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Proverbes sur les femmes, l'amitié, l'amour et le mariage

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PROVERBES
SUR
LE MARIAGE

Le mariage est une loterie.

Et dans cette loterie, comme dans les autres, il est très-rare qu'on obtienne un bon lot.

Un proverbe italien dit que l'homme et la femme qui se marient mettent la main dans un sac où sont dix couleuvres et une anguille. D'après cela il y a dix contre un à parier qu'ils n'attraperont pas l'anguille; encore, s'ils viennent à l'attraper, courent-ils grand risque qu'elle leur glisse des mains.

On s'est amusé à démontrer, par un tableau statistique dont je ne garantis pas la vérité, que sur huit cent soixante-douze mille cinq cent soixante-quatre mariages, il faut compter:

1,360 Femmes qui ont quitté leurs maris pour suivre leurs amants.
2,361 Maris qui se sont enfuis pour ne plus vivre avec leurs femmes.
4,120 Couples séparés volontairement.
191,025 Couples vivant en guerre sous le même toit.
162,320 Couples qui se haïssent cordialement, mais qui cachent leur haine sous un extérieur poli.
510,132 Couples qui vivent dans une indifférence marquée.
1,102 Couples réputés heureux dans le monde, et privés, dans leur intérieur, du bonheur qu'on leur suppose.
135 Couples heureux par comparaison à la grande quantité des malheureux.
9 Couples véritablement heureux.

Ce tableau, s'il est exact, prouve que la félicité conjugale est semblable à la félicité céleste, à laquelle tous sont appelés et que très-peu obtiennent.

C'est un triste résultat qui va être mis dans tout son jour par les proverbes que j'ai à rapporter et par les commentaires que j'y ajouterai. Mais je dois avertir préalablement qu'il doit être moins attribué au mariage tel qu'il est de sa propre nature, qu'au mariage faussé et perverti par les vices de la nature humaine.

Cet état est dans l'ordre des lois de Dieu et de la société. Il n'y en a point qui convienne autant aux besoins des deux sexes, qui soit aussi propre à les rendre meilleurs, et je crois fermement que, s'ils y entraient dans les conditions qu'il exige, ils y trouveraient les douceurs d'une tendre amitié, les plaisirs épurés des sens et de la raison; en un mot, tous les agréments qui peuvent embellir l'existence.

«Le mariage, dit Rœderer, ce lien sacré qui forme une unité forte et parfaite de deux existences incomplètes, rend communs à toutes deux les avantages propres à chacune, fait jouir chaque époux des dons différents que les deux sexes ont reçus de la nature, communique à l'un la force, à l'autre la douceur, à l'un la justice de l'esprit, à l'autre la sagacité, ajoute à la conscience de chacun d'eux celle de l'autre; double la force intellectuelle et l'énergie morale de tous deux, et enfin assure aux fruits de leur union un constant accord, une vive émulation de soins, une tradition fidèle des intérêts, des principes, des mœurs, auxquels le bonheur est attaché. Cette institution est le principe de la supériorité de notre civilisation actuelle sur celle de l'antiquité; c'est la plus importante amélioration qu'ait reçue l'espèce humaine, le plus beau présent que la religion chrétienne ait fait aux sociétés modernes, son titre le plus évident et le plus incontestable à leur reconnaissance et à leurs respects.»

Le mariage est le plus grand des biens ou des maux.

Voltaire, dans l'Enfant prodigue, acte II, scène I, a développé ce proverbe dont on exprime aussi l'idée de cette autre manière: Le mariage est ce qu'il y a de meilleur et de pire, formule calquée sur celle dont Ésope se servit pour marquer les avantages et les malheurs que la langue peut produire.

Voici les vers de Voltaire:

A mon avis, l'hymen et ses liens
Sont les plus grands ou des maux ou des biens.
Point de milieu, l'état du mariage
Est des humains le plus cher avantage,
Quand le rapport des esprits et des cœurs,
Des sentiments, des goûts, et des humeurs,
Serre les nœuds tissés par la nature,
Que l'amour forme et que l'honneur épure.
Dieu! quel plaisir d'aimer publiquement
Et de porter le nom de son amant!
Votre maison, vos gens, votre livrée,
Tout vous retrace une image adorée;
Et vos enfants, ces gages précieux,
Nés de l'amour, en sont de nouveaux nœuds.
Un tel hymen, une union si chère,
Si l'on en voit c'est le ciel sur la terre.
Mais tristement vendre par un contrat
Sa liberté, son nom et son état
Aux volontés d'un maître despotique,
Dont on devient le premier domestique:
Se quereller ou s'éviter, le jour
Sans joie à table, et la nuit sans amour:
Trembler toujours d'avoir une faiblesse;
Y succomber ou combattre sans cesse;
Tromper son maître ou vivre sans espoir
Dans les langueurs d'un importun devoir;
Gémir, sécher dans sa langueur profonde:
Un tel hymen est l'enfer de ce monde.
En mariage il y a fort lien.

Si fort que ceux qu'il lie en sont blessés et gémissent continuellement de ne pouvoir le rompre.—Ce proverbe, qui se trouve parmi les proverbes galliques recueillis dans le quinzième siècle, est bien peu saillant; mais ce qui lui manque sous ce rapport sera compensé par le commentaire que je vais y joindre. Je le tire des paroles que don Quichotte adresse à Sancho Pança. «La femme légitime n'est pas une marchandise qu'on puisse, après l'achat, rendre, échanger ou céder. C'est un accident inséparable qui dure ce que dure la vie; c'est un lien qui, une fois qu'on se l'est mis autour du cou, se transforme en nœud gordien, lequel ne peut plus se détacher, à moins d'être tranché par la faux de la mort.» (Don Quichotte, part. II, ch. XIX.)

On sait que cette opinion du chevalier de la Manche était aussi celle de son écuyer, qui l'exprimait à sa manière par ce joli mot proverbial: Pour peu qu'on soit marié, on l'est beaucoup.

Un proverbe anglais de James Howel dit d'une façon plus originale encore: «In marriage the toung tieth a knott that all the teeth in the head cannot untie afterwards. Dans le mariage la langue forme un nœud que toutes les dents de la bouche ne peuvent jamais défaire.»

Un bon mariage se dresse (se fait) d'une femme aveugle avec un mari sourd.

Je rapporte ce proverbe tel que Montaigne l'a cité dans un passage de ses Essais, liv. III, ch. V, où il parle de la tempeste de la femme, quand elle se livre aux emportements de la jalousie. On dit aujourd'hui: Pour faire un bon ménage, il faut que le mari soit sourd et la femme aveugle; ce qui peut se passer de commentaire, car il n'est personne qui ne comprenne, sans qu'on le lui explique, combien la surdité d'un mari et la cécité de sa femme seraient propres à empêcher les disputes conjugales, qui viennent presque toujours de ce que la femme a la vue trop perçante pour les désordres du mari, et le mari a l'oreille trop sensible aux criailleries de la femme.

Puisqu'il est reconnu que la paix entre époux ne peut résulter que des infirmités indiquées, ils ne sauraient mieux faire que d'acheter à ce prix un si grand bien. Il n'est pas nécessaire, après tout, qu'ils soient réellement affectés de ces infirmités, mais qu'ils se montrent comme s'ils l'étaient, que l'un s'étoupe les oreilles et que l'autre se mette un bandeau sur les yeux; en d'autres termes, qu'ils soient pleins d'indulgence pour les défauts qu'ils ont à se reprocher. «Il n'y a de bon ménage, écrivait La Fontaine à sa femme, que celui où les conjoints se souffrent mutuellement leurs sottises.»

Mariage et pénitence ne font qu'un.

Ce dicton a donné lieu à l'épigramme suivante, dont il forme la pointe:

Malgré Rome et ses adhérents,
Ne comptons que six sacrements:
Croire qu'il en est davantage
C'est n'avoir pas le sens commun,
Car chacun sait que mariage
Et pénitence ne font qu'un.

Millevoye a reproduit cette vieille plaisanterie dans ce petit dialogue qui lui donne une forme un peu plus piquante:

Damon disait à son épouse Hortense:
«Les sacrements sont objets d'importance;
Sais-tu leur nombre?—Oui, sept.—C'est trop commun,
Six.—Depuis quand?—Depuis que pénitence
Et mariage, hélas! ne font plus qu'un
Tout traité de mariage porte son testament.

Il y a presque toujours dans les contrats de mariage des clauses qui sont stipulées dans la prévision où l'un des deux époux viendrait à mourir, et qui règlent, comme des dispositions testamentaires, les droits du survivant sur la succession. De là ce proverbe qui, détourné de son vrai sens, s'emploie dans un sens critique contre le mariage, dont on prétend faire un funèbre épouvantail.

On lit dans la Veuve, comédie de Pierre de Larivey, cette phrase qui paraît avoir été proverbiale: «Fais ton compte que la messe des épousailles t'est une extrême-onction.» (Acte I, sc. III.)

La même idée railleuse se retrouve dans plusieurs locutions, par exemple dans celles-ci, qu'on applique à un nouveau marié: C'est un homme perdu,—un homme mort,—un homme enterré.

Ces locutions figurées, qu'on pourrait croire d'un tour moderne, sont peut-être renouvelées des Grecs. Elles ont du moins beaucoup d'analogie avec cette saillie piquante d'Antiphane le Comique, rapportée par Athénée: «Marié, lui!… Moi qui l'avais laissé si bien portant!»

Il n'y a si bon mariage que la corde ne rompe.

Proverbe fondé sur une disposition de notre vieille jurisprudence, qui condamnait au supplice de la corde l'homme convaincu d'avoir séduit une fille, bien qu'il eût ensuite réparé sa faute en se mariant avec elle, du consentement de la famille à laquelle il l'avait ravie; car la réparation ne désarmait pas toujours la loi. Ce proverbe n'est point tombé en désuétude, malgré l'abrogation d'une loi si rigoureuse: les mauvais plaisants l'ont conservé, en lui donnant une acceptation nouvelle. Ils l'emploient quelquefois pour signifier que le meilleur mariage est fort sujet à tourner à mal, et que la joie dont les nouveaux époux s'enivrent finit par se changer en un violent désespoir qui les porte à se pendre.

Le mariage est comme le figuier de Bagnolet, dont les premières figues sont bonnes, mais dont les tardives ne valent rien.

Cette comparaison proverbiale a deux significations: la première, généralement adoptée comme la plus naturelle, est que le mariage commence bien et finit mal; la seconde est qu'il peut donner quelques jours de bonheur aux jeunes gens, mais qu'il ne saurait produire que des malheurs pour les vieillards. C'est ce que me paraît indiquer le passage suivant de la comédie de la Veuve, par Pierre de Larivey, où Ambroise, qui veut se marier, malgré son âge un peu avancé, dit: «J'ai toujours vécu seul, sans compagnie, et par ainsi gardé mon suc en moi-même.» A quoi Léonard répond: «Ce suc sera comme celui du figuier de Bagnolet, dont les premières figues sont bonnes, mais les tardives ne valent rien.» (Act. I, sc. III.)

En mariage trompe qui peut.

C'est-à-dire que les personnes qui peuvent tromper le font avec impunité, car il n'y a pas de recours légal contre les tromperies et les fraudes au moyen desquelles le mariage a été conclu. Ce proverbe est rapporté dans les Institutes coutumières de Loisel, dont les éditeurs l'expliquent en ces termes: «Le dol commis à l'égard des biens, de l'âge, de la qualité, de la profession ou de la dignité de ceux qui se marient, n'annule pas l'union.»

Ainsi notre formule proverbiale est l'expression d'une loi qui donne raison aux plus habiles dans ce grand combat de ruses entre les prétendus et les prétendues qui cherchent à faire ensemble, aux dépens de l'un et de l'autre, un de ces traités de mariage dont la dissimulation est le lien et l'intérêt le fondement. Elle peut être regardée comme une sorte de væ victis prononcé contre les dupes. Nous recommandons à ceux qui se marient de s'en souvenir, et à ceux qui sont mariés de l'oublier.

Le mariage est comme une forteresse assiégée, ceux qui sont dehors veulent y entrer, ceux qui sont dedans veulent en sortir.

Proverbe emprunté aux Arabes. Dufresny, dans une de ses comédies, en a donné cette variante: «Le pays du mariage a cela de particulier, que les étrangers ont envie de l'habiter, et que les naturels voudraient en être exilés.»

Socrate disait: «Les jeunes gens cherchant à se marier ressemblent aux poissons qui se jouent de la nasse du pêcheur. Tous se pressent pour y entrer, tandis que les malheureux qui sont retenus font tous leurs efforts pour en sortir.»

Montaigne fait une plaisanterie de cette sorte dans un endroit même de ses Essais, où il cherche à rendre au mariage l'honneur qu'il mérite. «Ce qu'il s'en veoid si peu de bons, dit-il, est signe de son prix et de sa valeur. A le bien façonner et à le bien prendre, il n'est point de plus belle piece en nostre société: nous ne nous en pouvons passer et l'allons avilissant. Il en advient ce qui se veoid aux cages: les oyseaux qui en sont dehors desesperent d'y entrer; et d'un pareil soing en sortir, ceux qui sont au dedans.» (Liv. III, chap. V.)

Il y a beaucoup d'autres comparaisons dans lesquelles le mariage est tourné en plaisanterie. Je ne citerai que la suivante: «Le mariage est comme une armée composée d'une avant-garde, d'un corps de bataille et d'une arrière-garde. A l'avant-garde se trouvent les amours, enfants perdus qui périssent au premier choc; au corps de bataille est le sacrement, dont la force résiste à toutes les attaques et tient bon jusqu'à la fin; à l'arrière-garde sont les regrets et les dégoûts, qui semblent se multiplier et devenir plus terribles, tant que l'action reste engagée.»

Les quinze joies de mariage.

Cette expression ironique, par laquelle on désigne les contrariétés inhérentes à l'état de mariage, sert de titre à un ouvrage anonyme qui date du milieu du quinzième siècle, et qui est attribué à Antoine la Sale, ingénieux écrivain à qui nous devons le Petit Jehan de Saintré. Le livre des Quinze Joyes de mariage, ainsi nommé par une railleuse antiphrase, offre l'analyse de toutes les déceptions et de toutes les douleurs irrémédiables que peut produire l'union conjugale: la préface en avertit en ces termes: «Celles quinze joyes de mariage sont les plus graves malheuretés qui soient sur terre, auxquelles nulles autres peines, sans incision de membres, ne sont pareilles à continuer.»

Le mariage est le tombeau de l'amour.

«Au bout d'un certain temps, la beauté des femmes perd toute sa force à l'égard de leur mari, telle étant la nature des choses qu'elles ne touchent plus quand on y est accoutumé… Si la beauté fait les conquêtes, ce n'est pas elle qui les conserve. Un mari, qui n'était devenu amoureux que parce que sa maîtresse était belle, ne continue point à être amoureux parce que sa femme continue à être belle. La coutume le rend dur contre cette espèce de charme; il s'avance peu à peu vers l'insensibilité. Les uns y arrivent plus tôt, les autres plus tard; mais enfin on y arrive, et la tendresse qu'on peut conserver, et que l'on conserve en effet assez souvent, se trouve fondée, non sur la beauté, mais sur d'autres qualités. L'expérience fait voir que les maris dont l'amitié est la plus longue et la plus ferme ne sont pas pour l'ordinaire ceux qui ont de belles femmes.» (Bayle, art. Junon.)

On a dit que l'amour pouvait aller au delà du tombeau, mais on n'a jamais dit qu'il pût aller au delà du mariage.

Euripide a dit, dans une de ses tragédies: «Le lit nuptial est funeste à l'homme et à la femme.» Ce lit, en effet, est comme un bûcher funèbre où leur amour se réduit bientôt en cendres.

On connaît ce distique proverbial:

De l'amour à l'hymen telle est la différence
Que le premier finit quand le second commence;

et cette pensée ingénieuse de Chamfort: «L'hymen vient après l'amour comme la fumée après la flamme.»

Lord Byron a dit plus ingénieusement encore: «L'amour et le mariage peuvent rarement se combiner, quoiqu'ils soient nés tous deux sous le même climat; le mariage, de l'amour comme le vinaigre du vin, triste, acide et froid breuvage que le temps aigrit, et dont il abaisse l'arome à la saveur vulgaire d'une boisson de ménage.»

Le mariage est un enfer où le sacrement nous mène sans péché mortel.

C'est dire assez spirituellement que l'union conjugale est la tribulation des justes mêmes.

«Un homme déclamait l'autre jour contre le mariage, et s'écriait: Voyez ce que c'est que le mariage; songez que le bon Dieu a été obligé d'en ôter le péché mortel. Il a donc mis en équilibre dans la balance l'enfer et le mariage; encore l'enfer a paru plus léger.» (L'abbé Galiani.)

Cette comparaison entre l'enfer et le mariage a beaucoup plu aux écrivains de la fin du moyen âge, qui se sont ingéniés à le reproduire sous des formes diverses dans une foule d'épigrammes plus ou moins plaisantes. En voici une d'Owen fondée sur ce que, en latin, le mot uxor (épouse), où la lettre x est, comme on sait, l'équivalent des lettres c et s, offre l'anagramme du mot orcus (enfer).

Quisquis in uxorem cecidit descendit in Orcum;
Rite inversa sonant ucsor et orcus idem.

Ce qui signifie, en rendant le sens et non l'expression, qui est intraduisible en français: «Quiconque est tombé dans le piége conjugal est tombé dans l'enfer, car épouse et enfer sont la même chose.»

C'est bien là certainement un de ces traits qui constituent ce que les Romains appelaient nugæ difficiles; et, quand on considère l'exercice laborieux, le grand effort d'imaginative auquel a dû se livrer l'épigrammatiste pour produire un résultat si saugrenu, on est tenté de lui adresser cette apostrophe originale du fin railleur maître François: «O Jupiter, vous en suâtes d'ahan, et de votre sueur tombant en terre naquirent les choux cabus.»

Il n'y a point de mariage dans le paradis.

Allusion à divers passages de plusieurs Pères de l'Église, qui regardaient le mariage comme moins propre que le célibat à la sanctification, et disaient que, si «noces remplissent la terre, la virginité remplit le ciel.» Nuptiæ replent terram, virginitas replet paradisum. (S. Hieronim., lib. I., in Jovinien.) Ce qui a donné lieu à Pascal de placer le mariage dans les basses conditions du christianisme.

Owen a tiré du mot de saint Jérôme ce distique épigrammatique:

Plurimus in cœlis amor est, connubia nulla;
Conjugia in terris plurima, nullus amor.

Il y a dans le ciel beaucoup d'amour et point de mariage: sur la terre il y a beaucoup de mariages et point d'amour.

On demandait au poëte anglais Prior pourquoi il n'y avait point de mariage dans le paradis. «C'est, répondit-il, parce qu'il n'y a point de paradis dans le mariage.»

Le mariage n'empêche pas d'aimer ailleurs.

Proverbe pris du premier article du Code d'amour: «Causa conjugii ab amore non est excusatio recta. Le mariage n'est pas une excuse légitime contre l'amour.» C'est-à-dire, si je ne me trompe, qu'on ne peut se dispenser d'avoir une maîtresse ou un amant, sous prétexte qu'on a une épouse ou un mari. C'est l'expression des mœurs qui régnaient à l'époque des troubadours. Ces poëtes avaient érigé l'amour en devoir: ils le proclamaient comme plus obligatoire que le mariage et comme ne pouvant exister que hors du mariage. Cet amour, purement platonique dans le principe, cessa bientôt de l'être et donna lieu à un usage immoral assez répandu chez les hauts personnages, d'avoir à la fois une épouse et une concubine, l'une pour la souche et l'autre pour la couche.

André le Chapelain nous a conservé la décision curieuse d'une cour d'amour présidée par la comtesse de Champagne, sur la question qui lui avait été soumise: «Utrum inter conjugatos amor possit habere locum? L'amour peut-il exister entre personnes mariées?» Voici cette décision: «Nous disons et assurons par la teneur des présentes que l'amour ne peut étendre ses droits sur deux personnes mariées. En effet, les amants s'accordent tout mutuellement et gratuitement sans être contraints par aucun motif de nécessité; tandis que les époux sont tenus par devoir de subir réciproquement leurs volontés, et de ne se refuser rien les uns aux autres… Que ce jugement que nous avons rendu avec une extrême prudence (cum nimia moderatione prolatum) et d'après l'avis d'un grand nombre de dames, soit pour vous d'une vérité constante et irréfragable. Ainsi jugé, l'an 1174, le 3 des calendes de mai.»

Jeune fille avec jeune fieu
C'est mariage du bon Dieu.

Mariage assorti comme celui par lequel Dieu unit Adam et Ève dans le paradis terrestre. On sait que fieu est un vieux mot qui veut dire fils ou garçon.

Homme vieux avec jeune femme
Mariage de Notre-Dame.

Mariage semblable à celui de la Sainte Vierge avec saint Joseph, qui était, à ce qu'on croit, d'un âge avancé. Ce proverbe s'adresse à une jeune innocente soit pour lui conseiller, soit pour la consoler de s'unir à un vieux mari.

Vieille femme et jeune garçon
C'est mariage du démon.

Mariage où le démon seul peut trouver son compte. Il n'est pas besoin de faire observer que c'est la vieille femme qui, dans ce proverbe, est signalée comme le démon lui-même.

Mariage d'épervier, la femelle vaut mieux que le mâle.

Ce proverbe, où la glose est jointe au texte, a tiré son origine de la fauconnerie. Il s'emploie en parlant d'un couple conjugal dans lequel la femme est supérieure au mari, parce que la femelle de l'épervier l'emporte sur le mâle en force et en grosseur. Ce phénomène existe généralement chez les oiseaux de proie.

Les Anglais ont ce proverbe qu'ils emploient dans le même sens: «The grey mare is the better horse. La jument grise est le meilleur cheval.»

Mariage de Jean des vignes; tant tenu, tant payé.

Conjonction matrimoniale qui, n'étant sanctionnée ni par la loi civile, ni par la loi religieuse, est sujette à se rompre aussitôt qu'elle est formée. Jean des Vignes est une altération de Gens des Vignes, et l'expression rappelle ces unions illicites qui se font entre les vendangeurs et les vendangeuses de diverses localités, et qui ne durent que le temps de la vendange.

C'est à peu près ce qu'on a nommé mariage du treizième arrondissement, mariage fait sans M. le maire et sans M. le curé, personnages inconnus dans ce treizième arrondissement ajouté fictivement, comme on sait, aux douze dont se composait la ville de Paris avant l'annexion des communes suburbaines.

Il faut rapprocher de ces deux expressions proverbiales la vieille maxime de droit coutumier:

Boire, manger, coucher ensemble,
C'est mariage, ce me semble.

Le savant auteur de la Symbolique du droit, M. Chassan, rapportant cette maxime, l'explique ainsi: «Il ne faut pas la prendre à la lettre, en ce sens qu'il suffirait à une femme de passer la nuit avec un homme pour se dire mariée. Elle est relative à l'exécution du mariage qui couvre les irrégularités de la célébration. Aussi Loisel a-t-il eu soin d'ajouter: Mais il faut que l'Église y passe (Inst., liv. I, tit. II, règle 6). Ainsi entendue, la maxime peut encore aujourd'hui recevoir son application.»

Mariage de bohêmes.

C'est encore une variété matrimoniale plus curieuse que celles dont il est question dans l'article précédent. Voici en quoi elle consiste: lorsque les bohêmes, c'est-à-dire ces aventuriers basanés qui courent le pays en volant les poules et disant la bonne aventure, veulent marier un garçon et une fille de leur caste, ils les conduisent dans un vallon retiré qu'ils nomment le vallon des fiançailles, et là, pour toute cérémonie, les deux futurs prennent entre leurs mains un pot de grès qu'ils jettent contre terre, après avoir déclaré qu'ils consentent à vivre comme mari et femme autant d'années que la fracture du pot produira de morceaux; ensuite ils ramassent les tessons, dont ils constatent le nombre, et dès lors les voilà complétement unis jusqu'au dernier jour de ce mariage temporaire. Ce terme expiré, ils sont libres de se séparer, de convoler ailleurs ou de renouveler leur premier engagement. Mais on assure qu'il y en a très-peu qui prennent ce dernier parti, et qu'en le prenant ils s'arrangent de manière à ne pas être obligés trop longtemps de payer les pots cassés.

Un bon mariage est difficile à faire, même en peinture.

C'est ce que dit un jour un plaisant qui regardait les Sept Sacrements de Nicolas Poussin, quand il en vint à examiner le tableau du Mariage, plus faible que les autres, et le mot passa en proverbe.

Mais pourquoi un bon mariage est-il si difficile à faire?—Il faudrait, pour le dire, exposer tant de raisons, rappeler tant de faits, entrer dans tant de détails, que je serais obligé d'ajouter un second tome à ce petit livre, ce qui serait fort déplaisant pour les lecteurs qui auraient été tentés d'y jeter un coup d'œil par curiosité, dans leurs moments perdus. Qu'on me permette donc de ne pas traiter la question. Si l'on désire en avoir au long la réponse, qu'on interroge certains mal-mariés, qui sont assez disposés à faire le récit de leurs infortunes, ou bien qu'on examine avec quelle légèreté, quelle irréflexion, quelle imprévoyance, se forment les unions conjugales, surtout en France, où l'on se marie plus vite qu'en tout autre pays, soit par le désir de terminer sans retard cette affaire de pure spéculation, soit par l'effet de l'impatience qui compose en quelque sorte le fond du caractère français. Cet examen suffira pour faire comprendre combien il est difficile que les parties contractantes, qui s'accordent sans se connaître, ne soient pas en désaccord dès qu'elles se connaissent, et qu'après s'être prises pour ce qu'elles ne sont pas, elles n'en viennent point à se quitter pour ce qu'elles sont.

La spéculation matrimoniale est la principale source d'où découlent les malheurs des conjoints. Je citerai sur ce sujet quelques phrases détachées d'un article plein de bon sens et d'esprit publié dans le journal le Siècle, no du 11 décembre 1859, par M. Edmond Texier, et les lecteurs m'en sauront gré.

«Les pères de famille, dit cet ingénieux écrivain, ont parlé à leurs enfants le langage de la raison. Ils leur ont dit que l'amour est un enfantillage, le sentiment une faiblesse, et ils ont inventé cette magnifique spéculation qui s'appelle le mariage d'argent. Le mariage d'argent a tellement réussi qu'on n'en voit point d'autre aujourd'hui. On n'épouse plus ni un cœur, ni un esprit, ni une femme. On se marie avec une dot, et c'est l'union des dots qui a créé le demi-monde. Ce monde-là a eu sa raison d'être le jour où le prêtre a béni les serments de deux coffres-forts. La beauté, la grâce, l'éducation, la vertu même, tout cela ne pèse pas une demi-once dans le plateau de la balance conjugale. Le mariage, tel qu'on le traite de nos jours, est le principal pourvoyeur de ces dames (les courtisanes). Le demi-monde pousse à l'ombre du mariage d'argent comme la mousse à l'ombre des grands arbres. Ceci a engendré cela. C'est sur le fumier du mariage d'argent qu'a poussé le champignon du demi-monde. C'est là, et non ailleurs, qu'il faut aller déterrer la comédie d'aujourd'hui.»

Un bon mariage répare tout.

«Le mariage, dit Bayle, fait rentrer au port de l'honneur, il y répare les vieilles brèches, il donne la qualité de légitimes à des enfants qui ne la possédaient pas. Je ne dis rien du voile épais dont il peut couvrir les nouvelles brèches, les fautes courantes et le péché quotidien.»

Ce proverbe s'applique particulièrement aux hommes et aux femmes que le résultat qu'il énonce vient absoudre des galanteries et des désordres de leur vie antérieure. Il sert quelquefois de devise aux dissipateurs qui continuent à faire des dettes en se flattant d'épouser quelque riche héritière dont la dot comblera leur déficit.

On dit aussi: Le mariage est une planche après le naufrage, pour exprimer les mêmes idées. Mais on a remarqué avec esprit et raison que s'il fait trouver un port dans la tempête, il peut également faire trouver une tempête dans le port.

La même année vit naître le mariage d'inclination et le repentir.

Les mariages d'inclination, surtout ceux qui se font entre des personnes de condition inégale et contre le gré des parents, offrent peu de chances d'être heureux. Ils peuvent bien aller pendant quelques jours, c'est-à-dire dans le temps fort court où la passion aveugle sous laquelle ils ont été contractés conserve toute sa force; mais à mesure qu'elle s'affaiblit, les écailles tombent des yeux des époux, et chacun aperçoit de tristes réalités, au lieu des séduisantes idéalités qu'il s'était formées; la femme gémit de n'être pas reçue chez les parents de son mari, et d'être privée par suite de la considération et de l'estime qu'elle se croit en droit d'exiger d'eux; le mari se trouve déplacé dans la famille de sa femme, et il lui reproche son peu de distinction. Le mari supporte difficilement les observations d'une belle-mère acariâtre et d'un beau-père intéressé; puis les défauts des conjoints, que la passion avait voilés, apparaissent dans leur désolante nudité. Les récriminations commencent de part et d'autre et deviennent plus amères par la contradiction. Ils se font des reproches mutuels; les parents de la femme prennent parti pour elle. Pour peu que l'aisance vienne à disparaître du ménage la discorde est à son comble. On pourrait, en présence de tous ces inconvénients, dire que rien n'est terrible dans le mariage comme le paupérisme et le beaupérisme.

Les meilleurs mariages se font entre pareils.

Cette maxime est attribuée par les anciens tantôt à Pittacus, tantôt à Cléobule, qui recommandaient tous deux de se marier selon sa condition. Le dernier disait pour raison: «Si vous épousez une femme d'une naissance plus relevée que la vôtre, vous aurez autant de maîtres qu'elle aura de parents;» vérité dont la démonstration a été donnée dans le Dolopatos, dans plusieurs fabliaux de nos trouvères, dans deux contes de Boccace, et dans le Georges Dandin de Molière.

Le poëte Eschyle admirait ce proverbe. Voici l'éloge qu'il en a fait dans son Prométhée enchaîné, scène VI: «Qu'il était sage, qu'il était sage, celui qui le premier conçut dans sa pensée, qui le premier fit entendre cette maxime au monde: C'est entre égaux qu'il faut s'allier! C'est là qu'est le bonheur. Jamais d'hymen entre le riche fastueux, entre le noble fier de sa race et le pauvre artisan… L'hymen entre égaux n'offre point de péril, et n'a rien qui m'épouvante.»

Les Hébreux disent qu'il faut descendre un degré pour prendre une femme, et en monter un pour faire un ami, afin que celui-ci nous protége et que l'autre nous obéisse.

Les mariages sont écrits dans le ciel.

Ce proverbe, dont la signification est que les mariages sont souvent imprévus et semblent dépendre de la destinée plutôt que des calculs humains, figurait dans notre vieux droit coutumier en ces termes rapportés par Loisel: Les mariages se font au ciel et se consomment sur la terre. Il avait été primitivement consigné dans un de ces formulaires de pratique mis en rimes latines dans le huitième et le neuvième siècle. C'est de là probablement qu'il est passé chez les Allemands, les Italiens, les Espagnols et les Anglais, etc. Ces derniers y ont fait une variante qui associe le nœud conjugal à celui qui serre le cou d'un pendu: «Marriage and hanging go by destiny. Mariage et pendaison vont au gré de la destinée.»

Je ne sais s'il est vrai que les mariages soient écrits dans le ciel, mais il est sûr qu'il y en a beaucoup sur lesquels le diable a de bonnes hypothèques.

On connaît ce mot d'une donzelle dépitée de voir les épouseurs échapper à ses galanteries: «Vous verrez que si les mariages sont écrits dans le ciel, le mien se trouvera au dernier feuillet.» Une autre, après la mort de son père, qui avait toujours refusé de la marier, quoiqu'elle en eût grande envie, s'écriait: «Dieu veuille que mon père ne voie point là-haut le registre où mon mariage est inscrit! il serait capable de déchirer la page.»

Année de noisettes, année de mariages.

Ou bien année d'enfants. Voici l'explication que j'ai donnée dans mes Études historiques, littéraires et morales sur les proverbes français et sur le langage proverbial.—Le fruit que la noisette renferme sous une double enveloppe a été regardé comme l'image de l'enfant dans le sein de sa mère, et l'on a conclu de cette similitude que les années abondantes en noisettes devaient l'être aussi en mariages ou en enfants. C'est de ce préjugé fort ancien, et non, comme on pourrait le croire, des rendez-vous donnés sous la coudrette ou la coudraie, qu'est né le dicton usité parmi les gens de la campagne et rappelé par A.-A. Monteil dans la phrase suivante de l'Histoire des Français des divers États (seizième siècle): «Vous savez que c'est l'année des noisettes: tout le monde se marie; sans plus attendre, mademoiselle, marions-nous.»

Il faut attribuer à la même cause l'usage antique de répandre des noix aux cérémonies nuptiales, usage qui n'avait pas pour but de marquer, ainsi qu'on l'a prétendu, que l'époux renonçait aux amusements futiles et ne songeait plus qu'aux graves devoirs de son nouvel état, mais d'exprimer un vœu pour la fécondité de l'épouse, car la noix présentait le même symbole que la noisette. C'est ce que dit formellement Pline le naturaliste, liv. XXV, chap. XXIV. Festus assure également, au mot Nuces, que les noix étaient jetées, pendant les noces, en signe de bon présage pour la mariée: Ut novæ nuptæ intranti domum novi mariti auspicium fiat secundum et solistimum.

Cela avait lieu au moyen âge comme dans l'antiquité. De plus, on déposait alors auprès du lit nuptial une corbeille pleine de noisettes qu'on avait fait bénir par un prêtre.

Il est resté quelque chose d'un tel usage dans ce qui se pratique aux noces villageoises, où l'on a soin de placer sur la table en face des mariés un plat de dragées, lesquelles ne sont, comme on sait, que des noisettes ou des amandes dont l'enveloppe a été remplacée par une couche de sucre glacé. C'est d'après une analogie du même genre qu'à l'occasion du baptême des enfants on distribue des boîtes de dragées aux amies, et qu'on jette des poignées de dragées à la foule des curieux. Il est évident que ces dragées marquent dans le mariage un souhait pour qu'il soit fécond, et, dans le baptême, une manifestation de la joie inspirée par l'heureux accomplissement de ce souhait.

On jetait aussi, au moyen âge, des grains de blé, comme on le voit dans plusieurs relations de cette époque, notamment dans le Romancero du Cid, dont la quatorzième romance décrit les réjouissances qui eurent lieu aux noces du héros castillan. Voici de quelle manière naïve cette romance s'exprime: «Tant il en est jeté par les fenêtres et les grilles, que le roi en porte sur son bonnet qui est large des bords une grande poignée. La modeste Chimène en reçoit mille grains dans sa gorgerette, et le roi les retire à mesure.»

Plusieurs peuples de notre temps répandent encore des noix, des noisettes, des amandes, des fruits à noyau et des grains, pendant la cérémonie du mariage, comme emblèmes de la fécondité qui doit en résulter. Le fait a lieu assez souvent en Russie et en Valachie, il est également fréquent dans quelques villages de la Corse. Il se produit chez les Israélites de plusieurs endroits de la France et de l'Allemagne avec une circonstance digne de remarque: c'est que, dans le moment où ils font pleuvoir du froment sur le couple conjugal, ils ne manquent pas de prononcer en hébreu les paroles bibliques croissez et multipliez, qui ne permettent pas de garder le moindre doute sur le sens qu'on doit attacher à cette coutume symbolique.

Ma mère, qu'est-ce que se marier?—Ma fille, c'est filer, enfanter et pleurer.

Ce proverbe dialogué, qui se trouve sous la même formule en Espagne et en d'autres pays, nous est venu des Provençaux, à qui l'on peut, d'après de grandes probabilités, en attribuer l'invention. Il exprime très-bien les trois principaux résultats du mariage pour les pauvres femmes du peuple; car ce sont elles surtout qui ont à souffrir les tribulations de cet état. Voyez avec quelle dureté elles sont traitées dans toutes les parties du monde.

Don Ulloa dit dans son Mémoire sur la découverte de l'Amérique: «Les peuples de ce continent ont été peu attachés à leurs femmes, qu'ils traitent encore comme des esclaves. Aussi ne le sentent-elles que trop. Il y a même des nations chez lesquelles deux vieilles femmes accompagnent la future épouse, le jour de son mariage, en pleurant réellement, se lamentant et lui criant sans cesse: «Que vas-tu faire? tu vas te précipiter dans le plus grand malheur;» c'est cet état insupportable qui les décide souvent à étouffer leurs filles en naissant pour les préserver d'être aussi malheureuses qu'elles. La fatigue que les jeunes femmes ont à essuyer, grosses ou non, pour suivre leurs maris à la chasse, à la pêche, préparer le manger et le boire, avoir soin des enfants dont les pères ne s'occupent guère, et diverses autres malheureuses circonstances font du mariage chez la plupart de ces nations un supplice affreux.»

Leur sort n'est pas meilleur en Asie et en Afrique, où règne la loi de Mahomet, qui est si dure pour elles. On sait à quelle triste captivité elles y sont réduites sous le régime de la polygamie, et avec quelle dureté elles sont traitées par leurs seigneurs et maîtres, pour lesquels elles ne sont, en quelque sorte, que des animaux domestiques.

Ce n'est guère que dans l'Europe chrétienne qu'elles jouissent de la liberté, et qu'elles sont regardées comme les compagnes de l'homme: encore les priviléges que ce titre leur donne n'existent-ils réellement que pour celles d'un certain rang.

Les trois situations que je viens d'indiquer ont été fort bien résumées par Sénac de Meilhan dans cette phrase remarquable: «La femme, chez les sauvages, est une bête de somme; en Orient, un meuble; en Europe, un enfant gâté.»

Il est trop tôt pour se marier quand on est jeune, et trop tard quand on est vieux.

Proverbe pris de la réponse que fit Thalès à sa mère Cléobuline qui le pressait d'accepter un parti avantageux: «Ma mère, quand on est jeune, il n'est pas temps de se marier; quand on est vieux, il est trop tard; et un homme entre deux âges n'a pas assez de loisir pour se choisir une épouse.»

Ce mot considéré comme plaisanterie est assez bon, mais pris au sérieux il ne saurait être approuvé. Le célibat qu'il conseille produit des résultats plus déplorables que le mariage. Si celui-ci a des contrariétés et des ennuis, l'autre n'en manque pas, et de plus il est livré à une foule de vices qui blessent les lois de la morale et minent les fondements de la société. «A Dieu ne plaise, dit Montesquieu à ce sujet, que je parle contre le célibat qu'a adopté la religion! Mais qui pourrait se taire contre celui qu'a formé le libertinage, celui où les deux sexes, se corrompant par les sentiments naturels mêmes, fuient une union qui doit les rendre meilleurs pour vivre dans celle qui les rend toujours pires?

«C'est une règle tirée de la nature que plus on diminue le nombre des mariages qui pourraient se faire, plus on corrompt ceux qui sont faits; moins il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité dans les mariages, comme lorsqu'il y a plus de voleurs il y a plus de vols.» (Esprit des lois, liv. XXIII, ch. XXI, à la fin.)

Ajoutons qu'il est fort rare de rencontrer un célibataire devenu vieux qui ne gémisse de son état. Il n'y a point pour lui de famille; il achève ses tristes jours dans une sorte de séquestration, sous la garde incommode de quelque collatéral avide ou de quelque servante-maîtresse dont l'unique pensée est d'accaparer son héritage.

Le proverbe est très-bien réfuté par les observations qu'on vient de lire. Il l'est de même par cette phrase du chancelier Bacon qui présente une belle triade proverbiale: «A tout âge on a des raisons de se marier, car les femmes sont nos maîtresses dans la jeunesse, nos compagnes dans l'âge mûr, et nos nourrices dans la vieillesse.»

Il ne faut se marier ni trop tôt ni trop tard.

Je citerai à propos de ce proverbe un passage curieux extrait du commentaire plein d'érudition et d'élégance sur les œuvres de Coquillart par M. Charles d'Héricault: «Trop tost marié et Trop tard marié étaient deux types des maris malheureux. Leurs infortunes furent soigneusement racontées dans ce cycle de poésies contre la femme, qui compose presque toute la littérature des derniers temps du moyen âge. Il existe une pièce sur Trop tost marié, Gringoire a fait la complainte de Trop tard marié, et l'on peut voir la résolution de Ny trop tost ny tard marié dans les Anciens poëtes françoys, tome III, page 129.»

Cette résolution est une pièce de vers dans laquelle son auteur anonyme énumère les malheurs des sots qui se sont trop pressés ou ont trop différé de s'enrôler dans la grande confrérie matrimoniale, et décrit les délices dont il s'enivre avec sa jeune compagne, qu'il a eu l'esprit de prendre en temps opportun. Mais il ne dit point précisément à quel âge il a contracté cette union. C'est probablement entre la trentième et la trente-cinquième année, conformément à l'usage assez généralement observé vers la fin du quatorzième siècle.

Platon, au livre VI de la République, avait prescrit de se marier dans cet intervalle, qui se conciliait fort bien avec le précepte d'Hésiode: «L'âge de trente ans convient pour l'union conjugale.» (Jours et Œuvres, chap. II.) Mais Aristote, dans sa Politique, VII, XVI, conseillait d'attendre jusqu'à trente-sept ans.

J.-J. Rousseau, dans son Projet de constitution pour la Corse, prive du droit de cité tout homme qui n'est point marié à l'âge de quarante ans révolus.

On trouve dans les Conseils et Maximes de Panard, ce sixain qui revient à notre proverbe:

L'époux, pour être gracieux,
Doit n'être trop vert ni trop vieux.
Belles, que tente l'hyménée,
Apprenez ces deux vers par cœur:
Bois vert se consume en fumée,
Bois vieux ne fait plus de chaleur.
Qui va loin se marier
Sera trompé ou veut tromper.

La moralité à tirer de ce proverbe, dont la raison s'offre d'elle-même, c'est qu'il est bon de se marier dans son pays avec une personne que l'on connaisse bien. Si cela ne met pas tout à fait à l'abri des mauvaises chances que présente le mariage, cela du moins peut les diminuer beaucoup.

La recommandation de ne pas se marier loin remonte à une haute antiquité. Elle se trouve rappelée par Hésiode dans le poëme des Jours et des Œuvres.

Avant de te marier,
Aie maison pour habiter.

C'est-à-dire: Ne cherche pas à fonder une famille, si tu ne possèdes point ce qui est nécessaire pour la loger et la nourrir.

Tel est le sens littéral de ce proverbe, qui contient en germe la doctrine que Malthus et ses disciples ont développée dans un odieux système, où ils ne tiennent pas le moindre compte de l'action providentielle du bon Dieu, qui, certainement, n'a pas dit aux créatures humaines: Croissez et multipliez, pour qu'elles fussent réduites à mourir de faim par suite de leur multiplication.

S'il ne fallait se marier que lorsqu'on a pignon sur rue, la plupart des hommes seraient obligés de vivre dans le célibat, et qui sait ce que deviendrait la société avec de pareils citoyens?… Mais consultons l'esprit plutôt que la lettre du proverbe, et nous y verrons un assez bon conseil, dont l'expression a été probablement exagérée à dessein pour faire mieux comprendre aux indigents qui aspirent à se mettre en ménage combien le travail et l'économie leur sont indispensables. Il serait déraisonnable et immoral s'il les engageait à renoncer au mariage, qui leur convient encore mieux qu'aux riches. Cet état est dans les vues de Dieu, dont la parole ne peut les tromper comme le calcul hasardé des économistes, et ils ne doivent plus craindre de s'y engager, s'ils ont la ferme résolution de remplir les obligations qu'il leur impose. Ils ont droit, en ce cas, d'espérer, de compter même, qu'avec l'aide de la Providence et une conduite sage et laborieuse ils ne manqueront pas des moyens d'entretenir leur famille, si nombreuse qu'elle soit. Celui qui envoie les bouches envoie aussi les vivres, dit un proverbe qu'on voit presque toujours se vérifier par une bénédiction spéciale du ciel. Les enfants sont la richesse du pauvre qui vit honnêtement; ils attirent sur lui l'intérêt général, et, suivant une sainte maxime, ils lui sont donnés comme un héritage du Seigneur et comme une récompense: Ecce hæreditas Domini, filii; merces, fructus ventris. (Psalm. CXXVI. 3.)

Il ne faut pas se marier si l'homme n'a de quoi dîner et la femme de quoi souper.

C'est absolument l'idée du proverbe précédent que celui-ci reproduit sous une forme différente. Ainsi les réflexions qui ont été faites sur l'un sont tout à fait applicables à l'autre, et nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire d'y en ajouter de nouvelles pour démontrer que le second ne doit pas plus que le premier être interprété conformément à cette détestable doctrine malthusienne, qui voudrait interdire le mariage aux pauvres afin d'en étouffer la race, et qui semble ne faire consister le bien-être qu'elle promet que dans le résultat d'une action dénaturée, c'est-à-dire dans l'augmentation des subsistances par la diminution de l'espèce humaine.

Nous remarquerons seulement sur le dernier proverbe que, s'il était pris à la lettre, il placerait dans une fâcheuse alternative deux personnes qui n'auraient aucun bien et qui s'aimeraient; car elles seraient condamnées à la misère en se mariant, et au malheur en ne se mariant pas.

Il faut se marier en face de l'église.

Il faut que le mariage soit consacré par la religion. C'est une maxime dans le développement de laquelle je n'ai pas l'intention d'entrer: je veux seulement examiner quelle a été l'origine de l'expression en face l'église, qui semble un peu étrange aujourd'hui, et démontrer qu'elle est une de celles dont on ne saurait trouver la juste explication que dans les usages de nos pères. On a prétendu à tort qu'elle désignait par le mot église l'autorité ecclésiastique. Elle n'emploie pas ce mot dans un sens figuré, mais dans un sens matériel; elle prend l'église pour le bâtiment sacré où les fidèles se rassemblent, et elle fait allusion à l'ancienne coutume de célébrer devant la porte de ce bâtiment la cérémonie du mariage qui se fait maintenant dans l'intérieur. C'est de là très-certainement qu'elle est née, et elle date d'une époque fort reculée. On la trouve au XXVIe chapitre du IIIe livre de Guillaume de Newbridge, savant anglais qui écrivait en latin, il y a plus de six cents ans. Voici le passage où cet auteur l'a consignée, en faisant mention du mariage de Henri II, Plantagenet, avec Éléonore d'Aquitaine, épouse divorcée du roi de France Louis VII, dit le Jeune: Solutamque a lege prioris viri in facie ecclesiæ, quadam illicita licentia, ille mox suo accepit conjugio.

Dans un missel de 1555, à l'usage de l'église de Salisbury, on lit cette recommandation: «Statuantur vir et mulier ante ostium ecclesiæ, sive in faciem ecclesiæ, coram Deo et sacerdote et populo. Que l'homme et la femme soient placés devant la porte de l'église ou EN FACE DE L'ÉGLISE, en présence de Dieu, du prêtre et du peuple.»

On sait que le mariage de Henri de Béarn, depuis Henri IV, avec Marguerite de Valois, sœur de Charles IX, eut lieu, le 18 avril 1572, par le ministère du cardinal de Bourbon sur un brillant échafaud dressé à la porte de l'église de Notre-Dame de Paris.

Ces faits et beaucoup d'autres semblables que je pourrais y joindre prouvent qu'en France et en Angleterre on se mariait encore devant la façade de l'église vers la fin du seizième siècle. Cependant il faut observer que, dans la mauvaise saison et dans les jours pluvieux, on faisait la cérémonie sous le porche, d'où l'on ne tarda pas à passer dans la chapelle. Mais quels étaient donc les motifs qui avaient pu faire adopter le mariage en plein air? Quelques auteurs pensent que cet usage était un reste des mœurs païennes. Ils disent que plusieurs peuples de l'antiquité, particulièrement les Étrusques, se mariaient dans la rue devant la porte de la maison, où l'on entrait pour la conclusion de la cérémonie.

A cette raison Selden en ajoute une autre dans son Uxor hebraica (opera, t. III, pag. 680): c'est que la dot ne pouvait être légalement assignée qu'en face de l'église.

Il ne faut pas se marier pour la première nuit de ses noces.

Il faut consulter la raison, les convenances et l'intérêt dans le choix d'une épouse, et ne pas se marier uniquement pour satisfaire un fol amour. Celui qui ne prend femme que dans la vue si spirituellement indiquée par le proverbe se mécompte presque toujours, car l'amour passe et la femme reste, sans conserver pour le mari cette beauté qui avait exercé sur lui une irrésistible fascination.

Tout est fini ou bien près de finir pour l'amour sitôt que l'union de deux cœurs devient celle de deux corps, et les charmantes illusions qu'il faisait naître cèdent la place à de tristes réalités. C'est un mirage fantastique après lequel on ne voit plus que les sables arides du désert.

Bailler ou donner le chapelet à une fille.

C'est la marier. Le chapelet ou petit chapeau, auquel a succédé la guirlande de fleurs d'oranger, était une couronne de romarin ou de myrte qu'on mettait autrefois sur le front des jeunes filles dans la cérémonie nuptiale, à l'imitation de la couronne de marjolaine que prenaient les nouvelles mariées chez les Romains, comme on le voit dans ces deux vers de l'épithalame de Julie et de Manlius par Catulle:

Cinge tempora floribus
Suaveolentis amarari.

Ceins tes tempes des fleurs de l'odorante marjolaine.

Il y avait sans doute en cela une allégorie qui recommandait aux épousées de conserver soigneusement l'honneur conjugal dont cette couronne présentait l'emblème.

Prendre le collier de misère.

C'est se marier. Les nombreux éléments dont se compose cette misère étant exposés en assez grand détail dans les proverbes qui précèdent ou qui suivent, je me bornerai à joindre à celui-ci une anecdote orientale propre à lui servir de commentaire.

Bahalul, que les saillies de son esprit firent surnommer Al-Mégoun, c'est-à-dire le Fou, plaisait beaucoup au calife Haroun al-Raschid par son humeur enjouée, ses reparties ingénieuses et ses traits vifs et facétieux. Ce calife lui dit un jour: «Bahalul, pourquoi ne te maries-tu pas? je veux te donner une épouse jeune, bien faite et riche. Elle te procurera toutes les douceurs de la vie.» Bahalul, cédant à ces raisons et plus encore à la volonté de son maître, consentit au mariage, et, les noces s'étant faites, il entra avec sa femme dans la couche nuptiale. Mais à peine y fut-il, qu'il entendit ou feignit d'entendre un grand bruit dans le sein de sa compagne. Effrayé, il s'élance aussitôt du lit et s'enfuit bien loin hors de la ville. Le calife, instruit de son escapade, ordonne de le chercher: on le trouve et on le lui amène. Le monarque le réprimande d'abord, et lui demande ensuite où est le mot pour rire dans cette affaire. «Sublime commandeur des croyants, répond Bahalul, vous m'aviez promis que je goûterais avec ma femme toutes les douceurs de la vie. Cependant, à peine étais-je couché auprès d'elle, que toutes mes espérances furent trompées. J'entendis un bruit alarmant qui sortait de ses entrailles, il était formé d'une foule de voix qui tour à tour me demandaient une chemise, un habit, un turban, des souliers, du pain, du riz, de la viande, etc. Il y avait, en outre, des cris, des pleurs, des rires de plusieurs enfants qui allaient, venaient, folâtraient, se battaient, se plaignaient ou s'égayaient à qui mieux mieux. Je fus si épouvanté de ce vacarme, que je laissai là ma femme pour échapper aux malheurs dont sa fécondité me menaçait. Je n'aurais pu rester avec elle sans devenir encore plus fou que je ne suis.»

Allumer la chandelle à quatre cornes.

Vieille expression proverbiale dont on se sert quelquefois encore en certaines provinces et même à Paris, pour marquer le contentement d'un père et d'une mère qui marient la dernière de leurs filles, après avoir marié toutes les autres. Elle rappelle la coutume anciennement observée, en pareil cas, de faire une espèce d'illumination de joie en allumant toutes les mèches d'une grande lampe de famille, qui avait ordinairement quatre cornes ou becs. Cette coutume était un reste des antiques formalités du mariage, où l'on employait le feu comme élément symbolique. Le recueil manuscrit des anciens statuts de Marseille (Statuta Massiliensia, année 1274) nous apprend que, le jour des noces, on avait soin d'entretenir des luminaires dans l'intérieur des maisons. On peut voir, à ce sujet, l'Histoire de Marseille par Fabre (II, 204).

Il y a une remarque grammaticale à faire sur le mot chandelle, qui pourrait paraître avoir été improprement introduit dans l'expression que je viens d'expliquer: c'est qu'autrefois chandelle était un terme générique, désignant à la fois et la substance qui éclairait et l'ustensile où cette substance était placée. D'autres en ont fait la remarque avant moi.

Qui se marie à la hâte se repent à loisir.

Un mariage contracté trop vite devient une source intarissable de regrets, parce qu'il est rarement fondé sur le rapport des caractères sans lequel la bonne intelligence ne saurait guère exister entre les époux. Les Allemands disent: Mariage prompt, regret long.

Heirath in Eil'
Bereut man mit Weil.

«En général les mariages conclus après une longue fréquentation, pendant laquelle on a appris des deux parts à se connaître, sont ceux dans lesquels on trouve plus d'amour et de constance. Il faut que l'amour ait jeté de profondes racines et se soit bien fortifié avant d'y enter le mariage. Une longue suite d'espérances et d'attentes nous fixe l'idée dans l'esprit et nous accoutume à sentir une véritable tendresse pour la personne dont on a fait choix.» (Addison, Spectateur.)

En effet, une longue fréquentation, où l'on apprend à se connaître, à s'estimer mutuellement, doit produire une tendre amitié, et cette amitié est le plus heureux commencement ainsi que la meilleure garantie de l'amour conjugal. Malfilâtre a développé une idée semblable en vers élégants dans le premier chant de son poëme intitulé Narcisse dans l'île de Vénus. Je vais les citer, pour donner de la variété et de l'agrément à cet article:

Vénus voulut, avant l'âge où l'on aime,
Voir ses sujets, voir ces couples charmants,
Couples futurs, déjà s'unir d'eux-mêmes
Par le rapport des goûts, des sentiments.
Elle voulut que ces enfants aimables,
Pour rendre un jour leurs chaînes plus durables,
Fussent amis avant que d'être amants:
Qu'en attendant les amoureuses flammes,
D'avance un sexe à l'autre fût lié;
Qu'enfin l'amour, prêt d'entrer dans leurs âmes,
En arrivant, y trouvât l'amitié;
Car l'amitié, la confiance intime
Nourrit l'amour, le soutient, le ranime,
Et rend ses feux plus touchants de moitié.
De leur concours, de leur souffle unanime,
Naît ce plaisir pur, délicat, sublime,
Plaisir cherché par nos vœux superflus,
Plaisir moqué des mortels corrompus.
Mais quoi? l'amour n'est point connu du crime,
Puisque l'amour sans l'amitié n'est plus,
Que l'amitié se fonde sur l'estime,
Et que l'estime est fille des vertus.
On se marie pour soi.

C'est la réponse que fait le jeune homme écervelé qui refuse de se laisser guider dans le choix d'une épouse par ses parents ou ses amis, et qui, poussé par un désir aveugle, s'obstine à s'unir à celle dont les appas seuls l'ont séduit, sacrifiant toutes les convenances à sa folle passion, et bravant tous les effets malheureux que ne peut manquer de produire cette union disproportionnée ou mal assortie. Le mariage est un état trop important et trop sérieux pour s'y engager avec étourderie et par caprice. Suivant Montaigne, «l'alliance, les moyens y poisent (doivent y entrer en compte) par raison, autant ou plus que les grâces et la beauté. On ne se marie pas pour soy, quoy qu'on en die; on se marie autant ou plus pour sa postérité, pour sa famille; l'usage et l'intérest du mariage touche notre race, bien loing par delà nous.» (Essais, liv. III, chap. V.)

Cervantes pensait que les parents devaient décider du mariage de leurs enfants et ne pas les laisser libres de le conclure eux-mêmes par fantaisie ou par amour. Voici les réflexions qu'il a mises dans la bouche de don Quichotte sur ce sujet: «Si tous ceux qui s'aiment pouvaient ainsi se marier, ce serait enlever aux parents le droit de choisir pour leurs enfants et de les marier quand ils le jugent convenable; et si le choix des maris était abandonné à la volonté des filles, telle se trouverait qui prendrait le valet de son père, et telle autre le premier venu qu'elle aurait vu passer dans la rue fier et pimpant, ne fût-il qu'un débauché et un spadassin. L'amour aveugle aisément les yeux et l'esprit, si nécessaires pour le choix d'un état; et, en fait de mariage surtout, rien de plus facile que de se tromper: il faut un grand tact et une faveur particulière du ciel pour rencontrer juste. Quelqu'un veut-il entreprendre un long voyage, s'il est sage, avant de se mettre en route, il cherchera un compagnon sûr et agréable. Pourquoi donc ne ferait-il pas de même celui qui doit cheminer tout le cours de la vie jusqu'au terme final, la mort; surtout si son compagnon de route doit le suivre au lit, à la table, partout, comme fait la femme pour son mari?» (Partie II, ch. XIX.)

Il n'y a pas de législation qui n'ait jugé nécessaire le consentement des pères au mariage des enfants. «Cette nécessité, dit Montesquieu dans l'Esprit des lois (liv. XXIII, ch. VII), est fondée sur leur puissance, c'est-à-dire sur leur droit de propriété. Elle est aussi fondée sur leur amour, sur leur raison et sur l'incertitude de celle de leurs enfants, que l'âge tient dans l'état d'ignorance, et les passions dans l'état d'ivresse.»

Le jour où l'on se marie est le lendemain du bon temps.

Dès ce jour-là tout devient sérieux dans la vie; les jeux et les divertissements cessent d'être de saison, et les préoccupations de l'avenir doivent commencer. Il faut pourvoir aux besoins du ménage, travailler sans relâche pour l'entretien de la femme qu'on a prise et des enfants qu'on aura, enfin se dévouer tout entier à l'accomplissement des graves obligations qu'impose le nouvel état où l'on vient d'entrer.

Bacon a dit dans un style noblement figuré: «Quiconque a épousé une femme et mis des enfants au jour a donné des otages à la fortune.»

Il en a donné aussi à la morale, dont les lois ont alors sur lui plus d'autorité et l'attachent à ses devoirs par des liens plus forts et plus sacrés. Le mariage est essentiellement moralisateur; il éloigne du vice et mène à l'honnêteté. «Plus vous aurez d'hommes mariés, dit Voltaire, moins il y aura de crimes. Voyez les registres affreux de vos greffes criminels; vous y trouverez cent garçons de pendus, ou de roués, contre un père de famille.

«Le mariage rend l'homme plus vertueux et plus sage. Le père de famille ne veut pas rougir devant ses enfants; il craint de leur laisser l'opprobre pour héritage.» (Dictionnaire philosophique, art. Mariage.)

Joignons à cela un morceau remarquable extrait de la charmante mosaïque composée par M. L. Veuillot, sous le titre modeste de Çà et Là: «Je suis éperdu d'admiration—hélas! et d'épouvante—quand je songe à la grandeur morale où quelque petit individu de ma sorte, par exemple, peut et doit s'élever, sans avoir cependant ni puissance, ni richesse, ni génie, par cette seule raison qu'il est homme et chef de famille. Voilà autour de cet homme un monde à protéger, à aimer, à servir, à édifier, à réjouir même. Il faut que l'on vive de ses labeurs, que l'on se fortifie de ses exemples, que l'on s'honore de ses œuvres, que l'on soit heureux par lui.»

Qui se marie fait bien, et qui ne se marie pas fait encore mieux.

Ce proverbe, dans lequel se trouve une sorte d'approbation ou plutôt de tolérance pour le mariage, est dérivé d'un passage de la première épître de saint Paul aux Corinthiens. Cet apôtre, après avoir dit qu'il est avantageux de ne pas se marier, afin que le soin des choses du monde ne détourne pas du soin des choses du Seigneur, reconnaît cependant ce qui doit être accordé au besoin de la nature humaine, et conclut en ces termes: «Qui matrimonio jungit virginem suam bene facit, et qui non jungit melius facit (cap. VII, 38). Celui qui marie sa fille fait bien, et celui qui ne la marie pas fait mieux.»

Un père, qui avait ses raisons pour ne pas vanter devant la sienne les avantages de l'état conjugal, lui répétait les paroles de saint Paul, elle lui dit: «Mon père, faisons bien, fera mieux qui pourra.»

Qu'on se marie ou non, l'on a toujours à s'en repentir.

C'est ce que Socrate répondit à un jeune Athénien qui, hésitant à prendre femme, lui demandait s'il valait mieux se marier ou ne pas se marier. Sa réponse devint un proverbe dont on se sert encore aujourd'hui et dont l'idée a été reproduite dans plusieurs variantes vulgaires; je me borne à signaler celle-ci: Femme est marchandise trompeuse: qui n'en a point s'en plaint, qui en prend s'en repent.

La réponse du philosophe n'était pas conforme à la demande. Il n'avait pas à dire si celui qui se mariait et celui qui ne se mariait point s'exposaient également au repentir, mais bien auquel des deux ce repentir devait être plus amer. Il jugea à propos d'éluder la question et de la laisser indécise. Qu'on se garde pourtant de conclure de là qu'il n'appréciait pas mieux le mariage que le célibat. C'est à tort qu'on a prétendu que les contrariétés que lui suscitait l'humeur fort difficile de sa femme Xantippe le lui avaient rendu antipathique, il ne cessa jamais de le regarder comme l'institution la plus utile qui a produit la famille, fondement de la société. Il en parla dans une nombreuse assemblée en termes si honorables et si persuasifs, il en exposa les avantages sous un si beau jour, que les célibataires, dont son auditoire était en grande partie composé, se marièrent tous dans l'année. C'était prendre le bon parti, car le mariage, malgré ses désagréments et ses chagrins, est bien préférable au célibat, je ne parle pas du célibat des hommes voués à la religion ou à la science et capables d'acquitter leur dette envers la société par des vertus ou des talents, je parle de celui des vils égoïstes et des lâches voluptueux, qui sacrifient tous leurs devoirs pour satisfaire leurs vices.

On ferait bien mieux de ridiculiser les célibataires que les gens mal mariés. C'est ce que faisaient les peuples antiques, et quelques-uns même de ces peuples les traitaient plus sévèrement. On sait que, chez les Spartiates, les femmes avaient le droit de les fouetter tous les ans, au pied de la statue de Junon qui présidait aux mariages.

Je ne prétends pas assurément qu'il faille renouveler contre eux une pareille punition. Je pense qu'ils ne sont que trop punis par les vices qu'ils contractent dans la vie qu'ils mènent et par l'abandon où ils sont réduits dans leurs dernières années.

Quant aux plaisanteries sur le mariage, il faut bien les tolérer, et j'aurais mauvaise grâce à vouloir les proscrire. Tout ce que je demande, c'est qu'elles ne soient pas sérieuses, et qu'au lieu de porter sur l'institution elle-même, elles tombent sur ce qui tend à fausser cette institution, qui est la plus respectable du monde puisqu'elle est le fondement de la famille, sur laquelle est fondée la société.

Laissons donc les railleurs s'égayer sur ce sujet, pourvu qu'ils ne dépassent pas les justes limites que la vérité, la décence et le bon goût imposent. Nos aïeux, grands amateurs de la gaudriole, sont allés trop souvent au delà. Cependant ils ne négligeaient pas de se marier, et ils avaient soin de donner à la société un grand nombre d'enfants légitimes. C'est sur ce dernier point qu'il faut les imiter. Que les malthusiens en disent ce qu'ils voudront, je pense qu'il est bon que chacun fasse comme ses père et mère. Ainsi soit-il.

Qui se marie par amours
A bonnes nuits et mauvais jours.

Une femme d'esprit et de sens, Mme de Flahaut, disait à son fils, pour le dissuader de faire un mariage d'amour, qui est ordinairement un mariage pauvre: «Souvenez-vous, mon fils, qu'il n'y a qu'une chose qui revienne chaque jour dans le ménage, c'est le dîner.»

Voici comment Molière a développé la pensée proverbiale dans l'Étourdi, acte IV, scène IV:

Quand on ne prend en dot que la seule beauté,
Le remords est bien près de la solennité,
Et la plus belle femme a bien peu de défense
Contre cette tiédeur qui suit la jouissance.
Je vous le dis encor, ces bouillants mouvements,
Ces ardeurs de jeunesse et ces emportements
Nous font trouver d'abord quelques nuits agréables.
Mais ces félicités ne sont guère durables,
Et notre passion, alentissant son cours,
Après de bonnes nuits donne de mauvais jours.
De là viennent les soins, les soucis, les misères,
Les fils déshérités par le courroux des pères.

Thomas Corneille a dit sur le même sujet, mais d'un style moins vigoureux:

L'abondance des biens
Pour l'amour conjugal a de puissants liens.
La beauté, les attraits, l'esprit, la bonne mine,
Échauffent bien le cœur, mais non pas la cuisine,
Et l'hymen qui succède à ces folles amours,
Après quelques douceurs a bien de mauvais jours.
Qui se marie se met la corde au cou.

C'est-à-dire se rend esclave. Ce proverbe est une traduction vulgaire des paroles d'Hippothoüs, citées parmi les Sentences choisies des trésors des Grecs, par Stobée: «Astrictus nuptiis non amplius liber est. Celui qui est lié par le mariage n'est plus libre.»

Cette chaîne qui dure autant que notre vie,
Et qui devrait donner plus de peur que d'envie,
Si l'on n'y prend bien garde, attache assez souvent
Le contraire au contraire et le mort au vivant.

Ces vers de Corneille assimilent le mariage au supplice que Mézence infligeait à ses victimes. Ce tyran, dit Virgile, unissait des corps vivants à des cadavres. (Énéide, VIII, 485.)

Mortua quin etiam jungebat corpora vivis.
Qui se marie s'achemine à faire pénitence.

Il n'y a rien qui ait besoin d'explication dans ce proverbe, et je me bornerai à y joindre une historiette vraie ou fausse, dont on l'assaisonne ordinairement, quand on le cite. La voici telle qu'elle a été mise en vers par Pons de Verdun, le plus fécond de nos rimeurs anecdotiers:

La veille de son mariage,
Thomas au père Hilarion
Fut demander, selon l'usage,
Un billet de confession.
Le pénitent, gai comme un prince,
Bien confessé, billet en main,
S'en allait: un remords le pince,
Et vite il rebrousse chemin.
«Sans doute c'est par oubliance,
Va-t-il dire au père étonné,
Que vous ne m'avez pas donné
Le moindre mot de pénitence.
—Allez, répond le franciscain,
Allez, vous n'en avez que faire:
Ne m'avez-vous pas dit, mon frère,
Que vous vous mariiez demain?
Marie ton fils quand tu voudras, et ta fille quand tu pourras.

On peut différer sans inconvénient le mariage d'un fils, qui ordinairement n'est point à charge à la famille; mais il n'en saurait être de même de celui d'une fille, car elle donne bien de l'embarras et exige une surveillance continuelle. Il importe beaucoup de lui chercher un époux, et si l'on en trouve un qui soit convenable, il faut le lui donner sans retard. Marie ta fille, et tu auras fait une grande affaire, dit un autre proverbe traduit de ces paroles de l'Ecclésiastique: Trade filiam, et grande opus feceris (VII, 27).

Cette grande affaire n'était pas aussi importante dans l'antiquité qu'elle l'est dans notre temps, où le mariage est devenu extrêmement difficile. Alors, pour parler comme Dante, «la fille en naissant ne faisait pas encore peur à son père, car l'heure de la marier et la dot n'avaient pas toutes deux dépassé toute mesure.»

Non faceva nascendo ancor paura
La figlia al padre, che il tempo e la dote
Non fuggian quinci e quindi la misura.

La diminution des mariages, produite d'un côté par le libertinage des hommes, et de l'autre par le luxe des femmes, est telle aujourd'hui qu'elle fait la désolation des familles et préoccupe les politiques et les moralistes, effrayés des calculs de la statistique qui démontre que, depuis vingt-cinq ans, le mariage ne cesse de décroître ou de rester stationnaire.

Marie ta fille quand elle en a envie, et ton fils quand l'occasion s'en présente.

Il ne faut pas refuser un mari à sa fille lorsqu'elle éprouve le désir et le besoin d'en avoir un; car ce refus pourrait entraîner de graves inconvénients pour elle et pour la famille. Il ne faut pas non plus négliger de marier son fils quand on en trouve l'occasion, quoiqu'il n'y ait pas urgence de le faire. Ce proverbe, dont la dernière partie contredit un peu la première du précédent, est littéralement traduit du basque:

Alaba escont esac nahi-denean.
Semea ordu-denean.
Marie ton fils à Paris.

Ce proverbe, peu significatif et peut-être peu sage aujourd'hui, était autrefois un bon conseil pour les parents qui tenaient à marier leur fils richement, parce que la Coutume de Paris avantageait les filles au détriment des garçons.

Marie ta fille en Normandie.

L'ancienne Coutume de Normandie contenait, à l'égard des filles, des dispositions contraires à celles de la Coutume de Paris; elle les désavantageait pour avantager les fils, qui devenaient par là de riches partis. Les fils dont il est ici question étaient les aînés; car les autres n'avaient guère plus de droit que les filles à l'héritage paternel, et l'on disait: C'est un cadet de Normandie, pour désigner un individu mal partagé sous le rapport de la fortune.

On sait que Boileau, qui estimait trop peu le talent de Th. Corneille, lui appliquait cette dénomination: «Ses vers, comparés à ceux de son aîné, disait-il, montrent bien qu'il n'est qu'un cadet de Normandie

Nul ne se marie qui ne s'en repente.

Proverbe qui se trouve textuellement dans la Châtelaine de Saint-Gilles, poëme manuscrit de la Bibliothèque nationale, no 7,218. Nus ne se marie qui ne s'en repente. Et pourquoi ce repentir presque universel du mariage? Fénelon va nous l'apprendre: «Ce joug perpétuel, dit-il, est difficile à porter pour la plupart des hommes légers, inquiets et remplis de défauts. Chacune des deux personnes a ses imperfections: les naturels sont opposés, les humeurs sont presque incompatibles; à la longue, la complaisance s'use, on se lasse les uns des autres dans cette misérable nécessité d'être presque toujours ensemble et d'agir en toutes choses de concert. Il faut une grande grâce et une grande fidélité à la grâce reçue pour porter patiemment ce joug. Quiconque l'acceptera par l'espérance de s'y contenter grossièrement y sera bientôt mécompté. Il sera malheureux et rendra sa compagne malheureuse. C'est un état de tribulation et d'assujettissement très-pénible auquel il faut se préparer en esprit de pénitence.»

Fénelon dit encore dans un autre endroit de ses Lettres spirituelles: «Demandez, voyez, écoutez; que trouvez-vous dans toutes les familles, dans les mariages mêmes qu'on croit les mieux assortis et les plus heureux, sinon des peines, des contradictions, des angoisses? Les voilà ces tribulations dont parle l'Apôtre, lorsqu'il dit: Ceux qui entrent dans les liens du mariage souffrent les tribulations de la chair, et je voudrais vous les épargner. Il n'en a point parlé en vain; le monde en parle encore plus que lui; toute la nature est en souffrance. Laissons là tant de mariages pleins de dissensions scandaleuses; encore une fois, prenons les meilleurs. Il n'y paraît rien de malheureux; mais, pour empêcher que rien n'éclate, combien faut-il que le mari et la femme souffrent l'un de l'autre! Ils sont tous deux également raisonnables, si vous le voulez (chose très-rare et qu'il n'est guère permis d'espérer); mais chacun a ses humeurs, ses préventions, ses habitudes, ses liaisons. Quelque convenance qu'il y ait entre eux, les naturels sont toujours assez opposés pour causer une contrariété fréquente, dans une société si longue, où l'on se voit de si près, si souvent, avec ses défauts de part et d'autre, dans les occasions les plus naturelles et les plus imprévues, où l'on ne peut être préparé. On se lasse, le goût s'use, l'imperfection toujours attachée à l'humanité se fait sentir de plus en plus. Il faut à toute heure prendre sur soi et ne pas montrer tout ce qu'on y prend; il faut à son tour prendre sur son prochain, et s'apercevoir de sa répugnance. La complaisance diminue, le cœur se dessèche, on se devient une croix l'un à l'autre… Souvent on ne tient plus l'un à l'autre que par devoir tout au plus, ou par une certaine estime sèche, ou par une amitié altérée et sans goût qui ne se réveille que dans les fortes occasions. Le commerce journalier n'a presque rien de doux; le cœur ne s'y repose guère: c'est plutôt une conformité d'intérêt, un lien d'honneur, un attachement fidèle, qu'une amitié sensible et cordiale.»

[15] Gaz ou gars signifie garçon. Ce mot a un féminin qui aujourd'hui fait frémir la pudeur, et qui autrefois figurait dans le proverbe à la place du mot filles, sans offenser les plus chastes oreilles, puisque le bon Saint François de Sales l'a fréquemment employé dans ses écrits religieux, au commencement du dix-septième siècle. C'est le cas de dire avec Voltaire que la pudeur se réfugie sur les lèvres quand elle n'est plus dans le cœur.

Saint Nicolas, évêque de Myre, se distingua, durant tout son épiscopat, par sa charité évangélique et par son zèle éclairé pour le maintien des bonnes mœurs. Ayant appris un jour qu'un gentilhomme, père de trois filles qu'il ne trouvait pas à marier, faute de pouvoir les doter, se disposait à leur faire contracter des unions illégitimes, il alla de nuit se poster devant la maison de cet homme, et, profitant d'un moment où la fenêtre de sa chambre était ouverte, il y jeta une bourse remplie d'or pour qu'elle servît de dot à l'aînée des trois sœurs. Puis il renouvela, en temps opportun, le même acte de générosité en faveur de chacune des deux autres, qui devinrent, grâce à lui, de pieuses mères de famille au lieu d'être de malheureuses courtisanes.

De là est venue la croyance que saint Nicolas, dans le ciel, prend plaisir à continuer le beau rôle qu'il a rempli sur la terre. Il est le patron des pauvres filles à marier, et son nom est invoqué dans les litanies des amoureux, où elles s'écrient:

Patron des filles, saint Nicolas,
Mariez-nous, ne tardez pas.

J. Delille a consacré à ce saint, dans la première édition du poëme de la Pitié, les quatre vers suivants, qui ont été supprimés dans les autres éditions:

Le grand saint Nicolas dont l'oreille discrète
Écoute des amants la prière secrète,
Qui, des sexes divers le confident chéri,
Donne à l'homme une épouse, à la femme un mari.

Saint Nicolas est aussi le patron des garçons et le patron des mariniers, pour des raisons tirées de deux faits consignés dans sa légende, et inutiles à rapporter ici.

Celui qui se marie trop tard se marie pour ses voisins.

C'est ce que disait un vieillard de l'antiquité, le jour même de son mariage. Ce joli mot, passé en proverbe, est rapporté par Plutarque.—Nous avons encore ce vieux dicton, qui exprime la même idée par une antithèse assez plaisante: Qui recule trop à se marier, il s'avance d'être sot.

Il résulte de là qu'il faut se marier dans la jeunesse, et qu'il vaut mieux renoncer tout à fait au mariage que de le remettre à la grande année climatérique.

Un sage et spirituel sexagénaire, qui mérite, en ce cas, d'être proposé comme modèle, répondait aux conseils qu'on lui donnait de se marier: «Je m'en garderai bien, car je n'ai aucun goût pour les vieilles femmes, et je suis sûr que les jeunes, par la même raison, n'en auraient aucun pour moi.»

Les fiançailles chevauchent en selle, et les repentirs en croupe.
Post equitem sedet atra cura.

(Horat., lib. III, od. I.)

Il n'y a qu'une remarque à faire sur ce proverbe maintenant peu usité; c'est qu'à l'époque où il fut introduit, les fiancés, du moins ceux d'une condition au-dessus de l'ordinaire, se rendaient à cheval à l'église, n'ayant pas, comme aujourd'hui, des voitures pour y être transportés.

Tel fiance qui n'épouse pas.

Proverbe qu'on emploie au figuré pour faire entendre qu'une espérance qui est très-bien fondée, qui est même en voie de réalisation, peut être frustrée tout à coup.

On lit dans les Institutes de Loisel: Fille fiancée n'est ni prise ni laissée (liv. I, tit. II, reg. 1), et dans les Maximes du droit français de L'Hommeau: Fille fiancée n'est pas mariée (liv. III, max. 41).

Les fiançailles ne sont qu'une promesse qui peut être rompue, sauf l'action en dommages et intérêts.

Chateaubriand dit que l'intention de la coutume des fiançailles est de laisser aux deux époux le temps de se connaître avant de s'unir. «Saint Augustin, ajoute-t-il, en rapporte une raison aimable: Constitutum est ut jam pactæ sponsæ non statim tradantur, ne vilem habeat maritus datam quam non suspiraverit sponsus dilatam.»

Boire tanquam sponsus, ou boire comme un fiancé.

Cette expression proverbiale, qui signifie boire copieusement, se trouve dans le cinquième chapitre de Gargantua. Un commentateur croit qu'elle a dû son origine à un mauvais jeu de mots sur sponsus et spongia (éponge), ce qui est tant soit peu ridicule. Fleury de Bellingen la fait venir des noces de Cana, où la provision de vin fut épuisée; sur quoi l'abbé Tuet fait la remarque suivante: «Le texte sacré dit bien qu'à ces noces le vin manqua, mais non pas que l'on y but beaucoup, encore moins que l'époux donna l'exemple de l'intempérance. J'aimerais mieux tirer le proverbe des amants de Pénélope, qui passaient le temps à boire, à causer, etc. Horace appelle sponsos Penelopes les personnes livrées à la débauche.»

Aucune de ces explications ne me paraît admissible. En voici une nouvelle que je propose, et dont la vérité me paraît incontestable. Autrefois, en France, on était dans l'usage de boire le vin des fiançailles. Dans cette circonstance, le fiancé devait souvent vider son verre pour faire raison aux convives qui lui portaient des brindes ou des santés, et de là vient qu'on dit: Boire tanquam sponsus, ou boire comme un fiancé.

Don Martène cite un missel de Paris du quinzième siècle, où il est dit en latin: «Quand les époux, au sortir de la messe, arrivent à la porte de leur maison, ils y trouvent le pain et le vin. Le prêtre bénit le pain et le présente à l'époux ainsi qu'à l'épouse, pour qu'ils y mordent. Le prêtre bénit aussi le vin, et leur en donne à boire; ensuite il les introduit lui-même dans la domicile conjugal.»

Aujourd'hui encore, dans plusieurs localités, on offre aux époux qui reviennent de l'église une soupière de vin chaud et sucré.

En Angleterre, on faisait boire autrefois aux nouveaux mariés du vin sucré dans des coupes qu'on gardait à la sacristie parmi les vases sacrés, et on leur donnait à manger des oublies ou des gaufres qu'ils trempaient dans ce vin. De vieux missels attestent cette coutume, qui fut observée aux noces de la reine Marie et de Philippe II, roi d'Espagne. Shakespeare y a fait allusion dans sa comédie intitulée la Méchante Femme mise à la raison, où il est dit de Pétruchio épousant Catherine: «Il a avalé des rasades de vin muscat, et il en a jeté les rôties à la face du sacristain.» (Acte III, sc. II.)

Selden (De Uxore hebraica) a signalé parmi les rites de l'Église grecque une semblable coutume, qu'il regarde comme un reste de la confarréation des anciens.

J.-O. Stiernhook (De Jure Suevorum et Gothorum vetusto, p. 163, édit. de 1672) rapporte une scène charmante qui avait lieu aux fiançailles, chez les Suèves et les Goths. «Le fiancé, entrant dans la maison où devait se faire la cérémonie, prenait la coupe dite maritale, et, après avoir écouté quelques paroles du paranymphe sur son changement de vie, il vidait cette coupe, en témoignage de constance, de force et de protection, à la santé de sa fiancée, à qui il promettait ensuite la morgennatique (morgennaticam[16]), c'est-à-dire une dot pour prix de la virginité. La fiancée témoignait sa reconnaissance, puis elle se retirait pour quelques instants, et, ayant déposé son voile, elle reparaissait sous le costume de l'épouse, effleurait de ses lèvres la coupe qui lui était présentée, et jurait amour, fidélité, diligence et soumission.»

[16] Ce mot de basse latinité, et le mot français morganatique, viennent de l'Allemand Morgen Gabe (présent du matin), et désignent proprement la dot que la mariée, le lendemain des noces, recevait du mari, comme dit Stiernhook, pour prix de sa virginité. De là vient aussi le nom de mariage morganatique ou à la morganatique, qu'on donne à l'union contractée entre un prince et une femme d'un rang inférieur, entre un noble et une roturière, sous cette clause expresse que l'épouse doit avoir en toute propriété les biens qui lui sont assignés par l'époux, sans aucun droit au reste de la fortune et aux titres qu'il possède. Ce mariage, où les enfants sont soumis aux mêmes conditions que la mère, s'appelle encore mariage de la main gauche. Il est particulièrement en usage chez les princes souverains d'Allemagne.

Les idylles de Théocrite et les églogues de Virgile n'offrent pas de tableau plus gracieux.

Deux bons jours à l'homme sur terre:
Quand il prend femme et qu'il l'enterre.

Ce proverbe, littéralement traduit du provençal, a inspiré à Saint-Évremont ces deux vers fameux:

L'hymen avec l'amour a tant d'antipathie
Qu'il n'a que deux bons jours: l'entrée et la sortie.

Les vers et le proverbe sont tout à fait identiques à cette pensée que Stobée attribue à Hipponax, poëte comique grec: «Une femme donne à son mari deux jours de bonheur: celui où il l'épouse, et celui où il l'enterre.»

Les femmes provençales, qui maigrissent dans les soucis du ménage, ont plusieurs proverbes opposés à cette plaisanterie renouvelée des Grecs. En voici deux d'une originalité piquante: «Sé uno marlusso vénië véouso, sérië grasso. Si une merluche devenait veuve, elle serait grasse. Sé uno sardino vénië véouso, sérië grasso coumo un thoun. Si une sardine devenait veuve, elle serait grasse comme un thon.»

C'est pain de noces.

Se dit d'une chose très-agréable dont on se promet ou dont on reçoit un grand plaisir; on prétend que cette façon de parler est venue par altération de paix de noces, baiser qu'on donne aux nouveaux mariés en Languedoc, et qu'on appelle pa de nobis ou novis dans l'idiome de ce pays; mais une telle origine ne me paraît pas admissible. Voici la véritable: dans le mariage par confarréation chez les Romains, les deux époux mangeaient, en signe d'union, un pain ou gâteau fait de la farine du froment nommé far en latin (le froment rouge, à ce qu'on croit généralement). L'usage de ce gâteau s'était conservé dans les noces chrétiennes au moyen âge, et de là vient l'expression pain de noces. Nous disons aussi de deux époux qui conservent longtemps l'un pour l'autre des procédés galants et tendres: Ils font durer le pain de noces.

Le pain de noces coûte cher à qui le mange.

Les Espagnols disent: «Pan de boda, carne de buitrera. Pain de noces, chair de piége à vautour.» Cette métaphore proverbiale est d'une effrayante énergie. En transformant le mariage en une sorte de guet-apens où ceux qui se laissent prendre sont assimilés aux vautours, elle met pour ainsi dire sous les yeux, par cette image terrible, toute la fureur de la guerre intestine qu'ils auront à soutenir. Elle a été évidemment inspirée par le génie de la haine contre le joug conjugal.

Noces de mai, noces mortelles.

Les Romains avaient soin de ne pas se marier pendant le mois de mai. Ils croyaient que le mariage contracté en ce temps, qui, chez eux, était consacré au culte des tombeaux, devait tourner à mal et entraîner la mort de l'épouse, ainsi que l'attestent ces vers du chant V des Fastes d'Ovide:

Nec viduæ tædis eadem nec virginis apta
Tempora: quæ nupsit non diuturna fuit.
Hac quoque de causa si te proverbia tangunt,
Mense malas maio nubere vulgus ait.

«Ce temps n'est pas favorable pour allumer les flambeaux de l'hymen d'une veuve ni d'une vierge. Celle qui s'est mariée alors a peu vécu, et si les proverbes peuvent être ici de quelque poids, je rappellerai le dicton populaire: Ce sont des malheureuses qui se marient au mois de mai[17].

[17] C'est ainsi que se dit en français ce proverbe dans lequel le mot malheureuses répond mieux que le mot méchantes, employé par tous les traducteurs, au sens qui ressort de tout le passage d'Ovide. L'idée d'infortune est aussi bien impliquée dans le latin malas, que celle de méchanceté, et toutes deux se trouvent dans le français malheureuses.—Il en est de même du mot infelix que Properce a mis pour scelestus dans ce vers de l'élégie 23 du livre II.

Infelix hodie vir mihi rure venit.

«Mon scélérat de mari m'arrive, ce soir, de la campagne.»

Plutarque, dans la quatre-vingt-sixième de ses Demandes des choses romaines, a recherché les causes de cette superstition, et voici ce qu'il en a dit: «Pourquoi les Romains ne se marient pas au mois de mai? Est-ce parce qu'il est entre avril et juin, dont l'un est consacré à Vénus et l'autre à Junon, déesses qui ont toutes deux la cure et la surintendance des noces, au moyen de quoi ils (les Romains) avancent ou retardent un peu? ou est-ce parce que, ce mois-là, ils font la cérémonie de la plus grande purgation?… En ce temps-là, la prêtresse de Junon, ou la Flaminea, vit toujours triste, comme en deuil, sans se laver ni se parer. Ou bien est-ce parce que plusieurs des peuples latins font oblation aux trépassés en ce mois? et c'est pourquoi ils adorent Mercure, en ce même mois, joint qu'il porte le nom de Maia, mère de Mercure.» (Trad. d'Amyot.)

La superstition qui a donné lieu au proverbe est, comme on vient de le voir, tout à fait païenne, et, quoique les motifs qui l'avaient introduite n'existent plus, elle se maintient encore en plusieurs pays, notamment en Provence. On a prétendu même la justifier par des exemples célèbres, parmi lesquels se trouvent les trois suivants:

Marie Stuart épousa Bothwell le 15 mai 1567, et, le lendemain, le dernier des quatre vers latins cités plus haut fut placardé sur la porte de son palais comme un sanglant reproche de cette indigne union avec l'assassin de son mari, et comme une prophétique menace des malheurs qui devaient la suivre.

Henriette de France, fille de Henri IV, fut mariée, le 11 mai 1625, avec Charles Ier, roi d'Angleterre, qui périt sur l'échafaud, et la vie de cette reine fut un long enchaînement de douleurs.

Les noces de Marie-Antoinette d'Autriche et du duc de Berry, depuis Louis XVI, furent célébrées à Paris le 16 mai 1770, et l'on sait à quelles infortunes la Révolution française vint livrer ces augustes époux.

Noces réchauffées.

Cette expression par laquelle on désigne les secondes noces est traduite de celle du moyen âge maritagia recalefacta, qui s'employait dans le même sens.

Ces secondes noces étaient décriées même chez les païens. Valère Maxime (liv. II, ch. XI) dit que les femmes qui les contractaient ne pouvaient toucher la statue de la chasteté ou de la fortune féminine, et n'étaient pas conduites en cérémonie chez les maris.

On connaît ce vers de Martial (Épigr. VI, 7):

Quæ nubit toties, non nubit, adultera lege est.

Se marier si souvent ce n'est point se marier; c'est être légalement adultère.

La décence voulait qu'une femme veuve ne se remariât point. C'est ce que fit Cornélie, mère des Gracques. Plutarque nous apprend que, recherchée en mariage par le roi Ptolémée, elle préféra le titre de veuve au titre de reine.

Tertullien appelait les secondes noces adultera speciosa, «des adultères déguisés.» Les pères de l'Église les qualifiaient à peu près de même, et dans le moyen âge on inventa le charivari pour les bafouer.

Les Italiens ont ce proverbe: «La prima donna è matrimonio, la seconda è compagnia, la terza è heresia. La première épouse est mariage, la seconde est compagnie, et la troisième est hérésie.»

Il ne s'est jamais trouvé à pareilles noces.

Il n'a jamais éprouvé un pareil traitement. Si je rapporte ici cette locution, c'est qu'elle est fondée sur un usage bon à connaître, pratiqué jadis en Poitou, après les repas d'épousailles. Les convives, en sortant de table, n'avaient rien de plus pressé que de mettre leurs mitaines et de se donner les uns aux autres des coups de poing qui faisaient plus de bruit que de mal. C'était un exercice mnémonique institué par la joie pour rendre plus durable le souvenir de la fête dont on venait de jouir. Mais il dégénéra dans la suite au point de rappeler le combat des Centaures et des Lapithes aux noces de Pirithoüs, rixa debellata super mero: ce qui en nécessita l'abolition. Rabelais n'a pas oublié cette singulière coutume dans la description qu'il a faite des noces du seigneur de Basché (liv. IV, ch. XIV). «Pendant qu'on apportoit vin et espices, coupz de poing commencearent trotter. Chicquanous en donna nombre au prestre Oudart. Soubz son suppeliz avoit Oudart son guantelet caché, il s'en chausse comme d'une mitaine, et de daulber Chicquanous, et de drapper Chicquanous; et coupz de jeunes guanteletz de tous coustez pleuvoir sur Chicquanous. Des nopces, disoyent-ilz, des nopces, des nopces: vous en soubvienne. Il feut si bien accoustré que le sang lui sortoit par la bouche, par le nez, par les aureilles, par les œilz. Au demourant courbatu, espaultré et froissé, teste, nucque, dours (dos), poictrine, bras, et tout. Croyez qu'en Avignon, on (en) temps de carnaval, les bacheliers oncques ne jouarent à la raphe (ou rafle, jeu de mains) plus melodieusement que feut joué sur Chicquanous.»

Notons que l'usage décrit par Rabelais existait du temps de Villon, qui en a parlé dans la double ballade du Grand Testament, stance V.

Aujourd'hui marié, demain marri.

Ou bien: Aujourd'hui mari, demain marri; c'est-à-dire: aujourd'hui dans la joie du mariage, et demain dans le regret. Marri est un vieux mot dérivé du latin barbare marritio, que Vossius explique par chagrin, ressentiment d'un malheur éprouvé, d'une offense reçue. Ce jeu de mots proverbial a des analogues dans les langues étrangères. Les Espagnols disent: «Casar y mal dia, todo en un dia. Mariage et malheur, tout en un jour,» et les Turcs: Avant le mariage tu criais io, et après tu cries iahu. Ces deux interjections sont usitées chez eux, la première pour marquer la joie, et la seconde pour marquer la douleur.

Il sera marié cette année.

Ce dicton s'applique par plaisanterie à une personne qui jette au plancher certaines choses qui s'y attachent. Il fait allusion à une pratique superstitieuse usitée à Rome parmi les amoureux, et rappelée par Horace dans la troisième satire du livre II. Ils lançaient avec le pouce et l'index des pépins de pomme au plafond, persuadés que, s'ils l'atteignaient, les vœux que leur cœur avait formés seraient accomplis. Cela se faisait aussi au moyen âge, et le succès du jet était regardé comme un oracle du ciel. Il existe encore aujourd'hui une foule de superstitions analogues chez la plupart des peuples beaucoup plus enclins à consulter le sort que la raison. Les Chinois, pour connaître ce qu'ils ont à espérer ou à craindre dans les choses qui les intéressent, jettent en l'air une poignée de petits bâtons, et la manière dont ces bâtons s'arrangent en tombant est pour eux un présage heureux ou funeste.

L'homme marié est un oiseau en cage.

Cette métaphore proverbiale, qui n'a pas besoin d'explication, est à l'usage des célibataires ou des libertins qui tiennent à conserver leur liberté entière pour se livrer à de folles amours, où ils la perdent assez souvent d'une manière bien plus sotte que dans le mariage. Cette autre maxime, jamais maris, toujours amants, par laquelle ils prétendent autoriser leur antipathie conjugale, est aussi contraire à la vérité qu'aux bonnes mœurs, et les personnes sensées ne seront pas de l'avis de Mlle de Scudéri, qui la propose comme une leçon du sage, dans un apologue qui trouve ici naturellement sa place.

Qu'il est doux d'être dans la cage!
Disait au dehors un pinson,
Y voyant un serin qui, de son doux ramage,
Faisait retentir sa prison.
Il a nourriture à foison,
Bon grain et gentille femelle,
Et peut, quand il veut, avec elle,
Rire, boire, manger et dire la chanson:
C'est ainsi que, voyant une jeune pucelle,
Damis croit qu'il serait au comble des plaisirs
S'il pouvait se lier d'une chaîne éternelle
Avec ce doux objet de ses tendres désirs;
Mais la cage et le mariage
Ne font sentir les maux que quand on est dedans.
Pour devise prenez cette leçon du sage:
Jamais maris, toujours amants.
Les mariés auront la vigne de l'abbé.

Avoir la vigne de l'abbé était autrefois une locution fort usitée en parlant de deux époux qui passaient la première année de leur union dans le plus parfait accord. On disait aussi: se promettre la vigne de l'abbé, pour se promettre un plein contentement en mariage. Le conte de La Fontaine, intitulé les Aveux indiscrets, en offre un exemple. L'une et l'autre expression rappellent une vieille histoire, d'après laquelle un abbé aurait fait publier qu'il donnerait une belle vigne au couple conjugal qui prouverait que pendant un an, à dater du jour de ses noces, il n'avait pas eu la moindre altercation.

Dénouer la jarretière de la mariée.

D'après un usage observé dans les repas de noces, chez les gens du peuple et les bourgeois, un enfant, qui est au nombre des convives, se glisse sous la table et détache ou fait semblant de détacher de la jambe de la mariée une touffe de petits rubans de diverses couleurs dont on suppose qu'elle avait fait sa jarretière. Puis il les montre aux assistants, qui applaudissent, et, après les avoir coupés en morceaux, il les distribue à la ronde, afin que les femmes en parent le corsage de leur robe et les hommes la boutonnière de leur habit.

On pense qu'il y a dans cet usage, qui est fort ancien, quelque réminiscence, sous forme de parodie, de ce que, dans les mœurs chevaleresques, on appelait donner le gage d'amour sans fin: une belle faisait cadeau au chevalier qu'elle devait épouser d'une de ses jarretières sur laquelle elle avait brodé son nom avec la devise: amour sans fin.

«La jarretière de la mariée, dit M. V. Hugo, est la cousine de la ceinture de Vénus.»

Dans l'antiquité, la future épouse donnait sa ceinture à l'époux, symbole encore plus caractéristique.

La mariée n'a pour dot qu'un chapeau de roses.

Cette expression, jadis très-usitée en parlant d'une jeune fille qui n'apportait rien ou presque rien en mariage, s'emploie encore dans le même sens. Le Glossaire du droit français par Laurière (tome II, page 226) la cite comme dérivée d'une maxime de la vieille jurisprudence coutumière. Elle est fondée, en effet, sur la coutume qui permettait, en certaines localités, aux parents de ne donner pour dot à leurs filles qu'un simple chapel de roses. «Ce chapel, dit M. Chassan, était une allégorie chargée d'enseigner à la femme que les grâces et la beauté, apanage de son sexe, sont une dot suffisante pour compenser ce qu'il y a de plus odieux dans l'exclusion de l'héritage paternel prononcée contre la femme par la loi politique. Cette fiction a peut-être aussi pour objet de représenter l'idéal du mariage. La femme, en passant entre les mains de l'homme sans autre dot que son simple chapel de roses, n'a pu être recherchée et ornée que pour elle-même.» (Essai sur la symbolique du droit, p. 24.)

Voilà le symbole du chapeau de roses expliqué avec toute sa grâce et sa poésie; mais le peuple n'en a saisi que le côté littéral et prosaïque; c'est la pauvreté des jeunes filles qu'il a désignée par cette coiffure à laquelle il a même supposé un effet analogue à celui qui est attribué à la coiffure de sainte Catherine, car on a dit garder son chapel de fleurs, à peu près de même qu'on dit coiffer sainte Catherine pour: ne pas se marier, témoin ce vers de la Châtelaine de Saint-Gilles, poëme compris dans le manuscrit 7,218 de la Bibliothèque nationale:

J'aim' miex chapel de fleurs que mauvès mariage.
Il n'y a pas de femme en couches qui se plaigne d'avoir été mariée trop tard.

Manière originale et facétieuse de faire entendre à une personne livrée aux plaisirs des sens avec trop d'ardeur, qu'elle maudira un jour ces plaisirs, qui ne peuvent manquer de devenir, par l'abus qu'elle en fait, des sources de regrets et d'amertumes.

Cette maxime proverbiale se prend aussi dans une acception généralisée pour signifier que la douleur, qui suit toujours l'excès des voluptés, ramène forcément ceux qu'elle frappe à de meilleures pensées, et leur fait admettre la raison, dont ils se moquaient dans de folles orgies, comme le remède le plus propre à calmer les maux qu'ils ont à souffrir.

Un mari est toujours le dernier instruit de la conduite de sa femme.

Cette observation proverbiale est de tous les temps et de tous les lieux, car toujours et partout les femmes ont eu l'art d'épaissir la membrane de l'œil des maris, pour ne pas leur laisser voir ce qu'elles jugent à propos de leur cacher.

Que d'autres leur reprochent l'usage ou l'abus de cet art, qu'ils en recueillent et racontent les traits plus ou moins perfides, afin d'amuser la malicieuse curiosité du public: je me garderai de les imiter. Je hais la manie trop commune de ne considérer l'esprit des femmes que par ses mauvais côtés, et de détourner la vue des bons côtés qu'il peut offrir, même dans ses artifices. Eh! pourquoi ne pas reconnaître que, si elles ont le tort de faire de leurs maris de véritables sots, elle y joignent, par compensation, le mérite de les empêcher d'apercevoir qu'ils le sont, et de les entretenir dans une flatteuse illusion tout à fait propre à les rendre heureux? En vérité, ces messieurs sont bien ridicules de blâmer l'adresse qu'elles mettent à les tromper. C'est une excellente chose qu'ils devraient mieux apprécier: leur intérêt les y engage. Malheur à ceux qui sont trop clairvoyants pour les tromperies féminines. Il ne leur en revient que des désagréments, des ennuis, des tribulations, qui ne font qu'ajouter à leur infortune, tandis que ceux qui acceptent leur sort sans y regarder, persuadés qu'il y a plus de sagesse à l'ignorer qu'à chercher à le connaître, vivent en parfait accord avec leurs infidèles, toujours plus attentives, plus douces, plus affectueuses, plus complaisantes pour eux, en raison de la débonnaireté qu'ils ont pour elles.

C'est un des points fondamentaux de la philosophie conjugale qu'il n'y a point de salut pour les maris sans la foi. Je ne prétends pas que cette foi si nécessaire les mette à l'abri de fâcheux accidents: celui qui l'a et celui qui ne l'a pas y sont exposés de même, et sont également sujets à figurer au rang des sots. Mais je soutiens qu'il vaut cent fois mieux être un sot crédule qu'un sot incrédule: l'un trouve le paradis dans son ménage, l'autre y trouve l'enfer.

Je n'ai pas besoin de dire lequel des deux rôles est préférable. Je remarquerai seulement que beaucoup de maris de notre siècle aiment mieux jouer le premier. Ils évitent soigneusement de porter un regard indiscret sur la conduite de leurs femmes. Ils n'attendent pas d'être aveuglés par elles; ils s'aveuglent eux-mêmes à plaisir, et, suivant un proverbe espagnol, ils font comme l'escargot, qui, pour se délivrer d'inquiétude, échangea ses yeux contre des cornes.

El caracol, por quitar de enojos,
Por los cuernos trocó los ojos.

Ce proverbe fort original, usité aussi dans le midi de la France, est fondé sur une tradition populaire qui nous apprend que l'escargot, qu'on suppose aveugle, avait été créé avec de bons yeux, mais qu'étant sans cesse exposé à les avoir blessés en rampant sur la terre ou sur les buissons, il pria Dieu de les lui ôter et de les remplacer par des cornes, dont il espérait retirer plus d'avantage, ce qui lui fut octroyé.

J'ai entendu chanter dans un village de l'Aveyron une vieille chanson patoise qui rappelle cette tradition, et qui est peut-être un fragment de quelque sirvente troubadouresque. Elle se termine par un couplet piquant dont je vais reproduire l'idée, à défaut des paroles, que j'ai oubliées.

Celui que le guignon fit naître
Sous le signe ingrat du bélier,
Se tourmente pour mieux connaître
Ce qu'il ferait bien d'oublier.
Eh! qu'espère-t-il? que souffrance
D'une ombrageuse vigilance
Qui doit lui prouver qu'il est sot.
Veut-il fuir des chagrins sans borne:
Qu'il change ses yeux pour des cornes,
A l'exemple de l'escargot!
Un mari doit se faire annoncer quand il rentre chez lui.

C'est ce que faisaient autrefois, à Rome, les maris qui se piquaient de savoir vivre, et voici l'explication que Plutarque a donnée de leur conduite dans la IXe de ses Demandes des Choses romaines: «Pourquoi est-ce que, quand ils retournent d'un voyage loingtain au pays ou seulement des champs à la ville, s'ils ont leurs femmes à la maison, ils envoient devant pour faire savoir leur arrivée? est-ce point pour leur donner asseurance qu'ils ne veulent rien faire finement ni malicieusement envers elles, car arriver soudainement à l'improuveu est une manière d'aguet et de surprise: ou bien parce qu'ils se hastent de leur envoyer donner une bonne nouvelle de leur venue comme se tenans pour asseurés qu'elles les attendent et les désirent: ou plutost pourceque eux-mêmes désirent savoir de leurs nouvelles, si ils les trouveront saines et attendant à grand dévotion leur retour: ou pourceque les femmes ont plusieurs petits négoces ou besongnes à la maison, pendant que leurs maris n'y sont pas, et bien souvent de petites hargnes et querelles à l'encontre de leurs domestiques servans ou servantes, afin doncques qu'ostant toutes ces petites fascheries là elles fassent un recueil gracieux et paisible à leurs maris, ils leur envoient devant faire tel avertissement.» (Traduction d'Amyot.)

De là est venu très-probablement notre proverbe; mais il a bien changé sur la route, car l'application qu'on en fait aujourd'hui ne s'accorde plus avec aucune des honnêtes raisons données par Plutarque. Il s'emploie pour faire entendre à quel inconvénient s'expose le mari absent qui revient au logis sans avoir pris la précaution indiquée. Le vieux poëte Coquillard (Droitz nouveaux, ch. VII, de Injuriis) conseillait à ce benêt de mari de faire du bruit en rentrant, de crier: Quel est céans? de ne point se fâcher s'il trouvait sa femme sur le fait, et de se contenter de lui dire:

Au moins deviez-vous l'huys serrer.
S'il fust venu des aultres gens!

La LXXIe des Cent Nouvelles nouvelles fait tenir le même langage par un époux débonnaire dans la même situation.

On attribue un trait tout à fait pareil à un grand seigneur du temps de la Régence. Ce personnage étant entré indiscrètement dans la chambre de sa femme pendant qu'elle était en conversation criminelle, comme disent les Anglais par euphémisme, se retira en s'écriant: «Eh! madame, que ne fermiez-vous la porte? Tout autre que moi aurait pu vous surprendre.»

Sers ton mari comme ton maître,
Et t'en garde comme d'un traître.

Ce distique proverbial, à l'usage des épouses mécontentes, qui le proposent comme principe de leur tactique conjugale, a été cité par Montaigne dans un passage de ses Essais, liv. III, ch. V, où il reproche aux hommes comme aux femmes de ne pas tenir assez de compte des devoirs du mariage. Voici les principaux traits de ce passage: «Il n'est plus temps de regimber, quand on s'est laissé entraver; il fault prudemment mesnager sa liberté; mais depuis qu'on s'est soubmis à l'obligation, il s'y fault tenir soubz les loix du debvoir commun, au moins s'en efforcer. Ceulx qui entreprennent ce marché, pour s'y porter avecques hayne et mespris, font injustement et incommodement: et cette belle regle, que je veois passer de main en main entre elles, comme un saint oracle,

Sers ton mary comme ton maistre,
Et t'en garde comme d'un traistre.

qui est à dire:—Porte-toy envers luy d'une reverence contraincte, ennemie et desfiante,—cry de guerre et de desfi, est pareillement injurieuse et difficile.»

Mieux vaut un mari sans amour qu'un mari jaloux.

«Les femmes, disait Mme de Coulanges, ne veulent de la jalousie que de ceux dont elles pourraient être jalouses.» Par conséquent, elles ne doivent pas vouloir de celle de leurs maris, qu'elles n'aiment guère et qui le leur rendent bien, car, s'ils sont jaloux, c'est ordinairement sans amour. La jalousie de ces messieurs leur est antipathique au suprême degré, parce qu'elle leur fait sentir qu'ils se défient d'elles et veulent les tenir sous leur dépendance: deux attentats odieux dont elles sont cruellement blessées. Mais la jalousie de leurs amants ne saurait leur déplaire; elles la regardent comme un témoignage de l'amour qu'elles leur inspirent, et si elle devient quelquefois désagréable, elles la leur pardonnent aisément. Eh! comment persisteraient-elles à trouver mauvais un effet provenu d'une cause si bonne et si belle!

Mieux vaut un vieux mari que point de mari.

C'est ce qu'on dit aux demoiselles qui, dépitées de ne pas trouver un épouseur jeune, refusent d'en prendre un vieux, et c'est ce qu'elles disent elles-mêmes lorsque l'expérience est venue leur démontrer qu'il est beaucoup plus triste de vieillir fille que d'être la femme d'un vieillard, beaucoup meilleur de devenir la femme d'un homme âgé que de vieillir fille. En effet, si l'on établit un parallèle entre la vieille fille et la femme mariée, on voit combien la situation de cette dernière est plus avantageuse. Elle jouit d'abord dans la société d'une certaine considération dont la vieille fille est privée; elle a les caresses de ses enfants lorsqu'ils sont jeunes, et elle trouve encore en eux une grande source de satisfaction lorsqu'ils sont vieux. Enfin, arrivée dans un âge plus avancé, elle a pour la servir ces mêmes enfants qui lui fermeront les yeux. Non-seulement la vieille fille s'est privée de tous ces avantages; mais elle s'est condamnée à une solitude qui, sans cesser jamais d'être pénible, lui fera passer ses derniers jours dans l'amertume et les regrets.

Un homme riche n'est jamais trop vieux pour être le mari d'une jeune fille.

S'il n'a pas assez de jeunesse ou de beauté pour plaire, il a assez d'or pour se faire épouser, et ce que sa figure a de disgracieux s'efface et s'embellit même sous les reflets du plus précieux des métaux, car, ainsi que Boileau l'a dit très-élégamment dans sa satire VII:

L'or même à la laideur donne un teint de beauté.

Par conséquent, il ne faut pas s'étonner qu'un vieux ou un laid qui se présente comme épouseur sous les auspices de la déesse qu'Homère appelle Vénus dorée, soit favorablement accueilli par une jeune et jolie fille. Celle-ci pense moins aux inconvénients de son union avec lui qu'aux avantages qu'elle espère en retirer. Elle va être affranchie de la sujétion où ses parents la tiennent, et devenir maîtresse de maison; elle disposera d'une grande fortune, elle aura de superbes équipages, des écrins garnis de perles et de saphirs, des cachemires et des robes magnifiques, enfin tout le splendide attirail de toilette que les Latins appelaient mundus muliebris, «le monde féminin», sans doute en raison de la quantité et de l'importance des objets qu'il comprend. L'idée qu'elle se fait de sa nouvelle position l'enivre et l'éblouit; elle se voit déjà la reine de la mode, et se flatte de trouver dans l'homme cousu d'or, de qui elle est adorée, un trésorier inépuisable, toujours prêt à payer les frais du luxe royal de ses atours.

Est-il possible qu'elle refuse un mariage qui lui ouvre un avenir si merveilleux? Quelque innocente se rencontrerait peut-être capable de résister aux séductions de l'opulence et de rester fidèle à un amant pauvre que ses parents voulaient la forcer d'oublier; mais elle qui n'aspire qu'à briller dans le monde, elle se gardera bien de cette magnanimité de roman. Elle a étudié la question sous toutes les faces. L'affaire lui paraît excellente, et elle n'a rien de plus pressé que de la conclure. Peu lui importe qu'on la blâme de sacrifier les intérêts du cœur à ceux de la vanité, en épousant un homme qu'elle ne saurait aimer. Elle tient ce reproche pour une niaiserie sentimentale dont elle rit; elle sait que le mariage n'empêche pas d'aimer ailleurs, et elle est disposée à imiter le plus décemment possible la conduite de certaines dames qui se prêtent à un mari et se donnent à un amant. C'est là malheureusement ce qui se passe dans une société immorale, en la plupart des cas où une jeune et jolie fille est unie à un vieux et laid magot. Eh! pourrait-elle avoir, non-seulement le courage, mais le désir de rester fidèle à un tel mari, lorsqu'elle est sans cesse poursuivie par des adorateurs d'autant plus empressés qu'ils pensent que si elle s'est laissée aimer par celui-là, elle se laissera bien aimer par d'autres.

Un mari doit faire carême-prenant avec sa femme, et Pâques avec son curé.

Ce vieux proverbe, qui recommande d'être bon mari et bon chrétien, n'a pas besoin d'être expliqué; mais il a besoin d'être rappelé au souvenir des maris, car bien que ces messieurs n'ignorent pas ce qu'il signifie, presque tous oublient ce qu'il les invite à faire à tout le moins une fois l'an.

Le bon mari fait la bonne femme, et la bonne femme fait le bon mari.

Quand le mariage est l'association de deux personnes raisonnables, qui s'aiment par inclination autant que par devoir, elles ont naturellement l'une pour l'autre des égards, des attentions et des prévenances dont l'effet est d'entretenir et d'accroître chez elles la confiance et l'affection. Cet échange de soins quotidiens, cette fusion de pensées et de sentiments, améliorent leur caractère individuel en le dégageant des volontés égoïstes, et leur communiquent un nouveau caractère commun à toutes deux, qui leur fait goûter les plus doux charmes de la sympathie. Si le sort leur est contraire, elles n'éprouvent que la moitié des peines; s'il leur est favorable, elles ont le double des plaisirs.

Voilà les vrais modèles des époux, toujours tranquilles et satisfaits parce que chacun d'eux fait consister sa tranquillité et sa satisfaction dans celles de son associé. Si les autres les imitaient, s'ils travaillaient à se rendre mutuellement contents, on n'entendrait plus tant de plaintes contre le mariage. Cet état est bon en soi, le malheur vient de ceux qui le gâtent, et ils doivent s'en prendre à eux-mêmes s'ils y trouvent une infinité de maux.

«Observez cette barque conduite par deux matelots: s'ils rament ensemble, ils voguent doucement sur les flots agités; mais s'ils ne sont pas d'accord, chaque vague produit une secousse, et tel coup d'aviron donné à contre-sens pourrait faire chavirer leur frêle esquif.

«Le bateau est le mariage, les rameurs sont les deux époux; ils naviguent sur le fleuve de la vie, et ce n'est qu'en unissant leurs efforts qu'ils adoucissent les contrariétés du voyage.»

(Le duc de Lévis.)

Les anciens mauvais sujets font souvent les meilleurs maris.

Quelle peut être la cause de leur changement? Serait-ce qu'un sentiment vrai, qu'ils n'avaient pas éprouvé jusqu'alors, viendrait les saisir, et que le mariage, qui refroidit tant de cœurs, agirait sur le leur en sens inverse? ou bien se feraient-ils un point d'honneur d'effacer par une conduite exemplaire les désordres de leur vie passée? Du reste, quel que soit le motif qui les détermine, on ne saurait nier qu'ils deviennent assez souvent des maris indulgents, soigneux et fidèles. Il semble qu'après avoir épuisé tous les vices d'une jeunesse galante et dissipée, ils veuillent en donner la contre-partie dans leur âge mûr, et se signaler par la pratique des vertus domestiques. On peut les comparer à ces vins généreux dont les meilleurs sont ceux qui ont beaucoup fermenté.

Malgré cela, je ne conseillerai jamais à une mère qui désire le bonheur de sa fille de la donner en mariage à un ancien mauvais sujet.

Tous les maris contents danseraient sur le dos d'une assiette.

Et sans doute aussi toutes les épouses contentes, car il n'est point de raison qui nécessite pour elles une plus grande salle de bal. Cette hyperbole proverbiale a son analogue chez les Languedociens, qui disent: «Toutés lous maris që sou countens dansarien su lou cuou d'un veirë. Tous les maris qui sont contents danseraient sur le cul d'un verre.»

Tous les maris ont besoin d'aller à Saint-Raboni.

Dicton à l'usage des femmes qui trouvent que les maris n'ont jamais pour elles assez de bonté.

Saint Raboni, à qui l'on attribue une vertu analogue au nom qu'il porte, c'est-à-dire la vertu de rabonnir le caractère marital, a été jadis l'objet d'un culte fervent, quoiqu'il ne soit au paradis qu'un véritable intrus, car il n'y figure que par un titre d'invention populaire que la légende authentique ne reconnaît point. Mais n'importe; il n'en est pas moins devenu le protecteur des épouses malheureuses, et c'est un article de foi qu'il peut à son gré adoucir le naturel barbare de leurs tyrans domestiques ou les faire mourir au bout de l'année. On sait l'histoire plaisante de celle qui s'était bornée à le prier d'amender le sien, n'osant laisser aller son vœu plus loin. Comme elle vit mourir ce mauvais garnement peu de temps après, elle s'écria en pleurant… de joie: «Oh! le bon saint! le bon saint! il accorde plus qu'on ne lui demande.»

Ce dicton, dont l'application, par une singularité notable, devient de plus en plus rare, en raison inverse du fait de plus en plus multiplié qui le réclame, a été rappelé dans une phrase du petit livre intitulé les Écosseuses, ou Œufs de Pâques, publié à Troyes, chez la veuve Oudot, en 1744. Voici cette phrase curieuse: «J'espère bien que mon drôle ira à Saint-Rabony; qu'il ne donnera plus tant dans l'eau-de-vie et dans la créature, et qu'il aura un peu plus de sacristie, etc.»

Les boiteux sont de bons maris.

Ou, comme on dit plus ordinairement, de bons mâles. C'est ce que répondirent les Amazones aux Scythes, qui les engageaient à former avec eux des liaisons matrimoniales, ajoutant qu'ils valaient beaucoup mieux que les maris boiteux ou estropiés qu'elles prenaient, car ces femmes guerrières, ayant usurpé le gouvernement sur les hommes et tenant à le conserver, ne voulaient plus avoir dans leur pays que des hommes plus faibles qu'elles, et incapables de leur résister. En conséquence elles tordaient les jambes aux garçons qu'elles mettaient au jour, les habituaient à se soumettre aux filles, les mariaient avec elles, et ne leur imposaient d'autre service que celui du lit conjugal, service dont ils s'acquittaient fort bien du reste, comme le prouve cette réponse passée en proverbe chez les Grecs et chez les Latins.

Cependant leur célébrité en ce genre n'était pas fondée seulement sur le fait cité, qui n'est après tout qu'une nouvelle forme de la tradition mythologique d'après laquelle le boiteux Vulcain devint l'époux de Vénus parce que les boiteux ont toujours été considérés, depuis les temps primitifs, comme éminemment propres aux exploits amoureux. Elle est fondée aussi sur des raisons physiques expliquées par Aristote dans le vingt-sixième de ses problèmes, section X. Érasme a reproduit ces raisons en commentant le proverbe claudus optime virum agit, et Montaigne les a rappelées en son livre III, au chapitre XI, intitulé des Boiteux, où il cite un proverbe italien qui attribue la même propriété aux boiteuses, et les déclare préférables sous ce rapport à toutes les autres femmes. Voyez les auteurs indiqués.

Les maris et les amants voient souvent la lune à gauche.

J'emprunterai encore l'explication de ce dicton, moins quelques lignes, à mes Études sur le langage proverbial.

Les astronomes de l'antiquité ont déterminé la droite et la gauche du monde par la droite et la gauche d'une personne qui a le visage tourné vers le midi. L'orient, dit Pline le naturaliste, est à la gauche du monde.

D'après cela, voir la lune à gauche, c'est, au propre, la voir quand elle est dans son décours, phase où elle montre les cornes, et, au figuré, c'est éprouver certaine infortune dont les cornes sont le symbole. Tel est le sens métaphorique que Mme de Sévigné paraît avoir attaché à cette locution dans la phrase suivante: «Montgobert m'a conté plaisamment les manœuvres de la belle Iris et les jalousies de M. le comte: je crois qu'il verra la lune à gauche avec cette belle.» (Lettre 601 de l'édition de Grouvelle.)

Il n'est pas nécessaire de dire pourquoi il s'agit ici de la gauche, car personne n'ignore que les phénomènes qui se présentent de ce côté ont été presque toujours réputés de mauvais augure. Mais il est à propos d'observer que cette superstition a été, dans les temps les plus reculés, le fondement de la doctrine astrologique qui attribue au décours de la lune, ou au quatrième quartier de la lune, des influences funestes sur les naissances, et qui a donné lieu à la locution proverbiale: être né à la quatrième lune, que les Grecs et les Latins appliquaient à un homme malheureux et qu'ont employée plusieurs de nos vieux écrivains, entre autres Yver dans la phrase que voici: «Voyant tous ses efforts succéder si à rebours qu'il semblait né à la quatrième lune.» (Le Printemps d'Yver, hist. III).

Érasme n'a pas donné la véritable origine de cette locution en la rapportant aux épreuves et aux malheurs qu'eut à subir Hercule, qui était né à la quatrième lune. Il a pris l'effet pour la cause, car il est certain que la naissance de ce héros fabuleux n'a été placée au quatrième ou dernier quartier de la lune qu'en raison de l'opinion astrologique dont j'ai parlé.

La lune de miel.

On appelle ainsi le premier mois du mariage, où l'on suppose que tout est douceur pour les époux.

Cette expression est prise du proverbe arabe: La première lune après le mariage est de miel, et celles qui la suivent sont d'absinthe. Ces dernières, Honoré de Balzac, dans sa Physiologie du mariage, les nomme des lunes rousses, et il ajoute qu'elles sont terminées par une révolution qui les change en un croissant.

C'est le cas de s'écrier avec Dante:

O buon principio
A che vil fine convien che tu caschi.

(Parad., cant. XXVII.)

O bon commencement, à quelle ignoble fin faut-il que tu tombes.

Les époux qui s'aiment se disent mille choses sans se parler.

On pense que ce proverbe a besoin d'errata, et qu'il faut y mettre les amants à la place des époux qui s'aiment, attendu qu'il ne saurait être appliqué à ces derniers, disparus entièrement de ce monde depuis de longues années. Mais pourquoi est-il resté en usage dans des conjonctures où il n'avait plus aucune raison d'être; aurait-on eu l'intention de le conserver pour faire croire aux béatitudes conjugales du temps jadis? C'est une opinion qui a ses partisans, mais qui est contredite par une autre, d'après laquelle l'hommage posthume rendu aux époux qui s'aiment aurait été l'œuvre de quelques époux qui ne s'aimaient point; ceux-ci ont voulu, dit-on, faire prendre le change sur l'habitude qu'ils ont de ne se rien dire en s'ennuyant de compagnie, et ils ont cherché à faire accroire les uns aux autres que cette habitude n'était que l'effet d'un recueillement de tendresse; et voilà comment le mutisme de l'ennui est parvenu à passer pour cette disposition tendre et rêveuse qu'on peut nommer avec saint Jérôme: Silentium loquens (un silence parlant); ou avec Montaigne: Un taire parlier.—Si ce n'est vrai, c'est du moins bien trouvé: Se non è vero, è bene trovato.

Une jeune épouse veut être choyée comme la femme d'un prêtre russe.

La religion russe a fait du mariage une condition indispensable du sacerdoce; elle oblige les séminaristes, ordonnés popes ou prêtres, de se marier avant d'exercer leur ministère; et, s'ils deviennent veufs, elle leur défend de se remarier. Il faut alors qu'ils résignent leur cure et qu'ils se retirent dans un couvent où ils achèvent leur triste vie séparés de leurs enfants, abandonnés peut-être à la charité publique: tel est le malheureux sort auquel le veuvage livre ces pauvres desservants des paroisses de campagne. Comme ils savent tout ce qu'ils auraient à souffrir s'ils perdaient leur femme, chacun d'eux veille à la conservation de la sienne avec une attention extrême. Il lui passe toutes ses fantaisies, tous ses caprices, de peur de la rendre malade en la contrariant. Il la distrait de ses ennuis, la console de ses peines, prévient les désirs qu'elle peut former, l'entoure des soins les plus empressés, les plus assidus, les plus affectueux.

C'est ainsi qu'à force de tendresse il fait, de cette humble femme, un être privilégié, objet de l'envie de plus d'une grande dame de son pays qui voudrait posséder comme elle l'heureux don d'inspirer un si grand amour à son époux et d'exercer sur lui un si grand empire. Mais, hélas! ce ne sont point les épouses qui peuvent plier les époux à des habitudes de popes et se faire choyer par eux comme des popesses. Elles n'obtiennent point ces avantages, qu'elles désirent si ardemment, et c'est vraiment dommage; car il serait bien curieux de voir comment elles s'y prendraient pour ne pas en abuser.

La comparaison proverbiale dont je viens de donner l'origine et l'explication est en usage en Russie depuis plusieurs siècles; elle n'a été importée en France qu'à l'époque de la Restauration, où quelque bel esprit du temps l'a enchâssée dans la formule inscrite en tête de cet article.

J'ajouterai, pour le lecteur curieux de savoir ce que devient la popesse qui survit à son mari, que le veuvage lui est funeste: elle est forcée de quitter le presbytère et le petit domaine qui l'environne; il n'y a plus pour elle que misères et que douleurs, et le seul espoir qui lui reste est de trouver quelque séminariste qui, pressé d'entrer dans les fonctions sacerdotales, ne dédaigne pas de l'épouser.

Les époux trop ardents sont comme deux tisons qui se consument vite l'un l'autre, quand ils sont rapprochés.

Cette comparaison pittoresquement triviale s'emploie pour faire entendre aux époux qu'ils doivent mettre une certaine modération dans les jouissances des sens, qui s'useraient bientôt par leurs excès et produiraient des résultats fâcheux qu'il leur importe de prévenir.

«C'est une religieuse liaison et dévote que le mariage, dit Montaigne: voylà pourquoy le plaisir qu'on en tire, ce doibt estre un plaisir retenu, sérieux et meslé à quelque severité; ce doibt estre une volupté aulcunement prudente et consciencieuse.» (Essais, liv. I. chap. XXIX.)

L'état conjugal est de sa nature grave et raisonnable; néanmoins il faut qu'il intéresse le cœur. Mais ce n'est pas dans une passion ardente et passagère qu'il fait consister l'intérêt du cœur; c'est dans un sentiment calme et durable, et ce sentiment est un amour d'une espèce particulière, non l'amour proprement dit.

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