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Sainte Jeanne de Chantal

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A MA FEMME

CHAPITRE PREMIER
JEUNE FILLE D’AUTREFOIS[1]

[1] Ce petit livre doit beaucoup à ses devanciers : au volume récent, sagace et bien informé de M. le vicomte du Jeu (Perrin), à la copieuse biographie classique de Mgr Bougaud (Poussielgue), au livre si vivant, si fin et si pénétrant de l’abbé Bremond (Gabalda), aux travaux de MM. Henry Bordeaux et F. Strowski (Plon). Et, bien entendu, on s’est reporté aux sources proprement dites, à la délicieuse Vie de sainte Chantal par sa secrétaire, la mère de Chaugy, aux œuvres et aux lettres de la Sainte, à la correspondance de saint François de Sales, dans les admirables éditions qu’en ont procurées les visitandines du premier monastère d’Annecy.

Elle est née à Dijon, comme saint Bernard et comme Bossuet. Comme eux de vieille souche bourguignonne, elle est bien de cette race où le sang est chaud, dru, généreux, où l’ardeur idéaliste s’accompagne toujours d’un ferme bon sens, d’une forte attache aux réalités de la vie et du sol, d’un magnifique besoin d’action. Par son père, le président Frémyot, elle appartient à une famille de parlementaires où le loyalisme monarchique et catholique est une vivante et constante tradition. Par sa mère, Marguerite de Berbisey, — les Berbisey se sont alliés à la famille de saint Bernard, — elle a comme recueilli une parcelle de l’héritage moral de l’homme étonnant qui fut en son temps le fondé de pouvoirs de la papauté. « Bon sang ne peut mentir », disait-elle ; et ce n’est pas elle qui eût fait mentir le proverbe.

Comme les Pascal, comme les Bossuet, comme nombre de familles de l’ancienne France, les Frémyot ont progressivement franchi « l’étape ». Sortis probablement du peuple, ils s’élèvent peu à peu jusqu’aux plus hautes magistratures provinciales. Le bisaïeul du président Frémyot était un simple officier de la maison du Téméraire ; son grand-père fut clerc et auditeur des comptes ; son père, conseiller au Parlement de Bourgogne ; lui-même fut successivement conseiller maître à la Chambre des Comptes, avocat général, président à mortier du Parlement, maire de Dijon. De génération en génération, on le voit, ces Frémyot montent et se poussent. Leur activité, leur intelligence, leur esprit d’ordre, leur sens des affaires ont assuré leur fortune, donné l’essor à leurs légitimes ambitions. Robustes et fervents chrétiens, d’ailleurs, ils n’entendent pas plaisanterie sur le chapitre de la religion ; ils n’ont aucune complaisance pour les hérétiques. Mme de Chantal pourra dire avec vérité qu’elle « rendait tous les jours grâces à Dieu de ce que jamais aucun de sa race, à ce que l’on ait su, n’a été que très bon catholique ». Et c’est elle, sans doute, qui a conté à sa confidente, la charmante mère de Chaugy, la savoureuse et symbolique anecdote que voici :

Son grand-père, le conseiller Jean Frémyot, à l’âge de soixante-quinze ans, « eut révélation du jour et de l’heure de son décès ». La veille, il alla dire adieu à ses parents et amis, « leur disant, avec une sainte simplicité, qu’il était sur son départ pour aller au voyage éternel ». Mais il était trop faible pour monter sur sa petite mule. Alors, « cette bête, comme si elle eût connu la nécessité de son maître, étend ses quatre jambes, s’abaisse jusque quasi à toucher la terre avec son ventre, et demeure dans cette posture jusqu’à ce que ce bon vieillard fût bien agencé sur sa selle, que tout doucement elle se releva tirant ses pieds l’un après l’autre, et au retour de ce petit voyage, elle se mit dans la même posture pour laisser descendre commodément son bon maître. » Celui-ci, rentré chez lui, se mit au lit, passa la nuit en prières, et, le matin venu, après s’être confessé, avoir communié, reçu l’extrême-onction, se fit dire une messe qu’il entendit pieusement de son lit. Au moment où le prêtre levait le calice, il expira comme il l’avait prédit, « disant, en latin, ce verset de David : Quando consolaberis me ? O Dieu ! quand me consolerez-vous ? »

Plus anciennement connus que les Frémyot, les Berbisey se sont élevés comme eux aux premières charges du Parlement de Bourgogne. Là aussi les traditions de foi et de vertus chrétiennes sont restées très vivaces. De Marguerite de Berbisey, la mère de sainte Chantal, morte au bout de quatre ans de mariage, nous ne savons qu’une chose, c’est qu’elle fut « regrettée de tous et surtout des pauvres, qui l’accompagnèrent à sa dernière demeure, en pleurant et en l’appelant tout haut leur bienfaitrice ».

Resté veuf à trente-six ans avec deux filles et un fils en bas âge, Bénigne Frémyot partagea son temps entre ses occupations professionnelles et l’éducation de ses enfants. Sa plus jeune sœur, veuve, elle aussi, vint habiter avec lui et tenir sa maison. Ce foyer ainsi reconstitué ne paraît pas avoir été trop austère. Dans ce pays de vie plantureuse et facile on n’est pas très morose, et le monde parlementaire en particulier a presque toujours su fort bien concilier la gravité des idées et des mœurs avec les libres agréments de la vie sociale.

Le président Frémyot n’aimait pas les protestants, et dès sa jeunesse il ne perdait pas une occasion de combattre leur influence. Soir et matin, il réunissait ses enfants et, dans des entretiens familiers, il veillait à leur instruction religieuse, les mettant en garde contre l’hérésie, réchauffant et entretenant leur foi dans la véritable Église. Ces leçons n’ont point été perdues.

C’était une haute et forte personnalité que celle du président Frémyot. La netteté de son esprit, la droiture de son jugement, l’élévation et l’énergie de son caractère s’étaient de bonne heure imposées à tous ses collègues, et telle était son autorité, comme avocat général, que la cour ne manquait jamais de se rallier à ses conclusions. Il est à croire qu’il approuva vigoureusement la généreuse attitude du lieutenant-général de la province, Léonor de Chabot-Charny qui, sous l’influence de Pierre Jeannin, avocat-conseil de la ville, au moment de la Saint-Barthélemy, refusa d’exécuter les ordres sanguinaires qu’il avait reçus. Bien que l’heureuse ville de Dijon, derrière ses fortes murailles, fût à l’abri des coups de main, le zèle catholique et le patriotisme de Bénigne Frémyot s’attristaient des maux sans nombre que les funestes guerres religieuses déchaînaient sur tout le pays. Les bandes de Coligny, surtout leurs alliés, les reîtres et lansquenets venus d’Allemagne, à plus d’une reprise parcourent la Bourgogne, pillant, brûlant, violant, massacrant, en dignes successeurs des hordes d’Attila. Partout des scènes de meurtre et de désolation : les hommes se jetant à l’eau ou sautant par-dessus les murs, les femmes « se sauvant toutes nues en chemise par les chemins avec leurs petits enfants » ; plus de quatre cents villages brûlés en 1569 ; nouvelle invasion dévastatrice en 1576 : il semblait que ces effroyables misères ne dussent jamais prendre fin.

Vingt ans encore les guerres civiles vont déchirer la France. Sous l’impopulaire Henri III, la Bourgogne, longtemps fidèle à son roi, adhère bruyamment à la Ligue : en 1588, le Parlement enregistre solennellement l’édit. Persécuté, honni pour son obstiné loyalisme, M. Frémyot se retire à Flavigny avec les rares parlementaires, — un Bossuet, note l’abbé Bremond, était du nombre, — auxquels il a fait partager ses convictions ; et là, muni des pleins pouvoirs du roi, il oppose un Parlement légal au Parlement rebelle. Menacé par les ligueurs de recevoir « dedans un sac » la tête de son fils, leur prisonnier, il adresse au lieutenant-général une lettre très digne sans raideur et très ferme, empreinte du plus noble stoïcisme, et qu’on nous a heureusement conservée : « Ni les tourments que l’on pourrait me donner, y disait-il, ni ceux que l’on fera à mon fils, que je sentirai plus que les miens, ne me pourraient ébranler à faire chose contre mon honneur et le devoir d’un homme de bien. J’aime mieux mourir tôt, ayant la réputation entière, que vivre longuement sans réputation. » Ce langage cornélien dut toucher le lieutenant-général : les ligueurs se contentèrent d’une « très grosse rançon ».

Henri III meurt assassiné : le roi légitime est un huguenot. Grave crise de conscience pour le président Frémyot : « en une nuit, il devint tout blanc du côté sur lequel il s’était couché ». Mais son parti est pris : il n’abjurera pas sa foi monarchique. A Flavigny, à Semur, il organise la résistance à la Ligue : il paie de ses deniers les soldats du roi de France, lui recrute partout des partisans, leur fait prêter serment, « à la condition qu’il se ferait catholique », sacrifiant tout, son temps, sa santé, sa situation, sa fortune, à la cause qu’il avait embrassée. Quand, le 20 juin 1595, Henri IV, converti, sacré roi de France, vainqueur des Espagnols à Fontaine-Française et rentré dans sa bonne ville de Dijon enfin soumise, se fit présenter le petit parlement de Semur qu’il avait immédiatement convoqué, ce dut être pour M. Frémyot une grande joie. Il n’abusa pas de sa victoire. Henri IV lui « départit ses caresses royales avec profusion » et voulut faire de ce juste un premier Président : il refusa et se fit accorder simplement la grâce d’un de ses plus mortels ennemis que le roi allait envoyer au supplice. « Sire, lui déclara-t-il un jour, je vous confesse que si Votre Majesté n’eût crié de bon cœur : Vive l’Église romaine ! je n’aurais jamais crié : Vive le roi Henri IV ! » Henri IV, qui aimait cette chrétienne franchise, eût été heureux d’avoir sous la main à Paris le président Frémyot. Celui-ci ne voulut pas quitter Dijon. Son expérience de la vie et des hommes, tous les deuils qui l’avaient accablé l’avaient sans doute détaché du monde : il voulait se faire prêtre ; il ne le put, ayant été marié deux fois, et la seconde avec une veuve. Redevenu très populaire, comblé de faveurs et de bénéfices par le roi, nommé par le Parlement, puis confirmé par le peuple, maire de Dijon, il fut, quinze années durant, dans sa province natale, l’un de ceux qui, par leur zèle et leur dévouement, collaborèrent le plus activement à l’œuvre réparatrice que l’autorité royale avait entreprise.

De ce grand chrétien, de ce père héroïque et sage qu’elle aimait et respectait profondément, Jeanne de Chantal sera la digne fille. Elle avait une sœur aînée, Marguerite, d’un an plus âgée qu’elle, et un frère cadet, André, plus tard archevêque de Bourges, dont la naissance coûta la vie à sa mère. Elle était née le 23 janvier 1572, — l’année de la Saint-Barthélemy, — tout près du Palais, dans le vaste hôtel, aujourd’hui détruit, des Frémyot. Elle fut baptisée le jour même et appelée Jeanne, du nom de saint Jean l’Aumônier, dont c’était la fête. L’éducation à la fois virile et tendre qu’elle reçut de son père et de sa tante suppléa, dans la mesure du possible, à l’absence d’une direction maternelle, et il en fut pour elle, nous dit-on, « non guère moins que si elle eût été au sein de sa défunte mère ». C’était une enfant vive et pieuse, et les mots d’enfant qu’on nous cite d’elle nous donnent à croire qu’elle avait de bonne heure hérité du peu de sympathie de son père pour les protestants. Il ne semble pas qu’on ait beaucoup poussé son instruction : son intelligence, ses lectures, ses observations personnelles feront le reste. « Elle apprenait, nous dit la mère de Chaugy, avec une grande souplesse et vivacité d’esprit tout ce qu’on lui enseignait, et on l’instruisait de tout ce qui est convenable à une demoiselle de sa condition et de son bon esprit : à lire, écrire, danser, sonner des instruments, chanter en musique, faire des ouvrages, etc., etc. »

Et, bien entendu, dans ce milieu très profondément religieux, on cultivait et on encourageait ses précoces dispositions à la piété. Elle avait une dévotion toute particulière pour la Vierge, « se nommant elle-même son enfant ». Elle pleurait à la vue d’un malheureux. « Si je n’aimais pas les pauvres, disait-elle, il me semble que je n’aimerais plus le bon Dieu. » Et de sa confirmation date un désir « qui ne la quitte plus, de faire de grandes choses pour Dieu, et même de souffrir le martyre ».

N’allons pas croire, cependant, que d’austères pensées de cloître hantaient déjà cette vive jeunesse. Dans ces vieilles familles bourguignonnes de magistrats humanistes et bons vivants on savait concilier les devoirs et les plaisirs, Dieu et le monde. Un mot, un simple mot de la mère de Chantal nous ouvre à cet égard les plus aimables perspectives. « Moi, dit-elle, qui ai été fille à toute folie, quand je donnais aux étourneaux que je nourrissais un petit morceau de sucre, je me faisais suivre en haut et en bas, partout où je voulais. » Je la vois, pleine de vie, de santé et de bonne humeur, jolie d’ailleurs et le sachant peut-être, rieuse et même un peu espiègle, aimant toutes les belles et bonnes choses de la nature et de la vie, délicieusement primesautière, charmante en un mot et « traînant tous les cœurs après soi » : car j’imagine que ce n’étaient pas les seuls étourneaux qui la suivaient « en haut et en bas, partout où elle voulait ». Et elle me fait un peu songer à Jacqueline Pascal enfant.

En 1587, sa sœur aînée, Marguerite, épousait, à seize ans, Jean-Jacques de Neuchaize, seigneur des Francs, âgé de quarante. Les Neuchaize étaient de bons gentilshommes du Poitou, apparentés aux Saulx-Tavanes, une des plus grandes familles de Bourgogne : par ce brillant mariage, les Frémyot gravissaient un nouvel échelon de la hiérarchie sociale. Le jeune ménage retourna peu après en Poitou, emmenant Jeanne, qui devait s’entendre à merveille avec sa sœur et qui, probablement, son père étant sur le point de se remarier, ne se souciait guère de rester seule avec une belle-mère. M. Frémyot « souhaitait fort de la garder auprès de soi », mais « il s’en dépouilla néanmoins pour le contentement de sa fille aînée ». Peut-être aussi, songeant à son prochain remariage, aux troubles croissants qui menaçaient de désoler la Bourgogne, jugeait-il plus sage et plus prudent d’éloigner quelque temps la jeune fille. Cet éloignement devait durer cinq ans.

Chez le baron des Francs servait « une vieille demoiselle », une gouvernante sans doute, un peu sorcière, à ce qu’il paraît, et qui « n’oublia rien pour flétrir par ses artifices cette belle fleur croissante ». Jeanne, sauvegardée par sa piété, sut se dérober à toutes ces manœuvres corruptrices, et elle finit par obtenir de son beau-frère qu’il congédiât « cette mauvaise créature ». M. des Francs aurait voulu marier sa jeune belle-sœur dont le sérieux et la grâce avenante séduisaient tout le monde. Elle repoussa deux demandes de mariage en apparence très avantageuses, l’une avec un gentilhomme huguenot qui d’abord avait essayé de donner le change sur ses opinions, mais dont elle devina les véritables sentiments, l’autre avec un aventurier qui avait fort habilement réussi à en imposer à toute sorte de gens, mais contre lequel un sûr instinct l’avait bien vite mise en garde.

Le Poitou n’avait pas été épargné par la fureur iconoclaste des protestants. Partout des monastères, des églises, des chapelles ruinées, profanées ou brûlées. La ferveur religieuse de Jeanne s’attristait profondément à la vue de toutes ces ruines, dont, sa vie durant, elle garda le vivace et douloureux souvenir. « Elle avait, disait-elle souvent, un tel regret de voir ces églises en ce piteux état, qu’elle ne pouvait s’empêcher de pleurer en les voyant et que parfois elle n’osait ôter son masque, parce que l’on connaissait qu’elle avait pleuré ; et l’on faisait des enquêtes, quel mécontentement elle pouvait avoir chez Monsieur son beau-frère. » Bien qu’elle ne se dérobât pas au monde, à « toutes les honnêtes libertés et divertissements permis aux demoiselles de sa condition », il semble, à en juger par un portrait que nous avons d’elle, qu’elle ait scrupuleusement évité dans sa mise les excentricités provocantes des modes d’alors : la modestie et la simplicité de ses toilettes rehaussaient encore le charme original et très prenant de toute sa personne.

Jeanne allait avoir vingt ans. A Semur, où il bataillait contre les ligueurs, M. Frémyot devait trouver son foyer bien désert : sa seconde femme était morte en donnant le jour à un fils qui ne vécut pas ; son fils André poursuivait à Paris ses études. Profitant de l’interruption des opérations militaires, il fit revenir auprès de lui sa seconde fille. Les deux sœurs eurent quelque peine à se quitter, au témoignage de la mère de Chaugy. « Elles se séparèrent, nous dit cette dernière, avec de grands ressentiments, ayant vécu ensemble dans une si grande union et bonne intelligence, qu’elles n’avaient jamais eu une parole de travers ni de conteste ; aussi notre bienheureuse Mère la regardant comme sa sœur aînée, lui obéissait ainsi qu’elle eût fait à sa propre mère. » Peut-être s’entendait-elle moins bien avec son beau-frère, dont les vues ne concordaient pas toujours avec les siennes.

De retour en Bourgogne, « elle fut beaucoup recherchée en mariage ». Il ne semble pas qu’elle ait alors songé à se faire religieuse ; mais, si l’on en croit le décret de canonisation, elle n’avait point la vocation conjugale et elle aurait voulu rester fille. En ce temps-là, on ne se préoccupait guère de consulter les enfants sur leurs goûts personnels. Le président Frémyot avait en vue, pour sa fille, un parti fort brillant. Il avait distingué un jeune gentilhomme, le baron Christophe de Rabutin-Chantal, et l’avait fait nommer capitaine de la garnison de Semur. C’était le fils d’un vieux soldat des armées royales, le baron Guy de Chantal, dont la vie accidentée et romanesque avait été traversée de tragiques aventures. La famille des Rabutin était très ancienne. Par sa mère, le baron Christophe était le dernier descendant de la famille de saint Bernard. Il était aimable, fin, poète à ses heures, très doux et fort séduisant ; très brave avec cela ; il était sorti victorieux de dix-huit duels, mais sans avoir, dit Bussy, « jamais tué personne ». Le portrait qu’on croit avoir de lui au musée de Versailles évoque l’image d’un charmant et beau cavalier. Le choix du président Frémyot était heureux, et Jeanne n’eut pas beaucoup de peine à s’abandonner à la volonté paternelle. Elle aima de tout son jeune cœur « ce brave seigneur » qui lui rendait pleinement sa tendresse. Elle était, dit un manuscrit, « d’une taille au-dessus de la médiocre. Ses yeux étaient noirs et vifs, le teint uni et fort blanc. Elle avait les lèvres vermeilles et le sourire charmant ; la physionomie majestueuse tempérée par un grand air de douceur. » « Elle était, écrit de son côté la mère de Chaugy, de riche taille, d’un port généreux et majestueux, sa face ornée de grâces, et d’une beauté naturelle fort attrayante, sans artifice et sans mollesse ; son humeur vive et gaie, son esprit clair, prompt et net, son jugement solide ; il n’y avait rien en elle de changeant ni de léger. Bref, elle était telle qu’on la surnomma la Dame parfaite ; et ce fut avec regret universel qu’on la vit sortir de Dijon [ou plutôt de Semur] pour aller demeurer à Bourbilly, qui est le château où résidait d’ordinaire le baron de Chantal. » En un mot, la solidité dans la grâce : comment Chantal, même s’il avait été, comme le prétend Bussy, « fort galant » dans sa prime jeunesse, n’aurait-il pas été le plus épris des maris ?

Le mariage, — « l’un des plus accomplis qui aient été vus », — fut célébré dans la chapelle de Bourbilly, le 28 décembre 1592. En des temps moins troublés, il l’eût été sans doute à Dijon, au milieu d’une nombreuse assistance. Seuls les Neuchaize et quelques parents et amis y assistaient. Se marier en pleine guerre civile, c’était un bel acte de foi dans l’avenir, mais on était brave chez les Frémyot, comme chez les Chantal, et dans ce généreux pays de Bourgogne on ignorait la peur de vivre.

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