Proverbes sur les femmes, l'amitié, l'amour et le mariage
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Title: Proverbes sur les femmes, l'amitié, l'amour et le mariage
Author: P.-M. Quitard
Release date: October 5, 2020 [eBook #63380]
Most recently updated: October 18, 2024
Language: French
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PROVERBES
SUR
LES FEMMES
L'AMITIÉ
L'AMOUR ET LE MARIAGE
RECUEILLIS ET COMMENTÉS
PAR
M. QUITARD,
Auteur du Dictionnaire des Proverbes
NOUVELLE ÉDITION
CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉE
PARIS
GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
6, RUE DES SAINTS-PÈRES, 6
1889
PARIS.—IMPRIMERIE CHARLES BLOT, RUE BLEUE, 7.
AVIS DES ÉDITEURS
La PREMIÈRE ÉDITION de ce Livre, tiré à plusieurs milliers d'exemplaires, est entièrement épuisée depuis quelques années. Celle que nous publions aujourd'hui, d'après les nombreuses demandes qui nous ont été adressées, n'est pas une reproduction pure et simple de la précédente. Outre les retouches et les additions que l'auteur a faites à l'ancien texte, cette édition comprend une assez grande quantité d'articles inédits, et non moins instructifs qu'amusants par la variété des traditions, des usages, des origines et des documents précieux qu'elle contient. Grâce à toutes ses améliorations, cet ouvrage est devenu plus nouveau et plus amusant; et nous sommes fondés à espérer que le public voudra bien l'accueillir avec la même faveur dont il a honoré celui dont il est le corrigé et le complément.
AVERTISSEMENT
DE LA PREMIÈRE ÉDITION
Il y a longtemps que je m'occupe DES PROVERBES, considérés comme expression des mœurs et des coutumes nationales. J'en ai publié, en 1842, un dictionnaire qui a obtenu quelque succès en France et à l'étranger. Depuis, j'ai revu et considérablement augmenté ce premier travail, dont j'ai inséré de nombreux fragments inédits dans mes Études historiques, littéraires et morales sur les proverbes français, etc.
Il m'a paru piquant de détacher encore de mon manuscrit les proverbes, maximes et dictons relatifs aux Femmes, à l'Amitié, à l'Amour et au Mariage, et de former, en leur donnant des développements nouveaux, une sorte de blason proverbial de ces quatre objets, sur lesquels on n'a cessé et on ne cessera jamais d'écrire.
Je n'ai point voulu suivre l'exemple des auteurs qui se sont amusés à faire des archives de satire et de scandale contre le beau sexe. J'ai dit de lui le bien comme le mal avec une liberté consciencieuse, et j'ai tenu à respecter mon sujet. J'espère donc qu'il ne désapprouvera point les vérités que ce petit livre lui présente, vérités sérieuses quoique sous une forme parfois plaisante et vive.
Puisse le public, de son côté, l'accueillir avec la même indulgence que mes publications précédentes.
PROVERBES
SUR
LES FEMMES
C'est ce qu'a dit le premier l'auteur d'un vieux livre français intitulé: De la Louange et de la Beauté des dames, où il a résumé trois par trois en dix triades, les trente choses qui, suivant lui, constituent la perfection, la beauté idéale de la forme féminine telle que fut, dit-on, celle d'Hélène.
Corniger a mis le texte français en dix-huit vers latins, qui ont été insérés par Jean Nevizan dans sa Forêt nuptiale et qui débutent ainsi:
«La femme qui veut être reconnue belle doit avoir les trente qualités que la renommée attribue à Hélène.»
Vient ensuite l'énumération de ces trente qualités dont nous donnons la traduction tirée du conte de Saintine intitulé: un Rossignol pris au trébuchet:
Il faut considérer la bonne réputation plutôt que la beauté de celle qu'on veut prendre pour épouse. Ne regarder qu'à la beauté dans le choix d'une épouse, c'est vouloir, comme disait la reine Olympias, se marier pour les yeux, ou, suivant une expression dont Corneille s'est servi: épouser un visage.
Heirathe das Weib, nicht die Gestalt (prov. allemand). Épouse la femme, non la figure.
On lit dans les Préceptes de mariage de Plutarque:
«Il ne faut pas se marier au gré de ses yeux seulement, ni au rapport de ses doigts, comme font aucuns qui comptent sur leurs doigts combien leur femme leur apporte en mariage, et ne considèrent pas premièrement si elle est conditionnée de sorte qu'ils puissent vivre heureux avec elle.»
Lamothe le Vayer dit que le sommeil dans lequel Dieu plongea notre premier père, au moment où il voulut lui donner une compagne, est un avis de nous défier de notre vue et de prendre une femme les yeux fermés.
Est assez riche et bien dotée.
Cette maxime rimée est prise de la réponse que fit Bias, l'un des sept sages de la Grèce, à quelqu'un qui lui demandait quelle était la meilleure dot d'une fille. C'est une vie pudique, dit le philosophe. La demande et la réponse ont été renfermées dans cet hexamètre du poète Ausone:
«Diamant qui n'a point de tache est toujours bien enchâssé. Il en est de même d'une fille: elle est assez noble et assez riche si elle est chaste, modeste et vertueuse.» (Maxime chinoise.)
Gratia super gratiam mulier sancta et pudorata. (Ecclesiastic., XXVI, 19.) «La femme sage et pudique a une grâce au-dessus de toute grâce.»
Il faut acheter une maison toute faite, afin de ne pas être exposé aux inconvénients et aux dépenses qu'entraîne la bâtisse, et il faut prendre une jeune femme dont le caractère ne soit pas entièrement formé, afin de pouvoir la façonner sans peine à la manière de vivre qu'on veut lui faire adopter.
Les Anglais disent dans le même sens: A horse made and a wife to make.—Cheval fait et femme à faire.
Traduction littérale du proverbe roman:
Il faut que l'autorité d'un mari sur sa femme soit celle de la raison. Il doit s'appliquer à la diriger par de sages conseils, non par des prescriptions rigoureuses, être pour elle un guide bienveillant, non un dominateur tyrannique.
La nature a soumis la femme à l'homme, mais la nature ne connaît point d'esclaves. (Prov. chinois.)
«Il faut, dit Plutarque dans ses Préceptes de mariage, que le mari domine la femme, non comme le seigneur fait son esclave, ains (mais) comme l'âme fait le corps, par une mutuelle dilection et affection dont il est lié avec elle, et en lui complaisant et la gratifiant.»
On lit dans une interprétation talmudique du passage de la Genèse sur la création d'Ève: «Si Dieu eût voulu que la femme devînt le chef de l'homme, il l'eût tirée de son cerveau; s'il eût voulu qu'elle fût son esclave, il l'eût tirée de ses pieds. Il voulut qu'elle fût sa compagne et son égale, en conséquence il la tira de son côté.» Ce que saint Thomas a redit, en l'amplifiant de cette manière: «Dieu a créé ainsi la première femme d'abord par égard pour la dignité de l'homme, afin que l'homme fût lui seul le principe de toute espèce, comme Dieu est le seul principe de tout l'univers. En second lieu, la femme n'a pas été créée de la tête de l'homme, afin que l'on sache qu'elle ne doit pas dominer l'homme en maîtresse de l'homme; en troisième lieu, elle n'a pas été créée des pieds de l'homme, afin que l'on sache qu'elle ne doit pas être méprisée de l'homme comme la servante et l'esclave de l'homme; mais elle a été créée du côté de l'homme, du cœur même de l'homme, afin que l'on sache qu'elle doit être aimée par l'homme comme la moitié de l'homme, la compagne de l'homme, l'égale de l'homme.»
Ce passage de saint Thomas a été traduit et cité par le P. Ventura dans un sermon.
Les Arabes prétendent que Dieu ne voulut point tirer la femme de la tête de l'homme, de peur qu'elle ne fût coquette, ni de ses yeux, de peur qu'elle ne jouât de la prunelle, ni de ses oreilles, de peur qu'elle ne fût curieuse, ni de ses mains, afin qu'elle ne touchât point à tout, ni de ses pieds, afin qu'elle n'aimât pas trop à courir. Il la tira de la côte, de l'innocente côte d'Adam; et, malgré tant de précautions, ajoutent-ils malicieusement, elle eut un peu de tous ces défauts à la fois.
Nil melius mulier bona. Ce texte latin, dont le proverbe est la traduction littérale, se trouve dans un recueil de sentences morales en vers latins, qu'Abélard composa pour l'instruction de son fils.
Mais Hésiode avait dit avant Abélard: «Il n'est aucun bien préférable à une bonne femme.»
Le trouvère Chardy, dans le Petit Plet, poëme publié au treizième siècle, emploie cette autre sentence analogue: Une bonne femme est le plus grand bienfait de la Providence.
Qui invenit mulierem bonam, invenit bonum, et hauriet jucunditatem a Domino. (Salomon, Prov., XXVIII, 22.) «Qui a trouvé une bonne femme a trouvé le bien par excellence, et il a reçu du Seigneur une source de joie.»
Mulieris bonæ beatus vir: numerus enim annorum illius duplex. (Ecclesiastic., XXVI, 1.) «Heureux le mari d'une bonne femme, car le nombre de ses années est doublé.»
Ce qui fait entendre, par contre, que la vie du mari d'une mauvaise femme est diminuée de moitié.
«La femme, dit Shakespeare, est un mets digne des dieux quand le diable ne l'assaisonne pas.»
Proverbe qui paraît avoir été inspiré par ce passage de l'Ecclésiastique: «La bonne conduite de la femme est un don de Dieu. Disciplina illius datum Dei est.» (XXVI, 17.)
Une femme honnête est vraiment un don divin, et il n'y a point de plus grand malheur pour un mari que d'en être séparé, car il perd avec elle un sage conseil dans ses entreprises, une douce consolation dans ses chagrins, une heureuse assistance dans ses infirmités, une source d'agréments et de joie dans toutes les situations de la vie. Et quel trésor sur la terre pourrait valoir cette fidèle amie, cette tendre bienfaitrice ou plutôt cette providence de tous les instants: «Un pareil trésor, dit Salomon, est plus précieux que ce qu'on va chercher au loin et aux extrémités de la terre. Procul et de ultimis finibus pretium ejus.» (Prov., XXXI, 10.)
Tout irait mal dans une maison sans la femme, la femme sensée, bien entendu. C'est elle qui en est vraiment le génie tutélaire et qui en fait la prospérité, en y établissant l'ordre moral et matériel par sa sagesse, par sa surveillance, par son application aux détails du ménage et par une foule de soins que le mari ne saurait prendre aussi bien qu'elle.
Ce proverbe, auquel on ajoute souvent une contrepartie, en disant la femme fait ou défait la maison, existe depuis les temps les plus reculés. Il se retrouve dans les paroles suivantes de Salomon: Sapiens mulier ædificat domum suam: insipiens exstructam quoque manibus destruet. (Prov., XIV, 1.) «La femme sage bâtit sa maison: l'insensée détruira de ses mains celle même qui était déjà bâtie.»
On lit dans le Manava-Dharma Sastra, ou livre de la loi de Manou: La femme, c'est la maison, et dans un poëte indien: La femme, c'est la fortune.
Les Allemands ont ce proverbe: Die Haus Ehre liegt am Weib. «L'honneur de la maison est à la femme.»
«Les anciens, dit Jean-Jacques Rousseau, dans sa lettre à d'Alembert, avaient, en général, un très-grand respect pour les femmes; mais ils marquaient ce respect en s'abstenant de les exposer au jugement du public, et croyaient honorer leur modestie en se taisant sur leurs autres vertus. Ils avaient pour maxime que le pays où les mœurs étaient les plus pures était celui où l'on parlait le moins des femmes, et que la femme la plus honnête était celle dont on parlait le moins.» C'est sur ce principe qu'un Spartiate, entendant un étranger faire de magnifiques éloges d'une dame de sa connaissance, l'interrompit en colère: «Ne cesseras-tu point, lui dit-il, de médire d'une femme de bien?» De là venait aussi que, dans leur comédie, les rôles d'amoureuses et de filles à marier ne représentaient jamais que des esclaves ou des filles publiques.»
Quoique nous n'ayons point pour les femmes le même respect que les anciens, nous n'en avons pas moins adopté la maxime proverbiale dont ils se servaient, comme d'une espèce de criterium qui leur faisait reconnaître le degré d'estime qu'ils devaient à chacune d'elles. Il y a même dans notre langue une expression vulgaire qui vient à l'appui de cette maxime: c'est l'expression faire parler de soi. Quand elle s'applique à une femme, elle emporte toujours une idée de blâme, tandis qu'elle se prend généralement dans un sens d'éloge quand elle se rapporte à un homme. Cette femme fait parler d'elle est une phrase qui signifie que cette femme donne lieu à de mauvais propos sur son compte par une conduite répréhensible. Cet homme fait parler de lui se dit ordinairement pour exprimer que cet homme se distingue par ses talents ou par ses belles actions.
La femme la mieux louée est celle dont on ne parle pas. (Prov. chinois.)
La maxime qui veut que la femme la plus honnête soit celle dont on parle le moins a été attribuée par quelques-uns à Périclès, par quelques autres à Thucydide, quoique celui-ci ne la cite que comme un mot de Périclès, et par Synésius à Osiris. Elle a été désapprouvée par Plutarque au début de son traité Des vertus des femmes. «Il me semble, dit-il, que Gorgias estoit plus raisonnable, qui vouloit que la renommée, non le visage de la femme, fût connue de plusieurs.»
Si elle l'était, elle ne serait pas la bonne femme, c'est-à-dire celle qui se dévoue à la pratique de tous ses devoirs avec lesquels l'oisiveté mère des vices est incompatible; car, suivant une maxime de Pythagore «le phénix est une femme oisive et sage à la fois.»
Notre proverbe est l'expression d'une pensée qui domine dans le portrait que Salomon a tracé de la femme forte ou vertueuse. Voici ce portrait où l'on verra la réunion des qualités qui devaient constituer le caractère de la femme par excellence dans les mœurs primitives:
«Qui trouvera la femme forte? Elle est plus précieuse que ce qui s'apporte de l'extrémité du monde.
»Le cœur de son mari met sa confiance en elle, et il ne manquera point de dépouilles.
»Elle lui rendra le bien et non le mal pendant tous les jours de sa vie.
»Elle a cherché la laine et le lin, et elle a travaillé avec des mains sages et ingénieuses.
»Elle est comme le vaisseau d'un marchand qui apporte de loin son pain.
»Elle se lève lorsqu'il est encore nuit: elle a partagé le butin à ses domestiques et la nourriture à ses servantes.
»Elle a considéré un champ, et l'a acheté; elle a planté une vigne du fruit de ses mains.
»Elle a ceint ses reins de force, et elle a affermi son bras.
»Elle a goûté, et elle a vu que son trafic est bon; sa lampe ne s'éteindra point pendant la nuit.
»Elle a porté sa main à des choses fortes, et ses doigts ont pris le fuseau.
»Elle a ouvert sa main à l'indigent; elle a étendu ses bras vers le pauvre.
»Elle ne craindra point pour sa maison le froid ni la neige, parce que tous ses domestiques ont un double vêtement.
»Elle s'est fait des meubles de tapisserie; elle se revêt de lin et de pourpre.
»Son mari sera illustre dans l'assemblée des juges, lorsqu'il sera assis avec les sénateurs de la terre.
»Elle a fait un linceul et l'a vendu, et elle a donné une ceinture au Chananéen.
»Elle s'est revêtue de force et de beauté, et elle rira au dernier jour.
»Elle a ouvert sa bouche à la sagesse, et la loi de clémence est sur sa langue.
»Elle a considéré les sentiers de sa maison, et elle n'a point mangé son pain dans l'oisiveté.
»Ses enfants se sont levés et ont publié qu'elle était très-heureuse, son mari s'est levé, et il l'a louée.
»Beaucoup de filles ont amassé des richesses; mais vous (ô femme forte) les avez toutes surpassées.
»La grâce est trompeuse, et la beauté est vaine: la femme qui craint le Seigneur est celle qui sera louée.
»Donnez-lui du fruit de ses mains, et que ses propres œuvres la louent dans l'assemblée des juges.»
(Proverbes, ch. XXXI, trad. de Le Maistre de Sacy.)
Les femmes jugent mieux d'instinct que de réflexion: elles ont l'esprit prime-sautier, suivant l'expression de Montaigne; elles savent pénétrer le secret des cœurs et saisir le nœud des intrigues et des affaires avec une merveilleuse sagacité, et les soudains conseils qu'elles donnent sont presque toujours préférables aux résultats d'une lente méditation. C'est pour cela sans doute que les peuples celtiques leur attribuaient le don des oracles, et leur accordaient une grande influence dans les délibérations politiques. Ils disaient que si la raison de l'homme vient de la vie et de la science, celle de la femme vient de Dieu.
Les Hébreux, les Grecs et les Romains pensaient aussi que les femmes avaient des lumières instinctives qui leur venaient d'en haut. La Sulamite de Salomon, la Diotime de Platon et l'Égérie de Numa attestent, chez eux, l'existence de ce préjugé auquel l'Inde ne fut peut-être pas étrangère, comme le prouve le drame de Sacontala.
Les Chinois croient que les secondes vues chez les femmes ne valent pas les premières, et ils disent, par un proverbe semblable au nôtre: Les premiers conseils des femmes sont les meilleurs, et leurs dernières résolutions sont les plus dangereuses.
Il n'y a pas moyen de résister à la volonté de la femme. Ce qu'elle veut doit s'accomplir comme si Dieu le voulait.
En attribuant ainsi à l'opiniâtre vouloir du beau sexe une force égale à la puissance divine, on n'a fait que prêter une nouvelle forme à une pensée fort ancienne qu'on trouve dans ce passage des Troyennes d'Euripide: «Toutes les folles passions des mortels sont pour eux autant de Vénus;» et dans le 185e vers de l'Énéide de Virgile, liv. IX:
Les Latins avaient deux proverbes analogues, qu'ils appliquaient aux hommes comme aux femmes: «Nobis animus est deus. Notre esprit est un dieu pour nous.» «Quod volumus sanctum est. Ce que nous voulons est saint et sacré.» Le premier est rapporté en grec par Plutarque, et le second est cité par saint Augustin.
On connaît ce vers charmant de La Chaussée:
Il est issu de notre proverbe comme une fleur de sa tige.
Le crayon de Grandville a illustré ce proverbe d'un dessin qui offre une scène de la vie privée. On y voit un marchand tenant un cachemire, un mari lisant la facture avec une espèce de contorsion qui signifie que madame doit renoncer au précieux tissu, et celle-ci, pressant sur son sein le bras du Père Éternel, dont le geste commande la soumission au mari récalcitrant. Toutes les circonstances sont très-bien caractérisées, tous les détails sont rendus fort joliment; mais il est à regretter que l'artiste n'ait point songé à placer dans un coin le diable en tapinois, riant du Père Éternel qui a la bonhomie de soumettre sa volonté à celle de la femme.
Il est presque impossible de se détacher d'une femme qu'on aime. L'amant dépité contre sa maîtresse a beau jurer de la fuir; tous les serments que sa bouche prononce sont démentis par son cœur. Une attraction invincible le ramène sans cesse vers elle. Les efforts qu'il a faits pour relâcher les nœuds qui l'enlacent n'ont servi qu'à les resserrer davantage, et le voilà plus que jamais livré, corps et âme, à celle dont les regards si ravissants, les sourires si gracieux, les paroles si pleines de charme et les caresses si enivrantes, lui donnent, dans sa captivité, un bonheur qu'il n'eut pas dans son indépendance.
Le proverbe: Il n'est plus fort lien que de femme, s'applique aussi au lien conjugal que tant de maris bien marris se plaignent de ne pouvoir rompre.
Pour dire que, lorsqu'une personne fait tout ce qu'elle peut, il ne faut pas lui demander davantage.
Ce proverbe n'est pas juste sous tous les rapports; car en amour une femme donne plus que ce qu'elle accorde, puisque c'est l'imagination qui fait le prix de ce qu'on reçoit. Ses faveurs ont plus que leur réalité propre, suivant l'heureuse expression de Montesquieu. Voltaire a très-bien dit aussi: «L'amour est l'étoffe de la nature que l'imagination a brodée.»
Stendhal a exprimé la même idée par cette comparaison ingénieuse: «Aux mines de sel de Saltzbourg, on jette, dans les profondeurs abandonnées de la mine, un rameau d'arbre effeuillé par l'hiver; deux ou trois mois après, on le retire couvert de cristallisations brillantes: les plus petites branches, celles qui ne sont pas plus grosses que la patte d'une mésange, sont garnies d'une infinité de diamants mobiles et éblouissants; on ne peut plus reconnaître le rameau primitif.
«C'est ce que j'appelle cristallisation, c'est l'opération de l'esprit qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l'objet aimé a de nouvelles perfections.»
«C'est, dit-il encore, cet ensemble d'illusions charmantes qu'on se fait sur l'objet aimé que j'appelle cristallisation.»
Une jeune femme ne s'occupe guère que d'elle-même. Elle est enivrée de sa beauté au point de croire qu'elle n'a pas besoin d'autre séduction pour régner sur les hommes. Mais il n'en est pas de même d'une femme qui commence à vieillir. Elle sent que son empire ne peut plus se maintenir par des charmes qu'elle voit s'altérer chaque jour. Elle sacrifie sa vanité aux intérêts de son cœur; elle s'applique à fixer l'homme qu'elle aime par les attraits de la bonté; elle est toujours aux petits soins pour lui plaire, et il n'y a point de douces prévenances, de délicates attentions qu'elle ne lui prodigue.
Ce proverbe s'entend aussi de certaines fonctions domestiques confiées aux femmes. Il est reconnu qu'une vieille femme s'en acquitte plus soigneusement qu'une jeune. Par exemple: elle est bien meilleure garde-malade, car elle ne cherche pas autant à prendre ses aises et ne craint pas que la privation de sommeil lui donne un teint pâle avec des yeux battus.
C'est-à-dire toujours faible, toujours légère, toujours inconstante, etc.; tel est le jugement qu'en porte Virgile:
(Æneid., IV, 569.)
Ce que François Ier répétait dans le premier vers de ce distique inscrit par lui sur le panneau d'une fenêtre de Chambord:
Shakespeare s'écriait: «Frailty, thy name is Woman. Fragilité, ton nom est femme.»
Est-il permis de douter de la vérité proverbiale affirmée par un roi et par deux grands poëtes?—Pourquoi pas? répondent les femmes: la parole royale, jadis réputée infaillible, n'a plus de crédit aujourd'hui, et les paroles des poëtes n'en ont jamais eu. Un d'eux a dit, et il faut l'en croire, qu'ils réussissaient mieux dans la fiction que dans la vérité.
La glose, qu'on joint quelquefois au texte comme partie intégrante, ajoute que cet oiseau s'envole au premier instant et ne laisse qu'une plume dans la main de celui qui croyait le garder. C'est-à-dire, sans figure, que la femme est un être excessivement volage, qu'elle ne donne jamais sur elle de prise assurée et qu'elle ne peut être retenue dans aucun lien d'amour. Je n'ose dire qu'il en soit ainsi, quoique l'inconstance paraisse démontrée par une myriade d'exemples dont je n'ai pu trouver la vérité contestée dans aucune des apologies du beau sexe: mais je m'abstiendrai de dire le contraire tant que je verrai des ailes à l'oiseau.
Cela signifie que la foi promise par une femme est aussi fugitive que la trace d'une plume sur l'eau, ce qui est pris du trait suivant d'une épigramme de Catulle:
Ce que dit une femme à son crédule amant doit s'écrire sur le vent ou sur l'onde rapide.
Ce qui a beaucoup d'analogie avec le mot de Pittacus: «Les deux choses les plus changeantes sont le cours des eaux et l'humeur des femmes.»
Un proverbe des Scandinaves dit: Ne vous fiez point aux promesses de la femme, car son cœur a été fait tel que la roue qui tourne. Comparaison qui se retrouve appliquée à l'insensé dans ce verset de l'Ecclésiastique: Præcordia fatui quasi rota carri, et quasi axis versatilis cogitatus illius (XXXIII, 5). «Le cœur de l'insensé est comme la roue d'un char, et sa pensée comme l'essieu mobile.»
Les Orientaux expriment une idée analogue par cette triade proverbiale: L'amitié des grands, le soleil d'hiver et les serments d'une femme sont trois choses qui n'ont point de durée.
Les Espagnols ont ce proverbe qu'ils emploient dans le même sens que le nôtre: Quien prende el anguila por la cola y la mujer por la palabra bien puede decir que no tiene nada.—Qui prend l'anguille par la queue et la femme par la parole, peut bien dire qu'il ne tient rien du tout.
Un poëte, Alexandre Soumet, a mis dans la bouche de l'Antechrist, roi des enfers, les vers suivants contre l'inconstance et la perfidie des femmes:
(Divine Épopée, ch. IX.)
Ce mot proverbial est un trait d'humour de bon aloi. Tout y frappe et y surprend agréablement l'esprit. Les idées et les expressions en sont ingénieuses; leur assortiment est bien entendu; leur progression est habilement calculée pour amener naturellement et sans disparate le trait final qu'il serait difficile de prévoir: circonstance qui le rend bien plus piquant.
Voilà une fameuse hyperbole proverbiale! elle est traduite du texte latin: Mulieri ne credas, ne mortuæ quidem; lequel est lui-même traduit du grec. Diogénien, grammairien qui vivait sous l'empereur Adrien, dit dans son recueil de proverbes qu'elle fut imaginée par allusion à la funeste aventure d'un jeune homme qui, étant allé visiter le tombeau de sa marâtre, fut écrasé par la chute d'une colonne élevée sur ce tombeau.
Les Anglais expriment la même défiance envers les femmes, en disant que le diable assoupit rarement leurs mensonges dans la fosse: Seldom lies the devil dead in a ditch.
Manière originale et comique de classer la bonté de la femme parmi les infiniment petits. J'ai entendu citer quelquefois, en Provence, cette plaisanterie proverbiale, qui est également usitée en Italie, et je ne saurais dire avec certitude dans lequel des deux pays elle a pris naissance; mais comme elle me paraît remonter au delà du treizième siècle, je serais tenté de croire qu'elle a été imaginée par quelque troubadour qui aura voulu s'égayer aux dépens du sexe dans quelque sirvente satirique.
La femme a peu d'occasions de rire, et elle en a beaucoup de pleurer; mais, par compensation, elle sait tourner ces dernières à son avantage, et il faut bien croire que les larmes lui plaisent, puisqu'elle en répand à volonté. Ovide prétend que la facilité des larmes chez les femmes est le résultat d'une étude spéciale.
Ce proverbe, littéralement traduit du latin: Muliebres lacrymæ condimentum malitiæ, signifie que lorsqu'une femme veut vous servir un plat de son métier, elle y met ses larmes en guise de sauce.
On lit dans les distiques de Dyonisius Caton:
La femme qui pleure dresse des embûches au moyen de ses larmes.
Les Italiens disent: Due sorte di lagrime negli occhi delle donne, una di dolore, altra d'inghanni. Deux sortes de larmes dans les yeux des femmes, l'une de douleur et l'autre de tromperie. Ils disent encore: Le donne sono simili al coccodrillo: per prendere l'uomo piangono e presso lo divorano. Les femmes sont semblables au crocodile: pour prendre l'homme, elles pleurent, et une fois pris, elles le dévorent.
La chatte est un animal égoïste et perfide. Elle ne nous caresse pas, elle se caresse à nous, suivant l'expression de Rivarol, et dans ce manége, qui n'a que de douces apparences, elle nous fait sentir ses griffes acérées, sorties tout à coup du velours qui les recouvre. S'il fallait en croire le proverbe, la femme, à qui l'on suppose une nature féline, agirait de même, dans des vues personnelles et artificieuses. Elle ne chercherait auprès de l'homme que son propre intérêt et son propre plaisir; elle ne lui prodiguerait ses aimables cajoleries que pour déguiser les trahisons qu'elle médite contre lui. Cette accusation, qu'on prétend justifier par quelques faits particuliers, est généralement fausse et odieuse. J'en dis autant de la maxime suivante des Grecs rapportée par Stobée: «Rien n'est plus dangereux qu'une femme lorsqu'elle emploie les caresses.»
De telles incriminations sont détruites par leur exagération même. Il faut être sans cœur pour redouter un guet-apens dans les témoignages d'amour qu'on reçoit d'une belle, et pour supposer des griffes satanées aux mains satinées qu'elle tend à nos baisers.
Il faut que cet art soit de notoriété publique pour que son nom ait pu être supprimé dans le texte proverbial sans donner à personne l'embarras de le deviner. Est-il quelqu'un, en effet, qui ait besoin de consulter la glose pour savoir que c'est l'art de tromper? La glose dit que la femme la plus innocente est plus habile pour tromper que le diable le plus malin.
Je n'examinerai point si cette glose n'est pas pire que le texte, et s'il n'y a pas beaucoup à rabattre de cette opinion, si accréditée parmi les hommes, que la femme est un être pétri de ruse, de fausseté et de malice, qui met tout son esprit à ne pas se laisser deviner, pour mieux assurer le succès de ses artifices, et dont on ne doit attendre que d'amères déceptions. Je me borne à rapporter l'accusation publique formulée par le proverbe, sans prétendre la juger, et je laisse au beau sexe le soin d'y répondre, ce qu'il ne manquera pas de faire; car jamais femme, dit-on, n'a gâté sa cause par son silence.
Et sous le souffle du diable, le feu de l'homme se communique à la femme d'autant plus vite que la matière dont on la dit formée est plus inflammable. En un instant tous deux brûlent à l'unisson, et le diable, qui ne veut pas laisser leur combustion incomplète, continue à souffler de toute sa force, jusqu'à ce qu'il les ait bien enflammés. N'allez pas croire pourtant qu'ils soient réduits en cendres.
Et puis, le diable est obligé d'exercer son métier de souffleur sur tant de millions de couples, qu'il ne peut s'arrêter longtemps sur le même. Encore un moment, et vous allez voir celui qui se débat au milieu de l'incendie en sortir aussi frais que s'il venait de prendre un bain froid.
Ainsi le veut la nature qui, toujours soigneuse d'entretenir la durée par la modération, ne souffre pas que rien de violent soit durable, et ramène de l'excès qui détruit à la retenue qui conserve.
Qu'ils sont nombreux ces incendiés qui ont été rejetés tout à coup de l'enfer de feu dans l'enfer de glace!
La femme a de plus puissants moyens que le diable pour séduire et perdre les hommes: combien d'hommes, en effet, qui avaient eu la force de résister à leurs penchants criminels, ont fini par y succomber lorsque l'influence d'une femme est venue peser sur eux! Voyez les drames terribles qui se dénouent dans les cours d'assises: les catastrophes n'en sont-elles pas déterminées presque toujours par cette fatale influence?
Ce proverbe, qui était, je crois, un des axiomes de Méphistophélès, est traduit de ce texte latin du moyen âge: Quod non potest diabolus mulier evincit.
La femme, ou la fille la plus simple, est toujours fort habile dans les affaires qui intéressent son cœur. On dirait que l'amour lui donne la faculté de tout voir. Rien ne lui échappe. Elle sait mettre à profit tout ce qui lui est favorable et tourner à son avantage les circonstances les plus compromettantes. Rien de subtil et d'exercé comme son instinct. Elle trouve mille expédients mieux imaginés les uns que les autres pour se tirer d'embarras; elle agit avec adresse et résolution dans des conjonctures où l'homme le plus fin tâtonne et délibère, et elle atteint le but quand celui-ci consulte encore sur les moyens d'y arriver.
C'est-à-dire qu'elle prend l'homme dans ses piéges comme l'araignée enlace le moucheron dans sa toile. Cette métaphore proverbiale, usitée au quinzième siècle, n'est pas gracieuse, mais elle paraît juste, et son défaut de délicatesse est compensé par son énergie. Notons, d'ailleurs, que la dénomination d'araignée n'avait alors rien d'ignoble. Louis XI était appelé dans un sens élogieux l'Araignée universelle, à cause de son travail incessant à ourdir la toile dont il occupait le centre et dont il étendait partout les fils.
Cette variante du proverbe précédent ne s'applique guère qu'à une femme âgée dont l'œil, embusqué dans sa patte d'oie, reluque ardemment quelques jouvenceaux, comme l'araignée, tapie dans son réseau, guette quelque moucheron. Celle-ci n'est pas plus avide que l'autre d'avoir une proie à dévorer.
Les Orientaux disent: Que celui qui ne sait pas se donner d'occupation prenne femme. Mais leur proverbe est bien moins piquant que le nôtre, formé plaisamment d'une succession de traits inattendus, dont le dernier fait ressortir la naïveté malicieuse d'une manière vraiment comique.
Ce proverbe se trouve en langue romane dans le poëme de Flamenca:
Le conte suivant, rapporté avec quelques variantes de détails, dans plusieurs recueils étrangers, notamment dans les Veillées allemandes de Grimm, démontre fort bien l'extrême difficulté de garder une femme.
Un homme, qui se défiait de la fidélité de la sienne, appela un démon familier de sa connaissance et lui dit: «Mon bon ami, je vais faire un voyage, et je veux te confier la garde de mon honneur conjugal, pendant mon absence. Me promets-tu de ne laisser approcher aucun galant de ma maison?—Volontiers,» répondit le diable, ne prévoyant pas à quelle rude corvée il s'engageait; et le mari se mit en route, un peu rassuré sur les craintes dont il était assiégé. Mais il sortait à peine de la ville, que sa femme, pressée de se donner du bon temps avec ses amoureux, les avait déjà invités à venir tour à tour auprès d'elle. Le fidèle gardien chercha d'abord à faire manquer ces rendez-vous par toute sorte d'artifices. Bientôt après, sentant que son génie inventif n'y suffisait point, il entra en fureur et jura de traiter sans pitié tous les imprudents qui s'obstineraient à le contrarier. En effet, il assomma le premier qu'il surprit, noya le second dans une mare, enterra le troisième sous un tas de fumier, fit sauter le quatrième par la fenêtre, etc., etc., etc. Cependant, la dame était sur le point de tromper sa vigilance, lorsque le mari revint. «Ami, lui dit le diable tout essoufflé de fatigue, reprends la garde de ton logis; je te rends ta femme telle que tu me l'as laissée: mais à l'avenir, choisis un autre surveillant; je ne veux plus l'être, j'aimerais mieux garder tous les pourceaux de la forêt Noire que de forcer une femme d'être fidèle malgré sa volonté.»
Les Provençaux disent: Vourië mai tenir un panier dë garris qu'uno fillo dë vingt ans. «Il vaudrait mieux tenir un panier de souris qu'une fille de vingt ans.»
J'ai honte de rapporter ce grossier dicton, mais il tient à une circonstance nécrologique qui mérite d'être connue, et qui prouve, d'ailleurs, qu'il est gratuitement injurieux. Le seigneur des Accords nous apprend, dans son Chapitre des notes, qu'il est né de l'interprétation faite par les mauvais plaisants du monogramme lapidaire M. B., qui signifie Mulier Bona (femme bonne), et auquel ces messieurs ont voulu faire signifier Mala Bestia (mauvaise bête).
J'ajouterai que ce monogramme, qu'on inscrivait jadis sur les tombeaux des femmes, a donné lieu aussi à cet autre dicton: Les bonnes femmes sont toutes au cimetière.
Bonne mule, mauvaise bête.
Encore un dicton qui tient à l'interprétation que nos pères, grands amateurs de rébus, ont donnée abusivement au monogramme M. B. (Mulier Bona) dans lequel ils ont vu Mula Bona (mule bonne), tout aussi bien que Mala Bestia, ce qui a fait dire, en combinant les trois versions: Une bonne femme et une bonne mule sont deux mauvaises bêtes. A la vérité, le dicton: Bonne femme, mauvaise tête; bonne mule, mauvaise bête, n'indique la prétendue similitude des deux êtres que par un simple rapprochement, au lieu de la marquer en termes exprès; mais la réticence a été malignement calculée pour mieux attirer l'attention sur l'entêtement de la femme, auprès duquel n'est pas même compté celui de la mule, qui passe pourtant pour la bête la plus têtue. C'est un trait décoché avec une habileté perfide contre la tête féminine. Malgré cela, il ne reste pas moins impuissant que tous les autres traits auxquels cette tête a été destinée à servir de but. Elle est, dit-on, à l'épreuve de toutes les atteintes, par la faveur spéciale de Satan, toujours attentif à la conservation de son plus cher ouvrage; car sachez bien que Satan en a été le fabricateur. Ce n'est pas moi qui le dis; c'est un grave docteur in utroque jure. On lit dans le livre savant et curieux intitulé: Sylva nuptialis (la Forêt nuptiale), composé par Jean Nevizan, professeur de droit à Turin, au commencement du seizième siècle: «Dieu se plut à former dans la femme toutes les parties du corps qui sont douces et aimables; mais pour la tête, il ne voulut pas s'en mêler, et il en abandonna la façon au diable. De capite noluit se impedire, sed permisit illud facere dæmoni.»
Les impertinents prétendent que ce fait est hors de doute, attendu que l'ouvrage porte la marque de l'ouvrier.
Le mot tête se prend pour entêtement, volonté opiniâtre, dans ce vieux proverbe qui correspond très-exactement, par le sens et par l'expression, à la maxime latine du moyen âge: «Mulier non debet esse proprii capitis. La femme ne doit pas avoir une tête à elle,» c'est-à-dire ne doit pas agir d'après sa propre tête.
C'est assez d'une seule tête chez un couple conjugal. S'il y en avait deux, elles ne sauraient compatir ensemble, car deux têtes de cette espèce ne sont pas de celles qui puissent réaliser le symbole proverbial des deux têtes dans un bonnet. Elles se choqueraient sans cesse comme les têtes de deux béliers furieux, et Dieu sait quels graves accidents il en résulterait pour l'une et pour l'autre. Il faut donc que la femme renonce à la sienne, qu'elle se soumette à l'autorité raisonnable de son mari, et qu'elle n'ait d'autre volonté que la volonté de son mari.
Les Danois disent: Heureux ménage, lorsque la femme est sans volonté et qu'elle consulte son mari.
Je crois que ce proverbe n'est qu'une variante du précédent. Mais au lieu de s'entendre au figuré, il s'entend presque toujours au propre. Cette scandaleuse acception, qu'y attachent les mauvais plaisants, est provenue d'une singulière anecdote que j'ai racontée dans mes Études sur le langage proverbial, et que M. Édouard Fournier, dans un savant et spirituel article sur mon ouvrage, a redite en termes nouveaux que je vais lui emprunter, persuadé que les lecteurs auront probablement plus d'agrément à lire sa rédaction qu'à relire la mienne.
«Je ne répète, a-t-il dit, le proverbe, avec son commentateur, que pour le réfuter comme lui, et prouver, à votre plus grande gloire, mesdames, que son origine est un contre-sens.
»Au seizième siècle, pour dire renommée, on disait fame, du latin fama, d'où cette expression: bien ou mal famé.
»Ainsi, parlant de la renommée, Ronsard a écrit dans la quatrième hymne de son livre Ier:
»Les marchands qui ont toujours eu la manie de mettre sur leur enseigne une bonne renommée, qu'ils n'ont pas toujours, firent peindre au-dessus de leur boutique la bavarde déesse avec ces mots: A la bonne fame.
»Les peintres, qui savaient leur Virgile, n'avaient pas manqué de représenter la Renommée comme le demande le poëte, dans le 117e vers du quatrième livre de l'Énéide, c'est-à-dire la tête complétement perdue dans les nuages, inter nubila. De là vint l'erreur. En voyant cette déesse sans tête, avec ces mots sous ses pieds: A la bonne fame, on crut à une épigramme. Ce qui n'était, encore une fois, qu'un contre-sens, devint une malice qui court encore.»
Bouffonnerie excessivement drôlatique pour faire entendre que la femme n'a pas de cerveau, puisque les deux animaux, types de malice et de ruse, avec lesquels ce dicton veut la montrer apparentée de nature, ne fournissent point les substances dont il suppose que son cerveau est composé. C'est un trait facétieux de l'humeur gauloise, en prenant le mot humeur dans le sens qu'il avait autrefois et que les Anglais donnent à leur mot humour qu'ils ont pris du nôtre.
Notre-Seigneur Jésus-Christ et saint Pierre se promenaient un soir, à la nuit tombante, dit une vieille légende populaire. Ils entendirent des cris qui annonçaient une grande querelle. Le Fils de Dieu ordonna à son apôtre d'aller au plus vite à l'endroit d'où partaient ces cris et d'y faire régner la paix. L'apôtre y courut, et y vit une femme aux prises avec le diable. Il s'efforça de les séparer et de les mettre d'accord, mais il eut beau faire et dire, le diable et la femme le repoussèrent et leur dispute continua plus opiniâtre. Indigné de voir son autorité ainsi méconnue, il ne put maîtriser un mouvement de colère et, tirant son glaive, il coupa la tête à l'un et à l'autre. Puis il retourna auprès de son divin maître, à qui il raconta ce qu'il venait de faire. Le Seigneur lui reprocha vivement cette action criminelle et le renvoya auprès de ses victimes, afin de rajuster la tête de chacune d'elles au corps dont elle avait été séparée. Saint Pierre repartit en toute hâte, désireux de réparer le mal. L'obscurité était déjà un peu épaisse quand il arriva. Il retrouva à tâtons les deux têtes, les remit de même en leur place et, les ayant entendues recommencer aussitôt la dispute, il se retira, persuadé que rien ne manquait à son opération. Cependant ce merveilleux rebouteur avait fait une étrange méprise: prenant une tête pour l'autre, il avait adapté celle de la femme au cou du diable et celle du diable au cou de la femme. De là le dicton: Corps de femme et tête de diable.
«Tout le malheur des hommes, a dit Pascal, répété par Mme de Sévigné, vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre.» Tout le malheur des femmes vient aussi de ne pas savoir se tenir à la maison. En prenant des habitudes trottières, elles s'exposent à rencontrer fréquemment des séducteurs qui les perdent, comme les poules des renards qui les croquent. Ce proverbe, commun à presque tous les peuples modernes, est fondé sur une observation qui remonte à la plus haute antiquité où l'on avait pour maxime que la femme doit être sédentaire, ce qu'on exprimait encore sous forme symbolique, en réduisant en cendre l'essieu du char d'hyménée sur le seuil de la maison de l'époux, lorsque l'épouse y faisait son entrée avec lui, après la cérémonie nuptiale.
On sait que Phidias avait voulu rappeler cette maxime en sculptant pour les Éliens une statue de Vénus, dont le pied posait sur la carapace d'une tortue.
Alciat a fait de cette statue l'emblème de la femme vertueuse. «O belle Vénus, dit-il, que signifie cette tortue que vous pressez sous un pied délicat?—C'est une leçon que Phidias a voulu donner aux personnes de mon sexe. Il leur conseille, par cet emblème, de rester toujours attachées à leur maison comme la tortue, sans jamais y faire plus de bruit qu'elle.»
Ne sont pas de longue durée.
Le temps est pommelé lorsqu'il y a des couches de ces petits nuages blancs qui ressemblent à des flocons de laine et qui sont appelés, en quelques endroits, par une métaphore assez heureuse, les éponges du ciel. Ce signe, paraît-il quand il fait beau, c'est une preuve que les vapeurs se condensent; se montre-t-il quand il fait mauvais, c'est une preuve qu'elles se divisent, et, dans les deux cas, il indique un changement prochain dans l'état de l'atmosphère.—Le fard est un cosmétique pernicieux à la peau. Les femmes qui en font usage sont flétries bien promptement, et c'est là tout ce qu'elles gagnent à vouloir mettre sur leur visage plus que Dieu n'y a mis, comme dit le troubadour Pierre de Resignac ou Ricignac.—On lit à ce sujet dans la Somme de maître Drogon de Hautvillers, chanoine de Reims et professeur de droit civil, que «leurs visages sont des masques derrière lesquels sont cachées les figures que Dieu leur a données, et que c'est à elles que s'adresse cette apostrophe de saint Jérôme: «Par quelle audace levez-vous vers le ciel des visages que le Créateur ne reconnaît point[1]?»
[1] J'ai tiré ce fragment de maître Drogon d'un plus long fragment que M. Charles d'Héricault a cité dans son commentaire sur les œuvres de Coquillart.
Antoine Lasale, traducteur de Bacon, dit que, selon toute apparence, ce sont les femmes laides qui ont imaginé le fard, pour masquer tout à la fois et leur propre laideur et les agréments des belles.
Le poëte Brébeuf a composé cent cinquante épigrammes sur une femme fardée. Je n'y ai vu, en général, que l'abus de l'esprit contre l'abus du fard.
Il y a deux variantes de ce proverbe qu'on a converti en triade, en y ajoutant, tantôt feu de bourrée et tantôt pomme ridée, qu'on intercale entre temps pommelé et femme fardée.
Les dames parisiennes se fardaient beaucoup au dix-huitième siècle. Un étranger, à qui l'on demanda ce qu'il pensait de leurs charmes, répondit sans façon: «Je ne me connais pas en peinture.»
Enfant qui est nourri de vin
Et femme qui parle latin
Ne viennent pas à bonne fin.
Ce soleil est pluvieux, cet enfant est valétudinaire, et cette femme est supposée ne faire usage de son esprit que pour dominer ou tromper son mari.
On lit dans l'Histoire du Bas-Empire que l'empereur Théophile ne voulut pas épouser la belle Icasie, dont il était fort épris, parce qu'elle lui fit un jour une réponse si spirituelle qu'il en fut épouvanté.
«Une femme bel esprit, dit Jean-Jacques Rousseau, est le fléau de son mari, de ses enfants, de ses amis, de ses valets, de tout le monde. De la sublime élévation de son beau génie, elle dédaigne tous ses devoirs de femme et commence toujours par se faire homme à la manière de Mlle de Lenclos. Au dehors, elle est toujours ridicule et très-justement critiquée, parce qu'on ne peut manquer de l'être sitôt qu'on sort de son état et qu'on n'est point fait pour celui qu'on veut prendre. Toutes les femmes à grands talents n'en imposent qu'aux sots. On sait toujours quel est l'artiste ou bien l'ami qui tient la plume ou le pinceau quand elles travaillent; on sait quel est le discret homme de lettres qui leur dicte en secret leurs oracles. Toute cette charlatanerie est indigne d'une honnête femme. Quand elle aurait de vrais talents, sa prétention les avilirait. Sa dignité est d'être ignorée, sa gloire est dans l'estime de son mari, ses plaisirs sont dans le bonheur de sa famille… Toute fille lettrée restera fille quand il n'y aura que des hommes sensés sur la terre.» (Émile, liv. V.)
(Martial, XI, 20.)
On connaît cette pensée du vicomte de Bonald: «A un homme d'esprit il ne faut qu'une femme de sens. C'est trop de deux esprits dans un ménage.» Elle me rappelle la plaisante raison qu'allégua le troubadour Raymond de Miraval à sa femme en la répudiant: «Tu rimes comme moi: c'est assez d'un poëte dans un ménage.»
Mlle de Lespinasse disait: «Les femmes doivent être instruites, mais non savantes.»
Le préjugé contre les femmes savantes ou clergesses, comme on les appelait autrefois, était fort répandu dans le moyen âge, et les faisait passer pour magiciennes et sorcières. On croyait qu'elles étaient capables de faire éclore, par leur sueur, des monstres qui ne pouvaient être détruits qu'à force d'eau bénite et d'exorcismes. Il existe sur ce sujet diverses traditions plus absurdes les unes que les autres. Marchangy, dans son Tristan, ch. XXVI, en cite une d'après laquelle une femme savante de Ploujean (en Bretagne) aurait fait couver un œuf de serpent d'où serait sorti un dragon volant à trois têtes, qui ne se nourrissait que de sang humain.
L'opinion publique est aujourd'hui moins injuste pour les femmes qu'on nomme bas bleus. Elle se contente de les signaler comme ridicules, en faisant toutefois d'honorables exceptions en faveur de celles à qui on ne peut refuser de vrais talents ni attribuer des manières excentriques.
C'est-à-dire que si le mari n'a pas assez de savoir-faire pour lui en donner un, elle ne se fait pas scrupule de s'adresser à la cour des Aides, qui lui fournit le vrai moyen de prévenir le cas de déshérence. Ce proverbe est traduit de l'espagnol: Muger aguda no muere sin herederos. On croit qu'il fut introduit dans notre langue par la citation qu'en fit le comte de Grignaux au comte d'Angoulême, devenu depuis François Ier, pour détourner ce prince de courtiser Marie d'Angleterre, troisième femme de Louis XII.
Il se pourrait pourtant qu'il fût en France d'aussi vieille date qu'en Espagne. Quoi qu'il en soit, l'idée qu'il exprime se retrouve chez divers peuples, et il est probable qu'elle a suggéré à Shakespeare ces paroles d'Yago à Desdémona dans le second acte d'Othello: «Femme belle n'est jamais sotte. Elle aura toujours l'esprit de se faire un héritier.»
Saint Jérôme dit: «Qui non litigat cælebs est. Celui qui n'a point de dispute vit dans le célibat.» Ce qui paraît avoir été un proverbe de son temps, inventé probablement par quelque moine. Ainsi, il est décidé par l'autorité même d'un Père de l'Église que les querelles sont inséparables de l'état de mariage. Mais est-ce avec raison que le tort de ces querelles est imputé aux femmes seules, comme le fait entendre cet autre proverbe formulé par Ovide: Dos est uxoria lites.
Consultez ces dames: elles répondront toutes qu'il appartient en entier aux maris, qui ont voulu les charger des reproches qu'ils méritent eux-mêmes. Après cela, tâchez de résoudre, si vous le pouvez, une question qui divise le genre humain en deux opinions si tranchées. Le plus sage est de croire que ces opinions sont également fondées. Montaigne dit très-bien, à la fin du chapitre V du livre III de ses Essais: «Il est bien plus aisé d'accuser un sexe que d'excuser l'autre.»
Cependant, s'il fallait émettre son avis sur cette grave question, je n'hésiterais pas à prononcer que les femmes ont plus souvent raison que les hommes, en me fondant sur cette maxime chinoise, qui n'est pas moins vraie à Paris qu'à Pékin: «Un mari ne connaît pas assez sa femme pour oser en parler, et une femme connaît trop bien son mari pour pouvoir s'en taire.»
L'explication de ce proverbe se trouve dans ce distique latin d'un auteur du moyen âge:
Qu'y a-t-il de pire que le diable?—La femme querelleuse; car si l'on a recours aux prières le diable s'enfuit, et la femme devient plus enragée.
Salomon dit deux fois dans ses Proverbes (XXI, 9 et XXV, 24): «Il vaudrait mieux être assis en un coin sur le toit de sa maison que de rester avec une femme querelleuse sous le même toit.»
Dans un autre endroit il compare la femme querelleuse à un toit d'où l'eau dégoutte toujours: Tecta jugiter pestillantia litigiosa mulier. (Prov., XIX, 13.)
Le peuple dit: La femme est comme la botte: la meilleure est celle qui crie le moins.
Il y avait autrefois des bénéfices que, durant certains mois, les collecteurs patrons étaient obligés de conférer aux gradués de l'Université; mais ces gradués ne pouvaient y être nommés s'ils étaient mariés; de là ce proverbe dont le sens était qu'on ne pouvait cumuler deux avantages.
Les Italiens emploient dans un sens analogue cette facétieuse ironie: «Non si può avere la moglie ebbra e la botta piena. On ne peut avoir sa femme ivre et sa barrique pleine.»
On disait au treizième siècle: Le pire riens qui soit est une male femme, c'est-à-dire une méchante femme. Mais ce proverbe remonte beaucoup plus haut. L'idée qu'il exprime se trouve dans l'Iliade où Agamemnon s'écrie: «O femmes, lorsque vous tournez au mal, les furies de l'enfer ne sont pas plus méchantes.» En effet, dès qu'elles ont renoncé à cette retenue qui est le premier mérite de leur sexe, il n'y a point d'excès dont elles ne deviennent capables. C'est une vérité qu'ont mise en évidence de grands poëtes tragiques dans la peinture qu'ils ont faite des femmes perverses et cruelles. Voyez lady Macbeth, de Shakespeare; Médée, Cléopatre et Rodogune, de P. Corneille.
M. V. Hugo, dans sa Légende du beau Pécopin, charmant épisode de ses Lettres sur le Rhin, cite le proverbe suivant sur la méchanceté féminine: Les chiens ont sept espèces de rage, les femmes en ont mille.
Je ne sais quelles sont les sept espèces de rage des chiens, et encore moins les mille des femmes.
Il y a plusieurs autres dictons grossiers où les femmes sont assimilées aux chiens sous divers rapports, parmi lesquels ne figure point, on le pense bien, celui de la fidélité. Je m'abstiens de les reproduire, car ils ne peuvent donner lieu à aucune remarque susceptible de quelque intérêt; mais je rappellerai qu'une telle assimilation existait dans le langage proverbial des anciens. Elle avait été suggérée peut-être par une tradition mentionnée dans une poésie de Simonide. Ce poëte dit que Dieu forma la femme de la substance d'une chienne, et la fit semblable à sa mère: Mulierem ex cane fecit Deus, parenti suæ similem. Ces mots latins sont la traduction littérale du texte grec, dont le sens allégorique n'a pas été expliqué par les commentateurs.
Voilà un rapprochement qui présente la femme comme un être bien redoutable. L'est-elle donc à ce point?—Oui, s'il faut en croire l'Ecclésiastique, qui a fait de sa méchanceté un portrait effrayant, dont je ne citerai que ce trait analogue à notre proverbe: «Non est ira super iram mulieris. (XXV, 23.) Il n'y a pas de colère qui surpasse la colère de la femme.»
Virgile a dit: «On sait ce que peut une femme furieuse. Notumque furens quid fœmina possit. (Æneid., V, 6.)
La conclusion morale à tirer du proverbe, c'est qu'il faut avoir pour sa femme des procédés pleins de douceur; car plus son courroux est à craindre, plus il importe à l'homme de ne pas le provoquer.
Mulier malum necessarium, proverbe de tous les temps et de tous les lieux, pour signifier que l'homme ne peut se passer de la femme, et qu'il doit s'appliquer à vivre avec elle aussi bien que possible puisqu'il ne saurait vivre sans elle.
Un personnage de l'antiquité, qui avait épousé une femme presque naine, s'en excusait en disant: «J'ai choisi le plus petit des maux.»
C'était un préjugé assez généralement admis dans le moyen âge qu'une femme qui avait de la barbe ne pouvait manquer d'être sorcière, et qu'il fallait se garantir de l'approche de ce suppôt de Satan, en usant d'abord de certains procédés poliment calculés pour ne pas l'irriter et en recourant enfin à des moyens coercitifs, si faire autrement ne se pouvait. C'est là précisément ce que recommande ce vieux dicton en disant de la saluer de loin, un bâton à la main.
Dans un temps où tant de gens étaient accusés d'être sorciers par tant d'autres qui certainement ne l'étaient pas, on ne se bornait point à regarder la barbe chez les femmes comme un indice de sorcellerie, on se figurait aussi que leur vieillesse en était un non moins manifeste, lorsqu'elle offrait certain caractère de laideur, et de là est venue la locution proverbiale de vieille sorcière, qui s'est conservée pour désigner une femme vieille, laide et méchante. Cette qualification injurieuse fut fondée, suivant Gerson, sur ce que les femmes vieilles ont toujours eu plus de penchant à la superstition que les jeunes (Tract. contra superstitios, dierum observat.), ce qui ne veut pas dire que les jeunes en soient exemptes; car la superstition abonde dans tout cœur féminin, s'il faut en croire Martin de Arlès, qui a remarqué, dans son Traité des superstitions, que le nombre des sorcières a été en tout temps bien plus considérable que celui des sorciers.—Joignez à cela l'observation suivante faite par M. E. Pelletan: «La femme tourne aisément à la sorcellerie. Le jésuite Paul Leyman, envoyé comme inquisiteur en Allemagne pour y brûler des multitudes de sorciers, explique ainsi, dans son Malleus maleficarum, cette incorrigible condescendance de la femme à la volonté de Satan:—Le nom de femme, dit-il, vient de mulier, tendre; mulier vient de mollis, qui a engendré, à son tour, malleabilis, malléable; or, par cela même que la femme est malléable, elle est facile à pétrir, et le diable a toujours la main fourrée dans le pétrin.» (Feuilleton de la Presse, 31 janvier 1850.)
Lactance avait donné de mulier une étymologie, semblable quant au fond, qui était reçue chez les Latins. On lit dans son traité intitulé: De l'ouvrage de Dieu, ch. XVII: «Mulier vient de mollities, et signifie la faiblesse et la mollesse.»
Ce proverbe, qu'on divise quelquefois en deux, est une sentence émanée des anciennes cours d'amour. Il n'a une juste application qu'en matière de galanterie, pour signifier que la femme qui reçoit des présents d'un homme met son honneur en danger, et que celle qui fait des présents à un homme est tout à fait vile et déshonorée. J.-J. Rousseau a dit de cette dernière: «La femme qui donne est traitée par le vil qui reçoit comme elle traite le sot qui donne.»
Gabriel Meurier rapporte, dans son Trésor des sentences, ce distique proverbial, qui propose une excellente règle de conduite:
C'est-à-dire qu'une femme est incapable de garder un secret. Mais cela doit s'entendre d'un secret qui lui est confié et non d'un secret qui lui appartient en propre; car elle cache toujours très-bien ce qu'il lui importe personnellement de cacher; par exemple, son indiscrétion ne va presque jamais jusqu'à révéler son âge, pour peu que cet âge dépasse le chiffre de la première jeunesse, et si l'on veut la faire mentir à coup sûr, il n'y a qu'à le lui demander, comme le dit un proverbe qu'on trouvera commenté dans ce recueil.
La conclusion à tirer de ce proverbe, c'est qu'il ne faut confier aux femmes que les choses dont on désire que le public soit instruit.
Les Orientaux conseillent de se tenir en garde contre les trahisons attribuées, à tort ou à raison, à la langue féminine, en disant: Si la femme est mauvaise, méfie-toi d'elle; si elle est bonne, ne lui confie rien.
Ce proverbe paraît être une allusion à l'histoire de Job, dont Dieu fit, dit-on, mourir subitement la femme, quand il le délivra de tous ses maux, et lui rendit sa belle existence; car il jugeait impossible que le saint homme pût redevenir complétement heureux en conservant sa mauvaise compagne. Ce fait, qui ne se trouve point mentionné dans le texte sacré, est de tradition juive, et il doit être considéré comme une de ces fables imaginées par les rabbins pour expliquer et corroborer l'esprit de la Bible généralement hostile aux filles d'Ève.
Nous avons encore ce proverbe singulier sur l'avantage qu'un mari bien marri croit retirer de la mort de sa femme: A qui perd sa femme et un denier c'est grand dommage de l'argent. Les Italiens disent de même: Chi perde la sua moglie e un quattrino, ha gran perdita del quattrino.
Dure jusqu'à la porte.
Trop souvent, hélas! il ne va guère plus loin, et quelquefois même il y a lieu de soupçonner qu'il n'irait pas jusque-là s'il n'était accompagné du mécontentement que peut causer encore la présence de la morte. C'est un dernier effet de l'antipathie conjugale à laquelle cette contrariété semble communiquer une apparence de douleur, et voilà pourquoi l'on accuse les maris d'être toujours pressés de faire enterrer leurs femmes. On connaît le mot de celui qui ordonna de porter la sienne au cimetière au moment même où elle venait d'expirer. Comme on lui représentait que le corps était encore tout chaud: «Faites ce que je dis, s'écria-t-il en colère: elle est assez morte comme cela.»
Pour son repos et pour le mien!
Cette épitaphe épigrammatique passée en proverbe a été faussement attribuée à Piron; elle est du jurisconsulte Jacques du Lorens, connu par un recueil de satires imprimé en 1624. Nicolas Bourdon, poëte latin, ami de l'auteur, la reproduisit dans ce distique assez joliment tourné qu'on a pris à tort pour l'original:
Bientôt après elle fut traduite en anglais, en italien et en plusieurs autres langues, qui en firent comme la nôtre la devise de tout mari joyeux d'avoir enterré sa femme.
Dicton usité par plaisanterie parmi le peuple de Paris, en parlant d'une chose qui se fait attendre ou d'une espérance qui tarde à se réaliser. On prétend qu'il fut, dans le principe, un mot d'impatience échappé à un certain mari qui, témoin de l'agonie de sa femme, se désolait de la voir durer plus longtemps que la chandelle bénite, allumée, selon l'usage, au chevet du lit de l'agonisante.
Mauvaise plaisanterie de quelque Sganarelle. Celui de Molière en fait une de la même espèce. Lorsque la suivante de Célie l'appelle en s'écriant: «Ma maîtresse se meurt!» il lui répond:
Un proverbe espagnol venge le beau sexe de l'injustice du nôtre. Une femme y dit: «No es nada, sino que matan a mi marido. Ce n'est rien, c'est mon mari que l'on tue.»
Je partage le sentiment exprimé par La Fontaine dans les vers du début de sa fable intitulée la Femme noyée.
(Liv. III, fable XVI.)
Ce proverbe a été originairement une formule de droit coutumier. Plusieurs anciennes chartes de bourgeoisie autorisaient les maris, en certaines provinces, à battre leurs femmes, même jusqu'à effusion de sang, pourvu que ce ne fût pas avec un fer émoulu et qu'il n'y eût point de membre fracturé. Les habitants de Villefranche, en Beaujolais, jouissaient de ce brutal privilége qui leur avait été concédé par Humbert IV, sire de Beaujeu, fondateur de leur ville. Quelques chroniques assurent que le motif d'une telle concession fut l'espérance qu'avait ce seigneur d'attirer un plus grand nombre d'habitants, espérance qui fut promptement réalisée.
On trouve dans l'Art d'aimer, poëme d'un trouvère, la recommandation suivante: «Garde-toi de frapper ta dame et de la battre. Songe que vous n'êtes point unis par le mariage, et que, si quelque chose en elle te déplaît, tu peux la quitter.»
La chronique bordelaise, année 1314, rapporte ce fait singulier: «A Bordeaux, un mari, accusé d'avoir tué sa femme, comparut devant les juges et dit pour toute défense: «Je suis bien fâché d'avoir tué ma femme; mais c'est sa faute, car elle m'avait grandement irrité.» Les juges ne lui en demandèrent pas davantage, et ils le laissèrent se retirer tranquillement, parce que la loi, en pareil cas, n'exigeait du coupable qu'un témoignage de repentir.
Un de ces vieux almanachs qui indiquaient à nos aïeux les actions qu'ils devaient faire jour par jour donne, en plusieurs endroits, l'avertissement que voici: «Bon battre sa femme en hui.»
Cette odieuse coutume, qui se maintint légalement en France, suivant Fernel, jusqu'au règne de François Ier, paraît avoir été fort répandue dans le treizième siècle; mais elle remonte à une époque bien plus reculée. Le chapitre 131 des Lois anglo-normandes porte que le mari est tenu de châtier sa femme comme un enfant si elle lui fait infidélité pour son voisin. Si deliquerit vicino suo tenetur eam castigare quasi puerum.
Mahomet permet aussi aux musulmans de battre leurs épouses lorsqu'elles manquent d'obéissance. (Koran, IV, 38.)
Un canon du concile tenu à Tolède, l'an 400, dit: «Si la femme d'un clerc a péché, le clerc peut la lier dans sa maison, la faire jeûner et la châtier, sans attenter à sa vie, et il ne doit pas manger avec elle jusqu'à ce qu'elle ait fait pénitence.»
Il fallait que ce concile eût des raisons bien graves pour rendre cette décision. Sans cela, des ministres de la religion chrétienne, qui a tant fait pour l'émancipation et la dignité des femmes, auraient-ils pu concevoir la pensée de les soumettre à une pénalité si brutale et si dégradante? N'auraient-ils pas été conduits, au contraire, par l'esprit de cette religion où tout est douceur et charité, à proclamer le principe de la loi indienne du code de Manou, qui dit dans une formule pleine de délicatesse et de poésie: «Ne frappe pas une femme, eût-elle commis cent fautes, pas même avec une fleur.»
Remarquons, du reste, que le droit de battre n'a pas toujours appartenu aux maris exclusivement. La dame noble qui avait épousé un roturier pouvait lui infliger la correction avec des verges, toutes les fois qu'elle le jugeait convenable.
Rœderer dit dans son Histoire de François Ier: «Plusieurs monuments attestent que le règne de ce prince fut l'époque où le sexe, non content de se soustraire à la barbarie qui autorisait les maris, les obligeait même à corriger les épouses infidèles, établit encore l'usage plus révoltant qui autorisa les femmes infidèles ou fidèles à corriger et à battre leurs maris.»
Jean Belet, dans son Explication de l'office divin, parle d'un singulier usage de son temps: «La femme, dit-il, bat son mari à la troisième fête de Pâques, et le mari bat sa femme le lendemain. Ce qu'ils font pour marquer qu'ils se doivent la correction l'un à l'autre et empêcher qu'ils ne se demandent, en ce saint temps, le devoir conjugal.»
La raison pour laquelle les époux devaient s'abstenir du devoir conjugal, non-seulement pendant les fêtes de Pâques, mais pendant les autres fêtes et les dimanches, était fondée sur une superstition qui leur faisait craindre que les enfants procréés ces jours-là ne fussent noués, contrefaits, épileptiques ou lépreux. Cette superstition existait dès le sixième siècle. (Voyez Grégoire de Tours, de Mirac., S. Martini, lib. II, cap. XXIV.)
Les prêtres païens prescrivaient aussi la continence pendant les jours consacrés aux fêtes d'Isis, comme nous l'apprennent Ovide et Properce: le premier, dans la huitième élégie du livre Ier des Amours, et le second dans la trente-cinquième élégie de son livre II, où il se plaint de la longue séparation que cette déesse a imposée à des cœurs si brûlants de se réunir.
Proverbe traduit du roman Battre molher non li tol fol consire.
Arlequin a beau dire que les femmes ressemblent aux côtelettes, qui deviennent plus tendres quand elles sont bien battues, il faut se défier de cette tendresse qu'elles font paraître après les mauvais traitements; car ce n'est presque toujours qu'une feinte sous laquelle elles cachent des projets de vengeance. La brutalité des maris ne sert qu'à les rendre pires, et ceux-ci n'ont rien de mieux à faire que de prendre patience en enrageant. Je les engage dans leur propre intérêt à méditer sérieusement cet autre proverbe fort raisonnable: Celui qui frappe sa femme est comme celui qui frappe un sac de farine: tout le bon s'en va, et le mauvais reste.
C'est un vers du joli conte de Voltaire intitulé: Ce qui plaît aux dames. Mais ce vers n'est que la reproduction d'un proverbe antique, rapporté dans le Zend-Avesta, où une femme, sommée par les Mages de dire ce que chaque femme désire le plus, leur répond: «Être aimée et soignée de son mari, être maîtresse de la maison,» réponse pour laquelle ces prêtres indignés la font mourir sous leurs coups.
Nous avons aussi le proverbe rimé:
Être maîtresse en sa maison.
Le désir le plus vif et l'étude la plus constante des femmes, de mère en fille, depuis que le monde existe et dans tout pays, c'est donc d'être maîtresses. Elles ont, pour y parvenir, une tactique merveilleuse, qui ne se trouve presque jamais en défaut. Les hommes civilisés ne savent pas y résister, et le droit du plus fort dont ils se glorifient n'est rien en comparaison du droit du plus fin dont elles ne se vantent pas.
Un vieux Minnesinger, dans un accès de gynécomanie poétique, a cherché à montrer par une allégorie singulière que la femme est réellement la maîtresse. Il l'a représentée assise sur un trône superbe, avec une constellation de douze étoiles pour couronne et la tête de l'homme pour marchepied.
On a prétendu que dans l'antiquité le beau sexe fut généralement réduit à une espèce d'esclavage. Cet état, inconciliable avec le caractère dont il est doué, n'a pu exister que par exception et chez un petit nombre de peuples, et je pense qu'on pourrait établir contre l'opinion commune que la gynécocratie politique et la gynécocratie domestique ont été plus en usage dans les siècles antérieurs au christianisme que dans certains siècles postérieurs. Sans vouloir nier les améliorations que l'esprit de cette divine religion a fini par introduire dans l'état social de la femme, je vais présenter quelques faits historiques assez curieux à l'appui de mon assertion. La Bible et les poëmes d'Homère nous montrent les femmes libres dès les temps les plus reculés. On ne saurait tirer une preuve du contraire de ce que, à ces époques primitives, elles vivaient confinées dans l'intérieur des maisons. C'étaient les mœurs et non les lois qui le voulaient ainsi; car il n'y aurait pas eu de sécurité pour elles au dehors. Les inconvénients de cet état cessèrent à mesure que la civilisation se développa. Les femmes grecques jouissaient d'une liberté modérée qui dégénéra en indépendance pendant que leurs maris faisaient le siége de Troie. Plus tard, elles régnèrent chez elles et exercèrent souvent une influence puissante sur les affaires de l'État, comme nous le voyons dans Aristophane. Les dames romaines, d'abord tenues pour mineures, devinrent bientôt maîtresses. Caton l'Ancien signalait leur empire en disant: «Les autres hommes commandent à leurs femmes; nous, à tous les autres hommes, et nos femmes à nous.»
On sait que chez les Gaulois, les femmes possédaient une grande autorité et siégeaient dans le haut conseil de la nation. Elles étaient honorées par eux et par tous les peuples de la même race comme des êtres doués de lumières instinctives émanées du ciel. C'était un préjugé sacré que les druides avaient emprunté, dit-on, à la religion assyrienne à laquelle la leur ressemble en plusieurs points, et l'on a prétendu que ce fut en vertu de ce préjugé que Sémiramis fit une loi réputée longtemps inviolable qui attribuait aux femmes l'autorité sur les hommes. La législation des Sarmates prescrivit qu'en toutes choses, dans les familles et dans les villes, les hommes fussent sous le gouvernement des femmes. En Égypte, chaque mari devait être esclave de la volonté de la sienne: il s'y engageait formellement par une clause indispensable exigée dans tous les contrats de mariage. A Carras en Assyrie, il y avait un temple dédié à la lune, où l'on n'admettait que ceux qui faisaient hautement profession de se montrer toujours soumis à leurs épouses, et l'on assure que de toute la contrée les dévots pèlerins ne cessaient d'y affluer.
On a dit plus anciennement: Veut porter le haut-de-chausses, et plus anciennement encore: Veut chausser les braies, expressions parfaitement synonymes en parlant d'une femme qui aspire à maîtriser son mari. Fleury de Bellingen, auteur des Illustres Proverbes, a pensé que ces expressions avaient leur fondement dans l'histoire ancienne, et voici la singulière explication qu'il en a donnée: «La reine Sémiramis, prévoyant, après la mort de Ninus, son époux, que les Assyriens ne voudraient pas se soumettre à l'empire d'une femme, et voyant que son fils Zaméis, ou Ninias, comme le nomme Justin, était trop jeune pour tenir les rênes d'un si grand État, se prévalut de la ressemblance naturelle qu'il y avait entre la mère et l'enfant, se vêtit des habits de son fils et lui donna les siens afin qu'étant pris pour elle, et elle pour lui, elle pût régner en sa place. Plus tard, ayant acquis l'amour de ses sujets, elle se fit connaître pour ce qu'elle était et fut jugée digne du trône. Quand nous disons des femmes généreuses qu'elles portent le haut-de-chausses, nous faisons allusion à cette reine qui régna en habits d'homme.»
On trouvera sans doute que Fleury de Bellingen est allé chercher trop loin l'origine d'une locution qui, en la supposant antique, n'a pu naître que dans notre ancienne Gaule narbonnaise que les Romains appelaient Gallia braccata, parce qu'elle était le seul pays du monde où l'on portât des braies ou culottes. Cependant il aurait pu l'aller chercher plus loin encore, si la fantaisie lui en eût pris: son imagination, au lieu de s'arrêter à la reine d'Assyrie, n'avait qu'à remonter à la mère du genre humain. Il lui eût été même plus aisé de démontrer qu'Ève porta la culotte, dans le sens propre, comme dans le sens figuré, car la Genèse, parlant de nos premiers parents occupés à vêtir leur nudité, dit textuellement: Consuerunt folia ficus et facerunt sibi perizomata; ce qu'un ancien traducteur, Le Fèvre d'Estaples, a rendu en ces termes: «Ils cousirent des feuilles de figuier et s'en firent des braies.» (Édition de Genève, 1562). Bellingen aurait du moins obtenu par une telle explication le suffrage de toutes les femmes, charmées de voir dans un passage des livres saints la preuve irrécusable qu'elles n'ont pas moins que les hommes le droit de porter la culotte.
Mais faisons trêve à la plaisanterie, et cherchons une origine raisonnable. Hue Piaucelle, un de nos plus anciens trouvères, a composé un fabliau intitulé: Sire Hains et dame Anieuse. Ces deux époux n'étaient jamais d'accord. La femme contrecarrait sans cesse le mari. Celui-ci, fatigué, lui dit un jour: «Écoute, tu veux être la maîtresse, n'est-ce pas? et moi je veux être le maître. Or, tant que nous ne céderons ni l'un ni l'autre, il ne sera pas possible de nous entendre. Il faut, une fois pour toutes, prendre un parti, et puisque la raison n'y fait rien, décidons-en autrement.» Quand il eut parlé de la sorte, il prit un haut-de-chausses qu'il porta dans la cour de la maison et proposa à la dame de le lui disputer, à condition que la victoire donnerait pour toujours, à qui l'obtiendrait, une autorité pleine et entière dans le ménage. Elle y consentit: la lutte s'engagea en présence de la commère Aupais et du voisin Simon, choisis pour témoins. Sire Hains, après avoir éprouvé la plus opiniâtre résistance de dame Anieuse, finit par emporter le prix de ce combat judiciaire. L'abbé Massieu et le Grand d'Aussy ont pensé que le fabliau de Piaucelle a donné lieu à l'expression porter le haut-de-chausses; mais il n'a fait que la populariser, car il est positif qu'elle lui est antérieure.
On pourrait conjecturer qu'elle a dû s'introduire à une époque où les caleçons et les hauts-de-chausses faisaient partie de l'habillement des dames nobles, et où celles de ces dames qui avaient pris des maris bourgeois jouissaient du privilége de leur commander et même de les frapper avec des verges lorsqu'ils ne se montraient pas assez soumis. Mais une telle conjecture, quoique fondée sur un fait attesté par de graves et véridiques auteurs, A.-A. Monteil entre autres, me semble inadmissible comme la précédente, et pour la même raison. Je rejette toute origine historique, et je crois qu'on a naturellement attribué le costume du mari à la femme qui aspire à jouer le rôle du mari. C'est d'ailleurs ce qui se faisait chez les anciens. Denys de Syracuse, voulant punir un homme qui s'était laissé battre par sa femme, ordonna qu'il fût habillé en femme et que la femme fût habillée en homme, parce que la nature avait dû se tromper en les créant.
La locution porter la culotte est ce qu'on appelle un symbole parlé.
Voici l'origine historique justement assignée à cette locution par M. Chassan, auteur de la Symbolique du droit: «Grégoire de Tours, dans la Vie des Pères, ch. XX, et Ducange, au mot calceamenta, disent que le fiancé faisait présenter un soulier, ordinairement le sien, à sa future épouse. Il paraît même, d'après M. Ryscher, que c'était lui qui l'en chaussait. En se déchaussant, il s'exposait à marcher d'un pas moins ferme, et se plaçait ainsi dans une condition inférieure vis-à-vis de sa fiancée; en mettant lui-même le soulier au pied de sa fiancée, il s'humiliait devant elle, et de là vient que, pour désigner un mari que sa femme gouverne, on dit encore aujourd'hui en France qu'il est sous la pantoufle de sa femme. De là aussi le mot de Grimm, qui enseigne que la pantoufle est encore un symbole fort usité de la puissance qu'exerce la femme sur le mari.» (Poesie in Recht., § 10.)
Proverbe qui se trouve textuellement dans la comédie des Femmes savantes, mais qui est antérieur à cette pièce, comme le prouvent ces deux vers de Jean de Meung:
Quelques glossateurs prétendent qu'une femme qui se trouve avec son mari dans une société ne doit pas prendre la parole avant que son mari ait parlé, car le mot devant, disent-ils, est ici une préposition de temps qui remplace avant, comme dans cette phrase de Bossuet: «Les anciens historiens qui mettent l'origine de Carthage devant la prise de Troie.» Mais il est certain que leur érudition grammaticale les a fourvoyés. Le véritable sens est qu'une femme doit se taire en présence de son mari, et attendre qu'il lui donne langue, comme on disait autrefois. Un usage de l'ancienne civilité obligeait les femmes à demander aux maris la permission de parler, quand elles avaient quelque chose à dire devant des étrangers. La preuve en est dans plusieurs passages de nos vieux auteurs, notamment dans la phrase suivante de l'Heptaméron de Marguerite de Valois, reine de Navarre: «Parlemante, qui estoit femme d'Hircan, laquelle n'estoit jamais oisive et mélancolique, ayant demandé à son mari congé (permission) de parler, dist, etc.[2]»
[2] On a prétendu que cet usage était une dérivation des ordonnances de Numa Pompilius contre le caquet des femmes, qu'il voulait obliger de ne parler qu'en présence de leurs maris.
Les Persans disent: Quand la poule veut chanter comme le coq, il faut lui couper la gorge. Proverbe dont ils font l'application aux femmes qui veulent cultiver la poésie. Ce même proverbe existe en France de temps immémorial chez les habitants de la campagne, pour exprimer, au figuré, une menace peu sérieuse contre les femmes qui se mêlent de discourir et de décider à la manière des hommes, et, au propre, une observation d'histoire naturelle. Cette observation est que la poule cherche quelquefois à imiter le chant du coq, et que cela lui arrive surtout lorsqu'elle est devenue trop grasse et ne peut plus pondre, c'est-à-dire dans un temps où elle n'est plus bonne qu'à mettre au pot.
Il y a une superstition sur la poule qui coqueline. On croit, en Normandie, qu'elle annonce la mort de son maître, ou la sienne.
Les habitants de la vallée de la Garonne, qui s'étend entre Langon et Marmande, sont persuadés que par cette manière de coqueliner, qu'ils appellent chanter le béguey[3], elle présage une foule de malheurs.
[3] Béguey se dit pour coq et, par extension, pour chant du coq, dans l'idiome du pays. Chanter le béguey a été originairement une ellipse de chanter comme le béguey ou coq.
Voici ce que disait à ce sujet un feuilleton signé J. B., dans la Quotidienne du 15 août 1845: «Une poule vient-elle à chanter le béguey, il n'y a pas un instant à perdre, il faut la porter au marché, la vendre et consacrer le prix obtenu à l'acquisition d'un cierge dont vous ferez hommage à la paroisse. Si vous n'avez pas trouvé d'acheteur pour cette bête réprouvée, vous aurez la ressource de la peser après l'avoir attachée dans un linge blanc, et vous verrez ensuite si elle demeure parfaitement tranquille. Je suppose que vous avez essayé de tous ces moyens, et qu'aucun ne vous a réussi: décidez-vous alors à tordre le cou au volatile. Il ne cesserait de faire des contorsions, des soubresauts, et entretiendrait au milieu de la population de votre basse-cour une inquiétude continuelle et des terreurs sans nom. Mais surtout que personne ne porte la dent sur la chair de la victime.»
Les Romains avaient aussi leur superstition sur le chant de la poule. Ce chant présageait aux maris que la femme serait la maîtresse. Donat, grammairien latin du quatrième siècle, en a fait la remarque dans son commentaire sur Térence, en expliquant la phrase Gallina cecinit, «la poule a chanté», que ce comique a employée, acte IV, sc. IV, du Phormion.
Il est à peu près certain que, si elle répond à une telle question, elle ne le fera qu'aux dépens de la vérité, car elle voit trop d'avantages à être jeune et à le paraître pour qu'elle résiste à l'envie de se rajeunir un peu. De là cette accusation de mensonge formulée dans ce proverbe peu galant dont la LIIe des Lettres persanes offre le spirituel développement en action que voici:
«J'étais l'autre jour dans une société où je me divertis assez bien. Il y avait là des femmes de tous les âges; une de quatre-vingts ans, une de soixante, une de quarante qui avait une nièce de vingt à vingt-deux ans. Un certain instinct me fit approcher de cette dernière, et elle me dit à l'oreille: «Que dites-vous de ma tante qui, à son âge, veut avoir des amants et fait encore la jolie?—Elle a tort, lui dis-je, c'est un dessein qui ne convient qu'à vous.» Un moment après, je me trouvai auprès de sa tante qui me dit: «Que dites-vous de cette femme, qui a pour le moins soixante ans, qui a passé aujourd'hui plus d'une heure à sa toilette?—C'est un temps perdu, lui dis-je, et il faut avoir vos charmes pour devoir y songer.» J'allai à cette malheureuse femme de soixante ans et la plaignis dans mon âme, lorsqu'elle me dit à l'oreille: «Y a-t-il rien de si ridicule? Voyez cette femme qui a quatre-vingts ans, et qui met des rubans couleur de feu: elle veut faire la jeune, et elle y réussit, car cela approche de l'enfance.» Ah! mon Dieu! dis-je en moi-même, ne sentirons-nous jamais que le ridicule des autres? C'est peut-être un bonheur, disais-je ensuite, que nous trouvions de la consolation dans les faiblesses d'autrui. Cependant j'étais en train de me divertir, et je dis: Nous avons assez monté; descendons à présent, et commençons par la vieille qui est au sommet. «Madame, vous vous ressemblez si fort, cette dame à qui je viens de parler et vous, qu'il semble que vous soyez deux sœurs; je vous crois à peu près de même âge.—Vraiment, monsieur, me dit-elle, lorsque l'une mourra, l'autre devra avoir grand'peur; je ne crois pas qu'il y ait d'elle à moi deux jours de différence.» Quand je tins cette femme décrépite, j'allai à celle de soixante ans. «Il faut, madame, que vous décidiez un pari que j'ai fait: j'ai gagé que cette femme et vous, lui montrant la femme de quarante ans, étiez de même âge.—Ma foi, dit-elle, je ne crois pas qu'il y ait six mois de différence.» Bon! m'y voilà, continuons; je descendis encore et j'allai à la femme de quarante ans. «Madame, faites-moi la grâce de me dire si c'est pour rire que vous appelez cette demoiselle, qui est à l'autre table, votre nièce? Vous êtes aussi jeune qu'elle; elle a même quelque chose dans le visage de passé que vous n'avez certainement pas: et ces couleurs vives qui paraissent sur votre teint…—Attendez, me dit-elle, je suis sa tante, mais sa mère avait pour le moins vingt-cinq ans de plus que moi; nous n'étions pas de même lit; j'ai ouï dire à feu ma sœur que sa fille et moi naquîmes la même année.—Je le disais bien, madame, et je n'avais pas tort d'être étonné.»
»Mon cher Usbeck, les femmes qui se sentent finir d'avance par la perte de leurs agréments, voudraient reculer avec la jeunesse. Eh! comment ne chercheraient-elles pas à tromper les autres? elles font tous leurs efforts pour se tromper elles-mêmes, et se dérober à la plus affligeante de toutes les idées.»
Ironie proverbiale contre les prétentions outrecuidantes d'un paresseux qui voudrait qu'on lui fît sa besogne, d'un indiscret qui, en demandant quelque service, semble l'exiger, ou d'un impertinent qui se donne des airs de commander. Elle fait allusion à un usage autrefois répandu dans le Béarn et dans les provinces limitrophes, en vertu duquel le mari d'une femme en couches se mettait au lit pour recevoir les visites des parents et amis, et s'y tenait mollement plusieurs jours de suite, ayant soin de se faire servir des mets succulents. Une telle étiquette, désignée par l'expression faire la couvade, qui en indique assez clairement le motif, se rattachait probablement au culte des Geniales, dieux qui présidaient à la génération. Elle n'était pas moins ancienne que singulière. Le poëte Apollonius de Rhodes en a signalé l'existence sur les côtes des Tiburéniens, «où les hommes, dit-il, se mettent au lit quand les femmes sont en couches, et se font servir par elles». (Argonaut., ch. II.) Diodore de Sicile et Strabon rapportent qu'elle régnait de leur temps en Espagne, en Corse et en plusieurs endroits de l'Asie, où elle s'est conservée parmi quelques tribus de l'empire chinois. Les premiers navigateurs qui abordèrent au nouveau monde l'y trouvèrent établie. Il n'y a pas longtemps qu'elle était observée par les naturels du Mexique, des Antilles et du Brésil. Des voyageurs assurent qu'elle existe encore chez quelques sauvages de l'Amérique et chez certaines peuplades africaines; enfin, elle n'est pas entièrement tombée en désuétude dans la Biscaye française, où des personnes dignes de foi attestent en avoir été deux ou trois fois témoins dans ces dernières années.
Quant au nom de Godard, que le peuple applique aujourd'hui au mari d'une femme accouchée, il est, s'il faut en croire M. Bacon-Tacon, le même que celui de God-Art (le Dieu fort), donné, dit-il, à Hercule, que les païens imploraient dans les accouchements difficiles (Orig. celtiq., tome II, p. 401-402). Je ne conteste point une si savante étymologie; cependant il me paraît plus probable que ce nom a été formé du latin gaudere, se réjouir, se donner du bon temps. Il signifiait autrefois un homme adonné aux plaisirs de la table, habitué à prendre toutes ses aises. C'était un synonyme de Godon, autre vieux mot qu'on employait pour désigner un riche plongé dans toutes les jouissances d'une vie sensuelle. Le prédicateur Maillard s'en est servi dans plusieurs de ses sermons, notamment dans le vingt-quatrième, où le mauvais riche est appelé unus grossus Godon qui non curabat nisi de ventre. «Un gros Godon qui n'avait cure que de sa panse.»
Ajoutons que la formule: Servez monsieur Godard! cesse d'être ironique lorsqu'elle est appliquée à un homme à qui un enfant vient de naître. Elle est alors une espèce de félicitation équivalente à un Gloria Patri, une exclamation d'amical et joyeux enthousiasme en faveur de la paternité.
Proverbe fort ancien rappelé et expliqué par Ovide dans ces deux vers du premier chant de l'Art d'aimer:
La nuit fait disparaître bien des taches et oublier bien des imperfections. Elle rend toute femme belle.
Alors Hélène n'a aucun avantage sur Hécube, suivant l'expression d'Henri Estienne.
Les Grecs se servaient d'un proverbe analogue passé dans la langue latine en ces termes: «Sublata lucerna, nihil discriminis inter mulieres. Quand la lampe est ôtée, les femmes ne diffèrent pas l'une de l'autre.» Plutarque rapporte qu'une belle et chaste dame cita ce proverbe à Philippe, roi de Macédoine, pour l'engager à cesser les poursuites amoureuses dont il s'obstinait à l'obséder.
Nous disons trivialement dans le même sens: La nuit tous chats sont gris.
Les Espagnols disent: De noche, a la vela, la burra parece doncella.—La nuit, à la chandelle, l'ânesse semble demoiselle à marier. On sait que, si l'obscurité cache la laideur, la lumière du flambeau l'atténue beaucoup; d'où l'expression belle à la chandelle, en parlant d'une femme qui n'est pas belle au grand jour. C'est pour cela qu'Ovide conseillait aux amants de se défier de la clarté trompeuse de la lampe.
(De Arte amandi, I.)
Se dit pour signifier qu'on la préfère à toutes les autres à cause de sa beauté ou de ses grâces.
Cette expression, toute figurée chez nous, fait allusion à un usage qu'on prétend exister chez les Turcs et par lequel le sultan, ou un pacha, ou un seigneur, déclare à une des femmes le choix qu'il fait d'elle, en lui jetant un mouchoir. Mais tout porte à croire qu'un tel usage est imaginaire. Les auteurs qui en ont parlé ont consacré une erreur provenue probablement de ce que les fiançailles en Turquie et en Perse sont constatées par l'envoi que fait le futur époux à sa future d'un mouchoir brodé, d'un anneau et d'une pièce de monnaie. Ainsi les musulmans, à l'époque de leur mariage, envoient le mouchoir, et, dans leurs harems, ils ne le jettent pas.
Quelque fondée que soit la remarque qui vient d'être faite, elle n'empêchera point de conserver cette expression ainsi que ses analogues briguer le mouchoir, refuser le mouchoir, etc., qu'une galanterie peu délicate a introduites dans notre langue.
Il y a une pièce fugitive de Duault présentant le monologue d'un fat qui passe en revue dans son imagination un essaim de belles, à qui il se propose de jeter le mouchoir tour à tour. Cette pièce se termine par ces vers assez plaisants:
C'est à peu près ce qu'un de nos spirituels chansonniers, l'abbé de L'Attaignant, appelait «allumer son flambeau au soleil, et l'éteindre dans la boue».
Les dames romaines avaient pour Isis, ou plutôt pour Fauna, leur divinité spéciale, qu'elles appelaient la Bonne Déesse, un culte fervent et plein de mystères que les érudits n'ont pas su bien éclaircir. Elles en célébraient solennellement la fête avec les Vestales dans la maison du consul ou du préteur, sous la présidence de la femme de ce magistrat, lequel était obligé de rester absent de chez lui pendant la durée de cette fête, car aucun homme ne pouvait y être admis. L'année où Pompéia, troisième épouse de J. César, se trouva investie de cet important ministère, Clodius, ce lovelace romain, qui était d'intelligence avec elle, à ce qu'on suppose, voulut la voir dans l'appareil de ses fonctions pontificales, et il se glissa déguisé en joueuse d'instruments parmi les dévotes qui se rendaient à la cérémonie. Une esclave, nommée Abra par Plutarque, et Séprulla par Cicéron, avait été mise dans la confidence. Elle le cacha et lui promit de lui amener sa maîtresse. Mais, retenue auprès d'Aurélia, mère de César, cette esclave le fit tant attendre que, perdant patience, il sortit de sa cachette pour l'appeler et fut reconnu: afin d'éviter les regards qui se portaient sur sa personne, il se hâta de revenir sur ses pas, espérant que la chose n'aurait pas de suites. Cependant les matrones, averties, le cherchèrent de chambre en chambre, et finirent par le découvrir sous le lit d'Abra ou de Séprulla. Leur fureur était à son comble. Elles ne lui épargnèrent ni les injures ni les coups, et elles auraient sans doute poussé la vengeance aux excès les plus terribles s'il n'eût eu le bonheur de s'y soustraire en gagnant par la fuite le dehors de la maison.
Cette aventure scandaleuse souleva contre lui l'indignation générale. Il fut mis en jugement comme sacrilége, et, quoique son crime fût attesté par les dépositions les plus irrécusables, les juges, qu'il parvint à corrompre, le déclarèrent absous. César, appelé en témoignage dans le procès, ne voulut ni inculper ni disculper Pompéia, qu'il s'était contenté de répudier. Il dit qu'il ne savait rien, attendu qu'un mari était toujours le moins instruit en pareil cas, et comme on lui demanda pourquoi il l'avait renvoyée, il ajouta que la femme de César ne devait pas même être l'objet d'un soupçon. Apophthegme passé en proverbe pour signifier qu'il ne suffit pas que la conduite d'une femme soit irréprochable, qu'il faut aussi qu'elle soit crue telle.
La noblesse française avait jadis deux occupations importantes, la guerre et la chasse, et toujours elle se montrait sous le costume du guerrier ou celui du chasseur. Ainsi tout bon gentilhomme devait être inséparable de son épée et de son chien ou de son faucon, qu'il regardait comme des attributs de sa dignité. Il lui était défendu par des capitulaires de nos rois de s'en dessaisir, et même de les donner pour prix de sa rançon, s'il venait à être fait prisonnier, défense provenue sans doute par suite de l'opinion qui notait d'infamie celui qui serait revenu du combat sans ses armes. Quoi qu'il en soit, il attachait son honneur à ces objets comme à sa femme, et c'est à cette raison qu'il faut rapporter l'origine du proverbe.
C'est-à-dire qu'il ne faut pas exposer par ostentation aux regards des autres certains objets qu'on veut garder pour soi, attendu qu'une telle exhibition, n'étant propre qu'à exciter leur envie, peut avoir une foule d'inconvénients pour celui qui la fait. Ce proverbe est une variante de cet autre cité par Franklin: Celui qui montre trop souvent sa femme et sa bourse s'expose à ce qu'on les lui emprunte.
L'homme et la femme seraient incomplets l'un sans l'autre. Chacun d'eux ne forme qu'une moitié de l'être humain, dont l'intégralité ne peut résulter que de leur intime union. C'est une vérité morale aussi vieille que le monde et universellement répandue. Elle remonte à notre premier père, s'écriant, dans la joie de son cœur, à la vue de l'aimable compagne que Dieu lui présentait: «Voilà l'os de mes os, et la chair de ma chair. Elle s'appellera d'un nom qui marque l'homme, parce qu'elle a été prise de l'homme. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme; et ils seront deux dans une seule chair.» (Genèse, ch. II, v. 23-24.)
Les Védas disent que l'épouse est la moitié du corps de l'époux et considèrent le mariage comme supprimant la dualité de l'un et de l'autre pour les confondre dans une parfaite unité. Cet état a été fort bien figuré par le lingam primitif ou l'yoni lingam de la théorie hindoue, et par d'autres symboles analogues qu'il ne me paraît pas convenable d'expliquer ici, ni même de désigner nominativement.
Le plus ingénieux de tous, sans contredit, est celui qu'on trouve dans le Sympose ou Banquet de Platon. Suivant ce philosophe, l'homme et la femme ne faisaient originairement qu'une même personne qu'il nomme androgyne (homme-femme). Cette créature bissexuelle était si parfaite et si heureuse qu'elle excita la jalousie des dieux et des déesses. Par leur ordre, Apollon la divisa en deux corps, et Mercure arrangea dans ces corps les formes extérieures de leur individualité qui avaient été un peu endommagées pendant l'opération du dédoublement. Depuis lors, les moitiés disjointes ont une tendance invincible à se rapprocher pour constituer l'androgyne. On les voit partout y travailler de toute leur ardeur et de tous leurs efforts. Mais, hélas! elles ne sauraient y parvenir, à moins d'un très-grand miracle. Tristes jouets d'une continuelle méprise, elles sont à peu près comme ces enfants, changés en nourrice, qui prennent une parenté de hasard à la place de la parenté de nature. Des moitiés étrangères viennent presque toujours se substituer à celles qui furent créées l'une pour l'autre. Le sort ennemi, afin d'empêcher ces dernières de se rejoindre, ne leur permet pas de se reconnaître, les fait errer comme ces ombres de Dante, qui vont sans jamais s'arrêter, et les tient souvent séparées par des distances incommensurables. De là l'excessive rareté des bonnes unions et l'innombrable quantité des mauvaises.
N'oubliez pas cette allégorie, ô vous, pauvres êtres dédoublés, qui aspirez à ressaisir cette portion de vous-mêmes dont l'absence vous condamne à gémir, et surtout ne vous imaginez pas que vous pourrez la retrouver à Paris. Il vaudrait peut-être mieux l'aller chercher aux antipodes.
Une femme qui met beaucoup de temps à sa toilette en emploie fort peu aux occupations du ménage. Les Espagnols disent: La mujer, cuanto mas mira la cara, tanto mas destruye la casa, ce qui est rendu exactement par cet ancien jeu de mot proverbial:
Il fut un temps où la principale occupation des dames était de filer. De vieux portraits les représentent avec une quenouille attachée sur le sein du côté gauche, et avec un miroir suspendu à leur ceinture du côté droit. Elles ne quittaient guère ces deux attributs; ils étaient, pour ainsi dire, les pièces essentielles de leur costume. Mais l'un faisait tort à l'autre, et celui du travail devait être fréquemment négligé pour celui de la coquetterie. Le dernier finit par l'emporter. Les dames cessèrent de filer et se mirèrent tout à leur aise.
Jean de Caurres, auteur du seizième siècle, dit dans ses Œuvres morales que les courtisanes et damoiselles masquées[4] de son temps portaient le miroir sur le ventre: «O bon Dieu! hélas! s'écrie-t-il, en quel malheureux règne sommes-nous tombés de voir une telle dépravation sur la terre, que nous voyons jusques à porter en l'église les miroirs de macule pendants sur le ventre.» Il ajoute qu'un pareil usage tendait à devenir général: «Si est-ce qu'avec le temps il n'y aura bourgeoise ne chambrière qui par accoutumance n'en veuille porter.» Cependant cet usage ne s'est pas conservé. Le beau sexe l'a jugé inutile depuis que les moindres appartements ont été ornés de trumeaux et de glaces où il peut se mirer et s'admirer de la tête aux pieds.
[4] On appelait damoiselles masquées certaines dames qui, voulant courir les aventures galantes sans être reconnues, se couvraient le visage d'un masque de velours auquel on donna le nom de loup, dérivé, non de lupus, mais de lobus, cosse.
Salomon assimile l'homme entraîné par la femme qui l'a séduit au taureau mené comme une victime au sacrifice: Eam sequitur quasi bos ad victimam. (Prov., VII, 22.)
Saint Cyprien dit que les femmes sont des démons qui font entrer les hommes en enfer par la porte du paradis.
Suivant un proverbe oriental: Il faut craindre l'amour d'une femme plus que la colère d'un homme.
On lit dans le Furetériana le résumé suivant des principales accusations des hommes contre les femmes: «Que de maux elles ont causés dans le monde! Adam en a été séduit, Samson dompté. La sainteté de David en a été troublée, Salomon en a perdu la sagesse. Ce fut une femme qui fit renoncer saint Pierre à Notre-Seigneur. Elle fit plus d'effet sur l'esprit de Job que le diable, qui ne put l'ébranler. Le poëte Codrus disait que le ciel ne contenait pas tant d'étoiles ni la mer tant de poissons que la femme a de fourberies cachées dans son cœur. Barthole disait que toutes les femmes sont mauvaises, et qu'il n'est pas besoin de faire des lois pour les bonnes femmes, parce qu'il n'y en a point. Hippocrate nous assure que la malice est naturelle à la femme. L'auteur de l'Ecclésiastique, aussi illustre en sagesse parmi les Hébreux que Thalès en philosophie entre les Grecs, nous a laissé par écrit que la source du péché nous est venue de la femme; qu'il vaudrait mieux demeurer avec un lion ou avec un dragon qu'avec une mauvaise femme (ch. XXV) et même que les crimes des hommes sont plus supportables que les bienfaits des femmes: Melior est iniquitas viri quam mulier benefaciens (ch. XLII). Entre toutes les bêtes sauvages, dit saint Chrysostome, il n'y en a point qui soit plus dangereuse que la femme. Pandore répandit toute sorte de maux sur la terre; Hélène causa la mort de tant de milliers d'hommes; Déjanire fit mourir Hercule son mari, un des plus fameux héros qui aient jamais été; les Danaïdes et les filles d'Egyptus tuèrent leurs maris en une nuit. Salomon dit qu'il a trouvé la femme plus amère que la mort. De mille hommes, ajoute-t-il, il ne s'en trouve qu'un de bon; mais, parmi toutes les femmes, il n'y en a pas une de bonne. (Ecclésiaste, ch. VII.) Les chrétiens leur ont ôté le maniement de l'Église, les philosophes ne les ont pas voulu admettre dans la philosophie, les jurisconsultes leur ont défendu le barreau, les mahométans les ont exclues du paradis et les ont mises au rang des esclaves. Il serait cependant agréable de chanter les louanges de Dieu, de philosopher, de plaider, d'être en paradis avec des femmes. Il faut bien qu'il y ait de leur faute à tout cela.»
Oui, sans doute, il y a de leur faute; mais il y a beaucoup plus de celle des hommes, qui sont presque toujours injustes, ingrats et tyranniques envers elles, qui leur aigrissent et leur faussent le caractère, qui les forcent à recourir à la ruse, à la dissimulation et à la vengeance. Aussi ont-elles raison de retourner contre eux le proverbe, en disant: L'homme perd la femme. Il la perd par son indifférence, par son égoïsme, par sa défiance, par ses calomnies, par ses outrages, enfin par une foule d'erreurs, d'inconséquences et de torts de sa conduite anticonjugale. Ce n'est pas tout: non-seulement il la perd, en ne l'aimant pas comme il devrait l'aimer; il la perd encore en l'aimant d'une manière déraisonnable; car il arrive ordinairement que plus un mari aime sa femme, plus il augmente les travers qu'elle peut avoir; tandis que, au contraire, plus une femme aime son mari, plus elle le corrige de ses défauts.
Je ne prétends pas m'ériger en apologiste enthousiaste de la femme, ni rehausser son mérite en rabaissant celui de l'homme. Je conviens qu'elle a aussi de nombreux défauts qui déparent ses qualités; mais je crois qu'en général ses qualités lui appartiennent en propre et que ses défauts lui viennent de nous. Il en est d'elle comme de ce rosier qui croît sans épines, sur le sommet des hautes Alpes, et qui se hérisse de pointes acérées quand il est cultivé dans nos jardins. En la faisant descendre de la région élevée où elle se développerait sous de célestes influences, en la plaçant dans un mauvais milieu, où elle est privée de l'air pur dont elle a besoin; en lui donnant une culture trop artificielle, et souvent en opposition avec ses aptitudes natives, nous abâtardissons cette belle créature de Dieu, nous la rendons différente d'elle-même, nous la transformons en un nouvel être presque entièrement factice, tant nous sommes habiles à contrarier les facultés de sa nature et à les vicier par le mélange de quelque élément de dégénération qui les fait tourner à mal et produit des effets pernicieux, de même qu'une certaine malignité de séve dans le rosier transplanté rend sa floraison épineuse.
Ne nous en prenons donc qu'à nous si la femme a tant d'imperfections, et n'ayons pas la sottise de les lui reprocher, au moins celles qu'elle a contractées par notre faute. Il serait meilleur et plus juste de chercher le bon moyen de l'en corriger, en commençant par nous corriger nous-mêmes des vices qui les lui ont communiquées. Les deux sexes n'ont pas été créés et ils ne s'unissent pas pour vivre en état de guerre permanente. Leur serait-il impossible de terminer ou de rendre moins dures des hostilités incompatibles avec le repos et la moralité de tous deux?
Ah! si le mariage pouvait être ramené à cette confiance réciproque, à cette entente cordiale, à cet échange délicieux de pensées et de sentiments dont l'absence n'y laisse place qu'aux amertumes et aux déceptions, combien cet état contribuerait à l'amélioration et au bonheur de l'homme et de la femme! il est évident qu'il les rendrait meilleurs, puisqu'ils y seraient affranchis des passions qui les pervertissent, et plus heureux, parce qu'ils y jouiraient avec une sécurité inaltérable de toutes les délices que pourrait leur donner un amour épuré et devenu pour eux une vertu.
Qui décrira la suprême félicité de deux époux également animés du double zèle de l'amour et du devoir, de l'amour qui fortifie le devoir, et du devoir qui purifie l'amour!… Que de secrets merveilleux, de dons célestes, la femme trouverait dans le fonds inépuisable de sa tendresse plus délicate, plus ingénieuse, plus pénétrante que celle de l'homme, pour le réjouir et l'enivrer de plus en plus! Elle lui donnerait un nouveau paradis qui vaudrait bien celui qu'il l'accuse de lui avoir fait perdre.
Mais pourquoi parler d'une chose impossible à réaliser? Le diable a flétri cette prime fleur de nature qu'eut la femme dans l'Éden, et l'on chercherait en vain à lui rendre son parfum et sa fraîcheur. Elle s'est desséchée sous la mauvaise culture de l'homme. Il n'y a déjà plus dans sa séve de vertu qui puisse la régénérer. Elle ressemble à l'arbre aux fruits amers dont parle le grand poëte persan Ferdouci: «On aurait beau planter cet arbre en paradis, l'arroser avec l'eau du fleuve de l'éternité, humecter ses racines du miel le plus doux, il conserverait toujours sa nature et ne cesserait de porter des fruits amers.»
J'abandonne cette thèse chimérique et je reviens au but que je me suis proposé dans cet article. Il a été de démontrer l'injustice des reproches que les hommes adressent aux femmes. Je crois avoir opéré cette démonstration. Il ne me reste qu'à y joindre un corollaire: c'est que toutes ces sottes accusations, à l'appui desquelles ils citent la fable et l'histoire, sont inadmissibles au tribunal de la raison. La fable ne prouve rien, et l'histoire prouve, au contraire, que les femmes ont toujours fait moins de mal que les hommes.
Avis aux belles qui se flattent que l'Hymen leur laissera la royauté qu'elles ont reçue de l'Amour, sans penser que l'Hymen et l'Amour sont deux frères ennemis, et que l'Hymen n'est pas solidaire des engagements de l'Amour.
Les vers suivants de Corneille, dans la tragédie de Polyeucte (act. Ier, sc. III), offrent l'explication de ce proverbe, qui forme lui-même un vers heureux:
On a fait cette remarque de linguistique assez curieuse, c'est que l'homme dit toujours ma maîtresse pour désigner celle qu'il aime, et que la femme ne donne jamais le nom de maître à son amant. Elle sent bien qu'en pareil cas le nom paraîtrait dérisoire, et elle le réserve pour son mari, lors même qu'elle tient celui-ci sous sa domination absolue.
Une femme avait un mari qui passait tout son temps dans sa bibliothèque; elle alla l'y trouver un jour, et lui dit: «Monsieur, je voudrais bien être un livre.—Pourquoi donc, madame?—Parce que vous êtes toujours après.—Je le voudrais bien aussi, répliqua-t-il, pourvu que ce fût un almanach dont on change chaque année.» C'est de cette répartie maritale que les parémiographes font dériver le proverbe. Pour moi, je crois qu'il a dû son origine à un usage historique d'après lequel les contrats matrimoniaux ont pu être naturellement assimilés aux almanachs. Cet usage, provenu sans doute de la polygamie autrefois fort commune chez les Celtes, permettait de changer de femme. Le fait était assez fréquent en Champagne dans le neuvième siècle. Il y fut prohibé par le concile tenu à Troyes, en 878; mais l'autorité ecclésiastique ne parvint pas à le faire cesser entièrement, ni en cette province ni en d'autres, où il se maintint sous la protection de certain droit coutumier. C'est au pays basque surtout que se pratiquait cette espèce de mariage temporaire, comme nous l'apprend Jean d'Arérac dans son livre intitulé Pandectes ou Digestes du droit romain en français (ch. VI de la loy De quibus). La même chose avait lieu dans les Hébrides et autres îles (Martin's Hebrides, etc.). Elle existait encore, dans le pays de Galles, à la fin du siècle dernier, si l'on en croit un article du Moniteur de l'an IX. On lit dans cet article: «Chez les Gallois, on distingue deux sortes de mariages: le grand et le petit. Le petit n'est autre chose qu'un essai que les futurs font l'un de l'autre. Si cet essai répond à leurs espérances, les parents sont pris à témoin du désir que forment les candidats de s'épouser. Si l'essai ne répond pas à l'idée qu'ils en avaient conçue, les époux se séparent, et la jeune fille n'en éprouve pas plus de difficultés pour trouver un mari.»
On sait que Platon, dans sa République, substituait aux mariages des unions temporaires.
Lui-même se déshonore.
Il faut avoir pour sa femme une tendresse décente et respectueuse, une considération bienveillante et soutenue; car l'honneur d'une femme est, en grande partie, l'ouvrage de son mari; et celui qui, violant ces devoirs, fait déchoir la sienne du rang moral qu'elle doit occuper, se flétrit et se dégrade lui-même.
On emploie dans un sens analogue cet autre proverbe beaucoup plus usité: C'est un vilain oiseau que celui qui salit son nid.
Ce proverbe est une conclusion rigoureuse qu'on a tirée des médisances et des calomnies auxquelles la conduite des femmes a été de tout temps exposée. S'il fallait en croire leurs détracteurs, il serait difficile d'en trouver une seule qui laissât échapper l'occasion favorable d'être infidèle. C'est une accusation odieuse qui se réfute par son exagération même, et les femmes ne la méritent peut-être pas autant que les hommes. Mais ceux-ci se sont réservé le privilége exclusif de n'imputer qu'à elles seules les trahisons conjugales dont ils leur donnent souvent l'exemple, et dont, en bonne justice, ils devraient être responsables. S'ils espèrent gagner quelque chose à cela, qu'ils se détrompent, et qu'ils sachent bien qu'à force de leur reprocher d'être trompeuses ils les portent à devenir telles: car, en leur répétant sans cesse qu'ils les croient incapables de garder la foi promise, ils ne sauraient réussir à la leur rendre plus sacrée. Se figureraient-ils, par hasard, qu'elles seront assez simples pour s'attacher, en pure perte, à l'observation d'un devoir qu'elles n'accompliraient pas sans être accusées de le violer? Ou bien se flatteraient-ils qu'elles voudront y tenir par un prodigieux effort de l'esprit de contradiction qu'ils leur supposent? Il est plus que probable qu'elles ne prendront pas des peines inutiles pour les démentir, et qu'elles trouveront plus commode et plus agréable de se venger d'eux en les traitant ainsi qu'ils le méritent. La dépense en étant déjà faite, comme on dit, elles n'ont plus rien à ménager.
Voilà le résultat ordinaire de la mauvaise opinion que les hommes se font de la fidélité des femmes. Il est moins au détriment de ces dames qu'à celui de ces messieurs. Les accusations qu'ils dirigent contre elles sont des armes perfides qui leur tournent dans la main et les blessent eux-mêmes, et, s'ils étaient mieux avisés, ils ne les emploieraient pas. D'ailleurs, cette humeur guerroyante contre le sexe n'est pas de bon ton, et ne peut que faire mal augurer de ceux qui s'y livrent. Les jeunes gens feront bien de ne pas la prendre, et les maris encore mieux de s'en défaire. En agissant ainsi, les premiers se donneront un aimable relief de politesse et de galanterie qui leur attirera quelque regard sympathique des belles, et les seconds éviteront de mettre le comble au malheur de leur situation par un odieux ridicule: car le monde est toujours prêt à soupçonner qu'un mari qui dénigre les femmes doit être fort mécontent de la sienne, et qu'il tire secrètement de l'infidélité de celle-ci, par une conclusion du particulier au général, les arguments dont il se sert pour nier la vertu de toutes les autres. Il a beau retrancher la trahison qu'il éprouve du nombre infini des trahisons dont il les accuse, on ne voit que lui parmi tous les sots derrière lesquels il se cache, et ses accusations ne paraissent que des vengeances de Sganarelle.
C'est ce qu'a dit saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens: Non est creatus vir propter mulierem, sed mulier propter virum (XI, 9), et ses paroles sont passées en proverbe pour signifier que la femme doit être soumise à l'autorité de son mari. Mais l'apôtre n'a point entendu que cette autorité pût être arbitraire et tyrannique, puisqu'il a dit aussi, au chapitre VII de la même épître, que, si la femme appartient au mari, de même le mari appartient à la femme, et que tous deux ont des devoirs à remplir l'un envers l'autre.
C'est de l'observation de ces devoirs, réciproques et conformes à la nature de chacun des époux, que dépendent et le bonheur de leur union et le succès de la mission sociale qu'ils ont à poursuivre ensemble. Et qu'on ne s'imagine pas que l'action de l'homme, pour atteindre ce double but, soit supérieure à celle de sa compagne. On pourrait plutôt démontrer que celle-ci l'emporte sur lui si l'on comparait les avantages qui proviennent de leurs rôles respectifs. Mais il ne serait pas rationnel d'attribuer, d'après ces avantages particuliers, la prééminence à l'un des collaborateurs dans une œuvre qui est également due à tous deux, et qui ne peut être accomplie qu'au moyen de l'entente parfaite et des soins bien combinés de l'un et de l'autre. Admettons donc qu'il y a parité de valeur entre eux dans leur coopération, en reconnaissant toutefois que cette valeur résulte de qualités différentes; car chaque sexe a les siennes propres, et l'on ne saurait voir dans l'homme et la femme que des rapports et des différences, ainsi que l'a remarqué J.-J. Rousseau, dont le passage suivant revient au sujet que je traite.
«La raison des femmes est une raison pratique qui leur fait trouver très-habilement les moyens d'arriver à une fin connue, mais qui ne leur fait pas trouver cette fin. La relation sociale des sexes est admirable. De cette société résulte une personne morale dont la femme est l'œil et l'homme le bras, mais avec une telle dépendance l'une de l'autre que c'est de l'homme que la femme apprend ce qu'il faut voir, et de la femme que l'homme apprend ce qu'il faut faire. Si la femme pouvait remonter aussi bien que l'homme aux principes, et que l'homme eût aussi bien qu'elle l'esprit des détails, toujours indépendants l'un de l'autre, ils vivraient dans une discorde éternelle, et leur société ne pourrait subsister; mais, dans l'harmonie qui règne entre eux, tout tend à la fin commune; on ne sait lequel met le plus du sien, chacun suit l'impulsion de l'autre, chacun obéit, et tous deux sont les maîtres.» (Émile, liv. V.)
C'est-à-dire que les trois choses principales auxquelles la femme consacre toute sa journée sont la toilette, la causerie et le sommeil, car elle ne quitte guère ses atours que pour se mettre dans son lit, où elle a grand besoin de se délasser, après tant d'heures si activement employées à se parer et à donner de l'exercice à sa langue. Mais le triple penchant attribué à la femme ne lui appartient pas exclusivement. L'essence de cette nature féminine s'est si bien infusée dans le caractère de certains hommes, qu'on n'y découvre presque plus rien de viril, et notre jeu de mots proverbial s'applique aussi avec raison à tout individu de cette espèce ridicule qui semble avoir abdiqué les occupations sérieuses du sexe masculin pour copier sottement les usages frivoles de l'autre sexe.