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Oeuvres complètes de Charles Péguy, Oeuvres de poésie (tome 6): Le Mystère des Saints Innocents; La tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d'Arc; La tapisserie de Notre-Dame.

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et après l'avoir acheté, lorsque nous fûmes arrivés à l'hôtellerie, en ouvrant nos sacs, nous y trouvâmes notre argent, que nous vous rapportons maintenant au même poids.

Et nous vous en rapportons encore d'autre, pour acheter ce qui nous est nécessaire: mais nous ne savons en aucune sorte qui a pu remettre cet argent dans nos sacs.
Jeannette

L'Intendant leur répondit: Ayez l'esprit en repos; ne craignez point. Votre Dieu et le Dieu de votre père vous a donné des trésors dans vos sacs: car pour moi j'ai reçu l'argent que vous m'avez donné, et j'en suis content. Il fit sortir aussi Siméon, et il le leur amena.
Madame Gervaise

Après les avoir fait entrer en la maison, il leur apporta de l'eau, ils se lavèrent les pieds, et il donna à manger à leurs ânes.
Jeannette

Cependant ils tinrent leurs présents tout prêts, attendant que Joseph entrât sur le midi, parce qu'on leur avait dit qu'ils devaient manger en ce lieu-là.
Madame Gervaise

Joseph étant donc entré dans sa maison, ils lui offrirent leurs présents qu'ils tenaient en leurs mains, et ils l'adorèrent en se baissant jusqu'en terre.
Jeannette

Il les salua aussi, en leur faisant bon visage, et il leur demanda: Votre père, ce vieillard dont vous m'aviez parlé, vit-il encore? Se porte-t-il bien?
Madame Gervaise

Ils lui répondirent: Notre père votre serviteur est encore en vie, et il se porte bien: et en se baissant profondément, ils l'adorèrent.
Jeannette

Joseph levant les yeux vit Benjamin son frère, fils de Rachel sa mère, et leur dit: Est-ce là le plus jeune de vos frères dont vous m'aviez parlé? Mon fils, ajouta-t-il, je prie Dieu qu'il vous soit toujours favorable.
Madame Gervaise

Et il se hâta, parce que ses entrailles avaient été émues en voyant son frère, et qu'il ne pouvait plus retenir ses larmes. Passant donc dans une chambre, il pleura.
Jeannette

Et après s'être lavé le visage il revint, se faisant violence, et il dit: Servez à manger.
Madame Gervaise

On servit Joseph à part, et ses frères à part, et les Égyptiens qui mangeaient avec lui à part: (car il n'est pas permis aux Égyptiens de manger avec les Hébreux, et ils croient qu'un festin de cette sorte serait profane).
Jeannette

Ils s'assirent donc en présence de Joseph, l'aîné le premier selon son rang, et le plus jeune selon son âge. Et ils furent extrêmement surpris,
Madame Gervaise

en voyant les parts qu'il leur avait données, de ce que la part la plus grande était venue à Benjamin; car elle était cinq fois plus grande que celle des autres. Ils burent ainsi avec Joseph, et ils firent grande chère.




Or Joseph donna cet ordre à l'Intendant de sa maison, et lui dit: Mettez dans les sacs de ces personnes autant de blé qu'ils en pourront tenir, et l'argent de chacun à l'entrée du sac;
et mettez ma coupe d'argent à rentrée du sac du plus jeune, avec l'argent qu'il a donné pour le blé. Cet ordre fut donc exécuté.

Et dès le matin on les laissa aller avec leurs ânes.

Lorsqu'ils furent sortis de la ville, comme ils n'avaient fait encore que peu de chemin, Joseph appela l'Intendant de sa maison, et lui dit: Courez vite après ces gens; arrêtez-les, et leur dites: Pourquoi avez-vous rendu le mal pour le bien?

La coupe que vous avez dérobée, est celle dans laquelle mon Seigneur boit, et dont il se sert pour deviner. Vous avez fait une très méchante action.

L'Intendant fit ce qui lui avait été commandé; et les ayant arrêtés, il leur dit tout ce qu'il lui avait été ordonné de leur dire.
Jeannette

Ils lui répondirent: Pourquoi mon seigneur parle-t-il ainsi à ses serviteurs, et les croit-il capables d'une action si honteuse?
Madame Gervaise

Nous vous avons rapporté du pays de Chanaan l'argent que nous trouvâmes à l'entrée de nos sacs. Comment donc se pourrait-il faire que nous eussions dérobé de la maison de votre Seigneur de l'or ou de l'argent?
Jeannette

Que celui de vos serviteurs,…
Madame Gervaise

quel qu'il puisse être, à qui l'on trouvera ce que vous cherchez, meure; et nous serons esclaves de mon seigneur.
Jeannette

Il leur dit: Oui, que ce que vous prononcez soit exécuté. Quiconque se trouvera avoir pris ce que je cherche, sera mon esclave, et vous en serez innocents.
Madame Gervaise

Ils déchargèrent donc aussitôt leurs sacs à terre, et chacun ouvrit le sien.
Jeannette

Les ayant fouillés, du plus grand au plus petit, on trouva la coupe dans le sac de Benjamin.
Madame Gervaise

Alors ayant déchiré leurs vêtements et déchargé leurs ânes, ils revinrent à la ville.
Jeannette

Juda se présenta le premier avec ses frères devant Joseph, qui n'était pas encore sorti du lieu où il était; et ils se prosternèrent tous ensemble à terre devant lui.
Madame Gervaise

Joseph leur dit: Pourquoi avez-vous agi ainsi? Ignorez-vous qu'il n'y a personne qui m'égale dans la science de deviner les choses cachées?
Jeannette

Juda lui dit: Que répondrons-nous à mon Seigneur? Que lui dirons-nous, et que pouvons-nous lui représenter avec quelque ombre de justice pour notre défense? Dieu a trouvé l'iniquité de vos serviteurs. Nous sommes tous les esclaves de mon Seigneur, nous et celui à qui on a trouvé la coupe.
Madame Gervaise

Joseph répondit: Dieu me garde d'agir de la sorte. Que celui qui a pris ma coupe soit mon esclave; et pour vous autres, allez en liberté retrouver votre père.
Jeannette

Juda s'approchant alors plus près de Joseph lui dit avec assurance: Mon Seigneur, permettez, je vous prie, à votre serviteur de vous adresser sa parole, et ne vous mettez pas en colère contre votre esclave: car après Pharaon, c'est vous qui êtes
Madame Gervaise

mon Seigneur. Vous avez demandé d'abord à vos serviteurs: Avez-vous encore votre père ou quelque autre frère?

Et nous vous avons répondu, mon Seigneur: Nous avons un père qui est vieux, et un jeune frère qu'il a eu dans sa vieillesse, dont le frère qui était né de la même mère est mort: il ne reste plus que celui-là, et son père l'aime tendrement.

Vous dîtes alors à vos serviteurs: Amenez-le moi, je serai bien aise de le voir.

Mais nous vous répondîmes, mon Seigneur: Cet enfant ne peut quitter son père, car s'il le quitte, il le fera mourir.

Vous dîtes à vos serviteurs: Si le dernier de vos frères ne vient avec vous, vous ne verrez plus mon visage.

Lors donc que nous fûmes retournés vers notre père votre serviteur, nous lui rapportâmes tout ce que vous aviez dit, mon Seigneur.

Et notre père nous ayant dit: Retournez pour nous acheter un peu de blé;

nous lui répondîmes: Nous ne pouvons y aller. Si notre jeune frère y vient avec nous, nous irons ensemble: mais à moins qu'il ne vienne, nous n'osons nous présenter devant celui qui commande.

Il nous répondit: Vous savez que j'ai eu deux fils de Rachel ma femme.

L'un d'eux étant allé aux champs, vous m'avez dit qu'une bête l'avait dévoré, et il ne paraît plus jusqu'à cette heure.

Si vous emmenez encore celui-ci, et qu'il lui arrive quelque accident dans le chemin, vous accablerez ma vieillesse d'une affliction qui la conduira dans le tombeau.

Si je me présente donc à mon père votre serviteur, et que l'enfant n'y soit pas, comme sa vie dépend de celle de son fils,

lorsqu'il verra qu'il n'est point avec nous, il mourra, et vos serviteurs accableront sa vieillesse d'une douleur qui le mènera au tombeau.

Que ce soit donc plutôt moi qui sois votre esclave, puisque je me suis rendu caution de cet enfant, et que j'en ai répondu à mon père, en lui disant: Si je ne le ramène, je veux bien que mon père m'impute cette faute, et qu'il ne me la pardonne jamais.

Ainsi je demeurerai votre esclave, et servirai mon Seigneur en la place de l'enfant, afin qu'il retourne avec ses frères.

Car je ne puis pas retourner vers mon père sans que l'enfant soit avec nous, de peur que je ne sois moi-même témoin de l'extrême affliction qui accablera notre père.
Jeannette
elle va au devant de la récitation.

Joseph ne pouvait plus se retenir;
Madame Gervaise

Joseph ne pouvait plus se retenir; et parce qu'il était environné de plusieurs personnes,
Jeannette
ne se retenant plus elle-même et saisissant d'autorité la récitation.

il commanda…
elle recommence pour avoir la reconnaissance dans son plein.

Joseph ne pouvait plus se retenir; et parce qu'il était environné de plusieurs personnes, il commanda que l'on fît sortir tout le monde; afin que nul étranger ne fût présent lorsqu'il se ferait connaître à ses frères,


Alors les larmes lui tombant des yeux, il éleva sa voix, qui fut entendue des Égyptiens, et de toute la maison de Pharaon.

Et il dit à ses frères: Je suis Joseph. Mon père vit-il encore?



Je suis Joseph; je suis Joseph; je suis Jésus votre frère.
Qu'attendez-vous? Mon père vit-il encore?
Madame Gervaise

Mais ses frères ne purent point lui répondre, tant ils étaient saisis de frayeur.
Jeannette

Il leur parla avec douceur, et leur dit: Approchez-vous de moi. Et s'étant approchés de lui, il ajouta: Je suis Joseph votre frère que vous avez vendu en Égypte.

Ne craignez point et ne vous affligez point de ce que vous m'avez vendu en ce pays-ci: car Dieu m'a envoyé en Égypte avant vous pour votre salut.

Il y a déjà deux ans que la famine a commencé sur la terre, et il en reste encore cinq, pendant lesquels on ne pourra ni labourer ni recueillir.

Dieu m'a fait venir ici avant vous, pour vous conserver la vie, et afin que vous puissiez avoir des vivres pour subsister.

Ce n'est point par votre conseil que j'ai été envoyé ici, mais par la volonté de Dieu, qui m'a rendu comme le père de Pharaon, le maître de sa maison, et le prince de toute l'Égypte.

Hâtez-vous d'aller trouver mon père, et dites-lui: Voici ce que vous mande votre fils Joseph: Dieu m'a rendu le maître de toute l'Égypte. Venez me trouver, ne différez point;

vous demeurerez dans la terre de Gessen, vous serez près de moi vous et vos enfants; et les enfants de vos enfants; vos brebis, vos troupeaux de bœufs, et tout ce que vous possédez.

Et je vous nourrirai là parce qu'il reste encore cinq années de famine, de peur qu'autrement vous ne périssiez avec toute votre famille et tout ce qui est à vous.

Vous voyez de vos yeux, vous et mon frère Benjamin, que c'est moi-même qui vous parle de ma propre bouche.

Annoncez à mon père quelle est cette gloire, et tout ce que vous avez vu dans l'Égypte. Hâtez-vous de me l'amener.

Et s'étant jeté au cou de Benjamin son frère pour l'embrasser, il pleura; et Benjamin pleura aussi en le tenant embrassé.

Joseph embrassa aussi tous ses frères, il pleura sur chacun d'eux; et après cela ils se rassurèrent pour lui parler.

Aussitôt il se répandit un grand bruit dans toute la Cour du Roi, que les frères de Joseph étaient venus. Pharaon s'en réjouit avec toute sa maison.

Et il dit à Joseph qu'il donnât cet ordre à ses frères: Chargez vos ânes de blé, retournez en Chanaan;

amenez de là votre père et toute votre famille, et venez me trouver. Je vous donnerai tous les biens de l'Égypte, et vous serez nourris de ce qu'il y a de meilleur dans cette terre.

Ordonnez-leur aussi d'emmener des chariots de l'Égypte, pour faire venir leurs femmes avec leurs petits enfants, et dites-leur: Amenez votre père, et hâtez-vous de revenir le plus tôt que vous pourrez,

sans rien laisser de ce qui est dans vos maisons, parce que toutes les richesses de l'Égypte seront à vous.

Les enfants d'Israël…
Madame Gervaise

Les enfants d'Israël firent ce qui leur avait été ordonné. Et Joseph leur fit donner des chariots, selon l'ordre qu'il en avait reçu de Pharaon, et des vivres pour le chemin.
Jeannette

Il commanda aussi que l'on donnât deux robes à chacun de ses frères; mais il en donna cinq des plus belles à Benjamin, et trois cents pièces d'argent.

Il envoya autant d'argent et de robes pour son père, avec dix ânes chargés de tout ce qu'il y avait de plus précieux dans l'Égypte, et autant d'ânesses qui portaient du blé et du pain pour le chemin.
Madame Gervaise

Il renvoya donc ses frères, et leur dit en partant: Ne vous mettez point en colère pendant le chemin.

Ils vinrent donc de l'Égypte au pays de Chanaan vers Jacob leur père.
Jeannette

Et ils lui dirent cette nouvelle; Votre fils Joseph est vivant et commande dans toute la terre d'Égypte. Ce que Jacob ayant entendu, il se réveilla comme d'un profond sommeil, et cependant il ne pouvait croire ce qu'ils lui disaient.
Madame Gervaise

Ses enfants insistaient au contraire, en lui rapportant comment toute la chose s'était passée. Enfin ayant vu les chariots, et tout ce que Joseph lui envoyait, il reprit ses esprits;
Jeannette

et il dit: Je n'ai plus rien à souhaiter, puisque mon fils Joseph vit encore. J'irai et je le verrai avant que je meure.
Madame Gervaise

Israël partit donc avec tout ce qu'il avait, et vint au Puits du jurement, et ayant immolé en ce lieu des victimes au Dieu de son père Isaac,

il l'entendit dans une vision pendant la nuit, qui l'appelait, et qui lui disait: Jacob, Jacob. Il lui répondit: Me voici.

Et Dieu ajouta: Je suis le Dieu très puissant de votre père, ne craignez point, allez en Égypte, parce que je vous y rendrai le chef d'un grand peuple.

J'irai là avec vous, et je vous en ramènerai lorsque vous en reviendrez.
Jeannette

Joseph aussi vous fermera les yeux de ses mains.
Madame Gervaise

Jacob étant donc parti du Puits du jurement, ses enfants l'amenèrent avec ses petits enfants et leurs femmes, dans les chariots que Pharaon avait envoyés pour faire venir ce vieillard,

avec tout ce qu'il possédait au pays de Chanaan; et il arriva en Égypte avec toute sa race;

ses fils, ses petits-fils, ses filles, et tout ce qui était né de lui.




Tous ceux qui vinrent en Égypte avec Jacob, et qui étaient sortis de lui, sans compter les femmes de ses fils, étaient en tout soixante et six personnes.

Plus les deux enfants de Joseph qui lui étaient nés en Égypte. Ainsi toutes les personnes de la maison de Jacob qui vinrent en Égypte, furent au nombre de soixante et dix.
Jeannette

Or Jacob envoya Juda devant lui vers Joseph pour l'avertir de sa venue, afin qu'il vînt au-devant de lui en la terre de Gessen.

Quand Jacob y fut arrivé, Joseph fit mettre les chevaux à son chariot, et vint au même lieu au-devant de son père: et le voyant il se jeta à son cou, et l'embrassa en pleurant.

Jacob dit à Joseph: Je mourrai maintenant avec joie, puisque j'ai vu votre visage, et que je vous laisse après moi.
Madame Gervaise

Joseph dit à ses frères, et à toute la maison de son père: Je m'en vais dire à Pharaon, que mes frères et tous ceux de la maison de mon père sont venus me trouver de la terre de Chanaan où ils demeuraient:

que ce sont des pasteurs de brebis qui s'occupent à nourrir des troupeaux, et qu'ils ont amené avec eux leurs brebis, leurs bœufs et tout ce qu'ils pouvaient avoir.

Et lorsque Pharaon vous fera venir, et vous demandera: Quelle est votre occupation?

vous lui répondrez: Vos serviteurs sont pasteurs depuis leur enfance jusqu'à présent, et nos pères l'ont toujours été comme nous. Vous direz ceci pour pouvoir demeurer dans la terre de Gessen; parce que les Égyptiens ont en abomination tous les pasteurs de brebis.




Joseph étant donc allé trouver Pharaon, lui dit: Mon père et mes frères sont venus du pays de Chanaan, avec leurs brebis, leurs troupeaux, et tout ce qu'ils possèdent, et ils se sont arrêtés en la terre de Gessen.

Il présenta aussi au Roi cinq de ses frères;

Et le Roi leur ayant demandé: A quoi vous occupez-vous? ils lui répondirent: Vos serviteurs sont pasteurs de brebis, comme l'ont été nos pères.

Nous sommes venus passer quelque temps dans vos terres, parce que la famine est si grande dans le pays de Chanaan, qu'il n'y a plus d'herbe pour les troupeaux de vos serviteurs. Et nous vous supplions d'agréer que vos serviteurs demeurent dans la terre de Gessen.
Jeannette

Le Roi dit donc à Joseph: Votre père et vos frères vous sont venus trouver.
Madame Gervaise

Vous pouvez choisir dans toute l'Égypte; faites-les demeurer dans l'endroit du pays qui vous paraîtra le meilleur, et donnez-leur la terre de Gessen. Que si vous connaissez qu'il y ait parmi eux des hommes habiles, donnez-leur l'intendance sur mes troupeaux.

Joseph introduisit ensuite son père devant le Roi, et il le lui présenta. Jacob salua Pharaon, et lui souhaita toute sorte de prospérité.

Le Roi lui ayant demandé quel âge il avait:
Jeannette

il lui répondit: Il y a cent trente ans que je suis voyageur, et ce petit nombre d'années, qui n'est pas venu jusqu'à égaler celui des années de mes pères, a été traversé de beaucoup de maux.
Madame Gervaise

Et après avoir souhaité toute sorte de bonheur au Roi, il se retira.

Joseph selon le commandement de Pharaon, mit son père et ses frères en possession de Ramessès dans le pays le plus fertile de l'Égypte.

Et il les nourrissait avec toute la maison de son père, donnant à chacun ce qui lui était nécessaire pour vivre.

Car le pain manquait dans tout le monde, et la famine affligeait toute la terre; mais principalement l'Égypte et le pays de Chanaan.




Israël demeura donc en Égypte, c'est-à-dire, dans la terre de Gessen, dont il jouit comme de son bien propre, et où sa famille s'accrut et se multiplia extraordinairement.

Il y vécut dix-sept ans; et tout le temps de sa vie fut de cent quarante-sept ans.

Comme il vit que le jour de sa mort approchait, il appela son fils Joseph, et lui dit: Si j'ai trouvé grâce devant vous, mettez votre main sous ma cuisse, et donnez-moi cette marque de la bonté que vous avez pour moi, de me promettre avec vérité, que vous ne m'enterrerez point dans l'Égypte;

mais que je reposerai avec mes pères; que vous me transporterez hors de ce pays, et me mettrez dans le sépulcre de mes ancêtres. Joseph lui répondit: Je ferai ce que vous me commandez.

Jurez-le moi donc, dit Jacob. Et pendant que Joseph jurait, Israël adora Dieu, se tournant vers le chevet de son lit.




Après cela on vint dire un jour à Joseph que son père était malade: alors prenant avec lui ses deux fils, Manassé, et Ephraïm, il l'alla voir.

On dit donc à Jacob: Voici votre fils Joseph qui vient vous rendre visite. Jacob reprenant ses forces se mit sur son séant dans son lit.




Et

Il leur fit aussi ce commandement, et leur dit: Je vais être réuni à mon peuple; ensevelissez-moi avec mes pères dans la caverne double qui est dans le champ d'Ephron Hethéen.

qui regarde Mambré au pays de Chanaan, et qu'Abraham acheta d'Ephron Hethéen, avec tout le champ où elle est, pour y avoir son sépulcre.

C'est là qu'il a été enseveli avec Sara sa femme. C'est aussi où Isaac a été enseveli avec Rébecca sa femme, et où Lia est encore ensevelie.

Après avoir achevé de donner ces ordres et ces instructions à ses enfants, il joignit ses pieds sur son lit, et mourut; et il fut réuni avec son peuple.




Un homme avait douze fils. Telle fut, mon enfant,
Ce fut la première fois qu'un enfant s'est perdu.
Ce fut la première fois qu'une brebis s'est perdue.
Ce fut la première fois qu'une drachme s'est perdue.




Mais cette drachme que l'on avait égarée,
Mais cette brebis qui s'était égarée,
Mais cet enfant, ce fils qui s'était égaré
Fut retrouvé sur le trône,
Gouvernant la maison de Pharaon
Et ravitaillant tout le royaume d'Égypte.
Et celui de Jésus au contraire, (c'est toujours le contraire),
Celui de Jésus, l'enfant perdu par Jésus,
Dans la parabole de Jésus,
Celui de Jésus fut retrouvé qui revenait de gouverner un troupeau de porcs.
Et je pense que ses trente ou quarante cochons,
Il les ravitaillait de glands et peut-être de quelque sale pâtée.
C'est ainsi, mon enfant. Ainsi est l'ancien, ainsi est le nouveau testament.
Dans l'ancien testament il est plus souvent question du trône.
Et dans le nouveau testament il est plus souvent question de garder les cochons.
(Et les autres animaux, qui ne sont pas moins nobles).


Dans l'ancien testament il y a toujours une vue, une pensée vers le commandement.
Et dans le nouveau testament il y a toujours une pensée,
Une arrière-pensée vers le service au contraire
Et vers la servitude.



Dans l'ancien testament il y a toujours un regard, une pensée vers le gouvernement.
Et dans le nouveau testament il y a toujours un regard, une pensée vers l'obéissance
Et vers la simple condition.
Vers la simple condition de sujet.
Vers la simple condition d'homme.



Ou s'il y a une pensée vers un commandement, et vers un gouvernement, et vers un royaume,
Dans le nouveau testament c'est vers un commandement et vers un gouvernement et vers un royaume
Qui n'est point le gouvernement et le commandement d'un royaume d'Égypte.



Et dans le nouveau testament il n'y a de pensée que pour un royaume qui n'est pas de ce monde.




Dans l'ancien testament il y a toujours une pensée vers les richesses, vers les trésors d'Égypte et de Babylonie,
Vers les talents d'or et d'argent.
Et les richesses, et le trône, et le royaume, et le gouvernement et le commandement
Sont présentées comme le couronnement.
Dans le nouveau testament il y a toujours une pensée,
La pensée secrète est vers l'épreuve, et vers la misère, et vers la pauvreté.
Et c'est elle l'épreuve, et c'est elle la misère, et c'est elle la pauvreté
Qui est toujours présentée,
Qui est le faîte et le couronnement.



C'est elle qui est la dame et la très chère et la très sainte pauvreté.



Dans l'ancien testament on redoute toujours, il y a toujours une pensée
De redoutement vers la famine de la faim.
Dans le nouveau testament on redoute toujours
Une autre faim inapaisée,
Il y a toujours une pensée
De redoutement vers une autre famine d'une autre faim.
Car c'est une spirituelle famine.
D'une faim spirituelle.



Ainsi marche l'ancien testament devant le nouveau testament.
Ainsi les histoires marchent devant les similitudes.
Et les hymnes et les prières et les psaumes
Devant les hymnes et les prières et les oraisons
Et la lente et la longue lignée des prophètes
Devant les bataillons serrés,
Devant les bataillons carrés
Des saints.



Ainsi marche le gouvernement des biens de ce monde
Avant le gouvernement des biens qui ne sont pas de ce monde.



Ainsi marche le commandement charnel
Avant le commandement spirituel.



Ainsi le royaume temporel
Marche avant le royaume éternel.



Et ainsi les tentes du peuple d'Israël se sont plantées dans le désert
Des siècles et des siècles avant que les basiliques,
Avant que les églises, avant que les cathédrales
Se soient plantées au sol de France.



Et dans l'ancien testament il s'agit d'emplir des sacs de blé, il y a, (toujours),
une pensée sur les sacs de blé.
Et après ça il s'agit, (dans l'ancien testament),
Ces sacs pleins il s'agit de les empiler dans les greniers à blé.
Mais dans le nouveau testament il s'agit de bien autres sacs et de bien autres greniers.
Car il s'agit, dans le nouveau testament il s'agit, ce sont
Des sacs de misère, des sacs d'épreuves, des sacs de misères.
Et des sacs à mettre les vertus et les mérites et les grâces
Que l'on a récoltées comme on a pu
Pour les années de disette
Et ce sont enfin
Les greniers éternels



Et dans l'ancien testament c'est le père qui finit par venir trouver son fils
Et qui le retrouve plein de gloire
Tout vêtu.
Mais dans le nouveau testament c'est le fils tout nud
Qui finit par venir trouver son père



Ainsi l'ancien testament est l'appariteur et le fourrier
Et le préparateur et l'annonciateur du nouveau testament.
C'est lui qui lui prépare les voies, c'est lui qui lui fait sa maison.
C'est l'ancien testament qui fait dans le désert
La longue voie temporelle.
C'est l'ancien testament qui patiemment bâtit
La maison temporelle.
Voici, j'envoie mon ange devant ta face, qui préparera ton chemin devant toi.



Et aussi l'ancien testament est comme une image qui marche devant le nouveau testament.
Et comme une image en même temps il est très fidèle et en même temps il est à l'envers.
Il est contraire. Ainsi est l'histoire sainte.
Le testament charnel est une histoire, une image du testament spirituel.
L'ancien testament temporel est une image du nouveau testament éternel.
Et dans le nouveau testament s'il s'agit de gloire,
Il s'agit d'une gloire qui ne se ramasse guère sur les trônes,
(Excepté saint Louis et le trône de France).



Tout l'ancien testament est une figure, une image d'ensemble et de détail
Très fidèle, très exacte,
(Mais fidèlement inverse, exactement inverse),
Du nouveau testament dans son ensemble et dans son détail.
Dans l'ancien testament la création est au seuil,
Au commencement qui est le commencement du monde.
Et dans le nouveau testament le jugement est à la fin.
Le jugement qui est proprement le contraire de la création,
Le pied opposé, qui est proprement une contre-création.
Car dans la création j'ai fait le monde,
(Temporel)
Et dans le jugement je le défais.
Ainsi le jugement est proprement le contraire et ce qui balance la création.
Ce que l'on peut mettre, ce qui est en face de la création.



J'ai découpé le temps dans l'éternité, dit Dieu.
Le temps et le monde du temps.
La création fut le commencement et le jugement sera la fin.
(Du temps) (Du monde du temps).
C'est exactement une symétrie, un balancement.
Ce que j'ai ouvert, je le fermerai.
Le jour de la création (les six jours) j'ai ouvert un certain monde
(On le connaît de reste)
(On le sait, on en a assez parlé)
Enfin la première heure du premier des six jours de la création j'ai commencé une certaine histoire,
Et le jour du jugement je la fermerai.
Or tout l'ancien testament part de ce jugement que je fis de créer.
Et tout le nouveau testament va vers ce jugement que je ferai de juger.
Ainsi l'ancien testament est symétrique au nouveau.
Et (contre) balance le nouveau.
Et tout l'ancien testament part de cette création.
Et tout le nouveau testament va vers ce jugement
Et dans l'ancien testament le Paradis est au commencement.
Et c'est un Paradis terrestre.
Mais dans le nouveau testament le Paradis est à la fin.
Et je vous le dis c'est un Paradis
céleste.
Et tout l'ancien testament va vers Jean le Baptiste et vers Jésus.
Mais tout le nouveau testament vient de Jésus.
C'est comme une belle voûte qui monte des deux côtés vers la clef de voûte.
Et Jésus est la clef de voûte. Ainsi est la voûte de cette nef.
Et la pierre qui monte suivant la courbe de cette nef,
Décidant, dessinant, d'avance et à mesure, la courbe de cette voûte,
Formant la courbe de cette voûte,
La pierre qui monte du bas s'avance hardiment,
Et fidèlement et sûrement,
En toute sécurité sans aucune inquiétude,
Parce que montante elle sait très bien
Qu'elle trouvera la clef de voûte exacte au rendez-vous,
A la juste intersection, au sacré croisement et la clef de voûte, c'est Jésus.
Et ensemble toute la voûte soutient et porte et hausse et maintient la clef
Comme une énorme épaule ronde qui sans cou soutiendrait une seule tête mais la clef seule,
La clef qui parachève,
Seule aussi ensemble est ce qui soutient seule la voûte et le tout.
Et la dernière pierre avant la clef est Jean le Baptiste.
Mais la première pierre après la clef est Pierre le fondateur.
Tu es Pierre et sur cette pierre.
Et il fut crucifié la tête en bas,
C'est-à-dire en redescendant.
Et comme la pierre est quadrangulaire,
Il y a les quatre angles et les quatre lignes du carré.
Et l'on dit selon Matthieu, selon Marc, selon Luc, selon Jean,
C'est-à-dire en suivant la ligne de Matthieu, en suivant la ligne de Marc, en suivant la ligne de Luc,
Et en suivant la ligne de Jean.
Et aux quatre coins sont assis le jeune homme, le lion, le taureau et l'aigle.
Car l'Église est quadrangulaire,
Comme elle est lapidaire étant fondée sur la quadrangulaire
Pierre.




Et encore l'ancien testament est tout linéaire.
C'est une longue, c'est une grêle ligne des prophètes.
Et les prophètes y viennent l'un après l'autre
Comme les peupliers viennent l'un après l'autre dans cette belle lignée.
Dans cette belle avenue de peupliers.
Et tout l'ancien testament c'est cette belle, cette longue avenue de peupliers.
Venue des profondeurs de la plaine et marchant droit sur la plaine.
Cette longue avenue, cette longue lignée fidèle
(Sans largeur).
Les peupliers y sont placés l'un après l'autre, les prophètes y sont placés l'un après l'autre.
Sur la rangée double.
Venante, sortie, venue des profondeurs de l'horizon la noble allée,
La fidèle, la directe allée droite linéaire
Droite l'avenue s'avance sur la plaine droite.
Car elle sait où elle va.
Et elle ne va pas moins que.
Directement elle va droit au seuil du château.
Et elle conduit, et elle amène, et elle introduit le regard et le pas.
Elle seule conduit au seuil mais elle ne franchit pas le seuil, elle ne passe pas le pas de la porte.
Elle ne se prolonge pas à l'intérieur du château.
Mais le quadrangulaire château du nouveau testament
S'ouvre à ce seuil et la longue allée de peupliers ne s'y continue pas.
Mais la cour d'honneur s'y ouvre, et les bâtiments du château.
Et le beau perron pour monter et les quadrangulaires murailles.
Et ainsi le nouveau testament a une dimension de plus.
Car l'ancien testament est une ligne
Mais le nouveau couvre une surface.




Ou encore l'ancien testament est cette fine, cette grêle
Cette uniquement fidèle allée de peupliers,
Perdue dans la plaine rase
Mais le nouveau testament est le solide parc du château.
Le robuste bois de chênes, carré,
Bien clos derrière ses quadrangulaires murailles,
Et qui couvre toute la surface.




Ou encore l'ancien testament est cette voûte qui monte en une seule arête,
En une seule nervure et le nouveau testament
C'est la même voûte qui retombe,
Qui redescend en toute une nappe.
Et l'arête qui monte part de la terre et c'est une arête charnelle.
Mais cette nappe qui redescend vient de l'esprit
Et c'est une nappe spirituelle.
Et l'arête et la nervure qui monte part du temps et est une temporelle arête.
Mais la nappe qui redescend vient de l'éternité et c'est
Une éternelle nappe.




Et la clef de cette mystique voûte.
La clef elle-même
Charnelle, spirituelle,
Temporelle, éternelle,
C'est Jésus,
Homme,
Dieu.




Et la création fut une sorte d'ouverture du temps et de fermeture en quelque sorte de l'éternité.
Or le jugement sera proprement la fermeture du temps
Et la totale et la définitive
Réouverture de l'éternité.



Ou encore l'ancien testament est le lac profond qui reflète la haute forêt.
Et la forêt est toute dans le lac mais elle n'y est pas.
Et le lac sombre et le lac profond est enfoncé dans la terre.
Et dans le lac le ciel est au fond.
Mais vers le haut la haute forêt.
Partant du bord du lac. La haute forêt réelle.
Hausse une tête réelle.
Fait monter une sève réelle.
Vers le seul profond ciel réel.




On envoie les enfants à l'école, dit Dieu.
Je pense que c'est pour oublier le peu qu'ils savent.
On ferait mieux d'envoyer les parents à l'école.
C'est eux qui en ont besoin.
Mais naturellement il faudrait une école de moi.
Et non pas une école d'hommes.



On croit que les enfants ne savent rien.
Et que les parents et que les grandes personnes savent quelque chose.
Or je vous le dis, c'est le contraire.
(C'est toujours le contraire).
Ce sont les parents, ce sont les grandes personnes qui ne savent rien.
Et ce sont les enfants qui savent
Tout.



Car ils savent l'innocence première.
Qui est tout.



Le monde est toujours à l'envers, dit Dieu.
Et dans le sens contraire.
Heureux celui qui resterait comme un enfant
Et qui comme un enfant garderait
Cette innocence première.



Mon fils le leur a assez dit.
Sans aucun détour et sans aucune atténuation.
Car il parlait net et ferme.
Et clair.
Heureux non pas même, non pas seulement celui
Qui serait comme un enfant, qui resterait comme un enfant.
Mais proprement heureux celui qui est (un) enfant, qui reste un enfant.
Proprement, précisément l'enfant même qu'il a été.
Puisque justement il a été donné à tout homme
D'être.
Puisqu'il est donné à tout homme d'avoir été
Un jeune enfant laiteux.



Puisqu'il a été donné à tout homme cette bénédiction.
Cette grâce unique.



Et le royaume du ciel n'est pas à un moindre prix.
A un autre prix.
Mon fils le leur a assez dit.
Et en termes assez exprès.



Le royaume du ciel ne sera que pour eux.
Et il n'y en aura que pour eux.
A cette heure-là s'approchèrent les disciples de Jésus, disant: Qui, penses-tu, est plus grand dans le royaume des cieux?

Et appelant Jésus un petit enfant, le plaça au milieu d'eux,

Et dit: En vérité je vous le dis, si vous ne vous convertissez point, et ne vous rendez point comme ces petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux.

Quiconque donc se sera humilié comme ce petit enfant, voilà celui qui est plus grand dans le royaume des cieux.

Et celui qui reçoit un tel enfant en mon nom, me reçoit.

Mais celui qui aura scandalisé un seul de ces tout petits qui croient en moi, il vaut mieux pour lui qu'on lui pende au cou une meule d'âne, et qu'on le jette au profond de la mer.




On a des écoles, dit Dieu. Je pense que c'est pour désapprendre
Le peu que l'on sait.
La vie aussi est une école, disent-ils. On y apprend tous les jours.
Je la connais, cette vie qui commence au baptême et qui finit à l'extrême-onction.
C'est une usure perpétuelle, une constante, une croissante flétrissure. On descend tout le temps.
Heureux celui qui peut rester tel que le jour de son baptême
Et de sa première communion. La vie commence au baptême, dit Dieu.
Sera-t-il dit qu'elle finit à la première.
Et non point à la dernière communion.


Sera-t-il dit que l'homme finit à sa première communion.
Et non point au viatique, qui est sa dernière communion.




Ils s'emplissent d'expérience, disent-ils; ils gagnent de l'expérience; ils apprennent la vie; de jour en jour ils amassent de l'expérience. Singulier trésor, dit Dieu
Trésor de vide et de disette.
Trésor de la disette des sept années, trésor de vide et de flétrissure et de vieillissement.
Trésor de rides et d'inquiétudes.
Trésor des années maigres. Accroissez-le, ce trésor, dit Dieu. Dans des greniers vides
Vous entasserez des sacs vides
D'une Égypte vide.
Vous accroissez le trésor de vos peines et de vos misères.
Et les sacs de vos soucis et de vos petitesses.
Vous acquérez de l'expérience, dites-vous, vous accroissez votre expérience.
Vous allez toujours en descendant, dit Dieu, vous allez toujours en diminuant, vous allez toujours en perdant.
Vous allez toujours en pente. Vous allez toujours en vous flétrissant et en vous ridant et en vieillissant.
Et vous ne remonterez jamais cette pente.
Ce que vous nommez l'expérience, votre expérience, moi je le nomme
La déperdition, la diminution, le décroissement, la perte de l'espérance.

Car je le nomme la déperdition prétentieuse,
La diminution, le décroissement, la perte de l'innocence.




Et c'est une dégradation perpétuelle.




Or c'est l'innocence qui est pleine et c'est l'expérience qui est vide.
C'est l'innocence qui gagne et c'est l'expérience qui perd.

C'est l'innocence qui est jeune et c'est l'expérience qui est vieille.
C'est l'innocence qui croît et c'est l'expérience qui décroît.

C'est l'innocence qui naît et c'est l'expérience, qui meurt.
C'est l'innocence qui sait et c'est l'expérience qui ne sait pas.

C'est l'enfant qui est plein et c'est l'homme qui est vide.
Vide comme une courge vide et comme un tonneau vide:

Voilà, dit Dieu, ce que j'en fais, de votre expérience.




Allez, mes enfants, allez à l'école.
Et vous, hommes, allez à l'école de la vie.
Allez apprendre
A désapprendre.




Toute histoire s'est jouée deux fois, dit Dieu. Une fois en juiverie.
Et une fois en chrétiennerie. L'enfant (Jésus) s'est joué deux fois.
Une fois en Benjamin et une fois dans l'enfant Jésus.
Et l'enfant perdu et la brebis perdue et la drachme perdue s'est jouée deux fois.
Et la première fois ce fut dans Joseph, je suis Joseph votre frère.
Il fallait que cela fût joué, dit Dieu. Et deux fois plutôt qu'une.
Car il y a dans l'enfant, car il y a dans l'enfance une grâce unique.
Une entièreté, une premièreté
Totale.
Une origine, un secret, une source, un point d'origine.
Un commencement pour ainsi dire absolu.
Les enfants sont des créatures neuves.
Eux aussi, eux surtout, eux premiers ils prennent le ciel de force.
Rapiunt, ils ravissent. Mais quelle douce violence.
Et quelle agréable force et quelle tendresse de force.
Comme un père endure volontiers
Comme il aime à endurer les violences de cette force,
Les embrassements de cette tendresse.
Pour moi, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde
Qu'un gamin d'enfant qui cause avec le bon Dieu
Dans le fond d'un jardin.
Et qui fait les demandes et les réponses (C'est plus sûr).
Un petit homme qui raconte ses peines au bon Dieu
Le plus sérieusement du monde.
Et qui se fait lui-même les consolations du bon Dieu.
Or je vous le dis ces consolations qu'il se fait.
Elles viennent directement et proprement de moi.




Je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde, dit Dieu.
Qu'un petit joufflu d'enfant, hardi comme un page,
Timide comme un ange,
Qui dit vingt fois bonjour, vingt fois bonsoir en sautant.
Et en riant et en (se) jouant.
Une fois ne lui suffit pas. Il s'en faut. Il n'y a pas de danger.
Il leur en faut, de dire bonjour et bonsoir. Ils n'en ont jamais assez.
C'est que pour eux la vingtième fois est comme la première. Ils comptent comme moi.
C'est ainsi que je compte les heures.



Et c'est pour cela que toute l'éternité et que tout le temps
Est (comme) un instant dans le creux de ma main.




Rien n'est beau comme un enfant qui s'endort en faisant sa prière, dit Dieu.
Je vous le dis, rien n'est aussi beau dans le monde.
Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau dans le monde.
Et pourtant j'en ai vu des beautés dans le monde
Et je m'y connais. Ma création regorge de beautés.
Ma création regorge de merveilles.
Il y en a tant qu'on ne sait pas où les mettre.
J'ai vu des millions et des millions d'astres rouler sous mes pieds comme les sables de la mer.
J'ai vu des journées ardentes comme des flammes.
Des jours d'été de juin, de juillet et d'août.
J'ai vu des soirs d'hiver posés comme un manteau.
J'ai vu des soirs d'été calmes et doux comme une tombée de paradis
Tout constellés d'étoiles.
J'ai vu ces coteaux de la Meuse et ces églises qui sont mes propres maisons.
Et Paris et Reims et Rouen et des cathédrales qui sont mes propres palais et mes propres châteaux.
Si beaux que je les garderai dans le ciel.
J'ai vu la capitale du royaume et Rome capitale de chrétienté.
J'ai entendu chanter la messe et les triomphantes vêpres.
Et j'ai vu ces plaines et ces vallonnements de France.
Qui sont plus beaux que tout.
J'ai vu la profonde mer, et la forêt profonde, et le cœur profond de l'homme.
J'ai vu des cœurs dévorés d'amour
Pendant des vies entières
Perdus de charité.
Brûlant comme des flammes.
J'ai vu des martyrs si animés de foi
Tenir comme un roc sur le chevalet
Sous les dents de fer.
(Comme un soldat qui tiendrait bon tout seul toute une vie
Par foi
Pour son général (apparemment) absent).
J'ai vu des martyrs flamber comme des torches
Se préparant ainsi les palmes toujours vertes.
Et j'ai vu perler sous les griffes de fer
Des gouttes de sang qui resplendissaient comme des diamants.
Et j'ai vu perler des larmes d'amour
Qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel.
Et j'ai vu des regards de prière, des regards de tendresse,
Perdus de charité
Qui brilleront éternellement dans les nuits et les nuits.
Et j'ai vu des vies tout entières de la naissance à la mort,
Du baptême au viatique,
Se dérouler comme un bel écheveau de laine.
Or je le dis, dit Dieu, je ne connais rien d'aussi beau dans tout le monde
Qu'un petit enfant qui s'endort en faisant sa prière
Sous l'aile de son ange gardien
Et qui rit aux anges en commençant de s'endormir.
Et qui déjà mêle tout ça ensemble et qui n'y comprend plus rien
Et qui fourre les paroles du Notre Père à tort et à travers pêle-mêle dans les paroles du Je vous salue Marie.
Pendant qu'un voile déjà descend sur ses paupières
Le voile de la nuit sur son regard et sur sa voix.
J'ai vu les plus grands saints, dit Dieu. Eh bien je vous le dis.
Je n'ai jamais rien vu de si drôle et par conséquent je ne connais rien de si beau dans le monde
Que cet enfant qui s'endort en faisant sa prière
(Que ce petit être qui s'endort de confiance)
Et qui mélange son Notre Père avec son Je vous salue Marie.
Rien n'est aussi beau et c'est même un point
Où la sainte Vierge est de mon avis.
Là-dessus.
Et je peux bien dire que c'est le seul point où nous soyons du même avis. Car généralement nous sommes d'un avis contraire.
Parce qu'elle est pour la miséricorde.
Et moi il faut bien que je sois pour la justice.




Aussi, dit Dieu, comme je comprends mon fils. Mon fils le leur a assez dit. (Or il faut entendre toutes les paroles de mon fils au pied de la lettre). Sinite parvulos. Laissez venir.
Sinite parvulos venire ad me. Laissez les tout petits venir à moi.
Les petits enfants.
Alors lui furent offerts des tout petits pour qu'il leur imposât les mains, et priât. Or les disciples les rabrouaient.


Mais Jésus leur dit: Laissez les tout petits, et ne les empêchez point de venir à moi: talium est enim regnum cœlorum. De tels en effet est le royaume des cieux. Aux tels, aux comme eux appartient le royaume des cieux.


Et quand il leur eut imposé les mains, il s'en alla.




Vous autres hommes, (dit Dieu), essayez donc seulement de faire un mot d'enfant.
Vous savez bien que vous ne pouvez pas.
Et non seulement vous ne pouvez pas en faire.
Pas même un seul, mais quand on vous en fait
Vous ne pouvez pas même les retenir. Quand un mot d'enfant éclate parmi vous
Vous vous récriez, vous éclatez vous-mêmes d'une admiration
Sincère et profonde et qui vous rachèterait et à laquelle je rends justice.
Et vous dites, de partout vous dites,
Vous dites des yeux, vous dites de la voix,
Vous riez, vous dites en vous-mêmes et vous dites tout haut à table:
Il est bon, celui-là, je le retiens. Et vous vous jurez
D'en faire part à vos amis, de le dire à tout le monde,
Tant vous avez d'orgueil pour vos enfants (je ne vous en veux pas, dit Dieu.
C'est encore ce que vous avez de meilleur et c'est ce qui vous rachèterait).
Vous croyez que vous allez facilement le rapporter.
Mais quand vous allez tout flambants pour le rapporter,
Vous vous apercevez que vous ne le savez plus.
Et non seulement cela, mais que vous ne pourrez plus le retrouver. Il s'est évanoui de votre mémoire.
C'est une eau trop pure qui a fui de votre sale mémoire, de votre mémoire souillée.
Qui a voulu fuir, qui n'a pas voulu y rester.
Vous vous rendez très bien compte qu'il était à une certaine place, qu'il avait un certain goût,
Qu'il était là, qu'il occupait cette certaine place, qu'il était dans cette région, qu'il tenait cette place, qu'il avait un certain volume. Mais vous avez la sensation nette
Qu'il est parti ou plutôt qu'il est reparti et qu'il ne reviendra jamais plus,
Que d'ailleurs vous étiez parfaitement indigne
Qu'il demeurât et vous restez bouche bée et vous avez parfaitement la sensation
Que vous seriez parfaitement incapable de le retrouver,
C'est-à-dire de le faire revenir,
Parce que c'est d'une tout autre qualité d'âme.




Et vous le sentez bien, que c'est ainsi, que c'est juste, et que rien n'y reviendra, et que rien n'y fera plus.
Et que c'est votre ancienne âme,
ô hommes,
qui a passé,




Hommes malins alors vous ne faites plus le malin.
Hommes savants alors vous ne faites plus le savant.
Hommes qui avez été à l'école alors vous ne savez plus rien
Et vous n'avez plus qu'à courber le front
(C'est d'ailleurs ce que vous faites, il faut vous rendre cette justice)
Quand un mot d'enfant passe dans le cercle de famille,
Quand un mot d'enfant
Tombe
Dans le fatras quotidien,
Dans le bruit quotidien,
(Dans le soudain silence)
Dans le recueillement soudain
De la table de famille.
O hommes et femmes assis à cette table soudain courbant le front vous écoutez passer
Votre ancienne âme.




Quand un mot d'enfant tombe
Comme une source, comme un rire,
Comme une larme dans un lac.




O hommes et femmes assis à cette table soudain courbant le front, l'œil fixe, et les doigts immobiles et arrêtés et légèrement tremblants sur le morceau de pain,
Les doigts agités d'un léger tremblement, la respiration arrêtée,
Vous écoutez passer
Votre ancienne âme.




Une voix est venue,
Hommes à table,
Comme d'une autre création même.



Une voix est montée,
Hommes à table,
Une voix est venue,
C'est d'un monde où vous étiez.



Une source a jailli,
Hommes à table,
C'est la source de votre première âme.
Vous aussi vous avez ainsi parlé.



Vous étiez d'autres hommes, hommes à table.
Vous étiez d'autres êtres, hommes à table.
Vous étiez des enfants comme eux.



Vous faisiez des mots d'enfants, hommes à table.
Allez donc à présent faire des mots d'enfants.



Un mot est passé, un mot est monté, un mot est venu, hommes à table.
Un mot est tombé dans le silence de votre table.
Et soudain vous avez reconnu.
Et soudain vous avez salué.
Votre ancienne âme.



Un mot a jailli étourdi.
Un mot a volé étourneau.
Hastis musars.
Et frémissants vous avez senti passer
Toute la jeunesse
Du vieux
Dieu.




Ils sont le lait et le miel, dit Dieu, une innocence dont on n'a pas idée. (Et les hommes sont le pain et le vin).
Lavés de l'eau ils sont comme une autre chair, n'étant pas seulement d'une autre âme.
D'une autre qualité d'âme.
Lavés de l'eau ils sont une autre nourriture, une chair plus tendre, ils sont le lait même et le miel.



Et l'homme, Hommes à la sainte Table, Hommes à la Table éternelle,
L'Homme est le Pain et le Vin
L'Homme est une nourriture plus forte, une nourriture virile.
Mais l'enfant est une blanche nourriture, une pure nourriture, une nourriture plus tendre.
Et le Pain et le Vin sont des Nourritures adultes, de dures Nourritures d'homme.
Et ce Vin venait de cette Grappe. Mais ce lait et ce miel venaient des ruisseaux mêmes.
Et étant allés jusqu'au Torrent-de-la-Grappe de raisin, ils coupèrent une branche de vigne avec sa grappe, que deux hommes portèrent sur un levier. Ils prirent aussi des grenades et des figues de ce lieu-là,

qui fut appelé depuis Nehel-escol, le Torrent-de-la-Grappe, parce que les enfants d'Israël emportèrent de là cette grappe de raisin.



Ils leur dirent: Nous avons été dans le pays où vous nous avez envoyés, et où coulent véritablement des ruisseaux de lait et de miel, comme on le peut connaître par ces fruits.

Mais elle a des habitants très forts, et de grandes villes fermées de murailles. Nous y avons vu la race d'Enac.




Sinite parvulos venire ad me.
Talium est enim regnum cœlorum c'est le mot de mon fils.
Mais ce n'est pas seulement le mot de mon fils. C'est mon mot.
Quel engagement, l'Église, ma fille l'Église me le fait reprendre
Et me le fait dire (or je ne démentirai jamais une liturgie.
Une prière, une oraison de ma fille l'Église).
Par l'Église, par le ministère du prêtre j'ai repris l'engagement, j'ai repris le mot de mon fils:
Laissez venir à moi les tout petits.
Des tels est en effet le royaume des cieux.
Ainsi ma liturgie romaine se noue à ma prédication centrale et cardinale
Et à ma prophétie judéenne.
Et la chaîne est juive et romaine en passant par un gond, par une articulation.
Par une origine centrale.
Tout est annoncé par ma prophétie juive.
Tout au centre, tout au cœur est réalisé, tout est consommé par mon fils.
Tout est consommé, tout est célébré par ma liturgie romaine.

Le prophète juif prédit.
Mon fils dit.
Et moi je redis.

Et on me fait redire.




Et il y a un rappel, un écho, un report et comme un retour, qui est saint Louis.
Je veux dire: Il y a un rappel, un écho, un report et comme un retour qui sont les saints.



Il y a un reflet.



Il y a une lumière avant, une lumière pendant, une lumière, un reflet après.



On a été trois fois en Égypte, dit Dieu. Et une fois c'est Joseph.
Et une fois c'est Jésus.
Et une fois c'est saint Louis.



On a été trois fois en Égypte et c'est une terre singulière.



Et une fois c'était Joseph conduisant Jacob c'est-à-dire Israël.
Et une fois ce fut le Joseph conduisant Jésus.
Et une fois ce fut saint Louis conduisant Joinville
Et le menu peuple de France et les autres barons français.



Singulière Égypte, dit Dieu, singulière destinée de cette Égypte temporelle.
Haute et triple destinée. On y fit trois voyages.
Une fuite. Une fuite. Une croisade.
Une entrée. Une retraite. Une croisade.
Un enfant vendu. Un enfant en fuite. Un roi en croisade.
Un ministre du roi. Un roi sur son âne. Un roi en prison.
O théâtre d'Égypte, on y a joué trois fois.



Une fois avant. Une fois pendant. Une fois après.



Longue destinée temporelle, dit Dieu, patience temporelle, en vérité cette terre a été fort honorée.
Les pas ont marché dans les pas, dit Dieu, le talon juste dans le talon et les pieds ont retrouvé leur propre trace.
C'est un pays de désert, dit Dieu, du moins on le dit.
Ou plutôt c'est une grasse vallée longue toute bordée, toute entourée de déserts et l'on n'y accède point autrement que par le désert et le sable.
Mais sur ce sable les traces ne se sont point effacées et les pieds ont retrouvé la trace des pieds.
Les pieds nouveaux sont retombés juste dans les pieds antiques.
O terre antique, de loin en loin par le désert, par la mer le voyageur est venu.
Des siècles passaient, ô terre antique, des siècles d'intervalle, et tout paraissait oublié.
Mais après des siècles d'intervalle par le désert, par la mer ton roi revenait, ô terre antique, ton roi voyageur.
Et les pieds n'hésitaient point pour se poser dans la trace des pieds.
Ton roi est venu trois fois, ô terre antique, ô terre destinée.

La première fois c'était un petit garçon vendu esclave
A des marchands
Et tu en fis le ministre de ton roi.

La deuxième fois c'était un petit garçon qu'on faisait fuir à dos d'âne.
Et un jour tu le renvoyas pour devenir le Roi des rois.

Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. Et la troisième fois c'était
le roi de France,
Récemment débarqué de ses royales
Galères.




Des siècles et des siècles passaient, ô terre d'Égypte, des siècles d'intervalle,
Et tout paraissait oublié.
Mais toujours ton roi est revenu
Au rendez-vous.



Terre antique, au cœur fertile, au front couronné de sables,
Nul sable jamais n'a effacé,
Terre antique nul sable n'effacera
La trace de ces pas.



Terre antique entourée, terre antique cernée d'un infranchissable
Sable, désert aux plis infranchissables tu as été franchi trois fois.
Terre antique trois fois ton roi
A trouvé le chemin de ton cœur.



Terre antique entre toutes, antique sur toutes tu t'endors dans un long sommeil mais tu as été réveillée trois fois.



Et une fois c'était un petit juif.
Et une fois c'était un petit juif.
Et une fois c'était un baron français.



Et la première fois c'était le Prophète.
Et la troisième fois c'était le Saint.
Mais la deuxième fois qui était-ce, sinon à la fois le Prophète et le Saint.



O terre antique, terre d'Égypte tu parais dormir, mais tu as été honorée trois fois.



Et la première fois c'était sous l'ancienne loi,
Presque au commencement de l'ancienne loi.

Et la deuxième fois; et la troisième fois c'était sous la loi nouvelle,
Dans la floraison de la loi nouvelle.

Mais la deuxième fois qu'est-ce que c'était,
Sinon sous cet achèvement, sous ce couronnement de l'ancienne loi
Que fut cette naissance et cette enfance et ce commencement de la loi nouvelle.



O terre antique, terre d'Égypte tu parais dormir, mais tu as été visitée trois fois.



Et la première fois c'était le Juste.
Et la troisième fois c'était le Saint.
Mais la deuxième fois qui était-ce, sinon à la fois le Juste et le Saint.



O terre antique, terre d'Égypte, terre à la longue mémoire tu parais dormir mais tu as été foulée trois fois.



Et la première fois c'était le roi des Juifs.
Et la troisième fois c'était le roi de Chrétienté.
Mais la deuxième fois, qui était-ce, rex Judaeorum, sinon à la fois le roi des Juifs
Et le roi de Chrétienté.



Terre antique, terre d'Égypte tu parais endormie, mais ton sommeil a été troublé trois fois
Par les pas qui venaient.



Terre tu as été bénie trois fois et toi désert stérile tu as été arrosé trois fois.
Rorate, cœli, desuper. Et nubes pluant justum.
Cieux, faites votre rosée, d'en haut. Et que les nuages pleuvent le Juste.




Cieux, faites descendre votre rosée. O terre d'Égypte, dit Dieu, singulière terre,
Tu as fourni une singulière histoire,
Tu as fourni une singulière destinée.
Tu as été grandement honorée temporellement,
Terre endormie trois fois réveillée,
Terre ignorée trois fois visitée,
Terre oubliée trois fois remémorée




Ainsi, dit Dieu, tout se joue trois fois. Le prophète parle avant.
Mon fils parle pendant.
Le saint parle après.

Et moi je parle toujours.



Et c'est là que l'on voit que mon fils est le centre et le cœur et la voûte et la clef
Et la nef et le croisement de l'axe,
Et le point de l'articulation.
Et le gond qui fait tourner la porte.
Le prince des prophètes et le prince des saints.



Le prophète, le juste vient devant.
Mon fils vient pendant.
Le saint vient après.

Et moi je viens toujours.

Et l'Église, qui est la communion des saints et la communion des fidèles vient aussi après, vient aussi toujours.



Or je ne laisserai pas manquer mon Église, dit Dieu, je ne la laisserai pas errer, je ne la laisserai pas faillir.
Terre antique d'Égypte qui dors faussement, dit Dieu, qui réellement veilles,
Je m'engage autant dans les commandements de l'Église que dans mes propres
Commandements.
Je m'engage autant dans les enseignements de l'Église que dans mes propres
Enseignements.
Je m'engage autant dans une liturgie que je me suis engagé avec Moïse
Et que mon fils avec eux s'est engagé sur la montagne.
Or cela, ce que mon fils a dit une fois, sinite parvulos venire ad me,—laissez les petits venir à moi,—je le redis, on me le fait redire toutes les fois (quel engagement).
Et mon fils l'avait dit de quelques enfants qui jouaient, et qui, aussitôt bénis, le quittèrent pour retourner jouer.
Mais moi je le dis, on me le fait dire à chaque enfant qui ne retournera plus jouer,
Sinon dans mon paradis.




Or cela (quel engagement) je le redis à cet office des morts, à qui tout vient aboutir.
Auquel tout s'achemine. Office des morts pour l'enterrement d'un enfant. Le Célébrant se revêt d'un surplis et d'une étole blanche.
Et comme le jour du baptême il est allé chercher l'enfant jusqu'au seuil de l'église,
Qui est le seuil de ma maison,
Et ainsi le seuil de la Maison de son Père,
Ainsi le jour de cet enterrement il va chercher l'enfant dans la paroisse jusqu'à la Maison de son père.
Jusqu'au seuil de la maison de son père.
Et la Croix même marche portée au-devant de cet enfant qui est mort dans la paroisse.
Et quand le cortège revient vers l'église
La croix marche portée devant.
La croix et le prêtre et le répondant et les enfants de chœur marchent en avant.
Et par la grande rue du village tout le village.
Toute la paroisse suit derrière.
Les hommes et les femmes et les enfants.
Et les femmes pleurent. Et tout est blanc.
Et le célébrant chante
le vieux psaume du roi David,
Beati immaculati in via.
Heureux les sans tache dans la voie.




Heureux les immaculés dans la voie.
Beati immaculati in via.
Sera-t-il dit, dit Dieu, que de tant de saints et de tant de martyrs.
Les seuls qui seront réellement blancs.
Réellement purs.
Les seuls qui seront réellement sans tache ce seront
Ces malheureux enfants que les soldats d'Hérode
Massacrèrent au bras de leur mère.
O saints Innocents serez-vous donc les seuls.
Saints Innocents serez-vous donc les purs.
Saints Innocents serez-vous donc les blancs et les sans tache.
Beati immaculati in via.
Bienheureux les innocents, les sans tache dans la voie.
Ego sum via, veritas et vita.
Je suis la voie, la vérité et la vie.
O saints innocents sera-t-il dit que vous serez et que vous êtes
Les seuls innocents.
Et que François même mon serviteur auprès de vous n'est point pauvre.
Et que mon serviteur saint Louis des Français
Auprès de vous n'est point innocent.
Sera-t-il dit qu'il y a dans la vie, et dans l'existence de cette terre, une telle amertume, une telle lassitude.
Une telle ingratitude.
Une telle flétrissure.
Un tel voilement.
Un tel irrévocable vieillissement de l'âme et du corps.
Une telle marque, de telles rides ineffaçables.
Un tel hébétement qui ne sera plus aiguisé.
Une telle fièvre qui ne sera plus rafraîchie.
Une telle pente qui ne sera point remontée.
Un tel pli de mémoire, d'impuissance d'oublier.
Un tel principe, un tel pli de blessure au coin des lèvres
Que les plus grandes saintetés du monde n'effaceront jamais ce pli.
Et que les plus grandes saintetés du monde ne vaudront jamais
Les lèvres sans pli, les âmes sans mémoire,
les corps sans blessure
De ces grands saints et de ces grands martyrs qui ne quittèrent le sein de leur mère
Que pour entrer dans le royaume des cieux.
Et qui ne connurent rien de la vie et qui ne reçurent de la vie aucune blessure
Que cette blessure qui les fit entrer dans le royaume des cieux.
Les seuls des chrétiens assurément qui sur terre n'aient jamais entendu parler d'Hérode.
Et à qui le nom d'Hérode sur terre n'ait jamais rien dit.
Sera-t-il dit que les plus grandes saintetés du monde
Des vies entières de sainteté
N'auront pas déplié, n'auront pas déridé les âmes.
Et que le chevalet même n'aura point acquis aux martyrs
Une certaine blancheur, une certaine premièreté,
Une certaine entièreté
De la toute première
Innocente enfance.
Et que ce qui est regagné, défendu pied à pied, repris, gagné,
N'est point le même que ce qui n'a jamais été perdu.
Et qu'un papier blanchi n'est point un papier blanc.
Et qu'un tissu blanchi n'est point une blanche toile.
Et qu'une âme blanchie n'est point une âme blanche.
Et que les plus près de moi ce seront ces blancs enfants laiteux
Qui n'ont jamais rien su de la vie et rien fait de l'existence
Que de recevoir un bon coup de sabre,
Je veux dire placé au bon moment.




En ce temps-là, l'Ange du Seigneur apparut en songe à Joseph, disant: Lève-toi, et prends ton enfant, et sa mère, et fuis en Égypte, et restes-y jusqu'à ce que je te le dise. Car il arrivera qu'Hérode cherchera l'enfant pour le perdre. Lequel se levant, prit l'enfant, et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte: et il y resta jusqu'à la mort d'Hérode: afin que fût accompli ce qui fut dit par le Seigneur parlant par son Prophète: D'Égypte j'ai appelé mon fils. Alors Hérode, voyant qu'il avait été trompé par les Mages entra dans une grande colère, et envoya tuer tous les enfants, qui étaient à Béthlehem, et dans toute sa contrée, depuis deux ans et au-dessous, selon, le temps qu'il s'était informé des Mages. Alors fut accompli ce qui fut dit par le Prophète Jérémie disant: Vox in Rama audita est, ploratus et ululatus multus: Rachel plorans filios suos, et noluit consolari, quia non sunt.




Une voix fut entendue dans Rama, un pleurement et un grand hululement: Rachel pleurant ses fils, et elle ne voulut pas être consolée,—quia non sunt,—parce qu'ils ne sont pas.




J'ai vu, dit Jean,

En ces jours-là: J'ai vu sur la montagne de Sion l'Agneau debout, et avec lui cent quarante-quatre mille qui avaient son nom, et le nom de son Père écrit sur le front. Et j'entendis une voix du ciel, comme une voix de beaucoup d'eaux, et comme la voix d'un grand tonnerre: et une voix, que j'entendis, comme de citharaèdes citharizant sur leurs cithares.

Et ils chantaient

quasi canticum novum,

comme un cantique nouveau devant le siège,

et devant les quatre animaux, et les vieillards:



et nemo poterat dicere canticum,



et personne ne pouvait dire ce cantique,



nisi illa centum quadraginta quatuor millia,



sinon ces cent quarante-quatre mille,



qui empti sunt de terra.

qui furent enlevés,

qui ont été enlevés de la terre.




Tu entends bien, mon enfant, qui empti sunt de terra, qui ont été enlevés de la terre. Tout le monde est enlevé de la terre, à son jour, à son heure.
Mais tout le monde est enlevé de la terre trop tard, quand déjà la terre a pris sur lui.
Tout le monde est enlevé de la terre quand il est déjà terreux.
Quand sa mémoire est terreuse et quand son âme est terreuse.
Quand la terre s'est collée à lui et quand elle a laissé sur lui
Une ineffaçable marque.
Mais eux, eux seuls, empti sunt de terra, littéralement ils furent enlevés de la terre
Avant qu'ils fussent aucunement entrés en terre.
Avant que cette terre leur eût donné, leur ait laissé
La moindre marque terreuse.
Empti sunt de terra. La terre ne les prit point, ne les eut point. La terre n'eut point commandement sur eux.
Ne les nourrit point. N'imprima point sur eux cette empreinte.
Cette marque indélébile.
Ils furent enlevés de la terre, c'est-à-dire de cette ingratitude terreuse,
Et de cette amertume terrienne et de ce vieillissement terrien.
Ils furent enlevés de la terre, non pas y ayant été, comme nous, comme tout le monde.
Mais ils furent enlevés de la terre, c'est-à-dire d'y être même.
D'y être et éternellement d'y avoir été.
Sera-t-il dit, dit Dieu, que toutes les grandeurs de la terre et le sang même des martyrs
Ne vaudront pas de n'avoir pas été de la terre.
De n'avoir pas ce goût terreux.
D'avoir été enlevé au commencement,
A l'origine, au point d'origine de cette vie terrestre.
De n'avoir pas ce pli et ce goût d'une ingratitude.
D'une amertume.
Terreuse.


Beati ac sancti. Heureux et saints ces saints
Innocents. Ceux-ci, dit Jean,

Ceux-ci suivent l'Agneau partout où il ira.

Hi sequuntur Agnum quocumque ierit.

Hi empti sunt. Encore. Empti sunt. Furent enlevés

Hi empti sunt ex hominibus.

Ceux-ci furent enlevés des hommes,
(D'entre les hommes, de parmi les hommes),

primitiae Deo, et Agno:

prémices à Dieu, et à l'Agneau:

et in ore eorum non est inventum mendacium:

et dans leur bouche,
et sur leur lèvre ne fut point trouvé le mensonge:

(Le mensonge d'homme, le mensonge adulte, le mensonge terrestre.
Le mensonge terrien.
Le mensonge terreux).

sine macula enim sunt ante thronum Dei.

sans tache ils sont en effet devant le trône de Dieu.




Tel est, dit Dieu, ce secret de tendresse et de grâce
Qui est dans l'enfance même, au point d'origine de l'enfant.
Telle est cette innocence, cette blancheur, cet incommencement.
Tel est ce secret, cette faveur de ma grâce,
(Cette justice injustifiable),
Qu'il y a ceux qui ont trempé dans la terre et ceux qui n'ont pas trempé dans la terre.
Ceux qui sont marqués, tachés, éclaboussés de la terre et ceux qui ne sont pas éclaboussés de la terre.
Et qu'il n'y en a que pour ceux qui n'ont pas trempé dans la terre et qui ne sont pas éclaboussés de la terre.
Ce sont eux, dit l'Apôtre, qui sur le mont de Sion entourent l'Agneau debout.
Ils sont cent quarante-quatre mille et ce sont eux qui ont
Mon nom et le nom de mon Fils écrit sur le front.
Et l'apôtre entendit une voix du ciel
Comme une voix de beaucoup d'eaux.
Et comme la voix d'un grand tonnerre.
Et comme la voix de joueurs de cithare jouant de la cithare sur leur cithare.
Et attention ils ne chantaient pas seulement un cantique.
Mais ils chantaient comme un cantique nouveau devant le siège.
Et devant les quatre animaux, et les vieillards:
C'est un cantique nouveau pour marquer
Cette éternelle nouveauté qu'il y a dans l'enfance.
Et qui est le grand secret de ma grâce.
Cette renaissante, cette perpétuellement renaissante, cette éternellement renaissante nouveauté.
Et ce cantique nouveau vient de cette nouveauté même. Il en sort. Il en naît.
Or tel est leur privilège. Et il n'y en a point de plus grand:
Personne, (c'est-à-dire les plus grands saints et les martyrs mêmes,
Des siècles et des vies d'épreuves et de sainteté,
D'exercices, de prières,
De travail,
De sang, de larmes;

Nemo, personne, c'est-à-dire pas même François mon serviteur et pas même saint Louis mon serviteur;

Nemo, personne, c'est-à-dire pas même les quatre témoins, les quatre rapporteurs;
Matthieu, et Marc, et Luc, et Jean; et le jeune homme, et le lion, et le taureau, et l'aigle;

Nemo, personne, c'est-à-dire pas même Pierre le Fondateur;

Et pas même ceux qui trouvèrent la mort combattant pour la délivrance du Saint-Sépulcre;

Nemo poterat dicere canticum, personne ne pouvait dire ce cantique.
(Tel est leur exorbitant privilège et la grande faveur injuste
De ma grâce éternellement juste).

nisi illa centum quadraginta quatuor millia, qui empti sunt de terra.

si ce n'est ces cent quarante-quatre mille, qui furent enlevés de la terre.



Christianus sum, je suis chrétien, ce cri du témoignage,
Proféré dans les supplices les plus affreux,
Crié à la face du ciel,
Crié doucement à la face des bourreaux,
Ce cri du témoignage, de ce témoignage que nous nommons le martyre,
Proféré sur un tel théâtre et dans une telle, dans une si dure condition,
Aux plus grands martyrs n'a point ouvert ce singulier, cet éminent privilège.
Ce privilège exorbitant, cet unique privilège.
Injuste. Juste. Purement gracieux.
Proprement gracieux. Et voici.
Voici que ces cent quarante-quatre mille innocents.
Voici que ces cent quarante-quatre mille enfants
N'ont eu qu'à naître, et rien de plus. Tels sont les mystères, tels sont les secrets.
Tels sont les jeux, telles sont les inégalités de ma grâce.
Et le secret apparentement, la secrète accointance
De ma grâce avec la tendresse et le lait. Tant d'autres.
Tant d'autres ont témoigné sous la serre et le bec
Et sous l'onglet
Sous la dent des lions et sous la lanière et sous la tenaille ardente
(Car il y en a eu de toutes sortes)
Et sous les huées des nations et sous la ruée du peuple et sous la clameur du peuple.
Et sous l'interrogatoire du préteur.



Et à tous ces témoins et à tous ces martyrs. Tant d'autres.



Tant d'autres sont morts sur des routes perdues dans des plaines perdues marchant à la délivrance du Saint-Sépulcre.
Les reins brisés, gisant par terre, crevant de fatigue.
Crevant de faim, crevant de soif, crevant de sable.
Les côtes rompues, couchés par terre, à dix-huit cents lieues de leur château.
Mourant de leurs blessures. Vidés de leur sang comme des outres percées.
(De leur sang qui coulait sur le sable, et que le sable buvait, et qui se perdait dans le sable,
Pour jusqu'à la résurrection des corps). Tant d'autres.
Tant d'autres sont partis, tant d'autres sont morts.
Crevés de bataille, crevés de misère, crevés de lèpre.
Et à tant d'autres.



(Et ils étaient partis pour la délivrance du Saint-Sépulcre. Et ils ne trouvèrent
Que le royaume de Dieu et la vie éternelle).



A tant d'autres. A tous ces autres témoins, à tous ces autres martyrs il ne fut pas donné.
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