Mathématiques et Mathématiciens: Pensées et Curiosités
HISTOIRE
Dès les temps les plus reculés, les hommes ont compté les objets et mesuré grossièrement l'étendue et le temps. Ces notions ont commencé à se préciser chez les Phéniciens, commerçants et calculateurs, chez les Égyptiens, arpenteurs (inondations du Nil) et architectes (Pyramides); enfin chez les Chaldéens, pasteurs et observateurs des astres. Tels seraient les commencements de l'arithmétique, de la géométrie et de l'astronomie.
Les premiers documents historiques nous montrent la Géométrie prenant son admirable développement chez les Grecs. Presque oubliées pendant le Moyen âge, les Mathématiques renaissent au seizième siècle chez les Occidentaux. Le siècle suivant voit paraître la Géométrie analytique et le Calcul infinitésimal, grandes découvertes qui renouvellent et étendent la science.
Nous allons esquisser les principales périodes de l'histoire des mathématiques.
I. Philosophes grecs.—Ils étaient aussi presque tous géomètres et astronomes.
On attribue à Thalès (600 ans av. J.-C.) et à son École ionienne les propositions les plus simples de la Géométrie, les premières mesures de distances inaccessibles et des observations astronomiques au gnomon.
Pythagore (550 ans av. J.-C.) et les Pythagoriciens connaissent la somme des angles d'un triangle, le carré de l'hypoténuse, les polyèdres réguliers et l'un au moins des deux mouvements de la Terre.
Platon (400 ans av. J.-C.) et les Platoniciens dégagent la méthode d'analyse en Géométrie; ils imaginent les coniques et d'autres lieux géométriques pour opérer la duplication du cube; ils raisonnent déjà les incommensurables.
II. L'École grecque d'Alexandrie.—Dans cette célèbre École, qui dure plus de mille ans, les Mathématiques brillent du plus vif éclat et atteignent leur apogée.
Euclide (300 ans av. J.-C.) coordonne, dans ses Éléments, toute la Géométrie, sauf les coniques. Ce livre domine encore l'enseignement de nos jours.
Archimède (250 ans av. J.-C), le plus grand peut-être de tous les mathématiciens, mesure le cercle et la sphère; fait la quadrature de la parabole; étudie la première série; fonde la statique sur la théorie du levier, etc.
Apollonius de Perge (200 ans av. J.-C.) résume, dans son Traité des coniques, les propriétés déjà connues de ces courbes et celles plus cachées qu'il découvre à son tour.
Hipparque (150 ans av. J.-C.) refait toutes les observations astronomiques et, malgré l'imperfection de ses instruments, il trouve des nombres assez exacts pour servir de base à la théorie.
Ptolémée (150 ans ap. J.-C.) admet, dans son Almageste, la fixité de la Terre et parvient néanmoins à représenter les mouvements célestes, à l'aide d'un système compliqué de cercles.
Diophante (350 ans ap. J.-C), surnommé le Père de l'Algèbre, crée enfin cette nouvelle branche dans ses Arithmétiques.
La science pâlit ensuite à Alexandrie. Il n'y a plus que des commentateurs, parmi lesquels on doit distinguer Pappus: il nous conserve, dans ses Collections mathématiques, des fragments d'ouvrages perdus.
III. Les autres peuples jusqu'à la Renaissance.—Les Égyptiens possèdent des connaissances arithmétiques et géométriques, bien des siècles avant notre ère, comme le prouve le papyrus d'Ahmès, récemment déchiffré. Ils restent stationnaires, tandis que les Grecs, qui leur font des emprunts, progressent rapidement.
De même, les Chinois paraissent savoir des Mathématiques dès l'antiquité la plus reculée; mais ce peuple, lui aussi, reste immobile.
Les Hindous, tels que Aryabhata, Bramagupta et Bascara, ont, de temps immémorial, la curiosité des grands nombres; ils cultivent l'Algèbre et résolvent les équations des deux premiers degrés.
Les Arabes, tels que Mohamed-ben-Musa, Aboul-Wefa, etc., servent d'intermédiaires entre les Grecs et les Indiens d'une part et les Occidentaux de l'autre.
En Europe, le Moyen-âge reste obscur et stérile. Citons cependant Gerbert qui s'instruit, vers l'an 1000, auprès des Maures d'Espagne et apporte aux Chrétiens les chiffres modernes. Citons encore les Algébristes italiens, Léonard de Pise, qui fait le commerce en Orient au douzième siècle, et Lucas de Burgo (quinzième siècle).
IV. Le seizième siècle.—La science reprend enfin son essor, et les grandes découvertes se préparent.
Le Polonais Copernic (1473-1543) propose le véritable système du monde et en montre l'admirable simplicité.
L'Italien Cardan (1501-1576) établit la formule de résolution des équations du 3e degré; il tenait la règle de Tartaglia.
Viète (1540-1603), né dans le Bas-Poitou, entrevoit les propriétés générales des équations, résout par l'algèbre les problèmes de géométrie et complète la trigonométrie.
L'Écossais Neper (1550-1617), inventeur des logarithmes, double, pour ainsi dire, la vie des calculateurs.
Harriot (1568-1621), d'Oxford, trouve les relations entre les coefficients et les racines des équations, et il calcule les racines entières et fractionnaires.
Galilée, de Florence (1564-1642), étudie le pendule, découvre les lois de la chute des corps et des projectiles; il confirme le système de Copernic, par ses observations astronomiques.
V. Le dix-septième siècle.—Ce siècle, aussi grand dans les sciences que dans les lettres, nous donne d'une part la géométrie analytique et le calcul infinitésimal, de l'autre les lois de Kepler et de l'attraction universelle.
L'Allemand Kepler (1571-1630), utilisant les observations de Tycho-Brahe, trouve les trois lois du mouvement des planètes autour du soleil.
Notre grand Descartes (1596-1650) étend l'algèbre pure et il crée la Géométrie analytique ou étude des courbes à l'aide de leurs équations.
Fermat, de Toulouse (1601-1665), résout aussi les problèmes des tangentes et des maximums, et il révèle les propriétés les plus secrètes des nombres.
Pascal (1623-1662) crée l'analyse combinatoire et le calcul des probabilités; il perfectionne la géométrie des courbes.
Le Hollandais Huygens (1629-1695) fait progresser à la fois la géométrie, la mécanique et l'astronomie.
Le grand Newton (1642-1727) invente le Calcul infinitésimal ou des fluxions, et découvre la loi de l'attraction universelle. Il a autant de génie que le vieil Archimède.
Leibniz (1646-1716) imagine le nouveau Calcul presque en même temps que Newton, et avec une notation plus heureuse.
VI. Le dix-huitième siècle.—Les mathématiciens appliquent l'analyse infinitésimale aux questions les plus variées et les plus difficiles.
Le Suisse Euler (1707-1783) fait de nombreuses recherches sur les fonctions, les séries, les intégrales, etc.
D'Alembert (1717-1783) traite la précession des équinoxes par le calcul, et il ramène l'étude du mouvement à celle de l'équilibre.
Lagrange (1736-1813) manie avec une rare élégance l'algèbre et le calcul infinitésimal; il crée la mécanique rationnelle.
Monge (1746-1818) fonde la géométrie descriptive, si utile aux ingénieurs.
Laplace (1749-1827) se rend célèbre par sa Mécanique céleste ou application du calcul au système du monde.
Carnot (1753-1823), géomètre-philosophe, cherche à préciser les nombres négatifs et imaginaires, les intégrales, etc.
VII. Première moitié du dix-neuvième siècle.—Cette période se fait remarquer à la fois par des vues très générales et par la curiosité du détail.
L'Allemand Gauss (1777-1855) étudie les équations binomes et la théorie des nombres.
Le général Poncelet (1788-1867) étend la géométrie par les méthodes de transformation.
Cauchy (1789-1857) se livre à de profondes recherches sur les séries, les imaginaires et l'infini.
L'Allemand Jacobi (1804-1851) s'occupe de fonctions nouvelles et, en particulier, des fonctions elliptiques.
Chasles (1793-1880) systématise, dans sa Géométrie supérieure, la convention des signes, le rapport anharmonique, l'homographie, l'involution, etc.
Dans la dernière moitié de ce siècle, les efforts se dirigent vers la physique mathématique qui se constitue peu à peu. En analyse pure, la recherche se particularise et s'aiguise de plus en plus, on creuse les propriétés des fonctions et des équations différentielles, le calcul infinitésimal porte tous ses fruits.
Nous allons passer une revue rapide des plus grands mathématiciens, de ces génies créateurs qui ont découvert et fondé la science. Nous essaierons de caractériser chacun d'eux en reproduisant un jugement compétent et en citant l'œuvre capitale.
Euclide (300 av. J.-C.) ou la Géométrie élémentaire.
Jamais aucun livre de science n'a eu une aussi longue influence que les Éléments d'Euclide. Ils ont été traduits et commentés dans toutes les langues, enseignés exclusivement pendant des siècles dans toutes les Écoles de Mathématiques: on les suit encore en Angleterre.
Rouché.
Archimède (287-212 av. J.-C.) ou la Géométrie infinitésimale.
Ceux qui sont en état de comprendre Archimède admirent moins les découvertes des plus grands hommes modernes.
Leibniz.
Apollonius (de Perge) (200 av. J.-C.) ou la Géométrie des coniques.
L'ouvrage d'Apollonius sur les sections coniques est pour ainsi dire le couronnement de la Géométrie grecque.... Tout y est coordonné symétriquement; l'unité du plan reflète, jusque dans les moindres détails, la pensée directrice de l'auteur, qui tend à lier entre elles toutes les sections du cône.
Hoefer.
Hipparque (150 av. J.-C.) ou les Observations astronomiques.
Quand on réunit tout ce qu'il a inventé ou perfectionné, et qu'on songe au nombre de ses ouvrages, à la grande quantité de calculs qu'ils supposent, on trouve dans Hipparque un des hommes les plus étonnants de l'Antiquité, et le plus grand de tous dans les sciences qui ne sont pas purement spéculatives.
Delambre.
Ptolémée (150 ap. J.-C.) ou l'Astronomie géométrique.
L'édifice astronomique élevé par Ptolémée a subsisté pendant près de quatorze siècles; aujourd'hui même qu'il est entièrement détruit, son Almageste... est un des plus précieux monuments de l'Antiquité.
Laplace.
Diophante (350 ap. J.-C.) ou l'Algèbre naissante.
On ne peut pas dire que l'Algèbre, même élémentaire, soit sortie constituée de ses mains, et cependant on ne peut nier qu'elle n'y ait pris un développement très remarquable.
M. Marie.
Viète (1540-1603) ou l'Algèbre en progrès.
C'est dans son ouvrage d'analyse, intitulé Isagoge in artem analyticam, que l'auteur expose pour la première fois une des théories les plus profondes et les plus abstraites que l'esprit humain ait inventées.
J. Fourier.
Galilée (1564-1642) ou la Mécanique.
La théorie générale du mouvement varié, inconnue aux Anciens, prit naissance entre les mains de Galilée. Il trouva la loi de l'accélération des corps qui tombent librement par la pesanteur ou qui glissent sur des plans inclinés et il établit à ce sujet les propriétés générales du mouvement uniformément accéléré.
Bossut.
Descartes (1596-1650) ou la Géométrie analytique.
Ce qui a surtout immortalisé le nom de ce grand homme, c'est l'application qu'il a su faire de l'algèbre à la géométrie, idée des plus vastes et des plus heureuses que l'esprit humain ait jamais eues, et qui sera toujours la clef des plus profondes recherches, non seulement dans la géométrie, mais dans toutes les sciences physico-mathématiques.
d'Alembert.
Fermat (1601-1665) ou l'Arithmétique supérieure.
Cherchez ailleurs qui vous suive dans vos inventions numériques... pour moi, je confesse que cela me dépasse de bien loin.
Pascal.
Pascal (1623-1662) ou l'Algèbre supérieure.
C'est le génie le plus étonnant, unique dans les Lettres, dans la Philosophie, la Religion et aussi dans les Mathématiques où sa profondeur est incroyable.
Newton (1642-1727) ou le Calcul infinitésimal.
Newton était maître de la méthode des fluxions avant que Leibniz fût en possession du Calcul différentiel, mais l'invention de Leibniz était indépendante de celle de Newton et l'avait précédée comme publication.
Biot.
Monge (1746-1818) ou la Géométrie descriptive.
Les constructeurs de toutes les professions, les architectes, les mécaniciens, les tailleurs de pierre, les charpentiers, soustraits désormais à des préceptes routiniers, à des méthodes sans démonstration, se rappelleront avec reconnaissance que s'ils savent, que s'ils parlent la langue de l'ingénieur, c'est Monge qui l'a créée, qui l'a rendue accessible à tout le monde, qui l'a fait pénétrer dans les plus modestes ateliers.
Arago.
Laplace (1749-1827) ou la Mécanique céleste.
La loi newtonienne explique aujourd'hui tous les phénomènes connus. Plus les observations sont précises, plus elles sont conformes à la théorie. Laplace est de tous les géomètres celui qui a le plus approfondi ces grandes questions; il les a pour ainsi dire terminées.
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Laplace était né pour tout perfectionner, pour tout approfondir, pour reculer toutes les limites, pour résoudre ce que l'on aurait pu croire insoluble. Il aurait achevé la science du ciel (dans sa Mécanique céleste), si cette science pouvait être achevée.
J. Fourier.
Lagrange (1736-1813) ou la Mécanique rationnelle.
Le trait distinctif de son génie consiste dans l'unité et la grandeur des vues. Il s'attachait en tout à une pensée simple, juste et très élevée. Son principal ouvrage, la Mécanique analytique, pourrait être nommé la Mécanique philosophique, car il ramène toutes les lois de l'équilibre et du mouvement à un seul principe; et, ce qui n'est pas moins admirable, il les soumet à une seule méthode de calcul dont il est lui-même l'inventeur. Toutes ses compositions mathématiques sont remarquables par une élégance singulière, par la symétrie des formes et la généralité des méthodes et, si l'on peut parler ainsi, par la perfection du style analytique.
J. Fourier.
Cauchy (1789-1857) ou les Symboles.
Mathématicien très profond, mais parfois un peu obscur; son œuvre est considérable: de fidèles disciples élucident et précisent des vues nouvelles et hardies qui fixeront la science.
Chasles (1793-1876) ou la Géométrie supérieure.
Les travaux de M. Chasles sont le dernier terme des progrès continus réalisés par la Géométrie depuis soixante ans. Il suffit de citer l'Aperçu historique, la Géométrie supérieure... La Géométrie... a regagné sur l'analyse le terrain perdu.
Rouché.
Charlemagne substitua aux mesures romaines le pied-de-roi ou pied-de-Paris, emprunté aux Arabes, et les dérivés de cette longueur. Il chercha à répandre dans son vaste empire ces unités qui devaient durer dix siècles, mais en s'altérant et en se compliquant beaucoup.
Les États généraux réclamèrent maintes fois l'ordre dans les poids et les monnaies.
Louis XI, François Ier et Louis XIV tentèrent en vain, dans leurs édits royaux, d'imposer partout les mesures de Paris.
À l'occasion de la mesure du méridien par Picard, «on fit en 1668, dit Saigey, une toise en fer portant une arête à chaque bout, et on la fixa au bas du grand escalier du Châtelet, pour servir de régulateur au commerce et à la justice.»
La toise qui, après avoir été comparée à celle du Châtelet, avait été employée dans les mesures méridiennes du Pérou, par Bouguer et La Condamine, servit à son tour d'étalon, et quatre-vingts modèles en furent expédiés aux parlements de France et aux astronomes étrangers. C'était un premier pas vers l'uniformité, et bientôt la toise du Pérou, comme on l'appelait, servit à l'étalonnage du mètre.
Parmi les réformes urgentes, demandées dans les cahiers de 1789, on retrouve sans cesse celle des poids et des mesures: on les veut «simples et les mêmes dans tout le pays».
Le 8 mai 1790, sur la proposition de Talleyrand, l'Assemblée constituante engage les rois de France et d'Angleterre à se concerter pour adopter la même unité. Cette mesure (par exemple, la longueur du pendule à seconde proposée autrefois par Picard) eût été fixée par une commission composée, en nombre égal, d'académiciens de Paris et de membres de la Société royale de Londres.
L'Académie des sciences discuta seule la question, et sa commission (Borda, Lagrange, Laplace, Monge et Lavoisier) rejeta le pendule «pour ne pas mêler à une question de longueur des considérations de mouvement et de temps», et elle proposa la dix-millionième partie du quart du méridien. La tradition attribue à Laplace la conception de l'ensemble du système, à Borda le plan des opérations géodésiques, et à Lavoisier le kilogramme.
Le 26 mars 1791, un décret de l'Assemblée constituante adopta la circonférence terrestre comme base et prescrivit les travaux nécessaires.
«Prendre pour unité de longueur usuelle la dix-millionième partie du quart du méridien et rapporter la pesanteur de tous les corps à celle de l'eau distillée, en reliant par l'échelle décimale toutes les mesures principales aux mesures plus grandes ou plus petites.»
Dès 1792, Delambre et Méchain furent chargés, par leurs collègues de l'Académie des sciences, de mesurer l'arc de Dunkerque à Barcelone, en Espagne, qui comprend dix degrés environ[3]. La triangulation s'appuya sur deux bases, près de Melun et de Perpignan. Aux mesures directes devaient succéder un long travail de comparaison aux mesures antérieures, de réductions et de calculs. Sans attendre la fin de ce travail, l'Académie calcula provisoirement le mètre d'après les observations anciennes, «avec une exactitude suffisante pour tous les besoins de la société»; d'autre part elle avait déterminé, par des expériences précises, la longueur du pendule à seconde et le poids d'un centimètre cube d'eau distillée: c'étaient les éléments de toutes les autres mesures. Les observations nouvelles ne pouvaient apporter à leurs valeurs que des corrections insensibles.» (Biot.)
Dans la séance du 1er août 1793, la Convention, sur un rapport présenté par Arbogast au nom du Comité d'instruction publique, vota l'établissement du système métrique dans toute l'étendue de la République. Toutefois, le système ne fut rendu obligatoire que par le décret du 18 germinal an III (7 avril 1795). Ce décret fixa définitivement la nomenclature; il y est dit que «l'étalon sera une règle de platine, exécutée avec la plus grande précision d'après les expériences et les observations de la commission. On le déposera près le Corps législatif, ainsi que le procès-verbal des opérations qui auront servi à le déterminer.»
Une commission générale de trente-deux membres, tant français qu'étrangers, avait été chargée des calculs définitifs.
Le 4 messidor an VII (22 juin 1799), cette commission, par l'organe de ses rapporteurs, le hollandais Swiden et le suisse Trallès, annonça aux deux conseils législatifs de la République que le quart du méridien valait 5130740 toises, d'où se déduisait la longueur du mètre. Les deux délégués présentèrent aussi les étalons du mètre et du kilogramme, en platine; la règle doit être prise à zéro et le poids cylindrique doit être pesé dans le vide. «Ces deux prototypes furent, le même jour, placés dans une boîte fermant à clef, et déposés aux Archives de la République dans la double armoire en fer, fermant à quatre clefs.»
Sous le Consulat, la loi du 2 novembre 1801 se borna à autoriser l'usage des nouvelles mesures de préférence aux anciennes; et sous l'Empire, le décret rétrograde du 12 février 1812 organisa un système mixte et bâtard qui devait retarder de vingt-cinq ans l'avènement du vrai système métrique. Il y eut une toise métrique, une livre métrique, etc.
Enfin, la loi célèbre du 4 juillet 1837, reprenant les traditions de la Révolution, remit en vigueur le système métrique pur, et prohiba, non seulement l'emploi de toutes les anciennes mesures, mais même leurs dénominations.
Depuis le 1er janvier 1840, le nouveau système est imposé par la loi à tous les citoyens français, et les délinquants sont punis de l'amende ou de la prison.
En 1869, l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg proposa une révision européenne du mètre. Delambre, disait-elle, a adopté un aplatissement de la terre un peu trop faible, et en outre une erreur matérielle s'est glissée dans les calculs de réduction. L'allemand Bessel, discutant toutes les mesures du méridien, et en particulier celles de Biot et Arago (1808) a trouvé 5131180 toises au lieu de 5130740 toises; le nombre fondamental du système métrique est ainsi trop petit de 440 toises. De plus, le kilogramme doit être rapporté à zéro, non à 4°. Il est regrettable, ajoutait l'Académie de Saint-Pétersbourg, que les nouvelles mesures ne soient pas établies par des savants de toutes les nations, travaillant en commun. Les étalons envoyés de Paris aux gouvernements étrangers sont imparfaits, ils sont relevés sur le mètre du Conservatoire des arts et métiers et non sur celui des Archives, et par des procédés qu'il faudrait perfectionner.—À ces critiques, l'Académie des sciences de Paris répondit que la différence entre les nombres de Delambre et de Bessel était assez légère, que tout nombre nouveau devrait d'ailleurs être modifié plus tard, par suite du progrès de la science: or on ne peut pas changer de mètre chaque siècle. Des savants de tous les pays ont collaboré avec les savants français, et l'unité qu'ils ont arrêtée ensemble peut être transmise très exactement.—À la suite de cet échange d'observations, les deux Académies se mirent d'accord pour demander la réunion d'un congrès du mètre, devant étudier la question des mesures et de leurs meilleurs étalons.
La première réunion à Paris du Congrès international du mètre ayant été interrompue par la guerre, une seconde réunion eut lieu en 1872. Vingt États y furent représentés. Il fut résolu qu'on ne ferait pas une nouvelle mesure du méridien; que le mètre et le kilogramme actuels seraient perpétués tels quels; que les étalons seraient en platine iridié, de 102 centimètres pour limiter le mètre à deux traits, etc.
En 1873, les chimistes Deville et Debray coulèrent, à une température dépassant 2000°, les premiers mètres internationaux, à l'École normale supérieure. Ces mètres ont la même valeur scientifique, sinon historique, que le prototype des Archives qu'ils reproduisent parfaitement, et ils font loi à l'étranger.
Un musée du mètre a été, dans ces dernières années, réuni à l'Observatoire par M. Wolf.
Les prêtres me dirent encore que Sésostris fit le partage des terres, assignant à chaque Égyptien une portion égale et quarrée, qu'on tirait au sort, à la charge néanmoins, de lui payer tous les ans une certaine redevance qui composerait le revenu royal. Si une crue du Nil enlevait à quelqu'un une portion de son lot, il allait trouver Sésostris pour lui exposer l'accident, et le Roi envoyait sur les lieux des Arpenteurs pour mesurer de combien l'héritage était diminué, afin de ne faire payer la redevance convenue qu'à proportion du fonds qui restait. Voilà, je crois, l'origine de la géométrie, qui a passé de ce pays en Grèce.
Hérodote.
Les débuts de la science ont dû être bien humbles. Il est probable, par exemple, que la légitimité de l'interversion des facteurs du produit de plusieurs nombres n'a été établie pendant longtemps que par des vérifications répétées. On a dû aussi reconnaître par l'expérience que la longueur du fil entourant la circonférence contient toujours le même nombre de fois celle du diamètre.
Nicétas de Syracuse croyait, au rapport de Théophraste, que le ciel, le soleil, la lune, les étoiles, en un mot tous les corps qui sont au-dessus de nous, sont immobiles, et que la terre seule est en mouvement dans l'Univers; qu'elle tourne sur son axe avec une extrême vitesse et produit les mêmes apparences que si elle était immobile et le ciel en mouvement.
Cicéron.
Hankel, l'historien des mathématiques, mort il y a quelques années, admettait, contrairement à l'opinion reçue, l'évolution et le progrès continu. D'abord les Grecs géomètres, puis les Hindous purs algébristes, et enfin les Modernes qui unissent l'algèbre et la géométrie. De son côté, Chasles avait déjà dit: «Les Grecs étaient surtout géomètres; ce n'est que très tard qu'on trouve chez eux le Traité d'Algèbre de Diophante. Leur géométrie était pure, sans mélange de calcul... Chez les Hindous, au contraire, l'Algèbre paraît être la science la plus cultivée; les théories algébriques s'y trouvent dans une perfection surprenante... (dans les temps modernes) une rénovation générale des mathématiques leur a donné, avec le caractère d'abstraction et de généralité qui leur convient, des ressources puissantes dont les Grecs n'avaient point eu l'idée.»
Les géomètres grecs spéculaient sur les grandeurs elles-mêmes, jamais sur leurs mesures.
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Les douze cents ans qui séparent Pappus de Viète, de Descartes et de Galilée ne sont qu'une longue nuit.
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Il serait impossible de méconnaître la rare habileté des Hindous dans les recherches relatives soit aux propriétés des nombres, soit aux transformations algébriques; mais si l'on considère... leur quasi-nullité en géométrie... on ne peut s'empêcher de les mettre infiniment au-dessous des Grecs.
M. Marie.
Les mathématiques anciennes nous offrent l'exemple d'une décadence profonde après un brillant apogée; et l'on peut affirmer, de ce point de vue, que le vrai problème qui s'impose aujourd'hui dans l'histoire des mathématiques est de préciser les circonstances et de déterminer les causes de la décadence passée, en vue de connaître les précautions à prendre pour éviter une décadence future.
P. Tannery.
La découverte en mathématiques a atteint deux maximums, l'un en géométrie pure aux temps d'Euclide, d'Archimède et d'Apollonius, et l'autre au xviie siècle, qui nous a donné l'Application de l'Algèbre à la Géométrie, le Calcul infinitésimal et le Principe de l'attraction.
La résolution des équations du troisième et du quatrième degré, le dénoûment du fameux cas irréductible furent la grande affaire des algébristes du xvie siècle.
Liouville.
L'idée préconçue que les mouvements célestes devaient être circulaires et uniformes a égaré les Grecs.
La même hypothèse d'une certaine simplicité des lois de la nature a, au contraire, guidé Kepler. S'il avait su combien sont complexes, les mouvements perturbés des planètes, il n'aurait pas découvert les lois qui donnent une première approximation de ces mouvements.
Les philosophes qui, dans l'antiquité, soutenaient l'opinion du mouvement de la terre furent taxés d'impiété; au xvie siècle, il se trouve encore des esprits assez malavisés pour commettre la même faute et pour transformer en question religieuse une question purement scientifique. On alla chercher dans les livres sacrés des textes dont on se fit des arguments; chacun les interpréta suivant sa fantaisie, et l'on vit tout à coup surgir les disputes les plus âpres et les plus déraisonnables, au détriment commun de la science et de la religion.
Valson.
À dire vrai, nous n'avons fait depuis les Grecs, que trois grandes découvertes en Mathématiques pures, mais elles ont une immense portée.
Descartes a inventé la Géométrie analytique, en représentant chaque courbe par une équation en x et y, qui est la relation constante entre les coordonnées d'un point quelconque de la courbe. Toute question de géométrie est alors transformée en une question d'algèbre.
Leibniz et Newton ont, presque simultanément, trouvé le Calcul infinitésimal qui permet d'analyser si finement la variation continue des fonctions.
Enfin de nos jours, Cauchy a su donner à l'Analyse, grâce aux imaginaires mieux comprises, une admirable et complète généralité.
Les histoires générales des mathématiques les plus importantes sont celles de Montucla en quatre volumes (dont les deux derniers sont de Lalande); de Bossut, plus courte; de Hankel, malheureusement inachevée à la mort de l'auteur; de Maximilien Marie (12 vol.) et de Moriz Cantor. Ce dernier livre, fruit de longues recherches est le plus complet, le plus approfondi.
M. Eneström publie à Stockholm un journal d'histoire des mathématiques, la Bibliotheca mathematica.
Nous devons aussi citer les nombreux travaux d'érudition et de critique de Paul Tannery et de Charles Henry.
Enfin le prince Balthasar Boncompagni a publié plus de vingt volumes de son Bulletin de bibliographie et d'histoire des mathématiques.
Les Éloges des académiciens par Fontenelle ont leur place marquée dans la bibliothèque de l'homme de goût. L'auteur a popularisé le premier les savants et la Science. Son influence a été plus grande qu'on ne le croit, il l'a exercée délicatement et discrètement en parsemant de pensées brillantes un fond sérieux. Voltaire compare ces éloges à «ces moissons abondantes où les fleurs croissent naturellement avec les épis».
M. P. Lafitte traite au Collège de France de l'histoire générale des Sciences, au point de vue positiviste. Nous n'avons, à vrai dire, aucune chaire d'histoire des mathématiques. C'est là une lacune regrettable dans notre haut enseignement.
En Belgique, à l'université de Gand, M. Mansion fait un cours régulier d'histoire des mathématiques et ce cours est obligatoire pour les étudiants scientifiques.
«Combien ai-je vu, dit M. Bertrand, d'anciens candidats à l'École Polytechnique qui, connaissant fort bien un traité d'algèbre classique et n'ayant rien lu au delà, ignoraient les noms d'Euler et de Bernoulli, et mettaient sur le même plan dans leur souvenir Newton et Bezout, Descartes et Budan, Cauchy et Sarrus.»
Les sciences mathématiques ont composé longtemps tout le domaine des idées exactes; partout ailleurs on ne retrouvait que les vains efforts du génie pour arriver à la connaissance de la vérité, et les erreurs sans nombre que les doctrines insuffisantes des premiers inventeurs traînaient à leur suite. Le langage mystérieux employé par les philosophes formait avec la langue précise et claire des sciences exactes, un contraste singulier qui inspirait au géomètre le plus profond mépris pour les autres sciences. Mais, lorsque les phénomènes célestes vinrent se ranger sous les lois du calcul, l'étude des mathématiques devint plus générale, et les bons esprits furent frappés d'une manière d'argumenter si différente de celle de l'École.
La langue mathématique est celle de la raison dans toute sa pureté; elle interdit la divagation, elle signale l'erreur involontaire; il faudrait ne pas la connaître pour la faire servir à l'imposture.
Sophie Germain.
À l'occasion du 60e anniversaire de sa naissance, le roi de Suède et de Norvège a institué un grand prix de mathématiques et tous les géomètres de l'Europe ont été invités à concourir. Le prix a été obtenu par M. Poincaré et la seconde récompense, une médaille d'or, par M. Appell. (Février 1889.)
Les principaux journaux de mathématiques sont, en France: le Journal de Mathématiques pures et appliquées, fondé par Liouville et dirigé par Jordan; le Bulletin des Sciences mathématiques, fondé et dirigé par Darboux; les Nouvelles annales de Mathématiques, fondées par O. Terquem et Gérono et dirigées par Laisant et Antomari; le Journal de Mathématiques élémentaires et spéciales, fondé par J. Bourget et dirigé par G. de Longchamps; la Revue de Mathématiques spéciales rédigée par E. Humbert; le Journal de Mathématiques élémentaires, dirigé par notre collaborateur Vuibert, etc.
L'Académie des sciences, à l'Institut de France, comprend cinq sections pour les Mathématiques. Voici les noms des membres par ordre de nomination:
Géométrie.—Hermite; Jordan; Darboux; Poincaré; Émile Picard; Appell.
Mécanique.—Maurice Lévy; Boussinesq; Deprez; Sarrau; Léauté; général Sebert.
Astronomie.—Faye; Janssen; Lœvy; Wolf; Callandreau; Radau.
Géographie et navigation.—Bouquet de La Grye; Grandidier; de Bussy; Bassot; Guyou; Hatt.
Physique générale.—Cornu; Mascart; Lippmann; A.-H. Becquerel; Potier; Violle.
Secrétaires perpétuels de l'Académie.—J. Bertrand, pour les sciences mathématiques, et Berthelot, pour les sciences physiques.
Parmi les Académiciens libres, on remarque de Freycinet; Haton de la Goupillière; amiral de Jonquières; Rouché, etc.
Parmi les Mathématiciens vivants, nous citerons: en Belgique, Mansion et Neuberg; en Angleterre, Forsight, Sylvester et Salmon; en Norvège, S. Lie (actuellement à Leipzig), Bjirknes, Syllow; en Suède, Bäcklund, Lindsteedt; en Danemark, Petersen, Zeuthen; en Russie, Liapounoff, Markoff; en Allemagne, Dedekind; Fuchs; Gordan; Klein; Schwarz; Weber; Wemgarten; en Italie, Beltrami, Brioschi et Cremona, etc., etc.
Voici les noms de quelques autres mathématiciens français: D. André, Borel, Brisse, Brocard, Fouret, Goursat, Hadamard, G. Humbert, le P. Joubert, Kœnigs, Laisant, H. Laurent, de Longchamps, Mannheim, Méray, Moutard, Painlevé, J. Tannery, etc., etc.
On a organisé à Paris, en 1872, une Société mathématique qui compte près de trois cents membres et qui publie le Bulletin de ses travaux. Les séances ont lieu deux fois par mois. Le siège est rue des Grands-Augustins, 7.
Le 24 décembre 1892, on a fêté, à la Sorbonne, les soixante et dix ans de notre grand géomètre Hermite. Nous extrayons du discours du Ministre de l'Instruction publique le passage suivant:
Pascal voit dans la géométrie «le plus haut exercice de l'intelligence»; il place les géomètres au premier rang «des princes de l'esprit». C'est l'honneur de notre France d'avoir produit plus qu'aucune autre nation, de ces génies subtils et puissants, capables d'embrasser l'ensemble des vérités qui constituent les lois des nombres et de l'étendue. Déjà au dix-septième siècle, Descartes, Pascal et Fermat nous permettent de n'envier personne, pas même l'intelligence suprême de Newton; au dix-huitième siècle nous prenons décidément le premier rang avec d'Alembert, avec Lagrange, avec Laplace, et le siècle dont nous sommes a vu affirmer et consolider cette maîtrise française de la géométrie par une suite de savants illustres, les Monge, les Carnot, les Ampère, les Cauchy, les Chasles, les Liouville, pour ne citer que quelques-uns de ceux qui ne sont plus...
Ch. Dupuy.
L'Intermédiaire des mathématiciens, dirigé par MM. Laisant et E. Lemoine, contient les questions les plus variées et les plus difficiles puis les réponses venues de divers côtés.
PHILOSOPHIE ET MORALE.—MÉLANGES
Vous avez disposé toutes choses avec nombre, poids et mesure.
Bible.
Les nombres gouvernent le monde.
Platon.
Il y a de la géométrie partout.
Leibniz.
Dieu, le grand géomètre.—Dieu géométrise sans cesse.
Platon.
Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part.
Rabelais; Montaigne; Pascal.
Il n'y a point de nombre aux yeux de Dieu. Comme il voit tout à la fois, il ne compte rien.
Condillac.
Au milieu de causes variables et inconnues, que nous comprenons sous le nom de hasard, et qui rendent incertaine et irrégulière la marche des événements, on voit naître à mesure qu'ils se multiplient une régularité frappante qui semble tenir d'un dessein, et que l'on a considérée comme une preuve de la providence.
Laplace.
Je ne puis concevoir comment de si habiles mathématiciens nieraient un mathématicien éternel.
Voltaire.
Platon avait écrit sur la porte de son école de philosophie ces mots: Que nul n'entre ici, s'il n'est géomètre.
Sans les mathématiques, on ne pénètre point au fond de la philosophie: sans la philosophie, on ne pénètre point au fond des mathématiques; sans les deux, on ne pénètre au fond de rien.
Bordas-Demoulins.
Le nombre réside dans tout ce qui est connu. Sans lui, il est impossible de rien penser, de rien connaître.... Le nombre et l'harmonie repoussent l'erreur; le faux ne convient pas à leur nature. L'erreur et l'envie sont filles de l'indéfini, sans pensée, sans raison; jamais le faux ne peut pénétrer dans le nombre, il est son éternel ennemi. La vérité seule convient à la nature du nombre et est née avec lui.
Philolaüs.
Les lignes et les figures de la géométrie sont très propres pour représenter à l'imagination les rapports qui sont entre les grandeurs, ou entre les choses qui diffèrent du plus et du moins, comme les espaces, les temps, les poids, etc., tant à cause que ce sont des objets très simples, qu'à cause qu'on les imagine avec beaucoup de facilité. On pourrait même dire à l'avantage de la géométrie, que les lignes peuvent représenter à l'imagination plus de choses que l'esprit n'en peut connaître, puisque les lignes peuvent exprimer les rapports des grandeurs incommensurables, c'est-à-dire des grandeurs dont on ne peut connaître les rapports à cause qu'elles n'ont aucune commune mesure par laquelle on en puisse faire la comparaison.
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Ce qui ne peut se faire qu'en beaucoup de temps par l'arithmétique se fait en un moment par l'algèbre et l'analyse, sans que l'esprit se brouille par le changement des chiffres et par la longueur des opérations. Une opération particulière d'arithmétique ne découvre qu'une vérité, une semblable opération d'algèbre en découvre une infinité.
L'algèbre... apprend à faire sur les grandeurs littérales tous les calculs qui servent à déduire les rapports les plus difficiles et les plus composés qu'on puisse désirer de savoir des mêmes grandeurs qui sont déjà connues. Ses calculs sont les plus simples, les plus faciles et en même temps les plus généraux qu'on puisse concevoir.
Malebranche.
Les plus grands géomètres n'ont pas été exempts de ce préjugé qui fait regarder l'analyse algébrique comme une sorte d'oracle qui ne fait pas toujours des réponses intelligibles, mais dont les énigmes doivent toujours renfermer un sens dont il faut s'étudier à pénétrer le mystère.
Duhamel.
Il y a beaucoup de différence entre l'esprit de géométrie et l'esprit de finesse. En l'un, les principes sont palpables, mais éloignés de l'usage commun; de sorte qu'on a peine à tourner la tête de ce côté-là, manque d'habitude; mais, pour peu qu'on s'y tourne, on voit les principes à plein; et il faudrait avoir tout à fait l'esprit faux pour mal raisonner sur des principes si gros qu'il est presque impossible qu'ils échappent.
Mais, dans l'esprit de finesse, les principes sont dans l'usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n'a que faire de tourner la tête, ni de se faire violence. Il n'est question que d'avoir bonne vue, mais il faut l'avoir bonne, car les principes sont si déliés et en si grand nombre qu'il est presque impossible qu'il n'en échappe. Or, l'omission d'un principe mène à l'erreur: ainsi il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes, et ensuite l'esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus.
Tous les géomètres seraient donc fins s'ils avaient la vue bonne et les esprits fins seraient géomètres s'ils pouvaient plier leur vue vers les principes inaccoutumés de la géométrie.
Ce qui fait que certains esprits fins ne sont pas géomètres, c'est qu'ils ne peuvent du tout se tourner vers les principes de géométrie; mais ce qui fait que des géomètres ne sont pas fins, c'est qu'ils ne voient pas ce qui est devant eux; et qu'étant accoutumés aux principes nets et grossiers de la géométrie, et à ne raisonner qu'après avoir bien vu et manié leurs principes, ils se perdent dans les choses de finesse, où les principes ne se laissent pas ainsi manier. On les voit à peine, on les sent plutôt qu'on ne les voit: ce sont choses tellement délicates et si nombreuses, qu'il faut un sens bien délié et bien net pour les sentir, et sans pouvoir le plus souvent les démontrer par ordre comme en géométrie, parce qu'on n'en possède pas ainsi les principes, et que ce serait une chose infinie de l'entreprendre. Il faut tout d'un coup voir la chose d'un seul regard, et non pas par progrès de raisonnement, au moins jusqu'à un certain degré. Et ainsi il est rare que les géomètres soient fins, et que les esprits fins soient géomètres; à cause que les géomètres veulent traiter géométriquement les choses fines, et se rendent ridicules, voulant commencer par les définitions, et ensuite par les principes; ce qui n'est pas la manière d'agir dans cette sorte de raisonnement. Ce n'est pas que l'esprit ne le fasse; mais il le fait tacitement, naturellement et sans art, car l'expression en passe tous les hommes, et le sentiment n'en appartient qu'à peu.
Et les esprits fins, au contraire, ayant accoutumé à juger d'une seule vue, sont si étonnés quand on leur présente des propositions où ils ne comprennent rien, et où, pour entrer, il faut passer par des définitions et des principes stériles, et qu'ils n'ont pas accoutumé de voir ainsi en détail, qu'ils s'en rebutent et s'en dégoûtent. Mais les esprits faux ne sont jamais ni fins ni géomètres.
Les géomètres qui ne sont que géomètres ont donc l'esprit droit, mais pourvu qu'on leur explique bien toutes choses par définitions et par principes: car ils ne sont droits que sur les principes bien éclaircis. Et les esprits fins qui ne sont que fins, ne peuvent avoir la patience de descendre jusqu'aux premiers principes des choses spéculatives et d'imagination, qu'ils n'ont jamais vues dans le monde et dans l'usage.
Pascal.
On peut regarder la géométrie comme une logique pratique, parce que les vérités dont elle s'occupe, étant les plus simples et les plus sensibles de toutes, sont par cette raison, les plus susceptibles d'une application facile et palpable des règles du raisonnement.
d'Alembert.
J'ai insinué que les Mathématiques étaient fort utiles pour accoutumer l'esprit à raisonner juste et avec ordre; ce n'est pas que je croie nécessaire que tous les hommes deviennent des mathématiciens: mais lorsque par cette étude, ils ont acquis la bonne méthode du raisonnement, ils peuvent l'employer dans toutes les autres parties de nos connaissances...
L'algèbre donne de nouvelles vues et fournit de nouveaux secours à l'entendement...
Locke.
Il existe des vérités autres que les vérités de l'algèbre, des réalités autres que les objets sensibles. Cultivons avec ardeur les sciences mathématiques, sans vouloir les étendre au-delà de leur domaine; et n'allons pas nous imaginer qu'on puisse attaquer l'histoire avec des formules, ni donner pour sanction à la morale des théorèmes d'algèbre et de calcul intégral.
Cauchy.
Des éléments de Géométrie traités ainsi deviendraient en quelque sorte d'excellents éléments de logique, et seraient peut-être les seuls qu'il faudrait étudier. Lorsque l'esprit est naturellement juste, il porte avec lui la faculté de reconnaître si une proposition simple est vraie ou non. Il est beaucoup plus utile d'exercer cette faculté que de disserter à perte de vue sur sa nature. Si l'on voulait remporter le prix de la course, on penserait plutôt sans doute à exercer ses jambes qu'à raisonner sur le mécanisme de la marche. «Les règles, dit Condillac, sont comme des garde-fous mis sur les ponts, non pas pour faire marcher les voyageurs, mais pour les empêcher de tomber.» Si cela est, ainsi qu'il n'est pas permis d'en douter, il faut que les règles soient fort simples et en petit nombre. Celles de Descartes et de Pascal me paraissent suffisantes pour les esprits droits; quant aux autres, la Géométrie ne saurait exister pour eux.
Lacroix.
Nous voyons par expérience qu'entre esprits égaux, et toutes choses pareilles, celui qui a de la géométrie l'emporte et acquiert une vigueur toute nouvelle.
Pascal.
Socrate.—Faisons donc une loi à ceux qui sont destinés chez nous à remplir les premières places de s'appliquer à la science du calcul, de l'étudier, non pas superficiellement, mais jusqu'à ce que, par le moyen de la pure intelligence, ils soient parvenus à connaître l'essence des nombres; non pour faire servir cette science, comme les marchands et les négociants, aux ventes et aux achats, mais pour l'appliquer aux besoins de la guerre, et faciliter à l'âme la route qui doit la conduire de la sphère des choses périssables à la contemplation de la vérité et de l'être.
Glaucon.—Fort bien.
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Socrate.—Si l'on demande à ceux qui s'occupent de cette science: «De quel nombre parlez-vous? Où sont ces unités telles que vous les supposez, parfaitement égales entre elles, sans qu'il y ait la moindre différence, et qui ne sont point composées de parties?» Mon cher Glaucon, que crois-tu qu'ils répondent?
Glaucon.—Je crois qu'ils répondraient qu'ils parlent de ces nombres qui ne tombent pas sous les sens et qu'on ne peut saisir autrement que par la pensée.
Socrate.—Ainsi, tu vois, mon cher ami, que nous ne pouvons absolument nous passer de cette science, puisqu'il est évident qu'elle oblige l'âme à se servir de l'entendement pour connaître la vérité.
Glaucon.—Il est certain qu'elle est merveilleusement propre à produire cet effet.
Socrate.—As-tu aussi observé que ceux qui sont nés calculateurs, ayant l'esprit de combinaison, ont beaucoup de facilité pour presque toutes les autres sciences et que même les esprits pesants, lorsqu'ils se sont exercés et rompus au calcul, en retirent du moins cet avantage d'acquérir plus de facilité et de pénétration?
Glaucon.—La chose est ainsi.
Socrate.—Au reste, il te serait difficile de trouver beaucoup de sciences qui coûtent plus à apprendre et à approfondir que celle-là.
Glaucon.—Je le crois.
Socrate.—Ainsi, par toutes ces raisons nous ne devons pas la négliger; mais il faut y appliquer de bonne heure ceux qui seront nés avec un excellent caractère.
Glaucon.—J'y consens.
Platon.
Ceux qui ne voient dans les mathématiques que leur utilité d'application ordinaire, en ont une idée bien imparfaite; ce serait, en vérité, acquérir bien peu de chose à grands frais; car, excepté les savants et quelques artistes, je ne vois guère personne qui ait besoin de la Géométrie ou de l'Algèbre une fois dans sa vie. Ce ne sont donc ni les théories, ni les procédés, ni les calculs en eux-mêmes, qui sont véritablement utiles, c'est leur admirable enchaînement, c'est l'exercice qu'ils donnent à l'esprit, c'est la bonne et fine logique qu'ils y introduisent pour toujours.
Les mathématiques jouissent de cet avantage inappréciable, et sans lequel il serait le plus souvent superflu de les étudier, c'est qu'il n'est pas nécessaire de les savoir actuellement pour en ressentir les avantages, mais il suffit de les avoir bien sues; toutes les opérations, toutes les théories qu'elles nous enseignent peuvent sortir de la mémoire, mais la justesse et la force qu'elles impriment à nos raisonnements restent; l'esprit des mathématiques demeure comme un flambeau qui nous sert de guide au milieu de nos lectures et de nos recherches; c'est lui, qui, dissipant la foule oiseuse des idées étrangères, nous découvre si promptement l'erreur et la vérité; c'est par lui que les esprits attentifs dans les discussions les plus irrégulières reviennent sans cesse à l'objet principal qu'ils ne perdent jamais de vue; c'est ainsi qu'ils abrègent le temps et l'ennui, recueillent sans peine le fruit des bons ouvrages et traversent ces vains et nombreux volumes où se perdent les esprits vulgaires. Si les mathématiques ont trouvé beaucoup de détracteurs, c'est que leurs lumières importunes détruisent tous les vains systèmes où se complaisent les esprits faux. C'est que si les mathématiques cessaient d'être la vérité même, une foule d'ouvrages ridicules deviendraient très sérieux; plusieurs même commenceraient d'être sublimes; mais il était bien naturel que les esprits supérieurs et les meilleurs écrivains ne parlassent des sciences exactes qu'avec une sorte d'admiration; les grands hommes, dans quelque genre que ce soit, ne ravalent jamais les grandes choses; ils tâchent de s'y élever.
Poinsot.
Si l'esprit d'un homme s'égare, faites-lui étudier les mathématiques; car dans les démonstrations, pour peu qu'il s'écarte, il sera obligé de recommencer.
F. Bacon.
L'avancement, le perfectionnement des mathématiques sont liés à la prospérité de l'État.
Napoléon.
Une rigoureuse discipline de l'esprit prépare aux devoirs militaires, et l'on ne peut douter que les études mathématiques contribuent à former cette faculté d'abstraction indispensable aux chefs pour se faire une représentation intérieure, une image de l'action, par laquelle ils se dirigent en oubliant le danger, dans le tumulte et l'obscurité du combat.
Hermite.
Le siècle est plus que jamais dominé par les mathématiques
Rambaud.
Lors de la création de l'Université impériale, on dut enseigner «le français, le latin et les mathématiques.» Ce n'était pas assez, mais nous enseignons trop de choses maintenant.
Nul n'atteindra la gloire de Newton, dit Lagrange, car il n'y avait qu'un monde à découvrir.
Ce qui passe la géométrie nous surpasse.
Pascal.
Aucune investigation humaine ne doit s'appeler vraie science, si elle ne passe pas par les démonstrations mathématiques.
Léonard de Vinci.
Mesurer, c'est savoir.
Kepler.
L'action de nos sens et celle de notre entendement ont des bornes; le calcul n'en a pas.
Portalis.
Nous devons plutôt nous fier au calcul algébrique qu'à notre jugement.
Euler.
La vie n'est bonne qu'à étudier et à enseigner les mathématiques.
Poisson.
Le commentaire de Bachet sur Diophante ne fera pas diminuer le prix du pain, remarquait le judicieux Malherbe.
Le dessin, dit Condorcet, est la géométrie des yeux, la musique est celle des oreilles.
L'Art est la plus haute expression d'une arithmétique intérieure et inconsciente.
Leibniz.
... tous nos esprits mathématiques, polytechniques, soi-disant positifs, tous ceux qu'on a appelés spirituellement de bons esprits faux.
Sainte-Beuve.
Le calcul est nécessaire à tous ceux qui ne savent pas, ou qui ne peuvent pas, ou qui ne veulent pas beaucoup penser.
de Ramsay.
Le bon sens ne perd jamais ses droits: opposer à l'évidence une formule démontrée, c'est à peu près comme si, pour refuser à un homme le droit de vivre, on alléguait devant lui un acte de décès authentique.
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Les mathématiques ne doivent pas dégénérer en une débauche de logique.
J. Bertrand.
L'analyse pure, c'est l'esprit du nombre s'aiguisant lui-même.
Je comparerai volontiers les lumières des mathématiques à ces pâles soleils du nord, sous lesquels on reste glacé... Ils ne font éclore que des fleurs sans parfum et des fruits sans saveur.
Dupanloup.
Une logique rigoureuse, la recherche et l'amour de la vérité pour elle-même, forment la partie morale des mathématiques, qui par là appartiennent essentiellement à l'école stoïque. Offrir à la jeunesse, au début de la vie, des applications utiles, des méthodes d'approximation, comme objet principal d'étude, c'est dénaturer le but de l'éducation et cela peut avoir de funestes résultats. Toutefois, il ne faut pas confondre cette rigueur avec la manie démonstrative, qui, se défiant du sens commun, enlève au lecteur toute spontanéité.... Savoir ce qu'il ne faut pas dire est un art difficile, qu'on rencontre rarement.
O. Terquem.
L'idéal de l'amitié, c'est de se sentir un et de rester deux.
Mme Swetchine.
Celui qui compte dix amis, n'en a pas un.
Un homme est un chiffre: deux hommes placés à côté l'un de l'autre valent dix fois davantage; trois hommes en valent cent, quand ils ont mis ensemble leur esprit, leur argent et leur bonne volonté.
B. Franklin.
La vie morale de l'égoïste est l'équivalent exact de l'unité multipliée par elle-même.
Sauvage.
Dans tout ce que l'on entreprend, il faut donner les deux tiers à la raison et l'autre tiers au hasard. Augmentez la première fraction, vous serez pusillanime; augmentez la seconde, vous serez téméraire.
Napoléon.
Par la définition du point, de la ligne, de la surface, et par d'autres principes très familiers, nous parvenons à des connaissances qui mesurent enfin le ciel et la terre.
La Fontaine.
Les transformations de l'âme sont lentes; elles ne se font qu'avec la douleur multipliée par le temps.
Le P. Didon.
Les mathématiques pures sont une clef d'or qui ouvre toutes les sciences.
V. Duruy.
Créer en nous l'art de raisonner, et surtout de raisonner géométriquement, n'est qu'une bien faible partie de l'éducation. Ce sont les sentiments qui nous mènent, et non pas la logique ni la géométrie.
A. Croiset.
Rien n'est moins applicable à la vie qu'un raisonnement mathématique. Une proposition, en fait de chiffres, est décidément fausse ou vraie; sous tous les autres rapports, le vrai se mêle avec le faux...
Mme de Staël.
La géométrie est la meilleure et la plus simple de toutes les logiques, la plus propre à donner de l'inflexibilité au jugement et à la raison. C'est la lime sourde de tous les préjugés populaires.....
Diderot.
La logique a emprunté les règles de la géométrie sans en comprendre la force..... Je suis bien éloigné de mettre les logiciens en parallèle avec les géomètres qui apprennent la véritable manière de conduire la raison..... La méthode de ne point errer est recherchée de tout le monde. Les logiciens font profession d'y conduire, les géomètres seuls y arrivent, et hors de leur science il n'y a point de véritable démonstration.
Pascal.
Pascal confond l'art avec la science, et parce que les logiciens ne conduisent pas infailliblement au vrai, il immole la logique à ses chères mathématiques. C'est Leibniz qui a pleine raison quand il dit, contrairement à Pascal: «La logique des géomètres est une extension ou promotion particulière de la logique générale.» Les mathématiques empruntent donc la puissance de leur forme à la logique, loin de la lui donner.
Barthélemy Saint-Hilaire.
La raison mathématique se contente de fournir, dans le domaine le plus favorable, un type de clarté, de précision et de consistance dont la contemplation familière peut seule disposer l'esprit à rendre les autres conceptions aussi parfaites que le comporte leur nature.
Aug. Comte.
En mathématiques, comme ailleurs, la raison profonde des choses, le fond mystérieux de l'être sur lequel nous spéculons ou que nous observons, nous échappera peut-être toujours; peut-être aussi l'inquiétude qui en résulte pour nos intelligences est-elle l'aiguillon secret de cette passion que les savants apportent dans leurs recherches.
J. Tannery.
Il est toujours utile de penser juste, même sur des sujets inutiles. Quand les nombres et les lignes ne conduiraient absolument à rien, ce seraient toujours les seules connaissances certaines qui aient été accordées à nos lumières naturelles, et elles serviraient à donner à notre raison la première habitude et le premier pli du vrai.....
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L'esprit géométrique n'est pas si attaché à la géométrie qu'il n'en puisse être tiré et transporté à d'autres connaissances. Un ouvrage de morale, de politique, de critique, peut-être même d'éloquence, en sera plus beau, toutes choses d'ailleurs égales, s'il est fait de main de géomètre.
Fontenelle.
Le raisonnement mathématique est si particulier et si exclusif qu'une fois maître d'un cerveau, il s'en empare en entier et le rend inapte, pour ainsi dire, aux autres manières, pourtant aussi légitimes, d'arriver à la vérité.
Delbœuf.
Ne restons pas mathématicien partout et quand même. Il y a un vieil adage: purus mathematicus, purus asinus. Montucla dit plus poliment que «parmi les hommes qui se sont distingués en mathématiques, il y en a toujours eu un grand nombre dont la sagacité ne sortait pas du domaine géométrique.»
Le goût de l'exactitude, l'impossibilité de se contenter de notions vagues, de s'attacher à des hypothèses quelque séduisantes qu'elles soient, le besoin d'apercevoir clairement la liaison des propositions et le but où elles tendent, sont les fruits les plus précieux de l'étude des mathématiques.
Lacroix.
Les nuances délicates des idées morales échappent à la rigueur des raisonnements mathématiques, et une habitude trop exclusive de ceux-ci porte assez souvent l'esprit à vouloir tout réduire à des règles invariables, à des principes absolus; méthode si dangereuse, quand on l'applique au gouvernement des sociétés humaines, ou seulement aux rapports particuliers qui nous lient avec les autres hommes.
Cuvier.
L'étude des mathématiques nous accoutume à un enchaînement de déductions logiques dans lequel chaque anneau se rattache au précédent; elle donne ainsi de la continuité à l'attention, de la cohérence aux idées; elle apprend à l'intelligence à saisir les points fondamentaux d'un raisonnement, et à classer avec ordre les divers éléments de conviction, en leur accordant leur juste degré d'importance; qualités que l'on rencontre trop rarement dans le monde.
Whewell.
Les mathématiques donneront une fausse précision, une rigueur apparente qui masque la faiblesse des raisonnements, une raideur inflexible qui multiplie les erreurs, les rend irréparables et empêche la juste notion des choses. Hélas! qu'il y a peu de mathématiques dans les choses de la vie: elles sont complexes, changeantes, faites de finesses, de sous-entendus, de détails, et impossibles à exprimer par une formule.
Chandos.
Les mathématiques partout, une chimère de quelques esprits simplistes. Il ne faut pas abuser des meilleures choses.
Dans les Mathématiques, la censure et la critique ne peuvent être permises à tout le monde; les discours des rhéteurs et les défenses des avocats n'y valent rien.
Viète.
Les vérités mathématiques doivent être jugées par des mathématiciens.
Copernic.
Depuis huit jours, j'ai vu le premier rayon de lumière; depuis trois, j'ai vu le jour; enfin, à cette heure, je vois le soleil de la plus admirable contemplation. Rien ne me retient plus, je m'abandonne à mon enthousiasme; je veux braver les mortels par l'aveu franc que j'ai dérobé les vases d'or des Égyptiens, pour en former à mon Dieu un tabernacle loin de l'Égypte idolâtre. Si l'on me pardonne, je m'en réjouis; si l'on s'irrite, je me résigne. Le sort en est jeté, j'écris mon livre. On le lira dans l'âge présent ou dans l'avenir, que m'importe! Il peut attendre son lecteur: Dieu n'a-t-il pas attendu six mille ans pour se donner un contemplateur de ses œuvres?
Kepler.
Certains prétendent que les mathématiques dessèchent le cœur.
Il me semble que je n'ai été qu'un enfant jouant sur le bord de la mer et trouvant, tantôt un caillou plus poli, tantôt un coquillage plus joli que les autres, tandis que le vaste océan de la Vérité s'étendait inexploré devant moi.
Newton.
L'étude des mathématiques peut distraire des grandes douleurs: elle absorbe l'homme tout entier.
Boiste.
Le but unique de la Science, c'est l'honneur de l'esprit humain, et, à ce titre, une question de la théorie des nombres vaut autant qu'une question du système du monde.
Jacobi.
Les mathématiques sont une forte école de logique appliquée: elles nous forment indirectement à bien raisonner sur d'autres sujets que les nombres et les lignes.
Vous aimez, vous voulez le vrai; il importe que vous soyez pénétrés de la méthode à l'aide de laquelle on le découvre et on l'établit. Cette méthode est la même, qu'il s'agisse des plus hautes spéculations ou des questions de la vie ordinaire; ce n'est pas le syllogisme presque exclusivement détaillé jadis: il condamne la déduction lorsqu'elle est fautive, mais il n'apprend pas à la mettre en mouvement, pour augmenter la connaissance. La méthode générale, c'est l'analyse, non pas l'insuffisante analyse de Condillac, qui se borne à décomposer le tout en ses parties pour le mieux étudier, mais cette analyse plus large et plus féconde que les Anciens nous ont transmise.
Chaque fois que l'esprit veut chercher ou prouver, il substitue à plusieurs reprises à la chose en question une chose dont elle est la conséquence jusqu'à ce qu'il arrive à une chose connue. Le succès dépend du choix des relais; c'est un art précieux, dit Leibniz, que celui de s'aviser quand il faut de ce qu'on sait. On peut ainsi définir rapidement l'analyse pour la rappeler à ceux qui la connaissent, mais une pratique longue et attentive est seule capable d'en faire une habitude aisée et définitive.
Les mathématiques, par la clarté et le petit nombre des données primitives,—car là non plus on ne définit pas tout et on ne prouve pas tout,—les mathématiques fournissent la première application, l'application commode, je dirai même indispensable de l'analyse. Platon écrivant sur la porte de son école: «que nul n'entre ici s'il n'est géomètre», déclarait incapable d'aborder les questions philosophiques ceux qui n'avaient pas d'abord appris à raisonner en géométrie.
On admet au début quelques notions, quelques propositions qui brillent par elles-mêmes et c'est avec elles seules que toute la science se fait. Nous devons ainsi à Euclide et à ses successeurs une trame serrée de vérités utiles ou curieuses, enchaînées dans un bel ordre. Mais ce n'est pas assez de comprendre la doctrine des maîtres, il faut pouvoir y rattacher vous-mêmes les problèmes nouveaux et découvrir aussi à votre tour: voilà pourquoi on soumet à vos efforts des exercices mathématiques nombreux et gradués. D'une part, vous apprenez, par la démonstration des théorèmes et la vérification des problèmes, à tirer d'un principe ses conséquences, et de l'autre vous apprenez, par l'invention des problèmes et par l'exposition des théorèmes,—lorsque le professeur cherche devant vous,—à rattacher un fait particulier aux principes d'où il découle. Plus tard, je le crains et je m'y résigne, vous oublierez le détail de Legendre et vos propres travaux, mais toute cette géométrie aura aiguisé votre esprit, vous serez experts sur tout sujet à dégager d'une idée ce qu'elle contient, à substituer à une question d'autres questions plus aisées, à avancer vers la solution. Cette solution, vous ne l'atteindrez pas toujours, mais vous aurez d'autant plus de chances de l'atteindre que vous serez mieux dressés à chercher, à chercher patiemment, méthodiquement. Tout au moins, vous n'humilierez pas la raison, en tirant le faux du vrai.
Presque toujours et quel que soit l'objet qui vous occupe, vous aurez recours à une analyse progressive, tenace, prudente qui vous préservera des aventures. Il ne faut pas cependant bannir de la recherche, dans les sciences et ailleurs, une certaine hardiesse, l'audace même. Parfois l'inventeur, heureusement inspiré, court vers le but et l'atteint en sautant les intermédiaires. Mais il doit ensuite serrer la chaîne logique, autrement sa découverte ne serait définitive, ni pour les autres ni pour lui-même.
Trois groupes d'esprits ne méritent pas qu'on leur livre des vérités. Les premiers n'en font aucun usage, ils sont inertes, ils ne vont jamais en avant, ce sont des enfants trop faibles pour marcher seuls. Les seconds croyant raisonner rencontrent l'erreur, ils marchent, mais, hélas! c'est pour tomber souvent. Les troisièmes ne sont plus à plaindre mais à flétrir, ils faussent le vrai de parti pris, ce sont des sophistes, ils connaissent la route, mais ils suivent les chemins tortueux qui les mènent où leur passion veut. Une consciencieuse fréquentation des sciences vous évitera d'être classés dans ces catégories: vous saurez et vous voudrez marcher seuls et marcher droit.
Vous repousserez non seulement le faux, mais encore l'incomplet, l'approximatif, le vague qui nous envahissent. Voilà l'ennemi de tous les jours, ennemi fuyant, insaisissable. Que d'assertions qui ne sont pour ainsi dire, ni vraies ni fausses, que de pensées à peine ébauchées, échappant par là même à la réfutation! La faute en est aux hommes seulement littéraires, sans lest scientifique, ils sont frivoles et vains, ils dissertent avec facilité sur ce qu'ils ignorent. Vous vous tairez, lorsque vous n'aurez rien à dire; mais lorsque vous parlerez, lorsque vous écrirez, ce sera judicieusement, fermement, «chaque mot signifiera».
J'ai jusqu'ici supposé expressément des principes faciles, clairs et certains, comme le sont ceux des sciences formées, mais, dans beaucoup de spéculations, on n'a pas cette commodité. De là un péril grave contre lequel vous vous tiendrez en garde. Les esprits rigoureux, qui sont mal partis, avancent héroïquement en ligne droite; sûrs de leurs déductions, ils sont d'une ténacité déplorable, ils proclament, ils imposent leurs conclusions telles quelles, comme des dogmes. Un historien irrité est allé jusqu'à accuser les hommes de science des malheurs de la patrie vers la fin du siècle dernier. Vous vous arrêterez donc dès le seuil,—c'est absolument indispensable,—vous vous arrêterez longtemps sur les idées et les assertions fondamentales, et vous ferez porter directement sur elles tout l'effort de votre attention. Cette étude intrinsèque des principes est souvent compliquée, quelquefois impuissante, mais malheur à qui la néglige. Il n'y a presque rien à dire de général sur cette étude; elle dépend de la justesse, de la force, de la finesse native ou acquise de l'esprit; mais elle dépend surtout de la nature des questions: vous invoquerez tantôt des axiomes, tantôt l'observation, cette grande maîtresse, tantôt des conventions, tantôt des hypothèses. Quoi qu'il en soit, n'oubliez jamais que, tant valent les prémisses, tant valent les déductions; pesez de votre mieux ces prémisses, et si elles sont seulement probables, recevez aussi comme seulement probable tout ce que vous en tirerez. Le raisonnement garde dans tous les cas sa valeur relative, et, au pis aller, vous aurez cette consolation de ne pas ajouter à l'imperfection des données.
Le domaine de la pure raison est vaste et soumis à des règles absolues, mais il y a à côté des domaines plus libres. Vous ne serez pas positif toujours et quand même, vous ne traiterez pas avec une rigueur trop grande des sujets qui ne comportent pas cette rigueur.
Je veux parler d'abord des études dont les éléments sont trop complexes: la politique, une fois d'accord avec la morale, doit être flexible et tenir grand compte des races, des mœurs, des traditions; la médecine s'occupe de la matière animée que les lois physiques ordinaires ne régissent pas seules, elle varie ses prescriptions d'après le tempérament et l'esprit du malade; le droit lui-même laisse beaucoup à l'appréciation du juge, parce que nos codes, malgré leur étendue, ne peuvent pas prévoir tous les cas, toutes les circonstances.
Je veux parler en second lieu des questions toutes de nuance et d'impression personnelle: de certains sentiments qui naissent et grandissent mystérieusement dans l'âme, de l'art qui choisit et épure les belles réalités, du goût individuel, de la poésie. Il faut laisser en paix l'humanité, croire, espérer, rêver. N'allez pas criant à tout propos et hors de propos: Pourquoi cela? Qu'est-ce que cela prouve? Mot de je ne sais quel mathématicien après la lecture de l'Iphigénie de Racine. Lorsque votre imagination s'éveille, laissez-la voler à sa fantaisie. Ne prenez pas de grosses balances pour peser des toiles d'araignée.
Ces idées dont j'ai fait deux classes et qui, pour des motifs différents, échappent à la déduction formelle, ont leur grande importance, leur irrésistible attrait; vous vous garderez de les dédaigner, comme incertaines ou futiles. Pascal a tort d'affirmer que «ce qui passe la géométrie nous surpasse.»
Quelques-uns ont une estime outrée, exclusive, pour la forme du raisonnement en mathématiques, forme concise, sèche, nerveuse et tout à fait déplacée dans beaucoup de questions susceptibles pourtant de précision. Du reste, la rigueur est dans le fond même du raisonnement, et, s'il est faible, vous aurez beau le couper de conjonctions et lui donner un faux dehors scientifique. Spinosa ne fortifie guère sa philosophie en la disposant par théorèmes et par corollaires, il rend seulement son accès plus difficile. N'imitez pas ces formalistes impitoyables qui distinguent, divisent, subdivisent et arrivent parfois à sacrifier le fond à la forme et à quelle forme! Ils font comprendre ce vers paradoxal:
Et le raisonnement en bannit la raison.
Vous voilerez cet appareil et vous craindrez de compromettre une bonne cause par une argumentation peut-être exacte mais raide, hérissée, rebutante. Il convient, dans la vie, de varier, de délayer un peu les preuves, de les fleurir discrètement, enfin d'avoir raison avec un certain agrément.
Il est un autre travers du même genre, mais plus spécial. C'est celui d'invoquer le secours de l'Algèbre, de ses signes et de ses équations, là où elle n'a rien à voir. Ne s'est-on pas avisé de traiter algébriquement l'économie politique? Pour qu'un problème puisse être mis en équation, il faut que ses données soient d'une simplicité, d'une netteté bien rares. Presque toujours les nombreuses équations de condition, alors qu'on pourrait les écrire, embarrasseraient le calcul qui se traînerait péniblement. N'oubliez pas d'ailleurs que le calcul n'est qu'un instrument, il ne facilite pas l'analyse par une vertu propre, il ne dirige pas l'esprit, il doit être dirigé par lui. Cet instrument ne travaille que quelques matières, mais alors que vous pourriez lui soumettre des conceptions peu précises qu'il aiderait à déployer, il ne leur donnerait aucune consistance.
En résumé, les mathématiques, par leurs types excellents d'analyse, nous apprennent, suivant l'expression de Descartes, «à conduire par ordre nos pensées» et nous préparent ainsi aux divers travaux de l'esprit et aux affaires de la vie, parce que l'analyse sert partout.
Il y a cependant quelques périls, quelques abus à signaler: l'adhésion trop confiante aux principes, le traitement trop rigoureux de certains sujets, un goût trop prononcé pour la forme du raisonnement géométrique et pour la mise en formules.
VARIÉTÉS ET ANECDOTES
Quittant la région sévère des généralités, des principes et des abstractions, reposons-nous, en observant les Savants et la Science par le côté familier.
Nous faisons un petit classement des aperçus et des anecdotes réunis ici, mais le lecteur peut feuilleter au hasard.
MŒURS, OPINIONS. DISTRACTIONS DE SAVANTS
UN GÉOMÈTRE
Je passais l'autre jour sur le Pont-Neuf avec un de mes amis: il rencontra un homme de sa connaissance qu'il me dit être un géomètre; et il n'y avait rien qui y parût, car il était dans une rêverie profonde: il fallut que mon ami le tirât longtemps par la manche et le secouât pour le faire descendre jusqu'à lui, tant il était préoccupé d'une courbe qui le tourmentait peut-être depuis plus de huit jours!...
Son esprit régulier toisait tout ce qui se disait dans la conversation. Il ressemblait à celui qui, dans un jardin, coupait avec son épée la tête des fleurs qui s'élevaient au-dessus des autres. Martyr de sa justesse, il était offensé d'une saillie, comme une vue délicate est offensée par une lumière trop vive. Rien ne lui était indifférent, pourvu qu'il fût vrai. Aussi, sa conversation était-elle singulière. Il était arrivé ce jour-là de la campagne avec un homme qui avait vu un château superbe et des jardins magnifiques; et il n'avait vu, lui, qu'un bâtiment de soixante pieds de long sur trente-cinq de large et un bosquet long de dix arpents (sic); il aurait souhaité que les règles de la perspective eussent été tellement observées, que les allées des avenues eussent paru partout de même largeur; et il aurait donné pour cela une méthode infaillible. Il parut fort satisfait d'un cadran qu'il y avait démêlé; et il s'échauffa fort contre un savant qui était auprès de moi, qui malheureusement lui demanda si ce cadran marquait les heures babyloniennes. Un nouvelliste lui parla du bombardement du château de Fontarabie; et il nous donna soudain les propriétés de la ligne que les bombes avaient décrite en l'air; et charmé de savoir cela, il voulut en ignorer entièrement le succès.
Montesquieu.
Le mathématicien exclusif ne voit en chaque chose qu'un prétexte pour calculer.
ROUTE ROYALE
Le roi Ptolémée ayant demandé à Euclide de lui rendre plus faciles les mathématiques, celui-ci répondit: «Il n'y a pas de route royale en Géométrie.»
Il était meilleur courtisan que l'Alexandrin, ce chimiste professant devant un prince: «Monseigneur, ces gaz vont avoir l'honneur de se combiner devant vous.»
DERNIÈRE CONVERSATION
«J'ai été bien mal avant-hier, dit Lagrange, je me sentais mourir; mon corps s'affaiblissait peu à peu, mes facultés morales et physiques s'éteignaient insensiblement; j'observais avec plaisir la progression bien graduée de la diminution de mes forces, et j'arrivais au terme sans douleur, sans regrets, et par une pente bien douce; c'est une dernière fonction qui n'est ni pénible ni désagréable...
«Quelques instants de plus, et il n'y avait plus de fonctions, la mort était partout... Je voulais mourir, oui, je voulais mourir; mais ma femme n'a pas voulu: j'eusse préféré une femme moins bonne, moins empressée à ranimer mes forces, et qui m'eût laissé finir doucement.
«J'ai fourni ma carrière; j'ai acquis quelque célébrité dans les mathématiques. Je n'ai haï personne; je n'ai point fait de mal; il faut bien finir.»
IL EST FACILE DE VOIR
Une fois, ayant demandé à Laplace quelque explication sur sa mécanique céleste, je le vis passer près d'une heure à tâcher de ressaisir la chaîne des raisonnements qu'il avait supprimés en disant négligemment: il est facile de voir que...
Biot.
DÉFIS ET PARIS
Autrefois les mathématiciens se proposaient des problèmes les uns aux autres, ils cachaient leurs propres solutions et le gagnant recevait une somme d'argent. Les correspondances des savants au xvie et au xviie siècles sont pleines de piquants détails à ce sujet. Le P. Mersenne était souvent pris pour arbitre. L'Académie des sciences a maintenant régularisé ces concours, en proposant des questions et en donnant des prix.
Pascal soumit aux recherches des savants ses problèmes sur la cycloïde, en promettant une forte somme. Wallis seul trouva les principales réponses.
Le grand Descartes, au service de la Hollande en 1617, vit contre un mur une affiche en flamand qu'il se fit traduire par un passant. Il s'agissait d'un problème difficile proposé par un géomètre. Descartes le résolut sur le champ.
Jean Bernoulli tenait en médiocre estime les travaux de son fils Daniel. Un jour que le père et le fils avaient concouru dans un de ces tournois, le mémoire du fils fut préféré à celui du père qui ne pardonna jamais à Daniel de l'avoir emporté sur lui.
AUTOBIOGRAPHIE
On lit dans celle que Leibniz a laissée: «Taille moyenne. Figure pâle. Mains froides. Pieds et doigts longs. Cheveux d'un brun foncé, droits et non frisés. Vue basse dès l'enfance. Corps maigre. Voix mince, mais claire, haute plutôt que forte. Difficulté de prononcer les gutturales et le R.
Aimant les odeurs fortes, les spiritueux; les choses sucrées et le sucre. Ayant l'habitude de mettre du sucre dans son vin.
N'est jamais ni trop gai, ni trop triste.
Se passionne promptement en pensées et en paroles et peut à peine se modérer, mais devient bientôt calme et doux.
Goût médiocre pour la conversation, mais la préférant aux jeux de cartes et aux exercices qui exigent du mouvement.
Menant et aimant de préférence une vie sédentaire.
Souriant plus souvent que riant.
Colère prompte et courte.
Commençant une entreprise avec hésitation et la continuant ferme, avec persévérance.
Mémoire médiocre.
Plus affecté d'un petit mal présent que d'un grand mal passé.»
DÉPUTÉ MUET
On raconte que Newton, qui fut membre de la Chambre des Communes, y restait silencieux et distrait. Il n'ouvrit la bouche qu'une fois pour prier un huissier de fermer une fenêtre qui produisait un courant d'air.
Peu parlementaire, quoique anglais, mais pratique.
DOUZE FOIS DOUZE?
Lagny, le mathématicien, était à l'agonie; on le croyait déjà mort, lorsqu'un de ses confrères lui demanda: «Douze fois douze?» «Cent quarante-quatre», répondit faiblement le moribond.
D'autres prétendent que l'expérience a été faite sur l'abbé Bossut.
LE TONNEAU
«Comme je venais de me marier, dit Kepler, la vendange étant abondante et le vin à bon marché, il était du devoir d'un bon père de famille d'en faire provision et de garnir ma cave. Ayant donc acheté plusieurs tonneaux, quelques jours après, je vis arriver mon vendeur pour fixer le prix en mesurant leur capacité: sans exécuter aucun calcul, il plongeait une baguette de fer dans chaque tonneau et déclarait immédiatement leur contenance.
Sous l'influence d'un bon génie qui sans doute était géomètre, les constructeurs de tonneaux leur ont précisément donné la forme qui, pour une même longueur donnée à la ligne mesurée par les jauges, leur assure la plus grande capacité possible; et comme aux environs du maximum les variations sont insensibles, les petits écarts accidentels n'exercent aucune influence appréciable sur la capacité, dont la mesure expéditive est par suite suffisamment exacte.
..... Qui peut nier que la nature seule, sans aucun raisonnement, puisse engendrer la géométrie, lorsqu'on voit nos tonneliers, conduits par leurs yeux et par l'instinct du beau, deviner la forme qui se prête le mieux à une mesure exacte!»
GÉOMÈTRE AU POUVOIR
Géomètre de premier rang, Laplace ne tarda pas à se montrer administrateur plus que médiocre; dès son premier travail, nous reconnûmes que nous nous étions trompé. Laplace ne saisissait aucune question sous son véritable point de vue; il cherchait des subtilités partout, n'avait que des idées problématiques, et portait enfin l'esprit des infiniment petits jusque dans l'administration.
Napoléon.
MODESTIE
«Je vais dans quelques jours entrer dans ma quatre-vingtième année; j'ai déjà vécu près de deux ans de plus que M. de Lagrange qui n'a vécu que soixante-dix-sept ans et soixante-dix-sept jours, et d'un an de plus que M. de Laplace qui a vécu soixante-dix-huit ans moins dix-huit jours; je dois donc compter un à un les jours qu'il plaira à Dieu de m'accorder, et je n'ai pas un moment à perdre pour achever la tâche que j'ai entreprise dans la vue de compléter, par un dernier effort, mes travaux sur les fonctions elliptiques et sur les transcendantes analogues..... C'est, en effet, la gloire de M. Abel que je mettrai dans tout son jour, en faisant voir que son théorème généralise à l'infini tous ceux que l'immortel Euler avait découverts sur les fonctions elliptiques. Une nouvelle branche d'analyse, bien plus vaste que celle des fonctions elliptiques, est ouverte par ce théorème admirable.»
Legendre.
AVEUGLES
Saunderson, quoique aveugle, fut professeur de mathématiques et d'optique, à l'Université de Cambridge.
Le célèbre Euler était aveugle, lorsqu'il composa son algèbre, si simple et si attrayante.
Plateau, de Gand, atteint de cécité, a continué ses recherches sur les figures d'équilibre des liquides.
Le jeune aveugle Penjon, qui suivait les cours du lycée Charlemagne, a eu en 1806 un prix de mathématiques au concours général et il a été nommé professeur de ces sciences au lycée d'Angers.
L'homme pense plus librement lorsqu'il ferme les yeux: il est moins distrait par les choses extérieures.
On appelle problème de Molyneux (géomètre anglais du xviiie siècle) le problème suivant: Un aveugle-né devenu subitement clairvoyant par une opération, pourrait-il tout d'abord et sans le secours du toucher distinguer une sphère d'un cube et dire: Voici la sphère et voilà le cube?
SUR L'ÉCHAFAUD
Le 12 novembre 1793, lorsque l'astronome Bailly, ancien maire de Paris, fut conduit à l'échafaud, un des gardes l'interpella: «Tu trembles, Bailly.» «Oui, je tremble, répondit ce dernier, mais c'est de froid.»
SAVANTS FOUS
Le célèbre algébriste Cardan, qui était médecin, a cherché si les remèdes agissent d'après les progressions arithmétiques ou géométriques des doses. Ayant foi en l'astrologie, il avait tiré son horoscope et réglé en conséquence sa fortune. Mais le terme qu'il avait fixé étant arrivé, il se trouva réduit à une si grande misère qu'il dut mettre fin à ses jours.
Un autre, Fatio de Duiller, avait annoncé qu'il ressusciterait un mort, mais le mort résista.
Il y a peu d'années, l'Académie des sciences a décerné le prix dans un concours de hautes mathématiques à un mémoire dont l'auteur s'est trouvé être un pensionnaire de la maison nationale de Charenton. Il n'y avait pas d'inadvertance. Le mémoire était de tout premier mérite, d'autre part, l'auteur n'avait pas du tout songé à protester d'une façon détournée contre son sort. Sa raison était atteinte, mais non pas le casier des mathématiques. Et qui sait si ce n'est pas l'activité de cette portion privilégiée de la matière cérébrale qui avait atrophié une partie du reste?
DEUX TRISTES PERSONNAGES
L'un est le trop fameux Libri, savant et érudit, auteur d'une histoire des Mathématiques en Italie, qui a pillé nos bibliothèques dont il était l'Inspecteur. Il s'est sauvé en Angleterre, il a été condamné par les tribunaux, et il est mort misérablement en 1869. Notre Bibliothèque nationale a pu racheter la plupart des livres rares dont elle avait été dépouillée.
L'autre est l'escroc Vrain Lucas qui a mystifié le géomètre Chasles en lui vendant, de 1867 à 1869, des autographes d'après lesquels Pascal aurait fait la plupart des découvertes attribuées à Newton. Le faussaire a été condamné à deux ans de prison: il avait avoué avoir fait et trafiqué plus de vingt mille faux autographes.
MARIAGE
Dans ce temps-là, sauf de rares exceptions, les savants, les mathématiciens surtout, étaient regardés dans le monde comme des êtres d'une nature à part. On aurait voulu leur interdire le concert, le bal, le spectacle, comme à des ecclésiastiques. Un géomètre qui se mariait semblait enfreindre un principe de droit. Le célibat passait pour la condition obligée de quiconque s'adonnait aux sublimes théories de l'analyse. Le tort était-il tout entier du côté du public? Les géomètres ne l'avaient-ils pas eux-mêmes excité à voir la question sous ce jour-là?...
D'Alembert reçoit indirectement de Berlin la nouvelle que Lagrange vient de donner son nom à une de ses jeunes parentes. Il est quelque peu étonné qu'un ami avec lequel il entretient une correspondance suivie ne lui en ait rien dit. Cela même ne le détourne pas d'en parler avec moquerie: «J'apprends, lui écrit-il, que vous avez fait ce qu'entre nous philosophes nous appelons le saut périlleux... Un grand mathématicien doit, avant toutes choses, savoir calculer son bonheur. Je ne doute pas qu'après avoir fait ce calcul, vous n'ayez trouvé pour solution le mariage.»
Lagrange répond de cette étrange manière: «Je ne sais pas si j'ai bien ou mal calculé, ou, plutôt, je crois ne pas avoir calculé du tout; car j'aurais peut-être fait comme Leibniz qui, à force de réfléchir, ne put jamais se déterminer. Je vous avouerai que je n'ai jamais eu de goût pour le mariage,... mais les circonstances m'ont décidé... à engager une de mes parentes... à venir prendre soin de moi et de tout ce qui me regarde. Si je ne vous en ai pas fait part, c'est qu'il m'a paru que la chose était si indifférente d'elle-même, qu'il ne valait pas la peine de vous en entretenir.»
Arago.
RECONSTRUCTION
Le général Poncelet, officier du génie sous le premier empire, fut fait prisonnier pendant la terrible guerre de Russie et interné à Saratof, sur le Volga. Lorsque, pour se distraire, il voulut travailler les mathématiques, il constata qu'il les avait complètement oubliées, par suite du froid et de la fatigue. Alors, sans aucun livre, il reconstitua peu à peu toutes ces sciences à sa manière. Il a conservé et publié ses notes, pleines d'aperçus nouveaux et tout à fait personnels.
PORTRAITS
Le mathématicien, du flamand Bol, est au musée du Louvre. Le savant, en noir, tient d'une main une règle et de l'autre il montre une figure géométrique; il est grave et semble méditer.—Il y a aussi un mathématicien, de Vélasquez, au musée de Besançon.
UNE CASQUETTE
Lorsqu'en 1826, Abel, mathématicien suédois, vint à Paris voir nos savants, il était coiffé d'une casquette étrange qui lui nuisit beaucoup.
Abel, mort jeune, avait du génie: c'est lui qui a découvert les fonctions dites abéliennes et établi l'impossibilité de la résolution algébrique des équations de degré supérieur au quatrième.
DÉNOMINATEUR À LA MAISON
Dans un cours public, le professeur, M. Lefébure de Fourcy, écrivant au tableau d'après ses notes une très longue formule, dut s'excuser en disant: «Messieurs, j'ai oublié le dénominateur à la maison.»
DISTRACTIONS
Distrait comme un mathématicien, est un dicton justifié. Le grand Newton a donné le mauvais exemple: un jour, ne voulant pas interrompre son travail, il se préparait un œuf à la coque, lorsqu'au bout d'un moment, il s'aperçut qu'il tenait l'œuf à la main et qu'il avait fait cuire sa montre à secondes, bijou du plus grand prix, à cause de sa précision.
Le même Newton avait habitué ses chats à s'installer sans façon dans son cabinet de travail, mais la longueur des calculs du savant lassait souvent leur patience proverbiale. Les vieux matous allaient se mettre en expectative près de la porte; les plus jeunes, plus impatients, miaulaient impérieusement pour qu'on leur ouvrît. Continuellement interrompu, le savant se décida à faire une chattière juste assez grande pour laisser passer les petits félins qui étaient les plus turbulents de la troupe. Mais les gros, qui voyaient les petits aller et venir à leur guise, se livrèrent à un tel sabbat que Newton prit enfin le parti de faire pratiquer une grande chattière à côté de la petite.
Ampère, surnommé le distrait, remarqua, une fois qu'il se rendait à son cours, un petit caillou sur son chemin, et comme il n'était pas un savant exclusif, il le ramassa et l'examina. Tout à coup, le cours qu'il doit faire revient à son esprit, il tire sa montre, s'apercevant que l'heure approche, il double précipitamment le pas, remet le caillou dans sa poche et lance sa montre par-dessus le parapet du pont des Arts.
Ampère ne manquait jamais, lorsqu'il avait terminé une démonstration sur le tableau, à l'École polytechnique, d'essuyer les chiffres avec son mouchoir et de remettre dans sa poche le torchon traditionnel, toutefois, bien entendu, après s'en être préalablement servi.
Enfin Ampère se mit un jour à calculer sur la caisse noire d'un fiacre, avec le bout de craie qu'il portait toujours sur lui. Le fiacre se mettant en marche, le mathématicien le suivit en courant pour continuer ses équations.
Mais, voici qui est plus fort: on raconte qu'un géomètre, dont le nom nous échappe, quittant Paris pour aller se marier en province et craignant d'oublier la chose, avait écrit en grosses lettres sur son calepin «me marier en passant à Tours.»
AUTEUR EMBARRASSÉ
De tous les métiers actuels, le plus dur est celui d'écrire des livres de mathématiques, et surtout des livres astronomiques.
Si, en effet, vous oubliez d'observer la rigueur propre des propositions et de leur enchaînement, des démonstrations et des conclusions, le livre n'offre pas le caractère mathématique. Si, au contraire, vous en tenez compte, la lecture devient très pénible...
Moi-même,... lorsque je viens à relire le présent ouvrage, je sens les forces de mon esprit s'affaiblir pendant que je rappelle à mon souvenir, en voyant les figures, les éléments des démonstrations que, dès l'origine, j'avais tirées de mon esprit, pour les traduire... en langage ordinaire. Aussi, pendant que je remédie à l'obscurité du sujet par un tissu de circonlocutions, me semble-t-il que, par un défaut contraire, je deviens trop verbeux en matière mathématique.
Or la prolixité a aussi son obscurité, non moins que la concision extrême....
Kepler.
DE L'ARGENT
La reine d'Angleterre, ayant daigné visiter une nuit l'Observatoire de Greenwich, exprima à Bradley l'intention de lui faire allouer un traitement plus convenable. «Je supplie Votre Majesté de ne pas donner suite à son projet, répliqua Bradley. Si la place de Directeur rapportait de l'argent, ce ne serait plus un astronome qui demeurerait ici.»
NEZ PERDU
L'astronome Tycho-Brahe, voyageant en Allemagne, se prit de querelle avec un savant, à propos d'un théorème. Un duel s'en suivit, et le pauvre Tycho y perdit son nez! Il dut s'en faire mouler un en cire.
BONS JOUEURS
C'est une idée très généralement répandue que la plupart des personnes que l'on sait adonnées aux mathématiques passent aussi pour être habiles au jeu d'échecs. Ce jugement est habituellement formulé par des gens qui, ne connaissant pas le jeu d'échecs, s'imaginent qu'en raison de sa difficulté et de la grande attention qu'il exige, il emprunte nécessairement des ressources à l'emploi des mathématiques, qu'il ne saurait être convenablement joué que par des mathématiciens, et enfin, qu'il doit être naturellement joué par des mathématiciens.
Il est pourtant bien établi que le jeu d'échecs n'a aucune relation avec les mathématiques. Il n'y a pas eu et il n'y aura sans doute jamais d'ouvrage traitant de la théorie mathématique du jeu d'échecs, pas plus d'ailleurs que du jeu de dames; tandis qu'il existe des études mathématiques du jeu d'écarté (Dormoy), du jeu de billard (Coriolis), et de certains autres.
Il est à présumer que si les mathématiciens passent pour connaître ou aimer le jeu d'échecs, c'est sans doute parce que les mathématiciens ayant l'esprit familiarisé avec les notions de rapport et de combinaison, aperçoivent rapidement le pour et le contre de chaque trait du jeu. Mais, encore une fois, s'il existe,—et nous en connaissons,—des mathématiciens très habiles au jeu d'échecs, il ne s'en suit vraiment pas qu'on puisse étendre cette qualité à tous les mathématiciens indistinctement.
Voir, dans Edgar Poe, l'Automate joueur d'échecs. «Aucun coup dans le jeu des échecs ne résulte nécessairement d'un autre coup quelconque.»
BONHOMIE
L'académicien Ozanam, l'auteur des Récréations mathématiques, disait qu'il appartient à la Sorbonne de disputer, au pape de décider et au mathématicien d'aller au ciel en ligne perpendiculaire.
MODESTIE
Sturm, lorsqu'il parlait du célèbre théorème qu'il a découvert, disait: le théorème dont j'ai l'honneur de porter le nom.
COUP DE FOUDRE
Parfois le mathématicien réfléchit longtemps sur une question sans parvenir à rien trouver et tout à coup, parfois même au moment où il y songe le moins, une idée se présente à son esprit et l'envahit tout entier; puis, sans être arrêtée par aucun obstacle, elle se développe et amène après elle la série de ses conséquences logiques: c'est un trait de lumière; tout ce qui avait embarrassé le savant devient clair, tout s'explique et s'enchaîne; il est dans une sorte d'ivresse délicieuse, de transport, d'extase. Mais parfois il est pris de craintes et de scrupules: il tremble d'avoir cru trop vite aux suggestions de son imagination et d'avoir été la dupe d'une illusion; tout cela lui semble trop beau pour être vrai. Il revient en arrière, il contrôle par le raisonnement l'exactitude de conjectures et il en reconnaît la justesse, c'est-à-dire la rigueur logique.
E. Joyau.
HUMILITÉ
Je demande que cet ouvrage soit lu avec indulgence, et que les défauts inévitables dans une matière aussi difficile, soient moins un sujet de blâme qu'une occasion de tentatives nouvelles et de recherches plus heureuses.
Newton.
Cet extrait de la préface du grand livre des Principes nous montre combien les hommes de génie sont modestes.
MORT D'ARCHIMÈDE
Archimède était seul, occupé à réfléchir sur une figure de géométrie, les yeux et la pensée tout entiers à cette méditation, et ne s'apercevant ni du bruit des Romains qui couraient par la ville, ni de la prise de Syracuse. Tout à coup un soldat se présente et lui ordonne de le suivre devant Marcellus. Archimède voulut résoudre auparavant le problème, et en établir la démonstration; mais le soldat en colère tira son épée et le tua.
D'autres disent que le Romain arriva droit sur lui l'épée nue pour le tuer; qu'Archimède le pria, le conjura d'attendre un instant, pour qu'il ne laissât pas son problème inachevé et sans démonstration, mais que le soldat, ne se souciant pas du problème, l'égorgea.
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Quoi qu'il en soit, tout le monde s'accorde à dire que Marcellus en fut vivement affligé; qu'il repoussa, comme sacrilège, le meurtrier d'Archimède, et qu'il fit chercher et traita honorablement les parents de la victime.
Plutarque.
EFFORTS GLORIEUX
Il est bien rude le travail que j'ai déjà accompli, et bien rude celui que j'entreprends d'accomplir encore. Ce n'est ni le labeur ni la mémoire qui me conduiront au but: ils ne sont que d'humbles esclaves au service de l'idée pure qui se dirige elle-même. Mais la méditation opiniâtre, celle qui brise le front, exige plus de puissance que le labeur le plus soutenu. Si grâce à un exercice continuel de cette méditation, j'y ai acquis quelque force, qu'on ne dise pas qu'elle me soit devenue facile par quelque heureux don de la nature. C'est un rude, bien rude travail qu'il me faut soutenir, et le tourment d'esprit que me causent ces efforts a souvent ébranlé gravement ma santé. Mais la conscience de la force acquise me donne de mon travail la plus belle récompense, et m'encourage de nouveau à le poursuivre sans relâche. Des hommes sans idées, pour qui ce travail et par suite cette conscience qu'on a de sa force sont choses tout à fait inconnues, cherchent à détruire cette consolation, qui seule pourtant peut empêcher l'esprit de se laisser défaillir dans cette pénible carrière, en rendant odieuse, sous les noms de présomption et d'orgueil, la conscience qu'on a d'être indépendant et libre; car c'est par le mouvement seul de la pensée que l'homme est libre et s'appartient. Quiconque porte en soi l'idée d'une science, ne peut manquer d'apprécier les choses d'après la manière dont l'intelligence humaine s'y révèle: de ce point de vue élevé, bien des choses devront lui paraître futiles, qui peuvent sembler aux autres d'un assez grand prix.
Charles-Gustave Jacobi.
POSTILLON
En 1829, quand le grand mathématicien (Ampère), atteint des premiers symptômes d'une maladie de larynx, voyageait sur la route d'Hyères, où il allait chercher le repos et le soleil, assis au fond d'une calèche à côté de son fils qui l'accompagnait, il se chargeait volontiers de payer les postillons. Aux portes d'Avignon, dans ce pays déjà méridional, où le langage populaire se colore et s'accentue d'épithètes énergiques, André Ampère essayait laborieusement de régler ses frais de route; mais d'un côté la distraction, de l'autre l'impatience, embrouillaient incessamment toutes ses additions.
L'affaire s'arrange enfin au gré de l'Avignonnais, qui reçoit son pourboire et dit d'un air de superbe dédain: «En voilà un mâtin qui n'est pas malin! Où celui-là a-t-il appris à carculer?»
Tout entier à l'admiration que m'inspirait le génie de mon père, disait notre ami (J.-J. Ampère), en rappelant ses souvenirs, je l'écoutais parler sur la classification des connaissances humaines, quand cet incident vint nous interrompre.
Mme H. C.
PARESSE
Les grands géomètres connaissent cette espèce de paresse, qui préfère la peine de découvrir une vérité à la contrainte peu agréable de la suivre dans l'ouvrage d'autrui. En général ils se lisent peu les uns les autres, et peut-être perdraient-ils à lire beaucoup: une tête pleine d'idées empruntées n'a plus de place pour les siennes propres, et trop de lecture peut étouffer le génie.
d'Alembert.
DÉSINTÉRESSEMENT
Au retour de son voyage astronomique au Cap de Bonne-Espérance, l'abbé La Caille avait obtenu la faveur de faire passer en France toutes ses malles, affranchies des droits de visite. Il pouvait, à cette occasion, faire un gain considérable et l'on fut surpris, lorsqu'au lieu de prendre des marchandises, il se borna à remplir une grande valise de paille et d'instruments. Quoique doux, il reçut fort mal un particulier qui lui offrit alors cent mille livres comptant, s'il voulait lui transmettre secrètement son privilège.
On avait alloué à l'astronome dix mille livres pour tous ses frais et ceux de son aide pendant l'expédition qui dura quatre ans (1750-1754). Il ne dépensa que 9145 livres et il s'empressa de rembourser le restant au trésor. Il paraît qu'on fit des difficultés pour accepter, le cas n'étant pas prévu par les règlements.
ZOZO
Le recteur de Montpellier, nommé Gergonne, était un de ces types complets de la vieille Université. Son visage orné d'un long nez en forme de bec à corbin, ne se déridait jamais; ses lèvres serrées et dédaigneuses ne s'ouvraient que pour laisser passer la critique, le reproche ou des mots piquants. Malheur au professeur qui osait s'écarter des bornes du programme ou quitter les routes battues! Jubinal, titulaire du cours de littérature étrangère, en fit l'épreuve à ses dépens. Instruit de la forme un peu légère et de la désinvolture de son enseignement, le vieux Gergonne vint l'entendre un jour; puis le faisant appeler, le réprimanda vertement et le somma de devenir plus sérieux, sous peine de suspension. Jubinal, ayant répondu, pour s'excuser, qu'il y avait beaucoup de monde à son cours:—Monsieur, dit Gergonne, de sa voix aigre et mordante comme des tenailles, Zozo, le charlatan du Peyrou, en a encore plus que vous!
Ce fut un mot malheureux pour le professeur de littérature étrangère, que les étudiants n'appelèrent plus que Zozo.
Mary-Lafon.
ROBINSON
Encore enfant, Lacroix s'était ému à la lecture des aventures romanesques de Robinson Crusoë. Lui aussi, il voulait trouver cette île fortunée où il serait possible de mener, dans la compagnie de sa mère, une vie plus tranquille et moins éprouvée par la pauvreté. Cette idée qui a inspiré plus d'un beau rêve à de jeunes esprits, captiva son ardente imagination et excita son ardeur pour le travail. La construction du vaisseau qui devait le transporter vers ces rives enchantées exigeait des connaissances approfondies, il les chercha dans des traités spéciaux; les termes de géométrie l'arrêtaient fréquemment, il en demanda l'explication et le commentaire aux cours que Mauduit faisait alors au Collège de France. C'est sur les bancs de cette école que son rêve devait finir... À dix-sept ans, Lacroix professait les mathématiques à l'École des Gardes de la Marine à Rochefort.
J. Loridan.
PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS
EXAMINATEUR
On trouvait Monge inflexible chaque fois que l'intérêt public semblait exiger qu'il fît prévaloir les décisions de l'examinateur. «Vous avez refusé un candidat qui appartient à de bien puissantes familles, lui disait le maréchal de Castries, ministre de la marine. Votre décision me donne mille tracas; je suis accablé de réclamations.—Vous êtes parfaitement le maître, repartit l'austère examinateur, d'admettre le candidat qui m'a paru inacceptable; mais si vous prenez cette décision, Monsieur le maréchal, il faudra supprimer en même temps la place que j'occupe. Les fonctions que je remplis ne seraient plus ensuite ni utiles ni acceptables.» Le candidat inadmissible ne fut pas admis.
RÉCOMPENSÉ
Dans ma longue carrière de professeur et d'examinateur, dit Lamé, rien ne m'a plus étonné que la brusque et subite apparition de la faculté du raisonnement mathématique chez un élève que je suivais depuis plusieurs années, plein de bonne volonté, de zèle pour le travail, du désir de comprendre ce qu'il était forcé d'abandonner à la mémoire, seule active chez lui. Un jour, à un certain instant, au milieu d'une démonstration mainte fois répétée, une porte s'ouvrit tout à coup dans son esprit: il comprenait! La joie, l'émotion de l'élève ne sauraient se décrire... Dès le lendemain son élan était pris, et il regagnait à pas de géant les retards du passé, de manière à primer tous ses camarades.
PONCTUALITÉ
Poisson avait un genre de mérite dont se dispensent trop souvent ceux-là mêmes qui ne pourraient invoquer pour excuse le rang qu'ils occupent dans la science: l'exactitude. Jamais il ne manqua une leçon sans être retenu au lit par la maladie; jamais, tant que sa voix put se faire entendre, il ne confia à un suppléant la satisfaction d'initier à la science la jeunesse studieuse. On pourrait vraiment, en y changeant un seul mot, appliquer à ce savant les paroles qui terminent l'éloge d'Euler par Condorcet: «Tel jour, Poisson cessa de professer et de vivre.»
TOUCHANTE RÉCIPROQUE
Jamblique raconte que Pythagore, ayant distingué un ouvrier, lui enseigna les mathématiques, en le payant trois oboles par théorème: c'était le prix de la journée de l'ouvrier. Bientôt, pour éprouver son élève, le philosophe feignit d'être tombé dans la misère et le jeune homme lui offrit à son tour trois oboles pour chaque nouveau théorème.
RAIDEUR
Nous empruntons à Arago, le récit de ses examens d'entrée et de sortie à l'École Polytechnique.
Mon camarade, intimidé, échoua complètement. Lorsqu'après lui, je me rendis au tableau, il s'établit entre M. Monge (le jeune), l'examinateur et moi, la conversation la plus étrange: «Si vous devez répondre comme votre camarade, il est inutile que je vous interroge.
—Monsieur, mon camarade en sait beaucoup plus qu'il ne l'a montré; j'espère être plus heureux que lui, mais ce que vous venez de me dire pourrait bien m'intimider et me priver de tous mes moyens.
—La timidité est toujours l'excuse des ignorants; c'est pour vous éviter la honte d'un échec que je vous ai fait la proposition de ne pas vous examiner.
—Je ne connais pas de honte plus grande que celle que vous m'infligez en ce moment. Veuillez m'interroger, c'est votre devoir.
—Vous le prenez de bien haut, monsieur! Nous allons voir tout à l'heure si cette fierté est légitime.
—Allez, monsieur, je vous attends!»
M. Monge m'adressa alors une question de géométrie à laquelle je répondis de manière à affaiblir ses présomptions. De là, il passa à une question d'algèbre, à la résolution d'une équation numérique. Je savais l'ouvrage de Lagrange sur le bout du doigt....
J'étais depuis deux heures et quart au tableau; M. Monge passant d'un extrême à l'autre, se leva, vint m'embrasser et déclara solennellement que j'occuperais le premier rang sur sa liste.
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L'examinateur était cette fois l'illustre géomètre Legendre.
... On venait d'emporter un élève complètement évanoui.
«Comment vous appelez-vous? me dit-il brusquement.—Arago, répondis-je.—Vous n'êtes donc pas Français...»
M'ayant fait une question qui exigeait l'emploi des intégrales doubles, il m'arrêta en me disant: «La méthode que vous suivez ne vous a pas été donnée par le professeur. Où l'avez-vous prise?—Dans un de vos mémoires.—Pourquoi l'avez-vous choisie? Était-ce pour me séduire?—Non, rien n'a été plus éloigné de ma pensée. Je l'ai adoptée parce qu'elle m'a paru préférable.—Si vous ne parvenez pas à m'expliquer les raisons de votre préférence, je vous déclare que vous serez mal noté, du moins pour le caractère.»
Un professeur anglais avait habitué ses élèves à se lever à chaque grand nom de mathématicien qu'il prononçait et à pousser un hurrah lorsqu'il était question d'Archimède ou de Newton.
PETITS MANDARINS
En Chine, tous les trois ans, le 8e jour de la 8e lune, les candidats sont enfermés dans des espèces de niches qui les isolent complètement. À la porte, se tient un soldat armé d'une lance.
Si deux jeunes gens parvenaient à se communiquer leurs copies, ils seraient, assure un voyageur, condamnés à mort et exécutés sur le champ (?)
Chaque candidat jugé par trop faible est puni, dit-on, de cinquante coups de bambou sur la plante des pieds.
PRÉSIDENT
M. Thiers, le président de la République, était comme Chevreul un vieil étudiant. La géométrie lui était enseignée sur le tard par l'un de nos savants, M. Mannheim, qui lui parla un jour des diverses sections du cône, mais M. Thiers répliqua: «Allons donc, chacun sait que la section d'un cône de révolution par un plan est toujours un cercle!» «Vous croyez, M. le Président, hé bien, nous allons faire l'expérience sur une carotte.»
CORRESPONDANCE
Un maître d'école des environs de Mayence rencontra quelques difficultés dans l'arithmétique qu'il enseignait aux enfants du village. Il en écrivit à un homme considérable attaché à l'Électeur et qui avait la réputation d'être très versé dans les sciences de calcul. À quelques semaines de là, l'homme considérable s'excuse auprès du maître d'école sur ses nombreuses occupations, de n'avoir pas répondu plus tôt, et entre ensuite dans tous les détails nécessaires pour faire disparaître les difficultés arithmétiques.
Cet homme considérable se nommait Leibniz.
À LA HALLE
Un polytechnicien, marchandant un bouquet et insulté par la poissarde, répliqua gravement, comme s'il récitait un théorème: «Eh! vas donc, vieux parallélogramme pyramide tronquée, octaèdre régulier, espèce de secteur, équation binome, tangente, etc.» Stupéfaction de la femme.
UN EXAMEN PÉRILLEUX
Bezout, examinateur de la marine, arrive à Toulon. Un des élèves était retenu au lit par la petite vérole; s'il n'est pas examiné sur le champ, sa carrière est perdue. Bezout n'a pas eu la petite vérole, il redoute extrêmement les atteintes de cette terrible maladie; néanmoins il se rend dans la chambre de l'élève, l'examine et le reçoit.
SENIOR WRANGLER
À l'Université de Cambridge, les étudiants d'élite terminent leurs études par une série d'examens sur les hautes mathématiques et le lauréat, ou senior wrangler, est encore plus fêté que notre Prix d'honneur au concours général. En 1890, les examinateurs ont déclaré que, s'ils avaient eu le droit de comprendre dans le classement final les jeunes filles autorisées seulement à prendre une part platonique au concours, c'est miss Philippa Fawcett qui aurait remporté la victoire.
LES TROIS HUIT
Certains pédagogues américains ont résumé ainsi l'emploi du temps qu'ils proposent pour la jeunesse et qui consiste à répartir la journée également entre le travail, le repos ordinaire et le sommeil.
On sait que, de leur côté, des socialistes réclament aussi la réduction à huit heures de la journée du travailleur, même lorsqu'il est agriculteur ou pêcheur.
DANS L'INDE
Il n'est pas rare... de voir des opérations de mathématiques, multiplications de facteurs à plusieurs chiffres, transformations algébriques ou trigonométriques faites de tête en un clin d'œil par de très jeunes enfants.
Le P. Goubé.
Les petits Indiens marchent ainsi sur les traces de leurs ancêtres.
Consulter Les Mathématiques aux Indes, par Delbos.
RESPONSABILITÉ
Chargé de corriger les compositions écrites du concours d'admission à l'École polytechnique, Le Verrier écrit à son père: «Le concours écrit dont je suis seul chargé est une sorte de magistrature que j'exerce et dont je comprends toute la portée; je ne dormirais plus, si je pensais que, par distraction, j'ai pu commettre une de ces injustices si cruelles pour un jeune homme et qui tuent son avenir. J'ai trop ressenti, il y a peu d'années, les douleurs d'un candidat pour ne pas considérer leurs droits comme sacrés.»
FORT EN THÈME
Nous lisons dans un petit livre anonyme sur l'enseignement: Le fort en thème et le fort en x vivent en assez bonne intelligence, en se faisant des concessions réciproques. Le premier ne croit point à la supériorité réelle de son émule. Le second est d'une indulgence écrasante pour les toquades de l'autre.
GRAND'SOIF
Aux examens de l'École polytechnique, en 1833, l'Examinateur M. Reynaud, ayant appelé un candidat absent, demande un élève de bonne volonté, pour le remplacer. Le jeune Catalan, poussé par ses camarades, se risque, quoiqu'il n'ait jamais assisté à un examen. Pauvrement et grotesquement vêtu, il a l'air d'un jeune sauvage. Il hésite au début, puis il se relève et même il brille. Après avoir longuement parlé, il aperçoit un verre, une carafe d'eau, du sucre, et... il se prépare un verre d'eau sucrée. M. Reynaud accourt, et s'écrie: «Êtes-vous indisposé?» «Non, Monsieur, mais voilà longtemps que je parle: j'ai grand'soif!» L'apparente effronterie n'était que de la naïveté. La légende dura plusieurs années: «Catalan qui boit le verre d'eau de l'examinateur!»
ENFANTS ET IGNORANTS
ENFANT TERRIBLE
Toto était interrogé avec bonhomie par son père sur la soustraction: «Si tu as huit pommes et que tu m'en donnes trois, combien t'en reste-t-il?»—Le tout petit réplique aussitôt: «Si j'ai cinq-z-yeux et que tu m'en crèves six, combien qu'i'm'en reste?»
TROP COURT
On dit à un enfant de faire une mesure avec le mètre, il essaye mais en vain: le mètre n'était pas assez long!
REP... D'MATH...
Loulou.—Répétiteur d'math...
Papa.—Hein?
Loulou, condescendante.—... ématique... mathématiques... nous disons math... c'est plus court...
Papa.—En effet...
Loulou.—C'est du reste pour toi qu'j'avais dit répétiteur d'math... car on doit dire: «l'rep... d'math...» c'est le vrai genre...
Papa.—Ah!... c'est le genre!... et pourquoi as-tu un répétiteur de math... puisque math... il y a?
Loulou.—Parc'que c'est ce qui me chante l'moins!... j'suis obligée d'les bûcher très dur, ces sales math!...
Gyp.
PAROLE D'HONNEUR
Lorsqu'au temps jadis, le duc d'Angoulême fut nommé grand-maître de la Marine, on s'aperçut avec stupeur qu'il savait à peine compter. Immédiatement le plus célèbre géomètre de France fut mandé pour l'instruire en la mathématique, comme on disait alors. Mais c'est en vain qu'il tenta d'en démontrer les principes les plus élémentaires à son auguste disciple. Celui-ci l'écoutait avec une exquise politesse, mais en hochant la tête avec un doux air d'incrédulité.—Un jour, à bout d'arguments, le pauvre maître s'écria: «Monseigneur, je vous en donne ma parole!» «Que ne le disiez-vous plus tôt! Monsieur, répondit le duc en s'inclinant: je ne me permettrai plus jamais d'en douter.»
FACÉTIES GÉOMÉTRIQUES
Deux paysans ont échangé leurs champs, l'un carré de 6m de côté, l'autre rectangulaire de 9m de long sur 3 de large, chacun des champs ayant ainsi 24m de tour. Le second paysan se prétend lésé.
Mon arrière-grand-père, ayant emprunté un sac de blé de 6 pieds de haut sur 4 pieds de large, en a ensuite rendu quatre de 6 pieds aussi de haut et d'un pied de large chacun. Le prêteur n'a pas accepté.
Un jardinier a droit à l'eau que lui apporte un conduit circulaire. Il paye pour avoir le double d'eau et il double à cet effet le diamètre du conduit. On lui fait un procès.
ENTÊTEMENT
Bernardin de Saint-Pierre ne comprenait pas la question du rayon de courbure de l'ellipsoïde terrestre et il fatiguait l'Institut de ses notes. «Apprenez le calcul différentiel, lui dit un jour Napoléon, et vous lèverez vous-même vos ridicules objections.»
Voir la préface de La chaumière indienne où l'on trouve l'explication des marées par la fonte des neiges polaires.
PEU INTELLIGENT
Arago, qui fut un admirable vulgarisateur dans ses cours de l'Observatoire, regardait toujours celui de ses auditeurs qui lui paraissait être le moins intelligent, et lorsque cet auditeur lui semblait avoir compris, il était assuré de la clarté de sa démonstration.
Or, un jour, dans un salon où il venait de raconter ce fait, un jeune homme entra, qu'il ne connaissait pas et dont il eut à subir les saluts les plus empressés.
—À qui ai-je l'honneur de parler? lui demanda-t-il.
—Oh! monsieur Arago, vous devez bien me connaître, car j'assiste assidûment à vos leçons, et vous ne cessez de me regarder pendant tout le temps.
CHEZ LES TURCS
On rapporte qu'un ambassadeur, visitant une école supérieure de Constantinople, proposa de démontrer que la somme des angles d'un triangle est égale à deux angles droits. Après mûres réflexions, le collège des Muhendis ou des géomètres conclut à l'exactitude de la proposition pour le triangle équilatéral.
Olry Terquem, auquel nous empruntons l'anecdote, s'est trompé. Le baron de Tott dit, dans ses mémoires, qu'il lui fut répondu: «C'est selon le triangle.»
POLICE VOLÉE
D'après un journal de la Triplice (ne pas confondre avec la triple x), la police russe a fait emprisonner un voyageur porteur d'une Table de logarithmes qu'elle considère comme une longue correspondance chiffrée des plus compromettantes.
Nous faisions à l'École, un usage plus gai de nos tables de logarithmes: nous les chantions... d'après la méthode Chevé.
DÉCIMÈTRE CARRÉ
Sous le gouvernement de Juillet, il a été promulgué une loi sur le Timbre et l'Enregistrement dans le texte de laquelle le décimètre carré était confondu avec le dixième du mètre carré. Les instituteurs ont bien ri.
Plus récemment, la Chambre a imposé les verres à vitre dont la surface est supérieure à 50 centimètres de côté.
JEUNE ANGLAIS
Dickens raconte qu'un étudiant, ayant négligé l'arithmétique, procédait toujours par addition. Il entra un jour dans une boutique d'épicerie et l'utilité de la multiplication lui fut enfin révélée.
COMPLAISANCES ASTRONOMIQUES
Un monsieur porteur d'une carte d'entrée à l'Observatoire pour observer une éclipse arriva trop tard: «Je connais particulièrement Arago, affirma-t-il, il aura la bonté de recommencer pour moi.»
Des signaux de triangulation ayant été établis près du château de M. X..., député, on s'exclamait sur sa grande influence qui lui avait permis de faire passer le méridien dans son domaine.
Un orateur de club, voulant échapper au bon plaisir des administrateurs municipaux d'Auxerre, demandait que les noms des quartiers du Nord, de l'Est, du Sud et de l'Ouest fussent tirés au sort.
COMÈTES
Un jour viendra où le cours des comètes sera connu et assujetti à des règles comme celui des planètes.
Sénèque.
Je viens vous annoncer une grande nouvelle:
Nous l'avons, en dormant, Madame, échappé belle.
Un monde près de nous a passé tout du long,
Est chu tout au travers de notre tourbillon;
Et s'il eût en chemin rencontré notre terre,
Elle eût été brisée en morceaux comme verre.
Molière.
Nous avons ici une comète qui est bien étendue, c'est la plus belle queue qu'il soit possible de voir. Tous les plus grands personnages sont alarmés et croient que le ciel, bien occupé de leur perte, en donne des avertissements par cette comète. On dit que le cardinal Mazarin, étant désespéré des médecins, les courtisans crurent qu'il fallait honorer son agonie d'un prodige, et lui dirent qu'il paraissait une grande comète qui leur faisait peur. Il eut la force de se moquer d'eux, et leur dit plaisamment que cette comète lui faisait trop d'honneur. En vérité on devrait en dire autant que lui, et l'orgueil humain se fait aussi trop d'honneur de croire qu'il y ait de grandes affaires dans les astres quand on doit mourir.
Mme de Sévigné.
Comètes que l'on craint à l'égal du tonnerre,
Cessez d'épouvanter les peuples de la Terre:
Dans une ellipse immense achevez votre cours;
Remontez, descendez près de l'astre du jour;
Lancez vos feux, volez et revenant sans cesse,
Des mondes épuisés ranimez la vieillesse.
Voltaire.
D'avance, à l'avenir, nous écrivons leur route:
Nous disons à celui qui n'est pas encor né,
Quel jour, au point du ciel, tel astre ramené
Viendra de sa lueur éclairer l'étendue,
Et rendre au firmament son étoile perdue.
Lamartine.
OPINIONS AMÈRES
L'enseignement mathématique fait l'homme machine et dégrade la pensée. L'âme d'un peuple n'est pas ce chiffre muet et mort à l'aide duquel il compte des quantités et mesure des étendues: la toise et le compas en font autant.
Lamartine.
Défiez-vous des ensorcellements et des attraits diaboliques de la géométrie.
Fénelon.
Un mathématicien de plus, un homme de moins.
Dupanloup.
Le naturaliste Owen demandait en souriant une sous-classe, celle de l'homo mathematicus.
ASTROLOGIE
L'astrologie est la fille de l'astronomie, mais c'est la fille très folle d'une mère très sage.
Voltaire.
De quoi vous plaignez-vous, philosophes délicats, si une fille que vous estimez folle soutient et nourrit sa mère qui est sage mais pauvre? Les hommes ne sont-ils pas encore plus fous de ne pouvoir supporter la mère qu'à cause des folies de sa fille? Pensez-vous qu'ils eussent jamais étudié la science pour elle-même, s'ils n'eussent espéré d'arriver ainsi à lire l'avenir dans le ciel? Si vous prétendez que la science vous mène à la philosophie, vous attendrez longtemps.
Kepler.
Le grand Kepler, pour se procurer quelque argent et continuer ses travaux, dut se résigner à publier des almanachs avec des prophéties.
ARCHITECTE MAL PAYÉ
Le premier des czars, Ivan IV, demanda à un géomètre combien il faudrait de briques pour construire un bâtiment régulier dont il lui indiqua les dimensions. La réponse fut rapide et l'expérience la justifia, aussi Ivan, dit le terrible, fit-il brûler le calculateur..... comme sorcier.
ÉGAL À ZÉRO
Un gentilhomme, membre amateur de l'Ancienne Académie des Sciences, ayant entendu disserter sur les équations, n'abordait plus ses confrères de mathématiques qu'en leur demandant: «Est-ce que c'est toujours égal à zéro?»
ÉCLIPSE DU COLONEL
On annonçait une éclipse de soleil. La veille au soir, le colonel d'un régiment fait venir tous les sergents et leur dit: «Une éclipse de soleil aura lieu demain matin. Le régiment se réunira sur la place d'armes en petite tenue. Je viendrai moi-même expliquer l'éclipse avant l'exercice. Si le temps est couvert, on se réunira au manège comme d'habitude.»
Aussitôt les sergents de rédiger leur ordre du jour:
«Une éclipse de soleil aura lieu demain matin, par ordre du colonel. Le régiment se réunira sur la place d'armes, où le colonel viendra diriger l'éclipse en personne. Si le temps est couvert, l'éclipse aura lieu dans le manège.»
À DIX MOIS
Bien avant de savoir compter, l'enfant se fait une certaine idée des nombres. M. Preyer parle d'un petit de dix mois auquel il était impossible d'emporter une de ses neuf quilles sans qu'il s'en aperçût. À dix-huit mois, cet enfant avait été habitué à apporter à sa mère deux mouchoirs qu'il remportait ensuite à leur place; il ne lui en fut rendu un jour qu'un seul, il vint chercher le second avec un regard et des intonations qui indiquaient son désir de l'obtenir.
Voir sur les idées enfantines de grandeur et de nombre les expériences de M. Binet, dans la Revue philosophique de juillet 1890.
VALEUR RELATIVE
Un marin, arrivant d'Australie, avec une caisse de coquillages précieux, en prend un et se rend chez un marchand de curiosités.
«—Voulez-vous m'acheter ce coquillage?
—Certainement, c'est superbe, j'en donne vingt-cinq francs.
—Vingt-cinq francs, s'écrie le marin avec joie, mais me voilà riche, j'en ai apporté six mille.
—Doucement, dit le marchand, si vous en avez six mille... ça vaut deux sous pièce.»
CANCRE
Il passait pour tel, ce pauvre garçon, jusqu'à l'incident qu'il nous raconte ainsi:
«Mon attention était si tendue, que par moment je retenais mon haleine, comme un plongeur. Pas à pas, je suivis la démonstration, et je fus littéralement abasourdi, lorsque le professeur arriva à la conclusion, en m'apercevant que j'avais tout compris jusqu'au dernier mot.
Après la joie de découvrir la vérité par lui-même, la plus grande joie pour un homme, dans l'ordre des joies de l'esprit, est celle de concevoir la vérité démontrée. Il est probable que mon contentement se marqua sur ma figure car, lorsque le professeur se retourna de notre côté, il me sembla que c'était moi qu'il regardait plus particulièrement.
Quand il demanda, comme d'habitude: «Quelqu'un désire-t-il venir au tableau pour reprendre cette démonstration?» quelques mains se levèrent, la mienne fut du nombre. Pourquoi? Comment? Je ne saurais vraiment le dire, car lorsque je m'en aperçus, il me sembla qu'elle s'était levée spontanément, de sa propre autorité, sans me demander mon assentiment. Ce fut moi que le professeur désigna d'un signe de tête plein de bienveillance.»
Jules Girardin.
FIN DU MONDE
Lalande avait préparé en 1773 pour l'Académie des sciences un mémoire qu'une circonstance quelconque l'empêcha de lire. Le bruit se répandit dans le public que l'astronome y prédisait à courte échéance la destruction de notre planète. L'émotion fut telle que le lieutenant de police demanda à lire le mémoire; il n'y trouva rien d'alarmant et, pour calmer les esprits, il en ordonna la publication immédiate. Toutefois beaucoup de personnes restèrent persuadées qu'on avait supprimé le passage menaçant. On lit dans une chanson de l'époque:
Oui, de vous landerirette
Monsieur Lalande rira.
TREIZE À TABLE
Voyez-vous treize humains en troupe,
Attablés et mangeant la soupe,
Sachez que l'un d'iceux sera
Trépassé quand l'an finira.
Le Club des treize a été fondé à Londres pour combattre les superstitions: les tables comportent toujours treize couverts et le menu est toujours composé de treize plats.
LENTEMENT
L'enfant ne fait d'abord de distinction qu'entre l'objet simple et la pluralité. À l'âge de 18 mois seulement il distingue entre un, deux et plusieurs. En Europe, il faut arriver à l'âge de 10 ans pour apprécier l'idée de centaine. L'enfant peut sans doute répéter par cœur la série avant ce moment, mais sans déterminer intellectuellement le nombre dans son abstraction.
Houzeau.
LONGÉVITÉ
Nous lisons dans une pièce de vers à Louis XVIII:
Grand Dieu, c'est pour Louis que mon zèle t'implore
Prolonge ses jours précieux!
Laisse-nous en jouir quelques siècles encore!
VITE
C'est à deux lieues, mon petit ami.—Mais en marchant vite, bien vite?
NAÏF
On a surpris un pauvre enfant s'acharnant à réduire une fraction, une seule fraction,.. au même dénominateur!
Le même, interrogé sur les triangles semblables, traça un seul triangle au tableau: soit le triangle semblable ABC....
CONSCIENCIEUSE
Madame ***, qui a du temps à perdre, mesure chaque fois le diamètre et la circonférence. N'essayez pas de lui expliquer... Elle fait comme ses aïeules.
Une autre dame, moins consciencieuse, faisait ainsi le compte de son âge: «Je me suis mariée à 18 ans; mon mari en avait trente et il en a maintenant le double... donc j'ai 36 ans.» Vous devez vous tromper, Madame, vous paraissez plus jeune que vous ne dites.
PHILOSOPHIE
SALADE
Hier, raconte Kepler, fatigué d'écrire et l'esprit troublé par des méditations sur les atomes, je fus appelé pour dîner, et ma femme Barbara apporta sur la table une salade.—Penses-tu, lui dis-je, que si, depuis la création, des plats d'étain, des feuilles de laitues, des grains de sel, des gouttes d'huile et de vinaigre et des fragments d'œufs durs, flottaient dans l'espace, le hasard pût les rapprocher aujourd'hui pour former une salade?—Pas si bonne, à coup sûr, me répondit ma belle épouse, ni si bien faite que celle-ci.
COMPAS
Nul ne peut d'hérésie accuser le compas,
Ni décréter qu'un corps tournant ne tourne pas.
Ponsard: Galilée.
La terre, nuit et jour à sa marche fidèle,
Emporte Galilée et son juge avec elle!
Racine fils.
Plus d'une erreur passe et repasse
Entre les branches d'un compas.
Béranger.
UN FAUX PAS
Je venais de lire, dans la Revue scientifique, un article de mécanique sur l'art de descendre d'omnibus. J'essayai cette fois de descendre par principes et..... je me foulai un pied.
DÉTERMINISME
Le monde matériel est soumis à des lois rigoureuses. Celui qui connaîtrait les positions exactes de tous les corps, leur masse et les forces qui les sollicitent, pourrait prédire minutieusement les plus petits mouvements des plus petits d'entre eux.
«Tous les événements, dit Laplace, ceux mêmes qui, par leur petitesse, semblent ne pas tenir aux grandes lois de la nature, en sont une suite aussi nécessaire que les révolutions du soleil.... La courbe décrite par une simple molécule d'air ou de vapeur est réglée d'une manière aussi certaine que les orbites planétaires: il n'y a de différence entre elles que celle qu'y met notre ignorance.»
Le même savant dit encore ailleurs: «Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et les situations respectives des êtres qui la composent, si, d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome: rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir comme le passé seraient présents à ses yeux.»
MORT DE LA SCIENCE
Et toi, divine mort, où tout rentre et s'efface,
................
Délivre-nous du temps, du nombre et de l'espace.
................
Leconte de Lisle.
ALGÈBRE MORALE
Je divise en deux colonnes, par un trait, une feuille de papier; j'écris en tête de l'une de ces colonnes le mot pour, en tête de l'autre le mot contre..... Lorsque j'ai réuni sur ce petit mémorial une masse suffisante de raisons contradictoires, je me mets en devoir de peser leurs valeurs respectives; si je trouve que deux raisons (une de chaque côté) soient de même poids, je les élimine toutes les deux; qu'une raison pour égale deux raisons contre, je supprime le tout; que deux raisons contre égalent trois raisons pour, j'efface les cinq, et ainsi de suite, jusqu'à ce que je trouve enfin de quel côté penche la balance.
B. Franklin.
L'arithmétique est d'un besoin journalier et continuel dans le moral autant que dans les affaires; car, en cette vie, où tout est mêlé de probabilités et de doutes, de projets et d'obstacles, de demi-plaisir et de peine, tout est affaire de calcul.
Diderot.
La morale est l'arithmétique du bonheur.
Vinet.
Il y a une morale plus haute.
RELATIVITÉ
Lorsque nous disons d'un arbre qu'il est grand ou petit, nous le comparons implicitement à la moyenne stature des arbres au-dessus ou au-dessous de laquelle nous entendons exprimer qu'il se trouve, et nous ne pouvons nous exprimer ainsi que parce que la hauteur des arbres a deux limites qui même ne se trouvent pas très distantes l'une de l'autre; mais il ne saurait plus en être de même d'objets dont la grandeur ou la petitesse n'ont plus de limites nécessaires et celui qui, par exemple, demanderait une ligne droite de grandeur ordinaire, ferait une question dont l'ineptie serait manifeste pour tout le monde.
Nous ne connaissons donc des grandeurs que les rapports qui existent entre elles, et c'est aussi tout ce qu'il nous est possible d'en faire connaître à autrui. En vain tenterait-on de torturer la langue, d'y introduire des mots ou des tours nouveaux, jamais on ne parviendrait à lui faire exprimer une grandeur indépendamment de quelque autre grandeur de sa nature.
Terquem.
TROP POSITIF
Il faut bien distinguer entre la géométrie utile et la géométrie curieuse... Carrez des courbes tant qu'il vous plaira: vous montrez une extrême sagacité. Vous ressemblez à un arithméticien qui examine les propriétés des nombres au lieu de compter sa fortune...
Un bon ingénieur vaut mieux que tous ces calculateurs de fadaises si difficiles.
Voltaire.
Je demandais un jour à un grand géomètre, à quoi servent les mathématiques au-delà des Éléments d'Euclide et de l'arithmétique décimale.—Monsieur, me répondit-il, cela sert à faire des livres qui ne sont lus que par une demi-douzaine de personnes, à faire arriver leur auteur à l'Académie des Sciences...—J'entends bien à quoi cela peut vous servir; mais à moi, à tout autre, à quoi cela sert-il?
J.-B. Say.
Cet utilitarisme étroit a été déjà réfuté plusieurs fois.
LES JEUX
Après les jeux qui dépendent uniquement des nombres, viennent les jeux où entre la situation, comme dans le tric-trac, dans les dames, et surtout dans les échecs... Mais à quoi bon cela? dira-t-on. Je réponds: À perfectionner l'art d'inventer; car il faudrait avoir des méthodes pour venir à bout de tout ce qui se peut trouver par raison. Après les jeux où n'entrent que le nombre et la situation, viendraient les jeux où entre le mouvement comme dans le jeu de billard, le jeu de paume, etc. Enfin, il serait à souhaiter qu'on eût un cours entier des jeux, traités mathématiquement...
Leibniz.