← Retour

Rob-Roy

16px
100%

En parlant ainsi, il parut chercher à écarter de son esprit un sujet de réflexions qui lui étaient désagréables, et il me demanda comment je m'étais séparé de la troupe du duc, qui avait l'air de me retenir prisonnier.

Ce récit ne fut pas long, et je finis en lui disant que les papiers de mon père m'avaient été remis; mais je ne me sentis pas la force de prononcer une seconde fois le nom de Diana Vernon.

— J'étais sûr que vous les auriez. La lettre dont vous étiez chargé pour moi contenait les ordres de Son Excellence à ce sujet, et bien certainement mon intention était de contribuer à vous les faire rendre. C'est pour cela que je vous avais engagé à venir dans nos montagnes. Mais il est probable que Son Excellence les a obtenus de Rashleigh dans l'intervalle.

La première partie de cette réponse fut ce qui me frappa le plus.

— La lettre que je vous ai apportée était donc écrite par la personne que vous appelez Son Excellence… Quel est son nom?… Quel est son rang?

— Si vous ne connaissez pas déjà tous ces détails, vous n'avez pas grand besoin de les connaître; ainsi je ne vous en dirai rien. Mais il est très vrai que la lettre était écrite de sa propre main; car sans cela, ayant déjà sur les bras assez d'affaires pour mon propre compte, comme vous le voyez, je ne puis dire que je me serais tant occupé des vôtres.

Je me rappelai en ce moment les lumières que j'avais vues dans la bibliothèque, le gant que j'y avais trouvé, le mouvement que j'avais remarqué dans la tapisserie qui couvrait le passage secret conduisant à l'appartement de Rashleigh, enfin toutes les circonstances qui avaient fait naître ma jalousie. Je me souvins surtout que Diana s'était retirée pour écrire, comme je le pensais alors, le billet auquel je devais avoir recours à la dernière nécessité. Ses instants n'étaient donc pas consacrés à la solitude, mais à écouter les protestations d'amour de quelque agent de révolte. On avait vu des jeunes filles se vendre au poids de l'or, sacrifier à la vanité leurs premières inclinations; mais Diana avait pu consentir à partager le sort de quelque misérable aventurier, à errer avec lui dans les ténèbres au milieu des repaires du brigandage, sans autre espoir de rang et de fortune que l'ombre que pouvait en offrir la prétendue cour des Stuarts à Saint-Germain.

Je la verrai, pensai-je, je la verrai encore une fois, s'il est possible. Je lui parlerai du risque qu'elle court, en ami, en parent. Je faciliterai sa retraite en France, où elle pourra plus convenablement, plus en sûreté, attendre le résultat du mouvement que cherche certainement à exciter l'intrigant politique à qui elle a uni sa destinée.

— Je conclus de tout cela, dis-je à Mac-Gregor après un silence gardé de part et d'autre pendant environ cinq minutes, que Son Excellence, puisque je ne le connais que par cette dénomination, résidait en même temps que moi à Osbaldistone-Hall.

— Sans doute, sans doute… Dans l'appartement de la jeune dame, comme cela devait être! — Cette information gratuite ne faisait que jeter de l'huile sur le feu qui me consumait. — Mais, ajouta Mac-Gregor, peu de personnes, excepté sir Hildebrand et Rashleigh, étaient instruites de ce secret; car il n'était pas besoin de vous mettre dans la confidence, et les autres jeunes gens n'ont pas assez d'esprit pour empêcher le chat de manger la crème… Au surplus, c'est une belle et bonne maison, bâtie à l'ancienne mode. Ce que j'en admire le plus, c'est une multitude de cachettes, d'escaliers et de passages secrets qui s'y trouvent. On pourrait y cacher vingt ou trente hommes dans un coin, mettre une autre famille dans le château, et je la défierais de les trouver, ce qui peut être utile en certaines occasions. Je voudrais que nous eussions un pareil château dans nos montagnes, mais il faut nous contenter de nos bois et de nos cavernes.

— Je suppose que Son Excellence n'était pas étrangère au premier accident qui arriva… Je ne pus m'empêcher d'hésiter un moment.

— Vous voulez dire à Morris? dit Rob-Roy du plus grand sang- froid, car il était trop habitué aux actes de violence pour que l'émotion qu'il avait éprouvée en apprenant la fin déplorable du douanier pût être de longue durée; j'ai ri bien des fois de ce tour, mais je n'en ai plus le courage depuis cette maudite histoire du lac… Non, non, Son Excellence n'y était pour rien. Tout avait été concerté entre Rashleigh et moi. Mais ce qui s'ensuivit!… Rashleigh, trouvant le moyen de faire tomber les soupçons sur vous, qu'il n'avait jamais aimé dès l'origine; miss Diana, qui nous oblige à détordre les fils dont nous vous avions enveloppé, et à vous tirer des griffes de la justice; ce poltron de Morris, perdant le peu de sens qu'il avait en voyant paraître hardiment devant lui le véritable voleur, au moment même où il en accusait un autre; ce coucou de clerc; cet ivrogne de juge; non, rien ne m'a fait tant rire de ma vie! et à présent tout ce que je puis faire pour le pauvre diable, c'est de faire dire quelques messes pour le repos de son âme.

— Puis-je vous demander comment il se fait que miss Vernon eut assez d'influence sur vous et sur Rashleigh pour vous faire renoncer à l'exécution de votre projet?

— De mon projet? Le projet ne venait pas de moi. Je n'ai jamais cherché à rejeter mon fardeau sur les épaules d'un autre, mais la vérité est que Rashleigh en était le seul auteur… Quant à miss Vernon, bien certainement elle avait beaucoup d'influence sur lui et sur moi, à cause de l'affection de Son Excellence, et parce qu'elle était instruite de bien des secrets qu'il ne fallait pas mettre au grand jour… Au diable soit quiconque confie à une femme un secret à garder ou un pouvoir dont elle peut abuser… Il ne faut pas mettre un bâton ferré entre les mains d'un fou.

Nous n'étions plus qu'à un quart de mille du clachan, quand trois montagnards se montrèrent à nous, et, nous présentant le bout de leurs carabines, nous ordonnèrent de nous arrêter et nous demandèrent qui nous étions. Le seul mot _Gregarach _prononcé d'une voix qui fut reconnue au même instant leur fit pousser des hurlements d'allégresse. Celui qui était à la tête, laissant tomber son mousquet, se précipita sur mon compagnon et le serra si étroitement dans ses bras que Rob-Roy fut quelque temps avant de s'en dégager. Lorsque le premier torrent des félicitations fut écoulé, ceux d'entre eux coururent vers le clachan, où il se trouvait un fort détachement de Highlanders, avec autant de rapidité que les daims de leurs montagnes, pour y répandre l'heureuse nouvelle du retour de leur chef. Elle fut célébrée par des cris de joie qui firent retentir de nouveau tous les rochers des environs; et tous, hommes, femmes, vieillards, enfants, sans distinction de sexe ni d'âge, accoururent à notre rencontre avec l'impétuosité d'un fleuve retenu par une digue, et qui vient de la briser. Quand j'entendis le tumulte de cette multitude enivrée de joie qui s'approchait de nous, je crus à propos de rappeler à Mac- Gregor que j'étais étranger, et sous sa protection. Aussitôt il me prit par le bras, et tandis que la foule qui arrivait se livrait à des transports qui étaient véritablement attendrissants et que chacun s'efforçait de venir lui toucher la main, il ne la présenta à personne avant d'avoir expliqué que j'étais son ami, et que je devais être traité avec affection et respect.

On n'aurait pas obéi plus promptement à un mandat du sultan de Delhi. Les attentions dont je fus l'objet me devinrent presque aussi à charge que la rudesse aurait pu l'être. À peine voulait-on souffrir que l'ami du chef fit usage de ses jambes, tant on s'empressait à m'offrir le bras et à m'aider à marcher! Et enfin, saisissant l'occasion d'un faux pas que me fit faire une pierre que je n'avais pu voir, attendu la foule qui se pressait autour de nous, quelques-uns d'entre les Highlanders s'emparèrent de moi et me portèrent comme en triomphe jusqu'à la porte de mistress Mac- Alpine.

En arrivant devant cette auberge hospitalière, je vis que le pouvoir et la popularité avaient leurs inconvénients au milieu des Highlands comme dans le reste du monde: car, avant que Mac-Gregor pût entrer dans la maison pour y prendre le repos et la nourriture dont il avait besoin, il fut obligé de raconter une douzaine de fois à divers cercles d'auditeurs qui se succédaient les uns aux autres la manière dont il avait échappé à ses ennemis, ce que j'appris d'un vieillard fort obligeant qui se donnait la peine de m'expliquer tout ce que répondait Rob-Roy à ceux qui l'interrogeaient, et que la politesse m'obligeait à écouter avec une espèce d'attention. L'auditoire étant enfin satisfait, les groupes se dispersèrent pour passer la nuit, les uns à la belle étoile, les autres dans les chaumières du voisinage; quelques-uns maudissant le duc et Galbraith, d'autres déplorant le malheur d'Ewan, qui paraissait avoir été mal payé du service qu'il avait rendu à Mac-Gregor; tous convenant que la manière dont Rob-Roy s'était tiré des mains de ses ennemis pouvait être comparée aux exploits les plus glorieux de tous les chefs de leur clan, à commencer par Dougal-Ciar, qui en avait été le fondateur.

Me prenant alors par le bras, l'_outlaw _mon ami me fit entrer dans la grande salle du petit cabaret. Mes yeux cherchèrent à percer le nuage de fumée qui la remplissait pour y trouver Diana et son compagnon de voyage; mais je ne les aperçus point, et il me sembla que si je faisais quelque question, ce serait avouer de secrets motifs qu'il était plus convenable de cacher. La seule figure de ma connaissance que j'y trouvai fut celle du bailli, qui, assis sur une escabelle au coin du feu, recevait d'un air de réserve et de dignité les prévenances de Rob-Roy, les excuses qu'il lui faisait de ne pouvoir mieux le recevoir, et les questions qu'il lui adressait sur l'état de sa santé.

— Elle est bonne, cousin, dit le magistrat, passablement bonne; je vous remercie. Quant à la manière dont on est ici, c'est tout simple: on ne peut apporter sur son dos dans vos montagnes sa maison de Salt-Market, comme un limaçon porte sa coquille. Au surplus je suis charmé que vous ayez échappé à vos ennemis.

— Eh bien! eh bien! qu'avez-vous donc qui vous tourmente? Tout ce qui finit bien est bien. Le monde durera autant que nous. Allons, prenez un verre d'eau-de-vie, c'est ce que votre père le diacre n'a jamais refusé.

— Cela peut être, Rob, surtout quand il était fatigué, et Dieu sait que j'ai eu aujourd'hui des fatigues de plus d'une espèce! Mais, ajouta-t-il en remplissant une tasse de bois qui pouvait contenir trois verres, le diacre était toujours très sobre dans la boisson, et je tâche de l'imiter. À votre santé, Rob, à celle de ma cousine Hélène et de vos deux enfants, dont je me réserve de vous parler ci-après. À votre bonheur à tous en ce monde et en l'autre.

En achevant ces mots il vida sa coupe d'un air grave et délibéré, tandis que Mac-Gregor jetait sur moi un coup d'oeil à la dérobée en souriant, comme pour me faire remarquer l'air d'autorité magistrale du bailli, qui semblait vouloir l'exercer sur Mac- Gregor à la tête de son clan armé comme lorsqu'il était à sa merci dans la prison de Glascow. Il me parut que Rob-Roy voulait me donner à entendre que, s'il souffrait le ton que prenait M. Jarvie, c'était par égard pour les droits de l'hospitalité, et surtout pour s'en faire un amusement.

Ce ne fut qu'en remettant sa tasse sur la table que le bon négociant me reconnut. Il me témoigna le plaisir qu'il avait de me voir, me serra la main avec amitié, mais ne me fit aucune question sur mon voyage.

— Nous causerons plus tard de vos affaires, me dit-il; je dois, comme de raison, commencer par celles du cousin. Je présume, Rob, ajouta-t-il, en promenant ses regards sur un assez grand nombre de montagnards qui étaient entrés avec nous, je présume qu'il ne se trouve ici personne capable d'aller reporter au conseil de la ville, à votre préjudice et au mien, rien de ce que j'ai à vous dire.

— Soyez bien tranquille, cousin Nicol. La moitié de ceux qui sont ici n'entendront rien à ce que vous me direz, et les autres ne s'en soucient guère. D'ailleurs tous savent que je couperais la langue à quiconque oserait répéter une seule parole prononcée en ma présence.

— Eh bien! cousin, les choses étant ainsi, et M. Osbaldistone ici présent étant un jeune homme prudent et un ami sûr, je vous dirai franchement que vous élevez votre famille dans une mauvaise route. — Alors, cherchant à rendre sa voix plus claire par un _hem! _préalable, il continua en s'adressant à son parent, et, comme Malvolio[135] se proposait de le faire au jour de sa grandeur, il fit succéder à son sourire familier un air sévère et important. — Vous savez que vous pesez peu de chose aux yeux de la loi; et pour ma cousine Hélène, indépendamment de l'accueil que j'en ai reçu en ce bienheureux jour, et qui était à l'amitié comme un vent du nord à la chaleur, ce que j'excuse à cause de la perturbation d'esprit qu'elle éprouvait en ce moment, j'ai à vous dire, mettant à part ce sujet personnel de plainte, j'ai à vous dire de votre femme que…

— Cousin, dit Mac-Gregor d'un ton grave et ferme, songez à ne m'adresser sur ma femme que des choses qu'un ami puisse dire et qu'un mari puisse entendre. Quant à ce qui me concerne, parlez tout comme il vous plaira.

— Fort bien, fort bien! dit M. Jarvie un peu déconcerté; laissons ce chapitre de côté. D'ailleurs, je n'aime pas à semer la zizanie dans les familles. J'en viens donc à vos deux fils, Rob et Hamish, ce qui signifie James, à ce que j'ai pu entendre. Je vous dirai en passant que j'espère que vous lui donnerez à l'avenir ce dernier nom, car on ne connaît rien de bon des Hamish, des Eachine et des Angus, si ce n'est que ce sont des noms qu'on retrouve dans toutes les assises de l'Écosse pour des vols de troupeaux et autres délits de même nature. Mais, pour en revenir à vos deux garçons, ils n'ont pas reçu les premiers principes d'une éducation libérale. Ils ne connaissent pas même la table de multiplication, qui est le fondement de toutes les sciences utiles. Ils n'ont fait que rire et se moquer de moi quand je leur ai dit ma façon de penser sur leur ignorance. Je crois vraiment qu'ils ne savent ni lire ni écrire, quoiqu'il soit bien pénible d'avoir à penser ainsi de parents chrétiens.

— S'ils avaient de la science, cousin, dit Mac-Gregor de l'air le plus indifférent, il faudrait qu'elle fût venue les chercher elle- même. Qui diable voulez-vous qui leur en donne? Faut-il que j'affiche sur la porte du collège de Glascow: _On désire un précepteur pour les enfants de _ROB-ROY?

— Non, cousin, mais vous auriez pu mettre ces enfants dans un endroit où ils auraient appris la crainte de Dieu et les usages des hommes civilisés. Ils sont aussi ignorants que les boeufs que vous conduisiez autrefois au marché, ou que les rustres anglais auxquels vous les vendiez, et jamais ils ne pourront faire rien qui vaille.

— Ho! ho! Hamish est en état d'abattre une perdrix au vol d'un coup de fusil chargé d'une seule balle, et Rob perce de son poignard une planche de deux pouces d'épaisseur.

— Tant pis, cousin, tant pis! dit le banquier de Glascow d'un ton tranchant. S'ils ne savent que cela, il vaudrait mieux qu'il ne sussent rien. Dites-moi, Rob, n'êtes-vous pas en état d'en faire tout autant? Eh bien, qu'est-ce que ces beaux talents vous ont valu? N'étiez-vous pas plus heureux quand vous chassiez devant vous votre bétail, faisant un négoce honnête, qu'à présent que vous êtes à la tête de cinq cents enragés montagnards?

Je remarquai que Mac-Gregor, pendant que son parent, animé sans doute par de bonnes intentions, lui adressait cette remontrance, se contraignait péniblement comme un homme qui souffre une vive douleur, mais qui est déterminé à ne pas laisser échapper une plainte. Je désirais trouver une occasion d'interrompre un discours qui, quoique raisonnable en lui-même, me paraissait peu convenable aux circonstances, mais la conversation se termina sans que j'eusse besoin d'y intervenir.

— J'ai donc pensé, Rob, continua M. Jarvie, que votre nom est peut-être écrit en lettres trop noires sur le livre de la justice pour qu'on puisse l'en effacer, et que d'ailleurs vous êtes maintenant trop âgé pour changer de vie, mais que ce serait une pitié que de souffrir que deux garçons de belle espérance comme les vôtres continuassent à faire le même métier que leur père; et je me chargerais volontiers de les prendre pour apprentis au métier de tisserand, comme mon digne père feu le diacre a commencé, comme j'ai commencé moi-même, quoique, Dieu merci, je ne fasse plus maintenant que le commerce en gros, et… et…

Le bailli vit s'amasser sur le front de Rob un nuage qui le détermina à ajouter sur-le-champ, comme palliatif d'une proposition qui semblait lui déplaire, une offre qu'il réservait pour couronner sa générosité, si son projet avait été accueilli.

— Mais pourquoi cet air sombre, Rob? Je ferai tous les frais de l'apprentissage, et… et jamais je ne vous parlerai des mille livres en question.

— _Ceade millia diaoul! _cent mille diables! s'écria Rob-Roy en frappant la table d'un grand coup de poing qui nous fit tressaillir: mes enfants devenir des tisserands! _millia molligheart! _mille morts! j'aimerais mieux voir tous les métiers, tout le fil, tout le coton, toutes les navettes de Glascow au milieu du feu des enfers!

Tandis qu'il se promenait à grands pas dans la salle, je parvins, non sans quelque peine, à faire comprendre au bailli, qui préparait une réponse, qu'il ne convenait pas de presser davantage notre hôte sur un sujet qui lui était évidemment désagréable; et au bout d'une minute Mac-Gregor reprit ou du moins eut l'air de reprendre sa sérénité.

— Au surplus, Nicol, vos intentions sont bonnes; elles sont bonnes. Ainsi, donnez-moi la main. Si jamais je mets mes enfants en apprentissage, je vous donnerai la préférence. Mais, comme vous le dites, nous avons à régler l'affaire des mille livres. Holà, Eachine Mac-Analeister, apportez-moi ma bourse.

Un montagnard grand et vigoureux, qui semblait exercer les fonctions de premier lieutenant de Mac-Gregor, lui présenta une espèce de grand sac de peau de loutre marine garni d'ornements en argent, semblable à ceux que portent les principaux chefs des montagnards quand ils sont en grand costume.

— Je ne conseille à personne d'essayer d'ouvrir cette bourse sans en avoir le secret, dit Rob-Roy: poussant alors et tirant tour à tour quelques boutons et quelques clous, la bourse, dont l'ouverture était garnie d'argent massif, s'ouvrit d'elle-même, et offrit un libre passage à la main. Il me fit remarquer, sans doute pour couper court à la conversation de M. Jarvie, qu'un petit pistolet d'acier était caché dans le travail intérieur de la bourse, et que des ressorts artistement disposés ne pouvaient manquer d'en faire jouer la détente si l'on parvenait à l'ouvrir par tout autre moyen que celui que venait d'employer le propriétaire: de manière que la curiosité, l'indiscrétion ou la friponnerie ne pouvaient manquer de subir à l'instant leur punition.

— Voilà, me dit-il en touchant le pistolet, le trésorier de ma caisse privée. La simplicité de cette invention, destinée à défendre une bourse qui pouvait facilement être ouverte sans qu'on touchât le ressort, me rappela ce passage de _l'Odyssée _où Ulysse, dans un siècle encore plus grossier, se contente de protéger son trésor par les noeuds compliqués des cordes dont il entoure la cassette où il l'a déposé.

Le bailli mit ses lunettes pour examiner le mécanisme, et quand il eut fini, il le rendit en soupirant et en souriant à la fois.

— Ah! Rob, dit-il à son cousin, si la bourse des autres avait été aussi bien gardée, je doute que celle-ci fût aussi bien garnie qu'elle l'est à en juger par le poids.

— Ne vous inquiétez pas, cousin, répondit Rob-Roy en riant; elle s'ouvrira toujours pour aider un ami dans le besoin et pour payer une dette légitime. Voici, ajouta-t-il en tirant un rouleau de pièces d'or, voici vos mille livres. Vérifiez-les, et voyez si vous avez votre compte.

M. Jarvie prit le rouleau en silence, le pesa un instant dans sa main, et, le plaçant sur la table: — Je ne puis prendre cela, Rob, dit-il, je ne le puis, cela ne me porterait pas bonheur. J'ai trop bien vu aujourd'hui comment l'argent vous arrive. Bien mal acquis ne prospère jamais. Non, Rob, je n'y toucherai pas. Il y a des taches de sang sur ces pièces d'or.

— Bah! dit Rob-Roy d'un air d'indifférence qui n'était peut-être qu'affecté. Regardez-y. C'est de l'or de France, de l'or qui n'est jamais entré dans une autre poche écossaise que la mienne. Ce sont des louis d'or, aussi neufs, aussi brillants que le jour où ils ont été frappés.

— Cela n'en est que pire, Rob, cela n'en est que pire, dit le bailli en détournant les yeux du rouleau, tandis que semblable à César aux Lupercales, les doigts lui démangeaient de l'envie d'y toucher. La rébellion est pire que le vol et la sorcellerie; c'est une loi de l'Évangile.

— Laissez vos lois de côté, répondit le chef des montagnes; cet or ne vous arrive-t-il pas d'une manière honnête? Ne vous est-il pas légitimement dû? S'il sort de la poche d'un roi, vous pouvez le faire entrer, si bon vous semble, dans celle de l'autre; ce sera un renfort contre ses ennemis. Ce pauvre roi Jacques! il ne manque ni de coeur ni d'amis, Dieu le sait; mais je crois bien qu'il manque un peu d'argent.

— Il ne faut donc pas qu'il compte beaucoup sur les montagnards, Rob, dit M. Jarvie en mettant ses lunettes sur son nez; et défaisant le rouleau, il se mit à faire le compte des pièces qu'il contenait.

— Ni sur les habitants des Basses-Terres, dit Mac-Gregor en fronçant le sourcil; et jetant les yeux sur moi, il me fit signe de regarder le bailli, qui, par suite d'une ancienne habitude et sans songer au ridicule qu'il se donnait en ce moment, examinait scrupuleusement chaque pièce l'une après l'autre; il compta deux fois la somme, et trouvant qu'elle était égale à ce qui lui était dû en principal et intérêts, il remit à Rob-Roy trois pièces, pour acheter, lui dit-il, une robe à sa cousine, et deux autres pour ses enfants, qui en feraient ce qu'ils voudraient. — Pourvu, ajouta-t-il, qu'ils ne les emploient point à acheter de la poudre à fusil.

Le montagnard ouvrit de grands yeux à cette générosité inattendue; mais il accepta poliment son présent et fit rentrer les cinq pièces dans la place de sûreté d'où elles venaient de sortir.

Le bailli prit alors la reconnaissance qu'il avait de cette somme, et tirant de sa poche une petite écritoire dont il s'était muni à tout hasard, il écrivit la quittance au dos, me pria de la signer comme témoin, et dit à Rob-Roy d'en appeler un autre, les lois d'Écosse en exigeant deux pour la validité d'une quittance.

— Oui-dà! dit Mac-Gregor. Mais vous ne savez donc pas qu'excepté nous trois vous ne trouveriez peut-être pas à trois milles à la ronde un homme qui sache écrire? Mais soyez tranquille, j'arrangerai bien l'affaire sans cela.

En même temps prenant le papier il le jeta au milieu du feu.
M. Jarvie ouvrit de grands yeux à son tour.

— C'est ainsi que nous réglons les comptes dans les montagnes, dit Mac-Gregor. Ne voyez-vous donc pas, cousin, que si je gardais des pièces semblables, il pourrait venir un moment où il serait possible que mes amis fussent inquiétés pour m'avoir obligé?

Le bailli n'essaya pas de résister à cet argument, et l'on nous servit un souper où il régnait une abondance et même une recherche que nous ne pouvions guère espérer dans cet endroit. La plupart des provisions étaient froides, ce qui semblait prouver qu'elles avaient été préparées à quelque distance. Plusieurs bouteilles d'excellent vin de France accompagnaient les pâtés de venaison et d'autres mets fort bien apprêtés. Mac-Gregor faisait parfaitement les honneurs de sa table et nous pria de l'excuser si quelques-uns des plats qui paraissaient sur la table avaient été entamés avant de nous avoir été servis. — Il faut que vous sachiez, dit-il à M. Jarvie sans me regarder, que vous n'êtes pas les seuls hôtes que j'ai eu à recevoir ce soir, et vous n'en douterez pas, car sans cette raison ma femme et mes enfants seraient à présent ici par honneur pour vous, comme c'est leur devoir.

M. Jarvie ne parut pas trop fâché que quelque circonstance les eût empêchés de remplir ce devoir, et j'aurais été certainement du même avis si les excuses que Rob-Roy venait de faire ne m'avaient fait penser que les hôtes dont il parlait étaient Diana et son compagnon de voyage, que mon imagination me représentait toujours comme son époux.

Tandis que ces idées désagréables faisaient disparaître l'appétit qu'avaient excité mes courses, une excellente chère et un bon accueil, je remarquai que Rob-Roy avait poussé l'attention jusqu'à nous faire préparer de meilleurs lits que ceux que nous avions eus la nuit précédente. On avait rempli de bruyère fraîche, alors en pleine fleur, les deux mauvais grabats qui étaient le long des murs, et qui offraient ainsi un matelas doux et parfumé; on les avait couverts de draps grossiers mais bien blancs, et des meilleures couvertures qu'on avait pu trouver. M. Jarvie paraissant épuisé de fatigue, je lui dis que je remettrais au lendemain tout ce que j'avais à lui dire; et dès qu'il eut fini de souper, il ne se fit pas prier pour se mettre au lit.

Quoique je fusse moi-même très fatigué, je ne me sentais aucune disposition à dormir. J'étais agité par une espèce de fièvre d'inquiétude, et je restai à table avec Rob-Roy.

Chapitre XXXV.

Je ne la verrai plus; que fais-je sur la terre?
Pourquoi rester en proie à des soins superflus?
Heureusement bientôt doit finir ma misère:
Je dois mourir; je ne la verrai plus.

MISS JOANNA BAILLIE, Basile.

— Je ne sais que faire de vous, M. Osbaldistone, me dit Mac- Gregor en me passant la bouteille: vous ne mangez pas, vous ne paraissez pas avoir envie de dormir, et vous ne buvez point, quoique ce vin de Bordeaux vaille le meilleur qui soit jamais sorti de la cave de sir Hildebrand. Si vous aviez toujours été aussi sobre, vous auriez peut-être évité la haine mortelle de votre cousin Rashleigh.

— Si j'avais toujours été prudent, lui répondis-je en rougissant au souvenir de la scène qu'il me rappelait, j'aurais évité un plus grand malheur encore, les reproches de ma conscience.

Mac-Gregor jeta sur moi un regard fier et pénétrant, comme pour voir si le reproche que je m'adressais ne lui était pas destiné. Il reconnut que je ne pensais qu'à moi en ce moment, et il tourna sa chaise du côté du feu en poussant un profond soupir.

J'en fis autant, et nous restâmes tous deux quelques minutes dans une profonde rêverie. Il rompit le silence le premier, du ton d'un homme qui a pris la résolution d'entamer un sujet d'entretien qui lui est pénible. — Mon cousin Nicol a de bonnes intentions, me dit-il; mais il ne réfléchit pas assez sur le caractère et la situation d'un homme comme moi, considérant ce que j'ai été, ce qu'on m'a forcé de devenir, et par-dessus tout les causes qui m'ont fait ce que je suis.

Il s'arrêta, et quoique je sentisse que la conversation qui paraissait devoir s'engager était d'une nature délicate, je ne pus m'empêcher de lui répondre que je ne pouvais douter que sa situation actuelle ne dût souvent lui déplaire souverainement, que je serais heureux d'apprendre qu'il lui restât quelque chance honorable pour en sortir.

— Vous parlez comme un enfant, répliqua Mac-Gregor d'un ton de voix sourd qui ressemblait au roulement d'un tonnerre éloigné; vous parlez comme un enfant qui croit que le vieux chêne peut se plier aussi facilement qu'un jeune arbrisseau. Puis-je oublier qu'on m'a frappé de proscription, qu'on a mis ma tête à prix comme celle d'un loup, qu'on a traité ma famille en mon absence comme la femelle et les petits d'un renard des montagnes, que chacun peut tourmenter, avilir, dégrader, insulter; que ce nom glorieux de Mac-Gregor, que j'avais reçu d'une longue suite d'ancêtres guerriers, il m'a été défendu à moi et à mon clan de le porter, comme si c'eût été un talisman pour conjurer les malins esprits?

Tandis qu'il parlait ainsi, il me fut aisé de voir qu'il ne faisait l'énumération de ses griefs que pour se monter l'imagination, enflammer sa colère, et justifier à ses yeux le genre de vie dans lequel il avait été entraîné. Il y réussit parfaitement. Ses yeux gris contractant et dilatant alternativement leurs prunelles semblaient lancer des torrents de flammes. Il ferma le poing, grinça des dents, porta la main sur la poignée de sa claymore, et se leva brusquement.

— Et l'on verra, s'écria-t-il d'une voix à demi étouffée par la violence de ses passions, on verra que ce nom qu'on a osé proscrire, le nom de Mac-Gregor, est en effet un talisman pour conjurer les enfers. Ceux qui sourient aujourd'hui au récit des injures qui m'ont été faites frémiront de ma vengeance. Le misérable marchand de boeufs montagnard, banqueroutier, marchant pieds nus, dépouillé de tout, déshonoré, poursuivi comme une bête féroce, fondra sur eux dans un moment terrible, comme le faucon sur sa proie. Ceux qui ont méprisé le ver de terre et qui l'ont foulé aux pieds pousseront des hurlements de désespoir quand ils le verront changé en serpent monstrueux aux yeux étincelants. Mais à quoi bon parler de tout cela? ajouta-t-il en se rasseyant et en prenant un ton plus calme. Vous devez bien penser que la patience d'un homme est à bout quand il se voit chasser comme un loup, un ours ou un sanglier, et cela par des amis et des voisins qui courent sur lui le sabre d'une main et le pistolet de l'autre, comme vous l'avez vu aujourd'hui au gué d'Avondow: la patience d'un saint n'y tiendrait pas, à plus forte raison celle d'un Highlander; car vous pouvez savoir, M. Osbaldistone, que nous ne passons pas pour posséder à un bien haut degré ce beau présent du ciel. Et cependant il y a du vrai dans ce que Nicol me disait. J'ai du chagrin pour mes enfants. Je ne puis penser sans regret que Rob et Hamish mèneront la même vie que leur père. — Et le sort de ses enfants le plongeant dans une affliction que le sien ne lui faisait pas éprouver, il mit les coudes sur la table et appuya sa tête sur ses deux mains.

Je ne puis vous dire, Tresham, combien je me sentis attendri en ce moment. Les chagrins auxquels une âme fière, noble et vigoureuse, est forcée de s'abandonner, m'ont toujours plus profondément ému que ceux des esprits plus faibles. Mais je n'en avais jamais été témoin; et combien n'est-il pas différent d'en lire le récit, ou d'en avoir le tableau sous les yeux! J'éprouvai le plus vif désir de consoler Mac-Gregor, quoique je prévisse que cette tâche serait difficile, et peut-être même impossible.

— Nous avons des liaisons étendues sur le continent, lui dis-je; vos fils ne pourraient-ils pas, avec quelque assistance, et ils ont droit à celle de la maison de mon père, trouver une ressource honorable en prenant du service chez l'étranger?

Je crois que mes traits annonçaient la sincère émotion que j'éprouvais, car mon compagnon parut s'en apercevoir. — Je vous remercie, me dit-il en me serrant fortement la main; je n'aurais pas cru que l'oeil d'un homme aurait vu la paupière de Mac-Gregor se mouiller d'une larme. Et en parlant ainsi il essuyait du dos de sa main celles qui s'échappaient malgré lui à travers les cils épais de ses paupières. Demain matin, continua-t-il, nous en parlerons, et nous causerons aussi de vos affaires; car nous nous levons de bonne heure dans nos montagnes, même quand par hasard nous trouvons un bon lit. Boirez-vous avec moi le coup des grâces?

Je le priai de m'en dispenser.

— Eh bien! par l'âme de saint Maronoch, je le boirai pour nous deux. Et se versant au moins une demi-pinte de vin, il l'avala tout d'un trait.

Je me jetai sur le lit qui m'était destiné, résolu de remettre les questions que je me proposais de lui faire à un moment où son esprit serait plus tranquille. Cet homme extraordinaire s'était si bien emparé de mon imagination qu'après m'être couché il me fut impossible de ne pas suivre tous ses mouvements pendant quelques minutes. Il parcourait toute la chambre à pas lents, faisait de temps en temps le signe de la croix, prononçait à voix basse, en latin, quelques prières de l'Église catholique. Enfin, s'enveloppant de son plaid, il se jeta sur un lit, plaça d'un côté sa claymore nue, de l'autre ses pistolets armés, et se disposa à goûter quelque repos, de manière qu'au moindre bruit il pouvait mettre la main sur ses armes. Au bout de quelques minutes, je le vis dormir profondément. Accablé de fatigue, et cherchant à bannir le souvenir de toutes les scènes dont j'avais été le témoin pendant cette journée mémorable, je ne tardai pas à m'abandonner aussi au sommeil; et, quoique j'eusse plus d'un motif pour m'éveiller de bonne heure, il était assez tard lorsque j'ouvris les yeux le lendemain. Mac-Gregor était déjà parti. J'éveillai M. Jarvie, qui, après avoir bâillé, s'être frotté les yeux et s'être plaint d'avoir encore les os brisés par suite de la fatigue qu'il avait éprouvée la veille, se trouva enfin en état d'entendre l'heureuse nouvelle que les billets enlevés à mon père m'avaient été remis. Il me la fit répéter deux fois pour être certain de m'avoir bien entendu; et, oubliant aussitôt toutes ses souffrances, il s'assit près de la table et s'empressa de comparer les effets qui m'avaient été rendus avec la note que M. Owen lui avait remise.

— Fort bien, fort bien! dit-il en faisant sa vérification. Mais voyons, voyons! Baillie et Wittington, 700 livres 6 shillings 8 pence. Parfaitement exact. Hum! hum! hum! Grub et Grinder, 800 livres. C'est de l'or en barres. Pollock et Peelman, 500 livres 10 shillings. C'est cela même.

Sliperytongue… Ah! ah! il est en faillite, mais c'est une bagatelle. Il manque bien quelques billets qui étaient aussi pour de petites sommes. Allons, allons, Dieu soit loué! Voilà notre affaire finie, bien finie, et rien n'empêche que nous ne fassions nos adieux à ce maudit pays. Quant à moi, jamais je ne songerai au loch Ard sans trembler.

Mac-Gregor entrait en ce moment. — Je suis fâché, cousin, de ne pouvoir vous recevoir aussi bien que je l'aurais désiré. Si cependant vous êtes assez bon pour venir visiter ma pauvre demeure…

— Bien obligé, cousin, s'écria précipitamment M. Jarvie, bien obligé! Mais il faut que nous partions, que nous partions sur-le- champ. M. Osbaldistone et moi nous avons des affaires qui ne peuvent se différer.

— Eh bien! cousin, vous connaissez notre maxime: recevez bien l'hôte qui vous arrive, ouvrez la porte à celui qui veut partir. Mais vous ne pouvez vous en aller par Drymen. Je vous ferai conduire par le lac jusqu'au bac de O'Balloch, et j'aurai soin que vous y trouviez vos chevaux, et c'est une maxime du sage, qu'il ne faut jamais retourner par la même route quand il y en a une autre de libre.

— Oui, oui! c'était une de vos maximes. Quand vous emmeniez des bestiaux, vous aviez pour principe de ne jamais retourner par la même route que vous aviez suivie en venant, et Dieu sait pourquoi. Vous n'aviez pas grande envie de revoir les fermiers dont votre bétail avait mangé les foins chemin faisant. Et j'ai bien peur qu'à présent, Rob, votre route ne soit encore plus mal marquée.

— Raison de plus pour n'y pas repasser trop souvent. Ainsi donc vous trouverez vos chevaux à O'Balloch. Ils seront conduits par Dougal, qui entre pour cela au service du bailli, et qui n'est plus un montagnard, un homme du pays de Rob-Roy. C'est un habitant paisible du comté de Stirling. Et tenez, le voici.

— Jamais je n'aurais reconnu la créature, s'écria M. Jarvie. Et de fait il aurait été difficile de reconnaître le sauvage Highlander en le voyant couvert du chapeau, des bas et de la redingote qui naguère avaient appartenu à André Fairservice. Il était monté sur le cheval du bailli, et conduisait le mien par la bride. Il reçut de son maître ses dernières instructions pour éviter quelques endroits où il aurait pu être suspect, pour prendre diverses informations dans le cours de son voyage, et enfin pour nous attendre au lieu indiqué, près du bac de Balloch.

Mac-Gregor voulut nous accompagner, et comme nous devions faire quelques milles avant de déjeuner, il nous recommanda un verre d'eau-de-vie comme un excellent préparatif de voyage, et sur ce point M. Jarvie se trouva parfaitement d'accord avec lui.

— Mon père le diacre, dit-il, m'a toujours dit que c'était une mauvaise habitude, une habitude pernicieuse, de boire dès le matin des liqueurs spiritueuses, si ce n'est quand on a un voyage à faire, afin de fortifier l'estomac, qui est une partie délicate, et de le garantir contre l'effet du brouillard; et en pareils cas je l'ai vu toujours joindre l'exemple au précepte.

— Il avait raison, cousin, dit Rob-Roy; et c'est pour cela que nous autres qui sommes les Enfants du Brouillard[136], nous avons le droit d'en boire tout le long de la journée.

Le bailli, ayant pris cette précaution salutaire, monta sur un poney montagnard qu'on lui avait amené. On m'en offrit un pareillement, mais je préférai marcher à pied avec notre escorte; elle se composait de Mac-Gregor et de six jeunes montagnards d'une taille athlétique, dispos, vigoureux et bien armés, qui étaient en quelque sorte ses gardes du corps ordinaires.

Lorsque nous approchâmes du défilé dans lequel le combat avait eu lieu, et qui avait été témoin d'une action plus horrible encore, Mac-Gregor se hâta de prendre la parole, comme pour répondre, non à ce que je lui disais, puisque je gardais le silence, mais aux réflexions auxquelles il jugeait avec raison que je me livrais.

— Vous devez nous juger un peu sévèrement, M. Osbaldistone; il n'est pas naturel de penser que cela puisse être autrement. Mais vous ne devez pas oublier que nous avons été provoqués. Nous sommes un peuple ignorant et grossier, peut-être violent et impétueux; mais nous ne sommes pas cruels. Nous vivrions en paix et soumis aux lois si l'on ne nous eût privés de la paix et de la protection des lois. Nous avons été un peuple persécuté…

— Et la persécution, dit le bailli, rend fous les hommes les plus sages.

— Que fallait-il donc que fissent des hommes comme nous, vivant comme vivaient nos pères il y a mille ans, et n'étant guère plus éclairés qu'ils ne l'étaient? Les édits sanguinaires rendus contre nous, la défense qu'on nous a faite de porter un nom ancien et honorable, les échafauds qu'on a dressés pour nous, la manière dont on nous chasse comme des bêtes féroces: tout cela n'appelait- il pas des représailles? Tel que vous me voyez, j'ai assisté à vingt combats comme celui dont vous avez été témoin hier, mais jamais je n'ai ordonné la mort de personne de sang-froid; et cependant on me pendrait volontiers comme un chien enragé, à la porte du premier seigneur qui voudrait parer son château de ce trophée.

Je répondis que la proscription de son nom et de sa famille était, dans mes idées anglaises, une mesure tyrannique et arbitraire; et voyant que ces paroles lui faisaient plaisir, je lui réitérai ma proposition de chercher à obtenir du service pour lui et pour ses fils en pays étranger; il me serra cordialement la main, et, ralentissant un peu le pas pour que M. Jarvie nous précédât, manoeuvre d'autant plus facile que le sentier se rétrécissait en cet endroit, il me dit:

— Vous êtes un bon et honorable jeune homme; vous comprenez certainement ce qui est dû aux sentiments d'un homme d'honneur; mais les bruyères que mes pas ont foulées pendant ma vie doivent me couvrir après ma mort. Tout mon courage m'abandonnerait, mon bras se flétrirait comme la fougère pendant la gelée si je perdais de vue les montagnes qui m'ont vu naître. Le monde entier n'offre rien qui puisse me dédommager de la perte des cairns[137] et des rochers, tout sauvages qu'il sont, que vous voyez autour de nous. Et Hélène, que deviendrait-elle? Resterait-elle ici pour être exposée à de nouveaux outrages, à de nouvelles atrocités? Pourrait-elle consentir à s'éloigner d'une scène où le souvenir des insultes qu'elle a reçues est adouci par la vengeance qu'elle en a tirée, qu'elle en tirera encore? J'ai été une fois tellement serré de près par le duc, par mon grand ennemi, comme je puis bien l'appeler, que je fus obligé de céder à l'orage; j'abandonnai ma demeure du pays natal, avec ma race et ma famille, afin de nous réfugier pour un temps dans le pays de Mac-Callum-More. — Hélène fit sur notre départ un chant de lamentation que Mac-Rimmon[138] lui-même n'aurait pu mieux faire. Ce chant était si piteux et si touchant que nos coeurs étaient brisés en le lui entendant chanter; c'était comme les gémissements d'un fils qui pleure la mère qui l'a porté dans son sein! Les larmes coulaient sur les traits endurcis de nos Highlanders. Non, je ne voudrais pas être témoin d'une pareille scène, pour toutes les terres que les Mac- Gregor ont autrefois possédées[139].

— Mais vos fils, lui dis-je, ils sont encore dans un âge où vos compatriotes eux-mêmes n'ont pas de répugnance à parcourir le monde.

— Aussi serais-je charmé qu'ils tâchassent de faire leur chemin au service de France ou d'Espagne, comme le font tant de bons gentilshommes écossais. Hier soir votre plan me semblait praticable mais j'ai vu ce matin Son Excellence avant que vous fussiez levé, et je ne puis plus y penser à présent.

— Il est donc logé bien près de nous? m'écriai-je vivement.

— Plus près que vous ne le pensez; mais il ne paraissait pas se soucier que vous vissiez la jeune dame, et c'est pour cela que…

— Il n'avait pas besoin d'être inquiet, dis-je avec quelque hauteur: je ne cherche point à voir les gens malgré eux.

— Il ne faut pas vous piquer ainsi, ni prendre l'air d'un chat sauvage dans un vieux if; car vous devez savoir qu'il vous veut du bien, et il vous en a donné des preuves: c'est même ce qui a mis le feu aux bruyères.

— Le feu aux bruyères? Je ne vous comprends pas.

— Quoi! ne savez-vous pas que tout ce qui arrive de mal en ce monde est causé par les femmes et par l'argent? Je me suis toujours méfié de Rashleigh, depuis qu'il a vu qu'il ne pourrait jamais avoir miss Vernon pour femme, et je crois que c'est pour cela qu'il a eu sa première querelle avec Son Excellence. Mais ensuite vint l'affaire de vos papiers; et, dès qu'il se fut trouvé obligé de les rendre, nous avons maintenant la preuve qu'il se rendit en poste à Stirling, et qu'il déclara au gouvernement tout ce qui se passait à petit bruit dans nos montagnes, et même encore plus; c'est ce qui fit qu'on prit sur-le-champ des mesures pour arrêter Son Excellence et la jeune dame, et pour me faire aussi prisonnier; et je ne doute pas que ce soit Rashleigh qui ait déterminé le pauvre diable de Morris, à qui il pouvait faire croire tout ce qu'il voulait, à entrer dans le complot pour m'attirer dans le piège. Mais, quand Rashleigh Osbaldistone serait le dernier et le plus brave de sa race, si jamais nous nous rencontrons, je veux que le diable me combatte lui-même l'épée à la main si mon dirk ne fait connaissance avec le coeur du traître!

Il prononça cette menace en fronçant le sourcil d'un air sinistre et en portant la main sur son poignard.

— Je serais tenté de me réjouir de tout ce qui s'est passé, lui dis-je, si je pouvais espérer que la trahison de Rashleigh fût un moyen d'empêcher l'explosion qu'on croit devoir bientôt éclater, et pût mettre un terme aux intrigues politiques dans lesquelles je ne vous cacherai pas que je vous soupçonne de jouer un des premiers rôles.

— Ne croyez pas cela. La langue d'un traître ne peut nuire à la bonne cause. Il est vrai qu'il connaissait nos secrets, et sans cela les châteaux de Stirling et d'Édimbourg seraient déjà en notre pouvoir. Mais notre entreprise est trop juste, et trop de gens y prennent part pour qu'une trahison puisse la faire avorter, et vous en verrez la suite avant qu'il soit longtemps. Maintenant j'en reviens à vos offres obligeantes pour mes enfants. Je vous en remercie beaucoup; et, comme je vous le disais, j'avais hier soir quelque envie de les accepter. Mais je vois que la perfidie de Rashleigh va obliger tous nos seigneurs à se déclarer sur-le- champ, à moins qu'ils ne veuillent se laisser prendre dans leurs châteaux, enchaîner comme des chiens, et traîner à Londres pour y être justiciés, comme cela est arrivé à tant d'honnêtes nobles et gentilshommes en 1701. La guerre civile est comme le basilic. Nous avions couvé pendant dix ans l'oeuf qui la contient; nous pouvions le couver encore aussi longtemps; mais Rashleigh est venu casser la coquille, et a ainsi accéléré la naissance du serpent. Or, dans une telle crise, j'ai besoin de tout mon monde; sans manquer aux rois de France et d'Espagne, auxquels je souhaite toute sorte de bonheur, je crois que le roi Jacques les vaut bien, et qu'il a des droits aux services de Rob et d'Hamish, puisqu'ils sont nés ses sujets.

Il ne me fut pas difficile de prévoir que ces mots annonçaient une convulsion nationale générale et prochaine; et, comme il aurait été inutile et peut-être dangereux de combattre les opinions politiques de mon guide, dans le lieu et les circonstances où je me trouvais, je me contentai de quelques observations générales sur les malheurs qui seraient la suite de tout ce qu'on pourrait tenter en faveur de la famille royale exilée.

— Eh bien! eh bien! répliqua Mac-Gregor, c'est un moment à passer. Le ciel n'est jamais si beau qu'après un orage: si le monde est tourné sens dessus dessous, les honnêtes gens ont pour eux la chance de n'être plus réduits à mourir de faim.

J'essayai de ramener la conversation sur Diana; mais, quoiqu'il parlât sur d'autres sujets souvent avec plus de liberté que je ne l'aurais désiré, Mac-Gregor gardait toujours une sorte de réserve sur celui que j'avais le plus à coeur d'approfondir. Tout ce qu'il voulut bien me dire fut qu'il espérait que la jeune dame se trouverait bientôt dans un pays plus tranquille que ne le serait probablement le nôtre pendant un certain temps. Je me trouvai obligé de me contenter de cette réponse, sauf à espérer que quelque hasard heureux pourrait encore me favoriser, et me procurer au moins la triste consolation de faire de derniers adieux à l'objet qui régnait dans mon coeur bien plus souverainement que je ne l'aurais cru avant de m'en séparer pour toujours.

Nous suivîmes les bords du lac pendant environ six milles d'Angleterre, par un étroit sentier qui en dessinait toutes les sinuosités et qui nous offrait une foule de beaux points de vue. Nous arrivâmes alors à une espèce de hameau, ou plutôt à un assemblage de chaumières près de la source de cette belle pièce d'eau appelée, si je m'en souviens, le Diard, ou quelque nom à peu près semblable. C'est là qu'une troupe de Highlanders, aux ordres de Mac-Gregor, nous attendait.

Le goût de même que l'éloquence des castes sauvages, ou incivilisées, pour parler d'une manière plus correcte, est ordinairement juste, parce qu'il est dégagé de toute affectation et de tout esprit de système. J'en eus une preuve dans le choix que ces montagnards avaient fait du local où ils se proposaient de recevoir leurs hôtes. On a dit qu'un monarque anglais devrait recevoir l'ambassadeur d'une puissance à bord d'un vaisseau de ligne; de même un chef des Highlands ne pouvait mieux consulter les convenances qu'en choisissant une situation où les traits de grandeur propres à son pays peuvent produire le plus d'effet sur l'esprit de ceux qui viennent le visiter.

Nous remontâmes à environ deux cents pas des bords du lac, en suivant un petit ruisseau, laissant sur la droite quatre à cinq chaumières entourées de petites pièces de terre labourables qui semblaient avoir été défrichées dans le taillis qui les environnait, et encore couvertes de récoltes d'orge et d'avoine. Plus loin la colline devenait plus escarpée, et nous vîmes briller sur le sommet les armes d'environ cinquante des partisans de Mac- Gregor qui y étaient stationnés, bannières déployées, et dans un si bel ordre que je n'y pense encore qu'avec admiration. Le ruisseau qui descendait de la montagne rencontrait en cet endroit une barrière de rochers, opposant à sa course des obstacles qu'il franchissait en formant deux cataractes distinctes.

La première ne tombait que d'environ douze pieds; un vieux chêne l'ombrageait de ses rameaux obliques, comme pour voiler ses sombres flots reçus dans une espèce de bassin de pierre presque aussi régulier que s'il eût été taillé par le ciseau du sculpteur. Les eaux, se resserrant ensuite dans un lit plus étroit, faisaient une seconde chute d'environ cinquante pieds dans une espèce de gouffre formé par des rochers nus et stériles d'où elles s'échappaient ensuite pour porter tranquillement leur tribut dans le lac.

Avec le goût naturel aux montagnards, et surtout aux Écossais, dont l'imagination est souvent poétique et romanesque, la femme de Rob-Roy avait fait préparer notre déjeuner dans un lieu bien choisi pour produire sur des étrangers une impression d'admiration respectueuse. Les Highlanders sont un peuple aussi réfléchi que fier; et, quoique nous le regardions comme grossier, il porte ses idées de cérémonie et de politesse à un point qui pourrait paraître excessif s'il n'avait toujours soin de déployer en même temps une grande supériorité de forces. C'est ainsi que le salut militaire, qui paraîtrait ridicule rendu par un paysan ordinaire, a un caractère martial et imposant quand il est offert par un Highlander complètement armé. Notre réception eut donc lieu avec assez de cérémonie.

Les Highlanders qui étaient dispersés sur le haut de la montagne formèrent leurs rangs dès qu'ils nous aperçurent, et se montrèrent à nous en colonnes serrées, à la tête desquelles se trouvaient trois personnes que je reconnus bientôt pour Hélène et ses deux fils. Mac-Gregor fit alors écarter notre escorte en arrière, et ayant engagé M. Jarvie à descendre de cheval parce que la montée devenait trop rapide, il se plaça entre nous deux, et nous continuâmes notre marche à pas lents. À mesure que nous avancions, nous distinguions le son sauvage et discord des cornemuses, auquel le bruit des cascades faisait perdre une partie de sa rudesse.

Quand nous ne fûmes plus qu'à quelques pas, Hélène Mac-Gregor vint à notre rencontre. Ses vêtements étaient plus soignés que la veille et lui donnaient un air plus féminin; mais ses traits offraient le même caractère de résolution et de fierté inflexibles. Lorsqu'elle ouvrit les bras pour y serrer M. Jarvie, qui était loin d'espérer et surtout de désirer ce tendre embrassement, je vis à l'agitation convulsive de tous les nerfs de mon ami, qu'il éprouvait la même sensation qu'un homme qui, serré entre les pattes d'un ours, ne saurait si l'animal veut le caresser ou l'étouffer.

— Cousin, lui dit-elle tandis qu'il reculait à deux pas pour rajuster sa perruque, soyez le bienvenu; et vous aussi, jeune étranger, ajouta-t-elle en se retournant vers moi; excusez la rudesse de l'accueil que vous avez reçu hier. N'en accusez pas notre coeur, mais les circonstances. Vous êtes arrivés dans notre malheureux pays dans un moment où le sang teignait nos mains et bouillonnait dans nos veines. Elle prononça ce peu de mots avec l'air et le ton qu'aurait pu prendre une princesse au milieu de sa cour. Elle ne se servait pas d'expressions vulgaires, comme on le reproche aux Écossais des Lowlands; elle avait un accent provincial assez marqué; ayant appris l'anglais comme nous apprenons les langues mortes, elle le parlait avec grâce et aisance, mais avec un ton déclamatoire, parce qu'elle ne s'en était jamais servie pour les usages journaliers de la vie. Son mari, qui dans son temps avait fait plus d'un métier, employait un dialecte moins relevé, moins emphatique; et cependant, comme vous avez pu le remarquer si j'ai pu parvenir à rendre fidèlement ses discours, ses expressions devenaient plus pures et plus recherchées et ne manquaient ni de dignité ni d'une certaine noblesse quand il parlait d'une affaire importante ou à laquelle il prenait un vif intérêt. Il me parut aussi que, comme d'autres Highlanders que j'ai connus, il se servait du dialecte écossais des Lowlands dans la conversation familière et enjouée; mais qu'en traitant des sujets graves et sérieux ses idées s'arrangeaient dans sa tête dans sa langue naturelle, et que la traduction qu'il faisait en anglais donnait à son style un caractère d'élévation presque poétique. Dans le fait, le langage de la passion a presque toujours autant de pureté que de force, et il n'est pas extraordinaire d'entendre un Écossais qui ne trouve rien à répliquer aux reproches amers et piquants d'un de ses concitoyens lui dire, comme pour s'excuser: — Vous avez eu recours à votre anglais.

Quoi qu'il en soit, l'épouse de Mac-Gregor nous invita à un déjeuner servi sur le gazon, et qui consistait en tout ce que son pays pouvait offrir de plus recherché. Mais l'air sombre et l'imperturbable gravité de notre hôtesse, et le souvenir du rôle que nous lui avions vu jouer la veille, suffisaient pour rembrunir la plus brillante atmosphère. Le chef fit de vains efforts pour inspirer la gaieté. Il semblait que nous assistions à un repas funèbre; la contrainte et la gêne y régnaient, et nous nous sentîmes soulagés d'un grand poids quand il fut terminé.

— Adieu, cousin, dit-elle à M. Jarvie quand nous nous levâmes pour partir. Le meilleur souhait qu'Hélène Mac-Gregor puisse faire pour ses amis, c'est de ne plus les revoir.

Le bailli commençait à lui balbutier une réponse qui aurait probablement contenu quelque lieu commun de morale; mais l'air grave, le regard sombre et mélancolique de celle à qui il voulait l'adresser le déconcertèrent au point qu'oubliant son importance magistrale il toussa plusieurs fois, la salua, et garda le silence.

— Quant à vous, jeune homme, me dit-elle, j'ai à vous remettre un gage de souvenir de la part d'une personne que vous…

— Hélène! s'écria Mac-Gregor en fronçant le sourcil, que veut dire ceci? Avez-vous oublié?…

— Je n'ai rien oublié de ce dont je dois me souvenir, Mac-Gregor. Ce ne sont pas des mains comme les miennes, ajouta-t-elle en étendant ses bras nus, longs et nerveux, qu'il faudrait employer pour présenter un gage d'amour, si ce gage ne devait être accompagné de misère et de désespoir. Jeune homme, continua-t-elle en me présentant une bague que je me souvins d'avoir vue au doigt de miss Vernon, ceci vous est offert par une personne que vous ne verrez plus. Si c'est un gage de malheur, il ne pouvait mieux vous parvenir que par la main d'une femme à qui tout bonheur est désormais étranger. Les derniers mots qu'elle m'adressa furent ceux-ci:

— Qu'il m'oublie pour toujours!

— Et peut-elle croire que cela soit possible? m'écriai-je presque sans savoir que je parlais.

— Tout peut s'oublier, reprit cette femme extraordinaire; tout, excepté le sentiment du déshonneur et le désir de la vengeance.

Seid suas[140]! s'écria Mac-Gregor en frappant du pied la terre avec impatience.

Le son discordant de l'instrument favori des montagnards coupa court à la conférence; nous prîmes congé de notre hôtesse en silence, et nous nous remîmes en route, tandis que je réfléchissais sur cette nouvelle preuve qui venait de m'être acquise qu'aimé de Diana, j'en étais séparé pour toujours.

Chapitre XXXVI.

Adieu, contrée où les nuages
Comme un vaste linceul s'arrêtent sur les monts;
Où l'aigle, roi des airs, mêle ses cris sauvages
À la voix du torrent qui creuse les vallons;
Adieu, belle contrée où dans un lac limpide
La lune aime à baigner son front chaste et timide.

Nous traversions une contrée pittoresque quoique aride; mais absorbé dans mes réflexions je ne pus l'admirer en détail; il me serait donc impossible de la décrire. Le sommet élevé du Ben- Lomond, le monarque de toutes ces montagnes, apparaissait à notre droite, comme une imposante limite. Je ne sortis de mon apathie que lorsque, après une marche longue et fatigante, nous sortîmes d'un défilé des montagnes, et que le lac Lomond se développa devant nous. Je ne chercherai pas à vous peindre ce que vous comprendriez difficilement sans l'avoir vu; mais certainement ce noble lac, semé de tant de charmantes îles dont l'aspect et les formes varient au-delà de tout ce que l'imagination peut se figurer; son extrémité du côté du nord, se rétrécissant jusqu'à ce qu'il se perde au loin entre de sombres montagnes, tandis que s'élargissant de plus en plus vers le sud, il se dessine dans sa plus vaste étendue autour des anses et des promontoires d'un bord fertile. Voilà ce qui forme un des spectacles les plus surprenants, les plus beaux, les plus sublimes de la nature. La rive orientale, particulièrement agreste et sauvage, était celle où le clan de Mac-Gregor faisait alors sa principale résidence. On avait placé une garnison sur un point central entre le lac Lomond et un autre lac, pour défendre le pays limitrophe contre ses incursions; mais les fortifications naturelles du pays avec ses défilés nombreux, ses cavernes, ses rochers et ses marécages, faisaient que la construction du petit fort qu'on y avait établi paraissait un aveu du danger plutôt qu'une mesure pour le prévenir.

Dans plus d'une rencontre semblable à celle dont j'avais été le témoin, la garnison avait souffert de l'esprit entreprenant de l'_outlaw _et de ses gens. Quand Mac-Gregor commandait en personne, la victoire n'était jamais souillée par des actes de férocité. La cruauté ne lui était pas naturelle, et il avait assez de sagacité pour ne pas vouloir exciter contre lui des haines inutiles. J'appris avec plaisir qu'il avait rendu la liberté au capitaine Thornton et aux autres prisonniers faits le jour précédent, et l'on rapporte de cet homme remarquable beaucoup de traits semblables de clémence et même de générosité.

Une barque nous attendait dans une crique abritée par un rocher, et nous y trouvâmes quatre vigoureux rameurs montagnards. Notre hôte prit congé de nous avec tous les signes d'une véritable affection. Il semblait exister entre M. Jarvie et lui une sorte d'attachement réciproque qui formait un contraste frappant avec la différence de leurs caractères et de leur manière de vivre. Après s'être cordialement embrassés, M. Jarvie lui dit, dans la plénitude de son coeur, et d'une voix tremblante d'émotion, que, si un millier de livres lui était jamais utile pour le mettre lui et sa famille dans une bonne voie, il n'avait qu'à écrire un mot dans Salt-Market, et que son messager ne reviendrait pas sans argent; et Rob appuyant une main sur la garde de sa claymore et serrant de l'autre celle de M. Jarvie, l'assura que si jamais son cousin souffrait une insulte et voulait l'en faire avertir, il couperait les oreilles à l'insolent, fût-ce l'homme le plus puissant de Glascow.

Après ces assurances de secours mutuels et de bonne intelligence, nous nous rendîmes à l'extrémité sud-ouest du lac, où il donne naissance à la rivière Leven. Rob-Roy resta quelque temps debout sur le rocher où nous l'avions quitté; et, même quand nous ne pouvions déjà plus distinguer ses traits, il était facile de le reconnaître au long fusil qu'il portait, à son tartan agité par le vent, et à la plume qui couronnait sa toque, emblème qui, à cette époque, désignait le gentilhomme et le guerrier des Highlands. Je remarque qu'aujourd'hui cette toque est décorée d'une quantité de plumes noires, ressemblant à ces panaches dont on se sert pour les funérailles. Enfin, lorsque nous étions sur le point de ne plus l'apercevoir dans l'éloignement, nous le vîmes descendre lentement la montagne, suivi de ses gens, c'est-à-dire de ses affidés ou gardes du corps.

Nous voyageâmes longtemps sans nous parler. Notre silence n'était rompu que par le chant gaélique d'un de nos rameurs, marqué d'une mesure lente et irrégulière, et qui était coupé de temps en temps par le choeur sauvage de ses compagnons.

Quoique je ne fusse occupé que d'idées tristes, il y avait pour moi comme un charme consolateur dans la magnificence du paysage qui m'environnait. Il me semblait, dans l'enthousiasme du moment, que, si j'avais professé la foi de Rome, j'aurais pu consentir à vivre et à mourir ermite dans une des îles pittoresques au milieu desquelles nous voyagions.[141]

M. Jarvie se livrait aussi à ses pensées, mais elles étaient d'un genre tout différent, comme je m'en aperçus lorsque, après avoir passé dans la barque une heure qu'il avait employée à faire de grands calculs, il entreprit de me prouver la possibilité de dessécher ce lac et de rendre à la charrue tant de centaines, tant de milliers d'acres de terre, qui ne produisaient, me dit-il, rien d'utile pour l'homme, si ce n'est de temps en temps un plat de perche ou de brochet.

D'une longue dissertation qu'il faisait entendre à mes oreilles sans que mon esprit y fût très attentif, tout ce que je puis me rappeler, c'est qu'il entrait dans son projet de conserver une partie du lac, en largeur et profondeur suffisante pour former une espèce de canal qui rendrait le transport des charbons aussi facile entre Dunbarton et Glenfalloch qu'il l'est entre Glascow et Greenock.

Enfin nous arrivâmes à l'endroit où nous devions débarquer, près des ruines d'un ancien château, dans l'endroit où le lac décharge le superflu de ses eaux dans le Leven. Nous y trouvâmes Dougal avec nos chevaux. M. Jarvie avait formé un plan relativement à la créature, comme pour le dessèchement du lac, et peut-être dans les deux cas il avait donné plus d'attention à l'utilité de ses projets qu'à la possibilité de les exécuter.

— Dougal, lui dit-il, vous êtes une bonne créature. Vous avez le sentiment et la conscience de ce qui est dû à vos supérieurs. Mais j'ai du chagrin pour vous, Dougal car, avec la vie que vous menez, vous finirez mal un jour ou l'autre, un peu plus tôt ou un peu plus tard. Je puis me flatter qu'attendu mes services comme magistrat, et ceux qu'a rendus avant moi feu mon digne père le diacre, j'ai assez de crédit dans le conseil de la ville pour obtenir qu'on ferme les yeux sur des fautes même plus graves que les vôtres, de manière que j'ai pensé que, si vous voulez nous suivre à Glascow, créature robuste comme vous êtes, je pourrai vous employer dans mon magasin jusqu'à ce que je vous aie trouvé quelque autre occupation.

— Elle est bien obligée à Votre Honneur, répondit Dougal, mais que le diable lui rompe les jambes si elles la conduisent jamais dans une rue pavée, à moins qu'on ne l'y traîne pieds et poings liés, comme cela lui est déjà arrivé.

J'appris en effet que Dougal avait été conduit à Glascow comme accusé de quelques déprédations et condamné à quelques mois de détention; son air de franchise et de simplicité ayant séduit le concierge, celui-ci avait fini, peut-être un peu légèrement, par lui confier les fonctions importantes de porte-clefs. Cependant Dougal avait quelques notions d'honneur, et il avait rempli sa charge avec fidélité, jusqu'à ce que la voix de Rob-Roy eût fait taire en lui tout autre sentiment que celui de l'attachement pour son ancien chef.

Surpris de voir refuser si rondement une proposition si favorable, M. Jarvie se tourna vers moi en me disant: — Certainement la créature est naturellement un idiot.

Je témoignai ma reconnaissance à Dougal d'une manière qui lui plut infiniment davantage, en lui glissant dans la main une couple de guinées. Il n'eût pas plus tôt reconnu qu'il tenait de l'or dans sa main qu'il bondit en l'air avec l'agilité d'un chevreuil, et battant les talons l'un contre l'autre de manière à surprendre un maître de danse français. Il nous fit ses adieux, courut à la barque, et tandis qu'elle prenait le large je le vis montrer aux rameurs ce qu'il devait à ma libéralité, et une portion qu'il leur en distribua excita en eux les mêmes transports. Alors, pour me servir d'une expression favorite du dramatique John Bunyan[142], Il continua son chemin, et je ne le vis plus.

Le bailli et moi nous montâmes sur nos chevaux, et nous reprîmes la route de Glascow. Quand nous eûmes perdu de vue le lac Lomond et son superbe amphithéâtre de montagnes, je ne pus m'empêcher d'exprimer avec enthousiasme les sentiments que ces beautés de la nature m'avaient inspirés, quoique je prévisse bien que le banquier de Glascow n'était pas d'un caractère à les partager.

— Vous êtes jeune, me répondit-il, et vous êtes anglais. Tout cela peut être fort beau pour vous; mais moi qui suis un homme tout simple, et qui connais un peu la différence des terres, je donnerais toutes les montagnes que nous venons de voir pour une acre de terre à un mille de Glascow. Je ne sais si je le reverrai jamais, mais permettez-moi de vous dire, M. Osbaldistone, que ce ne sera pas sans de grands motifs que je perdrai de vue dorénavant le clocher de Saint-Mungo.

Le brave bailli fut bientôt satisfait; car en voyageant longtemps après le soleil couché, nous arrivâmes chez lui cette même nuit, ou plutôt le lendemain matin. Ayant confié mon compagnon de voyage aux soins de l'officieuse et attentive Mattie, je me rendis à mon auberge chez mistress Fleyter; et quoiqu'il fût bien tard, je vis encore au travers d'une croisée briller de la lumière dans une chambre. Je frappai à la porte, et ce fut André lui-même qui vint m'ouvrir. Il poussa un grand cri de joie en m'apercevant, et sans prononcer un seul mot monta l'escalier précipitamment. Je le suivis, présumant qu'il voulait se hâter d'annoncer mon arrivée à M. Owen. Je trouvai effectivement M. Owen, mais il n'était pas seul; il y avait quelqu'un avec lui dans l'appartement: — C'était mon père.

Son premier mouvement fut de conserver sa dignité et son sang- froid habituels. — Je suis bien aise de vous voir, Francis. Le second fut de m'embrasser tendrement. — Mon cher fils! mon pauvre enfant! Owen prit une de mes mains et la mouilla de ses larmes, en me félicitant de mon retour. C'est là de ces scènes qu'on peut voir et comprendre, mais non raconter. Après un intervalle de tant d'années, mes yeux sont encore obscurcis de larmes en me rappelant ce moment, et vous vous le représenterez, mon cher Tresham, beaucoup mieux que je ne pourrais vous le décrire.

Quand les transports tumultueux de notre joie furent calmés, j'appris que mon père était revenu de Hollande et arrivé à Londres deux jours après le départ d'Owen pour l'Écosse. Aussi prompt à former une résolution qu'actif à l'exécuter, il ne resta dans la capitale que le temps nécessaire pour mettre ordre à ses affaires. Ses ressources, son crédit, ses relations étendues lui procurèrent presque à l'instant même la somme que l'infidélité de Rashleigh lui rendait nécessaire, et que son absence avait peut-être seule fait paraître impossible à réunir. Il partit alors pour l'Écosse, tant pour y faire commencer les poursuites judiciaires contre Rashleigh que pour régler les affaires considérables qu'il avait dans ce pays; et voulant complètement rétablir le crédit de sa maison qui pouvait avoir souffert de cette fâcheuse circonstance, il avait apporté les sommes nécessaires pour régler et solder tous ses comptes courants. Son arrivée fut un coup de foudre pour Macvittie, Macfin et compagnie, qui, le voyant paraître dans une situation aussi florissante que jamais, sentirent que son étoile n'était pas éclipsée. Mais mon père était irrité du traitement qu'ils avaient fait essuyer à son premier commis, à l'homme qui avait toute sa confiance; il rejeta leurs basses excuses, solda la balance de leur compte et leur annonça qu'il les avait déjà rayés du nombre de ses correspondants.

Tandis qu'il jouissait de ce petit triomphe sur de faux amis, Owen, qui ne connaissait que les environs de Londres, ne s'était jamais imaginé qu'un voyage de cinquante à soixante milles, qu'on aurait pu faire dans toute l'Angleterre avec aisance et sécurité, pût exposer au moindre danger. Mais l'alarme est un mal contagieux, et Owen même le gagna de mon père, qui connaissait mieux le pays où je m'étais rendu, et le caractère de ses habitants.

Les craintes devinrent encore bien plus vives quelques moments avant mon arrivée. André Fairservice parut à l'auberge et rendit un compte désastreux et exagéré de la situation où je devais me trouver, ne pouvant même dire ce que j'étais devenu. Le duc, qui nous retenait en quelque sorte prisonniers, l'ayant interrogé, lui avait permis de se retirer, et il n'avait pas perdu un instant pour reprendre le chemin de Glascow.

André était un de ces hommes qui ne sont pas fâchés d'obtenir de l'importance et d'attirer l'attention qu'on accorde naturellement au porteur d'une mauvaise nouvelle. Il n'avait donc nullement cherché à affaiblir l'impression que pouvaient produire les divers événements qui nous étaient arrivés, surtout quand il apprit que le riche marchand de Londres était un de ses auditeurs. Il fit un récit détaillé de tous les périls auxquels j'avais échappé, grâce, eut-il soin d'ajouter, à son expérience, à son adresse et à sa fidélité.

Mais qu'allais-je devenir, maintenant que mon ange gardien, en la personne de M. Fairservice, n'était plus à mes côtés? C'est sur quoi, disait-il, on ne peut former que des conjectures aussi tristes qu'incertaines. Quant au bailli, il ne s'en inquiétait pas. C'était un homme qui cherchait toujours à se donner de l'importance, et André n'aimait pas les importants. Mais bien certainement, au milieu des carabines et des pistolets, des cavaliers de milice qui faisaient pleuvoir les balles comme la grêle, des dirks et des claymores des montagnards, on pouvait bien penser qu'il était difficile de savoir quel pouvait être le sort du pauvre jeune homme, et il pouvait même s'être noyé en voulant passer le gué d'Avondow.

Ce récit aurait jeté le désespoir dans l'âme du bon Owen s'il eût été seul. Mais mon père, qui avait une grande connaissance des hommes, apprécia sur-le-champ le caractère d'André à sa juste valeur; néanmoins, en dépouillant de toute exagération le compte qu'il avait rendu, il restait encore de quoi les alarmer. Il résolut donc sur-le-champ de partir en personne pour prendre des informations plus précises, et si j'étais prisonnier, soit des Highlanders, soit de la milice, de chercher à obtenir ma liberté par négociation ou par rançon. Il avait donné à Owen les instructions dont il avait besoin pour suivre ses affaires à Glascow pendant son absence; et c'est pour ce motif que je les avais trouvés encore debout à une pareille heure.

Nous ne nous séparâmes que fort tard pour nous mettre au lit; mais j'étais encore trop agité pour goûter beaucoup de repos, aussi étais-je sur pied de fort bonne heure. André entra dans ma chambre dès qu'il m'entendit marcher, mais je ne reconnus plus l'André dépouillé de tout, la figure d'épouvantail d'Aberfoil. Il était vêtu d'un habit noir complet fort propre, comme s'il avait dû suivre un enterrement dans la matinée; et ce ne fut qu'après plusieurs questions, qu'il feignit le plus longtemps possible de ne pas comprendre, qu'il voulut bien m'apprendre que, n'osant plus espérer de me revoir vivant, il avait cru convenable de prendre le deuil, et que, comme son ami le chantre M. Hammorgaw tenait aussi une boutique de friperie, il avait acheté cet habit chez lui pour mon compte, ajoutant que c'était justice, puisqu'il avait perdu le sien à mon service; et que certainement si la Providence ne m'avait pas conservé, mon honorable père n'aurait pas voulu qu'un pauvre diable, un ancien serviteur de sa famille, fit une si grosse perte. Un habillement complet était peu de chose pour un Osbaldistone (Dieu soit loué!), surtout quand il s'agissait d'un ancien et fidèle serviteur.

Il y avait quelque chose de juste dans ce raisonnement d'André; sa finesse réussit, et il gagna un bon habillement complet, avec un chapeau et les autres accessoires à l'avenant, signes extérieurs du deuil qu'il avait pris pour un maître plein de vie et bien portant.

Le premier soin de mon père en se levant fut d'aller voir M. Jarvie, dont la conduite généreuse et affectionnée lui avait inspiré la plus vive reconnaissance, et il la lui témoigna en peu de mots, mais d'une manière expressive. Il lui expliqua ensuite la situation de ses affaires, et lui offrit de lui confier la suite de celles dont Macvittie et compagnie avaient été chargés jusqu'alors. M. Jarvie félicita mon père d'être sorti si heureusement de l'embarras momentané où son absence avait laissé sa maison, et, sans affecter de rabaisser le mérite de ce qu'il avait entrepris pour le servir, il lui dit qu'il n'avait fait que ce qu'il voudrait qu'on fit pour lui; que, quant aux nouvelles affaires dont il lui proposait de se charger, c'était une offre qu'il acceptait avec plaisir, et qu'il l'en remerciait. Si Macvittie et compagnie se fussent honnêtement conduits, il ne voudrait ni les supplanter, ni aller sur leurs brisées; mais, d'après la manière dont ils avaient agi, ils ne pouvaient que s'accuser eux-mêmes.

Le bailli, me tirant alors par la manche, me dit d'un ton un peu embarrassé: — Je voudrais bien, mon cher M. Francis, qu'on parlât le moins possible de tout ce que nous avons vu là-bas. À quoi bon raconter l'histoire déplorable de ce Morris, à moins que nous ne soyons appelés à en déposer sous serment devant une cour de justice? Et puis les membres du conseil n'apprendraient pas avec plaisir qu'un de leurs confrères s'est battu contre un montagnard, dont il a jeté le plaid dans le feu. Et par-dessus tout, quoique je sois un homme comme un autre quand je me trouve sur mes jambes, certainement le bailli de Glascow faisait une pauvre figure quand il était, sans chapeau et sans perruque, suspendu par le milieu du corps, comme un chat à une corde, ou comme un style de cadran couvert d'un manteau. Le bailli Grahame donnerait beaucoup pour savoir une pareille histoire.

Je ne pus m'empêcher de sourire en me rappelant la situation à laquelle mon digne ami faisait allusion, quoiqu'elle n'eût certainement rien de risible au moment où il s'y était aussi trouvé. Il sourit d'un air un peu confus, et me dit en branlant la tête: — Vous voyez! vous voyez! ainsi donc n'en disons rien, pour ne pas faire rire les autres. Mais surtout tâchez de faire taire cette langue toujours en action que vous avez à votre service, défendez-lui bien de parler. Je ne voudrais pas même que cette petite friponne de Mattie en fût informée, ce serait à n'en plus finir.

Il fut soulagé de la crainte qu'il avait de se trouver exposé au ridicule quand je l'informai que l'intention de mon père était de quitter Glascow dès le lendemain, et que nous comptions emmener André. Effectivement, maintenant que mon père avait recouvré presque tous les effets que Rashleigh avait soustraits de sa caisse, il n'avait pas de motif pour rester plus longtemps en cette ville. Quant à ceux que mon respectable cousin était parvenu à toucher, il fallait en poursuivre le recouvrement par les voies judiciaires, et mon père laissa des pouvoirs à cet effet à un avocat qui lui promit de lui faire rendre bonne et prompte justice.

Nous passâmes la journée avec notre ami M. Jarvie, qui ne négligea rien pour nous traiter dignement. Nous prîmes ensuite congé de lui, comme je vais le faire en cette narration. Il continua à prospérer, vit les richesses et les honneurs s'accumuler sur sa tête, et parvint au premier grade de la magistrature de Glascow. Environ deux ans après l'époque dont je parle, se trouvant fatigué d'un long célibat, il tira Mattie de sa cuisine pour la faire asseoir au haut bout de sa table, en qualité de mistress Jarvie. Le bailli Grahame, les Macvittie et quelques autres (car il n'est personne qui n'ait ses ennemis, surtout dans le conseil d'une ville de province) tournèrent cette métamorphose en ridicule. Mais, disait M. Jarvie, laissons-les jaser; je ne m'en fâcherai pas; je ne perdrai pas le bonheur du reste de mes jours pour une semaine de bavardage. Feu mon père le diacre, honnête homme! avait un dicton:

Sourcil d'ébène, teint de lis, Gaîté, franchise, gentillesse, Taille fine, coeur bien épris, Valent mieux qu'argent et noblesse.

D'ailleurs, Mattie (conclusion favorite du bailli) n'était pas une servante ordinaire. N'était-elle pas petite-cousine du laird de Limmerfield?

Quelques amis du bailli pensèrent qu'un tel mariage était une expérience un peu hasardeuse; mais, soit par un effet du noble sang qui coulait dans ses veines, soit par suite de ses bonnes qualités, ce que je n'entreprends pas de décider, il est certain que Mattie se conduisit parfaitement dans le rang auquel M. Jarvie l'avait élevée, et que jamais il n'eut à s'en repentir.

Chapitre XXXVII.

Approchez tous, mes six enfants…
Écoutez-moi; surtout que chacun soit sincère.
Vous êtes braves et vaillants;
Qui de vous veut défendre et le comte et son père?

Cinq d'entre eux, d'un commun accord,
Tandis que dans leurs yeux brille une ardeur guerrière,
Répondent: Oui, jusqu'à la mort,
Je jure de défendre et le comte et mon père!

L'Insurrection du Nord.

Le lendemain matin, comme nous pensions à partir de Glascow, André se précipita dans ma chambre d'un air effaré, la parcourant à grands pas, gesticulant comme un homme privé de raison, et chantant et criant avec force:

Le four est en flamme, Le four est en flamme! Prenez garde, belle dame! Le four est en flamme.

Ce ne fut pas sans peine que je lui imposai silence et que je parvins à me faire expliquer ce dont il s'agissait. Il m'informa alors, comme si c'eût été la plus belle chose du monde, que les Highlanders étaient sortis en masse de leurs montagnes, tous jusqu'au dernier homme, et que Rob-Roy, à la tête de sa bande d'enragés diables, serait à Glascow avant vingt-quatre heures.

— Taisez-vous, imposteur! lui dis-je; il faut que vous soyez toujours ivre ou en démence, ou bien, si vous dites vrai, y a-t-il là de quoi chanter, imbécile?

— Ivre ou fou, répliqua-t-il. Oh! sans doute; car, Dieu me préserve! on est toujours ivre ou fou quand on annonce aux autres des nouvelles qu'ils ne se soucient pas de savoir. Au surplus, ne me croyez pas: vous verrez ce qui en résultera, quand les clans arriveront dans la ville, si nous sommes assez fous ou assez ivres pour les attendre.

Quoiqu'il fût encore de très bonne heure, je me rendis sur-le- champ dans l'appartement de mon père. Il était déjà debout: Owen était avec lui, et tous deux semblaient fort alarmés.

La nouvelle d'André n'était que trop vraie. La grande rébellion qui déchira la Grande-Bretagne en 1715 venait d'éclater. L'infortuné comte de Marr avait déjà levé l'étendard des Stuarts; fatale rébellion qui causa la ruine de tant d'honorables familles d'Angleterre et d'Écosse! La trahison de quelques agents jacobites, entre autres celle de Rashleigh, et l'arrestation de quelques autres avaient informé le gouvernement de George Ier de l'existence d'une conspiration tramée depuis longtemps, et dont les ramifications étaient bien étendues. Cette découverte accéléra l'explosion, et, quoiqu'elle eût lieu sur un point trop éloigné du centre pour qu'il en pût résulter des suites funestes pour le pays, une partie de l'Écosse et de l'Angleterre n'en devint pas moins un théâtre de confusion.

Ce grand événement me donna l'explication de divers propos que m'avait tenus Mac-Gregor. Je vis aussi bien aisément pourquoi les deux clans de l'ouest qui avaient été rassemblés pour marcher contre lui avaient fini par se retirer. Il était clair qu'ils avaient fait céder leurs ressentiments particuliers à la considération qu'ils allaient incessamment combattre sous les mêmes drapeaux, pour le soutien de la même cause. Enfin, je me rappelai diverses expressions de Galbraith qui m'avaient paru obscures quand il parlait au duc, et que je comprenais maintenant à merveille. Mais la plus cruelle de mes réflexions était de songer que Diana Vernon était alors l'épouse d'un de ces hommes occupés à troubler le repos de ma patrie, et qu'elle allait se trouver elle-même exposée à toutes les privations et à tous les dangers qui devaient accompagner la vie hasardeuse de son mari.

Après une courte consultation sur ce que nous devions faire en cette circonstance, nous adoptâmes le plan de mon père, qui consistait à partir sur-le-champ pour Londres.

Je lui fis part du désir que j'avais d'offrir mes services au gouvernement pour entrer dans un corps de volontaires dont plusieurs se formaient déjà. Il y consentit, car, quoiqu'il fût par principe ennemi de l'état militaire, personne n'aurait plus volontiers exposé sa vie pour la défense de la liberté civile et religieuse.

Nous traversâmes en grande hâte, et non sans courir quelques dangers, le comté de Dumfries et tous les comtés du midi de l'Écosse et du nord de l'Angleterre. Tous les seigneurs de ces environs, du parti des tories, avaient déjà pris les armes et les avaient fait prendre à leurs vassaux, tandis que les whigs, se rassemblant dans les principales villes, en armaient les habitants et se préparaient à la guerre civile. Nous manquâmes plusieurs fois d'être arrêtés, et nous fûmes souvent obligés de choisir des routes détournées pour éviter des points de rassemblement.

Quand nous arrivâmes à Londres, mon père s'associa aux banquiers et aux négociants qui étaient convenus de soutenir le gouvernement et d'empêcher la baisse des fonds publics, sur laquelle les conspirateurs avaient compté pour faire réussir leur entreprise, en obligeant le gouvernement à une sorte de banqueroute. Il fut nommé président de ce corps formidable de capitalistes dont tous les membres étaient pleins de confiance en ses talents, en son zèle et en son activité. Il devint aussi l'organe de leurs communications avec le gouvernement, et trouva le moyen d'acheter, tant avec ses propres fonds qu'avec ceux de la société, l'immense quantité d'effets publics qu'à la première nouvelle de la révolte on eut soin de présenter à la bourse afin de parvenir à les déprécier, ce qui pourtant n'arriva point, grâce à l'heureux effet de l'association dont je viens de parler.

Moi-même je ne restai pas dans l'inaction. J'obtins une commission, je levai deux cents hommes aux dépens de mon père, et je joignis l'armée du général Carpenter.

Cependant la rébellion s'était étendue jusqu'en Angleterre. Le comte de Derwentwater avait pris les armes pour les Stuarts avec le général Foster. Mon pauvre oncle, sir Hildebrand, dont le domaine était réduit presqu'à rien par suite de son insouciance, de l'inconduite de ses enfants et du désordre habituel qui régnait dans sa maison, s'était laissé persuader de joindre ce malheureux étendard; mais, avant de prendre ce parti, il avait eu une précaution que personne ne lui aurait supposée, celle de faire son testament.

Par ce testament, il léguait son domaine d'Osbaldistone-Hall et tous ses biens à tous ses enfants successivement et à leurs héritiers mâles, en commençant par l'aîné, jusqu'à ce qu'il arrivât à Rashleigh, qu'il détestait de toute son âme à cause du changement qui s'était opéré dans ses sentiments politiques. Il lui léguait un shilling à titre de légitime, et me nommait pour son héritier en cas de mort de ses cinq autres enfants sans postérité mâle, directe et légitime. Le bon vieillard avait toujours eu de l'amitié pour moi; il est d'ailleurs probable qu'en voyant autour de lui cinq enfants robustes et bien constitués, il ne croyait pas que ce legs pût jamais avoir d'effet, et qu'il lui avait été principalement inspiré par le désir de laisser une preuve authentique de son mécontentement contre Rashleigh. Par un dernier article il léguait à la nièce de sa défunte femme, Diana Vernon, qu'il nommait lady Diana Vernon Beauchamp, quelques diamants qui avaient appartenu à sa tante, et un grand vase en argent sur lequel étaient gravées les armes des familles Vernon et Osbaldistone.

Mais il était entré dans les décrets du ciel que sa race s'éteindrait plus tôt qu'il ne le présumait. Dès la première revue que les conspirateurs passèrent dans un endroit nommé Green-Rigg, Thorncliff eut une querelle sur la préséance avec un gentilhomme des frontières du Northumberland, aussi farouche et aussi intraitable qu'il l'était lui-même. En dépit de toutes les remontrances, ils donnèrent à leur commandant une preuve de la bonne discipline qui régnait dans son corps en se battant en duel, et Thorncliff fut tué sur la place. Sa mort fut une grande perte pour sir Hildebrand, car, malgré son caractère querelleur, il avait un grain ou deux de bon sens de plus que ses autres frères, en exceptant toujours Rashleigh.

Percy l'ivrogne eut une fin digne de son caractère: il fit un défi à un de ses frères d'armes, fameux par ses exploits en ce genre, et surnommé Brandy-Swaleweel, à qui boirait le plus d'eau-de-vie quand le roi Jacques serait proclamé par les insurgents à Morpeth. J'ai oublié la quantité exacte de cette liqueur pernicieuse que Percy avala, mais elle lui occasionna une fièvre inflammatoire dont il mourut le troisième jour, en criant à chaque instant: — De l'eau! de l'eau!

Dick se cassa le cou près de Warrington-Bridge. Désirant vendre très cher une mauvaise jument à un de ses camarades, il voulut lui prouver qu'elle était en état de faire des prouesses. Il essaya de la faire sauter par-dessus une barrière; l'animal trébucha et renversa son écuyer, qui se brisa la tête contre un arbre voisin.

L'imbécile Wilfred eut, comme cela arrive souvent, la meilleure fortune de toute la famille. Il fut tué à Proud-Preston, dans le Lancashire, le jour où le général Carpenter attaqua les barricades. Il avait combattu avec un grand courage, quoiqu'on m'ait assuré qu'il n'avait jamais pu bien comprendre la cause de la querelle, et qu'il ne se souvenait pas toujours duquel des deux rois il avait embrassé le parti. Son frère John se trouvait à la même affaire; il s'y conduisit avec bravoure, et y reçut plusieurs blessures dangereuses dont il n'eut pas le bonheur de mourir sur le champ de bataille.

L'armée des insurgés se rendit à discrétion le lendemain, et le vieux sir Hildebrand, déjà accablé des malheurs arrivés à sa famille en si peu de temps, fut conduit prisonnier à Newgate avec son fils John.

Dès que je me trouvai déchargé de mes devoirs militaires, je ne perdis pas un instant pour tâcher de porter du secours à ces deux infortunés parents. Le crédit de mon père auprès du gouvernement et la compassion qu'inspirait généralement un vieillard qui avait perdu successivement quatre fils, auraient sauvé mon oncle et mon cousin du danger d'être mis en jugement comme coupables de haute trahison; mais leur arrêt était porté par un tribunal suprême et sans appel. John mourut de ses blessures à Newgate, me recommandant à son dernier soupir une paire de faucons de chasse qu'il avait dressés lui-même, et qu'il avait laissés à Osbaldistone-Hall, et une chienne épagneule nommée Lucy.

Mon pauvre oncle semblait tout à fait abattu sous le poids de ses malheurs domestiques et des circonstances qui les avaient amenés. Il parlait peu, mais il paraissait sensible aux attentions que je me faisais un devoir d'avoir pour lui. Je ne fus pas témoin de sa première entrevue avec mon père, qu'il n'avait pas vu depuis bien des années. Elle dut être pénible pour tous deux, à en juger par l'état où je trouvai mon père après qu'elle eut eu lieu. Sir Hildebrand ne parlait jamais de Rashleigh, le seul fils qui lui restât, qu'avec un sentiment d'amertume. Il l'accusait de la ruine de sa maison et de la mort de ses frères, déclarant que ni lui ni ses enfants n'auraient pris part à toutes ces intrigues politiques si ce n'eût été à l'instigation de ce misérable, qui avait été le premier à les trahir. Il parlait quelquefois de Diana, et toujours avec beaucoup d'affection; il me dit, un jour que j'étais assis près de son lit: — Mon neveu, depuis la mort de Thorncliff et de tous les autres, je suis fâché que vous ne puissiez l'épouser.

Cette expression de _tous les autres _m'affecta vivement, car c'était une phrase dont se servait ordinairement le pauvre baronnet quand il se disposait à partir joyeusement pour la chasse avec ses enfants; il distinguait Thorncliff en l'appelant par son nom, parce qu'il était son favori, et il désignait toujours ses frères d'une manière générale. — Holà! hé! criait-il avec une gaieté bruyante, appelez Thorncliff, appelez tous les autres! Quelle différence avec le ton morne et lugubre dont il venait de prononcer les mêmes mots! Ce fut alors qu'il me parla de son testament. Il m'en communiqua le contenu, m'en remit une copie, et m'apprit que l'original était déposé entre les mains de mon ancienne connaissance le juge Inglewood. Ce magistrat, n'étant craint de personne, était regardé comme une espèce de puissance neutre; les deux partis avaient en lui une égale confiance, et je crois qu'il était à cette même époque dépositaire de la moitié de tous les testaments du Northumberland.

Mon oncle employa ses derniers moments à s'acquitter des devoirs prescrits par la religion qu'il professait, et nous obtînmes du gouvernement, non sans quelque peine, la permission que le chapelain de l'ambassadeur de Sardaigne lui en apportât les consolations. Ni mes propres observations, ni les réponses que les médecins firent à mes questions ne purent m'apprendre le nom de la maladie qui termina ses jours. Son tempérament, usé par ses excès de boisson et par les fatigues de la chasse, à laquelle il se livrait sans ménagement, avait reçu un dernier choc par les chagrins qu'il venait d'éprouver; il s'éteignit plutôt qu'il ne mourut, de même qu'un vaisseau, après avoir été longtemps le jouet des vents et de la tempête, livre passage à l'eau par mille fentes imperceptibles, et coule à fond sans cause apparente de destruction.

Il est assez remarquable que mon père, après avoir rendu les derniers devoirs à son frère, parut désirer vivement que je ne perdisse pas un instant pour me mettre en possession d'Osbaldistone-Hall et devenir le représentant de la maison de son père, ce qui jusqu'à ce moment avait été la chose du monde qui semblait avoir le moins d'attrait pour lui; mais il avait été comme le renard de la fable qui affectait de mépriser ce qui était hors de sa portée: je ne doute pas d'ailleurs que son ressentiment contre Rashleigh (maintenant sir Rashleigh Osbaldistone), qui jetait les hauts cris et menaçait d'attaquer le testament de son père, ne contribuât à augmenter son désir d'en maintenir la validité.

— J'ai été injustement déshérité par mon père, me dit-il, parce que j'avais pris le parti du commerce. Mon frère a réparé cette injustice en vous laissant les restes de sa fortune délabrée. Vous en étiez l'héritier naturel, et je dépenserai dix fois la valeur du legs plutôt que de vous y voir renoncer.

Rashleigh en ce moment n'était pourtant pas un personnage sans conséquence et dont on pût mépriser les menaces. Les révélations qu'il avait faites au gouvernement dans un moment critique, l'étendue des informations qu'il avait données, l'adresse avec laquelle il avait su se faire un mérite des moindres détails et des plus légers services lui avaient procuré des protecteurs assez puissants dans le ministère. Nous étions déjà en procès avec lui pour l'affaire des billets qu'il avait soustraits de notre caisse, et, à en juger d'après le peu de progrès que faisait une poursuite si simple en apparence, on aurait pu craindre que la seconde difficulté ne se prolongeât au-delà du terme naturel de notre vie.

Pour abréger ces délais le plus possible, mon père, par l'avis de son avocat, acheta en mon nom toutes les créances qui étaient hypothéquées sur le domaine d'Osbaldistone. Peut-être aussi voulut-il profiter de cette occasion pour réaliser une partie des profits considérables qu'il avait retirés de la hausse qui avait eu lieu dans les fonds lors de la dispersion des rebelles. Quoi qu'il en soit, il en résulta que, lorsque j'eus déposé l'épée et quitté le ceinturon, au lieu de m'ordonner de prendre place dans son bureau, comme je m'y attendais, car je lui avais déclaré que je me soumettrais à toutes ses volontés, il me fit partir pour Osbaldistone-Hall, afin d'en prendre possession, comme le représentant actuel de cette famille. Il me chargea de voir le juge Inglewood, de réclamer de lui la remise du testament de mon oncle, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour le faire mettre à exécution.

Ce changement de destination ne me fit pas tout le plaisir qu'on pouvait croire. Osbaldistone-Hall ne se présentait à mon esprit qu'accompagné de souvenirs pénibles. Je pensai pourtant que ce n'était que dans ses environs que j'avais quelque probabilité d'obtenir des renseignements sur le destin de Diana Vernon. J'avais toutes sortes de raisons pour craindre qu'il ne fût bien différent de celui que je lui aurais souhaité, et je n'avais pu jusque-là me procurer aucune information. Ce fut en vain que, lors des fréquentes visites que je faisais à mon oncle à Newgate, j'avais cherché à gagner la confiance de divers prisonniers, en leur rendant tous les petits services qui étaient en mon pouvoir; le soupçon qui s'attachait naturellement à un homme qui avait porté les armes contre eux, à un cousin du traître Rashleigh, fermait tous les coeurs et toutes les bouches, et je ne recevais pour tous mes bons offices que de froids remerciements qu'on semblait même m'adresser à regret. Le bras de la loi s'était déjà appesanti sur plusieurs d'entre les détenus, et les autres qui leur avaient survécu n'en concevaient que plus d'éloignement pour tous ceux qu'ils regardaient comme ayant des liaisons avec le gouvernement existant. Comme on les conduisait successivement au supplice, les derniers finissaient par ne plus prendre aucun intérêt au genre humain, et perdaient même le désir d'avoir avec les hommes aucune communication. Je me souviendrai longtemps qu'ayant demandé à l'un d'eux, nommé Edouard Shafton, s'il désirait quelque chose que je pusse lui procurer pour varier la nourriture grossière de la prison:

— M. Frank Osbaldistone, me répondit-il, je dois supposer que votre demande part d'un bon coeur, et je vous en remercie; mais, de par Dieu! croyez-vous qu'on engraisse les hommes comme de la volaille? et quand nous voyons emmener tous les jours quelques-uns de nos compagnons, ne devons-nous pas prévoir que notre tour ne peut tarder?

Tout bien considéré, je ne fus pas fâché de quitter Londres et d'aller respirer l'air plus pur du Northumberland. André était resté à mon service, un peu grâce à la protection de mon père qui avait paru désirer que je le conservasse. Les connaissances locales qu'il avait à Osbaldistone-Hall et dans les environs pouvaient m'être utiles en ce moment; je le prévins donc qu'il m'y suivrait, et ce ne fut pas sans jouir d'avance du plaisir de pouvoir m'en débarrasser en le rétablissant dans les fonctions de jardinier qu'il y remplissait autrefois. Je ne puis concevoir comment il avait réussi à intéresser mon père en sa faveur, si ce n'est par l'art, qu'il possédait à un degré supérieur, d'affecter le plus grand attachement pour son maître. Cet attachement n'existait pourtant qu'en théorie, et ne l'empêchait nullement de chercher tous les moyens de remplir sa bourse aux dépens de la mienne; mais il faut convenir aussi que c'était un privilège dont il voulait jouir seul, et qu'il défendait mes intérêts avec zèle toutes les fois qu'ils n'étaient pas en opposition avec les siens.

Nous fîmes notre voyage vers le nord sans aucune aventure remarquable, et nous trouvâmes ce pays, naguère tellement agité par les fureurs de la rébellion, jouissant d'une tranquillité parfaite. Plus nous approchions d'Osbaldistone-Hall, plus mon coeur se glaçait à l'idée de revoir ce château jadis si bruyant et aujourd'hui si désert. Enfin, pour y retarder mon arrivée de vingt-quatre heures, je résolus d'aller d'abord rendre ma visite au juge Inglewood.

Ce personnage vénérable, pendant les troubles qui venaient d'éclater, avait eu beaucoup à réfléchir sur ce qu'il avait été autrefois, et sur ce qu'il était alors. Ses retours sur le passé n'avaient pas eu peu d'influence pour ralentir l'activité qu'il aurait été de son devoir de déployer en de pareilles circonstances. Il en était pourtant résulté une bonne fortune pour lui. Son clerc Jobson, fatigué de son indolence, l'avait quitté pour travailler chez un certain seigneur Standish, nouvellement nommé juge de paix, et qui donnait les preuves les moins équivoques d'un zèle ardent pour le roi George et pour la succession protestante. Il le portait à un tel degré que Jobson, bien loin d'avoir à le stimuler comme son ancien patron, était quelquefois obligé de chercher à le retenir dans de justes bornes.

Le vieux juge Inglewood me reçut avec beaucoup de politesse, et me remit sans difficulté le testament de mon oncle, qui paraissait parfaitement en règle. Il eut d'abord l'air embarrassé, parce qu'il ignorait dans quel sens il devait parler en ma présence. Mais quand il vit que, quoique partisan décidé, par principes, du gouvernement actuel, je n'étais pas dénué de compassion pour ceux qu'un sentiment mal dirigé de devoir et de loyauté avait entraînés dans un parti opposé, il me fit une narration très divertissante de ce qu'il avait fait et de ce qu'il n'avait pas fait, me nommant ceux qu'il avait déterminés par ses avis à ne pas joindre les rebelles, et ceux sur la fuite desquels il avait fermé les yeux quand la révolte dans laquelle il avait eu le malheur de jouer un rôle actif avait été comprimée.

Nous étions tête à tête, et, d'après l'exprès commandement du juge, plusieurs santés avaient été bues, quand tout à coup il m'invita à remplir mon verre jusqu'au bord, _bona fide, _afin de porter un toast à la pauvre miss Diana Vernon, la rose du désert, la bruyère de Cheviot, cette fleur qui allait être transplantée dans un maudit cloître.

— Est-ce que miss Vernon n'est pas mariée? m'écriai-je. Je croyais que Son Excellence…

— Bah! bah! Son Excellence, Sa Seigneurie! pures billevesées, titres de la cour de Saint-Germain! C'est le comte de Beauchamp, sir Frédéric Vernon, que le duc d'Orléans, le régent, avait nommé son ministre plénipotentiaire, sans peut-être savoir qu'il existât. Mais vous avez dû le voir au château, quand il y jouait le rôle du P. Vaughan.

— Du P. Vaughan! est-il possible? Mais sir Frédéric Vernon était- il donc le père de miss Diana?

— Sans doute. Il n'y a pas de nécessité d'en faire un mystère à présent, car il a quitté le pays, sans quoi ce serait mon devoir de le faire arrêter. Allons, votre verre est-il plein? La santé maintenant, la santé de cette chère miss Diana qui est perdue pour nous. Vous savez la chanson:

À sa santé buvons tous avec joie, À sa santé, Et vainement vous portez bas de soie, À genoux donc pour porter la santé De la beauté.

Le lecteur[143] croira sans peine que je n'étais pas disposé à partager la gaieté du juge. J'étais étourdi de la nouvelle que je venais d'apprendre. — J'ignorais, lui dis-je, que le père de miss Vernon vécût encore.

— Ce n'est pas notre gouvernement qu'il en faut accuser, dit Inglewood, car du diable s'il existe un homme pour la tête duquel il donnerait plus d'argent. Il fut jadis condamné à mort pour la conspiration de Fenwick, ce qui ne l'empêcha pas de diriger le complot de Knight-Bridge du temps du roi Guillaume, et comme il avait épousé une parente de la maison de Breadalbane, il avait en Écosse une influence considérable. Le bruit courut même qu'on avait voulu faire de son extradition une des conditions de la paix de Ryswick; mais il eut la précaution à cette époque de feindre une maladie et de faire annoncer sa mort dans la Gazette de France.

Enfin il revint ici, et nous autres vieux Cavaliers[144] n'eûmes pas de peine à le reconnaître; c'est-à-dire que je le reconnus bien, sans être Cavalier moi-même; mais comme on ne m'adressa point de dénonciation contre lui, et que de fréquentes attaques de goutte m'avaient rendu la mémoire fort courte, je n'aurais pu affirmer son identité sous serment. Vous entendez?

— Mais il n'était donc pas connu à Osbaldistone-Hall?

— Il ne l'était que de sa fille, du vieux gentilhomme et de Rashleigh, qui avait découvert ce secret, comme il en découvrait tant d'autres, et qui s'en servait comme d'une corde passée autour du cou de cette pauvre Diana. Cent fois je l'ai vue prête à lui rompre en visière si elle n'avait été retenue par crainte pour son père, dont la vie n'aurait pas été cinq minutes en sûreté s'il avait été découvert par le gouvernement. Mais comprenez-moi bien, M. Osbaldistone; quand je parle du gouvernement, je ne veux pas dire qu'il ne soit pas bon, juste et clément. Il a fait pendre bien des rebelles sans doute, pauvres diables! mais tout le monde conviendra qu'il n'en aurait pas touché un seul s'ils étaient restés tranquilles chez eux.

Peu curieux d'entrer dans une discussion politique, je fis retomber la conversation sur un sujet plus intéressant pour moi, et je trouvai que Diana, ayant positivement déclaré qu'elle n'épouserait aucun des frères Osbaldistone, et ayant témoigné particulièrement son aversion pour Rashleigh, celui-ci montra quelque refroidissement pour la cause du Prétendant, cause qu'il avait embrassée parce que étant le plus jeune de six frères, hardi, rusé, capable de tout, il espérait s'ouvrir par là un chemin à la fortune. Quand il avait cru trouver le moyen d'arriver au même but par une autre route, il n'avait point hésité et avait trahi ses anciens associés pour obtenir les faveurs du gouvernement anglais. Probablement il s'y était déterminé aussi par esprit de vengeance, parce que sir Frédéric Vernon et les chefs montagnards l'avaient obligé à restituer les billets qu'il avait soustraits de la caisse de mon père. Il avait voulu faire passer ce vol pour une mesure politique, comme mon ami M. Jarvie me l'avait fort bien expliqué. Mais ce qui prouvait qu'il avait eu d'autres vues, c'est qu'il avait touché les billets à vue, qu'il s'en était approprié le montant, et qu'il avait même cherché à négocier les autres à Glascow. Comme il était doué d'une grande pénétration, surtout quand il s'agissait de ses intérêts, il est encore possible qu'il eût enfin reconnu que les conspirateurs n'avaient ni les moyens ni les talents nécessaires pour renverser un gouvernement bien établi, et il était dans ses principes de se ranger du côté qui lui offrait les chances les plus avantageuses.

Ce n'était pas sans peine que sir Frédéric Vernon, ou, comme le nommaient les jacobites, Son Excellence le comte de Beauchamp, s'était soustrait avec sa fille aux suites de la dénonciation de Rashleigh.

Là se bornaient les informations de M. Inglewood, mais il ne doutait pas que sir Frédéric et sa fille ne fussent alors en sûreté sur le continent, puisqu'on n'avait pas appris qu'ils fussent tombés entre les mains du gouvernement, qui n'aurait pas fait un secret d'une capture de cette importance. Diana, ayant refusé d'épouser un des fils de sir Hildebrand, devait entrer dans un couvent, aux termes d'un arrangement cruel fait entre lui et sir Frédéric Vernon. M. Inglewood ne put m'expliquer parfaitement la cause de ce traité singulier, mais il prétendait que c'était une espèce de pacte de famille dont le but avait été de conserver à sir Frédéric une partie de ses biens, qui, par suite de quelque manoeuvre légale, étaient passés dans la famille Osbaldistone lors de leur confiscation; traité, comme on en vit plusieurs à cette époque, dans lequel on n'avait pas eu plus d'égard aux sentiments des principales parties intéressées que si elles avaient fait partie des bestiaux attachés à une ferme à titre de cheptel.

Le coeur humain est si difficile à analyser que je ne saurais dire si cette nouvelle me fit peine ou plaisir. Il me parut pourtant que la certitude que Diana était séparée de moi, non par les liens du mariage, mais par les grilles du cloître, augmentait mes regrets de l'avoir perdue, au lieu de les adoucir. Je devins distrait, rêveur, et je me trouvai incapable de soutenir plus longtemps la tâche d'une conversation avec le juge Inglewood. Je le vis bâiller à son tour, et je lui demandai la permission de me retirer de bonne heure.

Je lui fis mes adieux le soir même, mon intention étant de partir le lendemain à la pointe du jour pour Osbaldistone-Hall.

— Vous ferez bien, me dit-il, de vous y montrer avant que le bruit de votre arrivée ici se soit répandu. Je sais que sir Rashleigh Osbaldistone est dans le pays. Il loge chez Jobson, et il s'y couve sans doute quelque complot. Ils sont bien faits l'un pour l'autre, car quel homme d'honneur voudrait se trouver en leur compagnie? Mais il est impossible que deux têtes pareilles se rassemblent sans tramer un complot contre quelqu'un.

Il conclut en me recommandant de ne pas partir le lendemain sans avoir mis mon estomac en état de braver l'air froid du matin en faisant une attaque sur le pâté de venaison, et en vidant une bouteille de vin qu'il laissa à cet effet sur la table où nous venions de souper.

Chapitre XXXVIII.

Oui, son maître n'est plus! sous ce toit solitaire,
Hommes, chiens et chevaux, aujourd'hui tout est mort!
Lui seul survit, achevant sa carrière
Dans le château d'Ivor.

WORDSWORTH.

Il existe peu de sensations plus tristes que celles que nous éprouvons quand nous revoyons déserts et abandonnés des lieux qui nous avaient offert autrefois des scènes de plaisir[145]. En me rendant à Osbaldistone-Hall, je rencontrai les mêmes objets que j'avais vus ce jour mémorable où j'étais revenu avec miss Vernon d'Inglewood-Place. Son souvenir me tint compagnie pendant tout le chemin. Quand je passai près de l'endroit où je l'avais vue la première fois, je croyais presque encore entendre les cris des chiens, le bruit des chevaux, le son des cors, et je portais involontairement les yeux sur la colline d'où je l'avais vue descendre, comme si je devais m'attendre à une nouvelle apparition. Mais quand j'arrivai au château, le profond silence qui y régnait, toutes les fenêtres fermées, l'herbe qui avait crû dans les cours, tout m'offrait un contraste mélancolique avec la gaieté bruyante dont j'avais tant de fois été témoin lors du départ pour la chasse.

Un silence éternel semblait avoir succédé aux aboiements des chiens impatients, au hennissement des chevaux, aux cris des piqueurs et au gros rire du bon sir Hildebrand à la tête d'une suite nombreuse.

En promenant mes regards sur cette scène déserte et muette, je ne pus songer sans regret même à ceux à qui à cette époque il ne m'avait pas été possible d'accorder mon attention. Il y avait quelque chose de déchirant dans la pensée que toute cette famille composée de fils robustes et bien constitués avait été en si peu de temps précipitée dans le tombeau par différents genres de mort violente et inattendue. C'était une bien faible consolation pour moi que de me dire que je rentrais comme propriétaire dans un lieu que j'avais quitté presque en fugitif. N'étant pas habitué à me regarder comme le maître de tout ce qui m'entourait, je me considérais presque comme un usurpateur, au moins comme un étranger indiscret, et je pouvais à peine me défendre de l'idée que l'ombre de quelqu'un de mes cousins allait apparaître, comme un spectre gigantesque des romans, pour me disputer l'entrée du château.

Tandis que ces pensées m'occupaient, André s'évertuait à frapper à coups redoublés à toutes les portes, appelant en même temps d'un ton assez haut pour faire sentir l'importance qu'il croyait avoir en se présentant comme premier écuyer du nouveau seigneur du domaine. Enfin Antoine Syddall, vieux sommelier et majordome de mon oncle, se montra à une fenêtre basse garnie de barreaux de fer, et nous demanda ce que nous désirions.

— Nous venons vous relever de garde, dit André. Vous pouvez me remettre vos clefs, mon vieil ami, chaque chien a son jour. Je vous débarrasserai du soin de l'argenterie et de la cave. Il n'y a point de fève qui n'ait son point noir, et l'on trouve une ortie dans chaque sentier: ainsi vous pourrez prendre au bas bout de la table la place qu'André avait autrefois.

Étant parvenu à imposer silence au bavard, j'expliquai à Syddall la nature de mes droits, et lui dis de m'ouvrir le château, qui était maintenant ma propriété. Le vieillard parut fort agité, et, quoique d'une manière humble et soumise, montra beaucoup de répugnance à m'obéir. J'en attribuai la cause à son attachement pour ses anciens maîtres; ce sentiment l'excusait, et lui faisait honneur à mes yeux.

J'insistai cependant pour qu'il m'ouvrît, et je lui dis que son refus m'obligerait à recourir au warrant du juge Inglewood, et à demander l'assistance d'un constable.

— Nous étions ce matin chez M. Inglewood, dit André pour appuyer sur ma menace, et nous avons rencontré en chemin Archie Rudledge le constable. Le pays est maintenant soumis aux lois, M. Syddall; les papistes et les rebelles n'y sont plus les maîtres comme autrefois.

La menace de recourir à une autorité légale parut formidable à un vieillard qui sentait que la religion qu'il professait et son attachement à sir Hildebrand et à ses enfants pouvaient le rendre suspect lui-même. Il ouvrit donc avec une sorte de tremblement une porte garnie de verrous et de barres de fer, et me dit qu'il espérait que je ne lui saurais pas mauvais gré de la fidélité avec laquelle il cherchait à s'acquitter de ses devoirs. Je le rassurai, et lui répondis qu'il n'en était que plus estimable à mes yeux.

— Je ne pense pas de même, dit André; Syddall est un vieux routier. Il ne serait point pâle comme un linceul, Dieu me préserve! et les dents qui lui restent ne claqueraient pas les unes contre les autres s'il n'y en avait pas plus qu'il ne veut nous en dire.

— Que Dieu vous pardonne, M. Fairservice, reprit le vieux sommelier, de parler ainsi d'un ancien camarade! Où voulez-vous que j'allume du feu pour Votre Honneur? me dit-il du ton le plus humble. Je crains que vous ne trouviez le château bien triste, bien sombre. Mais peut-être retournerez-vous dîner à Inglewood- Place?

— Allumez-moi du feu dans la bibliothèque.

— Dans la bibliothèque! Il y a bien longtemps que personne n'y est entré… La cheminée fume… Les pigeons y ont fait leur nid le printemps dernier; et je n'avais ici personne pour la faire nettoyer.

— Notre fumée vaut mieux que le feu des autres, dit André. Son Honneur aime la bibliothèque. Ce n'est pas un de vos papistes qui se complaisent dans l'aveugle ignorance, M. Syddall.

Le sommelier me conduisit à la bibliothèque d'un air qui annonçait clairement qu'il agissait contre son gré. Il m'en ouvrit la porte, et, contre mon attente, je trouvai cet appartement plus propre et mieux en ordre que je ne l'avais jamais vu.

Un excellent feu brûlait dans la cheminée, sans la moindre apparence de fumée. Syddall prit les pincettes pour arranger les tisons, ou plutôt pour cacher sa confusion.

— C'est singulier, dit-il, il brûle bien maintenant, et il a fumé toute la matinée. Désirant être seul jusqu'à ce que j'eusse pu maîtriser les diverses émotions que faisait naître en moi la vue de tout ce qui m'entourait, je dis au vieux sommelier d'avertir la personne chargée de recevoir le revenu des terres de venir me parler. Sa demeure était à environ un demi-mille de distance, et je remarquai encore qu'il ne se disposait à m'obéir qu'avec une sorte de regret. J'ordonnai ensuite à André de chercher dans le voisinage une couple de jeunes gens vigoureux sur qui il pût compter, sachant à quelles extrémités était capable de se porter Rashleigh, qui était dans les environs. André se chargea de cette mission avec empressement et me dit qu'il me trouverait à Trinlay- Knowe deux bons presbytériens comme lui, en état de faire face au pape, au diable et au Prétendant. Je ne serai point fâché moi- même, ajouta-t-il, d'avoir ici de la compagnie: car vous souvenez- vous que je vous ai dit, le jour que nous sommes partis, que j'avais été tourmenté par un esprit la nuit précédente? C'était dans le jardin, au clair de lune. Vous n'avez pas voulu me croire: eh bien, que le tonnerre tombe sur toutes les fleurs du jardin si cet esprit ne ressemblait pas à ce portrait. — Et il me montrait un tableau qui représentait, à ce qu'on m'avait dit, l'aïeul de miss Vernon. — J'avais toujours pensé, continua-t-il, qu'il y avait de la sorcellerie et de la diablerie parmi les papistes; mais jusqu'alors je n'avais jamais vu d'esprit.

— Allons, partez! amenez-moi les gens dont vous parlez, tâchez qu'ils aient plus de bon sens que vous, et qu'ils n'aient point peur de leur ombre.

— Ah! dit André d'un air d'importance, tous les voisins savent que je suis aussi brave qu'un autre; mais, Dieu me préserve! je ne prétends pas me battre contre des esprits.

Il sortait à peine, que M. Wardlaw, qui remplissait les fonctions d'agent du domaine, entra dans la bibliothèque.

C'était un homme plein d'honneur et de probité, et sans son intégrité il aurait été difficile à mon oncle de se maintenir si longtemps dans la possession d'Osbaldistone-Hall. Je lui montrai le testament de sir Hildebrand, et il en reconnut la validité. Pour tout autre que moi, cette succession aurait été peu profitable, attendu le grand nombre de dettes et d'hypothèques dont elle était grevée. Mais il ne faut pas oublier que mon père avait déjà remboursé en mon nom une partie des créances, et qu'il s'occupait d'en acheter le surplus.

Je causai d'affaires assez longtemps avec M. Wardlaw, et je le retins à dîner. Je me fis servir dans la bibliothèque, malgré les instances que me fit Syddall pour que je descendisse dans la salle à manger, qu'il avait, me dit-il, préparée pour me recevoir. Pendant que nous dînions, André arriva avec sa recrue de deux vrais bleus.[146] Il m'en fit l'éloge dans les termes les plus chauds, me les annonçant comme des hommes sobres, honnêtes, d'une saine doctrine, et, par-dessus tout, braves comme des lions. Je donnai ordre qu'on les fit dîner, et ils se retirèrent tous trois. Le vieux Syddall branlait la tête en s'apprêtant à les suivre; je lui dis de rester et de m'expliquer ce que signifiait le geste qu'il venait de faire.

— Je ne puis m'attendre, dit-il, que Votre Honneur ajoute foi à ce que je vais lui dire, et cependant c'est la vérité de Dieu. Antoine Wingfield est un honnête garçon, aussi honnête que personne au monde; mais s'il y a un mauvais coquin dans les environs, c'est son frère Lancy. Tout le pays sait qu'il sert d'espion au clerc Jobson. Il lui a dénoncé bien des braves gens qui se sont mis dans l'embarras dans ces derniers temps. Mais il n'est pas catholique, et il n'en faut pas plus aujourd'hui.

Je fis peu d'attention à ce propos, que j'attribuai à l'esprit de parti et aux différences d'opinions religieuses, et le vieillard, ayant mis le vin sur la table, se retira d'un air peu satisfait.

M. Wardlaw resta avec moi jusqu'à ce que le jour commençât à baisser. Alors, ramassant ses papiers, il prit congé de moi, et me laissa dans cet état d'esprit où l'on ne sait trop si l'on voudrait avoir de la compagnie ou rester dans la solitude. Au surplus, je n'avais pas la liberté du choix, et je me trouvais dans l'appartement du château le plus propre à m'inspirer des réflexions mélancoliques. C'était là que j'avais passé tant de moments heureux près de Diana, et je pensais avec amertume que je ne la verrais plus.

Comme le jour commençait à disparaître, je vis la tête d'André se montrer à la porte de la chambre, non pour me demander si je voulais de la lumière, mais pour me conseiller d'en prendre par mesure de précaution pour écarter les esprits. Je lui dis avec assez d'humeur de se retirer, et, m'asseyant dans un fauteuil en face de la grande cheminée gothique, je me mis machinalement à tisonner le feu; et suivant des yeux le bois qui se changeait en charbons et les charbons qui se réduisaient en cendres:

— Voilà bien, m'écriai-je, voilà bien l'image et le résultat des désirs de l'homme! un rien les allume, l'espoir les nourrit, et bientôt l'homme, avec ses passions et ses espérances, n'est plus qu'un vil amas de cendres.

Comme j'achevais de parler, j'entendis à l'autre bout de la bibliothèque un soupir qui semblait répondre à mes réflexions. Je me retournai précipitamment… Diana Vernon était devant mes yeux. Elle s'appuyait sur le bras d'un homme si ressemblant au portrait dont André m'avait parlé le matin que je jetai les yeux sur le cadre, comme s'il avait dû être vide. Ma première idée fut que l'agitation de mon esprit causait cette illusion, ou que je voyais deux ombres sorties de la nuit du tombeau. Un second coup d'oeil me convainquit pourtant que je n'étais pas hors de mes sens, et que j'avais devant moi deux substances corporelle. C'était bien Diana elle-même, quoique plus pâle et plus maigre que je ne l'avais encore vue, et son compagnon n'était autre que le P. Vaughan, ou, pour mieux dire, sir Frédéric Vernon, qui, par hasard, portait un habit de même couleur et presque de même forme que celui du personnage peint dans le portrait en question. Il fut le premier qui rompit le silence: Diana avait les yeux baissés et j'étais muet d'étonnement.

— Vous voyez devant vous, M. Osbaldistone, me dit-il, des suppliants qui vous demandent asile et protection, jusqu'à ce qu'ils puissent continuer un voyage où je risque de trouver à chaque pas des cachots et la mort.

— Bien certainement, lui répondis-je en faisant un effort pour recouvrer la parole, miss Vernon ne peut croire… vous ne pouvez supposer, monsieur, que j'aie oublié les services que vous m'avez rendus, ou que je sois capable de trahir qui que ce soit, et vous moins que personne.

— Je le sais, dit sir Frédéric, et cependant c'est avec une répugnance inexprimable que je vous demande un service peut-être désagréable, mais à coup sûr dangereux. Je voudrais pouvoir le réclamer de tout autre. Mais le destin qui m'a conduit à travers une vie agitée et pleine de dangers me presse tellement en cet instant que je n'ai pas d'autre alternative.

En ce moment j'entendis du bruit sur l'escalier, et l'officieux André, en ouvrant la porte, s'écria: — Je vous apporte des chandelles; vous les allumerez quand vous voudrez.

Je me précipitai vers la porte, espérant arriver à temps pour l'empêcher de voir que je n'étais pas seul. Je le repoussai avec violence, fermai la porte et poussai le verrou. Mais, me rappelant aussitôt son bavardage habituel et les deux compagnons qu'il avait dans la cuisine; me souvenant aussi de l'observation faite par Syddall que l'un d'eux passait pour un espion de Jobson, je descendis sur-le-champ, et les trouvai tous trois réunis. André parlait très haut quand j'arrivai; mais il se tut dès qu'il m'aperçut.

— Qu'avez-vous donc, imbécile? lui dis-je; vous avez l'air effaré comme si vous aviez vu un esprit.

— Non, non, répondit-il: non, il n'y a pas d'esprit là-dedans.
Mais vous m'avez poussé bien rudement, Dieu me préserve!

— Parce que vous m'avez dérangé d'un profond sommeil, idiot. Syddall vient de me dire qu'il n'a pas de lits préparés pour ces braves gens, et M. Wardlaw pense qu'il est inutile de les déranger de leurs affaires. Tenez, mes amis, voici une demi-guinée pour boire à ma santé. Je vous remercie de votre complaisance, et vous pouvez vous retirer.

Ils me firent leurs remerciements, prirent l'argent, et s'en allèrent sans montrer ni soupçons ni mécontentement; je restai jusqu'à ce qu'ils fussent partis, afin d'être bien sûr qu'ils ne pourraient avoir aucune autre communication avec l'honnête André. Je l'avais suivi de si près que je croyais qu'il n'avait pas eu le temps de leur dire deux mots avant mon arrivée; mais il ne faut souvent que deux mots pour causer bien des malheurs, et l'on verra qu'en cette occasion ils coûtèrent la vie à deux personnes.

Ayant fait cette expédition, je ne songeai plus qu'à prendre les mesures nécessaires pour la sûreté de mes hôtes. Présumant bien, d'après ce qui s'était passé, que Syddall n'était pas étranger à leur séjour au château, je le chargeai de monter lui-même à la bibliothèque chaque fois que je sonnerais, et j'y retournai ensuite pour rendre compte aux deux fugitifs de tout ce que je venais de faire.

Les yeux de Diana me remercièrent des précautions que j'avais prises. — Maintenant, me dit-elle, vous connaissez tous mes mystères. Vous savez sans doute par quels liens étroits le sang et la tendresse m'unissent à l'infortuné qui trouva ici une retraite, et vous ne serez plus surpris que Rashleigh, ayant pénétré ce secret, osât me gouverner avec une verge de fer.

Son père ajouta que leur intention était de m'être à charge le moins longtemps possible.

Je les suppliai de ne songer qu'à ce qui pouvait contribuer le plus à leur sûreté, et je les assurai que tous mes efforts seraient dirigés vers le même but; ce qui conduisit sir Frédéric à m'expliquer les circonstances où il se trouvait.

— J'avais toujours eu des soupçons contre Rashleigh, me dit-il; mais sa conduite à l'égard de ma fille, conduite dont elle ne me fit l'aveu que par obéissance, et l'abus de confiance dont il se rendit coupable à l'égard de votre père, m'inspirèrent pour lui de l'aversion et du mépris. Dans notre dernière entrevue, je ne lui cachai pas mes sentiments, quoique la prudence eût dû m'engager à le faire. Il ajouta alors la trahison et l'apostasie à la somme de ses crimes; mais j'espérais que sa défection n'aurait aucune suite fâcheuse pour notre cause. Le comte de Marr était en Écosse à la tête d'une armée pleine d'enthousiasme; lord Derwentwater, Kenmore, Forster, Winterton et autres avaient pris les armes dans le Northumberland: et je devais accompagner les Highlanders qui, sous les ordres du brigadier-général Mac-Intosh de Borlum, passèrent le Forth, traversèrent les Lowlands, et se réunirent aux insurgés anglais. Ma fille partagea les dangers et les fatigues de ce voyage…

— Et jamais elle ne quittera un père tendrement aimé, s'écria miss Vernon en s'appuyant sur son bras.

— J'avais à peine rejoint mes amis que je désespérai du succès de notre entreprise. Nos forces n'augmentaient point, notre parti n'était composé que de ceux qui partageaient nos opinions religieuses, et les tories protestants restaient dans l'indécision, attendant pour se déclarer le résultat des premiers événements. Enfin nous nous trouvâmes investis par une force supérieure dans la petite ville de Preston. Nous nous défendîmes avec courage le premier jour, mais dès le second les chefs regardèrent toute résistance comme inutile et résolurent de se rendre à discrétion. Consentir à de pareilles conditions c'eût été porter ma tête sur l'échafaud. Une trentaine de braves gens pensèrent comme moi qu'il valait mieux mourir que de se rendre. Mac-Gregor, que vous connaissez, était de ce nombre. Nous montâmes à cheval, nous plaçâmes au milieu de nous ma fille, qui ne voulut pas consentir à me quitter, et mes compagnons, frappés d'admiration pour son courage et pour sa piété filiale, jurèrent de périr plutôt que de l'abandonner. Nous sortîmes en corps au grand galop, par une rue nommée Fishergate; elle conduisait dans un marais que l'ennemi n'avait pas occupé parce qu'il le jugeait impraticable et qu'il était bordé par la rivière de Ribble sur laquelle il n'existait aucun pont. Nous ne rencontrâmes donc qu'un faible détachement des dragons d'Honeywood, qui soutint à peine notre premier choc; et Mac-Gregor, qui connaissait un gué de la rivière, nous y guida et nous la fit traverser sans danger. Tournant alors du côté de Liverpool, nous nous séparâmes; et chacun de nous chercha une retraite. J'ignore ce que devinrent mes compagnons. Quant à moi, je me rendis avec ma fille dans le pays de Galles, où je connaissais beaucoup de personnes qui partageaient mes opinions politiques et religieuses. J'espérais y trouver les moyens de passer sur le continent, mais je fus trompé dans mon attente, et les recherches que le gouvernement anglais faisait faire dans le pays de Galles, où il soupçonnait plusieurs chefs de l'insurrection de s'être retirés, me forcèrent à fuir de nouveau vers le nord. Comme je savais qu'Osbaldistone-Hall était inhabité en ce moment et qu'il ne s'y trouvait que le vieux Syddall, de qui j'étais connu, et sur qui je pouvais compter, je résolus de m'y rendre, et d'y rester jusqu'à ce qu'un ami sûr m'eût fait équiper, dans un petit port du Solway, une chaloupe qui doit me conduire en France pour toujours. Syddall n'hésita point à nous recevoir, et nous attendions qu'on nous fit avertir que les dispositions pour notre départ étaient terminées, quand votre arrivée imprévue en ce château et le choix que vous avez fait de cet appartement nous ont mis dans la nécessité de recourir à toute votre générosité.

Ce fut ainsi que Sir Frédéric termina un récit que j'avais écouté comme celui d'un rêve. J'avais peine à me figurer que c'était bien sa fille que j'avais devant les yeux; le chagrin et les fatigues lui avaient fait perdre quelques-uns de ses attraits. L'air d'enjouement et de vivacité que je lui avais vu autrefois avait fait place à un caractère de soumission mélancolique et de résignation mêlée de fermeté. Quoique son père craignit l'effet que pourraient produire sur mon esprit les louanges qu'il donnerait à sa fille, il ne put résister à la tendresse paternelle qui le portait à faire son éloge.

— Elle a subi, me dit-il, des épreuves qui feraient honneur à la constance d'un martyr. Elle a bravé tous les dangers, elle a vu de près la mort sous tous les aspects. Elle a enduré des fatigues et des privations qui auraient épuisé le courage des hommes les plus déterminés. Elle a passé les journées dans les ténèbres et les nuits dans les veilles, et n'a jamais fait entendre un murmure de faiblesse. En un mot, M. Osbaldistone, ma fille est une offrande digne du dieu auquel je vais la consacrer, comme tout ce qui reste de plus cher et de plus précieux à Frédéric Vernon.

Il s'arrêta à ces mots, en jetant sur moi un regard que je ne compris que trop bien: son but était de détruire toutes les espérances que j'aurais pu concevoir, et il voulait, comme en Écosse, prévenir toute nouvelle liaison entre sa fille et moi.

— Maintenant, dit-il à sa fille, nous n'abuserons pas plus longtemps des moments de M. Osbaldistone, puisque le voilà instruit de la situation des infortunés qui réclament sa protection.

Je les suppliai de rester, et leur offris de changer moi-même d'appartement.

— N'en faites rien, me dit-il, vous éveilleriez peut-être des soupçons; d'ailleurs rien ne nous manque dans l'appartement secret que nous occupons, et dont on ne peut soupçonner l'existence que lorsqu'on en est instruit: nous aurions probablement pu y rester sans que vous vous en doutassiez, si je n'avais regardé comme un devoir de vous prouver ma confiance en votre honneur.

— Vous m'avez rendu justice, sir Frédéric. Vous me connaissez bien, mais je suis sûr que miss Vernon vous dira…

— Je n'ai pas besoin du témoignage de ma fille, me dit-il d'un air poli, mais de manière à m'empêcher de m'adresser directement à elle; je suis très disposé à concevoir la meilleure opinion de M. Frank Osbaldistone. Mais permettez-nous de nous retirer, le repos nous est nécessaire, nous en jouissons rarement, et d'un moment à l'autre nous pouvons être obligés de continuer un dangereux voyage.

En parlant ainsi, il prit le bras de sa fille, et m'ayant salué, sortit avec elle par la porte que cachait la tapisserie.

Chapitre XXXIX.

Mais la main du destin soulève le rideau,
Et sur la scène il porte le flambeau.

DRYDEN, Don Sébastien.

Je me sentis comme étourdi et glacé en les voyant se retirer. Quand l'imagination nous représente un objet chéri dont nous regrettons l'absence, elle le peint non seulement sous le jour qui lui est le plus avantageux, mais avec les traits sous lesquels nous désirons le voir. Avant l'apparition si surprenante de Diana, j'étais plein de l'idée que les larmes qu'elle avait versées en me faisant ses adieux en Écosse et la bague qu'elle m'avait fait remettre par Hélène Mac-Gregor étaient une preuve qu'elle emporterait mon souvenir dans son exil et jusque dans la solitude du cloître: je venais de la voir, et son air froid et contraint, ses yeux où je n'avais remarqué qu'une mélancolie tranquille m'avaient trompé dans mes espérances, m'avaient presque offensé. J'osai l'accuser d'indifférence et d'insensibilité; je reprochai à son père son orgueil, son fanatisme, sa cruauté; j'oubliai qu'ils sacrifiaient tous deux leurs intérêts, et Diana son inclination à un devoir.

Sir Frédéric Vernon était un catholique rigide, qui croyait le sentier du salut trop étroit pour qu'on pût y admettre un hérétique. Et Diana, pour qui la sûreté de son père avait été depuis quelques années l'unique mobile de toutes ses actions, le seul but de ses pensées et de ses espérances, regardait comme un devoir pour elle de se soumettre en tout à sa volonté et de lui faire le sacrifice de ses plus chères affections. J'aurais pu dès lors faire ces réflexions si j'avais été de sang-froid; mais dans l'agitation que j'éprouvais, et au milieu du tumulte de mes passions, il m'était impossible d'apprécier en ce moment ces sentiments honorables.

_— _Je suis donc méprisé! m'écriai-je; méprisé et jugé indigne même d'avoir un court entretien avec elle! Soit, je n'en veillerai pas moins à leur sûreté. Je me tiendrai dans cette chambre comme à un poste avancé; et du moins, tant qu'ils resteront chez moi, nul danger ne pourra les atteindre si le bras d'un homme déterminé peut le détourner.

Je fis venir Syddall dans la bibliothèque; il y arriva suivi de l'éternel André, qui, faisant des rêves brillants pour lui-même d'après ma prise de possession du château et des terres qui en dépendaient, semblait avoir juré de ne pas laisser échapper une occasion de se mettre en évidence et de se rappeler à mon souvenir. Aussi, comme cela arrive souvent à ceux qui n'agissent que pas égoïsme, André allait-il au-delà du but qu'il se proposait sans l'atteindre, et ne m'inspirait que le dégoût et l'ennui par ses importunités.

Sa présence m'empêcha de parler librement à Syddall, comme je me le proposais, et je n'osai le renvoyer, de peur d'augmenter les soupçons qu'il pouvait déjà avoir conçus, d'après la manière brusque dont je l'avais poussé hors de la bibliothèque une heure auparavant. — Syddall, lui dis-je, je passerai la nuit ici; j'ai beaucoup à travailler, et je me reposerai quelques heures sur ce canapé.

À la manière dont je le regardais, il parut comprendre que j'étais instruit. Il m'offrit de me préparer un lit de camp dans la bibliothèque, et il s'en occupa avec André. Les renvoyant ensuite, je donnai ordre qu'on ne me troublât plus jusqu'au lendemain à sept heures.

Lorsqu'ils se furent retirés, je me trouvai libre de me livrer à mes réflexions, sans craindre que le cours en pût être interrompu, jusqu'à ce que la nature fatiguée exigeât quelque repos.

Je travaillai pourtant à écarter de mon esprit le sujet pénible qui m'occupait uniquement, mais tous mes efforts furent inutiles. Les sentiments que j'avais combattus avec courage quand l'objet qui les inspirait était éloigné de moi, renaissaient avec plus de force que jamais, maintenant que je n'en étais séparé que par quelques pas et que j'étais à la veille d'en être privé pour toujours. Si je prenais un livre, le nom de Diana me semblait écrit à chaque ligne; et, sur quelque sujet que je cherchasse à fixer mes pensées, elles ne me présentaient jamais que son image. Elles étaient comme cette esclave empressée du Salomon de Prior:

Ma bouche à peine a prononcé son nom Qu'Abra survient, toujours pleine de zèle: C'est vainement une autre que j'appelle, Abra toujours accourt et me répond.

Tour à tour je m'abandonnais à ces pensées, et je cherchais à m'en défendre, tantôt cédant à une émotion et à une tristesse qui ne m'étaient guère naturelles, tantôt appelant à mon secours ma fierté blessée par un injuste outrage que je croyais avoir reçu. Enfin, après avoir longtemps parcouru la bibliothèque à grands pas, je me jetai tout habillé sur mon lit dans une sorte de délire fiévreux. Mais ce fut en vain que je cherchai tous les moyens de me livrer au sommeil, que je ne me permis pas plus de mouvement que n'en aurait un corps privé de vie, que j'essayai de donner un autre cours à mes idées, tantôt en récitant des vers de mémoire, tantôt en m'occupant de la solution d'un problème d'algèbre; mes artères battaient avec une force et une rapidité qui m'étonnaient, et je croyais sentir un feu liquide circuler dans mes veines au lieu de sang, et y produire des pulsations dont le son retentissait à mon oreille comme le bruit régulier d'un moulin à foulon que j'aurais entendu de loin.

Je me levai, j'ouvris la fenêtre, j'y restai quelques instants; l'air de la nuit me rafraîchit un peu et calma en partie le désordre de mes sens. Je me remis sur mon lit, et peu de temps après le sommeil s'empara de moi; mais ce sommeil était loin d'être paisible, et il fut troublé par des rêves épouvantables.

Il en est un entre autres que je me rappelle encore en ce moment. Il me semblait que Diana et moi nous étions au pouvoir d'Hélène Mac-Gregor, et qu'elle avait donné ordre de nous précipiter du haut d'un rocher dans le lac. Le signal de notre supplice devait être un coup de canon tiré par sir Frédéric Vernon qui présidait à la cérémonie, revêtu du costume de cardinal. Je ne saurais peindre l'impression que me fit éprouver cette scène imaginaire. Je pourrais encore aujourd'hui retracer l'expression de courage et de résignation que je voyais sur les traits de Diana; les figures sauvages et hideuses qui nous environnaient et semblaient jouir d'avance de notre supplice; enfin, le fanatisme rigide et inflexible gravé sur la physionomie de sir Frédéric. Je le vis la mèche allumée, j'entendis le signal de notre mort que les échos répétèrent d'une manière effrayante. Je m'éveillai en sursaut, et, me soulevant sur mon lit, l'esprit encore plein de ce rêve, il me sembla entendre de nouveau la répétition de ce funeste signal.

Une minute me suffit pour me rappeler à moi-même, et j'entendis distinctement frapper à grands coups à la porte. Saisi de crainte pour mes hôtes, je me levai précipitamment, je pris mon épée sous mon bras, et je me hâtai de descendre pour donner ordre de ne pas ouvrir la porte. Malheureusement j'étais obligé de faire un circuit, parce que la bibliothèque donnait sur un escalier dérobé qu'il fallait parcourir pour regagner celui qui servait à l'usage général de toute la maison. J'entendais cependant tout ce qui se passait. Le vieux Syddall répondait d'une voix faible et timide aux cris tumultueux des gens qui demandaient à entrer de par le roi, d'après les ordres du juge Stradish, et qui faisaient au vieux domestique les plus horribles menaces s'il n'obéissait à l'instant même.

À mon grand déplaisir, j'entendis alors la voix aigre d'André crier à Syddall de se retirer et de lui laisser ouvrir la porte.

— S'ils viennent par ordre du roi George, disait-il, nous n'avons rien à craindre. Nous avons versé notre sang et dépensé notre argent pour lui. Nous n'avons pas besoin de nous cacher comme certaines gens, M. Syddall. Nous ne sommes, Dieu me préserve! ni papistes ni jacobites, que je sache.

J'entendis l'officieux coquin tirer verrou sur verrou, tout en proclamant son affection et celle de son maître pour le roi George, et je calculai qu'il m'était impossible d'arriver à temps pour m'opposer à l'entrée des gens qui arrivaient. Dévouant au bâton le dos de M. Fairservice, et me promettant de ne pas le manquer dès que j'aurais le temps de lui payer mes dettes, je courus me barricader dans la bibliothèque; je fermai la porte à clef et au verrou, et frappant vite à la porte secrète qui conduisait à l'appartement de mes hôtes, je demandai à entrer sur- le-champ. Diana m'ouvrit elle-même: elle était tout habillée, et son visage n'annonçait ni crainte ni émotion.

— Le danger nous est si familier, me dit-elle, que nous y sommes toujours préparés. Nous avons entendu tout ce bruit, et nous nous sommes disposés à fuir. Nous allons descendre dans le jardin, nous sortirons par la porte de derrière, dont Syddall nous a donné la clef, à tout événement, et de là nous gagnerons le bois qui n'en est qu'à deux pas. J'en connais tous les détours mieux que qui que ce soit, et j'espère que nous pourrons leur échapper. Tâchez seulement de les arrêter quelques instants. Adieu, cher Frank, adieu encore une fois.

Elle disparut comme un météore, et elle avait à peine pu rejoindre son père, quand j'entendis frapper à grands coups à la porte de bibliothèque.

— Vous êtes des voleurs, m'écriai-je, feignant de me méprendre sur le motif de cette visite, et, si vous ne vous retirez à l'instant, je n'ouvrirai que pour faire feu sur vous de ma carabine.

— Pas de folie! s'écria André, pas de folie! ce ne sont pas des voleurs, Dieu me préserve! c'est M. le clerc Jobson qui vient avec un mandat.

— Pour chercher, saisir et appréhender, dit une voix que je reconnus pour celle de ce détestable praticien, différentes personnes dénommées au mandat dont je suis porteur, et accusées de haute trahison, aux termes du chapitre III de la loi rendue dans la treizième année du règne de Guillaume.

En même temps les coups à la porte redoublèrent avec une telle violence que je vis qu'elle n'y résisterait pas longtemps.

— Un instant, messieurs, un instant, leur dis-je pour tâcher de gagner quelques minutes. Point de voies de fait. Laissez-moi le temps de me lever, je vais vous ouvrir, et, si vous êtes porteur d'un mandat légal, vous n'éprouverez aucune résistance.

— Dieu conserve le grand George, notre digne roi! s'écria André: je vous ai bien dit que vous ne trouveriez ici ni papistes ni jacobites.

Quelques minutes s'écoulèrent en silence. Enfin, on recommença à battre la porte, et je fus obligé de l'ouvrir de peur qu'elle ne fût enfoncée.

M. Jobson entra suivi de plusieurs aides, parmi lesquels je reconnus Lancy Wingfield, porteur sans doute de l'avis charitable qui l'avait mis en mouvement. Il exhiba le mandat qu'il était chargé d'exécuter contre Frédéric Vernon et Diana Vernon sa fille, et m'en montra un second dirigé contre Frank Osbaldistone, comme leur fauteur et complice. C'eût été une folie que de vouloir résister. Je feignis de discuter encore quelques instants pour gagner du temps, et me rendis ensuite prisonnier.

J'eus alors la mortification de voir Jobson marcher directement et sans hésiter vers l'endroit qui conduisait à l'appartement secret, lever la tapisserie, ouvrir la porte et y entrer. Il n'y resta qu'un instant. Le gîte est encore chaud, dit-il en rentrant, mais les lièvres sont partis. Au surplus, s'ils ont échappé aux chasseurs, ils seront pris par les lévriers.

Des cris que j'entendis en ce moment dans le jardin me firent penser que sa prophétie ne s'était que trop réalisée. Au bout de quelques minutes, Rashleigh entra dans la bibliothèque, accompagné de quelques satellites, et amenant sir Frédéric Vernon et sa fille.

— Le vieux renard connaissait son terrier, dit-il, mais il ne pensait pas qu'un bon chasseur en gardait l'entrée. Je n'avais pas oublié la porte du jardin, sir Frédéric Vernon, ou noble lord Beauchamp.

— Rashleigh, s'écria sir Frédéric, vous êtes un abominable scélérat!

— Je méritais ce nom, monsieur… ou milord, quand, sous la direction d'un maître habile, je cherchais à déchirer par la guerre civile le sein d'un pays paisible. Mais j'ai fait tous mes efforts, ajouta-t-il en levant les yeux au ciel, pour réparer mes erreurs et mériter mon pardon.

Je ne pus garder le silence plus longtemps, malgré la résolution que j'en avais formée. Il fallait parler ou étouffer.

— Les traits les plus hideux que l'enfer puisse produire, m'écriai-je, ce sont ceux de l'hypocrisie couvrant la scélératesse.

— Ah! c'est vous, mon aimable cousin, dit Rashleigh en approchant de moi une lumière, et me regardant de la tête aux pieds. Soyez le bienvenu à Osbaldistone-Hall. Je vous pardonne votre humeur. Il est dur de perdre en une nuit une maîtresse et un beau domaine; car nous allons prendre possession de ce château au nom de l'héritier légitime, sir Rashleigh Osbaldistone.

Tandis qu'il me parlait de ce ton ironique, je voyais l'effort qu'il faisait pour cacher la honte et la colère qui l'agitaient tour à tour. Mais il y réussit moins bien quand Diana lui adressa la parole.

— Rashleigh, lui dit-elle, j'ai pitié de vous, car malgré tout le mal que vous avez voulu me faire et que vous m'avez fait, je ne puis encore vous haïr autant que je vous méprise. Ce que vous venez de faire est peut-être l'ouvrage d'une heure, mais vous y trouverez de quoi réfléchir pendant toute votre vie. — De quelle nature seront ces réflexions? C'est ce que votre conscience vous dira. Vous entendrez sans doute son cri quelque jour.

Rashleigh ne lui répondit point; il fit deux ou trois tours dans la chambre, s'approcha d'une table sur laquelle il était resté la veille un flacon de vin, s'en versa un grand verre bord à bord, d'une main tremblante, et quand il vit que son tremblement ne nous avait pas échappé, il fixa les yeux sur nous d'un air calme, et faisant un violent effort sur lui-même il vida le verre sans en répandre une seule goutte.

— C'est, ma foi, du vieux bourgogne de mon père! s'écria-t-il. Je suis charmé qu'il en reste encore. Lancy, restez dans le château pour en prendre soin en mon nom, tandis que Jobson et moi nous allons conduire tous ces braves gens en lieu de sûreté. Quant à ce vieux fou, et à cette espèce d'imbécile, ajouta-t-il en montrant Syddall et André, il ne s'agit que de les mettre à la porte. Maintenant, partons, dit-il en se tournant vers nous. J'ai fait préparer le vieux carrosse de famille pour vous conduire, quoique je n'ignore pas que cette jeune dame pourrait braver le serein de la nuit à pied et à cheval, si le voyage était de son goût.

André se tordait les mains de désespoir. — J'ai seulement dit, s'écriait-il, que mon maître parlait sûrement à quelque esprit dans la bibliothèque. Ce misérable Lancy! trahir un ancien ami qui, pendant vingt ans, a chanté avec lui les mêmes psaumes dans le même livre!

On le chassa de la maison ainsi que Syddall, sans lui laisser le temps de finir ses lamentations. Son expulsion eut pourtant des suites assez extraordinaires, comme je l'appris ensuite, mais je dois en parler ici pour ne pas interrompre l'ordre et l'enchaînement des faits.

Ayant résolu d'aller passer le reste de la nuit chez une ancienne connaissance qui demeurait à environ un mille, il venait de sortir de l'avenue du château, et se trouvait dans un endroit qu'on nommait encore le vieux bois, quoiqu'il servît de pâturage et qu'il ne s'y trouvât plus que quelques arbres. Il y rencontra un troupeau de boeufs d'Écosse qui y étaient couchés et qui paraissaient y avoir passé la nuit. Il n'en fut nullement surpris. Il savait que la coutume de ses compatriotes, en conduisant des bestiaux, était de choisir à la fin de chaque journée quelque bon pâturage où leurs boeufs pussent faire un bon souper à peu de frais, et d'en partir avant le lever du soleil pour éviter toute querelle avec le propriétaire de la prairie. Il passait tranquillement au milieu du troupeau; mais il fut saisi d'une peur soudaine lorsqu'un Highlander, se levant, l'accusa de troubler ses bêtes et refusa de le laisser passer avant de l'avoir amené à son maître. Le montagnard conduisit André vers un buisson, derrière lequel il trouva quatre ou cinq autres de ses compatriotes. Je m'aperçus bien vite, me dit André en me racontant cette aventure, qu'ils étaient en plus grand nombre qu'il n'est nécessaire pour conduire un troupeau de bétail, et je me doutai bien qu'ils avaient d'autre chanvre à leur quenouille.

Ils le questionnèrent sur tout ce qui s'était passé à Osbaldistone-Hall, et parurent écouter ses réponses avec surprise et intérêt.

— Vous jugez bien, me dit André, que je leur dis tout ce que je savais: car il n'est point de réponse au monde que je refuse de faire à des dirks et à des pistolets.

Ils conférèrent ensemble à voix basse, et enfin réunirent leurs boeufs qu'ils firent marcher vers le bout de l'avenue, qui avait environ un demi-mille de longueur. Là ils se mirent à traîner quelques troncs d'arbres coupés dans le voisinage, qu'ils disposèrent de façon à former une sorte de barricade en travers de la route, à quinze toises environ plus loin que l'avenue. Le jour commençait à poindre, et aux dernières clartés de la lune se mêlait un pâle rayon de l'aube matinale qui permettait de distinguer assez bien les objets. On entendit le bruit sourd d'une voiture à quatre chevaux qui roulait dans l'avenue, escortée par six hommes à cheval. Les Highlanders écoutèrent attentivement. La voiture contenait M. Jobson et ses malheureux prisonniers. L'escorte se composait de Rashleigh, des officiers de paix et des agents de police à cheval.

À peine eûmes-nous franchi la porte qu'elle fut fermée derrière la cavalcade par un Highlander posté là à dessein. Au même instant la voiture fut arrêtée par les boeufs à droite et à gauche, et par la barricade. Deux hommes de l'escorte mirent pied à terre pour pousser de côté les troncs d'arbres qu'ils pouvaient croire laissés là par hasard ou négligence. Les autres commencèrent à fouetter les boeufs pour les éloigner de la route.

— Qui ose frapper nos bêtes? s'écria une voix forte. Feu sur lui,
Angus!

Rashleigh s'écria à l'instant: — Au secours! au secours! et il blessa d'un coup de pistolet celui qui avait parlé.

— _Claymore! _cria le chef des Highlanders, et un combat s'engagea. Les officiers de justice, surpris de cette soudaine attaque, et qui ne sont pas ordinairement doués d'une grande bravoure, ne firent qu'une faible défense eu égard à la supériorité de leur nombre; quelques-uns voulurent retourner au château, mais un coup de pistolet tiré de derrière la porte leur fit croire qu'ils étaient entourés, et ils finirent par s'enfuir de différents côtés. Rashleigh cependant était descendu de cheval et soutenait à pied, corps à corps, un combat désespéré contre le chef des assaillants, que je pouvais voir de la portière de la voiture. Enfin Rashleigh tomba.

— Demandez-vous pardon, pour l'amour de Dieu, du roi Jacques et de notre ancienne liaison? lui cria une voix que je reconnus bien.

— Non, jamais! répondit Rashleigh avec fermeté.

— Eh bien, meurs donc, traître! s'écria Mac-Gregor: et il lui passa son épée au travers du corps.

Au même instant il ouvrit la portière de la voiture, offrit la main à miss Vernon, nous aida, sir Frédéric Vernon et moi, à en descendre, et en arrachant Jobson qui y restait blotti dans un coin, il le précipita sous les roues.

— M. Osbaldistone, me dit-il tout bas, vous pouvez rester, vous n'avez rien à craindre; mais il faut que je songe à ceux qui ne seraient pas en sûreté ici. Soyez tranquille pour vos amis. Adieu. N'oubliez pas Mac-Gregor.

Il fit entendre un coup de sifflet, toute sa troupe se rassembla à l'instant autour de lui. Il fit placer au centre sir Frédéric et sa fille, et je les vis s'enfoncer dans la forêt. Le cocher et le postillon avaient abandonné leurs chevaux au premier feu; mais ces animaux, arrêtés par les barricades, étaient restés immobiles, fort heureusement pour Jobson qui aurait été écrasé sous les roues de la voiture si elle avait fait le moindre mouvement. Mon premier soin fut de le tirer de cette situation dangereuse, et c'était un service important, car le coquin était tellement anéanti par la frayeur qu'il serait mort plutôt que de se relever sans aide. Je lui recommandai de faire attention que je n'avais eu aucune part à ce qui venait de se passer, que je n'en profitais pas pour m'échapper, et j'ajoutai que je me regardais toujours comme son prisonnier. Je lui conseillai de retourner au château et de faire venir Lancy et quelques-uns de ses gens qui étaient restés avec lui, et qui nous étaient nécessaires pour donner du secours aux blessés. Mais il était paralysé par la terreur, il ne pouvait se soutenir sur ses jambes, et à peine eut-il la force de me conjurer d'y aller moi-même. Je me déterminai à m'y rendre, mais à quelques pas je trébuchai contre un corps que je pris pour un cadavre. Le prétendu mort se leva pourtant sur ses jambes en parfaite santé, et je reconnus André Fairservice, qui avait pris cette posture pour mieux se garantir des coups de claymore et des balles qui, pendant un moment, avaient sifflé de toutes parts. Je fus si charmé de le trouver en ce moment que je ne m'arrêtai pas à lui demander par quel hasard il y était, et je lui ordonnai de me suivre.

Je m'occupai d'abord de Rashleigh. Il poussa, lorsque je m'approchai de lui, une espèce de gémissement qui semblait autant un cri de rage qu'une exclamation de douleur, et il ferma les yeux, comme si, semblable à Iago[147], il était résolu à ne plus dire une parole. Il se laissa porter dans la voiture, et nous rendîmes le même service à deux autres blessés étendus sur le champ de bataille; je fis comprendre à Jobson, non sans peine, qu'il fallait qu'il y montât aussi pour soutenir sir Rashleigh pendant la route. Il m'obéit de l'air d'un homme qui ne conçoit qu'à moitié ce qu'on lui dit. André ouvrit la porte de l'avenue, fit tourner les chevaux, et les conduisit au pas par la bride jusqu'à Osbaldistone-Hall.

Quelques-uns des fuyards y étaient déjà arrivés par différents détours et y avaient répandu l'alarme, en disant que sir Rashleigh, le greffier Jobson et toute l'escorte, excepté eux qui en apportaient la nouvelle, avaient été attaqués et taillés en pièces par un régiment de féroces Highlanders. Aussi, lorsque nous y arrivâmes, entendîmes-nous un bruit semblable au bourdonnement d'une ruche quand elle se prépare au combat. M. Jobson, qui commençait à reprendre ses sens, trouva pourtant assez de force dans ses poumons pour appeler de façon à se faire reconnaître. Il était d'autant plus empressé de sortir de la voiture qu'il était écrasé sous le poids d'un de ses compagnons de voyage qui avait rendu le dernier soupir pendant ce court trajet, et que le voisinage d'un cadavre ajoutait encore à sa terreur.

Sir Rashleigh Osbaldistone vivait encore, mais il avait reçu une blessure si terrible que le fond de la voiture était littéralement rempli de son sang, et qu'on en pouvait suivre la trace depuis le péristyle jusqu'à la salle où on le plaça dans un grand fauteuil, tandis que les uns s'efforçaient d'arrêter l'hémorragie par des bandages, que les autres criaient qu'il fallait faire venir un chirurgien, et que personne ne bougeait pour l'aller chercher.

— Qu'on ne me tourmente point! dit le blessé. Je sens qu'aucun secours ne peut me sauver. Je suis un homme mort.

Il se releva dans le fauteuil, se tourna vers moi, et quoique la pâleur du trépas fût déjà répandue sur son visage, il me dit avec une fermeté qui semblait au-dessus des forces qui devaient lui rester: — Cousin Francis, approchez-vous.

Je m'approchai.

— Je ne veux que vous dire que les approches de la mort ne changent rien à mes sentiments pour vous. Je vous hais maintenant que je meurs devant vous, je vous hais autant que je le ferais si vous étiez à ma place, et que j'eusse le pied sur votre poitrine.

Tandis qu'il parlait ainsi, on voyait encore la rage étinceler dans ses yeux qui bientôt allaient se fermer pour toujours.

— Je ne vous ai jamais donné aucun sujet de me haïr, monsieur, et je désirerais pour vous qu'en un pareil moment…

— Vous ne m'en avez donné que trop de sujets. En amour, en intérêt, en ambition, partout je vous ai trouvé sur mon chemin. J'étais né pour être l'honneur de la maison de mon père. J'en ai été l'opprobre, et vous seul en êtes cause. Mon patrimoine est devenu le vôtre. Jouissez-en. Puisse la malédiction d'un homme mourant s'y attacher!

Un moment après avoir proféré cette terrible imprécation, il retomba dans le fauteuil, ses yeux devinrent ternes et vitreux, ses membres se raidirent, mais la sinistre expression de la haine survécut encore dans ses traits à son dernier soupir[148].

Je ne m'appesantirai pas plus longtemps sur ce tableau hideux. Il me suffira de dire que le mort de Rashleigh me laissa en possession paisible de la succession de mon oncle. Jobson lui-même se vit forcé de convenir que le ridicule mandat décerné contre moi comme coupable de haute trahison n'avait été tracé que pour favoriser Rashleigh dans ses vues et m'écarter d'Osbaldistone- Hall. Le nom du coquin fut effacé du tableau des procureurs, et il mourut réduit à l'indigence et au mépris.

Après avoir mis en ordre mes affaires à Osbaldistone-Hall, où je rétablis le vieux Syddall dans sa place et M. Fairservice dans son jardin, je repartis pour Londres, heureux de quitter un séjour qui ne m'offrait que des souvenirs pénibles. Je désirais vivement avoir des nouvelles de Diana et de son père. Environ deux mois après, un Français, qui était venu en Angleterre pour affaires de commerce, m'apporta une lettre de miss Vernon qui mit fin à mes inquiétudes en m'apprenant qu'ils étaient tous deux en sûreté.

Elle m'expliquait dans cette lettre que ce n'était pas le hasard qui avait fait paraître si à propos Mac-Gregor et sa troupe. La noblesse d'Écosse qui avait pris une part plus ou moins directe à la dernier insurrection désirait vivement favoriser la fuite de sir Frédéric Vernon, parce qu'en sa qualité d'agent confidentiel de la maison de Stuart il pouvait être nanti de pièces capables de compromettre la sûreté de la moitié des grandes familles d'Écosse; et pour favoriser son évasion on avait jeté les yeux sur Rob-Roy, dont on connaissait le courage et l'adresse. Le rendez-vous était fixé à Osbaldistone-Hall. Vous avez vu comme son plan avait failli être déconcerté par le malheureux Rashleigh: il réussit cependant; car, lorsque sir Frédéric et sa fille furent délivrés, ils trouvèrent des chevaux préparés pour eux, et Rob-Roy, à qui tous les chemins du nord de l'Angleterre étaient familiers, les conduisit à la côte occidentale, où ils parvinrent à s'embarquer pour la France.

Le même Français m'apprit que sir Frédéric ne pouvait survivre longtemps à une maladie de langueur, suite des privations et des fatigues multipliées qu'il avait subies dernièrement encore; sa fille était dans un couvent, et c'était toujours l'intention de son père qu'elle prît le voile.

Je me décidai aussitôt à faire connaître franchement à mon père les secrets sentiments de mon coeur. Il parut d'abord un peu effrayé de l'idée de me voir épouser une catholique romaine; mais il désirait me voir établi dans le monde comme il le disait. Il sentait qu'en m'occupant uniquement de ses affaires de commerce, comme je l'avais fait depuis près d'un an, je lui avais sacrifié mes inclinations et mes goûts. Après avoir hésité, après m'avoir fait quelques questions auxquelles mes réponses lui parurent satisfaisantes, il finit par me dire: — Je n'aurais guère pensé que mon fils pût jamais devenir le seigneur du domaine d'Osbaldistone; encore moins qu'il allât chercher une épouse dans un couvent de France: mais celle qui a été fille si soumise doit être bonne épouse. Vous avez _consulté _mes goûts en travaillant au comptoir, Frank; il est juste que vous consultiez le vôtre pour vous marier.

Je n'ai pas besoin de vous dire, Will Tresham, comme j'allai vite en affaire d'amour. Vous savez aussi combien j'ai longtemps vécu heureux avec Diana, vous savez combien je l'ai pleurée; — mais vous ne savez pas, vous ne pouvez pas savoir combien elle était digne des regrets de son époux.

Il ne me reste plus d'aventures romanesques à vous raconter; je n'ai même plus rien à vous apprendre, vous connaissez mieux que personne le peu d'incidents qui ont marqué ma vie: comme celle des autres hommes, elle a été semée de plaisirs et de chagrins, et vous les avez tous partagés avec moi. J'ai fait plusieurs voyages en Écosse; mais je n'ai jamais revu l'intrépide Highlander qui a eu tant d'influence sur les événements de la partie de mes aventures dont je viens de vous tracer le récit. J'ai appris de temps en temps qu'il continuait à se maintenir dans les montagnes voisines du lac Lomond, en dépit de tous ses ennemis; que même le gouvernement avait fini par fermer les yeux sur l'audace avec laquelle il s'était érigé en protecteur du comté de Lennox, et qu'en conséquence il y levait toujours son _black-mail, _avec autant de régularité qu'un propriétaire exige le paiement de ses fermages. On aurait cru impossible qu'il ne terminât pas ses jours d'une manière violente; il mourut pourtant paisiblement vers l'an 1736, mais son souvenir vit encore dans tous les environs de ses montagnes, comme celui de Robin-Hood en Angleterre, surnommé la terreur du riche et l'ami du pauvre. Il est certain qu'il possédait des qualités de coeur et d'esprit qui auraient fait honneur à une profession moins équivoque que celle à laquelle son destin semblait l'avoir condamné.

Le vieux André Fairservice, que vous devez vous rappeler avoir vu comme jardinier à Osbaldistone-Hall, disait souvent qu'il y avait maintes choses extrêmes dans le bien et extrêmes dans le mal, telles que ROB-ROY.

(Ici finit brusquement le manuscrit. J'ai quelque raison de penser que ce qui suivait avait rapport à des affaires particulières.)[149]

[1] Personnage de Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare. Un stratagème comique parvient à décider Benedict au mariage. [2] C'en est fait de. - Tr. [3] Celle de 1688. - Éd. [4] Ces divers noms indiquent sans doute des variétés de morue dont le nom français ne nous est pas connu. - Éd. [5] Phrase proverbiale pour remercier les acteurs des _masques _de Noël. Les officiers inférieurs de l'Église venaient aussi demander l'aumône avec des rimes. - Éd. [6] Westminster et Eton sont ce que nous appelons en France des pensions et des collèges; les collèges des universités ne sont fréquentés que par des jeunes gens qui ont fini leurs classes à Eton et à Westminster. - Lilly, auteur d'un rudiment. - Éd. [7] C'est-à-dire au moins cent mille liv. sterling. - Éd. [8] Allusion à l'histoire du lord-maire Whittington. - Éd. [9] Dans cet opéra, comme on sait, Gray a pris pour ses héros des mauvais sujets de toutes les écoles. - Éd. [10] Un de ces hôtels de Londres surnommés enfers (maisons de jeu décentes). - Éd. [11] Antoine Wood, auteur d'Athenae oxonienses, antiquaire d'Oxford. - Éd. [12] The Beaux's stratagem, comédie de G. Farquhar. - Éd. [13] Stock-Alley ou Exchange-Alley est le quartier de la Bourse, et signifie la Bourse elle-même. - _Bear _et bull, ours et taureau, sont des termes de l'argot des agioteurs. On appelle l'Ours celui qui, sans rien posséder dans les fonds, s'engage à livrer une quantité de rentes à un taux convenu et à une époque fixée, comme la fin du mois par exemple. Le Taureau est celui qui achète ces mêmes rentes, quoiqu'il n'ait pas d'argent pour les payer. Au terme arrivé, l'un ou l'autre paie la différence, suivant la hausse ou la baisse. On dit de celui qui ne peut payer qu'il devient un canard boiteux, et qu'il sort en canard de la Bourse. Peut-être le mot d'ours fait-il allusion à la fable des chasseurs qui vendaient la peau de l'ours avant de l'avoir tué. - Éd. [14] C'est en Angleterre qu'on reçoit dans les universités le diplôme de docteur en musique. Les Italiens disent simplement il maestro. - Éd. [15] Il y a dans le texte year old hogs; ce que nous remarquons pour avertir ceux qui lisent l'anglais de sir Walter Scott que hog, dans le dialecte du nord, ne veut pas dire pourceau, mais agneau. D'où l'on a remarqué que le berger-poète _Hog _avait un nom qui lui allait à merveille. Nous avons déjà dit dans les notes de Waverley que les pourceaux avaient longtemps été rares en Écosse. - Éd. [16] Ce passage semble avoir été écrit du temps de Wilkes et la liberté! (Cette note de l'auteur nous désigne l'époque de 1761, où le ministère de lord Bute mit en jeu toute l'antipathie des Anglais contre les Écossais. - Éd.) [17] Surnom anglais du renard, dont le nom commun est fox. - Éd. [18] La salle du bruit: sans doute à cause du tumulte et des joyeuses orgies dont nous allons être témoins. - Éd. [19] L'action du vieux poème-ballade de Chevy-Chase se passe sur cette partie des frontières anglaises (English border). - Éd. [20] Pièce qu'on joue aujourd'hui sous le titre de Don Juan. (Nous remarquerons qu'en citant le titre de la pièce française, Francis met pierre sans capitale, conformément à la vraie étymologie espagnole, le Convié de pierre, ou la Statue conviée (Il conbitado de piedra). - Éd. [21] Hounslow est situé à environ dix milles de Londres. Il y a des traces d'un camp plus ancien que celui de 1686, auquel il est ici fait allusion. Le camp d'Hounslow avait pour objet de rassembler une armée contre le duc de Monmouth. - Éd. [22] Le monument de Stone-Henge est dans la plaine de Salisbury (Wiltshire). Il consiste en quatre pierres énormes, placées les unes dans les autres: les deux extérieures sont circulaires, et les inférieures ovales. On n'a pas encore décidé si c'était un monument druidique. - Éd. [23] Le Spectateur d'Addison. - Éd. [24] C'est un troisième service, qui, avec la salade, précède immédiatement le dessert en Angleterre. - Éd. [25] Scoth bonnet, le béret ou toque bleue, avec bordure ou bandes bariolées. - Éd. [26] Sans doute du français justaucorps. - Éd. [27] Le Bélisaire venait en effet de paraître à l'époque supposée. - Éd. [28] Prologue de Gil Blas. - Éd. [29] Qu'il chante. - Tr. [30] Nous avons donné dans les notes de _Guy Mannering _une note détaillée sur les juges de paix du Quorum, c'est-à-dire ceux qu'une ordonnance spéciale investit de certains pouvoirs plus étendus. Custos Rotulorum, garde des archives, est le titre du chef de la commission des juges de paix. - Éd. [31] Jurisconsulte qui a laissé des commentaires estimés. - Éd. [32] C'est-à-dire des partisans écossais des Stuarts, indigents et avides. On appelle vulgairement une bassinoire d'Écosse une femme d'Écosse, parce qu'on prétend que dans les maisons où un hôte avait besoin de faire chauffer son lit, la servante ou même la maîtresse de la maison allait s'y coucher pendant le temps nécessaire pour suppléer au manque de bassinoire, ustensile inconnu en Écosse. - Éd. [33] Sans doute à cause des deux sens que présente cette devise latine: Vernon semper viret, Vernon est toujours vert (ou toujours fort); et Ver non semper viret, Le printemps n'est pas toujours vert. On aimait dans le blason les jeux de mots de ce genre. - Éd. [34] Le mot figure seul en anglais signifie chiffre. - Éd. [35] C'est notre jeu du bouchon. On place des pièces de monnaie sur un liège ou une espèce de quille, que l'on vise avec des palets ou des sous, et qu'on renverse. Chacun gagne les pièces qui sont le plus près de son palet ou de son sou. - Éd. [36] Qui est le président de la chambre des lords. - Éd. [37] Personnage de la tragédie d'Othello. - Éd. [38] Les nouveaux navets sont peut-être un trope comme les rats; car on appelle rats au figuré les convertis politiques peu sincères dans leur nouvelle croyance. - Éd. [39] Abréviation de Rasleigh. - Tr. [40] Othello. - Éd. [41] Le narrateur nous a déjà appris que Rasleigh avait été élevé à Saint-Omer chez les Jésuites. - Éd. [42] Le traducteur laisse ici ces mots du texte pour faire sentir la difficulté de traduire ce patois d'Écosse, que le héros du roman est obligé lui-même de se faire expliquer. Francis croit que ces mots clean wud signifient bois clair, et Fairservice veut dire que les gens de Londres ont perdu la tête. Le reste du dialogue n'est pas moins difficile pour les Anglais eux-mêmes. - Éd. [43] Fairservice aime à exagérer l'importance de son pays. - Éd. [44] Édifice où se tenaient les séances du parlement d'Écosse. - Éd. [45] Il y a dans le texte un calembourg intraduisible sur robbed et _rabbit, _volé et lapin. C'est ici qu'on peut pardonner à la traduction quelques équivalents. - Éd. [46] 1 2400 fr. - Éd. [47] Un de ces livres mystiques sortis du cerveau malade des presbytériens fanatiques. - Éd. [48] L'auteur se sert du vieux mot over-crawed. - Éd. [49] Pied léger. - Éd. [50] Les frontières les plus centrales. [51] Le bouillant André. Hostpur, personnage historique de Shakespeare, dont le nom peut se traduire par éperon chaud. - Éd. [52] 1 240 fr. [53] C'est à ce saint que les chroniques attribuent la civilisation des premiers habitants du Strathclyde. Son nom était Kentigern, fils d'Owain, surnommé Mungo, c'est-à- dire le Courtois. La cathédrale lui était dédiée avant la réforme. - Éd. [54] C'est notre mot hôtelière. - Éd. [55] On comprend par ce mot, que nous traduisons le plus chastement possible, combien le bon presbytérien en veut à la Prostituée de Rome, dont il parle dans le style des prédicateurs du temps. - Éd. [56] Ruisseau qui passe à Glascow. - Éd. [57] André, espèce de Sancho Pança presbytérien, prodigue dans son discours la conjonction copulative et pour singer les saintes écritures. - Éd. [58] La rue (ruta) est une plante qui dans sa verdeur a une saveur amère et âcre. - Éd. [59] J'ai vainement cherché le nom de cet ecclésiastique. Je ne désespère pas cependant de voir ce point, et quelques autres qui échappent à ma sagacité, éclairés par une des publications périodiques qui ont consacré leurs pages à commenter ces volumes, et dont les recherches et les bonnes intentions méritent ma gratitude particulière, comme ayant découvert plusieurs personnes et plusieurs faits liés à mes récits, et auxquels je n'avais même pas songé*. *L'auteur cherche ici querelle à ceux qui ont voulu donner la clef de ses personnages: nous prendrons notre part du reproche pour nos notes et notre notice. - Éd. [60] Carton qu'on admire encore à Hampton-court. - Éd. [61] Par quel mandat judiciaire, mandat d'arrêt? - Éd. [62] Un huissier. - Éd. [63] C'est une locution toute particulière aux Highlands que cet elle qu'emploie Dougal en parlant de lui-même. Le mot créature est sous-entendu, comme on dirait en style de syntaxe. - Éd. [64] M. Châtiebien, en estropiant le nom de Dougal. - Éd. [65] Quartier marchand de Londres dans la Cité, comme est notre rue Saint-Denis. - Éd. [66] Le même usage existe en Angleterre en certains cas. - Tr. [67] Un liard. - Tr. [68] Il y a dans tout ce langage entrecoupé des exclamations écossaises intraduisibles. O hon-a-ri signifie hélas, mon chef! - Éd. [69] Old Nick, nom familier que les Anglais donnent au diable: le vieux Nick. [70] Il est bon que le lecteur sache que ce titre ajouté si volontiers par le bailli au nom de son père, n'est nullement le titre d'une dignité ecclésiastique. Un diacre à Glascow est un chef de la corporation des métiers. La ville est administrée par un lord-prevôt, trois baillis-marchands, deux baillis des métiers, le _doyen des marchands (dean of the guild), _le diacre convocateur (deacon-convener) avec les conseillers (municipaux). - Éd. [71] Pillard des Highlands. - Éd. [72] Tolbooth, prison. - Éd. [73] On appelle en Écosse Stentmasters les agents du fisc chargés d'établir la quotité de l'impôt personnel, ou capitation. - Éd. [74] Proverbe écossais pour dire que le sang des proches est un sang précieux. - Éd. [75] La poche du philibeg, dans le costume des Highlanders. - Éd. [76] Le _theft-boot _est le recélage d'un vol; le blachmail, l'impôt des catérans des Highlands; le spreagh, une excursion de maraudeur; le gill-ravaging, le vol des bestiaux, etc. - Éd. [77] Highlander armé pour une incursion. - Éd. [78] Kernes, soldats; ancien mot celte. - Éd. [79] Brochan, bouillie de farine d'avoine. - Le bailli désigne ironiquement les soldats de Macbeth (les Highlanders) par leur costume de guerre; - les brogues sont les brodequins des montagnards. - Éd. [80] Dans un sens figuré, le brogue, chaussure des Celtes irlandais et des Highlanders, désigne aussi leur accent national. - Éd. [81] Les bandes roulées autour de la jambe nue dans le costume des Highlanders. - Éd. [82] Nom que les montagnards donnent à leurs villages. - Éd. [83] Nous dirions en français: Voilà ma main pour gage. [84] Les Highlanders étaient-ils ainsi appelés à cause des bandes rouges dont nous parlions dans une des deux notes précédentes, ou simplement à cause de leur nudité? L'étymologie est douteuse: on dit aussi que red-shanks est un mot corrompu de _raugh shanks, _jambes rudes, jambes fortes. Enfin d'autres appliquent l'épithète à leur chaussure faite dans l'origine de peau non tannée. - Éd. [85] Pendu, supplicié. - Éd. [86] Nous dirions jusqu'au dernier liard. - Éd. [87] Une des îles du Loch Lomond où les Mac-Gregors avaient leur sépulture. - Éd. [88] Sur la route de Glascow à Aberfoil. - Éd. [89] Le jardin ou parc de l'université. - Éd. [90] Proverbe écossais dont nous ignorons l'origine. - Éd. [91] _Dourlach, _mot gaélique qui signifie faisceau, fagot; soit qu'ici par dourlach le bailli entende un bâton comme arme, ou un fagot pour mettre le feu. - Éd. [92] Domestiques. - Éd. [93] Nous avons donné dans Waverley l'étymologie de ce mot, qui signifie l'impôt du déprédateur, etc. - Éd. [94] D'Écossais montagnards. - Éd. [95] En confidence. [96] 1689. Ce fut le dernier combat de Dundee. - Éd. [97] Poche. - Éd. [98] Peat-bogs, fondrières à tourbes. - Éd. [99] La ménagère. - Éd. [100] Le mari. - Éd. [101] À deux sous. - Tr. [102] Hameau entre Drymen et Aberfoil. - Éd. [103] L'auteur s'accuse lui-même dans sa préface d'avoir mis ce pont sur le Forth trente ans trop tôt. Pictoribus atque peetis Hanc veniam plerumque damus petimusque vicissim. [104] Le Whiskey, eau-de-vie de grain. - Éd. [105] C'est-à-dire: Je ne sais pas l'anglais. - Éd. [106] Un demi-penny anglais, ou un sou de notre livre tournois; du français basse-pièce selon les étymologistes. - Éd. [107] Proverbe expliqué par la phrase précédente. - Éd. [108] Gentilhomme. Les notes de Waverley nous dispensent d'expliquer ici plus longuement ce mot et quelques autres de l'idiome des Highlands, avec lesquels le lecteur de Walter Scott doit déjà être familier. - Éd. [109] Dame censure, indulgente aux corbeaux, Vexe à plaisir les pauvres tourtereaux. - Éd. [110] Expression familière qui revient à notre mot de rapière ou flamberge. - Éd. [111] Poker, fer à tisonner. - Éd. [112] Un trot-cosey est une espèce de grand collet de drap de laine; un joseph est une redingote de voyage, et quelquefois une amazone pour les dames qui montent à cheval. - Éd. [113] Tradition populaire sur un lutin domestique de la famille du joli Trilby de Charles Nodier, mais moins amoureux que malicieux. - Éd. [114] Les enfants de Diarmid ou le clan de Diarmid, fils de Duina, était un titre du clan Campbell, qui faisait remonter son origine à Diarmid, un des héros Fingaliens. - Éd. [115] Limphades: la galère que la famille d'Argyle et les autres familles du clan Campbell portent dans leurs armes. - Tr. [116] Lochow et les cantons adjacents formaient l'ancien patrimoine des Campbells. L'expression far cry to Lochow était proverbiale: c'était une allusion à un combat qui eut lieu entre le clan Gordon et le clan Campbell dans le comté d'Aberdeen, où il était difficile que les Campbells appelassent les leurs au secours. - Éd. [117] On appelle ainsi en écossais (maiden) un instrument qui a une grande ressemblance avec le couteau de notre guillotine. - Éd. [118] Nous avons déjà fait remarquer ce pronom féminin substitué au pronom masculin dans la conversation écossaise. - Éd. [119] Nous avons vu que c'était d'un vieux soc que le bailli s'était armé. - Tr. [120] Ce sont des citations locales dont le sens est fort clair, mais difficiles à commenter. - Éd. [121] Une Tête-Ronde. - Éd. [122] J'ignore comment les choses pouvaient être du temps de M. Osbaldistone; mais je puis assurer au lecteur que la curiosité pourrait amener sur le théâtre de ces aventures romanesques, que le clachan d'Aberfoil offre aujourd'hui une petite auberge très confortable. S'il est antiquaire écossais, il apprendra avec d'autant plus de plaisir qu'il s'y trouvera dans le voisinage du révérend docteur Grahame, ministre de l'Évangile à Aberfoil, dont l'obligeance aimable pour communiquer ses recherches sur les antiquités nationales, n'est guère moins inépuisable que ses trésors en ce genre*. (Note de l'auteur.) * Qu'il soit permis à l'éditeur de joindre sa note à celle-ci, pour payer aussi son tribut au révérend docteur Grahame, auteur d'un excellent commentaire descriptif sur la Dame du Lac. C'est sous ses auspices que nous avons herborisé sur les bords élyséens du Loch-Ard. - Éd. [123] Induced to an unsophisticated state; réduit à l'état le plus dénué d'ornement; car l'épithète un peu affectée de cette phrase motive seule la parenthèse. - Éd. [124] De peur que quelques-uns de nos lecteurs soient moins familiers avec la Bible que les lecteurs écossais, nous ajouterons qu'il est ici question du meurtre de Sisara par Jael, qui lui enfonça un clou dans la tête pendant son sommeil. - Éd. [125] Chieftainess, la commandante, la femme-chef. - Éd. [126] Le jaugeur, le rat-de-cave. - Éd. [127] And the unit of that life for which he had pleade so strongly, was for ever withdrawn from the sum of human existence. Le traducteur a compris parfaitement que le goût français se révolterait contre la traduction littérale de cette phrase figurée qui termine un passage si tragique d'ailleurs par son éloquente simplicité. Mais la langue anglaise est plus librement figurée que la nôtre, et le texte n'a point choqué ici les critiques qui ont cité ce chapitre dans les Revues littéraires. Voici la phrase traduite littéralement: - « L'unité de cette vie, qu'il avait demandée avec tant d'instances, fut à jamais soustraite de la somme de l'existence humaine. » Cette phrase revient à celle que nos auteurs emploient fréquemment dans le style le plus familier: être rayé du livre de vie, - ou du nombre des humains. L'habitude ôte à tous ces tropes leur étrangeté; la langue latine a une foule de ces figures romantiques, qui passent inaperçues, et que nos classiques traducteurs éludent à merveille en prose comme en vers. - Éd. [128] Ici le trope est entièrement dans le caractère et le langage du bailli, véritable industriel de son époque. - Éd. [129] Le duc, que l'auteur ne nomme pas, était le duc de Montrose. - Éd. [130] Le marquis de Montrose. - Éd. [131] On comprend aisément les allusions jacobites de cette phrase. - Éd. [132] Aux quatre coins. - Éd. [133] C'est à ce personnage de l'Henry V de Shakespeare que Diana emprunte sa citation. - Éd. [134] The_ historica passio_ of poor Lear. Les mots latins sont empruntés à Shakespeare. - Éd. [135] Personnage de Shakespeare dans la Soirée des rois. - Éd. [136] The Children of the Myst, que nous retrouverons dans la légende de Montrose. - Éd. [137] On appelle cairns ces monuments grossiers qui s'offrent souvent aux regards du voyageur dans les montagnes d'Écosse, et qui consistent en pierres amoncelées sous une forme conique. On croit que ce sont des monuments funèbres formées par les passants, qui, en signe de respect pour la mort, ramassaient une pierre et l'ajoutaient aux autres. Un proverbe gaélique dit: - Malheur à qui passe devant un cairn sans y déposer la pierre du dernier salut. - Éd. [138] Barde du clan de Mac-Leod, dont le chant a été imité par sir Walter Scott dans les ballades. - Éd. [139] Cette complainte est venue jusqu'à nous, ce qui doit servir à donner une certaine authenticité à ces mémoires. (Note de l'éditeur écossais*.) * Sir Walter Scott a aussi composé pour l'anthologie écossaise le chant de guerre de Rob-Roy sur un air de tradition dont les paroles étaient perdues. - Éd. [140] Sonnez, cornemuses! - Éd. [141] Le lecteur a déjà remarqué sans doute comme nous qu'en plaçant ses héros dans la même contrée où sir Walter Scott avait déjà placé la _Dame du Lac, _l'auteur de _Rob- Roy _reproduit malgré lui dans sa prose la couleur du style et quelquefois les pensées légèrement modifiées du poète. - Éd. [142] L'auteur mystique du Voyage du pèlerin. - Éd. [143] L'auteur oublie ici par distraction que Francis Osbaldistone est censé ne s'adresser qu'à Tresham. - Éd. [144] Nom donné aux Torys. - Tr. [145] C'est l'idée des deux vers du Dante: Nessum maggior dolore che ricordarsi Del tempo felice nella miseria. INFERNO. - Éd. [146] True-bleue, deux vrais ennemis des jacobites. - Éd. [147] Othello, acte V. - Éd. [148] Le Giaour, parlant de son ennemi mort: Each feature of the sullen corse Betray'd his rage, but no remorse. "Chaque trait de ce sombre cadavre exprimait sa rage, mais aucun remords." Il est plusieurs autres passage de Rob-Roy qui semblent inspirés par l'énergique pensée de lord Byron. Voyez la Notice. - Éd. [149] Rob-Roy Mac-Gregor est un des héros dont le nom est le plus souvent cité par le peuple d'Écosse. La tradition conserve fidèlement les détails de la guerre de partisan qu'il fit si longtemps et avec tant d'audace, au duc de Montrose. Chaque habitant des environs du Loch-Lomond a sa petite anecdote à vous raconter sur les exploits et les ruses de ce redoutable proscrit. Nous nous contenterons d'indiquer au lecteur les pages que le colonel Hewart lui a consacrées dans son ouvrage un peu diffus sur les Highlanders, et principalement sur les régiments réguliers d'Écosse. Le Rob-Roy de Walter Scott est fidèle au portrait qu'en ont laissé tous ceux qui l'avaient connu; mais on admire surtout en Écosse cet ouvrage comme un second point de vue du tableau des Highlands, si admirable dans Waverley. La Légende de Montrose achève de nous familiariser avec ces contrées, également pittoresques sous le rapport du paysage comme sous celui des moeurs et des coutumes locales. Il y a aussi une opposition très heureuse entre le caractère sauvage, mais poétique, de Rob-Roy, et l'industrialisme tout positif, mais singulièrement original, de son prosaïque cousin le bailli Nicol Jarvie. Ce personnage constamment comique, qui est tout d'invention, a reçu une sorte d'existence réalisée par le talent d'un acteur d'Edimbourg, nommé Mackray. On a vu plus d'une fois sir Walter Scott, à couvert sous son incognito, rire aux larmes des lazzis du FILS de mon père le diacre. - Éd.

Chargement de la publicité...