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Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 1/8)

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CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES BARNABITES.

TABLEAUX.

Dans le cloître, quelques peintures, sujets tirés des Actes des apôtres, par de Berge. Dans un parloir, la Prédication de Saint-Pierre; dans l'Église, un Ecce Homo, et quelques autres tableaux par des peintres inconnus.

La bibliothèque de ces pères contenoit environ seize mille volumes, et une collection d'estampes assez considérable.

PYRAMIDE DE JEAN CHÂTEL.

Quelques années avant la révolution, on voyoit encore, devant l'église des Barnabites, une petite place, que, depuis, l'on a fait entrer dans le plan général de celle du Palais de justice. C'étoit sur cette place qu'avoit été autrefois située la maison du père de Jean Châtel, qui, le 27 décembre 1594, tenta d'assassiner Henri IV. «Sur la fin de cette année, dit Péréfixe, un jeune écolier âgé de dix-huit ans, fils d'un marchand drapier de Paris, s'étant coulé avec ses courtisans dans la chambre de la belle Gabrielle où étoit le roi, le voulut frapper d'un coup de couteau dans le ventre; mais de bonne fortune, le roi s'étant baissé en ce moment pour saluer quelqu'un, il ne l'atteignit qu'au visage, lui perça la lèvre d'en haut et lui rompit une dent.... Le parlement condamna le parricide à avoir le poing droit brûlé et à être tenaillé, puis tiré à quatre chevaux.... Le père de ce misérable fut banni, sa maison de devant le Palais démolie, et une pyramide élevée en la place»[244].

Personne n'ignore que les jésuites furent impliqués dans la procédure de cet assassin, et que ce fut l'occasion de la première persécution qui ait été exercée contre leur société. Il y a long-temps que cette œuvre d'iniquité a été pénétrée dans toutes ses profondeurs et mise à découvert, de manière que, pour les esprits droits et éclairés, il n'est rien de plus évident que l'innocence de ces religieux, et de plus démontré que la malice de leurs persécuteurs. Néanmoins tant de calomnies atroces ont été répandues sur cette société célèbre; tant d'ennemis acharnés, et qui semblent se succéder contre elle d'âge en âge, comme une génération malfaisante, les ont répétées et propagées; elles ont été renouvelées avec tant de fureur, lors de la dernière persécution, plus odieuse que toutes les autres, dont elle a été la victime, et qui en a amené l'entière destruction, qu'encore que sa ruine ait entraîné avec elle ses ennemis eux-mêmes, et la religion, et la monarchie, il en est resté contre les jésuites beaucoup d'impressions défavorables et d'injustes préventions, qui ne nous permettent pas de passer légèrement sur l'une des accusations les plus capitales qu'on ait jamais osé élever contre eux.

Les ennemis de la compagnie de Jésus étoient les huguenots, le parlement, et tous ceux qui étoient liés avec cette cour de prétentions et d'intérêts. Les huguenots avoient raison de détester les jésuites, puisque ceux-ci étoient, en effet, leurs plus redoutables adversaires; le parlement, tout plein encore du venin de la ligue, et qui s'étoit mis en opposition ouverte contre l'autorité royale, long-temps avant l'époque de la ligue et celle de la réforme, avoit également sujet de haïr une société uniquement formée pour propager et défendre les principes du catholicisme, source de toute autorité, et qui en est le plus ferme appui. Ligueurs et huguenots, en apparence si opposés les uns aux autres, étoient, en effet, animés d'un même esprit, celui de révolte et d'indépendance; et la perte des jésuites avoit été également jurée par l'un et l'autre parti. Douteroit-on de cette haine commune à tous les deux? Elle va nous être attestée par un écrivain contemporain.

«Après l'attentat de Jean Châtel, dit l'historiographe Dupleix, les huguenots et les libertins, sous prétexte d'un fervent zèle pour le salut du roi, sur le bruit que cet escolier débauché avoit estudié sous les jésuites, publièrent qu'il estudioit encore sous eux, et qu'il avoit confessé qu'ils l'avoient induit à commettre un parricide exécrable en la personne de Sa Majesté par diverses persuasions et artifices, dont les bons François trop crédules furent grandement esmeus, et sur l'heure lancèrent mille exécrations, maudiçons et imprécations contre les jésuites, plusieurs criant qu'il les falloit égorger et jeter dans la rivière... Les jésuites étoient haïs d'aucuns des JUGES mêmes; mais ni PREUVE NI PRÉSOMPTION ne pouvant être arrachée de la bouche de l'assassin, par la violence de la torture, pour rendre les jésuites complices de son forfait, des commissaires furent députés pour aller fouiller tous les livres et écrits de cette compagnie[245]».

Suivons toutes les traces de cette affaire, et ne marchons qu'appuyés sur des autorités irrécusables. «Ni preuve ni présomption contre les jésuites n'avoient pu être arrachées de la bouche de l'assassin.» Douteroit-on de la véracité de l'historien qui nous a transmis cette circonstance? Écoutons de l'Étoile, ennemi mortel des jésuites. «Jean Châtel, dit-il, par son interrogatoire, déchargea du tout les jésuites, même le père Guéret, son précepteur[246].» Matthieu, Cayet, les Mémoires de la ligue, M. de Thou, sont, sur ce point, d'un accord unanime, et reconnoissent avec de l'Étoile que Châtel disculpa formellement les jésuites, non-seulement de lui avoir conseillé d'assassiner le roi, mais même d'avoir eu la moindre connoissance de son dessein[247].

Cependant des commissaires sont députés pour aller fouiller les livres et écrits de cette compagnie, et cela uniquement parce que le régicide avoit étudié pendant trois ans sous un jésuite, le père Guéret; et bien «qu'en DERNIER LIEU, il eût étudié aux écoles de droit de l'université[248],» on ne pensa point à aller fouiller, ni les livres, ni les écrits de l'université. Quatre conseillers se transportèrent donc au collége des jésuites, où ils firent la visite de plusieurs chambres. «On trouva dans celle du père Guignard (qui étoit le bibliothécaire de la maison), parmi plusieurs écrits, un papier écrit de sa main, en 1589, dans le temps qu'on assassina Henri III: c'étoit de ces libelles que les troubles avoient enfantés, et qu'une curiosité indiscrète faisoit garder[249].» Ajoutons que c'étoient de ces libelles tels que, cinq ans auparavant, on en composoit en faveur du parlement, peut-être même par ses ordres, et bien certainement dans ses vues, et avec son approbation[250].

La découverte d'un tel écrit, au milieu des papiers du bibliothécaire d'un collége, lorsqu'on sortoit à peine d'un temps de guerres civiles, qui avoit vu naître des milliers de semblables productions que l'on conservoit impunément partout, dont les collections existoient sans doute alors, puisqu'on les trouve encore aujourd'hui dans nos bibliothèques, constituoit-elle un délit suffisant, nous ne dirons pas pour faire arrêter ce bibliothécaire et lui faire subir le dernier supplice, mais seulement pour le faire réprimander et admonester par ceux qui avoient trouvé cette pièce et qui s'en étoient saisis[251]? Non, sans doute. Que sera-ce donc si le témoignage le plus grave nous force à douter de l'existence même de ce prétendu délit? Écoutons l'illustre chancelier de Chiverny, par l'ordre duquel fut instruit le procès de Jean Châtel:

«Sur l'occasion que Jean Châtel avoit estudié quelques années au collége des jésuites, et que les PREMIERS du parlement leur vouloient mal d'assez long-temps, ne cherchant qu'un prétexte pour ruiner cette société, trouvant celui-ci plausible à tout le monde, ils ordonnèrent et commirent quelques-uns d'entre eux qui étoient LEURS VRAIS ENNEMIS, pour aller chercher et fouiller partout dans le collége de Clermont, où ils trouvèrent véritablement, ou peut-être SUPPOSÈRENT, ainsi que quelques-uns l'ont cru, certains écrits particuliers contre la dignité des rois, et quelques mémoires contre le feu roi Henri III[252].

Le père Guignard ayant été mis en jugement et appliqué à la question, on lui produit cet écrit trouvé peut-être véritablement dans sa chambre, peut-être supposé. Sur cet attentat d'un nouveau genre, il est déclaré coupable du crime de lèse-majesté par des juges qui, cinq ans auparavant, avoient porté contre le roi un arrêt régicide et sacrilége, et condamné par eux à mourir attaché à un gibet. Il marche à cette mort infâme avec un admirable courage; prêt de monter à l'échelle ses dernières paroles sont des paroles de paix; il y proteste de nouveau avec douceur et tranquillité de son innocence et de celle de sa compagnie, et meurt avec la résignation d'un martyr[253].

On n'avoit point trouvé d'écrit chez le père Guéret. Tout son crime étoit d'avoir été pendant trois ans le RÉGENT de Jean Châtel. Le parlement jugea, dans sa sagesse, que tout jésuite devoit répondre de tout élève qui avoit étudié sous lui, à quelque époque que ce pût être; et le régent du régicide fut aussi arrêté, interrogé et appliqué à la question. Ce fut encore un spectacle bien touchant que celui de la constance et de la résignation de ce bon père au milieu des traitements barbares qu'on lui faisoit éprouver[254]. Comme il n'avoua rien, qu'il n'y avoit contre lui aucun indice et qu'il n'avoit point d'accusateurs, ses juges crurent devoir y mettre de la modération[255], et le condamnèrent seulement à être banni à perpétuité, «pour avoir été, dit l'arrêt, le PRÉCEPTEUR de Jean Châtel.» «Le précepteur de Jean Châtel!» s'écrie un apologiste des jésuites au sujet de cette qualification étrange inusitée, que l'on employa en cette occasion avec une affectation si marquée; «certes la qualité de précepteur décèle ici la passion des juges, qui affectoient de confondre celui qui donne des leçons publiques à tous ceux qui viennent l'entendre, avec celui qui forme en particulier l'esprit et le cœur d'un élève dont il est chargé spécialement. Il est vrai que Châtel avoit fait sa philosophie sous le père Guéret; mais Calvin et Bèze n'avoient-ils pas fait toutes leurs études en Sorbonne? s'est-on avisé d'imputer à cette célèbre école les guerres civiles dont le calvinisme a été la source? mais Châtel lui-même n'avoit-il pas fait toutes ses classes à l'université, avant de faire sa philosophie au collége? Et après être sorti du collége, n'avoit-il pas repris ses études à l'université? Que la haine est inconséquente! on ne dit rien aux premiers maîtres de Châtel, dont les leçons devoient paroître plus suspectes à toutes sortes de titres; on ne dit rien aux derniers maîtres de Châtel, au professeur en droit, sous lequel ce monstre étudioit actuellement, et l'on applique à la question, et on livre au supplice et à l'infamie, et on extermine les jésuites, parce que Châtel, dans l'intervalle de ses études, commencées et reprises à l'université, avoit étudié quelque temps sous les jésuites qu'il déchargea de tout dans ses interrogatoires[256]!

Mais supposons même un instant coupables ces deux religieux, dont le témoignage uniforme de tous les historiens, les interrogatoires juridiques du régicide, leurs propres interrogatoires, le caractère connu de leurs juges, les formes rapides et violentes de la procédure élevée contre eux, tout, jusqu'aux pièces de conviction et aux motifs dérisoires de leur condamnation, rend l'innocence plus évidente et plus claire que la lumière du jour: étoit-il raisonnable de rendre la société des jésuites responsable du crime de deux de ses membres, de l'envelopper tout entière dans leur ruine; et une sorte de pudeur ne devoit-elle pas empêcher le parlement de concevoir même l'idée d'une aussi monstrueuse injustice? Non-seulement il put en concevoir l'idée, mais encore la consommer. Un arrêt qu'il rendit chassa de France tous les jésuites, comme complices du père Guéret, auquel, peu de jours après, ce même parlement ouvrit les portes de sa prison, pour n'avoir pu lui découvrir ni crime ni accusateur. Tel fut le dénoûment de cette intrigue qu'on ne sait comment qualifier, qui affligea et déconcerta tous les gens de bien, même parmi ceux qui n'aimoient pas les jésuites; qui fut la joie, le triomphe et en partie l'ouvrage des sectaires protestants[257], qui montre à tous les yeux, et plus clairement qu'on ne l'avoit pu voir encore, quel étoit l'esprit parlementaire, et s'il n'étoit comprimé, de quels dangers il menaçoit la monarchie et la religion.

La pyramide fut élevée, «et ès diverses faces furent gravées diverses inscriptions à l'opprobre des jésuites.... Car ceux qui inventoient les plus satiriques et poignantes contre leur société, étoient les mieux venus de ceux qui avoient pris la direction de cet ouvrage[258].» C'est-à-dire des magistrats.

Cependant quelle étoit l'opinion de Henri IV sur tous ces actes si violents et si passionnés de son parlement? Considéroit-il effectivement les jésuites comme ses ennemis? Appuyoit-il ces mesures que l'on sembloit prendre pour sa sûreté et pour rendre sacrée et inviolable aux yeux des peuples la personne des rois? En 1762, lorsque le parlement philosophe acheva si heureusement ce qu'avoit commencé le parlement ligueur[259], on produisit comme extrait de ses registres un édit de ce roi, qui confirmoit l'arrêt de bannissement porté en 1595 contre la compagnie de Jésus, et apposoit ainsi le sceau de l'autorité royale au grand et mémorable jugement qui avoit été rendu à l'égard de cette compagnie; mais l'apologiste des jésuites déjà cité[260] prouva, de manière à couvrir d'une éternelle confusion ceux qui faisoient valoir une semblable pièce, que cet édit avoit été inconnu à tous les écrivains qui ont pu et dû le connoître; inconnu aux historiographes de Henri IV, à ses ministres, à ses ambassadeurs, à ses négociateurs dans les cours étrangères, aux magistrats, gens du roi et parlements qui ont dû l'enregistrer; inconnu au chancelier de France qui auroit dû le dresser, le sceller et l'expédier, inconnu au pape qui devoit s'y intéresser si vivement, inconnu aux jésuites qu'il proscrivoit et au roi lui-même qui l'avoit rendu; que, considéré en lui-même, il étoit contradictoire dans le fond, et choquoit tous les caractères de la législation; qu'il étoit irrégulier dans sa forme, barbare dans son style, ridicule par son orthographe, évidemment faux par sa date et par les variantes des différents textes qui en ont été produits; enfin que de toutes les impostures historiques et politiques, et de toutes les pièces fabriquées, il n'y en eut jamais de plus grossière et de plus impudente.

Mais si Henri IV n'a point confirmé cet arrêt, l'a-t-il approuvé? Nous trouvons que le 14 janvier 1595, c'est-à-dire peu de jours après le départ des jésuites, M. de Villeroi, ministre du roi, écrivit une longue lettre à d'Ossat[261], alors chargé d'affaires de la cour de France à Rome, dans laquelle, lui rendant compte de tous ces événements, il lui explique les motifs qui ont engagé le roi à souffrir l'exécution de l'arrêt; et ces motifs, nous les ferons connoître toute à l'heure. Le 31 du même mois, d'Ossat, répondant au ministre, lui fait un récit détaillé de ce qui s'est passé dans l'audience qu'il a obtenue du Pape à ce sujet, audience dans laquelle le pontife se montre très-instruit du fond de l'affaire et fort affligé de la conduite inique du parlement; et sur les paroles assez vives que lui adresse à cette occasion Sa Sainteté, M. d'Ossat ne peut dire autre chose sinon qu'à tout événement, si le parlement avoit excédé en quelque chose, ce ne seroit point la faute du roi. Puis il prouve que, dans la circonstance présente, il est plus sage et plus utile pour la cour de Rome de prendre en bonne part ce qui s'est passé, que «de se mettre en nécessité d'en demander réparation, et en danger plus certain de ne l'avoir jamais...., et corroborer de plus en plus le SCHISME qui n'est déjà que trop avancé[262]

L'ambassadeur de France n'a point d'autre réponse à faire aux ministres du saint Père, lorsqu'ils reviennent avec lui sur ce fâcheux événement, que de leur faire part de cette lettre de M. de Villeroi, dans laquelle celui-ci «rejette la résolution et exécution dudit arrêt, principalement sur la force et nécessité du temps et des choses qui n'avoient permis d'en user autrement[263]

Sur les plaintes modestes que lui porte le général des jésuites de cet injuste arrêt, que répond-il encore? «Qu'il en étoit marry, mais qu'il pouvoit l'assurer que le roi n'y avoit aucune part;» puis il ajoute, et ceci est très-remarquable: «Que la cour du parlement faisoit des arrests sans en demander congé ni advis à Sa Majesté; et quand le roi eût été dans Paris même, il n'en eût rien sçu avant que ledit arrest eust été donné: beaucoup moins l'avoit-il pu sçavoir en étant loin, et en un siége[264].» Du Perron confirme dans une autre occasion ce qu'avoit dit d'Ossat, que le bannissement des jésuites ne provenoit d'aucune impulsion de Sa Majesté[265]. Le duc de Luxembourg, ambassadeur à la cour de Rome quelques années après, fait de même tous ses efforts pour persuader au pape que le roi n'avoit aucune part aux arrêts portés contre les jésuites; enfin, l'année même de leur bannissement, on propose à Henri IV un jésuite pour légat en France[266]: il l'accepte volontiers. Ce jésuite meurt l'année suivante; le roi se montre très-sensible à sa perte, et lui fait rendre après sa mort des honneurs qui témoignent l'estime singulière qu'il en faisoit[267].

Quels motifs pouvoient donc déterminer un prince qui, dans la bonne et la mauvaise fortune, avoit constamment montré tant de pénétration d'esprit et de force de caractère, à souffrir que, contre sa volonté, et même contre ses propres affections, une injustice aussi criante fût consommée dans ses états, par des gens qui n'avoient d'autre pouvoir que celui que ses prédécesseurs et lui-même leur avoient concédé, et qui ne pouvoient légitimement l'exercer qu'avec leur bon plaisir et sous leur protection? On a déjà pu voir par les diverses paroles échappées aux ministres et aux agents de Henri, à quel point l'embarrassoit ce parlement, si long-temps le foyer de la révolte et des guerres civiles; et qui, dans ces premiers moments où la paix venoit d'être faite entre le roi et ses sujets, demeuroit encore le point de ralliement de tous les mécontents, c'est-à-dire, tout à la fois des impies et des fanatiques. D'un côté, abusant lâchement de cette situation périlleuse où se trouvoit encore son maître et seigneur, il rendoit des arrêts, sans lui en demander congé ni advis, sans daigner même lui en donner connoissance; de l'autre, si Rome eût osé se plaindre, il levoit l'étendard du SCHISME qui n'étoit déjà que trop avancé. La politique exigeoit donc que son insolence fût soufferte, et l'abus qu'il faisoit de son pouvoir, toléré; et les considérations qui faisoient différer au roi le rappel des jésuites, sont très-bien présentées par l'historiographe déjà cité: «premièrement, dit-il, il ne le pouvoit, sans annuler l'arrêt donné fraîchement par son parlement, ce qui eût semblé alors injurieux; et avec le temps qui donne diverses faces aux affaires, l'action en pouvoit être moins odieuse. En second lieu, le roi étant aux prises avec l'Espagnol, ne se pouvoit passer du service de ses subjets religionnaires, lesquels, déjà outrés de sa conversion, l'eussent abandonné, s'il eût rappelé les jésuites.... Par une troisième considération, le roi craignoit d'offenser la reine d'Angleterre, l'alliance de laquelle lui étoit grandement nécessaire; mais après avoir mis fin aux guerres étrangères, rangé le Savoyard à la raison, étouffé la conjuration du maréchal Biron, renouvelé son alliance avec les Suisses, fermement établi la paix en son royaume, et le roi d'Écosse ayant succédé à la couronne d'Angleterre, il se résolut facilement à rappeler les jésuites[268]

«C'est alors en effet que, véritablement maître dans son royaume, connoissant l'INNOCENCE des jésuites et les services qu'ils rendoient à l'Église[269];» «sachant que le commun désir des catholiques étoit de les revoir, leur absence n'ayant servi qu'à mieux faire connoître le bien et le profit de leur présence[270]; cédant à son propre désir et à ce vœu général exprimé par ce qu'il y avoit de plus grand dans le royaume. Car il y avoit peu de princes officiers de la couronne et seigneurs catholiques qui ne contribuassent leur recommandation en faveur des jésuites[271].» C'est alors, disons-nous, que ce grand roi ordonna le rappel tant désiré de cette illustre société; et cet acte éclatant de justice et de haute et prévoyante politique, il le fit, «malgré les artifices d'aucuns de ce grand sénat qui avoient une étrange aversion au rappel des jésuites..... malgré les libertins et les religionnaires qui faillirent en forcener de rage[272].» Cet œil si perçant et si sûr avoit su pénétrer tout ce qu'il y avoit de profond et d'admirable dans la législation des jésuites qu'il considéroit comme le chef-d'œuvre de la politique chrétienne[273]; et jamais il n'y eut d'apologie plus énergique et plus éloquente de cet institut, que la réponse à jamais mémorable qu'il fit aux remontrances que le parlement osa lui adresser au sujet de son rétablissement, par l'organe de son premier président, M. de Harlay. Henri IV y prouve par des paroles aussi pleines de franchise et de vie que celles de l'orateur du parlement étoient embarrassées et captieuses, l'innocence, le désintéressement, l'humilité, la pureté des mœurs, la charité, le dévouement, l'habileté des jésuites, leur fidélité envers le roi, d'autant plus grande qu'ils étoient plus fidèles envers l'Église de Dieu; combien étoient vils et odieux les motifs de la jalousie qui animoit contre eux leurs ennemis et leurs rivaux; combien étoit excellente leur règle monastique, ayant en elle-même tous les caractères qui pouvoient en assurer l'utilité, la force et la durée; et à travers cette noble et vigoureuse réponse, perce un mépris assez grand pour ces gens de robe qui pouvoient s'honorer en remplissant leur charge, laquelle étoit de rendre la justice, et qui se rendoient en effet méprisables en se mêlant de faire les politiques: «J'ai toutes vos conceptions et services en la mienne, leur dit-il; mais vous n'avez pas la mienne en la vôtre. Vous m'avez proposé des difficultés qui vous semblent grandes et considérables, et n'avez cette considération que tout ce qu'avez dit, a été pesé par moi, il y a huit ou neuf ans; vous faites les entendus en matière d'état; et vous n'y entendez non plus que moi à rapporter un procès[274]

La pyramide, ce monument que l'impudence et la malignité avoient consacré[275], que le parlement avoit fait élever aux dépens des jésuites dont il avoit confisqué les biens, fut renversée par ordre de ce grand roi; elle le fut en plein jour, malgré les alarmes hypocrites des ennemis des jésuites, qui, affectant de craindre un soulèvement populaire, conseilloient de ne l'abattre que la nuit[276], «et la gloire du rappel des jésuites, dit Mézeray lui-même, résulta de l'ignominie de leur bannissement.»

N'ayant pu empêcher la destruction de la pyramide, les mécontents voulurent du moins en conserver l'image, et recueillir surtout les inscriptions[277] dont elle étoit chargée. On en reproduisit donc l'estampe gravée depuis long-temps; et les calvinistes ainsi que les magistrats en ornèrent à l'envi leurs cabinets, jusqu'à ce que le roi, «pour oster du tout la mémoire à l'advenir de ce pilier, en envoya enlever la planche de cuivre chez l'imprimeur Leclerc, qui l'avoit faite dès l'an 1595[278]

C'est d'après une de ces gravures devenues extrêmement rares que nous donnons ici la représentation exacte de ce monument. L'architecture en est singulière: l'édifice s'élevoit sur un plan carré d'ordre ionique; il étoit composé, sur chacune de ses faces, de deux pilastres, avec entablement et fronton, une attique, un second fronton, quatre acrotères ornés de figures, et une aiguille en pierre surmontée d'une croix[279]. Cette construction, dans laquelle on reconnoît le goût déjà corrompu de ce temps-là, n'offre aucun caractère décidé; elle est, comme tous les monuments de la même époque, surchargée d'ornements, et composée de parties incohérentes.

ÉGLISE ROYALE ET PAROISSIALE
DE SAINT-BARTHÉLEMI.

Cette église, qui étoit située vis-à-vis le Palais, dans la rue qui porte son nom, est une de celles qui servent à faire connoître, par leur situation et leurs dépendances, l'ancien état de la Cité et même de la ville de Paris. Son origine remonte jusqu'aux rois de la première race, ce qui est prouvé par un fragment d'un auteur anonyme, lequel écrivoit sous le roi Robert[280]. Cet auteur nous apprend qu'elle avoit été anciennement bâtie par nos rois, et comme le mot antiquitùs qu'il emploie ne peut être entendu que d'une longue suite d'années, et même de plusieurs siècles, MM. Jaillot et Lebeuf en ont conclu avec raison qu'elle existait avant les rois de la seconde race.

Une autre particularité que l'on trouve dans le même anonyme, c'est que «les fidèles, de même que les rois, y avoient fait transporter les reliques et corps de plusieurs saints, pour enrichir, ainsi qu'il convenoit, une chapelle royale.» Or, un grand nombre de témoignages ne permettant pas de douter qu'il n'y ait eu, dès les premiers temps, un palais dans la Cité, ce passage porte à croire que cette église en étoit la chapelle; et sans doute elle avoit pris le nom de Saint-Barthélemi, à l'occasion de quelques reliques de ce saint qu'on y avoit apportées de l'Orient sous le règne de Clovis ou de Childebert, comme on peut le conjecturer d'un passage de Grégoire de Tours.

Cette chapelle étoit desservie par des chanoines: outre les biens dont ils jouissoient par la libéralité de nos rois, ils avoient encore, sur le chemin de Saint-Denis, un oratoire sous le titre de Saint-Georges, avec un terrain assez considérable qui l'environnoit, et dont une partie leur servoit de cimetière. Cet oratoire, qui prit depuis le nom de Saint-Magloire, ne se trouva renfermé dans la ville que lors de l'enceinte que fit faire Philippe-Auguste.

Vers l'an 963, ou, selon d'autres, en 965, il arriva qu'un évêque d'Aleth[281] et plusieurs autres prêtres et religieux transportèrent à Paris un grand nombre de reliques, qu'ils vouloient soustraire aux insultes des Normands, qui ravageoient alors l'Armorique. Parmi ces reliques étoit le corps de saint Magloire: Hugues Capet, à cette époque duc de France, les fit solennellement déposer dans la chapelle de Saint-Barthélemi. La guerre étant terminée, chacun de ces exilés voulut s'en retourner dans son pays avec son trésor; Hugues, qui n'y consentit qu'à regret, obtint d'eux, pour prix de l'hospitalité qu'il leur avoit accordée, le corps entier de saint Magloire, et quelques autres parties des corps saints qu'ils avoient apportés. Il conçut aussitôt le projet d'agrandir cette chapelle, et d'y fonder une abbaye, pour honorer davantage des reliques aussi précieuses. Ce projet ne tarda pas à être exécuté; un monastère fut bâti, et aux chanoines il substitua des religieux de la règle de Saint-Benoît. Ces moines entrèrent également en possession de l'oratoire Saint-Georges, auquel le pieux fondateur ajouta encore de nouvelles concessions de terres, et l'église fut dédiée sous le titre de Saint-Barthélemi et Saint-Magloire; mais le nom de ce dernier saint, beaucoup plus célèbre que l'autre, ayant bientôt prévalu parmi le peuple, pendant près d'un siècle elle ne fut appelée que l'église de Saint-Magloire. Tous ces faits sont également constatés par l'écrivain anonyme déjà cité.

Les religieux de Saint-Benoît restèrent dans cette abbaye jusqu'en 1138, que, s'y trouvant trop resserrés, ils se transportèrent avec leurs reliques dans leur chapelle de Saint-Georges, qu'ils avoient fait reconstruire, augmenter, et qu'ils consacrèrent sous le titre de l'autre saint. Alors l'église de la Cité reprit son ancien nom de Saint-Barthélemi, et devint une paroisse soumise au patronage des moines de Saint-Magloire, qui nommoient à la cure, et en outre y plaçoient un de leurs membres en qualité de prieur. Ils jouirent de ce droit jusqu'en 1564, que le titre abbatial fut supprimé, et l'abbaye réunie à l'évêché de Paris.

À l'exception des dépendances de la Sainte-Chapelle, tout l'enclos du Palais étoit dans la juridiction de cette paroisse, qui s'étendoit d'ailleurs depuis la rue de la Barillerie jusqu'au pont Neuf.

Au quatorzième siècle, l'église, presque ruinée, avoit été réparée, par un accord fait entre le curé et les religieux; depuis elle a été agrandie à diverses reprises, et reconstruite presque en entier dans les années qui ont précédé la révolution[282].

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-BARTHÉLEMI.

TABLEAUX.

Le Mariage de sainte Catherine, par Loir; sainte Geneviève, saint Guillaume et saint Charles Borromée, par Hérault.

SCULPTURES.

De chaque côté du portail, saint Barthélemi et sainte Catherine, par Barthélemi de Mélo.

TOMBEAUX.

Dans cette église avoient été enterrés: Claude Clersellier, savant philosophe cartésien, mort en 1684. Sur son tombeau étoit représentée la Religion; à ses pieds un génie, entouré d'instrumens de mathématiques, tenoit entre ses mains une tête de mort qu'il regardoit attentivement. Ce monument avoit été exécuté par le même Barthélemi de Mélo.

Louis Servin, avocat général au parlement de Paris, célèbre dans l'histoire de cette cour, et qui mourut en 1626 aux pieds de Louis XIII, tenant son lit de justice, au moment même où il faisoit à ce prince des remontrances sur quelques édits bursaux.

Toute la décoration de cette église, très-surchargée d'ornements où étoit empreint le mauvais goût du dix-huitième siècle, avoit été exécutée en 1736, sur les dessins des frères Slodtz.

Il y avoit dans cette église trois confréries, dont la plus ancienne datoit de 1353.

SAINT-PIERRE-DES-ARCIS.

On ne voit presque point d'anciennes abbayes, sous la première race de nos rois, qui n'eussent, outre l'église principale, des oratoires détachés et dispersés en différents lieux de leur enclos. Il est probable que l'église de Saint-Pierre-des-Arcis et celle de Sainte-Croix-de-la-Cité, dont nous allons parler immédiatement après, étoient des chapelles situées d'abord dans l'enceinte du monastère de Saint-Éloi, et qu'elles doivent leur origine à la dévotion du fondateur ou de quelques-unes des abbesses qui lui ont succédé.

L'abbé Lebeuf pense qu'après l'incendie qui consuma Paris en 1034, ces deux oratoires furent rebâtis dans le voisinage de l'ancienne clôture, et qu'alors les religieuses, dont l'enclos étoit fort diminué, permirent qu'on élevât sur leur terrain des maisons, dont les habitants furent ensuite attribués à ces églises, lorsqu'on les érigea en paroisses. Cette érection dut avoir lieu vers le temps où les religieuses furent chassées de leur monastère, circonstance qui donnoit plus de liberté pour faire ces nouveaux arrangements[283].

Quoi qu'il en soit de ces conjectures, qui sont ingénieuses et vraisemblables, la paroisse de Saint-Pierre-des-Arcis étoit effectivement une des dépendances du prieuré de Saint-Éloi dans la Cité. Au reste, l'étymologie de ce surnom (des Arcis) a beaucoup exercé l'imagination des savants, et quelques-uns d'entre eux l'ont expliqué d'une manière tout-à-fait ridicule.

M. de Launoy, dont Sauval suit aveuglément les opinions, prétendoit, d'après un passage mal interprété de Grégoire de Tours, qu'il y avoit eu autrefois beaucoup de Syriens à Paris; et les confondant ensuite avec les Assyriens, comme si ce n'eût été qu'un même peuple, il conjecturoit de là qu'ils avoient pour leur nation une église nommée Saint-Pierre-des-Assyriens, laquelle ayant été brûlée par les Normands, fut ensuite rebâtie dans la Cité; et de là est venu, selon lui, le nom de Saint-Pierre-des-Assis ou Arcis.

M. de Valois, qui a combattu cette opinion plus sérieusement et avec plus de chaleur qu'elle ne méritoit, en présente une autre qui ne semble guère mieux fondée, prétendant faire dériver ce nom de la maladie des ardents ou feu sacré, dans laquelle on eut recours à l'intercession de saint Pierre. Celle de l'abbé Lebeuf, adoptée par Jaillot, paroît la plus raisonnable: il veut que ce mot vienne d'arcisterium, synonyme de monasterium, et qu'il ait été donné à cette église située entre deux monastères[284], pour rappeler son origine et sa première destination.

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-PIERRE-DES-ARCIS.

TABLEAUX.

Sur le maître-autel, saint Pierre guérissant les boiteux, par Vanloo.

Le Lavement des pieds, par le même; une Cène, par Lafond.

SÉPULTURES.

Dans cette église avoit été enterré Guillaume De Mai, capitaine de six vingts hommes d'armes, mort en 1480. Il étoit représenté, sur son tombeau, dans le costume militaire de son siècle. Ce monument, rare dans son espèce, fut déposé au Musée des Petits-Augustins.

Saint-Pierre-des-Arcis fut érigé en paroisse vers le commencement du douzième siècle; en 1424, on rebâtit entièrement l'église; en 1711, on y fit des augmentations, des réparations et un nouveau portail, lequel fut élevé sur les dessins de Lanchenu[285].

Cette église embrassoit dans ses droits curiaux presque toutes les maisons de la rue de la Vieille-Draperie, en allant vers le Palais; ils s'augmentèrent encore, en 1720, par l'adjonction qu'on lui fit des paroissiens de Saint-Martial. De l'autre côté, en allant vers l'église de la Magdeleine, elle avoit encore un certain nombre de maisons; de plus, une partie de celles qui faisoient l'entrée de la cour de Saint-Éloi, les cinq branches de la rue qui porte le même nom, le cul-de-sac Saint-Martial presque en entier, quelques maisons dans la rue aux Fèves, et enfin quelques-unes de celles qui composent la rue de la Juiverie[286].

SAINTE-CROIX-DE-LA-CITÉ.

L'origine de cette église, qui étoit à l'extrémité de la rue de la Vieille-Draperie, dans la partie de cette rue la plus éloignée du Palais, est aussi obscure que celle de Saint-Pierre-des-Arcis; et sans se mettre en peine de ce qu'en ont imaginé MM. de Launoy, Dubreul et leurs copistes, il faut s'en tenir à cette opinion déjà mentionnée, qu'elle étoit d'abord une dépendance de Saint-Éloi, et qu'elle en fut détachée, puis ensuite rebâtie hors de la ceinture, lorsque ce monastère eut été donné à l'évêque. On ajoute qu'au milieu du douzième siècle, la dévotion à saint Hildevert, évêque de Meaux, s'étant introduite à Paris, cette chapelle lui fut dédiée, et qu'un bâtiment qui en dépendoit fut alors changé en hôpital pour les frénétiques et les malades attaqués de l'épilepsie. Cet hôpital ayant été depuis transféré à Saint-Laurent, l'église reprit son premier nom, et fut érigée en paroisse.

L'abbé Lebeuf présume que ce nom tiroit son origine de quelques morceaux de bois de la vraie croix que saint Éloi, dont les mains habiles ont fabriqué tant de précieux reliquaires, aura pu obtenir pour prix de quelques-uns de ses travaux, et qu'il aura ensuite déposés dans un des oratoires renfermés dans l'enclos de son monastère. Au reste, avant que l'église de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie existât, celle-ci étoit appelée simplement Sainte-Croix dans les anciens titres, sans aucun caractère distinctif.

Il ne restoit plus depuis long-temps aucun vestige du bâtiment qui existoit dans les douzième, treizième et quatorzième siècles; et le dernier, commencé en 1450, n'avoit été entièrement terminé qu'en 1529[287]. La cure, dont les droits étoient médiocres et d'une très-petite étendue, étoit à la collation de l'archevêque de Paris, depuis la destruction du titre abbatial de Saint-Maur-des-Fossés[288].

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINTE-CROIX-DE-LA-CITÉ.

SÉPULTURES.

Dans cette église avoit été enterré:

Pierre Danet, long-temps curé de cette paroisse et depuis abbé de Saint-Nicolas de Verdun, mort en 1709. Il est auteur de deux dictionnaires de la langue latine, qui jouirent autrefois de quelque estime, et de plusieurs autres ouvrages d'érudition.

Il existoit dans cette église une confrérie en l'honneur des cinq plaies de Notre-Dame: elle fut érigée en 1498, et on croit que c'est la première église de Paris où cette dévotion ait été admise.

Le territoire de la paroisse de Sainte-Croix embrassoit tout le carré sur lequel l'église étoit bâtie, une grande partie de la rue Gervais-Laurent, quelques maisons dans la rue de la Vieille-Draperie et dans la rue aux Fèves.

SAINT-GERMAIN-LE-VIEUX.

Vis-à-vis Sainte-Croix, et de l'autre côté de la Cité, étoit la paroisse de Saint-Germain-le-Vieux.

Il y a bien des traditions sur l'origine de cette ancienne église; et l'on a expliqué de bien des manières le patronage qu'y ont exercé pendant long-temps les moines de Saint-Germain-des-Prés: son nom de Saint-Germain-le-Vieux a fait naître également plusieurs opinions contradictoires.

Tous les historiens conviennent que c'étoit, dans le principe, une chapelle baptismale dépendante de la cathédrale, sous le titre de Saint-Jean-Baptiste, et qu'elle existoit dès le cinquième siècle. L'auteur de la vie de sainte Geneviève vient à l'appui de cette tradition, en nous apprenant que la maison où la sainte décéda étoit sur le bord de la rivière, et voisine de l'oratoire de Saint-Jean, qu'il prétend même avoir été bâti sur un terrain dont elle avoit la propriété. Il ajoute cette particularité, qu'elle avoit fait rassembler les dames de Paris dans cet oratoire, comme dans un lieu sûr, pour s'y mettre en prières, lors du faux bruit de l'arrivée d'Attila à Paris.

Dans le neuvième siècle, cette même chapelle servit d'asile, contre les Normands, aux religieux de Saint-Germain-des-Prés, qui y déposèrent le corps de leur patron. L'abbé Lebeuf pense que, dès ce temps-là, cet hospice leur appartenoit. Jaillot contredit cette opinion, et convenant cependant, avec son docte adversaire, que, lorsque les religieux retournèrent à leur monastère, ils laissèrent dans l'oratoire de Saint-Jean un bras de saint Germain, il soutient que cette église ne prit le nom du dernier saint que lorsque le baptistère eut été transporté plus près de la cathédrale, à Saint-Jean-le-Rond; et qu'alors seulement l'évêque et le chapitre de Paris donnèrent le patronage de l'ancienne chapelle à l'abbaye Saint-Germain-des-Prés. De telles questions sont aussi difficiles que peu importantes à éclaircir.

Son titre n'offre pas moins de difficultés: dès le douzième siècle, on trouve des actes qui font mention de l'église de Saint-Germain-le-Vieux, Sanctus Germanus Vetus; mais il n'en est aucun qui donne la raison de ce surnom. L'abbé Lebeuf ne semble pas heureux dans ses conjectures, lorsqu'il fait dériver ce mot d'aquosus, en françois barbare, evieux ou aivieux; d'où, par corruption, on auroit fait le vieux, parce que, dit-il, cette église étoit située dans un endroit aquatique, duquel le marché Palu a aussi tiré son nom[289]. Il paroîtroit plus probable que ce surnom lui étoit venu d'une ancienne tradition qui portoit que le saint patron s'y étoit retiré dans le sixième siècle.

En 1368, l'abbaye de Saint-Germain céda son droit sur la petite église de Saint-Germain-le-Vieux à l'Université de Paris; et depuis ce temps-là son recteur nommoit à la cure, qui s'étendoit, d'un côté, le long de la rue du Marché-Palu jusqu'au milieu du Petit-Pont, de l'autre, presque jusqu'à l'extrémité de celle de la Calendre. Elle possédoit en outre quelques maisons dans les rues Saint-Éloi, aux Fèves, toutes celles du Marché-Neuf et les édifices qui environnoient la paroisse.

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-GERMAIN-LE-VIEUX.

TABLEAUX.

Sur le maître-autel, décoré de quatre colonnes de marbre de Dinan, le Baptême de Jésus-Christ, par Stella.

Dans la chapelle de la Vierge, une Assomption, par le même.

Dans une autre chapelle, le Lavement des pieds, par Vouet.

Derrière la chaire, tous les Saints du Paradis, par un peintre inconnu.

On exposoit dans cette église, aux grandes fêtes, une tapisserie faite du temps de Charles V, où étoit représentée la vie de saint Germain. Les personnages en étoient, dit-on, assez correctement dessinés, et offroient une image exacte et naïve des modes de ce temps-là, pour l'un et l'autre sexe.

Cette église fut rebâtie en entier et agrandie dans le seizième siècle. Le portail et le clocher n'étoient que de 1560[290].

On prétend que saint Marcel, évêque de Paris, vint au monde dans la cinquième maison de la rue de la Calendre, à droite en entrant par celle de la Juiverie. D'après cette ancienne tradition, qui cependant n'est pas moins contestée que les autres, le clergé de Notre-Dame y faisoit une station le jour de l'Ascension, où il avoit coutume de porter processionnellement la châsse du saint.

Le territoire de Saint-Germain-le-Vieux commençoit du côté du petit Châtelet et sur le Petit-Pont; il continuoit à gauche, renfermant toutes les maisons qui étoient de ce côté; cette paroisse avoit quelques maisons dans la rue du Marché-Neuf, toutes celles du Marché-Neuf, le côté gauche de la rue Marché Palu, presque toute la rue de la Calendre, quelques maisons éparses dans les rues Saint-Éloi, aux Fèves, de la Juiverie et Saint-Christophe[291].

LA MAGDELEINE.

En sortant de Saint-Germain-le-Vieux, on entre dans la rue de la Juiverie, qui traverse la Cité dans toute sa largeur, et aboutit d'un côté au Petit-Pont, et de l'autre à celui de Notre-Dame. Au milieu de cette rue, dont le nom vient des Juifs qui l'ont autrefois habitée, étoit une église dédiée sous le titre de la Magdeleine.

Plusieurs compilateurs ont prétendu que dans l'origine c'étoit une chapelle sous l'invocation de Saint-Nicolas, où les bateliers et poissonniers avoient établi leur confrérie[292]; mais un titre du douzième siècle, rapporté par l'abbé Lebeuf, prouve que cette église avoit été autrefois une des synagogues des Juifs[293]. Philippe-Auguste les ayant chassés de France en 1182, donna, l'année suivante, tous leurs édifices publics à Maurice de Sully, évêque de Paris, avec permission de les consacrer au culte catholique, suivant le témoignage de Guillaume Lebreton.

«Ecclesias fecit sacrari pro synagogis
In quocumque loco schola vel synagoga fuisset.»

Telle fut l'origine de la paroisse de la Magdeleine.

On ignore dans quelle année cette église fut décorée du titre d'archipresbytérale qu'elle possédoit: les archives de Saint-Magloire indiquent qu'elle en jouissoit dès 1232[294]; auparavant, c'étoit le curé de Saint-Jacques-de-la-Boucherie qui étoit un des archiprêtres de Paris. Il y a apparence qu'alors cette dignité n'appartenoit privativement à aucun des curés de Paris, et que l'évêque en disposoit à son choix: depuis ce temps, elle est restée sans interruption dans l'église de la Magdeleine[295].

C'étoit dans cette église que s'étoit fixée la grande confrérie des Bourgeois, l'une des plus célèbres de Paris. Nous en parlerons avec plus de détails lorsque nous traiterons de ces sortes d'associations; il nous suffira de remarquer ici que cette confrérie, suivant l'abbé Lebeuf, y avoit succédé à celle des Mercatorum aquæ parisiensium; ce qui a pu faire naître l'opinion que saint Nicolas, patron de cette dernière corporation, l'étoit aussi de l'église.

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE LA MAGDELEINE.

TABLEAUX.

Dans le chœur.—Les Noces de Cana. La Visitation. Jésus-Christ au milieu des docteurs. La Mort de la Vierge, par Philippe de Champagne.

Dans la nef.—Tobie, par un peintre inconnu.

Le bâtiment de la Magdeleine fut agrandi à plusieurs reprises, et notamment en 1749, lorsqu'on y réunit les paroisses de Saint-Gilles et Saint-Leu, de Saint-Christophe et de Sainte-Geneviève des-Ardents. Alors on y voyoit encore des constructions qui étoient du quatorzième siècle, entre autres le portail et quelques arcades de la nef.

Cette paroisse embrassoit presque tout le carré long que forme la partie de la Cité qui est entre la rue de la Juiverie et le parvis Notre-Dame, depuis le côté droit de la rue du Marché-Palu jusqu'à Saint-Denis-de-la-Chartre. Elle ne dépendoit d'aucune église ni séculière ni régulière[296].

SAINT-DENIS-DE-LA-CHARTRE.

Les traditions populaires, quelquefois si difficiles à détruire, sont souvent appuyées sur les fondements les plus légers. Le nom de cette église a fait naître l'idée que saint Denis et ses compagnons avoient été renfermés dans une prison ou chartre, qu'elle a remplacée, et qu'ils y ont souffert diverses tortures, dont on montroit même les instruments[297]. Loin qu'une telle opinion soit appuyée sur aucun titre, les monuments les plus anciens la détruisent; et Grégoire de Tours faisant le récit de l'incendie qui, en 586, consuma Paris, indique clairement que la prison de cette ville étoit alors près de la porte méridionale[298]. Soit que cette prison eût été détruite par ce désastre, soit que son ancienneté l'eût mise hors d'état de servir, il paroît que, peu de temps après, on en rebâtit une autre dans le quartier opposé. En effet, l'auteur de la vie de saint Éloi, qui écrivoit au septième siècle, dit qu'il y avoit alors une prison du côté du septentrion, dans un endroit un peu écarté, situation qui convient assez à celle de Saint-Denis-de-la-Chartre.

En adoptant cette tradition, tout s'explique facilement. L'église Saint-Denis aura été appelée Sanctus Dyonisius de Carcere, à cause de son voisinage de la prison publique[299]; et ce qui le prouve, c'est que la petite chapelle Saint-Symphorien, située dans le même lieu, est aussi appelée Sanctus Symphorianus de Carcere dans les titres primordiaux. Or, on ne peut dire que ce martyr d'Autun ait été renfermé dans une prison de Paris; et ce n'est pas là d'ailleurs le seul exemple de cette espèce de dénomination employée dans de semblables circonstances.

Ce qui est très-certain, c'est qu'au commencement du onzième siècle, et sous le règne du roi Robert, cette église subsistoit près de l'édifice qu'on appeloit prison de Paris, carcer Parisiacus, et qu'elle étoit alors nommée Ecclesia Sancti Dyonisii de Parisiaco carcere[300]. Des chanoines séculiers en étoient alors les desservants; et ils jouirent paisiblement et de l'église et des biens qui y étoient attachés jusqu'en 1122. Alors l'administration en tomba entre des mains laïques, espèce d'usurpation dont on ne voit que trop d'exemples dans l'histoire de ces premiers temps. Henri, troisième fils de Louis-le-Gros, fut un de ces administrateurs de Saint-Denis substitués aux gens d'église, et il en percevoit les revenus en 1133, sous le titre d'abbé.

En cette même année, le même roi Louis-le-Gros et la reine Adelaïde, voulant fonder un monastère de religieuses de l'ordre de Saint-Benoît, jetèrent les yeux sur Montmartre, comme sur le lieu le plus propre à l'exécution de leur dessein. Les religieux de Saint-Martin, qui jouissoient de ce terrain en vertu d'une donation qui leur en avoit été faite environ quarante ans auparavant (en 1096), le cédèrent au roi par une transaction, où intervint l'évêque, et par laquelle Saint-Denis-de-la-Chartre leur fut donné comme indemnité. Telle est l'origine de ce prieuré de fondation royale, et membre dépendant de Saint-Martin. Les priviléges, immunités, franchises et exemptions qui lui furent alors accordés furent depuis confirmés par Charles V et Charles VI; et ces religieux le possédèrent jusqu'au commencement du dix-septième siècle, où la mense[301] priorale fut unie à la communauté de Saint-François-de-Sales, établie, vers ce temps-là, pour la retraite des prêtres pauvres et infirmes.

On voyoit, par l'épitaphe d'un de ses prieurs, que cette église avoit été rebâtie vers le milieu du quatorzième siècle. Elle étoit double, suivant un usage assez fréquent dans les constructions de ce temps-là, et dans un des côtés de la nef étoit une paroisse sous le titre de Saint-Gilles et Saint-Leu, dont la cure fut transférée, en 1618, dans l'église de Saint-Symphorien[302].

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-DENIS DE LA CHARTRE.

SCULPTURE.

Dans une grande niche, au-dessus du maître-autel, saint Denis, saint Rustique et saint Eleuthère recevant la communion des mains de Jésus Christ, par Michel Anguier.

Il y avoit dans cette église, une confrérie de Drapiers-chaussetiers sous le nom de Notre-Dame-des-Voûtes, à cause des voûtes souterraines qui étoient pratiquées sous le pavé de cet édifice.

Sur les vitrages de Saint-Denis-de-la-Chartre, on voyoit autrefois le portrait de Jean de la Grange, cardinal d'Amiens, qui en avoit été prieur; il y étoit représenté avec ses armoiries. Il est probable que cette peinture fut détruite en 1665, époque à laquelle cette église fut réparée par la libéralité de la reine Anne d'Autriche, et le maître-autel refait à neuf[303].

L'enceinte des maisons qui l'environnoient, et qu'on appeloit le bas de Saint-Denis, étoit un lieu privilégié, dépendant du prieuré, et dans lequel, avant la révolution, les ouvriers qui n'étoient point maîtres, pouvoient travailler avec toute sûreté et franchise.

SAINT-SYMPHORIEN,
DEPUIS CHAPELLE SAINT-LUC.

Cette église, située derrière le prieuré de Saint-Denis-de-la-Chartre, dont elle n'est séparée que par une rue étroite, est celle dont nous avons parlé en donnant l'explication du surnom de Carcere qui étoit commun à ces deux édifices. L'histoire d'ailleurs en sera courte. À la place qu'elle occupe existoit autrefois une ancienne chapelle, sous le titre de Sainte-Catherine, dont l'origine et le fondateur sont également inconnus. Comme cette chapelle, par négligence ou succession de temps, tomboit en ruines, Mathieu de Montmorenci, comte de Beaumont, qui n'avoit pu accomplir le vœu qu'il avoit fait d'aller à Jérusalem, voulant expier cette faute, abandonna à l'évêque de Paris les droits qu'il avoit sur elle; et celui-ci, de son côté, s'engagea à la faire rebâtir. Cet acte est de 1206[304], et cet évêque étoit Eudes de Sully. Éliénor, comtesse de Vermandois, et quelques autres pieux personnages, y ajoutèrent bientôt plusieurs dotations, qui permirent d'y établir quatre chapelains desservants; et quelques années après, elle quitta le nom de Saint-Denis, qu'on lui avoit donné d'abord, pour prendre celui de Saint-Symphorien. Ces chapelains obtinrent le titre de chanoines en 1422. Depuis on y transporta, comme nous l'avons dit, la paroisse de Saint-Gilles et Saint-Leu, laquelle y fut unie jusqu'en 1698, que le chapitre et la paroisse passèrent, avec leurs biens et leurs paroissiens, à l'église de la Magdeleine. Peu de temps après, cette chapelle fut cédée à la communauté des peintres, sculpteurs et graveurs, qui la rétablirent, la décorèrent[305], et lui firent donner le nom de Saint-Luc leur patron.

CURIOSITÉS DE LA CHAPELLE SAINT-LUC.

Sur le maître-autel, un tableau représentant saint Luc, patron de la communauté.

SAINT-LANDRI.

Derrière Saint-Denis-de-la-Chartre, et dans une rue qui porte le nom de Saint-Landri, est l'église consacrée à ce saint. C'est encore un de ces monuments dont l'origine inconnue et les traditions incertaines ont donné lieu à une foule de conjectures et d'opinions fastidieuses. Quoique plusieurs titres authentiques prouvent que cette église existoit sous ce nom au douzième siècle, on a poussé la témérité jusqu'à douter et même à nier qu'il y ait jamais eu un évêque de Paris nommé Landri. L'abbé Lebeuf, qui rejette justement une semblable opinion, croit que cet édifice étoit d'abord un lieu de sûreté appartenant à l'abbaye Saint-Germain-l'Auxerrois, dans lequel ses moines venoient déposer leurs effets les plus précieux, lors des invasions des Normands; ce qui lui semble d'autant plus probable, que les abbayes de Sainte-Geneviève et de Saint-Germain-des-Prés avoient de semblables hospices. Il pense qu'on y aura bâti une chapelle, desservie par le prébendaire que ce chapitre avoit à la cathédrale, et qu'ensuite l'élévation du corps de saint Landri, au douzième siècle, l'ayant enrichie de quelques-unes de ses reliques, la chapelle aura pris le nom du saint.

Un autre savant combat cette conjecture par celle-ci[306]: il imagine que cette église pourroit bien avoir été l'oratoire de saint Landri lui-même, les évêques ayant eu une maison à cet endroit; qu'il n'est pas même impossible que ce fût alors la chapelle dédiée sous le nom de Saint-Nicolas, qu'on a confondue avec l'église de la Magdeleine; ce qu'il essaie de prouver d'abord parce qu'elle reconnoissoit saint Nicolas pour l'un de ses patrons, ensuite parce qu'il est vraisemblable que les poissonniers et bateliers l'érigèrent plutôt à cette place, qui est la plus voisine du port où abordoient les vivres et les marchandises; enfin il ajoute qu'après la mort de saint Landri, elle a dû prendre le nom de ce bienheureux évêque: adhuc sub judice lis est.

Ce qu'il y a de certain sur cette église, c'est qu'elle étoit paroissiale dès le douzième siècle[307], et que le chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois avoit le droit de présenter à sa cure, par la raison qu'elle étoit bâtie sur sa censive; et cette censive il l'avoit obtenue par l'amortissement d'une portion de terrain que les chanoines de Notre-Dame lui avoient donnée pour loger le vicaire qui desservoit la prébende dont il étoit possesseur dans l'église cathédrale. Nous avons déjà fait observer que c'est ainsi que se formèrent le plus grand nombre des censives qu'on trouve dans la Cité.

L'église Saint-Landri, qui est très-petite et presque carrée[308], fut rebâtie vers la fin du quinzième siècle, et dédiée seulement en 1660. On trouve qu'en 1408 Pierre d'Orgemont, évêque de Paris, lui avoit accordé quelques reliques de son patron, lesquelles furent tirées de sa châsse conservée dans l'église Saint-Germain-l'Auxerrois[309].

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-LANDRI.

TOMBEAUX ET SÉPULTURES.

Dans cette église avoient été enterrés:

Catherine Duchemin, épouse de Girardon, célèbre sculpteur du siècle de Louis XIV. Ses restes mortels avoient été déposés dans un monument exécuté, sur les dessins de son époux, par deux de ses élèves, Lorrain et Nourrisson[310]. Vingt-cinq ans après, Girardon fut placé à côté d'elle dans le même tombeau.

À côté du chœur, on voyoit un monument orné de quatre colonnes de marbre et décoré des armes du chancelier Boucherat. Ce ministre, qui l'avoit fait élever pour lui-même, fut enterré, quelques années après, à Saint-Gervais (en 1686).

On y lisoit l'épitaphe du magistrat Broussel, surnommé le patriarche de la Fronde et le père du peuple.

Les fonts baptismaux de Saint-Landri passoient pour les plus beaux de Paris; ils se composoient d'une cuvette de porphyre de très-grande dimension enrichie de bronze doré, et avoient été donnés à cette église par son curé, M. Garçon.

LA CHAPELLE SAINT-AGNAN.

On entroit dans cette chapelle par la rue de la Colombe, laquelle commence au bout oriental de la rue des Marmousets. C'étoit un édifice très-ancien, le plus ancien peut-être de toute la Cité, la solidité de sa construction, toute en pierres, l'ayant préservé des changements et des réparations que le temps a fait subir aux autres églises. Celle-ci étoit du reste très-peu connue, parce que les maisons qui l'entouroient la couvroient entièrement, et qu'on n'y faisoit point un service régulier.

Ce petit monument fut fondé, au commencement du douzième siècle, par Étienne de Garlande, archidiacre de Paris, et doyen de Saint-Agnan d'Orléans[311]; il donna pour sa dotation la maison qu'il possédoit dans le cloître Notre-Dame, et trois clos de vignes, dont deux étoient situés au bas de la montagne Sainte-Geneviève, et l'autre à Vitry. Lorsqu'il en eut ainsi assuré les revenus, il y établit, du consentement de l'évêque, deux titulaires, lesquels se partageoient la prébende canoniale, avoient place au chœur comme au chapitre, et faisoient à la fois le service dans la chapelle et à la cathédrale. Cette fondation s'est maintenue jusque dans les derniers temps. La chapelle Saint-Agnan n'étoit ouverte que le 17 novembre, jour auquel l'église célébroit la fête du patron.

On lit, dans une vie de saint Bernard, que ce saint étant allé un jour aux écoles de Paris, avec le projet d'y attirer, par ses exhortations, quelques écoliers à la vie monastique, il y prêcha sans succès, et en sortit sans qu'aucun d'eux eût voulu le suivre. L'historien ajoute qu'un archidiacre de Paris l'ayant emmené dans sa maison, le pieux abbé se retira, navré de douleur, au fond de la chapelle qui étoit attenante à ce logis, et là se répandit en larmes et en gémissements, persuadé que Dieu étoit irrité contre lui, puisqu'il avoit recueilli si peu de fruit de son sermon. L'abbé Lebeuf pense que ceci ne peut convenir qu'à l'archidiacre Étienne de Garlande, contemporain de saint Bernard, et par conséquent que c'est dans cette chapelle, telle qu'elle subsistoit encore dans le siècle dernier, que ce petit événement s'est passé.

Un fait plus curieux est ce qui arriva, peu de temps avant son érection, dans la rue des Marmousets, qui y conduit. Louis VI, dit le Gros, y avoit fait abattre, de sa propre autorité, une maison située près de la porte du cloître, laquelle appartenoit à un chanoine: il trouvoit que cette maison, trop saillante, rendoit le passage incommode. Le chapitre aussitôt réclama ses droits et ses immunités, et le fit avec une telle vivacité, que Louis reconnut son tort, promit de ne plus rien attenter de semblable, et consentit même à payer un denier d'or d'amende. Bien plus, afin que cette réparation fût aussi authentique que les chanoines le désiroient, il la fit le jour même qu'il épousoit Adélaïde de Savoie, et avant de recevoir la bénédiction nuptiale; enfin le monarque alla jusqu'à permettre qu'il en fût fait mention dans les registres du chapitre. Il eût mieux valu peut-être que le pouvoir royal eût été renfermé dans des bornes moins étroites; mais il est beau de voir un prince aussi religieux à maintenir les priviléges des citoyens, et les lois qu'il a juré d'observer[312].

Le pavé de cette chapelle étoit beaucoup plus bas que celui de la rue; et c'étoit une preuve de plus de l'exhaussement considérable qu'avoit éprouvé le sol de la Cité.

SAINTE-MARINE.

En revenant vers Notre-Dame, on trouve cette petite église dans un cul-de-sac qui a son entrée par la rue Saint-Pierre-aux-Bœufs. Quelques historiens ont cru qu'elle n'avoit été bâtie qu'au commencement du treizième siècle, lorsque les reliques de sainte Marine furent transportées de l'Orient à Venise[313]. L'abbé Lebeuf pense que cette église a pu être construite à cette époque par les soins de quelque Vénitien; et ce qui le fortifie dans cette opinion, c'est qu'il y avoit de son temps, dans le voisinage, une rue dite la rue de Venise. Ce savant s'est trompé: la rue en question devoit son nom à une enseigne de l'écu de Venise, sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à un homme de cette nation; et elle n'étoit appelée ainsi que depuis deux cents ans. Auparavant et du temps même de François Ier, on la nommoit rue des Dix-Huit, à cause d'un petit hôpital ou collége dont il sera question à l'article de la Sorbonne. Quant à l'église dont nous parlons, l'origine en est tout-à-fait inconnue; on sait seulement qu'elle existoit long-temps avant le treizième siècle, et Jaillot prétend avoir lu un diplôme, sans date, de Henri Ier, mais qu'on estime être de l'an 1036[314], par lequel ce prince fait don de l'église de Sainte-Marine à Imbert, évêque de Paris.

C'étoit, avant la révolution, la paroisse du palais archiépiscopal et des cours, et celle où se faisoient les mariages ordonnés par l'officialité. Anciennement, ceux que ce tribunal avoit condamnés, étoient mariés avec un anneau de paille. Nous ignorons l'origine de cet usage, et nous ne jugeons pas à propos de rapporter l'explication bouffonne que Saint-Foix en a donnée[315].

SAINT-PIERRE-AUX-BŒUFS.

Plus près encore de la cathédrale, et dans la rue qui porte son nom, est l'église de Saint-Pierre-aux-Bœufs.

On peut aussi la mettre au nombre de ces édifices très-anciens, dont l'origine incertaine et la dénomination singulière ont fort exercé l'imagination des érudits. Plusieurs ont cru qu'elle avoit été autrefois la paroisse des bouchers de la Cité, ou le lieu de leur confrérie, et vouloient expliquer par là et son surnom et les deux têtes de bœufs qui étoient sculptées sur son portail[316]. D'autres ont pensé qu'on y marquoit les bœufs avec une clef ardente, pour les préserver de certaines maladies; quelques-uns ont eu recours à un miracle. L'abbé Lebeuf considéroit ces deux têtes comme les armes parlantes d'une ancienne famille de Paris[317]. Toutes ces opinions diverses, qui ne reposent sur aucun monument historique, ne méritent point d'être discutées, et il est permis à chacun de faire ses conjectures.

Cette église étoit sans doute dans la censive du monastère de Saint-Éloi, puisqu'elle fait partie de ses dépendances, et qu'on la trouve au nombre des chapelles qui furent données, en 1107, au monastère de Saint-Pierre-des-Fossés. Elle fut érigée, quelque temps après, en paroisse, ainsi que Saint-Pierre-des-Arcis et Sainte-Croix; et l'évêque de Paris, devenu l'héritier des droits de ce monastère, nommoit à la cure. Cette cure étoit modique, et n'embrassoit qu'une partie des rues environnantes[318].

SAINT-CHRISTOPHE.

Dans la rue Saint-Christophe, qui aboutit au parvis Notre-Dame, étoit une église sous l'invocation de ce saint: on l'abattit en 1747, pour agrandir le parvis et reconstruire la chapelle des Enfants-Trouvés.

Cette église existoit déjà au septième siècle. Quelques auteurs ont avancé qu'elle étoit la chapelle des comtes de Paris; et pour soutenir cette assertion, ils ont produit des titres qu'ils avoient mal entendus. Sauval, surtout, s'est trompé sur les noms, les faits et les dates qu'il rapporte en parlant de cette église[319].

Une ancienne charte[320] prouve qu'en 690 l'église Saint-Christophe étoit la chapelle d'un monastère de filles, dont l'abbesse se nommoit Landetrude: quel étoit ce monastère? on l'ignore; on ne sait pas même ce que devinrent ces religieuses, qui durent en sortir dans le siècle suivant; car au commencement du neuvième siècle cette maison devint un hôpital dans lequel on recueilloit les indigents[321].

Elle étoit alors desservie alternativement, et de semaine en semaine, par deux prêtres que nommoient les chanoines de Notre-Dame. Mais ce chapitre étant devenu seul possesseur de l'hospice, comme nous le dirons par la suite, on bâtit une autre chapelle, qui reçut aussi le nom de Saint-Christophe, et fut érigée en paroisse au douzième siècle. Elle fut ensuite rebâtie vers la fin du quinzième. Cette dernière église a subsisté jusqu'en 1747.

Ste-GENEVIÈVE-DES-ARDENTS.

Derrière Saint-Christophe, et à peu de distance de cette église, étoit celle de Sainte-Geneviève-des-Ardents, dont l'origine est absolument inconnue.

L'histoire de cette fille admirable, que ses vertus et sa piété rendirent respectable même à des rois païens, et célèbre, sans qu'elle cherchât à sortir de l'obscurité où la Providence l'avoit placée; qui, tant qu'elle vécut, fut le conseil, le refuge et la consolation des habitants de Paris, et mérita, après sa mort, cet honneur insigne d'être regardée comme la patronne d'une ville appelée à de si hautes destinées; cette histoire si extraordinaire et si touchante est trop connue pour que nous croyions devoir la répéter. La tradition s'en est transmise d'âge en âge; et jusque dans les derniers temps de la monarchie, on a vu le peuple de cette capitale, au milieu de ses plus grandes calamités, tourner d'abord ses regards vers son ancienne protectrice, implorer la clémence du ciel par son intercession, suivre avec transport ses reliques vénérées au milieu des rues et des places publiques, et attribuer à cette protection puissante la cessation des fléaux dont il étoit affligé.

En 1129 ou 1130, Paris et ses environs se virent en proie à une maladie terrible, qu'aucun remède ne pouvoit vaincre, et que l'on nomma le feu sacré ou le mal des ardents. Ses ravages furent si rapides et si terribles, l'impossibilité de les arrêter par aucun secours humain tellement démontrée, qu'on ne chercha plus que celui du ciel, dont la colère avoit envoyé ce fléau. On eut recours, pour l'apaiser, aux jeûnes, aux prières, et surtout à l'intercession de la bienheureuse Geneviève. La châsse de la sainte fut descendue et portée processionnellement à la cathédrale. On prétend que la nef et le parvis étoient remplis de malades qui, en passant sous ces reliques miraculeuses, furent guéris à l'instant, à l'exception de trois, dont l'incrédulité servit à rehausser l'éclat du prodige et la gloire de la sainte patronne. On ajoute que le pape Innocent II, alors à Paris, ayant fait vérifier ce miracle, ordonna qu'on en feroit la fête tous les ans, sous le titre d'Excellence de la bienheureuse vierge Geneviève. Depuis elle a été célébrée sous celui de Miracle des Ardents.

Toutefois l'église dont nous parlons existoit long-temps avant la procession célèbre de l'année 1139. Ceux qui se sont imaginé que cette procession passa le long de ses murs, se sont néanmoins trompés, car la rue Notre-Dame n'étoit point encore ouverte. On arrivoit alors à la cathédrale par une rue nommée des Sablons ou Vieille rue Notre-Dame, qui étoit proche de la rivière, et aboutissoit directement au portail de l'ancien édifice qu'a remplacé la cathédrale d'aujourd'hui. Ce portail étoit situé à l'endroit où est maintenant le milieu de la nouvelle nef, en tirant un peu vers le midi[322].

Il est certain, comme nous l'avons déjà dit, que sainte Geneviève avoit une habitation et un oratoire dans la Cité. Il n'est pas moins constant que les chanoines du monastère élevé en son honneur sur le bord méridional, possédoient dans l'île une censive, un hospice et une petite chapelle; qu'ils jouissoient d'une prébende et d'une vicairie dans l'église cathédrale, et qu'à l'exemple des autres religieux qui habitoient sur les deux rives de la Seine, ils se retirèrent dans leur hospice, pour se soustraire, eux et leurs richesses, à la fureur des Normands. Dans l'enceinte de cet hospice étoit une chapelle qui en dépendoit: cette chapelle devint dans la suite l'église dont nous faisons l'histoire. On l'appela Sainte-Geneviève-la-Petite; et même, long-temps après le miracle dont nous venons de parler, elle n'avoit point d'autre nom. Il est probable que la fête établie en mémoire d'un aussi grand événement se célébrant avec plus de solennité dans une église qui portoit le nom de la sainte et près de laquelle il étoit arrivé, par suite des temps la dévotion des fidèles fit donner à cette église le surnom des Ardents.

Voilà ce que nous avons pu recueillir de plus authentique sur ce vieux monument. En 1202 les chanoines cédèrent la chapelle de Sainte-Geneviève ainsi que la prébende et la vicairie qu'ils avoient à Notre-Dame, à Eudes de Sully, évêque de Paris; et il y a apparence que c'est alors qu'elle fut érigée en paroisse[323]. Elle a subsisté jusqu'en 1747, qu'elle fut détruite pour agrandir l'hôpital des Enfants-Trouvés. La structure du sanctuaire ressembloit aux constructions du temps de Louis-le-Jeune; ce qui fait présumer qu'elle étoit de cette époque. Le portail en fut refait en 1402. On voyoit au milieu l'image de sainte Geneviève entre saint Jean-Baptiste et saint Jacques-le-Majeur; à côté, dans une niche, étoit la statue d'un homme agenouillé, ayant les cheveux courts et le capuchon abattu. On prétend que c'étoit l'image du célèbre Nicolas Flamel[324], lequel avoit contribué à cette réparation par ses libéralités.

Il nous reste à faire connoître encore deux anciennes églises qui, comme celle-ci, ne subsistent plus, Saint-Jean-le-Rond et Saint-Denis-du-Pas; mais leur histoire étant plus intimement liée à celle de l'église cathédrale, nous croyons devoir parler auparavant de ce grand et antique édifice.

NOTRE-DAME.

On est naturellement porté à croire qu'un monument de cette importance, que la première église de Paris offrira des traditions plus sûres et dans son origine et dans les révolutions qu'elle a éprouvées, que cette foule de chapelles obscures dont nous venons d'exposer si péniblement l'histoire. Cependant cette origine est enveloppée de ténèbres encore plus épaisses; et aucun point de l'histoire de Paris n'offre plus de difficultés, n'a excité plus d'opinions diverses parmi ceux qui ont écrit de ses antiquités.

Ils ne sont d'accord ni sur le nom, ni sur l'origine, ni même sur la position de cette première basilique des Parisiens. Les uns l'ont placée dans la Cité, les autres dans les faubourgs; et ceux qui s'accordent dans l'une de ces deux opinions, se divisent ensuite lorsqu'il est question de fixer le véritable lieu qu'elle occupoit. Parmi ceux qui la mettent dans la Cité, quelques-uns croient que sa situation fut celle de Saint-Denis-du-Pas; ceux-ci veulent qu'elle s'éleva à l'endroit même où est aujourd'hui Notre-Dame; ceux-là, dans un lieu voisin, sous le nom de Saint-Étienne. Les partisans de l'autre système offrent la même variété dans leurs conjectures: les uns pensent qu'elle étoit à la place où l'on a bâti depuis l'église Saint-Marcel; d'autres à la Trinité, depuis Saint-Benoît; plusieurs à Notre-Dame-des-Champs, qui fut ensuite le monastère des Carmélites. Il n'y a pas moins de contradictions sur son fondateur: on ne sait si c'est saint Denis ou quelqu'un de ses successeurs, ni lequel de ceux-ci. Enfin cette obscurité s'est étendue jusque sur l'édifice actuellement existant, que ces mêmes historiens, toujours divisés, attribuent à Childebert, au roi Robert, à Erkenrad, évêque de Paris, à Maurice et Eudes de Sully, deux de ses successeurs.

Depuis que la science et la critique ont fait de véritables progrès, il n'est plus permis de soutenir des opinions aussi visiblement fausses que celle par laquelle on a prétendu que, même après la paix accordée à l'église par Constantin, les évêques avoient eu les siéges de leurs églises hors des cités, et par conséquent que la cathédrale de Paris a été autrefois à la place de Saint-Marcel ou de toute autre église sur la rive méridionale.

Il est également impossible de supposer, avec quelque vraisemblance, que saint Denis ait fondé un oratoire dans l'enceinte de la Cité; il est vrai que les actes de ce saint en font mention, ainsi que du clergé qu'il institua: «Ecclesiam illis quæ necdùm in locis erat, et populis illis novam construxit, ac officia servientium clericorum ex more instituit[325].» Mais les historiens de la ville et de l'église de Paris, qui se sont appuyés d'un semblable témoignage, n'ont pas réfléchi que ces actes n'ont été rédigés qu'à la fin du sixième siècle, et peut-être plus tard, sur la foi d'une simple tradition, et l'auteur en convient lui-même: «Sicut fidelium relatione didicimus.» Une semblable autorité peut-elle donc balancer celle de tant de monuments historiques, qui nous apprennent que, jusqu'au commencement du quatrième siècle, les chrétiens n'ont cessé d'être en butte à des persécutions qui ne sembloient se ralentir quelques instants que pour se rallumer avec plus de fureur; que, loin d'avoir des temples publics, ces premiers fidèles trouvoient à peine des asiles assez secrets pour se dérober aux recherches de leurs aveugles ennemis? On sait d'ailleurs que les progrès assez lents que l'Évangile avoit faits dans les Gaules[326], et dont on ne trouve de monuments remarquables qu'en 177, dans les actes des célèbres martyrs de Lyon et de Vienne, furent arrêtés tout à coup par les persécutions nouvelles de Marc-Aurèle et de Sévère: depuis ce temps, soit que les pasteurs eussent été tous immolés, soit que la peur eût dispersé le troupeau des chrétiens, on n'en trouve plus de vestiges jusque sous l'empire de Dèce, au milieu du troisième siècle. À cette époque, selon Grégoire de Tours[327], de nouveaux apôtres, au nombre desquels étoit saint Denis, furent envoyés dans les Gaules. Alors on persécutoit plus que jamais les chrétiens; et Paris, où l'ardeur de son zèle conduisit ce saint évêque, étoit, comme toutes les autres villes de cette vaste contrée, soumis aux Romains, imbu de leurs préjugés et adorateurs de leurs faux dieux. Étoit-il possible que, dans des circonstances aussi difficiles, saint Denis pût bâtir sans obstacle une église dans le sein de la ville et même dans les faubourgs? N'est-il pas plus raisonnable de croire que, se conformant à cette prudence prescrite par Jésus-Christ même, laquelle ne permettoit ni de s'offrir au martyre, ni de l'éviter, et réglant sa conduite sur celle des hommes apostoliques qui l'avoient précédé, il réunit ses néophytes dans des cryptes ou lieux souterrains écartés, tant pour les instruire dans la parole de Dieu, que pour les faire participer aux mystères de la religion? Ainsi, sans rejeter entièrement cette tradition, qu'il forma une église à Paris, il faudra l'entendre seulement d'une assemblée de fidèles, avec laquelle il célébra ces mystères augustes. On peut même accorder qu'il choisit pour cette célébration les lieux où furent depuis Saint-Marcel, Saint-Benoît et les Carmélites; mais, comme nous l'avons déjà dit, il faut absolument rejeter l'idée qu'aucune de ces églises ait été la première cathédrale de Paris.

Les successeurs immédiats de saint Denis vinrent eux-mêmes dans des temps non moins orageux[328], et prêchèrent dans des lieux encore arrosés de son sang. Ce ne fut qu'en 313, lorsque Constantin eut placé la religion à côté du trône des Césars, et fait restituer aux chrétiens les biens dont ils avoient été dépouillés, qu'il fut possible de rebâtir les basiliques ruinées, et d'en élever de nouvelles. Les évêques de Paris durent profiter d'une circonstance aussi favorable pour faire construire une église dans la Cité; et l'on en trouve enfin des indices certains sous l'épiscopat de Prudentius, vers la fin du quatrième siècle[329]. Cette église étoit située sur le bord de la Seine, à peu près à l'endroit où est la chapelle inférieure et la dernière cour de l'archevêché; et comme on étoit très-exact à tourner le chevet ou rond-point de ces édifices vers l'orient, sans avoir égard à l'alignement des rues, dont le désordre d'ailleurs alors étoit très-grand, il est probable que le fond de cette petite église étoit dans la direction du lieu où est située maintenant l'église de Saint-Gervais.

Sur cette ancienne disposition des rues, il est difficile de rien dire que de conjectural, et d'indiquer autre chose que ce qui pouvoit être, d'après la connoissance que l'on a des principaux monuments qui, à cette époque, existoient dans la Cité. Il faut se figurer qu'alors la pointe de l'île se terminoit à peu près à l'endroit où étoit autrefois le pont Rouge; car l'espace appelé le Terrain[330] ne s'est formé que, par succession de temps, des décombres que produisit la démolition des vieilles églises auxquelles a succédé la cathédrale que nous voyons à présent. Comme le pont Notre-Dame n'existoit point encore, il ne pouvoit y avoir une rue qui continuât en droite ligne, à partir du Petit-Pont; mais elle devoit suivre une diagonale pour arriver à la porte du septentrion, où étoit le Grand-Pont, seule issue que l'île eût alors de ce côté. Il est facile, d'après cela, de se faire une idée de la manière dont devoient être tournées les rues aboutissantes à cette grande rue qui conduisoit d'un pont à l'autre. Quant aux chapelles et monastères qu'on a vu s'élever de tous côtés au milieu de cet espace, ils ne doivent point embarrasser, parce que, jusqu'au règne de Childebert, fils de Clovis, il n'y eut qu'une seule église à Paris, et déjà ce n'étoit plus la même qui avoit existé du temps de l'évêque Prudentius. Le nombre des habitants de Paris, et par conséquent des chrétiens s'étant fort augmenté, on en avoit rebâti une plus grande et plus magnifique au même endroit. Fortunat[331], qui vivoit peu de temps après, parle des colonnes de marbre, des vitraux superbes dont elle étoit décorée, de la hauteur de ses voûtes, et donne à entendre que c'étoit au roi Childebert qu'elle devoit tant de magnificence.

Plusieurs titres incontestables, parmi lesquels il en est un qui remonte à l'an 860[332], nous apprennent que cette ancienne cathédrale a d'abord porté le nom de Saint-Étienne. C'est en vain que quelques érudits ont prétendu qu'il étoit question, dans ces anciens écrits, de Saint-Étienne-des-Grés, de Saint-Étienne-du-Mont et même de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, dont ce premier martyr étoit un ancien patron: il a été prouvé que les deux premières églises n'existoient pas encore à cette époque, et quant à la troisième, que non-seulement l'église de Saint-Germain-des-Prés n'a jamais été connue sous le nom de Saint-Étienne, mais que ce dernier titre ne lui a même jamais été donné par adjonction, tandis qu'on y a joint quelquefois le nom de Saint-Vincent.

Toutefois, par un titre qui n'est guère postérieur aux premiers[333], on voit que cette église étoit composée de deux édifices, dont l'un étoit la basilique de Notre-Dame, et l'autre celle de Saint-Étienne. Aussi Grégoire de Tours, parlant de l'incendie qui réduisit en cendres toutes les maisons de l'île de Paris en l'an 586, dit que les seules églises furent exceptées. Cette pluralité des églises dans la Cité ne peut s'entendre que des édifices qui en formoient depuis peu la cathédrale. Saint-Étienne avoit été le premier de ces édifices; ensuite, suivant l'ancien usage où l'on étoit de bâtir de petites églises autour des grandes basiliques, il est à présumer qu'on en avoit élevé une à côté, sous l'invocation de la Vierge. Ce monument s'étant trouvé trop petit par l'augmentation du nombre des fidèles, on l'aura rebâti et agrandi sous le règne de Childebert; et c'est alors sans doute que la basilique nouvelle sera devenue la cathédrale, par une autre coutume assez fréquente dans ces temps-là, de donner aux églises neuves qui remplaçoient les anciennes, ou ruinées ou trop petites, un vocable différent du premier patron. Voilà ce que nous avons pu recueillir de plus vraisemblable sur la première origine de Notre-Dame de Paris.

Quelles que soient les objections que l'on imagine d'élever contre cette hypothèse, on ne peut nier du moins que, sans compter un grand nombre d'autres autorités, il n'existe une charte authentique de Childebert lui-même, par laquelle il donne la terre de Celle, près Montereau-Faut-Yonne, à l'église mère de Paris, qui est dédiée en l'honneur de sainte Marie, etc.[334], et que par conséquent cette église ne fût déjà bâtie sous la première race de nos rois: du reste, on n'a que des traditions confuses sur les révolutions[335] qu'elle a pu éprouver jusqu'au moment où elle fit place au monument qu'on voit aujourd'hui. A-t-elle été rebâtie depuis Childebert par l'évêque Erkenrad, comme on l'a prétendu? l'abbé Lebeuf est porté à le croire, et cette opinion n'a rien qui la rende invraisemblable. Il n'en est pas de même de celle par laquelle on veut établir que l'édifice actuel, commencé par le roi Robert, fut continué par ses successeurs jusqu'à Philippe-Auguste, sous le règne duquel Maurice de Sully eut la gloire de l'achever: non-seulement l'architecture de cette église n'offre aucun caractère qui puisse la faire attribuer aux siècles qui ont précédé cet évêque, mais il existe plusieurs témoignages qui prouvent qu'il le fit édifier dès ses fondements[336]. Toutefois il est probable que les anciennes fondations avoient été conservées, et que ce fut sur ces fondations que fut élevé le chœur de l'église nouvelle[337]. En effet, il est remarquable que cette partie, trop étroite pour la hauteur et la largeur du monument entier, n'est point dans l'alignement de la nef, et que celle-ci fait un coude léger. Cette irrégularité semble être le résultat d'un plan par lequel Maurice auroit voulu que le portail se trouvât en face de la rue nouvelle qu'il avoit fait ouvrir, et à laquelle il donna le nom de rue Notre-Dame, qu'elle porte encore aujourd'hui.

Ce fut vers l'an 1160 que cet évêque entreprit de faire une seule basilique des deux églises, et de leur donner une étendue beaucoup plus considérable du côté de l'occident. Celle de Notre-Dame fut d'abord abattue jusqu'aux fondements, comme nous venons de le dire, et l'on éleva sur le champ le nouveau sanctuaire. Ce ne fut qu'environ cinquante ans après, que la vieille église de Saint-Étienne fut détruite[338], lorsque l'on commença la construction des ailes, qu'elle auroit gênée du côté méridional. Une inscription qu'on lit sur les pierres du portail de la croisée fait foi qu'on travailloit encore à cette partie de l'église en 1257. Le portail et les chapelles du côté du nord ne furent achevés que dans le quatorzième siècle, de manière que cette immense construction fut le résultat de près de trois siècles de travaux non interrompus. Cependant on n'avoit pas attendu son entier achèvement pour y réunir les fidèles; et lorsque le sanctuaire eut été achevé, la simple bénédiction du lieu et des autels[339] parut suffisante pour y célébrer les saints mystères. La dédicace solennelle de l'édifice n'a même jamais été faite.

La forme du plan de cette église est une croix latine, dont les principales dimensions, dans œuvre, sont, pour la longueur, soixante-cinq toises, pour la largeur, vingt-quatre. La hauteur, sous clef de la voûte, est de dix-sept toises deux pieds. La disposition générale du plan est grande et noble, les proportions en sont heureuses, et ce monument gothique passe, avec raison, pour un des plus vastes et des plus beaux qui existent dans la chrétienté[340].

La façade, qui fut élevée dès le règne de Philippe-Auguste, est remarquable par ses sculptures et par son élévation. Elle est terminée par deux grosses tours, hautes de deux cent quatre pieds; elles sont carrées, et offrent une largeur de quarante pieds sur chaque dimension. L'intervalle qui les sépare étant égale à leur diamètre, il en résulte que la façade entière du portail est de cent vingt pieds. On communique de l'une à l'autre tour par deux galeries hors d'œuvre.

Cette façade est percée de trois portes, au-dessus desquelles étoient rangées, sur une seule ligne, les statues[341] de vingt-sept de nos rois, dont le premier étoit Childebert, et le dernier Philippe-Auguste. On y voyoit Pépin-le-Bref monté sur un lion, ce qui étoit un monument de la victoire éclatante qu'il remporta sur un de ces terribles animaux.

Les sculptures placées dans les voussures ogives[342] de ces trois portes et dans les niches au-dessous, offrent cette multiplicité, cet entassement d'objets qui fait le caractère de la barbarie gothique. Au portail du milieu est représenté Jésus-Christ sous plusieurs aspects avec les apôtres, les symboles des quatre évangélistes, les prophètes et même les sibylles. Dans les côtés sont figurés les vertus et les vices sous l'emblème de divers animaux. On y remarque encore une représentation grossière du jugement dernier, et dans les pilastres qui séparent ce portail d'avec les deux autres, sont placées deux grandes statues de femmes, dont l'une est la Foi et l'autre la Religion.

Au portail de la tour voisine du cloître, on voit la statue de la Vierge, celles des prophètes qui l'ont prédite, sa mort, son couronnement; à droite et à gauche, saint Jean-Baptiste, saint Étienne, sainte Geneviève, saint Germain, saint Denis, et un roi qu'on ne peut désigner. Ces figures sont du treizième siècle.

Celles du portail à droite, qui paroissent plus anciennes, offrent une réunion d'objets encore plus incohérents. La Vierge y figure de nouveau avec la crèche, les trois mages, des rois, des apôtres, des évêques de Paris; et parmi ces derniers, saint Marcel, reconnoissable à sa crosse, à sa mitre et au dragon qu'il a sous les pieds. Toutes ces sculptures, dont la plus grande partie existe encore, ont éprouvé de grandes dégradations, ainsi que celles qui ornent les portails des deux croisées, lesquelles sont à peu près du même style et de la même composition[343].

On entre par toutes ces portes dans l'église dont la nef et le chœur sont accompagnés de doubles ailes voûtées, au-dessus desquelles s'élèvent des galeries spacieuses, et qui règnent tout à l'entour de l'édifice. Toutes ces constructions sont soutenues par cent vingt piliers et cent huit colonnes. On compte encore dans ce vaste contour quarante-cinq chapelles[344].

Les différentes voûtes de cet édifice sont contre-butées à l'extérieur par un grand nombre d'arcs-boutants de différentes hauteurs, lesquels opposent leur résistance à l'effort de la poussée. Ce moyen, constamment employé par les Goths, leur ayant permis d'élever à une hauteur excessive des murs auxquels ils ont conservé peu d'épaisseur, donne à leur architecture cette apparence de légèreté encore augmentée par la subdivision infinie de ces faisceaux de colonnes d'un très-petit diamètre qui composent leurs piliers, et qu'ils ont eu l'adresse de figurer jusque dans les nervures croisées et intérieures de ces voûtes.

Quant à l'extérieur, ces piliers sont la plupart terminés en obélisques. Les pignons[345] en forme de frontons sont évidés au milieu par des roses[346] à jour, d'un travail très-délicat, et dont les plus grandes ont quarante pieds de diamètre. Celle qui est du côté de l'archevêché a été reconstruite en entier sur le même dessin, en 1726, par Claude Pinet, appareilleur, sous les ordres de M. Boffraud, architecte. On admire les anciens vitraux colorés qui remplissent la rose du grand portail et celles des croisées. Ils ont été réparés, en 1752, par Pierre Leviel, vitrier, auteur d'un traité sur ce genre de peinture, que l'on croyoit perdu, et dont il a retrouvé les divers procédés.

Trois galeries en dehors forment, à diverses hauteurs, des espèces de ceintures d'entrelas[347] qui unissent ensemble toutes ces formes pyramidales, et rassurent l'œil sur leur solidité, en même temps qu'elles présentent, par la richesse et la variété de leurs ornements, une heureuse opposition avec le lisse des murs et des contreforts. La première est placée au-dessus des chapelles, la deuxième surmonte les galeries de la nef et du chœur, et la troisième règne autour du grand comble. Celle-ci, par sa disposition, sert pour faire extérieurement la visite de l'église, et contribue à sa conservation en facilitant la conduite et l'écoulement des eaux pluviales, ce qui s'opère par une multitude de canaux et de gouttières qui les font parvenir jusqu'au pied de l'édifice. La charpente, qui a trente pieds d'élévation, est en bois de châtaignier.

Lorsqu'il s'agit d'un monument aussi célèbre, on ne doit négliger aucun des détails qui semblent intéressants. Avant que le chœur eût été orné d'une décoration moderne, il étoit chargé de sculptures gothiques représentant, du côté intérieur, l'histoire de la Genèse. Elles avoient été exécutées en 1303, aux frais du chanoine Fayet. Celles de l'extérieur, qui existent encore, offrent toute la suite du Nouveau Testament. Autrefois on lisoit au bas les noms de Jean Ravy et Jean Bouthelier son neveu, maçons de Notre-Dame; ce dernier avoit achevé ces ouvrages en 1351.

Il faut encore remarquer la ferrure des deux portes latérales de la façade. Elle est composée d'enroulements exécutés en fonte de fer, dans un style d'ornements qui rappelle le goût grec du Bas-Empire; ce qui peut faire présumer que ces pentures, travaillées en arabesques très-légères, et ornées de rinceaux[348] et d'animaux, ont été enlevées de quelque autre monument, et appliquées à celui-ci. Cette conjecture prend plus de force si l'on observe que ces pentures ne sont point pareilles, et que ni la porte du milieu ni les portes des croisées ne présentent rien de semblable ou d'analogue. On les attribue cependant à un célèbre serrurier nommé Biscornet.

Ce portail est de niveau avec la place: on prétend que du temps de Louis XII il s'élevoit beaucoup au-dessus d'elle, et qu'il falloit monter plusieurs marches pour entrer dans l'église. On remarque en effet que les anciens monuments bâtis dans la plaine s'enterrent successivement par l'exhaussement du sol environnant. Il arrive que le temps dépose chaque année à leur pied une couche insensible de terre ou de matériaux étrangers qui, n'étant point enlevés lorsqu'on renouvelle le pavement des rues, surmontent insensiblement les socles et les marches, de manière qu'on finit par descendre dans les édifices où l'on montoit plusieurs siècles auparavant.

Cette cathédrale avoit été magnifiquement décorée par Louis XIV, qui accomplit aussi le vœu qu'avoit fait son père, d'y élever un maître autel digne d'un temple aussi auguste et de la puissance d'un grand roi. Malgré les dégradations, les brigandages horribles exécutés sur tant de matériaux précieux, de sculptures, de peintures, de boiseries artistement travaillées, qui étoient entrés dans la décoration de ce grand monument, il reste cependant encore quelques traces de tant de richesses; et le groupe de la Mère de douleur, placé dans la niche de l'arcade qui est derrière le grand autel, est demeuré intact. La Vierge y est représentée les bras étendus vers le ciel; la tête et une partie du corps de son fils reposent sur ses genoux; un ange soutient une main du Christ, un autre porte sa couronne d'épines. Ce groupe, exécuté en marbre blanc par Coustou l'aîné, quoique loin sans doute du style grand et pur de la sculpture antique, n'est pas cependant dépourvu de beautés, et l'expression y est surtout remarquable. Du reste, l'autel, entièrement dégradé, a été refait sur les dessins de feu M. Legrand, architecte distingué, et même la décoration intérieure de la totalité du sanctuaire est devenue plus noble et plus régulière par la suppression du jubé et des chapelles adossées aux deux premiers piliers du chœur: ces chapelles, par leur disposition, empêchoient de jouir de l'ensemble de ce monument.

Il a été fait trois fouilles remarquables dans cette église; la première en 1699, lorsqu'on commença la construction du grand autel. On découvrit alors, sous les payés du sanctuaire, les tombes d'un grand nombre d'évêques et autres personnages éminents, dont plusieurs y avoient été enterrés dès les premiers temps de l'édification du monument.

Dans la seconde fouille, entreprise en 1711, pour creuser la crypte qui sert de sépulture aux archevêques, furent trouvées neuf pierres antiques chargées de sculptures et d'inscriptions en caractères romains. Nous donnerons quelques détails sur ces débris d'antiquités en finissant de décrire ce quartier[349].

Enfin, la troisième fouille, que l'on fit en 1756, pour édifier la sacristie et le bâtiment du trésor du côté du midi, détruisit entièrement cette ancienne opinion, que les fondations de Notre-Dame avoient été bâties sur pilotis. Cette fouille, poussée jusqu'à vingt-quatre pieds de profondeur, deux pieds au-dessous de ces fondations, a fait voir qu'elles posent sur un gravier solide. Elles sont composées de gros moellons liés avec du mortier et du sable. Il n'y a que quatre assises de pierre de taille bien équarries, et posées en retraite les unes sur les autres, qui terminent cette fondation jusqu'au sol. L'ancienne sacristie, qu'on abattit alors, parce qu'elle menaçoit ruine, avoit été construite à la place d'une galerie qui communiquoit de l'église aux chapelles de l'archevêché. L'édifice qui a remplacé ces deux anciennes constructions a été fait sous la direction du célèbre architecte Soufflot.

Telles sont les particularités les plus intéressantes que nous avons pu recueillir sur ce monument célèbre dans toute la chrétienté, que tant de mains royales se sont plu à décorer, et qui, tout dépouillé qu'il est de son antique splendeur, rappellera toujours les plus grands, les plus touchants souvenirs de la monarchie françoise. C'est dans l'église de Notre-Dame que nos rois ont le plus souvent donné des preuves éclatantes de cette piété si noble et si sincère qui les distingue parmi tous les souverains, et dont l'exemple salutaire, en raffermissant le principe religieux dans l'âme de leurs sujets, contribua, plus que toute autre chose, à soutenir un ordre politique, fragile de sa nature, et menacé à chaque instant de se changer en désordre et en anarchie. À chaque avénement, le nouveau monarque alloit dans ce temple auguste déposer sa couronne aux pieds de celui qui juge les rois; avant de marcher à l'ennemi, il y retournoit demander la protection du ciel pour ses armes; et dans la gloire du triomphe, il y revenoit encore humilier son front, et consacrer les marques de sa victoire[350]. Il n'étoit point de fêtes solennelles, soit pour remercier le ciel des succès, soit pour l'implorer dans les calamités, où l'on ne marchât d'abord vers la cathédrale; et les pompes de la religion se mêloient sans cesse aux affections les plus vives des peuples, aux intérêts les plus grands des princes. Un de nos rois[351], délivré d'une longue captivité, alla porter à Notre-Dame le tribut de ses actions de grâces avant de rentrer dans son palais; un autre[352] y fit élever le monument d'une victoire qu'il croyoit n'avoir obtenue que par une protection signalée de la Vierge; Henri IV, le meilleur des princes, saint Louis, le plus grand des rois, ont prié sous ces voûtes; et la suite de cette histoire nous fournira une foule d'exemples non moins remarquables de ce zèle religieux qui, dans ces souverains, sembloit se transmettre d'âge en âge avec la valeur et les droits du trône.

La cathédrale de Paris ayant été, dans tous les temps, l'objet de la dévotion particulière de nos rois, fut, dès les commencements, comblée de leurs présents, et décorée avec une magnificence digne d'aussi grands souverains. Elle étoit riche en peintures, en sculptures, en reliques, en vases antiques et précieux, en ornements de tous genres; et le culte n'étoit célébré dans aucune église de France avec un appareil aussi auguste[353].

Non-seulement les rois et les princes, mais le corps des bourgeois, plusieurs confréries, des communautés d'artisans, de simples particuliers se sont plu à l'envi à l'enrichir de leurs offrandes. On voyoit devant l'autel de la Vierge un lampadaire d'argent remarquable, en ce qu'il étoit composé de sept lampes, dont six avoient été données par Louis XIV et la reine son épouse. Celle du milieu, qui avoit la forme d'un navire, étoit un présent de la ville de Paris, et rappeloit un vœu singulier qu'elle avoit fait dans un danger imminent[354]. Un chanoine de cette église en avoit fait entièrement reblanchir l'intérieur à ses frais. Un autre avoit donné les peintures qui ornoient le chœur; enfin la nombreuse collection de tableaux qui garnissoit l'immense étendue de la nef, les croisées et les chapelles, étoit le résultat d'une offrande annuelle que, pendant près d'un siècle, firent à Notre-Dame la communauté des orfèvres, et la confrérie de Sainte-Anne et de Saint-Marcel.

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE NOTRE-DAME.

TABLEAUX DE LA NEF.

À droite en entrant.

1. Le Boiteux guéri par saint Pierre à la porte du temple, par D. Sylvestre.

2. Saint Pierre délivré de prison, par Jean-Baptiste Corneille.

3. Le départ de saint Paul, de Milet pour Jérusalem, par Galloche.

4. Le martyre de saint Simon en Perse, par Louis Boullogne père.

5. Le martyre de saint Jean l'évangéliste près la porte Latine à Rome, par C. Hallé père.

6. L'apparition de Jésus-Christ à saint Pierre, par J. Sourlay[355].

7. Saint Pierre ressuscitant la veuve, par Louis Tetelin.

8. Saint Paul prêchant les Gentils, par Eustache Le Sueur[356].

À gauche en entrant.

1. Jésus-Christ chez Marthe et Marie, par Simpol.

2. La multiplication des pains, par J. Christophe.

3. La vocation de saint Pierre et de saint André, par M. Corneille.

4. Les Vendeurs chassés du temple, par Claude-Guy Hallé.

5. La guérison du Paralytique, par Jouvenet.

6. L'entretien de Jésus-Christ avec la Samaritaine, par Boullogne jeune.

7. Jésus-Christ guérissant le Paralytique à la piscine, par Boullogne.

Sur la partie du pilier qui faisoit face à la chapelle de la Vierge, laquelle étoit au côté droit de la principale entrée du chœur.

1. Le vœu de Louis XIII, par Philippe de Champagne.

2. À côté, et un peu plus bas, vis-à-vis la chapelle, saint Paul et Silas flagellés dans la ville de Philippes en Macédoine, par Louis Tetelin.

3. Au-dessus, saint André à genoux devant la croix, par Jacques Blanchard.

4. Sur la même ligne, en tournant, saint Jacques conduit au martyre, par Noël Coypel père.

5. Immédiatement après, la guérison de la femme affligée d'un flux de sang, par Cazes.

6. À côté, saint Paul lapidé à Listres, par Jean-Baptiste Champagne neveu.

7. Au-dessus de la chapelle, saint Pierre prêchant à Jérusalem, par Charles Poërson père.

En tournant à la croisée gauche du cloître, en face de la chapelle Saint-Denis, qui étoit également à la porte du chœur.

1. La descente du Saint-Esprit, par Blanchard.

2. À côté, vis-à-vis la chapelle Saint-Marcel, saint Paul guérissant un boiteux, par Michel Corneille.

3. Au-dessus, l'enlèvement de saint Philippe, par Thomas Blanchet.

4. De suite, en tournant, le martyre de saint Étienne, par Charles Le Brun.

5. Le martyre de saint Pierre, par Sébastien Bourdon.

6. Le martyre de saint André, par Charles Le Brun.

7. Au-dessus de la chapelle, la conversion de saint Paul, par Laurent de la Hire[357].

TABLEAUX PLACÉS AU-DESSUS DES STALLES DU CHŒUR.

À droite.

1. L'annonciation, par Hallé.

2. La Visitation (le Magnificat), par Jouvenet.

3. La nativité de Jésus-Christ, par Lafosse.

4. L'adoration des Mages, par le même.

À gauche.

1. La présentation de Jésus-Christ au temple, par Louis Boullogne.

2. La fuite en Égypte, par le même.

3. Jésus-Christ dans le temple au milieu des docteurs, par A. Coypel.

4. L'assomption de la Vierge, par le même.

AU-DESSUS DU POURTOUR EXTÉRIEUR DU CHŒUR.

En entrant par la grille de la croisée, du côté de l'archevêché.

1. La décollation de saint Jean et l'enlèvement de son corps par ses disciples, par Cl. Audran.

2. Saint Paul ressuscitant Eutique, par Courtin.

3. Le repentir de saint Pierre, par Tavernier.

4. Saint Paul devant Agrippa, par Villequin.

En tournant du côté du sanctuaire pour passer au côté gauche.

1. Saint Paul convertissant saint Denis dans l'Aréopage, par Cestin.

2. Agabus prédisant à saint Paul ce qu'il doit souffrir pour Jésus-Christ, par Chéron.

3. Saint Jean prêchant dans le désert, par Parrocel père.

4. L'adoration des rois, par Vivien.

CHAPELLES DES BAS-CÔTÉS AUTOUR DU CHŒUR.

Après la petite porte de l'escalier qui conduit aux tribunes du chœur.

1. Chapelle de Saint-Pierre et Saint-Paul. Un tableau ovale représentant ces deux saints accompagnés de leurs disciples, par Beaugin, et une Descente de croix.

2. Chapelle de Saint-Pierre martyr. Saint Pierre guérissant les malades par son ombre, par La Hire. Vis-à-vis, le Naufrage de saint Paul à Malte, par Poërson.

3. Ensuite la sacristie renfermant le trésor[358].

4. Chapelle de Saint-Denis et Saint-Georges. Une Notre-Dame de Pitié, de l'école de Vouet; saint Pierre visité par un ange dans sa prison, par Vouet.

5. Chapelle de Saint-Gérald. La mort de la Vierge, par N. Poussin. Vis-à-vis, un vœu à la Vierge sur un champ de bataille.

6. Chapelle de Saint-Remi, dite des Ursins. Saint Claude, par Galloche. Portrait de Jouvenel des Ursins avec sa famille.

7. La Chapelle d'Harcourt.

8. Chapelle de Saint-Crépin, Saint-Crépinien et Saint-Étienne. Un Christ, l'Ascension et la Résurrection, par Beaugin. Hérodiade à table avec Hérode, par L. Chéron. Saint Pierre baptisant le Centenier, par M. Corneille.

9. Chapelle de Saint-Nicaise. Le jugement dernier, peint sur bois par de Hery.

10. Chapelle de Saint-Louis et de Saint-Rigobert. Un Christ, d'après Michel-Ange; Saint-Étienne conduit au martyre, par Houasse.

11. Chapelle de la Décollation de Saint-Jean-Baptiste. Le martyre de saint Barthélemi, par Paillet. La décollation de saint Jean, par Louis Boullogne. Une Assomption, par Hurel.

12. Chapelle de Vintimille, sous le titre de Sainte-Foi et de Saint-Eutrope. Saint Charles Borromée communiant les pestiférés, par Vanloo. Une Sainte Famille, par Paillet.

13. Chapelle de Saint-Michel, dite de Noailles. L'apparition de l'ange aux trois Maries, par C. Natoire.

14. Chapelle de Saint-Ferréol. Saint Michel, par Vignon. L'annonciation, par Champagne.

15. Chapelle de Saint-Jean-Baptiste et de la Madeleine ou chapelle de Beaumont. Un Christ en croix.

16. Dans l'embrasure de la porte rouge, la mort d'Ananie et Saphire, et le centenier Corneille aux pieds de saint Pierre, par Aubin Vouet.

17. Chapelle de Saint-Eustache. La transfiguration, d'après Raphaël. Le vœu du marquis de Locmaria, par Le Monnier.

18. Chapelle de Sainte-Agnès. La Vierge allaitant l'enfant Jésus.

En redescendant des bas-côtés de la nef, du même côté.

1. Chapelle Saint-Nicolas. Ce saint sauvant des pénitents du naufrage, par Thiersonnier. Le miracle de saint Paul et de Sylas en prison, par N. de Plattemontagne.

2. Chapelle de Sainte-Catherine. Le martyre de cette sainte, par M. Vien.

3. Chapelle de Saint-Julien-Zozime. Ce saint donnant la communion à sainte Marie Égyptienne, par Beaugin. Les noces de Cana, par Cotelle.

4. Chapelle de Saint-Laurent. Le martyre de ce saint, par un élève de Le Sueur. L'apparition de Jésus-Christ aux trois Maries, par Marot.

5. Chapelle de Sainte-Geneviève. Une Vierge et l'enfant Jésus, avec saint Jean et sainte Geneviève, par Beaugin. La guérison des démoniaques.

6. Chapelle de Saint-Georges et de Saint-Blaise. Une mère de douleur consolée par les anges, par Beaugin. Les miracles de saint Paul à Éphèse, par L. Boullogne.

7. Chapelle de Saint-Léonard. Ce saint en habit guerrier, par Champagne. Le vœu de madame la Grande-Duchesse, pour sa maladie, par Dumesnil.

CHAPELLES DES BAS-CÔTÉS DE LA NEF.

En entrant à droite.

1. Chapelle de Sainte-Anne. Sainte Anne et la Vierge, par Vouet. La présentation de la Vierge, par La Hire.

2. Chapelle de Saint-Barthélemy et de Saint-Vincent. Le martyre de ce dernier saint, par Beaugin. Notre Seigneur sur la montagne, par Poërson.

3. Chapelle de Saint-Jacques. Un Christ, par Le Nain. La femme adultère, par Renaut.

4. Chapelle de Saint-Antoine et de Saint-Michel. Saint Michel à genoux devant la Vierge, par Champagne. Jésus-Christ guérissant un possédé, par Vernansal.

5. Chapelle de Saint-Thomas de Cantorbéry. Saint Dominique et saint Thomas à genoux devant la Vierge, manière de Lanfranc. La résurrection du fils de la veuve de Naïm, par Guillebaut.

6. Chapelles de Saint-Augustin et de Sainte-Marie-Magdeleine. Dans la première, la Piscine, par Alexandre. L'aveuglement de Barjésu, par Loir. Dans la deuxième, l'incrédulité de saint Thomas, par Arnould; la résurrection de la fille de Jaïre, par Vernansal[359].

SCULPTURES[360].

L'ancien grand-autel, élevé sur les dessins de Decotte, étoit décoré de plusieurs statues en bronze, et surchargé d'ornements ciselés et dorés, où il y avoit plus d'éclat et de richesse que de bon style et de bon goût. On y remarquoit un bas-relief en bronze doré par Vassé; deux anges adorateurs par Cayot.

Dans le chœur, on remarquoit encore:

À gauche, la statue en marbre blanc de Louis XIII, à genoux, revêtu de ses habits royaux, offrant son sceptre et sa couronne à la Sainte-Vierge, et mettant son royaume sous sa protection, par Coustou jeune.

À gauche, celle de Louis XIV, par Coyzevoz. Elle représentoit ce monarque revêtu pareillement de ses habits royaux et accomplissant le vœu du roi son père[361].

Dans les tympans des arcades du rond-point, des anges en bas-relief représentant des vertus avec leurs attributs, savoir: la Charité et la Persévérance, par Poultier; la Prudence et la Tempérance, par Frémin; l'Innocence et l'Humilité, par Le Pautre; la Foi et l'Espérance, par Le Moine; la Virginité et la Pureté, par Thiéry; la Justice et la Force, par Bertrand. Au bas des pilastres et sur des culs-de-lampe, six anges en bronze portant les instruments de la passion, et modelés par Hurtrelle, Vanclève, Poirier, Magnier et Flamen.

Au milieu du chœur, un aigle en bronze, accompagné des trois vertus cardinales, par Duplessis.

Aux deux portes latérales du chœur, deux chaires épiscopales, enrichies d'ornements et de bas-reliefs représentant l'histoire du martyre de saint Denis, et la guérison du roi Childebert, par l'intervention de saint Germain, évêque de Paris.

Dans la chapelle Saint-Christophe, la statue du saint, par Gois; celle de saint Denis, par Mouchy, dans la chapelle qui lui étoit consacrée; dans celle de Saint-Michel, dite de Noailles, saint Louis et saint Maurice, par Rousseau.

Sur la menuiserie des stalles du chœur, des bas-reliefs, par Goullon, offrant des sujets pris dans le Nouveau Testament.

TOMBEAUX ET SÉPULTURES.

Au pied du sanctuaire avoient été déposées les entrailles de Louis XIII et de Louis XIV.

Dans cette église avoient été inhumés:

Étienne II, dit Tempier, évêque de Paris, mort en 1279.

Simon de Bucy, évêque de Paris, mort en 1304 (enterré dans la chapelle Saint-Nicaise).

Aymérie de Magniac, cardinal et évêque de Paris, mort en 1384.

Pierre d'Orgemont, évêque de Paris, mort en 1409.

Dans la chapelle Saint-Remi, Juvénal des Ursins, chancelier de France sous Louis XI, et Michelle de Vitry sa femme, morte en 1456[362].

Henri Dumoulin, évêque de Paris, mort en 1447.

Sous la croisée, Paul Émile de Véronne, chanoine de cette église et auteur d'une Histoire de France, mort en 1529.

Joachim du Belloy, chanoine et archidiacre de Paris, l'un des poètes les plus estimés de la cour de François Ier, mort en 1559.

Jean-Baptiste de Chatelier, nonce du pape, mort en 1583.

Albert de Gondi, duc de Retz, marquis de Belle-Isle, maréchal de France, mort en 1602.

Renaud de Beaune, archevêque de Bourges, de Sens, et grand-aumônier de France, mort en 1616.

Dans la chapelle de Saint-Louis et Saint-Rigobert, le cardinal Pierre de Gondi, évêque de Paris, mort en 1616[363]. Cette chapelle, magnifiquement décorée, étoit destinée à la sépulture de cette illustre famille.

Dans la chapelle de Saint-Eustache, Jean-Baptiste Budes de Guébriant, maréchal de France, mort en 1643, et Renée de Bec-Crepin sa femme.

Pierre de Marca, archevêque de Paris, et célèbre par son traité de Concordiâ sacerdotii et imperii, mort en 1662.

Hardouin de Péréfixe de Beaumont, archevêque de Paris, mort en 1671.

François de Harlay, archevêque de Paris, mort en 1695.

Anne-Jules de Noailles, pair et maréchal de France, mort en 1708.

Claude Chastelin, chanoine de cette église, auteur de plusieurs ouvrages de piété, mort en 1712.

Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, mort en 1729.

Charles-Gaspard-Guillaume de Vintimille, archevêque de Paris, mort en 1746. Charles-François de Vintimille son frère, mort en 1740.

L'abbé de la Porte, chanoine jubilé[364] de cette église et l'un de ses bienfaiteurs.

Dans la chapelle d'Harcourt, le mausolée de Claude-Henri, comte d'Harcourt, mort en 1769. Ce monument avoit été exécuté par Pigalle, d'après un songe où madame d'Harcourt avoit vu son mari tel qu'il y étoit représenté[365].

Lorsque l'on creusa le crypte qui sert de sépulture aux archevêques de Paris, on y découvrit le tombeau d'une reine d'Angleterre dont le nom est inconnu, et celui de Louis de France, dauphin, fils de Charles VI et d'Isabeau de Bavière. Au bas des degrés du grand autel étoit déposé le cœur de Louise de Savoie, mère de François Ier.

RELIQUES ET AUTRES OBJETS PRÉCIEUX.

Derrière le chœur étoit la châsse de Saint-Marcel, en or et en vermeil, enrichie de perles fines et de pierres précieuses.

L'autel de la chapelle de Saint-Denis contenoit quatre châsses, où l'on conservoit quelques reliques inconnues.

La salle du Trésor contenoit entre autres richesses:

Le chef de saint Philippe, apôtre; ce chef de vermeil étoit couvert de pierres précieuses du plus grand prix.

Une reliquaire de vermeil représentant saint Louis, et renfermant plusieurs parcelles de la sainte couronne, des fragments de l'éponge, du suaire et du tombeau de Jésus-Christ.

La tunique de Saint-Germain, renfermée dans une châsse en vermeil; des vêtements de la Vierge et une partie du crâne de saint Denis, etc., etc.; une quantité considérable de ciboires, de calices, de croix, de vases, de chandeliers, de soleils en vermeil enrichis de diamants, de pierres fines, monuments précieux de la piété des plus illustres personnages de la France, et dont le brigandage de 1793 a fait disparoître jusqu'aux moindres vestiges.

On y conservoit aussi des monuments curieux relatifs à la manière dont se faisoient les investitures par le moyen du couteau; les réparations des dommages par l'offrande d'un morceau de bois sur lequel l'acte étoit écrit, ou par celle d'une baguette d'argent, lorsque la réparation venoit d'un prince, etc., etc.

ARCHEVÊCHÉ.

La maison de l'évêque étoit située, de temps immémorial, près de Saint-Étienne[366]. Elle s'élevoit vis-à-vis de la nef de l'église d'aujourd'hui, et se terminoit à la double chapelle qui se voit encore dans la seconde cour de l'archevêché; le reste, du côté de l'orient, est une augmentation de bâtiments, dont le plus ancien n'a pas plus de deux cents ans.

Lorsque les évêques cessèrent de faire les ordinations dans leur cathédrale, ce qui arriva vers le temps où la multiplication des offices, et surtout des fondations, les empêcha de s'y rendre aussi assidûment que les anciens l'avoient fait, ils conçurent le dessein de faire construire une ou deux chapelles dans leur maison. La principale de ces chapelles fut décorée avec la magnificence que l'on déployoit alors dans les monuments de ce genre, quand on les élevoit dans les maisons des grands seigneurs; l'autre servit aux jugements ecclésiastiques, dès qu'on eut cessé de les prononcer aux portiques des cathédrales.

Maurice de Sully, dans le temps même qu'il faisoit bâtir l'église de Notre-Dame, fit construire, sur une ligne parallèle, le palais épiscopal et la double chapelle dont nous venons de parler. Dans la chapelle basse étoient des chapelains établis par les évêques; le jeudi-saint on y lavoit les pieds des enfants de chœur, et tous les dimanches on y célébroit la messe pour les prisonniers de l'archevêché. La chapelle supérieure servoit aux ordinations, aux sacres d'évêques, à certaines thèses de théologie, et à d'autres assemblées solennelles. Il est constaté que toutes ces constructions sont de ce temps-là, par le nécrologe de Paris et par les historiens contemporains[367].

On arrive dans la seconde cour par une arcade placée sous le bâtiment du trésor; et c'est là qu'est le nouveau palais archiépiscopal. Il doit son agrandissement à plusieurs prélats qui ont gouverné l'église de Paris, et principalement au cardinal de Noailles, qui y fit faire de grandes augmentations et beaucoup d'embellissements en 1697. C'est un grand hôtel, dont la situation est belle et la vue agréable, mais qui n'offre dans toute sa construction qu'une architecture mesquine et sans caractère[368].

Le peu de séjour que nos premiers rois firent dans la ville de Paris fut cause que son siége épiscopal parut trop peu considérable pour qu'on l'érigeât en métropole, et qu'il fut long-temps soumis à la juridiction de l'archevêché de Sens. Les deux premières races ayant été le temps des grandes dotations, Paris, qui ne s'accrut que sous les rois de la troisième, étoit un des évêchés les moins riches de la France; toutefois, lorsque cette ville fut devenue la capitale du royaume, son siége acquit bientôt une grande importance, plutôt par la position que par l'étendue des propriétés de l'évêque[369]. Ajoutons ici quelques développements nouveaux à ce que nous avons déjà dit de la situation de l'Église de France, pendant les premiers siècles de la monarchie, et de ce que furent en effet, à cette époque, le crédit et l'autorité des évêques.

Il ne paroît pas que, dans les premiers temps de la conquête, les évêques aient joui, sous les rois francs, d'une autorité plus grande que sous le gouvernement des empereurs. Or le caractère épiscopal étoit alors étranger à toutes les magistratures civiles[370]; et le seul privilége qu'eussent obtenu ces premiers pasteurs des églises, c'étoit de ne pouvoir être accusés que devant un tribunal ecclésiastique composé de leurs pairs, et d'être les premiers juges de leurs subalternes, qui ne pouvoient de même être accusés que devant eux[371].

De même les Romains n'ayant jamais eu l'idée d'attacher aux terres des titres honorifiques, et les évêques ayant continué de posséder leurs biens selon la loi romaine, jusqu'après le règne de Louis-le-Débonnaire[372], il y a grande apparence que les dignités ecclésiastiques ne devinrent des honneurs, selon le sens que les Francs attachoient à ce mot, qu'à l'époque où les évêques et les abbés prirent le baudrier[373], et devenus chefs de leur milice, vassaux des rois, seigneurs suzerains, durent nécessairement participer à tous les avantages que donnoit le service militaire chez une nation qui n'estimoit que la profession des armes, et où il n'y avoit de noble que l'homme libre et armé.

Toutefois la conquête de la Gaule fut favorable à l'épiscopat; et bien que l'autorité des évêques n'en fût point en apparence augmentée, elle reçut un accroissement réel, par cette circonstance qui en fit des médiateurs entre les vainqueurs et les vaincus, ce qui leur donna pour clients tout ce qu'il y avoit de Romains désarmés. Ce patronage qu'ils surent exercer de manière à satisfaire les princes et à les rendre plus assurés de la soumission de leurs nouveaux sujets, devint, par degrés, une autorité régulière que le pouvoir souverain se plut à légitimer. Ils ne tardèrent donc point à avoir une entière juridiction sur tout ce qui étoit romain, et l'on voit que, dès la première race, ils l'exerçoient absolument et sans la moindre contestation[374].

Ils surent conserver ce précieux avantage qu'ils devoient à leur modération et à leurs vertus; et, par une contradiction qui ne doit point étonner dans des hommes tels que les conquérants des Gaules, rudes et violents dans leurs mœurs, mais sincèrement religieux, les Francs, qui souvent abusoient, envers les évêques du droit du plus fort, et ne se faisoient point un scrupule de leur ravir leurs biens, chaque fois qu'il s'en présentoit quelque occasion favorable[375], respectoient en eux et le sacré caractère dont ils étoient revêtus, et cette autorité salutaire pour tous, à l'ombre de laquelle vivoit une population innombrable, et qui auroit pu se faire redouter, si elle n'eût été façonnée à l'obéissance par leurs préceptes, protégée contre une trop grande oppression par leur crédit et par leur influence. Loin de diminuer, cette autorité des évêques sembla s'accroître: au milieu de la fureur des guerres civiles et des troubles qui accompagnèrent le premier changement de dynastie, elle étoit la seule qui fût demeurée solide et vénérable; et tellement que le chef de la nouvelle famille régnante[376] crut n'avoir d'autre moyen de cimenter sa puissance que de s'assurer les suffrages de ces mêmes prélats que son père avoit dépouillés, ou dont il avoit permis que l'on se partageât les dépouilles. En recevant l'onction sainte qui consacroit son pouvoir, il consacra lui-même l'alliance désormais nécessaire et inviolable de l'autel et du trône; et c'est de ce moment seulement que commença à se développer en France la société chrétienne, qui jusqu'alors y avoit été foible, et, pour ainsi parler, à peine ébauchée.

L'influence des évêques devint alors plus grande que jamais; et elle eut son caractère propre, fort différent de celui du pouvoir politique, caractère qu'exprime parfaitement le mot autorité, sous lequel nous l'avons désignée, et qui lui fut en effet spécialement consacré. Ce mot conservant en cette circonstance le sens qu'il avoit eu chez les Latins, signifia cette puissance que donnent la gravité des mœurs et la sagesse des conseils; et tout ce qu'il y avoit de lumière et de science tant sacrée que profane, étant alors renfermé dans la société spirituelle ou religieuse, la société matérielle ou politique en qui tout étoit à peu près éteint, excepté la FOI, sembla reconnoître que le principe de son existence n'étoit pas en elle, puisque dans l'intelligence seule est la vie des sociétés. En effet, s'il est incontestable que la loi de Dieu est le principe et la règle de toute loi humaine, de même que le pouvoir divin est la source et le modèle de tout pouvoir établi au milieu des hommes, il en résulte que cette loi divine n'étant positive que dans le christianisme, puisque c'est dans le christianisme seul que la révélation l'a promulguée, la religion, pour un peuple chrétien, plus que pour aucun autre peuple, est éminemment la raison de la société; et comme il n'appartient qu'à ceux qui l'ont étudiée et comprise, de pouvoir juger de ce qui s'accorde avec elle, ou de ce qui lui est contraire, par conséquent de modérer, de diriger la force aveugle de tout pouvoir matériel, en lui communiquant cette lumière céleste dont il est privé, il en résulte encore que c'est uniquement dans ces hommes divinement éclairés et quels qu'ils puissent être, qu'est la conscience de la société. Or, nous le répétons, au clergé seul appartenoient alors la science et l'intelligence: il étoit donc nécessaire que son action s'étendît sur toutes les parties du corps social pour y combattre sans cesse l'action de cette autre puissance de désordre, pour réprimer et protéger, récompenser et punir, conserver l'ordre dans l'état et par conséquent la vie; il le falloit jusqu'à ce que les vérités dont il avoit reçu le précieux dépôt, qu'il portoit partout avec lui et répandoit sans mesure, pénétrant ainsi le fond même de la société, y rendissent tout pouvoir intelligent et consciencieux; ce qui se fit de telle manière qu'à mesure que s'éclairoit ainsi le pouvoir dans la société temporelle, cet usage extraordinaire que la société spirituelle avoit fait du sien pour le salut de tous, devenant par degré moins nécessaire, elle rentra aussi par degré dans les limites des attributions qui lui sont propres, lorsque, dans le corps social entier, tout est complet et bien ordonné. Qui ne comprend point ces choses, ne comprend point ce qu'étoit la France dans le moyen âge, et vivant au milieu des sociétés chrétiennes, n'a pas même l'idée de ce que sont ou doivent être ces sociétés.

Les Francs barbares surent les comprendre; et parmi eux, la société matérielle se soumettant par un instinct sublime de conservation et comme pour se sauver d'elle-même aux lois paternelles et sévères de la société spirituelle, et la foi devenant le lien ferme et indissoluble qui unissoit l'une à l'autre, cette société offrit, même au milieu de ses désordres et de ses violences, une image de la communion des fidèles, moins imparfaite, nous ne craignons pas de le dire, qu'on ne l'avoit vue jusqu'alors. Car, sous les empereurs romains et au milieu de cette vieille société où avoit si long-temps triomphé la philosophie païenne, il étoit resté des faux systèmes de cette philosophie et de ses erreurs orgueilleuses, je ne sais quelle subtilité dans les esprits et quelle révolte au fond des cœurs qui n'avoient cessé de troubler la paix de cette communion sainte; et l'hérésie y étoit née, presque au moment même où l'on avoit prêché l'Évangile; et en effet, c'est dans la simplicité de l'ignorance et dans les hauteurs de la science les plus sublimes que triomphe ordinairement la foi: le demi-savoir mène au doute et à l'incrédulité.

Ainsi s'explique, pendant ces premiers âges de la monarchie, l'action du clergé ou de la puissance spirituelle dans les choses qui, en nos temps modernes, semblent devoir être uniquement du ressort du magistrat ou de la puissance temporelle. Or, l'Église avoit eu, de tout temps, sa juridiction particulière, sa force répressive, sa police: considérée comme société visible, tous ces signes extérieurs étoient des conditions nécessaires de son existence; et il lui eût été sans doute impossible d'exister, si, de même que toute autre société, elle n'eût eu le droit de surveiller ses membres, d'examiner leur conduite, et de leur infliger des châtiments, lorsqu'ils contrevenoient à ses lois. Tous ces châtiments, au fond purement spirituels, puisqu'ils n'obligeoient que celui dont la volonté étoit de rester ou de rentrer dans la communion des fidèles, étoient compris sous le titre général de censures: la nature n'en fut point changée; et l'on ne fit autre chose que les appliquer aux délits qui, jusqu'alors, avoient uniquement dépendu de la justice séculière, et rendre toute punition canonique obligatoire, indépendamment de la volonté de celui qui avoit été condamné. Dans le cas de rébellion, il y avoit intervention de la puissance civile; et la justice du prince se trouvoit ainsi, et en un grand nombre de cas, confondue avec celle de l'Église, ou pour mieux dire suspendoit alors ses coups pour la laisser seule frapper les coupables avec plus de douceur, et néanmoins avec plus d'efficacité[377].

Les évêques reçurent donc, dans leurs attributions, une partie considérable de la police temporelle, et en outre cette espèce de surveillance qui en est la fonction la plus noble, la plus utile, et qu'ils pouvoient exercer sans déroger à la sainteté et à la gravité de leur caractère. Ils furent chargés de veiller à l'observation des ordonnances du prince et de lui rendre compte de la manière dont elles étoient exécutées[378]; ils avoient une inspection particulière sur les comtes ou principaux magistrats des provinces; les serfs ou colons, et généralement toutes les classes inférieures de la société, étoient placés sous leur protection spéciale; ils les défendoient contre les abus du pouvoir, et avoient le droit de modérer à leur égard la trop grande rigueur des châtiments[379]; ils devoient avertir le roi de la négligence de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions; ils étoient encore ses Commissaires dans leurs diocèses, et jouissoient de tous les priviléges attachés à cette dignité.

En vertu de cette extension qu'avoit reçue leur juridiction, ils tenoient, quand il étoit nécessaire, des plaids auxquels se rendoient tous les habitants qui dépendoient de leur évêché, tant clercs que laïques. On faisoit paroître les coupables devant eux: ils les prêchoient, les exhortoient, les admonestoient, et lorsque le cas l'exigeoit, prononçoient contre eux la peine canonique que comportoit la nature de leur délit. Le juge royal assistoit à ces espèces d'assises, soit pour concourir au jugement, lorsque le châtiment étoit grave, et que son concours étoit nécessaire, soit pour forcer le coupable à subir toute pénitence plus légère qui lui avoit été imposée, et à laquelle il auroit refusé de se soumettre[380]. C'étoit par un semblable motif que le comte accompagnoit ordinairement l'évêque dans la visite qu'il faisoit de son diocèse, afin d'amener par la force à la pénitence et à la satisfaction ceux que les censures de leur premier pasteur n'avoient pu toucher et corriger[381].

Ce seroit une grande erreur de croire, comme on l'a souvent avancé sans en donner aucune preuve, que les punitions canoniques, et particulièrement l'excommunication, peine capitale qui répondoit à la peine de mort dans les tribunaux séculiers[382], fussent arbitrairement infligées par les évêques au gré de leurs caprices et de leurs intérêts. Non-seulement il falloit un jugement pour retrancher un chrétien de la communion des fidèles ou le soumettre à une pénitence publique, mais ce jugement devoit être rendu publiquement dans des formes régulières, et qui fournissoient à l'accusé tous moyens de prouver son innocence, si, en effet, il étoit innocent. Diverses autres formalités prescrites par la loi précédoient d'ailleurs ce jugement: le coupable recevoit d'abord un avertissement; s'il s'y montroit insensible, et qu'il ne se retirât point de son désordre, l'évêque s'adressoit alors au roi ou au magistrat, afin qu'il essayât d'interposer son autorité[383]; enfin, si ce dernier moyen n'avoit pu réussir, on commençoit la procédure, et l'excommunication n'étoit ainsi lancée qu'à la dernière extrémité. Les effets en étoient terribles: la société entière concouroit en quelque sorte à son exécution[384]; et il étoit rare que les plus rebelles et les plus endurcis ne finissent par s'y soumettre et par donner satisfaction; mais il est hors de doute qu'ils eussent résisté et que beaucoup se fussent assuré l'impunité par leur résistance, si la justice temporelle eût seule été chargée de les punir.

Quelques-uns, même en reconnoissant que c'étoit le pouvoir politique lui-même qui, dans l'impuissance où il étoit de gouverner, avoit imploré le secours de l'autorité religieuse, ont prétendu qu'ensuite les gens d'église allèrent beaucoup trop loin, et que, partant de ce principe que tout délit contre les hommes est un péché envers Dieu, ils se crurent en droit de connoître de toutes les affaires criminelles, et même d'étendre leur juridiction sur ce qui étoit purement civil[385]. Mais étoit-il bien facile, dans de semblables temps, et au milieu de tant de dangers qui menaçoient à tout moment l'existence même de la société, d'établir une ligne de démarcation bien exacte? étoit-il même possible de s'en faire une bien juste idée, et le principe une fois admis par l'une et l'autre puissance n'entraînoit-il pas avec lui, et sans exception, toutes ses conséquences? Quels inconvénients pouvoit d'ailleurs entraîner avec elle l'extension plus grande d'une juridiction moins rigoureuse dans ses châtiments, et cependant plus puissante dans ses effets? Ils excommunièrent, dit-on, les princes eux-mêmes qui les avoient appelés à leur aide: pour établir qu'ils ne devoient point le faire, alors que ces princes s'étoient mis dans le cas de l'excommunication, il faudroit prouver que la loi suprême par laquelle ceux-ci prétendoient obliger leurs sujets n'étoit point obligatoire pour eux, qu'un prince est au-dessus de la religion et un homme au-dessus de Dieu. Les évêques abusèrent-ils de ce dernier droit, que ces mêmes princes, dans la noble simplicité de leur esprit et dans la droiture de leur cœur, ne pensèrent point à leur contester, droit que les décisions de l'Église ont si solennellement confirmé et rendu à jamais inattaquable? Nous ne croyons pas qu'il soit possible d'en citer un seul exemple contre lequel il n'y eût rien à répliquer[386]. Peut-être pourroit-on plus justement dire que ce que la puissance temporelle leur avoit concédé, ils voulurent le garder plus long-temps qu'il ne falloit; qu'il y eut, dans les âges postérieurs, quelque conflit de juridiction, et par conséquent quelque abus de ce qui avoit été si utile et si salutaire. Mais si les ministres de la religion, en défendant avec trop de chaleur ce qu'ils considéroient comme des droits acquis, et en ne rendant qu'à regret, dans des temps plus paisibles, ce que le malheur des temps avoit fait leur accorder, montrèrent ainsi qu'ils étoient hommes et sujets aux foiblesses de l'humanité, on n'en est pas moins forcé de convenir que ce fut grâce à l'heureux changement qu'ils avoient opéré dans les mœurs de la nation, que les princes se trouvèrent en mesure de leur reprendre sans danger le pouvoir et les attributions qu'auparavant ils s'étoient estimés heureux de leur faire accepter[387].

Nous avons dit comment les bénéfices ecclésiastiques institués sous le titre de précaires, étoient devenus des fiefs par l'usurpation de ceux qui en avoient été faits bénéficiers, et comment les avoués des églises s'étoient de même emparé des biens qu'elles leur avoient concédés à de certaines conditions, et sans prétendre aliéner la propriété du fonds[388]. L'extinction successive des familles qui avoient usurpé ces biens, les ayant fait en partie rentrer dans les domaines de clergé, et leur inféodation y ayant attaché tous les priviléges qui appartenoient alors à la féodalité, il en résulta pour les évêques de nouveaux droits comme vassaux de la couronne, ou seigneurs suzerains, droits qui ajoutèrent encore à leur importance politique; car lorsque, vers la fin de la seconde race, les seigneurs, profitant de la foiblesse du gouvernement et du malheur des temps, s'arrogèrent, dans leurs terres, tous les droits de la souveraineté, et que cette usurpation eût été légitimée par les rois de la troisième race, il étoit difficile sans doute que les gens d'église, devenus possesseurs de terres inféodées, ne les maintinssent pas telles qu'ils les avoient reçues, et ne se missent pas, sous tous les rapports, au lieu et place des anciens possesseurs[389].

Ils le firent en effet; et en ce qui concerne les évêques de Paris, il arriva que, lorsque cette ville fut devenue, sous la domination des Capétiens, la seule capitale du royaume, ces prélats acquirent, par cette situation nouvelle, un degré de puissance et de considération qu'ils n'avoient point eu jusque-là; et l'on peut concevoir que cette défense de leurs priviléges, alors si légitime, les mit naturellement en opposition avec le pouvoir et les volontés du monarque. Nous avons dit qu'ils possédoient au couchant de la ville un terrain considérable, sous le nom de Culture-l'Évêque. C'est la plus ancienne concession qui leur ait été faite; et l'on n'en peut fixer l'origine, qui remonte jusqu'aux rois de la première race. Ils jouissoient donc dans ce domaine de tous les droits seigneuriaux. C'étoit là qu'étoit leur maison de plaisance, et qu'ils avoient leurs greniers dans un lieu nommé Ville-l'Évêque; vis-à-vis étoit un port qui dépendoit également d'eux, et qui avoit le même nom. Par l'agrandissement rapide de Paris hors de sa première enceinte de ce côté, il se trouva qu'on fut forcé d'empiéter sur leur terrain, et qu'on voulut bâtir sur leur censive: ces projets nouveaux ne s'exécutèrent point sans obstacle de leur part, et firent naître entre eux et les rois une foule de contestations et de transactions, dont nous aurons occasion de parler dans la suite de cet ouvrage.

Les droits de l'évêque étoient tels, que, du temps de saint Louis, la ville de Paris étoit pour ainsi dire partagée en deux parties, dont l'une étoit sous la domination du roi, l'autre sous celle du prélat; et les bourgeois qui reconnoissoient la juridiction de ce dernier refusoient souvent d'obéir aux ordonnances du monarque. Les choses en vinrent au point que le roi crut nécessaire d'assembler un parlement, pour faire examiner si les vassaux de l'évêque n'étoient point tenus de se soumettre à ses commandements. La décision de l'assemblée fut en sa faveur, malgré les efforts de sa partie adverse, qui produisit pour sa défense les transactions faites entre les rois précédents et l'église de Paris. Voyant qu'on n'y avoit point égard, il mit en interdit toutes les églises de son diocèse, et défendit qu'on y célébrât le service divin. Cette démarche eut un tel éclat, que le roi, appréhendant les suites qu'elle pouvoit avoir pour la religion, fit sa paix avec l'évêque, qui continua de jouir de ses anciens priviléges.

Cependant de telles résistances, qui, nous ne nous lassons point de le répéter, ne peuvent être jugées selon les règles de la politique moderne qu'avec une extrême injustice et même une grande absurdité, n'eurent point d'effets véritablement fâcheux; et depuis l'établissement de la troisième race, le pouvoir des rois s'étant élevé par degré sur les ruines de la féodalité, l'évêque de Paris, malgré l'influence que lui donnoit en effet l'avantage nouveau de sa position, se vit insensiblement forcé de céder à une autorité qui, chaque jour, prenoit un nouvel ascendant. Ses efforts pour maintenir sa juridiction temporelle n'empêchèrent point que, peu à peu, elle ne lui échappât, pour aller se perdre, avec tant d'autres droits, dans ceux de la couronne. Dès le règne de Louis-le-Gros, et principalement sous Philippe-Auguste, elle avoit reçu des atteintes dans les transactions qui furent faites entre ces monarques et l'Église[390]; saint Louis lui porta de nouveaux coups, et successivement elle diminua, ainsi que nous l'avons déjà dit, à mesure qu'elle devint moins nécessaire au maintien de l'ordre et à l'existence de la société[391].

Bien que la juridiction ecclésiastique fût infiniment plus parfaite que celle des barons[392], qu'elle fût même réglée sur les principes de toute bonne jurisprudence, sur des lois fixes, sur la gradation des tribunaux, cependant l'Église, qui dans tous les temps ne cessa point de s'élever contre les coutumes injustes et barbares, se voyoit quelquefois obligée de les tolérer. Par exemple, l'usage des duels juridiques appelés jugement de Dieu[393], étoit si généralement adopté et tellement conforme aux goûts et aux mœurs de la nation françoise, que les juges ecclésiastiques ne pouvoient pas toujours rejeter cette manière étrange de décider du bon droit entre deux contendants. C'étoit dans la cour même de l'évêché que se faisoient ces monomachies ou duels ordonnés par le tribunal de l'église de Paris; ce que nous apprend Pierre-le-Chantre, qui écrivoit vers l'an 1180. Quædam ecclesiæ habent monomachias, et judicant monomachiam debere fieri quandoquè inter rusticos suos: et faciunt eos pugnare in curiâ ecclesiæ, in atrio episcopi vel archidiaconi, sicut fit Parisius. Le même auteur ajoute que le pape Eugène (sans doute Eugène III) ayant été consulté au sujet de ces combats, répondit: «Suivez vos coutumes» utimini consuetudine vestrâ; mais il n'en est pas moins vrai que l'Église condamnoit et cette épreuve et toutes les autres. Les papes, les évêques, les conciles ont prononcé anathème contre les duellistes[394]. Agobard, dans ses livres contre la loi Gombette[395], réfuta avec force la damnable opinion de ceux qui prétendent que Dieu fait connoître sa volonté et son jugement par les épreuves de l'eau, du feu et autres semblables. Il se récrie vivement contre le nom de Jugement de Dieu qu'on osoit donner à ces épreuves. «Comme si, dit-il, Dieu les avoit ordonnées, et s'il devoit se soumettre à nos préjugés et à nos sentiments particuliers pour nous révéler tout ce qu'il nous plaît de savoir.» Les mêmes opinions furent soutenues dans le onzième siècle par Yves de Chartres, par saint Thomas et par tous les théologiens les plus sages et les plus éclairés; et généralement, dans ces temps d'une ignorance et d'une corruption si profonde, il n'est pas une seule de ces maximes fondées sur le bon sens et la morale, qui font maintenant la règle des sociétés chrétiennes les plus civilisées, que n'ait alors professée l'église, seule juste et seule éclairée au milieu des vices et des ténèbres dont elle étoit entourée.

On ne s'étonnera donc plus maintenant si, malgré tout ce que l'histoire de Paris raconte des démêlés des rois avec les évêques, nous ne craignons point d'avancer qu'il n'est point de siége dans la chrétienté qui offre une suite plus remarquable de grands et pieux personnages. On y compte, jusqu'à Jean-François de Gondi, une succession de cent sept évêques, parmi lesquels il en est six que l'Église révère comme des saints, neuf qui ont été cardinaux, et quelques-uns chanceliers de France.

En 1622, cet évêché, soumis à la métropole de Sens, en fut séparé par Grégoire XV, et érigé en archevêché. Cette érection fut faite en faveur de M. Jean-François de Gondi; il fut peu après nommé commandeur des ordres du roi, honneur dont avoient joui presque tous ses successeurs. Louis XIV accorda une distinction encore plus glorieuse à M. de Harlai de Chanvalon, en érigeant, pour lui et les archevêques de Paris, la terre de Saint-Cloud en duché-pairie[396].

On compte dix archevêques depuis M. de Gondi jusqu'à M. de Juigné, qui gouvernoit l'église de Paris en 1789.

LE CHAPITRE DE NOTRE-DAME.

On entend par Chapitre, dans une église cathédrale ou collégiale, la communauté des ecclésiastiques qui la desservent, lesquels sont appelés chanoines[397], et doivent vivre suivant la règle particulière de la congrégation dont ils sont membres.

Quelques-uns font remonter l'origine des chanoines jusqu'aux apôtres, qui, d'après toutes les traditions, vécurent réunis avec les disciples, et donnèrent les règles de la vie commune. En effet, quoique les noms de clercs et de chanoines ne fussent pas usités dans les premiers temps, il paroît que les prêtres-diacres de chaque église formoient entre eux un collége; et cette expression se trouve souvent dans les pères des trois premiers siècles.

On trouve aussi que cet ordre et ces réunions furent souvent troublés par les persécutions; mais dans ces maux qui affligeoient les églises, les clercs, séparés les uns des autres, continuoient du moins à mettre leurs biens en commun; les plus riches venoient ainsi au secours des plus pauvres, et chacun se contentoit de la sportule ou portion[398] qu'il recevoit tous les mois de l'évêque, seul dispensateur de cette commune propriété.

Cependant la distinction que l'on fit, en 324, des églises cathédrales d'avec les églises particulières, peut être regardée comme la véritable origine des colléges et des communautés de clercs appelés chanoines. Du temps de saint Basile et de saint Cyrille, ils étoient déjà désignés sous ce nom en Orient; on l'employa plus tard en Occident. Vers le milieu du quatrième siècle, saint Eusèbe, évêque de Verceil, rassembla le premier ses clercs, et les soumit à toute la rigidité de la vie monastique; mais c'est surtout saint Augustin qu'on peut considérer comme le restaurateur de la vie commune dans cette partie de la chrétienté. Lorsqu'il fut devenu évêque d'Hippone, il forma une communauté des prêtres de son église, avec lesquels il vivoit dans un entier détachement des choses du monde. Cet exemple fut imité dans les Gaules, comme dans les autres parties de la chrétienté; mais les troubles qui, sous la domination des rois francs, ne cessèrent d'agiter cette contrée, faisant naître partout la licence et le désordre, n'épargnèrent point ces asiles de la piété et de la paix. La discipline ne tarda point à s'y altérer; il y eut déréglement et scandale dans les mœurs, et souvent ce scandale fut porté à son comble. Enfin saint Chrodegand, évêque de Metz, qui vivoit sous le règne de Pépin, conçut le projet d'en arrêter le cours, ce qu'il fit et par ses leçons et par ses exemples. Les réglements qu'il donna à ses chanoines furent adoptés par un grand nombre d'églises; et l'on vit de nouveau les clercs attachés aux cathédrales vivre suivant les règles austères des anciens canons.

Quoique l'histoire ne nous laisse pas même soupçonner que le chapitre de Notre-Dame, entraîné par le torrent, ou séduit par les exemples, soit jamais tombé dans les écarts qui, dans ces siècles malheureux, furent l'affliction de l'Église, et sont devenus l'injuste et éternel reproche de ses adversaires, cependant on peut se persuader qu'il n'aura pas été des derniers à adopter les réglements de saint Chrodegand; parce que, dans tout ce que nous en disent les traditions, on le voit zélé pour ses devoirs, animé d'une véritable piété, et tendant sans cesse vers une plus grande perfection. Ces témoignages ont fait penser à l'historien de l'église de Paris que l'institution ou plutôt la réforme du chapitre de la cathédrale avoit été faite par Erkenrad Ier, sous le règne de Charlemagne: on n'en trouve cependant de monuments authentiques que sous celui de Louis-le-Débonnaire. Ce prince, profitant de l'occasion d'un concile qu'il avoit convoqué à Aix-la-Chapelle en 816[399], y fit rédiger une règle fixe pour les chanoines: un diacre nommé Amalarius fut chargé de ce soin par les pères du concile. Cette règle prescrivoit l'habitation et la vie commune dans des cloîtres fermés; mais elle n'exigeoit point la désappropriation ni certaines abstinences qui étoient de précepte et d'usage dans les monastères. L'empereur ordonna qu'elle fût observée dans les différents États soumis à sa domination; et ce fut là, suivant les plus sûres apparences, l'époque de l'institution des chanoines de Notre-Dame dans la forme qui s'est conservée presque entière jusqu'aux derniers temps. C'est depuis cette réforme qu'on les voit appelés si souvent dans les actes les frères de Sainte-Marie, et qu'il est parlé de cloître, de règle et de chapitre[400].

Le concile de Paris, tenu en 829, ayant ordonné que les chefs des communautés séculières et régulières pourvoiroient aux besoins temporels de ceux qui les composoient, l'évêque Inchade céda pour lors aux chanoines, en toute propriété, plusieurs terres et villages qui appartenoient à l'église de Paris, avec toutes leurs dépendances. C'est de la division qui se fit de ces mêmes biens dans des temps postérieurs, que se sont formées les prébendes canoniales dont jouissoient encore les chanoines de Notre-Dame au moment où l'église a été dépouillée de son patrimoine.

Ce chapitre étoit non-seulement le plus considérable de Paris[401], mais encore de la France entière; et il devoit moins cet avantage au grand nombre de bénéfices qui en dépendoient, qu'au mérite, à la science et aux vertus en quelque sorte héréditaires des dignes ecclésiastiques qui le composoient. Il a joui dans tous les temps de cette haute réputation; dans tous les temps on le prit pour modèle, on le consulta avec confiance, on reçut ses décisions avec respect. Il a la gloire d'avoir donné à l'Église six papes, trente-neuf cardinaux et un nombre considérable d'évêques. On voit un pontife illustre, Alexandre III, demander comme une faveur que ses neveux fussent élevés dans le cloître Notre-Dame; Louis VII et plusieurs de nos princes y puisèrent l'esprit de la religion et le goût de la science; enfin un fils de Louis-le-Gros, Henri, fut chanoine de Notre-Dame; et Philippe, son frère, préféra le simple titre d'archidiacre de l'église de Paris aux évêchés auxquels sa haute naissance et ses vertus lui donnoient le droit de prétendre.

Ce chapitre étoit composé de huit dignités qui pouvoient être possédées par d'autres que par les chanoines, et de cinquante-deux canonicats. Il y avoit en outre six vicaires perpétuels, dont deux titres avoient été unis au chapitre; deux vicaires de Saint-Agnan et un chapelain; huit bénéficiers chanoines de Saint-Jean-le-Rond, et dix de Saint-Denis-du-Pas. Ces bénéficiers, ainsi que tous les chapelains attachés à Notre-Dame, ne faisoient qu'un seul corps avec l'église de Paris[402].

La principale entrée du cloître étoit à côté de l'église cathédrale. On y voyoit, avant la révolution, une porte, laquelle avoit été construite en 1751[403], avec les matériaux et en partie sur l'emplacement de la petite église de Saint-Jean-le-Rond, dont nous allons parler.

SAINT-JEAN-LE-ROND.

On sait que les fonts baptismaux de l'église de Paris étoient jadis à Saint-Germain-le-Vieux, qui avoit alors le nom de Saint-Jean-Baptiste, et qu'ils furent depuis transportés plus près de la cathédrale, dans une chapelle bâtie pour cet usage. Cette chapelle, que l'on abattit en même temps que les anciennes églises de Notre-Dame et de Saint-Étienne, fut ensuite rebâtie et placée au bas de la tour septentrionale de la nouvelle basilique. On présume, que dans l'origine, elle étoit moins avancée vers l'occident; on sait du reste que le surnom qu'elle portoit ne venoit que de la forme ronde employée dans ces sortes d'édifices.

La bâtisse de Saint-Jean-le-Rond de Paris ne paroissoit être que du treizième siècle, et même le portail étoit beaucoup plus nouveau. Ce baptistère, que desservoient deux prêtres[404], fut pendant long-temps le seul qu'il y eût dans cette capitale; mais lorsque le nombre des citoyens eut fait multiplier celui des églises, et que chacune eut obtenu d'avoir son baptistère particulier, ces deux prêtres furent chargés de visiter les malades, d'inhumer les morts, et de célébrer, pendant une année, la messe pour les chanoines décédés. Ils jouissoient à cet effet du revenu annuel de la prébende de chaque chanoine défunt. Ces dispositions changèrent depuis: l'annuel fut transporté aux chanoines de Saint-Victor, et l'on indemnisa les deux prêtres par le don d'une prébende dans l'église de Notre-Dame, sous certaines conditions qui les maintenoient dans la dépendance du chapitre[405]. Dans la suite le nombre de ces desservants fut augmenté.

On a remarqué que cette église, et peut-être même l'entrée de la cathédrale étoient les lieux où se terminoient juridiquement certaines affaires ecclésiastiques, coutume qui rappeloit ce qui s'étoit pratiqué plus anciennement aux portiques des grandes églises. Il existe un ancien acte finissant par ces mots: Actæ sunt hæc in ecclesiâ Parisiensi apud cupas[406]. On lit aussi que les médecins se sont assemblés autrefois ad cupam nostræ Dominæ. Cette même église servoit de paroisse aux laïques logés dans le cloître Notre-Dame.

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