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Proverbes sur les femmes, l'amitié, l'amour et le mariage

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Militat omnis amans, et habet sua castra Cupido.
Tout amant est soldat, et l'Amour a ses camps.
L'amour est le frère de la haine.

L'amour et la haine pour le même objet naissent assez souvent dans le même cœur, et s'y font sentir par des emportements, des malédictions, des violences, et d'autres effets communs à l'une et à l'autre passion. De là vient sans doute qu'on a regardé l'amour et la haine comme frère et sœur. Mais l'amant livré à leur double influence ne hait pas précisément. Il hait et aime tout ensemble, comme dit ce proverbe des anciens cité par Gilbert Cousin: Non odi, odi et amo. C'est ce qu'exprime très-bien la charmante épigramme de Catulle à Lesbie.

Odi et amo. Quare id faciam fortasse requiris?
Nescio: sec fieri sentio, et excrucior.

J'aime et je hais.—Comment est-ce possible? diras-tu.—Je ne sais, mais je le sens, et je souffre.

L'amour est le frère de la haine, peut s'expliquer aussi par cette pensée de La Bruyère: «On veut faire tout le bonheur, ou, si cela ne se peut, tout le malheur de ce qu'on aime.»

O amour, ô tumultueux amour, ô amoureuse haine!

(Shakespeare, Roméo et Juliette.)

A battre faut l'amour.

Faut est ici la troisième personne de l'indicatif du verbe faillir, et ce proverbe, tiré du latin, injuria solvit amorem, signifie que les mauvais traitements font cesser l'amour.—Cependant le cas n'est point sans exception. On sait que les femmes moscovites mesuraient l'amour qu'elles inspiraient à leur mari sur la violence avec laquelle elles étaient battues, et qu'il n'y avait ni paix ni contentement pour elles avant d'avoir éprouvé la pesanteur du bras marital. Experientia testatur feminas moscoviticas verberibus placari. (Drex., de Jejunio, lib. I, cap. II.)

Une chanson d'un troubadour anonyme attribue le même goût aux filles de Montpellier.

Las castanhas al brasier
Peton quan no son mordudas;
Las fillas de Mounpelier
Ploron quan no son battudas.

Ce qu'un ancien troubadour a rendu vers pour vers de cette manière:

Les châtaignes au brasier
Pètent quand ne sont mordues;
Les filles de Montpellier
Pleurent quand ne sont battues.

On voit dans le Voyage en Grèce de Pouqueville que les femmes albanaises considèrent comme des marques d'amour les coups qu'elles reçoivent de leur mari.

Dans plusieurs tribus arabes, les épouses préférées se désolent lorsque les maris laissent reposer le bâton, parce que, dans ce cas, le divorce n'est pas loin.

Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, si connu dans l'histoire sous le nom de Guillaume le Conquérant, fit longtemps une cour assidue à Mathilde de Flandre, qui le traitait avec une froideur dédaigneuse. L'ayant rencontrée, en 1047, dans une rue de Bruges, lorsqu'elle revenait de la messe, il la saisit, la renversa, la roula dans la boue, et la battit outrageusement. La jolie Mathilde, soit que cette déclaration d'amour un peu brutale la convainquît de la violente passion de son amant, soit que la peur de le voir réitérer la même scène la disposât mieux pour lui, le traita désormais avec moins de rigueur, et consentit enfin à l'épouser en 1052. Les deux époux devinrent des modèles de tendresse conjugale. Cette anecdote est rapportée dans la Vie de la reine Mathilde, etc., par Shickland, t. I, ch. I.

Au reste, la violence dont usa Guillaume envers Mathilde était une conséquence logique de la passion qu'il avait pour elle, et on a vu maintes fois, avant lui et après lui, plus d'un amoureux dédaigné outrager publiquement sa belle inhumaine dans l'espérance qu'un tel outrage, l'empêchant de trouver un autre époux, elle consentirait enfin à s'unir avec lui.

Il y a encore une exception très-remarquable au proverbe, et ce sont les deux amants les plus célèbres qui l'ont fournie. Abeilard fustigeait quelquefois son Héloïse, qui ne l'en aimait pas moins. Lui-même, parlant à elle-même, rappelle la chose dans une de ses lettres, où il confesse d'un cœur contrit les scandaleux excès de sa passion immodérée: «In ipsis diebus dominicæ Passionis, te nolentem ac dissuadentem sæpius minis ac flagellis ad consensum trahebam. Les jours mêmes de la Passion du Seigneur, lorsque tu me refusais ce que je demandais ou que tu m'exhortais à m'en priver, ne t'ai-je pas souvent forcée par des menaces et des coups de fouet à céder à mes désirs?»

Ausone avait deviné le cœur d'Héloïse, lorsqu'il disait en peignant les qualités d'une maîtresse accomplie (épigr. LXVII): «Je veux qu'elle sache recevoir des coups, et qu'après les avoir reçus elle prodigue ses caresses à son amant.»

L'auteur des Mémoires de l'Académie de Troyes, facétie spirituelle attribuée au comte de Caylus, mais que l'on croit plus généralement être de Grosley, a examiné d'une manière plaisante jusqu'à quel point est fondée l'opinion que battre est une preuve d'amour. Voyez dans cet ouvrage (pages 205 et suivantes) la Dissertation sur l'usage de battre sa maîtresse.

Après tant de faits généraux et particuliers, qui contredisent le proverbe, ne serait-on pas tenté de croire qu'il est l'expression d'une opinion erronée, et que Sganarelle a raison de dire à sa femme, à laquelle il vient de donner des coups: «Ce sont petites choses qui sont de temps en temps nécessaires dans l'amitié, et cinq ou six coups de bâton entre gens qui s'aiment ne font que ragaillardir l'affection.» (Médecin malgré lui, act. Ier, sc. III.)

Heureux au jeu, malheureux en amour.

La passion du jeu captive celui qui s'y livre en proportion du gain qu'il y trouve, et lui fait oublier tout le reste. Dans cette situation il néglige sa maîtresse, et celle-ci se dédommage par des infidélités; telle est probablement la raison de ce proverbe, qui doit être fort ancien puisque le troubadour Bérenger de Puivert l'a rappelé dans les vers suivants:

Pois de datz no sui aventuros
Ben degra aver calque domna conquisa.

Puisque je n'ai point de chance aux dés, je devrais bien avoir quelque dame conquise.

Nous avons encore cet autre proverbe corrélatif: Malheureux au jeu, heureux en amour, lequel est fondé sur la supposition que le joueur maltraité de la fortune revient à sa belle, dont la reconnaissance et la fidélité font son bonheur. Supposition fréquemment démentie. Quoi qu'il en soit, tous les joueurs ressemblent à celui de Regnard, qui oublie sa belle Angélique lorsqu'il gagne, et lui adresse des invocations quand il a perdu.

Filer le parfait amour.

C'est nourrir longtemps un amour tendre et romanesque.—Cette façon de parler fait allusion à la conduite d'Hercule filant aux pieds de la reine Omphale. Elle fut probablement introduite dans notre langue à l'époque où les confrères de la Passion représentaient le mystère d'Hercule sur leur théâtre. On sait que ce titre de mystère, consacré à certains ouvrages dramatiques, s'appliquait à un sujet profane comme à un sujet religieux.

L'amour se paye par l'amour.

Ce proverbe se retrouve textuellement dans celui des Basques, Maitazeac maitaze du harze. Il peut avoir inspiré à Ninon de Lenclos le mot suivant, qui en est le commentaire: «L'amour est la seule passion qui se paye d'une monnaie qu'elle fabrique elle-même, et l'amour seul peut acquitter l'amour.»

Plus il y a paroles en amour, et moins y sied.

«En amour, dit Pascal, un silence vaut mieux qu'un langage. Il est bon d'être interdit. Il y a une éloquence de silence qui pénètre plus que la langue ne saurait faire. Qu'un amant persuade bien sa maîtresse, quand il est interdit, et que d'ailleurs il a de l'esprit! Quelque vivacité que l'on ait, il est bon, dans certaines rencontres, qu'elle s'éteigne. Tout cela se passe sans règle et sans réflexion, et quand l'esprit le fait il n'y pensait pas auparavant. C'est par nécessité que cela arrive.» (Discours sur les passions de l'amour).

Ce silence qui survient tout à coup sans qu'on y pense, qui résulte, non d'un calcul, mais de la nécessité, est le plus tendre et le plus vrai langage des amants. Aucun discours ne rendrait aussi bien ce qu'ils sentent. Les paroles ne peuvent être que des signes d'une faible passion: elles sont comme ces bluettes qui ne jaillissent guère que d'un feu peu ardent. «Celui qui peut dire combien il aime, s'écrie Pétrarque, n'a qu'une petite ardeur.»

Chi può dir com'egli arde, è un picciol fuoco.

(Sonetto 137.)

L'amour s'introduit sous le nom de l'amitié.

C'est-à-dire que l'amitié entre homme et femme mène très-souvent à l'amour, ou, dans un autre sens, que celui qui veut se rendre maître du cœur d'une belle doit préluder au rôle d'amant par le rôle d'ami. C'est la tactique recommandée dans l'Art d'aimer d'Ovide, vers la fin du premier livre d'où le proverbe est pris. Le poëte engage le jeune homme qui aspire à la conquête d'une femme à ne montrer aucun espoir d'y réussir, de peur de l'effaroucher: «Que l'amour, dit-il, s'introduise sous le nom d'amitié.»

Intret amicitiæ nomine tectus amor.

«J'ai vu, ajoute-t-il, plus d'une beauté farouche dupe de ce manége, et son ami devenir bientôt son amant.»

Si l'amour est produit par une amitié feinte, il doit l'être à plus forte raison par une amitié réelle. Il y a de cette amitié à l'amour une pente qui entraîne, et l'on s'y laisse aller avec d'autant plus de facilité que le passage du premier sentiment au second, ou plutôt la fusion des deux ajoute à l'affection un surcroît de délices.

Voici quelques lignes charmantes de Mlle de Scudéri sur cet état:

«Lorsque l'amitié devient amour dans le cœur d'un amant, ou, pour mieux dire, lorsque cet amour se mêle à l'amitié sans la détruire, il n'y a rien de si doux que cette espèce d'amour, car tout violent qu'il est, il est pourtant toujours un peu plus réglé que l'amour ordinaire; il est plus durable, plus tendre, plus respectueux et même plus ardent, quoiqu'il ne soit pas sujet à tant de caprices tumultueux que l'amour qui naît sans amitié. On peut dire, en un mot, que l'amour et l'amitié se mêlent comme deux fleuves dont le plus célèbre fait perdre le nom de l'autre.»

Un sot, en amour, va plus vite et plus loin qu'un homme d'esprit.

Les femmes, en général, sont plus sensibles aux déclarations amoureuses d'un sot qu'à celles d'un homme d'esprit; car elles se persuadent volontiers que le premier a plus d'amour qu'il n'en exprime, et elles savent très-bien que le second en exprime toujours plus qu'il n'en a. La difficulté de l'un à s'expliquer passe à leurs yeux pour l'effet d'un saisissement produit par leurs charmes, et leur amour-propre en est infiniment touché, tandis que la facilité de l'autre à débiter de galants propos où l'art se montre plus que le naturel, où l'imagination a plus de part que le cœur, les avertit qu'il joue un personnage qui cherche à leur en imposer, et qu'elles doivent se défier de lui. Elles peuvent être déçues par les illusions qu'elles se font elles-mêmes, mais elles ne sont presque jamais dupes des beaux diseurs. Au reste, il est tout simple que celui à qui la parole fait défaut leur paraisse plus amoureux que celui qui parle beaucoup. L'amour muet n'est-il pas le moins menteur?

Un autre motif qui les porte également à préférer le sot à l'homme d'esprit, c'est qu'elles le supposent plus maniable, et se flattent de le gouverner plus aisément.

Peut-être aussi leur détermination en sa faveur est-elle due en partie à la secrète influence de quelques raisons inspirées par un sentiment peu platonique… Mais ces raisons-là, je ne les examinerai point, afin de ne pas trop m'écarter d'un précepte de goût autant que de décence, qui recommande de ne jamais tout dire, et je laisserai aux lecteurs le soin de s'expliquer, sous ce rapport, le penchant de la belle pour la bête.

L'amour est de tous les âges.

On dit que la vieillesse, affaiblissant et changeant même les organes, rend incapable d'aimer; mais on voit trop de vieilles personnes affriandées à l'amour pour ne pas croire à la vérité de ce proverbe, qu'il faut entendre dans le même sens que ces deux autres, expliqués plus haut: Le cœur ne vieillit pas.Le cœur n'a point de rides.

On ne peut être aimé à tout âge, mais à tout âge on peut aimer, et l'on a toujours des raisons de le faire. Je ne veux pas énumérer ces raisons, plus nombreuses chez les femmes que chez les hommes, et je me contente de rappeler celles qu'a données Mme d'Houdetot dans ce charmant huitain où elle a esquissé en quelques traits pleins de grâce et de poésie l'histoire de son cœur aimant:

Jeune, j'aimai; le temps de mon bel âge,
Ce temps si court, l'amour seul le remplit.
Quand j'atteignis la saison d'être sage,
Encor j'aimai; la raison me le dit.
Me voici vieille, et le plaisir s'envole;
Mais le bonheur ne me quitte aujourd'hui,
Car j'aime encor, et l'amour me console:
Rien ne saurait me consoler de lui.
L'amour fait les vieilles trotter.

Et si bien trotter que rien ne les arrête. Il y a un assez grand nombre de trotteuses de cette espèce, qui ne craindraient pas d'user leurs jambes jusqu'aux genoux pour arriver au but où elles espèrent trouver ce qu'elles ne se lassent jamais de chercher.

Le comte de Bussy-Rabutin raconte qu'une d'elles parcourait un soir, à grands pas, les galeries de Fontainebleau, sans doute à la poursuite de quelque page, lorsqu'elle se trouva face à face avec le chevalier de Rohan qui lui dit: «Madame, que cherchez-vous?—Ce n'est pas vous, répondit-elle, en allant plus vite encore.—Oh! répliqua-t-il, je ne voudrais pas avoir perdu ce que vous cherchez.»

L'amour est le roi des jeunes gens et le tyran des vieillards.

C'est ce que disait Louis XII, qui avait appris la chose par sa propre expérience, quoiqu'il ne fût que dans le commencement de la vieillesse quand il mourut des suites de son troisième mariage. Ce mot passa en proverbe pour signifier que l'amour réserve ses douceurs pour les jeunes gens, et qu'il ne cause que des peines aux vieillards.

L'amour sied bien aux jeunes gens, et déshonore les vieillards.

C'est à peu près la pensée exprimée dans ce vers de Labérius:

Amare juveni fructus est, crimen seni.

Suivant Ovide, Vénus en cheveux blancs est ridicule:

Est in canitie ridiculosa Venus.

Le même poëte condamne l'amour sénile comme chose honteuse: Turpe senilis amor.

«C'est une grande difformité dans la nature qu'un vieillard amoureux.» (La Bruyère, ch. XI.)

L'amour, chez le vieillard, est-il donc une énormité si odieuse, et mérite-t-il d'être flétri comme un crime? C'est une question que Saint-Évremont me paraît avoir traitée et résolue d'une manière charmante. Voici ce que dit cet aimable épicurien, qui se plaisait à réchauffer l'hiver de sa vie de quelques rayons de feu de son printemps. «Vous vous étonnez mal à propos que les vieilles gens aiment encore, car leur ridicule n'est pas à se laisser toucher, c'est à prétendre imbécilement de pouvoir plaire. Pour moi, j'aime le commerce des belles personnes autant que jamais; mais je les trouve aimables sans dessein de m'en faire aimer. Je ne compte que sur mes sentiments, et cherche moins avec elles la tendresse de leur cœur que celle du mien… Le plus grand plaisir qui reste aux vieillards, c'est de vivre: Je pense, donc je suis, sur quoi roule toute la philosophie de Descartes, est une conclusion pour eux bien froide et bien languissante. J'aime, donc je suis, est une conséquence toute vive, toute animée, par où l'on rappelle les désirs de la jeunesse jusqu'à s'imaginer quelquefois être jeune encore. Vous me direz que c'est une double erreur de ne pas croire être ce qu'on n'est plus. Mais quelles vérités peuvent être si avantageuses que ces bonnes erreurs qui nous ôtent le sentiment des maux que nous avons, et nous rendent celui des biens que nous n'avons pas?»

Saint-Évremont a raison, et l'on a tort de blâmer, de ridiculiser le vieillard qui cherche à ranimer sa vie défaillante par un amour purement platonique. Laissez-le se retremper discrètement dans cette fontaine de Jouvence et goûter le plaisir d'aimer pour compensation du malheur de ne pouvoir plus plaire, comme le dit ce vers latin traduit par Apulée d'un vers grec de Ménandre.

Amare liceat, si potiri non licet.
Lorsqu'un vieux fait l'amour
La mort court à l'entour.

C'est-à-dire que l'amour physique abrége la vie du vieillard. Le regain de cet amour dans le cœur du vieillard est souvent le signe et la cause de sa fin prochaine, et, sous ce double rapport, il ressemble au gui qui fleurit sur un arbre mourant.

Le Florilegium de Grutter cite ce proverbe latin sur les vieilles amoureuses: Anus cum ludit, morti delicias facit. «Vieille qui se livre aux folâtreries de l'amour fait les délices de la mort.»

Vieillard qui fait l'amour est un agonisant en chemise de noce.

Ce proverbe, d'une originalité spirituelle, exprime la même idée que le précédent. Il fait allusion à une ancienne coutume qui consistait à conserver soigneusement la chemise qu'on portait le jour de son mariage pour la reprendre au lit funèbre, comme un suaire dans lequel on devait être inhumé. Cette coutume existe encore en Bretagne et dans plusieurs autres localités, où l'on se fait un pieux devoir de tenir en réserve la chemise nuptiale, afin de l'employer à une toilette de mort, à une toilette dans laquelle on doit, dit-on, paraître devant le bon Dieu.

Amour se nourrit de jeune chair.

Voilà le Cupidon mythologique transformé en un ogre à qui il faut la chair fraîche des jouvenceaux et des jouvencelles. Cet ogre-là pourtant ne fait peur à personne; on ne le fuit pas; on cherche, au contraire, à s'approcher de lui, on met tous ses soins à l'attirer, on veut lui servir d'aliment, et de toute part on n'entend que des voix qui lui crient, comme les enfants d'Ugolin à leur père: «Mangia di noi, mange de nous.» Les vieux et les vieilles ne sont pas moins empressés que les jeunes à s'offrir en sacrifice; mais il se montre fort peu disposé en leur faveur, leur viande coriace ne lui paraît pas propre à entretenir son appétit.

Ce proverbe était très-répandu au dix-septième siècle, et c'est sans doute à cause de cela que La Fontaine, dans son conte intitulé Comment l'esprit vient aux filles, ne craignit pas de risquer ces deux vers dont tout le sel ne consiste qu'à y faire allusion:

Amour n'avait à son croc de pucelle
Dont il crut faire un aussi bon repas.
L'amour n'a point de règle.

C'est ce qu'a dit saint Jérôme vers la fin de sa lettre à Chromatius: «Amor nescit ordinem. L'amour ne connaît point l'ordre ou la règle.» Anacréon avait dit avant lui: «Bacchus, secondé de l'amour, folâtre sans règle.» (Od. 50.) L'amour, en effet, semble ne pouvoir s'astreindre à rien de régulier dans sa manière d'être, et ses élans passionnés ne peuvent se plier aux froids calculs de la réflexion. «Qui ne sçait en son eschole, combien on procede au rebours de tout ordre? l'estude, l'exercitation, l'usage sont voyes à l'insuffisance: les novices y regentent: Amor ordinem nescit. Certes, sa conduicte a plus de garbe (bonne grâce) quand elle est meslée d'inadvertence et de trouble; les faultes, les succez contraires, y donnent poincte et grace: pourveu qu'elle soit aspre et affamée, il chault peu qu'elle soit prudente: voyez comme il va chancellant, chopant et follastrant; on le met aux ceps (aux entraves, aux chaînes), quand on le guide par art et sagesse, et contrainct-on sa divine liberté, quand on la soubmet à ces mains barbues et calleuses.» (Montaigne, Essais, liv. III, ch. V.)

Le plaisir est le tombeau de l'amour.

Panard, dont les poésies sont pleines de proverbes, a pris celui-ci pour titre des vers suivants, qui en sont l'explication, et qui se terminent par un autre proverbe qu'il a littéralement emprunté aux Orientaux:

Quand un amant est sûr que ses soins ont su plaire,
Son fortuné destin le rend, de jour en jour,
Moins empressé pour sa bergère.
Le Plaisir est fils de l'Amour,
Mais c'est un fils ingrat qui fait mourir son père.

On rapporte qu'un jeune Grec, nommé Thrasonidès, était si convaincu de cette vérité proverbiale et en même temps si amoureux de son amour, qu'il ne voulut jamais jouir de sa maîtresse, de peur d'amortir sa passion par la jouissance. Vous demanderez peut-être si, en aimant ainsi davantage, il fut plus aimé de sa belle. Je ne puis vous le dire, car l'histoire n'en parle pas: elle se borne à le signaler comme un amant inimitable.

L'amour des parents descend et ne remonte pas.

Helvétius a dit: «L'homme hait la dépendance. De là peut-être sa haine pour ses père et mère, et le proverbe fondé sur une observation commune et constante: L'amour des parents descend, et ne remonte pas.» Il a pris le proverbe dans un sens affreusement exagéré. Le véritable sens est que l'amour des père et mère pour les enfants surpasse celui des enfants pour les père et mère. La nature, veillant à la conservation des espèces, a voulu donner la plus grande énergie au sentiment paternel et maternel, afin d'enchaîner les parents à tous les soins nécessaires pour protéger la frêle existence des enfants; et nous voyons qu'elle a agi ainsi dans tous les animaux comme dans l'homme. Elle n'a pas développé de même, il est vrai, le sentiment filial; mais de cette disproportion qu'elle a laissée dans l'amour il y a bien loin jusqu'à la haine. L'une est dans la nature et l'autre est dénaturée, dit La Harpe, en réfutant l'opinion d'Helvétius dans une de ces belles pages dont je viens de reproduire les traits principaux, et qui se termine par ces paroles remarquables: «Le plus funeste effet de ces calomnieux paradoxes, c'est qu'en les lisant l'ingrat et le fils dénaturé pourront se dire qu'ils sont comme les autres hommes. Méritent-ils le nom de philosophes, ceux qui n'ont écrit que pour la justification des monstres?»

Les Arabes disent: Le cœur d'un père est dans son fils, le cœur du fils est dans la pierre.

Le cœur d'une mère est le miracle de l'amour.

Bossuet a expliqué ce miracle, et ceux qui connaissent son explication seront charmés de la retrouver ici, car elle est si belle de pensée, de sentiment et d'expression, qu'il est impossible de ne pas trouver un nouveau charme à la relire: «On ne peut assez admirer, dit-il, les moyens dont la nature se sert pour unir les mères avec leurs enfants, car c'est le but auquel elle vise, et elle tâche de n'en faire qu'une même chose: il est aisé de le remarquer dans l'ordre de ses ouvrages. Et n'est-ce pas pour cette raison que le premier soin de la nature est d'attacher les enfants au sein de leur mère? elle veut que leur nourriture et leur vie passent par les mêmes canaux; ils courent ensemble les mêmes périls; ce n'est qu'une même personne. Voilà une liaison bien étroite; mais peut-être pourrait-on se persuader que les enfants, en venant au monde, rompent le nœud de cette union: ne le croyez pas. Nulle force ne peut diviser ce que la nature a si bien lié; sa conduite sage et prévoyante y a pourvu par d'autres moyens. Quand cette première union finit, elle en fait naître une autre à sa place, elle forme d'autres liens, qui sont ceux de l'amour et de la tendresse: la mère porte ses enfants d'une autre façon, et ils ne sont pas plutôt sortis de ses entrailles, qu'ils commencent à tenir beaucoup plus au cœur. Telle est la conduite de la nature ou plutôt de celui qui la gouverne; voilà l'adresse dont elle se sert pour unir les mères avec leurs enfants, et empêcher qu'elles ne s'en détachent. L'âme les reprend par l'affection en même temps que le corps les quitte; rien ne peut les arracher du cœur: la liaison est toujours si ferme qu'aussitôt que les enfants sont agités, les entrailles des mères sont encore émues, et elles sentent tous leurs mouvements d'une manière si vive et si pénétrante, qu'à peine leur permet-elle de s'apercevoir que leur sein en soit déchargé.» (Premier Sermon pour le vendredi de la Passion.)

Tendresse maternelle
Toujours se renouvelle.

Rien ne manque au cœur d'une mère, à ce chef-d'œuvre de l'amour. C'est une source de tendresse qui se renouvelle continuellement sans jamais s'épuiser, qui semble s'accroître, au lieu de diminuer par l'excessive effusion de sa substance. Qui pourrait dire les trésors de sentiment qui en découlent! «O ma mère, s'écrie un fils dans une pièce de poésie chinoise, vos bras furent mon premier berceau. J'y trouvai vos mamelles pour m'allaiter, vos vêtements pour me couvrir, votre sein pour me réchauffer, vos baisers pour me consoler, et vos caresses pour me réjouir.»

Mais ses bienfaits ne s'épanchent pas seulement sur le jeune âge. La nature n'a point limité chez la femme, comme elle l'a fait chez les femelles des animaux, l'énergie de l'amour maternel au temps où l'enfant ne peut se passer des soins de celle qui l'a mis au monde; elle a voulu, par un privilége exceptionnel en l'honneur de la dignité humaine, que cet amour subsistât inaltérable dans le cœur qui en est animé par delà les besoins de l'objet qui l'inspire. Il ne s'interrompt point, il ne perd rien de sa force en s'étendant à de nouveaux enfants; il se multiplie avec eux, il l'emporte sur toute autre affection. Les années ne l'usent point, il est de tous les jours et de tous les instants de la vie.

Une mère, vois-tu, c'est là l'unique femme
Qui nous aime toujours,
A qui le ciel ait mis assez d'amour dans l'âme
Pour chacun de nos jours.

(A. de Latour.)

Les Allemands disent: «Mutterlieb ist immer neu. Amour de mère est toujours nouveau.» Ce proverbe a été développé d'une manière pleine d'intérêt dans une collection de jolies gravures faites d'après les dessins originaux de M. J.-Martin Ustéri. Les explications placées à côté de chaque estampe ajoutent au prix de cette collection, éditée à Zurich en 1803, et devenue le sujet d'un petit roman sentimental publié depuis à Paris.

Froides mains, chaudes amours.

Nous disons encore: Il a les mains fraîches, il doit être fidèle, et cela en vertu d'un axiome de chiromancie d'après lequel les mains froides ou fraîches sont le signe caractéristique d'un tempérament amoureux, parce que la chaleur du sang ne les quitte qu'afin de se concentrer dans le cœur, regardé comme le principal organe de la passion. Nous avons aussi ce proverbe corrélatif: Chaudes mains, froides amours.

Amours qui commencent par anneaux finissent souvent par couteaux.

Les mariages d'inclination sont rarement heureux, parce qu'ils sont presque toujours mal assortis. La passion qui porte seule à les contracter ne permet pas de voir les incompatibilités de caractère qui devraient les empêcher. Mais ces incompatibilités, se découvrant et se faisant sentir à mesure que cette passion diminue, les deux époux en viennent bientôt à se détester aussi cordialement qu'ils s'étaient aimés.

Les Provençaux ont ce proverbe très-expressif: «Qui d'amour si prend d'enrabi si quitto. Qui se prend avec amour se quitte avec rage.»

Il y a très-peu d'exemples d'une alliance prospère qui ait été contractée dans l'ivresse de l'amour. Le dégoût survient, et à sa suite le cortége des ennuis, des repentirs, des tracasseries, des querelles.

«J'ai vu bien des mariages où l'on commençait par ressentir une telle passion que l'on aurait voulu se manger mutuellement: au bout de six mois, on était séparé.» (Luther, Propos de table.)

Il n'y a point de laides amours.

Ou, suivant un autre proverbe, l'objet qu'on aime est toujours beau. «Tout cœur passionné, dit Bossuet, embellit dans son imagination l'objet de sa passion; il lui donne un éclat que la nature ne lui donne pas, et il est ébloui de ce faux éclat. La lumière du soleil, qui est la vraie joie des yeux, ne lui paraît pas aussi belle.»

Feminam natura pulchram haud reddit, sed affectio.

Ce n'est pas la nature qui rend la femme belle, c'est l'amour.

Car sa beauté pour nous c'est notre amour pour elle.

(A. de Musset.)

Un proverbe roman dit: «Non es bel so qu'es bel, mas es bel so qu'agrada. N'est pas beau ce qui est beau, mais est beau ce qui agrée.» Ce proverbe s'est conservé en Provence et en Italie.

Quisquis amat ranam, ranam putat esse Dianam.

Quiconque aime une grenouille, prend cette grenouille pour Diane.

C'est Diane Limnatis, déesse des marais et des étangs, dont il est ici question. Cette remarque n'est pas inutile pour faire sentir l'analogie d'un tel rapprochement.

Les habitants de l'île de Cypre avaient érigé des autels à Vénus Barbue. Les Romains adoraient Vénus Louche, comme on le voit dans le second livre de l'Art d'aimer d'Ovide, et dans le Festin de Trimalcion par Pétrone. Ils employaient même proverbialement l'hémistiche d'Ovide: «Si pæta est, Veneri similis. Si elle est louche, elle ressemble à Vénus,» en parlant d'une belle qui avait le rayon du regard un peu faussé. Horace nous apprend qu'un certain Balbinus trouvait une grâce particulière dans le polype qu'Agna sa maîtresse avait au nez. Il observe que les amants ressemblent à Balbinus (Serm. I, 3). Il n'en est aucun en effet qui n'aime, comme on dit, jusqu'aux taches et aux verrues de sa belle.

Le meilleur développement du proverbe Il n'y a point de laides amours est dans les vers suivants, tirés de la traduction libre que Molière avait faite de Lucrèce, et placés dans la cinquième scène du second acte du Misanthrope:

… L'on voit les amants vanter toujours leur choix:
Jamais leur passion n'y voit rien de blâmable,
Et dans l'objet aimé tout leur paraît aimable.
Ils comptent les défauts pour des perfections,
Et savent y donner de favorables noms:
La pâle est au jasmin en blancheur comparable,
La noire à faire peur, une brune adorable;
La maigre a de la taille et de la liberté,
La grasse est dans son port pleine de majesté;
La malpropre, sur soi, de peu d'attraits chargée,
Est mise sous le nom de beauté négligée;
La géante paraît une déesse aux yeux;
La naine, un abrégé des merveilles des cieux;
L'orgueilleuse a le cœur digne d'une couronne,
La fourbe a de l'esprit, la sotte est toute bonne;
La trop grande parleuse est d'agréable humeur,
Et la muette garde une honnête pudeur:
C'est ainsi qu'un amant dont l'ardeur est extrême
Aime jusqu'aux défauts des personnes qu'il aime.

Le proverbe n'est pas toujours cité tel que je l'ai rapporté: on y fait quelquefois une addition, en disant: Il n'y a point de belle prison ni de laides amours.

Il n'y a point d'éternelles amours ni de félicité parfaite.

Cette félicité qu'on cherche toujours sans jamais la trouver est la pierre philosophale de l'âme, et ces amours sans fin par lesquelles on espère y parvenir ne sont que des illusions qui passent aussi vite que les fleurs des champs. Les Chinois en assimilent la courte durée à celle des roses par cette jolie métaphore proverbiale: Il n'y a pas de roses de cent jours; et l'on peut dire, en continuant leur idée, que rêver l'éternité des amours, c'est, suivant une charmante expression de M. V. Hugo, rêver l'éternité des roses.

On revient toujours à ses premières amours.

Les vives impressions éprouvées dans ce premier épanouissement de la vie du cœur, et les ineffables illusions qu'elles ont fait naître, restent profondément gravées dans la mémoire, qui les pare de couleurs poétiques et en compose un type enchanteur, un idéal ravissant, dont l'éclat fait pâlir toutes les amours venues dans la suite. Celles-ci se montrent telles qu'elles sont avec les déplaisirs qui viennent souvent s'y mêler, tandis que les autres apparaissent telles qu'on se plaît à les supposer avec leurs voluptés fantastiques, et il résulte de la comparaison qu'on établit entre elles que les effets produits par l'imagination doivent sembler préférables à ceux de la réalité, et les premières amours à celles qui leur succèdent.

Le poëte Lebrun a dit d'une manière charmante, dans son ode intitulée Mes Souvenirs, ou les Deux Rives de la Seine:

Ce premier sentiment de l'âme
Laisse un long souvenir que rien ne peut user;
Et c'est dans la première flamme
Qu'est tout le nectar du baiser.

Il ne faut pas croire que le proverbe signifie, comme le pensent mal à propos quelques personnes, que ce soit en réalité qu'on revient à ses premières amours: c'est uniquement en souvenir. Si c'était réellement, on les retrouverait, hélas! tout à fait dépourvues des attraits qu'on leur suppose, et l'on ressemblerait aux cerfs qui, après avoir successivement passé de biche en biche, reviennent à celle par laquelle ils ont commencé: Cervi vicissim ad alias transeunt, et ad priores redeunt. (Plin. Natur. Histor., X, 63.)

Un autre proverbe dit: Il ne faut pas revenir sur ses premières amours, ni aller voir la rose qu'on a admirée la veille.

Que la nuit me prenne là où sont mes amours!

Pour dire qu'on s'attarde volontiers dans un endroit où l'on se plaît, auprès de l'objet de ses amours. Ce vœu tendre et délicat, exprimé avec une simplicité exquise, me semble offrir un doux reflet du vœu passionné de Léandre traversant l'Hellespont à la nage, au milieu de la tempête, pour se réunir à son amante Héro, prêtresse de Vénus:

Léandre, conduit par l'amour,
En nageant, disait aux orages:
«Laissez-moi gagner les rivages:
Ne me noyez qu'à mon retour.»

Ce charmant quatrain de Voltaire est traduit fidèlement d'une épigramme de l'Anthologie grecque, épigramme que le poëte latin Martial avait reproduite dans le distique suivant:

Clamabat tumidis audax Leander in undis:
Mergite me, fluctus, quum rediturus ero.

(Lib. XIV, epigr. 181.)

D'oiseaux, de chiens, d'armes, d'amours,
Pour un plaisir mille doulours.

Ce vieux proverbe, qu'on trouve dans le Grand Testament de Villon, atteste combien les anciens seigneurs français devaient prendre à cœur tout ce qui concernait la fauconnerie, la vénerie, les tournois et la galanterie, quatre objets importants de leurs occupations et de leurs goûts. On sait qu'ils professaient un culte chevaleresque pour les dames, et qu'ils regardaient l'oiseau, le chien et l'épée comme des symboles qui caractérisaient les prérogatives de leur rang. Quand ils voyageaient, ils avaient toujours leur chien favori auprès d'eux, l'épervier sur le poing, et l'épée au côté. S'ils étaient faits prisonniers dans quelque combat, la loi ne leur permettait pas d'offrir pour rançon ces attributs de leur noblesse, mais elle leur laissait la faculté de livrer des centaines de paysans de leurs terres.

Le fait suivant, rapporté par Abbon de Saint-Germain dans son poëme latin sur le siége de Paris, est encore une preuve frappante de l'importance qu'ils attachaient particulièrement à leurs oiseaux. Douze gentilshommes près de périr dans la tour du Petit-Pont, à laquelle les Normands qui l'assiégeaient avaient mis le feu, donnèrent la volée à leurs autours pour les empêcher de tomber entre les mains de ces barbares, qu'ils jugeaient indignes d'une si précieuse conquête.

Sont aussi bien amourettes,
Sous bureaux comme sous brunettes.

La brunette était une sorte de fin drap de soie de couleur brune, dont les personnes de qualité s'habillaient au treizième siècle, tandis que le bureau ou la bure était une étoffe grossière de laine à l'usage des gens du commun. De là ce proverbe qui se trouve textuellement dans le roman de la Rose, pour signifier que l'amour étend également son empire sur toutes les conditions, et qu'il n'a pas moins de charmes dans les petites que dans les grandes.

Un amoureux est toujours craintif.

Ce proverbe, usité chez beaucoup de peuples, est traduit du vingtième article du Code d'amour: Amorosus semper est timorosus. Il s'explique très-bien par les réflexions suivantes tirées de divers endroits du Discours de Pascal sur les passions de l'amour. «Le premier effet de l'amour, c'est d'imposer un grand respect, l'on a de la vénération pour ce qu'on aime. Il est (c'est) bien juste: on ne reconnaît rien de grand comme cela.»—«Dans l'amour on n'ose hasarder de peur de tout perdre; il faut pourtant avancer; mais qui peut dire jusques où? L'on tremble toujours jusqu'à ce qu'on ait trouvé ce point.»—«Il n'y a rien de si embarrassant que d'être amant, et de voir quelque chose en sa faveur sans l'oser croire; l'on est également combattu de l'espérance et de la crainte. Mais enfin la dernière devient victorieuse de l'autre.»

Il y avait en langue romane un proverbe analogue: Qui non tem non ama coralmen, c'est-à-dire: «Qui ne craint pas, n'aime pas cordialement.»

Amoureux transi.

Cette expression, dont on se sert pour désigner un amoureux timide, novice, froid, fait allusion à un ancien usage des justiciables volontaires de certaines cours d'amour, espèces d'énergumènes qui avaient fondé, sous le règne de Philippe V, une société ou confrérie nommée la ligue des amants, dont l'objet était de prouver l'excès de leur passion par une opiniâtreté invincible à braver les ardeurs de l'été et les glaces de l'hiver. Dans les chaleurs extrêmes, ils allumaient de grands feux pour se chauffer et ils ne sortaient de chez eux qu'enveloppés d'épaisses fourrures; au contraire, quand il gelait à pierre fendre, ils se couvraient très-légèrement et allaient par le froid, par la neige ou par la pluie, soupirer à la porte de leurs maîtresses, où ils se tenaient jusqu'à ce qu'ils les eussent aperçues, étant parfois tellement morfondus et transis dans l'attente, dit un vieux chroniqueur, qu'on entendait claquer leurs dents comme les becs des cigognes: la crainte des catarrhes et des fluxions de poitrine n'était rien pour eux auprès du plaisir qu'ils paraissaient prendre à baiser la serrure ou le verrou de cette porte. Outre ces témoignages de leur vasselage amoureux, ils avaient pour se distinguer certaines devises et certaines démonstrations d'une singularité extraordinaire. Tel confrère élisait son domicile à l'enseigne de la Passion, rue du Sacrifice, paroisse de la Sincérité; tel autre demeurait sur la place de la Persévérance, hôtel de l'Assiduité, etc., etc.

Il existe un ouvrage rare et curieux intitulé l'Amoureux transy sans espoir, par Jehan Bouchet. Cet ouvrage ne porte point de date. Selon toute apparence, il a paru vers 1505, et par conséquent il est postérieur à la locution qui en forme le titre.

Amoureux des onze mille vierges.

On appelle ainsi celui qui devient amoureux de toutes les femmes qui s'offrent à sa vue.

Cette expression rappelle la légende des onze mille vierges. Voici ce que l'abbé Salgues a dit sur cette légende, qui passe aujourd'hui pour apocryphe:

«Croyez-vous que sainte Ursule soit partie de Londres pour la basse Bretagne, avec onze mille vierges qui devaient épouser les onze mille soldats du capitaine Conan, son fiancé, et peupler le pays? Croyez-vous qu'une tempête miraculeuse les ait jetées dans les bouches du Rhin, et qu'elles aient remonté le fleuve jusqu'à la ville de Cologne, alors occupée par les Huns, qui servaient l'empereur Gratien? Croyez-vous que ces impertinents aient voulu leur faire la cour un peu trop brusquement, et qu'irrités d'être repoussés avec trop de fierté ils les aient mises à mort pour leur apprendre à vivre? Nos bons aïeux le croyaient certainement, puisqu'ils célébraient annuellement, le 22 octobre, la fête de ces chastes héroïnes. Mais comme il n'est rien dans le monde sans contradiction, des critiques sourcilleux et difficiles ont contesté la vérité de ces récits. Ils ont fait d'abord observer que le nombre de onze mille vierges était un peu fort, qu'on aurait eu de la peine à le trouver dans les meilleurs temps du christianisme, et que le martyrologe de Wandelbert, composé en 850, et l'un des plus estimés des connaisseurs, n'en a porté le nombre qu'à mille, ce qui est encore beaucoup. Ensuite ils ont soutenu qu'il fallait pousser la réduction encore plus loin, et ils ont porté l'esprit de réforme jusqu'à effacer d'un trait de plume dix mille neuf cent quatre-vingt-neuf vierges, de sorte qu'ils n'en ont voulu accorder que onze; ce qui doit laisser beaucoup de places vacantes en paradis. Ils se sont autorisés d'une inscription qu'ils ont interprétée à leur manière: Sancta Ursula et XI M. V. Ceux qui tiennent pour les onze mille vierges ont traduit: Sainte Ursule et onze mille vierges. Mais nos critiques assurent que cette interprétation est fautive et erronée, et veulent que l'on traduise sainte Ursule et onze martyres vierges. Pour appuyer leur prétention, ils citent un catalogue de reliques tiré du Spicilége du père D. Luc d'Acheri, dans lequel on lit: «De reliquiis SS. undecim virginum. Des reliques des SS. onze vierges.»

«Réduire ainsi onze mille vierges à onze, c'est déjà beaucoup: cependant d'autres critiques, plus sévères encore, ont prétendu enchérir sur les premiers et porter la soustraction bien plus loin; car ils ne veulent absolument que deux vierges. Ils protestent qu'on a très-mal lu les anciens martyrologes, qui portaient: SS. Ursula et Undecimilla, Virg. Mart., c'est-à-dire «SS. Ursule et Undecimille, vierges martyres.» Des copistes ignorants ont pris un nom de femme pour un nom de nombre, et se sont imaginé que Undecimilla était une abréviation de undecim millia.

«Voilà ce que pense le savant père Sirmond, je ne sais s'il se trompe. Il est au moins constant qu'on a peu de renseignements exacts sur l'histoire de sainte Ursule et de ses compagnes. Baronius assure que les véritables actes de son martyre ont été perdus.»

Le riche s'attriste pendant que l'amoureux danse.

Ce proverbe oppose franchement les joies de l'amour aux soucis de la richesse, et semble vous dire: Préférez ce qui dilate le cœur à ce qui le resserre. Il nous est venu de la langue romane, et il se trouve dans ce vers du troubadour Pierre Cardinal:

El ric s'irais mentre l'amoros dansa.
Les tisons relevés chassent les amoureux.

Dicton fondé sur un usage très-ancien, d'après lequel une jeune fille, lorsqu'elle voulait se débarrasser des poursuites d'un jeune homme qui la recherchait en mariage, lui donnait rendez-vous chez elle, et courait se cacher, à son arrivée, après avoir relevé les tisons du feu, lui signifiant par là sans doute qu'ils ne devaient pas avoir l'un et l'autre un foyer commun.

Il se pratique encore aujourd'hui quelque chose d'analogue dans le département des Hautes-Alpes, où les belles congédient les galants en leur présentant le bout non allumé d'un tison.

Il va sans dire que si l'on éconduisait un prétendant en lui faisant voir les tisons éteints, on le retenait en les lui montrant allumés. C'étaient deux choses corrélatives passées en coutume, qui se rattachaient également aux antiques formalités du mariage, où le feu entrait comme élément symbolique, ainsi que je l'ai remarqué en expliquant la locution proverbiale: Allumer la chandelle à quatre cornes.

On vient de lire deux exemples assez curieux de la première, en voici encore deux de la seconde qui ne le sont pas moins:

Dans la province d'Utrecht, principalement à Zeyst, près de cette ville, chez la secte indépendante des Hernudders, le jeune homme qui recherche une jeune fille en mariage va sonner à la porte de la maison qu'elle habite, et demande du feu pour allumer son cigare ou sa pipe. Cette visite est suivie d'une seconde, et si le feu lui est accordé, il se présente une troisième fois. Alors il est reçu comme épouseur, et la jeune fille lui donne une poignée de main. Si, pendant ce temps, il finit de fumer son cigare, elle lui en offre un nouveau, et l'affaire est conclue. Lorsqu'il n'est pas agréé, la porte reste fermée pour lui, et il faut qu'il aille chercher femme ailleurs.

Le même usage existe chez les Mormons; mais c'est la jeune fille qui prend l'initiative de présenter le cigare et le feu.

L'usage symbolique de notifier un refus de mariage en offrant aux yeux des prétendants les tisons relevés, c'est-à-dire le foyer sans feu, donna lieu dans la suite à une superstition dont il reste encore quelque vestige: «Lorsqu'il y a une femme veuve ou quelque fille à marier dans une maison, dit le curé Thiers, et qu'elles sont recherchées en mariage, il faut bien se donner de garde de relever les tisons, parce que cela chasse les amoureux.» (Traité des Superst., t. III, p. 455.)

C'est un Céladon.

Amoureux à beaux sentiments. Céladon est un personnage de l'Astrée, pastorale allégorique où son auteur, le marquis Honoré d'Urfé, homme célèbre dans le monde galant par sa beauté, sa grâce, son esprit et son tendre cœur, a décrit ses propres amours, dégagés de toute idée grossière. La scène de ce roman est placée sur les bords du Lignon, petite rivière du Forez. Les bergers et les bergères qui y figurent sont des portraits de grands seigneurs et de grandes dames de la cour de France. Astrée représente Mlle de Chateaumorand; Galathée, la reine Marguerite, sœur de Henri III; Céladon, c'est d'Urfé; Calidon, M. le prince; Calidée, madame la princesse; Euric, Henri le Grand. Le premier volume de l'Astrée parut en 1610, quelque temps avant l'assassinat de Henri IV, et fut dédié à ce roi, qui trouva le présent fort agréable, quoique l'auteur ne le lui fût guère à cause de ses amours avec Marguerite de Valois. Le second et le troisième volume furent publiés l'année suivante, le quatrième en 1620, et le cinquième en 1625, après la mort de d'Urfé, par les soins de son secrétaire Baro, qui le termina d'après les manuscrits de son maître ou d'après sa propre imagination. Ces publications successives, signalées par divers bibliographes à qui j'ai emprunté les détails qu'on vient de lire, furent accueillies avec la plus grande faveur.

Ajoutons un fait qui montre bien l'influence extraordinaire que d'Urfé, par son roman, exerça sur ses contemporains. On assure qu'en 1624 il reçut, en Piémont où il résidait, une lettre signée de vingt-neuf princes ou princesses, et de dix-neuf seigneurs ou dames d'Allemagne qui lui demandaient avec instance la fin de l'ouvrage. Ces personnages l'informaient qu'ils avaient pris les noms des héros et des héroïnes de l'Astrée, et qu'ils s'étaient constitués en académie des vrais amants.

C'est de ces confréries pastorales, qui remontent à une époque beaucoup plus ancienne, que sont dérivés les noms de berger et de bergère employés comme synonymes d'amant et d'amante.

Il ne faut pas découvrir le pot aux roses.

C'est-à-dire les choses qu'on veut tenir secrètes, et particulièrement les mystères de la galanterie ou de l'amour.

La rose, dont le Tasse a dit d'une manière si charmante: «Quanto si mostra men, tanto è più bella; moins elle se montre, plus elle est belle,» la rose était dans l'antiquité le symbole de la discrétion, et la riante mythologie avait consacré cette idée en racontant que l'Amour avait fait présent de la première rose qui parut sur la terre à Harpocrate, dieu du silence, pour l'engager à cacher les faiblesses de Vénus. De même que la rose a son bouton enveloppé de ses feuilles, on voulait que la bouche gardât la langue captive sous les lèvres[13]. Quand on faisait une confidence à quelqu'un, on avait soin de lui offrir une rose comme une recommandation expresse de respecter les secrets dont il devenait dépositaire. Cette fleur figurait surtout dans les festins: tressée en guirlandes destinées à couronner le front et la coupe des convives, ou placée par bouquets sous leurs yeux, elle servait à leur rappeler que les doux épanchements nés de la liberté qui règne dans les banquets doivent toujours être sacrés. Nos bons aïeux avaient adopté cet aimable usage, qu'ils rendaient plus significatif encore en exposant sur la table un vase de roses sous un couvercle, et le proverbe est venu de cet usage, qui n'est peut-être pas entièrement tombé en désuétude; en 1800, j'en ai été témoin dans une petite ville du département de l'Aveyron.

[13] C'est ce que dit saint Grégoire de Nazianze dans des vers grecs dont sir Thomas Brown a rapporté cette traduction en vers latins:

Utque latet rosa verna suo putamine clausa,
Sic os vincla ferat, validisque arctetur habenis,
Indicatque suis prolixa silentia labris.

Les Allemands, pour recommander de ne pas trahir une confidence, se servent de la formule suivante: Ceci est dit sous la rose.

Cette formule est également familière aux Anglais, et voici comme elle a été expliquée par Newton dans l'Herbier de la Bible, p. 233-234: «Quand d'aimables et gais compagnons se réunissent pour faire bonne chère, ils conviennent qu'aucun des joyeux propos tenus pendant le repas ne sera divulgué, et la phrase qu'ils emploient pour garantie de leur convention est que tous ces propos doivent être considérés comme tenus sous la rose, car ils ont coutume de suspendre une rose au-dessus de la table, afin de rappeler à la compagnie l'obligation du secret.»

Peacham, dans son ouvrage intitulé «the Truth of our times, la Vérité de notre temps,» (p. 173; édit. de Londres, in-12, 1638), rapporte qu'en beaucoup d'endroits de l'Angleterre et des Pays-Bas on voyait une belle rose peinte au beau milieu du plafond de la salle à manger.

L'ornement d'architecture nommé rosace dut probablement son origine à cet usage qui était connu des anciens, comme l'attestent ces quatre vers que Lloyd, dans son dictionnaire, dit avoir été trouvés sur une dalle antique de marbre:

Est rosa flos Veneris, cujus quo forta laterent
Harpocrati matris dona dicavit Amor.
Inde rosam mensis hospes suspendit amicis,
Convivæ ut sub ea dicta tacenda sciant.

La rose est la fleur de Vénus, l'Amour en consacra l'offrande à Harpocrate, pour l'engager à cacher les voluptés furtives de sa mère; et de là est née la coutume de suspendre cette fleur au-dessus de la table hospitalière, afin que les convives sachent qu'il ne faut pas divulguer ce qui a été dit sous la rose.

Conter fleurettes.

Cette expression, qui signifie tenir des propos galants, est venue, suivant la remarque de Le Noble, de ce qu'il y avait en France, sous Charles VI, des pièces de monnaie marquées de petites fleurs et nommées, pour cette raison, florettes ou fleurettes, de même qu'on nomme encore florins une monnaie d'or ou d'argent qui portait primitivement l'empreinte d'une fleur. Ainsi conter fleurettes aurait d'abord signifié compter de l'argent aux belles pour les séduire, ce qui est bien souvent le moyen le plus persuasif.

Ceux qui rejettent cette origine allèguent la différence qu'il y a entre conter et compter; mais ce n'est point là une raison valable, puisque ces deux verbes étaient autrefois confondus sous le rapport de l'orthographe, ainsi que l'attestent des milliers d'exemplaires, où conter est mis pour compter. Cependant je n'adopte point l'opinion de Le Noble: je crois qu'il est plus naturel d'entendre par fleurettes les fleurs du langage. Les Grecs disaient: ῥόδα εἴρειν, et les Latins de même, rosas loqui (parler roses). On trouve dans quelques recueils français du quinzième siècle, dire florettes[14], et il existe un vieux livre intitulé «Les Fleurs de bien dire, recueillies aux cabinets des plus rares esprits de ce temps, pour exprimer les passions amoureuses de l'un et de l'autre sexe, avec un amas des plus beaux traits dont on use en amour, par forme de dictionnaire.» Paris, 1598, chez Guillemot.

[14] On trouve aussi écrire florettes, expression qui signifie particulièrement écrire en chiffre de fleurs.

Voyager dans le pays de Tendre.

Se dit d'une personne dont les propos et la conduite annoncent un penchant décidé pour l'amour.

Fontenelle a fait usage de cette expression en parlant de la reine Élisabeth d'Angleterre, qui, comme on sait, joignit aux qualités d'un grand roi la coquetterie d'une femme. «Élisabeth, dit-il, faisait peut-être quelques pas dans le pays de Tendre, mais assurément elle se gardait bien d'aller jusqu'au bout.»

On emploie aussi dans le même sens l'expression voguer ou naviguer sur le fleuve de Tendre, qu'on trouve dans ces vers de la dixième satire de Boileau:

Puis bientôt en grande eau sur le fleuve de Tendre
Naviguer à souhait, tout dire et tout entendre.

Ces façons de parler font allusion au pays de Tendre, imaginé par Mlle de Scudéri, qui en a tracé la carte dans son roman de Clélie. Cette carte représente six rivières sur lesquelles sont situées six villes, toutes six nommées Tendre; savoir: Tendre sur Inclination; Tendre sur Estime; Tendre sur Reconnaissance; Tendre sur Désir; Tendre sur Passion; Tendre sur Tendre. On va de l'une à l'autre par une route très-accidentée dans laquelle on trouve le hameau des Billets doux, les bosquets des Billets galants, la place des Petits Soins et des Soupirs indiscrets, etc.

«Les amants, dit Voltaire, s'embarquent sur le fleuve de Tendre: on dîne à Tendre sur Estime, on soupe à Tendre sur Inclination, on couche à Tendre sur Désir. Le lendemain on se trouve à Tendre sur Passion, et enfin à Tendre sur Tendre. Ces idées peuvent être ridicules, surtout quand ce sont des Clélies, des Horatius Coclès et des Romains austères et agrestes qui voyagent; mais cette carte géographique montre au moins que l'amour a beaucoup de logements différents.» (Dict. philos., au mot Abus.)


Je termine cette série de proverbes et de locutions proverbiales sur l'amour par un petit pastiche où j'ai fait entrer plusieurs idées qui n'ont pu trouver place dans les commentaires qui leur ont été consacrés. Il a été composé avec des phrases d'une foule d'auteurs dont il me serait aussi difficile de dire les noms qu'il le serait à un tailleur de nommer les fabricants des diverses étoffes d'où il a tiré les lambeaux qu'il a cousus ensemble pour en faire un habit d'arlequin.


Quelques mythologues supposent que l'Amour est né de l'Érèbe et de la Nuit, pour exprimer la confusion qu'il apporte dans nos sens et l'aveuglement dont il frappe notre esprit. D'autres prétendent qu'il est issu de Vénus sans père, ce qui montre que la beauté seule peut produire l'amour. Il y en a qui assurent, au contraire, que la déesse lui donna l'être avec la coopération de plusieurs dieux. Lorsqu'elle était au moment de le mettre au jour, le conseil de l'Olympe s'assembla: De quoi accouchera-t-elle? se demandaient les immortels.—De la foudre, dit Jupiter;—de la guerre, s'écria Mars;—du Tartare, ajouta Pluton; et Vénus accoucha de l'Amour. Le Destin avait décidé qu'on ne pouvait attendre d'une fille de la Mer que des tempêtes; d'une épouse de Vulcain, que des incendies; et d'une maîtresse de Mars, que des batailles. Ainsi l'Amour fut un composé de divers fléaux. A peine eut-il vu la lumière qu'il sema le trouble dans la cour céleste, et Jupiter, malgré le faible qu'il avait pour lui, se vit contraint de l'exiler sur la terre. L'apparition de ce petit dieu ici bas excita parmi les hommes un mouvement extraordinaire. Toutes les femmes coururent après lui pour le prendre, mais il avait des ailes; il échappa à leur poursuite, et se réfugia chez Protée, qui lui révéla le secret des métamorphoses. Depuis lors il se multiplia sous mille formes, et il ne garda pas deux jours de suite la même figure. Il prit tour à tour l'air de la timidité et de l'espièglerie, de l'innocence et de la malice, de la mélancolie et de la gaieté, du sentiment et du caprice, de la constance et de la légèreté, de l'amitié et de la haine, de la sagesse et de la folie, etc., etc., etc. Souvent il emprunta les traits réunis de plusieurs passions, et les assortit de manière à se composer une physionomie toujours nouvelle. Enfin il voulut ressembler à tout, et ne ressembler à rien. C'est ce qui fait qu'on ne peut jamais bien le peindre, et qu'on le peint de tant de façons diverses, mettant d'ordinaire ce qu'on imagine à la place de ce qui est, et imaginant quelquefois les choses les plus singulières; témoin cet auteur castillan qui l'a dépeint tout à fait semblable au Grand Turc.

Les effets que l'amour produit ne sont pas moins nombreux ni moins variés que ses métamorphoses. Ils pourraient se caractériser d'après les degrés de latitude des différents pays. En Espagne ils se font sentir dans la tête et dans l'imagination; en Italie, dans le cœur et dans le fiel; en Angleterre, dans la rate et dans la cervelle; en Allemagne, dans l'estomac et dans le foie; en France, un peu partout. Chez les Espagnols, c'est une folie qui éclate surtout pendant la nuit, temps des mystères et des aventures; chez les Italiens, une affaire principale dont ils s'occupent dès l'aurore; chez les Anglais, une humeur noire mère du spleen, à laquelle ils se livrent dans les jours nébuleux; chez les Allemands, un remède pour le lendemain matin, quand la digestion est faite; chez les Français, un sentiment doux et léger qui se joue parmi des fleurs artificielles, un art d'agrément, un amusement qu'ils prennent et quittent sans façon, comme bon leur semble.

On peut ajouter à ces observations les vers suivants d'un auteur dont j'ai oublié le nom:

Quand un objet fait résistance,
L'Anglais fier et vain s'en offense,
L'Italien est désolé,
L'Espagnol est inconsolable,
L'Allemand se console à table,
Le Français est tout consolé.

Le meilleur parti qu'il y ait à prendre quand on veut se délivrer des peines de l'amour, c'est de le traiter à la manière française. Mais comme cela ne convient pas à tous les tempéraments, je vais indiquer une recette médicale dont la généralité des individus peut faire usage au besoin. Je l'ai trouvée dans les œuvres du célèbre Huet, évêque d'Avranches. Ce docte prélat, plein de compassion pour les cœurs en souffrance, les avertit très-sérieusement que l'amour est, comme la fièvre, une maladie qui se guérit par les secours de la médecine, en provoquant d'abondantes sueurs et en pratiquant de copieuses saignées. Et certes on ne contestera point que l'amour ainsi purgé de ses humeurs malignes et dégagé de ses esprits enflammés ne soit réduit à l'impuissance. Mais, dira-t-on, n'est-il pas à craindre qu'il reprenne dans la suite ses premières ardeurs? Notre auteur a prévu cette objection, et l'a réfutée par le fait suivant, qu'il rapporte en ces termes: «Un grand prince que nous avons connu, atteint d'une passion violente pour une demoiselle d'un grand mérite, fut contraint de partir pour l'armée. Tant que son absence dura, sa position s'entretint par le souvenir et par un commerce de lettres très-fréquent et très-régulier, jusqu'à la fin de la campagne, où une maladie dangereuse le réduisit à l'extrémité. On proportionna les remèdes au mal, et on mit en usage tout ce que la médecine enseigne de plus efficace: il reprit la santé, mais sans reprendre son amour, que de grandes évacuations avaient emporté à son insu.»

Il est clair, d'après cela, que si l'on désire un bon remède d'amour, ce n'est pas à Ovide, mais à M. Purgon qu'il faut le demander.


On a remarqué sans doute que, dans la série des proverbes sur l'amour, il s'en trouve un assez grand nombre qui ont été formés de comparaisons ou de métaphores fort ingénieuses.

Frappé du caractère original qui les distingue, je m'étais plu à les mettre en vers dans l'intention d'en illustrer les dernières pages de ce chapitre, espérant atténuer leur double emploi par les agréments de la forme métrique; mais je renonce à ce dessein dont la mise en œuvre ne serait en dernière analyse qu'un duplicata bien ou mal versifié.

Qu'on me permette pourtant de donner ici deux quatrains consacrés à deux de ces proverbes oubliés dans la série en question.

On aime à se flatter de l'espoir décevant
D'être toujours aimé de sa douce compagne;
Mais l'amour d'une belle est un sable mouvant
Où l'on ne peut bâtir que châteaux en Espagne.
L'amour sincère et pur n'est jamais soucieux.
Rien ne peut altérer l'essence sublimée
De cet amour délicieux;
C'est un feu d'aloès qui brûle sans fumée.

Qu'on me permette aussi de joindre à ces citations une chanson dont chaque couplet offre une ressemblance et une différence entre l'Amour et le Médecin comparés.

L'Amour et le Médecin.

1er COUPLET

Le médecin, le dieu d'amour,
Sont de service nuit et jour:
Voilà la ressemblance.
L'un est fameux dans ses vieux ans,
Et l'autre l'est dans son printemps:
Voilà la différence.

2e COUPLET

Ils sont aveugles tous les deux,
Malgré cela fort curieux:
Voilà la ressemblance.
L'un est grave et de noir vêtu.
L'autre est sémillant et tout nu:
Voilà la différence.

3e COUPLET

On a recours à tous les deux
Quoique tous deux soient dangereux:
Voilà la ressemblance.
Il faut payer un grand docteur,
L'amour payé perd sa valeur,
Voilà la différence.

4e COUPLET

Tous deux nous donnent du ressort,
Et même la vie et la mort:
Voilà la ressemblance.
L'un nous blesse en nous guérissant,
L'autre caresse en nous blessant,
Voilà la différence.

5e COUPLET

Tous deux regardent dans les yeux,
Si ça va mal, si ça va mieux:
Voilà la ressemblance.
C'est le pouls que tâte un docteur,
Mais l'amour nous touche le cœur:
Voilà la différence.

6e COUPLET

Tous deux s'en vont courants, trottants,
Et sont tant soit peu charlatans:
Voilà la ressemblance.
L'un s'en va quand nous allons bien,
L'autre, quand nous ne valons rien:
Voilà la différence.
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