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Musiciens d'autrefois

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NOTES:

[1] M. Pierre Aubry a montré que la musique du moyen âge passe par les mêmes phases que les autres arts. C’est d’abord l’art roman, «où la musique profane a peine à se dégager du chant liturgique, et se traîne avec lourdeur à la suite des mélodies grégoriennes, où les notations neumatiques sont obscures et incomplètes». Puis vient l’art gothique, où les musiciens, comme les architectes d’Ile-de-France, règnent sur toute l’Europe. Alors, «la musique mesurée des trouvères allège et précise la ligne mélodique, flottante et indécise avant. En même temps, tandis que les mélodies grégoriennes n’excédaient guère l’ambitus (l’étendue) des modes, les proses des XIIe et XIIIe siècles atteignent les limites les plus élevées de la voix humaine, montent et ne savent plus redescendre,—aussi haut que les flèches gothiques. Puis, c’est au début du XIVe siècle, la même exubérance, la même exagération de virtuosité technique que dans les autres arts. La prodigieuse habileté du musicien en arrive aux subtilités du contrepoint, et la belle notation proportionnelle du XIIIe siècle aux notations compliquées du XIVe et du XVe siècles. Contre cette complication et cette obscurité croissantes se produira en musique, comme dans les autres arts, la réaction de simplicité et de clarté de la Renaissance.

[2] Dialogues de François de Hollande, 1548.

[3] Claudien dit qu’on discutait ardemment sur la musique, à la cour d’Arcadius, au milieu des pires préoccupations politiques; et Ammien Marcellin écrit de Rome, vers 370: «On n’y entend que des chants, et, dans tous les coins, des tintements de cordes».

[4] Titre que Palestrina mérite d’ailleurs à un moindre degré que Josquin, que Roland de Lassus, que Vittoria, que Jakobus Gallus, que d’autres encore, plus vrais, plus expressifs, plus variés, plus profonds que lui,—lui, dont la gloire rayonne pourtant sur cette époque, grâce à l’éternité de son style, à son esprit classique, et à la paix Romaine qui plane sur son œuvre.

[5] Surtout grâce à l’école de Mannheim, qui fut un des berceaux du nouveau style instrumental.

[6] Et je n’excepte point celui qui écrit ces lignes.

[7] Tout passe, tout revient, rien ne meurt.

[8] Depuis que ces lignes ont été écrites, M. Hugo Riemann est arrivé à des conclusions analogues, en suivant un chemin différent. Dans le second volume de son Histoire de la Musique (1 Teil: Das Zeitalter der Renaissance), où il étudie l’évolution, non des formes dramatiques italiennes, comme je tâche de le faire ici, mais des formes strictement musicales, il a montré que la monodie florentine de 1600 n’a pas été une invention, mais un retour en arrière à la tradition musicale de l’école florentine du commencement du XIVe siècle.

[9] Je prendrai surtout pour guides, dans cette recherche, le livre célèbre de M. Alessandro d’Ancona sur les Origines du Théâtre en Italie (1877) et les excellents travaux de M. Angelo Solerti: sa monumentale Vie du Tasse(1885), et ses nombreuses études sur les Origines du Drame musical.—(Entre autres: Le origini del melodramma, 1903;—I Albori del melodramma, 1904;—et une quantité de petites brochures, remplies de documents inédits: La Rappresentazione di Febo e Pitone, o di Dafne di 1486, 1902;—Laura Guidiccioni Lucchesini ed Emilio de’ Cavalieri, 1902;—Le Rappresentazioni musicali di Venezia, dal 1571 al 1605, 1902;—Otlavio Rinuccini, 1902;—Precedenti del melodramma, 1903;—Le favolette da recitarsi cantando di Gabriello Chiabrera, 1903,—etc.)

[10] La première représentation d’Orphée à Paris est de 1774.

[11] Il ne faut pas oublier que la première moitié du XIVe siècle a été une sorte de printemps de la musique en Italie. Les découvertes toutes récentes de M. Johannes Wolf ont remis en lumière l’originalité singulière des maîtres florentins d’alors: Johannes de Florentia (Giovanni da Cascia), Ghirardellus de Florentia, Paolo da Firenze, Francesco Landino, et tant d’autres. (Voir le 2e et le 3e vol. de la Geschichte der Mensuralnotation von 1250-1460.)

[12] M. d’Ancona fait quelques réserves sur cette attestation de Borghini. Il cite, dans le prologue de S. Giovanni e Paolo, les vers suivants:

«Senza tumulto sien le voci chete,
Massimamente poi quando si canta.»

«Ne faites point de bruit, surtout pendant qu’on chante,»—ce qui laisse entendre qu’on ne chantait pas toujours. Mais il suffit que, dans un certain nombre de ces représentations, la musique accompagnât tout le texte. Or ce caractère de théâtre chanté est bien marqué dans les prologues (Annunziazioni) de beaucoup de pièces:

«Reciterem con dolci voci o canti

«Nous réciterons avec de douces voix et chansons.» (S. Barbara.)

«Questo misterio glorioso e santo
Vedrete recitar con dolce canto.» (Resurrezione.)

«Vous verrez réciter avec de doux chants ce mystère glorieux et saint.»

[13] M. d’Ancona croit qu’il s’agit là de l’Abram e Agar, joué au temps de Savonarole.

[14] L’Impériale était une forme de danse.

[15] Les Sacre Rappresentazioni avaient lieu d’ordinaire dans une église, ou sur la place d’une église. On jouait entre vêpres et la nuit; et les acteurs étaient des jeunes gens, faisant partie des Compagnies de piété.

[16] Une représentation musicale toute semblable eut encore lieu à Florence, en 1620, avec machines de Giulio Parigi; et le poème de cette Annonciation était de Rinuccini, l’auteur des premiers opéras florentins.

[17] Ces Sacre Rappresentazioni se maintinrent jusqu’à la seconde moitié du XVIe siècle?—jusqu’en 1566 à Florence, jusqu’en 1539 à Rome, où, tous les ans, des artisans jouaient au Colisée la Passion. (On dut y mettre fin, parce qu’après chaque représentation la populace allait saccager le quartier des Juifs.—Voir Marco Vatasso: Per la storia del dramma sacro in Italia? 1903, Rome.)—Naturellement, elles s’étaient fort perverties; et l’impudeur païenne du temps s’y étalait effrontément, comme à cette représentation de 1541, à Saint-Dominique de Sessa: la Creacione di Adam ed Eva, où l’auteur, un chanoine, qui jouait Adam, se montra tout nu: ce qui eut un succès énorme. Plus audacieux encore, un Spectaculum divi Francisci, joué à Naples au commencement du XVIe siècle, où le frère qui tenait le rôle de saint François jouait, nu, une scène de séduction. (Voir A. d’Ancona, lib. cit.)

Retenons toutefois ce fait très important que les Rappresentazioni, en dehors de Florence, ont surtout un caractère de grand spectacle d’apparat avec défilés et cortèges; à Florence, presque uniquement, elles gardent un caractère dramatique et récitatif, «fatte in modo di recitazione». Cette remarque est essentielle, puisque l’invention du style musical récitatif, qui sera le fondement de l’opéra, sera due à Florence: il faut donc y voir an trait national, qui tient au génie de la race.

[18] Influence réciproque, en bien des cas. Car il est difficile de déterminer toujours qui des deux a été le modèle de l’autre. Ce qui est sûr, c’est qu’il y avait pénétration mutuelle; et déjà Sainte-Beuve l’avait noté. «Un Mystère, joué quelquefois devant l’église, était comme une mise en action de la façade, un complément historié et mouvant du portail ou de la rosace. Coloriés, sculptés, ou sur le tréteau, c’étaient, les mêmes personnages.» (Tableau de la poésie française et du théâtre au XVIe siècle, 1800.)

[19] Voir page 60.

[20] Cet Arrigo Tedesco n’est autre que le célèbre musicien flamand Heinrich Isaak (1430-1517).

[21] Les poésies des plus anciens canti carnascialeschi ont été publiées dans des éditions de 1550 et 1760.—Voir sur ce sujet: Adrien de la Fage, Canti carnascialeschi (Gazzetta musicale di Milano. 1847); Angelo Solerti, Precedenti del Melodramma; et Alessandro d’Ancona, op. cit.

[22] Un membre de la famille des Médicis, Lorenzo di Pier Francesco de’ Medici, grand-père de Lorenzaccio, écrivit aussi une Rappresentazione della Invenzione della Croce (1482 ou 1493), où il attaquait violemment la tyrannie de Laurent le Magnifique.

[23] Lettre de Pauluzo, envoyé du duc de Ferrare, Rome, 8 mars 1518.

[24] On sait que les Intermèdes de 1589 à Florence ont été le point de départ du mouvement, qui conduisit, quelques années après, aux premiers essais d’opéra récitatif par Peri, Caccini et Cavalliere. (Voir mon Histoire de l’opéra en Europe avant Lully et Scarlatti, 1895.) On trouvera dans l’étude de M. Solerti sur les Precedenti del melodramma le curieux récit d’intermèdes joués à Milan, en 1599, entre les actes d’une pièce de G.-B. Visconti, l’Armenia. Ils représentaient: la tragédie d’Orphée, l’expédition des Argonautes, Jason et la Toison d’or, la dispute de Pallas et de Neptune, et le triomphe de Pallas. Ils étaient d’une splendeur inouïe.

[25] M. Vincent d’Indy (Cours de Composition musicale, 1er vol., 1902) a vu dans la décadence de l’art de la Renaissance le fruit de l’esprit de personnalité et de libre examen. Il se trompe, je crois. C’est la grande Renaissance du XVesiècle qui a été une époque d’indépendance ou d’aspiration à la liberté. Qu’on se rappelle le puissant gouvernent scientifique, qui emporte les artistes italiens, depuis Brunelleschi et Alberti, cette foi dans la science, qui trouve une expression si ardente et si haute dans Léonard,—et, d’autre part, le mouvement anti-clérical, que j’ai signalé plus haut dans l’humanisme, et qu’appuient même des papes, comme Léon X.—Ce mouvement s’étend environ jusqu’au sac de Rome. Peu après commence la reprise de l’Italie par la pensée ou le pouvoir catholique. Il s’en faut de beaucoup que la seconde moitié du XVIesiècle soit une époque de libre examen. Un des types les plus frappants en est le Tasse, ce malheureux homme, qui mêlait étrangement la dévotion au plaisir, qui se torturait de terreurs religieuses, et dont la folie consistait à se croire damné, à aller se dénoncer aux inquisiteurs de Ferrare, de Bologne, de Rome, et à dénoncer les autres, à réclamer leur châtiment.

«Souvent résonnaient horriblement en moi les trompettes du Jugement; et je te voyais, Seigneur! assis sur les nuées, et je t’entendais dire—(ô paroles d’épouvante!)—: «Allez, maudits, dans le feu éternel!» Et cette pensée m’assiégeait avec tant de force que j’étais contraint d’en faire part à ceux qui m’entouraient; vaincu par la terreur, je me confessais; et si, par hasard, je croyais avoir oublié quelque péché peu important, par négligence ou par honte, je recommençais ma confession, et je faisais parfois ma confession générale... Cela même ne suffisait point à m’apaiser, parce que je ne pouvais pas exprimer mes péchés avec autant de force dans mes paroles, que je les sentais en moi...»

Qui parle ainsi? Un puritain d’Angleterre? un Bunyan? un soldat de Cromwell?—Non. Le prince des artistes de la fin de la Renaissance italienne, le maître incontesté de la poésie, du théâtre et, nous allons le voir, de la musique même, de tout l’art de la fin du XVIesiècle. Est-ce là ce redoutable «Orgueil anti-chrétien» que M. Vincent d’Indy nous donne comme caractéristique de la décadence de l’art?—Mais c’est, tout au contraire, la faillite de cet orgueil. L’esprit de la libre Renaissance a été brisé vers 1530. La contre-réforme catholique domine l’âme italienne. Les musiciens de la fin du XVIeet du XVIIesiècle sont presque tous religieux d’âme, et souvent même d’habit. Monteverde, Vecchi, Banchieri, Vitali, Stefano Landi, Carissimi, Stefani, Cesti, sont ou deviennent gens d’Église. Le type le plus populaire de la fin de la Renaissance, l’extravagant Benvenuto Cellini lui-même, a des visions religieuses. Il voit la Vierge face à face. Le mystique Michel-Ange ne semble pas assez religieux aux critiques de son temps.—(Voir, sur l’esprit religieux des artistes italiens, au XVIesiècle, Müntz: Histoire de l’Art pendant la Renaissance, III, 38-39.)

[26] Lettre à Michel-Ange, novembre 1545.

[27] Le manuscrit du Sacrificio, de Beccari, a été retrouvé à la Palatina de Florence (E. 6. 6. 46) par M. Arnaldo Bonaventura. Il comprend douze pages de musique manuscrite.

[28] Voir Angelo Solerti, Ferrara e la corte Estense nella seconda metà del secolo XVI, 1899.

[29] Angelo Ingegneri, Della poesia rappresentativa e del modo di rappresentare le favole sceniche, 1508, Ferrare

[30] En fait, il était l’un et l’autre. Girolamo Parabosco, de Plaisance (mort en 1560), écrivit des comédies dans le genre de l’Arétin, des nouvelles dans le genre de Bandello, et des poèmes mythologiques. Il fut en même temps organiste de San Marco de Venise, et dirigea chez Domenico Veniero une académie de chant et de musique, pour laquelle il composa la musique de ses propres madrigaux. Il était élève de Willaert. (Voir la monographie d’Ad. van Bever.)

[31] «En ces paroles languissantes résonne un je ne sais quoi de plaintif et de suave, qui incline les yeux à pleurer.»

[32] L’Aminta fut représenté en 1590 a Florence, avec musique.

[33] Trois sonnets et une canzone.

[34] Le prince de Venosa se remaria en 1594 avec Leonora d’Este, et Tasse célébra encore cet événement par une pièce en ottave.

[35] Dialoghi publiés par A. Solerti, III, p. 111-118. La cavaletta overo de la poesia toscana.

[36] Voir Angelo Solerti, Laura Guidiccioni Lucchesini ed Emilio de’ Cavalieri, 1802.

[37] Bernardo Buontalenti, né en 1537, fut pendant soixante ans l’architecte général des grands-ducs de Toscane. Il bâtissait leurs palais, leurs villes, leurs forteresses, dessinait leurs jardins, dirigeait leurs fêtes, fabriquait des machines et des feux d’artifice pour leurs spectacles. Les machines de son invention pour le théâtre construit aux Uffizi, en 1585, furent célèbres en Europe.

[38] Cavalieri avait voulu que «questa sorte di musica rinnovata da lui commova a diversi affetti, come a pieta ed a giubilo, a pianto ed a riso» («que cette sorte de musique, renouvelée par lui [d’après l’antique] suscitât les passions diverses, comme la pitié et la joie, les pleurs et le rire»).

[39] M. Solerti (Rinuccini, 1902) a noté des canzoni de Rinuccini, qui sont calquées sur des poésies de Tasse. (Voir aussi Guido Mazzoni: Cenni su O. Rinuccini poeta, 1895.)—Rinuccini fut l’auteur des poèmes de la Dafne de 1594-7, et de l’Euridice (1600) de Péri, ainsi que de l’Arianna (1608) de Monteverde.

[40] En même temps que Monteverde, Michelangelo Rossi écrit une Erminia sul Giordano (1637); Domenico Mazzocchi, un Olindo è Sofronia (1637). En France, dès 1617, Mauduit et Guesdron dirigeaient à la cour le fameux ballet: la Délivrance de Renaud, dont tel air d’Armide a déjà quelque chose de l’énergie et de l’ampleur tragique de la déclamation de Lully. Armide, de 1637 à 1820, inspire plus de trente opéras.

[41] «Comme un rayon dans l’onde, dans son regard humide scintille un rire tremblant et lascif...»

[42] Il soutint ses thuses en 1618.

[43] Elfridio Benedetti, Raccolta di diverse memorie per scrivere la vita del card. G. Mazarino Romano, in-4º, Lyon;—cité par V. Cousin, La jeunesse de Mazarin, 1865.

[44] M. Ademollo fait remarquer que, dans la première moitié du XVIIe siècle, en Italie, il était de règle qu’un comédien sût aussi la musique, et fût capable de chanter même une partie principale dans un melodramma. La même règle devait s’appliquer aux spectacles privés et aux représentations d’écoles.

[45] Il fut élevé avec les enfants du connétable Colonna, et accompagna en Espagne, entre 1619 et 1622, don Jérôme Colonna.

[46] Les correspondances du nonce Sacchetti, citées par Cousin, montrent combien Mazarin était déjà apprécié en 1629 par le pape Urbain VIII et le cardinal Francesco Barberini, secrétaire d’État. La même année, il fut attaché comme capitaine d’infanterie à la légation du cardinal Antonio, à Bologne.

[47] Lettre d’un religieux envoyée à Mgr le prince de Condé à Saint-Germain-en-Laye, contenant la vérité de la vie et des mœurs du cardinal Mazarin (Cimber et Danjou, 2e série, t. VII, p. 434).—Le «religieux» était sans doute le curé de Saint-Roch.

[48] Mais non pas ambassadeur, comme semble dire Ademollo, dans son livre sur les Théâtres de Rome au XVIIe siècle. En 1639, l’ambassadeur de France à Rome était le maréchal d’Estrées. Mais Mazarin était à Rome, persécuté par le parti espagnol, et en relations avec Richelieu, qui envoyait, cette même année, à Rome son violiste présuite: féré; Maugars, pour écrire un rapport sur l’état de la musique en Italie.

[49] Maugars, Response faite à un curieux sur le sentiment de la musique d’Italie, escrite à Rome le premier octobre 1639 (publié par Thoinan, 1865).

«Elle a le jugement fort bon, pour discerner la mauvaise d’avec la bonne musique; elle l’entend parfaitement bien, voire mesme qu’elle y compose... Elle prononce et exprime parfaitement bien le sens des paroles. Elle ne se picque pas d’estre belle, mais elle n’est pas désagréable ny coquette. Elle chante avec une pudeur asseurée, avec une généreuse modestie, et avec une douce gravité. Sa voix est d’une haute estendue, juste, sonore, harmonieuse, l’adoucissant et la renforçant sans peine et sans faire aucunes grimaces. Ses eslans et souspirs ne sont point lascifs, ses regards n’ont rien d’impudique, et ses gestes sont de la bienséance d’une honneste fille. En passant d’un ton à l’autre, elle fait quelquefois sentir les divisions des genres enharmonique et chromatique avec adresse et agrément...»—Elle touchait le théorbe et la viole. Maugars l’entendit chanter avec sa sœur Caterina, et sa mère, «la belle Adriana»;—celle-ci touchait la lyre, et celle-là la harpe.

[50] Milton, qui assistait en 1639 aux représentations des Barberini, à Rome, dédia à Leonora une pièce de vers latins, où il la comparait à la Léonore de Tasso:

Ad Leonoram Romae canentem
Altera Torquatum cepit Leonora poetam
cujus ab insano cessit amore furens.
Ah! miser ille tuo quanto felicius aevo
porditus, et propter te, Leonora, foret!

[51] «... Vivi e lumi ardenti scoccan dal vago ciglio amabilpena... (1639).

[52] Applausi poetici alle glorie della signora Leonora Baroni (1639-1641).—Voir les articles de M. Ademollo dans divers journaux italiens (Opinione, nos 227-232.—Fanfulla della Domenica, 1881, nº 32;—1883, nº 45).

[53] Lettre de l’abbé Scaglia à Madame Royale Christine de France, régente de Savoie, le 10 mars 1645 (citée par Ademollo).

Cf. Mémoires anonymes de la collection des Mém. relatifs à l’histoire de France (Petitot, t. LVIII),—attribués au comte de Brégy:

«Le cardinal Mazarin, peu de temps après son établissement dans le ministère, fit venir de Rome une musicienne qui passait pour une des plus belles voix d’Italie, et il la logea chez mon père: on l’appelait la signora Leonora. Elle me dit de si belles choses de son pays qu’elle me donna envie de faire le voyage de Rome» (p. 255).

[54] Lettre de l’abbé Scaglia à Madame Royale Christine de France, régente de Savoie, le 14 avril 1645.

Ademollo dit qu’elle ne revint plus en France, et qu’elle resta à Rome, où elle acquit un grand ascendant dans les hautes sphères politiques et ecclésiastiques. Il est curieux qu’on ait continué de parler d’elle en France, comme si elle était restée a Paris beaucoup plus longtemps. C’est une preuve de l’impression qu’elle avait faite.

[55] L’abbé Scaglia mentionne, dans la même lettre, un virtuose: Marco dell’ Arpa.

[56] Né à Pistoie le 31 mars 1626. 11 était fils du sonneur de cloches du Dôme. Il avait dix-neuf ans quand il vint à Paris. Il partit en juillet 1647 pour Florence. Il revint presque aussitôt, fut en 1648 et 1649 un agent secret de Mazarin, repartit pour l’Italie en septembre 1649 et, cette fois, y resta jusqu’en 1654. Il était devenu à demi Français, et les Italiens le lui reprochaient en termes fort crus: «... Come puo stare che un cappon canti da gallo?» («Comment peut-il se faire qu’un chapon fasse le coq [le Français]?»—Libelle sur Atto Melani castrato di Pistoja, cité par Ademollo.)—Il fut plus tard en rapports avec les Gonzaga de Mantoue. Sa correspondance avec eux a été publiée par Bertolotti, dans La musica in Mantova. Au cours de son existence vagabonde, on le trouve tour à tour, en 1654 à Inns bruck et Ratisbonne, puis à Ferrare et à Florence, en 1655 à Rome, en 1656 à Florence, en 1657 de nouveau à Paris, en 1661 à Marseille, en 1664 et 1665 à Florence, en 1667 à Dresde, et enfin à Florence.

[57] Der Musicalische Quack-Salber, Leipzig, 1700 (ch. 43).

[58] Au contraire. Nous verrons que l’effet produit sur eux fut diamétralement opposé à celui que voulait Mazarin.

[59] Lettre d’Atto Melani au prince Mattias de Medici, 22 nov. 1644: «E chi disse à V. A. che non piacevano che arie allègre li disse poco la verità, perché à S. M. non gustano se non le malinconiche e queste son le sue favorite, e tutti questi cavalieri non gustano se non di quelle.

[60] Un des frères de Melani et une certaine Checca de Florence y chantaient.

[61] La Festa teatrale della Finta Pazza était de Sacrati pour la musique, et de Giulio Strozzi pour le poème. Mais les deux auteurs principaux étaient le décorateur machiniste, Jacopo Torelli de Fano, homme universel, mathématicien, poète, peintre, architecte, mécanicien, venu à Paris à la fin de 1644, et le maître de ballets, G. Battista Balbi,—prêtés à Mazarin, le premier par le duc de Parme, le second par le grand-duc de Toscane.—La Finta Pazza avait été déjà représentée à Venise, en 1641; mais on l’accommoda au goût de Paris et du petit roi, âgé de sept ans. G. Strozzi était en relations avec la France; on exécutait des opéras de lui (Proserpina rapita) à l’ambassade de France à Rome. Les acteurs de la Finta pazza à Paris furent, en grande partie, des comédiens italiens de la troupe de Giuseppe Bianchi, venue à Paris dès 1639.—On trouvera à la Bibliothèque Nationale un exemplaire de la pièce, avec planches de Valerio Spada, et analyse de Giulio Cesare Blanchi de Turin.

[62] Le père Menestrier dit: «Les voix qu’on avait fait venir d’Italie rendirent cette action la plus agréable du monde, avec les divers changements de scène, les machines, etc.».

[63] Cité par Chouquet: Histoire de la musique dramatique en France, 1873.

[64] «Parce que la grosse troupe des courtisans était chez Monsieur, qui donnait à souper au duc d’Enghien.» (Mémoires de Mme de Motteville, t. XXXVII de la collect. Petitot, p. 168.)

[65] Lettre de Mazarin au prince Mattias de Medici, 10 mai 1645.

La Checca le suivit bientôt. (Lettre du prince Léopold au prince Mattias, 14 août 1646.)

[66] Histoire de l’Opéra en Europe avant Lully et Scarlatti, 1895 (chap. V et VI).

[67] Et non pas en 1634, comme on a dit jusqu’ici: car nous avons une très curieuse relation d’un Français qui y assista en 1632: le Journal de J.-J. Bouchard, dont le manuscrit est à la bibliothèque de l’École des Beaux-Arts, à Paris. J’en ai publié tout le récit pittoresque du carnaval et des spectacles à Rome, dans la Revue d’histoire et de critique musicales (janvier et février 1902), sous le titre: La première représentation du S. Alessio de Stefano Landi.

[68] Mgr Ruspigliosi devint pape, en 1667, sous le nom de Clément IX.

[69] Cette pièce est très probablement la même que Chi sofre speri.

[70] On se souvient que Mazarin était à Rome pendant cette année 1639, où les représentations des Barberini furent particulièrement fastueuses.

[71] «Et parce que tous ceux qui avoient esté à Rome louoient infiniment à la Reyne cette façon de réciter des comédies en musique, comme estaient celles que Messieurs les Barberins avaient données au peuple de Rome, pendant cinq ou six années consécutives, elle en voulut, par un excès de bonté extraordinaire, donner le plaisir aux Parisiens.» (Gabriel Naudé [Mascurat]: Jugement de tout ce qui a esté imprimé contre le cardinal Mazarin, depuis le sixième janvier jusques à la déclaration du premier avril mil six cens quarante-neuf,—1649, in-4º).—Naudé lui-même avait assisté à certaines des représentations Barberini, en particulier à celles de S. Alessio, en 1632.

[72] Il rouvrit en 1653, année où les Barberini firent leur paix avec les Panfili. On joua Dal Male il Bene, poème du cardinal Ruspigliosi, musique de Marazzoli, à l’occasion des noces du prince de Palestrina avec dona Olimpia Giustiniani. Le titre même de l’œuvre: «Du mal sort le bien» a l’air d’une allusion à la nouvelle fortune des Barberini.

[73] Benedetto Ferrari et Manelli de Tivoli, avec une troupe romaine, venaient de fonder l’Opéra à Venise.

[74] «Leurs biens étaient séquestrés; leurs personnes mêmes allaient être jetées en prison, au château Saint-Ange; et le bruit courait que la prison ne serait pas le dernier acte de la tragédie. Ils arrivèrent à Cannes dans l’équipage non seulement de fugitifs, mais de naufragés. Les mâts et les voiles de leur navire avaient été brisés, le timon perdu, après une tempête de quatre jours, qui leur avait fait faire tout le tour de la Sardaigne et de la Corse.» (Dépêche de l’ambassadeur vénitien, Nani, 6 février 1646.—Voir t. CIII des Amb. Vénit., fº 222;—Chéruel: Histoire de France pendant la minorité de Louis XIV, II, 180-1;—Mémoires d’Omer Talon, I, 467;—Hanotaux: Recueil des instructions données aux ambassadeurs de France: Rome, I, p. 5. 1888).

[75] En réponse aux bulles du pape contre les cardinaux fugitifs, le Roi interdit aux Barberini de sortir de France, et enjoignit aux gouverneurs des provinces de s’y opposer, au besoin. On fit la guerre au pape. Condé voulait qu’on prît Avignon. On s’empara de Piombino et de Porto Longone, en octobre 1646. Le pape effrayé promit de recevoir en grâce les Barberini et de leur rendre leurs biens. (Lettres de Mazarin, II, 326.) Mais il ne tint pas parole; et, le 24 juin 1647, l’ambassadeur français à Rome, Fontenay-Mareuil, écrivait encore: «Il ne faut point parler des Barberins». Ils restèrent donc à Paris, où don Taddeo mourut en 1647. Quant au cardinal Antonio, il devint à peu près Français, grand aumônier de France, évoque de Poitiers (1652) et archevêque de Reims (1667).

[76] Mémoires de Mme de Motteville, p. 195-6.

[77] Voir le Journal de J.-J. Bouchard (1632) et la lettre de Milton à Luca Holstenio, du 30 mars 1639. Ici, le cardinal Francesco explique minutieusement à ses hôtes le S. Alessio ou le Chi sofre speri. Là, le cardinal Antonio fait lui-même, et à coups de bâton, la police de la salle. (Ademollo: I teatri di Roma.)

[78] Voir, dans l’Histoire de l’Opéra en Europe avant Lully et Scarlatti, les inventions de machines, changements à vue, pluie, grêle, orages, batailles, chevauchées à travers les airs, décors mouvants, employés pour l’Erminia, de 1637, et Chi sofre speri, de 1639.

[79] Ademollo: I primi fasti della musica italiana a Parigi.

[80] Ariette di musica, a una e due voce di eccellentissimi autori—in Bracciano, per Andrea Fei stampator ducale, 1646.

[81] Nuitter signale d’ailleurs sa présence à Paris avant l’arrivée des chanteurs.

[82] Au marquis Bentivoglio de Florence, et à Elpidio Benedetti de Rome.—Lettres de Mazarin, II, p. 813.—Lettre à M. Brachet, Fontainebleau, 29 sept. 1646.

[83] 12 janvier 1647. (Voir Ademollo.)—Ce second spectacle n’eut pas lieu, pour les raisons qu’on dira plus loin.

[84] Correspondance de Huygens, 1882, p. CCXIX, cité par Nuitter et Thoinan.

D’autres prélats italiens du parti Barberini s’intéressèrent à ces premiers essais d’opéra italien en France. S’il est vrai, comme le dit le père Menestrier, qu’en février 1646 on ait aussi joué à Carpentras, dans la salle épiscopale, une sorte d’opéra français, Achebar, roi du Mogol, poésie et musique de l’abbé Mailly, il faut remarquer qu’on se trouvait encore là sous l’influence de Mazarin. L’évêque de Carpentras était le cardinal Alessandro Bicchi, le plus intime des cardinaux italiens auprès de Mazarin, et le plus sûr soutien de la France à Rome. Michel Mazarin était archevêque d’Aix depuis 1643; et le cardinal Mazarin lui-même avait été, à deux reprises, vice-légat d’Avignon. Toute la région avait donc subi fortement son influence.

[85] Sébastien de Brossard, Catalogue (manuscrit) des livres de musique théorique et pratique, vocalle et instrumentalle, tant imprimée que manuscripte, qui sont dans le cabinet du Sr S. de B., chanoine de Meaux, et dont il supplie très humblement S. M. d’accepter le don, pour être mis et conservez dans sa Bibliothèque,—fait et escrit en l’année 1724. Bibl. Nat. Rés.

[86] 1705, Bruxelles.

[87] Remarques curieuses sur l’art de bien chanter et particulièrement pour ce qui regarde le chant françois, 1679.

[88] Observations sur le goût et le discernement des François;—et Lettre sur les Opera, à M. le duc de Buckingham.

[89] Il y a aussi quelques mots sur Luigi dans la lettre de Pietro della Valle à Lelio Guidiccioni (ap. Doni, II, 258), sur la Superiorità della Musica dell’età nostra; et dans quelques poésies françaises et italiennes, adressées à Luigi, par Margherita Costa et par Dassoucy, le futur musicien de l’Andromède de Corneille. Peut-être Dassoucy avait-il déjà connu Rossi à Rome, où il avait fait un voyage.

[90] Lady Morgan, Mémoires sur la vie et le siècle de Salvator Rosa.

[91] «La peinture, la poésie et la musique, disait-il, sont inséparables.»

[92]

Cantan su la ciaccona il miserere
e un stila da farza e da commedia
e gighe e sarabande alla distesa...

[93] Burney (IV, 152) et Grove en ont signalé la présence à la Bibl. Magliabecchi de Florence. L’œuvre semble s’être égarée, depuis. M. Henri Prunières a pu seulement constater, sur le catalogue de la Magliabecchiana, l’indication suivante: XIX, 22: Raccolta di cantate diverse...—4. Giuseppe figlio di Giacobbe, opera spirituale fatta in musica da Aluigi de Rossi napolitano in Roma.—5. Cantata del canal. Marini, sopra lo Stabat Mater, messa in musica dal medesimo Rossi.—Il y a aussi des Madrigaux spirituels de Luigi Rossi au British Museum.

[94] «Il signor Luigi ed il signor Marc Antonio, i più bravi virtuosi che mai abbia conosciuto...» (Lettre écrite de Rome, le 4 juin 1644.)

[95] M. Alfred Wotquenne, l’éminent bibliothécaire-préfet des études du Conservatoire de Bruxelles, rassemble en ce moment les matériaux de cette histoire, qu’il se propose d’écrire.

[96] Ce livre fut publié à Venise, chez Gardano, par la femme de Manelli, Madalena, qui s’intitule «cantatrice celeberrima».

[97] Andromeda (1637), le premier opéra italien représenté dans un théâtre ouvert au grand public.—Suivirent: la Maga falminata (1638), l’Alcate (1642).—Le prof. Giuseppe Radiciotti a récemment remis en lumière Francesco Manelli, dans ses intéressantes études sur l’Arte musicale in Tivoli (1907, Tivoli).

[98] Il est à noter que tous deux, Manelli et Ferrari, composaient souvent les poésies de leurs chants.—On remarquera aussi que les deux ouvrages, cités plus haut, de Ferrari et de Manelli, sont dédiés à l’ambassadeur d’Angleterre à Venise, le «viceconte Basilio Feilding, barone di Northam». Les Anglais ont eu une prédilection pour ce genre de la cantate italienne; et c’est en Angleterre, à Oxford, qu’on peut trouver la plus riche collection de cantates de Luigi Rossi, de Carissimi, de Ferrari, etc.

[99] Le titre ajoute: «con alcuni opuscoli in genere rappresentativo, che saranno per brevi episodii frà i canti senza gesto» («avec quelques opuscules en genre représentatif, qui seront par brefs épisodes des chants [dramatiques] sans action»).

[100] Dialoghi e Sonetti posti in musica, 1638. (Entre autres, Dido furens, Olindo e Sofronia, Nisus et Euryalus, Maddalena errante.)—Musiche sacre e morali a 1, 2 e 3 voci, 1640 (Suite de récitatifs de Tasso, du cav. Marini, etc.).

Stefano Landi avait aussi publié de nombreux airs à voix seule, pour chanter con la spinetta (Recueils de 1620, 1627, 1637). De même, Loreto Vittori, l’auteur de la Galatea (Arie a voce sofa, 1649, le plus souvent sur des poésies de lui).

[101] Giacomo Carissimi, de Marino, près de Rome (1603-1674), organiste à Tivoli de 1624 à 1627 (voir le livre ci-dessus mentionné de Giuseppe Radiciotti), puis maître de chapelle au Collège Germanique de Rome. Il n’est resté célèbre que par ses compositions religieuses; mais ses premiers airs connus pour voix seule sont des cantates profanes, qui parurent en 1646; il était alors attiré, lui aussi, par l’opéra: car, en 1647, on représentait de lui, à Bologne, Le amorose passioni di Fileno.

[102] M. Gevaert a publié cet air admirable dans son recueil: Les Gloires de l’Italie. La cantate Gelosia avait paru dans les Ariette di musica a una e due voci di eccellentissimi autori (1640). Elle comprend trois parties, dont chacune se subdivise elle-même en trois: un récitatif déclamé, a quatre temps, une mélodie aux belles lignes, à 3/4; et un récitatif déclamé, à quatre temps.

[103] Et cela, dès Carissimi, qui, il fout bien le dire, n’a pas peu contribué au formalisme harmonieux et vide de l’opéra, après Cavalli. Ce grand artiste un peu froid, éminemment intelligent, voire intellectuel, clair, ordonné, sensible d’ailleurs, mais sans excès, et toujours réfléchi dans sa sensibilité, est bien loin d’avoir jamais l’émotion frémissante, la nervosité d’un Monteverde, ou la fougue puissante d’un Cavalli. Il était fait pour s’imposer a la France du Grand Roi, par son génie raisonnable. Il y avait en lui du Guido Reni. Un coloris d’une clarté égale et monotone. Une architecture noble, froide, éprise de la symétrie. Des rythmes peu variés. Une déclamation juste, naturelle, mais évitant avec soin tout excès d’expression, qui d’un texte banal pourrait faire jaillir un cri de passion; une musique dominée par la loi de la toute-puissante tonalité, qui s’y fait partout sentir comme un aimant, et qui l’empêche de s’égarer dans les recherches expressives de Monteverde.—Le jugement paraîtra sans doute trop sévère a ceux qui ne connaissent de Carissimi que quelques Histoires Sacrées; mais il ne faut pas oublier que le poète mélancolique et concentré de Jephté et de la Plainte des Damnez a été un des compositeurs qui ont traduit en musique le plus de niaises allégories profanes, et de cantates amoureuses, écœurantes de fadeur. (Voir, dans les Gloires de l’Italie de M. Gevaert, le duetto da caméra: «O mirate che portenti», ou, dans l’Arte Musicale in Italia de M. Luigi Torchi, la cantate: Il Ciarlatano, pour 3 soprani et basse continue) (Le sujet est le Dédain qui se fait charlatan, et qui vend des remèdes contre les blessures de l’Amour).—Or, c’est peut-être par ses cantates profanes, plus encore que par ses cantates religieuses, que Carissimi a agi sur la musique de son temps. Ajoutez que, même dans sa musique religieuse, il s’en faut que son goût soit toujours irréprochable. M. Hubert Parry n’a pas tort de montrer, dans le troisième volume de l’Oxford History of Music, qu’il fut «un des grands sécularisateurs de la musique d’Église, et un des plus grands pécheurs de son temps, pour les ornements extravagants dont il recouvrit parfois les paroles sacrées».—Il y a bien des préjugés à détruire au sujet de Carissimi; et peut-être tient-il dans l’histoire de la musique une place supérieure à son génie artistique,—incontestable, d’ailleurs.—Celui qui écrit ces lignes a lui-même contribué, pour sa faible part, à répandre cette opinion exagérée.

[104] Cantate morali e spirituali.

[105] Cet opéra est aussi connu sous le nom de: Il Palagio d’Atlante. Le libretto et la partition sont au Liceo musicale de Bologne.—La Bibliothèque Barberini de Rome possède deux exemplaires de la partition, sous le titre de «dramma musicale, poésie de Mgr. Giulio Ruspigliosi,» sans le nom du musicien.—Grove signale un autre exemplaire à la Library of the sacred Harmonie Society of London.

La pièce est en trois actes. Les personnages sont:

Pour le prologue: Pittura, Poesia, Musica, Magia.—Pour le drame: Gigante, Angelica, Orlando, Bradamante, Marfisa, Ferrau, Sacripante, Ruggero, Alceste, Fiordiligi, Prasildo, Mandricardo, Gradasso, Atlante, Olimpia, Doralice, Iroldo, Nano, Astolfo.

[106] Gobert.

[107] Lettre d’Atto Melani au prince Mattias, 12 janvier 1647.

[108] Voir Mme de Motteville (Petitot, p. 210-21, 238);—Gazette de Renaudot, 8 mars 1647, et passim;—Lefèvre d’Ormesson (Docum. inéd. sur l’hist. de France, I, 377).

Mme de Motteville semble dire qu’on rejoua en même temps la Finta Pazza. «C’était une comédie à machines et en musique à la mode d’Italie, qui fut belle, et celle que nous avions déjà vue, qui nous parut une chose extraordinaire et royale.» Il y a là sans doute une faute de lecture, ou de style.

[109] «Les soirs, la belle cour se rassemblait au Palais-Royal, dans la petite salle des comédies. La Reine se mettait dans une tribune pour l’entendre plus commodément, et y descendait par un petit escalier qui n’était pas éloigné de sa chambre. Elle y menait le Roi, le cardinal Mazarin, et quelquefois des personnes qu’elle voulait bien traiter, soit par la considération de leur qualité, soit par la faveur.» (Mme de Motteville, p. 207-8.)

[110] Mémoires de Nicolas Goulas, gentilhomme ordinaire de la chambre du duc d’Orléans (Soc. de l’hist. de France, II, 203).

[111] «Les Italiens, dit à son propos Mme de Motteville, sont d’ordinaire ennemis de la foule et du bruit» (p. 238).

[112] Goulas (Ibid.).

[113] Lettre d’Anne d’Autriche à Mattias, 23 mai 1647.—Lettre de Melani à Mattias, 25 juin 1647.—Lettre de Mazarin à Mattias, 10 juillet 1647.

[114] «La princesse Palestrine était âgée, avait eu de la beauté, avait de l’esprit, ne savait pas le français, parlait beaucoup, et était extrêmement fière de son nom.» (Mme de Motteville, 195-196.)

[115] Goulas, II, 212-3.

[116] On sait que, pour la peinture, sa réputation est malheureusement tout autre. Sauval prétend qu’à son avènement à la régence, en 1643, elle fit brûler à Fontainebleau pour plus de 100 000 écus de peintures qui choquaient la décence.

[117] En France même, le 18 décembre 1647, le Parlement renouvelait les peines féroces du moyen âge,—le gibet, la roue, la mutilation de la langue,—contre ceux qui blasphémaient non seulement Dieu, mais la Vierge et les saints. Ces peines avaient été supprimées de fait sous Richelieu. (Recueil des anciennes lois françaises, XVII, 65.)

[118] Et avec quels discours de pruderie offensée!

[119] «Les principales personnes des corps et compagnies souveraines.»

[120] Le 2 mars, après avoir dîné chez Mme de Sévigné, Lefèvre d’Ormesson alla «au Palais-Royal pour voir la représentation de la grande comédie, où, après avoir attendu une heure et demie, il entra par le moyen de Mme de la Mothe...» «Les voix sont belles, dit-il, mais la langue italienne, que l’on n’entendoit pas aisément, estoit ennuyeuse.» (Mémoires d’O. Lefèvre d’Ormesson.—Doc. inéd. sur l’hist. de France, I, 377-8).—Renaudot assure pourtant que les acteurs jouaient si parfaitement «qu’ils se pouvoyent faire entendre à ceux qui n’avoyent aucune connaissance de leur langue».

[121] Mémoires du marquis de Montglat (Petitot, p. 59-60).

[122] Mme de Motteville, p. 238.

[123] Renaudot, 8 mars.

[124] Ibid.

[125] Renaudot.—Bel exemple du style de la première chronique musicale, parue dans un journal français!

[126] «Cette comédie représentée quasi en présence de toute la France, avec l’approbation, voire mesme le transport et admiration de tous ceux qui faisoient profession de s’y cognoistre...» (Naudé, Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal, 1649.)

[127] Cela n’empêcha point les ennemis de Mazarin, ou les envieux de Luigi, de falsifier bientôt l’histoire, et de railler l’ennui d’Orphée, à peu près de la même façon que les journaux amusants raillaient, vers 1860, les vertus soporifiques de Tannhaüser: «Ce beau mais malheureux Orphée, ou, pour mieux parler, ce Morphée, puisque tout le monde y dormit...»

[128] 142 millions.

[129] «L’on a voulu qu’une despense de 30 000 escus pour un entretien de la cour, et d’une si grande ville que Paris, ait esté une chose bien extraordinaire: et l’on a fait un crime de voir une seule comédie de respect pendant la Régence, au lieu qu’auparavant c’estoit galanterie d’en voir toutes les années, et de jouer bien souvent des Balets, dont la despense estoit quasi toujours plus grande que n’a esté celle de la comédie d’Orphée.» (Naudé, ibid.)

[130] Mémoires de Guy Joly (Petitot, t. XLVII, p. 11).

[131] Mémoires de Goulas, II, 212.

[132] Lettre d’Atto Melani, 12 janv. 1647. Peut-être s’agissait-il d’un projet de carrousel dramatico-musical, par Margherita Costa: le Défi d’Apollon et de Mars.

[133] Du reste, la maladie du petit Roi, atteint de la petite vérole, puis les troubles de la Fronde, interrompirent toutes fêtes.

[134] Naudé, p. 575.—Naudé va même jusqu’à appeler Mazarin «le Martyr d’Estat», parce qu’on fit retomber sur lui toute la responsabilité des dépenses d’Orfeo.

[135] Le Triomphe de l’Amour, de Michel de la Guerre et de Charles de Beys, dont M. Quittard vient de retrouver le libretto, est de 1654; la Pastorale de Perrin et Cambert (l’Opéra d’Issy), de 1659; le Serse de Cavalli fut joué au Louvre en 1660, et la Pomone de Cambert inaugura l’Académie d’Opéra en 1671.

Il n’est pas sans intérêt de rappeler que Mazarin patronna les tentatives de La Guerre, ainsi que de Perrin et Cambert, et que, deux mois avant sa mort, il faisait représenter Serse dans sa chambre (11 janv. 1661). L’éternel Melani jouait deux rôles dans la pièce.

[136] 1681, Paris.—Bonnet et Bourdelot, dans leur Histoire de la musique et de ses effets (1715, Amsterdam), ont copié en grande partie la description de Menestrier; mais ils l’appliquent bizarrement à une représentation donnée, en 1660, à Vienne, pour les noces de l’empereur Léopold; et ils ne disent rien du spectacle de 1647 à Paris. Ils analysent d’ailleurs la pièce, «comme ayant passé pour un des modèles de l’opéra français» (p. 390-402).

[137] «La femme est un objet qui rend l’homme toujours ridicule. Si elle est laide, oh! quelle misère! Et si elle est belle, ah! quel danger!... Qu’on la prenne, ou qu’on ne la prenne pas, toujours on s’en repent.» (Acte I, scène 5.)

[138] Menestrier.

[139] Renaudot.

[140] Menestrier.

La Victoire: «Me voici! Et quand, invincibles armées de la Gaule, vous ai-je jamais fait défaut? Je marche avec ces drapeaux; ces lis d’or qui flamboient sont mes propres caractères qui disent clairement: Que tout cède au Monarque Français! Me voici! C’est moi qui ai reçu votre Roi dans un berceau de trophées, et qui ai penché sur son front mille palmes. C’est moi qui fais trembler sous son empire les deux hémisphères, et qui ai posé pour lui un frein sur l’immense Océan... Mais ses heureux destins veulent que cette gloire rayonne sur vous des yeux lumineux de la grande Anne, dont les belles mains tiennent le sceptre et lancent la foudre...» (Prologue d’Orfeo.)

[141] Renaudot.

[142] Malgré l’opinion de MM. Nuitter et Thoinan, le sonnet de Voiture au cardinal Mazarin sur la Comédie des machines me semble s’appliquer aussi bien à l’Orfeo qu’à la Finta Pazza.—Voir, dans les œuvres de Voiture, le sonnet connu:

«Quelle docte Circé, quelle nouvelle Armide...»

Le succès des machines d’Orfeo a contribué à la création d’un certain nombre de tragédies lyriques françaises à grand spectacle, comme la Naissance d’Hercule de Rotrou (1649), et l’Andromede de Corneille (1650). On sait que, pour l’Andromède, dont la musique était de d’Assoucy, ami de Luigi, on utilisa les machines d’Orfeo.

[143] Le copiste a seulement marqué «Qui và la Danza».

[144] Menestrier.

[145] Id.

[146] Id.

[147] Renaudot.

[148] «M. le cardinal de Mazarin employa (en 1646) M. Errard pour toutes les décorations d’un opéra italien, qui avait pour sujet les Amours d’Orphée et Euridice, et qui parut dans la même salle où se fait aujourd’hui l’Opéra. M. Errard fut produit pour cet ouvrage par M. de Ratabon, premier commis dans la surintendance des bâtiments. Les décorations en furent magnifiques, et entre autres celles d’une salle feinte (peinte?), dont tous les ornements étaient rehaussés d’or. Dans le lambris qui était composé d’architecture, on voyait plusieurs tableaux que M. de Sève l’aîné, qui depuis a été recteur de l’Académie, avait peints et finis d’après des dessins que M. Errard n’avait faits que de pratique. Ce fut à l’ouvrage de cette salle que M. Coypel, qui est aujourd’hui directeur de l’Académie, et qui n’était alors âgé que de 15 à 16 ans, commença à travailler pour M. Errard, qui le mit à rehausser d’or une grande frise de rinceaux ou ornements de feuillages qui se dessinait en perspective. Quoique la frise eût été ébauchée par des peintres qu’on tenait pour très habiles en ces sortes d’ouvrages, elle était presque toute estropiée, et M. Errard, remarquant avec attention que M. Coypel rectifiait de lui-même tout cet ouvrage, il lui fit faire avec joie tout le pourtour de la salle, et lui donna mille témoignages d’amitié, lui offrant tous ses dessins pour étudier.»

(Notice sur Charles Errard par Guillet de Saint-Georges,—dans les Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l’Académie Royale de peinture et sculpture,—1854, Paris.)

[149] L’Orfeo;—Poesia del Sig. Franc. Buti.—Musica del Sig. Luigi Rossi.—Bibl. Chigi. Q. V. 39. Grande partition reliée de II-261 pages, avec table alphabétique.

[150] Nº 25 887.

[151] Nº 2 307. Voir le catalogue de la Bibl. du Conservatoire de Bruxelles, par M. Wotquenne, I, p. 443.

[152] Tome XLI.

[153] Il est remarquable que Fétis en parle, en août 1827, dans la Revue musicale (voir Nuitter et Thoinan), et que, dans l’article de son Dictionnaire sur Luigi Rossi, il omet de citer l’Orfeo, qu’il connaissait pourtant.

[154] C’était d’ailleurs le défaut de presque toute l’époque, du moins de presque tout l’opéra de ce temps. Comme le dit M. Amintore Galli, dans son Estetica della musica (1900, Turin, p. 537), «dans la première moitié du XVIIe siècle, régnait sur l’opéra la mesure ternaire, et le rythme de la grave sarabande. Les rythmes de danse et les passages vocalisés caractérisent les œuvres de ce temps d’incubation mélodramatique».

[155] Il s’agit de la scène du Satyre et d’Aristée.

[156] Recueil d’excellents airs italiens de différents auteurs d’après Brossard, Bibl. Nat. Rés. Vm. 1108.

[157] «Le récitatif italien est un méchant usage du chant et de la parole.»

[158] Lettre sur les Opera.

[159] Malgré Rinuccini, et l’éveil assez intéressant pour l’histoire littéraire d’une suite de dramaturges musicaux,—comme Gabriello Chiabrera, Alessandro Striggio, poète de l’Orfeo de Monteverde, Ottavio Tronsarelli (33 Drammi musicali, 1632, Rome), Girolamo Bartolommei (Drammi musicali, 1656), dont une Teodora et un Polietto, publiés en 1632, dans un volume de tragédies sacrées, ont vraisemblablement inspiré les célèbres œuvres de Corneille. Le premier de ces Drames musicaux de 1655, une Cerere racconsolata, est précisément dédié «all’ Eminentissimo Sig. Cardinale Giulio Mazzarini». (Voir H. Hauvette: Un précurseur italien de Corneille, 1897, Grenoble).

M. Angelo Solerti avait commencé dernièrement la publication des libretti musicaux de la première moitié du XVIIe siècle. (Voir dans ses Albori del Melodramma, Milan, Sandron, les volumes II et III consacrés à l’œuvre de Rinuccini, Chiabrera, Striggio, Campeggi, St. Landi, O. Corsini, etc.)—La mort a malheureusement interrompu cette entreprise, comme tant d’autres précieux travaux de ce grand érudit.

[160] Combien Rameau n’a-t-il pas eu à en souffrir!

[161] Déjà certains l’osèrent, aux XVIIe et XVIIIe siècles: Péri, Loreto Vittori, Ferrari, Manelli, Stradella, Mattheson, etc.

[162] Trattato della musica scenica.—Doni mourut, l’année même d’Orfeo, en 1647.

[163] St-Évremond lui-même reproche à Luigi—ainsi du reste qu’à Cavalli et à Cesti—de sacrifier le drame à la musique, et de faire oublier ses héros par le charme de son art:—«L’idée du musicien va devant celle du héros dans les Opera: c’est Luigi, c’est Cavallo, c’est Cesti qui se présentent à l’imagination», et non leurs personnages. (Lettre sur les Opera.)

[164] Voir, par exemple, l’arietta d’Euridice: «Quando un core inamorato», p. 298 des Studien zur Geschichte der italienischen Oper im 17. Jahrhundert (tome I) de M. Hugo Goldschmidt.—On trouvera dans cet excellent ouvrage, qui a paru en même temps que paraissait dans la Revue d’Histoire et de Critique musicales l’étude présente sur Luigi Rossi, de nombreux fragments de l’Orfeo.

[165] Ainsi, dans le Recueil d’airs italiens, aux armes de Charles-Maurice le Tellier, archevêque de Reims (Bibl. Nat. Rés. Vm 1115. Inventaire Vm7 17), p. 109-119, le 11e air: Non sara, non fù, non è, qui débute par un mouvement vif à 4 temps, passe dans un adagio à 3/2, puis revient au 4.—Dans le même recueil, l’air: Anime voi che sete dalle furie (p. 59-68).—Voir aussi dans le recueil, déjà cité, de Brossard: Deh, deh, soccorri;—Chi trovasse una speranza;—Non sempre ingombra; etc.—Il en est de même dans le recueil de Cantates (Bibl. Nat. Rés. Vm. 1175 [27]).

[166] Voir p. 301 du livre cité de M. H. Goldschmidt, l’air d’Euridice: Fugace e labile è la beltà, que M. Goldschmidt rapproche de l’air célèbre du Rinaldo de Haendel: Lasoia ch’io pianga.

[167] Sur les vocalises et les «passages» vocaux dans les œuvres de Luigi, voir le tout récent ouvrage de M. H. Goldschmidt: Die Lehre von der vokalen Ornamentik (1er vol. 1907).

[168] Acte III. Scène X. Nous publions, à la fin du volume, cette admirable scène, restée inédite jusqu’à présent.

[169] Acte II, scène 9 (Voir p. 305 des Studien de Goldschmidt).

[170] Acte II, scène 5. Délicieux trio des Grâces, où chaque voix, à son tour, reprend la phrase initiale: Pastor gentile.

Acte III, scène 9. Charmant chœur à 3: Dormite, begli occhi, qui fait penser à Céphale et Procris de Grétry (p. 303 des Studien de Goldschmidt).

[171] Volkommener Kapellmeister, 1739 (p. 345).

[172] Acte III, scène 1.—Le burlesque se mêle bizarrement au pathétique: Aristée, fou de désespoir, chante un trio bouffe avec Momus et le Satyre (Acte III. scène 4).—Il y a dans l’Orfeo nombre d’airs bouffes, et assez réussis, qui annoncent l’opéra buffa du XVIIIe siècle.

[173] Voir notre Supplément musical.

[174] «Le fameux Luiggi Rossi, qui est un des premiers qui ait donné aux airs italiens ce tour non seulement sçavant et recherché, mais aussi ce tour et ce chant gracieux qui les fait encor admirer de nos jours par tous les connaisseurs.» (Catalogue de Brassard, 1724).

[175] Burney, dans son Histoire de la musique (t. IV, p. 152-157), note l’élégance de ses airs, leur modernisme et leurs hardiesses harmoniques.

[176]

«Je ne m’estonne point de voir à tes beaux airs
Soumettre les démons, les monstres, les enfers,
Ny de leur fier tyran l’implacable furie.
Le chantre Tracieu dans ces lieux pleins d’effroy
Jadis en fit autant; mais de charmer l’envie,
Luiggy, c’est un art qui n’appartient qu’à toi.»

[177] «Solus Gallus cantat... Luigi ne pouvait souffrir que les Italiens chantassent des airs, après avoir ouï chanter a M. Nyert, à Hilaire, à la petite Varenne.» (Lettre sur les Opera.)

[178] Voir Nuitter et Thoinan.—De Nyert avait été formé, d’ailleurs, à l’école romaine. Il était à Rome en 1630. (Voir la notice de Tallemant des Réaux, t. IV, p. 428 et suiv., sur De Nyert, Lambert et Hilaire.) C’est à de Nyert qu’est dédiée la fameuse épitre de La Fontaine contre l’Opéra.

[179] M. Henri Quittard vient de publier un certain nombre de ces Dialogues dans le Bulletin français de la S. I. M. (15 mai 1908).

[180] A la vérité, je n’ai pas trouvé trace, dans ses manuscrits, de musique écrite sur d’autres textes que des textes italiens; et, jusqu’à nouvel ordre, rien n’autorise à dire, comme a fait M. Ademollo, que Luigi fut le premier à écrire «sur des paroles françaises et pour des artistes français».

[181] «Il faisait peu de cas de nos chansons, excepté de celles de Boisset, qui attirèrent son admiration.» (Lettre sur les Opera.)

«Les airs de Boisset, qui charmèrent autrefois si justement toute la cour, furent laissés bientôt pour des chansonnettes; et il fallut que Luigi, le premier homme de l’univers en son art, les vint admirer d’Italie, pour nous faire repentir de cet abandonnement et leur redonner la réputation qu’une pure fantaisie leur avait ôtée.» (St-Evremond, Observations sur le goût et le discernement des François.)

Ce grand artiste, pour qui Luigi fait une exception si flatteuse parmi les musiciens français, et que certains des amateurs distingués du XVIIe siècle, Maugars, Lecerf de la Viéville, Bacilly, opposent aux maîtres d’Italie, comme le représentant le plus parfait de notre art national,—attend encore aujourd’hui une étude qui le remette en sa pleine lumière.

[182] «Il admira le concert de nos violons, il admira nos luths, nos clavessins, nos orgues...» (St-Évremond.)

[183] Il ne peut s’agir ici de la qualité que Lecerf de la Viéville reconnaît aux chanteurs français: à savoir, «de mieux prononcer». Tallemant, dans sa notice sur de Nyert, dit que c’est aux Italiens qu’il avait pris «ce qu’il y avait de bon dans leur manière de chanter», et «qu’avant lui et Lambert, on ne savait guère ce que c’était de prononcer bien les paroles». (IV, 428.)

[184] St-Évremond, Lettre sur les Opera.

[185] Mon érudit confrère, M. A. Wotquenne, a bien voulu me signaler le passage suivant de Pitoni (Notizie de’ contrappuntisti e compositori di musica): «Luigi Rossi, napolitain: un grand nombre de ses cantates, opéras (commedie) et canzoni sont encore recherchés aujourd’hui par les étrangers. Il mourut en 1653, et fut enterré à S. Maria in Via Lata, à Rome, où on lit l’éloge suivant: Aloysio de Rubeis Neapolitano phonasco toto orbe celeberrimo, regnis regibusque noto, cujus ad tumulum Armonia orphana vidua amicitia æternum plorant, Joannes Carolus de Rubeis sibi fratrique amantissimo cui cor persolvit in lacrimas sepulchrum posuit anno MDCLIII.» (Collection La Fage, mss. franc., nouvelle acquisition, nº 266.)

Luigi Rossi avait été en relations, sans doute dans les dernières années de sa vie, avec Christine de Suède. Nous avons de lui un Lamento sur la mort de Gustave-Adolphe.

[186] «J’ai essayé, dit Perti, de suivre du mieux que j’ai pu les trois plus grandes lumières de notre profession, Rossi, Carissimi et Cesti. J’ai pris pour escorte ces trois grandes âmes...»

[187] Entre autres, une Scelta di canzonette italiane di diversi autori, dedicate all’eccellentissimo Henrico Howard, duca di Norfolk, e gran marescial d’Inghilterra, Printed at London, by A. Godbid and J. Playford, in Little-Britain, 1679.

[188] Certains se souvenaient, pourtant: entre autres, La Fontaine, et son ami De Nyert, à qui les bruyants succès de Lully ne faisaient pas oublier l’Orfeo:

«Toi qui sais mieux qu’aucun le succès que jadis
Les pièces de musique eurent dedans Paris,
Que dis-tu de l’ardeur dont la cour échauffée
Frondoit en ce temps-là les grands concerts d’Orphée,
Les passages d’Atto et de Leonora,
Et ce déchaînement qu’on a pour l’Opéra?»
(Épître à de Nyert, 1677).

[189] En terminant ces pages, dans la Revue d’Histoire et de critique musicales d’octobre 1901, nous exprimions le désir «qu’on entreprît de rassembler l’œuvre disséminé de Luigi Rossi, et de publier au moins une sélection des airs et des cantates, dont les bibliothèques de Paris, de Belgique, d’Italie, et surtout d’Angleterre, possèdent encore une quantité prodigieuse (à la seule Christ Church Library d’Oxford, 112 cantates; au British Museum, 31 cantates et duos, 2 madrigali spirituali, etc.)».—Ce vœu est sur le point d’être réalisé. M. Alfred Wotquenne, à qui l’histoire de la musique du XVIIe et du XVIIIe siècles doit déjà tant de découvertes, a rassemblé à la Bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles les copies de toutes les cantates connues de Luigi Rossi; et il prépare en ce moment une étude sur ce maître, avec la collaboration de M. Gevaert, qui fut le premier peut-être, de notre temps, à avoir l’intuition de la grandeur artistique de Luigi, et à ressusciter ses œuvres, dans la belle collection des Gloires de l’Italie.

[190] Sénecé, Lettre de Clément Marot touchant ce qui s’est passé à l’arrivée de J.-B. Lully aux Champs-Élysées (1688, Cologne).

[191] «Un petit homme d’assez mauvaise mine et d’un extérieur fort négligé.» (Sénecé.)

[192] Comparaison de la Musique italienne et de la Musique française, par Lecerf de La Viéville de la Fresneuse (1705, Bruxelles).

Cet ouvrage est une suite de six dialogues entre des gens de distinction, qui se rencontrent, soit dans un théâtre d’opéra de province, à une représentation de Tancrède de Campra, soit chez un d’entre eux.

Ces amateurs passionnés discutent sur les mérites respectifs de la musique italienne et de la musique française; et ce leur est un prétexte pour faire l’apologie de Lully. Déjà ils sont un peu loin de leur héros, qui est mort depuis dix-huit ans, quand se tiennent ces conversations. Seul, le plus âgé de la société a vu Lully. Ils sont à la limite où va disparaître la génération qui l’a connu, et, avec elle, tant de précieux souvenirs. Ils le savent. Un d’entre eux dit:

«Profitez de la mémoire de ces messieurs. Il est temps de ramasser ces particularités... elles vieillissent; dans quelques années d’ici, elles se perdraient; vous les perpétuerez; et la mémoire de votre héros vous aura cette obligation.»

C’est donc, d’après l’intention même de l’auteur, un recueil de la tradition orale, des conversations de la cour et des musiciens sur Lully. C’est à ce titre que je le citerai fréquemment, dans ces Notes. Si tout n’en est pas rigoureusement exact, l’essentiel est que ce livre reflète l’opinion publique d’alors et l’image qu’elle s’était faite de Lully.—Image flattée, sans doute, puisque l’auteur est un fanatique de Lully. Image très vivante toutefois, et à travers laquelle il n’est pas difficile de retrouver l’homme réel.

Lecerf de la Viéville a été mis à contribution par presque tous ceux qui ont parlé de Lully après lui; mais ils se sont bien gardés, pour la plupart, de le nommer, tout en le pillant effrontément. Ainsi, Boscheron, dans sa Vie de Quinault (1715);—Titon du Tillet, dans son Parnasse françois (1732);—Le Prevost d’Exmes, dans son Lully musicien (1779).

[193] L’histoire est trop connue pour qu’on la raconte ici. Je renvoie le lecteur au livre excellent de Nuitter et Thoinan: Les Origines de l’Opéra français (1886).

[194] Il le fit, comme il disait.—«Le raccommodement fut si complet et si sincère, écrit Walckenaer, que La Fontaine supprima sa satire qui n’a été imprimée qu’après sa mort, et qu’il fit depuis pour Lully deux dédicaces en vers, l’une pour l’opéra d’Amadis et l’autre pour celui de Roland

[195] C’était alors le nom du quartier Saint-Roch, qui avait une double butte formée par l’accumulation des détritus de Paris.

[196] Dans un livre très curieux, intitulé: Lully homme d’affaires, propriétaire et musicien (1891).

[197] Lettre d’un inconnu à Cabart de Villeneuve (citée par M. E. Radet).

[198] D’après l’inventaire de ses biens, qui fut fait en 1687.

[199] «Le glouton», comme l’appelle encore La Fontaine.

[200] Lecerf de la Viéville.

[201] Lors du traité de Nimègue, il fit tirer, en face de son hôtel, un feu d’artifice en l’honneur de la paix et du Roi. Pour la naissance du duc de Bourgogne, il donna une représentation gratuite de Persée au peuple de Paris, «en y ajoutant des agréments extraordinaires. On entrait dans la salle par un arc de triomphe, qui, au sortir de la représentation, parut en feu; et un soleil s’éleva peu à peu au-dessus. Ce soleil était composé de plus de mille lumières vives. On tira ensuite plus de soixante fusées, les unes après les autres, et l’on fit couler jusqu’à minuit une fontaine de vin.»

[202] Un des personnages de Lecerf faisant la critique d’un passage d’Amadis, le chevalier réplique: «Mon pauvre ami, Lully est Lully, comme a dit M. de La Bruyère; mais Lully était homme, et homme adonné à ses plaisirs.»

[203] «Bon mari?» demande Lecerf.—«Pas mauvais. Il appelait toujours Lambert: Beau-père.»

A la vérité, Saint-Évremond insinue que, si Lully avait perdu sa femme, il n’eût pas fait autant de bruit qu’Orphée:

On t’aurait vu bien plus de fermeté
Que n’eut Orphée en son sort déplorable:
Perdre sa femme est une adversité;
Mais ton grand cœur aurait été capable
De supporter cette calamité.
En tout, Lully, je te tiens préférable.

[204] «Il prenait pour ses menus plaisirs le débit de ses livres, 7 à 8 000 livres de rente, et il laissait sa femme gouverner le reste.» (Lecerf du la Viéville.)

[205] «... Veut que ladite dame son épouse conduise tout ce qui concerne ladite Académie de musique ou Opéra, sans aucune exception ni réserve...»

[206] Racontée par Lecerf.—Quelle qu’en soit l’exactitude, cette légende, immédiatement formée après la mort de Lully, reflète l’opinion qu’il avait donnée de lui à ses contemporains.

[207] Lecerf ajoute que, «retourné dans son lit, il fit un air burlesque: Il faut mourir, pécheur, il faut mourir». Mais, comme Lecerf lui même ne semble pas très sur de la vérité du fait, nous partagerons son doute.

[208] Notre-Dame des Victoires, sa paroisse.

[209] Pour les grandes cérémonies, les deux bandes des violons et la Grande Écurie se réunissaient sous la direction du surintendant.

Lully était depuis 1652 «inspecteur de la musique instrumentale», et depuis 1653 «compositeur de la Chambre»,—poste où il avait succédé à l’Italien Lazzarini.

[210] Elle comptait quatorze chanteurs, huit enfants, et un joueur de cornet (serpent). Nulle mention d’organiste. Elle interprétait des messes et motets à 4, 5 et 6 voix, sans accompagnement instrumental, sous la direction de deux sous-maîtres de la chapelle, qui servaient tour à tour par semestre.—(Voir Michel Brenet: La musique sacrée sous Louis XIV, dans la Tribune de Saint-Gervais, février-avril 1899.)

[211] Depuis la nomination, en 1663, de Henry Dumont, comme sous-maître, il y avait eu un premier essai de renouvellement dans l’esprit de la chapelle royale. L’orgue s’y était introduit, avec une ou deux parties de violons ou de violes. Mais ce fut surtout depuis l’établissement du Roi et de la cour à Versailles que le style changea. Lully offrit sa troupe de chanteurs et d’instrumentistes, et il fournit lui-même les modèles du style nouveau; il écrivit de grands Psaumes à 8 ou 10 voix en deux chœurs, avec un orchestre complet,—vrais opéras religieux, ou cantates dramatiques, comprenant des récits, des airs, des duos, trios, chœurs, symphonies, d’un caractère grandiose et parfois pathétique, mais assez peu religieux.—(Voir M. Brenet, ibid., et H. Quittard, Henry Dumont.)—Tout ce côté du génie de Lully mériterait une étude spéciale, non moins que son activité singulièrement riche et brillante pour les Ballets de cour et les divertissements royaux. Il n’entrait point dans notre dessein de nous y attacher dans ces Notes, qui cherchent seulement à esquisser son rôle dans l’histoire de notre tragédie musicale.

[212]

Il faut vingt clavecins, cent violons pour plaire.
. . . . . . . . . . . . . . . . .
Ses concerts d’instruments ont le bruit du tonnerre,
Et ses concerts de voix ressemblent aux éclats
Qu’en un jour de combat font les cris des soldats.
(La Fontaine, Epitre à M. de Niert.)

[213] Lettres patentes du 12 mars 1672, autorisant Lully à établir à Paris une Académie Royale de Musique «pour faire des représentations des pièces de musique, composées tant en vers français qu’autres langues étrangères».

[214] «Défenses contre toutes personnes de faire aucunes représentations accompagnées de plus de deux airs et de deux instruments, sans la permission par écrit du sieur Lulli.» (1672.)—Ordonnance du 30 avril 1673, interdisant aux comédiens de se servir de plus de deux voix et de six violons. Etc.

[215] Entre autres, la vieille ennemie: la maîtrise, La Confrérie de Saint-Julien-des-Menestriers, qui avait longtemps fait échec à la Musique du Roi, et qui même, un moment, sous le «roi des violons» Guillaume Dumanoir, avait été sur le point d’absorber sa rivale, sans que le surintendant Boesset protestât. Elle s’attaqua à Lully, et prétendit lui disputer le monopole de l’éducation de ses violons. Mal lui en prit. Lully la fit confondre par un jugement injurieux, en 1673. Le «roi des violons» renonça officiellement à sa royauté illusoire, en 1685.—(Voir J. Ecorcheville, Vingt suites d’orchestre du XVIIe s. français, 1906, et Schletterer, Geschichte der Spielmannszunft in Frankreich und der Pariser Geigerkönige, 1884, Berlin.)

[216] «Lully était de Florence,» dit Lecerf, «apparemment un petit paysan de là autour».—«Moi, qui suis Florentin,» disait-il lui-même.—Le duc de la Ferté vit à Florence, chez le grand-duc, un vieux jardinier qui était son oncle ou son cousin, et portait son nom.

[217] Lecerf de la Viéville.

[218] Ibid.

[219] Raisons qui prouvent manifestement que les compositeurs de musique ou les musiciens qui se servent des clavessins, luths et autres instrumens d’harmonie pour l’exprimer, n’ont jamais été et ne peuvent être de la communauté des anciens jongleurs et ménestriers de Paris, 1695. (Bibl. Nat.)

Nicolas Métru, de Bar-sur-Aube, était maître de chapelle des Jésuites à Paris. François Roberday, de Paris, fut valet de chambre de la reine Anne d’Autriche, puis de la reine Marie-Thérèse, organiste des Petits-Pères, et mourut avant 1682. Nicolas Gigault, de Paris, né vers 1625, mort vers 1707, fut organiste de Saint-Nicolas-des-Champs, de Saint-Martin-des-Champs et de l’hôpital du Saint-Esprit. Il eut l’honneur d’être non seulement le maître de Lully, mais, peu avant sa mort, le juge de Rameau, dans un concours d’orgue, en 1706.

M. A. Guilmant a publié, dans les Archives des Maîtres de l’orgue des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, deux recueils de musique d’orgue de Gigault et Roberday, avec d’excellentes notices de M. A. Pirro.

[220] Cérémonial de Paris, rédigé par Martin Sonnet, en 1682.

[221] Le livre des Noëls de Gigault, comme le livre d’orgue de Roberday, publiés par M. Guilmant, sont écrits aussi bien pour orgue que pour clavecin, luth, violes, violons et flûtes, ainsi qu’ils s’en expliquent dans leurs préfaces. Gigault était inscrit sur le rôle des «compagnons qui montrent à danser et à jouer des instruments». Il donnait probablement des concerts chez lui. Roberday prit part, en 1671, dans l’église des Petits Pères, à un concert de 130 musiciens: violons, hautbois, trompettes, timbales et orgue.

[222] Pendant le séjour de Cavalli à Paris, Roberday, qui imprimait alors son Livre d’orgue (1660), lui demanda un sujet de fugue, «afin que son livre fût honoré du nom de ce maître».

[223] Écrit en 1665.

[224] Voir un curieux exemple de Gigault, publié par M. Pirro, dans la Revue musicale du 1er octobre 1903,—une marche de septièmes avec altération ou broderie de la quinte.

Roberday fait même, dans la préface de son Livre d’orgue, une audacieuse revendication de la liberté de l’art à l’égard des règles d’école:

«Il se trouvera dans cet ouvrage, dit-il, quelques endroits peut-être un peu trop hardis aux sentiments de ceux qui s’attachent si fort aux anciennes règles qu’ils ne croient pas qu’il soit jamais permis de s’en départir. Mais il faut considérer que la musique est inventée pour plaire à l’oreille; et, par conséquent, si je leur accorde qu’un ouvrier ne doit jamais sortir des règles de son art, ils doivent aussi demeurer d’accord que tout ce qui se trouvera être agréable à l’oreille doit toujours être censé dons les règles de la musique. C’est donc l’oreille qu’il faut consulter sur ce point.»

Cette déclaration, pleine de bon sens et de sain réalisme, n’a pas été perdue pour Lully.

[225] De ces dissonances, disent Perrault et Titon du Tillet, il a fait «les plus beaux endroits de ses compositions par l’art qu’il a eu de les préparer, de les placer et de les sauver».

Hardiesse toute relative! Quand, à la fin du siècle, la musique de Bononcini commença à se répandre en France, les Lullystes poussèrent les hauts cris: «... Des dissonances à faire frayeur!.. Des duretés continuées jusqu’où on peut aller... Ce n’est pas supportable. Heureuses, les oreilles de plomb!». (Lecerf de la Viéville: Éclaircissement sur Bononcini, 1706.)

[226] Airs (manuscrits) de Boesset, Lambert, Lully, Le Camus, etc. (Bibl. Nat. Rés.—Vm7, 501.)

Les Airs (imprimés) à 1, 2, 3 et 4 parties avec la basse continue, composés par MM. Boesset, Lambert, Lulli, 1689, Ballard,—contiennent le même air, mais avec des variantes appréciables.

Voir encore, de Lambert, l’air: Pour bien chanter d’amour,—ou: Je goûtais cent mille douceurs;—ou ses chansons d’inspiration populaire, bâties sur des mélodies de vaudevilles, aux rythmes dansants, comme: Hélas, que n’es-tu seulette.

M. H. Quittard vient de publier une intéressante étude sur le style des Dialogues de Lambert, dans le Bulletin français de la S. I. M. (15 mai 1908).

[227] Airs (manuscrits) de Boesset, etc.

[228] Voir Hermann Kretzschmar, Die Venetianische Oper (Vierteljahrschrift für Musikwissenschaft, 1892);—et Romain Rolland, L’Opéra populaire à Venise (Mercure musical, 15 janvier et 15 février 1906).

[229] Incantation de Médée, dans le Giasone de 1649.

[230] Ibid. Rôle de Demo.

[231] Surtout dans la Didone de 1641.

[232] Il y a dans Cavalli toute une série de scènes du Sommeil, dont Lully a pu s’inspirer. J’ai peine à croire qu’il n’ait pas connu, entre autres, celle de l’Eritrea de 1652, l’air délicieux de Celinda: Dolce sonno, amico nume (acte I, sc. XIX), avec son accompagnement berceur de trois violes.—Voir aussi la scène pastorale de Prasitea dans l’Ercole, et les chœurs qui suivent: Dormi, dormi, o sonno.

L’architecture musicale de l’Ercole de Cavalli offre d’ailleurs bien des ressemblances avec celle des futurs opéras de Lully: l’importance des Sinfonie, le style fugué de l’ouverture, aux rythmes fiers et saccadés, la structure du Prologue, les chœurs et les danses à la fin des actes, les mélodies chantées aux rythmes de danse, et le mélange dans un même chant des mesures à trois et à quatre temps.—Toutefois, il faut reconnaître que Cavalli lui-même s’était un peu adapté, dans cette œuvre, au goût régnant alors en France.

[233] Il use, en le reconnaissant, de certains procédés de style instrumental français (Serenata de 1662).—On a pu supposer qu’il avait voyagé en France vers 1660.

[234] En particulier, dans la Dori de 1661 et Pomo d’Oro de 1666-7.—Mais on ne doit pas oublier que si Cesti était arrivé au faîte de sa réputation quand Lully était encore au début de sa carrière, les divertissements de Lully se répandaient déjà en Europe et étaient copiés dans les autres cours, comme les modes françaises. Il s’était formé un style international, dont Paris, Vienne, et les villes italiennes étaient les principaux ouvriers. J’inclinerais toutefois à croire que Lully, plus intelligent qu’inventif, et plus organisateur que créateur, a dû probablement emprunter encore plus que fournir aux autres.

[235] Voir l’article précédent.—Je ne fais qu’indiquer en passant cette question, encore assez obscure, des rapports de Lully avec ses précurseurs italiens et français. Les travaux incessants de M. H. Quittard contribuent à l’éclaircir, chaque jour; et M. Henri Prunières doit lui consacrer un des chapitres de l’ouvrage qu’il prépare, en ce moment, sur l’Esthétique de Lully.

[236] Auteurs de l’opéra: le Triomphe de l’Amour, donné à Saint-Germain-en-Laye en 1672.

[237] Il semble que ce fut Molière,—plus préoccupé des rapports de la musique avec la comédie qu’aucun des grands auteurs dramatiques de son temps,—qui eut le premier l’idée de racheter à Perrin son privilège de l’Opéra. Il s’en confia à Lully, qui se hâta d’exécuter le projet pour lui seul, en évinçant Molière.—Voir Sénecé, Lettre de Clément Marot (1688), et Nuitter et Thoinan, les Origines de l’Opéra français (1886).

[238] Lecerf de la Viéville.

[239] Les Hommes Illustres (1696).

[240] Boscheron, Vie de Quinault (1715).

[241] «La passion qui le dominait le plus», continue Boscheron, «était l’amour; mais il la conduisait toujours avec tant d’adresse qu’il se pouvait vanter avec justice qu’elle ne lui avait jamais fait faire un faux pas, malgré les emportements qu’elle inspire d’ordinaire aux autres. Nul n’avait plus d’esprit dans le tête-à-tête...»

Ne pourrait-on adresser la même critique aimable aux opéras de Lully?

[242] Boileau écrit: «Monsieur Quinault, malgré tous nos démêlés poétiques, est mort mon ami». (Réflexions critiques sur quelques passages de Longin.)

[243] Il y a lieu de croire d’ailleurs que Quinault ne dut pas moins ce choix aux préférences du Roi qu’à celles de Lully. Il était, avant Racine, le plus parfait représentant de la tragédie amoureuse, qui faisait les délices de la jeune cour et le chagrin de Corneille (voir la préface de Sophonisbe). Son premier essai de collaboration avec Lully fut dans Psyché (1670).—A partir de Cadmus et Hermione (1673), il fut seul poète en titre de l’Opéra, jusqu’en 1686,—à la réserve des années 1678 et 1679, où Lully mit en musique la Psyché de Thomas Corneille et Bellérophon de Thomas Corneille et Fontenelle.

[244] Plus 2 000 livres de pension, assurées par le Roi.

[245] «Ce grand homme qu’il avait à ses gages...», dit J.-J. Rousseau.

[246] Lecerf de la Viéville.

[247] Voir Lecerf et Menagiana.—Mais Boscheron assure qu’il ne la connut que lorsqu’il travaillait à Armide.

[248] Boscheron.—Ce fut Quinault qui cessa, par scrupules religieux, d’écrire pour l’Opéra. Il commença un poème sur l’Extinction de l’Hérésie. Lully chercha, par tous les moyens, à le ramener à lui. Puis il s’adressa à Campistron, qui lui écrivit Acis et Galatée et Achille et Polyxène, dont il n’eut le temps d’achever que le premier acte.—Les deux fidèles collaborateurs se suivirent de près dans la tombe. Lully mourut le 22 mars 1687, et Quinault, le 29 novembre 1688.

[249] Racine y consentait fort bien. Qu’on se reporte au récit de Boileau, dans son Avertissement d’un Prologue d’Opéra. On verra que Racine avait accepté d’écrire pour Lully un opéra intitulé la Chute de Phaéton, qu’il en avait même écrit et récité au Roi quelques fragments; que Boileau n’avait pas fait plus de difficultés à accepter d’en écrire le prologue, et qu’en effet il l’écrivit partiellement. Si le projet ne se réalisa point, ce ne fut pas que Boileau et Racine, d’eux-mêmes, y renoncèrent. Ce fut, raconte Boileau, que, «M. Quinault s’étant présenté au Roi, les larmes aux yeux, et lui ayant remontré l’affront qu’il allait recevoir, le Roi, touché de compassion», reprit leur sujet à Racine et à Boileau, et le rendit à Quinault.—On voit qu’il n’eût tenu qu’à Lully d’avoir Racine comme librettiste. Et, en réalité, il l’eut. Racine écrivit pour lui l’Idylle sur la Paix, que Lully mit en musique (1685).

[250] Lecerf de la Viéville.

[251] Il avait une voix de basse,—mais «un filet de voix», dit Lecerf.—«Même âgé, il chantait encore volontiers ses airs.»

[252] Lecerf de la Viéville.

[253] Ibid.—On conte la même chose de Beethoven. Un jour, ayant vu galoper un cavalier sous sa fenêtre, il improvisa, dit-on, le motif de l’allegretto de la Sonate pour piano op. 31, nº 2, en ré mineur. «Beaucoup de ses plus belles pensées», ajoute Czerny, «sont nées de semblables hasards. Chez lui, tout bruit, tout mouvement, devenait musique et rythme.»

[254] Si Quinault avait Mlle Serment, Lully avait Mlle Certain, la jolie claveciniste. Mais il ne lui permettait pas de se mêler de son travail.

«...Certain, par mille endroits également charmante,
Et dans mille beaux arts également savante,
Dont le rare génie et les brillantes mains
Surpassent Chambonnière, Hardel, les Couperains.
De cette aimable enfant le clavecin unique
Me touche plus qu’Isis et toute sa musique.
Je ne veux rien de plus, je ne veux rien de mieux
Pour contenter l’esprit, et l’oreille, et les yeux....»
(La Fontaine, Épître à De Niert.)

On voit que, sur ce point, Lully était d’accord avec La Fontaine. Mais il est assez plaisant que le malin Florentin ait conquis la rivale, qu’on se plaisait à lui opposer. Mlle Certain (ou Certin) était toute jeunette, au temps où La Fontaine écrivait son Épître: elle était alors élève de De Niert, et elle n’avait pas plus de quinze ans. Plus tard, dit Walckenäer, «après que ses talents furent développés par Lully, elle devint célèbre par les beaux concerts qu’elle donnait chez elle, et où les plus habiles compositeurs faisaient porter leur musique.»

[255] Furetière, cité par Lecerf.

[256] Voir, dans le Bourgeois Gentilhomme, comment le maître de musique s’y prend pour composer une sérénade:

LE MAITRE DE MUSIQUE (à son Élève).—Est-ce fait?
L’ÉLÈVE.—Oui.
. . . . . . . .
LE MAITRE DE MUSIQUE.—Voyons... Voilà qui est bien.
LE MAITRE A DANSER.—Est-ce quelque chose de nouveau?
LE MAITRE DE MUSIQUE.—Oui, c’est un air pour une sérénade, Que
je lui ai fait composer, en attendant que notre homme fût éveillé...
Du moins, ici, le maître rend justice à son «écolier».

[257] Lecerf de la Viéville.

[258] «Il n’y avait d’exception que pour le comte de Fiesque, qui en pouvait lire et chanter quelques morceaux; et il en était extrêmement discret.»

[259] Jean-François Lalouette (1651-1728), bon violoniste, fut maître de chapelle à Saint-Germain-l’Auxerrois et à Notre-Dame; il écrivit des cantates et des motets. Pascal Collasse, de Reims (1649-1709), fut maître de la musique de la chambre, et composa de nombreux opéras. Marin Marais (1656-1728), virtuose renommé sur la basse de viole, écrivit aussi des opéras, dont un, l’Alcyone de 1706, fut célèbre.

M. Pougin suppose que Lully avait, au moins dans les premiers temps, son clavecin à l’orchestre de l’Opéra, comme il l’avait dans le théâtre de Molière.

[260] Lecerf ajoute: «C’était la mesure de la légèreté de main qu’il leur demandait. Vous voyez que ce terme de vitesse est raisonnable et borné».

Cette observation donnerait à penser que, déjà, du temps de Lecerf, les mouvements de Lully étaient joués plus lentement.—Le choix de cette page d’Atys n’était pas si mauvais. Il y faut beaucoup de précision nerveuse dans l’attaque: qualité à laquelle Lully tenait par dessus tout...

[261] Lecerf de la Viéville.

Ces musiciens de l’orchestre, sur qui Lully déchargeait sa colère, n’étaient pas cependant de pauvres hères. Certains d’entre eux furent des virtuoses et même des compositeurs distingués. Le violoniste Marchand écrivit une messe, jouée à Notre-Dame. Le basse de viole Théobalde composa un opéra, Scylla, donné en 1701. Le flûtiste Descoteaux était ami de Boileau, de Molière et de La Fontaine; il se disait philosophe, et La Bruyère, dit-on, fit son portrait, dans le chapitre de la Mode, sous le nom du «Fleuriste». On a voulu reconnaître l’autre flûtiste, Philbert, dans la galerie des portraits de La Bruyère, sous le masque de Dracon, le virtuose aimé des dames.—(Voir une série d’intéressants articles de M. Arthur Pougin, parus dans le Ménestrel, en 1893, 1895 et 1896, sur la Troupe de Lully).—Il semble aussi que parmi les violonistes étaient Rebel (père de Jean-Ferry Rebel et d’Anne Rebel, qui épousa Lalande), et Baptiste (père de Baptiste Anet),—tous deux ancêtres de lignées d’artistes illustres au siècle suivant.

[262] Préfaces aux deux parties du Florilegium,—recueil d’admirables pièces instrumentales, publiées en 1695 et 1698.—On a réédité récemment cette œuvre dans les Denkmäler der Tonkunst in Œsterreich, et M. Robert Eitner a publié dans ses Monatshefte für Musikgeschichte (1890-1891) les notes de Muffat, minutieuses et précises, sur l’orchestre de Lully.

[263] C’est le fameux «premier coup d’archet», dont la tradition se maintint pendant tout le XVIIIe siècle, et dont Rousseau et Mozart font des gorges chaudes. Ce devait être quelque chose d’un peu analogue à «l’attaque» à la Weingartner.

«Le bruit de notre premier coup d’archet s’élevait jusqu’au ciel avec les acclamations du parterre.» (J.-J. Rousseau, Lettre d’un symphoniste de l’orchestre.)

Mozart écrit à son père (12 juin 1778, Paris):

«Je n’ai pas manqué le premier coup d’archet. Quelle affaire ils en font, ces animaux-là! Que diable! Je ne vois pas de différence... Ils commencent bien ensemble... comme partout ailleurs. Cela fait rire!... Un Français à Munich demande à D’Abaco: «Monsieur, vous avez été à Paris?—Oui.—Que dites-vous du premier coup d’archet? Avez vous entendu le premier coup d’archet?—Oui, j’ai entendu le premier et le dernier.—Comment, le dernier, que veut dire cela?—Mais oui, le premier et le dernier... Et le dernier même m’a donné plus de plaisir.»

[264] «Scharfe charakteristiche Rhytmik», comme dit Robert Eitner.

Un rythme incisif et expressif.—Mais Lully ne tenait pas moins à la délicatesse. Nombre d’indications de ses partitions insistent sur ce point: «Jouer doucement.... sans presque toucher les cordes... Ne point ôter les sourdines que l’on ne le voye marqué...»

[265] Perrin et Cambert avaient eu beaucoup de mal à recruter des chanteurs à Paris et en province, surtout en Languedoc. De Toulouse, venait Beaumavielle, qui joua les grands rôles de basse de Lully (Alcide, Jupiter, Pluton, Roland). De Béziers vint Clédière, qui jouait les rôles de haute-contre (Atys, Thésée, Bellérophon, Admète, Mercure). Plusieurs des meilleures actrices de Lully avaient aussi débuté dans les opéras de Cambert, ou dans les ballets de la cour. Ainsi, Marie Aubry (Sangaride, Io, Andromède), et surtout Mlle de Saint-Christophle, tragédienne excellente (Médée, Alceste, Junon, Cybèle, Cérés).

Voir les articles cités de M. Arthur Pougin.

[266] Voir Marpurg, Historisch-kritische Beyträge zur Aufnahme der Musik, 1754, Berlin. (Lebensnachrichten von einigen berühmten französischen Sängerinnen.)

[267] Lecerf de la Viéville.

[268] Ibid.

[269] Il chassa, parce qu’elle était enceinte, sa plus jolie actrice, Louise Moreau, la Paix de Proserpine,—qui avait fait la conquête du Dauphin.

[270] «Il les avait tous mis sur le pied de recevoir sans contestation le personnage qu’il leur distribuait.» (Lecerf.)

[271] Voir page 235.

[272] Ainsi, Prometheus de Gœthe, traduit en musique par Reichardt, Schubert et Hugo Wolf.

[273] Il serait plus juste de dire: «Quand il eut perdu sa maîtresse».—En effet, «quand elle eut perdu son maître» ne signifie pas: «après la mort de Racine»; car elle est morte avant lui, en 1698. Cela veut dire: «après la fin de leur liaison», soit, à ce qu’il semble, au temps où elle se lia avec le comte de Clermont-Tonnerre,—«le tonnerre qui l’avait déracinée»,—vers 1678.

[274] Ici, Louis Racine semble faire une erreur tout à l’avantage de son père. Baron avait été formé par Molière, et non pas par Racine.

[275] Cité par les frères Parfait, dans le t. XIV de leur Histoire du Théâtre Français, et par Lemazurier, dans sa Galerie historique des acteurs au Théâtre Français (1810).

[276] Appendice à la Correspondance entre Boileau et Brossette, 1858, p. 521-522.

[277] Du Bos prétend que Racine donna à la Champmeslé l’intonation du rôle de Phèdre, vers par vers.

[278] Abbé du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1733, III, 144.—(La 1^re édition est de 1719.)

[279] Lemazurier, Galerie historique des acteurs du Théâtre-Français (1810).

[280] Titon du Tillet remarque à propos de Beaumavielle (le Jupiter, le Roland, l’Alcido de Lully), l’habitude «de faire valoir sa voix par des sons trop nourris et emphatiques, qui était en usage parmi nos anciens acteurs».

[281] Du Bos, Ibid., I, 419.

[282] Ibid., III, 154.

[283] Le premier rôle de Racine que joua la Champmeslé fut Bérénice, en novembre 1670. Elle avait alors 26 ans.

[284] Il est curieux que cette scène d’Iphigénie soit précisément la même que Diderot, dans son Troisième Entretien sur le Fils Naturel, en 1757, propose comme thème de déclamation musicale au réformateur de l’opéra, qu’il attend et qu’il pressent,—qui sera Gluck, vingt ans plus tard.—(Voir p. 224).

[285] Entendez: le parler ordinaire de la tragédie.

[286] L. de la Laurencie, Le goût musical en France, 1905.

[287] Atys, IV, 4.

[288] Isis, II, 2.

[289] Ibid., II, 4.

[290] Thésée. Acte II. Premier air de Médée.

[291] Thésée. Deuxième air de Médée.—Voir aussi le récit de Méduse dans Persée (III, 1), ou celui de Théone dans Phaéton (III, 1.): «Quoi! malgré ma douleur mortelle...».

[292] Armide. Monologue du second acte.

[293] Proserpine. Prologue.

[294] Ibid., II, 1.

[295] Ainsi, dans Atys:

Acte I: «Atys est trop heureux.»
Acte III: «Que servent les faveurs.»
Acte IV: «Espoir si cher et si doux.»

dans Isis:

Acte II: «Ah! quel malheur de laisser engager son cœur!»

dans Proserpine:

Acte II (air d’Alphée): «Amants qui n’êtes point jaloux.»

dans Alceste: l’air de la nymphe de la Seine, dont la phrase:

«Le héros que j’attends ne reviendra-t-il pas?»

répétée cinq fois, rend si bien l’insistance du sentiment langoureux.

Acte II (air d’Hercule): «Gardez-vous bien de m’arrêter.»

[296] On sent ici la différence qu’il y a entre le musicien littérateur, qui puise son inspiration dans le texte littéraire, et trouve parfois de beaux motifs mélodiques dont il ne tire point parti,—et le musicien de race, qui part quelquefois d’un thème banal, et en fait sortir peu à peu des pensées admirables.

[297] Il y en a 2 à 300 dans ses pièces, écrit La Viéville, et d’une variété, d’une force de chant prodigieuse!...»

[298] Lecerf de la Viéville de la Fresneuse, Comparaison de la musique italienne et de la musique française, 1705, Bruxelles.—Quatrième conversation, p. 153 et suiv.

[299] Le Prévost d’Exmes rapporte, en 1779, qu’on fit déclamer à Mlle Lecouvreur ce monologue d’Armide: «Enfin! il est en ma puissance», et qu’on fut surpris de constater que sa déclamation était exactement conforme à celle de Lully.

[300] Il importe de noter d’ailleurs que le récitatif de Lully—comme l’ensemble de sa musique—était exécuté, de son temps, et sous sa direction, d’une façon beaucoup plus vive et moins traînante qu’on ne le fait depuis. «On le chantait moins, et on le déclamait davantage.»—Je reviendrai plus loin sur cette question.

[301] Il faut croire que ce genre de spectacle était dans notre sang; car déjà dans les Peines et les Plaisirs de l’Amour de Cambert, en 1672, il y avait un acte fameux,—le second,—le Tombeau de Climène, où l’on voyait, dans une allée de cyprès, autour d’un sépulcre blanc, se dérouler une noble pompe funèbre.—Les Français de la fin du XVII{e} siècle étaient très fiers de ces scènes lyriques, qu’ils considéraient comme une spécialité nationale. «Les sacrifices, les invocations, les serments, dit Lecerf de la Viéville, sont des beautés inconnues chez les Italiens.»—On reconnaît le goût pompeux des Français de ce temps: leur esprit néo-antique se combinait ici avec leur prédilection de catholiques romains pour l’apparat des grandes cérémonies religieuses.

[302] Airs du valet Arbas.

[303] L’air d’Archas: Quelque embarras que l’amour fasse, rappelle l’air des Poitevins du Bourgeois gentilhomme. L’air-rondeau des Faunes et l’air de Pan: Que chacun se ressente, a trouvé certainement son modele dans les pastorales de Cambert. La charmante chaconne chantée de l’acte I: Suivons l’amour, est tout à fait dans le style de la comédie-ballet. Certains airs sont presque des airs de vaudevilles: ainsi, l’air de la nourrice: Ah! vraiment, je vous trouve bonne... A côté des airs à danser, il y a des airs d’un comique très fin, comme le joli air d’Aglante: On a beau fair l’amour, qui montrent que Lully aurait pu, s’il avait voulu, être un de nos plus charmants petits maîtres, et fonder notre opéra-comique. Mais ce qui abonde surtout dans Cadmus, ce sont les airs de cour, les chansons galantes, dans le style de Lambert, faites pour le concert, bien plus que pour le théâtre (Air du Soleil, airs de Charite, etc.).

[304] Le Roi s’enthousiasma pour Cadmus, et, jusqu’à ses derniers jours, il lui resta fidèle. Lecerf de la Viéville raconte que, dans sa vieillesse, venant d’entendre des airs de Corelli, qui était alors à la mode, Louis XIV se fit jouer par un violon de sa musique un air de Cadmus, et dit: «Je ne saurais que vous dire: voilà mon goût à moi».—Naturellement, la cour partagea ce froût; et Cadmus gagna définitivement la cause, encore fort incertaine, de l’opéra français.

[305] Ainsi, les airs de Licomède et de Céphise.

[306] «On reprocha à Quinault, dit Boscheron, d’avoir gâté le sujet d’Euripide avec des épisodes inutiles.»—On trouvera l’écho des polémiques, que suscita Alceste, dans l’écrit apologétique de Charles Perrault: Critique de l’Opéra, ou examen de la tragédie intitulée Alceste, ou le triomphe d’Alcide (publiée dans le Recueil de divers ouvrages en prose et en vers, dédié par Le Laboureur à S. A. Mgr le prince de Conti, 1675).

[307] Dès la pièce suivante, il donne un nouveau coup de barre. Sans rompre aussi brutalement que dans Alceste l’équilibre de la tragédie, et en prenant bien garde de conserver à celle-ci ses nobles lignes, Lully réintroduit, mais avec discrétion, l’élément comique dans son admirable Isis, de 1677, «pour laquelle il avait pris, dit La Viéville, une peine infinie». Il y varie, autant que possible, le spectacle, les danses, les fines symphonies, et tâche de réchauffer l’action.

[308] Perrault a bien raison de déplorer, dans sa défense d’Alceste, que les «connaisseurs» puissent décréter à tort et à travers, et imposer leur goût au grand public. Le grand public trouvait plaisir à ce mélange du comique et du tragique, à «ces petites chansons»; mais, intimidé par l’arrêt de l’élite, il n’osa pas les défendre. «Serait-ce à cause qu’elles ne valent rien, demande Perrault, que tout le monde les sait par cœur, et les chante de tous côtés?»

[309] Lully se délassait de ses opéras en écrivant des vaudevilles et des chansons bachiques. «Il chantait la basse, et accompagnait de son clavecin.»—Combien peut-on noter, dans ses opéras, d’airs qui ont le caractère de vaudevilles!

[310] Sans parler des maîtres de l’air de cour, le charmant Guesdron, Boësset, et surtout Lambert, qui fut en cela, comme en beaucoup d’autres choses, un des modèles de Lully.

«En airs champêtres, dit Lecerf de la Viéville, Lully est notre héros, ou du moins l’égal de Lambert.»

[311] Voir le Triomphe de l’Amour, et «la douce harmonie, qui se mêle et s’accorde avec la voix de la Nuit. La Nuit, Diane cachée, le Mystère, le Silence, les Songes...»

[312] Peut-être n’a-t-on pas assez montré l’intérêt historique des livrets de Quiuault. Constamment ils reflètent, d’une façon à peine voilée, les événements de la cour; et, comme aucun de ces poèmes ne fut écrit sans avoir été soumis au Roi et discuté par lui, il est permis de retrouver dans certaines scènes, l’inspiration ou l’influence personnelle du Roi. Telle, dans Proserpine, la scène fameuse de Cérès et de Mercure, pleine d’allusions aux infidélités amoureuses du Roi, qui était alors épris de Mlle de Fontanges, et qui oppose aux reproches jaloux de Mme de Montespan l’exemple de Cérés délaissée et de son chagrin décent. Les contemporains ne s’y trompaient point: «Il y a une scène de Mercure et de Cérès qui n’est pas bien difficile à entendre, écrivait Mme de Sévigné, le 9 février 1680: il faut qu’on l’ait approuvée, puisqu’on la chante.»

Les Prologues, dont le Roi est toujours le héros, suivent l’histoire des guerres et des traités, Isis célèbre les victoires navales que venaient de remporter Jean Bart, Duquesne et Vivonne. Bellérophon et Proserpine chantent la paix triomphante—et, déjà, menaçante pour la sécurité du reste de l’univers.

«Il soumettra tout l’univers», annonce Quinault, commentant, à sa façon, la lettre de Mme de Sévigné à Bussy: «La paix est faite. Le roi a trouvé plus beau de la donner cette année à l’Espagne et à la Hollande que de prendre le reste de la Flandre. Il le garde pour une autre fois.»

L’histoire du règne défile dans ces Prologues. Jusqu’aux chambres de réunions, auxquelles on peut trouver une allusion dans le prologue de Persée!

[313] Marpurg, Historisch-kritische Beyträge zur Aufnahme der Musik, 1754, Berlin.—I, 217.

[314] On sait que le type de l’ouverture italienne, déjà esquissé par Landi dana le second acte de son S. Alessio, comprend essentiellement un mouvement rapide, un mouvement lent et un mouvement rapide.

[315] L’ébauche de l’ouverture française apparaît aussi, comme l’a remarqué M. Pirro, chez certains maîtres allemands de la même époque, par exemple ehei Hammerschmidt et chez Beutschner.

[316] Abbé Du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture.

[317] Id., I, 460.

[318] Il s’agit ici de Roland qui revient à la raison.

[319] Id., I, 456-57.

[320] Nous avons cité, plus haut la scène fameuse d’Isis, où Lully aurait, au dire de ses contemporains, cherché à évoquer, «le gémissement du vent, l’hiver, dans les portes d’une grande maison».

[321] Ai-je besoin de dire que Du Bos exagère une idée juste, et que, tout en étant écrites pour un effet précis, des pages comme Logistille, ou telle symphonie du Sommeil ou du Silence, sont d’admirable musique, qui a la perfection, la délicatesse de touche et la sérénité de Hændel.

[322] Du Bos veut parler sans doute de la «Marche des sacrificateurs et des combattants qui apportent les étendards et les dépouilles des ennemis vaincus», au premier acte du Thésée. C’est, en effet, une scène d’une ampleur admirable,—une sorte de marche des armées victorieuses de Louis XIV.

Plus somptueuse encore est la scène et marche du sacrifice à Mars, au troisième acte de Cadmus. M. Reynaldo Hahn l’appelle justement «un beau fragment décoratif conçu dans le style de Le Brun». Elle garde dans sa solennité grandiose un caractère de vivante épopée et une allégresse héroïque.

Voir aussi, au premier acte d’Amadis, la Marche pour le combat de la Barrière et l’air des Combattants.

[323] Première partie des Bemerkungen: Angenehmerer Initrumental-Tanzmusik. Le chapitre est intitulé: Auf Lullianisch-französische Art Tänze aufzuführen.—Ces remarques ont été rééditées par Robert Eitner, dans ses Monatshefte für Musikgesch., 1891, p. 37-48 et 54-60.

[324] Je ne parle pas de cette autre réforme, capitale, dans l’histoire de la danse: l’introduction—si tardive—des femmes dans les ballets. Jusqu’à Proserpine, en 1680, les ballets ne comprenaient que des danseurs. Les premières danseuses, admises à l’Opéra, parurent, deux mois après Proserpine, dans ce petit chef d’œuvre: le Triomphe de l’Amour.

[325] Du Bos, III, 169.

[326] A la vérité, les précurseurs de Lully, pour l’ordre, l’architecture de l’œuvre, la progression des moyens musicaux et scéniques dans l’opéra, sont les musiciens de l’Opéra Barberini, à Rome, avant 1650: D. Mazzocchi, Landi, Vittori.

[327] Je rappelle qu’il est de stricte justice de faire hommage à Lully de la belle architecture de ses poèmes d’opéra. On a vu plus haut la façon dont il collaborait avec Quinault. Il n’y a guère de doute que, si les vers sont de Quinault ou de Thomas Corneille, la construction des scènes, des actes, et, dans une certaine mesure, des caractères, n’ait été de Lully.

[328] Du Bos, Réflexions critiques..., III, 318.

[329] Lecerf de la Viéville.

[330] Muffat.

[331] «La mesure toujours prête à leur échapper.... Tout est d’un faux à choquer l’oreille la moins délicate...»

[332] Dès le commencement du XVIIIe siècle, Lecerf de la Viéville dit qu’elles tiennent le quart du spectacle, et que «Lully ne donnait pas tant d’étendue à la danse qu’on fait à présent».

[333] Il publia à Stuttgart, en 1682, comme l’a montré M. Michel Brenet, un livre de Composition de musique suivant la méthode françoise.

[334] Voir la préface du Florilegium, I, de G. Muffat, publié en 1695, à Augsbourg, et réédité récemment dans le premier volume des Denkmäler der Tonkunst in Œsterreich.

[335] R. Eitner, Die Vorgänger Bach’s and Hændels (Monatshefte, 1883).

[336] Pièces de clavessin avec la manière de les jouer; diverses chaconnes, ouvertures et autres airs de M. de Lully, mis sur cet instrument..., 1689.

[337] Lettre écrite par Arnauld à Perrault, en mai 1694, peu de temps avant sa mort.

[338] La Fontaine lui-même, qui se montre, dans cette Épître, si ennemi de l’opéra, auquel il oppose le style plus discret et plus fin de la musique de chambre....

Le téorbe charmant, qu’on ne vouloit entendre
Que dans une ruelle, avec une voix tendre,
Pour suivre et soutenir par des accords touchants
De quelques airs choisis les mélodieux chants....

La Fontaine s’évertua à écrire des opéras; et il en donna un, en 1691,—qui n’eut d’ailleurs aucun succès (l’Astrée, musique de Collasse).

[339] Voir surtout le passage, cité plus haut, page 168, où La Viéville décrit le saisissement produit sur le public par la grande scène d’Armide voulant poignarder Renaud endormi.

[340] On sent un fléchissement dans le lullysme au moment des grands opéras de Rameau. On voit crouler alors Isis, Cadmus, Atys, Phaéton, Persée. Mais les autres tiennent bon; et Thésée atteste la vitalité indestructible du parti lullyste jusqu’après Iphigénie en Tauride de Gluck. Il tient la scène pendant 104 ans, de 1675 à 1779.

[341] «Charpentier l’Italien», comme disaient ses contemporains (La Viéville, p. 347).—De nos jours, on a tenté, bien à tort, de l’opposer, comme type de pur musicien français, à Lully, que ses contemporains n’admiraient tant que parce qu’ils voyaient en lui, justement, le représentant de la tradition française de Lambert et de Boësset, contre l’italianisme de Charpentier.

[342] C’est une simple hypothèse. Je crois bien, pour ma part, que cet art eût disparu de même, si Lully n’avait pas existé. Les études de M. J. Ecorcheville sur les musiciens français du «manuscrit de Cassel» montrent assez l’anarchie et l’incertitude qui rongeaient la musique française aux environs de 1660. 11 n’a tenu qu’à Dumanoir de prendre la place de Lully. En dépit d’un talent indéniable c’est leur propre faiblesse qui a ruiné les maîtres, et non la force de Lully. Au reste, quel génie eut jamais le pouvoir de tuer le développement d’une école artistique, si cette école artistique avait eu la moindre vitalité? En art, on ne tue que les morts.

[343] Il n’y a aucun rapport entre le style de Lully et celui des maîtres de l’opéra italien de son temps: Stradella, Scarlatti, Bononcini. Un artiste comme Stradella est, par toutes ses qualités et par tous ses défauts, l’antipode absolu de Lully. Lully fut le plus intransigeant des Français de son temps; et ce fut la raison de son succès universel en France.

[344] Journal de Paris (août 1788).

[345] Je ferai deux observations, à propos de l’interprétation de la musique de Gluck dans nos théâtres d’aujourd’hui.

L’une, pour l’orchestre. Je voudrais que le rythme de Gluck fût marqué davantage. Gluck fait constamment usage d’effets de rythme insistant et implacable, à la façon de Hændel: on ne saurait trop les accentuer. Il ne faut pas oublier que son art était fait, d’après son invention expresse, pour de grands espaces et de vastes publics: il y faut relativement peu de finesse, mais un dessin large et appuyé, un style colossal, et cette âpreté d’accent qui frappa, par-dessus tout, les contemporains de Gluck.

L’autre observation a trait aux ballets. Pour le divertissement du second acte, à l’Opéra-Comique, on a fondu les danses des second et troisième actes. On l’a fait avec un rare bonheur; et je ne crois pas qu’aucun théâtre puisse donner un spectacle plus achevé. Je n’en regrette pas moins qu’on n’ait pas cru devoir maintenir à sa place primitive le ballet qui terminait la partition. Les habitudes de l’opéra moderne veulent que le spectacle finisse en pleine action. Il n’en était pas de même dans l’opéra ancien (voir Orphée ou Iphigénie en Aulide) où, quand la tragédie était achevée, une musique heureuse, de belles danses, des chants paisibles, venaient détendre l’esprit. C’est ce qui contribue à donner à ces œuvres leur caractère de rêve bienfaisant et serein. Pourquoi ne pas revenir à cette conception dramatique? Je la crois plus haute que la nôtre.

[346] Jusqu’à présent, l’air d’Hercule: C’est en vain que l’Enfer, était déclaré apocryphe, et attribué à Gossec. M. Wotquenne vient de le rendre à Gluck, en montrant ses ressemblances avec un air d’Ezio (1750): Ecco alle mie catene. Mais pourquoi Gossec, qui était un admirateur de Gluck, ne se serait-il pas inspiré d’un ancien air de lui?

[347] Je parle de l’Alceste italienne, jouée à Vienne en 1767: car, dans l’Alceste française de 1776, Gluck a fait un certain nombre d’emprunts, peu considérables d’ailleurs (quelques danses et chœurs dansés), à Antigone, à Paride ed Elena et aux Feste d’Apollo.

[348] Le second et le troisième actes sont tout autres. Dans la partition italienne, le second acte se passait dans les Enfers, et nous montrait Alceste, de même qu’autrefois Orphée, en présence des dieux infernaux, se vouant à la mort. Puis Alceste revenait sur la terre, pour faire ses adieux à Admète. Le troisième acte, où ne paraissait pas Hercule, se dénouait par l’intervention d’Apollon.

[349] Remarquez la différence des titres donnés par Gluck à ses œuvres. Les premiers opéras italiens gardent le nom, habituel alors, de dramma per musica, et c’est encore le titre du Paride ed Elena. L’Orfeo italien de 1765 se nomme azione teatrale per musica; l’Alceste italienne de 1767, tragedia messa in musica; Iphigénie en Aulide, l’Orphée français et l’Alceste française sont des «tragédies-opéras»; Armide, un «drame héroïque mis en musique». Enfin Iphigénie en Taurine est une «tragédie mise en musique».

[350] Les Grotesques de la Musique.—Il est vrai que Berlioz ajoute; «Je ne dis pas cela pour Rousseau, qui en possédait, lui, les notions premières...» Mais c’est justement une erreur de prendre Rousseau comme type le plus complet de la science musicale des Encyclopédistes. D’Alembert et peut-être même Diderot étaient plus instruits que lui.

[351] Die Encyklopädisten und die französische Oper im 18 Jahrhundert (1903, Breitkopf).—J’ai fait mon profit des indications de cette excellente étude.

[352] On a repris dernièrement à Munich le Pygmalion de Rousseau. Voir sur ce mélodrame l’étude de M. Jules Combarieu (Revue de Paris, février 1901).

[353] Je fais, bien entendu, la part, dans ces éloges, des exagérations calculées pour s’attirer la faveur du critique influent.

[354] Burney, l’État présent de la Musique en France et en Italie (1771). Burney, qui entendit jouer Mlle Diderot, dit qu’«elle était une des plus fortes clavecinistes de Paris, qui avait des connaissances extraordinaires sur la modulation»; et il ajoute cette curieuse remarque:

«Quoique j’aie eu le plaisir de l’entendre pendant plusieurs heures, elle n’a pas joué un seul morceau français. Tout était italien ou allemand, d’où il n’est pas difficile de fonder son jugement sur l’opinion de M. Diderot dans la musique.»

[355] Principes généraux d’Acoustique (1748).

[356] Fragments sur l’Opéra (1752).—Articles: «Fondamental» et «Gamme» dans l’Encyclopédie.—De la Liberté de la Musique (1760).—Fragments sur la Musique en général et sur la nôtre en particulier (1773).—Réflexions sur la Théorie de la Musique (1777).

[357] Lettre au Mercure de France (mai 1752).

[358] Gluck n’est arrivé à Paris que neuf ans plus tard, en 1773: il n’est donc pour rien, comme on l’a dit parfois, dans le discrédit où tomba l’œuvre de Rameau. C’était chose faite, bien avant que Gluck fût connu en France.

La première mention qu’on ait d’une œuvre de Gluck jouée en France, est de quatre ans après la mort de Rameau. Le 2 février 1768, comme l’a montré M. Michel Brenet, on donna au Concert Spirituel un «motet à voix seule de M. le chevalier Gluck, célèbre et savant musicien de S. M. Impériale». Jusque-là, on ne connaissait son nom à Paris que pour avoir entendu quelques petits airs de ses opéras italiens, «parodiés» sur des paroles françaises, et introduits par Blaise, en 1765, dans l’opéra-comique: Isabelle et Gertrude (Michel Brenet: Les Concerts en France).

[359] Il le dit dans son Dictionnaire de Musique, en 1767: «Les premières habitudes m’ont longtemps attaché à la musique française, et j’en étais enthousiaste ouvertement.» Et une lettre écrite à Grimm, en 1750, montre qu’il préférait encore, après son voyage à Venise, la musique française à l’italienne.—Grimm, lui-même, commença par admirer Rameau; il disait de lui, en 1752, qu’il était «grand très souvent et toujours original dans le récitatif, toujours saisissant le vrai et le sublime de chaque caractère».—Quant à D’Alembert, il a toujours su rendre hommage à la grandeur de Rameau, même en le combattant.

[360] Les Nouvelles littéraires (correspondance de 1753 à 1747), récemment retrouvées par M. J.-G. Prodhomme dans un manuscrit de la Bibliothèque de Munich, et publiées dans le Recueil de la Société Internationale de Musique (juillet-sept. 1905), montrent comment l’opéra français fut, en un instant, ruiné par les intermezzi italiens.

«La musique italienne a entièrement étouffé la nôtre; nous pourrons renoncer à tous nos opéras...» (Déc. 1754.)

«Le goût de la musique italienne a totalement étouffé la musique française. On quitte l’Opéra pour courir à tout concert, où l’on exécute des morceaux ultramontains.» (Mai 1755.)

«Notre opéra ne se relève pas du coup mortel qui lui a été porté par l’introduction de la musique italienne.» (Janvier 1756.)

[361] Je ne veux pas revenir ici sur les incidents de cette lutte, souvent racontée. Je rappellerai seulement les faits principaux. Rousseau, ému par les représentations italiennes, ouvrit le combat, et, avec le manque d’équilibre de sa nature, il tomba sur-le-champ dans une gallophobie exaspérée. Sa Lettre sur la Musique française, de 1753, qui fut le signal de la «guerre des bouffons», dépasse en violence tout ce qu’on a jamais pu écrire dans la suite contre la musique française. Il faut bien se garder de croire que cette lettre représentât l’état d’esprit des Encyclopéistes. Elle était trop paradoxale. Qui veut trop prouver ne prouve rien. Diderot et D’Alembert, malgré leur admiration pour les Italiens, continuèrent à rendre justice aux musiciens français. Grimm lui-même restait sceptique; et, dans son pamphlet: le Petit Prophète de Boehmischbroda, où il constate qu’aucun opéra de Rameau ne peut plus sa maintenir, depuis la victoire des Bouffons, il ne s’en réjouit pas, comme on pourrait penser: «Qu’y avons-nous gagné? C’est qu’il ne nous restera ni opéra français, ni italien; ou, si nous avions celui-ci, nous perdrions encore au change, en convenant même de la supériorité de la musique; car, soyons de bonne foi, l’opéra italien fait un spectacle aussi imparfait que les chanteurs qui en sont l’ornement: tout y est sacrifié au plaisir de l’oreille.»

Si, pourtant, les Encyclopédistes ne tardèrent pas à prendre violemment parti pour Rousseau et pour l’opéra italien, c’est qu’ils furent exaspérés par la brutalité scandaleuse avec laquelle les partisans de l’opéra français les combattirent. D’Alembert dit, dans son Essai de la Liberté de la Musique, que Rousseau se fit plus d’ennemis, et en attira plus à l’Encyclopédie par sa Lettre sur la Musique que par tous ses écrits antérieurs. Ce fut une explosion de haine. Il semblait que l’admiration de la musique française dût être un article de foi. «Certaines gens, dit D’Alembert, tiennent pour synonyme bouffoniste et républicain, frondeur et athée.» Il y avait de quoi révolter tous les esprits indépendants. Il était inadmissible qu’on ne pût en France attaquer l’opéra sans être couvert d’injures et traité de mauvais citoyen. Et ce qui mit le comble à l’indignation des philosophes, ce fut la façon cavalière dont les ennemis des Italiens se débarrassèrent d’eux, par un arrêt du roi qui les expulsait de France, en 1754. Cette façon d’appliquer à l’art les procédés du protectionnisme le plus despotique souleva contre l’opéra français la conscience de tous les esprits libres. De là l’emportement de la lutte.

[362] Fragments sur la Musique en général et sur la nôtre en particulier (1773).

[363] Troisième Entretien sur «le Fils naturel» (1757).

[364] Lettre à Grimm (1752).

[365] Gil Blas (2 février 1903).

[366] Grimm, Correspondance littéraire (sept. 1757).

[367] Il faut bien dire que les livrets d’opéras français méritent, au XVIIIe siècle, la palme de l’ennui. Il en est de plus saugrenus, il n’en est pas de plus insipides, et de plus délibérément assommants. On éprouve une impression rafraîchissante, quand on lit ensuite des libretti de Métastase. Je parcourais dernièrement ceux que Hændel mit en musique, et j’étais frappé de leur beauté, oui, même de leur naturel, auprès des libretti français du même temps. Il y a là, sans parler du charme de la langue, une force d’invention non seulement romanesque, mais véritablement dramatique, qui légitime l’admiration des contemporains. Jamais Rameau n’a eu à sa disposition des poèmes de la force de ceux que Hændel a traités. Je ne parle pas des sujets des oratorios de Handel, qui sont souvent admirables, mais même de tels de ses opéras italiens, comme l’Ezio et le Siroe de Métastase, ou le Tamerlano de Haym. On y trouve des passions et des caractères qui sont vrais et vivants.

[368] Diderot, le Neveu de Rameau.

[369] Comme l’a montré M. Charles Lalo, dans une récente thèse de doctorat (Esquisse d’une Esthétique Musicale scientifique, 1908, p. 86), Rameau est un pur Cartésien, et sa Démonstration du principe de l’Harmonie (1750) «présente un étrange pastiche des célèbres passages du Discours où Descartes retrace la genèse de sa méthode. Les premières pages de la Démonstration sont un Discours de la Méthode pour bien conduire son oreille dans l’audition musicale.» Rameau le dit lui-même: «Éclairé par la méthode de Descartes, que j’avais heureusement lue, et dont j’avais été frappé, je commençai par descendre en moi-même; j’essayai des chants à peu près comme un enfant qui s’exercerait à chanter... Je me plaçai le plus exactement possible dans l’état d’un homme qui n’aurait ni chanté ni entendu du chant, me promettant bien de recourir à des expériences étrangères, toutes les fois que j’aurais le soupçon que l’habitude d’un état contraire à celui où je me supposais m’entraînerait malgré moi hors de la supposition... Le premier son qui frappa mon oreille fut un trait de lumière.., etc.»

«Tout y est, dit très bien M. Charles Lalo: le doute méthodique, et même hyperbolique; la révélation d’un cogito, qui est ici un audio...

Et Rameau, avec le terrible esprit de généralisation abstraite des grands Cartésiens, rêvait d’appliquer le principe qu’il croyait avoir découvert en musique,—«le principe de l’harmonie»—«à tous les arts du goût, à toutes les sciences soumises au calcul»,—à la nature entière.

[Voir Nouvelles Réflexions de M. Rameau, 1752; et Observations sur notre instinct pour la musique, 1754.]

[370] Traité de l’Harmonie réduite à ses Principes naturels, livre II, chapitre XXIV (1722).

[371] Voir la réponse de Rousseau à Rameau, et son Examen de deux Principes avancés par M. Rameau (1755).

[372] Je ne suis pas bien sûr que Lully n’ait pas exercé sur Gluck plus d’influence que Rameau. Gluck le disait lui-même. «L’étude des partitions de Lully avait été pour lui un coup de lumière; il y avait aperçu le fond d’une musique pathétique et théâtrale, et le vrai génie de l’opéra qui ne demandait qu’à être développé, perfectionné. Il espérait, en conservant le genre de Lully et la cantilène française, en tirer la véritable tragédie lyrique.» (Comte d’Escherny, Mélanges de littérature et d’histoire, 1811, Paris.)—Gluck rivalisa d’ailleurs ouvertement avec Lully, en écrivant Armide; et il eût voulu renouveler cette épreuve, en composant un Roland.

Mais les vrais modèles de Gluck sont ailleurs: en Italie et en Allemagne. C’est Hændel, Graun, Traetta, et les maîtres du grand Lied dramatique, de l’Ode, ou du récit épique: Joh.-Philipp Sack, Herbing,—tant d’autres, que je me promets prochainement d’étudier.

[373] De la Liberté de la Musique (1760).

[374] «Musices seminarium accentus. L’accent est la pépinière de la mélodie», répète Diderot dans le Neveu de Rameau.

[375] Paru en 1755, sous le titre: Saggio sopra l’Opéra in Musica.

[376] Il publiait aussi un second livret: Énée à Troie,—le sujet même de Berlioz.

[377] Un Précurseur de Gluck (Revue Musicale, sept. et oct. 1902).

[378] Burney disait de lui: «Il n’est pas seulement un ami de la poésie, mais un poète. Il eût été aussi grand comme poète, s’il avait eu une autre langue à son service.

[379] Son père signait Klukh. Le nom de Gluck est souvent orthographié, dans quelques-uns de ses ouvrages italiens (dans l’Ippolito de 1745), Kluck ou Cluch.

[380] Ainsi se vérifie curieusement l’exactitude de la métaphore de Victor Hugo, qui sans doute en eût été bien surpris lui-même:

«Gluck est une forêt, Mozart est une source».

[381] Il avait déjà fait de même à Londres, en 1746. Une note du Daily Advertiser du 31 mars 1746, signalée par M. A. Wotquenne, annonce: «Dans la grande salle de M. Hickford, Brewer’s Street, le mardi 14 avril, M. Gluck, compositeur d’opéros, donnera un concert, de musique, avec les meilleurs acteurs de l’Opéra; particulièrement il exécutera, accompagné par l’orchestre, un concerte pour vingt-six verres à boire accordés par l’eau de source; c’est un nouvel instrument de sa propre invention, sur lequel on peut exécuter ce qui peut être joué par le violon ou le clavecin. Il espère ainsi satisfaire les curieux et les amateurs de musique.» Ce concert eut grand succès, sans doute: car il fut redonné, le 19 avril, au Hay-Market.—Une annonce pareille fut publiée par Gluck, trois ans plus tard, pour un concert pareil, donné le 19 avril 1749, au château de Charlottenborg, en Danemark.

[382] On connaît de Gluck cinquante œuvres dramatiques, un De Profandis, un recueil de Lieder, six sonates pour deux violons et basse, neuf ouvertures pour divers instruments, et des airs détachés.

[383] 1904, Breitkopf, à Leipzig.

[384] «Je me ferais un reproche encore plus sensible, si je consentais à me laisser attribuer l’invention du nouveau genre d’opéra italien, dont le succès a justifié la tentative. C’est à M. Calzabigi qu’en appartient le principal mérite.» (Gluck, lettre de février 1773 au Mercure de France.) Dans la préface de Pâris et Hélène, en 1770, après Alceste, Gluck ne parle que de «détruire les abus qui se sont introduits dans l’opéra italien, et qui le déshonorent».

[385] Calsabigi, dans une très intéressante lettre du 25 juin 1784, au Mercure, a protesté que Gluck lui devait tout, et il a longuement raconté comment il lui fit composer sa musique d’Orphée, en marquant sur le manuscrit toutes les nuances d’expression, et jusqu’aux moindres accents.

[386] Il en est un ou deux proutant,—surtout Die frühen Gräber,—d’une poésie sobre et pénétrante. Mais la valeur en est, pour ainsi dire, plus morale que musicale.

[387] Nº 7, 9 et 11 de la partition française, 5, 7 et 9 de la partition italienne (édition Peters).

[388] Il est curieux que certaines des pages les plus célèbres d’Armide et d’Iphigénie en Tauride soient empruntées à ces opéras-comiques. L’ouverture d’Iphigénie en Tauride n’est autre que l’ouverture de l’Île de Merlin; plusieurs morceaux de la scène de la Haine, dans Armide, proviennent plus ou moins directement de l’Ivrogne corrigé; l’ouverture de celui-ci est devenue la Bacchanale de celle-là; et M. Wotquenne a même voulu montrer que l’air: «Sors du sein d’Armide!» se dessine déjà dans le duo: «Ah! si j’empoigne ce maître ivrogne...»;—mais je crois qu’ici la ressemblance est fortuite.

[389] M. Weckerlin en a publié une réédition. Nous avons fait entendre l’œuvre, en 1904, à l’École des Hautes Études Sociales. Tout dernièrement, M. Tiersot a donné des fragments des principaux opéras-comiques de Gluck; et, en rapprochant de telle de ces pages la musique écrite par Monsigny sur le même sujet, il a fait voir la supériorité de Gluck.

[390] Mozart a d’ailleurs composé, quelques mois après la première des Pèlerins de la Mecque, des variations pour piano sur un des airs de cet opéra-comique.

[391] Lettre de Gluck à La Harpe (Journal de Paris, 12 octobre 1777).

[392] Lettre de Gluck à Suard (Ibid.).

[393] Ailleurs: «J’avais cru que la plus grande partie de mon travail devait se réduire à chercher une belle simplicité.» (Lettre au grand-duc de Toscane, 1769.)

[394] Conversation avec Corancez (Journal de Paris, 21 août 1788).

[395] Essais sur la Musique, liv. IV, ch. IV.

[396] Gluck und die Oper, 2 vol. in-8º (Berlin, 1863).

[397] Les Français sont tout désorientés d’abord en entendant sa musique. Ils cherchent, suivant leur habitude, à la faire rentrer dans une catégorie connue. Les uns y voient de la musique italienne, les autres une modification tudesque de l’opéra français. Le plus intelligent est Rousseau, qui se déclare d’abord franchement pour Gluck, et a le courage d’avouer qu’il s’est trompé, en prétendant qu’on ne pouvait écrire de bonne musique sur des paroles françaises.—Mais cette franchise dure peu.

[398] Lettre au Mercure de France (février 1773).

[399] Il est juste, pourtant, de rappeler que Rousseau a écrit dans son Dictionnaire de musique, en 1767, qu’après avoir été enthousiaste de la musique française, puis après s’être livré avec la même bonne foi à la musique italienne, «maintenant il ne connaît qu’une Musique qui, n’étant d’aucun pays, est celle de tous».

[400] Telle pièce de Grétry, comme la Caravane, en 1785, fut soutenue par les Gluckistes, comme appartenant à leur parti.

[401] Les scènes religieuses de Gluck ont surtout été imitées. Certains fragments de ses opéras (entre autres, le chœur d’Armide: Poursuivons jusqu’au trépas) furent souvent exécutés dans les fêtes de la Révolution, et «républicanisés».

[402] Mozart, âgé de sept ans, arriva à Vienne, au moment des représentations d’Orfeo; et son père assista à la seconde représentation, en octobre 1762.—Voir, dans les Lettres de Mozart (trad. H. de Curzon, p. 502), le récit d’un concert donné par Mozart, en 1783: Gluck y assistait. «Il avait sa loge à côté de celle où se trouvait ma femme; il ne pouvait assez louer ma musique, et il nous a invités à dîner, pour dimanche prochain.» (12 mars 1783.)

[403] La fin d’Armide a certainement été un modèle pour la fin de Don Juan. L’influence de Gluck est aussi très sensible dans Idomeneo.

[404] J’ai signalé tout à l’heure la ressemblance de certains petits airs d’Iphigénie en Aulide avec des Lieder de Beethoven.—Cf. aussi dans Orfeo, acte III, le prélude et la conclusion de l’air: «Che fiero momento», ou dans l’Orphée français, «Fortune ennemie» avec la phrase initiale du premier Molto Allegro de la Sonate Pathétique.—Ou, remarquer dans Alceste, acte III, l’air «Ah! divinités implacables!», avec sa phrase, si beethovenienne: «La mort a pour moi trop d’appas»,—ou le lied d’Iphigénie: «Adieu, conservez dans votre âme» (acte III, d’Iphigénie en Aulide), dont la conclusion est du plus pur esprit beethovenien.

Il est même permis de croire que Weber, dans le Freyschütz, s’est souvenu de l’air d’Alceste: «Grands Dieux, soutenez mon courage» (acte III), et de l’accompagnement instrumental qui soutient et illustre les paroles: «Le bruit lugubre et sourd de l’onde qui murmure...»

[405] Burney ajoute l’influence des ballades anglaises, que, d’après lui, Gluck aurait étudiées pendant son voyage en Angleterre, et qui lui auraient, les premières, révélé le naturel.

[406] Gluck assistait à la première exécution de Judas Macchabée, en 1746, à Londres. Il eut toujours un culte pour Hændel: le portrait de Hændel était placé dans sa chambre, au-dessus de son lit.

Il est surprenant qu’on n’ait pas remarqué davantage combien Gluck s’est inspiré de Hændel; et cela ne peut guère s’expliquer que par l’oubli quasi-total où est tombé, de nos jours, l’œuvre immense de Hændel (à part quelques oratorios, absolument insuffisants à donner une idée de son génie dramatique). On trouve dans ses opéras et ses cantates la double inspiration pastorale et héroïque (démoniaque, par instants), qui est la marque de Gluck. Les modèles du Sommeil de Renaud et des scènes Elyséennes abondent chez Hændel, comme ceux des danses de Furies et des scènes du Tartare. On peut croire que c’est à travers Hændel que Gluck a retrouvé la tradition directe de Cavalli, dont la Médée est le prototype de toutes ces figures et de ces scènes infernales, dessinées d’un style lapidaire.

Il est à remarquer, d’ailleurs, que Gluck a repris certains des sujets traités par Hændel: Alceste, Armide, et il n’a pas dû ignorer les opéras et les cantates de son précurseur.

Je compte reprendre, prochainement, d’une façon plus complète, cette question des rapports de Gluck avec Hændel.

[407] Il ne faut cependant pas exagérer, comme on le fait aujourd’hui, et accuser Gluck, à la légère, de se copier lui-même, au mépris de ses théories dramatiques. A examiner de plus près ses œuvres, on reconnaîtra ceci:

1º Les drames qui lui tiennent le plus au cœur, comme l’Alceste italienne de 1767, n’ont fait aucun emprunt aux œuvres antérieures.

2º Dans Orphée, Iphigénie en Aulide et l’Alceste française, ces emprunts se réduisent,—à peu de choses près,—à des airs de danse.

Restent Armide et Iphigénie en Tauride, qui sont tout à fait de la fin de la carrière de Gluck, et où les emprunts sont nombreux. Encore y a-t-il lieu d’observer que Gluck n’y recourt, d’une façon paresseuse et passive, que dans Iphigénie en Tauride le dernier de ces grands drames, qui est d’une époque où la fatigue de l’âge pèse décidément sur lui. Dans Armide, rien n’est plus intéressant que d’observer comment il a refondu une quantité d’éléments anciens, de façon à en faire un tout entièrement nouveau et original. Nul exemple plus frappant de cette façon de travailler que la scène de la Haine, bâtie sur des fragments d’Artamene, de l’Innocenza giustificata, d’Ippolito, des Feste d’Apollo, de Don Juan, de Telemacco, de l’Ivrogne corrigé, de Paride ed Elena. M. Gevaert n’a point tort de dire, à ce sujet, que Gluck considère ses œuvres anciennes comme «des ébauches, des études d’atelier», qu’il a le droit de reprendre, en les transformant, pour un tableau plus achevé.

[408] Un sonnet de Friedrich Strauss, écrit à l’occasion du monument élevé à Gluck, en 1848, à Munich, dit avec justice qu’il fut «le Lessing de l’opéra, qui, par la faveur des dieux, trouva bientôt son Gœthe dans Mozart. Il ne fut pas le plus grand, mais il fut le plus noble».

Lessing der Oper, die durch Göttergunst
Bald auch in Mozart ihren Gœthe fand:
Der grösste nicht, doch ehrenwert vor allen.

[409] Le premier volume avait déjà paru en 1789.

[410] Essais sur la Musique, III, 134.

[411] Ibid., I, 133.

[412] Il naquit à Liège le 11 février 1741.

[413] Essais, III, 136.

[414] Ibid., I, 5.

[415] Essais, I, 15.

[416] Ibid., I, 107.

[417] Ibid., I, 215-217.

[418] Essais, I, 215-217.

[419] Ibid., III, 183; III, 132.

[420] Ibid., I, 125-126.

[421] Ibid., I, 69-70, 411-412.

[422] Essais, I, 88-89.

[423] Ibid., I, 91-92.

[424] Ibid., I, 169-172.

[425] Ibid., I, 424-425.

[426] Essais, I, 425.

[427] Ibid., I, 130.

[428] Ibid., I, 144.

[429] Ibid., I, 151.

[430] Essais, II, 134-135.

[431] La scène vaut d’être rappelée. C’était à une représentation de la Fausse Magie. Rousseau y assistait. On dit à Grétry qu’il désirait le voir.

«Je volai auprès de lui, je le considérai avec attendrissement.

—Que je suis aise de vous voir! me dit-il; depuis longtemps, je croyais que mon cœur s’était fermé aux douces sensations que votre musique me fait encore éprouver. Je veux vous connaître, monsieur, ou, pour mieux dire, je vous connais déjà par vos ouvrages; mais je veux être votre ami.

—Ah! monsieur, lui dis-je, ma plus douce récompense est de vous plaire par mes talents.

—Êtes-vous marié?

—Oui.

—Avez-vous épousé ce qu’on appelle une femme d’esprit?

—Non.

—Je m’en doutais!

—C’est une fille d’artiste; elle ne dit jamais que ce qu’elle sent, et la simple nature est son guide.

—Je m’en doutais: oh! j’aime les artistes, ils sont enfants de la nature. Je veux connaître votre femme, et je veux vous voir souvent.

Je ne quittai pas Rousseau pendant le spectacle: il me serra deux ou trois fois la main pendant la Fausse Magie; nous sortîmes ensemble. J’étais loin de penser que c’était là la dernière fois que je lui parlais! En passant par la rue Française, il voulut franchir des pierres que les paveurs avaient laissées dans la rue; je pris son bras, et lui dis:

—Prenez garde, monsieur Rousseau!

Il le retira brusquement, en disant:

—Laissez-moi me servir de mes propres forces.

Je fus anéanti par ces paroles; les voitures nous séparèrent, il prit son chemin, moi, le mien, et jamais depuis je ne lui ai parlé.» (Essais, I, 271.)

Voir encore sur Rousseau: Ibid., I, 272-278; II, 205-207.

[432] Essais, I, 169.

[433] Ibid., I, 145.—Si étrange que paraisse cette opinion, qui était partagée par d’autres musiciens, en Allemagne et en France, elle n’était pas sans un fonds de vérité.

[434] Essais, I, 146-147.

[435] Telle avait été aussi la pensée de Lully. (Voir, p. 143.) Je n’ai pas à juger ici cette conception du récitatif musical. Elle n’est pas sans dangers. La déclamation des grands acteurs n’est pas souvent un modèle de naturel. Même quand elle est belle et pathétique, elle emprunte au théâtre un caractère conventionnel et assez éloigné du parler ordinaire. Il se peut que ce soit justement parce que Lully et Grétry étaient des étrangers que, comme les étrangers sont portés à le faire, ils aient pris comme type du parler français la déclamation du théâtre (ou de la chaire). S’ils avaient été Français d’origine, ils eussent peut-être trouvé un modèle plus vrai en s’écoutant parler eux-mêmes et en entendant parler autour d’eux.

[436] Essais, III, 288-289.

[437] Ibid., I, 201.

[438] Ibid., II, 366.

[439] Grétry avait déjà fait et refait deux fois le célèbre trio de Zémire et Azor: «Ah! laissez-moi la pleurer!» et il n’en était pas satisfait. Diderot vint, entendit le morceau, et, sans approuver ni blâmer, déclama les paroles. «Je substituai, dit Grétry, des sons au bruit déclamé de ce début, et le reste du morceau alla de suite. Il ne fallait pas toujours écouter ni Diderot, ni l’abbé Arnaud, lorsqu’ils donnaient carrière à leur imagination; mais le premier élan de ces hommes brûlants était d’inspiration divine.» (Essais, I, 225-226.)

[440] «La musique, dit-il encore, est en quelque sorte la pantomime de l’accent des paroles.» (Essais, III, 279.)—Voir (Ibid., I, 239 et suiv.) sa fine notation des nuances musicales de la déclamation parlée.

[441] Je ne compte pas les Mariages Samnites, qui n’allèrent pas au delà de la répétition générale.

[442] Je renvoie aux excellents petits livres de M. Michel Brenet, Grétry, sa vie et ses œuvres (1884), et de M. Henri de Curzon, Grétry (1907).—Le gouvernement belge a entrepris une grande édition des œuvres de Grétry, qui est en cours de publication, depuis 1884, chez Breitkopf et Haertel, à Leipzig, sous le contrôle d’un comité présidé par M. Gevaërt. Trente-sept volumes ont déjà paru.

[443] Grétry a plus tard affirmé son républicanisme «de vieille date», dans un ouvrage publié en 1801: la Vérité ou ce que nous fûmes, ce que nous sommes, ce que nous devrions être.

[444] Essais, III, 132.

[445] Ibid., II, 142.

[446] Le temps de la Terreur.

[447] Ibid., II, 140.

[448] Voir sa Lucile, et ce qu’il en raconte dans ses Essais, I, 173.

[449] Essais, II, 396.

[450] Essais, II, 404.

[451] Essais, II, 413.

[452] Essais, II, 417.

[453] Le second et le troisième volume des Mémoires.

[454] Essais, II, XVII-XVIII.—Il écrivit pourtant encore quelques petits opéras, dont le meilleur fut Anacréon, joué en 1797. Mais il sut «quitter le public avant que le public ne le quittât», comme dit son élève, Mme de Bawr.

Il se désintéressait de la musique, et presque toute son activité intellectuelle s’était tournée vers la littérature. Il rêvassait interminablement sur la philosophie, la morale, la politique; et il entassait, au jour le jour, ses pensées dans de volumineux ouvrages, sans ordre, sans suite, et non sans naïveté, mais non plus sans esprit. Ainsi, les trois volumes de la Vérité ou ce que nous fûmes, ce que nous sommes, ce que nous devrions être, publiés en 1801, et huit volumes manuscrits de Réflexions d’un Solitaire, dont nous n’avons conservé qu’une partie. M. Charles Malherbe vient d’avoir l’heureuse fortune de retrouver le quatrième volume des Réflexions, perdu jusqu’à ce jour, et il en a publié des extraits dans le Bulletin de la Société de l’Histoire du Théâtre (1907-1908).

[455] Essais, I, 316-317.

[456] Ibid., III, 335.

[457] Ibid., III, 95-96.

[458] Essais, III, 111.

[459] Ibid., III, 126.

[460] «Si, dans une longue course maritime, votre père a vécu loin de la société des femmes...

«S’il s’est nourri constamment d’aliments salés...» (Ibid., III, 66).

[461] Il préconise le régime lacté (Ibid., III, 68).

[462] Ibid., III, 365.

[463] Ibid., I, 240;—préface du volume II.—Voir aussi: I, v, 76, 78, 96, 98, 141, 204, 239, 240;—II, 319-320;—III, 279, 433, etc.

[464] Ibid., I, 382, 407;—II, 317;—III, 266.

Il finit pourtant par ne plus s’en satisfaire. Son esprit, toujours plus épris de précision, chercha d’autres moyens d’expression:

«Je le dis franchement, aujourd’hui le langage musical a pour moi trop de vague; arrivé presque à la vieillesse, il me faut quelque chose de plus positif.» (La Vérité ou ce que nous fûmes, 1801.)

[465] Essais, II, 267;—III, 375.

[466] Dans le Magnifique et dans Panurge (Essais, I, 248-249, 378-379).

[467] Dans les Événements imprévus, et dans l’Amitié à l’épreuve (Ibid., III, 320).

[468] Grétry se préoccupe même de rendre en musique les nuances des diverses races humaines; mais, les connaissant mal, il ne fait qu’effleurer la question (Ibid., II, 19).

[469] «La gamme d’ut majeur est noble et franche, celle d’ut mineur est pathétique. La gamme de ré majeur est brillante, celle de ré mineur est mélancolique. La gamme majeure de mi bémol est noble et pathétique. La gamme de mi majeur est aussi éclatante que la gamme précédente était noble et rembrunie. La gamme de mi mineur est peu mélancolique. Celle de fa majeur est mixte; celle de fa tierce mineure est la plus pathétique de toutes. La gamme majeure de fa dièze est dure, parce qu’elle est surchargée d’accidents; la même gamme mineure conserve encore un peu de dureté. Celle de sol est guerrière, et n’a pas la noblesse de celle d’ut majeur; la gamme de sol mineur est la plus pathétique après celle de fa tierce mineure. La gamme de la majeur est brillante; en mineur, elle est la plus naïve de toutes. Celle de si bémol est noble, mais moins que celle d’ut majeur, et plus pathétique que celle de fa tierce majeure. Celle de si naturel est brillante et folâtre; celle de si tierce mineure est ingénue...» (Essais, II, 356-358.)

Si l’on compare cette échelle psychologique des tons à celle de Rameau (voir p. 219), on remarque qu’elles ne concordent pas exactement, et que par conséquent leur intérêt, tout subjectif, est de donner l’échelle de la sensibilité de chaque musicien, et de ses réactions auditives. S’il est permis, dans de telles conditions, d’avancer une remarque générale, il semble que l’échelle psychologique des tons dressée par Grétry se rapproche plus de notre sensibilité actuelle que l’échelle dressée par Rameau.

[470] «... La clarinette convient à la douleur; lorsqu’elle exécute des airs gais, elle y mêle encore une teinte de tristesse. Si l’on dansait dans une prison, je voudrais que ce fût au son de la clarinette. Le hautbois, champêtre et gai, indique aussi un rayon d’espoir au milieu des tourments. La flûte traversière est tendre et amoureuse..., etc.»

Il y a aussi là des remarques qui montrent les variations de la sensibilité musicale. Ainsi, celles relatives au basson:

«Le basson est lugubre, et doit être employé dans le pathétique, lors même qu’on n’en veut faire sentir qu’une nuance délicate; il me paraît un contresens dans tout ce qui est de pure gaieté.» (Essais, I, 237-238.)—Voir encore: III, 424.

On sait quel emploi nos compositeurs modernes ont fait de cet instrument, dans le comique et le burlesque, et avec quel succès.

[471] Lorsque Andromaque récite (dans l’opéra du même nom), elle est presque toujours accompagnée de trois flûtes traversières qui forment harmonie... C’est, je crois, la première fois qu’on a eu l’idée d’adopter les mêmes instruments pour accompagner partout le récitatif d’un rôle qu’on veut distinguer.» (Ibid., I, 356.)

Grétry ignorait les essais du même genre tentés par les maîtres italiens du XVIIe siècle.

[472] Une fille, par exemple, assure à sa mère qu’elle ne connaît point l’amour; mais, pendant qu’elle affecte l’indifférence par un chant simple et monotone, l’orchestre exprime le tourment de son cœur amoureux. Un nigaud veut-il exprimer son amour, ou son courage? S’il est vraiment animé, il doit avoir les accents de sa passion; mais l’orchestre, par sa monotonie, nous montrera le petit bout d’oreille. En général, le sentiment doit être dans le chant; l’esprit, les gestes, les mines doivent être dans les accompagnements.» (Ibid., I, 169-172.)

[473] A propos du clavecin des couleurs, inventé par le père Castel, jésuite. (Ibid., III, 234-237.)

«Le musicien bien organisé trouve toutes les couleurs dans l’harmonie des sons. Les sons graves ou bémolisés font à son oreille le même effet que les couleurs rembrunies font à ses yeux: les sons aigus ou diésés font au contraire un effet semblable à celui des couleurs vives et tranchantes. Entre ces deux extrêmes, l’on trouve toutes les couleurs qui sont en musique, de même qu’en peinture, propres à désigner différentes passions et différents caractères.»

L’échelle commune aux couleurs et aux sons est, pour Grétry, celle des passions, dont les manifestations diverses colorent diversement le visage humain. «Le rouge pourpre indique la colère; le rouge tendre sied à la pudeur... etc.» (Essais, III, 237-239.) Voir encore: III, 318, note 2.

[474] Ibid., III, 450-451; I, 336-371, 375-378.

[475] Ibid., I, 236-239; III, 290, 315, 455-456.

[476] Ibid., II, 127.

[477] Ibid., I, 131, 350-355.

[478] Ibid., III, 32-33, 249-250.

[479] Ibid., III, 22 et suiv.

[480] Ibid., III, 30 et suiv.

[481] Essais, III, 41.

[482] Ibid., III, 21.

[483] Ibid., III, 14-15.

[484] Ibid., I, 384; II, 183.

[485] Il reste à celui qui est doué d’une tournure d’esprit originale, mais qui n’a pas le goût, le tact nécessaires pour bien classer des pensées neuves et piquantes, en s’astreignant partout à l’expression et à la prosodie de la langue, il lui reste, dis-je, le talent de faire la symphonie. (Ibid., I, 78.)—Voir encore: Ibid., I, p. V; III, 260-261.

[486] Ibid., I, 297-298.

[487] Ibid., III, 377-378.—Voir aussi: III, 381, 387.

[488] Essais, III, 272.

Grétry a dit encore: «La musique d’une expression vague a un charme plus magique peut-être que la musique déclamée». (I, 75.)

Et ailleurs:

«Quoi qu’en ait dit Fontenelle, nous savons ce que nous veut une bonne sonate, et surtout une symphonie de Haydn ou de Gossec.» (I, 78.)

[489] Essais, III, 276.

[490] Ibid., II, 143.

[491] «Il me semble que le compositeur dramatique peut regarder les œuvres innombrables de Haydn comme un vaste dictionnaire, où il peut sans scrupule puiser des matériaux, qu’il ne doit reproduire cependant qu’accompagnés de l’expression intime des paroles. Le compositeur de la symphonie est, dans ce cas, comme le botaniste qui fait la découverte d’une plante en attendant que le médecin en découvre la propriété.» (Ibid., I, 244.)—Voir encore: I, 206.

[492] Ibid., III, 357.

[493] Il préconise du moins l’emploi de l’orgue dans l’orchestre. (Essais, III, 424; I, 41-42.)

[494] Ibid., I, 347-355.

[495] «Mes confrères Méhul, Lemoine, Cherubini, Lesueur conviennent tous (avec moi) que l’harmonie est aujourd’hui compliquée au dernier point, que les chanteurs et les instruments ont franchi leur diapason naturel, que plus de rapidité dans l’exécution rendrait notre musique inappréciable pour l’oreille, et qu’enfin un pas de plus nous jetterait dans le chaos.» (Essais, II, 58-59.)—Voir aussi: I, 339; II, 61.

[496] Bien que M. F. de Lacerda ait pu retrouver, dans l’ouverture de la Rosière de Salency, le thème de l’Ode à la Joie de la Neuvième Symphonie, et un des dessins instrumentaux les plus caractéristiques de la Symphonie pastorale.

[497] Essais, III, 432.

[498] Je prie qu’on veuille bien ne considérer ces pages, déjà anciennes, que comme une simple silhouette, un croquis analogue à celui que Dora Stock dessina de Mozart, en 1789. En attendant de pouvoir lui consacrer, comme j’espère le faire plus tard, une étude plus digne de lui, j’ai voulu seulement que cette figure sereine vint terminer ce livre, consacré aux maîtres de l’opéra ancien.

[499] Mozart Briefe, publiées par Ludwig Nohl, l865, 3e édition, 1877.—Lettres de W.-A. Mozart, traduction complète, avec une introduction et des notes, par Henri de Curzon, 1888, Hachette.—M. de Curzon a complété ce recueil par un nouveau volume: Nouvelles lettres des dernières années de la vie de Mozart, 1898, Fischbacher.

[500] «Das Herz adelt den Menschen; und wenn ich schon kein Graf bin, so habe ich vielleicht mehr Ehre im Leib als mancher Graf. Und, Hausknecht oder Graf, sobald er mich beschimpft, so ist er ein Hundsfott». (20 juin 1781.)

[501] N. B. Il avait alors vingt et un ans.

[502] Voir les lettres sur la mort de sa mère, surtout celle du 9 juillet 1773: «O mes deux bien-aimés...»

[503] 17 juillet 1788.—Voir ses lettres à Puchberg, ses continuelles demandes d’argent. Il est malade. Sa femme est malade. Ils ont des enfants. Pas d’argent à la maison. Des recettes de concerts dérisoires. Une liste de souscription circule depuis quinze jours pour ces concerts, et il n’y a qu’un seul nom inscrit. L’orgueil de Mozart souffre cruellement de tendre la main. Mais il le faut, il faut mendier. «Si vous m’abandonnez, nous sommes perdus.» (12 et 14 juillet 1789.)

[504] Dans la lettre même où il apprend à son père,—avec quelle douleur!—la mort de sa mère survenue à Paris, il rit, et de tout son cœur, en racontant une plaisanterie. (9 juillet 1778.)

[505] Voir les lettres du 21 août 1770, juillet 1773, 13 juin 1781, 4 novembre 1787, septembre 1791.

[506] «Ne prenez aucun souci de ce que vous appelez le populaire: il y a dans mon opéra de la musique pour toutes les catégories de personnes, excepté pour les longues oreilles.» (16 déc. 1780.)

«Il y a çà et là des passages dont les connaisseurs seuls auront de la satisfaction; mais ils sont cependant faits pour que les non-connaisseurs en doivent nécessairement être contents, sans savoir pourquoi.» (28 déc. 1782.)

«Ce qui est déjà terminé de mon opéra a obtenu partout un succès extraordinaire, car je connais mon public.» (19 sept. 1781.)

«Le chœur des janissaires est tout à fait écrit pour les Viennois.» (29 sept 1781.)

«Puis vient (à la fin du premier acte de l’Enlèvement au Sérail), le pianissimo, qui doit aller très vite, et la conclusion qui doit faire beaucoup de bruit.—Et c’est tout ce qui convient pour terminer un acte: plus il y a de bruit, mieux cela vaut; plus c’est court, mieux cela vaut, afin que les gens ne se refroidissent pas dans leurs applaudissements.» (20 sept. 1781.)

[507] Je suis bien loin de prétendre qu’il n’ait pas travaillé. Il disait lui même à Kucharz, en 1787, qu’«il n’y avait pas un maître célèbre dans la musique qu’il n’eût étudié à fond, et relu constamment.»—«Personne, ajoutait-il, n’a dépensé tant de peine à l’étude de la composition.»—Mais la création musicale ne fut jamais un travail pour lui: c’était une floraison.

[508] Il est vrai que cette peine est réelle, nous l’avons vu.

[509] Il ne laissait pas d’avoir une culture très soignée. Il savait un peu de latin, et il avait appris le français, l’italien et l’anglais. Nous le voyons lire Télémaque, et faire une allusion à l’Hamlet de Shakespeare. Il avait dans sa bibliothèque le théâtre de Molière et de Métastase, les poésies d’Ovide, de Wieland et d’Ewald von Kleist, le Phédon de Moïse Mendelssohn, et les œuvres de Frédéric II,—sans parler des ouvrages de mathématiques et d’algèbre, qui exerçaient sur lui un attrait spécial. Mais s’il avait une curiosité plus universelle que Beethoven, et s’il savait plus de choses, il n’avait pas sa géniale intuition littéraire et son grand goût poétique.

[510] Cf. Mendelssohn: «Les notes ont un sens au moins aussi déterminé que les mots, bien qu’intraduisible par eux.»

[511] Air nº 3 de l’Enlèvement au Sérail.

[512] Toujours parce qu’il est uniquement musicien, et que les derniers liens qui rattachent la poésie à la musique gênent encore sa liberté, Mozart pense à briser la forme de l’opéra, et il a l’idée de le remplacer, comme avait essayé de le faire Rousseau, dès 1773, par une sorte de mélodrame, qu’il appelle Duodrama, où la musique et la poésie, fraternellement unies, mais sans se donner la main, iraient, libres l’une et l’autre, par deux chemins parallèles:

«J’ai toujours désiré écrire pour un duodrama. Vous savez qu’on n’y chante pas: on y déclame, et la musique est comme un récitatif obligé. De temps en temps, on parle aussi avec accompagnement de musique, ce qui fait toujours la plus magnifique impression.» (12 nov. 1778.)

[513] Il ne faut jamais oublier, quand on juge Mozart, de toujours dégager sa pure mélodie de la gaine des formules, toujours d’assez bon goût, mais parfois un peu banales, où elle est enchâssée; leur rôle est de faire accepter d’un public, seulement épris du clinquant, une beauté trop fine pour qu’il puisse la goûter. Mozart nous le dit lui-même, dans ses lettres. Que quelques expressions banales, plaquées à la fin d’un morceau, ne fassent donc pas méconnaître la sincérité de ce morceau. Mozart ne fait de concessions que sur des points secondaires; mais, du fond de son âme et de ce qui lui est cher, il ne cède jamais rien.

[514] Sauf, hélas, quand il lui fallait écrire une sonate pour quelques florins, ou un adagio pour une horloge à musique. (3 oct. 1790.)

[515] Il lui est presque impossible de composer, sans la présence d’un être aimé:

«Tu ne peux croire combien le temps m’a duré sans toi. Je ne puis bien t’expliquer mon impression: c’est une espèce de vide, qui me fait très mal, une certaine aspiration, qui, n’étant jamais satisfaite, ne cesse jamais, dure toujours, et croît de jour en jour. Même mon travail ne me charme plus, parce que je suis habitué à me lever de temps en temps, pour échanger deux mots avec toi, et que cette satisfaction m’est, hélas! à présent une impossibilité.—Si je vais au piano et si je chante quelque chose, il faut tout de suite que je m’arrête: cela me fait trop d’impression.» (7 juillet 1791—à sa femme.)

[516] Le Soir des Rois.

[517] Ces titres répondaient chez Mozart à des distinctions réelles. «Croyez-vous donc que j’écrirai un opéra-comique de la même façon qu’une opera seria. Autant il faut, dans une opera seria, d’érudition et de savoir, avec peu de badinage, autant, dans une opera buffa, il faut de badinage et de gaieté, avec peu d’érudition. Si l’on veut de la musique légère dans une opera seria, je n’y puis rien.» (16 juin 1781.)

[518] Je dis: peut-être, car il faudrait ignorer la vis comica des musiciens italiens du XVIIIe siècle, pour ne pas réserver son jugement sur l’immense quantité d’œuvres qui dorment encore dans les bibliothèques italiennes, et dont tous les grands classiques allemands, que nous admirons aujourd’hui: Hændel, Gluck, Mozart et les autres avaient fait abondamment leur profit.

[519] Carnets de notes de Beethoven.

Gœthe eut le sentiment très net de cette mission de Mozart.

Schiller lui écrivait, le 29 décembre 1797: «J’avais toujours espéré que la tragédie sortirait de l’opéra sous une forme plus noble et plus belle, comme jadis elle est sortie des chœurs des fêtes de Bacchus. Dans l’opéra, en effet, on s’abstient de toute imitation servile de la nature; par la puissance de la musique, par l’excitation de la sensibilité que ce transport affranchit de ses grossières attaches, l’opéra prédispose la pensée aux plus nobles sentiments. La passion elle-même s’y montre comme un libre jeu, parce que la musique l’accompagne; et le merveilleux, qui y est toléré, doit rendre l’esprit plus indifférent au sujet même.»

Gœthe répondit:

«Si vous aviez pu assister dernièrement à la représentation de Don Juan, vous y auriez vu réalisées toutes vos espérances au sujet de l’opéra. Mais aussi cette pièce est-elle tout à fait seule de son genre, et la mort de Mozart a détruit tout espoir de voir jamais quelque chose de semblable.» (30 décembre 1797.)


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