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Mémoires du prince de Talleyrand, Volume 1

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Je joins ici le traité tel qu'il a été signé à Erfurt. On trouvera quelque différence, dans l'ordre des articles, entre le projet dont l'empereur m'avait demandé la rédaction et ce traité. L'article concernant la Valachie et la Moldavie a l'air d'être changé, et cependant l'empereur Napoléon, quoiqu'il y reconnaisse formellement la réunion de ces deux provinces à l'empire russe, exige un si profond secret (ce sont les termes) sur le consentement qu'il donne à cette réunion, que dans sa pensée les deux articles avaient, à bien peu de chose près, le même sens. On remarquera surtout, dans cette dernière rédaction du traité, qu'il n'est plus question des deux articles que l'empereur Napoléon avait introduits dans la seconde: l'un par lequel il s'établissait juge des motifs qui devaient déterminer la Russie à déclarer la guerre à l'Autriche; l'autre, relatif à la marche d'un corps d'armée russe près des frontières autrichiennes, sous le prétexte de la position du cabinet de Pétersbourg à l'égard de la Porte ottomane.

CONVENTION D'ERFURT

Du 12 octobre 1808, ratifiée le 13.

«Sa Majesté l'empereur des Français, roi d'Italie, protecteur de la confédération du Rhin, etc..

»Et Sa Majesté l'empereur de Russie, etc... voulant rendre de plus en plus étroite et à jamais durable l'alliance qui les unit, et se réservant de s'entendre ultérieurement, s'il y a lieu, sur les nouvelles déterminations à prendre et les nouveaux moyens d'attaque à diriger contre l'Angleterre, leur ennemie commune et l'ennemie du continent, ont résolu d'établir dans une convention spéciale les principes qu'ils sont déterminés à suivre invariablement dans toutes leurs démarches pour parvenir au rétablissement de la paix.

»Ils ont à cet effet nommé, savoir: Sa Majesté l'empereur des Français, etc.. Son Excellence Jean-Baptiste Nompère de Champagny, comte de l'empire, etc.. son ministre des relations extérieures;

»Et Sa Majesté l'empereur de toutes les Russies, etc... Son Excellence le comte Nicolas de Romanzoff, son conseiller privé actuel, membre du conseil, ministre des affaires étrangères, etc...

»Lesquels sont convenus de ce qui suit:

» Article premier.—Sa Majesté l'empereur des Français, etc... et Sa Majesté l'empereur de toutes les Russies, etc... confirment, et en tant que besoin est, renouvellent l'alliance conclue entre eux à Tilsitt, s'engageant, non seulement à ne faire avec l'ennemi commun aucune paix séparée, mais encore à n'entrer avec lui dans aucune négociation, et à n'écouter aucune de ses propositions que d'un commun accord.

» Article II.—Ainsi résolues de rester inséparablement unies pour la paix comme pour la guerre, les hautes parties contractantes conviennent de nommer des plénipotentiaires pour traiter de la paix avec l'Angleterre, et de les envoyer, à cet effet, dans la ville du continent que l'Angleterre désignera.

» Article III.—Dans tout le cours de la négociation, si elle a lieu, les plénipotentiaires respectifs des deux hautes parties contractantes agiront constamment avec le plus parfait accord, et il ne sera permis à aucun d'eux, non seulement d'appuyer, mais même d'accueillir ou d'approuver contre les intérêts de l'autre partie contractante, aucune proposition ou demande des plénipotentiaires anglais, qui, prises en elles-mêmes et favorables aux intérêts de l'Angleterre, pourraient aussi présenter quelque avantage à l'une des parties contractantes.

» Article IV.—La base du traité avec l'Angleterre sera l'uti possidetis.

» Article V.—Les hautes parties contractantes s'engagent à regarder comme condition absolue de la paix avec l'Angleterre, qu'elle reconnaîtra la Finlande, la Valachie et la Moldavie, comme faisant partie de l'empire russe. » Article VI.—Elles s'engagent également à regarder comme condition absolue de la paix, que l'Angleterre reconnaisse le nouvel ordre de choses établi par la France en Espagne.

» Article VII.—Les deux hautes parties contractantes s'engagent à ne recevoir de la part de l'ennemi, pendant la durée des négociations, aucune proposition, offre, ni communication quelconque, sans en faire immédiatement part aux cours respectives, et si lesdites propositions sont faites au congrès réuni pour la paix, les plénipotentiaires devront respectivement se les communiquer.

» Article VIII.—Sa Majesté l'empereur de toutes les Russies, d'après les révolutions et changements qui agitent l'empire ottoman, et qui ne laissent aucune possibilité de donner, et, par conséquent, aucune espérance d'obtenir des garanties suffisantes pour les personnes et les biens des habitants de la Valachie et de la Moldavie, ayant déjà porté les limites de son empire jusqu'au Danube de ce côté, et réuni la Valachie et la Moldavie à son empire, ne pouvant qu'à cette condition reconnaître l'intégrité de l'empire ottoman, Sa Majesté l'empereur Napoléon reconnaît ladite réunion et les limites de l'empire russe de ce côté portées jusqu'au Danube.

» Article IX.—Sa Majesté l'empereur de toutes les Russies s'engage à garder dans le plus profond secret l'article précédent, et à entamer, soit à Constantinople, soit partout ailleurs, une négociation, afin d'obtenir à l'amiable, si cela se peut, la cession de ces deux provinces. La France renonce à sa médiation. Les plénipotentiaires ou agents des deux nations s'entendront sur le langage à tenir, afin de ne pas compromettre l'amitié existante entre la France et la Porte, ainsi que la sûreté des Français résidant dans les Échelles, et pour empêcher la Porte de se jeter dans les bras de l'Angleterre.

» Article X.—Dans le cas où la Porte ottomane se refusant à la cession des deux provinces, la guerre viendrait à se rallumer, l'empereur Napoléon n'y prendra aucune part et se bornera à employer ses bons offices auprès de la Porte ottomane; mais s'il arrivait que l'Autriche ou quelque autre puissance fît cause commune avec l'empire ottoman dans ladite guerre, Sa Majesté l'empereur Napoléon ferait immédiatement cause commune avec la Russie, devant regarder ce cas comme un de ceux de l'alliance générale qui unit les deux empires.

»Dans le cas où l'Autriche se mettrait en guerre contre la France, l'empereur de Russie s'engage à se déclarer contre l'Autriche et à faire cause commune avec la France, ce cas étant également un de ceux auxquels s'applique l'alliance qui unit les deux empires.

» Article XI.—Les hautes parties contractantes s'engagent d'ailleurs à maintenir l'intégrité des autres possessions de l'empire ottoman, ne voulant ni faire elles-mêmes, ni souffrir qu'il soit fait aucune entreprise contre aucune partie de cet empire, sans qu'elles en soient préalablement convenues.

»Article XII.—Si les démarches faites par les deux hautes parties contractantes pour ramener la paix, sont infructueuses, soit que l'Angleterre élude la proposition qui lui sera faite, soit que les négociations soient rompues, Leurs Majestés Illustrissimes se réuniront de nouveau dans le délai d'un an, pour s'entendre sur les opérations de la guerre commune, et sur les moyens de la poursuivre avec toutes les ressources des deux empires.

» Article XIII.—Les deux hautes parties contractantes, voulant reconnaître la loyauté et la persévérance avec lesquelles le roi de Danemark, a soutenu la cause commune, s'engagent à lui procurer un dédommagement pour ses sacrifices, et à reconnaître les acquisitions qu'il aura été dans le cas de faire dans la présente guerre.

» Article XIV.—La présente convention sera tenu secrète au moins pendant l'espace de dix ans.

»Erfurt, le 12 octobre 1808.»

FIN DE LA CINQUIÈME PARTIE ET DU TOME PREMIER

TABLE DU TOME PREMIER


Préface

PREMIÈRE PARTIE

1754-1791

Appendice

DEUXIÈME PARTIE

De M. le duc d'Orléans

TROISIÈME PARTIE

1791-1808

QUATRIÈME PARTIE

Affaires d'Espagne (1807)

CINQUIÈME PARTIE

Entrevue d'Erfurt (1808)


PARIS.—IMPRIMERIE CHAIX.—20, RUE BERGÈRE.—14430-6-90.


NOTES

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