← Retour

Proverbes sur les femmes, l'amitié, l'amour et le mariage

16px
100%

PROVERBES
SUR
L'AMOUR

Il faut aimer pour être aimé.

Proverbe rapporté par Sénèque: Si vis amari, ama (Epist. IX), et très-bien expliqué dans ce passage de J.-J. Rousseau: «On peut résister à tout, hors à la bienveillance, et il n'y a pas de moyen plus sûr de gagner l'affection des autres que de leur donner la sienne. On sent qu'un tendre cœur ne demande qu'à se donner, et le doux sentiment qu'il cherche le vient chercher à son tour.»

Il y a dans une passion véritable une puissance d'attraction qui finit par triompher, non-seulement de l'indifférence, mais de la haine, et c'est avec raison qu'un grave archevêque de Paris, monseigneur de Péréfixe, a dit: «Le philtre de l'amour, c'est l'amour même.»

Les Italiens ont ce proverbe: «Chi non arde non incende. Qui n'est pas en feu n'enflamme point.»

C'est trop aimer quand on en meurt.

Proverbe que Gilles de Nuits ou des Noyers (Ægidius Nuceriensis), dans son recueil d'Adages françois, traduits en vers latins, Adagia gallica, etc., a rendu par ce pentamètre:

Semper amor nimius dum fera mors sequitur.

Ce proverbe est du moyen âge, où le culte de l'amour pouvait faire des martyrs. Il trouve rarement son application dans notre siècle d'égoïsme. On dit, au contraire, aujourd'hui: Mort d'amour et d'une fluxion de poitrine.

Le troubadour Pons de Breuil avait écrit, à ce que nous apprend Nostradamus, un roman jadis très-goûté, dont le titre était: «Las amors enrabyadas de Andrieu de Fransa. Les amours enragées d'André de France.» Il se pourrait que le proverbe fût venu d'une allusion au héros de ce roman, mort d'amour pour une reine du pays, et fréquemment cité comme le parfait modèle des amants.

Le Romancero espagnol nous offre l'histoire de l'amoureux don Bernaldino, qui disait: «Ma gloire est à bien aimer,» et qui se tua de désespoir parce que le père de son amie Léonor avait emmené cette belle en pays lointain. Ses vassaux, désolés de sa mort, lui élevèrent un mausolée tout de cristal, où ils gravèrent une épitaphe touchante terminée par ces deux vers:

Aqui está don Bernaldino
Que murió por bien amar.

«Ci-gît don Bernaldino, qui mourut pour bien aimer.»

Sahid, fils d'Agba, demandait un jour à un jeune Arabe: «A quelle tribu appartiens-tu?—J'appartiens à celle chez laquelle on meurt d'amour.—Tu es donc de la tribu des Arza?—Oui, j'en suis, et je m'en glorifie.»

Ajoutons que cette tribu, célèbre par son caractère d'amour passionné, a fourni presque tous les noms qui figurent dans un livre ou nécrologe arabe fort curieux, intitulé Histoire des Arabes morts d'amour.

Feindre d'aimer est pire que d'être faux monnayeur.

Cette maxime proverbiale est sans doute du temps des Amadis, où le faux amour était plus décrié que la fausse monnaie. Je le remarque, afin qu'elle ne paraisse pas trop étrange, aujourd'hui qu'on ne reconnaît plus rien de sérieux ni de vrai dans l'amour, et qu'on en fait un jeu de société qui ne se joue qu'avec de faux jetons, et où tout le monde triche. Autres temps, autres mœurs.

Mieux vaut aimer bergères que princesses.

On a voulu chercher une origine historique à ce proverbe, qui est né peut-être de la simple réflexion, et l'on a trouvé cette origine dans l'affreux supplice que subirent deux gentilshommes normands, Philippe d'Aulnai et Gauthier d'Aulnai, son frère, convaincus d'avoir eu, pendant trois ans, un commerce adultère avec les princesses Marguerite et Blanche, épouses de Louis et de Charles, fils de Philippe le Bel. Les chroniques en vers de Godefroy de Paris (Manuscrits de la Bibliothèque nationale, no 6,812) nous apprennent que les deux coupables furent mutilés, écorchés vifs, traînés, après cela, dans la prairie de Maubuisson tout fraîchement fauchée, puis décapités et pendus par les aisselles à un gibet. Quant aux deux princesses, elles furent honteusement tondues et incarcérées. Marguerite fut étranglée dans la suite au château Gaillard, par ordre de son époux, Louis le Hutin, qui voulut se remarier en montant sur le trône. Blanche passa le reste de sa vie dans une triste captivité.

Aimer à la franche marguerite.

Cette locution, employée pour dire être dans une disposition d'amour pleine de sincérité et de confiance, fait allusion à une superstition amoureuse bien connue dans les campagnes, et que je vais expliquer.

Telle est la disposition du cœur de l'homme que, dans toutes les passions qu'il éprouve, il ne saurait jamais s'affranchir d'une sorte de superstition. On dirait que, ne trouvant dans le monde réel rien qui réponde pleinement aux besoins d'émotion et de sympathie produits par l'exaltation de son être, il cherche à étendre ses rapports dans un monde merveilleux. C'est surtout dans l'amour que se manifeste cette disposition. L'amant est curieux, inquiet, il veut pénétrer l'avenir pour lui arracher le secret de sa destinée. Il rattache ses craintes et ses espérances à toutes les pratiques mystérieuses que son imagination lui fait croire capables de changer la volonté du sort et de la disposer en sa faveur. Il veut trouver dans tous les objets de la nature des assurances contre les craintes dont il est assiégé. Il les interroge sur les sentiments de celle qu'il adore. Les fleurs, qui lui présentent son image, lui paraissent surtout propres à révéler l'oracle de l'amour. Lorsqu'il va rêvant dans la prairie, il cueille une marguerite, il en arrache les pétales l'un après l'autre, en disant tour à tour: «M'aime-t-elle?—pas du tout,—un peu,—beaucoup,—passionnément,» dans la persuasion que ce qu'il tient à savoir lui sera dit par celui de ces mots qui coïncidera avec la chute du dernier pétale. Si ce mot est pas du tout, il gémit, il se désespère; si c'est passionnément, il s'enivre de joie, il se croit destiné à la suprême félicité, car la marguerite est trop franche pour le tromper.

Les amoureux villageois emploient aussi la plante vulgairement appelée pissenlit pour savoir s'ils sont aimés. Ils soufflent fortement sur les aigrettes duveteuses de cette plante, et s'ils les font toutes envoler d'un seul coup, c'est un signe certain qu'ils ont inspiré un véritable amour.

Les bergers de Sicile, comme on le voit dans la troisième idylle de Théocrite, se servaient d'une feuille de la plante que ce poëte nomme téléphilon (espèce de pavot). Ils la pressaient entre leurs doigts de manière à la faire claquer; car ils regardaient ce claquement comme un heureux présage que leur tendresse ne pouvait manquer d'être payée de retour.

Les jeunes paysans anglais, lorsqu'ils aiment, ont soin de porter dans leurs poches des boutons d'une certaine plante qui sont appelés, en raison d'un tel usage: bachelor's buttons (boutons de jeunes gens), persuadés que la manière dont ces boutons s'ouvrent et se flétrissent doit leur faire connaître s'ils réussiront ou non auprès de l'objet de leur passion: Shakespeare a rappelé cette coutume dans les Joyeuses Bourgeoises de Windsor (act. III, sc. II).

S'aimer comme deux tourterelles.

Les naturalistes et les poëtes du moyen âge ont fait de ces oiseaux le symbole de la tendresse et de la fidélité conjugales. Ils nous apprennent que le mâle ne s'attache qu'à une seule femelle, et la femelle qu'à un seul mâle; qu'ils vivent dans la plus étroite union, et que si l'un d'eux vient à mourir, le survivant renonce à s'apparier avec un autre.

On lit à ce sujet dans le Bestiaire divin composé par le clerc ou trouvère Guillaume: «O vous, hommes et femmes, que l'Église a unis par les liens éternels du mariage, vous qui avez juré d'être fidèles, et qui tenez si mal vos serments, instruisez-vous par l'exemple de la tourterelle. Dans les bois épais qu'elle habite, elle aime sans partage et veut être aimée de même. Lorsqu'elle perd sa compagne, il n'est point de saison, point de moment où elle ne gémisse. Elle ne se pose ni sur le gazon, ni sous la feuillée; mais elle attend toujours celle qu'elle a perdue, et ne forme jamais de nouveaux liens. Elle n'oublie point son premier ami, et, s'il meurt, le reste de la terre lui est indifférent.

«O vous qui vivez dans le tourbillon du monde, apprenez de cet oiseau l'inviolable fidélité des regrets, et ne faites point comme ces maris qui, en revenant de l'enterrement de leurs femmes, s'occupent, dès le soir même, de la remplacer.» (Ch. XXXI.)

L'abbé Salgues dit: «La tourterelle est si douce qu'on regrette de lui enlever la réputation qu'on lui a faite d'être un modèle de fidélité; mais la douceur est souvent compagne de la faiblesse, et je suis forcé d'avouer que j'ai vu des tourterelles oublier les lois de la constance pour coqueter avec des amants. Peut-être était-ce la contagion du mauvais exemple, car ces tourterelles étaient domestiques et vivaient parmi nous. Cependant Le Roy (naturaliste) assure qu'il en a vu de sauvages faire deux heureux de suite, sans quitter la même branche.»

S'aimer comme Robin et Marion.

S'aimer d'un amour tendre et fidèle. Il y a une espèce de pastorale du douzième siècle, le Jeu du Berger et de la Bergère, par Adam de la Halle, où Robin et Marion sont représentés comme les parfaits modèles des amants. Le chevalier Aubert, épris de Marion, l'accoste en lui demandant pourquoi elle répète si souvent et avec tant de plaisir le nom de Robin. Elle répond: «C'est que j'aime Robin, et que Robin m'aime.» Il lui déclare qu'il l'aime aussi, qu'elle serait plus heureuse avec lui, et il cherche à la séduire par les plus belles promesses. Voyant enfin qu'il ne peut y réussir, il veut l'enlever. Mais elle résiste, et il est forcé de la laisser aller vers son cher Robin, avec qui l'auteur nous la montre échangeant les plus doux témoignages d'une tendresse mutuelle.

Cette pièce que les jongleurs jouaient et chantaient dans les festins publics, entre les mets ou après les mets, a sans doute donné lieu à l'expression proverbiale: s'aimer comme Robin et Marion, ainsi qu'à cette autre expression analogue: être ensemble comme Robin et Marion, c'est-à-dire en parfaite intelligence.

On dit aussi de deux amants inséparables: L'un ne va pas sans l'autre, non plus que Robin sans Marion.

On ne peut aimer et être sage tout ensemble.

C'est un apophthegme que Plutarque, dans la Vie d'Agésilas, attribue à ce grand capitaine. Il s'explique par le proverbe: «Omnis amans amens, tout amant est fou.» Les Latins disaient encore qu'aimer et être sage à la fois était à peine possible à un dieu.

Amare et sapere vix deo conceditur.

(P. Syrus.)

Il y a bien des dames, disons-le à leur gloire, qui cherchent tous les jours à démentir ce proverbe; plus elles font l'amour, plus elles s'efforcent de passer pour sages: e sempre bene.

Aimer n'est pas sans amer.

Ou plus simplement aimer est amer. Ce jeu de mots était un vrai calembour dans l'ancien temps, où l'on disait amer pour aimer. Le sens est suffisamment expliqué par cette apostrophe à l'amour, tirée des Stances sur le déplaisir d'un départ, partie IV, liv. XI du roman d'Astrée.

Que nos sages Gaulois savoient bien ta coustume,
Lorsque pour dire aimer, ils prononçoient amer!
Amers sont bien tes fruits, et pleines d'amertume
Sont toutes les douceurs qu'on a pour bien aimer.
Qui ne sait pas céler ne sait pas aimer.

Le mystère est nécessaire à l'amour, et il ajoute beaucoup à la vivacité de cette passion, dont il est la preuve. Ce proverbe est traduit du texte latin, qui non celat amare non potest, qui forme le second des trente et un articles du Code d'amour, qu'on trouve dans l'ouvrage intitulé Livre de l'art d'aimer et de la réprobation de l'amour, par maître André, chapelain de la cour royale de France, vers 1176.

«L'amour aime de sa nature tellement le secret et le mystère, qu'on peut dire que tout ce qui n'est ni secret ni mystérieux n'est point amour.» (Mlle de Scudéri.)

Le comte de Bussy-Rabutin, qui regardait aussi le mystère comme un assaisonnement nécessaire de l'amour, a dit dans une de ses maximes:

Aimez, mais d'un amour couvert,
Qui ne soit jamais sans mystère.
Ce n'est pas l'amour qui nous perd,
Mais la manière de le faire.
Aimer mieux de loin que de près.

Expression qui a beaucoup de rapport avec ce vers qu'Alcyone adresse à Céyx, dans les Métamorphoses d'Ovide (liv. XI, fab. XI):

Jam via longa placet, jam sum tibi carior absens.

Il est bien vrai qu'on aime mieux certaines personnes lorsqu'on n'est plus auprès d'elles, celles surtout qui sont d'un caractère conciliant, parce que leurs défauts, rendus moins sensibles et presque effacés par l'éloignement, ne contrarient plus la tendre impulsion du cœur, d'où le proverbe russe: Ensemble, à charge; séparés, supplice, proverbe qui peut avoir été suggéré par ce joli vers latin:

Nec possum tecum vivere, nec sine te.

Je ne puis vivre avec toi ni sans toi.

Mais ce n'est pas là ce qu'on entend d'ordinaire quand on dit aimer mieux de loin que de près. Cette phrase n'a pas été faite pour exprimer ce que Mme de Sévigné appelle si heureusement les unions de l'absence, et elle ne s'emploie guère que pour signifier qu'on ne se soucie point d'avoir un commerce assidu avec une personne.

Qui bien aime tard oublie.

Un sentiment vif et sincère laisse dans le cœur qui l'éprouve un souvenir qui dure longtemps. Ce proverbe usité en langue romane, qui ben ama tart oblida, est passé dans plusieurs autres langues, et ce qui est assez curieux, il a été employé en vieux français par Chaucer, poëte anglais du quinzième siècle, dans son poëme intitulé: The Assemble of foule (st. 97),

Hom ki bien aime tart ublie.

Chaucer l'avait peut-être tiré d'un poëme relatif aux aventures de Tristan, où il se trouve sous les mêmes termes.

Il y a beaucoup d'autres proverbes formulés primitivement en langue d'oc et en langue d'oïl qui sont devenus communs aux Italiens, aux Espagnols, aux Anglais, aux Allemands. J'en ai compté plus de quinze cents dont l'invention a été attribuée à ces peuples, qui n'ont fait que les emprunter à notre ancienne littérature. Ce que je dis n'est pas une assertion hasardée, c'est une vérité établie sur des preuves chronologiques qu'on ne saurait contester, et que j'ai données, en grand nombre, dans mes Études historiques, littéraires et morales sur le langage proverbial.

Il fait bon voir vaches noires en bois brûlé, quand on aime.

Les amants se plaisent à bercer leur tendre rêverie de félicités imaginaires; «et c'est bien ce qu'on dict en proverbe, qu'il faict bon voir vasches noyres en boys bruslés, quand on jouit de ses amours.» (Rabelais, liv. II, c. XII.)

Voir vaches noires en bois brûlé est une locution qui signifie se forger d'agréables chimères, poursuivre de douces illusions, comme font les vachers lorsque, devant leur feu, ils rêvent au bonheur d'avoir de bonnes vaches noires, réputées meilleures laitières que les autres, et croient les voir apparaître avec leurs mamelles pendantes dans les figures fantastiques que les tisons, en se consumant, offrent à leurs yeux. Les vaches noires en bois brûlé sont les châteaux en Espagne des vachers.

Qui aime vilement s'avilit.

Proverbe traduit du roman qui ama vilmen si eis vilzis. Il exprime une opinion qui régnait aux époques chevaleresques et qui interdisait à tout gentilhomme de choisir pour son épouse ou pour sa dame une femme issue de basse condition. Cette mésalliance, réputée honteuse et avilissante, surtout dans le mariage, exposait celui qui l'avait contractée à une pénalité dégradante que les autres nobles lui infligeaient. Saint-Foix cite, à ce sujet, dans ses Essais historiques sur Paris, le passage suivant d'un écrit du roi René: «Un gentilhomme qui se rabaissoit par mariage, et qui se marioit à une femme roturière et non noble, devoit subir la punition, qui étoit qu'en plein tournoi tous les autres seigneurs, chevaliers et écuyers, se devoient arrêter sur lui et tant le battre qu'ils lui fissent dire qu'il donnoit cheval et qu'il se rendoit.»

Un cheveu de ce qu'on aime
Tire plus que quatre bœufs.

Proverbe pris d'une ancienne chanson et employé pour marquer l'empire que peut exercer une femme sur les volontés de l'homme qui l'adore. Il y a dans l'Anthologie grecque de Planude (VII, 39) une épigramme de Paul le Silentiaire, où un amant dit que sa Doris l'a attaché avec un cheveu de sa blonde tresse, et que ce lien, qu'il se flattait de rompre avec facilité, est devenu une chaîne d'airain contre laquelle tous ses efforts sont impuissants. «O malheureux que je suis! s'écrie-t-il, je ne suis lié que par un cheveu, et ma Doris me mène ainsi comme elle veut!»

Nous disons encore: On tire plus de choses avec un cheveu de femme qu'avec six chevaux bien vigoureux. Ce qui signifie que l'entremise d'une belle dans une affaire est un des plus puissants moyens de succès.

Les Persans disent dans un sens analogue: Celui qui est aimé d'une belle femme est à l'abri des coups du sort.—Rapprochons de cela cet autre proverbe: Une belle solliciteuse vaut bien une bonne raison; c'est-à-dire une belle solliciteuse obtient tout ce qu'elle veut. Et comment résister à une femme aimable qui vous implore, qui a des regards ravissants, des souris gracieux, des paroles pleines de charme, des mains blanches qui vous pressent et des baisers qui vous enivrent! il n'y a pas moyen de s'en tirer autrement que par la réponse que M. de Calonne, ministre, fit à une princesse charmante qui lui recommandait une affaire: «Madame, si la chose est possible, elle est déjà faite, et si elle est impossible, elle se fera.»

Un peu d'absence fait grand bien.

Les personnes qui s'aiment se revoient avec plus de plaisir après une courte séparation. Le sentiment, affaibli par l'habitude d'être ensemble, se retrempe dans l'absence. «L'imagination, dit Montaigne, embrasse plus chauldement et plus continuellement ce qu'elle va querir que ce que nous touchons. Comptez vos amusements journaliers, vous trouverez que vous estes le plus absent de votre ami quand il vous est présent. Son assistance relasche votre attention et donne liberté à votre pensée de s'absenter à toute heure, pour toute occasion.» (Ess., III, IX.)

Les deux passages suivants de Saady offrent une explication plus sensible: «Abuhurra allait tous les jours rendre ses devoirs à Mahomet, à qui Dieu veuille être propice! Le prophète lui dit: Abuhurra, viens me voir plus rarement, si tu veux que notre amitié s'accroisse, de trop fréquentes visites l'useraient trop promptement.»

Un plaisant disait: «Depuis le temps qu'on vante la beauté du soleil, je n'ai jamais ouï dire que personne en soit devenu plus amoureux.—C'est, répondit-on, parce qu'on le voit tous les jours, excepté en hiver, où il se cache quelquefois sous les nuages. Mais alors même on en connaît mieux le prix.»

Un amant dit à sa maîtresse dans une épigramme d'Owen:

Sol fugitur præsens, idemque requiritur absens:
Quam similis soli est, Nævia, noster amor!

«On fuit le soleil présent, on le cherche absent. O Névia, combien notre amour ressemble au soleil!»

Raynouard parle d'un tenson manuscrit où est discutée cette question: «Laquelle est plus aimée, ou la dame présente ou la dame absente? Qui induit le plus à aimer, ou les yeux ou le cœur?» Cette question, ajoute-t-il, fut soumise à la décision de la cour d'amour de Pierrefeu et de Signe, mais l'histoire ne nous apprend pas quelle fut la décision.

Le silence de l'histoire fait supposer celui de la cour d'amour. Les dames siégeant à ce tribunal sentirent sans doute qu'il valait mieux se taire que de prononcer sur une question qu'elles ne pouvaient résoudre sans se placer dans une alternative nuisible à leurs intérêts; car, en décidant pour la présence ou pour les yeux, elles eussent donné à leurs amants une sorte de droit d'avoir toujours les yeux sur elles, ce qui serait devenu incommode ou compromettant sous plusieurs rapports, et, en accordant gain de cause à l'absence ou au cœur, elles se fussent exposées à ne jouir que par passades de leurs adorateurs changés en chevaliers errants: situation incompatible avec les sentiments des femmes, qui sont toujours plus jalouses d'être aimées de près que de loin.

Quoi qu'il en soit, les personnes qui sentent l'amour prêt à les quitter et qui désirent retenir ce volage, ne sauraient mieux faire que de le soumettre, pendant quelque temps, au régime fortifiant de l'absence, car l'absence est un moyen de se rapprocher, comme dit un proverbe turc. Une fois séparées par l'espace, elles se toucheront de plus près par le cœur. Il y avait répulsion à proximité, il y aura attraction à distance. Ce sont là deux phénomènes dépendant de plusieurs causes fort naturelles. La plus générale, c'est que les amants dépareillés par la séparation passent d'un état de satiété qui alanguissait leurs désirs à un état de privation qui les excite. L'éloignement produit d'ailleurs dans l'amour le même effet que dans la perspective, où il prête aux objets une apparence plus agréable en les montrant sous des formes arrondies qui font disparaître les aspérités. Ils ne laissent plus voir l'objet aimé que par les côtés séduisants: les défauts cessent d'être aperçus, les qualités se présentent sans ombre, elles s'embellissent au gré de l'imagination et du sentiment, elles se transforment en idéalités poétiques, et le rêve doré des premières amours recommence.

Properce (liv. II, élégie 35) dit que l'absence des amants est un surcroît heureux au feu de l'amour:

Semper in absentes felicior æstus amantes.

Il ne faut pas croire pourtant que l'absence ait une influence vivifiante sur toutes les passions. Elle augmente les grandes et diminue les petites.

On connaît ce distique proverbial qui a survécu à d'autres vers du comte de Bussy-Rabutin, son auteur:

L'absence est à l'amour ce qu'est au feu le vent:
Il éteint le petit, il allume le grand.

Il paraît avoir été pris de cette pensée de La Rochefoucauld: «L'absence diminue les médiocres passions et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu.»

La Rochefoucauld passe pour avoir tiré sa pensée de la réflexion suivante de saint François de Sales, qu'il s'est appropriée en l'appliquant à l'absence: «Ce sont les grands feux qui s'enflamment au vent, mais les petits s'éteignent si on ne les met à couvert.» (Introduction à la vie dévote, part. III, ch. XXXIII.)

La comparaison était connue et probablement populaire avant ces trois auteurs, et les trois manières dont ils l'ont employée ne sont que des variantes de la maxime persane que voici: «Les obstacles abattent les âmes vulgaires, tandis qu'ils exaltent celles des héros, semblables à un vent impétueux qui éteint les flambeaux et allume les incendies.»

L'absence est l'ennemie de l'amour.

«L'absence, dit un écrivain anglais, tue l'amant ou l'amour.»

On sent, d'après les explications données dans l'article précédent, qu'il s'agit ici de l'absence prolongée et non de l'absence passagère, car celle-ci agit sur l'amour à l'inverse de l'autre. La longue absence l'éteint, et la courte absence le rallume. Il en est de l'absence comme de la diète, qui est nuisible ou salutaire au malade selon qu'il y a excès ou mesure dans sa durée.

L'absence est pire que la mort.

L'absence est, dit-on, la mort moins le repos. Elle cause donc plus de souffrances que la mort aux personnes sensibles, qui quelquefois aiment mieux cesser de vivre que de continuer de vivre dans l'éloignement de l'objet de leur affection. Un distique du chevalier Vatan donne, par un sophisme ingénieux, une autre explication de ce lieu commun proverbial, si fréquemment et si longuement développé dans toutes les correspondances épistolaires des amants condamnés par le sort barbare à gémir, éloignés l'un de l'autre.

De deux amants la mort ne fait qu'un malheureux,
C'est celui qui survit; mais l'absence en fait deux.
Loin des yeux et loin du cœur.

Proverbe pris du vers suivant de Properce, liv. III, élég. 21.

Quantum oculis animo tam procul ibit amor.

Il s'explique très-bien par cet autre proverbe qu'on trouve dans le troubadour Peyrols: «Cor oblida qu'elhs no ve. Cœur oublie ce qu'œil ne voit.»

Un bel esprit, écrivant à un voyageur qui se plaignait d'être loin des beaux yeux de la dame de ses pensées, lui rappelait le proverbe et ajoutait plaisamment: «Ce proverbe s'est toujours accompli à Paris comme un arrêt du destin contre les absents. Hâtez-vous donc d'oublier la maîtresse que vous y avez laissée, car il est bon de prévenir les infidèles.»

Les yeux sont messagers du cœur.

Traduction littérale du proverbe roman: Los uelhs so messatgier del cor.—Les yeux de deux amants se cherchent et se rencontrent sans cesse. Fidèles conducteurs de ce fluide magnétique qui va remuer au fond des cœurs tout ce qu'il y a de plus intime, ils le versent de l'un à l'autre, et par cette correspondance réciproque les confondent et les absorbent dans le même sentiment. Le troubadour Hugues Brunet de Rhodez a dit sur ce sujet: «L'amour s'élance doucement d'œil en œil, de l'œil dans le cœur, du cœur dans les pensées.»

On trouve dans une chanson des Grecs modernes: «L'amour se prend par les yeux, il descend sur les lèvres, des lèvres il se glisse dans le cœur, et y prend racine.»

Le cœur ne vieillit pas.

Pour signifier que le cœur, chez les personnes âgées, n'éprouve pas toujours le refroidissement que la vieillesse communique aux autres organes, qu'il conserve une certaine chaleur de sentiment, qu'il est quelquefois sujet à s'enflammer d'amour et qu'il ne doit pas être considéré comme une propriété assurée contre l'incendie.

Nous avons encore le proverbe le cœur n'a point de rides, c'est-à-dire qu'on est toujours jeune pour aimer.

On connaît cet autre proverbe: Le bois sec brûle mieux que le bois vert, vulgairement employé pour faire entendre qu'une personne âgée est quelquefois plus portée à l'amour qu'une jeune, et qu'elle éprouve cette passion avec plus d'ardeur.

Voici un sixain assez plaisant qu'il faut joindre aux errata dont un tel proverbe paraît susceptible:

Un vieillard faisait les yeux doux
A Lise, jeune et belle femme,
Et lui redisait à tous coups
Que bois sec mieux que vert s'enflamme
«Non pas, lui répondit la dame,
Lorsque le bois vert est dessous.»
L'âme d'un amant vit dans un corps étranger.

Cet adage ingénieux, rapporté par Plutarque dans la Vie de Marc-Antoine, signifie qu'un amant est tout entier à sa passion et ne s'appartient pas à lui-même. Suivant un autre adage, «l'âme d'un amant vit plus dans ce qu'elle aime que dans ce qu'elle anime, anima plus vivit ubi amat quam ubi animat,» parce que, disent les philosophes, elle est par nécessité là où elle anime, tandis qu'elle est par choix et par inclination là où elle aime.

L'amant se transforme en l'objet aimé.

Quand on est véritablement amoureux, on prend l'esprit de la personne qu'on aime, on pense d'après elle, on sent par son cœur, on voit par ses yeux, on renonce, pour ainsi dire, à ce qu'on est soi-même pour devenir ce qu'elle est et ne faire plus qu'un avec elle. Tel est le sens de cette maxime proverbiale dont Mme de Motteville a fait l'application à la reine épouse de Louis XIV, dans le passage suivant de ses Mémoires: «Si elle était chagrine, c'est parce que, selon ce que disent les philosophes, l'amant se transforme en l'objet aimé, et que, voyant le roi triste, il était impossible qu'elle fût gaie.»

M. Michelet a exhumé des œuvres de Morin, auteur peu connu qu'il appelle «un homme du moyen âge égaré dans le dix-septième siècle», le vers charmant que voici:

Tu sais bien que l'amour change en lui ce qu'il aime.

Ce vers, que M. Michelet loue avec raison, n'est qu'une variante du proverbe suivant, beaucoup plus ancien.

L'amant écoute du cœur les prières de sa belle.

Ce proverbe, plein de délicatesse dans la pensée et dans l'expression, s'emploie pour signifier qu'un amant a une sorte d'intuition qui lui fait sentir, deviner les désirs de sa maîtresse et qu'il ne pense qu'à les prévenir. Il est traduit de ce texte roman:

L'amoros au de cor los precs de sa domna.

Racine a dit heureusement dans son Andromaque, par une expression dans le genre de celle du proverbe, qui lui était probablement inconnu:

Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux.

(Acte IV, sc. V.)

Écouter du cœur offre la même beauté poétique que parler du cœur.

La bourse d'un amant est liée avec des feuilles de poireau.

C'est-à-dire qu'elle n'est pas liée, parce que les feuilles de poireau, qui se rompent aussitôt qu'on veut les nouer, ne peuvent servir de lien.—Ce proverbe, qui était usité chez les Grecs et chez les Latins, et qui est cité dans les Symposiaques de Plutarque (liv. Ier, quest. 5), s'emploie pour marquer la prodigalité des amants. Cette prodigalité, dont on pourrait citer des milliers d'exemples remarquables, ne s'est jamais manifestée par un trait plus charmant que celui qui a inspiré à J. Delille les vers suivants de son poëme de l'Imagination, chant IV:

Que j'aime ce mortel qui, dans sa douce ivresse,
Plein d'amour pour les lieux où jouit sa tendresse,
De ses doigts que paraient des anneaux précieux
Détache un diamant, le jette et dit: «Je veux
Qu'un autre aime après moi cet asile que j'aime,
Et soit heureux aux lieux où je le fus moi-même.»
Cœur noble et délicat! dis-moi quel diamant
Égale un trait si pur et vaut ton sentiment?

C'est ainsi, dit-on, que le duc de Buckingham témoigna l'ivresse de son bonheur à l'endroit où la reine de France, Anne d'Autriche, venait de lui avouer qu'elle l'aimait. Ce trait fut reproduit, dans la suite, par milord Albemarle, le même qui, voyant un soir Mlle Gaucher, sa maîtresse, occupée à regarder fixement une étoile, s'écria: «Ne la regardez pas tant, ma chère, je ne pourrais vous la donner.»

Le sentiment qui respire dans ce mot, où le cœur s'est exprimé avec tant d'esprit et de délicatesse, se trouve sous une forme non moins naïve qu'originale dans ces vers d'une ballade qui est insérée parmi les ballades de Villon, mais qui n'est pas de Villon:

Or elle a tort, car haine ne rancune
Onc n'eut de moi; tant lui fus gracieux
Que s'elle eust dit: Baille-moi de la lune,
J'eusse entrepris de monter jusqu'aux cieux.

Un barde gallois nommé Moke, qui florissait au treizième siècle, dit dans une pièce de vers où il loue l'excessive libéralité de je ne sais plus quel prince: «Si je souhaitais que mon prince me fît cadeau de la lune, il me la donnerait certainement.»

J'ignore si la phrase de Moke a été l'origine ou l'application de cette locution proverbiale par laquelle on caractérise un homme galant et magnifique qui ne refuse rien aux désirs de la femme qu'il adore: Il décrocherait la lune pour elle.

Gœthe fait dire à Méphistophélès parlant de Faust: «Un pareil fou amoureux vous tirerait en feu d'artifice le soleil, la lune et les étoiles, pour peu que cela pût divertir sa belle.»

Un proverbe roman dit: «Pauc ama qui non fai messis. Peu aime qui ne fait dépenses.»

Querelles d'amants, renouvellement d'amour.

Traduction d'un proverbe des anciens encadré dans ce joli vers de l'Andrienne de Térence (act. III, sc. VI):

Amantium iræ, amoris integratio est.

Ovide a dit, dans son premier livre des Amours, que si les amants n'avaient point de démêlés ils cesseraient bientôt de s'aimer:

Non bene, si tollas prælia, durat amor.

(Eleg. IV.)

On connaît le mot de Marivaux: «En amour querelle vaut mieux qu'éloge.»

Ainsi la colère est comme le sel de l'amour, elle le conserve. Ce n'est pas tout, à l'effet conservateur qu'elle produit sur lui elle en joint un autre non moins précieux: c'est le nouveau charme qu'elle lui communique par la douceur des raccommodements dont elle est suivie. D'après un proverbe latin traduit du grec, «l'amour après la colère est plus agréable, amor fit ex ira jucundior.» Ce que Plutarque a expliqué de cette manière: «De même que le soleil est plus ardent au sortir des nuages, ainsi l'amour sorti de la colère et du soupçon, lorsque la paix est faite et que les esprits sont apaisés, est plus agréable et plus vif.»

Il ne faut donc pas s'étonner que tant de femmes se plaisent à exciter la colère de leurs maris ou de leurs amants, puisqu'elles ont un double intérêt à le faire. La chose d'ailleurs leur est conseillée par un antique adage qui dit de pousser à la colère la personne qui aime, si l'on tient à son amour.

Cogas amantem irasci, amari si velis.

(P. Syrus.)

Voilà le secret de la plupart des dépits amoureux chez les dames. Ils ne sont pas toujours de purs caprices, comme les sots le prétendent, mais le plus souvent des moyens calculés pour enflammer la passion qu'elles inspirent. Ils sont aussi des témoignages de celle qu'elles éprouvent, et, sous ce rapport, les hommes devraient leur en savoir gré.

Les amants qui se disputent s'adorent.

L'explication de ce proverbe se présente d'elle-même après ce qui a été dit dans l'article précédent, et elle n'a pas besoin d'être donnée de nouveau. Mais il n'est pas inutile d'ajouter que ceux et celles qui prétendent faire de la dispute un aiguillon d'amour doivent avoir soin de ne pas la prolonger, car elle produirait un effet contraire. C'est une recommandation d'Ovide dans ses Amours:

Sed nunquam dederis spatiosum tempus in iram.
Sæpe simultates ira morata facit.

(Lib. I, eleg. VIII.)

«Ne vous abandonnez pas trop longtemps à la colère; une colère prolongée a souvent engendré la haine.»

Le mouvement des yeux est le langage des amants.

Et nul autre ne saurait mieux leur convenir. Il leur offre l'avantage de converser au gré de leur cœur, au milieu d'un monde indiscret, sans en être entendus: il les dispense, en outre, des lenteurs obligées de la parole, qui ne pourrait exprimer que successivement les pensées qu'ils sont pressés de se communiquer, et il leur permet de les exposer d'une manière presque simultanée en un tableau vivant: par quels discours rendrait-on aussi bien ce qu'on sent, quand on aime? «On voudrait, dit Pascal, avoir cent langues pour le faire connaître; car, comme l'on ne peut pas se servir de la parole, l'on est obligé de se réduire à l'éloquence d'action… Un amour ferme et solide commence toujours par l'éloquence d'action. Les yeux y ont la meilleure part.» (Discours sur les passions de l'amour).

C'est tous les jours la fête du regard pour les amants.

On nommait autrefois «fête du regard» (festum reguardi), une entrevue publique qu'avaient un fiancé et une fiancée, en présence de leurs parents et amis, ordinairement le dimanche qui précédait la bénédiction nuptiale. Carpentier en a parlé dans son Glossaire, et a cité, en preuve du fait, des lettres de rémission de 1374, où se trouve cette phrase: «Comme le jour de Nostre-Dame le suppliant feut alez voir la feste du regard qui se faisoit en l'hostel du prevost des marchands (de Paris) d'une sienne fille, etc.» C'est sans doute de cette fête, nommée aussi le beau dimanche, qu'est venu le proverbe employé pour signifier que deux amants ont toujours les yeux fixés l'un sur l'autre, avec un plaisir dont rien ne saurait les distraire.

«Oh! que ne puis-je, s'écrie Pétrarque, considérer, un jour entier du moins, ces yeux dont l'amour dirige les mouvements! Dans cette contemplation divine, je voudrais oublier autrui et moi-même; je voudrais suspendre jusqu'au battement de ma paupière.»

Cette exclamation passionnée rappelle un vers charmant du poëme grec Héro et Léandre: «J'ai fatigué mes yeux à la regarder; je n'ai pu me rassasier de la voir.»

Saadi, dans son style oriental, fait dire à un amant ravi en extase tandis qu'il contemple sa maîtresse: «Je verrais une flèche partir devant moi et venir chercher mes yeux, que je ne pourrais les détourner d'elle.»

Qu'on me pardonne de joindre à ces citations les vers suivants que j'ai mis dans la bouche d'un amant parlant à sa belle absente:

O de l'amour force et mystère!
O sentiment impérieux!
Je donnerais ma vie entière
Pour ton aspect délicieux.
A tout autre intérêt mon âme est étrangère;
Eh! que m'importe, hélas! le jour qui vient des cieux
Sans toi, le plus beau jour attriste ma paupière,
Et je ne veux d'autre lumière
Que celle qui part de tes yeux.

Les Anglais ont un proverbe qui dit qu'un aigle qui regarde fixement le soleil ne pourrait soutenir le regard d'un amant: «A lover's eyes will gaze an eagle blind. Les yeux d'un amant peuvent regarder un aigle de façon à l'aveugler.»

Il est un Dieu pour les amants.

De même que pour les fous, les enfants et les ivrognes, parce que les amants, non moins exposés que ces trois espèces d'individus à une foule d'accidents funestes, y échappent comme eux par un bonheur inespéré qu'on prend pour l'effet d'une protection spéciale du ciel. C'est de l'antiquité païenne qu'est venue cette idée proverbiale de l'intervention d'un dieu qui les préserve des dangers dont ils sont menacés. Elle se trouve exprimée dans la vingt-neuvième élégie du second livre de Properce. Ce poëte suppose qu'un amant est à l'abri du péril sous la garde des immortels, que la douleur d'être abandonné de l'objet de son amour peut seule lui donner la mort, et même que si la douce présence de sa maîtresse venait le rappeler à la vie, fût-il déjà descendu dans la barque infernale, l'immuable Destin ne l'empêcherait pas de revoir la lumière.

Les grands, les vignes, les amants,
Trompent souvent dans leurs serments.

Ces deux vers, que Régnier a placés dans ses Stances contre un amoureux transy, était un proverbe de son temps. Ce proverbe est trop clair pour qu'il soit besoin d'en expliquer le sens. Je remarquerai seulement que le mot serments appliqué aux rejetons du cep de vigne se disait autrefois pour sarments. En voici deux exemples curieux: «L'année que Charles VIII renvoya Marguerite d'Autriche pour épouser Anne de Bretagne fut si pluvieuse, que les raisins ne purent venir en maturité, de sorte que les vins furent extrêmement verts et incommodes à l'estomac, d'où il vint quantité de coliques. «Il ne faut s'étonner, dit Marguerite, si les vins sont verts et malfaisants cette année, puisque les serments n'ont rien valu.» (Mém. hist. sur Charles VIII.)

«Par le vray Dieu, dict Pantagruel des procureurs, puisqu'ils guaignent tant aux grappes, le serment leur peut beaucoup valoir.» (Rabelais, liv. V, ch. XVIII.)

Les belles ne sont pas pour les beaux.

Les hommes les plus beaux ne sont pas les plus heureux en amour. Les mères et les maris les redoutent et les surveillent; les femmes tendres croient qu'ils s'aiment trop; les fières ne leur trouvent pas assez de soumission; celles qui craignent la médisance les jugent dangereux pour leur réputation. Ils coûtent trop cher à celles qui payent, ils ne donnent rien à celles qui se font payer. D'ailleurs ils n'ont point ces craintes obligeantes d'être quittés qui flattent tant la vanité féminine; au contraire, ils menacent de quitter eux-mêmes, et ils reçoivent les faveurs comme des tributs mérités.

Fastus inest pulchris sequiturque superbia formam.

(Ovide, Fast. I, 419.)

Ce ne sont pas les plus belles qui font les grandes passions.

La raison de cette observation proverbiale est très-bien développée dans ce passage de l'Essai sur le Goût, par Montesquieu: «Il y a quelquefois dans les personnes ou dans les choses un charme invisible, une grâce naturelle qu'on n'a pu définir et qu'on a été forcé d'appeler le je ne sais quoi; il me semble que c'est un effet naturellement fondé sur la surprise. Nous sommes touchés de ce qu'une personne nous plaît plus qu'elle ne nous a paru d'abord devoir nous plaire, et nous sommes agréablement surpris de ce qu'elle a su vaincre des défauts que les yeux nous montrent et que le cœur ne croit plus. Voilà pourquoi les femmes laides ont très-souvent des grâces, et qu'il est rare que les belles en aient: car une belle personne fait ordinairement le contraire de ce que nous avions attendu; elle parvient à nous paraître moins aimable; après nous avoir surpris en bien, elle nous surprend en mal; mais l'impression du bien est ancienne, et celle du mal est nouvelle. Aussi les belles personnes font-elles rarement les grandes passions, presque toujours réservées à celles qui ont des grâces, c'est-à-dire des agréments que nous n'attendions pas et que nous n'avions pas sujet d'attendre.»

Ajoutons cette réflexion de La Bruyère: «Si une laide se fait aimer, ce ne peut être qu'éperdument, car il faut que ce soit par une étrange faiblesse de son amant ou par de plus secrets et de plus invincibles charmes que ceux de la beauté.»

L'amour vient sans qu'on y pense.

L'amour est de tous les sentiments le plus spontané, le plus indépendant de la réflexion et de la volonté. Il se glisse si subtilement dans le cœur et l'envahit si vite que l'on s'aperçoit qu'on aime avant d'avoir délibéré si l'on doit aimer. Qu'est-ce donc qui produit cet envahissement aussi imprévu que soudain?—Ceux mêmes qui l'ont éprouvé l'ignorent, ayant été toujours trop préoccupés d'en sentir l'effet pour qu'ils aient songé à en étudier la cause.

Mais si l'on ne sait pas comment l'amour vient, on sait beaucoup mieux comment il s'en va. Il n'y a plus rien de mystérieux dans la cause ou plutôt dans les causes de son départ. Elles se montrent telles qu'elles sont, malgré les soins qu'on prend de les dissimuler. Seulement il n'est pas aussi facile de les énumérer que de les reconnaître. Elles échappent au calcul et à l'analyse par leur multiplicité.

Amour et mort
Rien n'est plus fort.

Rien ne résiste à l'amour ni à la mort.

Il n'est d'homme ici-bas
Qui soit exempt d'amour non plus que de trépas.

(Régnier.)

C'est la belle pensée du Cantique des cantiques, où l'époux dit à la Sulamite: «Placez-moi comme un sceau sur votre cœur, parce que l'amour est fort comme la mort. Pone me ut signaculum super cor tuum, quia fortis est ut mors dilectio (VIII, 6).»

L'amour fait perdre le repos et le repas.

Ce proverbe est le 23e article du Code d'amour déjà cité, page 196. Voici cet article: Minus dormit et edit quem amoris cogitatio vexat. Celui que la pensée d'amour tourmente dort moins et mange moins.»

Le souci ronge ceux qui aiment, comme l'observe Ovide dans ce joli vers de son héroïde de Pénélope à Ulysse:

Res est solliciti plena timoris amor.

«L'amour est toujours plein d'un inquiet effroi.»

«On ne vit point sans douleur dans l'amour. Sine dolore non vivitur in amore.» Paroles de l'Imitation de Jésus-Christ (III, 5, 7), qu'on a détournées de l'amour de Dieu à l'amour profane.

Les Italiens ont ce proverbe: «Chi ha l'amor nel petto ha sprone nei franchi. Qui a l'amour au cœur a l'éperon aux flancs.»

Mlle de Lespinasse disait: «Il n'y a point d'esclaves plus tourmentés que ceux de l'amour.»

«Amour et repos peuvent-ils habiter un même cœur? La pauvre jeunesse est si malheureuse aujourd'hui qu'elle n'a plus que ce terrible choix: amour sans repos, ou repos sans amour.» (Le Barbier de Séville, act. II, sc. II.).

L'amour le plus parfait est le plus malheureux.

Il faut nécessairement qu'il en soit ainsi, puisque l'amour tire sa perfection des contrariétés, des privations et des sacrifices qui lui servent d'épreuves. Presque tous les romans semblent faits pour confirmer la vérité de ce proverbe. On n'y voit que des amants poursuivis par une fatale destinée et dont la constance s'affermit sous les coups du malheur, et l'on peut dire que les plus vives inquiétudes font le meilleur sublimé de l'amour.

Le recueil de Philippe Garnier, imprimé à Francfort en 1612, donne cette variante: Les plus parfaites amours sont celles qui réussissent le moins.

En amour les apprentis en savent autant que les maîtres.

Ils n'ont pas besoin pour cela de plus de leçons que les animaux. La nature y a si bien disposé les moins expérimentés et leur a marqué le but et la voie d'une manière si précise qu'ils n'ont pas à craindre de se fourvoyer, et leurs coups d'essai sont toujours des coups de maître.

Une conclusion à tirer de ce proverbe, c'est qu'il n'y a pas proprement d'art d'aimer. Mais il y a un art de plaire et de se faire aimer, et, dans ce cas, les leçons ne sont pas inutiles comme dans l'autre.

L'amour naît à la première vue.

Les Latins disaient, d'après les Grecs: «Ex aspectu nascitur amor. L'amour naît du regard.» Ces peuples, qui plus que nous avaient une foi aveugle à l'influence mystérieuse des émanations, ne doutaient pas que les personnes même les plus indifférentes ne fussent susceptibles de recevoir par les yeux des impressions capables de déterminer subitement la passion la plus vive. On ne saurait bien expliquer comment un regard peut produire des effets moraux si rapides, si imprévus, si irrésistibles; mais il semble qu'il y ait au fond du cœur je ne sais quelle idée innée de l'objet qu'on doit aimer, et que le premier coup d'œil qu'on lui donne soit comme un rayon de lumière qui le fait reconnaître, et comme un courant magnétique qui entraîne vers lui par d'indéfinissables affinités.

Virgile a peint d'une manière admirable cette commotion électrique qui enlève une personne à elle-même, et la livre corps et âme à l'objet offert à ses yeux fascinés:

Ut vidi, ut perii, ut me malus abstulit error.

(Éclog. VIII.)

Et Virgile a été imité par Racine d'une manière non moins admirable dans ces vers de la tragédie de Phèdre:

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue,
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue.

(Acte I, sc. V.)

C'est ce qu'on appelle le coup de foudre en amour, dont l'article suivant donnera l'explication.

Le coup de foudre en amour.

Le coup soudain dont on se sent frappé à la première vue d'une personne, ou bien le sentiment passionné qui s'empare à la fois de deux personnes par l'effet d'un regard où se révèle spontanément la mutuelle ardeur de leur cœur.

Les romanciers du dix-septième siècle ont souvent employé cette expression pour caractériser le rapide mouvement de sympathie qui subjugue les héros et les héroïnes de leurs romans, et qui décide de la destinée des uns et des autres.

Le verbe foudroyer est fort usité aujourd'hui dans la même acception.

L'amour est une fièvre au rebours.

La fièvre et l'amour sont deux maladies qui produisent les mêmes effets en sens inverse. La fièvre a d'abord des accès frileux que suivent des accès brûlants; l'amour, au contraire, commence par être tout de feu et finit par être tout de glace.

Il faut être fou en amour.

Les belles jugent l'amour incompatible avec la raison; elles ne se croient véritablement aimées que de ceux qui font des folies pour leur plaire. Les folies sont, à leur gré, les preuves les plus incontestables de la passion qu'elles inspirent, et il n'est pas besoin de dire que ce ne sont pas les plus courtes qu'elles trouvent les meilleures.

Louange engendre amour.

Proverbe littéralement traduit du roman, lauzor engenr' amor, dont le troubadour Amanieu des Escas s'est servi, et dont Colardeau a donné une variante dans ce joli vers:

On flatte l'amour-propre, on fait naître l'amour.

J'ai entendu employer dans le Midi, pour exprimer la même idée, cette comparaison proverbiale: Les femmes se laissent prendre à la louange comme les alouettes au miroir.

«Il ne s'agit peut-être, pour s'emparer de ces êtres si subtils, si souples et si pénétrants, que de savoir manier la louange et chatouiller l'amour-propre. La flatterie est le joug qui courbe si bas ces têtes ardentes et légères. Malheur à l'homme qui veut porter la franchise dans l'amour!» (G. Sand, Indiana, ch. VII.)

Je ne sais qui a dit que les femmes aiment moins les hommes pour le mérite qu'ils ont que pour le mérite qu'ils trouvent en elles.

L'amour est la seule maladie dont on n'aime pas à guérir.

Parce que, dit la reine de Navarre, cette maladie donne tel contentement, que la guérison est la mort. (Heptamér., nouvelle XXIV.)

Ce proverbe se retrouve dans ces vers de Properce:

Omnes humanos sanat medicina dolores,
Solus amor morbi non amat artificem.

(II, Eleg. I.)

«La médecine guérit toutes les douleurs humaines; l'amour seul ne veut pas de guérisseur.»

Le cœur de l'homme étant fait pour sentir, et ne trouvant sa véritable vie que dans l'exercice de la sensibilité, doit nécessairement préférer une agitation, même douloureuse, à un repos apathique, surtout quand cette agitation est produite en lui par l'amour, c'est-à-dire par la passion la plus conforme à sa nature. Il n'y a donc rien d'étonnant qu'il veuille rester attaché aux tourments que cette passion lui cause, et qu'il les regrette dès qu'il en est affranchi. On connaît le mot de cette femme dont l'âme était tombée de la fièvre des émotions dans le marasme des langueurs: «Oh! le bon temps où j'étais malheureuse!» Ce mot si vrai est celui de tout amant qui est dans la même situation. La tranquillité retrouvée lui est importune; il soupire après les peines dont elle le prive; il regarde ces peines comme ses plus doux plaisirs.

C'est ce sentiment qui inspirait à Étienne de la Boétie les vers suivants, qui terminent son vingt-septième sonnet:

Vive le mal, ô dieux, qui me dévore!
Vive à jamais mon tourment rigoureux!
O bienheureux, et bienheureux encore
Qui sans relâche est toujours malheureux!

On connaît ce vers charmant de Mme Dufresnoy:

Un amour malheureux est encore un bonheur.

Le quatrain suivant exprime la même idée qu'on a cherché à rendre plus gracieuse et plus touchante par la situation:

Les peines de l'amour ont d'ineffables charmes:
Deux amants, qui pleuraient à l'ombre d'un tilleul,
Se disaient, en mêlant des baisers à leurs larmes:
Souffrir deux est plus doux que d'être heureux tout seul.
Beaux pleurs d'amour valent mieux que ses ris.
Bels plors d'amor mais valon que sos ris.

Proverbe formulé probablement par le troubadour Bernard de Ventadour, qui l'a placé dans une de ses pièces, immédiatement après cette réflexion passée aussi en proverbe: Peu aime qui n'est pas sujet à la tristesse. Il y a en effet dans les tristesses de l'amour je ne sais quelle douceur secrète dont on a dit que les anges seraient jaloux.

Ce charmant proverbe a été reproduit ou imité dans beaucoup de langues, par une foule de poëtes érotiques; les deux meilleures imitations que j'en connaisse sont ce vers cité sur l'amour par Saint-Évremont:

Tous les autres plaisirs ne valent pas ses peines.

et ceux-ci de la chanson délicieuse de La Fontaine, qui est chantée à Psyché pour l'engager à aimer:

Sans cet amour, tant d'objets ravissants,
Lambris dorés, bois, jardins et fontaines,
N'ont point d'appas qui ne soient languissants,
Et leurs plaisirs sont moins doux que ses peines.
L'amour est la clef du mérite et un étang de prouesses.

Étang est ici employé au figuré pour quantité considérable, nombre infini, dans le même sens que les Latins disaient pelagus bonorum, une mer de biens, une mer d'abondance. Ce proverbe est traduit de ces deux vers du troubadour Arnaud Daniel.

Amor es de pretz la claus
Et de proeza us estanck.

Pour bien le comprendre, il faut savoir que les troubadours avaient donné au mot amour une signification beaucoup plus étendue que celle que nous lui donnons. Ils le regardaient comme le principe et la source de tout mérite intellectuel et moral. «L'amour, disait Rambeaud de Vaqueiras, est le mieux de tout bien; il améliore les meilleurs et peut donner de la valeur aux plus mauvais; d'un lâche il peut faire un brave, d'un guerrier un homme gracieux et courtois.» Le roman de Jauffre et Brunissende disait à peu près de même: «Par l'amour tout homme devient meilleur et plus brave, plus libéral et plus joyeux, plus ennemi de toute bassesse.»

Le génie poétique, ou l'art de trouver, était considéré comme le résultat et l'expression de l'amour érigé en vertu suprême, et ses divers degrés correspondaient à ceux de cette vertu. De là l'espèce de synonymie établie par la langue romane entre amour et poésie, synonymie adoptée par Pétrarque dans ces vers où il appelle le troubadour Arnaud Daniel grand maître d'amour, pour dire grand maître de poésie.

Gran maestro d'amor ch'alla sua terra
Ancor fa onor col dir polito e bello.

(Trionfo d'amore, IV.)

J'ai emprunté cette citation au savant auteur de la Symbolique du droit, M. Chassan, qui ajoute: «Ainsi le recueil composé à Toulouse au quatorzième siècle, et qui renferme une grammaire, une poétique et une rhétorique, est intitulé Leys d'amor, littéralement Lois d'amour, quoiqu'il ne fût pas à l'usage des cours d'amour. Les règlements de la Société des troubadours à Toulouse portent aussi le nom de Leys d'amor. Cette acception du mot amour pour signifier poésie est bien en rapport avec la nature et l'essence de la poésie romane.»

L'homme sans amour ne vaut pas mieux que l'épi sans grain.

Ce proverbe, qu'on trouve dans le troubadour Pierre d'Auvergne, qui paraît l'avoir formulé, est encore dérivé de l'idée exprimée dans le précédent, où l'amour est considéré comme le principe des vertus intellectuelles et morales, ainsi que des vertus guerrières; en un mot, comme la source de tout bien.

L'amour excite aux grandes prouesses.

C'est encore un proverbe roman qui se trouve dans plusieurs ouvrages des troubadours, notamment dans le roman de Flamenca. On dit dans le même sens: L'amour fait les héros, variante que J.-J. Rousseau a rapportée et expliquée dans sa Nouvelle Héloïse: «L'amour véritable est un feu dévorant qui porte son ardeur dans les autres sentiments et les anime d'une vigueur nouvelle. C'est pour cela qu'on a dit que l'amour faisait les héros.»

Platon affirmait que, si l'on composait une armée de jeunes amoureux, il n'y aurait point d'actes héroïques dont ils ne fussent capables pour plaire à leurs maîtresses. On sait que le seigneur de Fleuranges s'écriait en montant à l'assaut sous le feu de l'ennemi: «Ah! si ma dame me voyait!» Trait que Lebrun a rappelé dans une de ses odes, où il a voulu démontrer par des exemples que l'amour est le plus puissant mobile de la valeur et du génie.

D'un assaut bravant la furie,
J'entends Fleuranges qui s'écrie:
«Ah! si ma dame me voyait!»
Il vole, il frappe, tout succombe;
De toutes parts l'ennemi tombe:
Un jeune amant le foudroyait.

Cet amour héroïque, c'est l'amour élevé à sa plus haute puissance, l'amour sublimé, dit M. V. Hugo; Scudéri l'assimile ingénieusement «au feu d'Hercule, qui en le consumant, le fit dieu».

L'amour est le revenu de la beauté.

Revenu très-passager, car si la beauté a le don de produire l'amour, elle n'a pas celui de le conserver longtemps. Elle a besoin, pour maintenir les avantages qu'elle possède, d'y joindre les charmes du cœur et de l'esprit. C'est ce qu'expriment très-bien ces vers de Mme Verdier:

Pour inspirer un feu constant,
Il ne suffit pas d'être belle:
C'est à la beauté qu'on se rend,
Mais c'est au cœur qu'on est fidèle.
C'est à l'accord intéressant
D'un esprit doux et sage et d'une âme sensible,
Que se trouve attaché le secret infaillible
De fixer un époux et d'en faire un amant.
Courtoisie fait amour durer.

Les tendres procédés, les complaisances délicates, les petits soins affectueux entretiennent et font durer l'amour. Le mot courtoisie a gardé ici le sens plus étendu qu'il avait jadis, il se rapportait non-seulement à la politesse des manières, mais à celle de l'esprit et du cœur; il exprimait la réunion des principales qualités des preux, telles que la galanterie, la loyauté, la constance, le dévouement, etc. C'était en tout l'opposé des mœurs des vilains.

Un amour ainsi nourri de la fine fleur des sentiments chevaleresques, réunit plus que tout autre d'excellentes conditions de durée et de bonheur, et pourtant nous ne voyons pas qu'il s'établisse à demeure fixe dans les tendres cœurs. Il est tout différent aujourd'hui de ce qu'il fut au siècle des Amadis, et ce n'est plus que dans le domaine de l'imagination qu'on peut le retrouver sous la forme séduisante qu'il eut en ce bon vieux temps. Parviendra-t-on, à force de courtoisie, à le rappeler dans la vie réelle? La chose, hélas! paraît impossible, mais il y a tant de douceur à l'espérer qu'il est bon de le tenter quand même.

En amour mieux vaut espérer que tenir.

Parce que, dit un autre proverbe plus ancien, jouir d'amours et tost finir ne vaut bon espoir à durer toujours. En effet, l'amour s'use et finit vite par la possession, tandis qu'il se renouvelle et se prolonge par l'espoir. Les sensations physiques ne donnent qu'un plaisir fugitif; les sensations morales laissent après elles un charme durable, et l'esprit se fait une jouissance exquise de ce qui est dérobé aux sens. «Jamais, dit Pascal, il n'exista de femme qui ait connu tant de douceur dans l'amour satisfait qu'il y en a dans les désirs et dans les sollicitudes.»

L'amour ne peut rien refuser à l'amour.

C'est ce que dit textuellement le 26e article du Code d'amour: Amor nihil potest amori denegare. Il vaudrait mieux que l'amour pût refuser quelque chose à l'amour, car il durerait plus longtemps. Ce sont les privations mitigées par l'espérance qui le font vivre; il meurt dès qu'il n'a plus rien à désirer.

L'amour égalise toutes les conditions.

L'amour ne peut souffrir ni barrières ni distinctions entre les amants, dont il se plaît à confondre les existences. Il veut qu'ils méconnaissent toutes les prérogatives du rang et de la fortune pour vivre sous le régime bienfaisant de l'égalité, et chacun d'eux obéit à cette loi d'autant plus volontiers qu'il la trouve sanctionnée par son propre cœur. «Son vœu le plus cher, a dit M. Michelet dans son livre intitulé le Peuple, c'est de se faire un égal; sa crainte, c'est de rester supérieur, de garder un avantage que l'autre n'a pas.»

Non bene conveniunt nec in una sede morantur
Majestas et amor.

(Ovide, Métam. II, fab. XIX.)

«La majesté et l'amour ne s'accordent point et ne demeurent point ensemble.»

L'amour rapproche les distances.

L'amour fait disparaître les inégalités sociales entre les personnes qu'il unit: princes et pastourelles, princesses et pastoureaux, vont de pair en se donnant la main. C'est l'idée du proverbe précédent sous d'autres termes.

L'amour et la crainte ne mangent pas à la même écuelle.

L'amour et la crainte sont deux sentiments incompatibles, et, quand une personne inspire l'un, elle ne saurait inspirer l'autre. Il faut remarquer dans ce proverbe l'expression manger à la même écuelle, qui rappelle un usage introduit au temps de la chevalerie, où la galanterie avait imaginé de placer à table les convives par couple, homme et femme. «La politesse et l'habileté des maîtresses de maison consistaient alors, dit le Grand d'Aussy, à savoir bien assortir les couples qui n'avaient qu'une assiette commune, ce qui s'appelait manger à la même écuelle.»—L'expression, détournée du sens propre au figuré, s'employa pour marquer une liaison amoureuse. Elle servit aussi à caractériser l'intimité des relations amicales. Une des plus grandes preuves de confiance qu'un roi pût autrefois donner à un de ses ministres consistait à manger avec lui à la même écuelle. L'auteur du Roman de Rou exprime la haute faveur dont Godwin jouissait auprès du monarque anglo-saxon par ces deux vers:

Salué l'aveit et baisié
En s'escuelle aveit mengié.

Il en était de même d'un suzerain ou d'un supérieur envers un vassal ou un inférieur.

On lit dans le Romancero, partie IV, lettre du Cid au roi Alphonse: «Celui qui est craint est rarement aimé du cœur; la crainte et l'amour ne mangent pas au même plat

Non el temor y amores comen en un plato, non.
Amour et seigneurie
Ne souffrent compagnie.

Proverbe pris de ce vers du livre III de l'Art d'aimer d'Ovide:

Non bene cum sociis regna Venusque manent.

vers dont M. J. Janin, dans sa charmante étude sur le poëte latin, a donné cette traduction:

Et le trône et l'amour ne se partagent pas.

«L'amour, dit Pascal est un tyran qui ne souffre point de compagnon; il veut régner seul; il faut que toutes les passions ploient et lui obéissent.» (Discours sur les passions de l'amour). Il en est de même du pouvoir souverain, il exclut tout partage et toute rivalité.

On dit, dans un sens analogue: L'amour et l'ambition ne souffrent point de compagnon.

Ce proverbe est fort ancien dans notre langue, puisqu'il se trouve dans ces vers du Roman de la Rose, continué par Jehan de Meung.

Oncques amours et seigneurie
Ne s'entrefirent compagnie,
Ne ne demourèrent ensemble,
Cil qui maîtrise les dessemble (disjoint).
Il ne faut pas jouer avec le feu ni avec l'amour.

Parce que, dans l'un et l'autre cas, on court risque d'être brûlé. Ovide remarque, dans le premier livre de l'Art d'aimer, qu'on a vu souvent des personnes qui d'abord faisaient semblant d'aimer, finir par aimer sérieusement, et passer de la feinte à la réalité.

Sæpe tamen vero cœpit simulator amare,
Sæpe, quod incipiens finxerat esse jocus.

C'est la peine que l'amour impose ordinairement à ses contrefacteurs.

«L'on ne peut presque faire semblant d'aimer, dit Pascal, que l'on ne soit bien près d'être amant, ou du moins que l'on n'aime en quelque endroit; car il faut avoir l'esprit et les pensées de l'amour pour ce semblant, et le moyen de bien parler sans cela? La vérité des passions ne se déguise pas si aisément que les vérités sérieuses.» (Disc. sur les pass. de l'amour.)

Pascal dit encore, dans le même ouvrage: «A force de parler d'amour, on devient amoureux. Il n'y a rien de si aisé. C'est la passion la plus naturelle à l'homme.»

Corneille a une chanson qui exprime l'idée de Pascal et d'Ovide. En voici le premier couplet:

Toi qui, près d'un beau visage,
Ne veux que feindre l'amour,
Tu pourrais bien quelque jour
Éprouver à ton dommage
Que souvent la fiction
Se change en affection.
Il n'y a point d'amour sans jalousie.

Saint Augustin a dit: «Qui non zelat non amat. (Adv. Adamant., XIII). Qui n'est point jaloux n'aime point.»—Le 21e article du Code d'amour porte: «Ex vera zelotypia affectus semper crescit amandi. La vraie jalousie fait toujours croître l'amour.»

Un jeu parti de je ne sais plus quel trouvère roule sur la question de jurisprudence amoureuse: «Lequel aime mieux, ou l'amant qui est jaloux ou celui qui ne l'est point? Molière, dans les Fâcheux, a consacré la quatrième scène du second acte de cette comédie à cette controverse sentimentale, qui est terminée par ce vers, digne de Molière:

Le jaloux aime plus, mais l'autre aime bien mieux.

On dit aussi: La jalousie est la sœur de l'amour, proverbe qui a suggéré au chevalier de Boufflers ce joli quatrain:

L'amour, par ses douceurs et ses tourments étranges,
Nous fait trouver le ciel et l'enfer tour à tour:
La jalousie est la sœur de l'amour,
Comme le diable est le frère des anges.

Il ne s'agit pas ici, on le sent bien, de cette jalousie, vera zelotypia, qui est chez celui qui aime une défiance de lui-même, mais de cette jalousie grossière qui est une défiance de l'objet aimé. Cette dernière a encore donné lieu à la comparaison proverbiale: La jalousie naît de l'amour comme la cendre du feu, pour l'étouffer.

Il n'y a pas d'amour sans espérance.

Proverbe tiré de l'article 9 du Code d'amour: «Amare nemo potest nisi qui amoris suasione compellitur. Personne ne peut aimer s'il n'y est engagé par la persuasion d'amour.» Il y a des gens qui prétendent que cette persuasion d'amour, ou espérance d'être aimé, n'est pas une condition indispensable de l'existence de l'amour, et ils se fondent sur l'observation faite par Boccace, maître expert en cette matière, qu'il arrive assez souvent qu'on voit l'amour plus fort à mesure que l'espérance devient plus faible: Noi veggiamo sovente avvenire, quanto la speranza diventa minore, tanto l'amore maggior farsi. Mais cela n'est pas une preuve en faveur de leur opinion. S'il est vrai que l'amour augmente à mesure que l'espérance diminue, il n'est pas vrai qu'il puisse se maintenir lorsqu'elle a cessé d'être. L'amour ressemble au flambeau qui jette une lueur plus vive au moment où la nourriture commence à lui manquer, et qui s'éteint aussitôt qu'elle est épuisée. L'espérance est l'aliment de l'amour. Tant qu'il lui en reste un peu, il subsiste, il se montre même plus vivace par l'ardeur qu'il met à se conserver. Dès qu'il ne lui en reste plus, il faut qu'il expire, et s'il nous paraît survivre comme se pouvant nourrir de lui-même, c'est que nous ne voyons pas qu'il espère encore, quand il n'y a plus de raison d'espérer.

Walter Scott a très-bien développé l'idée de ce proverbe dans un passage de son roman de Waverley, tom. III, ch. XXI. La question y est posée en ces termes: «Peut-on aimer longtemps sans avoir l'espoir d'être aimé?» Une dame répond à l'auteur de la question: «Avez-vous le projet de nous dépouiller de notre plus beau privilége? Voudriez-vous nous persuader que l'amour ne peut exister sans l'espérance, et qu'un amant peut être infidèle si celle qu'il aime lui montre trop de rigueur? Je ne m'attendais pas qu'un pareil blasphème sortît de votre bouche.—Je conviens, madame, qu'il n'est pas impossible qu'un amant persévère dans son affection en dépit des circonstances qui devraient le décourager, qu'il peut braver les dangers, supporter la froideur… mais une indifférence constante et soutenue est un poison mortel pour l'amour. Quelque puissante que soit l'attraction de vos charmes, croyez-moi, ne faites jamais cette expérience sur le cœur d'une personne qui vous serait chère. Je vous le répète, l'amour peut se nourrir de la plus faible espérance; mais, s'il la perd, il s'éteint bientôt.—Il doit avoir, dit Evan, le même sort que la jument de Duncan Magendie. Son maître voulut l'accoutumer par degrés à se passer de toute nourriture; il ne lui donnait qu'une petite poignée de paille par jour, et le pauvre animal mourut d'inanition.»

Plus l'amour vient tard, plus il ard.

C'est-à-dire plus il est ardent. Ard est la troisième personne du présent de l'indicatif du vieux verbe arder ou ardre, qui signifie brûler. Ce proverbe est pris du vers suivant d'Ovide dans l'héroïde de Phèdre à Hippolyte:

Venit amor gravius quo serius, urimur intus, etc.

Veut-il dire, comme quelques-uns l'ont pensé, que l'amour qui se développe lentement acquiert plus d'intensité que celui qui naît à la première vue, ou bien que l'amour se fait sentir avec plus de violence dans un âge avancé que dans la jeunesse? Je trouve préférable la dernière explication, à laquelle on est amené naturellement par l'analogie de cet autre proverbe: Le bois sec brûle mieux que le bois vert, ainsi que de ce mot proverbial attribué au comte de Bussy-Rabutin: L'amour est comme la petite vérole, qui fait d'autant plus de mal qu'elle vient plus tard. D'ailleurs est-il vrai que l'amour qui se développe lentement devienne plus fort? Je ne le crois pas, et je partage le sentiment exprimé dans cette pensée de La Bruyère: «L'amour qui naît subitement est le plus long à guérir.» Le même auteur dit encore: «L'amour qui croît peu à peu et par degrés ressemble trop à l'amitié pour être une passion violente.»

Rien ne se rallume si vite que l'amour.

C'est ce qu'a dit Sénèque: Nihil facilius quam amor recrudescit (Epist. 69). Le comte de Bussy-Rabutin écrivait à Mme de Sévigné, à propos des recrudescences si promptes de l'amour, un mot charmant qu'elle louait en lui répondant ainsi: «Ce que vous dites que l'amour est un recommenceur est tellement joli et tellement vrai, que je suis étonnée que, l'ayant pensé mille fois, je n'aie pas eu l'esprit de le dire.» (Lettre du 4 juillet 1656.)

Nous avons encore ce vieux proverbe rimé, qui exprime la même idée:

Vieilles amours et vieux tisons
S'allument en toutes saisons.
En amour un blessé guérit l'autre.

L'amour compense le mal qu'il fait en blessant deux cœurs: il met dans la plaie de l'un le baume de celle de l'autre. Pourquoi donc les amants se plaignent-ils tant de ses rigueurs? Ne feraient-ils pas mieux de s'entendre pour les adoucir, en usant du remède qu'il leur a donné? C'est ce que pense l'auteur du roman de Flamenca. Ce troubadour, après quelques remarques sur les effets de l'amour, conclut que ce qu'il y a de meilleur pour les cœurs en peine, c'est leur mutuelle assistance; car, dit-il, l'Us nafratz pot guerir l'autre. «Un blessé peut guérir l'autre.»

L'amour est comme la lance d'Achille, qui blesse et guérit.

Comparaison proverbiale qui exprime la même idée que ce vers de P. Syrus:

Amoris vulnus sanat idem qui facit.

«En amour, qui fait la blessure la guérit.»

Les mythologues et les poëtes racontent que Télèphe, ayant été blessé par Achille, ne put être guéri de sa plaie que par un emplâtre composé de la rouille du fer dont il avait été blessé.

Mysus et Æmonia juvenis qua cuspide vulnus
Senserat, hac ipsa cuspide sensit opem.

(Prospert., lib. II, eleg. I.)

«Le jeune roi de Mysie trouva la guérison de sa blessure dans la lance même d'Achille, dont il avait été blessé.»

Vulnus in Herculeo quæ quondam fecerat hoste,
Vulneris auxilium Pelias hasta tulit.

(Ovide, Remed. amor., I, 47.)

«La lance d'Achille cicatrisa la blessure qu'elle-même avait faite au fils d'Hercule.»

De là cette comparaison de l'amour avec la lance d'Achille, comparaison heureuse que Bernard de Ventadour a, le premier, employée dans une pièce de vers où il parle d'un baiser qu'il a reçu de la belle Agnès de Montluçon, femme du vicomte Èble. Ce troubadour s'écrie qu'un si doux baiser va le faire mourir, si un autre de la même bouche ne vient lui rendre la vie, et il le compare à la lance d'Achille qui faisait une blessure dont il n'était pas possible de guérir, si l'on n'en était blessé une seconde fois.

Com de Peleus la lansa
Que de su colp non podi' hom guerir
Se autra vez non s'en fesez ferir.

Ce traitement homéopathique de l'amour a été indiqué par ces paroles d'une chanson des Grecs modernes: «Tu m'as donné un baiser, et j'en suis devenu malade; donne m'en un autre pour que je guérisse, et un autre encore pour que je ne retombe pas malade à mourir.»

La petite oie de l'amour.

On appelle petite oie au propre un ragoût formé du cou, des ailerons, des pattes, du foie, du gésier, qu'on a retranchés d'une oie qu'on fait rôtir.

Cette expression s'employait autrefois au figuré, comme on le voit dans les Précieuses ridicules (sc. X), pour désigner les rubans, les plumes et les différentes garnitures qui ornaient l'habit, le chapeau, le nœud de l'épée, les gants, les bas et les souliers.—Elle désignait aussi par extension, les menus plaisirs de l'amour ou de la galanterie, tels que les serrements de mains, les baisers et autres caresses mignonnes qui cependant laissent encore quelque chose de plus à désirer, car la petite oie n'est que la petite joie.

L'amour est un grand maître.

Molière a employé et expliqué ce proverbe dans les vers suivants de l'École des femmes (act. III, sc. IV).

Il le faut avouer, l'amour est un grand maître;
Ce qu'on ne fut jamais, il nous enseigne à l'être;
Et souvent de nos mœurs l'absolu changement
Devient par ses leçons l'ouvrage d'un moment.
De la nature en nous il force les obstacles,
Et ses effets soudains ont de l'air des miracles.
D'un avare à l'instant il fait un libéral,
Un vaillant d'un poltron, un civil d'un brutal;
Il rend agile à tout l'âme la plus pesante,
Et donne de l'esprit à la plus innocente.

On dit aussi que l'amour est inventif, dans le même sens que le proverbe, qui doit s'entendre non-seulement des tours subtils et des expédients rusés qu'il suggère, mais aussi de quelques arts dont les poëtes ont attribué la découverte ou le perfectionnement à ses inspirations.

Le proverbe l'amour est un grand maître a été formulé par saint Augustin. Mais ce n'est pas à l'amour profane que ce père de l'Église l'a appliqué; c'est à l'amour divin, principe et source de toutes les lumières et de toutes les vertus. Cet amour, dit-il, est un grand maître dont les leçons comprennent toutes les parties de la philosophie.

Amor magnus doctor est, atque omnes philosophiæ partes implet.

L'amour fait porter selle et bride aux plus grands clercs.

Ce proverbe a dû son origine au fabliau d'Aristote, où il se trouve formulé à peu près dans les mêmes termes.

Que tout le meillor clerc du mont
Fait comme roncins enseler,
Et puis à quatre piez aller,
A chatonant par-dessus l'erbe
A vous die example et proverbe.

Voici le canevas de ce fabliau, que j'ai retracé de mémoire en le modernisant, parce que je n'avais pas le texte sous les yeux pour en donner une traduction littérale.

Alexandre le Grand, épris d'une jeune et belle Indienne, semblait avoir perdu le goût des conquêtes. Ses guerriers en murmuraient, mais aucun d'eux n'était assez hardi pour lui en exprimer le mécontentement général. Son précepteur Aristote s'en chargea: il lui représenta qu'il ne convenait pas à un conquérant de négliger ainsi la gloire pour l'amour; que l'amour n'était bon que pour les bêtes, et que l'homme esclave de l'amour méritait d'être envoyé paître comme elles. Une telle remontrance, autorisée sans doute par les mœurs du temps jadis, qui étaient bien différentes des nôtres, fit impression sur le monarque, et il se décida, pour apaiser les murmures de son armée, à ne plus aller chez sa maîtresse; mais il n'eut pas le courage de défendre qu'elle vînt chez lui. Elle accourut tout éplorée, afin de savoir la cause de son délaissement, et elle apprit ce qu'avait dit Aristote. «Eh quoi! s'écria-t-elle, le seigneur Aristote a de l'humeur contre le penchant le plus naturel et le plus doux! il vous conseille d'exterminer par la guerre des gens qui ne vous ont fait aucun mal, et il vous blâme d'aimer qui vous aime! C'est une déraison complète, c'est une impertinence inouïe qui réclame une punition exemplaire, et, si vous voulez bien le permettre, je me charge de la lui infliger.» Son amant ne s'opposa point à ses projets, et dès ce moment elle mit tout en œuvre pour séduire le philosophe. Ce que veut une belle est écrit dans les cieux, et l'égide de la sagesse ne met pas à couvert de ses traits vainqueurs. Le vieux censeur des plaisirs l'apprit à ses dépens. Son cœur, surpris par les galanteries les plus adroites, se révolta contre sa morale. Vainement il crut l'apaiser en recourant à l'étude et en se rappelant toutes les leçons de Platon: une image charmante venait sans cesse se placer devant ses yeux et attirait vers elle seule toutes les méditations auxquelles il se livrait. Enfin il reconnut que l'étude et Platon ne sauraient le défendre contre une passion si impérieuse, et son esprit subtil lui révéla que le meilleur moyen de la vaincre était d'y céder. Dès l'instant il laissa là tous les livres et ne songea qu'aux moyens d'avoir un entretien secret avec la jeune Indienne. Un jour qu'elle faisait sa promenade solitaire dans le jardin du palais impérial, il accourut auprès d'elle, et à peine l'eut-il abordée qu'il se jeta à ses pieds en lui adressant une pathétique déclaration. L'enchanteresse feignit de ne pas y croire… pour se la faire répéter. Cette manière de prolonger les jouissances de l'amour-propre était alors en usage chez le beau sexe. Obligé enfin de s'expliquer, elle répondit qu'elle ne pouvait ajouter foi à des aveux si extraordinaires sans des preuves bien convaincantes. Toutes celles qu'il était possible d'exiger lui furent offertes. «Eh bien! reprit-elle, après cela, il faut satisfaire un caprice: toute femme a le sien; celui d'Omphale était de faire filer un héros, et le mien est de chevaucher sur le dos d'un philosophe. Cette condition vous paraîtra peut-être une folie; mais la folie est, à mes yeux, la meilleure preuve d'amour.» Il fut fait comme elle le désirait. Qu'y a-t-il en cela d'étonnant? Le dieu malin qui change un âne en danseur, comme dit le proverbe, peut également changer un philosophe en quadrupède. Voilà notre vieux barbon sellé, bridé, et l'aimable jouvencelle à califourchon sur son dos. Elle le fait trotter de côté et d'autre, et, pendant qu'il s'essouffle à trotter, elle chante joyeusement un lai d'amour approprié à la circonstance. Enfin, lorsqu'il est bien fatigué, elle le presse encore et le conduit… devinez où?… elle le conduit vers Alexandre, caché sous un berceau de verdure, d'où il examinait cette scène réjouissante. Peignez-vous, si vous le pouvez, la confusion d'Aristote, lorsque le monarque, riant aux éclats, l'apostropha de cette manière: «O maître! est-ce bien vous que je vois en ce grotesque équipage? Vous avez donc oublié la morale que vous m'avez faite, et maintenant c'est vous qu'il faut mener paître?» La raillerie semblait sans réplique, mais l'homme habile a réponse à tout. «Oui, c'est moi, j'en conviens, répondit le philosophe en se redressant: que l'état où vous me voyez serve à vous mettre en garde contre l'amour. De quels dangers ne menace-t-il pas votre jeunesse, lorsqu'il a pu réduire un vieillard si renommé par sa sagesse à un tel excès de folie?»

Cette seconde leçon était meilleure que la première. Alexandre parut l'approuver, et il promit de la méditer auprès de la jeune et belle Indienne. C'était là qu'on lui reprochait d'avoir perdu sa raison; c'était là qu'il devait la retrouver. Il y réussit; mais ce fut, dit-on, par l'effet du temps plutôt que par celui de la leçon. Le temps, pour guérir de l'amour, en sait beaucoup plus qu'Aristote.

Ce fabliau, attribué à un chanoine de Rouen, nommé Henri d'Andely, trouvère du treizième siècle, est un conte tiré d'un auteur arabe qui l'a intitulé: le Vizir sellé et bridé. J.-M. Chénier a remarqué avec raison que l'idée de substituer Aristote à un vizir vient de l'autorité même qu'Aristote avait acquise dans les écoles du moyen âge. Mais il a eu tort, suivant moi, de traiter cette idée d'absurde, car elle sortait en quelque sorte de l'esprit du temps, et ménageait au trouvère un moyen sûr de rendre plus frappante la moralité qu'il voulait offrir à ses contemporains, en introduisant dans sa fable comme acteur principal l'homme célèbre qui avait été, à leurs yeux, la plus haute personnification de la sagesse.

Du même fabliau est dérivée l'expression faire le cheval d'Aristote, pour désigner une pénitence qui est imposée dans le jeu du gage touché ou dans quelque autre semblable, et qui consiste à prendre la posture d'un cheval afin de recevoir sur son dos une dame qu'on est obligé de promener ainsi dans le cercle, où elle est embrassée tour à tour par tous les joueurs qui s'égayent aux dépens du pauvre patient qu'ils louent ironiquement à qui mieux mieux, les uns, de sa belle allure chevaline et les autres de sa bonne grâce à remplir le rôle d'intendant de leurs menus plaisirs.

Cette pénitence est une allusion à l'usage symbolique d'après lequel le vassal ou le vaincu se mettait aux pieds de son suzerain ou de son vainqueur, une bride à la bouche et une selle sur le dos. L'histoire offre plusieurs exemples de cet usage, depuis le fils du malheureux Psamménit, qui fut envoyé au supplice avec un mors dans la bouche par ordre de Cambyse (Hérodote, III, XIV), jusqu'à Hugues de Châlons qui, reconnaissant son impuissance contre l'armée des Normands, alla trouver le jeune duc Richard par qui elle était commandée, et se roula à ses pieds en signe de soumission, avec une selle de cheval sur les épaules. (Chroniq. de Normandie. Duc. VI, 337.—Guill. Gemet, liv. III, ch. IV.) C'est en vertu d'un pareil usage qu'Eustache de Saint-Pierre et cinq autres bourgeois de Calais se présentèrent à Édouard III, roi d'Angleterre, avec la corde au cou.

L'amour ôte le deuil.

L'amour est un sentiment passionné qui absorbe tous les autres: il asservit l'âme entière, il en devient l'objet unique, et comme il la rend indifférente aux plus grandes joies qui ne lui viennent pas de lui, il la console des plus vives afflictions dont il n'est pas le principe; il les lui fait même oublier. De là ce proverbe qui paraît avoir été suggéré par un passage charmant de la Genèse, où il est question de l'arrivée de Rébecca auprès d'Isaac, à qui elle était destinée pour épouse: «Isaac la fit entrer dans la tente de sa mère Sara et il la prit pour femme, et l'affection qu'il eut pour elle fut si grande qu'elle tempéra la douleur que la mort de sa mère lui avait causée.» (XXIV, 67).

Ces paroles bibliques, dont Chateaubriand, dans son Génie du Christianisme, a justement loué la simplicité, offrent une preuve orthodoxe qu'il est permis de chercher dans l'amour de doux oublis des peines de la vie, en tout honneur bien entendu.

On dit aussi: L'amour est un grand consolateur.

En amour trop n'est pas assez.

On sait que ce charmant proverbe a été formulé par Beaumarchais, qui a dit dans le Mariage de Figaro (act. IV, sc. I): «En fait d'amour, vois-tu, trop n'est pas même assez.» Mais il faut remarquer pourtant que cet ingénieux auteur, en le formulant, peut avoir été inspiré par l'observation déjà faite sur toute passion extrême dont les désirs, suivant l'expression de Sénèque, n'obtiendront tout que pour vouloir quelque chose de plus que tout, ou par ce délicieux passage de Montesquieu dans Arsace et Isménie: «Lorsque l'amour renaît après lui-même, lorsque tout promet, que tout demande, que tout obéit, lorsque l'on sent qu'on a tout et qu'on n'a pas assez, lorsque l'âme semble s'abandonner et se porter au delà de la nature même, etc.»

Beaumarchais peut avoir eu encore l'idée d'enchérir sur cette maxime d'amour du comte de Bussy-Rabutin:

Vous me dites que votre feu
Est assez grand, belle Climène;
Vous ignorez donc, inhumaine,
Qu'en amour assez est trop peu,
Cependant la chose est certaine.
Ah! si sur ce chapitre on croit les gens sensés,
Quand on n'aime pas trop on n'aime pas assez.

Peut-être aussi a-t-il eu présent à l'esprit cet autre proverbe: L'amour et le feu ne disent jamais: C'est assez.

Du reste, c'est avec raison qu'on a fait honneur du proverbe à Beaumarchais, quoique la pensée puisse lui en avoir été suggérée par les pensées analogues que j'ai citées. Il a su reproduire cette pensée sous la forme la plus originale et la plus heureuse. Il a dit le vrai mot de l'amour.

Plus l'amour est nu, moins il a froid.

Ce proverbe se retrouve textuellement dans ce vers d'Owen (épigr. II, 88):

Quo nudus magis est, hoc minus alget Amor.

et dans ce quatrain de Corneille:

Depuis que l'hiver est venu,
Je plains le froid qu'Amour endure,
Sans songer que plus il est nu
Et tant moins il craint la froidure.

Il faut interpréter ce proverbe décemment en n'y voyant qu'une idée analogue au mot d'Hésiode: «L'amour est le fils de la pauvreté,» ou celui de Diolime de Mégare: «L'amour est le fils du travail et de la pauvreté.» C'est-à-dire que les pauvres gens ressentent cette passion avec plus de vivacité que les riches. Ceux-ci peuvent y apporter plus de délicatesses et de raffinements, mais non autant de vives et franches ardeurs. Toutes les fleurs artificielles dont ils parent la couche de l'amour ne valent pas cette floraison naturelle qui semble éclore sur le grabat des indigents de la séve même de leur cœur.—On connaît ces vers de Béranger, qui forment un tableau si gracieux:

Quel dieu se plaît et s'agite
Sur ce grabat qui fleurit?
C'est l'Amour qui rend visite
A la Pauvreté qui rit.

Alfred de Musset a dit avec une simplicité charmante au début de son conte intitulé Simone:

Les gens d'esprit et les heureux
Ne sont jamais bien amoureux:
Tout ce beau monde a trop à faire.
Les pauvres en tout valent mieux;
Jésus leur a promis les cieux,
L'amour leur appartient sur terre.
Faire l'amour en toute saison est ce qui distingue l'homme des bêtes.

«Il n'est permis aux animaux de se livrer aux plaisirs de l'amour qu'en une saison de l'année. L'homme seul peut les goûter en tout temps jusque dans l'extrême vieillesse.» (Entretien de Socrate, I, 19).

Cette observation proverbiale a été réunie par Beaumarchais, d'une manière piquante et spirituelle, à une autre observation également proverbiale, dans cette phrase que le jardinier Antonio, pris de vin, adresse à la comtesse Almaviva: «Boire sans soif et faire l'amour en tout temps, madame, il n'y a que ça qui nous distingue des autres bêtes.» (Mariage de Figaro, act. II, sc. XXI).

On connaît la répartie de Mme de La Sablière à son oncle, qui la moralisait en lui disant: «Quoi! ma nièce, toujours et toujours des amours! mais les bêtes mêmes n'ont qu'un temps pour cela.—Eh! mon oncle, c'est que ce sont des bêtes.»

Ce mot plaisant, que l'on attribue aussi à d'autres dames galantes, n'est, comme la plupart des bons mots, qu'une redite. Il est cité par Macrobe, qui en fait honneur à l'esprit de Populia, fille de Marcus:

«Populia, Marci filia, miranti cuidam quid esset qua propter bestiæ nunquam marem desiderarent, nisi cum prægnantes vellent fieri, respondit: Bestiæ enim sunt.» (Saturn. II, 5.)

Voici des vers inédits qu'un de mes amis, M. L. de Fos, a improvisés sur ce sujet. Ils ne peuvent manquer de prêter de l'agrément à cet article:

Des bêtes, a-t-on dit, ce qui distingue l'homme,
C'est de faire l'amour en toutes les saisons.
De ce mot si connu je sais plusieurs leçons,
Voici celle qui vient de Rome.
La fille de Marcus, dans ses joyeux ébats,
Aux jeunes débauchés prodiguait ses appas.
«Quoi! toujours, lui dit-on, des amours, des conquêtes!
Les bêtes cependant n'ont qu'un temps pour cela.
—Oui, répondit Populia.
Mais c'est qu'aussi ce sont des bêtes.»
L'amour et la pauvreté font mauvais ménage ensemble.

Le ménage le plus uni cesse de l'être quand il est pauvre: la pauvreté tue l'amour.—Les Anglais disent: «When poverty comes in at the door, loves flies out at the window. Quand la pauvreté entre par la porte, l'amour s'envole par la fenêtre.» Proverbe que Shakespeare avait peut-être présent à l'esprit lorsqu'il disait dans le Conte d'hiver: «La prospérité est le plus sûr lien de l'amour.» (Act. IV, sc. III).

Notre proverbe est très-bien expliqué par Molière dans ces vers des Femmes savantes (act. V, sc. V.)

Rien n'use tant l'ardeur de ce nœud qui nous lie
Que les fâcheux besoins des choses de la vie;
Et l'on en vient souvent à s'accuser tous deux
De tous les noirs chagrins qui suivent de tels feux.

On dit trivialement: Quand il n'y a pas de foin au râtelier, les ânes se battent.

Les lunettes sont des quittances d'amour.

C'est-à-dire qu'on doit n'aimer qu'à l'âge où l'on peut être aimé, et ne pas afficher la prétention de plaire aux belles quand on est réduit à porter des lunettes, ce qui arrive malheureusement à une époque de la vie où l'on a souvent le cœur en meilleur état que les yeux, et où l'on est d'autant plus à plaindre qu'en amour on se sent abandonné de tout sans qu'on veuille renoncer à rien.

On dit aussi: Bonjour, lunettes; adieu, fillettes; pour exprimer qu'il faut cesser de prétendre aux faveurs des jeunes filles quand on commence à prendre des lunettes.

Ce conseil était juste et convenable autrefois, où les lunettes n'étaient guère qu'à l'usage des vieillards; mais on sent qu'il serait déplacé aujourd'hui à l'égard d'une foule de jeunes gens pour qui elles sont des objets de nécessité ou des objets de mode…

Il faudrait donc n'appliquer les deux proverbes qu'à ces vieux barbons qui, possédés de la manie de se poser en verts-galants, reluquent sans cesse avec des binocles ou des lorgnons les jouvencelles à qui ils savent si bien faire tourner la tête… de l'autre côté.

Remarquons, puisque l'occasion s'y adonne, que la mode des lunettes fut très-répandue en Espagne au commencement du dix-septième siècle, sous le règne de Philippe III. Elles y faisaient partie du costume des gens comme il faut, qui croyaient, par cette nouvelle espèce d'insignes, se donner plus de gravité et obtenir plus de considération. Elles étaient proportionnées au rang des personnes. Les grands du pays en mettaient de magnifiques dont les verres surpassaient en circonférence les piastres fortes, et ils y tenaient tant, dit-on, qu'ils ne les quittaient pas même pour se coucher.

Les dames, à leur tour, les avaient adoptées, parce que ce complément de parure signalait aussi la noblesse de leur condition et surtout parce qu'il offrait à leur vanité une foule d'avantages qu'il serait trop long de spécifier. Bornons-nous à rappeler qu'en général elles les arboraient comme enseignes des prétentions qu'elles voulaient afficher. Quelques-unes les portaient afin de passer pour lettrées ou savantes (c'étaient les précieuses de l'époque); beaucoup d'autres s'en servaient afin de mieux observer l'effet que leur présence pouvait produire dans les salons, et de mieux cacher aux regards indiscrets les sentiments dont elles se trouvaient affectées. Cette seconde catégorie comprenait la plupart des jeunes et jolies femmes.

Il est permis de supposer que les diverses espèces de lunettes avaient des noms correspondant à leurs divers usages. Un poëte gongoriste appelait celles qui cachaient de beaux yeux, les couvre-feu de l'amour.

L'amour ne loge point sous le toit de l'avarice.

Le Code d'amour dit, art. 10: Amor semper ab avaritiæ consuevit domibus exsulare. Sentence dont notre proverbe est la reproduction.

Quoi de plus opposé à l'amour que l'avarice? Dans l'amour on est d'une prodigalité excessive, on ne s'occupe pas du tout de sa fortune: dans l'avarice, au contraire, on ne pense qu'à sa fortune. Si un avare aimait, il cesserait de l'être. «Un avaricieux même qui aime, dit Pascal, devient libéral; il ne se souvient pas d'avoir eu une habitude opposée.» (Disc. sur les pass. de l'amour.)

La faim fait oublier l'amour.

C'est ce que disait le philosophe Cratès, et il avait bien raison, car l'estomac maîtrise le cœur, et quand le besoin fait crier le premier, l'autre est réduit à se taire. Telle est la loi de la nature, à laquelle les amoureux les plus robustes ne sauraient échapper.

Il ne s'en trouverait pas un seul peut-être qui, dans ce cas, ne fût de l'avis de ce paysan à qui l'on demandait s'il aimait les femmes: «J'aime beaucoup une fort belle fille, répondit-il; mais j'aime encore mieux une fort bonne côtelette.»—Il n'y a point d'amour qui tienne contre la fringale.

On connaît ces vers de La Fontaine, dans la Fiancée du roi de Garbe:

On ne vit ni d'air ni d'amour,
Les amants ont beau dire et faire,
Il en faut revenir toujours au nécessaire.
Sans pain ni vin l'amour est vain.

C'est-à-dire l'amour n'est rien, comme porte une variante. Ce proverbe est une traduction familière de celui des Latins cité dans l'Eunuque, de Térence: «Sine Cerere et Libero friget Venus. (Act. IV, sc. VI.) Sans Cérès et Bacchus Vénus est transie.»—Il faut remarquer, à ce sujet, que l'amour n'était guère pour les anciens qu'un acte sensuel auquel ils préludaient par les bons mets et les bons vins, qui leur paraissaient les moyens les plus propres à l'exciter et à le favoriser. Ils le regardaient comme le couronnement de l'orgie. De là ces paroles de saint Jérôme, que je n'oserais même traduire, sur les débauchés qui avaient le cœur au ventre: Distento ventre distenduntur ea quæ ventri adhærent.—Venter plenus despumat in libidinem.

Les Romains avaient encore ce proverbe analogue, qui leur était venu des Grecs: «Saturo Venus adest, famelico nequaquam adest. Vénus ou l'amour est pour celui qui a le ventre plein, et non pour celui qui l'a vide.»

Les Languedociens disent: «Vivo l'amour! maï që iëou dînë. Vive l'amour, mais que je dîne!»

C'est exactement ce qu'on dit en français: Vive l'amour après dîner!

Après l'amour le repentir.

Hélas! nous ne pouvons aimer toujours, et bien souvent le repentir nous prend où l'amour nous laisse. «Les amours s'en vont et les douleurs demeurent,» dit le proverbe espagnol: Vanse los amores y quedan los dolores.

Un troubadour anonyme a comparé l'amour à l'églantier, dont les fleurs passent et tombent en peu de temps, tandis que les épines restent toujours.

Guarini a dit de l'amour dans son Pastor fido: «La racine en est douce et le fruit amer. La radice è suave, il frutto amora.»

La Rochefoucauld prétend que «il y a peu de gens qui ne soient honteux de s'être aimés, quand ils ne s'aiment plus.»

On fait l'amour, et quand l'amour est fait, c'est une autre paire de manches.

Tout le monde comprend ce que signifie ce proverbe, dont la dernière partie, devenue une locution à part, est continuellement répétée; il rappelle un usage pratiqué au douzième siècle par des individus de sexe différent qui voulaient former ensemble un tendre engagement. Ils échangeaient une paire de manches comme gage du don mutuel qu'il se faisaient de leur cœur, et ils se les passaient aux bras en promettant de n'avoir pas désormais de plus chère parure, ainsi qu'on le voit dans une nouvelle du troubadour Vidal de Besaudun, où il est parlé de deux amants qui se jurèrent de porter manches et anneaux l'un de l'autre. Ces enseignes ou livrées d'amour, destinées à être le signe de la fidélité, devinrent presque en même temps celui de l'infidélité; car toutes les fois qu'on changeait d'amour on changeait aussi de manches, et il arrivait même assez souvent que celles qu'on avait prises la veille étaient mises au rebut le lendemain. Vainement un autre proverbe recommandait de respecter cette sorte d'investiture d'amour par la manche en disant: «La manega no i es gap, car senhals es de drudaria; la manche, ce n'est pas un badinage, car c'est un signal d'amourette.» Comme une pareille recommandation n'avait aucune force légale, chacun et chacune y contrevenaient à qui mieux mieux. Aussi tel ou telle qu'on s'était flatté de tenir dans sa manche s'en débarrassait au plus vite, sans le moindre scrupule, et, en définitive, c'était toujours une autre paire de manches.

Vieil amour, vieille prison.

Un vieil amour est un esclavage où l'on éprouve beaucoup de peines et d'ennuis. «Dans la vieillesse de l'amour comme dans celle de l'âge, dit La Rochefoucauld, on vit encore pour les maux, mais on ne vit plus pour les plaisirs.»

Ce proverbe est pris du latin: Antiquus amor carcer est. Il s'applique le plus souvent à l'amour conjugal, que les deux époux sont obligés de subir jusqu'à ce que mort s'ensuive, pour l'un ou l'autre. Aussi arrive-t-il quelquefois que le mari voit mourir sa femme ou la femme son mari du même œil qu'un prisonnier voit briser ses fers.

Philémon, poëte comique grec, a dit dans une de ses pièces: «Le mariage est une prison qui n'a de beau que la porte par laquelle on y entre, et de consolant que celle par laquelle on a vu la mort faire sortir la personne avec qui on avait fait son entrée.»

Ce Philémon était bien loin de penser comme son homonyme, le mari de Baucis, tendrement aimée de lui, ainsi qu'il fut aimé d'elle jusque dans l'extrême vieillesse. La Fontaine a dit de ces deux modèles de l'amour conjugal:

Ni le temps, ni l'hymen, n'éteignirent leur flamme.
. . . . . . . . . . . . . . . 
L'amitié modéra leurs feux sans les détruire,
Et par des traits d'amour sut encor se produire.
L'amour meurt rarement de mort subite.

Il meurt presque toujours d'une maladie de langueur, beaucoup plus longue que ne le voudraient ceux qui en sont atteints. C'est une observation qu'ont faite plusieurs poëtes érotiques.

Difficile est longum subito deponere amorem.

(Catulle.)

Il est difficile de se défaire tout à coup d'un long amour.

Longus at invito pectore sedet amor.

(Ovide.)

Mais le cœur malgré lui conserve un long amour.

Cette ténacité de l'amour chez des personnes qui ne demanderaient pas mieux que d'en être affranchies est produite par l'habitude, par la paresse de changer, par la difficulté de former une nouvelle liaison, par l'impossibilité de vivre seul, et par beaucoup d'autres causes qui font qu'on a bien de la peine à rompre quand on ne s'aime déjà plus, et à plus forte raison quand on s'aime encore un peu. «Tant que l'amour dure, dit La Bruyère, il subsiste de lui-même et quelquefois par les choses qui semblent le devoir éteindre, par les caprices, par les rigueurs, par l'éloignement, par la jalousie» (ch. IV, du Cœur). L'indignité même de l'objet qui l'a inspiré ne parvient pas toujours à lui donner une mort soudaine, comme le dit très-bien ce vers de Saurin:

Longtemps on aime encore en rougissant d'aimer.

On l'a justement comparé au feu grégeois qui brûle sous les flots de la mer, et à la chaux vive que l'eau dont on l'arrose allume ou met en ébullition. Pauvres belles délaissées, n'espérez pas l'éteindre à force de pleurer. Toutes ces larmes qui vous retombent sur le cœur ne servent qu'à le rendre plus ardent.

C'est le temps, et non la volonté, qui met fin à l'amour, dit le proverbe latin:

Amori finem tempus, non animus facit.

(P. Syrus.)

Il n'y a qu'un pas de l'amour à la dévotion.

Cela se dit surtout en parlant des femmes d'un certain âge qui, voyant les amants se détourner d'elles, tournent du côté des litanies. Cette transition d'une vie galante à une vie dévote ne leur paraît pas agréable sans doute, et elles la diffèrent tant qu'elles peuvent, mais le respect humain l'exige, et, faisant de nécessité vertu, elles franchissent enfin le pas moins difficilement qu'elles ne pensaient le faire. La raison en est toute simple; c'est que le point d'où elles partent confine à celui où elles vont, et que passer de l'un à l'autre n'est souvent pour la plupart d'entre elles qu'aller du même au même; car leur amour ne change point de nature pour être coulé dans le moule de la dévotion.

Saint-Évremont a très-bien dit, dans un chapitre dont le titre porte que la Dévotion est le dernier de nos amours: «La pénitence ordinaire des femmes, à ce que j'ai pu observer, est moins un repentir de leurs péchés qu'un regret de leurs plaisirs; en quoi elles sont trompées elles-mêmes, pleurent amoureusement ce qu'elles n'ont plus, quand elles croient pleurer saintement ce qu'elles ont fait.»

On pourrait appliquer à leur conversion le joli mot proverbial des Italiens sur celles qui abjurent une hérésie pour une autre, ou qui passent d'une fausse religion à une autre également fausse: «C'est, disent-ils, changer de chambre dans la maison du diable. Cambiare di stanza nella casa del diavolo.»

Quand l'amour s'en va, c'est pour ne plus revenir.

Le Code d'amour a exprimé la même idée en ces termes: Si amor minuatur, cito deficit, et raro convalescit, article 19. «Si l'amour diminue, il dépérit vite, et rarement il se rétablit.»

La Rochefoucauld dit dans une de ses pensées: «Il est impossible d'aimer une seconde fois ce qu'on a véritablement cessé d'aimer.»

Vif attrait, charme inexprimable,
Le cœur s'épuise à le sentir.
Pourrait-il d'un feu qui dévore
Éprouver deux fois les effets?
Les cendres s'échauffent encore,
Mais ne se rallument jamais.

(Andrieux.)

Un nouvel amour en remplace un ancien, comme un clou chasse l'autre.

Ou plus simplement par la substitution d'une métaphore allégorique à la comparaison: Un clou chasse l'autre. Ce proverbe se trouve dans la phrase suivante de la quatrième Tusculane de Cicéron: Novo amore veterem amorem tanquam clavo clavium ejiciendum putant. «Ils pensent qu'un nouvel amour doit remplacer un ancien amour comme un clou chasse l'autre.»

Novus amor veterem compellit abire.

(Art. XVII du Code d'amour.)

Louis Racine, dans le chant VI de son poëme de la Religion, a écrit ces quatre vers qui expriment très-bien le sens du proverbe, qu'il ne pouvait citer textuellement:

Le cœur n'est jamais vide. Un amour effacé
Par un nouvel amour est toujours remplacé,
Et tout objet qu'efface un objet plus aimable,
Sitôt qu'il est chassé, nous paraît haïssable.

Lorsque Longchamp, secrétaire de Voltaire, lui remit la bague qu'il avait eu la précaution d'ôter du doigt de la marquise de Châtelet qui venait de mourir, et dans laquelle devait se trouver le portrait du poëte, il lui dit et lui fit voir que ce portrait avait été remplacé par celui de Saint-Lambert: «O ciel! s'écria Voltaire, en joignant les deux mains, voilà bien les femmes! j'en avais chassé Richelieu; Saint-Lambert m'en a chassé. Cela est dans l'ordre, un clou chasse l'autre. Ainsi vont les choses dans ce monde.»

Duclos a dit de l'amour qui se porte vers plusieurs objets et peut se remplacer par un autre: «Un tel amour n'est pas fort délicat, mais il est heureux, et le bonheur fait la gloire de l'amour.»

Cette maxime sent bien son auteur, à qui une dame du beau monde reprochait justement de se contenter de la première venue. Il y a une satisfaction sensuelle dans ces amours rapidement remplacés l'un par l'autre; mais s'il n'y a point de bonheur, il y a encore moins de gloire; et si quelque animal du troupeau d'Épicure prétend à une couronne pour les faciles succès qu'il a obtenus en ce genre, il faut lui en donner une faite des lauriers des jambons de ses confrères de Mayence.

L'amour fait passer le temps, et le temps fait passer l'amour.

En d'autres termes, il n'est rien de tel que l'amour pour tuer le temps, et rien de tel que le temps pour tuer l'amour.

Le comte de Ségur, donnant au verbe passer un sens différent de celui qu'il a ici, a fait sur ce proverbe l'allégorie suivante:

A voyager passant sa vie,
Certain vieillard, nommé le Temps,
Près d'un fleuve arrive et s'écrie:
«Ayez pitié de mes vieux ans.
Eh quoi! sur ces bords on m'oublie,
Moi, qui compte tous les instants!
Mes bons amis, je vous supplie,
Venez, venez passer le Temps.»
De l'autre côté, sur la plage,
Plus d'une fille regardait,
Et voulait aider son passage
Sur un bateau qu'Amour guidait;
Mais une d'elles, bien plus sage,
Leur répétait ces mots prudents:
«Ah! souvent on a fait naufrage
En cherchant à passer le Temps.»
L'Amour gaîment pousse au rivage,
Il aborde tout près du Temps;
Il lui propose le voyage,
L'embarque, et s'abandonne au vent.
Agitant ses rames légères,
Il dit et redit dans ses chants:
«Vous voyez bien, jeunes bergères,
Qu'Amour a fait passer le Temps.»
Mais tout à coup l'Amour se lasse,
Ce fut toujours là son défaut;
Le Temps prend la rame à sa place,
Et lui dit: «Quoi! céder sitôt!
Pauvre enfant, quelle est ta faiblesse!
Tu dors et je chante à mon tour
Ce vieux refrain de la sagesse:
«Ah! le Temps fait passer l'Amour.»
Le succès trop facile rend l'amour méprisable.

Proverbe tiré de l'article 14 du Code d'amour: «Facilis perceptio contemptibilem reddit amorem. C'est la difficulté qui fait le bonheur et le charme de l'amour.» Les faveurs d'une belle, dit Mme de Genlis, n'ont de prix que lorsqu'elles sont arrachées. On n'en jouit qu'en les dérobant.

L'amour apprend les ânes à danser.

La légèreté et la souplesse singulières avec lesquelles les ânes, au mois de mai, bondissent et se trémoussent dans la prairie auprès des ânesses, ont donné lieu à ce proverbe, dont le sens métaphorique est que l'amour polit le naturel le plus inculte.

On voit en effet de vrais rustres qui, sous l'influence de cette passion, parviennent à se défaire de leurs instincts grossiers, de leurs habitudes brutales, et y substituent des manières agréables, des mœurs courtoises, que leur communiquent des femmes aimables auxquelles ils cherchent à plaire.

L'amour porte avec soi la musique.

On dit aussi: L'amour enseigne la musique.—Les amants aiment à chanter leurs plaisirs et leurs peines. De là ce proverbe qu'on trouve expliqué dans les Symposiaques de Plutarque, liv. I, quest. V.

Primus amans carmen vigilatum nocte negata
Dicitur ad clausas concinuisse fores;
Eloquiumque fuit duram exorare puellam.

(Ovide, Fast. IV.)

«Un amant, dit-on, dans une nuit refusée à ses vœux, chanta le premier des vers devant la porte fermée de sa maîtresse, et l'éloquence ne fut d'abord que l'art d'attendrir une cruelle.»

Les Anglais disent: «Love was the mother of poetry. Amour engendre poésie,» ce qui a été ingénieusement développé dans le Spectateur d'Addison, n. 377:

Le chant des premiers vers exprima: Je vous aime.

(Saint-Lambert.)

L'amour est comme un flambeau, plus il est agité, plus il brûle.

Cette comparaison proverbiale est prise du vers suivant de P. Syrus, qui dit l'amant, et non l'amour:

Amans ita ut fax, agitando ardescit magis.

Elle est parfaitement juste: «Les âmes propres à l'amour, dit Pascal, demandent une vie d'action qui éclate en événements nouveaux. Comme le dedans est mouvement, il faut aussi que le dehors le soit, et cette manière de vivre est un merveilleux acheminement à la passion. C'est de là que ceux de la cour sont mieux reçus dans l'amour que ceux de la ville, parce que les uns sont tout de feu, et que les autres mènent une vie dont l'uniformité n'a rien qui frappe: la vie de tempête surprend, frappe et pénètre.» (Discours sur les passions de l'amour.)

L'abbé de Bernis a dit aussi, d'une manière jolie: «Connaissez-vous un feu qui prend toutes les formes que le souffle lui donne, qui s'irrite, qui s'affaiblit, selon que l'impression de l'air est plus vive ou plus modérée? il se sépare, il se réunit, il s'abaisse, il s'élève; mais le souffle puissant qui le conduit ne l'agite que pour l'animer, et jamais pour l'éteindre. L'amour est ce souffle; nos âmes sont ce feu.» (Réflexions sur l'amour.)

Les femmes savent très-bien que celui qui aime ne conserverait pas longtemps son ardeur si elle restait inactive, et qu'il a besoin pour l'entretenir, pour l'enflammer, d'une vie d'agitation, de remuement et de secousses, enfin d'une vie de tempête. Aussi remarquez avec quels soins prévoyants elles s'appliquent à préserver leurs adorateurs des dangers du calme, à les tenir constamment en haleine par la nouveauté des impressions qu'elles leur font éprouver, à les faire passer rapidement et sans relâche d'une situation paisible à une situation émouvante, à leur faire voir du pays, comme on dit.

Hommes peu clairvoyants, qui leur reprochez d'agir ainsi par coquetterie, par humeur, par caprice, par bizarrerie, etc., ne nommerez-vous jamais les choses par leur vrai nom, et les jugerez-vous toujours sur les apparences? Reconnaissez donc que toutes ces manières d'être, qui vous semblent d'étranges inégalités de caractère, ne sont, la plupart du temps, chez ces enchanteresses, que des procédés d'un art merveilleux par lequel elles veulent se rendre plus aimables et plus aimées, en renouvelant sans cesse leur beauté par des changements inattendus, ainsi que vos cœurs, par des désirs variés, et, loin de les accuser de troubler votre repos, rendez-leur la grâce de multiplier vos sensations pour vous sauver des ennuis de la monotonie.

Baiser le verrou.

S'est dit pour rendre hommage, par allusion à un usage féodal qui voulait que le vassal se présentât chez son seigneur pour lui rendre hommage, et, en son absence, baisât la serrure ou le verrou de la porte du manoir seigneurial. (Cout. d'Auxerre, art. 44;—de Sens, art. 181,—et de Berry, tit. V, art. 10.) Mais ce n'est pas sous ce rapport que je place ici cette expression proverbiale; c'est pour rappeler que le fait qu'elle signale avait lieu également dans l'amoureux servage. Il n'était pas de bon serviteur[12], ou servant d'amour, qui négligeât d'honorer la dame de ses pensées par un semblable témoignage de dévouement, quand il n'avait pas l'avantage d'être admis en sa présence. Les amoureux transis (voyez plus loin cette expression) ne manquaient jamais de baiser la serrure ou le verrou de la porte devant laquelle ils allaient chaque jour soupirer leur martyre.

[12] Le mot serviteur était autrefois synonyme d'amant, comme on peut le voir dans la vingt-sixième des Cent Nouvelles nouvelles, dans les dixième, douzième, quatorzième, dix-neuvième, et vingt-quatrième nouvelles de l'Heptaméron de la reine de Navarre, et dans le Roman bourgeois, de Furetière. J.-J. Rousseau lui a conservé cette acception dans le Devin du village, où Colette chante: J'ai perdu mon serviteur. Au reste, la même synonymie existait dans plusieurs langues, notamment en anglais. Voyez dans Shakespeare la scène première de l'acte deuxième des Deux Gentilshommes de Vérone.

Les amants, à Rome, se conduisaient aussi de cette manière, comme nous l'apprend Lucrèce, vers la fin du livre IV de son poëme.

At lacrymans exclusus amator limine sæpe
Floribus et sertis operit postesque superbos
Unguit amaricino, et foribus miser oscula figit.

Cependant, l'amant en larmes, à qui l'accès est interdit, orne sa porte de fleurs et de guirlandes, répand des parfums sur les poteaux dédaigneux, et imprime sur le seuil de tristes baisers.

Cela se faisait de même en signe d'adieu, lorsqu'on s'éloignait avec regret d'un lieu chéri.

Rutilius, exprimant la douleur qu'il ressentait de partir de Rome, a dit:

Crebra relinquendis infigimus oscula portis.

Nous imprimons de fréquents baisers aux portes qu'il faut quitter.

L'amour et la gale ne se peuvent cacher.

L'un et l'autre ont des démangeaisons irrésistibles qui les font bientôt découvrir. Les Anciens disaient: «Amor tussisque non celatur. L'amour et la toux ne se peuvent céler.» Proverbe cité par Gilbert Cousin (Gilbertus Cognatus), qui dit l'avoir trouvé dans Antiphane le Comique, et dans Athénée.

L'amour et le musc ne peuvent rester ignorés.

(Proverbe indoustani.)

Les Danois disent: «La pauvreté et l'amour sont difficiles à cacher. Armod og kierlighed er ond at dölge.»

«L'amour est un de ces maux qu'on ne peut cacher; un mot, un regard indiscret, le silence même le découvre.» (Abeilard).

«L'amour est si puissant, dit le romancero espagnol, et ses effets sont tels que les yeux le publient, encore que la langue le taise.»

On connaît ces vers de Racine:

On a beau se cacher, l'amour le plus discret
Laisse par quelque marque échapper son secret.

(Bajazet, act. III. sc. VIII.)

L'amour n'est pas un feu qu'on renferme en une âme:
Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux,
Et les feux mal couverts n'en éclatent que mieux.

(Androm., act. II, sc. II.)

L'amour divulgué est rarement de durée.

Il en est de l'amour comme d'un parfum qui se conserve quand on le tient renfermé, et qui se gâte quand on l'évente. Ce proverbe est une traduction littérale de l'article treizième du Code d'amour: Amor raro consuevit durare vulgatus.

Nous avons encore cette triade proverbiale: Le secret, le vin et l'amour, ne valent rien quand ils sont éventés.

Le secret est la garde la plus assurée de l'amour.

C'est-à-dire que l'amour se conserve mieux quand il est tenu secret. Cette idée est sous une autre forme celle du proverbe précédent, dont le commentaire peut s'appliquer à celui-ci; qu'on me permette seulement d'y joindre cette chanson sur l'amour discret:

L'amour dans l'ombre du mystère,
Se plaît à cacher ses secrets.
Il fuit le jour qui les éclaire,
Et punit les cœurs indiscrets.
Au silence qu'il nous impose
Soumettons notre vanité,
Si nous voulons cueillir la rose
Que nous garde la volupté.
L'amant trop fier de sa victoire,
Qui partout vante son bonheur,
Sacrifie à la vaine gloire
Bien du plaisir pour peu d'honneur.
Du triomphe qu'il se propose,
Le sentiment n'est point l'objet,
Et, quand il veut cueillir la rose,
Elle échappe au bruit qu'il a fait.
Si, par son frivole étalage,
L'indiscret perd l'heureux moment,
Le jaloux, farouche et sauvage,
Ne l'obtient point par son tourment;
Par son humeur il indispose,
Il obsède par son ennui,
Et, quand il veut cueillir la rose,
Il n'a que l'épine pour lui.
O toi qui veux plaire à ta belle,
Sache prévenir ses désirs.
Veux-tu qu'elle te soit fidèle?
Sache occuper tous ses loisirs.
Sur tous vos plaisirs bouche close,
Avec soin garde ton secret.
L'amour ne destine la rose
Qu'à l'amant sincère et discret.
L'amour est le frère de la guerre.

C'est-à-dire que l'amour et la guerre se ressemblent sous beaucoup de rapports: l'un et l'autre ont leurs combats qui se renouvellent chaque jour, avec une tactique à peu près pareille, pour obtenir une victoire suivie d'une trêve plus ou moins longue, après laquelle une autre lutte recommence. Écoutez l'éternelle chanson des poëtes érotiques; vous croirez par moments entendre un chant guerrier; la plupart des termes caractéristiques en sont militaires: blessé, blessure, vaincu, vainqueur, victoire, triomphe, chaîne, conquête, etc.

Ovide a dit, dans le second livre de l'Art d'aimer: «L'amour est une sorte de guerre,» Militiæ species amor est; et dans la neuvième élégie du premier livre des Amours:

Chargement de la publicité...