Mathématiques et Mathématiciens: Pensées et Curiosités
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Title: Mathématiques et Mathématiciens: Pensées et Curiosités
Compiler: A. Rebière
Release date: February 3, 2013 [eBook #41991]
Most recently updated: October 23, 2024
Language: French
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generously made available for scanning by the Department
of Mathematics at the University of Glasgow.)
MATHÉMATIQUES
ET
MATHÉMATICIENS
DU MÊME AUTEUR
À LA MÊME LIBRAIRIE
LES FEMMES DANS LA SCIENCE
Un beau vol. in-8, IX-362 pp.,
orné de portraits, autographes et fac-simile .... 5 fr.
MATHÉMATIQUES
ET
MATHÉMATICIENS
PENSÉES ET CURIOSITÉS
Recueillies
PAR
A. REBIÈRE
TROISIÈME ÉDITION
AMÉLIORÉE
PARIS
LIBRAIRIE NONY & Cie
17, RUE DES ÉCOLES, 17
1898
(Tous droits réservés)
Nous n'avons pas voulu grossir encore un volume déjà trop gros. Nous nous sommes bornés à améliorer l'édition précédente, par la méthode des substitutions. Les lecteurs trouveront ainsi des parties nouvelles aux pages 14, 22, 166, 228, 261, 289, 302, 362, 418, 422, etc., etc.
M. de Tilly a dit: «Les Mathématiques régissent le monde, mais elles le régissent sans l'amuser.» Stendhal l'avait déjà déclaré: «C'est la patrie du bâillement et du raisonnement triste.» Nous nous sommes permis quand même, sur un sujet austère, quelques sourires mesurés.
Nous venons de donner à notre livre un frère, ou plutôt une sœur, qui s'appelle Les femmes dans la science. Voulez-vous connaître les mathématiciennes et autres savantes? Aimez-vous les portraits et les autographes?
Paris, le 15 mars 1897.
MORCEAUX CHOISIS
ET PENSÉES
Les généralités qui suivent se rapportent aux principes, aux méthodes, à la classification, à l'enseignement et à l'histoire des Mathématiques. Nous les avons puisées à bonne source, dans les savants et les penseurs anciens et modernes.
OBJET ET CARACTÈRE DES MATHÉMATIQUES
De quoi s'occupent les mathématiques, si ce n'est de la proportion et de l'ordre?
Aristote.
Je me demandai d'abord ce que tout le monde entendait précisément par ce mot (mathématiques), et pourquoi on regardait comme faisant partie des mathématiques, non seulement l'arithmétique et la géométrie, mais encore l'astronomie, la musique, l'optique, la mécanique et plusieurs autres sciences.
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Il n'est personne, pour peu qu'il ait touché seulement le seuil des écoles, qui ne distingue facilement, parmi les objets qui se présentent à lui, ceux qui se rattachent aux mathématiques, et ceux qui appartiennent aux autres sciences. En réfléchissant à cela, je découvris enfin qu'on ne devrait rapporter aux mathématiques que toutes les choses dans lesquelles on examine l'ordre ou la mesure, et qu'il importe peu que ce soit dans les nombres, les figures, les astres, les sons ou dans tout autre objet qu'on cherche cette mesure.
Descartes.
Les spéculations mathématiques ont pour caractère commun et essentiel de se rattacher à deux idées ou catégories fondamentales: l'idée d'ordre sous laquelle il est permis de ranger... les idées de situation, de configuration, de forme et de combinaison; et l'idée de grandeur qui implique celles de quantité, de proportion et de mesure.
Cournot.
La validité de l'analyse algébrique dépend, non de l'interprétation des symboles employés, mais uniquement des lois de leurs combinaisons... La mathématique abstraite et générale n'a pas seulement pour objet des notions de quantités numériques, géométriques ou mécaniques: elle traite des opérations en elles-mêmes, indépendamment des matières diverses auxquelles elles peuvent être appliquées.
Liard.
Nous sommes donc parvenus maintenant à définir avec exactitude la science mathématique, en lui assignant pour but la mesure indirecte des grandeurs et en disant qu'on s'y propose constamment de déterminer les grandeurs les unes par les autres, d'après les relations précises qui existent entre elles. Cet énoncé, au lieu de donner l'idée d'un art, caractérise immédiatement une véritable science, et la montre sur-le-champ composée d'un immense enchaînement d'opérations intellectuelles qui pourront évidemment devenir très compliquées, à raison de la suite d'intermédiaires qu'il faudra établir entre les quantités inconnues et celles qui comportent une mesure directe... D'après cette définition, l'esprit mathématique consiste à regarder toujours comme liées entre elles, toutes les quantités que peut présenter un phénomène quelconque, dans la vue de les déduire les unes des autres.
Aug. Comte.
À propos de cette citation, Hoppe, de Berlin, fait remarquer qu'il s'agit aussi en Mathématiques de l'équivalence des opérations.
La définition la plus généralement reçue des mathématiques est celle-ci: les mathématiques sont la science des grandeurs. Cette définition est vraie au fond, mais elle est superficielle et demande explication.
De quelles grandeurs s'agit-il en mathématiques? Est-ce de toute grandeur en général? Non, car alors tout serait objet des mathématiques, puisque tout est grandeur, si du moins on se contente de définir la grandeur comme on le fait d'ordinaire: «ce qui est susceptible d'augmentation ou de diminution;» car cela s'applique à tout; une chose peut être plus ou moins belle, une action plus ou moins bonne, un plaisir plus ou moins vif, un homme plus ou moins spirituel; ce ne sont pas là des grandeurs mathématiques. Pourquoi? Parce que ce ne sont pas là des grandeurs mesurables. Qu'est-ce qu'une grandeur mesurable et, en général, qu'est-ce que mesurer? C'est comparer une grandeur quelconque à une grandeur donnée prise pour unité. Mesurer une route, c'est comparer la longueur de la route à une unité de longueur qu'on appelle le mètre, et dire combien de fois elle comprend cette unité. Mais qui pourra dire, par exemple, combien de fois le talent de Catulle est contenu dans le génie d'Homère?
Il n'y a donc que les grandeurs mesurables qui soient l'objet des mathématiques. De là cette nouvelle définition: c'est la science de la mesure des grandeurs.
Cette définition est plus juste que la précédente; mais elle est encore superficielle. En effet, mesurer ne semble guère en réalité qu'une opération purement mécanique. Or c'est là l'objet d'un art et non d'une science. L'arpentage n'est pas la géométrie. C'est l'arpenteur qui mesure, c'est le géomètre qui fournit les moyens de mesurer. La mesure n'est donc pas l'objet immédiat de la science. Elle n'en est que l'objet indirect et éloigné. Voyons comment elle peut devenir un objet vraiment scientifique.
La comparaison directe et immédiate d'une grandeur quelconque à l'unité est, la plupart du temps, impossible. Par exemple, si je demande combien il y a d'arbres dans une forêt, je ne puis le savoir qu'en comptant les arbres un à un, ce qui demanderait un temps infini. Il en est de même dans la plupart des cas. Prenons le plus facile: la mesure d'une ligne droite par la superposition d'une de ses parties. Cela suppose: 1o que nous pouvons parcourir la ligne, ce qui exclut les longueurs inaccessibles (par exemple la distance des corps célestes); 2o que la ligne ne soit ni trop grande, ni trop petite, qu'elle soit convenablement située: par exemple horizontale, non verticale. Si cela est vrai des lignes droites, cela est vrai à plus forte raison des lignes courbes, des surfaces, des volumes, et à plus forte raison encore des vitesses, des forces, etc. Comment toutes ces quantités peuvent-elles être mesurées? C'est là le problème qui rend nécessaire les mathématiques.
Les mathématiques, dans leur essence même, ont donc pour objet de ramener les grandeurs non immédiatement mesurables à des grandeurs immédiatement mesurables. C'est par là qu'elles sont une science. En effet, l'intervalle qui sépare une grandeur à mesurer de la grandeur immédiatement mesurable peut être plus ou moins grand. De là une série de réductions, depuis la grandeur la plus éloignée jusqu'à la plus prochaine; et c'est la réduction de ces grandeurs les unes aux autres qui constitue la science; soit, par exemple, à mesurer la chute verticale d'un corps pesant. Il y a ici deux quantités distinctes: la hauteur d'où le corps est tombé, et le temps de la chute. Or ces deux quantités sont liées l'une à l'autre; elles sont, comme on dit en mathématique, fonction l'une de l'autre. D'où il suit que l'on peut mesurer l'une par l'autre; par exemple dans le cas d'un corps tombant dans un précipice, on mesure la hauteur de la chute par le temps qu'il met à tomber; en d'autres cas, au contraire, le temps n'étant pas directement observable, sera déduit de la hauteur. Si donc on trouve une loi qui lie ces deux quantités et qui permette de conclure de l'une à l'autre, on aura réduit une grandeur non mesurable directement à une autre qui peut l'être. C'est là un problème mathématique. Autre exemple. Comment mesurer la distance des corps célestes qui sont inaccessibles? On regardera cette distance comme faisant partie d'un triangle, dont on connaîtra un côté et deux angles. Or, la géométrie nous apprend dans ce cas à découvrir les deux côtés du triangle, et par conséquent nous donne le moyen de construire le triangle dans lequel il suffira de tirer une ligne du sommet à la base pour avoir la distance réelle. Maintenant, la distance étant connue, on peut, du diamètre apparent conclure le diamètre réel, passer de là au volume et même au poids, en y ajoutant d'autres éléments.
Paul Janet.
Le mathématicien prépare d'avance des moules que le physicien viendra plus tard remplir.
Taine.
En d'autres termes, l'ordre mathématique inspire la conception de l'ordre physique.
Les mathématiques offrent ce caractère particulier et bien remarquable que tout s'y démontre par le raisonnement seul, sans qu'on ait besoin de faire aucun emprunt à l'expérience, et que néanmoins tous les résultats obtenus sont susceptibles d'être confirmés par l'expérience, dans les limites d'exactitude que l'expérience comporte. Par là, les mathématiques réunissent au caractère de science rationnelle, celui de science positive, dans le sens que la langue moderne donne à ce mot.
Cournot.
Les mathématiques forment pour ainsi dire un pont entre la métaphysique et la physique.
Kant.
D'après Leibniz, il n'y a de mesure que «là où il y a antérieurement de l'ordre.» On peut dire, par suite, que les mathématiques sont la science de l'ordre.
Quelques-uns ont prétendu que toute la partie des mathématiques qui n'est susceptible d'aucune vérification expérimentale devrait être transportée dans la philosophie. Tels seraient les nombres incommensurables et, à plus forte raison, les nombres négatifs et imaginaires. Mais on est arrivé à interpréter ces symboles d'une façon concrète, et du reste cette limitation si étroite et si arbitraire des mathématiques les restreindrait à presque rien.
Les vérités géométriques sont en quelque sorte l'asymptote des vérités physiques, c'est-à-dire le terme dont celles-ci peuvent indéfiniment approcher, sans jamais y arriver exactement.
d'Alembert.
Les figures géométriques sont de pures conceptions de l'esprit et cependant la géométrie n'est pas seulement une science spéculative très propre à développer les facultés intellectuelles.....; mais elle est encore utile par ses nombreuses applications aux arts. Cela tient à ce que les volumes de certains corps, leurs surfaces, les portions communes à deux portions de ces surfaces peuvent être regardés comme étant sensiblement des volumes, des surfaces et des lignes géométriques.
Compagnon.
Avec des définitions précises et des axiomes certains, la Mathématique établit des déductions sûres tant que le raisonnement se maintient dans les voies de l'évidence logique. C'est pourquoi la science des grandeurs porte, à l'exclusion de toute autre, le titre glorieux d'«exacte».
Cela signifie surtout que, moins qu'aucune autre, elle est sujette à l'erreur. La perception a ses méprises, la conception ses lacunes, l'induction ses témérités, l'opinion ses dissidences, l'observation ses mécomptes, l'expérience ses égarements. Seule, la déduction ne trompe point, quand elle suit la loi du raisonnement. La science qu'elle établit progresse avec plus ou moins de lenteur; mais ses vérités une fois démontrées, sont parfaites, définitives, et ne changent plus.
La théorie des grandeurs est l'unique exemple d'une construction scientifique ne laissant rien à désirer..... À ce titre, elle méritait le nom de «science par excellence» (mathésis) que les Grecs lui avaient donné. Elle est la science type, l'idéal de connaissance certaine proposé pour modèle à toutes les sciences de fait, mais dont celles-ci ne se rapprochent qu'en lui empruntant sa méthode et en subordonnant leurs mensurations à ses lois.
Bourdeau.
Dire que les mathématiques ne laissent rien à désirer, c'est trop dire. Là aussi, il reste encore des questions à élucider.
Ce qui est acquis dans les sciences de démonstration, dans les mathématiques, par exemple, est absolument parfait; ce qui est acquis dans les sciences d'observation est indéfiniment perfectible et conséquemment variable, ou du moins conserve ce caractère jusqu'au moment où la démonstration devient possible.
Duval-Jouve.
Les mathématiques ont des inventions très subtiles et qui peuvent beaucoup servir, tant à contenter les curieux qu'à faciliter tous les arts et à diminuer le travail des hommes.
Descartes.
Les objets de la Géométrie, disent-ils, n'ont aucune réalité et ne peuvent exister; des lignes sans largeur, des surfaces sans profondeur, un point mathématique, c'est-à-dire sans longueur, largeur, ni épaisseur, sont des êtres de raison, de pures chimères. Il en est de même des figures dont la Géométrie démontre les propriétés; il n'y a et il ne saurait y avoir aucun cercle parfait, aucune sphère parfaite: ainsi, concluent-ils, cette science ne s'occupe que d'objets chimériques et impossibles...
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... Il importe peu aux géomètres qu'il existe physiquement une sphère parfaite, un plan parfait; ces figures ne sont que les limites intellectuelles des grandeurs matérielles qu'ils considèrent, et ce qu'ils démontrent à l'égard de ces limites est d'autant plus vrai pour les corps matériels, qu'ils en approchent davantage...
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... Mais insistera-t-on peut-être... demandera-t-on si ces corps doués de figures parfaites sont possibles?...
... Il suffit aux Géomètres que l'idée métaphysique de ces figures soit claire et évidente pour servir de fondement à leurs recherches, et pour que leurs conséquences jouissent de la même évidence et de la même clarté.
Montucla.
Les ennemis de la Géométrie, ceux qui ne la connaissent qu'imparfaitement, regardent les problèmes théoriques, qui en forment la partie la plus difficile, comme des jeux d'esprit qui absorbent un temps et des méditations qu'on pourrait mieux employer; opinion fausse et très nuisible au progrès des sciences, si elle pouvait s'accréditer. Mais, outre que les propositions spéculatives, d'abord stériles en apparence, finissent souvent par s'appliquer à des objets d'utilité publique, elles subsisteront toujours comme un des moyens les plus propres à développer et à faire connaître toutes les forces de l'intelligence humaine.
Bossut.
La science des grandeurs, considérée dans son ensemble, a une parfaite unité que le mot «Mathématiques» (au pluriel) paraît méconnaître, en faisant présumer un groupe de sciences plutôt qu'une science unique.
Il serait préférable, comme l'avait proposé Condorcet, et comme Auguste Comte en donne l'exemple, de dire «la Mathématique», afin de mieux marquer l'unité générale de la science des grandeurs. Il est d'ailleurs à noter que cette réforme nous remet dans le vrai courant de la langue.
Le terme «Mathématique» était usité au xviie siècle et se lit trois fois dans une page de la notice sur Pascal, par Mme Périer, sa sœur.
La Mathématique n'est pas seulement une science, mais la science; et son nom ne signifie que cela; car pour les Grecs c'était la seule science.
Le matelot qu'une exacte observation de la longitude préserve du naufrage, doit la vie à une théorie conçue, deux mille ans auparavant[1], par les hommes qui avaient en vue de simples spéculations géométriques.
Condorcet.
C'est par les sciences mathématiques qu'il convient de commencer la série des connaissances humaines, parce que ce sont celles qui exigent pour point de départ et qui ont pour objet un plus petit nombre d'idées. De plus, on peut étudier les vérités dont elles se composent sans recourir aux autres branches de nos connaissances, et celles-ci leur empruntent, au contraire, de nombreux secours, tels par exemple que les théorèmes et les calculs sur lesquels s'appuient les sciences physiques et industrielles; la mesure des champs et le calendrier, si nécessaires à l'agriculture; la mesure précise des différents degrés de probabilité de celles de nos connaissances qui ne sont pas susceptibles d'une certitude complète, et les exemples les plus frappants de la diversité des méthodes que la philosophie doit examiner; la détermination des lieux et des temps, bases de la géographie et de l'histoire; et, parmi les sciences politiques, où leurs applications sont si nombreuses, quels indispensables secours ne prêtent-elles pas surtout à toutes les parties de l'art militaire?
Ampère.
NOTIONS PRIMITIVES
On trouvera peut-être étrange que la géométrie[2] ne puisse définir aucune des choses qu'elle a pour principaux objets; car elle ne définit ni le mouvement, ni le nombre, ni l'espace; et cependant ces trois choses sont celles qu'elle considère particulièrement... Mais on n'en sera pas surpris, si l'on remarque que cette admirable science ne s'attachant qu'aux choses les plus simples, cette même qualité qui les rend dignes d'être ses objets, les rend incapables d'être définies; de sorte que le manque de définition est plutôt une perfection qu'un défaut, parce qu'il ne vient pas de leur obscurité, mais au contraire de leur extrême évidence...
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... Quand elle (la géométrie) est arrivée aux premières vérités connues, elle s'arrête là et demande qu'on les accorde, n'ayant rien de plus clair pour les prouver; de sorte que tout ce que la géométrie propose est parfaitement démontré, ou par la lumière naturelle, ou par les preuves. De là vient que si cette science ne définit et ne démontre pas toutes choses, c'est par cette seule raison que cela nous est impossible.
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... Se tenir dans ce milieu de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes et de définir toutes les autres; et de ne point prouver toutes les choses connues des hommes, et de prouver toutes les autres. Contre cet ordre pèchent également ceux qui entreprennent de tout définir et de tout prouver, et ceux qui négligent de le faire dans les choses qui ne sont pas évidentes d'elles-mêmes.
Pascal.
Il est des notions premières qu'on est en droit de supposer aux élèves. Elles serviront à leur donner d'autres connaissances. Nous ne chercherons pas à les éclaircir elles-mêmes, parce que les explications n'ont pour but que de ramener ce que l'on ne connaît pas à ce que l'on connaît et qu'il faut par conséquent admettre a priori certaines notions, certaines idées par leur simple énoncé, ou par la simple dénomination par laquelle on les a désignées.
Duhamel.
La figure est inhérente à l'objet, le nombre dépend de l'unité.
C'est dans la sphère propre de l'esprit, et bien au delà des résultats de l'observation, non dans ces résultats eux-mêmes, qu'il faut chercher la véritable source des idées géométriques, quoique leur point d'application soit plus bas, dans la sphère expérimentale, là où la matière et l'esprit se joignent et où les idées, prenant corps, nous deviennent en quelque sorte palpables.
Le monde idéal a son autonomie, ses lois distinctes, comme le monde physique. Mais ils s'appellent l'un l'autre, l'harmonie règne entre eux, jusqu'à un haut degré d'approximation qui d'ailleurs nous échappe.
Boussinesq.
L'origine des notions mathématiques a donné lieu à des controverses encore pendantes parmi les philosophes. Pour les uns, nombres et figures sont des types créés de toutes pièces par l'esprit, et qui s'imposent aux choses de l'expérience, en vertu d'une mystérieuse concordance entre la pensée et la réalité extérieure. Pour les autres, au contraire, nombres et figures ne font pas exception à cette loi générale d'après laquelle toute connaissance dériverait, soit directement, soit indirectement, de l'expérience sensible. Dans un cas, les notions mathématiques seraient des modèles; dans l'autre, elles seraient des copies.
Ce n'est pas le lieu d'entrer dans cette controverse et de peser les raisons invoquées de part et d'autre. Il nous suffira de constater deux faits: en premier lieu, quelque opinion qu'on professe sur l'origine des notions mathématiques, on ne contestera pas qu'elles ne sont pas des représentations absolument exactes des réalités extérieures. L'unité est divisible en parties rigoureusement égales; il n'en est pas ainsi d'un objet réel; jamais la moitié, le quart, le dixième de cet objet ne sera rigoureusement égal à l'autre moitié, à chacun des trois autres quarts, à chacun des neuf autres dixièmes, et même plus les subdivisions se multiplieront, plus l'inégalité réelle des parties augmentera. Le cercle des géomètres a des rayons absolument égaux; jamais il n'en sera ainsi des rayons d'un cercle réel; tous les points d'une surface sphérique sont équidistants du centre; jamais il n'en sera ainsi des rayons d'une sphère matérielle. En second lieu, le mathématicien considère souvent des nombres et des figures dont il n'a jamais trouvé les modèles dans la réalité. Toute division d'un objet réel en parties égales a une limite que nos sens et nos instruments de précision, même les plus perfectionnés, sont impuissants à franchir; cette limite, la pensée du mathématicien la franchit aisément, et au delà des plus petites divisions possibles d'un objet, il conçoit d'autres divisions encore et toujours à l'infini; de même il est des limites à l'addition des objets; il n'en est pas à celle des unités mathématiques; la nature a bien vite cessé de fournir; la numération ne s'arrête jamais. De même en géométrie, si variées que soient les formes réalisées dans la nature, il en est dont le géomètre étudie les propriétés, sans les avoir jamais rencontrées dans le monde extérieur. Qui a vu un polygone régulier d'un millier de côtés?
Il résulte de ce double fait que, même dans le cas où l'esprit tirerait de l'expérience les premiers éléments dont il compose les notions mathématiques, il les élabore, les transforme, et ne tarde pas à s'affranchir des suggestions expérimentales. Il procède alors comme s'il les tirait de son propre fonds. Aussi, sans prendre ici part dans ce conflit de doctrines sur l'origine première des notions mathématiques, on peut et on doit considérer ces notions comme des constructions faites par l'esprit suivant des lois qu'il pose, constructions qui sont en partie, mais en partie seulement et imparfaitement reproduites par la réalité sensible.
Liard.
L'étendue n'existe qu'avec trois dimensions; mais, pour la considérer suivant la méthode analytique, on commence par la dépouiller de deux de ses dimensions et en la réduisant ainsi à une seule, on a l'idée de la ligne. Si, dans cette idée, on écarte tout rapport avec deux dimensions, on a l'idée de la ligne droite; car, quoiqu'une ligne courbe n'ait qu'une dimension, cependant l'idée de courbure suppose nécessairement la considération de deux dimensions. L'extrémité de la ligne forme le point, qui est la dernière abstraction de l'entendement dans la considération de l'étendue. La surface est l'étendue envisagée avec deux dimensions et si, dans cette idée, on fait entièrement abstraction de la troisième, on a l'idée du plan. Enfin l'étendue avec ses trois dimensions forme le solide.
Laplace.
L'espace étant nécessairement homogène, il suit qu'on peut le concevoir divisé en deux parties telles qu'on ne puisse rien dire de l'une qui ne puisse se dire également de l'autre; telles, de plus, que leur limite commune ait à chacune d'elles les mêmes rapports, soit qu'on la considère en son entier, soit qu'on n'en considère qu'une partie. C'est cette limite qu'on appelle plan, et le plan, comme l'espace, peut être conçu divisé en deux parties telles, qu'on ne puisse rien dire de l'une qui ne puisse se dire également de l'autre; telles, de plus, que leur limite commune ait à chacune d'elles les mêmes rapports, soit qu'on la considère en son entier, soit qu'on n'en considère qu'une partie...
Bertrand, de Genève.
La série des axiomes géométriques habituellement adoptée est à la fois insuffisante et surabondante. Elle est insuffisante parce que, en réalité, on suppose plusieurs faits non énoncés; mais elle est en même temps surabondante, parce qu'on y admet des faits qui peuvent être rigoureusement démontrés au moyen de ceux qu'il faut admettre comme axiomes....
Les axiomes de la géométrie peuvent se réduire à trois, savoir: celui de la distance et de ses propriétés essentielles, celui de l'augmentation indéfinie de la distance et celui de la parallèle unique.
de Tilly.
L'étude de la mécanique, succédant à la géométrie, peut être considérée comme le développement de trois idées fondamentales, qui existent dans l'esprit humain antérieurement à tout enseignement scientifique: ce sont les idées de force, de temps et de masse. Ces idées sont irréductibles et on ne peut pas plus définir la force, le temps ou la masse qu'on ne peut définir l'étendue.
Ch. Simon.
Quelque objet que les mathématiques considèrent, elles le dépouillent de toutes ses qualités sensibles, de toutes ses propriétés individuelles; bientôt il n'est plus qu'un rapport abstrait de nombre ou de grandeur: on désigne ce rapport par une lettre ou une ligne; l'objet lui-même est alors oublié, il cesse d'exister pour les mathématiques. Ces signes, arbitraires en apparence, sont l'unique objet de leurs méditations; c'est sur eux seuls qu'elles opèrent, et ce n'est qu'après être parvenu au dernier résultat que revenant sur leurs premières opérations, elles appliquent ce résultat à l'objet réel dont elles avaient cessé de s'occuper. Les vérités certaines, trouvées par cette méthode, paraissent au premier coup d'œil n'être que des vérités intellectuelles et abstraites: on a pu les prendre pour des propositions identiques, en oubliant que les combinaisons diverses des mêmes éléments ne sont pas une même chose. On serait encore plus tenté de croire qu'elles n'appartiennent point à la nature réelle. Mais ce serait une erreur: car elles sont des vérités réelles, si l'objet auquel vous les avez appliquées existe dans la nature tel que vous l'avez supposé.
Condorcet.
MÉTHODES
1o N'entreprendre de définir aucune des choses tellement connues d'elles-mêmes, qu'on n'ait point de termes plus clairs pour les exprimer.
2o N'admettre aucun des termes un peu obscurs ou équivoques, sans définition.
3o N'employer dans les définitions que des termes parfaitement connus ou déjà expliqués.
4o N'omettre aucun des principes nécessaires, sans avoir demandé si on l'accorde, quelque clair et évident qu'il puisse être.
5o Ne demander en axiomes que des choses parfaitement évidentes d'elles-mêmes.
6o N'entreprendre de démontrer aucune des choses qui sont tellement évidentes d'elles-mêmes, qu'on n'ait rien de plus clair pour les prouver.
7o Prouver toutes les propositions un peu obscures, en n'employant à leur preuve que des axiomes très évidents d'eux-mêmes ou des propositions déjà démontrées ou accordées.
8o N'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant de substituer mentalement les définitions qui les restreignent et les expliquent.
Pascal.
Lorsque l'on aura à trouver la démonstration d'une proposition énoncée, on cherchera d'abord si elle peut se déduire comme une conséquence nécessaire de propositions admises, auquel cas, elle devra être admise elle-même, et sera par conséquent démontrée. Si l'on n'aperçoit pas de quelles propositions connues elle pourrait être déduite, on cherchera de quelle proposition non admise elle pourra l'être, et alors la question sera ramenée à démontrer la vérité de cette dernière. Si celle-ci peut se déduire de propositions admises, elle sera reconnue vraie, et par suite la proposée; sinon, on cherchera de quelle proposition non encore admise elle pourrait être déduite, et la question serait ramenée à démontrer la vérité de cette dernière. On continuera ainsi jusqu'à ce que l'on parvienne à une proposition reconnue vraie: et alors la vérité de la proposée sera démontrée.
On voit que cette méthode, que l'on appelle analyse, consiste à établir une chaîne de propositions commençant à celle qu'on veut démontrer, finissant à une proposition connue et telle qu'en partant de la première, chacune soit une conséquence nécessaire de celle qui la suit; d'où il résulte que la première est une conséquence de la dernière, et, par conséquent, vraie comme elle.
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La méthode synthétique consiste à partir de propositions reconnues vraies, à en déduire d'autres comme conséquences nécessaires, de celles-ci de nouvelles, jusqu'à ce qu'on parvienne à la proposée, qui se trouve alors reconnue elle-même comme vraie. Elle n'est donc qu'une méthode de déduction. D'où l'on voit que, si l'on connaissait la démonstration analytique d'un théorème, on en obtiendrait immédiatement la démonstration synthétique en renversant l'ordre des propositions.
Duhamel.
Il est en mathématiques une méthode pour la recherche de la vérité, que Platon passe pour avoir inventée, que Théon a nommée analyse et qu'il a définie ainsi: Regarder la chose cherchée, comme si elle était donnée, et marcher de conséquences en conséquences, jusqu'à ce que l'on reconnaisse comme vraie la chose cherchée. Au contraire, la synthèse se définit: Partir d'une chose donnée, pour arriver, de conséquences en conséquences, à trouver une chose cherchée.
Viète.
On peut remarquer que la méthode analytique qui est une méthode rigoureuse par réduction, en réalité identique à la méthode synthétique par déduction, n'est pas la même que l'analyse des Anciens, qui était déductive et était une sorte d'expérimentation sur la vérité à démontrer.
Aujourd'hui nous ne faisons plus de synthèse, parce qu'il est de règle de ne procéder en analyse que par conclusions immédiatement réversibles. «Si A est vrai, B est vrai» n'est employé que si l'on peut dire: «B est vrai, donc A est vrai.» Il est rare que les Anciens aient été assez assurés de la pratique de leurs procédés pour se croire dispensés de la contre-épreuve, la synthèse après l'analyse.
P. Tannery.
Si vous substituez à une proposition ou à une question, une proposition ou une question plus générale, vous pouvez trouver des solutions en plus, des solutions étrangères.
Par contre, si la nouvelle proposition ou la nouvelle question est moins générale, vous pouvez perdre des solutions.
Voici, d'après la Logique de Port-Royal, quelques défauts qui se rencontrent dans la méthode des géomètres:
1o Avoir plus de soin de la certitude que de l'évidence, et de convaincre l'esprit que de l'éclairer.
2o Démonstration par l'impossible.
3o Démonstrations tirées par des voies trop longues.
4o N'avoir aucun soin du vrai ordre de la nature.
5o Ne point se servir de divisions et de partitions.
Il serait à désirer qu'on ne laissât pas autant dans l'oubli certains résultats des travaux des géomètres des siècles passés, et qu'on revînt un peu sur les principes presque toujours faciles et souvent ingénieux à l'aide desquels les grands hommes de ces temps-là y étaient parvenus; car ce ne sont pas tant les vérités particulières que les méthodes qu'il ne faut pas laisser périr.
Poncelet.
Pour bien faire sentir la différence entre les résultats de la méthode expérimentale et inductive et les résultats de la méthode mathématique, supposons qu'un malin génie..... se plaise à nous embrouiller dans nos opérations, à créer ou à annihiler un objet entre nos doigts, au moment où nous comptons quel nombre d'objets font deux groupes de cinq objets, à faire varier les angles du triangle que nous mesurons, ou les angles du rapporteur qui nous sert d'unité de mesure; nous n'aurons aucun moyen de découvrir la supercherie, nous enregistrerons ingénument les divers résultats obtenus, et nous conclurons en toute sécurité de conscience, que les angles d'un triangle valent tantôt deux droits, tantôt plus, tantôt moins; et que cinq et cinq font, suivant le cas, dix, douze ou tout autre nombre.
Mais si nous avons une fois démontré rationnellement que cinq et cinq font dix, que les angles d'un triangle valent deux angles droits, alors, quand même un malin génie, intervenant lorsque nous voulons vérifier expérimentalement ces vérités, brouillerait nos comptes et nos mesures, nous n'en maintiendrions pas moins la vérité absolue de notre démonstration faite dans l'abstrait, et nous en conclurions seulement que, pour des raisons à nous inconnues, ces vérités se trouvent modifiées dans le concret par l'association, dans les objets réels, de propriétés de divers genres aux propriétés mathématiques.
Rabier.
Les questions aisées doivent être traitées par des moyens également faciles; il faut réserver l'analyse savante pour les questions qui exigent les grands moyens et il ne faut pas ressembler à ce personnage de la Fable, qui, pour se délivrer d'une puce, voulait emprunter à Jupiter sa foudre ou à Hercule sa massue.
Delambre.
C'est une remarque que nous pouvons faire dans toutes nos recherches mathématiques: ces quantités auxiliaires, ces calculs longs et difficiles où l'on se trouve entraîné, y sont presque toujours la preuve que notre esprit n'a point, dès le commencement, considéré les choses en elles-mêmes et d'une vue assez directe, puisqu'il nous faut tant d'artifices et de détours pour y arriver; tandis que tout s'abrège et se simplifie, sitôt que l'on se place au vrai point de vue.
Poinsot.
Les définitions géométriques ne précèdent jamais l'apparition des figures qu'il s'agit d'étudier; elles les suivent, au contraire, et les fixent. Ce n'est qu'après avoir démontré qu'une figure est possible et unique, qu'il est permis de résumer par un mot, le résultat de cette démonstration, et de regarder conventionnellement ce mot comme l'équivalent ou comme la définition de la figure.
J. F. Bonnel.
Il semble que dans l'état actuel des sciences mathématiques, le seul moyen d'empêcher que leur domaine devienne trop vaste pour notre intelligence, c'est de généraliser de plus en plus les théories que ces sciences embrassent, afin qu'un petit nombre de vérités générales et fécondes soit, dans la tête des hommes, l'expression abrégée de la plus grande variété de faits particuliers.
Charles Dupin.
L'étendue et les progrès de la géométrie sont tels que, plutôt que de se refuser à toute étude des nouvelles méthodes, il faudra peut-être avant peu tenir compte seulement des méthodes générales, afin d'avoir en sa possession un plus grand nombre de moyens pour arriver à la connaissance des vérités dont on a besoin. Il est effectivement impossible désormais d'avoir présentes à l'esprit toutes les vérités qui sont découvertes.
Bellavitis.
Voulant résoudre quelque problème, on doit d'abord le considérer comme déjà fait, et donner des noms à toutes les lignes qui semblent nécessaires pour le construire, aussi bien à celles qui sont inconnues qu'aux autres. Puis, sans considérer aucune différence entre ces lignes connues et inconnues..... on cherche à exprimer une même quantité en deux façons, ce qui se nomme une équation..... On doit trouver autant de telles équations qu'on a supposé de lignes qui étaient inconnues.
Descartes.
Certaines parties d'une figure, considérées dans un état général de construction, peuvent être indifféremment réelles ou imaginaires. Or il arrive souvent que ces parties servent utilement, dans le cas de la réalité, à la démonstration d'un théorème, et que cette démonstration n'a plus lieu quand ces mêmes parties deviennent imaginaires. Alors on dit qu'en vertu du principe de continuité le théorème démontré dans le premier cas s'étend au second, et on l'énonce d'une manière générale. Quelquefois le contraire a lieu, et c'est quand certaines parties d'une figure sont imaginaires, que l'on y trouve les éléments d'une démonstration facile, dont on applique les conséquences, en vertu du principe de continuité, au cas où ces mêmes parties sont réelles et où la démonstration n'existe plus.
Chasles.
Un jour qu'il présidait un concours d'agrégation, Poisson, oubliant un instant le candidat qu'il avait à juger, prit la parole et développa ceci: qu'il y a en géométrie quatre méthodes: méthode de superposition; méthode de réduction à l'absurde; méthode des limites; méthode infinitésimale. La superposition, disait-il, n'est applicable que dans très peu de cas; la réduction à l'absurde suppose la vérité connue, et prouve alors qu'il ne peut pas en être autrement, mais sans montrer pourquoi. La méthode des limites, plus généralement applicable que les deux autres, suppose la vérité connue, et ce n'est, par conséquent, pas davantage une méthode d'investigation; ce sont trois méthodes de démonstration applicables chacune, dans certains cas, aux vérités déjà connues. Au contraire, la méthode des infiniment petits se trouve être à la fois une méthode, générale et toujours applicable, et de démonstration et d'investigation.
Gratry.
On peut établir dans les Mathématiques une autre classification, fondée non plus sur l'objet de la science, mais sur ses méthodes. À ce nouveau point de vue, nous aurions à distinguer deux sortes d'Analyse:
1o Celle des quantités discontinues;
2o Celle des quantités continues.
Dans la première, on cherche les relations qui existent entre certaines quantités fixes données a priori. Cette méthode est employée dans les parties élémentaires des Mathématiques, et plus spécialement en Arithmétique et au début de la Géométrie, sauf pour un petit nombre de théorèmes fondamentaux, dont la démonstration exige la notion des quantités incommensurables.
Dans l'Analyse des quantités continues, on considère au contraire les éléments de la question proposée comme susceptibles de varier par degrés insensibles et l'on cherche à déterminer les lois qui régissent leurs variations simultanées.
Cette méthode dont Euclide et Archimède avaient donné autrefois de remarquables exemples, était tombée en oubli pendant plusieurs siècles, lorsque la mémorable découverte de Descartes sur l'application de l'Algèbre à la théorie des courbes obligea les géomètres à y revenir, pour résoudre les deux questions qui s'imposaient à eux, le problème des tangentes et celui des quadratures.
Jordan.
GÉOMÉTRIE ET ANALYSE
On a dit que la géométrie était l'art de raisonner juste sur des figures fausses. Une figure grossière n'est tracée que pour soutenir l'attention et on raisonne en réalité sur la figure idéale et parfaite.
Celui-là est indigne du nom d'homme, a dit Platon, qui ignore que la diagonale du carré est incommensurable avec son côté.
L'algèbre n'est qu'une géométrie écrite, la géométrie n'est qu'une algèbre figurée.
Sophie Germain.
L'Algèbre emploie des signes abstraits, elle représente les grandeurs absolues par des caractères qui n'ont aucune valeur par eux-mêmes, et qui laissent à ces grandeurs toute l'indétermination possible; par suite elle opère et raisonne forcément sur les signes de non-existence comme sur des quantités toujours absolues, toujours réelles: a et b par exemple, représentant deux quantités quelconques, il est impossible, dans le cours des calculs, de se rappeler et de reconnaître quel est l'ordre de leurs grandeurs numériques; l'on est, malgré soi, entraîné à raisonner sur les expressions a-b, Va-b, etc., comme si c'étaient des quantités toujours absolues et réelles. Le résultat doit donc lui-même participer de cette généralité, et s'étendre à tous les cas possibles, à toutes les valeurs des lettres qui y entrent; de là aussi ces formes extraordinaires, ces êtres de raison, qui semblent l'apanage exclusif de l'Algèbre.
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Dans la Géométrie ordinaire, qu'on nomme souvent la synthèse, les principes sont tout autres, la marche est plus timide ou plus sévère; la figure est décrite, jamais on ne la perd de vue, toujours on raisonne sur des grandeurs, des formes réelles et existantes, et jamais on ne tire de conséquences qui ne puissent se peindre, à l'imagination ou à la vue, par des objets sensibles; on s'arrête dès que ces objets cessent d'avoir une existence positive et absolue, une existence physique. La rigueur est même poussée jusqu'au point de ne pas admettre les conséquences d'un raisonnement établi dans une certaine disposition générale des objets d'une figure, pour une autre disposition également générale de ces objets, et qui aurait toute l'analogie possible avec la première; en un mot, dans cette Géométrie restreinte, on est forcé de reprendre toutes la série des raisonnements primitifs, dès l'instant où une ligne, un point ont passé de la droite à la gauche d'un autre, etc.
Poncelet.
Le célèbre auteur du Traité des propriétés projectives des figures montre ensuite comment les modernes se sont efforcés de donner à la Géométrie la généralité de l'Algèbre.
L'exactitude de toute relation entre des grandeurs concrètes quelconques est indépendante de la valeur des unités auxquelles on les rapporte pour les exprimer en nombres. Par exemple, la relation qui existe entre les trois côtés d'un triangle rectangle a lieu, soit qu'on les évalue en mètres, ou en lignes, ou en pouces, etc.
Il suit de cette considération générale, que toute opération qui exprime la loi analytique d'un phénomène quelconque doit jouir de cette propriété de n'être nullement altérée, quand on fait subir simultanément à toutes les quantités qui s'y trouvent le changement qu'éprouveraient leurs unités respectives. Or, ce changement consiste évidemment en ce que toutes les quantités de même espèce deviendraient à la fois m fois plus petites, si l'unité qui leur correspond devenait m fois plus grande, ou réciproquement. Ainsi, toute équation qui représente une relation concrète quelconque, doit offrir ce caractère de demeurer la même quand on y rend m fois plus grandes toutes les quantités qu'elle contient, et qui expriment les grandeurs entre lesquelles existe la relation, en exceptant toutefois les nombres qui désignent les rapports mutuels de ces grandeurs, lesquels restent invariables dans le changement des unités. C'est dans cette propriété que consiste la loi de l'homogénéité, suivant son acception la plus étendue..
Auguste Comte.
C'est une simplification intéressante que de résoudre par le second livre de Géométrie un problème, placé ordinairement dans le troisième. Citons, par exemple, la circonférence, passant par deux points et tangente à une droite. Nous voyons ainsi que l'ordre logique des propositions n'est pas aussi fixé qu'on l'admet généralement.
L'Algèbre plane pour ainsi dire également sur l'Arithmétique et sur la Géométrie: son objet n'est pas de trouver les valeurs mêmes des quantités cherchées, mais le système d'opérations à faire sur les quantités données pour en déduire les valeurs des quantités que l'on cherche. Le tableau de ces opérations, représentées par les caractères algébriques, est ce que l'on nomme en Algèbre une formule.
Lagrange.
«L'Algèbre est généreuse, a dit d'Alembert, elle donne souvent plus qu'on ne lui demande.» On interprète alors les solutions dites étrangères et qui sont celles du problème élargi, généralisé. Le calcul ne tient nul compte de nos restrictions.
Les extensions successives que l'on fait subir aux opérations et aux définitions mathématiques doivent être soumises au principe de la permanence des règles de calcul.
Hankel.
Les formules sont un secours admirable pour l'esprit, elles le dispensent de toute attention pénible, il n'a qu'à les suivre: elles ne le dirigent pas seulement, elles le portent. Il n'a besoin que de l'attention nécessaire pour ne pas manquer à la formule et à ses règles et cette attention est presque matérielle: elle est des yeux plutôt que de l'esprit. Les formules, en un mot, sont des espèces de machines avec lesquelles on opère presque machinalement.
Condorcet.
Il faut pouvoir, au besoin, raisonner directement chaque cas particulier.
On dit que l'analyse mathématique est un instrument. Cette comparaison peut être admise, pourvu qu'on admette que cet instrument, comme le Protée de la fable, doit sans cesse changer de forme.
Arago.
L'emploi du calcul est comparable à celui d'un instrument dont on connaît exactement la précision.
J. Fourier.
Dans les opérations on peut distinguer le signe indiquant l'opération, le nombre, c'est-à-dire le sujet sur lequel on opère, et le résultat obtenu. On peut faire abstraction des deux dernières choses, qui paraissent pourtant les plus importantes, et ne raisonner que sur les signes indicateurs. On a alors des théorèmes, de nature philosophique, qui constituent le calcul des opérations.
Exemple:
Les formules d'algèbre, dans leur étroite enceinte, contiennent toute la courbe dont elles sont la loi.
Taine.
L'Algèbre est une langue bien faite, et c'est la seule. L'analogie, qui n'échappe jamais, conduit insensiblement d'expression en expression... La simplicité du style en fait toute l'élégance.
Condillac.
Parmi les mathématiciens, les uns ont une prédilection exclusive pour les symboles les plus généraux et les plus abstraits et ils évitent les interprétations géométriques, comme imparfaites et limitées; les autres, au contraire, ne jugent claires, que celles des conceptions analytiques qui sont susceptibles d'une traduction concrète. Il faut avouer que ces derniers se font une idée bien étroite de la science de l'ordre.
L'algèbre est la plus générale des sciences mathématiques, puisqu'elle étudie non pas telle ou telle quantité, mais la quantité.
La géométrie n'est qu'une science mathématique particulière, puisque son objet, l'étendue, n'est qu'une sorte de quantité.
L'algèbre est à la fois un art et une science: une science parce qu'elle se compose d'un ensemble de vérités; et un art, parce qu'elle fournit un grand nombre de règles infaillibles pour résoudre un grand nombre de difficultés.
Arrivé à ce point, Descartes fut naturellement amené à penser que toute question de géométrie pouvait se ramener à une question d'algèbre, et il conjectura justement qu'à cause du caractère méthodique de l'algèbre une telle substitution serait toujours ou du moins presque toujours avantageuse. Telles furent les vues à la fois très élevées et très simples qui firent concevoir à Descartes le dessein d'appliquer l'algèbre à la géométrie.
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Les sciences mathématiques ne furent plus un assemblage de spéculations isolées; elles formèrent un corps dans lequel les parties furent dans une dépendance mutuelle et facile à saisir.
T. V. Charpentier.
En géométrie, comme en algèbre, la plupart des idées différentes ne sont que des transformations; les plus lumineuses et les plus fécondes sont pour nous celles qui font le mieux image et que l'esprit combine avec le plus de facilité dans le discours et dans le calcul.
Le calcul n'est qu'un instrument qui ne produit rien par lui-même, et qui ne rend en quelque sorte que les idées qu'on lui confie. Si nous n'avons que des idées imparfaites, ou si l'esprit ne regarde la question que d'un point de vue borné, ni l'analyse, ni le calcul ne lui apporteront plus de lumière, et ne donneront à nos résultats plus de justesse ou plus d'étendue: au contraire, on peut dire que cet art de réaliser en quelque sorte par le calcul de vagues conceptions n'est propre qu'à rendre l'erreur plus durable, en lui donnant pour ainsi dire une consistance.
Sitôt qu'un auteur ingénieux a su parvenir directement et simplement à quelque vérité nouvelle, n'est-il pas à craindre que le calculateur le plus stérile ne s'empresse d'aller la chercher dans ses formules comme pour la découvrir une seconde fois et à sa manière, qu'il dit être la bonne et la véritable; de sorte qu'on ne s'en croit plus redevable qu'à son analyse, et que l'auteur lui-même, quelquefois peu exercé à ce langage et à ce symbole, sous lesquels on lui dérobe ses idées, ose à peine réclamer ce qui lui appartient et se retire presque confus, comme s'il avait mal inventé ce qu'il a si bien découvert.
Poinsot.
Les ressources puissantes que la Géométrie a acquises depuis une trentaine d'années sont comparables, sous plusieurs rapports, aux méthodes analytiques, avec lesquelles cette science peut rivaliser désormais, sans désavantage, dans un ordre très étendu de questions...
... Hâtons-nous de dire, cependant, pour éviter toute interprétation inexacte de notre but et de notre sentiment sur les deux méthodes qui se partagent le domaine des sciences mathématiques, que notre admiration pour l'instrument analytique, si puissant de nos jours, est sans bornes, et que nous n'entendons pas lui mettre en parallèle sur tous les points, la méthode géométrique. Mais, convaincu qu'on ne saurait avoir trop de moyens d'investigation dans la recherche des vérités mathématiques, qui toutes peuvent devenir également faciles et intuitives quand on a trouvé et suivi la voie étroite qui leur est propre et naturelle, nous avons pensé qu'il ne pouvait être qu'utile de montrer... que les doctrines de la pure Géométrie offrent souvent, et dans une foule de questions, cette voie simple et nouvelle qui, pénétrant jusqu'à l'origine des vérités, met à nu la chaîne mystérieuse qui les unit entre elles et les fait connaître individuellement de la manière la plus lumineuse et la plus complète.
Cette troisième branche de la Géométrie, qui constitue aujourd'hui ce que nous appelons la Géométrie récente, est exempte de calculs algébriques, quoiqu'elle fasse un aussi heureux usage des relations numériques des figures que de leurs relations de situation; mais elle ne considère que des rapports de distance rectiligne, d'un certain genre, qui n'exigent ni les symboles, ni les opérations de l'Algèbre. Cette Géométrie est la continuation de l'Analyse géométrique des Anciens, sur laquelle elle offre d'immenses avantages par la généralité, l'uniformité et l'abstraction de ses méthodes.
La méthode par le calcul a le merveilleux privilège de négliger les propositions intermédiaires dont la méthode géométrique a toujours besoin, et qu'il faut créer quand la question est nouvelle. Mais cet avantage si beau et si précieux de l'Analyse a son côté faible, comme toutes les conceptions humaines: c'est que cette marche pénétrante et rapide n'éclaire pas toujours suffisamment l'esprit; elle laisse ignorer les vérités intermédiaires qui rattachent le point de départ à la vérité trouvée, et qui doivent former avec l'un et l'autre, un ensemble complet et une véritable théorie. Car, est-ce assez dans l'étude philosophique et approfondie d'une science, de savoir qu'une chose est vraie, si l'on ignore comment et pourquoi elle l'est, et quelle place elle occupe dans l'ordre des vérités auquel elle appartient?
Chasles.
Il est certain que l'analyse de situation est une chose qui manque à l'algèbre ordinaire: c'est ce défaut qui fait qu'un problème paraît souvent avoir plus de solutions qu'il n'en doit avoir dans les circonstances où on le considère. Il est vrai que cette abondance de l'algèbre, qui donne ce qu'on ne lui demande pas, est admirable à plusieurs égards; mais aussi elle fait souvent qu'un problème qui n'a réellement qu'une solution, en prenant son énoncé à la rigueur, se trouve renfermé dans une équation de plusieurs dimensions et, par là, ne peut en quelque manière être résolu. Il serait fort à souhaiter que l'on trouvât moyen de faire entrer la situation dans le calcul des problèmes.
d'Alembert.
La géométrie et l'algèbre ont entre elles des relations nécessaires sur lesquelles il importe d'être fixé.
Faut-il ériger en principe les vues de Pythagore sur les nombres, puis essayer d'y rattacher les vues géométriques?
Faut-il, au contraire, suivre la voie tracée par Descartes et déduire les éléments de l'algèbre des premières données de la géométrie pure?
De ces deux méthodes, la seconde semble être la plus rationnelle.
En effet, si peu qu'elle interroge l'expérience, la Géométrie n'en est pas moins une science d'observation. Elle considère les corps, leurs parois, leurs arêtes afin d'en abstraire les solides, les surfaces et les lignes; puis elle commence par étudier ces figures et finit par les mesurer pour en faciliter la comparaison. Descartes est donc autorisé par là même à fonder l'Algèbre sur la considération des droites et des opérations qu'elles comportent. Mais, ce qui fait surtout le mérite de sa méthode, c'est qu'elle se guide uniquement sur les allures de la grandeur continue pour en conclure toutes les propriétés du nombre et les lois qui le régissent; tandis qu'en suivant la loi contraire, on est bien vite réduit à ne raisonner que sur de purs symboles.
Mouchot.
LES NOMBRES, LES SYMBOLES
ET LES FONCTIONS
L'apparition d'un nombre suppose l'existence d'une grandeur mathématique soumise à une opération simple qu'on nomme sa mesure. S'il n'y avait pas de grandeurs mathématiques, il n'y aurait pas de nombres, tandis que les grandeurs mathématiques existent, même pour celui qui n'a pas l'idée de nombre. L'emploi des nombres tire principalement son utilité de ce que ceux-ci ne conservent pas la trace des grandeurs qui leur ont donné naissance; d'où il résulte que les combinaisons qu'on peut en faire, et les conséquences qu'on tire de leurs combinaisons, ont un certain degré de généralité, qui permet de les appliquer à toutes les espèces de grandeurs et que ne sauraient avoir les opérations effectuées directement sur les grandeurs mêmes.
J. F. Bonnel.
Aucun nombre entier élevé au carré ne donne 2, et l'on démontre qu'aucun nombre fractionnaire ne le donne non plus.
Nous résignerons-nous à conclure que 2 n'a pas de racine carrée?
Si nous nous bornons à dire que V2 est incommensurable, nous n'en donnerons pas une définition.
Dirons-nous que V2 est le nombre qui multiplié par lui-même produit 2? Ce serait faire un cercle vicieux, puisque pour comprendre la multiplication par V2, il faut avoir préalablement défini V2.
Nous définissons d'abord la racine carrée de 2 à un dixième près, le plus grand nombre de dixièmes dont le carré est contenu dans 2; nous définissons ensuite de même la racine carrée de 2 à un centième, à un millième près, etc.
La racine carrée de 2 est maintenant pour nous la limite de ses racines carrées à un dixième, à un centième près, etc.
Voici la définition rigoureuse: «La racine carrée d'un nombre est la limite des nombres dont les carrés ont pour limite le nombre proposé.»
On prouve, bien entendu, que la limite existe et qu'elle est unique.
Cournot a rapproché l'extension de l'idée de multiplication aux fractions et l'extension des règles de calcul aux nombres négatifs. Ces deux généralisations permettent de rendre les relations entre les grandeurs, indépendantes de l'unité et du zéro-origine choisis.
Les nombres incommensurables donnent déjà de la généralité à l'arithmétique. Le vrai passage à l'algèbre se fait lorsqu'apparaissent les nombres négatifs, permettant de généraliser davantage les règles et les formules. Viennent ensuite les imaginaires et les autres symboles qui étendent de plus en plus la généralisation.
Les signes + et - modifient la quantité devant laquelle ils sont placés, comme l'adjectif modifie le substantif.
Cauchy.
Il convient de considérer le signe-précédant un coefficient comme soudé au coefficient.
Le signe-s'explique en géométrie en rétrogradant et les solutions par-reculent là où les solutions par + avançaient.
Albert Girard, 1629.
À l'inverse des autres sciences, l'algèbre a une manière toute spéciale et bien caractéristique de traiter les impossibilités; si tel problème d'algèbre est impossible, si telle équation est insoluble, l'algèbre, au lieu de s'arrêter là pour passer à une autre question, accorde droit de cité à ces solutions impossibles et en enrichit son domaine au lieu de les exclure.
Le moyen qu'elle emploie est le symbole.
Dès les équations du premier degré à une inconnue, au lieu de diviser les équations en deux classes, suivant les valeurs des lettres qu'elles renferment, celles qui admettent une solution et celles qui n'en admettent pas, l'algèbre dit que toute équation du premier degré admet une solution, cette solution pouvant être négative ou infinie et étant, dans ce dernier cas, symbolique.
Dans un grand nombre d'équations du second degré, il semblerait qu'on doit être arrêté net, l'impossibilité se manifestant d'une manière pour ainsi dire absolue; l'algèbre admet pourtant ces solutions comme elle a déjà fait pour le premier degré, et, toujours à l'aide de symboles, elle donne droit de cité aux incommensurables et aux imaginaires.
De Campou.
Convenons de représenter à l'aide du symbole
(1) ai + bj + c = a'i + b'j + c'
la triple égalité
a = a', b = b', c = c',
sans attacher aux lettres i, j d'autre sens que celui de séparation. Les signes i, j, qui pourraient être en plus grand nombre, ont reçu de Cauchy le nom de clefs. Les formules telles que (1) portent le nom d'égalités symboliques, et l'on dit, pour abréger le langage, que a et a' sont les coefficients de i et que b et b' sont les coefficients de j. L'ensemble des quantités qui forment le premier membre de la formule (1) s'appelle une quantité imaginaire.
Ainsi, pour nous, une quantité imaginaire se compose de l'ensemble de plusieurs nombres qui, dans un calcul ultérieur, doivent être respectivement égalés à des nombres donnés.
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Les clefs tendent à s'introduire tous les jours davantage dans l'analyse; leur emploi donne beaucoup d'élégance et de simplicité au calcul.
De toutes les clefs, celle qui a été le mieux étudiée, celle qui est le plus anciennement connue, est celle que l'on est convenu de représenter par le symbole V-1.
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Hamilton est le créateur d'un système d'imaginaires auxquelles il a donné le nom de quaternions; ces imaginaires contiennent trois clefs; elles sont par conséquent de la forme
ai + bj + ck + d.
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Autrefois, les quantités imaginaires avaient en elles quelque chose de fantastique: elles ne représentaient rien, elles servaient d'instrument dans les recherches; mais à la suite d'une découverte due à l'emploi des imaginaires, les géomètres amis de la rigueur réclamaient une confirmation du résultat obtenu, par d'autres voies: c'est ce qui a valu leur nom à ce genre de quantités.
H. Laurent.
Je montre au début ce qui constitue vraiment la ligne de séparation de l'arithmétique et de l'algèbre.
Tant que les grandeurs ne sont considérées que dans leurs modules, c'est-à-dire dans leurs rapports abstraits avec l'unité choisie, on fait de l'arithmétique ou de l'arithmologie. On établit les règles de calcul sur les modules ou sur les nombres; on étudie les propriétés diverses des nombres entiers auxquels tous les autres se ramènent.
Quand, à la considération du module, on joint celle de la direction et que l'on représente les grandeurs directives par un symbole complexe qui donne à la fois le module et l'argument, c'est-à-dire un signe marquant nettement le sens de la grandeur, on fait de l'algèbre.
Les grandeurs directives que l'on étudie dans les diverses branches des sciences peuvent être classées en plusieurs groupes:
1o Les unes, et c'est le plus grand nombre, ne sont susceptibles que de deux sens opposés l'un à l'autre... On pourrait les désigner sous le nom de grandeurs diodes...
2o D'autres grandeurs, qu'on pourrait nommer polyodes, peuvent avoir toute direction, soit sur un plan, soit dans l'espace...
... On les représente par des droites de longueurs déterminées suivant leurs modules, portées dans certaines directions, à partir d'un point-origine.
Il faut distinguer particulièrement les grandeurs polyodes planes... Ces grandeurs polyodes planes comprennent évidemment les grandeurs diodes, comme cas particulier.
3o Les grandeurs absolues, dans l'étude desquelles l'idée de direction n'intervient pas, peuvent aussi être regardées comme un cas particulier des grandeurs polyodes planes, car on peut toujours représenter leur module par la longueur d'une droite et porter ce module dans une même direction, sur un axe indéfini, à partir d'une origine fixe. Les grandeurs absolues ainsi représentées pourraient être appelées monodes.
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L'algèbre, comme nous l'entendons, a pour but de donner les règles de calcul des grandeurs polyodes planes...
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Les considérations un peu nouvelles que j'ai développées... renferment implicitement les règles du calcul des équipollences de M. Bellavitis.
Les idées philosophiques qui m'ont guidé... me conduisaient naturellement à la considération des symboles propres à représenter les grandeurs polyodes de l'espace, c'est-à-dire aux quaternions d'Hamilton.
J. Bourget.
Ce n'est plus l'algèbre qui est responsable de cette manifestation de résultats impossibles, c'est nous-mêmes qui y donnons lieu par l'introduction de certaines contradictions dans nos demandes. Cette circonstance dans laquelle l'esprit du calculateur intervient comme partie au débat, nous paraît mériter une attention toute particulière. Il est intéressant d'étudier comment, dans ce cas, la réaction de l'algèbre cherche à se mettre en équilibre avec l'action égarée de notre intelligence; comment elle se maintient dans le vrai alors que nous voudrions l'entraîner dans le faux, comment du moins elle refuse de nous suivre dans cette voie, et par quels moyens, toujours logique et toujours utile, tout en nous disant que nous l'avons frappée d'impuissance, elle nous indique en quoi consiste l'erreur que nous n'avions pas même soupçonnée.
Vallès.
Les difficultés relatives à plusieurs symboles singuliers auxquels conduisent les calculs algébriques et notamment aux expressions dites imaginaires, ont été, ce me semble, beaucoup exagérées par suite des considérations purement métaphysiques qu'on s'est efforcé d'y introduire, au lieu d'envisager ces résultats anormaux sous leur vrai point de vue, comme de simples faits analytiques. En les considérant ainsi, il est aisé de reconnaître, en thèse générale, que l'esprit de l'analyse mathématique consistant à considérer les grandeurs sous le seul point de vue de leurs relations, et indépendamment de toute idée de valeur déterminée, il en résulte nécessairement pour les analystes, l'obligation constante d'admettre indifféremment toutes les sortes d'expressions quelconques que pourront engendrer les combinaisons algébriques. S'ils voulaient s'en interdire une seule à raison de sa singularité apparente, comme elle est toujours susceptible de se présenter d'après certaines suppositions particulières sur les valeurs des quantités considérées, ils seraient contraints d'altérer la généralité de leurs conceptions, et en introduisant ainsi, dans chaque raisonnement, une suite de distinctions vraiment étrangères, ils feraient perdre à l'analyse mathématique son principal avantage caractéristique, la simplicité et l'uniformité des idées qu'elle combine.
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Relativement aux quantités négatives qui ont donné lieu à tant de discussions déplacées... il faut distinguer, en considérant toujours le simple fait analytique, entre leur signification abstraite et leur interprétation concrète qu'on a presque toujours confondues jusqu'à présent. Sous le premier rapport, la théorie des quantités négatives peut être établie d'une manière complète par une seule vue algébrique. Quant à la nécessité d'admettre ce genre de résultats, concurremment avec tout autre, elle dérive de la considération générale que je viens de présenter: et quant à leur emploi comme artifice analytique pour rendre les formules plus étendues, ce mécanisme de calcul ne peut réellement donner lieu à aucune difficulté sérieuse. Ainsi, on peut envisager la théorie abstraite des quantités négatives comme ne laissant rien d'essentiel à désirer, mais il n'en est nullement de même pour leur théorie concrète.
Aug. Comte.
Partons de l'échelle des nombres entiers; entre deux échelons consécutifs intercalons un ou plusieurs échelons intermédiaires, puis entre ces échelons nouveaux d'autres encore et ainsi de suite indéfiniment. Nous aurons ainsi un nombre illimité de termes, ce seront les nombres que l'on appelle fractionnaires, rationnels ou commensurables. Mais ce n'est pas assez encore; entre ces termes qui sont pourtant déjà en nombre infini, il faut encore en intercaler d'autres, que l'on appelle irrationnels ou incommensurables.
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On dira peut-être que les mathématiciens qui se contentent de cette définition (du continu mathématique) sont dupes de mots, qu'il faudrait dire d'une façon précise ce que sont chacun de ces échelons intermédiaires, expliquer comment il faut les intercaler et démontrer qu'il est possible de le faire. Mais ce serait à tort; la seule propriété de ces échelons qui intervienne dans leurs raisonnements, c'est celle de se trouver avant ou après tels échelons...
H. Poincaré.
Dans une même question, on a souvent à considérer deux sortes de grandeurs, les constantes et les variables. Une constante possède une valeur fixe et déterminée; une variable peut recevoir successivement diverses valeurs.
Une quantité est dite fonction d'une autre quantité, lorsqu'elle varie avec elle et qu'elle acquiert une ou plusieurs valeurs déterminées pour chaque valeur attribuée à la variable.
La science, en tant qu'elle n'envisage que les éléments isolés de l'objet, peut être nommée statique; en tant qu'elle compare les éléments et cherche comment les variations des uns déterminent les variations des autres, elle est dynamique, car elle représente alors le mouvement même des choses et les suit dans leur développement. Cette distinction fondamentale permet de classer les connaissances humaines en deux catégories bien nettes et en montre aussi le point de contact: le nombre, ou rapport invariable, la fonction, ou rapport variable, résument en deux mots les deux faces de la science.
Laugel.
On étudie, en mathématiques, une fonction pour elle-même. Peut-être plus tard un phénomène mieux connu s'exprimera par cette fonction. Béranger a dit:
Combien de temps une pensée,
Vierge obscure, attend son époux!
Les nombres imitent l'espace, qui est de nature si différente.
Pascal
LA LIMITE, L'INFINIMENT GRAND
ET L'INFINIMENT PETIT
On appelle limite d'une grandeur variable, une grandeur fixe dont la grandeur variable se rapproche indéfiniment, de façon à pouvoir en différer aussi peu qu'on voudra, mais sans jamais l'atteindre.
On appelle infiniment petit une quantité variable qui a pour limite zéro.
Tout nombre est fini et assignable, toute ligne l'est de même et les infinis ou infiniment petits ne signifient que des grandeurs qu'on peut prendre aussi grandes ou aussi petites que l'on voudra.....
..... On entend par infiniment petit l'état de l'évanouissement ou du commencement d'une grandeur, conçue à l'imitation des grandeurs déjà formées.
Leibniz.
La notion de l'infini, dont il ne faut pas faire un mystère en Mathématiques, se réduit à ceci: Après chaque nombre entier, il y en a un autre.
J. Tannery.
C'est l'élan de l'esprit au-delà de ce que montre l'observation, au-delà même de tout ce qu'elle est capable de donner, qui seul a pu nous faire connaître la série des nombres entiers, celle des grandeurs continues, et nous conduire par là aux idées d'infiniment petit, de point, de ligne, de surface, limites de quantités indéfiniment décroissantes ou d'étendues dont certaines dimensions diminuent jusqu'à zéro. Ces notions se présentent donc à nous comme des créations de l'intelligence dans sa recherche de la simplicité et de la perfection absolue pour ce qui concerne les grandeurs, comme des données que la vue des choses n'implique pas logiquement, c'est-à-dire déductivement, mais qu'elle suggère à notre faculté d'intuition idéale, ou, si l'on veut, à notre pouvoir de généralisation. L'infiniment petit, notamment, n'est pas le zéro pur, le zéro considéré isolément, mais bien le zéro en tant que limite des décroissements d'une grandeur, ou en tant que point de départ d'une quantité qui naît et augmente.
Boussinesq.
La continuité d'une grandeur est une propriété purement idéale, en ce sens qu'il n'y a pas dans la nature de grandeur qui soit matériellement continue. Cette continuité n'existe que dans l'imagination du géomètre.
J.-F. Bonnel.
On est conduit à l'idée des infiniment petits, lorsqu'on considère les variations successives d'une grandeur soumise à la loi de continuité. Ainsi le temps croît par degrés moindres qu'aucun intervalle qu'on puisse assigner, quelque petit qu'il soit. Les espaces parcourus par les différents points d'un corps croissent aussi par des infiniment petits, car chaque point ne peut aller d'une position à une autre sans traverser toutes les positions intermédiaires; et l'on ne saurait assigner aucune distance, aussi petite que l'on voudra, entre deux positions successives. Les infiniment petits ont une existence réelle; ils ne sont pas seulement un moyen d'investigation imaginé par les géomètres.
Poisson.
Opinion isolée et inexacte. La continuité d'une grandeur est une fiction de l'esprit; il n'y a pas dans la nature, de grandeur rigoureusement continue.
Le cercle n'est que le composé d'une infinité de triangles dont le sommet est au centre et dont les bases forment la circonférence; le cône est composé d'une infinité de pyramides, appuyées sur des triangles infiniment petits de la base circulaire et ayant leur sommet commun avec celui du cône, tandis que le cylindre de même base et de même hauteur est formé d'un pareil nombre de petits prismes appuyés sur les mêmes bases et ayant même hauteur qu'elles.
Kepler.
Les quantités sont appelées infinitésimales non point parce qu'on les regarde comme très petites, ce qui est fort indifférent, mais parce qu'on peut les considérer comme aussi petites que l'on voudra, sans qu'on soit obligé de rien changer à la valeur des quantités, telles que les paramètres, les coordonnées, normales, sous-tangentes, rayons de courbure, etc., dont on cherche la relation. Il suit de là que toute quantité dite infiniment petite peut se négliger dans le courant du calcul, vis-à-vis de ces mêmes quantités dont on cherche la relation, sans que le résultat du calcul puisse en aucune manière s'en trouver affecté.
Laz. Carnot.
Nous avons distingué les différentes manières dont les grandeurs à mesurer, ou celles auxquelles on les ramène, pouvaient être considérées comme limites de variables d'une espèce plus simple, et nous avons dit qu'elles pouvaient en général se réduire à trois. La première, employée dans quelques cas par Euclide et Archimède, consiste à regarder les grandeurs comme limites de séries; la deuxième, due à Archimède, comme limites de sommes de quantités infiniment petites; la troisième, comme limites de rapports d'infiniment petits. Les deux premières se sont présentées à propos de la mesure de la pyramide, de la parabole, de la spirale, de la sphère, des volumes des corps engendrés par la révolution de sections coniques, etc. La troisième, due aux modernes, s'est présentée à l'occasion du problème des tangentes, et s'applique à beaucoup d'autres questions.
Duhamel.
C'est en cherchant à déterminer les tangentes des courbes, que les géomètres sont parvenus au calcul différentiel, qu'on a présenté depuis sous des points de vue très variés; mais quelle que soit l'origine qu'on lui assigne, il reposera toujours sur un fait analytique antérieur à toute hypothèse, comme la chute des corps graves vers la surface de la terre est antérieure à toutes les explications qu'on en a données; et ce fait est précisément la propriété dont jouissent toutes les fonctions, d'admettre une limite dans les rapports que leurs accroissements ont avec ceux de la variable dont elles dépendent. Cette limite, différente pour chaque fonction, et toujours indépendante des valeurs absolues des accroissements, caractérise d'une manière qui lui est propre, la marche de la fonction dans les divers états par lesquels elle peut passer.
Lacroix.
Nous avons des idées nettes de la grandeur, nous voyons que les choses en général peuvent être augmentées ou diminuées, et l'idée d'une chose devenue plus grande ou plus petite, est une idée qui nous est présente et aussi familière que celle de la chose même; une chose quelconque nous étant donc présentée ou étant seulement imaginée, nous voyons qu'il est possible de l'augmenter ou de la diminuer; rien n'arrête, rien ne détruit cette possibilité, on peut toujours concevoir la moitié de la plus petite chose et le double de la plus grande chose; on peut même concevoir qu'elle peut devenir cent fois, mille fois, cent mille fois plus petite ou plus grande, et c'est cette propriété d'augmentation sans bornes en quoi consiste la véritable idée qu'on doit avoir de l'infini; cette idée nous vient de l'idée du fini; une chose finie est une chose qui a des termes, des bornes, une chose infinie n'est que cette même chose finie à laquelle nous ôtons ses termes et ses bornes; ainsi l'idée de l'infini n'est qu'une idée de privation et n'a point d'objet réel. Ce n'est pas ici le lieu de faire voir que l'espace, le temps, la durée, ne sont pas des infinis réels; il nous suffira de prouver qu'il n'y a point de nombre actuellement infini ou infiniment petit.....
On ne doit donc considérer l'infini, soit en petit, soit en grand que comme une privation, un retranchement à l'idée du fini, dont on peut se servir comme d'une supposition qui peut aider à simplifier les idées, et doit généraliser leurs résultats dans la pratique des sciences.
Buffon.
L'idée d'infini apparaît dès le seuil des mathématiques: il y a une infinité de nombres entiers; la ligne droite doit être conçue comme prolongée indéfiniment.
Au fond, les motifs des répugnances manifestées contre les infiniment petits se résument dans cette pensée de Lagrange, qu'on a «le grand inconvénient de considérer les quantités dans l'état où elles cessent, pour ainsi dire, d'être quantités,» autrement dit, les infiniment petits n'existent pas. Il me paraît qu'il y a là un malentendu. Veut-on parler des quantités naturelles, ou de l'objet de nos conceptions rationnelles? Si l'on entend que dans la nature il n'y a pas d'infiniment petits, c'est incontestable; tout ce qui existe est déterminé et par conséquent fini. Mais à ce point de vue, il n'y a pas non plus de quantité variable: une quantité, par cela seul qu'elle est, a une valeur actuelle précise. Notre esprit seul crée la notion de variable, en rapprochant les grandeurs de quantités voisines et les regardant comme les valeurs successives d'une même quantité. La notion de variable n'est pas plus légitime que celle d'infiniment petit, et il faut les admettre ou les repousser toutes les deux.
de Freycinet.
MATHÉMATIQUES APPLIQUÉES
Le vaste champ des mathématiques embrasse, d'une part, les théories abstraites; de l'autre, leurs nombreuses applications. Par cette dernière face, ces sciences intéressent au plus haut degré la généralité des hommes; aussi les voit-on, à toutes les époques, cherchant, suggérant, proposant sans cesse de nouveaux problèmes, puisés dans l'observation des phénomènes naturels ou dans les besoins de la vie commune...
Arago.
L'étude approfondie de la nature est la source la plus féconde des découvertes mathématiques. Non seulement cette étude, en offrant aux recherches un but déterminé, a l'avantage d'exclure les questions vagues et les calculs sans issue, elle est encore un moyen assuré de former l'Analyse elle-même, et d'en découvrir les éléments qu'il nous importe le plus de connaître et que cette science doit toujours conserver: ces éléments fondamentaux sont ceux qui se reproduisent dans tous les effets naturels.
J. Fourier.
La géométrie et surtout l'algèbre, sont la clef de toutes les recherches sur la grandeur. Ces sciences qui ne s'occupent que de rapports abstraits et d'idées simples, peuvent paraître infructueuses tant qu'elles ne sortent point, pour ainsi dire, du monde intellectuel; mais les mathématiques mixtes, qui descendent à la matière et qui considèrent les mouvements des astres, l'augmentation des forces mouvantes,..... en un mot toutes les sciences qui découvrent des rapports particuliers de grandeurs sensibles, vont d'autant plus loin et plus sûrement, que l'art de découvrir des rapports en général est plus parfait. L'instrument universel ne peut devenir trop étendu, trop maniable, trop aisé à appliquer à tout ce qu'on voudra.
Fontenelle.
L'artillerie est mise ordinairement au nombre des branches des mathématiques..... On y considère principalement le chemin décrit par le projectile que lance le canon, et l'on conclut les règles suivant lesquelles il faut diriger le canon pour que le boulet frappe un lieu donné. Or on suppose, dans cette recherche, que le projectile décrit une parabole, ainsi que Galilée l'a démontré. Mais cela n'est pas conforme à la vérité dès que le mouvement n'a pas lieu dans le vide. On est donc induit grandement en erreur par les règles et les Tables fondées sur cette hypothèse, leurs auteurs mêmes l'avouent; ils rejettent l'erreur sur le compte de la théorie, et s'imaginent qu'elle n'a de valeur que lorsque la pratique la corrige. Or l'air nous paraît être un fluide trop subtil pour produire une résistance sensible; et pourtant dans les mouvements très rapides tels que ceux des boulets et des bombes, la résistance de l'air est assez grande pour que les projectiles décrivent une courbe très différente de la parabole. Pour corriger cette erreur notable, pour suppléer à l'emploi inopportun de la parabole, il faut introduire la courbe véritable suivant laquelle le projectile se meut dans l'air. Newton paraît avoir fait beaucoup d'efforts pour la découvrir, et cependant son extrême habileté dans l'analyse supérieure ne lui suffit pas pour résoudre ce problème. Il laissa l'honneur de cette découverte au célèbre Jean Bernoulli. Nous voyons par là combien doit être versé dans les mathématiques supérieures celui qui veut résoudre les questions d'artillerie.
Euler.
Les Mathématiques pures se bornent à spéculer sur les grandeurs abstraites. Elles forment une science de raisonnement qui se déduit de notions primitives, d'axiomes, sans rien emprunter à l'expérience. Ses branches sont l'arithmétique, la géométrie et l'analyse (algèbre et calcul infinitésimal).
La mécanique et l'astronomie forment ce qu'on appelle les Sciences physico-mathématiques.
Viennent ensuite les nombreuses Applications des mathématiques. Nous allons rapidement énumérer les principales.
Calcul des probabilités.—La théorie des probabilités a dit Laplace, n'est que le bon sens réduit en calcul: elle fait apprécier avec exactitude, ce que les esprits justes sentent par une sorte d'instinct.
Le calcul des probabilités est utile dans toutes les sciences et aussi dans la vie sociale.
Physique mathématique.—La physique, enfin maîtresse de ses principes, tend à s'absorber dans les mathématiques. On fait la théorie analytique de la chaleur, de l'électricité, de la lumière, de l'élasticité, de l'acoustique, etc.
La chimie commence à suivre le bon exemple, grâce à la thermochimie.
Statistique et économie politique.—Quelques lois ont été découvertes, il y a tendance à plus de précision dans ces utiles études. Cependant Cournot et Walras se sont trop pressés d'appliquer l'Algèbre à des données encore un peu flottantes; on dit assez heureusement que la monnaie sert de dénominateur commun aux diverses valeurs.
Loterie; jeux.—On peut raisonner les chances de la loterie et du jeu, mais on ne corrige guère les amateurs. La Science a obtenu la suppression de la loterie d'État, mais il nous reste d'autres loteries, les valeurs à lots, etc.
Quant aux jeux de combinaisons, ils se rattachent à la géométrie et à l'analyse indéterminée.
Arithmétique appliquée et commerciale.—Il faut considérer, non comme théorie, mais comme applications, les règles de trois, d'alliage, de partage, etc., et le système métrique.
D'autre part, la tenue des livres de commerce a une grande importance pratique.
Finances.—Intérêts simples et composés; annuités; banques, établissements de crédit et de prévoyance; assurances sur les choses et sur la vie; rentes viagères.
La Bourse.
Répartition des impôts; budget, etc.
Calcul mental.—Il est bon d'acquérir une certaine habileté à calculer de tête, sans chiffrer hors de propos. Il y a quelques méthodes, mais c'est surtout affaire d'exercice.
Géométrie et trigonométrie pratiques.—Comme en arithmétique, on mêle trop, en géométrie, les applications à la théorie.
Instruments pour les tracés sur le papier et sur le terrain.
Arpentage, levé des plans, nivellement; le cadastre; partage des terrains, etc.
Les divers mesurages: métrage, cubage; fûts, troncs d'arbre, tas de pierres, etc.
Application de la trigonométrie au levé des plans.
Géométrie descriptive.—Par la méthode des projections, on peut représenter rigoureusement par un tracé plan les figures et les constructions dans l'espace.
Application aux ombres, à la perspective, à la charpente, à la coupe des pierres, etc.
Dessin.—Les divers dessins constituent une langue très étendue et très expressive.
Le dessin dit géométrique l'emporte sur les autres par sa précision.
Les graphiques.—Une courbe, parlant aux yeux, résume de nombreuses observations numériques. Aussi, se sert-on, dans toutes les études, de ces tracés commodes.
Par exemple, les Guides de chemins de fer donnent bien des résultats isolés, mais les employés s'aident de graphiques pour se rendre compte des rapports entre les divers trains.
Arts mécaniques.—Il convient que l'ouvrier sache raisonner ses mesures et ses tracés, au lieu de se servir de règles empiriques et de patrons.
Ferblantiers, menuisiers, tourneurs, etc.
Les machines.—Quelle variété, quelle délicatesse et quelle puissance, depuis les machines à coudre, à calculer, à écrire, jusqu'aux machines qui soulèvent les cuirassés ou creuseront le Panama!
Constructions civiles et militaires.—C'est aux ingénieurs et aux architectes que nous devons surtout notre civilisation matérielle. Ponts et chaussées, chemins de fer, canaux, construction des monuments, etc.
Géographie.—Cartes géographiques, surtout celle de l'État-Major, que tout le monde devrait savoir lire.
Topographie, géodésie, etc.
De nos jours, la géographie devient enfin une science. «Ici, dit Drapeyron, le corps c'est la topographie, l'âme c'est la géographie mathématique.»
Navigation.—Constructions navales, conduite du navire (déterminer à un moment quelconque la position et la route); tables astronomiques, etc.
Chronologie, horlogerie, gnomonique.—Calendrier, comput ecclésiastique; montres, horloges, chronomètres; cadrans solaires.
Arts militaires.—Le fusil et le canon perfectionnés; balistique ou questions du tir.
Stratégie, dont le problème dépend d'éléments si variés.
Après trente ans de travail, le regretté M. Sonnet a publié sous le titre de Dictionnaire des Mathématiques appliquées, en un seul volume, le plus riche et le plus précis des répertoires connus sur ces matières.
SYSTÈME MÉTRIQUE
La réflexion et l'expérience font connaître les conditions d'un bon ensemble de mesures. Nous allons passer en revue les plus importantes de ces conditions et justifier ainsi l'excellence des mesures métriques.
1o Unités parfaitement définies et fixes.—Les anciennes mesures de longueur se déduisaient des dimensions du corps humain (toises, coudées, mains, pouces, doigts, etc.) ou des dimensions de certains temples. Ces bases étaient vagues et variables, les modèles n'en étaient point arrêtés. On a pu dire que, sous l'ancien régime, il y avait autant d'arpents et de boisseaux que de villages. Le mètre, fraction déterminée de la circonférence terrestre, est une longueur précise, immuable, indépendante du temps et des nations. «On retrouverait le mètre, dit Arago, quand même des tremblements de terre, des cataclysmes épouvantables viendraient à bouleverser notre planète et à détruire les étalons prototypes religieusement conservés aux Archives.»
2o Unités d'espèces différentes liées entre elles.—La géométrie ramène la mesure des surfaces et des volumes à la mesure de certaines longueurs, qu'on appelle les dimensions de ces figures. Les règles simples qu'on établit supposent qu'on prend pour unités les carrés et les cubes construits sur l'unité linéaire.—On se servait de la toise carrée et de la toise cube, avant de connaître le mètre carré et le mètre cube. Il y a plus, les unités de poids et de monnaie dérivent aussi du mètre, quoique moins directement. On pourrait, à la rigueur, avec les monnaies, peser les corps et mesurer les longueurs. Nos mesures s'enchaînent ainsi complètement et leur ensemble mérite le nom de système.
3o Unités assez nombreuses pour chaque espèce de grandeur.—Il convient de rapporter chaque grandeur particulière à une unité proportionnée, parce que l'esprit ne voit clairement et rapidement que les nombres ordinaires, ni trop grands, ni trop petits. De là l'utilité d'unités secondaires, substituées souvent à l'unité principale.—Nous avons actuellement des multiples et des sous-multiples de chaque unité; la plupart sont des instruments effectifs de mesurage; tandis que les autres ne sont pas fabriqués (huit règles pour les longueurs, treize vases pour les capacités, vingt-quatre poids et quatorze monnaies).
4o Unités de même nature liées simplement.—Dans l'ancien système, l'échelle était parfois bizarre et variable d'un genre d'unité à un autre (exemple: les longueurs et les poids). De là le calcul des nombres complexes, assez pénible, malgré les simplifications provenant des diviseurs de douze.—Les unités nouvelles procèdent toutes de dix en dix, comme notre système de numération. Les grandeurs s'expriment par suite en nombres décimaux, aussi faciles à combiner que les entiers. Les changements d'unité se traduisent par un simple déplacement de la virgule.—On comprend pourquoi le système métrique s'appelle aussi système décimal des poids et mesures. (On avait même proposé de diviser décimalement le temps, jour de vingt heures, heure de cent minutes, etc., et le cercle en quatre cents grades de cent minutes chacun, etc.)
5o Nomenclature expressive et ne comprenant qu'un petit nombre de mots.—Les mesures antérieures portaient des noms très variés et n'indiquant pas les rapports, qu'il fallait retenir à part. Nous n'avons maintenant que six mesures principales: le mètre, l'are, le litre, le stère, le gramme et le franc; à ces six mots il suffit de joindre sept abréviations, tirées du grec ou du latin, pour composer les noms des multiples et des sous-multiples. Déca signifie dix, hecto cent, kilo mille, myria dix-mille; déci signifie dixième, centi centième et milli millième. Dès qu'on parle du décamètre et du décimètre, chacun se rappelle qu'il s'agit de dix mètres et du dixième du mètre.—Cependant, quelque commode que soit la nomenclature précédente, elle n'est pas essentielle au système métrique, qui réside dans les choses et non dans les mots.
6o Mesures obligatoires et soigneusement contrôlées.—Depuis 1840, les mesures métriques sont définitivement imposées par la loi, sur tout le territoire français, et les dénominations mêmes des anciennes mesures sont prohibées. Les instruments de mesure sont conformes à des modèles dont les règlements précisent la valeur, les dimensions, la forme et la substance. Sur ces mesures sont inscrits non seulement le nom de la mesure mais encore celui du fabricant responsable, et ces instruments sont soumis à un contrôle au début, puis à un contrôle périodique, faits par des vérificateurs des poids et mesures.—Notre système justifie la qualification de système légal des poids et mesures.
7o Système offrant un caractère international.—Base ne dépendant d'aucune nationalité particulière, puisqu'elle est prise dans la nature. Organisation par des savants de tous les pays qui ont signé les rapports et se sont distribué cent douze des mètres nouveaux. Mots provenant d'une langue morte, du grec ou du latin. «Si la mémoire des travaux venait à s'effacer, dit Laplace, si les résultats seuls en étaient conservés, ils n'offriraient rien qui pût faire connaître quelle nation en a eu l'idée, en a suivi l'exécution.»—L'adoption par tous les peuples des mêmes mesures faciliterait grandement les relations commerciales et scientifiques. Le système métrique est déjà adopté, entièrement ou partiellement, par les pays suivants: Belgique, Hollande, Espagne, Portugal, Grèce, Allemagne, Danemark, Suède, Mexique, Brésil, Républiques de l'Amérique du Sud, Égypte, etc. Ajoutons que dans les États anglais et dans les États-Unis l'usage de nos mesures est facultatif.
GÉOMÉTRIE DESCRIPTIVE
Une figure plane peut être représentée sur une surface plane sans aucune altération dans les proportions de ses parties.
... Il n'en est pas de même d'un corps à trois dimensions, d'un corps ayant longueur, largeur et profondeur. Sa représentation sur une surface plane est inévitablement altérée. Des lignes qui sur le corps sont égales entres elles, peuvent être extrêmement inégales dans la représentation plane. Les angles formés dans l'espace par les arêtes ou par les diagonales du corps n'éprouvent pas de moindres altérations comparatives, quand elles viennent à être figurées sur un plan.
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Des hommes de génie, Desargues en tête, réussirent enfin à rattacher aux règles de la géométrie élémentaire la plupart des méthodes, des tracés en usage dans la coupe des pierres et dans la charpente. Malheureusement leurs démonstrations étaient longues, embarrassées; elles devaient toujours rester hors de la portée des simples ouvriers.
À quoi tenaient ces complications? Elles tenaient à ce qu'on était obligé de créer la science tout entière, à l'occasion de chaque problème. Adoptez cette méthode dans telle autre branche quelconque des mathématiques, et la plus inextricable confusion en sera aussi la conséquence inévitable.
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Monge débrouilla ce chaos. Il fit voir que les solutions graphiques de tous les problèmes de la géométrie à trois dimensions se fondaient sur un très petit nombre de principes qu'il exposa avec une merveilleuse clarté. Désormais aucune question, parmi les plus complexes, ne devait être l'apanage exclusif des esprits d'élite; avec des instruments bien définis et une méthode de recherche uniforme, la géométrie descriptive, dont Monge devint le créateur, pénétra jusque dans les rangs nombreux de la classe ouvrière.
Arago.
Une branche considérable de la géométrie, qui se recommande par des applications nombreuses, et que cultivaient par instinct plutôt que méthodiquement tous les ouvriers employés aux arts de construction, a été réduite en corps de doctrine.. On sent qu'il s'agit ici de la théorie et de la pratique des opérations qui résultent de la combinaison des lignes, des plans et des surfaces dans l'espace, et que M. Monge a fait connaître sous le nom de géométrie descriptive. La coupe des pierres, la charpente, certaines parties de la fortification et de l'architecture, la perspective, la gnomonique: en un mot, toutes les parties des mathématiques, soit pures, soit appliquées, dans lesquelles on considère l'espace avec ses trois dimensions, sont du ressort de ce complément nouveau de la géométrie élémentaire qui jusque-là s'était arrêtée à la mesure des aires et des volumes... Ce n'est pas qu'avant M. Monge, les géomètres n'eussent connu la méthode des projections et ne l'eussent employée à la résolution de plusieurs problèmes..., mais cette théorie... n'avait pas encore cette indépendance et cet enchaînement de questions qui en ont fait une véritable science...
Delambre.
La Géométrie descriptive donne des méthodes pour représenter exactement, sur un seul plan, tout corps susceptible d'une définition précise, et pour déduire de cette représentation les véritables grandeurs des diverses parties du corps que l'on considère.
C'est à l'aide de pareils dessins faits sur des aires planes, que les tailleurs de pierre et les charpentiers parviennent à donner aux matériaux solides des formes déterminées.
La Géométrie descriptive est donc aussi utile à l'ouvrier qui exécute un projet qu'à l'ingénieur qui l'a conçu. Ses principales applications sont la perspective, la théorie des ombres, la charpente, la coupe des pierres, le tracé des routes dans les pays accidentés, le défilement dans l'art des fortifications, etc., etc.
Rouché.
Selon la manière dont la position des sommets des angles d'un solide est définie, la construction de leurs projections peut être plus ou moins facile, et la nature de l'opération doit dépendre de celle de la définition. Il en est précisément de cet objet comme de l'Algèbre, dans laquelle il n'y a aucun procédé général pour mettre un problème en équations. Dans chaque cas particulier, la marche dépend de la manière dont la relation entre les quantités données et celles qui sont inconnues est exprimée; et ce n'est que par des exemples variés que l'on peut accoutumer les commençants à saisir ces relations et à les écrire par des équations. Il en est de même pour la Géométrie descriptive. C'est par des exemples nombreux et par l'usage de la règle et du compas dans les salles d'exercice que l'on peut acquérir l'habitude des constructions, et qu'on s'accoutume au choix des méthodes les plus simples et les plus élégantes, dans chaque cas particulier. Mais aussi, de même qu'en Analyse, lorsqu'un problème est mis en équations, il existe des procédés pour traiter ces équations, et pour en déduire les valeurs de chaque inconnue; de même aussi, dans la Géométrie descriptive, lorsque les projections sont faites, il existe des méthodes générales pour construire tout ce qui résulte de la forme et de la position respective des corps.
Ce n'est pas sans objet que nous comparons ici la Géométrie descriptive à l'Algèbre; ces deux sciences ont les rapports les plus intimes. Il n'y a aucune construction de Géométrie descriptive, qui ne puisse être traduite en Analyse; et lorsque les questions ne comportent pas plus de trois inconnues, chaque opération analytique peut être regardée comme l'écriture d'un spectacle en Géométrie.
Monge.
MÉCANIQUE
On connaît la déclaration attribuée à Archimède: «Donnez-moi un point d'appui et je soulèverai le monde.» Je ne veux pas en contester la beauté littéraire, mais quand on songe au nombre de tentatives insensées dont elle a été la cause, il peut être permis de dire que, pratiquement, elle est absolument vaine.
Privat-Deschanel.
Le monde, il s'agit sans doute de la terre. Comment l'homme pourrait-il prendre un point d'appui extérieur? Du reste la force d'un homme étant extrêmement petite par rapport au poids du globe, le déplacement de celui-ci serait insignifiant. Le mot célèbre n'exprime qu'une vue théorique.
On ne gagne rien avec les instruments, d'autant que, si l'on applique une petite force à un grand fardeau, il faut beaucoup de temps, et que, si on veut le transporter en très peu de temps, il faut une grande force...
Néanmoins les machines sont utiles, pour mouvoir de grands fardeaux tout d'un coup sans les diviser, parce que l'on a souvent beaucoup de temps et peu de force. Mais celui-là se tromperait qui voudrait abréger le temps en n'usant que d'une petite force, et montrerait qu'il n'entend pas la nature des machines ni la raison de leurs effets...
Il faut conclure de tout ce discours que l'on ne peut rien gagner en force qu'on ne le perde en temps, et conséquemment que ceux qui travaillent à suppléer la force et le temps tout ensemble, ne méritent nullement d'avoir du temps, puisqu'ils l'emploient si mal.
Galilée.
On pousse un corps avec la main, et l'on voit qu'il se meut dans une direction définie. À première vue, il semble qu'il n'y ait pas moyen de douter de la réalité de son mouvement ni de la direction qu'il suit. Cependant il est facile de montrer que non seulement nous pouvons avoir tort, mais que d'ordinaire nous avons tort de porter l'un ou l'autre de ces deux jugements. Voici par exemple un vaisseau que, pour plus de simplicité, nous supposerons mouillé à l'équateur, l'avant tourné vers l'ouest. Quand le capitaine va de l'avant à l'arrière, dans quelle direction se meut-il? Vers l'est, répondra-t-on évidemment, et pour le moment cette réponse peut passer. Mais on lève l'ancre et le vaisseau vogue vers l'ouest avec une vitesse égale à celle du capitaine qui marche vers l'est. Dans quelle direction se meut à présent le capitaine, quand il va de l'avant à l'arrière de son navire? Nous ne pouvons plus dire: l'est, comme tout à l'heure, puisque tandis qu'il va vers l'est, le vaisseau l'emporte vers l'ouest; et réciproquement nous ne pouvons pas dire: l'ouest. Par rapport à l'espace ambiant il ne bouge pas, quoiqu'il paraisse se mouvoir pour tout ce qui est à bord. Mais sommes-nous tout à fait sûrs de cette conclusion? Le capitaine est-il réellement toujours au même point? Quand nous tenons compte du mouvement de la terre autour de son axe nous voyons que loin d'être stationnaire, le capitaine voyage vers l'est à raison de 1000 milles par heure; de sorte que la perception de celui qui le regarde, pas plus que celle de celui qui tient compte du mouvement du vaisseau, ne se rapproche de la vérité. De plus, un examen plus attentif nous fera voir que cette conclusion corrigée ne vaut pas mieux que les autres. En effet, nous avons oublié le mouvement de la terre dans son orbite. Comme il est de 68000 milles par heure, il s'en suit qu'en supposant qu'il soit midi, le capitaine se meut non pas à raison de 1000 milles à l'heure vers l'est, mais à raison de 67000 milles vers l'ouest. Et pourtant nous n'avons pas encore trouvé le vrai sens et la vraie vitesse de son mouvement. Au mouvement de la terre dans son orbite il faut joindre celui du système solaire tout entier vers la constellation d'Hercule, et si nous le faisons, nous voyons que le capitaine ne va ni vers l'est ni vers l'ouest, mais qu'il suit une ligne inclinée sur le plan de l'écliptique, et qu'il va avec une vitesse plus grande ou moindre (suivant l'époque de l'année) que celle que nous avons donnée. À cela, il faut encore ajouter que si les arrangements dynamiques de notre système sidéral nous étaient complètement connus, nous découvririons probablement que la direction et la vitesse du mouvement réel diffèrent encore considérablement des résultats obtenus.
Herbert Spencer.
Nous n'observons que des mouvements relatifs. Lorsque nous croyons marcher en ligne droite dans notre chambre, notre trajectoire dans l'espace est en réalité une ligne courbe compliquée. En effet, la terre se déplace rapidement dans l'espace, en emportant nos maisons.
Si on est fortement penché d'un côté, le corps se porte de l'autre pour faire le contrepoids, et se balance lui-même en diverses manières, pour prévenir une chute, ou pour la rendre moins incommode. Par la même raison, si l'on porte un grand poids d'un des côtés, on se sert de l'autre à contre-peser. Une femme qui porte un seau d'eau pendu à la droite étend le bras gauche et se penche de ce côté-là. Celui qui porte sur le dos se penche en avant; et, au contraire, quand on porte sur la tête, le corps se tient naturellement droit. Enfin, il ne manque jamais de se situer de la manière la plus convenable pour se soutenir; en sorte que les parties ont toujours un même centre de gravité, qu'on prend au juste, comme si l'on savait la Mécanique.
Bossuet.
Je me suis proposé de réduire la théorie de cette Science (la Mécanique), et l'art de résoudre les problèmes qui s'y rapportent, à des formules générales, dont le simple développement donne toutes les équations nécessaires pour la solution de chaque problème.
On ne trouve point de figure dans cet Ouvrage (Mécanique analytique). Les méthodes que j'y expose ne demandent ni constructions, ni raisonnements géométriques ou mécaniques, mais seulement des opérations algébriques, assujetties à une marche régulière et uniforme. Ceux qui aiment l'Analyse verront avec plaisir la Mécanique en devenir une nouvelle branche, et me sauront gré d'en avoir étendu ainsi le domaine.
Lagrange.
Dans la mécanique, le calcul différentiel est le passage de l'effet à la cause, de l'espace parcouru dans un temps donné à la vitesse acquise et de cette vitesse à la force accélératrice. Inversement, le calcul intégral est le passage de la cause à l'effet, de la force à la vitesse qu'elle produit, et de cette vitesse à l'espace parcouru en vertu de cette vitesse elle-même.
E. Jacquier.
ASTRONOMIE
J'ai pensé, puisque d'autres avant moi ont osé imaginer une foule de cercles pour démontrer les phénomènes astronomiques, que je pourrais me permettre aussi d'essayer si, en supposant la Terre immobile, on ne parviendrait pas à trouver, sur la révolution des corps célestes, des démonstrations plus solides que celles qui ont été mises en avant. Après de longues recherches, je me suis enfin convaincu: que le Soleil est une étoile fixe, entourée de planètes qui tournent autour d'elle, et dont elle est le centre et le flambeau; qu'outre les planètes principales, il en est d'autres de second ordre, qui circulent d'abord comme satellites autour de leurs planètes principales, et avec celles-ci autour du Soleil; que la Terre est une planète principale, assujettie à un triple mouvement; et que tous les phénomènes du mouvement diurne et annuel, le retour périodique des saisons, toutes les vicissitudes de la lumière et de la chaleur de l'atmosphère qui les accompagnent sont des résultats de la rotation de la Terre autour de son axe et de son mouvement périodique autour du Soleil.
Copernic.
Quand Newton mit au jour cette grande pensée (l'attraction universelle) appuyée sur une géométrie neuve et sublime, l'astronomie changea de face, et les cieux parurent raconter pour la première fois la gloire de leur Auteur: cependant, la théorie n'avait pas rempli toute sa tâche, il s'en fallait bien; des phénomènes importants lui échappaient; d'étonnantes exceptions, des désordres inexplicables la troublaient; la loi mal assurée semblait quelquefois se déconcerter et se contredire. Un siècle s'était écoulé depuis la publication des Principes mathématiques de la philosophie naturelle, et, dans ce siècle, plusieurs générations de grands géomètres, d'observateurs infatigables, avaient réuni leurs efforts gigantesques contre les difficultés, et ils n'avaient pu les vaincre toutes. Il y avait encore, il n'y a pas trente ans, des scandales dans le ciel; il y avait des planètes réfractaires aux tables des astronomes. Bien plus, en promulguant la loi de gravitation, Newton avait douté qu'elle fût capable de porter ce poids du monde qu'il lui imposait; il avait pensé qu'elle vieillirait comme les lois humaines, et qu'un jour viendrait, il l'a écrit, où il faudrait que la main du Créateur s'étendît pour remettre les choses en place.
Newton se trompait, Messieurs. Non, pour remettre le système en ordre, il ne sera pas besoin de la main du Créateur; il suffira d'un autre Newton. M. Laplace est venu, et, par ses immenses travaux, par la puissance et les ressources de son génie, l'astronomie réduite à un problème de mécanique, ne découvre plus dans les cieux que l'accomplissement mathématique de lois invariables. Jupiter et ses satellites, Saturne, la Lune sont domptés dans leurs écarts; ce qui paraissait exception est la règle même; ce qui semblait désordre est un ordre plus savant; partout la simplicité de la cause triomphe dans la complication infinie des effets. Enfin, et c'est le comble de la gloire de M. Laplace, il lui a été réservé d'absoudre la loi de l'univers, c'est-à-dire la sagesse divine, de ces reproches d'imprévoyance ou d'impuissance où le génie de Newton était tombé; le premier, il a démontré que le système solaire reçoit, dans les conditions qui lui sont imposées, le gage de son imperturbable durée.
Royer-Collard.
L'astronomie, considérée de la manière la plus générale, est un grand problème de mécanique...; sa solution dépend à la fois de l'exactitude des observations et de la perfection de l'analyse, et il importe extrêmement d'en bannir tout empirisme, et de la réduire à n'emprunter de l'observation que les données indispensables.
Laplace.
La plus magnifique confirmation qu'aient reçue les théories astronomiques a été la découverte de la planète Neptune par Leverrier en 1846.
Les observations prolongées de la planète Uranus avaient montré un désaccord constant entre le calcul et les faits. Cette planète pas plus qu'une autre ne décrit exactement l'ellipse de Kepler; elle éprouve des perturbations de la part des autres astres du système solaire. Mais on avait beau tenir compte de toutes celles qui pouvaient être produites par les planètes connues, on n'arrivait pas à faire disparaître ce désaccord et à pouvoir construire des tables suffisamment exactes; il subsistait constamment des différences sensibles et inexpliquées. On en vint à penser que la cause de ces différences résidait probablement dans l'existence d'une planète encore inconnue.
Ce fut Leverrier qui eut la gloire de transformer cette supposition en certitude. Renversant le problème ordinaire du calcul des perturbations, il parvint à déterminer la masse et l'orbite de la planète inconnue, d'après les effets qu'elle produisait sur Uranus; il alla jusqu'à pouvoir assigner la place qu'elle devait occuper dans le ciel à une date qu'il désigna. Il suffit à M. Galle, de Berlin, de diriger une lunette vers cette place pour apercevoir tout près de là un astre, invisible à l'œil nu, qui n'était marqué sur aucune carte du ciel: les observations des jours suivants montrèrent qu'il se déplaçait parmi les étoiles; c'était donc bien une planète.
Guiraudet.
En réfléchissant au mouvement diurne auquel tous les corps célestes sont assujettis, on reconnaît évidemment l'existence d'une cause générale qui les entraîne ou qui paraît les entraîner autour de l'axe du monde. Si l'on considère que ces corps sont isolés entre eux, et placés loin de la terre, à des distances très différentes; que le soleil et les étoiles en sont beaucoup plus éloignés que la lune, et que les variations des diamètres apparents des planètes indiquent de grands changements dans leurs distances; enfin que les comètes traversent librement le ciel dans tous les sens; il sera très facile de concevoir qu'une même cause imprime à tous ces corps un mouvement commun de rotation. Mais les astres se présentent à nous de la même manière, soit que le ciel les entraîne autour de la terre supposée immobile, soit que la terre tourne en sens contraire, sur elle-même; il paraît beaucoup plus naturel d'admettre ce dernier mouvement et de regarder celui du ciel comme une apparence.
La terre est un globe dont le rayon n'est pas de sept millions de mètres: le soleil est, comme on l'a vu, incomparablement plus gros. Si son centre coïncidait avec celui de la terre, son volume embrasserait l'orbe de la lune, et s'étendrait une fois plus loin, d'où l'on peut juger de son immense grandeur: il est d'ailleurs éloigné de nous d'environ vingt-trois mille rayons terrestres. N'est-il pas infiniment plus simple de supposer au globe que nous habitons un mouvement de rotation sur lui-même, que d'imaginer, dans une masse aussi considérable et aussi distante que le soleil, le mouvement extrêmement rapide qui lui serait nécessaire pour tourner, en un jour, autour de la terre? Quelle force immense ne faudrait-il pas alors pour le contenir et balancer sa force centrifuge? Chaque astre présente des difficultés semblables qui sont toutes levées par la rotation de la terre.
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Entraînés par un mouvement commun à tout ce qui nous environne, nous ressemblons au navigateur que les vents emportent avec son vaisseau sur les mers. Il se croit immobile; et le rivage, les montagnes et tous les objets placés hors du vaisseau, lui paraissent se mouvoir. Mais en comparant l'étendue du rivage et des plaines, et la hauteur des montagnes à la petitesse de son vaisseau, il reconnaît que leur mouvement n'est qu'une apparence produite par son mouvement réel. Les astres nombreux répandus dans l'espace céleste, sont, à notre égard, ce que le rivage et les montagnes sont par rapport au navigateur; et les mêmes raisons par lesquelles il s'assure de la réalité de son mouvement nous prouvent celui de la terre.
Laplace.
Pendant des siècles on a fait de la Terre le centre du monde, en obligeant les planètes, le soleil et jusqu'aux étoiles à tourner autour d'elle. Copernic est survenu et dès lors la Terre a pris une place des plus modestes dans le cortège des planètes que gouverne le soleil. Voici maintenant que le soleil à son tour n'est plus qu'une des innombrables étoiles de la Voie lactée....
F. Tisserand.
Toutes nos notions, en fait de distances célestes ou terrestres, reposent, en dernière analyse, sur quelques bases mesurées çà et là, principalement par des Français.
Faye.
PROBABILITÉS
Il y a des jeux où dix personnes mettant chacune un écu, il n'y en a qu'une qui gagne le tout et toutes les autres perdent: ainsi chacun des joueurs n'est au hasard que de perdre un écu, et pour en gagner neuf. Si l'on ne considérait que la perte et le gain en soi, il semblerait que tous y ont de l'avantage; mais il faut de plus considérer que si chacun peut gagner neuf écus, et n'est au hasard que d'en perdre un, il est aussi neuf fois plus probable, à l'égard de chacun, qu'il perdra son écu et ne gagnera pas les neuf. Ainsi, chacun a pour soi neuf écus à espérer, un écu à perdre, neuf degrés de probabilité de perdre un écu et un seul de gagner les neuf écus: ce qui met la chose dans une parfaite égalité.
Tous les jeux qui sont de cette sorte sont équitables, autant que les jeux peuvent l'être, et ceux qui sont hors de cette proportion sont manifestement injustes; et c'est par là qu'on peut faire voir qu'il y a une injustice évidente dans ces espèces de jeux qu'on appelle loteries, parce que le maître de loterie prenant d'ordinaire sur le tout une dixième partie pour son préciput, tout le corps des joueurs est dupé de la même manière que si un homme jouait un jeu égal, c'est-à-dire où il y a autant d'apparence de gain que de perte, dix pistoles contre neuf. Or si cela est désavantageux à tout le corps, cela l'est aussi à chacun de ceux qui le composent, puisqu'il arrive de là que la probabilité de la perte surpasse plus la probabilité du gain que l'avantage qu'on espère ne surpasse le désavantage auquel on s'expose, qui est de perdre ce qu'on y met.
Logique de Port-Royal.
Pesons le gain et la perte, en prenant croix, que Dieu est. Estimons ces deux cas: si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter.
—Cela est admirable: oui, il faut gager; mais je gage peut-être trop.
—Voyons. Puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n'aviez qu'à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gager. Mais s'il y en avait trois à gagner, il faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer) et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé à jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain.
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Mais il y a ici une infinité de vies infiniment heureuses à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela est tout parti: partout où est l'infini et où il n'y a pas une infinité de hasards de perte contre celui de gain, il n'y a point à balancer, il faut tout donner; et ainsi, quand on est forcé à jouer, il faut renoncer à la raison, pour garder la vie plutôt que de la hasarder pour le gain infini aussi prêt à arriver que la perte du néant.
Car il ne sert de rien de dire qu'il est incertain si l'on gagnera, et qu'il est certain qu'on hasarde, et que l'infinie distance qui est entre la certitude de ce qu'on s'expose et l'incertitude de ce qu'on gagnera égale le bien fini qu'on expose certainement à l'infini qui est incertain. Cela n'est pas ainsi: tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini, sans pécher contre la raison. Il n'y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu'on s'expose et l'incertitude du gain; cela est faux. Il y a, à la vérité, infinité de distance entre la certitude de gagner et la certitude de perdre. Mais l'incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu'on hasarde, selon la proportion des hasards de gain et de perte; et de là vient que s'il y a autant de hasard d'un côté que de l'autre, le parti est à jouer égal contre égal; et alors la certitude de ce qu'on expose est égale à l'incertitude du gain; tant s'en faut qu'elle soit infiniment distante. Et ainsi notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l'infini à gagner. Cela est démonstratif; si les hommes sont capables de quelques vérités, celle-là l'est.
Pascal.
Nous devions citer ce morceau célèbre, mais nous nous empressons d'y joindre le commentaire de M. J. Bertrand:
«On a cru, dans une page de Pascal, voir l'application du calcul des probabilités à la démonstration de l'existence de Dieu. C'est lui prêter injustement un ridicule. Pascal, acceptant, comme hypothèse, le doute sur l'existence de Dieu, doit, la logique l'exige, rencontrer le dilemme: Ou Dieu existe ou il n'existe pas. L'incrédule hésite! Chaque opinion est donc pour lui plus ou moins probable; Pascal ne tente nullement l'examen du problème pour le réduire en formule et en chiffres. Il n'associe au mot probabilité rien qui tienne à l'algèbre; la mesure exacte ou approchée des chances reste en dehors de son argument. Puisque deux hypothèses sont possibles, on pourrait établir un pari. Il y a deux choses dans un pari: la chance de gagner et la somme hasardée. Pascal ne s'occupe que de l'enjeu. L'impie qui parie pour l'athéisme, sera damné s'il perd. Rien n'est trop cher, quelles que soient les chances, pour se soustraire à ce formidable risque.»
Ainsi des chances favorables et nombreuses étant constamment attachées à l'observation des principes éternels de raison, de justice et d'humanité, qui fondent et maintiennent les sociétés, il y a grand avantage à se conformer à ces principes, et de graves inconvénients à s'en écarter. Que l'on consulte les histoires et sa propre expérience, on y verra tous les faits venir à l'appui de ce résultat du calcul. Considérez les heureux effets des institutions fondées sur la raison et sur les droits naturels de l'homme, chez les peuples qui ont su les établir et les conserver. Considérez encore les avantages que la bonne foi a procurés aux gouvernements qui en ont fait la base de leur conduite, et comme ils ont été dédommagés des sacrifices qu'une scrupuleuse exactitude à tenir ses engagements leur a coûtés. Quel immense crédit au dedans! Quelle prépondérance au dehors! Voyez au contraire dans quel abîme de malheurs, les peuples ont été souvent précipités par l'ambition et par la perfidie de leurs chefs. Toutes les fois qu'une grande puissance enivrée de l'amour des conquêtes aspire à la domination universelle, le sentiment de l'indépendance produit, entre les nations menacées, une coalition dont elle devient presque toujours la victime.
Laplace.
L'extrême difficulté des problèmes relatifs au système du monde a forcé les géomètres à recourir à des approximations qui laissent toujours à craindre que les quantités négligées n'aient une influence sensible. Lorsqu'ils ont été avertis de cette influence, par les observations, ils sont revenus sur leur analyse; en la rectifiant, ils ont toujours retrouvé la cause des anomalies observées; ils en ont déterminé les lois, et souvent ils ont devancé l'observation, en découvrant des inégalités qu'elle n'avait pas encore indiquées. Ainsi l'on peut dire que la nature elle-même a concouru à la perfection analytique des théories fondées sur la pesanteur universelle; et c'est, à mon sens, une des plus fortes preuves de la vérité de ce principe admirable.
Laplace.
Il est bien important de tenir compte, dans chaque branche de l'administration publique, un registre exact des effets qu'ont produits les divers moyens dont on a fait usage, et qui sont autant d'expériences faites en grand par les gouvernements. Appliquons aux sciences politiques et morales la méthode fondée sur l'observation et sur le calcul, méthode qui nous a si bien servi dans les sciences naturelles. N'opposons point une résistance inutile et souvent dangereuse aux effets inévitables du progrès des lumières; mais ne changeons qu'avec une circonspection extrême nos institutions et les usages auxquels nous sommes depuis si longtemps pliés. Nous connaissons bien par l'expérience du passé les inconvénients qu'ils présentent; mais nous ignorons quelle est l'étendue des maux que leur changement peut produire. Dans cette ignorance, la théorie des probabilités prescrit d'éviter tout changement: surtout il faut éviter tout changement brusque qui, dans l'ordre moral, comme dans l'ordre physique, ne s'opère jamais sans une grande perte de force vive.
Laplace.
La probabilité des décisions d'une assemblée dépend de la pluralité des voix, des lumières et de l'impartialité des membres qui la composent. Tant de passions et d'intérêts particuliers y mêlent si souvent leur influence, qu'il est impossible de soumettre au calcul cette probabilité. Il y a cependant quelques résultats généraux dictés par le simple bon sens, et que le calcul confirme. Si, par exemple, l'assemblée est très peu éclairée sur l'objet soumis à sa décision; si cet objet exige des considérations délicates, ou si la vérité sur ce point est contraire à des préjugés reçus, en sorte qu'il y ait plus d'un à parier contre un que chaque votant s'en écartera; alors la décision de la majorité sera probablement mauvaise, et la crainte à cet égard sera d'autant plus fondée, que l'assemblée sera plus nombreuse. Il importe donc à la chose publique, que les assemblées n'aient à se prononcer que sur des sujets à la portée du plus grand nombre: il lui importe que l'instruction soit généralement répandue, et que de bons ouvrages fondés sur la raison et sur l'expérience éclairent ceux qui sont appelés à décider du sort de leurs semblables ou à les gouverner, et les prémunissent d'avance contre les faux aperçus et les préventions de l'ignorance. Les savants ont de fréquentes occasions de remarquer que les premiers aperçus trompent souvent, et que le vrai n'est pas toujours vraisemblable.
Laplace.
Cependant l'induction, en faisant découvrir les principes généraux des sciences, ne suffit pas pour les établir en rigueur... Je citerai pour exemple un théorème de Fermat sur les nombres premiers. Ce grand géomètre, qui avait longuement médité sur leur théorie, cherchait une formule qui, ne renfermant que des nombres premiers, donnât directement un nombre premier plus grand qu'aucun nombre assignable. L'induction le conduisit à penser que deux, élevé à une puissance qui était elle-même une puissance de deux, formait avec l'unité un nombre premier.
Ainsi deux, élevé au carré, plus un, forme le nombre premier cinq; deux, élevé à la seconde puissance de deux, ou seize, forme avec un le nombre premier dix-sept. Il trouva que cela était encore vrai pour la huitième et la seizième puissance de deux, augmentées de l'unité; et cette induction, appuyée de plusieurs considérations arithmétiques, lui fit regarder ce résultat comme général. Cependant il avoua qu'il ne l'avait pas démontré. En effet, Euler a reconnu que cela cesse d'avoir lieu pour la trente-deuxième puissance de deux, qui, augmentée de l'unité, donne 4294967297, nombre divisible par 641.
Laplace.
Le physicien Jacobi raconte que son frère, le grand mathématicien, croyant avoir découvert une loi générale des nombres, l'essaya sur un nombre pris au hasard. Ce nombre la mit en défaut, tandis que beaucoup d'autres nombres essayés à leur tour la vérifièrent. Plus tard, le grand Jacobi reconnut que le nombre pris d'abord appartenait à la seule catégorie de nombres formant exception à la loi considérée.
Un paradoxe singulier rend ce jeu,—le problème de Saint-Pétersbourg, c'est le nom qu'on lui donne,—mémorable et célèbre. Pierre joue avec Paul; voici les conditions: Pierre jettera une pièce de monnaie autant de fois qu'il sera nécessaire pour qu'elle montre le côté face. Si cela arrive au premier coup, Paul lui donnera un écu; si ce n'est qu'au second, deux écus; s'il faut attendre au troisième coup, il en donnera quatre, huit au quatrième, toujours en doublant. Tels sont les engagements de Paul. Quels doivent être ceux de Pierre? La science consultée par Daniel Bernoulli, donne pour réponse: une somme infinie. Le parti de Pierre, c'est le mot consacré, est au-dessus de toute mesure.
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..... Il faut approuver absolument et simplement la réponse réputée absurde. Pierre possède, je suppose, un million d'écus et les donne à Paul en échange des promesses convenues. Il est fou! dira-t-on. Le placement est aventureux, mais excellent; l'avantage infini est réalisable. Qu'il joue obstinément, il perdra une partie, mille, mille millions de milliards peut-être; qu'il ne se rebute pas, qu'il recommence un nombre de fois que la plume s'userait à écrire, qu'il diffère surtout le règlement des comptes, la victoire pour lui est certaine, la ruine de Paul inévitable. Quel jour? quel siècle? On l'ignore; avant la fin des temps certainement, le gain de Pierre sera colossal.
J. Bertrand.
L'application du calcul aux décisions judiciaires est, dit Stuart Mill, le scandale des mathématiques. L'accusation est injuste. On peut peser du cuivre et le donner pour de l'or, la balance reste sans reproche. Dans leurs travaux sur la théorie des jugements, Condorcet, Laplace et Poisson n'ont pesé que du cuivre.
La réunion, quelle qu'elle soit, qui peut juger bien ou mal, est remplacée dans leurs études par des urnes où l'on puise des boules blanches ou noires.....
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..... Mais une autre objection est sans réplique: l'indépendance des tirages est supposée; les urnes, dans les calculs, échappent à toute influence commune. Les juges, au contraire, s'éclairent les uns les autres, les mêmes faits les instruisent, les mêmes sollicitations les tourmentent, la même éloquence les égare, c'est sur les mêmes considérants qu'ils font reposer la vérité ou l'erreur. L'assimilation est impossible.
J. Bertrand.
Le jeu ruine ceux qui s'y livrent. Il n'y a exception que pour les joueurs auxquels les conditions acceptées accordent un avantage.
Le fermier des jeux à Monte-Carlo peut accroître sans crainte le nombre des coups. La menace ne s'adresse qu'aux pontes.
Lorsque le jeu est équitable, la ruine tôt ou tard est certaine.
La proposition semble contradictoire. En ruinant l'un des joueurs, le jeu enrichit l'autre; en s'exposant à perdre une fortune, on a l'espoir de la doubler.
Cela n'est pas douteux; mais, quand la fortune est doublée, le théorème s'y applique avec la même certitude; elle peut doubler encore, centupler peut-être, tout sera emporté à la fois par un caprice du hasard. En combien de temps? Nul ne le sait; la probabilité augmente avec le nombre des parties et converge vers la certitude.
J. Bertrand.
Les philosophes, qui veulent déterminer l'avenir indéfini de l'espèce humaine par la seule observation du passé, sont dans une grande erreur... Ils ne s'occupent du présent qu'après avoir découvert l'avenir. C'est comme si, pour connaître les affections de la courbe des observations, on se servait du prolongement conjectural de cette courbe, qui peut n'avoir rien de commun avec ce qui résulterait de la loi inconnue du phénomène...
Rien ne serait plus dangereux que de confier la direction de la société à des chefs qui se seraient fait un type bien arrêté de l'état définitif de la société et la pousseraient sans ménagement dans cette voie.
Duhamel.
ENSEIGNEMENT
Nous estimons que l'étude complète de toute science devrait comprendre une période préparatoire ou d'amorce, une période théorique ne portant que sur les parties à la fois importantes et simples et une période complémentaire où la discussion s'aiguiserait et se généraliserait.
Les premières notions de mathématiques doivent faire partie de l'éducation des enfants. Les chiffres et les lignes parlent plus qu'on ne croit à leur imagination naissante et c'est un moyen sûr de l'exercer sans l'égarer.
Condorcet.
La longue formation de l'humanité recommence en chaque petit enfant...
Le premier calculateur n'a pas débuté par les règles abstraites qu'on trouve dans les livres d'école. Il est assez évident qu'il a dû se trouver d'abord en présence de problèmes pratiques, dont il n'a pu se tirer qu'en tendant tous les ressorts de son intelligence pour créer la règle, et qu'il n'a pas fait de l'art pour l'art. Faire débuter l'enfant par la règle abstraite, et lui poser ensuite les problèmes à résoudre, c'est aller au rebours de la marche de l'esprit humain, qui en est chez lui au point où il en était dans l'enfance de l'espèce.
Alors, qu'arrive-t-il? C'est que son intelligence, ainsi brusquée, se refuse à l'abstraction qui se présente avant l'heure, et que sa mémoire seule entre en jeu pour se charger douloureusement de mots et de pratiques dont le sens lui échappe.
La vraie méthode est donc ici de le replacer dans les conditions du commencement, et de le faire assister en quelque sorte à la création de l'arithmétique.
J. Macé.
Nous concevons la possibilité d'un enseignement gradué de la géométrie élémentaire, conduit, à tous ses degrés, d'après un plan unique et invariable, toujours soumis aux règles de la plus sévère logique, et où les difficultés ne se montreraient qu'à mesure que les esprits seraient préparés à les aborder.
Pour cela, l'étude de la géométrie devrait être reprise à divers points de vue, correspondant aux divers degrés d'initiation des élèves. Pour les commençants, il s'agit avant tout de se familiariser avec les figures et leurs dénominations, d'apprendre des faits, d'entrevoir leurs applications les plus simples et les plus immédiates, celles surtout qui se rapportent aux usages de la vie ordinaire.
On devra donc au début multiplier les axiomes, employer, au lieu de démonstrations, les vérifications expérimentales, l'analogie, l'induction, en ne laissant jamais oublier que ce mode d'exposition est essentiellement provisoire. On exercera l'élève aux tracés graphiques, à la solution de divers problèmes de levé des plans et d'arpentage, à la construction des figures en relief... Le maître saura proportionner au degré de développement intellectuel de l'élève la part plus ou moins grande qu'il devra faire au raisonnement dans cette première ébauche des études géométriques.
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Le premier enseignement sera donc exclusivement expérimental, et peu à peu on fera voir à l'élève comment toutes les vérités n'ont pas besoin d'être séparément constatées par l'expérience, et comment elles sont les conséquences d'un certain nombre d'entre elles, nombre que l'on restreindra de plus en plus, à mesure que l'on avancera dans l'étude de la science, jusqu'à ce qu'on soit arrivé aux axiomes fondamentaux, dont le nombre ne peut plus être réduit.
Hoüel.
J'ai dit que la Géométrie n'était pas à la portée des enfants; mais c'est notre faute. Nous ne sentons pas que leur méthode n'est point la nôtre, et que ce qui devient pour nous l'art de raisonner ne doit être pour eux que l'art de voir. Au lieu de leur donner notre méthode, nous ferions mieux de prendre la leur; car notre manière d'apprendre la géométrie est bien autant une affaire d'imagination que de raisonnement. Quand la proposition est énoncée, il faut en imaginer la démonstration, c'est-à-dire trouver de quelle proposition déjà sue celle-là doit être une conséquence, et, de toutes les conséquences qu'on peut tirer de cette proposition, choisir précisément celle dont il s'agit.
De cette manière le raisonneur le plus exact, s'il n'est inventif, doit rester court. Aussi qu'arrive-t-il de là? Qu'au lieu de nous faire trouver les démonstrations, on nous les dicte; qu'au lieu de nous apprendre à raisonner, le maître raisonne pour nous et n'exerce que notre mémoire.
Faites des figures exactes, combinez-les, posez-les l'une sur l'autre, examinez leurs rapports; vous trouvez toujours la géométrie élémentaire en marchant d'observation en observation, sans qu'il soit question ni de définitions, ni de problèmes, ni d'aucune autre forme démonstrative que la simple superposition. Pour moi, je ne prétends point apprendre à Émile la géométrie, c'est lui qui me l'apprendra; je chercherai des rapports et il les trouvera, car je les chercherai de manière à les lui faire trouver. Par exemple, au lieu de me servir d'un compas pour tracer un cercle, je le tracerai avec une pointe au bout d'un fil tournant sur un pivot. Après cela, quand je voudrai comparer les rayons entre eux, Émile se moquera de moi, et il me fera comprendre que le même fil toujours tendu ne peut avoir tracé des distances inégales.
Si je veux mesurer un angle de soixante degrés, je décris du sommet de cet angle, non pas un arc mais un cercle entier; car avec les enfants il ne faut jamais rien sous-entendre. Je trouve que la portion de cercle comprise entre les deux côtés de l'angle est la sixième partie du cercle. Après cela, je décris du même sommet un autre plus grand cercle, et je trouve que ce second arc est encore la sixième partie de son cercle. Je décris un troisième arc concentrique sur lequel je fais la même épreuve; et je la continue sur de nouveaux cercles, jusqu'à ce qu'Émile, choqué de ma stupidité, m'avertisse que chaque arc, grand ou petit, compris par le même angle, sera toujours la sixième partie de son cercle...
Nous voilà tout à l'heure à l'usage du rapporteur.
Pour prouver que les angles de suite sont égaux à deux droits, on décrit un cercle; moi, tout au contraire, je fais en sorte qu'Émile remarque cela premièrement dans le cercle, et puis je lui dis: si l'on ôtait le cercle, et qu'on laissât les lignes droites, les angles auraient-ils changé de grandeur? etc... On néglige la justesse des figures, on la suppose, et l'on s'attache à la démonstration. Entre nous, au contraire, il ne sera jamais question de démonstration; notre plus importante affaire sera de tirer des lignes bien droites, bien justes, bien égales; de faire un carré parfait, de tracer un cercle bien rond. Pour vérifier la justesse de la figure, nous l'examinerons par toutes ses propriétés sensibles; et cela nous donnera l'occasion d'en découvrir chaque jour de nouvelles. Nous plierons par le diamètre les deux demi-cercles; par la diagonale, les deux moitiés du carré: nous comparerons nos deux figures pour voir celle dont les bords conviennent le plus exactement et par conséquent la mieux faite; nous distinguerons si cette égalité de partage doit avoir toujours lieu dans les parallélogrammes, dans les trapèzes, etc... On essaiera quelquefois de prévoir le succès de l'expérience avant de la faire, on tâchera de trouver des raisons, etc...
La géométrie n'est pour mon élève que l'art de se bien servir de la règle et du compas...
J.-J. Rousseau.
Il est temps d'entrer dans le vif de la question pédagogique: Comment convient-il d'étudier une figure avec les commençants? Vous m'excuserez si je numérote les parties successives de la réponse.—1o Avant tout, montrez le modèle matériel, faites-le circuler et manier, puis, dessinez-le au tableau et que toute la classe vous imite.—2o Faites dégager la propriété principale de la figure, celle qui servira de définition. Cette propriété est jointe à d'autres, simples aussi, et il faudra parfois aider un peu l'enfant.—3o L'essentiel de la figure étant connu, prononcez son nom, pour la première fois. On s'empresse autour de vous d'écrire le nom sur la chose. Vous demandez des exemples familiers, etc.—4o Vous invitez un élève à formuler la définition. Elle est un peu embarrassée, cette définition; vous la rectifiez et vous la dictez, pour qu'elle soit apprise par cœur. La définition se borne ainsi à résumer nettement ce qui est déjà su.—5o Il faut ensuite connaître la figure plus en détail. Faites deviner ou remarquer les autres propriétés, sans les démontrer, c'est-à-dire sans les déduire de la propriété fondamentale. Les nouvelles propriétés sont seulement constatées et vérifiées.—6o Terminez enfin par les constructions et les problèmes simples, se rattachant à la figure soumise à vos investigations.
On peut enseigner d'abord une algèbre modeste et, pour ainsi dire, préliminaire, où les règles découlent d'exemples particuliers et non de raisonnements généraux et abstraits. Voici les indications principales pour un enseignement dirigé dans cet esprit.
1o Généraliser lentement.—Je ne saurais trop le répéter, l'esprit se refuse aux abstractions brusquement imposées. C'est graduellement qu'on passe d'une de ces idées à la suivante: trois chevaux, le nombre trois en général, un nombre quelconque représenté par a ou par x.
2o Laisser de côté les nombres négatifs, 0/0, m/0 et les imaginaires.—Ces symboles sont délicats à comprendre et il faut les réserver pour une étude approfondie de l'algèbre. Composez, en conséquence, des exercices et problèmes ne présentant pas d'impossibilités arithmétiques.
3o Supprimer les discussions.—Ces examens à fond des questions, de toutes leurs particularités et de toutes leurs exceptions, supposent des esprits aiguisés. Reportons-les aussi, sans hésiter, à la seconde période d'enseignement.
4o Dès le début, de petits problèmes résolus à l'aide de x.—Vous amorcez ainsi le nouveau sujet au moyen d'un chapitre, pour ainsi dire complémentaire de l'arithmétique. Le calcul algébrique ne vient qu'ensuite.
5o Glisser sur la théorie du calcul algébrique.—Ce sujet est assez aride; il est, du reste, peu important pour le moment. C'est la pratique qui importe, en évitant les opérations trop longues.
Insister sur le carré d'un binome et passer sous silence la division des polynomes.
6o Raisonner directement des problèmes gradués.—La méthode des équations s'accuse ainsi d'elle-même plus clairement qu'en la formulant a priori.
7o Équations abstraites.—Nous pouvons maintenant passer aux équations séparées des problèmes concrets leur servant de supports. On n'a qu'à reprendre des raisonnements déjà faits, mais en les présentant d'une façon plus générale. Se borner à énoncer les principes qui sont presque évidents.
La Géométrie est peut-être, de toutes les parties des mathématiques, celle que l'on doit apprendre la première; elle me paraît très propre à intéresser les enfants, pourvu qu'on la leur présente principalement par rapport à ses applications, soit sur le papier, soit sur le terrain. Les opérations de tracé et de mesurage ne manqueront pas de les occuper agréablement, et les conduiront ensuite, comme par la main, au raisonnement.
Les éléments de Géométrie de Clairaut, ordonnés suivant la méthode des inventeurs, sont les plus convenables pour diriger le maître dans cette circonstance.....
Lacroix.
Feu M. Clairaut imagina de faire apprendre facilement aux jeunes gens les éléments de la géométrie; il voulut remonter à la source, et suivre la marche de nos découvertes et des besoins qui les ont produites.
Cette méthode paraît agréable et utile; mais elle n'a pas été suivie; elle exige chez le maître une flexibilité d'esprit qui sait se proportionner, et un agrément rare dans ceux qui suivent la routine de leur profession.
Voltaire.
Il y a deux manières d'étudier les mathématiques et deux époques pour faire ces études avec des fruits divers.
On peut les étudier matériellement, machinalement, en demeurant dans les faits mathématiques, dans les mots, dans les chiffres, dans les formules d'un enseignement sans plénitude et sans élévation.....
Ou bien, on peut les étudier intellectuellement, originalement, en comparant le sens et le lien des mots, des idées et des choses, en s'élevant aux grandes et aux simples lumières de la science, en saisissant, pénétrant, possédant réellement la vérité.
Dupanloup.
Aujourd'hui la partie philosophique de la science est très négligée; les moyens de briller dans un examen ou concours marchent en première ligne; sauf de rares exceptions, les professeurs songent beaucoup plus à familiariser les élèves avec le mécanisme du calcul qu'à leur en faire sonder les principes. Je ne sais, en vérité, si l'on ne pourrait pas dire de certaines personnes qu'elles emploient l'analyse comme la plupart des manufacturiers se servent de la machine à vapeur, sans se douter de son mode d'action. Et qu'on ne prétende pas que cet enseignement vicieux soit un sacrifice obligé à la passion dominante de notre époque, à la rage d'aller vite en toutes choses.
Arago.
Préférez, dans l'enseignement, les méthodes les plus générales. Attachez-vous à les présenter de la manière la plus simple, et vous verrez en même temps qu'elles sont presque toujours les plus faciles.
Laplace.
Les exemples instruisent mieux que les préceptes.
Newton.
Au moyen-âge et jusqu'au xviie siècle, l'enseignement portait sur les sept arts libéraux et il comprenait le Trivium (grammaire, rhétorique et dialectique) et le Quadrivium (arithmétique, géométrie, musique et astronomie).
Sommes-nous revenus au système de Ptolémée?
Je me souviens d'un fort habile homme qui, sur la lecture du premier volume d'un de nos plus savants traités d'astronomie, voyant l'auteur toujours parler des mouvements du soleil, des cercles qu'il parcourt, de sa révolution diurne, de ses mouvements annuels, progrès, stations et rétrogradations, croyait, d'après cet exposé, que l'Académie des sciences était revenue au système de Ptolémée.
Pourquoi commencer par décrire longuement et minutieusement à l'élève des apparences dont il apprendra ensuite la fausseté? Pourquoi ne pas lui dire tout de suite et franchement ce qui en est?
Gratry.
Dans le domaine des Mathématiques pures, on peut distinguer deux parties: l'une, la plus élevée, qui s'augmente constamment, presque toujours par degrés insensibles, ne regarde que les mathématiciens; l'autre, longtemps immuable, s'accroît brusquement, à des intervalles éloignés, par l'adoption de quelque théorie nouvelle: c'est la matière de l'enseignement, ce que doivent retenir et savoir appliquer tous les hommes qui s'adonnent aux sciences et, sans cultiver les Mathématiques, ont toujours besoin de les connaître.
Halphen.
Toute science de raisonnement repose sur un petit nombre de propositions simples irréductibles à d'autres plus simples, appelées axiomes, et sur les définitions. Ces éléments, convenablement mis en œuvre par le raisonnement, conduisent aux propositions les plus complexes, qui ne sont donc, en définitive, que des composés logiques de ces éléments. Dans la géométrie élémentaire, l'arithmétique, la statique et plus généralement dans toutes les sciences où l'on fait usage de la méthode synthétique, en allant du simple au composé, on prend pour point de départ ces éléments, axiomes ou définitions, et on s'élève de proche en proche, jusqu'aux propositions les plus complexes...
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Frappé de cette difficulté que les élèves éprouvent à saisir l'ensemble et les déductions du Cours, j'ai souvent employé avec succès un mode d'exercice, que j'appelle la recherche des antécédents d'une proposition et qui n'est en quelque sorte que l'analyse d'une proposition trouvée d'abord par la synthèse... On prend une proposition quelconque et l'on relève toutes les propositions antécédentes (lemmes, théorèmes, corollaires), toutes les définitions et tous les axiomes invoqués dans la démonstration. On a ainsi une première analyse de la proposition donnée. On reprend ensuite chacune des propositions antécédentes invoquées, on les analyse à leur tour et l'on continue de la sorte jusqu'à ce que l'on arrive à n'avoir plus que des axiomes et des définitions.
Jablonski.
«Allez en avant, a dit d'Alembert, la foi vous viendra.» Le remarquable morceau qui suit est un commentaire de ce conseil parfois contesté.
Quoique les vérités mathématiques se déduisent, dans un ordre rigoureux, d'un petit nombre de principes réputés évidents, on ne parvient point à les posséder pleinement, en en suivant pas à pas les déductions, en allant toujours dans le même sens du connu à l'inconnu, sans jamais revenir en arrière sur un chemin où l'on n'a rien laissé d'obscur. Le sens et la portée des principes échappent au débutant, qui saisit mal la distinction entre ce qu'on lui demande d'accorder et les conséquences purement logiques des hypothèses ou des axiomes; parfois, la démonstration lui paraît plus obscure que l'énoncé; c'est en vain qu'il s'attarderait dans la région des principes pour la mieux connaître, il faut que son esprit acquière des habitudes qu'il n'a pas, qu'il aille en avant sans trop savoir ni où il va, ni d'où il part; il prendra confiance dans ce mode de raisonnement auquel il lui faut plier son intelligence, il s'habituera aux symboles et à leurs combinaisons. Revenant ensuite sur ses pas, il sera capable de voir, du point de départ et d'un seul coup d'œil, le chemin parcouru: quelques parties de la route resteront pour lui dans l'ombre, quelques-unes même seront peut-être entièrement obscures, mais d'autres sont vivement éclairées; il sait clairement comment on peut arriver de cette vérité à cette autre; il sait où il doit porter son attention; ses yeux, mieux exercés, parviennent à voir clair dans ces passages difficiles dont il n'aurait jamais pu se rendre maître, s'il ne les avait franchis; il est maintenant capable d'aller plus loin ou de suivre une autre direction; il entre en possession des vérités nouvelles qui s'ajoutent aux vérités anciennes et qui les éclairent; il s'étonne parfois des perspectives inattendues qui s'ouvrent devant lui et lui laissent voir, sous un aspect nouveau, des régions qu'il croyait connaître entièrement; peu à peu les ombres disparaissent et la beauté de la science, si une dans sa riche diversité lui apparaît avec tout son éclat.
Ce qui se passe dans l'esprit de celui qui étudie les mathématiques n'est que l'image de ce qui s'est passé dans la création et dans l'organisation de la science; dans ce long travail, la rigueur déductive n'a pas été seule à jouer un rôle. On peut raisonner fort bien et fort longtemps sans avancer d'un pas, et la rigueur n'empêche pas un raisonnement d'être inutile. Même en mathématiques, c'est souvent par des chemins peu sûrs que l'on va à la découverte. Avant de faire la grande route qui y mène, il faut connaître la contrée où l'on veut aller; c'est cette connaissance même qui permet de trouver les voies les plus directes; c'est l'expérience seule qui indique les points où il faut porter l'effort; ce sont les difficultés parfois imprévues qui se dressent devant les géomètres qui les forcent à revenir au point de départ, à chercher une route nouvelle qui permette de tourner l'obstacle. S'imagine-t-on, par exemple, les inventeurs du calcul différentiel et intégral s'acharnant, avant d'aller plus loin, sur les notions de dérivée et d'intégrale définie?
J. Tannery.
La science même la plus exacte renferme quelques principes généraux que l'on saisit par une sorte d'instinct qui ne permet pas d'en douter, et auquel il est bon de se livrer d'abord. Après les avoir suivis dans toutes leurs conséquences et s'être fortifié l'esprit par un long exercice dans l'art de raisonner, on peut sans danger revenir sur ces principes qui se présentent alors dans un plus grand jour...
Laplace.
J'avoue même que j'attacherai moins de prix à mettre dans la démonstration d'un théorème cette rigueur extrême, si recherchée maintenant, qu'à faire clairement apercevoir la raison de ce théorème et ses connexions avec les autres vérités mathématiques. Je prie donc que l'on m'accorde quelquefois, pour la commodité de l'exposition et pour ne point décourager dès le début mes jeunes lecteurs, des démonstrations qui ont satisfait si longtemps les plus grands géomètres.
Cournot.
Il ne faut pas prévenir à contre-temps des difficultés trop subtiles.
J. Bertrand.
Voulez-vous simplifier une théorie, une méthode, inscrivez-la dans les programmes. Les professeurs se chargeront de l'éclairer et de la réduire à sa plus simple expression.
Je me défie un peu des démonstrations trop élégantes, trop symétriques, reposant sur une heureuse notation. Elles empêchent parfois de réfléchir au fond des choses, elles persuadent plus qu'elles n'éclairent.
Il importe de bien comprendre l'importance de la condition nécessaire et suffisante ou de la réciprocité des conditions ou, comme on dit encore, de la propriété caractéristique. Combien de raisonnements faux ou incomplets entraîne une analyse imparfaite!
La démonstration des réciproques—lorsqu'elles sont vraies—est trop négligée.
Pour établir un lien mathématique, il faut deux propositions dont la seconde est, à volonté, la réciproque ou la contraire de la première.
Ce n'est pas dans la manière de figurer les nombres, de les habiller pour ainsi dire, que nous distinguons l'Arithmétique de l'Algèbre, mais c'est surtout dans l'essence même des nombres, dans la manière de les concevoir. La ligne de démarcation de l'Arithmétique et de l'Algèbre provient de l'idée que l'on se fait du nombre, suivant qu'on le considère comme grandeur ou seulement comme numéro d'ordre, c'est-à-dire suivant que l'on accepte ou que l'on refuse la notion de continuité; c'est ainsi que la doctrine des nombres irrationnels, des logarithmes, etc., appartient exclusivement au domaine de l'Algèbre, c'est-à-dire des fonctions analytiques.
E. Lucas.