corps de Langeron et d'York ont passé le Rhin à Caub; arrivé sur la rive française, le corps de Langeron s'est détaché pour aller bloquer Mayence, et le corps d'York a pris la direction de Creutznach. Le corps de Saint-Priest, formant la droite de l'armée de Silésie, a passé le Rhin à Neuwied et vient d'occuper Coblentz. Enfin à l'aile gauche, les corps de Sacken et de Kleist, qui ont passé le Rhin devant Manheim, s'avancent sur le duc de Raguse. Celui-ci, qui n'a que les cadres d'une armée, recule sur les places de la Sarre et de la Moselle.

Nos troupes sont en pleine retraite. Napoléon ne s'était pas flatté de l'espoir d'arrêter long-temps les alliés sur la frontière: forcé de les laisser s'avancer dans l'intérieur, il ne pense plus qu'à mettre de l'ensemble dans nos mouvements rétrogrades, qu'il veut concentrer de manière à couvrir Paris.

Il ordonne au duc de Bellune de disputer pied à pied les passages des Vosges. Il lui envoie le duc de Trévise avec une division de la garde, pour le soutenir sur la route de Langres. Il recommande au duc de Raguse de s'appuyer le plus long-temps qu'il pourra sur les glacis des nombreuses forteresses de la Lorraine. Enfin, le duc de Tarente, qui est du côté de Liège, occupé à pourvoir à la sûreté des places du Bas-Rhin et de la Meuse, a ordre de rentrer dans la vieille France par la porte des Ardennes. Une instruction commune à tous les maréchaux leur prescrit, à mesure qu'ils se retirent, de jeter dans les places les soldats fatigués et ceux de nouvelles levées qui ne sont pas encore habillés. On laisse donc partout de nombreuses garnisons que Napoléon se réserve de réunir en corps d'armée, sur les derrières de l'ennemi.

Toutes les troupes ont ordre d'acculer leurs retraites sur la Champagne. C'est aussi sur la Champagne qu'on va diriger les renforts qui arrivent du fond de la France, et dont les maréchaux Kellermann et Oudinot sont chargés de former de nouveaux bataillons.

Des commissaires extraordinaires sont envoyés dans les départements pour présider aux levées d'hommes et aux mesures de défense. On distingue parmi ces commissaires les sénateurs de Semonville, de Beurnonville, Boissy-d'Anglas, etc. «Français,» dit Napoléon dans la proclamation dont ces commissaires étaient porteurs, «Français, un dernier effort! J'appelle ceux de Paris, de la Bretagne et de la Normandie, de la Champagne, de la Bourgogne et des autres départements, au secours de leurs frères de la Lorraine et de l'Alsace! A l'aspect de tous ces peuples en armes, l'étranger fuira ou signera la paix.»

L'empereur ne veut négliger aucun moyen pour intimider l'ennemi dans sa marche. Il connaît de longue main l'extrême circonspection des généraux qui lui sont opposés, et il a deviné leurs irrésolutions. Il multiplie les revues militaires dans la cour des Tuileries; et le lendemain les journaux doublent ou triplent le nombre des troupes qui ont été passées en revue. En moins d'un mois, plus de deux cent mille hommes sont comptés comme ayant traversé Paris pour se rendre à l'armée.

Négligeons ces ruses de gazettes, et revenons à la vérité8.

Note 8: (retour) Quelques écrivains qui trouvent commode pour leur métier de n'avoir à puiser les matériaux de l'histoire que dans les journaux, ne peuvent pardonner à Napoléon de s'être servi des gazettes pour tromper l'ennemi. Ils crieraient volontiers au sacrilège! Cependant les mêmes écrivains conviennent que les alliés, étonnés de la jactance de nos journalistes, redoutaient une guerre nationale et même une bataille.




CHAPITRE VI.

PROJETS DE NAPOLÉON POUR L'OUVERTURE DE LA
CAMPAGNE.--FORMATION DES RÉSERVES.--COUP
D'OEIL SUR NOS AUTRES ARMÉES.

(Janvier 1814.)

Quelque activité que Napoléon mette dans la réorganisation de l'armée, il ne peut pas espérer d'entrer en campagne avant la fin de janvier, et il ne peut compter sur plus de cent mille combattants. Cependant l'ennemi développe autour de nous un cercle de plus de six cent mille hommes. On en annonce même le double; mais ce dernier calcul est moins celui des forces que les alliés ont amenées sur nos frontières, que l'aperçu complaisant de toutes celles qu'ils pourraient faire arriver peu à peu. Certes, quelque audace qu'on lui suppose, Napoléon n'aurait pas entrepris de lutter contre de telles forces si elles avaient dû se présenter à la fois; mais son oeil exercé a toisé le géant qui s'avance, et, dans son énorme stature, il a reconnu quelques parties disjointes qui peuvent servir de point de mire à nos coups.

Les forces de la coalition sont échelonnées sur trois lignes principales de communication, qui, de Berlin, de Varsovie et de Vienne, aboutissent au Rhin. Ce n'est que successivement que les colonnes en marche peuvent arriver et peser dans la balance des événements. D'ailleurs, ces forces ne sont pas toutes mobiles; un grand nombre est arrêté dans la route par des obstacles ou par des opérations qui ne peuvent cesser tout d'un coup. Napoléon calcule que l'ennemi, qui dans trois mois aura cinq cent mille hommes au centre de la France, n'a pu commencer les opérations de cette campagne qu'avec deux cent cinquante mille hommes au plus; encore ces forces sont-elles diminuées par de nombreux blocus, et se trouvent-elles séparées sur différentes routes. Napoléon est donc fondé à croire qu'en manoeuvrant avec vivacité au centre de leurs marches, il pourra rencontrer les corps d'armée ennemis isolés les uns des autres. Il médite de réunir ses troupes dans les plaines de Châlons-sur-Marne, avant que les colonnes des ennemis puissent se joindre; de remédier de cette façon à l'extrême disproportion du nombre, et de se ménager ainsi quelque occasion brillante, où la victoire sera d'autant plus décisive que l'ennemi se trouvera engagé plus avant au fond de nos provinces. Tels sont ses projets pour le début de la campagne.

En même temps que l'on compose à la hâte une armée avec tout ce qu'on pourra réunir à Châlons d'ici à la fin de janvier, on pense aussi à se procurer des réserves pour soutenir les événements ultérieurs de la campagne. Mais Napoléon peut-il rappeler à lui toutes les troupes qui sont encore au dehors? Avant de considérer les immenses sacrifices et les graves difficultés qu'un pareil parti comporte, jetons d'abord un coup d'oeil sur les armées françaises dispersées loin du théâtre où la lutte principale va s'engager.

Au nord, le maréchal Gouvion Saint-Cyr, chargé de défendre Dresde avec un corps de vingt mille hommes, avait fini par capituler le 4 novembre, sous la condition de ramener ses troupes en France. Les alliés se trouvant les plus forts ont cru que la bonne foi n'était plus nécessaire, et ne se sont fait aucun scrupule de violer la capitulation de Dresde. Gouvion Saint-Cyr et ses vingt mille hommes, retenus prisonniers en Bohême, ne peuvent donc plus compter dans nos ressources; mais, indépendamment de ce corps, plus de cinquante mille hommes restent encore à Napoléon sur les bords de l'Elbe, depuis Dresde jusqu'à Hambourg.

Le général Dutaillis, successeur du général Narbonne, défend la forteresse de Torgau assiégée par le général prussien Taentzien.

Le général Lapoype et sa garnison se couvrent de gloire derrière les pieux et les buttes de sable que le général prussien Dotschütz assiège à Wittemberg: le général Lemarrois, avec deux divisions, est inattaquable dans Magdebourg. Le prince d'Eckmühl tient son quartier général à Hambourg; il y commande quatre divisions; les ordres de se retirer sur la Hollande, qui lui avaient été expédiés pendant la retraite de Leipsick, n'ont pu lui parvenir. Isolé aux bouches de l'Elbe, il a réussi, à force de travaux et de fermeté, à convertir les comptoirs de Hambourg en citadelles. Il résiste à la fois aux attaques combinées des Suédois et des Russes, au ressentiment des habitants, et à la défection de nos alliés les Danois. Au centre de l'Allemagne, nous avons encore, sur les hauteurs d'Erfurt, des garnisons qui menacent à chaque instant d'intercepter la grande route du nord. Une division des troupes alliées est restée stationnaire devant Erfurt, pour en bloquer les deux citadelles. Quant à la Hollande, depuis le mois de novembre nous l'avons perdue. L'approche des corps d'armée de Bülow et de Wintzingerode, qui, après avoir occupé le Hanovre et la Westphalie, s'étaient avancés sur Munster, Wesel et Dusseldorf, avait fait éclater subitement une révolution en Hollande. Les insurrections d'Amsterdam et de La Haye, et la défection des bataillons étrangers qui composaient la division du général Molitor, n'avaient laissé aux autorités françaises aucun moyen de résistance; mais, tandis que Wintzingerode s'avançait sur le Wahal, passait le Mordick, et que des troupes anglaises réunies aux Bataves s'emparaient des bouches de l'Escaut, quelques troupes fidèles s'étaient jetées dans les places de Devinter et de Naarden. L'amiral Verhuel n'avait pas voulu oublier qu'il tenait son commandement de la confiance de Napoléon; il avait refusé de recevoir les ordres des partisans du prince d'Orange: son pavillon avait été abattu sur les vaisseaux; il l'avait relevé sur les forts du Helder. Le sénateur Rampon s'est renfermé avec une garnison de gardes nationales françaises dans les digues de Gorcum. L'apparition des alliés devant Gertruydenberg et Breda avait produit un moment de désordre, et l'on avait évacué trop précipitamment Willemstadt et Breda; les ennemis en ont habilement profité: le général Graham a débarqué les troupes anglaises à Willemstadt; et dans les premiers jours de janvier, le général prussien Bülow est venu se réunir, dans les environs de Breda, aux troupes du général Wintzingerode. Après avoir ainsi franchi le Wahal et la Meuse, les alliés n'ont plus qu'un pas à faire pour attaquer Anvers.

Au midi, Wellington a pénétré en France par la Navarre. Sa nombreuse armée, composée d'Anglais, d'Espagnols et de Portugais, avait d'abord forcé la Bidassoa et occupé Saint-Jean de Luz; mais pendant un mois notre armée l'avait tenu arrêté devant les lignes de la Nivelle. Le 9 novembre, Wellington avait enfin forcé l'armée française à se replier sur le camp retranché de Bayonne. Dans cette seconde position, nos troupes avaient tenu encore pendant un mois les alliés en échec. Cependant le 9 décembre, l'ennemi avait effectué le passage de la Nive; mais, après quatre jours de bataille, et nonobstant la désertion des troupes allemandes, qui, le 11 décembre au soir, ont passé en masse de notre camp dans les lignes espagnoles, Wellington avait encore été obligé de s'arrêter au pied des glacis de Bayonne. C'est ainsi que les talents du maréchal Soult et la bravoure française opposent aux étrangers, sur les bords de l'Adour, une barrière plus forte que n'a été celle des Pyrénées.

Le duc d'Albuféra est le seul de nos maréchaux que l'adversité n'ait pas encore atteint. Il s'est arrêté sur le Lobrégat, en Catalogne, étonné de voir l'Espagne prendre une attitude victorieuse, et ne pouvant se résoudre à reculer davantage devant un ennemi qu'il a toujours battu. Son quartier général est à Barcelone.

En Italie, Rome est encore la seconde ville de l'empire français. Les Autrichiens n'ont pu forcer le passage de l'Adige. Le prince Eugène est à Vérone avec quatre-vingt mille hommes français et italiens, qu'il oppose à l'armée autrichienne du général Bellegarde. Nos réserves se réunissent à Alexandrie. En général, les peuples de l'Italie septentrionale se montrent bien disposés pour nous. Si le roi de Naples veut se rallier au prince Eugène, non seulement l'Italie est sauvée, mais une imposante diversion peut descendre encore une fois du sommet des Alpes juliennes jusqu'à Vienne.

Les intrigues et les séductions de l'ennemi semblent nous menacer de ce côté de plus de dangers que ses armées. Des insinuations ont été faites au prince Eugène, et n'ont pu l'ébranler. Les mêmes attaques assiègent la vanité du roi de Naples. Les troupes dont il nous promet le secours vont arriver à Bologne; Napoléon et le prince Eugène ne peuvent croire que c'est un nouvel ennemi qui s'avance9 10!

Note 9: (retour) Voir au supplément de la première partie, nº 13, la lettre de M. La Besnadière, relative aux dépêches apportées par M. de Carignan.
Note 10: (retour) C'est le 11 janvier 1814 que le roi de Naples, Joachim Murat, a signé son alliance offensive et défensive avec l'Autriche; mais cette puissance lui a fait attendre la ratification jusqu'après la prise de Paris. Voir le traité dans le Recueil de Martens, tom. II (XII de l'ouvrage), pag. 660, et dans le Recueil de Schoels, tom. VI, pag. 332.

Deux cent mille Français sont donc ainsi dispersés: cinquante mille sur l'Elbe, cent mille au pied des Pyrénées, et cinquante mille au-delà des Alpes. S'ils ne peuvent concourir à l'action principale, du moins font-ils des diversions qu'on ne peut considérer comme inutiles. Sur l'Elbe, nos troupes retiennent Benigsen et les réserves russes, ainsi que les Suédois, le corps prussien de Tauentzien et de Dobschutz, et toutes les milices insurgées de la Hesse et du Hanovre. En Hollande, nos garnisons occupent les Anglais, impatients d'établir la maison d'Orange d'une manière plus solide. Du côté des Pyrénées, nos deux armées empêchent deux cent mille Espagnols, Anglais et Portugais, de déborder sur nos départements du midi pour les mettre au pillage; et le prince Eugène, sur l'Adige, oblige quatre-vingt mille Autrichiens de s'y arrêter. Les armées lointaines retiennent dans notre alliance des auxiliaires qui seront contre nous, du moment que nous sortirons des places où nous les tenons renfermés avec nous. D'ailleurs les négociations ne se nourrissent que de restitutions, de concessions et d'échanges: peut-être ce qui nous reste de la possession de l'Europe entrera-t-il en déduction des sacrifices qu'il nous faut faire à la paix?

Maintenant il n'est plus possible d'évacuer les places de l'Elbe: depuis deux mois, toutes communications nous sont interdites avec ces garnisons. Peut-être serait-il temps encore de prendre le parti rigoureux d'évacuer l'Italie, d'abandonner les places du Rhin, et de tout concentrer sur Paris: Napoléon craint que les troupes ne soient compromises dans leur retraite; qu'elles n'arrivent qu'après l'événement, et qu'à des calculs militaires incertains on ne sacrifie des compensations qui deviennent de jour en jour plus précieuses. On se contente de demander des divisions d'infanterie et de cavalerie au maréchal Soult et au prince Eugène: dans le second mois de la campagne, nous verrons ces renforts entrer successivement en ligne. Pour se ménager ces ressources, Napoléon a fait franchement le sacrifice des prétentions qui, depuis quatre ans, ont nourri ses querelles avec le pape et avec le prince Ferdinand d'Espagne. En calmant ainsi les inimitiés du midi de l'Europe, il pense pouvoir, avec moins d'inconvénients, affaiblir ses armées d'Italie et des Pyrénées. Le pape n'est donc plus retenu à Fontainebleau; rendu à l'Italie, il est en route pour remonter sur son siége épiscopal de Rome11. Quant au prince Ferdinand d'Espagne, dès les premiers jours de décembre M. le comte de La Forêt s'était rendu auprès de lui de la part de Napoléon; le 11 décembre, un traité avait été signé, dans lequel on n'exigeait du prince, pour prix de son retour en Espagne, que trois choses, savoir, 1º qu'il paierait exactement la pension du roi son père; 2º qu'il nous rendrait nos prisonniers, échange qui assurait à l'Espagne la restitution des siens, vingt fois plus nombreux que les nôtres; 3º enfin, que, libre du joug de la France, il n'irait pas se mettre sous le joug de l'Angleterre12.

Note 11: (retour) C'est le 23 janvier que le pape a quitté Fontainebleau pour retourner en Italie.
Note 12: (retour) Voir le traité de Valençay, dans Martens, tom. V du supplément, XII de l'ouvrage, pag. 654.

Ferdinand avait souscrit avec empressement à ces conditions. Après avoir écrit de sa main une lettre de remerciements à Napoléon, il s'était mis en route pour la Catalogne. Le maréchal Suchet avait protégé sa marche jusqu'aux avant-postes espagnols, et le 6 janvier il était arrivé à Madrid.

Quelque tardive que puisse être cette satisfaction donnée aux troubles de l'église et au ressentiment des Espagnols, deux avantages importants sont le moins qui puisse en résulter: le retour du pape à Rome doit préserver l'Italie méridionale de devenir la proie des Autrichiens, et la restauration de Ferdinand doit mettre un terme à l'influence de Wellington à Madrid.




CHAPITRE VII.

REPRISE DES NÉGOCIATIONS.--PROGRÈS DE
L'INVASION ÉTRANGÈRE.

(Suite de janvier.)

Tandis que Napoléon passe les jours et les nuits à se créer une armée, à se préparer des réserves et à diminuer le nombre de ses ennemis, il n'en poursuit pas moins avec empressement les chances qui lui restent pour un accommodement. Au milieu de tant d'adversités, le rôle commode, c'est de conseiller la paix; le difficile, c'est de la faire.

Les négociations, qui avaient été interrompues pendant tout le mois de décembre, avaient paru, au commencement de janvier, prêtes à se ranimer. Lord Castlereagh, ministre des affaires étrangères d'Angleterre, avait quitté Londres pour aller se réunir aux ministres des autres cabinets: débarqué le 6 janvier près de La Haye, il avait aussitôt continué sa route pour le quartier général des alliés. De son côté, Napoléon avait pris le parti d'envoyer le duc de Vicence auprès des souverains13; mais notre ministre, retenu aux avant-postes ennemis depuis le 6 janvier, attendait avec inquiétude les passe-ports qu'il avait demandés à M. de Metternich.

Note 13: (retour) Voir les instructions du duc de Vicence, notamment la lettre de l'empereur du 4 janvier. (Supplément de la première partie, nº 8.)

Nous sommes arrivés à l'époque où commencent la dernière négociation et la dernière campagne.

De jour en jour la situation de la France devenait plus critique.

Les alliés, en se décidant à entrer en France, avaient bien calculé que l'immense supériorité de leur nombre devait les mettre suffisamment en force contre les débris de nos armées; mais l'animosité avec laquelle les paysans de l'Alsace et des Vosges disputent chaque village à leurs détachements commence à leur faire craindre de rencontrer en France les dangers d'une guerre d'insurrection; ils cherchent donc à désarmer l'opinion. L'empereur de Russie fait une proclamation, le prince de Schwartzenberg en fait une, Blücher en fait une troisième, de Wrede veut faire la sienne: le général Bubna fait faire de son côté des proclamations par le colonel Simbschen et par le comte de Sonnas. Chaque commandant inférieur suit cet exemple. Jamais on n'a fait tant de proclamations pacifiques au bruit du canon; jamais on n'a vu l'infidélité des peuples provoquée par tant de souverains.

Mais tandis que les généraux font des harangues, les soldats pillent, violent et tuent sans pitié; ces barbaries ont excité au plus haut degré la résistance du peuple des campagnes, et le prince Schwartzenberg voit qu'il n'est pas moins nécessaire d'intimider que de séduire: il menace de la potence tout paysan français qui sera pris les armes à la main, et du feu tout village qui résistera.

Ce que l'ennemi craint et défend est précisément ce que l'on doit s'obstiner à faire. Napoléon ordonne la levée en masse des départements de l'est. Le général Berckeim est donné pour commandant à ses compatriotes de l'Alsace. Les Lorrains et les Francs-Comtois montrent le même dévouement que les Alsaciens. Des corps de partisans s'organisent dans les Vosges et s'annoncent par des succès. Sur les bords de la Saône, les Bourguignons montrent la même assurance que si des armées étaient derrière eux pour les soutenir. Les habitants de Châlons coupent leur pont, et les Autrichiens disséminés dans la Bresse sont forcés de s'arrêter.

Cependant l'alarme s'est répandue jusqu'au fond des vallées des Alpes: Bubna a intercepté la route du Simplon, le Valais est enlevé à la France, la Savoie est menacée d'être rendue au roi de Sardaigne.

De ce côté, c'est le duc de Castiglione qui est chargé d'organiser la défense; il se rend à Lyon, où vont arriver les troupes qu'on tire à la hâte de l'armée de Catalogne et des dépôts des Alpes. Le général Desaix pourvoit pour quelque temps à la sûreté de Chambéry, et le général Marchand organise les levées en masse du Dauphiné.

Bientôt l'invasion ennemie fait tant de progrès qu'il devient urgent d'y opposer la présence de Napoléon. Schwartzenberg a forcé les passages des Vosges; les combats de Rambervilliers, de Saint-Dié et de Charmes, ont ensanglanté sa marche, mais n'ont pu l'arrêter: il étend sa gauche le long de la Saône; il avance son centre sur Langres, et dirige sa droite vers Nancy, qui est un rendez-vous assigné aux Prussiens. Blücher n'a pas tardé à paraître au milieu des places de la Lorraine. York se présente devant Metz, et Sacken arrive à Nancy. Depuis le 13 janvier, les souverains alliés sont sur le territoire français; leur quartier général suit la marche de l'armée autrichienne.

Le duc de Raguse, qui s'était arrêté sous le canon de Metz, se voyant serré de trop près, vient d'abandonner ce boulevard de la France à ses propres forces. Le général Durutte en a pris le commandement; et le général Rogniat, l'un de nos plus habiles ingénieurs, s'y est renfermé.

Le 14 janvier, le prince de la Moskowa avait évacué Nancy; le 16, le duc de Trévise avait évacué Langres; le 19, le duc de Raguse était en retraite sur Verdun.




CHAPITRE VIII.

DERNIÈRES DISPOSITIONS.--DÉPART DE NAPOLÉON
POUR L'ARMÉE.

(Fin de janvier.)

Avant de quitter Paris, Napoléon jette un dernier coup d'oeil sur la Belgique.

Il avait organisé de ce côté une nouvelle armée du nord, et en avait donné le commandement au général Maisons, que l'on distinguait déjà parmi les jeunes généraux auxquels la succession des vieux maréchaux était réservée. Le premier exploit du nouveau commandant en chef avait été de dégager l'Escaut. Cette opération, soutenue le 11, le 12 et le 13 janvier, par une suite de combats honorables, avait procuré quelques délais nécessaires pour perfectionner la défense de cette frontière. Mais le général russe Wintzingerode, qui vient de passer le Rhin à Dusseldorf, amène un nouveau corps d'armée contre nos provinces du nord. Ainsi les Prussiens de Bülow, les Anglais de Graham, et les Russes de Voronsof et de Wintzingerode, sont autant de corps d'armée que le général Maisons doit contenir. Pour remédier à l'infériorité du nombre, Napoléon confie Anvers au général Carnot.

Quant aux places de Wesel, de Juliers, de Maestricht et de Vanloo, le duc de Tarente y a jeté des garnisons, en abandonnant la Basse-Meuse, pour se replier sur les Ardennes. Le 18 janvier, ce maréchal était de sa personne à Namur: Napoléon lui envoie courrier sur courrier pour qu'il accélère sa marche sur Châlons.

A Paris, tous les hommes que les dépôts militaires environnants ont habillés et armés, tous ceux que les garnisons de l'ouest et des côtes du nord ont équipés, tous les détachements que les gardes nationales de Bretagne et de Normandie, peuvent fournir, sont à mesure qu'ils arrivent, passés en revue par Napoléon lui-même et dirigés aussitôt du Carrousel sur Châlons.

Pour annoncer sa prochaine arrivée aux troupes, Napoléon fait partir le prince de Neufchâtel: ce prince quitte Paris le 20 janvier14.

Note 14: (retour) Dans le nombreux état-major qui accompagne le prince de Neufchâtel, on distingue le lieutenant-général Bailly de Monthion, le maréchal de camp Alexandre Girardin, les colonels Alfred de Montesquiou, Arthur de Labourdonnaye, Fontenille, Lecouteux, le commissaire ordonnateur Leduc, secrétaire particulier du prince, et le capitaine Salomon, chargé du détail du mouvement des troupes.

Enfin, dans une dernière audience aux Tuileries, Napoléon rassemble les chefs qu'il vient de donner à la garde nationale de la capitale. Il reçoit le serment de MM. de Brancas, de Fraguier, de Brevannes, Acloque, et de tant d'autres. «Je pars avec confiance, leur dit-il; je vais combattre l'ennemi, et je vous laisse ce que j'ai de plus cher: l'impératrice et mon fils!»

Le 23 janvier, Napoléon signe les lettres-patentes qui confèrent la régence à l'impératrice; le 24, il lui adjoint le prince Joseph, sous le titre de lieutenant-général de l'empire. Dans la nuit il brûle ses papiers les plus secrets; il embrasse sa femme et son fils15; et le 25, à trois heures du matin, il monte en voiture.

Note 15: (retour) Pour la dernière fois!...

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.


SUPPLÉMENT A LA PREMIÈRE PARTIE.

PIÈCES HISTORIQUES.

(Nº 1.) Rapport de M. le baron de Saint-Aignan16.

Note 16: (retour) Extrait du Moniteur supprimé.

Le 26 octobre, étant depuis deux jours traité comme prisonnier à Weimar, où se trouvaient les quartiers généraux de l'empereur d'Autriche et de l'empereur de Russie, je reçus ordre de partir le lendemain avec la colonne des prisonniers que l'on envoyait en Bohême. Jusqu'alors je n'avais vu personne, ni fait aucune réclamation, pensant que le titre dont j'étais revêtu réclamait de lui-même, et ayant protesté d'avance contre le traitement que j'éprouvais. Je crus cependant, dans cette circonstance, devoir écrire au prince Schwartzenberg et au comte de Metternich pour leur représenter l'inconvenance de ce procédé. Le prince Schwartzenberg m'envoya aussitôt le comte de Parr, son premier aide de camp, pour excuser la méprise commise à mon égard et pour m'engager à passer soit chez lui, soit chez M. de Metternich. Je me rendis aussitôt chez ce dernier, le prince de Schwartzenberg venant de s'absenter. Le comte de Metternich me reçut avec un empressement marqué; il me dit quelques mots seulement sur ma position, dont il se chargea de me tirer, étant heureux, me dit-il, de me rendre ce service, et en même temps de témoigner l'estime que l'empereur d'Autriche avait conçue pour le duc de Vicence; puis il me parla du congrès, sans que rien de ma part eût provoqué cette conversation. «Nous voulons sincèrement la paix, me dit-il, nous la voulons encore, et nous la ferons; il ne s'agit que d'aborder franchement et sans détours la question. La coalition restera unie. Les moyens indirects que l'empereur Napoléon emploierait pour arriver à la paix ne peuvent plus réussir; que l'on s'explique franchement, et elle se fera.»

Après cette conversation, le comte de Metternich me dit de me rendre à Toeplitz, où je recevrais incessamment de ses nouvelles, et qu'il espérait me voir encore à mon retour. Je partis le 27 octobre pour Toeplitz; j'y arrivai le 30, et le 2 novembre je reçus une lettre du comte de Metternich, en conséquence de laquelle je quittai Toeplitz le 3 novembre et me rendis au quartier général de l'empereur d'Autriche à Francfort, où j'arrivai le 8. Je fus le même jour chez M. de Metternich. Il me parla aussitôt des progrès des armées coalisées, de la révolution qui s'opérait en Allemagne, de la nécessité de faire la paix. Il me dit que les coalisés, long-temps avant la déclaration de l'Autriche, avaient salué l'empereur François du titre d'empereur d'Allemagne; qu'il n'acceptait point ce titre insignifiant, et que l'Allemagne était plus à lui de cette manière qu'auparavant; qu'il désirait que l'empereur Napoléon fût persuadé que le plus grand calme et l'esprit de modération présidaient au conseil des coalisés; qu'ils ne se désuniraient point, parce qu'ils voulaient conserver leur activité et leur force, et qu'ils étaient d'autant plus forts qu'ils étaient modérés; que personne n'en voulait à la dynastie de l'empereur Napoléon; que l'Angleterre était bien plus modérée qu'on ne pensait; que jamais le moment n'avait été plus favorable pour traiter avec elle; que si l'empereur Napoléon voulait réellement faire une paix solide, il éviterait bien des maux à l'humanité et bien des dangers à la France, en ne retardant pas les négociations; qu'on était prêt à s'entendre; que les idées de paix que l'on concevait devaient donner de justes limites à la puissance de l'Angleterre, et à la France toute la liberté maritime qu'elle a droit de réclamer, ainsi que les autres puissances de l'Europe; que l'Angleterre était prête à rendre à la Hollande indépendante ce qu'elle ne lui rendrait pas comme province française; que ce que M. de Mervelot avait été chargé de dire de la part de l'empereur Napoléon pouvait donner lieu aux paroles qu'on me prierait de porter; qu'il ne me demandait que de les rendre exactement, sans y rien changer; que l'empereur Napoléon ne voulait point concevoir la possibilité d'un équilibre entre les puissances de l'Europe; que cet équilibre était, non seulement possible, mais même nécessaire; qu'on avait proposé à Dresde de prendre en indemnité des pays que l'empereur ne possédait plus, tels que le grand duché de Varsovie; qu'on pouvait encore faire de semblables compensations dans l'occurrence actuelle.

Le 9, M. de Metternich me fit prier de me rendre chez lui à neuf heures du soir. Il sortait de chez l'empereur d'Autriche, et me remit la lettre de sa majesté pour l'impératrice. Il me dit que le comte Nesselrode allait venir chez lui, et que ce serait de concert avec lui qu'il me chargerait des paroles que je devais rendre à l'empereur. Il me pria de dire au duc de Vicence qu'on lui conservait les sentiments d'estime que son noble caractère a toujours inspirés.

Peu de moments après, le comte Nesselrode entra; il me répéta en peu de mots ce que le comte Metternich m'avait déjà dit sur la mission dont on m'invitait à me charger, et ajouta qu'on pouvait regarder M. de Hardemberg comme présent et approuvant tout ce qui allait être dit. Alors M. de Metternich explique les intentions des coalisés, telles que je devais les rapporter à l'empereur. Après l'avoir entendu, je lui répondis que, ne devant qu'écouter et point parler, je n'avais autre chose à faire qu'à rendre littéralement ses paroles, et que pour en être plus certain, je lui demandais de les noter pour moi seul et de les lui remettre sous les yeux. Alors le comte Nesselrode ayant proposé que je fisse cette note sur-le-champ, M. de Metternich me fit passer seul dans un cabinet, où j'écrivis la note ci-jointe. Lorsque je l'eus écrite, je rentrai dans l'appartement. M. de Metternich me dit: «Voici lord Aberdeen, ambassadeur d'Angleterre; nos intentions sont communes, ainsi nous pouvons continuer à nous expliquer devant lui.» Il m'invita alors à lire ce que j'avais écrit; lorsque je fus à l'article qui concerne l'Angleterre, lord Aberdeen parut ne l'avoir pas bien compris; je le lus une seconde fois. Alors il observa que les expressions liberté du commerce et droits de la navigation étaient bien vagues; je répondis que j'avais écrit ce que le comte de Metternich m'avait chargé de dire. M. de Metternich reprit qu'effectivement ces expressions pouvaient embrouiller la question, et qu'il valait mieux en substituer d'autres. Il prit la plume et écrivit que l'Angleterre ferait les plus grands sacrifices pour la paix fondée sur ces bases (celles énoncées précédemment).

J'observai que ces expressions étaient aussi vagues que celles qu'elles remplaçaient; lord Aberdeen en convint, et me dit «qu'il valait autant rétablir ce que j'avais écrit; qu'il réitérait l'assurance que l'Angleterre était prête à faire les plus grands sacrifices; qu'elle possédait beaucoup, qu'elle rendrait à pleines mains.» Le reste de la note ayant été conforme à ce que j'avais entendu, on parla de choses indifférentes.

Le prince Schwartzenberg entra, et on lui répéta ce qui avait été dit. Le prince Nesselrode, qui s'était absenté un moment pendant cette conversation, revint, et me chargea, de la part de l'empereur Alexandre, de dire au duc de Vicence qu'il ne changerait jamais sur l'opinion qu'il avait de sa loyauté et de son caractère, et que les choses s'arrangeraient bien vite s'il était chargé d'une négociation.

Je devais partir le lendemain matin, 10 novembre; mais le prince de Schwartzenberg me fit prier de différer jusqu'au soir, n'ayant pas eu le temps d'écrire au prince de Neufchâtel.

Dans la nuit, il m'envoya le comte Voyna, un de ses aides de camp, qui me remit sa lettre, et me conduisit aux avant-postes français. J'arrivai à Mayence le 11 au matin.

Signé Saint-Aignan.






(Nº 2.) Note écrite à Francfort, le 9 novembre, par le baron Saint-Aignan17.

Note 17: (retour) Extrait du Moniteur supprimé.

M. le comte de Metternich m'a dit que la circonstance qui m'a amené au quartier général de l'empereur d'Autriche pouvait rendre convenable de me charger de porter à S. M. l'empereur la réponse aux propositions qu'elle a fait faire par M. le comte de Mervelot. En conséquence, M. le comte de Metternich et M. le comte de Nesselrode m'ont demandé de rapporter à S. M.:

Que les puissances coalisées étaient engagées par des liens indissolubles, qui faisaient leur force, et dont elles ne dévieraient jamais;

Que les engagements réciproques qu'elles avaient, contractés leur avaient fait prendre la résolution de ne faire qu'une paix générale; que lors du congrès de Prague, on avait pu penser à une paix continentale, parce que les circonstances n'auraient pas donné le temps de s'entendre pour traiter autrement; mais que, depuis, les intentions de toutes les puissances et celles de l'Angleterre étaient connues; qu'ainsi il était inutile de penser, soit à un armistice, soit à une négociation qui n'eût pas pour premier principe une paix générale;

Que les souverains coalisés étaient unanimement d'accord sur la puissance et la prépondérance que la France doit conserver dans son intégrité, et en se renfermant dans ses limites naturelles, qui sont le Rhin, les Alpes et les Pyrénées;

Que le principe de l'indépendance de l'Allemagne était une condition sine quâ non; qu'ainsi la France devait renoncer, non pas à l'influence que tout grand état exerce nécessairement sur un état de force inférieure, mais à toute souveraineté sur l'Allemagne; que d'ailleurs c'était un principe que S. M. avait posé elle-même, en disant qu'il était convenable que les grandes puissances fussent séparées par des états plus faibles;

Que du côté des Pyrénées, l'indépendance de l'Espagne et le rétablissement de l'ancienne dynastie étaient également une condition sine quâ non;

Qu'en Italie, l'Autriche devait avoir une frontière qui serait un objet de négociation; que le Piémont offrait plusieurs lignes que l'on pourrait discuter, ainsi que l'état de l'Italie, pourvu toutefois qu'elle fût, comme l'Allemagne, gouvernée d'une manière indépendante de la France, ou de toute autre puissance prépondérante;

Que de même l'état de Hollande serait un objet de négociation, en partant toujours du principe qu'elle devait être indépendante;

Que l'Angleterre était prête à faire les plus grands sacrifices pour la paix fondée sur ces bases, et à reconnaître la liberté du commerce et de la navigation, à laquelle la France a droit de prétendre;

Que si ces principes d'une pacification générale étaient agréés par S. M., on pourrait neutraliser, sur la rive droite du Rhin, tel lieu qu'on jugerait convenable, où les plénipotentiaires de toutes les puissances belligérantes se rendraient sur-le-champ, sans cependant que les négociations suspendissent le cours des opérations militaires.

Signé Saint-Aignan.


A Francfort, le 9 novembre 1813.


(Nº 3.) Lettre de M. le duc de Bassano
A M. le comte de Metternich
18.

Note 18: (retour) Extrait du Moniteur supprimé.

Paris, le 16 novembre 1813.



Monsieur,

M. le baron de Saint-Aignan est arrivé hier lundi, et nous a rapporté, d'après les communications qui lui ont été faites par votre excellence, que l'Angleterre a adhéré à la proposition de l'ouverture d'un congrès pour la paix générale, et que les puissances sont disposées à neutraliser, sur la rive droite du Rhin, une ville pour la réunion des plénipotentiaires. S. M. désire que cette ville soit celle de Manheim. M. le duc de Vicence, qu'elle a désigné pour son plénipotentiaire, s'y rendra aussitôt que votre excellence m'aura fait connaître le jour que les puissances auront indiqué pour l'ouverture du congrès. Il nous paraît convenable, monsieur, et d'ailleurs conforme à l'usage, qu'il n'y ait aucune troupe à Manheim, et que le service soit fait par la bourgeoisie, en même temps que la police y serait confiée à un bailli nommé par le grand duc de Bade. Si l'on jugeait à propos qu'il y eût des piquets de cavalerie, leur force devrait être égale de part et d'autre. Quant aux communications du plénipotentiaire anglais avec son gouvernement, elles pourraient avoir lieu par la France et par Calais.

Une paix sur la base de l'indépendance de toutes les nations, tant sous le point de vue continental que sous le point de vue maritime, a été l'objet constant des désirs et de la politique de l'empereur.

S. M. conçoit un heureux augure du rapport qu'a fait M. de Saint-Aignan de ce qui a été dit par le ministre d'Angleterre.

J'ai l'honneur d'offrir à votre excellence l'assurance de ma haute considération.

Signé le duc de Bassano.






(Nº 4.) Réponse de M. le prince de Metternich
A M. le duc de Bassano
19.

Note 19: (retour) Extrait du Moniteur supprimé.

Monsieur le duc,

Le courrier que votre excellence a expédié de Paris le 16 novembre est arrivé ici hier.

Je me suis empressé de soumettre à LL. MM. II., et à S. M. le roi de Prusse, la lettre qu'elle m'a fait l'honneur de m'adresser.

LL. MM. ont vu avec satisfaction que l'entretien confidentiel avec M. de Saint-Aignan a été regardé par S. M. l'empereur des Français comme une preuve des intentions pacifiques des hautes puissances alliées. Animées d'un même esprit, invariables dans leur point de vue, et indissolubles dans leur alliance, elles sont prêtes à entrer en négociation, dès qu'elles auront la certitude que S. M. l'empereur des Français admet les bases générales et sommaires que j'ai indiquées, dans mon entretien avec le baron de Saint-Aignan.

Dans la lettre de votre excellence, cependant, il n'est fait aucune mention de ces bases. Elle se borne à exprimer un principe partagé par tous les gouvernements de l'Europe, et que tous placent dans la première ligne de leurs voeux. Ce principe, toutefois, ne saurait, vu sa généralité, remplacer des bases. LL. MM. désirent que S. M. l'empereur Napoléon veuille s'expliquer sur ces dernières, comme seul moyen d'éviter que, dès l'ouverture des négociations, d'insurmontables difficultés n'en entravent la marche.

Le choix de la ville de Manheim semble ne pas présenter d'obstacles aux alliés. Sa neutralisation, et les mesures de police, entièrement conformes aux usages, que propose votre excellence, ne sauraient en offrir dans aucun cas.

Agréez, monsieur le duc, les assurances de ma haute considération.

Signé le prince de Metternich.


Francfort, le 25 novembre 1813.


(Nº 5.) Déclaration de Francfort.

Francfort, le 1er décembre 1813.



Le gouvernement français vient d'arrêter une nouvelle levée de trois cent mille conscrits. Les motifs du sénatus-consulte renferment une provocation aux puissances alliées. Elles se trouvent appelées à promulguer de nouveau à la face du monde les vues qui les guident dans la présente guerre, les principes qui font la base de leur conduite, leurs voeux et leurs déterminations.

Les puissances alliées ne font point la guerre à la France, mais à cette prépondérance hautement annoncée, à cette prépondérance que, pour le malheur de l'Europe et de la France, l'empereur Napoléon a trop long-temps exercée hors des limites de son empiré.

La victoire a conduit les armées alliées sur le Rhin. Le premier usage que LL. MM. II. et RR. en ont fait a été d'offrir la paix à S. M. l'empereur des Français. Une attitude renforcée par l'accession de tous les souverains et princes d'Allemagne n'a pas eu d'influence sur les conditions de la paix. Ces conditions sont fondées sur l'indépendance de l'empire français comme sur l'indépendance des autres états de l'Europe. Les vues des puissances sont justes dans leur objet, généreuses et libérales dans leur application, rassurantes pour tous, honorables pour chacun.

Les souverains alliés désirent que la France soit grande, forte et heureuse, parce que la puissance française, grande et forte, est une des bases fondamentales de l'édifice social. Ils désirent que la France soit heureuse, que le commerce français renaisse, que les arts, ces bienfaits de la paix, refleurissent, parce qu'un grand peuple ne saurait être tranquille qu'autant qu'il est heureux. Les puissances confirment à l'empire français une étendue de territoire que n'a jamais connue la France sous ses rois, parcequ'une nation valeureuse ne déchoit pas pour avoir, à son tour, éprouvé des revers dans une lutte opiniâtre et sanglante où elle a combattu avec son audace accoutumée.

Mais les puissances aussi veulent être libres, heureuses et tranquilles. Elles veulent un état de paix qui, par une sage répartition des forces, par un juste équilibre, préserve désormais les peuples des calamités sans nombre qui depuis vingt ans ont pesé sur l'Europe.

Les puissances alliées ne poseront pas les armes sans avoir atteint ce grand et bienfaisant résultat, ce noble objet de leurs efforts. Elles ne poseront pas les armes avant que l'état politique de l'Europe ne soit de nouveau raffermi, avant que des principes immuables n'aient repris leurs droits sur de vaines prétentions, avant que la sainteté des traités n'ait enfin assuré une paix véritable à l'Europe20.

Note 20: (retour) «Personne ne fut entraîné ou séduit par cette proclamation de Francfort, qui déclarait la guerre à une métaphysique appelée prépondérance: aussi l'effet de cette proclamation fut-il manqué.» Beauchamp, tom. I, liv. viii, pag. 323.


(Nº 6.) Lettre de M. le duc de Vicence
Au prince de Metternich
21.

Note 21: (retour) Extrait du Moniteur supprimé.

Paris, 2 décembre 1813.



Prince,

J'ai mis sous les yeux de S. M. la lettre que votre excellence adressait le 25 novembre à M. le duc de Bassano.

En admettant sans restriction, comme base de la paix, l'indépendance de toutes les nations, tant sous le rapport territorial que sous le rapport maritime, la France a admis en principe ce que les alliés paraissent désirer. S. M. a, par cela même, admis toutes les conséquences de ce principe, dont le résultat final doit être une paix fondée sur l'équilibre de l'Europe, sur la reconnaissance de l'intégrité de toutes les nations dans leurs limites naturelles, et sur la reconnaissance de l'indépendance absolue de tous les états, tellement qu'aucun ne puisse s'arroger, sur un autre quelconque, ni suzeraineté, ni suprématie, sous quelque forme que ce soit, ni sur terré ni sur mer.

Toutefois, c'est avec une vive satisfaction que j'annonce à votre excellence que je suis autorisé par l'empereur, mon auguste maître, à déclarer que S. M. adhère aux bases générales et sommaires qui ont été communiquées par M. de Saint-Aignan. Elles entraîneront de grands sacrifices de la part de la France; mais S. M. les fera sans regret, si, par des sacrifices semblables, l'Angleterre donne les moyens d'arriver à une paix générale et honorable pour tous, que votre excellence assure être le voeu, non seulement des puissances du continent, mais aussi de l'Angleterre.

Agréez, prince, etc.
Signé Caulaincourt, duc de Vicence.





(Nº 7.) Réponse de M. le prince de Metternich
A M. le duc de Vicence
22.

Note 22: (retour) Extrait du Moniteur supprimé.

Monsieur le duc,

L'office que votre excellence m'a fait l'honneur de m'adresser le 2 décembre m'est parvenu de Cassel, par nos avant-postes. Je n'ai pas différé de le soumettre à LL. MM. Elles y ont reconnu avec satisfaction que S. M. l'empereur des Français avait adopté des bases essentielles au rétablissement d'un état d'équilibre et à la tranquillité future de l'Europe. Elles ont voulu que cette pièce fût portée sans délai à la connaissance de leurs alliés. LL. MM. II. et RR. ne doutent point qu'immédiatement après la réception des réponses, les négociations ne puissent s'ouvrir.

Nous nous empresserons d'avoir l'honneur d'en informer votre excellence, et de concerter alors avec elle les arrangements qui nous paraîtront les plus propres à atteindre le but que nous nous proposons.

Je la prie de recevoir les assurances, etc.
Signé le prince de Metternich.


Francfort, le 10 décembre 1813.




(Nº 8.) Lettre de Napoléon
Au duc de Vicence, ministre des relations extérieures.

Paris, le 4 janvier 1814.



Monsieur le duc de Vicence, j'approuve que M. de La Besnardière soit chargé du portefeuille. Je pense qu'il est douteux que les alliés soient de bonne foi, et que l'Angleterre veuille la paix: moi je la veux, mais solide, honorable. La France sans ses limites naturelles, sans Ostende, sans Anvers, ne serait plus en rapport avec les autres états de l'Europe. L'Angleterre et toutes les puissances ont reconnu ces limites à Francfort. Les conquêtes de la France en-deçà du Rhin et des Alpes ne peuvent compenser ce que l'Autriche, la Russie, la Prusse, ont acquis en Pologne, en Finlande, ce que l'Angleterre a envahi en Asie. La politique de l'Angleterre, la haine de l'empereur de Russie, entraîneront l'Autriche. J'ai accepté les bases de Francfort, mais il est plus que probable que les alliés ont d'autres idées. Leurs propositions n'ont été qu'un masque. Les négociations une fois placées sous l'influence des événements militaires, on ne peut prévoir les conséquences d'un tel système. Il faut tout écouter, tout observer. Il n'est pas certain qu'on vous reçoive au quartier général: les Russes et les Anglais voudront écarter d'avance tous les moyens de conciliation et d'explication avec l'empereur d'Autriche. Il faut tâcher de connaître les vues des alliés, et me faire connaître jour par jour ce que vous apprendrez, afin de me mettre dans le cas de vous donner des instructions que je ne saurais sur quoi baser aujourd'hui. Veut-on réduire la France à ses anciennes limites? c'est l'avilir............... ................................................. ....................... On se trompe si on croit que les malheurs de la guerre puissent faire désirera la nation une telle paix. Il n'est pas un coeur français qui n'en sentît l'opprobre au bout de six mois, et qui ne la reprochât au gouvernement assez lâche pour la signer. L'Italie est intacte, le vice-roi a une belle armée. Avant huit jours j'aurai réuni de quoi livrer plusieurs batailles, même avant l'arrivée de mes troupes d'Espagne. Les dévastations des Cosaques armeront les habitants, et doubleront nos forces. Si la nation me seconde, l'ennemi marche à sa perte. Si la fortune me trahit, mon parti est pris; je ne tiens pas au trône. Je n'avilirai ni la nation ni moi, en souscrivant à des conditions honteuses. Il faut savoir ce que veut Metternich. Il n'est pas de l'intérêt de l'Autriche de pousser les choses à bout; encore un pas, et le premier rôle lui échappera. Dans cet état de choses, je ne puis rien vous prescrire. Bornez-vous pour le moment à tout entendre, et à me rendre compte. Je pars pour l'armée. Nous serons si près, que vos premiers rapports ne seront pas un retard pour les affaires. Envoyez-moi fréquemment des courriers. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

Paris, le 4 janvier 1814.
Signé Napoléon.


(Nº 9.) Lettre de M. le duc de Vicence
A M. le prince de Metternich
23.

Note 23: (retour) Extrait du Moniteur supprimé.

Lunéville, le 6 janvier 1814.



Prince,

La lettre que votre excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 10 du mois dernier m'est parvenue.

L'empereur ne veut rien préjuger sur les motifs qui ont fait que son adhésion pleine et entière aux bases que votre excellence a proposées d'un commun accord avec les ministres de Russie et d'Angleterre, et de l'aveu de la Prusse, ait eu besoin d'être communiquée aux alliés avant l'ouverture du congrès. Il est difficile de penser que lord Aberdeen ait eu des pouvoirs pour proposer des bases, sans en avoir pour négocier. S. M. ne fait point aux alliés l'injure de croire qu'ils aient été incertains et qu'ils délibèrent encore; ils savent trop bien que toute offre conditionnelle devient un engagement absolu pour celui qui l'a faite, dès que la condition qu'il y a mise est remplie. Dans tous les cas, nous devions nous attendre à avoir, le 6 janvier, la réponse que votre excellence nous annonçait le 10 décembre. Sa correspondance et les déclarations réitérées des puissances alliées ne nous laissent point prévoir de difficultés, et les rapports de M. de Talleyrand, à son retour de Suisse, confirment que leurs intentions sont toujours les mêmes.

D'où peuvent donc provenir les retards? S. M., n'ayant rien plus à coeur que le prompt rétablissement de la paix générale, a pensé qu'elle ne pouvait donner une plus forte preuve de la sincérité de ses sentiments à cet égard, qu'en envoyant auprès des souverains alliés son ministre des relations extérieures, muni de pleins pouvoirs. Je m'empresse donc, prince, de vous prévenir que j'attendrai à nos avant-postes les passe-ports nécessaires pour traverser ceux des armées alliées, et me rendre auprès de votre excellence.

Agréez, etc.
Signé Caulaincourt, duc de Vicence.




(Nº 10.) Réponse du prince de Metternich
A M. le duc de Vicence
24.

Note 24: (retour) Extrait du Moniteur supprimé.

Fribourg, en Brisgau, le 8 janvier 1814.



Monsieur le duc,

J'ai reçu aujourd'hui la lettre que votre excellence m'a fait l'honneur de m'adresser de Lunéville le 6 de ce mois.

Le retard qu'éprouve la communication que le gouvernement français attendait, en suite de mon office du 10 décembre, résulte de la marche que devaient tenir entre elles les puissances alliées. Les explications confidentielles avec M. le baron de Saint-Aignan ayant conduit à des ouvertures officielles de la part de la France, LL. MM. II. et RR. ont jugé que la réponse de votre excellence, du 2 décembre, était de nature à devoir être portée à la connaissance de leurs alliés. Les suppositions que votre excellence admet, que ce soit lord Aberdeen qui ait proposé des bases, et qu'il ait été muni de pleins pouvoirs à cet effet, ne sont nullement fondées.

La cour de Londres vient de faire partir pour le continent le secrétaire d'état ayant le département des affaires étrangères. S. M. I. de toutes les Russies se trouvant momentanément éloignée d'ici, et lord Castlereagh étant attendu d'un moment à l'autre, l'empereur, mon auguste maître, et S. M. le roi de Prusse me chargent de prévenir votre excellence qu'elle recevra le plus tôt possible une réponse à sa proposition de se rendre au quartier général des souverains alliés.

Je prie votre excellence, etc.
Signé le prince de Metternich.


Hier, 18 janvier, c'est-à-dire dix jours après la réponse de M. le prince de Metternich, M. le duc de Vicence était encore aux avant-postes.




(Nº 11.) Lettre de M. de la Besnardière
A M. le duc de Vicence.

Paris, le 13 janvier 1814.



Monseigneur,

S. M. m'ordonne d'annoncer à votre excellence qu'elle a reçu votre dépêche du 12, apportée par le courrier Simiame. Elle a daigné me remettre cette dépêche et les pièces qui y étaient jointes, le rapport de M. Cham excepté.

S. M. approuve que votre correspondance lui soit directement adressée; mais son intention est d'y répondre par la voie du cabinet, auquel elle veut remettre tout ce qui sera de l'essence de la négociation, et toutes les pièces qui en constateront l'état à toutes les époques. Elle désire en conséquence que toutes les dépêches de votre excellence soient divisées en officielles ou ostensibles, et en confidentielles, mot dont elle autorise votre excellence à se servir pour les dépêches qui contiendront des faits ou des particularités que S. M. devrait seule connaître.

S. M. a recommandé que toutes les gazettes anglaises vous soient envoyées; elle a ordonné au ministre de la police générale de les adresser au ministère dans les vingt-quatre heures de leur arrivée à Paris, et de manière à ce qu'il ne manque à votre excellence que celles qui ne seraient pas arrivées ici.

S. M. approuve le parti que votre excellence a pris de rester à Lunéville en attendant l'arrivée de lord Castlereagh à Fribourg; comme il a mis à la voile le premier de ce mois, il est probable qu'il est arrivé, ou sur le point d'arriver, à l'heure qu'il est.

S. M. m'ordonne encore d'informer votre excellence que la lettre de l'empereur d'Autriche à son auguste fille est à peu près dans le sens de celle de M. de Metternich; que l'empereur proteste de nouveau que, quels que soient les événements, il ne séparera jamais la cause de sa fille et de son petit-fils de celle de la France. Comme cela peut avoir trait à des projets conçus par d'autres puissances en faveur des Bourbons, il importe de ne montrer à cet égard aucune crainte, et de faire entendre que les Bourbons, mis en avant, ne serviraient qu'à réveiller des sentiments bien opposés aux espérances de leurs partisans, et que, si un parti pouvait se former en France, ce serait uniquement celui de la révolution, vulgairement appelé des jacobins.

Daignez, monsieur le duc, agréer l'hommage de mon respect.
Signé, la Besnardière.




(Nº 12.) Lettre de M. de la Besnardière
A M. le duc de Vicence.

Paris, le 16 janvier 1814.



Monseigneur,

S. M., après avoir dicté la lettre ci-jointe, et l'avoir relue et corrigée elle-même, m'a ordonné de vous l'envoyer pour être écrite par votre excellence au prince de Metternich.

Cependant S. M. subordonne cette démarche au jugement que vous en porterez. «Envoyez, m'a-t-elle dit, cette lettre à M. le duc de Vicence, pour qu'il l'écrive s'il l'approuve.» Ce sont ses propres expressions. Daignez, etc.
Signé la Besnardière.





(Nº 12bis.) Lettre dictée par S. M., pour être écrite par M. le duc de Vicence.
Au prince de Metternich
25.

Note 25: (retour) Voir cette lettre telle qu'elle a été refaite par le duc de Vicence, supplément de la seconde partie, nº 2.

Prince,

Les retards qu'éprouve la négociation ne sont du fait ni de la France ni de l'Autriche, et ce sont néanmoins la France et l'Autriche qui en peuvent le plus souffrir. Les armées alliées ont déjà envahi plusieurs de nos provinces; si elles avancent, une bataille va devenir inévitable, et sûrement il entre dans la prévoyance de l'Autriche de calculer et de peser les résultats qu'aurait cette bataille, soit qu'elle fût perdue par les alliés, soit qu'elle le fût pour la France.

Écrivant à un ministre aussi éclairé que vous l'êtes, je n'ai pas besoin de développer ces résultats; je dois me borner à les faire entrevoir, sûr que leur ensemble ne saurait échapper à votre pénétration.

Les chances de la guerre sont journalières: à mesure que les alliés avancent, ils s'affaiblissent, pendant que les armées françaises se renforcent; et ils donnent, en avançant, un double courage à une nation pour qui, désormais, il est évident qu'elle a ses plus grands et plus chers intérêts à défendre. Or les conséquences d'une bataille perdue par les alliés ne pèseraient sur aucun d'eux autant que sur l'Autriche, puisqu'elle est en même temps la puissance principale entre les alliés et l'une des puissances centrales de l'Europe.

En supposant que la fortune continue d'être favorable aux alliés, il importe sans doute à l'Autriche de considérer avec attention quelle serait là situation de l'Europe le lendemain d'une bataille perdue par les Français au coeur de la France, et si un tel événement n'entraînerait point des conséquences diamétralement opposées à cet équilibre que l'Autriche aspire à établir, et tout à la fois à sa politique et aux affections personnelles et de famille de l'empereur François.

Enfin l'Autriche proteste qu'elle veut la paix; mais n'est-ce pas se mettre en situation de ne pouvoir atteindre ou de dépasser ce but, que de continuer les hostilités, quand de part et d'autre on veut arriver à une fin?

Ces considérations m'ont conduit à penser que, dans la situation actuelle des armées respectives et dans cette rigoureuse saison, une suspension d'armes pourrait être réciproquement avantageuse aux deux partis.

Elle pourrait être établie par une convention en forme, ou par un simple échange de déclarations entre V. Exc. et moi.

Elle pourrait être limitée à un temps fixe, ou indéfinie, avec la condition de ne la pouvoir faire cesser qu'en se prévenant tant de jours d'avance.

Cette suspension d'armes me semble dépendre entièrement de l'Autriche, puisqu'elle a la direction principale des affaires militaires; et j'ai pensé que, dans l'une et l'autre chance, l'intérêt de l'Autriche était que les choses n'allassent pas plus loin et ne fussent pas poussées à l'extrême.

C'est surtout cette persuasion qui me porte à écrire confidentiellement à V. Exc.

Si je m'étais trompé, si telles n'étaient point l'intention et la politique de votre cabinet, si cette démarche absolument confidentielle devait rester sans effet, je dois prier V. Exc. de la regarder comme non avenue.

Vous m'avez montré tant de confiance personnelle dans votre dernière lettre, et j'en ai moi-même une si grande dans la droiture de vos vues et dans les sentiments qu'en toute circonstance vous avez exprimés, que j'ose espérer qu'une lettre que cette confiance a dictée, si elle ne peut atteindre son but, restera à jamais un secret entre V. Exc. et moi.

Agréez, etc.



(Nº 13.) Lettre de M. de la Besnardière
A M. le duc de Vicence.

Paris, le 19 janvier 1814.



Monseigneur,

Après m'avoir dicté pour votre excellence la lettre qu'elle recevra avec celle-ci, S. M., qui avait du loisir, m'a fait l'honneur de m'entretenir fort long-temps de la paix future. Je rapporterai à votre excellence, aussi fidèlement que ma mémoire le permettra et aussi brièvement que je le pourrai, la substance de cet entretien. La chose sur laquelle S. M. a le plus insisté et est revenue le plus souvent, c'est la nécessité que la France conserve ses limites naturelles. C'était là, m'a-t-elle dit, une condition sine quâ non. Toutes les puissances et l'Angleterre même avaient reconnu ces limites à Francfort. La France, réduite à ses limites anciennes, n'aurait pas aujourd'hui les deux tiers de la puissance relative qu'elle avait il y a vingt ans; ce qu'elle a acquis du côté des Alpes et du Rhin ne compense point ce que la Russie, la Prusse et l'Autriche, ont acquis par le seul démembrement de la Pologne; tous ces états se sont agrandis. Vouloir ramener la France à son état ancien, ce serait la faire déchoir et l'avilir. La France, sans les départements du Rhin, sans la Belgique, sans Ostende, sans Anvers, ne serait rien. Le système de ramener la France à ses anciennes frontières est inséparable du rétablissement des Bourbons; parcequ'eux seuls pourraient offrir une garantie du maintien de ce système: et l'Angleterre le sentait bien: avec tout autre, la paix sur une telle base serait impossible et ne pourrait durer. Ni l'empereur, ni la république, si des bouleversements la faisaient renaître, ne souscriraient jamais à une telle condition. Pour ce qui est de S. M., sa résolution était bien prise, elle était immuable. Elle ne laisserait pas la France moins grande qu'elle ne l'avait reçue. Si donc les alliés voulaient changer les bases acceptées et proposer les limites anciennes, elle ne voyait que trois partis: ou combattre et vaincre, ou combattre et mourir glorieusement, ou enfin, si la nation ne la soutenait pas, abdiquer. Elle ne tenait pas aux grandeurs, elle n'en achèterait jamais la conservation par l'avilissement. Les Anglais pouvaient désirer de lui ôter Anvers; mais ce n'était pas l'intérêt du continent, car la paix ainsi faite ne durerait pas trois ans. Elle sentait que les circonstances étaient critiques, mais elle n'accepterait jamais une paix honteuse. En acceptant les bases proposées, elle avait fait tous les sacrifices absolus qu'elle pouvait faire; s'il en fallait d'autres, ils ne pouvaient porter que sur l'Italie et la Hollande: elle désirait sûrement exclure le stathouder; mais la France conservant ses limites naturelles, tout pourrait s'arranger, rien ne ferait un obstacle insurmontable. S. M. a aussi parlé de Kehl et de Cassel: sans ces deux têtes de pont, a-t-elle dit, Strasbourg et Mayence deviendraient nuls; mais elle croit que les ennemis n'y attacheront pas une extrême importance.

Monsieur le duc de Carignan est venu tantôt m'apporter une lettre du roi, que j'ai portée à l'empereur. Cette lettre est remplie de protestations de reconnaissance et de regrets, mais annonce que le roi est forcé, par la nécessité, d'accepter les propositions de l'Autriche et de l'Angleterre. La date de cette lettre est du 3; les traités n'étaient pas alors signés: ils ne l'étaient pas encore le 6, mais M. de Carignan ne dissimule pas qu'il croit qu'ils le sont maintenant. Le vice-roi va se reporter sur les Alpes. Mantoue et les places fortes seront gardées par les Italiens.

J'écris à la hâte, à traits de plume; il est minuit. Je prie votre excellence de vouloir bien agréer, etc.

Signé la Besnardière.


P. S. Victor vient d'arriver, et me remet le paquet de votre excellence. J'envoie sa dépêche pour l'empereur, au cabinet. Une partie de ses incertitudes est maintenant fixée; j'ose espérer que le reste arrivera aussi à bien.




(Nº 14.) Lettre de M. de la Besnardière
A M. le duc de Vicence.

Paris, le 19 janvier 1814.



Monseigneur,

Une lettre du prince de Metternich, adressée à votre excellence, datée de Bâle le 14, et venue je ne sais par quelle route, a été portée à S. M., qui vous en envoie une copie par une estafette extraordinaire expédiée ce matin à dix heures. S. M. m'ordonne d'en envoyer une autre copie certifiée à votre excellence, qui la trouvera ci-jointe.

Votre excellence a maintenant la lettre que S. M. me dicta le 16 pour elle, et qui s'est croisée avec celle qu'elle a elle-même écrite à S. M. le 17.

Elle a vu que l'empereur sentait le besoin d'un armistice. Quant aux conditions auxquelles il peut être conclu, S. M. m'ordonne de faire connaître à votre excellence que, quelles que soient les circonstances, elle ne consentira jamais à aucune condition déshonorante; et qu'elle regarderait comme déshonorant au plus haut degré, de remettre aucune place française ou de payer aucune somme d'argent quelconque: mais que pour racheter de l'occupation de l'ennemi une portion quelconque du territoire français, elle consentirait à remettre en Italie Venise et Palma-Nova, et en Allemagne Magdebourg et Hambourg; bien entendu que les garnisons reviendraient libres en France, et que les magasins, l'artillerie que S. M. a mise dans ces places, et les vaisseaux de guerre qui sont sa propriété, lui seraient réservés.

S. M. m'ordonne d'ajouter qu'elle n'a jamais exigé d'argent pour prix, soit d'un armistice, soit de la paix: qu'elle a seulement exigé, en signant la paix, le solde des contributions qu'elle avait frappées sur les pays qu'elle avait occupés par ses armées; ce que l'ennemi ne saurait demander, puisqu'il n'a point frappé de contributions en France.

Quant au traité de paix, l'empereur me charge de dire à votre excellence que la France devra conserver ses limites naturelles sans restriction ni diminution quelconque, et que c'est là une condition sine quâ non dont il ne se départira jamais.

Daignez agréer, etc.
Signé la Besnardière.





(Nº 15.) Lettre du prince de Metternich
A M. le duc de Vicence.

Bâle, le 14 janvier 1814.



Monsieur le duc,

Lord Castlereagh étant sur le point d'arriver et LL. MM. II. et RR. désirant éviter tout retard, elles me chargent de proposer à votre excellence de se rapprocher dès à présent de l'endroit où, dans les circonstances actuelles, il sera le plus convenable d'établir le siége des négociations; c'est en conséquence sur Châtillon-sur-Seine que je prie votre excellence de se diriger; je ne doute pas que lorsqu'elle y sera arrivée, je ne sois à même de lui indiquer le jour et le lieu où les négociateurs pourront se réunir.

Signé le prince de Metternich.






MANUSCRIT

DE

MIL HUIT CENT QUATORZE.




SECONDE PARTIE.

JOURNAL DE LA CAMPAGNE.

(Du 24 janvier 1814 au 31 mars suivant.)

Acer et indomitus, quò spes, quòque ira vocasset
Ferre manum, et nunquam temerando parcere ferro,
Successus urgere suos, instare favori
Numinis....

Lucain, Pharsale.

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