Mathématiques et Mathématiciens: Pensées et Curiosités
Je forme un triangle, ô merveille!
Le peuple des lois endormi
S'agite avec lenteur, s'éveille
Et se déroule à l'infini.
Avec trois lignes sur le sable,
Je connais, je ne doute plus!
Un triangle est donc préférable
Aux mots sonores que j'ai lus?
Sully-Prudhomme.
Du même poète:
Et la terre suffit à soutenir la base
D'un triangle où l'algèbre a dépassé l'extase;
L'astronomie atteint où ne meut plus l'azur.
...............
C'est par une triangulation grandiose que nous calculons la distance des astres, qui se meuvent dans l'éther.
Du même encore:
Ils répondent: «La cause et la fin sont dans l'ombre,
Rien n'est sûr que le poids, la figure et le nombre;
Nous voulons conquérir un chiffre seulement.»
Il s'agit des positivistes qui se bornent aux faits et aux lois, sans remonter aux causes premières.
ÉGALITÉ CIRCULAIRE
Le cercle, qui est le symbole de l'éternité, est aussi quelquefois le symbole de l'égalité.
Les anciens, pour ne donner de préférence à personne, ni aux dieux, ni à leurs amis, écrivaient leurs noms sur un cercle, de sorte que, ne leur donnant point de rang, on ne pouvait pas dire qui était le premier, ni le second, ni le dernier dans leur estime. Tout était égal, et l'honneur également partagé.
L'institution des chevaliers de la Table ronde était fondée sur un principe d'égalité et la table était un symbole.
Dans les congrès, la table des ambassadeurs est ordinairement ronde, afin d'éviter, autant que possible, les distinctions trop marquées de préséance.
UNE ROYAUTÉ
Les géomètres ont plus que d'autres besoin d'être jugés par leurs pairs: la géométrie en effet est un arcane. Elle tient ses assises à part, décerne ses prix sans phrases, et contemplant avec une juste fierté l'unité soumise en ses plus intimes profondeurs aux lois dont elle a saisi l'enchaînement, se réfugie, calme et impassible, dans sa royauté silencieuse. C'est bien une royauté, en effet, et une royauté absolue qu'exerce cette science maîtresse qui ne connaît pas le doute comme ses sœurs et n'a jamais, depuis le temps d'Euclide, bâti sur le sable.
Jurien de la Gravière.
GÉOMÉTRIE ET MORALE
«Il y a, dit Leibniz, de la géométrie partout et de la morale partout.» C'est-à-dire qu'il y a du géométrique jusque dans le moral et du moral jusque dans le géométrique. En effet, les choses morales, les choses de l'âme et de la volonté, en tant qu'il s'y rencontre des rapports d'identité et de différence, d'égalité et d'inégalité, sont sujettes à la nécessité géométrique; et, d'autre part, si la géométrie est exclusive, dans son développement, de toute nécessité purement morale, néanmoins, à en juger par les travaux où on l'a récemment le plus approfondie, elle semble avoir pour premier fondement des principes d'harmonie qu'on doit peut-être concevoir, ainsi que l'avait sans doute compris Descartes, qui faisait tout dépendre du libre décret de Dieu, comme l'expression sensible de l'absolue et infinie volonté. «On prétend, disait Aristote, que les mathématiques n'ont absolument rien de commun avec l'idée du bien. L'ordre, les proportions, la symétrie, ne sont-ce pas de très grandes formes de beauté?»
F. Ravaisson.
NOTRE PETITE TERRE
Séduit par les illusions des sens et de l'amour-propre, l'homme s'est regardé longtemps comme le centre du mouvement des astres; et son vain orgueil a été puni par les craintes qu'ils lui ont inspirées. Enfin plusieurs siècles de travaux ont fait tomber le voile qui lui cachait le système du monde. Alors il s'est vu sur une planète presque imperceptible dans le système solaire, dont la vaste étendue n'est elle-même qu'un point insensible dans l'immensité de l'espace. Les résultats sublimes auxquels cette découverte l'a conduit sont bien propres à le consoler du rang qu'elle assigne à la terre, en lui montrant sa propre grandeur dans l'extrême petitesse de la base qui lui a servi pour mesurer les cieux.
Laplace.
CHEVEUX
Je dis un jour à Madame de Longueville que je pouvais parier et démontrer qu'il y avait dans Paris au moins deux habitants qui avaient le même nombre de cheveux, quoique je ne puisse pas marquer quels sont ces deux hommes. Elle me dit que je ne pouvais jamais en être assuré qu'après avoir compté les cheveux de ces deux hommes. Voici ma démonstration, lui dis-je: je pose en fait que la tête la mieux garnie de cheveux n'en a pas plus de deux cent mille, et que la moins garnie est celle qui n'a qu'un cheveu. Si maintenant vous supposez que deux cent mille têtes ont toutes un nombre de cheveux différent, il faut qu'elles aient chacune un des nombres de cheveux qui vont depuis un jusqu'à deux cent mille, car si on supposait qu'il y en avait deux parmi les deux cent mille qui eussent le même nombre de cheveux, j'aurais gagné le pari. Or en supposant que ces deux cent mille habitants ont tous un nombre différent de cheveux, si j'y apporte un seul habitant de plus qui ait des cheveux et qui n'en ait pas plus de deux cent mille, il faut nécessairement que le nombre des cheveux, quel qu'il soit, se trouve de un jusqu'à deux cent mille, et, par conséquent, soit égal au nombre de cheveux de l'une des deux cent mille têtes, or au lieu d'un habitant en sus des deux cent mille, il y en a tout près de huit cent mille, vous voyez bien qu'il faut qu'il y ait beaucoup de têtes égales en nombre de cheveux, quoique je ne les aie pas comptées.
Nicole.
Il paraît que la célèbre duchesse n'a jamais pu comprendre le raisonnement, un peu copieux, du philosophe.
Schopenhauer a dit: «La femme a les cheveux longs et les idées courtes.»
MYSTÈRE
Parcourez le cercle des sciences, et vous verrez qu'elles commencent toutes par un mystère: le mathématicien tâtonne sur les bases du calcul des quantités imaginaires, quoique ses opérations soient très justes; il comprend encore moins le principe du calcul infinitésimal, l'un des instruments les plus puissants que Dieu ait confiés à l'homme...
Joseph de Maistre.
Ces prétendus mystères sont devenus de moins en moins mystérieux.
PLUS TARD
Lorsque les lois générales de la nature ont été une fois bien saisies par l'esprit, lorsqu'il s'est familiarisé avec le plus grand nombre des réalités matérielles de l'univers, l'étude des hautes mathématiques devient pour lui extraordinairement attrayante: c'est alors qu'il aperçoit les utiles applications des nombreuses vérités de cette science. Au contraire, les jeunes gens qui se livrent d'abord à l'étude des mathématiques pures et abstraites trouvent le plus souvent cette étude d'une aridité excessive; elle devient pour eux aussi fatigante que le serait pour d'autres la lecture du vocabulaire d'une langue qu'ils seraient certains de ne jamais parler.....
de Grandsagne.
MOURANT
On dit que Barrow, voyant approcher la mort, en témoigna de la joie en disant qu'il allait enfin apprendre, dans le sein de la divinité, la solution de beaucoup de problèmes de géométrie et d'astronomie..... Il aimait tellement la géométrie qu'il avait écrit ces mots à la tête de son Apollonius..... «Ô Seigneur, quel géomètre tu es! Car, quoique la géométrie n'ait point de bornes, tu vois, par une simple intuition, les vérités admirables qu'elle renferme.»
Montucla.
APPLICABLE À TOUT
Si l'on croit que la méthode des géomètres n'est pas applicable à tout, on se trompe; si l'on prétend qu'il ne faut pas l'appliquer à tout, on a raison. Chaque sujet a sa manière d'être traité; la méthode géométrique serait trop sèche pour les matières d'agrément et nos langues trop imparfaites pour s'y prêter, les acceptions des mots trop vagues, trop indéterminées pour comporter cette rigueur. Mais si l'on doit se dispenser souvent de l'employer, il ne faut jamais la perdre de vue; c'est la boussole d'un bon esprit, c'est le frein de l'imagination.
Diderot.
FICTIF ET BORNÉ
Lorsqu'on préconise les mathématiques, comme le modèle par excellence d'une méthode pour apprendre à raisonner, sait-on bien à quelles conditions la logique de la géométrie est si rigoureuse, pourquoi ses démonstrations sont si évidentes? Ces sciences qui se sont décorées du nom d'exactes, ne doivent cette exactitude qu'à l'absence de réalité des objets sur lesquels elles opèrent. Ces objets ne sont que des pures abstractions, des points de vue de l'esprit, des entités idéales mais qui n'ont pas d'existence dans la nature. Toutes les propriétés sont rigoureusement déterminées à l'avance par la convention qui les nomme et qui les définit. Certainement la géométrie est exacte; mais elle n'est pas réelle. Avez-vous rencontré quelque part le triangle abstrait et la ligne droite des géomètres? Où résident les nombres séparés des êtres réels dont les propriétés sont si multiples et si complexes, que la moindre est, sans contredit, celle de pouvoir être dénombrés? Qu'est-ce qui fait enfin l'exactitude des mathématiques? C'est l'étroite simplicité des faits dont elles raisonnent; leurs formules ne sont si précises, et si rigoureuses que parce que leur point de vue est borné.
Vous avez sous les yeux dix personnes, dix animaux même ou dix plantes, et vous êtes théologien ou poète. Tandis que votre esprit est entraîné à travers les mille jugements divers que ce spectacle suggère au philosophe ou à l'artiste, moi, algébriste, je raisonne des propriétés du nombre dix. Dans une opération aussi simple, aussi pauvre, à côté du monde de pensées qui s'élève en vous, aurai-je grand sujet de me vanter si mes conclusions sont plus nettes, sont plus exactes que les vôtres?
de Laprade.
Les notions mathématiques ont, dans l'esprit, une réalité absolue. De ces idées simples, nous concluons rigoureusement toutes les propriétés du nombre et de la forme, jusqu'aux plus fines et aux plus complexes.
NATURALISTES
Le mathématicien se plaît à suivre un raisonnement rigoureux dans une direction unique. Le naturaliste, comme l'historien ou le jurisconsulte, est un homme disposé à comparer plusieurs faits, dont aucun n'est absolument prouvé, et plusieurs arguments, dont aucun n'est absolument rigoureux. Son travail consiste à estimer des probabilités, pour conclure dans le sens le plus vraisemblable.
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Les uns cherchent le raisonnement étroit, profond et rigoureux des mathématiques....; les autres préfèrent le raisonnement large et plutôt diffus, varié mais peu rigoureux des sciences d'observation. Il faut aux uns plus de force de raisonnement pour réussir, aux autres plus de jugement.
de Candolle.
Par le jugement, on pèse le pour et le contre; par le raisonnement on suit les idées corrélatives. Le mathématicien qui raisonne juste a quelquefois peu de jugement.
MÉTAPHORES
La géométrie sert entre autres choses à éprouver l'esprit, comme le creuset sert à éprouver l'or; les bons esprits s'y raffinent, les esprits faux s'y évaporent.
Les géomètres travaillent sur un terrain si solide qu'après y avoir posé la première pierre, ils élèvent sans crainte leurs bâtiments jusqu'aux cieux.
Sur un terrain bien différent, les Philosophes bâtissent des édifices superbes qu'on appelle systèmes: ils commencent par les fonder en l'air, et quand ils croient être parvenus au solide, le bâtiment s'évanouit, et l'architecte tombe des nues.
R. Dufresny.
HYPOTHÈSES
Dans les autres sciences, dit Dugald Stewart, les propositions à établir doivent exprimer des faits, tandis que celles que les mathématiques démontrent, énoncent seulement une connexion entre certaines suppositions et certaines conséquences... Elles ont pour but, non de constater des vérités concernant des existences réelles, mais de déterminer la filiation logique qui découle d'une hypothèse donnée. Si, partant de cette hypothèse, nous raisonnons avec exactitude, il est manifeste que rien ne pourrait manquer à l'évidence du résultat.
Kant fait remarquer qu'il n'y a que le concept de quantité qui se prête à une construction a priori.
DÉBAT PÉDAGOGIQUE
L'étude des mathématiques est-elle favorable au développement intellectuel du jeune homme? Peut-elle servir de pivot à l'éducation libérale? Trois philosophes anglais ont débattu entre eux la question. Whewell veut beaucoup de mathématiques, Hamilton les repousse (Fragments de philosophie traduits par Peisse) et Stuart Mill les exalte à son tour. Nous ne pouvons résumer cette célèbre discussion; nous nous bornons à trois extraits.
«Toute personne qui s'est occupée de mathématiques doit voir clairement la différence qui existe entre les mathématiques et les faits empiriques, entre l'évidence des propriétés d'un triangle et celle des lois générales de la structure des plantes. Le caractère spécial de la vérité mathématique est qu'elle est nécessairement et inévitablement vraie; et une des leçons les plus importantes qu'on puisse retirer des études mathématiques est de connaître qu'il y a des vérités de ce genre, et de nous familiariser avec leur forme et leur caractère.
Whewell.
L'étude des mathématiques, poursuivie avec modération et efficacement contrebalancée, peut être utile pour détruire un défaut, et développer la qualité correspondante. Ce défaut est l'habitude de la distraction; la qualité, l'habitude de l'attention soutenue. C'est là le seul avantage auquel puisse justement prétendre cette étude dans la culture de l'esprit.
Hamilton.
Si nous voulons bien dresser une intelligence, l'étude qui se recommande le plus à nous est celle qui a l'avantage d'habituer de bonne heure l'esprit à conserver en lui-même un type de preuve complète. Un esprit ainsi meublé, s'il n'est pas suffisamment instruit des autres sujets peut commettre l'erreur de croire qu'il trouvera dans toutes les preuves une ressemblance parfaite avec le type qui lui est familier. On peut et on doit élargir ce type par une grande variété d'études, mais celui qui ne l'a jamais acquis n'a pas le sentiment juste de la différence qui sépare le prouvé du non prouvé: le premier fondement des habitudes scientifiques n'a pas été jeté.
Stuart Mill.
..... Déjà Platon (République, livre VII) faisait observer que la science des nombres, en obligeant l'homme à raisonner sur les nombres en soi et sur des vérités qui ne sont ni visibles ni palpables, a la vertu d'élever l'âme. Les mathématiques donnent au jeune homme la claire notion de la démonstration et l'habituent à former de longues suites d'idées et de raisonnements, méthodiquement enchaînés et soutenus par la certitude finale du résultat. Aussi a-t-on pu dire, que celui qui n'a pas fait de géométrie n'a pas le sentiment rigoureux de la certitude. Au point de vue moral, rien n'est plus propre que cette notion pour donner le respect absolu de la vérité.
Les mathématiques, l'algèbre et l'analyse infinitésimale principalement suscitent à un haut degré la conception des signes et des symboles, instruments nécessaires qui augmentent la puissance et la portée de l'esprit humain, en résumant sous une forme condensée et en quelque sorte mécanique tout un ensemble de relations: ces auxiliaires sont surtout précieux en mathématiques, parce qu'ils y sont adéquats à leurs définitions; caractères qu'ils ne possèdent pas au même degré dans les sciences physiques et naturelles. Quoi qu'il en soit, il y a là tout un ensemble de facultés qui ne sauraient être pleinement mises en jeu que par l'enseignement des mathématiques.
Berthelot.
CULTURE D'EUCLIDE
Quand un jeune homme d'un talent ordinaire commence à étudier Euclide, tout l'étonne d'abord. Sa conception est incertaine et son jugement faible, il s'appuie en partie sur l'évidence de la chose, et en partie sur l'autorité du maître. Mais à mesure qu'il avance à travers les définitions, les axiomes, les propositions élémentaires, une plus grande lumière frappe ses regards. Le langage lui devient plus familier et produit des conceptions plus claires et plus nettes; son jugement s'affermit: il commence à comprendre ce que c'est qu'une démonstration, et il est impossible qu'il le comprenne sans s'y plaire; il s'aperçoit que c'est une espèce d'évidence indépendante de l'autorité; il lui semble qu'il sort d'un esclavage, et il se sent si fier de croire ainsi, qu'il se révolte contre l'autorité, et voudrait avoir des démonstrations pour toutes les vérités; il faut que l'expérience lui apprenne qu'une foule de choses ne sont pas susceptibles de cette sorte d'évidence et qu'il doit se résigner à des probabilités dans les choses qui lui importent le plus.
Th. Reid.
CALCULS DES OUVRIERS
Il faut que l'ouvrier calcule le produit comme l'emploi de ses ans, de ses mois, de ses jours, et je dirais presque de ses heures et de ses minutes. Il faut qu'il calcule ses forces et ses mouvements, pour n'en rien perdre, et pour en tirer les plus puissants résultats. Il faut qu'il calcule et mesure les dimensions et la figure soit de ses outils, soit des objets auxquels il va donner la forme et la position requises; il faut qu'il calcule, à chaque instant, des distances et des longueurs, des superficies et des volumes; il faut enfin qu'il suppute, et la quantité des matières premières, et le prix de son travail, évalués d'après les principes de la géométrie.
Ch. Dupin.
MÉTAPHYSIQUE ET MORALE
Si quelqu'un voulait écrire en mathématicien dans la métaphysique ou dans la morale, rien ne l'empêcherait de le faire avec rigueur. Si on l'entreprenait comme il faut, je crois qu'on n'aurait pas lieu de s'en repentir.
Leibniz.
Le conseil nous paraît plus facile à donner qu'à suivre.
INTUITION
L'intuition géométrique c'est cette propriété de notre esprit qui nous permet de voir intuitivement derrière les formes réelles et contingentes de notre univers physique, d'autres formes très peu différentes mais simplifiées, idéales et se prêtant, par suite de leurs définitions rigoureuses, à la déduction géométrique.
Calinon.
CALCUL
Si calculer est raisonner, raisonner n'est pas calculer..... Un calcul n'est pas seulement un raisonnement, c'est un raisonnement sur des idées de quantité, et susceptible, par cette circonstance, d'être fait avec des signes particuliers; en un mot, c'est un raisonnement ayant des caractères qui lui sont propres..... Le raisonnement est le genre, le calcul n'est que l'espèce. C'est pour cela que vous pouvez transformer tout calcul en un raisonnement, mais que vous ne pouvez transformer tout raisonnement en un calcul.
Destutt-Tracy.
La quantité étant par essence divisible en parties égales, les idées de grandeur jouissent de l'incommunicable propriété de pouvoir être exactement représentées dans des symboles, chiffres ou lettres. Cette exacte rigueur d'expression permet à l'esprit de concentrer son attention sur les symboles seuls, et en les combinant d'après des règles très simples, ce qui constitue le calcul. C'est ce qui fait que la forme, en mathématiques, prend une si grande importance: une notation simplifiée peut y amener une révolution, comme il est arrivé en algèbre par l'introduction des exposants numériques, due à Descartes. Telle est cette vertu merveilleuse des symboles, qu'on peut les employer avec succès sans être en état d'en saisir la vraie nature. Longtemps le calcul différentiel a dévoilé les secrets les plus cachés de la quantité, avant qu'on fût parvenu à lui assigner une base rationnelle.
F. Huet.
MOTS ET SIGNES
Les signes et les mots, employés dans les raisonnements mathématiques, représentent véritablement les choses elles-mêmes; dans ce cas, lorsque nous employons le langage ou les signes, nous n'introduisons pas, en en faisant usage, des notions étrangères; nous n'excluons non plus, à raison de cette circonstance, rien qui se rapporte au fait dont il s'agit.
W. Herschel.
SYLLOGISMES
Voyez dans les Lettres d'Euler à une princesse d'Allemagne l'ingénieuse représentation de la théorie du syllogisme par les positions relatives des cercles.
Leibniz rappelle le mémorable exploit de deux logiciens zélés mais de lourde cervelle, Herlinus et Dasypodius, qui mirent en syllogismes formels les six premiers livres d'Euclide.
PLUS HAUT
Vous apprenez les principes des sciences, soit mathématiques, soit physiques, qui contiennent les lois de la nature: ce n'est pas proprement pour en connaître l'usage matériel; c'est surtout pour apprendre et vérifier que tout dans la nature est nombre, proportion, harmonie; c'est, davantage encore, pour acquérir, en considérant les nombres qui constituent les corps, une plus pleine conscience de ces autres nombres que notre âme renferme, et par lesquels elle juge ceux du dehors, comme l'ont dit Platon et Shaftsbury; c'est enfin pour acquérir cet usage des rapports et des proportions intellectuels qui est l'exercice propre de la raison et qu'on appelle la logique.
F. Ravaisson.
RAISONNEMENT
Les études suivies à l'École polytechnique sont loin d'être uniquement destinées à faire connaître une suite de calculs, de formules, de figures, de phénomènes physiques et chimiques. Leur utilité principale est d'exercer cette faculté de l'intelligence à laquelle on donne le nom de raisonnement.
Lamé.
PARFAITEMENT
Un avantage de l'étude de la géométrie est de porter l'esprit à croire qu'on ne sait suffisamment que ce qu'on sait parfaitement.
Abbé Terrasson.
LE NOMBRE!
Ôtez le nombre, vous ôtez les arts, les sciences, la parole et par conséquent l'intelligence. Ramenez-le: avec lui apparaissent ses deux filles célestes, l'harmonie et la beauté, le cri devient chant, le bruit reçoit le nom de rythme, le saut est danse, la force s'appelle dynamique, et les lignes sont des figures.
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Jadis, un navigateur, jeté par le naufrage sur une île qu'il croyait déserte, aperçut en parcourant le rivage une figure de géométrie tracée sur le sable: il reconnut l'homme et rendit grâce à Dieu. Si cette figure n'eût point été géométrique, elle n'eût été pour lui qu'une trace muette, œuvre du hasard et non de l'intelligence; mais elle lui attestait le nombre et par cela même lui attesta l'homme.
J. de Maistre.
MESURE DE L'ESPRIT
La géométrie a par elle-même une beauté réelle, indépendante de toute utilité vraie ou prétendue: quand elle n'aurait d'autres prérogatives, que de nous offrir sans aucun mélange des connaissances évidentes et certaines, un si grand avantage ne la rendrait-il pas digne de notre étude? Elle est pour ainsi dire la mesure la plus précise de notre esprit, de son degré d'étendue, de sagacité, de profondeur et de justesse. Si elle ne peut nous donner ces qualités, on conviendra du moins qu'elle les fortifie, et fournit les moyens les plus faciles de nous assurer nous-mêmes, et de faire connaître aux autres, jusqu'à quel point nous les possédons.
d'Alembert.
Ces considérations justifient l'importance attribuée aux Mathématiques dans la plupart des examens.
ORIGINE
Les mathématiques, dit-on, ne peuvent avoir leur première origine dans l'observation: car les objets qu'elles étudient sont fort différents de ceux que l'observation nous montre. Les mathématiques raisonnent sur des cercles et des triangles parfaits; mais, dans la nature, aucun objet n'est parfaitement circulaire ni parfaitement triangulaire; les mathématiques n'ont donc pu prendre leur objet à l'observation de la nature, et les idées sur lesquelles elles raisonnent sont de pures créations de l'esprit.
Voici la réponse qu'il convient de faire à cette objection. Sans doute, aucun objet matériel n'est terminé par des lignes parfaitement droites, par des surfaces parfaitement planes; mais chacun dévie de la ligne droite, de la surface plane dans un sens différent; si bien que, quand on fond en une idée unique les idées de ces divers objets, ces déviations en sens contraire se neutralisent.
R. Worms.
On a tenté bien des fois, depuis Hume, d'expliquer les vérités géométriques par les seules données de l'expérience.
GÉNÉRALITÉ
Nous allons chez le gros mathématicien qui fume; nous le saluons et nous l'abordons ainsi: «Monsieur, nous sommes philosophes, c'est-à-dire fort embarrassés et à court. Il s'agit des propositions nécessaires; si vous en connaissez, comment les découvrez-vous?
—Messieurs, c'est mon métier, je n'en découvre pas d'autres; prenez des chaises; je vais en trouver devant vous.
Avec de la craie, je trace sur le tableau un triangle ABC; par le sommet C je mène la parallèle à la base... Donc la deuxième somme qui est celle des angles du triangle, égale deux angles droits. Donc, nécessairement et universellement, la somme des trois angles égale deux angles droits.
—Monsieur, comment avez-vous fait?
—J'ai tracé un triangle particulier, déterminé, contingent, périssable ABC pour retenir mon imagination et préciser mes idées. J'ai extrait de lui le triangle en général; pour cela, je n'ai considéré en lui que des propriétés communes à tous les triangles, et je n'ai fait sur lui que des constructions, dont tout triangle pourrait s'accommoder. Analysant ces propriétés générales et ces constructions générales, j'en ai extrait une vérité ou rapport universel et nécessaire. J'ai retiré le triangle général compris dans le triangle particulier; ce qui est une abstraction. J'ai retiré un rapport universel et nécessaire, contenu dans les propriétés générales de la construction générale, ce qui est encore une abstraction. Pour découvrir une propriété générale et nécessaire, il suffit donc d'employer l'abstraction.
Taine.
DISCIPLINE
L'étude de la géométrie est indispensable pour accoutumer l'esprit à marcher pas à pas, à ne rien admettre sans preuve, à ne se plaire qu'au vrai. Elle a de plus l'avantage d'exercer les forces de l'esprit, de l'accoutumer à l'attention et de le rendre inventif, car rien n'exige plus d'invention que la solution des problèmes: elle habitue à deviner le vrai, lors même que, pour le découvrir, on a recours à des hypothèses, parce que le résultat fait toujours connaître si ces hypothèses ont été bien choisies; enfin elle met un frein à l'imagination et nous force à la soumettre à la raison.
Deleuze.
DÉMONSTRATION ET SYLLOGISME
La méthode des sciences mathématiques est la démonstration.
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Le but de la démonstration est d'établir des vérités nécessaires; elle le fait en montrant que ces vérités sont les conséquences logiques d'autres vérités admises comme évidentes ou précédemment démontrées.
On voit par là en quoi la démonstration, bien qu'elle se présente sous forme déductive, diffère du syllogisme. Dans le syllogisme proprement dit, où n'intervient aucune considération touchant la vérité objective des propositions traitées, la conclusion sort nécessairement des prémisses; étant donné que A est B, et que B est C, il ne se peut pas que A ne soit pas C; mais une connaissance nécessaire peut fort bien n'être pas une vérité nécessaire; la vérité des deux prémisses d'où sort nécessairement la conclusion n'est pas garantie; il suffit au logicien que la conséquence soit extraite des prémisses, conformément aux lois de la pensée. Tout autre est la démonstration; elle est un instrument de science, et à ce titre, elle n'a pas seulement à tirer des conséquences logiques, mais à établir des vérités; elle est astreinte à toutes les règles de la procédure logique; mais en même temps elle a des principes qu'elle ne trouve pas dans le syllogisme proprement dit, principes nécessaires comme les vérités qu'elle établit.
Liard.
MÉTHODES
DIVISEUR ET RAMASSE-TOUT
Jean Macé, dans l'Arithmétique de grand papa, personnifie ainsi l'analyse et la synthèse: le livre est enfantin, mais il est ingénieux et charmant.
LA DIVISION
Jadis, la division, qu'on appelait l'épine de l'arithmétique, s'effectuait à la française, à la portugaise ou à l'italienne. La règle actuelle de l'opération a été résumée, par Leslie, en un seul vers:
Divide, multiplica, subduc, transferque secantem.
Un professeur, pour faire retenir la théorie réputée difficile de la division, disait: «Dans le second cas, vous coupez la tête du diviseur et, dans le troisième, vous coupez la tête du quotient.»
ANATOMISTES
O. Terquem écrivait quelques jours avant sa mort: L'ouvrage de Borelli (De motu animalium) est un petit chef-d'œuvre qui me procure des heures délicieuses; on voit l'avantage qu'il y a aux anatomistes d'être géomètres. Il est à désirer qu'on fasse sur le même plan une nouvelle édition de l'Anatomie descriptive de Richerand, ce serait une excellente acquisition. Malheureusement, nos anatomistes sont peu géomètres et nos médecins de faibles chimistes.
FROMAGE
M. Mannheim raconte qu'un ingénieur embarrassé pour pratiquer un escalier tournant dans une voûte hémisphérique, dit au conducteur de préparer l'épure. Le subalterne creusa dans un bloc de gruyère une cavité en forme de bassin, dressa dans l'axe une vis de pressoir qu'il fit tourner. La trouée à pratiquer dans le dôme de pierre se dessina ainsi très nettement.
EXPÉRIENCE GÉOMÉTRIQUE
Pour trouver l'aire de la cycloïde, Galilée pesa avec une grande précision deux lames minces de même matière, dont l'une était égale au cercle et l'autre à la cycloïde engendrée. Il constata par cette expérience que le poids de cette dernière est le triple de celui du cercle, résultat prouvé plus tard théoriquement par Pascal. Le succès de l'expédient tint à la simplicité du rapport, non seulement commensurable, mais entier.
JETONS BARDOT
Ce sont des cubes en bois, les uns blancs et les autres noirs, à l'aide desquels on explique matériellement la numération aux commençants. Dix de ces jetons, réunis en une baguette, forment une dizaine; dix baguettes, réunies en une plaque, forment une centaine; dix plaques superposées composent un cube qui est un mille. Continuons: si l'on groupait dix de ces gros cubes qui sont des mille, on aurait une dizaine de mille; si l'on juxtaposait dix dizaines de mille, la grande plaque serait une centaine de mille; si l'on étageait enfin dix des plaques précédentes, on aurait un cube énorme qui serait un million. Ainsi de suite pour la dizaine de millions, la centaine de millions, le billion, etc., etc.
MACHINES ARITHMÉTIQUES
On remarque, parmi les petites machines, les réglettes de Neper, l'inventeur des logarithmes, de Mannheim, de Lalanne, de Grenaille et d'Ed. Lucas, etc. Dans certains pays, tous les contremaîtres se servent couramment d'une règle à calcul.
Les machines plus considérables sont d'abord celle de Pascal, simplifiée par de Lépine et récemment par Roth, qui en a réduit le volume; puis celle de Thomas de Colmar, à l'aide de laquelle on multiplie en une demi-minute deux nombres de dix chiffres: on s'en sert aux Magasins du Louvre, à l'Observatoire, aux Compagnies d'Assurances, etc.; on en vend plus d'une centaine par an. Il y a aussi la machine à mouvement continu de Tchebychef.
Toute machine arithmétique se compose de quatre organes essentiels: le générateur, le reproducteur, le renverseur et l'effaceur.
On a reconnu que pour un calculateur exercé, il faut 7 minutes 19 secondes pour multiplier un nombre de 14 chiffres par un nombre de 8 chiffres. Les agents inorganiques, eux, ne se fatiguent guère et ne se trompent pas, à moins que les ressorts ne se faussent. Mais, il y a les machines géométriques, sans ressorts, et l'admirable machine de Tchebychef, qui se romprait plutôt que de ne pas dire vrai.
Voir M. d'Ocagne: Nomographie. Les calculs usuels effectués au moyen des abaques.
INTÉGRATEURS ET INTÉGRAPHES
Les intégrateurs sont des instruments qui effectuent mécaniquement la sommation d'une série infinie de grandeurs infiniment petites, qu'il s'agisse d'une aire limitée par une courbe, d'un travail mécanique, etc. Mais les planimètres, les totaliseurs dynamométriques, etc., ne donnent que le résultat final de l'intégration. Abdank-Abakonowicz est allé plus loin: ses intégraphes donnent, sous forme d'un tracé graphique, la loi complète qui régit la sommation, en un mot ce qu'on peut appeler la courbe intégrale.
Le planimètre polaire d'Amsler est celui qui semble être appelé à l'emploi le plus fréquent. Les applications des planimètres sont nombreuses; les contributions directes, les administrations du cadastre et des forêts, le service topographique du génie, les architectes, les ingénieurs, les géomètres arpenteurs ont recours à ces instruments pour résoudre ce problème si délicat de la détermination des aires planes à contours curvilignes.
En Allemagne, on possède un planimètre comme on a une boîte de compas.
ARITHMÉTIQUE POLITIQUE
Étant données la population, les mœurs, la religion, la situation géographique, les relations politiques, les richesses, les bonnes et mauvaises qualités d'une nation, trouver les lois qui lui conviennent.
J. de Maistre.
Nous ne demandons à nos législateurs qu'une solution par approximations successives du problème posé.
OPÉRATIONS ABRÉGÉES
On faisait remarquer à un candidat qu'il aurait pu employer les opérations abrégées. Il répliqua qu'il n'avait pas eu le temps.
Lorsqu'on est pressé, on préfère la grande route qu'on connaît bien au chemin de traverse dont on n'est pas sûr.
La réflexion suivante de J.-J. Rousseau s'applique aux calculateurs de profession: «.... alors on trouve des méthodes abrégées dont l'invention flatte l'amour-propre, dont la justesse satisfait l'esprit et qui font faire avec plaisir un travail ingrat par lui-même.»
GAUFRES
Je n'oublierai jamais d'avoir vu à Turin un jeune homme à qui, dans son enfance, on avait appris les rapports des contours et des surfaces en lui donnant chaque jour à choisir, dans toutes les figures géométriques, des gaufres isopérimètres. Le petit gourmand avait épuisé l'art d'Archimède, pour trouver dans laquelle il y avait le plus à manger.
J.-J. Rousseau.
PLAIES
Aristote dit que le médecin constate que les plaies circulaires sont les plus longues à guérir, et le géomètre démontre qu'il ne peut en être autrement, puisque de toutes les figures qui ont un périmètre égal, le cercle est celle qui présente la plus grande surface.
TACHYMÉTRIE
L'ingénieur Lagout, mort depuis quelques années, est l'auteur d'une tentative de rénovation des mathématiques, dans l'intention de les simplifier en les matérialisant, pour les mettre à la portée du plus humble ouvrier. Il a eu quelques idées ingénieuses: son matériel et ses tableaux en couleur sont saisissants. Malheureusement, grisé par son système, l'inventeur a cru, bien à tort, être aussi rigoureux qu'Euclide. Son prompt-mesurage n'est qu'un aperçu populaire qui parle aux yeux.
M. C. Rey a porté sur la méthode ce jugement piquant et plus sévère: «La Géométrie est la science qui apprend à raisonner juste, même sur des figures qui sont fausses, tandis que la Tachymétrie est un art qui apprend à raisonner faux, sur des figures qui sont justes.»
VINGT CENTIMES
Quand, sous le second empire, on frappa pour la première fois des pièces de vingt centimes, un homme d'esprit s'écria: on dira maintenant cinq fois quatre font vingt et non plus quatre fois cinq font vingt.
J'ai lu dans un livre belge cette question inquiétante: Le produit de un franc par un franc est-il égal au produit de cent centimes par cent centimes?
POTAGE
Dans son explication de l'addition, un élève avait oublié de dire qu'on n'ajoute que des choses de même espèce, le professeur lui demanda: Combien font 150 grammes de navets, 200 grammes de carottes et 225 grammes de pommes de terre?—Réponse: Cela ferait un excellent potage.
Autre exemple. Un soldat aveugle portait cet écriteau: batailles 8; blessures 10; enfants 6; total 24.
ANARCHIE
Le cinquième livre de la géométrie fait le désespoir des élèves et des examinateurs, tant l'ordre et l'énoncé des propositions varient. Legendre et Rouché ne s'accordent nullement et il y a beaucoup d'opinions intermédiaires. On demande un dictateur pour imposer une théorie unique.
Dernière nouvelle: on annonce des préliminaires de paix.
MÈTRES CARRÉS
C'est grâce à la géométrie que les marchands de mesures ne vendent ni mètres carrés ni mètres cubes.
Quelques dames confondent encore le mètre courant, le mètre carré et le mètre cube.
Un mot spirituel: le professeur avait fait écrire au tableau le nombre 1000000000; il s'agit de mètres carrés, dit-il, combien cela pèse-t-il? Bien peu de craie, répondit l'élève.
ANXIÉTÉ
On ne peut baser aucun raisonnement sur une série divergente, c'est-à-dire sur une suite régulière de termes dont la somme croît au-delà de toute limite. Les géomètres du xviiie siècle n'ont guère tenu compte de la convergence des séries et c'est Cauchy qui a éclairé le premier la question. On raconte qu'après une communication de ce dernier à l'Académie, Laplace quitta brusquement ses confrères, et se renferma chez lui pendant près d'un mois, pour vérifier la convergence de toutes les séries sur lesquelles est fondée sa mécanique céleste. Heureusement, aucune n'était divergente!
Abel a dit que: «Avec une série divergente, on prouve tout ce qu'on veut, l'impossible aussi bien que le possible.»
IMPOSSIBLE
En mathématiques, il n'y a de vraiment impossible que le contradictoire. On peut lever l'impossibilité provisoire provenant d'une vue trop étroite de la question: Pourquoi exiger le résultat sous une certaine forme ou entre certaines limites? D'autre part, si vous ne trouvez pas la solution rigoureuse d'un problème, vous pouvez chercher des valeurs de plus en plus approchées et raisonner l'approximation.
RELIEFS
Il s'agissait de passer au cubage des corps solides, et ceci fut plus difficile; les figures du tableau ne suffisaient plus; les enfants ne se rendaient pas compte de toutes les formes que représentait un simple tracé. L'idée me vint de parler au vieux cuvelier Sylvestre, qui tout de suite comprit ce que je lui demandais; il me fit des cubes, des prismes, des cônes en bois, capables de se monter et de se démonter, comme on le voulait; tout devint clair, sensible pour les élèves. Nous raisonnions des choses, les pièces en main, et nous faisions ensuite nos calculs. Ce système de fabriquer des figures géométriques en bois s'est depuis répandu partout; des centaines d'ouvriers de la Forêt-Noire ne font plus que cela. Quelques-uns ont poussé la chose jusqu'à fabriquer des figures en cristal, afin d'en voir du premier coup d'œil les arêtes et les angles opposés.
Erckmann-Chatrian.
On veut enseigner aux enfants ce que c'est qu'un cône, comment on le coupe, le volume de la sphère, et on leur montre des lignes, des lignes! Donnez-leur le cône en bois, la figure en plâtre, apprenez-leur cela comme on découpe une orange!
J. Vallès.
COTON ET MUSIQUE
La fonction d'une variable indépendante la plus importante à Liverpool est peut-être le prix du coton. Une courbe montrant le prix du coton, s'élevant quand ce prix est élevé, s'abaissant quand il est bas, montre à l'œil toutes les variations si complexes de cette fonction.
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Songez à la complexité de l'effet produit par un orchestre qui joue (un orchestre de cent instruments), et deux cents voix qui chantent en chœur, accompagnées par l'orchestre. Songez à l'état de l'air; songez combien il est déchiré quelquefois... Une simple courbe, dessinée de la même manière que celle des prix du coton, représente tout ce que l'oreille peut entendre dans l'exécution la plus compliquée.
W. Thomson.
RÈGLES DE BOIS
Ces pauvres instruments, avec lesquels il a réformé l'astronomie, Copernic les avait taillés et divisés lui-même. Tycho-Brahe les a célébrés en vers latins: «C'est avec ces frêles morceaux de bois, ouvrage grossier et sans art, que Copernic entreprit de donner des lois au ciel et de régler le cours des astres; il est parvenu, par son génie, à une hauteur où nul mortel n'avait atteint avant lui.
Ô monuments inestimables d'un si grand homme! Ils sont faits d'un bois vulgaire, et cependant l'or le plus pur pâlirait devant eux!»
ALPHABET
Lorsqu'on apprend à un enfant à lire et à écrire, on peut lui donner quelques notions géométriques, en lui faisant analyser les formes des majuscules romaines. Dans A, il y a un triangle dont deux côtés sont prolongés; C est un arc; D un demi-cercle, avec son diamètre; E présente des angles droits; H des parallèles et une perpendiculaire; M des angles aigus, etc.
TRAVAIL PERSONNEL
On félicitait le chimiste Regnault de sa force en mathématiques. Il répondit: «Notre principal professeur à l'École polytechnique était si obscur que les sergents devaient se réunir après chaque leçon pour la refaire. C'est moi qui ai rédigé, pendant quelque temps, les cahiers pour mes camarades. Vous pouvez vous figurer combien cela m'a fait travailler.»
RÉACTIFS
On sait que le chimiste introduit des réactifs contenant des éléments souvent étrangers au produit qu'il veut obtenir, mais dont la présence favorise les transformations intermédiaires que doit subir le phénomène: le même rôle appartient aux lignes auxiliaires que trace le géomètre, diagonales, droites parallèles ou perpendiculaires à des directions déterminées, etc., ces lignes séparent les éléments primitifs, suggèrent entre eux des groupements nouveaux, parallélogrammes, triangles égaux ou semblables, etc., et de ces figures l'analyse dégage certaines propriétés qui ont un rapport plus direct avec la conclusion visée.
H. Harant.
FAGOTS ET FAGOTS
Un profane n'aperçoit que des coefficients dans les équations; tous lui paraissent égaux en importance, et s'il veut se renseigner sur les solutions, il se figure qu'il faut aller les interroger séparément, de même qu'on arrête dans la rue le premier ouvrier venu pour lui demander son chemin. Mais non, il y a des chefs qu'on n'aperçoit pas; c'est à leur bureau qu'il faut s'adresser. Soient, par exemple, dix équations littérales du premier degré à dix inconnues. L'opérateur..... veut savoir si les solutions sont possibles, ou impossibles, ou indéterminées. Qu'il n'aille donc pas interroger la vile plèbe des coefficients. Non; il y a un personnage considérable qui sait le secret; c'est un polynome, le dénominateur commun. On l'appelle le déterminant du système; et ce nom est bien choisi, car c'est lui qui vous sert à déterminer la nature des solutions.
Le P. Poulain.
Le déterminant est aidé par le conseil des numérateurs, assistés eux-mêmes de déterminants mineurs, etc.
PLURALITÉ DES MONDES
Les astronomes qui calculent les mouvements apparents des astres dans leur passage de chaque jour au méridien, ceux qui annoncent l'arrivée des éclipses, des phénomènes célestes, des comètes périodiques, ceux qui observent avec tant de soin les positions précises des étoiles et des planètes aux divers degrés de la sphère céleste, ceux qui découvrent des comètes, des planètes, des satellites, des étoiles variables, ceux qui recherchent et déterminent les perturbations apportées aux mouvements de la terre par l'attraction de la lune et des planètes, ceux qui consacrent leurs veilles à découvrir les éléments fondamentaux du système du monde, tous, observateurs ou calculateurs, sont des précurseurs de l'astronomie nouvelle. Ce sont d'immenses travaux, des labeurs dignes d'admiration et de transcendantes œuvres. Mais c'est l'armée du passé. Mathématiciens et géomètres, désormais le cœur des savants va battre pour une conquête plus noble encore. Tous ces grands esprits, en étudiant le ciel, ne sont en réalité, pas sortis de la Terre. Le but de l'Astronomie n'est pas de nous montrer la position apparente de points brillants, ni de peser des pierres en mouvement dans l'espace, ni de nous faire connaître d'avance les éclipses, les phases de la lune ou des marées. Tout cela est beau mais insuffisant.
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Le jour viendra, et très prochainement, puisque tu es appelé à le voir, où cette étude des conditions de la vie dans les diverses provinces de l'univers sera l'objet essentiel—et le grand charme—de l'Astronomie.
Flammarion.
TRANSFORMATIONS
Dans la Géométrie ancienne les vérités étaient isolées; de nouvelles étaient difficiles à imaginer, à créer; et ne devenait pas géomètre inventeur qui voulait.
Aujourd'hui chacun peut se présenter, prendre une vérité quelconque connue, et la soumettre aux divers principes généraux de transformation; il en retirera d'autres vérités, différentes ou plus générales; et celles-ci seront susceptibles de pareilles opérations; de sorte qu'on pourra multiplier, presqu'à l'infini, le nombre des vérités nouvelles déduites de la première.
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Peut donc qui voudra, dans l'état actuel de la science, généraliser et créer en géométrie; le génie n'est plus indispensable pour ajouter une pierre à l'édifice.
Chasles.
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INVISIBLE
L'astronomie de l'invisible, n'est, pour ainsi parler, pas plus difficile que celle des astres observables. Le géomètre dans son cabinet de travail, n'a pas besoin de voir les astres pour en calculer la marche. Le Verrier l'a prouvé en découvrant Neptune par le calcul, Bessel en démontrant l'existence du compagnon de Sirius. Tous deux ont vu l'astre inconnu, comme Christophe Colomb voyait l'Amérique des rivages de l'Espagne, et, avec la même foi, ils ont osé assigner la place où devait les voir l'œil émerveillé de l'astronome.
Wolf.
PRÉCISION
Si de Parme comme centre, avec un rayon égal à 60 lieues, on décrit une demi-circonférence, cette demi-circonférence passe par les sommets des Alpes.
Napoléon.
DEUX TENDANCES
Il semble que l'on puisse aujourd'hui distinguer, dans les mathématiciens, deux tendances d'esprit différentes. Les uns se préoccupent principalement d'élargir le champ des notions connues; sans se soucier toujours des difficultés qu'ils laissent derrière eux, ils ne craignent pas d'aller en avant et cherchent de nouveaux sujets d'étude. Les autres préfèrent rester, pour l'approfondir davantage, dans le domaine de notions mieux élaborées; ils veulent en épuiser les conséquences, et s'efforcent de mettre en évidence dans la solution de chaque question les véritables éléments dont elle dépend. Ces deux directions de la pensée mathématique s'observent dans les différentes branches de la science; on peut dire toutefois, d'une manière générale, que la première tendance se rencontre le plus souvent dans les travaux qui touchent au calcul intégral et à la théorie des fonctions; les travaux d'algèbre moderne et de géométrie analytique relèvent surtout de la seconde.
E. Picard.
EN PROBLÈMES
Exposez toute science de raisonnement sous forme de problèmes proposés d'abord, et résolus ensuite, la théorie régulière et suivie ne venant qu'après pour coordonner et classer les vérités acquises. Sous la forme vive et saisissante de problèmes, la science pénètre plus profondément dans l'esprit dont les facultés inventives sont d'ailleurs toujours en pleine action.
Desboves.
COEFFICIENTS DE CORRECTION
Si l'on peut dire de la géométrie rationnelle, telle qu'elle est enseignée depuis l'antiquité, que c'est l'art de faire des raisonnements exacts sur des figures fausses, par opposition on peut dire de la géométrie pratique, dont on fait usage dans les levers de terrain, que c'est l'art de faire des figures exactes avec des instruments infidèles.
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En géométrie, n'y aurait-il pas un grand avantage à faire inscrire des hexagones réguliers dans des circonférences, avant de démontrer que le côté de ces polygones est égal au rayon? Cette marche ne mettrait-elle pas en garde, contre les affirmations trop absolues de la théorie, l'esprit d'un élève qui aurait constaté, par sa propre expérience, que rarement, à la fin de l'opération la pointe du compas retombe sur le point de départ? Cela ne le ferait-il pas réfléchir aux causes d'insuccès de cette opération? Son professeur ne serait-il pas obligé de les lui expliquer? Et peu à peu n'en viendrait-il pas à se familiariser avec ce principe d'expérience, que, dans les applications des vérités les mieux démontrées, de celles qui présentent le caractère le plus indubitable de la vérité absolue, on doit toujours compter, si je puis m'exprimer ainsi, avec les résistances passives contre lesquelles il faut lutter dans chaque action matérielle.
Si je ne me trompe, l'enseignement dirigé dans cette voie, développerait le jugement, le tact pratique. En tout cas, il éviterait des illusions fréquentes à ceux qui acceptent comme des vérités absolues les résultats des recherches physico-mathématiques, recherches dans lesquelles on néglige tant de choses.
Goulier.
Le célèbre topographe ne restait guère dans les régions de l'idéal. Il faisait la part des résistances de la matière et des défaillances de l'opérateur.
HISTOIRE
LE TRIBUNAL DES MATHÉMATIQUES
Les instruments dont le tribunal des mathématiques fait actuellement usage, pour rédiger l'almanach présenté à S. M. Kouang-Siu et désigner les jours fastes ou néfastes, ont été construits en 1670, sous la direction du Père Verbiest, missionnaire belge. Ils ne permettent qu'une précision de dix minutes de degré tandis que nous pouvons évaluer à l'aide des nôtres jusqu'aux dixièmes de seconde, d'où une précision six mille fois plus grande. On ne s'occupe guère à Pékin que de calendrier et d'astrologie et on est porté à y croire la Terre toujours immobile au centre de l'espace céleste.
Nous avons tenu entre les mains une table de sinus de l'empereur de Chine, Kang-Hi. Le texte, imprimé en Europe, est précédé de 4 feuillets (8 pages), contenant des chiffres arabes et chinois tracés à l'encre de Chine. Chaque page imprimée des tables de sinus et tangentes est précédée et suivie de caractères chinois tracés au pinceau rouge. D'après une note ancienne qui se lit sur la garde et dont voici le texte, ces caractères seraient tracés par l'empereur lui-même: «L'empereur Kang-Hi se servit de ce livre lorsqu'il calculait à l'européenne. Les caractères rouges sont de sa main.»
UNE CALOMNIE
Sous prétexte de mesurer un degré du méridien, si bien déterminé par les Anciens, ils (les charlatans académiques) se sont fait accorder par le ministre 100 000 écus pour les frais de l'opération, petit gâteau qu'ils se partageront en frères.
Marat, l'ami du peuple.
DODÉCAÈDRE
Les doctrines mathématiques des pythagoriciens devaient être tenues secrètes. Un des initiés (leur signe de reconnaissance était le pentagone étoilé), nommé Hippasos, ayant dévoilé la construction du dodécaèdre inscrit dans la sphère, fut noyé en mer.
JARDINIERS, QUINCAILLIERS, ETC.
Le duc d'Argyle, ayant trouvé les Principia de Newton sur une pelouse de son château, interrogea le jardinier Stone: cet homme de trente ans avait appris seul les éléments de mathématiques, le latin et il comprenait Newton! Dans la suite, Stone a composé un traité de calcul différentiel, qu'on a traduit en français pour compléter celui de de l'Hôpital.
Aux États-Unis, le commis quincaillier Bowdwitch, parvint aussi seul à lire Newton. Après s'être enrichi à Boston, dans une compagnie d'assurances, il publia à ses frais sa traduction de la Mécanique céleste de Laplace, augmentée de commentaires.
Éléazar Féronce vivait vers 1625, aux environs de Grenoble; il était jardinier dans un château; il faisait des observations à l'aide d'instruments qu'il se construisait lui-même.
Le cordonnier hollandais, Théodore Rembrandsz, né vers 1610, publia un ouvrage étendu sur le système de Copernic.
Un ouvrier pelletier-fourreur, Jean Jordan, de Stuttgard, fut un mathématicien et un mécanicien ingénieux.
Un tisserand de Lisieux, nommé Jean Lefèvre, était assez fort mathématicien pour calculer une table des passages de la lune au méridien. On l'attacha au bureau de la Connaissance des temps.
Vers 1710, un berger d'Écosse, Jacques Fergusson s'était construit en bois des instruments d'astronomie; il s'adonna aux mathématiques et devint membre de la Société royale de Londres.
Le cultivateur saxon, Jean-Georges Palitzch, né en 1723, mathématicien et astronome, correspondant de la Société royale de Londres, employait ses loisirs à étudier; il n'abandonna jamais le métier de laboureur.
L'astronome Jean-Louis Pons, né en 1761, d'abord concierge à l'Observatoire de Marseille, a découvert 37 comètes.
Un simple cordonnier, Rigaut, qui s'était instruit seul, a présenté à l'Académie des sciences de bons mémoires de mathématiques.
MATHÉMATICIENNES
Sous le titre de Les femmes dans la Science, nous venons de publier, chez l'éditeur Nony, un volume de 350 pages, orné de portraits et d'autographes. Voici un extrait de l'avant-propos.
«Depuis plus de quinze siècles, nous honorons Hypatie, cette grecque d'Alexandrie, si belle et si savante, lapidée par une populace stupide. Les travaux d'astronomie et de mécanique de la marquise du Châtelet défendent sa mémoire. Marie Agnesi, après avoir enseigné le calcul infinitésimal à l'Italie, est morte comme une sainte. À l'occasion d'un problème posé par Napoléon, Sophie Germain a créé, une des premières, la physique mathématique. Mary Somerville a composé, après Laplace, une mécanique céleste. Une russe, Mme Kowalewski, couronnée par notre Académie des Sciences, a été enlevée, il y a quelques années, en pleine floraison de son génie.
Nous avons réuni, pour la première fois, ces belles et nobles figures. Nous avons tracé, de ces femmes hors pair et de quelques autres, des notices à grands traits, sans détails techniques. Le groupe d'élite a été encadré dans un tableau assez complet des autres savantes: l'armée en marche, avec son état-major.
Nous avons surtout étudié les savantes professionnelles, qui ont consacré aux études scientifiques la plus grande partie de leur vie, mathématiciennes, physiciennes, naturalistes et philosophes. Puis sont venues les simples curieuses qui, à l'occasion, ont dit leur mot sur les sciences; les collaboratrices qui ont aidé les savants, discrètement et activement; les professeurs, les vulgarisatrices, modestes et utiles; enfin les protectrices, princesses ou riches bourgeoises, qui ont fondé des prix dans les académies ou répandu leurs bienfaits sous d'autres formes. Les unes et les autres, par des moyens divers, ont exercé une heureuse influence sur le progrès des sciences.
Deux notes, provenant d'une collaboration variée, terminent le livre. Dans l'une, nous avons réuni des opinions opposées sur cette question: Si la femme est capable de science. La seconde note est formée de Menus propos sur les femmes et les sciences, aperçus divers, citations, anecdotes, pensées, etc.»
SONS
Ayant remarqué, un jour qu'il passait devant un atelier de forgerons, que les sons des marteaux formaient la quarte, la quinte et l'octave, Pythagore eut l'idée de peser les trois marteaux et, des rapports de leur poids, il conclut une théorie mathématique de l'harmonie des sons.
On sait que le même philosophe a, dit-on, composé la table qui fait le désespoir des petits enfants, et, ce qui est plus important, qu'il a découvert le carré de l'hypoténuse. À l'occasion de cette admirable proposition, Pythagore a sacrifié une hécatombe aux dieux.
DEUX DYNASTIES
Depuis le milieu du xviie siècle jusqu'à nos jours, les Bernoulli, d'origine suisse, ont été des savants distingués. Les ancêtres, les deux frères Jacques et Jean, mathématiciens de premier ordre, ont développé le calcul infinitésimal. Ensuite sont venus Nicolas II, Daniel, Jean II, Jean III, Jérôme, Jacques II et Christophe. Le dernier descendant des grands Bernoulli, physicien et naturaliste, est mort à Bâle en 1863.
Jean-Dominique Cassini, célèbre astronome, fut le premier membre marquant de la famille. Son fils Jacques fut aussi astronome, son petit-fils César-François Cassini de Thury devint membre de l'Académie des sciences à vingt-deux ans. Enfin son arrière-petit-fils Jacques-Dominique, directeur de l'Observatoire, termina la carte de France.
RECOMMANDATION
«Sire, les princes éclairés et généreux aiment à découvrir le mérite modeste et à réparer envers lui les torts de la fortune. Ils se plaisent à donner à l'homme de génie les moyens de jeter sur les sciences cet éclat qu'elles recevront de ses travaux et qui réfléchit sur leur gouvernement. À ce titre, les soussignés, membres de l'Institut de France, se permettent de signaler à la royale bienveillance de Votre Majesté un jeune géomètre M. Abel, dont les productions annoncent un esprit de premier ordre, et qui néanmoins languit à Christiania dans un poste peu digne de son rare et précoce mérite.»
Legendre, Poisson, Lacroix.
ÉCOLE POLYTECHNIQUE
La Convention établit, en 1794, l'École centrale des travaux publics, à l'instigation de Monge, Lamblardie, Carnot et Prieur. Placée au Palais-Bourbon, ne recevant que des externes, l'école devait d'abord alimenter seulement le corps des ingénieurs civils et militaires. C'est en 1795 que l'école prit son nom d'École polytechnique et son caractère actuel. Nous ne pouvons pas raconter ici sa glorieuse histoire, et nous allons nous borner à quelques anecdotes.
Dans la période du début, chaque candidat doit faire constater par la municipalité de sa ville natale «qu'il a constamment manifesté l'amour de la liberté et de l'égalité et la haine des tyrans». On lit dans un rapport de l'époque: «La manifestation du patriotisme a été généralement nulle. Ils sont presque tous ignorants ou indifférents, tandis que les enfants eux-mêmes balbutient déjà les principes et les hymnes de la liberté! C'est en vain que j'ai tâché, par des questions brusques, imprévues et même captieuses, de suppléer à l'insuffisance des papiers qu'ils ont produits; presque tous m'ont montré qu'ils avaient toujours été indifférents au bonheur de leurs semblables, à leur propre bonheur et même aux événements... Quarante de ces jeunes gens, par leur insouciance de tout ce qui est bon, vertueux et utile, méritent d'être rejetés!»
«Jeunes citoyens, disait plus tard un Ministre de l'Intérieur dans un discours, ayez toujours l'amour de la patrie. Si cet amour agit par sentiment sur le reste des hommes, il est permis de penser que c'est grâce aux savants que cet amour est géométriquement démontré. Je peux le dire ici, dans la langue qui vous est familière, la liberté est le théorème donné par la nature, la République en est la démonstration, l'amour de la patrie en est le corollaire.»
Le dimanche matin, l'ordinaire est augmenté d'une omelette au lard, transformation économique du plat qu'on appelait le cochon de Mme Laplace. En effet, la veuve de l'illustre géomètre, lorsqu'elle avait fondé un prix pour l'élève sortant le premier et consistant dans les œuvres de Laplace, avait disposé d'une somme dont le revenu devait être employé à donner un plat supplémentaire le dimanche. Ce plat consista au début en côtelettes de porc frais.
En 1894, il y a eu de belles fêtes polytechniciennes, à l'occasion du centenaire de la fondation de l'École. Des livres commémoratifs ont été publiés.
ÉCOLE NORMALE
Créée à Paris par la Convention, ses quinze cents élèves externes reçurent au Muséum les leçons des maîtres les plus illustres et ces leçons, qui ont été recueillies, sont encore consultées. La plupart de ces élèves enseignèrent, à leur sortie, dans les Écoles centrales des départements. C'est en 1808, que Napoléon réorganisa l'école qui, beaucoup moins nombreuse, devint un internat dans le Lycée Louis-le-Grand et dont les élèves suivirent les cours du Collège de France, de l'École polytechnique et du Muséum. Elle a été transférée à la rue d'Ulm, en 1847, et l'enseignement de ses Maîtres de conférences est devenu à peu près indépendant des cours extérieurs.
Pendant la dernière guerre, les élèves Lande et Szymanski ont gagné la médaille militaire, M. Burdeau a été décoré de la légion d'honneur et Lemoine a été tué à l'ennemi. Deux plaques de marbre noir portent les noms de Lemoine et de Thuillier, élève de M. Pasteur, mort pour la science à Alexandrie où il était allé étudier le choléra.
À la fin des vacances de Pâques de 1895, l'École normale a fêté joyeusement son centenaire. Un grand et beau livre illustré, historique et biographique a été publié chez Hachette, grâce à une collaboration variée. Nous avions ouvert une souscription, en famille, pour faire face aux dépenses. Le reliquat a été déposé dans la caisse de l'Association des anciens élèves.
SCIENCES MILITAIRES
Le maréchal Vaillant proposait de créer à l'Institut une section des sciences militaires.—Je ne connais pas cela, s'écria M. Chasles. Il y a la science, puis viennent les applications.—On eut beau faire, il ameuta tout le monde contre le projet des spécialistes.
BROUETTES ET OMNIBUS
La brouette, grâce à laquelle le manœuvre ne s'épuise plus à transporter directement les fardeaux, et l'omnibus, le vulgaire omnibus chanté comme symbole du progrès par Edmond About, ces deux inventions fort pratiques sont dues, dit-on, au grand Pascal.
Le fait a été contesté (voir l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux du 10 mai 1891).
BONNE POLITIQUE
Sous le second Empire, Cauchy, professeur à la Faculté des sciences, fut dispensé d'un serment qu'il avait refusé en 1830. La même exception fut faite en faveur d'Arago, directeur de l'Observatoire, vulgarisateur et historien des sciences.
PRÉCOCITÉ
Pascal enfant ayant demandé ce que c'était que la géométrie, on s'était borné à lui répondre qu'il s'agissait de faire des figures exactes et de trouver les proportions qu'elles avaient entre elles. Sur cette seule indication et sans aucun livre, Pascal devina tout le commencement d'Euclide jusqu'à la trente-deuxième proposition.
Lagrange disait en 1801 à propos de Cauchy: vous voyez ce petit jeune homme, eh bien! il nous remplacera tous, tant que nous sommes de géomètres.
Parmi les mathématiciens précoces on peut citer encore Huygens, Clairaut et J. Bertrand.
TOMBEAU D'ARCHIMÈDE
Je mis tous mes soins à découvrir ce tombeau. Les Syracusains m'affirmaient qu'il n'existait point. À force de recherches, je le trouvai enfin, couvert de ronces et de broussailles. Je fus guidé, dans cette découverte, par quelques lignes d'une inscription qu'on disait avoir été gravées sur le monument, et qui se rapportaient à une sphère et à un cylindre, posés au sommet du tombeau. Parcourant des yeux les nombreux tombeaux qui se trouvent vers la porte d'Agrigente, j'aperçus une petite colonne qui s'élevait au-dessus des buissons: il y avait la figure d'une sphère et d'un cylindre[4]. Je m'écriai aussitôt devant les principaux habitants de Syracuse qui m'accompagnaient. Voilà ce que je cherche! Beaucoup se jetèrent alors sur les broussailles pour les couper et mettre l'emplacement à découvert. Ce travail achevé, nous nous approchâmes de la colonne. Nous vîmes l'inscription à moitié rongée par le temps. Ainsi, la plus noble et jadis la plus instruite des cités de la Grèce ignorerait la place du tombeau du plus ingénieux de ses citoyens, si un inconnu d'Arpinum n'était pas venu la lui apprendre.
Cicéron.
ATTRACTION UNIVERSELLE
Nous sommes redevables de cette importante découverte à feu M. Newton. Ce grand philosophe et mathématicien anglais se trouvait un jour couché dans un jardin, sous un pommier, une pomme lui tomba sur la tête, et lui fournit l'occasion de faire plusieurs réflexions. Il conçut bien que c'était la pesanteur qui avait fait tomber la pomme, après qu'elle eut été dégagée de la branche, peut-être par le vent ou quelque autre cause. Cette idée paraissait fort naturelle, et tout paysan aurait peut-être fait la même réflexion; mais le philosophe anglais allait plus loin. Il faut, dit-il, que l'arbre ait été fort haut; et c'est ce qui lui fit former la question si la pomme serait aussi tombée en bas dans le cas où l'arbre aurait été encore beaucoup plus haut, ce dont il ne pouvait pas douter.
Mais si l'arbre avait été si haut qu'il parvînt jusqu'à la lune, il se trouva embarrassé de décider si la pomme tomberait ou non. En cas qu'elle tombât, ce qui lui paraissait pourtant fort vraisemblable, puisqu'on ne saurait concevoir un terme, dans la hauteur de l'arbre, où la pomme cesserait de tomber; dans ce cas, il faudrait que la pomme eût encore quelque pesanteur qui la pousserait vers la terre: donc, parce que la lune se trouverait au même endroit, il faudrait qu'elle fût poussée vers la terre par une force semblable à celle de la lune. Cependant, comme la lune ne lui tombait point sur la tête, il comprit que le mouvement en pourrait être la cause, de la même manière qu'une bombe peut passer au-dessus de nous sans tomber verticalement en bas. Cette comparaison du mouvement de la lune avec une bombe le détermina à examiner plus attentivement la chose, et, aidé des secours de la plus sublime géométrie, il trouva que la lune suivait dans son mouvement les mêmes règles qu'on observe dans le mouvement d'une bombe; de sorte que s'il était possible de jeter une bombe à la hauteur de la lune et avec la même vitesse, la bombe aurait le même mouvement que la lune. Il a seulement remarqué cette différence, que la pesanteur de la bombe à cette distance de la terre serait beaucoup plus petite qu'ici-bas.
Euler.
On rapporte que Newton, voulant calculer la quantité dont la lune tombe vers la terre en une seconde et ayant disposé les opérations arithmétiques, reconnut qu'il allait obtenir ce qu'il pressentait. Son émotion fut si grande qu'il ne put continuer le calcul et qu'il fallut qu'un de ses élèves l'achevât.
TOUT PAR DIX
Lors de la création du système métrique, on avait songé à diviser le jour en vingt heures, chaque heure en cent minutes, etc., et la circonférence en quatre cents grades, le grade en cent minutes, etc. Cette question de la décimalisation du temps et de la circonférence revient sur l'eau aujourd'hui.
PRÊTRES MENACÉS
Au plus fort de la Terreur, Lalande, quoique paroissien médiocre, cacha à l'Observatoire plusieurs prêtres menacés de mort. «Je vous ferai passer, leur dit-il, pour des élèves astronomes: nous nous occupons du Ciel, vous et moi.»
CIEL EN CRISTAL
Le ciel est ce qui tourne incessamment autour de la terre et de la mer sur deux pivots qui forment les extrémités d'un axe: car en ces endroits, la puissance qui gouverne la nature a fabriqué et mis ces pivots comme deux centres, l'un au-dessus de la terre et de la mer, en haut du ciel et derrière les étoiles du septentrion, l'autre à l'opposé, sous la terre, vers le midi; et autour de ces deux pivots, comme autour de deux centres, elle a mis de petits moyeux, pareils à ceux d'une roue et d'un tour, sur lequel le ciel tourne continuellement.
Vitruve.
On voit, par ce passage, que les anciens ont cru à l'existence de cieux solides de cristal, tournant sur deux pivots matériels.
À ATHÈNES
Lysias apprit à la fois l'arithmétique par principes et en se jouant: car pour en faciliter l'étude aux enfants, on les accoutume tantôt à partager entre eux, selon qu'ils sont en plus grand ou en plus petit nombre, une certaine quantité de pommes ou de couronnes; tantôt à se mêler, dans leurs exercices, suivant des combinaisons données, de manière que le même occupe chaque place à son tour. Apollodore ne voulut pas que son fils connût ni ces prétendues propriétés que les Pythagoriciens attribuent aux nombres, ni l'application qu'un intérêt sordide peut faire du calcul aux opérations du commerce. Il estimait l'arithmétique, parce qu'entre autres avantages elle augmente la sagacité de l'esprit et le prépare à la connaissance de la géométrie et de l'astronomie.
Lysias prit une teinture de ces deux sciences. Avec le secours de la première, il pourrait plus aisément asseoir un camp, presser un siège, ranger des troupes en bataille, les faire rapidement mouvoir dans une marche ou dans une action. La seconde devait la garantir des frayeurs que les éclipses et les phénomènes extraordinaires inspiraient il n'y a pas longtemps aux soldats.
Abbé Barthélemy.
PORTRAIT CHERCHÉ
La ville de Dax, patrie du chevalier de Borda, né en 1733 et mort en 1799, devait élever une statue à cet illustre ingénieur, géomètre et marin.
Le comité chargé de recueillir les souscriptions a rapidement trouvé les fonds nécessaires, mais il a été en présence d'une difficulté sérieuse, qui a menacé même de réduire à néant ses patriotiques intentions: on ne possédait aucun portrait du chevalier de Borda. Le comité fit appel à tous ceux qui pouvaient détenir un buste, un portrait ou une miniature. Peine inutile: Borda n'avait jamais songé à poser devant un statuaire ou un peintre quelconque.
On se trouvait donc exposé à un avortement imprévu quand on se souvint qu'il y avait à Brest un vaisseau portant le nom de Borda, à bord duquel était installée l'école navale. On sut que la poulaine de ce navire était ornée d'un buste doré: ce ne pouvait être que celui du chevalier de Borda. On s'adressa donc à la marine pour en obtenir une photographie. La difficulté allait donc être tranchée. Erreur! Le vaisseau le Borda, avant de recevoir ce nom illustre, avait été baptisé du nom de Valmy et l'on apprit en même temps que le buste qui en ornait la poulaine était celui de Kellermann, le vainqueur des Prussiens en 1792. Mais en poursuivant les recherches, on parvint à trouver dans le Musée naval du port de Brest, où Borda a longtemps servi comme ingénieur et comme inspecteur général des constructions, non pas un buste mais bien deux, portant son nom, au milieu de beaucoup d'autres bustes portant les noms illustres de Jean-Bart, de Vauban, etc. Mais, nouvelle cause d'indécision, ces deux bustes ne se ressemblent pas: l'un représente les traits d'un personnage gras et suffisamment joufflu; l'autre présente l'aspect d'un homme maigre et fluet. Lequel des deux bustes est le bon? Les deux assurément, si ce que l'on suppose est fondé, à savoir que l'un, le fluet, a dû représenter Borda dans sa jeunesse, et l'autre, le joufflu, dans son âge mûr, à une époque où le chevalier a dû prendre de l'embonpoint. À moins que ce ne soit ni l'un ni l'autre, ce qui serait regrettable mais ce qu'on ne saurait supposer.
Quoi qu'il en soit, la Marine se rendant au désir de la ville de Dax, a expédié au comité d'organisation la photographie des deux bustes dissemblables qu'elle possède. On a choisi et la statue de Borda a été érigée le 24 mai 1891.
SURSUM CORDA.
Une grande erreur est de penser que l'enthousiasme est inconciliable avec les vérités mathématiques. Je suis persuadé qu'il est tel problème, de calcul, d'analyse de Kepler, de Galilée, de Newton, d'Euler, la solution de telle équation, qui supposent autant d'invention, d'inspiration que la plus belle ode de Pindare. Ces pures et incorruptibles formules, qui étaient avant que le monde fût, qui seront après lui, qui dominent tous les temps, tous les espaces, qui sont, pour ainsi dire, une partie intégrante de Dieu, ces formules sacrées qui survivront à la ruine de tous les univers, mettent le mathématicien qui mérite ce nom, en communication avec la pensée divine. Dans ces vérités immuables, il savoure le plus pur de la création; il prie dans sa langue. Il dit au monde comme cet ancien: «Faisons silence, nous entendrons le murmure des dieux!»
Edgard Quinet.
Il est des vérités scientifiques, dit Descartes, qui sont des batailles gagnées; racontez aux jeunes gens les principales et les plus héroïques de ces batailles: vous les intéresserez aux résultats mêmes des sciences, et vous développerez chez eux l'esprit scientifique, au moyen de l'enthousiasme pour la conquête de la vérité; vous leur ferez comprendre la puissance de raisonnement qui a amené les découvertes actuelles et en amène d'autres. Quel intérêt prendraient l'arithmétique et la géométrie, si l'on joignait un peu de leur histoire à l'exposition de leurs principales théories, si l'on assistait aux efforts des Pythagore, des Platon, des Euclide, ou, plus tard des Viète, des Pascal, des Leibniz! Les grandes théories, au lieu d'être des abstractions mortes et anonymes, deviendraient des vérités vivantes, humaines, ayant leur histoire, comme une statue qui est de Michel-Ange, comme un tableau qui est de Raphaël.
Alfred Fouilliée.
PRÉCURSEUR
D'après Grégori et Maclaurin, Pythagore aurait deviné la loi précise de la gravitation universelle. Voici un curieux extrait du premier de ces savants:
Une corde de musique, dit Pythagore, donne les mêmes sons qu'une autre corde, dont la longueur est double, lorsque la tension ou la force avec laquelle la dernière est tendue est quadruple; et, la gravitation d'une planète est quadruple de la gravitation d'une autre, qui est à distance double. En général, pour qu'une corde de musique puisse devenir à l'unisson d'une corde plus courte de même espèce, sa tension doit être augmentée dans la même proportion que le carré de sa longueur est plus grand; et afin que la gravité d'une planète devienne égale à celle d'une autre planète plus proche du soleil, elle doit être augmentée à proportion que le quarré de sa distance au soleil est plus grand. Si donc nous supposons des cordes de musique tendues du soleil à chaque planète, pour que ces cordes deviennent à l'unisson, il faudrait augmenter leur tension, dans les mêmes proportions qui seraient nécessaires pour rendre les gravités des planètes égales. C'est de la similitude de ces rapports que Pythagore a tiré sa doctrine de l'harmonie des sphères.
COURTISANS
Louis XVIII dit, un jour, à un mathématicien célèbre: «Monsieur, vous pourriez peut-être m'aider à résoudre un problème? Comment se fait-il qu'ayant été accompagné par une cinquantaine de personnes quand je suis parti pour Gand, j'en trouve aujourd'hui dix mille qui prétendent y avoir été avec moi?»
UN DUEL
Né en 1811, Évariste Galois, mathématicien de génie, est mort à vingt ans dans un duel. M. P. Dupuy a publié, en 1896, une notice sur Galois, dans les Annales de l'École normale supérieure et il a reconstitué, avec un soin extrême, une vie malheureuse et peu connue.
VÉRITÉ HISTORIQUE
Dans le premier volume de son Cours d'études historiques, Daunou explique assez longuement pourquoi, suivant lui, le calcul n'est pas applicable à l'appréciation des témoignages en histoire.
On trouve sur le même sujet, dans les Indications de Clio par Zchokke, cette anecdote assez curieuse. Un amateur avait enregistré, d'après les journaux du temps, le nombre des victimes de la Révolution et des guerres de l'Empire. Il était arrivé ainsi au total de 142.214.817 morts et il allait publier ce grand nombre avec détails et preuves à l'appui, lorsqu'un ami lui fit remarquer l'absurdité du résultat. L'Europe ne comptait que cent quatre-vingts millions, de sorte que les journalistes l'avaient presque dépeuplée en vingt ans!
LÉGENDE
J'ai entendu dire qu'aux environs de Naucratis d'Égypte exista un des plus anciens dieux, celui auquel est consacré l'oiseau qu'on appelle Ibis: que son nom est Theut, et que le premier, il avait découvert le Nombre, le Calcul, la Géométrie, les Dames et les Dés.
Platon (Phèdre.)
INVENTEURS
N'est-il pas, pour le moins, aussi nécessaire d'enseigner les ressources employées, à diverses époques, par les hommes de génie, pour parvenir à la vérité, que les efforts pénibles qu'ils ont été ensuite obligés de faire pour la démontrer selon le goût des esprits ou timides ou peu capables de se mettre à leur portée?
Poncelet.
DOCUMENTS
Que, dans l'étude des mathématiques, on fasse table rase du passé, qu'on les enseigne dégagées de tout document historique, cela n'est pas sans inconvénients.
J.-B. Dumas.
NAPOLÉON
Arago rapporte ces paroles de Napoléon à M. Lemercier, membre de l'Institut:
«Pensez-vous que si je n'étais pas devenu général en chef et l'instrument d'un grand peuple, j'aurais couru les bureaux et les salons pour me mettre dans la dépendance de qui que ce fût, en qualité de ministre ou d'ambassadeur? Non, non! je me serais jeté dans l'étude des sciences exactes, j'aurais fait mon chemin dans la route des Galilée et des Newton; et puisque j'ai réussi constamment dans mes grandes entreprises, eh bien! je me serais hautement distingué aussi par des travaux scientifiques; j'aurais laissé le souvenir de belles découvertes: aucune autre gloire n'aurait pu tenter mon ambition.»
On conserve aux Archives de l'Institut un rapport de Laplace, Bonaparte et Lacroix (23 octobre 1799) sur un mémoire de Biot intitulé: Considérations sur les équations aux différences mêlées.
Napoléon trouvait avec une facilité prodigieuse la solution de problèmes géométriques très compliqués. Il étonnait Monge lui-même.
EXPÉRIMENTONS
Les progrès des sciences expérimentales ont insensiblement amené les esprits à concevoir toute science sur leur modèle. Le type de certitude scientifique était autrefois la démonstration géométrique; c'est maintenant la vérification expérimentale. Non que les mathématiques aient rien perdu, à nos yeux, de leur inflexible rigueur, et d'ailleurs, la possibilité d'une mesure exacte avec la réduction à une formule mathématique est de plus en plus le signe d'une théorie scientifique faite; mais nous regardons moins volontiers du côté de la géométrie pure.
Ollé-Laprune.
Les mathématiques, transcendantes surtout, ne conduisent à rien de précis sans l'expérience: c'est une espèce de métaphysique générale où les corps sont dépouillés de leurs qualités individuelles;—il resterait à faire un grand ouvrage qu'on pourrait appeler l'Application de l'Expérience à la Géométrie ou Traité de l'Aberration des Mesures.
Diderot.
À l'aide de quelques axiomes, tirés soit de l'esprit humain, soit de l'observation et en procédant uniquement par voie de raisonnement, la géométrie avait commencé, dès le temps des Grecs, à élever ce merveilleux édifice, qui a subsisté et qui subsistera toujours sans aucun changement essentiel. La logique règne ici en souveraine, mais c'est dans le monde des abstractions. Les déductions mathématiques ne sont certaines que pour leur ordre même; elles n'ont aucune existence effective en dehors de la logique. Si on les applique à l'ordre des réalités, elles y constituent un instrument puissant, mais elles ne sont pas autre chose; leurs affirmations tombent aussitôt sous la condition commune, c'est-à-dire que les prémisses doivent être tirées de l'observation, et que la conclusion doit être contrôlée par cette même observation.
Berthelot.
Les sciences de la matière relèvent toutes, sans exception, des sciences de l'esprit, parmi lesquelles on doit ranger les mathématiques... Pas une application ne serait possible sans le secours de leurs formules abstraites, pas le plus petit progrès sans leur concours et leur permission.
Charraux.
Dans les mathématiques, on suit surtout une méthode déductive.
Une science ne peut être considérée comme arrivée à la perfection que quand, à l'exemple des mathématiques, toutes les vérités partielles peuvent être démontrées à l'aide de quelques axiomes généraux.
La division des sciences en inductives et déductives ne se rapporte qu'à leur développement successif. Plus la science est parfaite, plus la déduction y a d'application.
Bougaev.
HARDIESSE
La théorie des parallèles n'a fait aucun progrès depuis Euclide jusqu'au commencement de notre siècle. Tous les efforts pour démontrer le postulatum d'Euclide ou une proposition équivalente étaient restés infructueux, lorsque Lobattcheffsky en 1829 et Bolyai en 1832, changeant résolument de voie, conçurent et exécutèrent séparément le projet hardi de supposer que la proposition n'était pas vraie et de constituer un nouveau système de géométrie non contradictoire, en poussant jusqu'à ses dernières limites le développement de leur hypothèse. Gauss qui par ses propres méditations avait obtenu les mêmes résultats dès 1792, sans toutefois avoir rien publié sur ce sujet, assura par son patronage le succès de l'œuvre de Lobattcheffsky qui, écrivait-il à Schumacher «avait traité la matière de main de maître». Depuis lors, un grand nombre de géomètres, parmi lesquels il faut surtout citer Riemann et Beltrami, ont considérablement agrandi le champ de ces spéculations.
Rouché.
PREMIÈRE SCIENCE
Les mathématiques étant une science de raisonnement, dans laquelle l'observation n'a presque rien, et l'expérience absolument rien à faire, a dû être constituée longtemps avant les autres sciences. Il est clair que pour compter ou pour comparer des grandeurs entre elles, l'homme n'a pas eu besoin de connaître la nature. Le calcul et la géométrie se sont donc formés dans une indépendance absolue vis-à-vis des autres catégories de connaissances. Mais, par cela même, le calcul et la géométrie ont eu pendant des siècles, un développement de perfection très supérieur à ce qu'exigeaient les besoins de la vie en société. Chez les Anciens, les seuls esprits cultivés jouissaient de la contemplation des vérités abstraites formulées par Pythagore, Archimède et Euclide. Aussi ces vérités indispensables à l'établissement des sciences d'observation comme l'astronomie, et des sciences expérimentales comme la physique, étaient-elles condamnées à attendre que le développement de la vie collective eût acquis des proportions convenables.
Foucou.
CANONISÉS
Saint Anatolius est l'auteur d'Institutions arithmétiques.
Gerbert, devenu pape sous le nom de Saint Sylvestre II, était un remarquable mathématicien.
Saint Guillaume d'Hirschau a écrit sur le comput ecclésiastique et inventé des instruments d'astronomie.
Enfin, d'après Cantor, l'historien des mathématiques, Boèce, et Symmaque, auraient aussi été canonisés.
Voici un extrait de la préface janséniste d'une géométrie réformatrice due à Arnauld:
«Entre les exercices humains qui peuvent le plus disposer l'esprit à recevoir les vérités Chrestiennes avec moins d'opposition et de dégoust, il semble qu'il n'y en ait guères de plus propre que la géométrie. Car rien n'est plus capable de détacher l'âme de cette application aux sens, qu'une autre application à un objet qui n'a rien d'agréable selon les sens; et c'est ce qui se rencontre parfaitement dans cette science. Elle n'a rien du tout qui puisse favoriser tant soit peu la pente de l'âme vers les sens; son objet n'a aucune liaison avec la concupiscence; elle est incapable d'éloquence et d'agrément dans le langage; rien n'y excite les passions; elle n'a rien du tout d'aimable que la vérité, et elle la présente à l'âme toute nue et détachée de tout ce que l'on aime de plus dans les autres choses.»
Agripa, l'auteur du Traité de la vanité des sciences, est d'avis différent:
«Combien que ces disciplines (les mathématiques) n'aient causé en l'Église de Dieu guères d'hérésies, ou point du tout, si est ce que comme dit Saint Augustin, elles sont inutiles à notre salut, plutôt nous détournant de Dieu, et induisant à pécher que autrement; et ne sont ainsi que Saint Hierome affirme, sciences de personnes craignans Dieu.»
Michelet fait, dans son Journal, cette déclaration assez inattendue de sa part. «J'aime assez ce régime: les mathématiques et l'Évangile; il y a là tout ce qu'il faut pour l'âme.»
LANGUE ET LITTÉRATURE
ÉTYMOLOGIES
Calcul vient du mot latin signifiant caillou, parce qu'on comptait jadis avec des cailloux, d'où le titre l'Arénaire d'un ouvrage d'Archimède. Au xiie siècle, l'indien Bhâscara a fait un livre, le Bijaganitam, sur le comptage à l'aide des graines.
Au xvie siècle, nous nous servions de jetons: «Enseigne l'arithmétique et calcul, tant au jet qu'à la plume.» Au début de la comédie de Molière, c'est à l'aide de jetons que le malade imaginaire additionne le compte de son apothicaire. Madame de Sévigné écrit à sa fille qu'elle vient de faire le compte de sa fortune «avec les jetons de l'abbé (de Coulanges), qui sont si justes et si bons.»
Le mot calcul a conservé son sens étymologique, lorsqu'il s'agit des petites pierres qui se forment dans la vessie. (Maladie de la pierre.)
Les étymologies de calcul, arithmétique et géométrie, sont claires, mais algèbre viendrait de l'arabe Al-jèbr, raccorder un membre, rétablir le tout d'après ses parties? En espagnol, algébriste signifie chirurgien.
TRIGONOMÉTRIE DRAMATIQUE
Lisez le roman de Jules Verne intitulé: Histoire de trois Russes et de quatre Anglais. Il est question des angles adjacents à la base du 8e triangle, du 103e logarithme de la table de Volaston, d'un calculateur menacé par les crocodiles, de deux registres volés par des singes, etc., etc. «Trianguler ou mourir», voilà la devise de ces fiers opérateurs.
Les aventures réelles de Delambre et Méchain, puis de Biot et Arago sont autrement émouvantes. (Voyez La mesure du mètre, un petit livre de W. de Fonvielle.)
BIEN RÉDIGER
À la suite d'une étude de M. J. Liouville, élève-ingénieur, insérée en 1830 dans les Annales de Mathématiques, le rédacteur, Gergonne avait écrit.
«Je crois devoir m'excuser vis-à-vis du lecteur de lui livrer un mémoire aussi maussadement, je puis dire aussi inintelligiblement rédigé...
Je ne prétends contester aucunement la capacité mathématique de M. Liouville: mais à quoi sert cette capacité, si elle n'est accompagnée de l'art de disposer, de l'art de se faire lire, entendre et goûter. Malheureusement, il n'est aujourd'hui que trop de jeunes gens, de beaucoup de mérite d'ailleurs qui regardent, comme un accessoire indifférent ce que je regarde, moi, comme le mérite essentiel, le mérite par excellence, au défaut duquel tout le reste n'est absolument rien.»
On sait que Liouville a fondé le célèbre Journal de Mathématiques qui porte encore son nom.
THÉÂTRE SCIENTIFIQUE
Sous ce titre, M. de Mirval a essayé de dramatiser plusieurs épisodes de la vie des savants, par exemple, les persécutions de Kepler. Ponsard avait déjà fait un Galilée en cinq actes. Enfin Louis Figuier, le célèbre vulgarisateur, a aussi publié des pièces curieuses à données scientifiques: la Science au théâtre, 2 vol.
UN VAUDEVILLE
Lors de l'invention du calcul infinitésimal, il donna lieu à un vaudeville et à un air intitulé: les Infiniment petits, où l'on plaisantait sur la frêle santé du marquis de l'Hôpital et sur les caprices de la marquise.
Madame de l'Hôpital a réfuté, dans le Journal des Savants de 1691, les théories géométriques d'un nommé Lamontre.
LES MATHÉMATICIENS
C'est là le titre d'une comédie du hollandais Langendick (1715); il s'agit d'un tuteur bafoué, comme d'habitude, par son pupille, pendant qu'il disserte sur les sciences avec un vieil ami.
ÊTRE SUR SON TRENTE ET UN
Au moyen-âge, des règlements fort sévères punissaient non seulement les ouvriers qui avaient employé dans leur fabrication des matières premières avariées, mais encore ceux qui ne donnaient pas à leurs produits les formes et les dimensions requises. En ce qui concernait les tisserands de laine, ces règlements allaient jusqu'à fixer le nombre de fils dont devait se composer la trame.
On trouve à ce sujet des détails curieux dans l'Histoire de l'industrie française, d'Alexis Monteil. Le collage de la chaîne, le foulage, le feutrage, le soufrage, le calendrage, tout est prévu, sans oublier la longueur ni la largeur de la pièce; et le contrevenant pouvait être condamné, en certain cas, à avoir le poing coupé, «ce qui était bien fait, car les honnêtes tisserands voulaient conserver leurs deux mains».
Suivant la qualité des draps, la trame devait se composer de 1400 ou de 1800 fils. Pour le drap fin destiné aux vêtements de luxe, le nombre de fils était de 30 fois 100 fils; ce qui fit donner à ce drap le nom de trentain.
Porter du trentain était donc le fait d'un homme riche qui ne regardait pas aux dépenses de la toilette.
Trentain, terme technique, se métamorphosa facilement en trente-un dans la bouche de ceux qui ne connaissaient pas l'origine de cette appellation; et comme l'usage a prévalu de dire trente et un, ces mots sont restés pour désigner une toilette soignée.
BIBLIOGRAPHIE
Ne pas prendre le Traité de la Roulette, de Pascal, pour une étude sur le jeu du même nom: il s'agit de la courbe appelée aussi cycloïde.
Bien se garder de confondre le Traité des Fluxions, de Newton ou de Maclaurin, ni une étude sur les Caustiques, avec un livre de médecine.
Les deux plus anciens manuscrits français d'algorithme et de géométrie sont à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Ils datent de 1275 et ont été publiés par M. Charles Henry.
On a un traité d'arithmétique imprimé à Trévise en 1478 et deux à Bamberg en 1482 et 1483. L'allemand Ratdolt, mort en 1505, a imprimé le premier des figures dans un texte de mathématiques.
RÉPERTOIRE
D'après le Répertoire bibliographique des sciences mathématiques, en voie de publication, les écrits sont répartis d'après leur objet, indépendamment des méthodes, en classes désignées par une lettre capitale; les classes seront subdivisées en sous-classes désignées par la lettre capitale de la classe affectée d'un exposant; les classes et les sous-classes sont partagées en divisions désignées par un chiffre arabe; les divisions en sections désignées par une minuscule latine; les sections en sous-sections représentées par une minuscule grecque. La notation relative à un écrit mathématique est notée dans un encadrement rectangulaire. Ainsi
L14bx
est la notation qui désigne un mémoire traitant des propriétés du lieu géométrique d'un angle droit circonscrit à une conique.
En effet L signifie coniques et quadriques; L1, coniques; L14, tangentes aux coniques; L14b, tangentes aux coniques faisant un angle donné; la sous-section α traite du cas où l'angle est droit.
Les auteurs ou éditeurs d'écrits mathématiques originaux sont priés d'accompagner le titre de ces écrits de la notation symbolique qui indique leur place dans la classification du répertoire.
Le Secrétaire de la commission permanente du Répertoire est M. Laisant, 162, avenue Victor Hugo, à Paris.
Le répertoire paraît chez Gauthier-Villars par séries de 100 fiches in-32, à 2 fr. la série. Les 5 premières séries sont en vente.
FIGURES
On ne saurait contester les relations des mathématiques avec la littérature. La rhétorique sacrée ou profane lui emprunte ses plus belle figures. Le Nouveau-Testament abonde en paraboles; les écrivains anciens et modernes ont fait avec succès usage de l'ellipse et du cercle; tel orateur véhément a recours à l'hyperbole; tel autre a fait briller ses arguments sous les vives couleurs du prisme. Certain grand général n'a-t-il pas eu l'heureuse inspiration d'associer la beauté géométrique des pyramides à leur fabuleuse antiquité?
GRAVITATION
Dans le centre éclatant de ces orbes immenses,
Qui n'ont pu nous cacher leur marche et leurs distances,
Luit cet astre du jour par Dieu même allumé,
Qui tourne autour de soi sur son axe enflammé;
De lui partent sans fin des torrents de lumière;
Il donne, en se montrant, la vie à la matière,
Il dispense les jours, les saisons et les ans
À des mondes divers autour de lui flottants.
................
Par delà tous ces cieux, le Dieu des cieux réside.
Voltaire.
Pourquoi ces mouvements et ces orbes divers
Que six mondes errants tracent dans l'univers?
Quel pouvoir auprès d'eux retient leurs satellites?
Où l'ardente comète a-t-elle ses limites?
Pourquoi l'astre du jour, sur son axe agité,
Vers le centre commun semble-t-il arrêté?
Tout fut lancé des mains du créateur suprême.
Tout pèse, attire, fuit, par un destin pareil;
Le moindre grain de sable attire le soleil.
Soumis aux mêmes lois, doués d'une puissance
Qui s'accroît par leur masse et perd par la distance,
Les astres voyageurs dans les plaines du ciel
Exercent l'un sur l'autre un effort mutuel.
Daru.
ÉVANOUISSEMENT
«Que dites-vous? Comment? Je n'y suis pas: vous plairait-il de recommencer? Vous voulez, Acis, me dire qu'il fait froid; que ne disiez-vous: il fait froid!»
Ce passage de La Bruyère m'est revenu en mémoire à l'occasion d'une locution nouvelle déjà fort répandue, et qui consiste à nommer variété évanouissante le cas particulier d'une conique qui se réduit à un point ou à deux droites. J'avoue que je n'ai pas compris tout d'abord. En bon français, une variété évanouissante devrait vouloir dire une variété qui s'évanouit, qui cesse d'exister, en sorte qu'une ellipse qui cependant est un genre et non une variété cesserait d'être une variété quand elle se réduirait à un point. Quel galimatias! Revenons à La Bruyère. «Vous voulez dire, Acis, que votre courbe se réduit à un point ou à deux droites: dites qu'elle se réduit à un point ou à deux droites. Mais, répondez-vous, cela est bien uni et bien clair, et d'ailleurs qui ne pourrait en dire autant? Qu'importe, Acis? Est-ce un si grand mal d'être entendu quand on parle et de parler comme tout le monde?»
Prouhet.
APOLOGUE ORIENTAL
DÉDIÉ À LA COMMISSION DES EXERCICES PHYSIQUES
Un savant s'embarque sur une nacelle pour traverser un large fleuve. Il dit au batelier:
—Connais-tu l'histoire?
—Non.
—Alors tu as perdu la moitié de ta vie. Connais-tu les mathématiques?
—Non.
—Alors tu as perdu les trois quarts de ta vie!
À peine le savant avait-il prononcé ces mots qu'un coup de vent fit chavirer la barque.
—Sais-tu nager? demande à son tour le batelier, au pauvre professeur qui se débattait dans les flots.
—Hélas, non.
—Eh bien, tu as perdu ta vie tout entière.
DIVINE PROPORTION
La locution «Moyenne et extrême raison» viendrait de ce que si l'on considère la petite partie, la grande partie et la droite entière, on peut dire que, dans cet ordre, la raison de l'extrême égale la raison de la moyenne. Quoi qu'il en soit, Lucas de Burgo consacre 66 pages aux mérites d'une proportion qu'il qualifie de divine.
Un moderne, M. de Bonald affirme, dans sa Législation primitive une autre proportion, obscure mais merveilleuse aussi, qui réglerait tout. «On doit donc établir cette proportion générale: la cause est au moyen, ce que le moyen est à l'effet; ce qu'on peut considérer comme une expression algébrique A : B :: B : C, dont on fait l'application à toute sorte de valeurs.»
J.-J. Rousseau avait déjà dit qu'il y a «proportion continue entre le souverain, le prince et le peuple.» Mais il avait ajouté qu'on ne doit pas conclure à une moyenne proportionnelle calculable par racine carrée. «En empruntant un moment des termes de géométrie, je n'ignore pas que la précision géométrique n'a pas lieu dans les quantités morales.»
PHOBOS ET DEIMOS
Ces deux satellites de Mars, récemment découverts, ont été devinés, grâce à un hasard singulier, par Voltaire dans son roman de Micromegas et par Swift qui en attribue l'observation aux astronomes de Laputa.
On lit dans Micromegas: «En côtoyant la planète Mars... nos deux voyageurs virent deux lunes qui servent de satellites à cette planète, et qui ont échappé aux regards de nos astronomes.» Or, ce n'est qu'en 1877 que Hall a découvert les deux satellites de Mars.
FOUGUEUX
Il se livrait à son tempérament d'algébriste. Ce n'était point des chiffres minuscules qu'il employait dans ses calculs, non! c'étaient des chiffres fantaisistes, gigantesques, tracés d'une main fougueuse. Ses 2 et ses 3 s'arrondissaient comme des cocottes de papier; ses 7 se dessinaient comme des potences, et il n'y manquait qu'un pendu; ses 8 se recourbaient comme de larges lunettes; ses 6 et ses 9 se parafaient de queues interminables.
Et les lettres avec lesquelles il établissait ses formules, les premières de l'alphabet, a, b, c, qui lui servaient à représenter les quantités connues ou données, et les dernières, x, y, z, dont il se servait pour les quantités inconnues ou à déterminer, comme elles étaient accusées d'un trait plein, sans déliés, et plus particulièrement ses z, qui se contorsionnaient en zig-zags fulgurants! Et quelle tournure, ses lettres grecques, les π, les λ, les ω etc., dont un Archimède ou un Euclide eussent été fiers!
Quant aux signes, tracés d'une craie pure et sans tache, c'était tout
simplement merveilleux. Ses + montraient bien que ce signe marque
l'addition de deux quantités. Ses-, s'ils étaient plus humbles,
faisaient encore bonne figure. Ses X se dressaient comme des croix de
Saint-André. Quant à ses =, leurs deux traits, rigoureusement égaux,
indiquaient vraiment que J.-T. Maston était d'un pays où l'égalité
n'est pas une vaine formule, du moins entre types de race blanche.
Même grandiose de facture, pour ses <, ses >, pour ses dessinés dans
des proportions extraordinaires. Quant au signe V , qui indique la
racine d'un nombre ou d'une quantité, c'était son triomphe, et,
lorsqu'il le complétait de la barre horizontale pour cette formule:
V
il semblait que ce bras indicateur dépassant la limite du tableau noir, menaçait le monde entier de le soumettre à ses équations furibondes!
Et ne croyez pas que l'intelligence mathématique de J.-T. Maston se bornât à l'horizon de l'algèbre élémentaire! Non! Ni le calcul différentiel, ni le calcul intégral, ni le calcul des variations ne lui étaient étrangers, et c'est d'une main sûre qu'il traçait ce fameux signe de l'intégration; cette lettre effrayante dans sa simplicité,
∫
somme d'une infinité d'éléments infiniment petits!
Il en était de même du signe Σ, qui représente la somme d'un nombre fini d'éléments finis, du signe ∞ par lequel les mathématiciens désignent l'infini, et de tous les symboles mystérieux qu'emploie cette langue incompréhensible du commun des mortels.
Jules Verne.
J.-T. Maston est le héros du roman Sans dessus dessous (1889): des américains achètent la calotte polaire qu'ils veulent utiliser, après avoir changé la direction de l'axe de la terre, à l'aide d'un choc formidable. Malheureusement le calculateur a donné par mégarde 40.000 mètres au lieu de 40.000 kilomètres à la circonférence terrestre.
NERF DE LA GUERRE
Je dois avant tout louer l'activité et le dévouement du vaillant capitaine Tycho-Brahe, qui, sous les auspices des souverains de Danemark, Frédéric et Christian, a, pendant vingt années successives, étudié, chaque nuit et presque sans relâche, toutes les habitudes de l'ennemi, dévoilé ses plans de campagne et découvert les mystères de ses marches. Les observations, qu'il m'a léguées, m'ont aidé à bannir cette crainte vague et indéfinie qu'on éprouve d'abord pour un ennemi inconnu...
Enfin l'ennemi se résigna à la paix, et par l'intermédiaire de sa mère la nature, il m'envoya l'aveu de sa défaite, se rendit prisonnier sur parole, et l'Arithmétique et la Géométrie l'escortèrent sans résistance jusque dans notre camp. Depuis lors, il a montré qu'on peut se fier à sa parole; content de son sort, il ne demande qu'une grâce à Votre Majesté: toute sa famille est dans le ciel; Jupiter est son père, Saturne son aïeul, Mercure son frère, et Vénus son amie et sa sœur; habitué à leur auguste société, il brûle de les retrouver et voudrait les voir avec lui, jouissant, comme il le fait aujourd'hui, de votre hospitalité; il faut pour cela profiter de nos succès et poursuivre la guerre avec vigueur; elle n'offre plus de périls, puisque Mars est en notre pouvoir. Mais je supplie Votre Majesté de songer que l'argent est le nerf de la guerre, et de vouloir bien commander à son trésorier de livrer à votre général les sommes nécessaires pour la levée de nouvelles troupes.
Kepler.
BARÊME SUFFIT
Tu me crois obsédé par un mauvais génie,
Alcippe, tu te plains de l'étrange manie
Qui fait qu'en ma maison devenu prisonnier,
D'un flot d'x et d'y je couvre mon papier.
Laisse là, me dis-tu, l'algèbre et ses formules,
Laisse là ton compas, laisse là tes modules;
C'est un emploi bien triste et des nuits et des jours
Que d'intégrer sans fin et de chiffrer toujours.
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Mais ont-ils ces mortels que le destin caresse,
Au calcul intégral demandé la richesse?
Vois ce vieux financier. Sans cesse à son comptoir,
Il revient supputer son doit et son avoir.
D'enchérir sur Euclide il n'a point la folie;
Il ajoute, soustrait, divise ou multiplie,
Et, de Barême seul écoutant la leçon,
Laisse dormir en paix Descartes et Newton.
Cauchy.
M. Faurie, mort il y a quelques années, avait composé, dit-on, un poème épique sur la guerre de Crimée.
CARRÉ LONG
Ma chambre est située sous le quarante-huitième degré de latitude, selon les mesures du père Beccaria; sa direction est du levant au couchant; elle forme un carré long qui a trente-six pas de tour, en rasant la muraille de bien près. Mon voyage en contiendra cependant davantage; car je la traverserai souvent en long et en large, ou bien diagonalement, sans suivre de règle ni de méthode.—Je ferai même des zig-zags, et je parcourrai toutes les lignes possibles en géométrie, si le besoin l'exige.
X. de Maistre.
BEAUX ESPRITS
L'esprit géométrique donne beaucoup de flegme, de modération, d'attention et de circonspection.
... Tout ce qui fera donc ces esprits brillants, à qui on a donné par privilège le titre de beaux esprits, je veux dire l'abondance, la variété, la liberté, la promptitude, la vivacité; tout cela est directement opposé aux opérations géométriques, qui sont simples, lentes, sèches, forcées et nécessaires.
D. Huet.
Je sais qu'on me dira que les mathématiques rendent particulièrement appliqué; mais elles n'habituent pas à rassembler, à apprécier, à concentrer: l'attention qu'elles exigent, est, pour ainsi dire, en ligne droite.
Mme de Staël.
ÉPIGRAMME
Deux rois de France, Charles VI et Louis XV, ont reçu à tort le surnom de bien-aimé.
Les Parisiens firent au dernier cet épitaphe:
Ci-gît Louis le quinzième,
Du nom de bien-aimé le deuxième;
Dieu nous préserve du troisième!
IMAGE
Platon dit que la ligne droite est celle «dont les points milieux ombragent les extrêmes». Il dit aussi que «le plan est une surface dont les parties du milieu ombragent les extrêmes». Ces définitions, qui font image, sont pleines de grâce et de poésie.
ICONOLOGIE
La géométrie est représentée par une femme, d'âge moyen, couverte d'un voile blanc et transparent. Un globe est à ses pieds et elle trace, avec un compas, un cercle sur un papier où sont déjà d'autres figures.
TROIS-SIX
On désigne, sous cette brève indication, l'alcool dont la force est telle qu'avec trois parties de cet alcool et trois d'eau, on fait six parties d'alcool ordinaire.
SYNTAXE
La syntaxe française est incorruptible. C'est de là que résulte cette admirable clarté, base éternelle de notre langue... On dirait que c'est d'une géométrie tout élémentaire, de la simple ligne droite, que s'est formée la langue française.
Rivarol.
SCIENCES OU LETTRES?
Votre république dose, mesure et règle l'homme; la mienne l'emporte en plein azur; c'est la différence qu'il y a entre un théorème et un aigle.
—Tu te perds dans le nuage.
—Et vous dans le calcul.
—Il y a du rêve dans l'harmonie.
—Il y en a aussi dans l'algèbre.
Je voudrais l'homme fait par Euclide.
—Et moi, dit Gauvain, je l'aimerais mieux fait par Homère.
—.........
—..... La république, c'est deux et deux font quatre. Quand j'ai donné à chacun ce qui lui revient...
Victor Hugo.
ADMIRATION
L'étrangeté de cette science m'étonnait; rien ne m'y avait préparé dans ma vie. Tout était également nouveau, inattendu, comme si j'eusse respiré sur une autre planète perdue aux confins de l'univers. Et je n'étais pas assez fantasque pour ne pas jouir de ces vérités inébranlables, les mêmes partout, les seules qui m'eussent donné jusque là le sentiment de la certitude. C'étaient à mes yeux comme des colonnes d'émeraude, fixes, immuables, qui se dressaient tout à coup au milieu du chaos que mon intelligence enfermait. Je m'appuyais avec sécurité sur ces colonnes; le monde se raffermissait à mes yeux, et j'osais m'engager plus avant.
J'aimais comme un Pythagoricien la pureté incorruptible de la géométrie. M. Clerc, intraitable sur les figures que nous devions tracer comme au burin, faisait de cette incorruptibilité un devoir. La langue de l'algèbre, mystérieuse et lumineuse, me saisissait. Ce que j'admirais surtout dans cet idiome, c'est qu'il ne consent à exprimer que des vérités générales, universelles, et qu'il dédaigne les vérités particulières. Je lui attribuais en cela une fierté que je refusais aux idiomes humains; à ce point de vue l'algèbre me semblait la langue du Dieu de l'esprit.
Je comprenais assez bien aussi le genre de style propre à l'algèbre; j'étais frappé de l'art avec lequel les mathématiciens éloignent, rejettent, éliminent peu à peu tout ce qui est inutile pour arriver à exprimer l'absolu, avec le plus petit nombre possible de termes, tout en conservant dans l'arrangement de ces termes un choix, un parallélisme, une symétrie qui semble être l'élégance et la beauté visible d'une idée éternelle.
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Si l'algèbre m'avait frappé, je fus ébloui par l'application de l'algèbre à la géométrie... L'idée, la possibilité d'exprimer une ligne, une courbe par des termes algébriques, par une équation, me parut aussi belle que l'Iliade. Quand je vis cette équation fonctionner et se résoudre, pour ainsi dire, toute seule, entre mes mains, et éclater en une infinité de vérités, toutes également indubitables, également éternelles, également resplendissantes, je crus avoir en ma possession le talisman qui m'ouvrait la porte de tous les mystères.
Edgard Quinet.
E. Quinet s'est préparé à l'École polytechnique, comme Victor Hugo et Sully-Prudhomme.
EN MORALE
Les mathématiques rendent l'esprit juste en mathématiques, tandis que les lettres le rendent juste en morale.
J. Joubert.
PASCAL
Il y avait un homme qui, à douze ans, avec des barres et des ronds avait créé les mathématiques; qui, à seize, avait fait le plus savant traité des coniques qu'on eût vu, depuis l'antiquité; qui, à dix-neuf, réduisait en machine une science qui existe tout entière dans l'entendement; qui, à vingt-trois, démontra les phénomènes de la pesanteur de l'air et détruisit une des plus grandes erreurs de l'ancienne physique; qui, à cet âge où les autres hommes commencent à peine à naître, ayant achevé de parcourir le cercle des connaissances humaines, s'aperçut de leur néant et tourna toutes ses pensées vers la religion.
Chateaubriand.
Peut-être ce singulier phénomène (la supériorité de Pascal comme écrivain) doit-il en partie s'expliquer par l'influence même des études abstraites qu'avait embrassées Pascal à une époque où ces hautes connaissances, destituées encore de la perfection et de la facilité des méthodes, imposaient à l'esprit l'effort d'une création continuelle. Tout était originalité dans une étude incomplète et renaissante. Une sorte d'enthousiasme et d'imagination élevée s'attachait à tous les essais de la science. L'amour de la vérité est une source sublime à laquelle Pascal puisait; il en tira son éloquence. Le bon goût, le mépris des faux ornements et de la vaine Rhétorique naquirent pour lui de la grandeur des objets dont il avait occupé son intelligence. L'originalité le suivit de la Géométrie dans les lettres; il inventa son langage comme il avait trouvé ses méthodes en géométrie, et il enleva à sa science favorite cette vigueur de déduction et ces raisonnements irrésistibles qui devinrent les armes de sa parole.
Villemain.
HEUREUX
Que les Géomètres sont heureux!
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Oh! produire une indiscutable beauté, comme celle d'un théorème démontré avec une simplicité ingénieuse, avec élégance en un mot, et d'une si haute portée que la prédiction d'un mouvement céleste en dépende! Vous est-il permis, à vous autres artistes, à vous surtout poètes, de goûter jamais le tranquille orgueil d'une création pareille?
Sully-Prudhomme.
BEAUTÉ DE LA SCIENCE
De l'œuvre d'un Fresnel, d'un Ampère, d'un Cauchy, d'un Chasles, d'un Bernard, d'un Pasteur, d'un Berthelot, pour ne citer que des noms appelés à rester l'éternel honneur de notre pays et de notre temps, pouvons-nous admirer la beauté moins que la grandeur et l'utilité incomparables? En lisant les mémoires de Gauss, dont l'âge bientôt séculaire n'a pas encore terni l'exquise fraîcheur, ne retrouvons-nous pas à la fois, dans les détails, ces splendides arabesques enlacées par l'imagination inépuisable des artistes de l'Orient; dans l'ensemble, un de ces temples merveilleux que les architectes de Périclès élevaient aux divinités helléniques?
Ch. Méray.
RÉSULTATS
NOMBRES CURIEUX
M. Badoureau, ingénieur des Mines, donne les nombres suivants, dans son livre Les Sciences expérimentales en 1889: l'aile de la mouche peut faire 230 révolutions par seconde.—La vitesse des trains atteint quelquefois 30m par seconde et approche de la vitesse maximum des hirondelles.—Le zéro absolu serait à -273°: on n'a pu refroidir aucun corps jusqu'à cette température.—L'homme brûle actuellement 400 millions de tonnes de charbon par an.—La distance des deux molécules voisines d'eau liquide est de un millième de micron (Tait).—Ne produisent de la lumière que les vibrations d'éther dont la durée est comprise entre 1/394 et 1/758 de trillionième de seconde.—Nous voyons des corps situés à 100 quintillions de mètres.—Le nombre des molécules dans un mètre cube de charbon, à la surface de la Terre, comprend 26 ou 27 chiffres.
PATIENCE
Un américain a consacré, pendant trois ans, huit heures par jour à compter les versets, mots et lettres de la Bible. Il a trouvé 31.175 versets, 773.692 mots, 3.556.480 lettres, 6.855 fois le nom Jehova, 46.227 fois la conjonction et, etc.
Les Musulmans ont, de leur côté, un tel respect pour le Koran qu'ils savent jusqu'au nombre des mots et même des lettres qui le composent: 77.639 mots et 323.015 lettres.
UN COMPTEUR
Un homme qui consacrerait sa vie à énoncer ou à écrire la suite des nombres atteindrait à peine un milliard: le temps lui manquerait pour aller plus loin.
Notre dette publique exige 1.292.319.475 francs par an sur un budget qui s'élève à trois milliards onze millions neuf cent soixante-quatorze mille huit cent vingt-huit francs.
PYRAMIDES
La grande pyramide carrée présente des particularités qui supposent une science avancée(?)
Chaque face triangulaire est équivalente au carré de la hauteur de la pyramide.
La section méridienne est à l'aire de la base dans le rapport de 1 à π.
Son poids est à celui de la terre dans le rapport de 1 à 1015.
Elle est exactement orientée suivant le méridien et le parallèle à 30 degrés.
Elle contient les éléments de la distance de la terre au soleil, etc., etc.
LOXODROMIE
Les navigateurs ne suivent pas le plus court chemin sur la sphère, qui est l'arc de grand cercle entre les points extrêmes, mais la courbe appelée loxodromie qui coupe tous les méridiens sous le même angle et qui est figurée par une droite sur la carte marine: ce qui permet de diriger facilement le navire.
Cependant sur les bateaux à vapeur, on réalise une économie de charbon en suivant l'arc de grand cercle.
La raison commerciale l'emporte ainsi sur la raison démonstrative.
CALENDRIER
Le bourgeois gentilhomme de Molière demandait à son maître de philosophie de lui enseigner le calendrier. Ce n'est pas si simple qu'on croit et on peut consulter sur le sujet une notice scientifique d'Arago.
Lorsqu'en 1582, le pape Grégoire XIII fit sa célèbre réforme, les protestants résistèrent d'abord, préférant, a-t-on dit, être en désaccord avec le soleil que d'être d'accord avec le pape.
On craignait des objections populaires, lorsqu'en 1816 le temps moyen fut substitué au temps vrai pour les horloges et les montres, mais la réforme passa inaperçue.
Ne réglez pas votre montre sur un cadran solaire. Il obéit au soleil et marque le temps vrai, tandis que nos horloges marquent le temps moyen: l'écart peut atteindre vingt minutes.
ÉQUATION DU 45e DEGRÉ
Un fait qui se rattache à la vie scientifique de Viète, et que je vais vous raconter, révèle en même temps l'estime dont Henri IV honorait son savant conseiller. Ce roi montrait, un jour, à Fontainebleau, à un ambassadeur de Hollande, les splendides et coûteuses curiosités du palais, et l'entretenait en même temps de quelques-unes des célébrités de son royaume. L'ambassadeur se permit de faire sur ce dernier sujet une réserve aux éloges du roi: «Sire, dit-il, vous n'avez pas cependant ici de mathématicien. Un géomètre flamand, nommé Adrien Romanus, vient de publier un ouvrage dans lequel il défie tous les savants de l'Europe de résoudre un problème qu'il leur propose, et de tous les mathématiciens de notre temps cités dans son livre, je n'en ai trouvé aucun qui fût français.»—«Si fait, si fait, répondit vivement le roi, nous en avons un excellent; qu'on aille quérir M. Viète.» On soumit à notre savant qui avait suivi la cour à Fontainebleau, le problème de Romanus. Pour tout autre que le savant et érudit Fontenaisien, l'énigme eût été embarrassante. Il ne s'agissait de rien moins que de résoudre une équation du 45e degré, renfermant 24 termes dont l'un est arbitraire et dont les autres sont multipliés par des nombres, la plupart de neuf chiffres, c'est-à-dire de plusieurs centaines de millions d'unités.
Viète, après avoir examiné attentivement cette équation, eut le plaisir de retrouver une ancienne connaissance. C'était une des nombreuses équations auxquelles donne lieu la division des arcs de cercle en parties égales. Il aperçut aussitôt la solution qui faisait seule l'objet du problème d'Adrien Romanus...
... Mais ce qu'il y eut de plus piquant, fut la remarque de Viète que ce problème admettait vingt-deux autres solutions auxquelles le bon Romanus n'avait pas songé.
Allegret.
STATISTIQUE FUNÈBRE
Il meurt un être humain par chaque seconde, sur l'ensemble du globe terrestre, soit 86.400 par jour, soit environ 31 millions par an, ou plus de 3 milliards par siècle.
UNIFICATION DE L'HEURE
On a distribué à la Chambre des députés un projet de loi, contresigné par tous les ministres, ayant pour objet l'adoption de l'heure, temps moyen de Paris, comme heure légale en France et en Algérie. C'est, en langage vulgaire, l'unification de l'heure sur toute l'étendue du territoire français, en Corse et en Algérie, que propose le gouvernement.
La diversité des heures, dit l'exposé des motifs, se justifiait à une époque où la vie locale était prédominante, où les relations extérieures ne comportaient pas les mêmes exigences que de nos jours, où, du reste, les moyens pratiques d'avoir rapidement l'heure de la capitale eussent fait défaut. Le développement du commerce et de l'industrie, l'établissement des lignes télégraphiques et des chemins de fer ont désormais rendu inévitable l'adoption de l'heure unique. Déjà, tout ce qui tient aux relations par lettres ou par télégrammes, c'est-à-dire presque toute la vie active, a continuellement besoin et se sert de l'heure de Paris. L'administration des postes et télégraphes règle les pendules ou cartels de tous ses établissements d'après l'heure, temps moyen de Paris. Cette heure est transmise, au début de la journée, dans les bureaux télégraphiques et les bureaux mixtes. Elle est prise aux horloges des gares de chemins de fer et portée par des courriers aux bureaux de poste non pourvus de télégraphes. Il en résulte que la plupart des agglomérations ont les plus grandes facilités à avoir l'heure, sans observations, sans cadrans solaires et sans calculs.
D'ailleurs, l'unification horaire est adoptée déjà par de nombreuses villes et le monde savant réclame instamment cette réforme qui a fait l'objet de vœux émanant d'associations scientifiques et du bureau des longitudes.
L'exposé des motifs fait remarquer que cette modification sera à peine sensible sur la plupart des points du territoire et que l'inconvénient passager qu'elle présente aura pour contrepoids des avantages positifs qui le compenseront largement. Il répond au surplus à la principale objection par l'observation très judicieuse qui suit:
Quant à l'objection qu'après la réforme le midi légal ne coïncidera plus jamais avec le passage du soleil au méridien, on ne voit pas en quoi ce nouveau midi, milieu du jour, perd à ne point s'accorder avec la culmination du soleil. Ce phénomène astronomique n'arrive à Paris à peu près à midi que quatre fois par an, au moment où l'équation du temps s'évanouit, et ce ne sera point la différence de hauteur du soleil à ce moment qui pourra, sans instruments, indiquer la modification survenue dans l'heure du lieu. Il n'y aurait de réelle objection que si l'adoption de l'heure unique devait modifier la régularité de la vie agricole, le soleil réglant d'ordinaire les travaux des champs. Mais cette régularisation de la journée par le soleil n'est pas absolue; le paysan n'a besoin de l'heure qu'à une demi-heure près; il se lève même, l'été, avant que le soleil paraisse, et les changements apportés à ses habitudes ne seront pas appréciables.
Voici l'article unique de la loi promulguée le 14 mars 1891:
«L'heure légale en France et en Algérie est l'heure temps moyen de Paris.»
ANCÊTRES
Des esprits peu réfléchis se doutent-ils qu'il n'est pas un de nous à la 20e génération par exemple, qui n'ait 1 048 576 ancêtres? Ce simple calcul, très connu dans la doctrine de la consanguinité, établit véritablement cet étonnant résultat. Tout le monde peut s'en convaincre par une progression géométrique dont le premier terme est 2 et qui doit toujours croître en raison double, puisque chaque individu a deux premiers ancêtres, son père et sa mère, qui doivent aussi le jour à deux personnes. Cette progression est donc ÷÷ 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256..., etc. On trouvera, en la suivant, que chaque homme a, dans le vingtième degré de parenté ou la vingtième génération, un million quarante-huit mille cinq cent soixante et seize ancêtres. Cette combinaison a été donnée pour exacte dans un ouvrage de Mirabeau. Lett. de cachet, p. 281.
FIL DE SOIE
Un curieux a fait le calcul ci-après, qu'il est peut-être peu facile de vérifier.
—La ville de Lyon consomme annuellement un million de kilogrammes de soie montée ou tordue de différentes manières. Il faut quatre cocons pour produire un gramme de soie; la consommation lyonnaise en absorbe donc à elle seule 4 milliards 200 millions. La longueur du fil de soie d'un cocon est en moyenne de 500 mètres. Les quatre milliards 200 millions filés annuellement pour l'industrie lyonnaise formeraient ensemble, d'après cela, un fil de 2100 milliards de mètres ou 2 milliards 100 millions de kilomètres.
Cette longueur fait quatorze fois la distance de la terre au soleil, et 5494 fois celle de la lune à la terre. Elle ferait aussi 52505 fois le tour de la terre sur l'équateur, et 200 mille fois le tour de la lune.
MORTS
Un oisif a calculé que depuis la création du monde, il est mort 26 quatrillions 628 trillions 843 billions 285 millions 75 mille 840 individus de l'espèce humaine. Nous récrivons ci-dessous ce grand nombre:
26 628 843 285 075 840.
THÉORÈME MILITAIRE
Deux troupes s'équivalent quand le produit de leur coefficient mécanique par leur courage et par le carré de leur effectif est le même.
Stéphanos.
Le courage est-il une grandeur mesurable?
FANTAISIES
LA SAVANTE
Vous devriez....
M'ôter, pour faire bien, du grenier de céans,
Cette longue lunette à faire peur aux gens,
Et cent brinborions dont l'aspect importune:
Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la lune
Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez vous,
Où nous voyons aller tout sans dessus dessous.
Molière.
Elle résout d'un mot, en plaçant sa fontange,
Ces grandes questions qui terrassent Lagrange.
On voit sur sa toilette un Euler, un Pascal,
Salis et barbouillés de rouge végétal.
Elle trouve en Newton je ne sais quoi d'aimable
Et l'algèbre a pour elle un charme inexprimable.
Le soir dans un donjon, d'un regard curieux,
Au bout d'une lunette interrogeant les cieux,
Son œil observateur y poursuit la comète;
Lalande tous les ans lui vole une planète.
Colnet.
UN OUBLI
Le régiment d'artillerie en garnison dans notre ville est parti pour les grandes manœuvres, en oubliant d'emporter les trajectoires.
(Extrait d'un journal de Toulouse,
lors de la guerre de Tunisie.)
D'après J. Janin: M. Arago, l'œil à la lunette, voit la planète décrire, à la fois, les deux axes de son ellipse.
VENGEANCE
Tout le monde a entendu parler des automates de Vaucanson, des joueurs de flûte, de tambourin ou d'échecs; des canards qui barbottaient, avalaient le grain et le digéraient, etc. L'ingénieur mécanicien inventa aussi des machines pour la fabrication des soieries de Lyon, mais les ouvriers s'ameutèrent contre lui. Il répondit en construisant un âne qui exécutait une étoffe à fleurs.
NEPTUNE
On cite quelquefois ce vers de Lemierre, poète oublié,
Le trident de Neptune est le sceptre du monde.
Ce vers (solitaire) a été appliqué à l'astronome Le Verrier, tout puissant sous le second empire. C'était un savant illustre, le continuateur de Laplace: on lui a élevé une statue dans la cour de l'Observatoire de Paris.
MADRIGAL ALGÉBRIQUE
Sans doute vous serez célèbre
Par les grands calculs de l'algèbre,
Où votre esprit est absorbé:
J'oserai m'y livrer moi-même;
Mais, hélas! A + C - B
N'est pas = à je vous aime.
Voltaire.
PLUS QUE PROBABLE
Un bonhomme, ayant rêvé qu'il gagnerait un terne à la Loterie, consulte un ami sur le choix du numéro. L'autre est d'avis qu'un fou pourra, sur ce point, donner un bon conseil. Ils vont aux Petites-Maisons. Le pensionnaire les écoute attentivement, puis il écrit un chiffre sur un bout de papier... et l'avale. «Revenez demain, dit-il, je vous assure que le numéro sera sorti.»