Physiologie du goût
XIII.
Industrie gastronomique des émigrés.
Toute Française, à ce que j'imagine,
Sait, bien ou mal, faire un peu de cuisine.
Belle Arsène, act. III.
'AI exposé dans un chapitre précédent les avantages immenses que la
France a tirés de la gourmandise dans les circonstances de 1815. Cette
propension si générale n'a pas été moins utile aux émigrés; et ceux
d'entre eux qui avaient quelques talents pour l'art alimentaire en ont
tiré de précieux secours.
En passant à Boston, j'appris au restaurateur Julien 65 à faire des oeufs brouillés au fromage. Ce mets, nouveau pour les Américains, fit tellement fureur, qu'il se crut obligé de me remercier, en m'en voyant, à New-York, le derrière d'un de ces jolis petits chevreuils qu'on tire en hiver du Canada, et qui fut trouvé exquis par le comité choisi que je convoquai en cette occasion.
Le capitaine Collet gagna aussi beaucoup d'argent à New-York en 1794 et 1795, en faisant pour les habitants de cette ville commerçante des glaces et des sorbets.
Les femmes surtout ne se lassaient pas d'un plaisir si nouveau pour elles; rien n'était plus amusant que de voir les petites mines qu'elles faisaient en y goûtant. Elles avaient surtout peine à concevoir comment cela pouvait se maintenir si froid par une chaleur de vingt-six degrés de Réaumur.
En passant à Cologne, j'avais rencontré un gentilhomme breton qui se trouvait très bien de s'être fait traiteur, et je pourrais multiplier indéfiniment les exemples; mais j'aime mieux conter, comme plus singulière, l'histoire d'un Français qui s'enrichit à Londres par son habileté à faire de la salade.
Il était Limousin, et si ma mémoire est fidèle, il s'appelait d'Aubignac ou d'Albignac.
Quoique sa pitance fût fortement restreinte par le mauvais état de ses finances, il n'en était pas moins un jour à dîner dans une des plus fameuses tavernes de Londres; il était de ceux qui ont pour système qu'on peut bien dîner avec un seul plat, pourvu qu'il soit excellent.
Pendant qu'il achevait un succulent rostbeef, cinq à six jeunes gens des premières familles (dandies) se régalaient à une table voisine, et l'un d'eux s'étant levé s'approcha, et lui dit d'un ton poli: «Monsieur le Français, on dit que votre nation excelle dans l'art de faire la salade 66; voudriez-vous nous favoriser et en accommoder une pour nous?»
D'Albignac y consentit après quelque hésitation, demanda tout ce qu'il crut nécessaire pour faire le chef-d'oeuvre attendu, y mit tous ses soins et eut le bonheur de réussir.
Pendant qu'il étudiait ses doses, il répondait avec franchise aux questions qu'on lui faisait sur sa situation actuelle; il dit qu'il était émigré et avoua, non sans rougir un peu, qu'il recevait les secours du gouvernement anglais, circonstance qui autorisa sans doute un des jeunes gens à lui glisser dans la main un billet de cinq livres sterlings qu'il accepta après une molle résistance.
Il avait donné son adresse; et à quelque temps de là il ne fut que médiocrement surpris de recevoir une lettre par laquelle on le priait, dans les termes les plus honnêtes, de venir accommoder une salade dans un des plus beaux hôtels de Grosvenor-Square.
D'Albignac, commençant à prévoir quelque avantage durable, ne balança pas un instant, et arriva ponctuellement après s'être muni de quelques assaisonnements nouveaux qu'il jugea convenables pour donner à son ouvrage un plus haut degré de perfection.
Il avait eu le temps de songer à la besogne qu'il avait à faire; il eut donc le bonheur de réussir encore, et reçut, pour cette fois, une gratification telle qu'il n'eût pas pu la refuser sans se nuire.
Les premiers jeunes gens pour qui il avait opéré avaient, comme on peut le présumer, vanté jusqu'à l'exagération le mérite de la salade qu'il avait assaisonnée pour eux. La seconde compagnie fit encore plus de bruit, de sorte que la réputation de d'Albignac s'étendit promptement: on le désigna sous la qualification de fashionable salat-maker; et dans ce pays avide de nouveautés, tout ce qu'il y avait de plus élégant dans la capitale des trois royaumes se mourait pour une salade de la façon du gentleman français: I die for it, c'est l'expression consacrée.
Désir de nonne est un feu qui dévore,
Désir d'Anglaise est cent fois pire encore.
D'Albignac profita en homme d'esprit de l'engouement dont il était l'objet; bientôt il eut un carrik pour se transporter plus vite dans les divers endroits où il était appelé, et un domestique portant, dans un nécessaire d'acajou, tous les ingrédients dont il avait enrichi son répertoire, tels que des vinaigres à différents parfums, des huiles avec ou sans goût de fruit, du soy, du caviar, des truffes, des anchois, du calchup, du jus de viandes, et même des jaunes d'oeufs, qui sont le caractère distinctif de la mayonnaise.
Plus tard, il fit fabriquer des nécessaires pareils, qu'il garnit complètement, et qu'il vendit par centaines.
Enfin, en suivant avec exactitude et sagesse sa ligne d'opération, il vint à bout de réaliser une fortune de plus de 80,000 fr. qu'il transporta en France quand les temps furent devenus meilleurs.
Rentré dans sa patrie, il ne s'amusa point à briller sur le pavé de Paris; mais il s'occupa de son avenir. Il plaça 60,000 fr. dans les fonds publics, qui pour lors étaient à cinquante pour cent, et acheta pour 20,000 fr. une petite gentilhommière située en Limousin, ou probablement il vit encore, content et heureux, puisqu'il sait borner ses désirs.
Ces détails me furent donnés dans le temps par un de mes amis qui avait connu d'Albignac à Londres et qui l'avait tout nouvellement rencontré lors de son passage à Paris.
XIV.
Autres souvenirs d'émigration.
Le Tisserand.
En 1794, nous étions en Suisse, M. Rostaing 67 et moi, montrant un visage serein à la fortune contraire, et gardant notre amour à la patrie qui nous persécutait.
Nous vînmes a Mondon, où j'avais des parents, et fûmes reçus par la famille Trolliet avec une bienveillance dont j'ai gardé chèrement le souvenir.
Cette famille, une des plus anciennes du pays, est maintenant éteinte, le dernier bailli n'ayant laissé qu'une fille, qui elle-même n'a point eu d'enfant mâle.
On me montra, en cette ville, un jeune officier français qui y exerçait la profession de tisserand; et voici comment il en était venu là:
Ce jeune homme, d'une très bonne famille, traversant Mondon pour se rendre à l'armée de Condé, se trouva à table à côté d'un vieillard porteur d'une de ces figures à la fois graves et animées, telle que les peintres la donnent aux compagnons de Guillaume Tell.
Au dessert, on causa: l'officier ne dissimula pas sa position, et reçut diverses marques d'intérêt de la part de son voisin. Celui-ci le plaignait d'être obligé de renoncer, si jeune, à tout ce qu'il devait aimer, et lui fit remarquer la justesse de la maxime de Rousseau qui voudrait que chaque homme sût un métier pour s'en aider dans l'adversité et se nourrir partout. Quant à lui, il déclara qu'il était tisserand, veuf sans enfants, et qu'il était content de son sort.
La conversation en resta là; le lendemain l'officier partit, et peu de temps après se trouva installé dans les rangs de l'armée de Condé. Mais à tout ce qui se passait, tant au dedans qu'au dehors de cette armée, il jugea facilement que ce n'était pas par cette porte qu'il pouvait espérer de rentrer en France. Il ne tarda pas à y éprouver quelques-uns de ces désagréments qu'y ont quelquefois rencontrés ceux qui n'avaient d'autres titres que leur zèle pour la cause royale; et plus tard on lui fit un passe-droit, ou quelque chose de pareil, qui lui parut d'une injustice criante.
Alors le discours du tisserand lui revint dans la mémoire; il y rêva quelque temps; et ayant pris son parti, quitta l'armée, revint à Mondon, et se présenta au tisserand, en le priant de le recevoir comme apprenti.
«Je ne laisserai pas échapper cette occasion de faire une bonne action, dit le vieillard; vous mangerez avec moi; je ne sais qu'une chose, je vous l'apprendrai; je n'ai qu'un lit, vous le partagerez; vous travaillerez ainsi pendant un an, et au bout de ce temps vous travaillerez à votre compte, et vous vivrez heureux dans un pays où le travail est honoré et provoqué.»
Dès le lendemain, l'officier se mit à l'ouvrage, et y réussit si bien, qu'au bout de six mois son maître lui déclara qu'il n'avait plus rien à lui apprendre, qu'il se regardait comme payé des soins qu'il lui avait donnés, et que désormais tout ce qu'il ferait tournerait à son profit particulier.
Quand je passai à Mondon, le nouvel artisan avait déjà gagné assez d'argent pour acheter un métier et un lit; il travaillait avec une assiduité remarquable, et on prenait à lui un tel intérêt, que les premières maisons de la ville s'étaient arrangées pour lui donner tour-à-tour à dîner chaque dimanche.
Ce jour-là, il endossait son uniforme, reprenait ses droits dans la société; et comme il était fort aimable et fort instruit, il était fêté et caressé par tout le monde. Mais le lundi, il redevenait tisserand, et, passant le temps dans cette alternative, ne paraissait pas trop mécontent de son sort.
L'affamé.
ce tableau des avantages de l'industrie j'en vais accoler un autre
d'un genre absolument opposé.
Je rencontrai à Lausanne un émigré lyonnais, grand et beau garçon, qui, pour ne pas travailler, s'était réduit à ne manger que deux fois par semaine. Il serait mort de faim de la meilleure grâce du monde, si un brave négociant de la ville ne lui avait pas ouvert un crédit chez un traiteur, pour y dîner le dimanche et le mercredi de chaque semaine.
L'émigré arrivait au jour indiqué, se bourrait jusqu'à l'oesophage et partait, non sans emporter avec lui un assez gros morceau de pain; c'était chose convenue.
Il ménageait le mieux qu'il pouvait cette provision supplémentaire, buvait de l'eau quand l'estomac lui faisait mal, passait une partie de son temps au lit dans une rêvasserie qui n'était pas sans charmes, et gagnait ainsi le repas suivant.
Il y avait trois mois qu'il vivait ainsi quand je le rencontrai: il n'était pas malade; mais il régnait dans toute sa personne une telle langueur, ses traits étaient tellement étirés, et il y avait entre son nez et ses oreilles quelque chose de si hippocratique, qu'il faisait peine à voir.
Je m'étonnai qu'il se soumît à de telles angoisses plutôt que de chercher à utiliser sa personne, et je l'invitai à dîner dans mon auberge, où il officia à faire trembler. Mais je ne récidivai pas, parce que j'aime qu'on se raidisse contre l'adversité, et qu'on obéisse, quand il le faut, à cet arrêt porté contre l'espèce humaine: Tu travailleras.
Le Lion d'Argent.
UELS bons dîners nous faisions en ce temps à Lausanne, au Lion
d'Argent!
Moyennant quinze batz (2 fr. 25 c.) nous passions en revue trois services complets, où l'on voyait, entre autres, le bon gibier des montagnes voisines, l'excellent poisson du lac de Genève, et, nous humections tout cela, à volonté et à discrétion, avec un petit vin blanc limpide comme eau de roche, qui aurait fait boire un enragé.
Le haut bout de la table était tenu par un chanoine de Notre-Dame de Paris (je souhaite qu'il vive encore), qui était là comme chez lui, et devant qui le keller ne manquait pas de placer tout ce qu'il y avait de meilleur dans le menu.
Il me fit l'honneur de me distinguer et de m'appeler, en qualité d'aide-de-camp, dans la région qu'il habitait; mais je ne profitai pas longtemps de cet avantage; les événements m'entraînèrent, et je partis pour les États-Unis, où je trouvai un asile, du travail et de la tranquillité.
Séjour en Amérique.
Bataille.
Je finis ce chapitre en racontant une circonstance de ma vie qui prouve bien que rien n'est sûr en ce bas monde, et que le malheur peut nous surprendre au moment où on s'y attend le moins.
Je partais pour la France, je quittais les États-Unis après trois ans de séjour, et je m'y étais si bien trouvé que tout ce que je demandai au ciel (et il m'a exaucé) dans ces moments d'attendrissement qui précèdent le départ, fut de ne pas être plus malheureux dans l'ancien monde que je ne l'avais été dans le nouveau.
Ce bonheur, je l'avais principalement dû à ce que, dès que je fus arrivé parmi les Américains, je parlai comme eux 68, je m'habillai comme eux, je me gardai bien d'avoir plus d'esprit qu'eux, et je trouvai bon tout ce qu'ils faisaient; payant ainsi l'hospitalité que je trouvais parmi eux par une condescendance que je crois nécessaire et que je conseille à tous ceux qui pourraient se trouver en pareille position.
Note 68: (retour) Je dînais un jour à côté d'un créole qui demeurait à New-York depuis deux ans, et qui ne savait pas assez d'anglais pour demander du pain: et je lui en témoignai mon étonnement. «Bah! dit-il en levant les épaules, croyez-vous que je sois assez bon pour me donner la peine d'étudier la langue d'un peuple aussi maussade?»
Je quittais donc paisiblement un pays où j'avais vécu en paix avec tout le monde, et il n'y avait pas un bipède sans plumes dans toute la création qui eût plus actuellement que moi l'amour de ses semblables, quand il survint un incident tout-à-fait indépendant de ma volonté, et qui faillit à me rejeter dans les événements tragiques.
J'étais sur le paquebot qui devait me conduire de New-York à Philadelphie; il faut savoir que, pour faire ce voyage avec sûreté et certitude, il faut profiter du moment où la marée descend.
Or la mer était étale, c'est-à-dire qu'elle allait descendre, et le moment de partir était venu sans qu'on se mît le moins du monde en mouvement pour démarrer.
Nous étions là beaucoup de Français, et entre autres un sieur Gauthier, qui doit être encore en ce moment à Paris; brave garçon qui s'est ruiné en voulant bâtir ultra vires la maison qui fait l'angle sud-ouest du palais du ministère des finances.
La cause du retard fut bientôt connue; elle provenait de deux Américains qui n'arrivaient point, et qu'on avait la bonté d'attendre; ce qui nous mettait en danger d'être surpris par la marée basse, et de mettre le double de temps pour arriver à notre destination; car la mer n'attend personne.
De là grands murmures, et surtout de la part des Français, qui ont les passions bien autrement vives que les habitants de l'autre bord de l'Atlantique.
Non seulement je ne m'en mêlais pas, mais à peine m'en apercevais-je, car j'avais le coeur gros, et je pensais au sort qui m'attendait en France; de sorte que je ne sais pas bien ce qui se passa. Mais bientôt j'entendis un bruit éclatant, et je vis qu'il provenait de ce que Gauthier avait appliqué sur la joue d'un Américain un soufflet à assommer un rhinocéros.
Cet acte de violence amena une confusion épouvantable. Les mots français et américains ayant été plusieurs fois prononcés en opposition, la querelle devint nationale; et il n'était pas moins question que de nous jeter tous à la mer; ce qui eût été cependant une opération difficile, car nous étions huit contre onze.
J'étais, par mon extérieur; celui qui annonçait devoir faire le plus de résistance à la transbordation; car je suis carré, de haute taille; et je n'avais alors que trente-neuf ans. Ce fut sans doute par cette raison qu'on dirigea sur moi le guerrier le plus apparent de la troupe ennemie, qui vint me faire en face une attitude hostile.
Il était haut comme un clocher, et gros en proportion; mais quand je le toisai avec ce regard qui pénètre jusqu'à la moelle des os, je vis qu'il était d'un tempérament lymphatique, qu'il avait le visage boursouflé, les yeux morts, la tête petite et des jambes de femme.
Mens non agitat molem, dis-je en moi-même; voyons ce qu'il tient, et on mourra après, s'il le faut. Alors voici textuellement ce que je lui dis, à la manière des héros d'Homère:
Do you believe 69 to bully me? you damned rogue. By God! it will not be so... and I'll overboard you like a dead cat... If I find you too heavy, I'll cling to you with hands, legs, teeth, nails, every thing, and if I cannot do better, we will sink together to the bottom; my life is nothing to send such dog to hell. Now, just now...
«Croyez-vous m'effrayer, damné coquin?...par Dieu! il n'en sera rien, et je vous jetterai par-dessus le bord comme un chat crevé. Si je vous trouve trop lourd, je m'attacherai à vous avec les mains, avec les jambes, avec les ongles, avec les dents, de toutes les manières, et nous irons ensemble au fond. Ma vie n'est rien pour envoyer en enfer un chien comme vous. Allons... 70»
Note 70: (retour) Dans tous les pays régis par les lois anglaises, les batteries sont toujours précédées de beaucoup d'injures verbales, parce qu'on y dit «que les injures ne cassent pas les os (high words break no bones).» Souvent aussi on s'en tient là, et la loi fait qu'on hésite pour frapper; car celui qui frappe le premier rompt la paix publique, et sera toujours condamné à l'amende, quel que soit l'événement du combat.
À ces paroles, avec lesquelles toute ma personne était sans doute en harmonie (car je me sentais la force d'Hercule), je vis mon homme se raccourcir d'un pouce, ses bras tombèrent, ses joues s'aplatirent; en un mot, il donna des marques si évidentes de frayeur, que celui qui l'avait sans doute amené s'en aperçut, et vint comme pour s'interposer; et il fit bien, car j'étais lancé, et l'habitant du nouveau monde allait sentir que ceux qui se baignent dans le Furens 71 ont les nerfs durement trempés.
Cependant quelques paroles de paix s'étaient fait: entendre dans l'autre partie du navire: l'arrivée des retardataires fit diversion; il fallut s'occuper à mettre à la voile; de sorte que, pendant que j'étais en attitude de lutteur, le tumulte cessa tout d'un coup.
Les choses se passèrent même au mieux; car lorsque tout fut apaisé, m'étant occupé à chercher Gauthier pour le gronder de sa vivacité, je trouvai le souffleté assis à la même table, en présence d'un jambon de la plus aimable apparence et d'un pitcher de bière d'une coudée de hauteur.
XV.
La botte d'asperges.
ASSANT au Palais-Royal, par un beau jour du mois de février, je
m'arrêtai devant le magasin de madame Chevet, la plus fameuse marchande
de comestibles de Paris, qui m'a toujours fait l'honneur de me vouloir
du bien; et y remarquant une botte d'asperges dont la moindre était plus
grosse que mon doigt indicateur, je lui en demandai le prix. «--Quarante
francs, monsieur, répondit-elle.--Elles sont vraiment fort belles; mais
à ce prix, il n'y a guère que le roi ou quelque prince qui pourront en
manger.--Vous êtes dans l'erreur, de pareils choix n'abordent jamais les
palais; on y veut du beau et non du magnifique, ma botte d'asperges n'en
partira pas moins, et voici comment:
«Au moment où nous parlons, il y a dans cette ville au moins trois cents richards, financiers, capitalistes, fournisseurs et autres, qui sont retenus chez eux par la goutte, la peur des catarrhes, les ordres du médecin, et autres causes qui n'empêchent pas de manger; ils sont auprès de leur feu à se creuser le cerveau pour savoir ce qui pourrait les ragoûter, et quand ils se sont bien fatigués sans réussir, ils envoient leur valet de chambre à la découverte; celui-ci viendra chez moi, remarquera ces asperges, fera son rapport; et elles seront enlevées à tout prix. Ou bien ce sera une jolie petite femme qui passera avec son amant, et qui lui dira: Ah! mon ami, les belles asperges! achetons-les; vous savez que ma bonne en fait si bien la sauce! Or, en pareil cas, un amant comme il faut ne refuse ni ne marchande. Ou bien c'est une gageure, un baptême, une hausse subite de la rente... Que sais-je, moi? En un mot, les objets très chers s'écoulent plus vite que les autres, parce qu'à Paris le cours de la vie amène tant de circonstances extraordinaires qu'il y a toujours motifs suffisants pour les placer.»
Comme elle parlait ainsi, deux gros Anglais, qui passaient en se tenant sous le bras s'arrêtèrent auprès de nous, et leur visage prit à l'instant une teinte admirative. L'un d'eux fit envelopper la botte miraculeuse, même sans en demander le prix, la paya, la mit sous son bras et l'emporta en sifflant l'air: God save the king.
«Voilà, monsieur, me dit en riant madame Chevet, une chance tout aussi commune que les autres, dont je ne vous avais pas encore parlé.»
XVI.
De la fondue
A fondue est originaire de la Suisse. Ce n'est autre chose que des
oeufs brouillés au fromage, dans certaines proportions que le temps et
l'expérience ont révélées. J'en donnerai la recette officielle.
C'est un mets sain, savoureux, appétissant, de prompte confection, et partant toujours prêt à faire face à l'arrivée de quelques convives inattendus. Au reste, je n'en fais mention ici que pour ma satisfaction particulière, et parce que ce mot rappelle un fait dont les vieillards du district de Belley ont gardé le souvenir.
Vers la fin du dix-septième siècle, un M. de Madot fut nommé à l'évêché de Belley, et y arrivait pour en prendre possession.
Ceux qui étaient chargés de le recevoir et de lui faire les honneurs de son propre palais avaient préparé un festin digne de l'occasion, et avaient fait usage de toutes les ressources de la cuisine d'alors pour fêter l'arrivée de monseigneur.
Parmi les entremets brillait une ample fondue, dont le prélat se servit copieusement. Mais, ô surprise! se méprenant à l'extérieur et la croyant une crème, il la mangea à la cuiller, au lieu de se servir de la fourchette, de temps immémorial destinée à cet usage.
Tous les convives, étonnés de cette étrangeté, se regardèrent du coin de l'oeil, et avec un sourire imperceptible. Cependant le respect arrêta toutes les langues, car tout ce qu'un évêque venant de Paris fait à table, et surtout le premier jour de son arrivée, ne peut manquer d'être bien fait.
Mais la chose s'ébruita, et dès le lendemain on ne se rencontrait point sans se demander: «Eh bien, savez-vous comment notre nouvel évêque a mangé hier au soir sa fondue?--Eh! oui, je le sais; il l'a mangée avec une cuiller. Je le tiens d'un témoin oculaire, etc.» La ville transmit le fait à la campagne; et après trois mois il était public dans tout le diocèse.
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que cet incident faillit ébranler la foi de nos pères. Il y eut des novateurs qui prirent le parti de la cuiller, mais ils furent bientôt oubliés: la fourchette triompha; et après plus d'un siècle, un de mes grands-oncles s'en égayait encore et me contait, en riant d'un rire immense, comme quoi M. de Madot avait une fois mangé, de la fondue avec une cuiller.
Recette de la fondue.
Telle qu'elle a été extraite des papiers de M. Trollet, bailli de
Mondon,
au canton de Berne.
ESEZ le nombre d'oeufs que vous voudrez employer d'après le nombre
présumé de vos convives.
Vous prendrez ensuite un morceau de bon fromage de Gruyère pesant le tiers, et un morceau de beurre, pesant le sixième de ce poids.
Vous casserez et battrez bien les oeufs dans une casserole; après quoi vous y mettrez le beurre et le fromage râpé ou émincé.
Posez la casserole sur un fourneau bien allumé, et tournez avec une spatule, jusqu'à ce que le mélange soit convenablement épaissi et mollet; mettez-y un peu ou point de sel, suivant que le fromage sera plus ou moins vieux, et une forte portion de poivre, qui est un des caractères positifs de ce mets antique; servez sur un plat légèrement échauffé; faites apporter le meilleur vin, qu'on boira rondement, et on verra merveilles.
XVII
Désappointement.
OUT était tranquille un jour dans l'auberge de l'Écu de France, à
Bourg en Bresse, quand un grand roulement se fit entendre, et qu'on vit
paraître une superbe berline, forme anglaise, à quatre chevaux,
remarquable surtout par deux très jolies Abigails qui étaient cachées
sur le siège du cocher, bien ployées dans une ample enveloppe de drap
écarlate, doublée et brodée en bleu.
À cette apparition, qui annonçait un milord voyageant à petites journées, Chicot (c'était le nom de l'aubergiste) accourut, le bonnet à la main: sa femme se tint sur la porte de l'hôtel; les filles faillirent se rompre le cou en descendant l'escalier, et les garçons d'écurie se présentèrent, comptant déjà sur un ample pour-boire.
On déballa les suivantes, non sans les faire rougir un peu, attendu les difficultés de la descente; et la berline accoucha: 1° d'un milord gros, court, enluminé et ventru; 2° de deux miss, longues, pâles et rousses; 3° d'une milady paraissant entre le premier et le second degré de la consomption.
Ce fut cette dernière qui prit la parole:
«Monsieur l'aubergiste, dit-elle, faites bien soigner mes chevaux; donnez-nous une chambre pour nous reposer, et faites rafraîchir mes femmes de chambre; mais je ne veux pas que le tout coûte plus de six francs; prenez vos mesures là-dessus.»
Aussitôt après la prononciation de cette phrase économique, Chicot remit son bonnet, madame rentra, et les filles retournèrent à leur poste.
Cependant les chevaux furent mis à l'écurie, où ils lurent la gazette; on montra aux dames une chambre au premier (up stairs), et on offrit aux suivantes des verres et une carafe d'eau bien claire.
Mais les six francs obligés ne furent reçus qu'en rechignant, et comme une mesquine compensation pour l'embarras causé et pour les espérances déçues.
XVIII.
Effets merveilleux d'un dîner classique.
«Hélas! que je suis à plaindre! disait d'une voix élégiaque un gastronome de la cour royale de la Seine. Espérant retourner bientôt à ma terre, j'y ai laissé mon cuisinier: les affaires me retiennent à Paris, et je suis abandonné aux soins d'une bonne officieuse dont les préparations m'affadissent le coeur. Ma femme se contente de tout, mes enfants n'y connaissent encore rien: bouilli peu cuit, rôti brûlé, je péris à la fois par la broche et par la marmite, hélas!»
Il parlait ainsi, en traversant d'un pas douloureux la place Dauphine. Heureusement pour la chose publique, le professeur entendit de si justes plaintes, et dans le plaignant reconnut un ami. «Vous ne mourrez pas mon cher, dit-il d'un ton affectueux au magistrat martyr; non, vous ne mourrez pas d'un mal dont je puis vous offrir le remède. Veuillez accepter pour demain un dîner classique, en petit comité: après dîner une partie de piquet que nous arrangerons de manière à ce que tout le monde s'amuse; et comme les autres, cette soirée se précipitera dans l'abîme du passé.»
L'invitation lut acceptée; le mystère s'accomplit suivant les coutumes, rites et cérémonies voulus; et depuis ce jour (23 juin 1825), le professeur se trouve heureux d'avoir conservé à la cour royale un de ses plus dignes soutiens.
XIX.
Effets et dangers des liqueurs fortes.
A soif factice dont nous avons fait mention (Méditation VIII), celle
qui appelle les liqueurs fortes comme soulagement momentané, devient,
avec le temps, si intense et si habituelle, que ceux qui s'y livrent ne
peuvent pas passer la nuit sans boire, et sont obligés de quitter leur
lit pour l'apaiser.
Cette soif devient alors une véritable maladie; et quand l'individu en est là on peut pronostiquer avec certitude qu'il ne lui reste pas deux ans à vivre.
J'ai voyagé en Hollande avec un riche commerçant de Dantzick qui tenait, depuis cinquante ans, la première maison de détail en eaux-de-vie.
«Monsieur, me disait ce patriarche, on ne se doute pas en France de l'importance du commerce que nous faisons, de père en fils, depuis plus d'un siècle. J'ai observé avec attention les ouvriers qui viennent chez moi; et quand ils s'abandonnent sans réserve au penchant, trop commun chez les Allemands, pour les liqueurs fortes, ils arrivent à leur fin tous à peu près de la même manière.
«D'abord ils ne prennent qu'un petit verre d'eau-de-vie le matin, et cette quantité leur suffit pendant plusieurs années (au surplus, ce régime est commun à tous les ouvriers, et celui qui ne prendrait pas son petit verre serait honni par tous les camarades); ensuite ils doublent la dose, c'est-à-dire qu'ils en prennent un petit verre le matin et autant vers le midi. Ils restent à ce taux environ deux ou trois ans; puis ils en boivent régulièrement le matin, à midi et le soir. Bientôt ils en viennent prendre à toute heure, et n'en veulent plus que de celle dans laquelle on a fait infuser du girofle; aussi, lorsqu'ils en sont là, il y a certitude qu'ils ont tout au plus six mois à vivre; ils se dessèchent, la fièvre les prend, ils vont à l'hôpital, et on ne les revoit plus.»
XX.
Les chevaliers et les abbés.
J'ai déjà cité deux fois ces deux catégories gourmandes que le temps a détruites.
Comme elles ont disparu depuis plus de trente ans, la plus grande partie de la génération actuelle ne les a pas vues.
Elles reparaîtront probablement vers la fin de ce siècle; mais comme un pareil phénomène exige la coïncidence de bien
des futurs contingents, je crois que bien peu, parmi ceux qui vivent actuellement, seront témoins de cette palingénésie.
Il faut donc qu'en ma qualité de peintre de moeurs je leur donne le dernier coup de pinceau; et pour y parvenir plus commodément, j'emprunte le passage suivant à un auteur qui n'a rien à me refuser.
«Régulièrement, et d'après l'usage, la qualification de chevalier n'aurait dû s'accorder qu'aux personnes décorées d'un ordre, ou aux cadets des maisons titrées; mais beaucoup de ces chevaliers avaient trouvé avantageux de se donner l'accolade à eux-mêmes 72, et si le porteur avait de l'éducation et une bonne tournure, telle était l'insouciance de cette époque que personne ne s'avisait d'y regarder.
«Les chevaliers étaient généralement beaux garçons, ils portaient l'épée verticale, le jarret tendu, la tête haute et le nez au vent; ils étaient joueurs, libertins, tapageurs, et faisaient partie essentielle du train d'une beauté à la mode.
«Ils se distinguaient encore par un courage brillant et une facilité excessive à mettre l'épée à la main. Il suffisait quelquefois de les regarder pour se faire une affaire.»
C'est ainsi que finit le chevalier de S..., l'un des plus connus de son temps.
Il avait cherché une querelle gratuite à un jeune homme tout nouvellement arrivé de Charolles, et on était allé se battre sur les derrières de la Chaussée-d'Antin, presque entièrement occupée alors par des marais.
À la manière dont le nouveau venu se développa sous les armes, S... vit bien qu'il n'avait pas à faire à un novice: il ne se mit pas moins en devoir de le tâter; mais au premier mouvement qu'il fit, le Charollais partit d'un coup de temps, et le coup fut tellement fourni que le chevalier était mort avant d'être tombé. Un de ses amis, témoin du combat, examina longtemps en silence une blessure si foudroyante et la route que l'épée avait parcourue: «Quel beau coup de quarte dans les armes, dit-il tout-à-coup, en s'en allant, et que ce jeune homme a la main bien placée!...» Le défunt n'eut pas d'autre oraison funèbre.
Au commencement dés guerres de la révolution, la plupart de ces chevaliers se placèrent dans les bataillons, d'autres émigrèrent, le reste se perdit dans la foule. Ceux qui survivent, en petit nombre, sont encore reconnaissables à l'air de tête; mais ils sont maigres et marchent avec peine; ils ont la goutte.
Quand il y avait beaucoup d'enfants dans une famille noble, on en destinait un à l'église: il commençait par obtenir les bénéfices simples qui fournissaient aux frais de son éducation; et dans la suite, il devenait prince, abbé, commendataire ou évêque, selon qu'il avait plus ou moins de dispositions à l'apostolat.
C'était là le type légitime des abbés; mais il y en avait de faux; et beaucoup de jeunes gens qui avaient quelque aisance, et qui ne se souciaient pas de courir les chances de la chevalerie, se donnaient le titre d'abbé en venant à Paris.
Rien n'était plus commode: avec une légère altération dans la toilette, on se donnait tout-à-coup l'apparence d'un bénéficier: on se plaçait au niveau de tout le monde; on était fêté, caressé, couru; car il n'y avait pas de maison qui n'eût son abbé.
Les abbés étaient petits, trapus, rondelets, bien mis, câlins, complaisants, curieux, gourmands, alertes, insinuants; ceux qui restent ont tourné à la graisse; ils se sont faits dévots.
Il n'y avait pas de sort plus heureux que celui d'un riche prieur ou d'un abbé commendataire; ils avaient de la considération, de l'argent; point de supérieurs, et rien à faire.
Les chevaliers se retrouveront si la paix est longue, comme on peut l'espérer; mais à moins d'un grand changement dans l'administration ecclésiastique, l'espèce des abbés est perdue sans retour; il n'y a plus de sinécures; et on est revenu aux principes de la primitive église: beneficium propter officium.
XXI.
Miscellanea.
ONSIEUR le conseiller, disait un jour d'un bout d'une table à l'autre,
une vieille marquise du faubourg Saint-Germain, lequel préférez-vous du
bourgogne ou du bordeaux?--Madame, répondit d'une voix druidique le
magistrat ainsi interrogé, c'est un procès dont j'ai tant de plaisir à
visiter les pièces que j'ajourne toujours à huitaine la prononciation de
l'arrêt.
Un amphitryon de la Chaussée-d'Antin avait fait servir sur sa table un saucisson d'Arles de taille héroïque. «Acceptez-en une tranche, disait-il à sa voisine; voilà un meuble qui, je l'espère, annonce une bonne maison.--Il est vraiment très gros, dit la dame en le lorgnant d'un air malin; c'est dommage que cela ne ressemble à rien.»
Ce sont surtout les gens d'esprit qui tiennent la gourmandise à honneur: les autres ne sont pas capables d'une opération qui consiste dans une suite d'appréciations et de jugements.
Madame la comtesse de Genlis se vante, dans ses Mémoires, d'avoir appris à une Allemande qui l'avait bien reçue la manière d'apprêter jusqu'à sept plats délicieux.
C'est M. le comte de la Place qui a découvert une manière très relevée d'accommoder les fraises, qui consiste à les mouiller avec le jus d'une orange douce (pomme des Hespérides).
Un autre savant a encore enchéri sur le premier, en y ajoutant le jaune de l'orange, qu'il enlève en la frottant avec un morceau de sucre; et il prétend prouver, au moyen d'un lambeau échappé aux flammes qui détruisirent la bibliothèque d'Alexandrie, que c'est ainsi assaisonné que ce fruit était servi dans les banquets du mont Ida.
«Je n'ai pas grande idée de cet homme, disait le comte de M... en parlant d'un candidat qui venait d'attraper une place; il n'a jamais mangé de boudin à la Richelieu, et ne connaît pas les côtelettes à la Soubise.»
Un buveur était à table, et au dessert on lui offrit du raisin. «Je vous remercie, dit-il en repoussant l'assiette; je n'ai pas coutume de prendre mon vin en pilules.»
On félicitait un amateur qui venait d'être nommé directeur des contributions directes à Périgueux; on l'entretenait du plaisir qu'il aurait à vivre au centre de la bonne chère, dans le pays des truffes, des bartavelles, des dindes truffées, etc., etc. «Hélas! dit en soupirant le gastronome contristé, est-il bien sûr qu'on puisse, vivre dans un pays où la marée n'arrive pas?»
XXII
Une journée chez les Bernardins.
Il était près d'une heure du matin; il faisait une belle nuit d'été et nous étions forcés en cavalcade, non sans avoir donné une vigoureuse sérénade aux belles qui avaient le bonheur de nous intéresser (c'est vers 1782).
Nous partions de Belley, et nous allions à Saint-Sulpice, abbaye de Bernardins située sur une des plus hautes montagnes de l'arrondissement, au moins cinq mille pieds au-dessus du niveau de la mer.
J'étais alors chef d'une troupe de musiciens amateurs, tous amis de la joie et possédant à haute dose toutes les vertus qui accompagnent la jeunesse et la santé.
«Monsieur, m'avait dit un jour l'abbé de Saint-Sulpice, en me tirant, après dîner, dans l'embrasure d'une croisée, vous seriez bien aimable si vous veniez avec vos amis nous faire un peu de musique le jour de Saint-Bernard; le saint en serait plus complètement glorifié, nos voisins en seraient réjouis, et vous auriez l'honneur d'être les premiers Orphées qui auraient pénétré dans ces régions élevées.»
Je ne fis pas répéter une demande qui promettait une partie agréable, je promis d'un signe de tête, et le salon en fut ébranlé.
Annuit, et totum nutu tremefecit olympum.
Toutes précautions étaient prises d'avance; et nous partions de bonne heure, parce que nous avions quatre lieues à faire par des chemins capables d'effrayer même les voyageurs audacieux qui ont bravé les hauteurs de la puissante butte Montmartre.
Le monastère était bâti dans une vallée fermée à l'ouest par le sommet de la montagne, et à l'est par un coteau moins élevé.
Le pic de l'ouest était couronné par une forêt de sapins où un seul coup de vent en renversa un jour trente-sept mille 73. Le fond de la vallée était occupé par une vaste prairie, où des buissons de hêtres formaient divers compartiments irréguliers, modèles immenses de ces petits jardins anglais que nous aimons tant.
Nous arrivâmes à la pointe du jour, et nous fûmes reçus par le père cellérier, dont le visage était quadrangulaire et le nez en obélisque.
«Messieurs, dit le bon père, soyez les bienvenus: notre révérend abbé sera bien content quand il saura que vous êtes arrivés; il est encore dans son lit, car hier il était bien fatigué; mais vous allez venir avec moi, et vous verrez si nous vous attendions.»
Il dit, se mit en marche, et nous le suivîmes, supposant avec raison qu'il nous conduisait vers le réfectoire.
Là tous nos sens furent envahis par l'apparition du déjeuner le plus séduisant, d'un déjeuner vraiment classique.
Au milieu d'une table spacieuse, s'élevait un pâté grand comme une église; il était flanqué au nord par un quartier de veau froid, au sud par un jambon énorme, à l'est par une pelote de beurre monumentale, et à l'ouest par un boisseau d'artichauts à la poivrade.
On y voyait encore diverses espèces de fruits, des assiettes, des serviettes, des couteaux, et de l'argenterie dans des corbeilles; et au bout de la table, des frères lais et des domestiques prêts à servir, quoique étonnés de se voir levés si matin.
En un coin du réfectoire, on voyait une pile de plus de cent bouteilles, continuellement arrosée par une fontaine naturelle, qui s'échappait en murmurant Evohe Bacche; et si l'arôme du moka ne chatouillait pas nos narines, c'est que dans ces temps héroïques on ne prenait pas encore de café si matin.
Le révérend cellérier jouit quelque temps de notre étonnement; après quoi il nous adressa l'allocution suivante, que, dans notre sagesse, nous jugeâmes avoir été préparée:
«Messieurs, dit-il, je voudrais pouvoir vous tenir compagnie, mais je n'ai pas encore dit ma messe, et c'est aujourd'hui jour de grand office. Je devrais vous inviter à manger; mais votre âge, le voyage et l'air vif de nos montagnes doivent m'en dispenser. Acceptez avec plaisir ce que nous vous offrons de bon coeur; je vous quitte et vais chanter matines.»
À ces mots, il disparut.
Ce fut alors le moment d'agir; et nous attaquâmes avec l'énergie que supposaient en effet les trois circonstances aggravantes si bien indiquées par le cellérier. Mais que pouvaient de faibles enfants d'Adam contre un repas qui paraissait préparé pour les habitants de Sirius! nos efforts furent impuissants; quoique ultra-repus, nous n'avions laissé de notre passage que des traces imperceptibles.
Ainsi, bien munis jusqu'au dîner, on se dispersa; et j'allai me tapir dans un bon lit, où je dormis en attendant la messe, semblable au héros de Rocroy et à d'autres encore, qui ont dormi jusqu'au moment de commencer la bataille.
Je fus réveillé par un robuste frère, qui faillit m'arracher le bras, et je courus à l'église, où je trouvai tout le monde à son poste.
Nous exécutâmes une symphonie à l'offertoire; on chanta un motet à l'élévation, et on finit par un quatuor d'instruments à vent. Et malgré les mauvaises plaisanteries contre la musique d'amateurs, le respect que je dois à la vérité m'oblige d'assurer que nous nous en tirâmes fort bien.
Je remarque à cette occasion que tous ceux qui ne sont jamais contents de rien, sont presque toujours des ignorants qui ne tranchent hardiment que parce qu'ils espèrent que leur audace pourra leur faire supposer des connaissances qu'ils n'ont pas eu le courage d'acquérir.
Nous reçûmes avec bénignité les éloges qu'on ne manqua pas de nous prodiguer en cette occasion, et, après avoir reçu les remerciements de l'abbé, nous allâmes nous mettre à table.
Le dîner fut servi dans le goût du quinzième siècle; peu d'entremets, peu de superfluités; mais un excellent choix de viandes, dés ragoûts simples, substantiels, une bonne cuisine, une cuisson parfaite et surtout des légumes d'une saveur inconnue dans les marais, empêchaient de désirer ce qu'on ne voyait pas.
On jugera, au surplus de l'abondance qui régnait en ce bon lieu, quand on saura que le second service offrit jusqu'à quatorze plats de rôt.
Le dessert fut d'autant plus remarquable qu'il était composé en partie de fruits qui ne croissent point à cette hauteur, et qu'on avait apportés du pays bas; car on avait mis à contribution les jardins de Machuraz, la Morflent, et autres endroits favorisés de l'astre père de la chaleur.
Les liqueurs ne manquèrent pas; mais le café mérite une mention particulière.
Il était limpide, parfumé, chaud à merveille; mais surtout il n'était pas servi dans ces vases dégénérés qu'on osé appeler tasses sur les rives de la Seine, mais dans de beaux et profonds bowls où se plongeaient à souhait les lèvres épaisses des révérends, qui en aspiraient le liquide vivifiant avec un bruit qui aurait fait honneur à des cachalots avant l'orage.
Après dîner, nous allâmes à vêpres, et nous y exécutâmes, entre les psaumes, des antiphones que j'avais composés exprès. C'était de la musique courante comme on en faisait alors; et je n'en dis ni bien ni mal, de peur d'être arrêté par la modestie, ou influencé par la paternité.
La journée officielle étant ainsi terminée, les voisins commencèrent à défiler; les autres s'arrangèrent pour faire quelques parties à des jeux de commerce.
Pour moi, je préférai la promenade; et ayant réuni quelques amis, j'allai fouler ce gazon si doux et si serré qui vaut bien les tapis de la Savonnerie, et respirer cet air pur des hauts lieux, qui rafraîchit l'âme et dispose l'imagination à la méditation et au romantisme 74.
Il était tard quand nous rentrâmes. L'abbé vint a moi pour me souhaiter le bon soir et une bonne nuit. «Je vais, me dit-il, rentrer chez moi, et vous laisser finir la soirée. Ce n'est pas que je croie que ma présence pût être importune à nos pères; mais je veux qu'ils sachent bien qu'ils ont liberté plénière. Ce n'est pas tous les jours Saint-Bernard; demain nous rentrerons dans l'ordre accoutumé: oras iterabimus æquor.»
Effectivement, après le départ de l'abbé, il y eut plus de mouvement dans l'assemblée; elle devint plus bruyante, et on fit plus de ces plaisanteries spéciales aux cloîtres qui ne voulaient pas dire grand'chose, et dont on riait sans savoir pourquoi.
Vers neuf heures, le souper fut servi: souper soigné, délicat, et éloigné du dîner de plusieurs siècles.
On mangea sur nouveaux frais, on causa, on rit, on chanta des chansons de table; et un des pères nous lut quelques vers de sa façon, qui vraiment n'étaient pas mauvais pour avoir été faits par un tondu.
Sur la fin de la soirée, une voix s'éleva et cria: «Père cellérier, où est donc votre plat?--C'est trop juste, répondit le révérend; je ne suis pas cellérier pour rien.»
Il sortit un moment, et revint bientôt après, accompagné de trois serviteurs, dont le premier apportait des rôties d'excellent beurre, et les deux autres étaient chargés d'une table sur laquelle se trouvait une cuve d'eau-de-vie sucrée et brûlante: ce qui équivalait presque au punch, qui n'était point encore connu.
Les nouveaux venus furent reçus avec acclamation; on mangea les rôties, on but l'eau-de-vie brûlée, et quand l'horloge de l'abbaye sonna minuit, chacun se retira dans son appartement pour y jouir des douceurs d'un sommeil auquel les travaux de la journée lui avaient donné des dispositions et des droits.
N. B. Le père cellérier dont il est fait mention dans cette narration véritablement historique, étant devenu vieux, on parlait devant lui d'un abbé nouvellement nommé qui arrivait de Paris, et dont on redoutait la rigueur.
«Je suis tranquille à son égard, dit le révérend; qu'il soit méchant tant qu'il voudra, il n'aura jamais le courage d'ôter à un vieillard ni le coin du feu ni la clef de la cave.»
XXIII.
Bonheur en voyage.
J'étais un jour monté sur mon cheval la Joie, et je parcourais les coteaux riants du Jura.
C'était dans les plus mauvais jours de la révolution; et j'allais à Dôle, auprès du représentant Prôt, pour en obtenir un sauf-conduit qui devait m'empêcher d'aller en prison, et probablement ensuite à l'échafaud.
En arrivant, vers onze heures du matin, à une auberge du petit bourg ou village de Mont-sous-Vaudrey, je fis d'abord bien soigner ma monture; et de là, passant à la cuisine, j'y fus frappé d'un spectacle qu'aucun voyageur n'eût pu voir sans plaisir.
Devant un feu vif et brillant tournait une broche admirablement garnie de cailles, rois de cailles, et de ces petits râles à pied verts qui sont toujours si gras. Ce gibier de choix rendait ses dernières gouttes sur une immense rôtie, dont la facture annonçait la main d'un chasseur; et tout auprès, on voyait déjà cuit un de ces levrauts à côtes rondes, que les Parisiens ne connaissent pas, et dont le fumet embaumerait une église.
«Bon! dis-je en moi-même, ranimé par cette vue, la Providence ne m'abandonne pas tout-à-fait. Cueillons encore cette fleur en passant; il sera toujours temps de mourir.»
Alors, en m'adressant à l'hôte qui, pendant cet examen sifflait, les mains derrière le dos, en promenant dans la cuisine sa statue de géant, je lui dis: «Mon cher, qu'allez-vous me donner de bon pour mon dîner?--Rien que de bon, monsieur; bon bouilli, bonne soupe aux pommes de terre, bonne épaule de mouton et bons haricots.»
À cette réponse inattendue, un frisson de désappointement parcourut tout mon corps; on sait que je ne mange point de bouilli, parce que c'est de la viande moins son jus; les pommes de terre et les haricots sont obésigènes; je ne me sentais pas des dents d'acier pour déchirer l'éclanche; ce menu était fait exprès pour me désoler, et tous mes maux retombèrent sur moi.
L'hôte me régalait d'un air sournois, et avait l'air de deviner la cause de mon désappointement... «Et pour qui réservez-vous donc tout ce joli gibier? lui dis-je d'un air tout-à-fait contrarié.--Hélas! monsieur, répondit-il d'un ton sympathique, je ne puis en disposer; tout cela appartient à des messieurs de justice qui sont ici depuis dix jours, pour une expertise qui intéresse une dame fort riche; ils ont fini hier et se régalent pour célébrer cet événement heureux; c'est ce que nous appelons ici faire la révolte.--Monsieur, répliquai-je après avoir musé quelques instants, faites-moi le plaisir de dire à ces messieurs qu'un homme de bonne compagnie demande, comme une faveur, d'être admis à dîner avec eux, qu'il prendra sa part de la dépense, et qu'il leur en aura surtout une extrême obligation.» Je dis, il partit, et ne revint plus.
Mais, peu après, je vis entrer un petit homme gras, frais, joufflu, trapu, guilleret, qui vint rôder dans la cuisine, déplaça quelques meubles, leva le couvercle d'une casserole et disparut.
«Bon, dis-je en moi-même, voilà le frère tuileur qui vient me reconnaître!» Et je commençai à espérer, car l'expérience m'avait déjà appris que mon extérieur n'est pas repoussant.
Le coeur ne m'en battit pas moins comme à un candidat sur la fin du dépouillement du scrutin, quand l'hôte reparut et vint m'annoncer que ces messieurs étaient très flattés de ma proposition, et n'attendaient que moi pour se mettre à table.
Je partis en entrechats; je reçus l'accueil le plus flatteur, et au bout de quelques minutes j'avais pris racine.
Quel bon dîner!!! Je n'en ferai pas le détail; mais je dois une mention honorable à une fricassée de poulets de haute facture, telle qu'on n'en trouve qu'en province, et si richement dotée de truffes, qu'il y en avait assez pour retremper le vieux Tithon.
On connaît déjà le rôt; son goût répondait à son extérieur: il était cuit à point, et la difficulté que j'avais éprouvée à m'en approcher en rehaussait encore la saveur.
Le dessert était composé d'une crème à la vanille, de fromage de choix et de fruits excellents. Nous arrosions tout cela avec un vin léger et couleur de grenat; plus tard avec du vin de l'Ermitage; plus tard encore, avec du vin de paille, également doux et généreux: le tout fut couronné par de très bon café, confectionné par le tuileur guilleret, qui eut aussi l'attention de ne nous laisser pas manquer de certaines liqueurs de Verdun, qu'il sortit d'une espèce de tabernacle dont il avait la clef.
Non seulement le dîner fut bon, mais il fut très gai.
Après avoir parlé avec circonspection des affaires du temps, ces messieurs s'attaquèrent de plaisanteries qui me mirent au fait d'une partie de leur biographie; ils parlèrent peu de l'affaire qui les avait réunis; on dit quelques bons contes, on chanta; je m'y joignis par quelques couplets inédits; j'en fis même un en impromptu, et qui fut fort applaudi suivant l'usage; le voici:
Air: du maréchal ferrant.
Qu'il est doux pour les voyageurs
De trouver d'aimables buveurs:
C'est une vraie 75 béatitude.
Entouré d'aussi bons enfants,
Ma foi je passerais céans,
Libre de toute inquiétude,
Quatre jours,
Quinze jours,
Trente jours,
Une année,
Et bénirais ma destinée.
Si je rapporte ce couplet, ce n'est pas que je le crois excellent, j'en ai fait, grâce au ciel! de meilleurs, et j'aurais refait celui-là si j'avais voulu; mais j'ai préféré lui laisser sa tournure d'impromptu afin que le lecteur convienne que celui qui, avec un comité révolutionnaire en croupe, pouvait se jouer ainsi, celui-là, dis-je, avait bien certainement la tête et le coeur d'un Français.
Il y avait bien quatre heures que nous étions à table, et on commençait à s'occuper de la manière de finir la soirée; on allait faire une longue promenade pour aider la digestion, et en rentrant on ferait une partie de bête hombrée pour attendre le repas du soir qui se composait d'un plat de truites en réserve, et des reliefs du dîner encore très désirables.
À toutes ces propositions je fus obligé de répondre par un refus, le soleil penchant vers l'horizon m'avertissait de partir. Ces messieurs insistèrent autant que la politesse le permet, et s'arrêtèrent quand je leur assurai que je ne voyageais pas tout-à-fait pour mon plaisir.
On a déjà deviné qu'ils ne voulurent pas entendre parler de mon écot: ainsi, sans me faire de questions importunes, ils voulurent me voir monter à cheval, et nous nous séparâmes après avoir fait et reçu les adieux les plus affectueux.
Si quelqu'un de ceux qui m'accueillirent si bien existe encore, et que ce livre tombe entre ses mains, je désire qu'il sache, qu'après plus de trente ans, ce chapitre a été écrit avec la plus vive gratitude.
Un bonheur ne vient jamais seul; et mon voyage eut un succès que je n'aurais presque pas espéré.
Je trouvai, à la vérité, le représentant Prôt fortement prévenu contre moi: il me regarda d'un air sinistre; et je crus qu'il allait me faire arrêter; mais j'en fus quitte pour la peur, et après quelques éclaircissements, il me sembla que ses traits se détendaient un peu.
Je ne suis point de ceux que la peur rend cruels, et je crois que cet homme n'était pas méchant; mais il avait peu de capacité et ne savait que faire du pouvoir redoutable qui lui avait été confié: c'était un enfant armé de la massue d'Hercule.
M. Amondru, dont je retrace ici le nom avec bien du plaisir, eut véritablement quelque peine à lui faire accepter un souper où il était convenu que je me trouverais; cependant il y vint et me reçût d'une manière qui était bien loin de me satisfaire.
Je fus un peu moins mal accueilli de madame Prôt, à qui j'allai présenter mon hommage. Les circonstances où je me présentais admettaient au moins un intérêt de curiosité.
Dès les premières phrases, elle me demanda si j'aimais la musique. Oh bonheur inespéré! elle paraissait en faire ses délices, et comme je suis moi-même très bon musicien, dès ce moment nos coeurs vibrèrent à l'unisson.
Nous causâmes avant souper, et nous fîmes ce qu'on appelle une main à fond. Elle me parla des traités de composition, je les connaissais tous; elle me parla des opéras les plus à la mode, je les savais par coeur; elle me nomma les auteurs les plus connus, je les avais vus pour la plupart. Elle ne finissait pas, parce que depuis longtemps elle n'avait rencontré personne avec qui traiter ce chapitre, dont elle parlait en amateur, quoique j'aie su depuis qu'elle avait professé comme maîtresse de chant.
Après souper elle envoya chercher ses cahiers; elle chanta, je chantai, nous chantâmes; jamais je n'y mis plus de zèle, jamais je n'y eus plus de plaisir. M. Prôt avait déjà parlé plusieurs fois de se retirer qu'elle n'en avait pas tenu compte, et nous sonnions comme deux trompettes le duo de la Fausse Magie.
Vous souvient-il de cette fête.
quand il fit entendre l'ordre du départ.
Il fallut bien finir; mais au moment où nous nous quittâmes, madame Prôt me dit: «Citoyen, quand on cultive comme vous les beaux-arts, on ne trahit pas son pays. Je sais que vous demandez quelque chose à mon mari: vous l'aurez; c'est moi qui vous le promets.»
À ce discours consolant, je lui baisai la main du plus chaud de mon coeur; et effectivement dès le lendemain matin je reçus mon sauf-conduit bien signé et magnifiquement cacheté.
Ainsi fut rempli le but de mon voyage. Je revins chez moi la tête haute; et grâce à l'harmonie, cette aimable fille du Ciel, mon ascension fut retardée d'un bon nombre d'années.
XXIV.
Poétique.
Nulla placere diu, nec vivere carmina possunt,
Quae scribuntur aquæ potoribus. Ut male sanos
Adscripsit Liber Satyris Faunisque poetas,
Vina fere dulces oluerunt mane Camoenæ.
Laudibus arguitur vini vinosus Homerus;
Ennius ipsr pater nunquam, nisi potus, ad arma
Prosiluit dicenda: «Forum putealque Libonis
«Mandabo siccis; adimam cantare severis.»
Hoc simul edixit, non cessavere poetæ
Nocturno certare mero, dotare diurno,
Horat. Epirt. I,19.
Si j'avais eu assez de temps j'aurais fait un choix raisonné de poésies gastronomiques depuis les Grecs et les Latins jusqu'à nos jours, et je l'aurais divisé par époques historiques, pour montrer l'alliance intime qui a toujours existé entre l'art de bien dire et l'art de bien manger.
Ce que je n'ai pas fait, un autre le fera 76. Nous verrons comment la table a toujours donné le ton à la lyre, et on aura une preuve additionnelle de l'influence du physique sur le moral.
Jusque vers le milieu du dix-huitième siècle, les poésies de ce genre ont eu surtout pour objet de célébrer Bacchus et ses dons, parce qu'alors boire du vin et en boire beaucoup était le plus haut degré d'exaltation gustuelle auquel on eût pu parvenir. Cependant, pour rompre la monotonie et agrandir la carrière, on y associait l'Amour, association dont il n'est pas certain que l'amour se trouve bien.
La découverte du nouveau monde et les acquisitions qui en ont été la suite ont amené un nouvel ordre de choses.
Le sucre, le café, le thé, le chocolat, les liqueurs alcooliques et tous les mélanges qui en résultent ont fait de la bonne chère un tout plus composé, dont le vin n'est plus qu'un accessoire plus ou moins obligé; car le thé peut très bien remplacer le vin à déjeuner 77.
Ainsi une carrière plus vaste s'est ouverte aux poètes de nos jours; ils ont pu chanter les plaisirs de la table sans être nécessairement obligés de se noyer dans la tonne, et déjà des pièces charmantes ont célébré les nouveaux trésors dont la gastronomie s'est enrichie.
Comme un autre j'ai ouvert les recueils, et j'ai joui du parfum de ces offrandes éthérées. Mais, tout en admirant les ressources du talent et goûtant l'harmonie des vers, j'avais une satisfaction de plus qu'un autre en voyant tous ces auteurs se coordonner à mon système favori; car la plupart de ces jolies choses ont été faites pour dîner, en dînant ou après dîner.
J'espère bien que les ouvriers habiles exploiteront la partie de mon domaine que je leur abandonne, et je me contente en ce moment d'offrir à mes lecteurs un petit nombre de pièces choisies au gré de mon caprice, accompagnées de notes très courtes, pour qu'on ne se creuse pas la tête pour chercher la raison de mon choix.
CHANSON
DE DÉMOCARES AU FESTIN DE DENIAS.
Cette chanson est tirée du Voyage du jeune Anacharsis: cette raison suffit.
Buvons, chantons Bacchus,
Il se plaît à nos danses, il se plaît à nos chants; il étouffe l'envie, la haine et les chagrins. Aux Grâces séduisantes, aux Amours enchanteurs, il donna la naissance.
Aimons, buvons; chantons Bacchus.
L'avenir n'est point encore; le présent n'est bientôt plus; le seul instant de la vie est l'instant de la jouissance.
Aimons, buvons; chantons Bacchus.
Sages de nos folies, riches de nos plaisirs, foulons aux pieds la terre et ses vaines grandeurs; et dans la douce ivresse que des moments si beaux font couler dans nos âmes,
Buvons, chantons Bacchus.
(Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, tom. II, chap. 25.)
Celle-ci est de Motin, qui, dit-on, fit le premier en France des chansons à boire. Elle est du vrai bon temps de l'ivrognerie, et ne manque pas de verve.
Air:
Que j'aime en tout temps la taverne!
Que librement je m'y gouverne!
Elle n'a rien d'égal à soi;
J'y vois tout ce que je demande:
Et les torchons y sont pour moi
De fine toile de Hollande.
Pendant que le chaud nous outrage,
On ne trouve point de bocage
Agréable et frais comme elle est;
Et quand la froidure m'y mène,
Un malheureux fagot m'y plaît
Plus que tout le bois de Vincenne.
J'y trouve à souhait toutes choses;
Les chardons m'y semblent des roses,
Et les tripes des ortolans;
L'on n'y combat jamais qu'au verre.
Les cabarets et les brelans
Sont les paradis de la terre.
C'est Bacchus que nous devons suivre;
Le nectar dont il nous enivre
A quelque chose de divin,
Et quiconque a cette louange
D'être homme sans boire du vin,
S'il en buvait, serait un ange.
Le vin me rit, je le caresse;
C'est lui qui bannit ma tristesse,
Et réveille tous mes esprits:
Nous nous aimons de même force.
Je le prends, après j'en suis pris;
Je le porte, et puis il m'emporte.
Quand j'ai mis quarte dessus pinte,
Je suis gai, l'oreille me tinte,
Je recule au lieu d'avancer:
Avec le premier je me frotte,
Et je fais, sans savoir danser,
De beaux entrechats dans la crotte.
Pour moi, jusqu'à ce que je meure,
Je veux que le vin blanc demeure,
Avec le clairet dans mon corps,
Pourvu que la paix les assemble:
Car je les jetterai dehors,
S'ils ne s'accordent bien ensemble.
La suivante est de Racan, un de nos plus anciens poètes; elle est pleine de grâce et de philosophie, a servi de modèle à beaucoup d'autres, et paraît plus jeune que son extrait de naissance.
À MAYNARD.
Pourquoi se donner tant de peine?
Buvons plutôt à perdre haleine,
De ce nectar délicieux,
Qui, pour l'excellence, précède
Celui même que Ganymède
Verse dans la coupe des dieux.
C'est lui qui fait que les années,
Nous durent moins que les journées.
C'est lui qui nous fait rajeunir,
Et qui bannit de nos pensées
Le regret des choses passées
Et la crainte de l'avenir.
Buvons, Maynard, à pleine tasse
L'âge insensiblement se passe,
Et nous mène à nos derniers jours;
L'on a beau faire des prières,
Les ans, non plus que les rivières,
Jamais ne rebroussent leur cours.
Le printemps, vêtu de verdure,
Chassera bientôt la froidure.
La mer a son flux et reflux;
Mais, depuis que notre jeunesse
Quitte la place à la vieillesse,
Le temps ne la ramène plus.
Les lois de la mort sont fatales
Aussi bien au maisons royales
Qu'aux taudis couverts de roseaux;
Tous nos jours sont sujets aux Parques;
Ceux des bergers et des monarques
Sont coupés des mêmes ciseaux.
Leurs rigueurs, par qui tout s'efface,
Ravissent, en bien peu d'espace,
Ce qu'on a de mieux établi,
Et bientôt nous mèneront boire,
Au-delà de la rive noire,
Dans les eaux du fleuve d'oubli.
Celle-ci est du professeur qui l'a aussi mise en musique. Il a reculé devant les embarras de la gravure, malgré le plaisir qu'il aurait eu de se savoir sur tous les pianos; mais par un bonheur inouï, elle peut se chanter et on la chantera sur l'air du vaudeville de Figaro.
LE CHOIX DES SCIENCES.
Me poursuivons plus la gloire;
Elle vend cher ses faveurs;
Tâchons d'oublier l'histoire:
C'est un tissu de malheurs.
Mais appliquons-nous à boire
Ce vin qu'aimaient nos aïeux.
Qu'il est bon, quand il est vieux! (bis.)
J'ai quitté l'astronomie,
Je m'égarais dans les cieux;
Je renonce à la chimie,
Ce goût devient trop coûteux.
Mais pour la gastronomie
Je veux suivre mon penchant.
Qu'il est doux d'être gourmand! (bis.)
Jeune, je lisais sans cesse;
Mes cheveux en sont tout gris!
Les sept sages de la Grèce
Ne m'ont pourtant rien appris.
Je travaille la paresse:
C'est un aimable péché,
Ah! comme on est bien couché! (bis.)
J'étais fort en médecine
Je m'en tirais à plaisir.
Mais tout ce qu'elle imagine
Ne fait qu'aider à mourir.
Je préfère la cuisine:
C'est un art réparateur.
Quel grand homme qu'un traiteur! (bis.)
Ces travaux sont un peu rudes,
Mais sur le déclin du jour,
Pour égayer mes études,
Je laisse approcher l'amour.
Malgré les caquets des prudes,
L'amour est un joli jeu:
Jouons-le toujours un peu! (bis.)
J'ai vu naître le couplet suivant, et voilà pourquoi je l'ai planté. Les truffes sont la divinité du jour, et peut-être cette idolâtrie ne nous fait-elle pas honneur.
IMPROMPTU.
Buvons à la truffe noire,
Et ne soyons point ingrats;
Elle assure la victoire
Dans les plus charmants combats.
Au secours
Des amours,
Du plaisir, la Providence
Envoya cette substance:
Qu'on en serve tous les jours.
Par M. B... de V..., amateur distingué,
et élève chéri du professeur.
Je finis par une pièce de vers qui appartient à la Méditation XXVI.
J'ai voulu la mettre en musique, et n'ai pas réussi à mon gré; un autre fera mieux, surtout s'il se monte un peu la tête. L'harmonie doit en être forte, et marquer au deuxième couplet que le malade expire.
L'AGONIE.
Romance physiologique.
Dans tous mes sens! hélas! faiblit la vie,
Mon oeil est terne et mon corps sans chaleur.
Louis en pleurs, et cette tendre amie
En frémissant met la main sur mon coeur.
Des visiteurs la troupe fugitive
A pris congé pour ne plus revenir
Le docteur part et le pasteur arrive:
Je vais mourir.
Je veux prier, ma tête s'y refuse,
Je veux varier, et ne puis m'exprimer,
Un tintement m'inquiète et m'abuse,
Je ne sais quoi me parait voltiger.
Je ne vois plus. Ma poitrine oppressée
Va s'épuiser pour former un soupir:
Il errera sur ma bouche glacée...
Je vais mourir.
Par le Professeur.
XXV
M. Henrion de Pensey
Je croyais de bonne foi être le premier qui eût conçu, de nos jours, l'idée de l'Académie des Gastronomes; mais je crains bien d'avoir été devancé; comme cela arrive quelquefois. On peut en juger par le fait suivant, qui a près de quinze ans de date.
M. le président Henrion de Pensey, dont l'enjouement spirituel a bravé les glaces de l'âge, s'adressant à trois des savants les plus distingués de l'époque actuelle (MM. de Laplace, Chaptal et Bertholet), leur disait, en 1812: «Je regarde la découverte d'un mets nouveau, qui soutient notre appétit et prolonge nos jouissances, comme un événement bien plus intéressant que la découverte d'une étoile; on en voit toujours assez.
«Je ne regarderai point, continuait ce magistrat, les sciences comme suffisamment honorées, ni comme convenablement représentées, tant que je ne verrai pas un cuisinier siéger à la première classe de l'Institut.»
Ce cher président était toujours en joie quand il songeait à l'objet de mon travail; il voulait me fournir une épigraphe, et disait que ce ne fut pas l'Esprit des Lois qui ouvrit à M. de Montesquieu les portes de l'Académie. C'est de lui que j'ai appris que le professeur Berriat Saint-Prix avait fait un roman; et c'est encore lui qui m'a indiqué le chapitre où il est parlé de l'industrie alimentaire des émigrés. Aussi, comme il faut que justice se fasse, je lui ai érigé le quatrain suivant qui contient a la fois son histoire et son éloge.
VERS
POUR ÊTRE MIS AU BAS DU PORTRAIT
DE M. HENRION DE PENSEY.
Dans ses doctes travaux il fut infatigable;
Il eut de grands emplois, qu'il remplit dignement:
Et quoiqu'il fût profond, érudit et savant,
Il ne se crut jamais dispensé d'être aimable.
M. le président Henrion reçut, en 1814, le portefeuille de la justice, et les employés de ce ministère ont gardé la mémoire de la réponse qu'il leur fit, lorsqu'ils vinrent en corps lui présenter un premier hommage.
«Messieurs, leur dit-il avec ce ton paternel qui sied si bien à sa haute taille et à son grand âge, il est probable que je ne resterai pas avec vous assez de temps pour vous faire du bien; mais du moins soyez assurés que je ne vous ferai pas de mal.»
XXVI.
Indications.
Voilà mon ouvrage fini; et cependant, pour montrer que je ne suis pas hors d'haleine, je vais faire d'une pierre trois coups.
Je donnerai à mes lecteurs de tous les pays des indications dont ils feront leur profit; je donnerai à mes artistes de prédilection un souvenir dont ils sont dignes, et je donnerai au public un échantillon du bois dont je me chauffe.
1° Madame Chevet, magasin de comestibles, Palais-Royal, 220, près du Théâtre-Français. Je suis pour elle un client plus fidèle que gros consommateur: nos rapports datent de son apparition sur l'horizon gastronomique, et elle a eu la bonté de pleurer ma mort; ce n'était heureusement qu'une méprise par ressemblance.
Madame Chevet est l'intermédiaire obligé entre la haute comestibilité et les grandes fortunes. Elle doit sa prospérité à la pureté de sa foi commerciale: tout ce que le temps a atteint disparaît de chez elle comme par enchantement. La nature de son commerce exige qu'elle fasse un gain assez prononcé; mais le prix une fois convenu, on est sûr d'avoir de l'excellent.
Cette foi sera héréditaire; et ses demoiselles, à peine échappées à l'enfance, suivent déjà invariablement les mêmes principes.
Madame Chevet a des chargés d'affaires dans tous les pays où peuvent atteindre les voeux du gastronome le plus capricieux; et plus elle a de rivaux, plus elle s'est élevée dans l'opinion.
2° M. Achard, pâtissier-petit-fournier, rue de Grammont, n° 9, Lyonnais, établi depuis environ dix ans, a commencé sa réputation par des biscuits de fécule et des gaufres à la vanille qui ont été longtemps inimitées.
Tout ce qui est dans son magasin a quelque chose de fini et de coquet qu'on chercherait vainement ailleurs; la main de l'homme n'y paraît pas. On dirait des productions naturelles de quelque pays enchanté: aussi, tout ce qui se fait chez lui est enlevé le jour même, on peut dire qu'il n'a point de lendemain.
Dans les beaux jours équinoxiaux, on voit arriver à chaque instant rue de Grammont quelque brillant carricle, ordinairement chargé d'un beau titus et d'une jolie emplumée. Le premier se précipite chez Achard, où il s'arme d'un gros cornet de friandises. À son retour, il est salué par un: «Ô mon ami! que cela a bonne mine!» ou bien, «0 dear! how it looks good! my mouth!...» Et vite le cheval part, et mène tout cela au bois de Boulogne.
Les gourmands ont tant d'ardeur et de bonté, qu'ils ont supporté pendant longtemps les aspérités d'une demoiselle de boutique disgracieuse. Cet inconvénient a disparu; le comptoir est renouvelé et la jolie petite main de mademoiselle Anna Achard donne un nouveau mérite à des préparations qui se recommandent déjà par elles-mêmes.
3° M. Limet, rue de Richelieu, n° 79, mon voisin, boulanger de plusieurs altesses, a aussi fixé mon choix.
Acquéreur d'un fonds assez insignifiant, il l'a promptement élevé à un haut degré de prospérité et de réputation.
Ses pains taxés sont très beaux; et il est difficile de réunir dans les pains de luxe tant de blancheur, de saveur et de légèreté.
Les étrangers, aussi bien que les habitants des départements, trouvent toujours chez M. Limet le pain auquel ils sont accoutumés; aussi les consommateurs viennent en personne, défilent et font quelquefois queue.
Ces succès n'étonneront pas quand on saura que M. Limet ne se traîne pas dans l'ornière de la routine, qu'il travaille avec assiduité pour découvrir de nouvelles ressources, et qu'il est dirigé par des savants du premier ordre.
XXVII
Les Privations
Élégie historique.
Premiers parents du genre humain, dont la gourmandise est historique,
qui vous perdîtes pour une pomme, que n'auriez-vous pas fait pour une
dinde aux truffes? mais il n'était dans le paradis terrestre ni
cuisiniers ni confiseurs.
Que je vous plains!
Rois puissants qui ruinâtes, la superbe Troie, votre valeur passera d'âge en âge; mais votre table était mauvaise. Réduits à la cuisse de boeuf et au dos de cochon, vous ignorâtes toujours les charmes de la matelotte et les délices de la fricassée de poulets.
Que je vous plains!
Aspasie, Chloé, et vous toutes dont le ciseau des Grecs éternisa les termes pour le désespoir des belles d'aujourd'hui, jamais votre bouche charmante n'aspira la suavité d'une meringue à la vanille ou à la rose; à peine vous élevâtes-vous jusqu'au pain d'épice.
Que je vous plains!
Douces prêtresses de Vesta, comblées à la fois de tant d'honneurs et menacées de si horribles supplices, si du moins vous aviez goûté ces sirops aimables qui rafraîchissent l'âme, ces fruits confits qui bravent les saisons, ces crèmes parfumées, merveilles de nos jours.
Que je vous plains!
Financiers romains qui pressurâtes tout l'univers connu, jamais vos salons si renommés ne virent paraître ni ces gelées succulentes, délices des paresseux; ni ces glaces variées, dont le froid braverait la zone torride.
Que je vous plains!
Paladins invincibles, célébrés par des chantres gabeurs, quand vous auriez pourfendu des géants, délivré des dames, exterminé des armées, jamais, hélas! jamais une captive aux yeux noirs ne vous présenta le champagne mousseux, le malvoisie de Madère, les liqueurs, création du grand siècle; vous en étiez réduits à la cervoise ou au surêne herbé.
Que je vous plains!
Abbés crossés, mitrés, dispensateurs des faveurs du ciel; et vous, templiers terribles, qui armâtes vos bras pour l'extermination des Sarrazins, vous ne connûtes pas les douceurs du chocolat qui restaure ou de la fève arabique qui fait penser.
Que je vous plains!
Superbes châtelaines, qui, pendant le vide des croisades, éleviez au rang suprême vos aumôniers et vos pages, vous ne partageâtes point avec eux les charmes du biscuit et les délices du macaron.
Que je vous plains!
Et vous enfin, gastronomes de 1825, qui trouvez déjà la satiété au sein de l'abondance, et rêvez des préparations nouvelles, vous ne jouirez pas des découvertes que les sciences préparent pour l'an 1900, telles que les esculences minérales, les liqueurs, résultat de la pression de cent atmosphères; vous ne verrez pas les importations que des voyageurs qui ne sont pas encore nés feront arriver de cette moitié du globe qui reste encore à découvrir ou à explorer.
Que je vous plains!
ENVOI
AUX GASTRONOMES DES DEUX MONDES.
Excellences!
E travail dont je vous fais hommage a pour but de développer à tous les
yeux les principes de la science dont vous êtes l'ornement et le
soutien.
J'offre aussi un premier encens à la Gastronomie, cette jeune immortelle, qui, à peine parée de sa couronne d'étoiles, s'élève déjà au-dessus de ses soeurs, semblable à Calypso,
qui dépassait de toute la tête le groupe charmant des nymphes dont elle était entourée.
Le temple de la Gastronomie, ornement de la métropole du monde, élèvera bientôt vers le ciel ses portiques immenses; vous les ferez retentir de vos voix; vous les enrichirez de vos dons; et quand l'académie promise par les oracles s'établira sur les bases immuables du plaisir et de la nécessité, gourmands éclairés, convives aimables, vous en serez les membres ou les correspondants.
En attendant, levez vers le ciel vos faces radieuses; avancez dans votre force et votre majesté; l'univers esculent est ouvert devant vous.
Travaillez, Excellences, professez pour le bien de la science; digérez dans votre intérêt particulier; et si, dans le cours de vos travaux, il vous arrive de faire quelque découverte importante, veuillez en faire part au plus humble de vos serviteurs.
L'Auteur des Méditations gastronomiques.
TABLE DES MATIÈRES.
PHYSIOLOGIE DU GOÛT.
INTRODUCTION, PAR ALPHONSE KARR.
APHORISMES du Professeur, pour
servir de prolégomènes à son
ouvrage et de base éternelle
à la science.
DIALOGUE ENTRE L'AUTEUR ET SON AMI.
BIOGRAPHIE.
PRÉFACE.
MÉDITATION I.
DES SENS.
Nombre des Sens.
Mise en action des Sens.
Perfectionnement des Sens.
Puissance du Goût.
But de l'action des Sens.
MÉDITATION II.
DU GOÛT.
Définition du Goût.
Mécanique du Goût.
Sensation du Goût.
Des Saveurs.
Influence de l'Odorat sur le Goût.
Analyse de là sensation du Goût.
Ordre des diverses impressions du Goût.
Jouissances dont le Goût est l'occasion.
Suprématie de l'Homme.
Méthode adoptée par l'Auteur.
MÉDITATION III.
DE LA GASTRONOMIE.
Origine des sciences.
Origine de la Gastronomie.
Définition de la Gastronomie.
Objets divers dont s'occupe la Gastronomie.
Utilité des connaissances gastronomiques.
Influence de la Gastronomie dans les affaires.
Académie des Gastronomes.
MÉDITATION IV.
DE L'APPÉTIT.
Définition de l'Appétit.
Anecdote.
Grands Appétits.
MÉDITATION V.
DES ALIMENTS EN GÉNÉRAL.
_Section première._
DÉFINITIONS:--Des Aliments.
Travaux analytiques.
Osmazôme.
Principe des aliments.
Règne végétal.
Différence du gras au maigre.
Observations particulières.
MÉDITATION VI.
_Section II._
SPÉCIALITÉS.
§ Ier -- Pot-au-feu, Potage, etc
§ II. -- Du bouilli.
§ III. -- Volailles.
§ IV. -- Du Coq-d'Inde.
-- Dindoniphiles.
-- Influence financière du Dindon.
-- Exploit du Professeur.
§ V. --Du Gibier.
§ VI. -- Du Poisson.
--Anecdote.
--_Muria_.--_Garum_.
--Réflexion philosophique.
§ VII. --Des Truffes.
--De la vertu érotique des Truffes.
--Les Truffes sont-elles indigestes?
§ VIII. --Du Sucre.
--Du Sucre indigène.
--Divers usages du Sucre.
§ IX. --Origine du Café.
--Diverses manières de faire le Café.
--Effets du Café.
§ X. --Du Chocolat.
--Son origine.
--Propriétés du Chocolat.
--Difficultés pour faire du bon Chocolat.
--Manière officielle de préparer le Chocolat.
MÉDITATION VII.
THÉORIE DE LA FRITURE.
Allocution.
§ Ier--Chimie.
§ II.--Application.
MÉDITATION VIII.
DE LA SOIF.
Diverses espèces de Soif.
Causes de la Soif.
Exemple.
MÉDITATION IX.
DES BOISSONS.
Eau.
Prompt effet des Boissons.
Boissons fortes.
MÉDITATION X ET ÉPISODIQUE.
SUR LA FIN DU MONDE.
MÉDITATION XI.
DE LA GOURMANDISE
Définitions.
Avantages de la Gourmandise.
Suite. 123
Pouvoir de la Gourmandise.
Portrait d'une jolie Gourmande.
Anecdote.
Les femmes sont gourmandes.
Effets de la Gourmandise sur la Sociabilité.
Influence de la Gourmandise sur le bonheur conjugal.
Note d'un Gastronome patriote.
MÉDITATION XII.
DES GOURMANDS.
N'est pas gourmand qui veut..
Napoléon..
Gourmands par prédestination..
Prédestination sensuelle.
Gourmands par état.
Les Financiers.
Les Médecins.
Objurgation.
Les Gens de lettres.
Les Dévots.
Les Chevaliers et les Abbés.
Longévité annoncée aux Gourmands.
M. du Belloy, archevêque de Paris.
MÉDITATION XIII.
ÉPROUVETTES GASTRONOMIQUES.
{ 1re série. 5,000 fr.
{ (Médiocrité).
Revenu { 2e série. 15,000fr.
présumé. { (Aisance).
{ 3e série. 30,000 fr.
{ (Richesse).
Observation générale.
MÉDITATION XIV.
DU PLAISIR DE LA TABLE.
Origine du plaisir de la Table.
Différence entre le plaisir de manger et le plaisir de la Table.
Effets.
Accessoires industriels.
Dix-huitième et dix-neuvième siècle.
Esquisse.
MÉDITATION XV.
DES HALTES DE CHASSE.
Les Dames.
MÉDITATION XVI.
DE LA DIGESTION.
Ingestion.
Office de l'Estomac.
Influence de la Digestion.
MÉDITATION XVII.
DU REPOS.
Temps du Repos.
MÉDITATION XVIII.
DU SOMMEIL.
Définition.
MÉDITATION XIX;
DES RÊVES.
Recherche à faire.
Nature des Songes.
Système du docteur Gall.
Première Observation.
Deuxième Observation.
Résultat.
Influence de l'âge.
Phénomène des Songes.
Première Observation.
Deuxième Observation.
Troisième Observation.
MÉDITATION XX.
DE L'INFLUENCE DE LA DIÈTE SUR LE REPOS, LE SOMMEIL ET LES SONGES.
Effets de la Diète sur le Travail.
Effets delà Diète sur les Rêves.
Suite.
Résultat.
MÉDITATION XXI.
DE L'OBÉSITÉ.
Causes de l'Obésité.
Suite.
Suite.
Anecdote.
Inconvénients de l'Obésité.
Exemples d'Obésité.
MÉDITATION XXII.
TRAITEMENT PRÉSERVATIF OU CURATIF DE L'OBÉSITÉ.
Généralités.
Suite du régime.
Danger des Acides.
Ceinture antiobésique.
Du Quinquina.
MÉDITATION XXIII.
DE LA MAIGREUR.
Définition.
Espèces.
Effets de la Maigreur.
Prédestination naturelle.
Régime incrassant
MÉDITATION XXIV.
DU JEUNE.
Définition.
Origine du Jeûne.
Comment on jeûnait.
Origine du relâchement.
MÉDITATION XXV.
DE L'ÉPUISEMENT.
Traitement.
Cure opérée par le Professeur.
MÉDITATION XXVI.
DE LA MORT.
MÉDITATION XXVII.
HISTOIRE PHILOSOPHIQUE DE LA CUISINE.
Ordre d'alimentation.
Découverte du feu.
Cuisson.
Festins des Orientaux.--Des Grecs.
Festins des Romains.
Résurrection de Lucullus.
_Lecti sternium_ et _Incubitatium_.
Poésie.
Irruption des Barbares.
Siècles de Louis XIV et de
Louis XV.
Louis XVI.
Amélioration sous le rapport de l'art.
Derniers perfectionnements.
MÉDITATION XXVIII.
DES RESTAURATEURS.
Etablissement.
Avantages des Restaurants.
Examen du Salon.
Inconvénients du Salon.
Émulation.
Restaurateurs à prix fixe.
Beauvilliers.
Le Gastronome chez le Restaurateur.
MÉDITATION XXIX.
LA GOURMANDISE CLASSIQUE MISE EN ACTION.
Histoire de M. de Borose.
Cortège d'une Héritière.
MÉDITATION XXX.
BOUQUET.
Mythologie gastronomique.
=SECONDE PARTIE.=
TRANSITION.
VARIÉTÉS.
Préparation de l'Omelette au thon.
Notes théoriques pour les préparations.
I. _L'Omelette du Curé.
II. _Les OEufs au jus_.
III. _Victoire nationale_.
IV. _Les Ablutions_.
V. _Mystification du Professeur et défaite d'un Général_.
VI. _Le plat d'Anguille_.
VII. _L'Asperge_.
VIII. _Le Piége_.
IX. _Le Turbot_.
X. _Divers Magistères restaurants_,
par le Professeur, improvisés
pour le cas de la Méditation XXV.
A.
B.
C.
XI. _La Poularde de Bresse_.
XII. _Le Faisan_.
XIII. _Industrie gastronomique des Emigrés_.
XIV. _Autres souvenirs d'émigration_.
Le Tisserand.
L'Affamé.
Le Lion d'Argent.
Séjour en Amérique.
Bataille.
XV. _La Botte d'Asperges_.
XVI. _De la Fondée_.
Recette de la Fondue.
XVII. _Désappointement.
XVIII. _Effets merveilleux d'un Dîner classique_.
XIX. _Effets et dangers des liqueurs fortes_.
XX. _Les Chevaliers et les Abbés_.
XXI. _Miscellanea_.
XXII. _Une Journée chez les Bernardins._
XXIII. _Bonheur en Voyage_.
XXIV. _Poétique_.
Chanson de Démocarès au festin de Dénias.
Chanson de Molin.
Chanson de Racan à Maynard.
_Le Choix des Sciences_,
chanson par le Professeur.
_Impromptu_, par M. Boscary
de Villeplaine.
_L'Agonie_, romance physiologique,
par le Professeur.
XXV. _M. Henrion de Pensey_.
XXVI. _Indications_.
XXVII. _Les Privations_.--Elégie historique.
_Envoi aux Gastronomes des deux Mondes_.
FIN DE LA TABLE
PARIS.--Typographie de A. LACOUR, rue St-Hyacinthe-St-Michel, 33.