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Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 1/8)

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SÉPULTURES.

Dans cette église avoient été inhumés: Henri Boileau, avocat général, mort en 1491; Gilles Ménage, savant célèbre, mort en 1692; Jean-Baptiste Duhamel, habile théologien, mort en 1706.

On démolit Saint-Jean-le-Rond en 1748; alors les fonts baptismaux, les fondations et le service divin furent transférés à Saint-Denis-du-Pas, qui, depuis cette époque, s'appela Saint-Denis et Saint-Jean-Baptiste.

SAINT-DENIS-DU-PAS.

Le surnom de cette église fit naître, dans le dix-septième siècle, une contestation si vive entre deux savants, qu'elle en devint ridicule, par l'importance qu'ils mirent à une question d'un si foible intérêt, et surtout par l'amertume qu'ils répandirent dans leur discussion. M. Delaunoy prétendoit que cette église étoit ainsi surnommée par la raison que le premier apôtre des Parisiens y avoit souffert le martyre, à passione. M. de Valois, qui combattit son sentiment avec humeur et même avec emportement, le réfuta toutefois avec beaucoup de solidité; et il n'est plus question ni de cette étymologie évidemment fausse, ni de cette vieille querelle.

Ce terme de passus a été employé à l'égard de plusieurs saints[407] qui certainement n'ont jamais souffert le martyre; et l'on ne peut raisonnablement l'expliquer que par la situation de leur église. Celle de Saint-Denis n'étoit séparée de la cathédrale que par un chemin étroit nommé pas, et d'ailleurs étoit située auprès du petit bras de la rivière qui coule entre l'île Saint-Louis et la Cité. Il ne faut donc point chercher une autre origine à ce surnom, puisqu'autrefois on appeloit ainsi tout chemin étroit et tout courant d'eau qui est entre deux terres; et que, dans l'ancien langage françois, pas et passage sont synonymes.

Cette chapelle, qui existoit avant le douzième siècle, étoit depuis long-temps négligée, et il y a apparence qu'on n'y faisoit plus le service divin. En 1164 et jusqu'à la fin de ce même siècle, plusieurs pieux personnages y fondèrent des prébendes, au nombre de cinq. Elles furent ensuite divisées, par une ordonnance du chapitre de Notre-Dame, entre dix chanoines[408], qui les ont conservées jusqu'au moment de la révolution. En 1182, le pape Luce III donna à Saint-Denis-du-Pas la qualité d'église[409].

HÔTEL-DIEU.

L'institution des hôpitaux est un des bienfaits du christianisme. La police des païens, qui savoit réprimer la fainéantise, qui empêchoit le mendiant valide de dérober à la pitié le pain qu'il pouvoit obtenir par son travail, n'alloit point jusqu'à s'inquiéter du sort de l'infortuné dont l'âge et la maladie avoient épuisé les forces. On croyoit qu'il valoit mieux que le pauvre mourût que de vivre inutile et souffrant. La vertu purement humaine n'étoit point capable d'un si grand dévouement: il n'y avoit qu'une charité toute céleste qui pût embrasser dans sa tendre prévoyance tous les âges, toutes les misères, toutes les souffrances; et, parmi tant de maux qui affligent les hommes, regarder comme les plus dignes de ses soins les infirmités les plus horribles et les misères les plus repoussantes.

Dès les premiers temps, une partie considérable des biens que les églises avoient obtenus de la libéralité des empereurs fut consacrée à ces pieux établissements. Des prêtres les administroient, sous la direction de l'évêque; et l'on y recevoit sans distinction et les pauvres chrétiens et le païen indigent que ceux de sa religion continuoient à repousser. Julien l'Apostat lui-même ne put s'empêcher de rendre témoignage à cette vertu surnaturelle des premiers fidèles; et la confusion qu'il en ressent éclate dans une lettre qu'il écrit à un pontife de Galatie, auquel il recommande d'établir, à leur imitation, des hôpitaux et des contributions pour les pauvres. Dans cet écrit très-remarquable, il attribue l'accroissement du christianisme principalement à trois causes, à l'hospitalité, au soin des sépultures, à la gravité des mœurs.

Dès les commencements de la monarchie française, on voit des hôpitaux établis dans différentes villes par la piété de nos rois; et l'on ne peut douter que l'Hôtel-Dieu ne soit une des fondations les plus anciennes de ce genre. Néanmoins toutes les recherches de nos historiens n'ont pu nous procurer à ce sujet que des notions vagues et incertaines. C'est sans doute de cette incertitude qu'est venue la tradition qui fait honneur à saint Landri de la création de ce pieux établissement, tradition vers laquelle semblent pencher plusieurs savants distingués[410] qui se sont occupés des antiquités de Paris. Cependant on ne trouve dans les anciens titres qui prouvent incontestablement que saint Landri a existé, aucune particularité sur ses actions et sa vie. Son culte n'a commencé que sous l'épiscopat de Maurice de Sully; et c'est seulement dans une légende insérée dans un bréviaire de 1492, qu'on lit pour la première fois que ce saint évêque étoit particulièrement recommandable par sa grande charité. Un éloge aussi vague ne pouvoit suffire pour faire conclure qu'il est le fondateur de l'Hôtel-Dieu, et c'est cependant sur ce seul titre que la légende du dix-septième siècle lui en attribue la fondation, malgré le silence absolu de tous les historiens et de tous les martyrologes. Il est donc impossible de ne pas rejeter cette assertion jusqu'à ce qu'on en ait donné des preuves raisonnables et suffisantes.

Saint Landri est mort vers l'an 656; et tout porte à croire qu'à cette époque l'Hôtel-Dieu n'existoit point encore. On trouve même qu'en 690 il y avoit sur l'emplacement où il est situé un monastère de filles, dont Landetrude étoit abbesse[411]. Alors c'étoit la maison de l'évêque qui étoit l'asile des malheureux, de la veuve et de l'orphelin. Le pauvre et le malade y trouvoient des secours et des consolations; elle servoit encore de retraite aux pélerins et aux voyageurs; et les annales de l'église, celles de la monarchie, les actes, les récits les plus authentiques nous représentent les évêques de Paris, dignes successeurs des apôtres, livrés par-dessus tout à ces pieux devoirs. On les voyoit, excitant le clergé par l'ardeur de leur zèle et de leur charité, se faire un plaisir et une gloire de recevoir tous ceux que leur affliction ou leurs besoins conduisoient vers eux, leur laver les pieds, les servir eux-mêmes à table, leur administrer les sacrements, et leur prodiguer ainsi tous les secours de l'âme et du corps.

Le premier titre où il est question de l'Hôtel-Dieu est un acte de l'an 829, par lequel l'évêque Inchade assigne à cette maison les dîmes des biens dont il avoit gratifié son chapitre, pour se conformer à une décision du concile d'Aix-la-Chapelle, dont nous avons déjà parlé. On voit, par cet acte de donation, que, dans certains temps, les chanoines y lavoient les pieds aux pauvres; d'où il résulte que l'Hôtel-Dieu existoit sous le règne de Charlemagne, et que l'évêque et son chapitre y avoient des droits, soit pour l'avoir fondé, soit pour avoir contribué à le doter.

Les chanoines possédoient, et sans doute à ce dernier titre, la moitié de cet établissement[412]; l'autre leur fut cédée, en 1002, par Renaud, évêque de Paris; et vers la fin du même siècle, un autre évêque, nommé Guillaume Montfort, leur fit don de l'église Saint-Christophe. Depuis cette dernière époque, on voit l'Hôtel-Dieu, entièrement sous l'administration du chapitre, gouverné par des chanoines proviseurs choisis dans son sein, et la chapelle Saint-Christophe desservie par deux prêtres de la cathédrale.

L'accroissement rapide de la population ayant considérablement augmenté le nombre des pauvres, il fallut bientôt multiplier celui des personnes employées au service de l'Hôtel-Dieu, et fixer les fonctions de chacun de ces ministres. Dès l'an 1217, des statuts nouveaux furent dressés par Étienne, doyen de Paris, conjointement avec le chapitre. Par ces statuts il est établi pour l'administration de cette maison quatre prêtres, quatre clercs, trente frères laïques, et vingt-cinq sœurs: ils portent qu'on ne peut en admettre davantage, qu'ils sont tenus de garder la chasteté, de vivre dans la désappropriation et en commun, d'être soumis au chapitre, aux proviseurs, et à celui des prêtres qualifié du titre de maître de la maison de Dieu[413].

Quoique ce nom de Maison de Dieu, employé dans ces réglements et dans une infinité de titres de la même époque, ne signifie pas une maladrerie, mais une maison d'hospitalité, et que l'Hôtel-Dieu ne soit pas autrement désigné dans le testament de saint Louis[414] et dans plusieurs auteurs contemporains, il est certain cependant qu'avant la fin du douzième siècle, on y prenoit déjà soin des malades, comme on l'a toujours fait depuis[415]. En cherchant l'origine de cette nouvelle destination de l'Hôtel-Dieu, un auteur[416] a pensé qu'elle pourroit bien venir d'un statut du chapitre de Notre-Dame, donné en 1168, par lequel il fut réglé que tous les chanoines qui décéderoient ou quitteroient leurs prébendes, donneroient à cet hôpital un lit garni[417]. Cette multiplication des lits facilita sans doute la réception des malades; et trente ans après, on lit dans un acte par lequel Adam, clerc du roi, lègue à l'Hôtel-Dieu deux maisons dans Paris, qu'il ne fait ce don que sous la condition qu'au jour de son anniversaire il sera accordé, sur leur produit, à ceux seulement qui seront malades, tout ce qu'il leur viendra dans la pensée de manger, pourvu qu'on en puisse trouver, ajoute naïvement le donataire. Eâ conditione, quòd ægrotantibus tantùm prædicti hospitalis quicquid cibariorum in eorum venerit desiderio, si tamen possit inveniri, de totali proventu domorum, in die anniversarii ejus detur.

La forme du gouvernement de cette maison fut changée dans la suite, soit que le nombre des pauvres fût augmenté, soit que les revenus ne fussent pas suffisants, ou qu'il se fût glissé quelque abus dans l'emploi qu'on en faisoit. Toutefois ce ne fut que long-temps après; et pendant plusieurs siècles elle fut gouvernée suivant les anciens statuts dont nous venons de parler. On appeloit alors frères et sœurs de la maison ou de l'Hôtel-Dieu, les personnes des deux sexes qui s'y consacroient au service des pauvres et des malades; et cet institut étoit une communauté, et non un ordre religieux[418]. Ce n'est qu'en 1505 qu'on voit un changement remarquable dans la double administration de ce grand établissement. Le soin des affaires temporelles fut alors confié à huit bourgeois notables et à un receveur nommé par le prévôt des marchands et des échevins[419]. On créa ensuite des commissaires pour la réformation du gouvernement spirituel; et en exécution d'un statut donné en 1536, huit chanoines réguliers de l'ordre de Saint-Augustin y furent introduits. Les réglements qu'ils firent y établirent l'observance régulière de l'abbaye de Saint-Victor, avec la forme des habits et les pratiques religieuses qui sont en usage dans cette communauté. Cette réforme devint encore plus parfaite vers 1630, par les travaux et l'exemple de Geneviève Bouquet, dite du Saint nom de Jésus. Élevée malgré elle et par l'éclat de ses vertus au rang de prieure, cette sainte fille établit un noviciat régulier et la vie commune parmi les sœurs de l'hôpital; elle fit ordonner la rénovation des vœux, et engagea les religieuses à quitter le nom de leur famille pour adopter celui de quelque saint ou sainte. Cet usage ainsi que la régularité s'est toujours maintenu dans cette maison jusqu'à l'époque qui a tout détruit, sans en excepter l'asile du pauvre.

L'Hôtel-Dieu étoit desservi, pour le spirituel, par vingt-quatre ecclésiastiques, dont le premier avoit la qualité de maître; ils étoient sous la direction immédiate du chapitre, qui la faisoit exercer par quatre députés réélus tous les ans, sous le titre d'administrateurs ou visiteurs de l'Hôtel-Dieu.

Les malades de tout âge, de tout sexe, de toute condition, de tout pays, de toute religion, y étoient indistinctement reçus, à l'exception de ceux qui étoient attaqués de certaines maladies, pour lesquelles d'autres hôpitaux ont été institués. On y comptoit douze cents lits dans vingt et une salles; et là, les malades, au nombre de trois mille au moins (et ce nombre étoit quelquefois doublé), étoient servis avec un zèle, une attention et une charité presque inconcevables, par plus de cent religieuses de l'ordre de Saint-Augustin[420]. Le spectacle de ces saintes filles, renonçant au monde, à leurs familles, à leurs biens, à toutes les espérances de la vie, ne conservant de toutes les affections du cœur qu'une pitié plus courageuse et plus tendre que n'étoient horribles les souffrances qui les environnoient, a toujours étonné et attendri tous ceux qui en ont été les témoins; et ce n'est que dans notre siècle, où d'odieux et vils systèmes ont flétri toutes les âmes et calomnié toutes les vertus, qu'on a cessé un moment d'admirer ce que la charité chrétienne offrit jamais de plus admirable. «Le cardinal de Vitry, dit Helyot, a voulu sans doute parler des religieuses de l'Hôtel-Dieu, lorsqu'il dit qu'il y en avoit qui se faisoient violence, souffroient avec joie et sans répugnance l'aspect hideux de toutes les misères humaines, et qu'il lui sembloit qu'aucun genre de pénitence ne pouvoit être comparé à cette espèce de martyre.»

«Il n'y a personne, continue le même auteur dans son langage naïf, qui, en voyant les religieuses de l'Hôtel-Dieu, non-seulement panser, nettoyer les malades, faire leurs lits, mais encore, au plus fort de l'hiver, casser la glace de la rivière qui passe au milieu de cet hôpital, et y entrer jusqu'à la moitié du corps, pour laver leurs linges pleins d'ordures et de vilenies, ne les regarde comme autant de saintes victimes, qui, par un excès d'amour et de charité pour secourir leur prochain, courent volontiers à la mort qu'elles affrontent, pour ainsi dire, au milieu de tant de puanteur et d'infection causées par le grand nombre des malades[421]

Philippe-Auguste est le premier de nos rois qui ait fait des dons à l'Hôtel-Dieu; après lui saint Louis le combla tellement de ses pieuses libéralités, qu'il mérita d'en être appelé le fondateur. Non-seulement ce prince en accrut les revenus, mais il en augmenta considérablement les bâtiments, qui, avant lui, ne consistoient que dans trois ou quatre corps-de-logis, avec l'ancienne chapelle de Saint-Christophe[422]. Depuis, les bâtiments se multiplièrent entre la rivière et la rue des Sablons, et vinrent aboutir au Petit-Pont, où il y avoit une autre chapelle, sous le nom de Sainte-Agnès. En 1463, les frères et sœurs de l'Hôtel-Dieu acquirent plusieurs places autour de cette dernière chapelle, et y firent construire une entrée nouvelle et un portail. Par un arrêt de l'année 1511, ils firent fermer la rue des Sablons, après y avoir fait l'acquisition de sept maisons qui appartenoient à l'abbaye de Sainte-Geneviève.

En suivant la progression des accroissements de cet hospice, nous trouvons qu'en 1531 les administrateurs traitèrent d'une maison située sur le Petit-Pont, laquelle joignoit le portail dont nous venons de faire mention. Sur l'emplacement de cette maison, qui avoit appartenu à la Sainte-Chapelle, le cardinal Antoine Duprat, légat en France, fit construire la salle qu'on appeloit, avant la révolution, salle du Légat. À l'extrémité orientale, ils avoient déjà fait précédemment plusieurs acquisitions, entre autres celle d'une grande maison connue sous le nom du Chantier, et située entre l'Hôtel-Dieu et l'Archevêché. Ils s'étoient aussi rendus propriétaires de plusieurs bâtiments dans la rue de la Bûcherie[423]. En 1606, Henri IV fit rebâtir la salle de Saint-Thomas, et construire les piliers d'un pont où devoient aboutir ces nouvelles propriétés. La même année, la salle dite de Saint-Charles, qui donna son nom à ce pont, fut achevée par la libéralité de M. Pomponne de Bellièvre. Les administrateurs agrandirent encore l'Hôtel-Dieu, en faisant construire, le long de la rivière, une voûte, sur laquelle, ils élevèrent une salle nouvelle[424]. Ils obtinrent en même temps la permission de bâtir un second pont aux limites de leur maison, du côté de l'Archevêché. Ce pont, qui fut fini en 1634, aboutit d'un côté à la rue l'Évêque, et de l'autre à un portail construit sur l'autre bord de la rivière, dans la rue de la Bûcherie; on le nomma Pont-aux-Doubles, parce que, dans l'origine, les gens de pied payoient un double tournois pour y passer[425]. Ce péage, fixé par des lettres-patentes de Louis XIII, n'a cessé de subsister qu'au moment de la révolution; les deniers n'ayant plus cours alors, on payoit un liard pour le droit de passage.

Les salles dont nous venons de parler furent encore prolongées depuis. En 1714 on pensa à construire des bâtiments nouveaux, et pour subvenir à cette dépense, l'Hôtel-Dieu obtint sur les entrées aux spectacles un droit dont il a joui long-temps[426]. Le Petit-Châtelet lui fut même adjugé à cet effet en 1724; mais il ne put alors ni depuis mettre à profit ce don du roi pour accroître ses bâtiments.

Depuis cette dernière époque, il ne reste plus rien à dire de l'Hôtel-Dieu, sinon qu'il a été successivement dévasté par deux incendies, dont le dernier surtout avoit causé de grands ravages et laissé des traces profondes, qui, même après vingt ans, n'étoient point encore effacées. En 1789, la piété et l'humanité de Louis XVI lui avoient fait concevoir le projet de faire de grandes améliorations dans cette maison, et même, dit-on, de faire construire plusieurs Hôtels-Dieu en différents quartiers de la ville. Une partie de ce plan avoit déjà commencé à recevoir son exécution.

On a élevé, depuis la révolution, un nouveau portail à l'Hôtel-Dieu, du côté du parvis[427]. Cette décoration, qu'écrase la masse imposante du portail de Notre-Dame, mérite cependant d'être remarquée. L'architecte lui a donné un caractère mixte qui tient des temples et des monuments consacrés à la bienfaisance et à l'utilité publique; des croisées en forme d'arcades remplacent, aux deux côtés du péristyle, les niches qui, dans une église, eussent contenu les statues des saints patrons, et annoncent les logements et les bureaux nécessaires à l'entrée d'une semblable maison.

Une extrême simplicité convenoit à une telle construction, et l'auteur s'y est assujetti dans toutes les parties. Il ne s'est pas même permis les cannelures, ornement usité par les anciens dans l'ordre dorique, et qui le mettent en harmonie avec les triglyphes dont sa frise est ornée. La sculpture qui doit décorer le tympan du fronton n'est point encore exécutée.

PARVIS DE NOTRE-DAME.

C'est ainsi qu'est nommée la place qui est devant l'église cathédrale. Il n'y a pas de doute que ce mot ne vienne de celui de paradisus, dont on se servoit anciennement pour exprimer l'aire ou place qui étoit devant les basiliques, souvent même le cimetière qui occupoit cet espace, comme il l'occupe encore dans plusieurs endroits. On donnoit aussi quelquefois le même nom au cloître qui régnoit autour; mais il étoit plus particulièrement affecté au porche, vestibule ou portique des grandes églises. Il n'étoit pas rare de voir des autels dans cette première partie de ces édifices sacrés; et c'étoit là qu'étoient placées les cuves baptismales.

La place dont nous parlons a été successivement agrandie, et principalement en 1748, lorsqu'on abattit l'église Saint-Christophe, et qu'on supprima la rue de la Huchette. À cette époque on en baissa aussi le sol, afin de procurer une descente plus facile à l'église Notre-Dame, alors au-dessous du niveau de la place, et à laquelle, dans l'origine, on montoit par un escalier de treize degrés.

On détruisit en même temps une fontaine construite en 1639, devant laquelle étoit une ancienne statue, dont les symboles singuliers et équivoques ont fort exercé la sagacité des antiquaires. Elle représentoit une figure longue et d'un travail très-grossier, qui tenoit un livre d'une main, et de l'autre un bâton entouré d'un serpent. Plusieurs ont cru y voir une représentation d'Esculape, dieu de la médecine; d'autres, celle de Mercure; quelques-uns l'ont prise pour l'image d'Erchinoald ou Archambauld, qui, dit-on, fit présent à l'église de son hôtel et de sa chapelle Saint-Christophe. Il y en avoit qui vouloient que ce fût la figure de Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, sous l'épiscopat duquel on a cru que le grand portail de Notre-Dame avoit été achevé. L'abbé Lebeuf a présenté une opinion plus vraisemblable en disant que cette statue pouvoit bien être celle de Jésus-Christ, que l'on auroit détachée de l'ancienne église lors de la reconstruction, et placée par respect en face de la nouvelle. Jaillot offre aussi ses conjectures, qui ne sont point à dédaigner: il pense que cette figure étoit une représentation de sainte Geneviève. «Le visage, dit-il, étoit sans barbe, et ne portoit point les traits d'un homme; le reste d'un cierge qu'elle tenoit d'une main, un livre qu'elle portoit de l'autre, sont ses attributs ordinaires; le serpent, symbole de la santé, en est un nouveau que la reconnaissance a pu faire donner à l'occasion des guérisons miraculeuses que Dieu avoit accordées en cet endroit par son intercession; enfin la maladie personnifiée et foulée à ses pieds annonce la victoire que cette sainte avoit remportée sur elle.» On doit regretter que cette statue, qui étoit de plâtre recouvert en plomb, ait été détruite. Elle étoit également curieuse et par son antiquité et par l'obscurité qui l'environnoit.

C'étoit dans une maison du Parvis que se tenoient les écoles publiques avant l'établissement des colléges et de l'université. Elles avoient d'abord été placées dans le cloître Notre-Dame, à gauche en entrant, dans un endroit que les anciens titres nomment tres antiæ. Mais comme les chanoines étoient importunés du bruit inévitable que faisoient les écoliers, il fut convenu, après quelques contestations entre le chapitre et l'évêque, que les écoles seroient transférées dans un autre emplacement, et plus près de la maison épiscopale[428]. Elles furent en conséquence établies dans le lieu nommé le Chantier, situé entre le port l'Évêque et l'Hôtel-Dieu.

L'évêque avoit au Parvis une échelle patibulaire, qui étoit la marque de sa justice. Piganiol dit qu'il en avoit encore une au port Saint-Landri; mais c'est une erreur: il a confondu la justice de l'évêque avec celle du chapitre, à qui ce port appartenoit de temps immémorial.

Ce fut au parvis Notre-Dame que Bérenger et Étienne, cardinaux et légats du pape Clément V, firent dresser, le 11 mars 1314, un échafaud, sur lequel montèrent, après eux, le grand-maître des Templiers, le maître de Normandie et deux autres frères, pour y entendre le récit des crimes qu'on imputoit à leur ordre, et la sentence qui les condamnoit à une prison perpétuelle[429].

MAISON DES ENFANTS-TROUVÉS.

Voici encore une de ces institutions que la charité chrétienne pouvoit seule imaginer. Dans cette Rome païenne, si fière de sa police et de ses lois, des pères dénaturés exposoient leurs enfants, et un gouvernement non moins barbare les laissoit impitoyablement périr. Des hommes qui exerçoient un métier infâme alloient quelquefois recueillir ces innocentes victimes, et les élevoient pour les prostituer; on rencontroit par toutes les nations de ces enfants malheureux, nourris comme de vils troupeaux, et destinés aux plus exécrables usages. Non-seulement de telles horreurs étoient tolérées, mais les empereurs ne rougissoient point de lever un tribut sur ces enfants; et saint Justin le philosophe ne craint pas de le leur reprocher dans sa première apologie.

L'Église primitive avoit établi des hospices pour les enfants à la mamelle et pour les orphelins. Ces asiles, comme tous ceux qu'elle avoit élevés au malheur et à la souffrance, étoient dirigés par ses ministres, et sans doute la Gaule possédoit, ainsi que tout le reste de la chrétienté, de ces pieuses fondations; mais les révolutions qu'éprouvèrent ces contrées en changèrent la forme: et après l'établissement des Francs, on trouve, sans pouvoir en démêler l'origine, que le soin de ces enfants étoit confié aux seigneurs sur les fiefs desquels ils avoient été abandonnés. Leur zèle fut loin d'égaler celui des ministres de l'évangile; et dans Paris surtout, où la misère, la débauche et une plus grande population multiplioient ces expositions, le mal vint à un tel degré, que l'on sentit la nécessité de créer un asile pour ces pauvres et innocentes victimes. Ce fut encore l'Église qui en donna les premiers exemples: l'évêque et le chapitre de Notre-Dame destinèrent à cet usage une maison située au bas du Port-l'Évêque[430]; et l'on mit dans l'église même une espèce de berceau, où l'on plaçoit ces enfants, pour exciter la pitié et la libéralité des fidèles, coutume qui s'est conservée jusqu'aux temps qui ont précédé la révolution. Ils étoient alors appelés les pauvres Enfants Trouvés de Notre-Dame; et c'est sous ce nom qu'Isabelle de Bavière, femme de Charles VI, leur fit un legs de 8 francs, par son testament du 2 septembre 1431.

La libéralité du chapitre étoit entièrement gratuite, et faite uniquement pour l'honneur de Dieu, ainsi que le déclarèrent des lettres-patentes de François Ier données en 1536[431]. Cependant les seigneurs haut-justiciers, pour s'exempter de contribuer aux frais de la nourriture et de l'éducation des Enfants-Trouvés, prétendirent, quelques années après, faire passer cet usage pour une charge de fondation faite sous cette condition, en faveur du chapitre. Le parlement n'eut aucun égard à ces vaines allégations; et par un arrêt du 13 août 1552[432], il ordonna que les enfants seroient mis à l'hôpital de la Trinité, et que les seigneurs contribueroient d'une somme de 960 livres par an, répartie entre eux à proportion de l'étendue de leur justice. Toutefois on conserva à Notre-Dame le bureau établi pour recevoir ces enfants et les aumônes qu'on leur faisoit.

Un réglement aussi sage et aussi juste n'eut cependant qu'une exécution imparfaite et momentanée; et ces enfants ne tardèrent pas à retomber dans l'état de dénûment d'où l'on avoit tenté de les retirer. Le chapitre de Notre-Dame, toujours touché de compassion pour eux, offrit encore, pour les recevoir, deux maisons situées au port Saint-Landri, et ils y furent transférés par un arrêt du 12 juillet 1570. Cependant, malgré tant de précautions prises pour sauver la vie à ces infortunés, malgré les taxes imposées sur les hauts-justiciers pour leur procurer les premières nécessités, ils étoient encore dans un état qui fait frémir l'humanité; et le détail qu'en donne l'auteur de la vie de saint Vincent de Paule est si horrible, qu'on seroit tenté de le soupçonner de quelque exagération[433]. C'est à cet homme apostolique, à cette âme ardente et vraiment chrétienne, que l'on doit la révolution totale qui se fit dans le sort de ces pauvres enfants, et l'établissement fixe et durable de cette touchante institution. On ne peut répéter, sans être attendri jusqu'aux larmes, les paroles si naïvement éloquentes qu'il adressa aux dames que son zèle avoit rassemblées pour qu'elles l'aidassent dans les charités qu'il faisoit à ces petits malheureux. Il en avoit fait placer un grand nombre dans l'église; et voyant ces femmes chrétiennes déjà émues par ce spectacle: «Or sus, mesdames, s'écria l'homme de Dieu, voyez si vous voulez délaisser à votre tour ces petits innocents, dont vous êtes devenues les mères suivant la grâce, après qu'ils ont été abandonnés par leurs mères suivant la nature.» Les nobles et pieuses Françaises ne répondirent à ce discours que par des sanglots; et le même jour, dans la même église, au même instant, l'hôpital des Enfants-Trouvés fut fondé et doté.

Saint Vincent de Paule engagea les dames de la Charité qu'il avoit établies à se charger du gouvernement des Enfants-Trouvés, qu'il logea, en 1638, dans une maison à la porte Saint-Victor. Trois ans après Louis XIII leur assigna 3,000 liv. de rente sur le domaine de Gonesse, et y ajouta 1,000 liv. pour ceux qui en avoient soin. Leur zélé protecteur obtint encore de Louis XIV une rente de 8,000 liv., et la reine Anne d'Autriche lui céda pour eux son château de Bicêtre. Mais une situation si éloignée de la ville, et l'air trop vif qu'on y respire, étant nuisibles à ces enfants, on les fit revenir auprès de Saint-Lazare, où ils rentrèrent sous la surveillance des sœurs de la Charité. Cependant leur nombre augmenta tellement, que les aumônes et les revenus devinrent de nouveau insuffisants. Alors le parlement jugea qu'il étoit nécessaire de changer en une rente annuelle l'obligation où étoient les seigneurs hauts-justiciers de fournir à l'entretien des enfants exposés dans leur justice. Cette taxe fut enfin fixée à 15,000 livres réparties sur eux dans la proportion de leurs fiefs[434]. On fit à ce moyen l'acquisition, rue du faubourg Saint-Antoine, d'un grand emplacement et d'une maison, laquelle fut érigée en hôpital par une déclaration du roi, et unie à l'hôpital général. Ce ne fut qu'après tant de mutations qu'on put parvenir à un établissement commode et permanent.

Peu de temps après, en 1672, on leur acheta encore une maison vis-à-vis l'Hôtel-Dieu, et l'on y construisit une chapelle. Ces bâtiments subsistèrent jusqu'en 1746, qu'on les fit abattre, en même temps que les églises de Saint-Christophe et de Sainte-Geneviève-des-Ardents, pour en construire de plus spacieux. On éleva aussi une nouvelle chapelle, laquelle fut décorée de peintures par Brunetti et Natoire[435]. Nous n'entrerons dans aucun détail sur cet édifice, dont l'architecture n'offre ni défaut ni beautés remarquables. La distribution intérieure en est heureuse, et fait honneur à l'architecte Boffrand, qui fut chargé de bâtir ce monument[436].

On y recevoit les enfants en tout temps, à toutes les heures du jour et de la nuit, sans question et sans formalité; seulement un commissaire du quartier dressoit gratis un procès-verbal qui constatoit le jour et l'heure où l'enfant avoit été trouvé, et le nom de la personne qui le présentoit, laquelle d'ailleurs n'étoit obligée de s'expliquer sur aucune circonstance. Ces pauvres orphelins étoient élevés avec un soin paternel dans l'amour du travail et dans la piété; et on les y gardoit jusqu'à ce qu'ils fussent en âge de faire leur première communion et d'apprendre un métier.

PONTS DE LA CITÉ.

En donnant l'historique du pont Neuf, nous avons parlé du pont de Charles-le-Chauve, dont il ne reste plus que des traditions obscures, et du pont Marchand, qui fut détruit en 1631. Dans la description de l'Hôtel-Dieu est comprise celle du pont Saint-Charles et du pont aux Doubles. Il nous reste encore à parler de quatre ponts qui communiquent de la Cité aux deux autres parties de la ville, et d'un dernier pont établi sur le détroit qui la sépare de l'île Notre-Dame ou Saint-Louis.

LE PONT AU CHANGE.

Ce pont, qui aboutit d'un côté au quai de l'Horloge, et de l'autre au quai de la Mégisserie, a remplacé celui qu'on appeloit anciennement le Grand pont, et qui fut pendant long-temps la seule communication de la Cité avec la rive septentrionale. Dans son origine, et pendant plusieurs siècles, ce pont n'étoit qu'en bois. Louis VII y établit le change en 1141, et défendit de le faire ailleurs; ce qui lui fit donner le nom de pont aux Changeurs, au Change et de la Marchandise. Il a conservé le second de ces noms.

Ce pont, suivant un ancien usage qui n'a cessé que de nos jours, étoit couvert de maisons dans toute sa longueur: les changeurs en occupoient un côté et les orfèvres l'autre. Les grandes inondations l'ayant emporté plusieurs fois, il fut successivement rebâti, mais non pas précisément à la place où nous le voyons aujourd'hui[437]. Si nous examinons ensuite les diverses révolutions qu'il a éprouvées, nous trouvons qu'au onzième siècle il étoit construit partie en pierres et partie en bois; en 1296 il étoit entièrement en pierres, et seulement en bois en 1621, lorsqu'il fut brûlé avec le pont Marchand. Le feu ayant pris à ce dernier pont, qui n'en étoit séparé que par un espace d'environ cinq toises, la flamme se communiqua en un instant au pont au Change; et l'incendie fut si violent, que tous les deux furent brûlés, et s'écroulèrent en moins de trois heures. Celui-ci fut seul rebâti: on commença à le reconstruire en pierres en 1639, et il fut achevé en 1647.

Le quai des Morfondus étoit autrefois beaucoup plus étroit qu'il ne l'est aujourd'hui; et, vu la grande population de Paris et le mouvement continuel qui se fait dans ce passage, il en résultoit des embarras très-incommodes, souvent même dangereux pour les gens de pied. On y remédia en 1738, au moyen de deux angles saillants que l'on pratiqua, l'un vis-à-vis la tour de l'horloge, et l'autre au pont Neuf, presque vis-à-vis la statue équestre de Henri IV. Pour exécuter ces travaux, la ville avoit acheté les quatre dernières maisons du pont au Change; et les ayant fait abattre, elle put former à cet endroit une petite place, où commence le trottoir en saillie qui règne le long du parapet jusqu'à l'autre extrémité.

Du côté opposé à la Cité on avoit placé au bout de ce pont et au sommet du triangle un monument qui représentoit Louis XIV à l'âge de dix ans, couronné par la Victoire, et élevé sur un piédestal, auprès duquel on voyoit Louis XIII et Anne d'Autriche, debout et en habits royaux. Ces figures, d'une exécution très-remarquable, et qu'on peut mettre au nombre des meilleures productions de l'école françoise, sont en bronze sur un fond de marbre noir; au-dessous un bas-relief cintré offre des captifs enchaînés. François Guillain, artiste françois, étoit l'auteur de toutes ces sculptures[438].

Mézerai, et Germain Brice qui l'a cité, n'ont point été exacts, lorsqu'ils ont dit que la reine Isabeau de Bavière, femme de Charles VI, passant, lors de son entrée à Paris[439], sur le pont Notre-Dame, un homme descendit sur une corde du haut des tours de la cathédrale, et lui posa une couronne sur la tête. Ce fut sur le pont au Change que la chose arriva; et ce pont étoit celui sur lequel les rois et les reines avoient coutume de passer[440]. D'ailleurs, Isabeau de Bavière fit son entrée à Paris en 1389, et le pont Notre-Dame ne fut construit qu'en 1413.

Le pont au Change s'élève sur sept arches de plein cintre; la construction en est solide, mais sans élégance[441].

LE PONT SAINT-MICHEL.

Ce pont, situé à l'opposite du pont au Change, sur le petit cours de l'eau, aboutit d'un côté à la place qui en a pris le nom, et de l'autre aux rues de la Barillerie, Saint-Louis et du Marché-Neuf. Il est impossible de donner la date précise de sa construction, et les historiens varient à ce sujet depuis 1378 jusqu'à 1387. Jaillot pense que le pont de Charles-le-Chauve étoit de ce côté, et que ce fut celui-ci qui lui succéda. Il fut d'abord appelé le petit Pont, ensuite petit pont Neuf, et simplement pont Neuf; mais dès 1424 on le nommoit pont Saint-Michel, et ce nom lui vint sans doute de la place et de la chapelle dont nous avons déjà fait mention[442].

Il avoit été renversé par les glaces en 1407; il éprouva le même accident en 1547; et, malgré les réparations qu'on y fit à cette époque, il fut presque totalement emporté en 1616. On pensa alors à le rebâtir avec plus de solidité: des habitants de Paris offrirent de faire cette construction en pierres, et d'élever sur sa surface trente-deux maisons d'égale structure, dont ils demandoient à jouir seulement pendant soixante années, s'obligeant en outre à payer une redevance annuelle pour chaque maison. Cet accord fut accepté, et la jouissance prolongée jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans. À la fin de ce bail, ceux qui possédoient ces maisons en obtinrent la propriété perpétuelle, au moyen d'un nouveau contrat et de nouvelles redevances[443].

Ce pont est composé de quatre arches de plein cintre, et n'a rien de remarquable dans sa construction.

PONT NOTRE-DAME.

Ce pont aboutit aux rues de la Lanterne et Planche-Mibrai, et fournit ainsi une communication en droite ligne de la porte Saint-Jacques à la porte Saint-Martin.

Plusieurs historiens de Paris[444] ont prétendu qu'il n'avoit été construit qu'en 1412, par un accord fait entre la ville et les religieux de Saint-Magloire, qui, disent ces historiens, étoient propriétaires de la rivière depuis l'île Notre-Dame (ou Saint-Louis) jusqu'au grand Pont. Cette opinion a été victorieusement réfutée. On a prouvé, par plusieurs pièces authentiques, 1o qu'il existoit sous Charles V un pont de fust ou de bois à cet endroit[445]; 2o que les religieux de Saint-Magloire n'avoient que le droit de pêche sur la rivière dans l'espace déjà indiqué[446]; 3o enfin que le roi, en permettant à la ville de bâtir des maisons sur ce pont, s'y réserva justice haute, moyenne et basse, et un denier de cens entre deux palées.

Toutefois l'abbaye Saint-Magloire, qui sans doute entendoit mal les droits qu'elle avoit eus en cet endroit, jugea à propos, lors de la reconstruction de ce pont, de mettre opposition à l'enregistrement des lettres du roi; mais elle fut déboutée de ses prétentions par un acte du parlement, de l'année 1412; et ce sont sans doute ces contestations qui ont fait naître les méprises des historiens.

Cette reconstruction fut faite en bois[447]. Le dernier mai 1413, le roi y mit le premier pieu, étant accompagné, dans cette cérémonie, du dauphin, des ducs de Berry et de Bourgogne, et du sieur de La Trémoille. Ce fut alors qu'il fut nommé pont Notre-Dame[448]. Il paroît que ces travaux furent faits avec peu de solidité, car en 1440 on voit qu'il avoit déjà besoin de réparations; et en 1499, le 25 octobre, à neuf heures du matin, il fut emporté en entier, par la négligence du prévôt des marchands et des échevins, à qui les experts avoient inutilement prédit cet accident. Cinq personnes seulement y périrent. On n'en exerça pas moins une très-grande rigueur contre ces magistrats imprudents: le prévôt et les échevins furent arrêtés, et un arrêt du parlement les condamna à une amende considérable et à la réparation du dommage envers les intéressés. Ils moururent en prison, n'ayant pas assez de bien pour satisfaire à ce qu'on exigeoit d'eux.

Cependant on songea à rétablir le pont, dont les décombres embarrassoient le cours de la rivière; mais la ville manquoit d'argent. Louis XII, qui régnoit alors, lui accorda, pendant six ans, la perception de plusieurs droits sur les denrées qui se consommoient dans Paris; et, au moyen de ces secours, on commença la construction du nouveau pont dans la même année. Cette construction fut longue. On voit qu'en 1508 le roi accorda un nouvel aide pour la réparation et parachèvement du pont Notre-Dame, et qu'en 1510 et 1511 le parlement permit encore à la ville de lever de nouveaux octrois pour le même objet; ainsi, quoique une inscription placée sous une arche de ce pont porte que la dernière pierre y fut mise en 1507, on peut dire qu'il ne fut entièrement terminé qu'en 1512, temps auquel on acheva les maisons dont il a été long-temps couvert. On en comptoit trente d'un côté et trente et une de l'autre, toutes de la même architecture, et ornées, dans l'origine, de grands termes d'hommes et de femmes. On voyoit dans les entre-deux les portraits de nos rois en médaillons; et aux quatre extrémités, étoient placées, dans des niches, les statues de saint Louis, de Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV. Il restoit encore quelques vestiges de toutes ces décorations lorsque ces maisons furent abattues[449].

Ce pont fut construit sur les dessins du célèbre Giocondo[450], dit Joconde ou Juconde, qui, après la mort du Bramante, fut choisi pour continuer, avec Raphaël, les travaux de l'église de Saint-Pierre de Rome. Il est porté sur cinq arches de plein cintre, et les gens de l'art l'estiment pour le caractère grand et simple de son architecture[451]. Deux pompes, placées sur une charpente vis-à-vis l'arche du milieu, élèvent l'eau de la rivière pour la distribuer à plusieurs fontaines de la ville. Elles en fournissent, dit-on, cent pouces par minute. À cet endroit il y avoit autrefois une porte d'ordre ionique, dont l'arc étoit décoré d'un très-beau bas-relief, de la main du célèbre Jean Goujon[452], représentant un fleuve et une naïade. Au-dessus étoit le portrait de Louis XIV, avec une inscription par Santeuil.

Ce fut sur ce pont que passa la fameuse procession de la Ligue, le 3 juin 1590.

LE PETIT PONT.

Ce pont aboutit d'un côté à l'emplacement du Petit-Châtelet, et de l'autre au carrefour des rues Neuve-de-Notre-Dame, du Marché-Palu et du Marché-Neuf. Il étoit anciennement, comme nous l'avons dit, la seule communication qu'eût la Cité avec la rive méridionale, et Grégoire de Tours en fait mention en plusieurs endroits. On n'en sait aucune particularité jusqu'à l'an 1185, qu'il fut rebâti, sans doute en bois, par la libéralité de Maurice de Sully, évêque de Paris[453]. En 1196 il fut emporté par un débordement, et éprouva depuis plusieurs fois le même désastre[454]. En 1394 on le rebâtit, pour la septième ou huitième fois, avec le produit de quelques amendes auxquelles les juifs avoient été condamnés[455]. Il tomba encore en 1405, et fut reconstruit de nouveau en 1409. Cette même année, le roi Charles VI en fit don à la ville, et lui permit d'y élever des maisons[456]. Ces édifices, qui d'abord n'étoient point symétriques, furent rebâtis sur un même plan en 1552 et en 1603. De nouveaux débordements causèrent d'autres désastres à ce pont en 1649, 1651 et 1658; et une inscription indiquoit qu'en 1659 il avoit été rétabli à grands frais, sous la prévôté de M. de Sève. Enfin il fut entièrement consumé en 1718, par deux bateaux de foin auxquels un accident inconnu avoit mis le feu, et dont on avoit eu l'imprudence de couper les cordes. Ils s'arrêtèrent sous le petit Pont; et l'incendie se communiqua aux charpentes et aux maisons avec une rapidité que rien ne put arrêter. Ce pont fut alors rebâti en pierres, tel que nous le voyons aujourd'hui; mais les maisons ne furent point relevées.

Le petit Pont est porté sur trois arches d'une construction lourde et irrégulière.

LE PONT ROUGE.

Il servoit de communication entre la Cité et l'île Saint-Louis. Tant que cette île n'a pas été couverte de maisons, il n'y avoit point de pont en cet endroit. Sauval prétend qu'il ne fut construit qu'en 1642, après l'arrangement définitif conclu entre le chapitre et les habitants de l'île, pour les diverses constructions qu'ils s'étoient engagés d'y faire; cependant les mémoires du temps[457] rapportent que, le 5 juin 1634, trois processions passant ensemble sur ce pont pour se rendre à l'église Notre-Dame, occasionnèrent une si grande foule, que deux balustrades du côté de la Grève furent rompues, et que le pont entier fut sur le point de s'écrouler. En 1636, à l'occasion du jubilé, le parlement, pour prévenir de semblables accidents, ordonna qu'on mettroit des barrières aux ponts de bois.

Celui-ci fut si fort endommagé par les glaces dans l'hiver de 1709, qu'on se vit obligé, l'année suivante, de le détruire. Il ne fut rétabli qu'en 1717; et comme on le peignit alors en rouge, il prit son nom de cette couleur nouvelle qu'on lui avoit donnée. Il n'y avoit point de maisons dessus, et il n'y passoit aucune voiture.

On avoit accordé pour sa construction un péage, que le roi céda à la ville, pour la dédommager de la destruction de quelques maisons qu'elle possédoit au Marché-Neuf, et que l'utilité publique avoit fait abattre[458].

HÔTELS DE LA CITÉ.

HÔTEL DES URSINS.

Près du port Saint-Landri étoit l'hôtel des Ursins, qui avoit reçu ce nom de Juvénal des Ursins, chancelier de France sous Louis XI, auquel il appartenoit à cette époque.

Cet hôtel, tombant en ruine, fut rebâti au seizième siècle sur un plan moins étendu; et sur une partie du terrain qu'il occupoit, on ouvrit une rue qui fut appelée rue du Milieu[459].

HÔTEL dit DU TRÉSORIER.

C'est ainsi qu'est désigné, sur le plan de Jaillot, cet hôtel dont la façade est dans la cour de la Sainte-Chapelle et vis-à-vis de ce monument. Cette façade se compose de quatre colonnes qu'accompagnent de chaque côté deux pilastres, et de trois ordres qui s'élèvent les uns au-dessus des autres, le dorique, l'ionique et le corinthien. Quoique l'ordre ionique y soit trop écrasé et d'une mauvaise proportion, cet ensemble a une sorte de magnificence, et semble indiquer une ancienne demeure de quelque personnage distingué.

D'après le plan que nous venons de citer cet hôtel auroit été autrefois la demeure du trésorier de la Sainte-Chapelle: cependant il n'en est fait mention dans aucun des historiens de Paris. Il est dit seulement qu'en 1624 le roi avoit permis de faire démolir deux maisons dans l'enclos de la Sainte-Chapelle, afin d'y ouvrir un passage qui communiqueroit à la rue Saint-Louis; que cette démolition fut faite, et que le passage fut ouvert. Or, il se trouve que ce passage, qui est aujourd'hui la rue Sainte-Anne, est pratiqué justement au milieu de l'hôtel que nous venons de décrire.

ARCADE DE LA CHAMBRE DES COMPTES.

Nous avons parlé trop succinctement de cette construction, l'une des plus remarquables que présente la Cité, par la richesse et la perfection des ornements dont elle est décorée[460].

Au-dessus de la voûte s'élève, de chaque côté, une croisée en arcade, accompagnée de deux pilastres ioniques accouplés, dont les bandes de chapiteaux sont sculptées en petites feuilles, ce que nous croyons sans exemple dans les ornements de cet ordre. Sur la clef de l'archivolte sont sculptées deux têtes de faunes, l'une desquelles est remarquable, en ce qu'elle porte des oreilles de porc pendantes, et des serpents entrelacés dans ses cheveux. Au-dessus des croisées sont d'autres têtes couronnées de fleurs; et les tympans offrent des figures de génies portant des palmes, exécutées avec toute l'élégance de formes, la grâce et la délicatesse que l'on admire dans les meilleurs ouvrages de Jean Goujon. Toutefois ces figures étant exactement les mêmes des deux côtés, et se trouvant d'une proportion trop petite pour l'espace où elles sont renfermées, il y a quelque lieu de croire qu'elles y ont été appliquées par quelque opération de moulage, qui a permis de répéter et de multiplier ainsi la même figure.

La corniche qui porte l'arcade est soutenue par huit consoles richement décorées de feuillages, et terminées extérieurement par quatre têtes de femmes remarquables en ce que, différant entre elles de pose, de physionomie et même de coiffure, toutes portent un croissant dans leurs cheveux. Les quatre têtes intérieures, c'est-à-dire, placées sous l'arcade, sont des têtes de faunes, accompagnées de cornes d'abondance. Tous ces ornements se font remarquer par un style et une délicatesse d'exécution qui rappelle les plus beaux temps de la sculpture en France; et en effet, ils ont dû être exécutés à l'époque où vivoit le grand artiste que nous venons de citer: car dans des caissons qui ornent la partie inférieure de la corniche, on retrouve le monogramme de Henri II et de Diane de Poitiers, si souvent répété sur les monuments que ce prince a fait élever. Ce monogramme est ici accompagné d'une fleur de lis et d'un croissant.

Enfin sur le mur sont des encadrements dont le panneau est resté vide; ils sont supportés par des cornes d'abondance qui soutiennent des têtes d'enfants. Le travail en est fort inférieur à celui des autres ornements.

Tous les historiens se taisent sur la destination d'un monument exécuté avec tant de soins, avec une magnificence aussi recherchée, et dont la construction est néanmoins très-moderne, si on le compare à tant d'autres édifices dont l'origine nous est bien connue.

ÎLE SAINT-LOUIS.

Cette île, située à l'orient de la Cité dont elle n'est séparée que par un bras de rivière très-étroit, étoit autrefois divisée en deux îles d'inégale grandeur, par un petit canal qui la traversent vers sa partie orientale, à l'endroit où est aujourd'hui l'église Saint-Louis. Toutes les deux étoient en prairies.

Ces deux îles appartenoient originairement à l'évêque et au chapitre de l'église de Paris, ce qui fit donner à la plus grande le nom d'île Notre-Dame; la plus petite étoit nommée l'île aux Vaches.

On ignore à la libéralité de qui cette église étoit redevable de la possession de ces îles; mais on lit dans les anciens historiens que, du temps de Charles-Martel, les comtes de Paris les avoient usurpées sur elle, et que, sous le règne de Pépin, elle n'y jouissoit plus que d'un neuvième et d'un dixième. En 867, Charles-le-Chauve les lui rendit, et confirma, par un diplôme, la propriété et la juridiction qu'elle y avoit eues autrefois[461]. Depuis, la propriété en étoit restée au chapitre seul, qui n'a cessé d'en jouir paisiblement.

Il y a lieu de croire qu'il y avoit, au nord et au midi, des ponts qui communiquoient à ces îles, et qu'ils furent emportés par le débordement de 1296; car on trouve dans les archives de Notre-Dame[462] qu'au mois de mars de cette même année Philippe-le-Bel fit faire deux charrières, l'une allant de la rue Saint-Bernard dans l'île, l'autre de la rue de Bièvre au Terrail, et qu'il établit un droit de péage pour la réparation des ponts. On lit aussi qu'en 1313 ce monarque ayant rassemblé à Paris ce qu'il y avoit de plus distingué dans la noblesse française et étrangère, lui donna, pendant cinq jours, des fêtes brillantes, au milieu desquelles il arma ses fils chevaliers[463]; et que, le quatrième jour de la fête, on passa dans l'île Notre-Dame sur un pont de bateaux qui fut fait à cette occasion. Ce fut là que le cardinal Nicolas, légat en France, prêcha la croisade aux deux rois d'Angleterre et de France[464]. Ces princes et Louis de Navarre, fils aîné de Philippe, prirent la croix, et un grand nombre de seigneurs la prirent à leur exemple. Les dames mêmes, entraînées, dit-on, par l'enthousiasme général, se croisèrent aussi, et promirent d'accompagner leurs maris dans le voyage d'outre-mer. Depuis on y éleva deux ponts de bois, pour établir une communication permanente entre cette île et les quartiers environnants.

La prison du roi Jean et les suites qu'elle faisoit appréhender ayant déterminé les Parisiens à fortifier leur ville, on crut devoir ne pas négliger l'île Notre-Dame. Des fossés furent creusés autour, et l'on planta des pieux dans la rivière entre l'île et les murs du côté de Saint-Victor. Les lettres du dauphin Charles, alors régent du royaume, à l'effet de conserver, dans cette circonstance, les droits du chapitre, sont du 30 novembre 1359[465]:

Elle resta inhabitée jusqu'au règne de Henri IV, qui la comprit dans les projets qu'il avoit formés pour l'accroissement et l'embellissement de Paris. Toutefois on ne commença à y élever des bâtiments que sous son successeur. Des commissaires nommés par le roi pour acquérir les deux îles du chapitre passèrent contrat avec le sieur Marie, architecte, le 19 avril 1714; et par cet acte, celui-ci s'engagea à joindre ensemble les deux îles, à les couvrir de maisons, et à y établir des rues et des quais[466]. Le chapitre, avec lequel on n'avoit point encore pris d'arrangements définitifs, s'opposa aux travaux déjà commencés; mais cette opposition fut levée par deux arrêts du conseil, et Marie, qui s'étoit associé les sieurs Le Regratier et Poulletier, continua d'exécuter son marché. Toutefois ces trois entrepreneurs n'allèrent pas jusqu'à la fin: en 1623 ils cédèrent leur traité au sieur La Grange, secrétaire du roi, et le reprirent en 1627; mais leurs travaux ne finissant point, les habitants et propriétaires des diverses portions de l'île se pourvurent au conseil en 1643, et obtinrent de leur être subrogés aux mêmes charges et conditions, s'engageant en outre à achever les constructions en trois ans: ce qui fut exécuté.

L'ÉGLISE SAINT-LOUIS.

C'est la seule église qu'il y ait dans cette île: ce n'étoit, dans l'origine, qu'une petite chapelle qu'un maître couvreur, nommé Nicolas Le Jeune, qui le premier avoit commencé à bâtir sur ce terrain en 1600, y fit construire quelques années après. Alors elle n'étoit point orientée comme les autres églises, et le chevet en étoit tourné au midi. Le nombre des bâtiments et la population de l'île s'étant rapidement augmentés, la chapelle fut agrandie à la fin de 1622[467]; et M. de Gondi, sur la demande des habitants de l'île, l'érigea en paroisse l'année suivante, sous le titre de Notre-Dame-de-l'Île[468]. Elle ne le conserva pas long-temps; car, vingt ans après, on disoit le curé de Saint-Louis-en-l'Île. Lorsque ces mêmes habitants eurent fait l'acquisition du traité du sieur Marie, ils pensèrent à faire rebâtir leur église. Toutefois ils se contentèrent de construire d'abord le chœur, auquel ils donnèrent vers l'orient la situation qu'il devoit avoir; et l'ancienne chapelle servit de nef. Commencé en 1664, le nouveau chœur ne fut achevé qu'en 1679; et ce ne fut qu'en 1702 qu'on résolut de détruire cette chapelle, qui, réunie à cette autre construction, faisoit une disparate choquante, et d'ailleurs tomboit en ruine. En 1702, M. le cardinal de Noailles posa la première pierre de la nouvelle nef; et ces derniers travaux ayant été achevés en 1725, l'église entière fut dédiée sous l'invocation de saint Louis. La cure en étoit à la collation du chapitre de Notre-Dame.

Ce monument avoit été commencé sur un plan donné par Levau, premier architecte du roi; il fut continué par un autre architecte nommé Leduc, et ce fut sur les dessins de ce dernier que l'on éleva le grand portail. Il est décoré de quatre colonnes ioniques isolées, qui supportent un entablement couronné d'un fronton. La coupole a été construite par un autre architecte nommé Doucet; et les sculptures qui ornoient cet édifice avoient été exécutées sur les dessins de Jean-Baptiste de Champagne, peintre, et neveu de Philippe de Champagne.

Quelques écrivains ont mis cette église au nombre des plus belles de Paris: l'architecture en est cependant très-médiocre. La distribution intérieure est la même que dans la plupart des monuments de ce genre: elle forme une croix latine; la grande nef est accompagnée de deux nefs latérales plus étroites, et ouvertes par des arcades, entre lesquelles s'élèvent des pilastres jusqu'à la naissance de la voûte; en face de chaque arcade on a pratiqué des chapelles. Il n'y a rien là-dedans qui mérite tant d'admiration; et d'ailleurs ses dimensions la mettent au rang des petites églises[469]. Quant à l'extérieur, il est tel qu'on ne pourroit y reconnoître un édifice sacré, s'il n'étoit surmonté d'un petit campanille qui, par sa forme bizarre et par la manière dont il est placé, fait un effet presque ridicule.

SÉPULTURES.

Dans cette église avoient été enterrés:

Philippe Quinault, auditeur en la chambre des comptes, célèbre par ses ouvrages lyriques, mort en 1688.

Antoine Uyon d'Hérouval, aussi auditeur en la chambre des comptes, auteur de Recherches sur l'histoire de France, mort en 1689.

Vis-à-vis cette église étoit un établissement des sœurs de la Charité.

HÔTELS DE L'ÎLE SAINT-LOUIS.

Parmi le grand nombre d'hôtels que contient la ville de Paris, et qui sont répandus dans ses divers quartiers, nous décrirons seulement ceux qui nous sembleront remarquables, ou par la beauté de leur architecture, ou par l'ancienneté de leur construction, ou par les souvenirs qui y sont attachés. C'est ce que nous avons déjà fait pour les hôtels qui existoient jadis, ou qui existent encore dans l'île de la Cité. Celle de Saint-Louis renferme un assez grand nombre d'édifices de ce genre, parmi lesquels on ne peut distinguer que l'hôtel Lambert et l'hôtel Bretonvilliers.

HÔTEL LAMBERT.

L'architecte de l'hôtel Lambert est le même Levau qui avoit donné les plans de l'église Saint-Louis; mais il a mieux réussi dans cette maison particulière que dans l'édifice public. L'emplacement qui lui étoit donné pour la bâtir étant irrégulier, il en prit une portion régulière pour la cour; et les parties non symétriques, séparées de cette cour par une aile de bâtiment, furent destinées à faire un jardin. En face de la principale porte qui donne dans la rue Saint-Louis, on aperçoit dans le fond un escalier à deux rampes d'une construction simple et majestueuse: l'extérieur en est décoré de colonnes et de pilastres d'ordre dorique, élevés sur des piédestaux, accompagnés de l'entablement modillonaire[470], de triglyphes et de boucliers dans les métopes. Au-dessus s'élève un attique, avec des pilastres ioniques qui supportent un fronton, dans lequel devoient être exécutées des sculptures; ce qu'on peut présumer par la saillie d'une grande partie du tympan. Au milieu du renfoncement cintré qui est au bas de l'escalier, on voit un fleuve et une naïade peints en grisaille par Le Sueur[471].

Les bâtiments qui environnent la cour sont d'ordre dorique comme l'entrée de l'escalier; et tous les ornements de détail qui couvrent les diverses parties de ces constructions sont d'une bonne exécution. La distribution des principaux appartements pratiqués dans l'aile qui sépare la cour du jardin, a été faite avec intelligence, et l'on y jouit d'une très-belle vue sur la Seine et sur les rives environnantes. Toute cette partie est décorée d'un ordre ionique qui comprend les deux étages, et au-dessus duquel règne une balustrade ornée de vases. Le tout est d'une proportion noble et élégante.

L'intérieur de cette magnifique maison étoit digne de ces dehors imposants; et l'on y admiroit surtout les belles peintures dont l'avoient enrichie Le Sueur et Le Brun, qui cherchèrent à se surpasser dans une circonstance qui réunissoit leurs travaux, et excitoit encore plus vivement leur rivalité. Ce dernier fut chargé de peindre la galerie dont se compose l'aile du bâtiment en retour de la rivière, et y traita plusieurs sujets de la fable d'une manière très-remarquable; mais on admiroit surtout le salon où Le Sueur avoit représenté les neuf Muses dans cinq tableaux qui en ornoient le pourtour. Cet artiste, dont l'heureux génie surpassoit de beaucoup celui de son rival, avoit peint, dans le plafond de cette même pièce, Apollon écoutant la prière de Phaëton, et lui mettant sur la tête sa couronne de laurier[472]. Ce morceau fut détaché et vendu à la mort de M. Delahaye, fermier général, et dernier propriétaire de cette maison. Les tableaux des Muses y restèrent encore long-temps, et jusqu'au moment de la révolution[473].

HÔTEL BRETONVILLIERS.

En sortant de l'hôtel Lambert, et passant sous l'arcade qui est presque en face, on arrive à l'hôtel Bretonvilliers, bâti par Ducerceau pour le président Le Ragois de Bretonvilliers, auquel on doit la construction du quai qui environne la pointe de l'île. Cet hôtel, dont les appartements étoient d'une grande magnificence, avoit été également décoré de peintures par les plus habiles artistes: on y remarquoit toute l'histoire de Phaëton, peinte par Bourdon, dans une vaste galerie qui occupoit tout le corps du bâtiment en retour sur le jardin; quelques peintures de Vouet, des fleurs de Baptiste, d'excellentes copies de Raphaël, par Mignard, etc.; mais ce qu'on y voyoit de plus précieux, c'étoient quatre grands tableaux du plus illustre peintre que la France ait produit, quatre chefs-d'œuvre de Poussin. Ils représentoient le passage de la mer Rouge, l'adoration du Veau d'or, l'enlèvement des Sabines et le triomphe de Vénus[474].

En 1719, les fermiers généraux transférèrent dans cet hôtel le bureau des aides et du papier timbré, qui étoit à l'hôtel de Charni, rue des Barres. On y a fait, jusqu'au moment de la révolution, la régie de toutes les entrées de la ville, ainsi que de tout le plat pays de Paris[475].

PONTS DE L'ÎLE SAINT-LOUIS.

PONT MARIE.

Ce pont sert de communication du port Saint-Paul à l'île Saint-Louis. Il paroît, par un acte cité par Sauval[476], qu'en 1371 il en existoit un à peu près au même endroit, sous le nom de pont de Fust (de bois) d'emprès Saint-Bernard-aux-Barrés. Ce ne fut qu'en 1614 que le contrat du sieur Marie pour la construction des édifices de l'île Saint-Louis ayant été ratifié par le roi, ce pont, aux termes du traité, fut commencé en pierres, et dans la direction de la rue des Nonandières. Louis XIII et la reine y posèrent la première pierre le 11 décembre. Ce pont, discontinué et repris à diverses époques, fut achevé et couvert de maisons en 1635. Les débordements des eaux y causèrent plusieurs fois de grands dommages: celui de 1658 entraîna les deux arches qui étoient du côté de l'île avec les maisons qu'elles portoient. L'année suivante, le roi ordonna que la pile et les deux arches fussent rétablies jusqu'au rez-de-chaussée, et que l'on construisît, en attendant, un pont de bois aboutissant au reste du pont de pierre, lequel devoit être de la même largeur, et suffisant pour le passage des voitures. Pour faciliter la reconstruction des parties détruites, il fut établi un droit de péage pendant dix ans; et c'est par cette raison qu'il est indiqué dans quelques actes sous le nom de pont au Double. En 1664 le dommage n'étoit pas encore réparé. Enfin on rétablit ce pont tel qu'il étoit auparavant, à l'exception des maisons, qui ne furent point rebâties sur les constructions nouvelles.

Ce pont est porté sur cinq arches de plein cintre.

PONT DE LA TOURNELLE.

Il communique du quai de ce nom à l'île Notre-Dame. Par un acte que rapporte Sauval[477], il paroît que vers cet endroit de l'île il y avoit, en 1371, un pont appelé le pont de Fust de l'île Notre-Dame; que le pont de Fust d'entre l'île Notre-Dame et Saint-Bernard fut planchié en septembre 1370; qu'en 1369 on y fit une tournelle quarrée et une porte, qui fut étoupée l'année suivante. Ce pont fut sans doute détruit par les glaces ou par les débordements, car on n'en voit aucune trace sur un plan postérieur au règne de François Ier[478]; et il n'existoit pas en 1577 puisqu'alors on proposa de construire deux ponts, qui des Célestins iroient dans l'île aux Vaches, et de cette île vers les Bernardins, sur le port de la Tournelle. Le sieur Marie se chargea, par son traité, de l'exécution de ce projet. Celui qu'il fit construire de ce côté étoit en bois; et les historiens de Paris disent que les glaces l'emportèrent en 1637, et que ce ne fut qu'en 1654 que l'on prit la résolution de le reconstruire en pierres. Cependant entre ces deux époques on trouve qu'un nouveau pont de bois avoit été élevé à la place de l'ancien; qu'en 1648 il tomboit de caducité, et que le 4 août de la même année on rendit un arrêt qui ordonnoit de l'abattre. Sauval, qui vivoit alors, se contente de dire qu'en 1651 une partie de ce pont fut emportée...... et depuis si bien réparée qu'il n'y paroît pas[479]. Il y a toute apparence que déjà il avoit été rebâti en pierres; car les divers arrêts du conseil portés à ce sujet[480] ordonnent au prévôt des marchands de faire rétablir incessamment le pont de pierre de la Tournelle, ce qui fut exécuté en 1656, comme le porte une inscription placée sous une des arches de ce pont.

Il est composé de six arches solidement bâties, et sur lesquelles on n'éleva point de maisons.

L'ÎLE LOUVIER.

Toutes les recherches qu'on a faites sur cette île ont été infructueuses: Sauval dit qu'en 1370 on la nommoit l'île des Javiaux; en 1445, l'île aux Meules des Javeaux[481]; depuis, l'île aux Meules; et de son temps, l'île Louvier. Ce dernier nom lui venoit peut-être de quelque particulier qui en étoit propriétaire.

Cette île a environ deux cent vingt toises de longueur, et est située vis-à-vis l'endroit où étoit le mail de l'Arsenal. Le bras de la rivière qui la sépare du rivage est si peu considérable, et la Seine y charrie tant de gravier, qu'en été on la passoit à pied sec, ce qui fut cause qu'on proposa plusieurs fois de combler ce détroit et d'y bâtir des maisons; mais les grands-maîtres de l'artillerie ont toujours empêché qu'on acceptât ces propositions. Cette île appartenoit, dans le dix-septième siècle, au sieur d'Antrague. En 1671 la ville l'avoit prise à bail judiciaire, dans le dessein d'en faire un port pour la décharge des marchandises. Elle en fit ensuite l'acquisition le 2 octobre de la même année, et depuis y fit construire en bois un pont de communication.

Cette île servoit, en 1714, de dépôt pour le foin et pour le fruit, ainsi que pour le bois de charpente et de menuiserie; depuis elle a été destinée aux chantiers de bois de chauffage. Pour la conservation de ces chantiers, la ville, en 1730, fit soutenir cette île par des pieux, élargir le canal qui la séparoit du mail, et construire une estacade ou digue pour rompre les glaces, laquelle est ouverte au milieu afin de laisser passer les bateaux, qui y trouvent un abri commode. En 1735 cette digue fut allongée; et en même temps on agrandit et l'on exhaussa l'île. Enfin l'année suivante on y rapporta encore des terres; on aligna, on borna les places que devoient occuper les chantiers, et l'on élargit le pont pour la facilité des gens de pied.

En 1549, les prévôt des marchands et échevins de Paris y avoient fait construire une espèce de havre pour donner à Henri II et à Catherine de Médicis le spectacle d'un combat naval et de la prise d'un fort.

Le bras qui sépare cette île de celle de Saint-Louis a soixante-quinze ou soixante-dix toises de largeur; et le grand canal la sépare du faubourg Saint-Victor.

RUES.

Il n'est rien de plus obscur et de plus embrouillé dans les antiquités de Paris que la matière que nous allons traiter. Les plans que nous avons donnés de cette capitale désignent avec précision la place de ses monuments publics, mais n'offrent qu'une idée imparfaite de ses rues, qui, dans une si longue suite de siècles, ont changé plusieurs fois et de forme et de nom. Après les nombreux incendies qui consumèrent la Cité, et les ravages que les Normands firent dans les faubourgs, on ne sait si les maisons furent relevées dans leurs anciens alignements ou sur des plans nouveaux; et les traditions les plus anciennes qui nous en restent datent de plus d'un siècle après le dernier incendie[482]. Mais ce dont on ne peut douter, c'est que, jusqu'au seizième siècle, elles étoient étroites, sales et irrégulières; plusieurs rues de la Cité et des quartiers environnants, où trois personnes peuvent à peine passer de front, et dont quelques maisons ont encore conservé l'ancien toit en forme de pignon, nous présentent une image assez juste de ce qu'étoit alors la ville entière. Sauval, qui vivoit dans le dix-septième siècle, prétend que les rues larges qui existoient à cette époque, avoient été élargies de son temps ou vers la fin du siècle précédent.

Cependant ces rues si étroites, où la lumière pénétroit à peine, où l'air ne pouvoit circuler, ne furent pavées que sous Philippe-Auguste. Jusque là elles n'avoient été que d'affreux chemins, inondés d'une boue noire et infecte, dont les exhalaisons rendoient le séjour de Paris désagréable et funeste à ses habitants. L'historiographe de Philippe, qui étoit en même temps son médecin, dit que la puanteur en étoit si insupportable, qu'elle pénétroit jusque dans le palais du roi, et le rendoit presque inhabitable. Il raconte que ce prince s'étant un jour approché des fenêtres qui donnoient sur la rivière, il arriva que des chariots, qui dans ce moment traversoient la Cité, en ayant remué les boues, l'odeur qui s'en éleva fut si horrible, qu'à peine le roi put-il la supporter[483]. Factum est autem post aliquot dies quòd Philippus rex, Parisiis moram faciens, dùm sollicitus pro negotiis regni agendis in aulam regiam deambularet, veniens ad palatii fenestras, undè fluvium Sequanæ, pro recreatione animi, quandoquè inspicere consueverat; rhedæ, equis trahentibus, per civitatem transeuntes, fœtores intolerabiles lutum revolvendo procreaverant, quos rex in aulâ deambulans, ferre non sustinuit.

S'il faut en croire cet auteur, ce fut ce petit événement qui détermina le monarque à porter sur-le-champ remède à un mal aussi dangereux; et sans être rebuté ni de la difficulté de l'entreprise, ni d'une dépense qui avoit effrayé tous ses prédécesseurs, il donna ordre, en 1148, au prévôt de Paris, d'en faire paver toutes les rues et places publiques[484]. Le séjour de cette ville devint, dès ce moment, plus sain et plus commode. Cependant un établissement si utile fut souvent négligé dans les âges suivants, quelquefois même totalement abandonné; et il falloit que des maladies contagieuses, qui suivoient presque toujours une semblable négligence, vinssent réveiller l'attention des magistrats, et faire reprendre des travaux presque toujours imparfaits jusqu'à Louis XIV. C'est à ce grand roi que l'on doit le bel ordre qui règne maintenant dans cette partie si essentielle de la police[485].

Ce n'est qu'en 1728 que l'on commença à écrire aux coins des rues et des places publiques les noms qu'elles portoient, et ces noms n'ont pas varié depuis jusqu'au moment de la révolution. Avant cette époque, il n'est presque pas une rue de Paris, qui, à partir du douzième siècle, n'ait changé plusieurs fois de dénomination, et ces changements se ressentoient de la barbarie de ces temps grossiers. Les origines en sont souvent frivoles et bizarres: elles proviennent ou du nom de quelque personnage distingué qui y possédoit une maison remarquable, ou de quelque enseigne singulière qui avoit frappé les yeux du peuple, ou de quelque événement extraordinaire qui y étoit arrivé. Plusieurs devoient leur titre à leur mal-propreté habituelle, d'autres aux vols et assassinats qui s'y commettoient; quelques-unes enfin ont des noms dont le sens et l'origine sont entièrement inconnus.

Nous avons essayé de débrouiller ce chaos, et de donner, autant qu'il est possible, les étymologies et les mutations de ces noms divers. Nous nous sommes aidés, pour y parvenir, de la critique des écrivains les plus laborieux et les plus exacts qui aient approfondi cette matière, et nous espérons qu'elle ne sera pas la moins curieuse de notre travail. Mais pour rendre ce travail complet, et même pour le faire bien comprendre, nous croyons nécessaire de donner d'abord une pièce très-singulière et unique dans son genre, qui a été mise au jour pour la première fois par le savant abbé Lebeuf. C'est une description en vers des rues de Paris, faite par un poète du treizième siècle, nommé Guillot: on y trouve la plus grande partie des noms de celles qui étoient renfermées dans l'enceinte de Philippe-Auguste; elle indique celles qui sont les plus anciennes, et le nom qu'on leur donnoit quatre-vingts ans après que cette enceinte eut été terminée. L'explication que nous donnerons, à la fin de chaque quartier, de l'origine de ces rues, servira de commentaire à cet ancien écrit, et éclaircira autant qu'il est possible ce qu'il peut avoir d'obscur ou d'inintelligible[486].

Ci commence le Dit des Rues[487]
DE PARIS.

Maint dit a fait de Rois, de Conte
Guillot de Paris en son conte;
Les rues de Paris briément
A mis en rime, oyez comment.

L'auteur commence par le quartier qu'on appeloit d'Outre-Petit-Pont, aujourd'hui l'Université.

La rue de la Huchette à Paris
Premiere, dont pas n'a mespris.
Assez tost trouva Sacalie
Et la petite Bouclerie
Et la grand Bouclerie après
Et Herondale tout en près.
En la rue Pavée alé
Où à maint visage halé:
La rue à l'Abbé Saint-Denis.
Siet asez près de Saint Denis,
De la grant rue Saint Germain
Des Prez, si fait rue Cauvin,
Et puis la rue Saint Andri
Dehors mon chemin s'estendi
Jusques en la rue Poupée,
A donc ai ma voie adrécée.
En la rue de la Barre vins
Et en la rue a Poitevins,
En la rue de la Serpent,
De ce de rien ne me repent;
En la rue de la Platriere
La maint une Dame loudière[488]
Qui maint chapel a fait de feuille.
Par la rue de Hautefeuille
Ving en la rue de Champ-petit,
Et au-dessus est un petit[489]
La rue du Paon vraiement:
Je descendi tout bellement
Droit à la rue des Cordeles:
Dame i a[490]; le descort d'elles
Ne voudroie avoir nullement.
Je m'en allai tout simplement
D'iluecques[491] au Palais de Thermes
Où il a celiers et citernes
En cette rue a mainte court.
La rue aux hoirs de Harecourt.
La rue Pierre Sarrazin
Ou l'en essaie maint roncin
Chascun an, comment on le hape[492].
Contreval[493] rue de la Harpe
Ving en la rue Saint Sevring,
Et tant fis qu'au carefour ving:
La Grant rue trouvai briément;
De la entrai premierement
Trouvai la rue as Ecrivains;
De cheminer ne fu pas vains[494]
En la petite ruelette
S. Sevrin; mainte meschinette[495]

Les vers que nous omettons en cet endroit et autres où l'on trouvera du blanc, ne contiennent que des descriptions de lieux qui étoient tolérés alors, et qui sont autorisés aujourd'hui.

. . . . . . . .
En la rue Erembourc de Brie
Alai, et en la rue o Fain;
De cheminer ne fu pas vain,
Une femme vi battre lin,
Par la rue Saint Mathelin.
En l'encloistre m'en retourné
Saint Benoît le bestourné[496];
En la rue as hoirs de Sabonnes
A deux portes belles et bonnes.
La rue à l'Abbé de Cligny
Et la rue au Seigneur d'Igny
Sont près de la rue o Corbel;
Desus siet la rue o Ponel
Y la rue à Cordiers après
Qui des Jacopins siet bien près:
Encontre[497] est rue Saint Estienne;
Que Dieu en sa grace nous tiegne,
Que de s'amour ayons mantel[498].
Lors descendis en Fresmantel
En la rue de l'Oseroie;
Ne sai comment je desvoueroie[499]
Ce conques nul jour[500] ne voué
Ne a Pasques ne a Noué[501]
En la rue de l'Ospital
Ving; une femme i d'espital
Une autre femme folement
De sa parole moult vilement[502].
La rue de la Chaveterie
Trouvai; n'alai pas chiés Marie
En la rue Saint Syphorien
Ou maingnent li logiptien[503]
En pres est la rue du Moine
Et la rue au Duc de Bourgongne
Et la rue des Amandiers près
Siet en une autre rue exprès
Qui a non rue de Savoie.
Guillot de Paris tint sa voie
Droit en la rue Saint Ylaire
Ou une Dame debonnaire
[504]Maint, con apele Gietedas:
Encontre est la rue Judas,
Puis la rue du Petit-Four,
Qu'on appele le Petit-Four:
Saint Ylaire, et puis clos Burniau
Ou l'on a rosti maint bruliau[505]:
Et puis la rue du Noyer.
. . . . . . . .
. . . . . . . .
Enprès est la rue à Plastriers
Et parmi[506] la rue as Englais
Ving à grand feste et à grand glais[507]
La rue à Lavandieres tost
Trouvai; près d'iluec[508] assez tost
La rue qui est belle et grant,
Sainte Geneviéve la grant,
Et la petite ruelete
Dequoi l'un des bouts chien sur l'être[509]
Et l'autre bout si se rapporte
Droit à la rue de la Porte
De Saint Marcel; par Saint Copin
Encontre est la rue Clopin,
Et puis la rue Traversainne
Qui siet en haut bien loin de Sainne[510].
Enprès est la rue des Murs:
De cheminer ne fut pas mus[511],
Jusqu'à la rue Saint Victor
Ne trouvai ne porc ne butor[512],
Mes femmes qui autre conseille[513]:
Puis truis[514] la rue de Verseille
Et puis la rue du Bon puis;
La maint la femme à i chapuis[515]
Qui de maint home a fait ses glais[516].
La rue Alexandre l'Anglais
Et la rue Paveegoire:
La bui-ge[517] du bon vin de beire.
En la rue Saint Nicolas
Du Chardonnai ne fut pas las
En la rue de Bievre vins
Ilueques i petit[518] m'assis.
D'iluec[519] en la rue Perdue:
Ma voie ne fut pas perdue.
Je m'en reving droit en la Place
Maubert, et bien trouvai la trace
D'iluec en la rue à Trois-portes,
Dont l'une le chemin rapporte
Droit à la rue de Gallande
Ou il n'a ne forest ne lande,
Et l'autre en la rue d'Aras
Ou se nourrissent maint grant ras.
Enprès est rue de l'Ecole,
La demeure Dame Nicole;
En celle rue ce me semble
Vent on et fain et fuerre[520] ensemble.
Puis la rue Saint Julien
Qui nous gart de mauvais lien.
M'en reving en la Bucherie,
Et puis en la Poissonnerie.
C'est verité que vous despont[521],
Les rues d'Outre-Petit-Pont
Avons nommées toutes par nom
Guillot qui de Paris, ot[522] nom:
Quatre-vingt par conte en y a.
Certes plus ne mains[523] n'en y a.
En la Cité isnelement[524]
M'en ving après privéement.

Les Rues de la Cité.

La rue du Sablon par m'ame[525];
Puis rue neuve Notre Dame.
En près est la rue à Coulons
D'iluec ne fu pas mon cuer lons[526],
La ruele trouvai briement
De S. Christophe et ensement[527]
La rue du Parvis bien près,
Et la rue du Cloistre après,
Et la grant rue S. Christofle:
Je vis par le trelis d'un coffre
En la rue Saint Pere à beus
Oisiaus qui avoient piez beus[528]
Qui furent pris sur la marine[529].
De la rue Sainte Marine
En la rue Cocatris vins,
Où l'en boit souvent de bons vins,
Dont maint homs souvent se varie[530]
La rue de la Confrairie
Nostre-Dame
; et en Charoui
Bonne taverne achiez[531] ovri.
La rue de la Pomme assez tost
Trouvai, et puis après tantost
Ce fu la rue as Oubloiers;
La maint Guillebert a braiés.
Marcé Palu, la Juerie
Et puis la petite Orberie
Qui en la Juerie siet.
Et me semble que l'autre chief
Descent droit en la rue à Feves
Par deça la maison o fevre.
La Kalendre et la Ganterie
Trouvai, et la grant Orberie.
Après, la grant Bariszerie;
Et puis après la Draperie
Trouvai et la Chaveterie,
Et la ruele Sainte Croix
Ou l'en chengle[532] souvent des cios.
La rue Gervese Lorens
Ou maintes Dames ygnorents
Y maignent[533] qui de leur quiterne[534]
En pres rue de la Lanterne.
En la rue du Marmouset
Trouvai[535] homme qui mu fet
Une muse corne bellourde.
Par la rue de la Coulombe
Alai droit o port Saint-Landri:
La demeure Guiart Andri.
Femmes qui vont[536] tout le chevez
Maignent[537] en la rue de Chevés.
Saint Landri est de l'autre part,
La rue de l'Ymage départ[538]
La ruele par Saint Vincent[539]
En bout de la rue descent
De Glateingni, ou bonne gent
Maingnent, (manent) et Dames o corps gent[540]
. . . . . . . . .
La rue Saint-Denis de la Chartre.
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
En ving en la Peleterie
Mainte peine y vi esterie[541].
En la faute[542] du pont m'assis.
Certes il n'a que trentesix
Rues contables[543] en Cité
Foi que doi Benedicite[544].

Les rues du quartier d'outre le Grand pont, dit aujourd'hui LA VILLE.

Par deça Grant pont erraument[545]
M'en ving, sçachiez bien vraiment
N'avoie alenas[546] ne poinson.
Premiere, la rue o Poisson
La rue de la Saunerie
Trouvai, et la Mesguiscerie
L'Escole et rue Saint Germain
A Couroiers bien vint à main
Tantost la rue a Lavendiere
Ou il a maintes lavendieres.
La rue à moignes de Jenvau
Porte à mont et porte à vau;
En près rue Jean Lointier
Là ne fu je pas trop lointier[547]
De la rue Bertin Porée.
Sans faire nulle eschauffourée
Ving en la rue Jean l'Eveiller;
Là demeure Perriaus Goullier.
La rue Guillaume Porée près
Siet, et Maleparole en près,
Ou demeure Jean Asselin.
Parmi[548] le Berrin Gasselin;
Et parmi[549] la Hedengerie,
M'en ving en la Tableterie
En la rue à petit soulers
De bazenne tout fut souillés
D'esrer[550] ce ne (fu) mie fortune.
Par la rue Sainte Opportune
Alai en la Charonnerie,
Et puis en la Féronnerie;
Tantost trouvai la Mancherie,
Et puis la Cordoüanerie,
Près demeure Henry Bourgaie;
La rue Baudouin Prengaie
Qui de boire n'est pas lanier[551].
Par la rue Raoul l'Avenier[552]
Alai o siege a Descarcheeurs.
D'ileuc[553] m'en allai tantost ciex[554]
Un tavernier en la viez place
A Pourciaux, bien trouvai ma trace
Guillot qui point d'eur bon n'as[555].
Parmi la rue a Bourdonnas
Ving en la rue Thibaut a dez,
Un hons trouvai en ribaudez[556]
En la rue de Bethisi
Entré, ne fus pas ethisi[557]:
Assez tost trouvai Tire chape;
N'ai garde que rue m'eschape
Que je ne sache bien nommer
Par nom, sans nul mesnommer[558].
Sans passer guichet ne postis[559]
En la rue au Quains de Pontis
Fis un chapia[560] de violete.
La rue o serf et Glorïete
Et la rue de l'arbre sel
Qui descent sur un biau ruissel[561]
Trouvai et puis Col de Bacon
. . . . . . . . .
Et puis le Fossé Saint Germain
Trou-Bernard trouvai main à main,
Part ne compaigne[562] n'attendi,
Mon chemin a val s'estendi
Par le saint Esperit[563], de rue
Sus la riviere en la Grant-rue
Seigneur de la porte du Louvre;
Dames y a gentes et bonnes,
De leurs denrées sont trop riches.
Droitement parmi Osteriche
Ving en la rue saint Honouré,
La rue trouvai-je Mestre Huré,
Lez lui[564] seant Dames polies.
Parmi la rue des Poulies
Ving en la rue Daveron
Il y demeure un Gentis-hon.
Par la rue Jehan Tison
N'avoie talent de proier[565],
Mès par la Croix de Tiroüer
Ving en la rue de Neele
Navoie tabour ne viele:
En la rue Raoul Menuicet
Trouvai un homme qui mucet[566]
Une femme en terre et ensiet,
La rue des Estuves en près siet.
En près est la rue du Four:
Lors entrai en un carefour,
Trouvai la rue des Escus
Un homs à grans ongles locus[567]
Demanda, Guillot, que fais tu?
Droitement de Chastiau-Festu
M'en ving à la rue a Prouvoires
Ou il a maintes pennes vaires[568];
Mon cuer si a bien ferme veue.
Par la rue de la Croix neuve
Ving en la rue Raoul Roissole,
N'avoie ne plais[569] ne sole
La rue de Montmartre trouvai
Il est bien seu et prové
Ma voie fut delivre[570] et preste
Tout droit par la ruelle e piestre[571]
Ving à la pointe Saint Huitasse
Droit et avant sui[572] ma trace
Jusques en la Tonnellerie
Ne sui pas cil qui trueve lie.
Mais par devant la Halle au blé
Ou l'en a mainte fois lobé[573]
M'en ving en la Poissonnerie
Des Halles, et en la Formagerie,
Tantost trouvai la Ganterie,
A l'encontre est la Lingerie
La rue o Fevre siet bien près
Et la Cossonnerie après.
Et por moi mieux garder des Halles
Par dessous les avans des Halles
Ving en la rue à Prescheeurs
La bui[574] avec Freres Meneurs
Dont je n'ai pas chiere marie[575]
Puis alai en la Chanvrerie
Assez près trouvai Maudestour
Et le carrefour de la Tour,
Ou l'on giete mainte sentence
En la maison à Dam[576] Sequence
Le puis le carrefour départ[577]:
Jehan Pincheclou d'autre part
Demeura tout droit a l'encontre.
Or dirai sans faire lonc conte[578]
La petite Truanderie
Es rues des Halles s'alie
La rue au Cingne ce me samble
Encontre Maudestour assamble
Droit à la grant Truanderie
Et Merderiau n'obli-je mie,
Ne la petite ruéléte
Jehan Bingne
par saint-Clerc[579]suréte[580].
Mon chemin ne fut pas trop rogue[581]
En la rue Nicolas Arode
Alai, et puis en Mauconseil.
Une Dame vi sur un seil[582]
Qui moult se portoit noblement;
Je la saluai simplement,
Et elle moi par saint Loys.
Par la sainte rue Saint Denis
Ving en la rue as Oües droit
Pris mon chemin et mon adroit
Droit en la rue Saint-artin
Ou j'oi chanter en latin
De Nostre Dame un si dous chans.
Par la rue des Petits Champs
Alai droitement en Biaubourc
Ne chassoie chievre ne bouc:
Puis truit la rue a Jongleeurs
Con ne me tienne à jeugleeurs[583].
De la rue Gieffroi l'Angevin
En la rue des Estuves vin,
Et en la rue Lingariere
La ou leva mainte plastriere
D'archal mise en œuvr pour voir[584]
Plusieurs gens pour leur vie avoir
Et puis la rue Sendebours
La Trefilliere
a l'un des bous,
Et Quiquenpoit que j'ai moult chier,
La rue Auberi le Bouchier
Et puis la Conreerie aussi,
La rue Amauri de Roussi,
En contre Troussevache chiet,
Que Diex gart qu'il ne nous meschiet[585],
Et la rue du Vin-le-Roy,
Dieu grace on n'a point de desroy[586]
En la Viez Monnoie par sens
M'en ving aussi conpar à sens[587].
Au-dessus d'iluec un petit
Trouvai le Grand et le Petit
Marivaux, si comme il me samble;
Li uns à l'autre bien s'assamble;
Au dessous siet la Hiaumerie
Et assez prez la Lormerie
Et parmi la Basennerie
Ving en la rue Jehan le Conte;
La Savonnerie en mon conte
Ai mise: Par la Pierre o let
Ving en la rue Jehan Pain molet,
Puis truis[588] la rue des Arsis;
Sus un siege un petit m'assis
Pour ce que le repos fu bon:
Puis truis les deux rues Saint Bon.
Lors ving en la Buffeterie,
Tantost trouvai la Lamperie,
Et puis la rue de la Porte
Saint Mesri
; mon chemin s'apporte
Droit en la rue à Bouvetins.
Par la rue a Chavetiers tins
Ma voie en la rue de l'Estable
Du Cloistre
qui est honestable
De Saint Mesri en Baillehoe
Ou je trouvai beaucoup de boe
Et une rue de renon.
Rue neuve Saint Mesri a non.
Tantost trouvai la Cour Robert
De Paris
. Mes par saint Lambert
Rue Pierre o lart siet près,
Et puis la Bouclerie après:
Ne la rue n'oublige pas
Symon le Franc. Mon petit pas
Alai vers la Porte du Temple;
Pensis ma main de lez[589] ma temple.
En la rue des Blans Mantiaux
Entrai, où je vis mainte piaux
Mettre en conroi[590] et blanche et noire;
Puis truis la rue Perrenelle
De Saint Pol
, la rue du Plastre
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
En près est la rue du Puis.
La rue à Singes après pris
Contreval[591] la Bretonnerie
M'en ving plain de mirencolie[592]:
Trouvai la rue des Jardins
Ou les Juifs maintrent[593] jadis;
O carrefour du Temple vins
Ou je bui plain henap de vin
Pour ce que moult grand soif avoie.
A donc me remis a la voie,
La rue de l'Abbaye du Bec.
Hellouin trouvai par abec[594],
M'en allai en la Verrerie
Tout contreval la Poterie
Ving au carrefour Guillori
Li un di ho, l'autre hari,
Ne perdit pas mon essien[595].
La ruelete Gencien
Alai, ou maint un biau varlet[596],
Et puis la rue Andri Mallet,
Trouvai la rue du Martrai,
En une ruelle tournai
Qui de Saint Jehan voie à porte[597]
En contre la rue des Deux Portes.
De la viez Tisseranderie
Alai droit en l'Esculerie
Fit en la rue de Chartron
. . . . . . . .
. . . . . . . .
En la rue du Franc-Monrier
Alai, et vieux-cimetiere
Saint Jehan meisme en cotiere[598]
Trouvai tost la rue du Bourg—
Tibout, et droit a l'un des bous
La rue Anquetil le Faucheur
La maint un compain tencheeur[599].
En la rue du Temple alai
Isnelement[600] sans nul délai:
En la rue au Roi de Sezille
Entrai; tantost trouvai Sedile[601],
En la rue Renaut le Fevre
Maint, ou el vent et pois et feves
En la rue de Pute-y-muce
Y entrai en la maison Luce
Qui maint en rue de Tyron
Des Dames ymes[602] vous diron
La rue de l'Escoufle est près
Et la rue des Rosiers près
Et la grant-rue de la Porte
Baudeer
si con se comporte
M'en allai en rue Percié
Une femme vi destrecié[603]
Pour soi pignier[604], qui me donna
De bon vin. Ma voie adonna
En la rue des Poulies Saint Pou
Et au dessus d'iluec un pou[605]
Trouvai la rue a Fauconniers.
. . . . . . . .
. . . . . . . .
Parmi la rue du Figuier
Et parmi la rue a Nonains
D'Iere, vi chevaucher deux nains
Qui moult estoient esjoi.
Puis truis la rue de Joy
Et la rue Forgier l'Anier,
[606]Je ving en la Mortellerie
Ou a mainte tainturerie
La rue Ermeline Boiliaue
La rue Garnier sus l'yaue
Trouvay, à ce mon cuyer s'atyre[607]:
Puis la rue du Cimetire
Saint Gervais
, et l'Ourmeciau,
Sans passer fosse ne ruisseau
Ne sans passer planche ne pont
La rue a Moines de Lonc-pont
Trouvai, et rue Saint Jehan
De Greve
, ou demeure Jouan
Un homs qu' n'a pas vue saine
Près de la ruele de Saine
En la rue sus la riviere
Trouvai une fausse estriviere[608].
Si m'en reving tout droit en Gréve
Le chemin de rien ne me gréve
Tantost trouvai la Tannerie
Et puis après la Vannerie
La rue de la Coifferie
Et puis après la Tacherie
Et la rue aux Commenderesses
Ou il a maintes tencheresses[609]
Qui ont maint homme pris o brai[610]
Par le Carefour de Mibrai
En la rue Saint Jacque et ou porce[611]
M'en ving, n'avois sac ni poce[612]:
Puis alai en la Boucherie
La rue de l'Escorcherie
Tournai; parmi la Triperie
M'en ving en la Poulaillerie,
Car c'est la dernière rue
Et si siet droit sur la Grant-rue.

Guillot si fait à tous sçavoir,
Que par deça Grand pont pour voir[613]
N'a que deux cent rues mains six:
Outre Petit-pont quatre-vingt
Dedans les murs non pas dehors.
Les autres rues ai mis hors
De sa rime puisqu'il n'ont chief[614].
Ci vout faire de son Dit chief[615]
Guillot, qui a fait maint bias dits,
Dit qu'il n'a que trois cent et dix
Rues à Paris vraiement
Le dous Seigneur du Firmament
Et sa tres douce chiere Mere
Nous défende de mort amere.

Explicit le Dit des Rues de Paris.

Guillot marque expressément qu'il a exclu de son ouvrage le nom des rues sans chief, c'est-à-dire qu'il ne fait aucune mention des culs-de-sac, de manière que si les noms de quelques-uns de ceux qui existent aujourd'hui se trouvent dans cette nomenclature, c'est qu'ils auront été formés depuis par la construction de quelque édifice, ce qui est arrivé quelquefois, et même dans le siècle dernier.

Il résulte de son calcul qu'il n'y avoit alors que trois cent dix rues à Paris. L'abbé Lebeuf observe que, dans le quartier d'au-delà du Grand pont[616], ce poète compte cent quatre-vingt-quatorze rues, et n'en nomme que cent quatre-vingt-quatre dans ses vers. Ce savant présume que cette différence vient de quelque erreur de copiste, et l'on voit en effet, dans Sauval, qu'en 1300 il existoit plusieurs rues de ce quartier-là qui ne sont point spécifiées dans ce poëme. Il y avoit, par exemple, sur la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, la rue gui d'Aucerre, la rue gui le Braolier, la rue Gilbert l'Anglois; sur celle de Saint-Eustache, la rue de Verneuil, la rue Alain de Dampierre; sur celle de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, la rue Jean Bonne Fille; sur celle de Saint-Jean, la cour Harchier; sur celle de Saint-Méri, la rue Guillaume Espaulart.

Gilles Corrozet, qui vivoit vers le milieu du seizième siècle, ne compte encore dans cette ville que quatre cents rues ou ruelles. Aujourd'hui il y en a plus de mille.

RUES DE L'ÎLE DE LA CITÉ.

Rue de l'Abreuvoir. Elle alloit du cloître Notre-Dame à la Seine. Lorsque l'endroit vulgairement appelé le Terrain eut été environné de murs, on y laissa un côté ouvert pour conduire les chevaux à la rivière, et c'est de là que cette rue a pris son nom[617].

Rue Sainte-Anne. Elle commence à la rue Saint-Louis, et aboutit à l'une des portes du Palais. Cette rue fut ouverte en 1631, et nommée ainsi en l'honneur de la reine Anne d'Autriche. C'étoit par cette rue que le roi passoit chaque fois qu'il alloit au Palais.

Rue de l'Arcade. Elle donne d'un bout dans la rue de Nazareth, de l'autre dans la cour du Palais, et doit son nom à la voûte qui sert de communication aux bâtiments de la chambre des comptes. Elle se nommoit autrefois rue de Jérusalem, et l'on présume que ce nom lui venoit de l'hospice où saint Louis logeoit les pélerins qui alloient à Jérusalem ou qui en revenoient[618].

Rue de la Barillerie. Elle commence à la descente du pont Saint-Michel, et finit à la rue Saint-Barthélemi. En 1398, la partie de cette rue qui commence à celle de la Calendre se nommoit rue du Pont-Saint-Michel[619]. Dès l'an 1280 elle est appelée Barilleria. Guillot la nomme la grant Bariszerie. Ce surnom de grande a pu lui être donné pour la distinguer d'une ruelle de la Barillerie qui lui étoit parallèle, et alloit de la rue de la Calendre à la rivière. Celle-ci est maintenant coupée et couverte de maisons.

Rue Saint-Barthélemi. Elle continue la rue de la Barillerie, et finit à la place du pont au Change. On ne la distinguoit point de cette dernière au quatorzième siècle. Cependant dès 1220 on lui trouve le nom qu'elle porte encore aujourd'hui[620].

Rue de Basville. On a donné ce nom à une communication de la cour Neuve à celle de Lamoignon, construite par les ordres de Guillaume de Lamoignon, premier président et seigneur de Basville.

Rue de la Calendre. Elle donne d'un bout dans la rue de la Barillerie, et de l'autre dans la rue du Marché-Palu, vis-à-vis celle de Saint-Christophe. Elle portoit ce nom dès 1280; mais on ignore s'il lui venoit d'une enseigne ou si elle le devoit à quelque famille[621]. On trouve dans le censier de saint Éloi de 1343, une maison qui fut à Jean de la Kalendre[622]; une autre indiquée sous le même nom en 1351; et dans celui de 1367, la maison à Nicolas le Kalendreur, où souloient être les lions du roi. Cependant elle n'a pris ce nom que vers le milieu du treizième siècle, et avant cette époque on la voit désignée dans les titres sous la dénomination générale de Via quâ itur à Parvo ponte ad plateam Sancti-Michaelis.

Rue des Trois-Canettes. Elle donne d'un bout dans la rue de la Licorne, et de l'autre dans celle de Saint-Christophe. Elle est désignée sous les deux noms de la Pomme Rouge et des Canettes, dans un arrêt du 4 juillet 1480[623]. Sauval rapporte l'extrait d'un compte de 1421[624], où est indiquée une rue de l'Homme Sauvage, dont la situation annonce de l'identité avec celle-ci. Le peuple a souvent substitué à l'ancien nom des rues celui d'une enseigne ou d'une maison plus remarquable.

Rue des Carcaisons. Elle aboutit à la rue de la Calendre et au Marché-Neuf. Ce nom, dont on ne peut découvrir l'origine, n'a jamais varié que dans la manière de l'écrire, Sauval l'appelle d'Escarcuissons, d'autres, des Carquillons, des Carcuissons ou Carcaissons. Il y a dans cette rue un cul-de-sac du même nom.

Rues Chanoinesse, des Chantres et du Chapitre. On a donné ces noms à trois rues qui sont dans le cloître Notre-Dame. La rue du Chapitre a reçu depuis peu le nom de rue Massillon.

Rue Saint-Christophe. Elle commence au coin de la rue de la Juiverie et du Marché-Palu, et aboutit au Parvis. Elle doit son nom à l'église qui existoit en cet endroit. Dans les anciens titres elle est indiquée sous celui de la Regraterie[625]. Guillot l'appelle grant rue Saint-Christophe pour la distinguer d'une ruelle qui portoit le même nom et qui n'existe plus. Cette ruelle, désignée depuis sous le nom de rue de la Huchette, fut comprise dans le Parvis Notre-Dame.

Dans la rue Saint-Christophe est un cul-de-sac qui porte le nom de cul-de-sac de Jérusalem.

Cloître Notre-Dame. On entend sous ce nom tout l'espace compris depuis le Terrain jusqu'au pont Rouge; de là en suivant les rues d'Enfer et de la Colombe, jusqu'à l'extrémité de la rue des Marmousets, puis en retour l'alignement qui alloit rejoindre la porte placée, avant la révolution, auprès de l'église Notre-Dame. Dans cet espace étoient situées la chapelle de Saint-Agnan, l'église de Saint-Denis-du-Pas et celle de Saint-Jean-le-Rond[626].

Rue Cocatrix. Elle aboutit à la rue Saint-Pierre-aux-Bœufs et à celle des Canettes. Le nom de Cocatrix est celui d'une famille fort connue au treizième siècle, et du fief qui lui appartenoit[627]. Il étoit situé entre la rue Saint-Pierre-aux-Bœufs et celle des Deux-Ermites. Un acte de 1300 l'indique ainsi: Domus Cocatricis quæ contigit domui Marmosetorum.

Rue de la Colombe. Elle traverse de la rue des Marmousets dans la rue d'Enfer. On voit dans un acte d'amortissement de deux maisons, fait à l'Hôtel-Dieu[628], qu'elle portoit ce nom en 1223. Cependant Sauval dit qu'elle se nommoit rue de la Couronne en 1408. Jaillot pense qu'il s'est trompé, et que ce nom n'a été donné qu'à la rue du Chevet Saint-Landri.

Rue Sainte-Croix. Elle aboutit aux rues de la Vieille-Draperie et Gervais-Laurent. Au douzième siècle on la nommoit petite rue Sainte-Croix, et dans les siècles suivants, ruelle Sainte-Croix[629].

Rue de la Vieille-Draperie. Elle va de la rue de la Barillerie à celle de la Juiverie, vis-à-vis la rue des Marmousets. C'est une des plus anciennes rues de la Cité: elle étoit en partie habitée par des Juifs; et lorsqu'ils en furent chassés en 1183, Philippe-Auguste y établit des drapiers, auxquels il donna vingt-quatre maisons, moyennant cent livres de rente[630]: c'est ce qui lui fit donner le nom de Judæaria Pannificorum[631]. En 1293 on l'appeloit la Draperie, et en 1313 la Viez-Draperie[632]. Tous les titres du quinzième siècle l'appellent rue de la Vieille-Draperie, et depuis, ce nom n'a pas varié; elle fut élargie à ses deux extrémités dans le dix-septième siècle[633].

Rue Saint-Éloi. Elle traverse de la rue de la Calendre dans celle de la Vieille-Draperie. En 1280 cette rue s'appeloit Cavateria; Guillot la nomme la Chavaterie, et les censives de Saint-Éloi de 1343 et 1367, la Cavaterie et la Saveterie. Enfin elle fut nommée de Saint-Éloi, parce qu'elle fut ouverte sur la partie de l'église et du chœur du monastère de ce saint.

Dans cette rue est un cul-de-sac nommé de Saint-Martial, parce qu'il conduisoit à l'église de ce nom. On disoit ruelle Saint-Macial en 1398[634], ruelle du Porche Saint-Martial en 1404, et rue Saint-Martial en 1459.

Rue d'Enfer. Elle commence à la rue Basse-des-Ursins, et aboutit à la porte du cloître de Notre-Dame et au pont Rouge. On ne doit chercher l'étymologie de ce nom que dans l'ancienne situation de cette rue, qui n'étoit pas alors séparée de la rivière par un quai[635]. Les registres capitulaires de Notre-Dame la nomment via inferior, portus Sancti-Landerici. En 1300, 1313 et depuis, on la nommoit le port Saint-Landri, rue Saint-Landri, du port Saint-Landri, et grant rue Saint Landri-sur-l'Yaue. Vers le milieu du seizième siècle, elle a pris le nom de rue d'Enfer[636]; et dernièrement le nom de cette rue a été changé en celui de rue Basse-des-Ursins.

Rue l'Évêque. Elle commence à la première porte de l'Archevêché, et aboutit à la rivière et au pont de l'Hôtel-Dieu. C'étoit en cet endroit que commençoit le port l'Évêque, c'est-à-dire le rivage qui règne le long du jardin de l'Archevêché, jusqu'au Terrain. On la nommoit, en 1282, rue du port l'Évêque et rue des Bateaux, vicus ad Batellos[637]. La justice du chapitre s'étendoit jusque là, ainsi que le prouvent une de ses ordonnances, et la transaction passée entre Étienne Tempier, évêque de Paris, et le chapitre de Notre-Dame en 1272[638]. Plusieurs autres titres en font également foi.

Rue aux Fèves. Elle va de la rue de la Vieille-Draperie à celle de la Calendre. On n'a guère varié que sur l'orthographe de son nom, mais les différentes façons de l'écrire ont donné lieu à différentes étymologies. Elle est nommée rue aux Fèves dans un titre de 1291[639], ainsi que dans Guillot; et dans les actes du chapitre du quatorzième siècle, etc., vicus Fabarum. D'autres l'ont appelée rue au Feure, mot qui signifie de la paille; ce qui paroîtroit assez plausible, à cause du marché au blé qui en étoit voisin[640]. Enfin il y en a qui ont écrit: rue aux Febvres, aux Fevres (via ad Fabros)[641]. Ce dernier nom paroît le véritable, parce qu'elle est indiquée ainsi dans le plus ancien titre qui en fasse mention. Ce sont des lettres de saint Louis de 1260, par lesquelles il cède trente sous de cens sur une maison; in vico Fabrorum, prope S. Martialem[642].

Rue du Four-Basset. C'étoit un passage qui communiquoit de la rue de la Juiverie dans la rue aux Fèves, et qui est fermé depuis long-temps. Guillot le nomme en 1300 la petite Orberie. Dans le rôle des taxes de 1313 il est indiqué rue du Four-Basset, soit que ce nom lui vînt d'un four bâti en cet endroit, soit qu'il le dût à une grande maison nommée la Cour-Basset, dont il est fait mention dans un censier de Saint-Éloi[643].

Rue Gervais-Laurent. Elle donne d'un bout dans la rue de la Lanterne, et de l'autre dans celle de la Vieille-Draperie. En 1248, 1250, etc., on la nommoit vicus Gervasii Loorandi, vicus de Loorens, Lohorens[644]; en 1300 et 1313, rue Gervese-Lorens. On a dit depuis Gervais-Laurent.

Rue de Glatigny. Elle commence à la rue des Marmousets, et aboutit à la rivière. On donnoit le nom de Glateingni à cette rue et aux environs de Saint-Denis-de-la-Chartre jusqu'à l'hôtel des Ursins. Des titres disent qu'on y voyoit une maison de Glategni, qui, en 1241, appartenoit à Robert et Guillaume de Glatigni[645]. En 1266 on trouve des maisons indiquées in Glatigniaco[646]. Dès le quatorzième siècle, cette rue étoit habitée par des femmes publiques, et on la nommoit le val d'Amour. En 1380 elle avoit aussi le nom de rue au Chevet de Saint-Denis-de-la-Chartre. Mais alors même on la nommoit, comme avant et après, rue de Glatigny.

Rue de Harlay. Elle traverse du quai de l'Horloge à celui des Orfèvres, et doit son nom, comme nous l'avons déjà dit, au premier président de Harlay, à qui le roi avoit donnée, en 1607, les deux petites îles qui étoient au bout du jardin du Palais. En 1672 on abattit une maison, afin d'y pratiquer une porte et un passage qui communiquât à la cour Neuve.

Rue des Deux-Ermites. Elle donne d'un bout dans la rue Cocatrix, et de l'autre dans celle des Marmouzets. En 1220 on la nommoit la cour Ferri de Paris, proprisia Ferrici dicti Paris. On la nomma ensuite rue de la Confrérie Notre-Dame, parce que la maison de la Communalité des Chapelains y étoit située[647], et au seizième siècle, rue de l'Armite, ensuite des Ermites, et des Deux-Ermites, à cause d'une maison qui avoit cette enseigne. En 1640 elle est indiquée dans le rôle des commissaires de ce quartier, sous le nom des Deux Serviteurs[648].

Rue de la Juiverie. Elle continue la rue du Marché-Palu, et aboutit à celle de la Lanterne. Les juifs qui y demeuroient lui ont fait donner ce nom, qui n'a varié que dans l'orthographe. Guillot écrit la Juerie; en 1313, la Juyrie; la Juisvie en 1405, Juiferie et Juifrie en 1450 et 1560. Il y avoit dans cette rue un marché au blé, qu'on appeloit la halle de Beauce. Un titre nous apprend que Philippe-Auguste la donna à son échanson[649].

Rue Saint-Landri. Elle commence à la rue des Marmouzets, et finit à la rivière. Elle étoit anciennement désignée sous le nom de port Notre-Dame[650], et confondue avec la rue d'Enfer et celle des Ursins. En 1267 on la nommoit Terra ad Batellos[651]. L'évêque, vers ce même temps, y avoit une maison, nommée de la Lavanderie[652]. Le bout de ce chemin, vers le pont Rouge, se nommoit Fimus en 1213; Firmarium et vicus Firmarii en 1219 et 1222; rue du Fumer en 1248[653].

Au bout de cette rue étoit une petite ruelle qui aboutissoit à la rivière et qui depuis a été fermée à ses deux extrémités. En 1265 on la nommoit rue Percée[654].

Rue du Chevet-Saint-Landri. Elle donne d'un bout dans la rue des Marmouzets, et de l'autre dans la rue d'Enfer; dès le treizième siècle on disoit le Chevez-Saint-Landri, parce que le fond de cette église, qu'on nomme le Chevet, donnoit dans cette rue. Dans un bail fait en 1451 par l'abbé de Saint-Victor, elle est nommée rue de la Couronne[655]. Il y a dans cette rue un cul-de-sac qui porte le même nom.

Rue de la Lanterne. Elle continue la rue de la Juiverie, et aboutit au pont Notre-Dame. Elle est appelée, dans les cartulaires de Saint-Denis-de-la-Chartre, rue de la place de Saint-Denis-de-la-Chartre, rue devant la place et l'église Saint-Denis, rue devant la Croix Saint-Denis, rue du Pont-Notre-Dame[656]. Son dernier nom lui vient d'une enseigne; et on le trouve dès 1326[657], puis dans la liste des rues du quinzième siècle, dans Corrozet, et sur tous les plans.

Rue de la Licorne. Elle traverse de la rue Saint-Christophe à celle des Marmouzets. En 1269 elle étoit appelée rue près le Chevet de la Madeleine; mais elle étoit déjà connue sous le nom de vicus Nebulariorum, rue as Oubloyers, des Oublayers, Oblayers, aux Obléeurs et Oublieurs[658]. Elle prit le nom qu'elle porte encore aujourd'hui, d'une ruelle qui y aboutissoit, et dans laquelle pendoit une enseigne de la Licorne.

Rue Saint-Louis. Elle aboutissoit au pont Saint-Michel et au quai des Orfèvres. On commença à l'ouvrir sous le règne de Henri IV, pour faciliter la communication avec le pont Neuf. On l'appela d'abord la rue Neuve, et ensuite la rue Neuve-Saint-Louis[659].

Rue du Marché-Neuf. Elle commence au bout du pont Saint-Michel, et aboutit à la rue du Marché-Palu, en face de la rue Neuve-Notre-Dame. On comprend sous ce nom le marché et les deux petites rues qui y conduisent. Guillot l'appelle la grant Orberie. Elle étoit autrefois bouchée du côté du Marché-Palu, et ce ne fut qu'en 1557 qu'on l'ouvrit pour en faire un marché[660]. En 1560 le quai Saint-Michel fut construit[661], et l'on bâtit, quelques années après, dix-sept boutiques, une halle au poisson et deux boucheries aux deux extrémités, vers les deux ponts. Ces travaux ayant été terminés en 1568, les marchands de poissons et d'herbes qui se tenoient près le Petit-Châtelet eurent ordre de s'établir dans ce marché. En 1734, douze maisons furent démolies; on ne conserva qu'une boucherie, et l'on établit un corps-de-garde à l'autre extrémité[662].

Rue du Marché-Palu. Elle commence au petit Pont et finit au coin des rues de la Calendre et de Saint-Christophe. Elle étoit connue sous ce nom au treizième siècle, et il ne paroît pas qu'elle en ait changé depuis[663]. Elle doit sans doute ce titre de Marché à celui qui s'y voyoit de toute ancienneté, et qui s'étendoit dans la rue de la Juiverie. On y vendoit du blé, des herbes et des légumes. Le surnom de Palu lui vient de ce que cet endroit étoit humide et non pavé. Il ne faut pas croire cependant que ce terrain, quoiqu'il ait été depuis considérablement exhaussé, fût alors un marais. Il y avoit une enceinte de murs autour de la Cité, qui en mettoit l'intérieur à l'abri des inondations, et le marché étoit à une certaine distance du rivage; mais les eaux pluviales et toutes celles de la Cité qui passoient par cet endroit pour se rendre à la rivière, comme elles y passent encore aujourd'hui, le rendoient extrêmement marécageux[664].

Rue des Marmouzets[665]. Elle commence à la rue de la Juiverie, et aboutit au cloître Notre-Dame, au coin de la rue de la Colombe. Elle doit ce nom à une grande maison appelée, dans les anciens titres, domus Marmosetorum[666]; ce nom n'a guère varié. Guillot la nomme du Marmouzet; le rôle des taxes de 1313, des Marmozets; la liste des rues du quinzième siècle, des Marmouzettes.

Rue du Haut-Moulin. Elle aboutit aux rues de la Lanterne et de Glatigny. Guillot la nomme rue Saint-Denis-de-la-Chartre. Il paroît, par les titres de ce prieuré, que, dès 1204, elle s'appeloit rue Neuve Saint-Denis[667]; cependant, dans un acte de 1206, elle n'est indiquée que sous le nom de Strata anterior. Au milieu du seizième siècle, cette rue étoit partagée en deux parties; l'une s'appeloit rue Saint-Symphorien, et l'autre des Hauts-Moulins[668].

Rue de Nazareth. Elle commence au quai des Orfèvres, et aboutit à l'hôtel du premier président[669]. Anciennement elle se nommoit rue de Galilée.

Rue Neuve Notre-Dame. Elle aboutit au Marché-Palu et au Parvis de la cathédrale. Elle fut ouverte par Maurice de Sully, évêque de Paris; avant lui il n'y avoit point de rue en cet endroit, et l'on se rendoit de ce coté à Notre-Dame par la rue des Sablons, qui étoit située entre les maisons de cette rue et les bâtiments de l'Hôtel-Dieu. La rue nouvelle prit d'abord le nom de Neuve, qu'elle portoit encore en 1250. On y ajouta ensuite celui de Notre-Dame, qu'elle a toujours conservé depuis.

Il y avoit anciennement quatre rues qui aboutissoient à celle-ci, et qui ne subsistent plus. La première forme un cul-de-sac appelé de Jérusalem; les trois autres s'appeloient rues du Coulon[670], de Venise[671] et du Parvis[672]. Ces trois dernières rues ont été comprises dans l'agrandissement du Parvis et dans les bâtiments des Enfants-Trouvés.

Place du Palais. Elle fut construite, par ordre de Louis XVI, en 1787. Avant cette époque, la rue de la Vieille-Draperie se prolongeoit jusqu'à celle de la Barillerie, à l'exception du vide que formoit l'emplacement de la maison de Jean-Châtel.

Rue de la Pelleterie. Elle aboutissoit d'un côté à la rue Saint-Barthélemi, et de l'autre à la rue de la Lanterne, vis-à-vis Saint-Denis-de-la-Chartre. Au douzième siècle elle étoit occupée par les juifs; et après leur expulsion, Philippe-Auguste, par ses lettres de 1183, donna, moyennant 73 livres de cens, dix-huit de leurs maisons aux Pelletiers, qui s'y établirent, et lui donnèrent leur nom[673]. Auparavant, elle est indiquée sous celui de Macra-Madiana, dont on n'a pu trouver la signification[674]. Depuis 1300, elle a pris le nom de la Vieille-Pelleterie, et ce nom n'a pas changé.

Il y avoit quatre ruelles dans cette rue, l'une étoit désignée sous le nom de Port-aux-Œufs (Voy. ci-après); les trois autres n'étoient connues que sous la dénomination générale de ruelles allant à la Seine[675]. Le côté de la rue de la Pelleterie qui longeoit la rivière a été abattu, et sur l'espace qu'il occupoit on a établi le Marché-aux-Fleurs; l'autre côté de la rue existe, et a conservé son ancien nom.

Rue Perpignan. Elle traverse de la rue des Trois-Canettes dans celle des Marmouzets. Elle s'appeloit au douzième siècle rue Charauri[676], rue de Champrosai en 1399[677]. Ce nom a été altéré depuis, et changé en ceux de Champron, de Champourri, de Champrousiers, des Champs-Rousiers, du Champ-Flori et de Champrosy. Le nom de Perpignan vient de celui d'un jeu de paume qui s'y trouvoit au commencement du seizième siècle.

Rue Saint-Pierre-aux-Bœufs. Elle donne d'un côté dans la rue des Marmouzets, et de l'autre elle aboutit au Parvis. On la trouve indiquée, dès 1206, sous le nom de la rue Saint-Pierre-aux-Bœufs. Guillot l'appelle rue Saint-Pierre-à-Beus. Les prisons du chapitre étoient anciennement situées dans cette rue.

Le cul-de-sac Sainte-Marine est ouvert dans cette rue. Il portoit au douzième siècle le nom de ruelle Sainte-Marine. Une ordonnance du chapitre de Notre-Dame, du 26 août 1417, ordonna de fermer cette ruelle à l'une de ses extrémités[678]. Elle y est simplement désignée par ces mots: Viculus contiguus Januæ claustris ante S. Johannem Rotundum.

Rue du Port-aux-Œufs. Le Port-aux-Œufs est un des plus anciens de Paris. On en connoît l'emplacement par cette rue ou ruelle qui aboutissoit d'un côté dans la rue de la Pelleterie, et de l'autre à la rivière. En 1259 on la nommoit ruelle Jean-Notteau[679], en 1398 elle s'appeloit rue Garnier-Marcel[680]. Le terrain de cette rue qui a été détruite est maintenant renfermé dans celui qu'occupe le marché aux Fleurs.

Le Terrain. Voy. p. 208.

Rues Haute, Basse et du Milieu des Ursins. Les deux premières sont traversées par celle qu'on appelle du Milieu, et aboutissent d'un côté dans la rue de Glatigny, et de l'autre dans celle de Saint-Landri. Elles tirent leur nom de Juvénal des Ursins, prévôt des marchands, qui occupoit un hôtel au port Saint-Landri. Cet hôtel étant tombé en ruines, fut rebâti vers le milieu du seizième siècle; et on ouvrit sur le terrain qu'il occupoit une rue qui fut appelée rue du Milieu. On croit reconnoître dans la rue Haute celle que Guillot appelle rue de l'Ymage.

QUAIS DE LA CITÉ.

Quai des Orfèvres. Il borde la partie méridionale de la cité, depuis le pont Neuf jusqu'au pont Saint-Michel. Dans le projet de construction du premier de ces deux ponts, on fit entrer celui d'ouvrir une rue qui allât au pont Saint-Michel, et de là à Notre-Dame. Pour l'exécuter, on coupa en partie l'île de la Gourdaine, du côté du grand cours de l'eau; on détruisit le moulin, et sur les deux côtés du triangle on construisit les deux quais que nous y voyons aujourd'hui. Ils furent commencés en 1580, ensuite interrompus, puis repris vers le temps où l'on achevoit le pont Neuf, enfin terminés en 1611. L'année suivante, le président Jeannin obtint la permission d'y faire bâtir des maisons ou boutiques, partie sur le quai, partie sur la rivière, et des échoppes le long des murs du Palais: il n'y eut de construit que les échoppes qui viennent d'être abattues.

Quai de l'Horloge ou des Morfondus. Il s'étend du côté septentrional de la Cité, depuis le pont Neuf jusqu'au pont au Change. Le nom de quai de l'Horloge lui vint de l'horloge du Palais, située à son extrémité; celui de quai des Morfondus de sa situation qui est exposée au vent du nord.

RUES DE L'ÎLE SAINT-LOUIS.

Rue de Bretonvilliers. Elle aboutit à la rue Saint-Louis et sur le quai Dauphin. Elle doit son nom à l'hôtel qui est situé à l'extrémité méridionale de l'île.

Rue de la Femme-sans-Tête. Elle aboutit d'un côté dans la rue Saint-Louis, et de l'autre sur le quai de Bourbon. Elle portoit dans toute sa longueur le nom de rue Regrattier. Une enseigne représentant une femme sans tête lui fit donner ce nom.

Rue Guillaume. Elle aboutit d'un côté dans la rue Saint-Louis, de l'autre sur le quai d'Orléans, et doit son nom à Guillaume, père d'un des derniers entrepreneurs des bâtiments de l'île Saint-Louis.

Rue Saint-Louis. Elle traverse l'île dans toute sa longueur, et doit ce nom à l'église qui s'y trouve située. Suivant le plan de Messager, elle porta d'abord le nom de Palatine jusqu'à celle des Deux-Ponts; depuis celle-ci jusqu'au bout on l'appeloit rue Carelle. En 1654 on la nommoit rue Marie.

Rue des Deux-Ponts. Elle est ainsi nommée à cause de sa situation entre le pont de la Tournelle et le pont Marie, auxquels elle communique par ses deux extrémités. Elle est appelée rue Saint-Louis sur le plan de Messager.

Rue Poulletier. Elle traverse l'île Saint-Louis, et aboutit aux quais d'Alençon et des Balcons. Sur le plan de Messager elle est indiquée sous le nom de Florentine. Elle doit celui qu'elle porte à M. Le Poulletier, trésorier des Cent-Suisses, l'un des associés du sieur Marie.

Rue Regrattier. C'est la prolongation de la rue de la Femme-sans-Tête. Elle aboutit au quai d'Orléans. Messager la nomme rue Angélique. Le nom qu'elle porte vient de celui de M. Le Regrattier, autre associé du sieur Marie. Elle porta d'abord ce nom dans toute sa longueur jusqu'au quai Bourbon.

QUAIS DE L'ÎLE SAINT-LOUIS.

Quai de Bourbon. Il s'étend sur le côté septentrional de l'île, à partir de la pointe qui regarde la Cité jusqu'au pont Marie.

Quai d'Anjou. Ce quai fait la continuation du précédent, et du même côté jusqu'à l'extrémité orientale de l'île.

Quai d'Orléans. Il commence, de même que le quai Bourbon, à la pointe de l'île, et s'étend, du côté méridional jusqu'au pont de la Tournelle.

Quai Dauphin ou des Balcons. C'est la continuation du quai d'Orléans; et de même que le quai d'Anjou, il vient finir à la pointe orientale de l'île.

ANTIQUITÉS ROMAINES ET CELTIQUES
DÉCOUVERTES DANS LA CITÉ.

AUTEL DE JUPITER.

Les plus connues de ces antiquités sont les pierres cubiques découvertes en 1712, sous le chœur de l'église cathédrale, elles sont au nombre de neuf, et toutes chargées sur leurs diverses faces de bas-reliefs et d'inscriptions. La plus grande a trois pieds et quelques pouces de hauteur, la plus petite environ un pied et demi.

Sur l'une de ces pierres on lit l'inscription suivante:

TIB. CAESARE. AUG. JOVI. OPTUMO
MAXSUMO . . . . M. NAUTAE. PARISIAC.
PUBLICE POSIERUNT.

En restituant les quatre lettres qui manquent dans l'espace fruste qui précède la lettre M, on traduit ainsi cette inscription: Sous Tibère César Auguste, les NAUTES parisiens ont publiquement élevé cet autel à Jupiter très-bon, très-grand. Ainsi, le sujet du monument se trouve expliqué; et nous apprenons en même temps qu'il y avoit à Paris, sous le règne de Tibère, une association de gens qui y faisoient le commerce ou le transport des marchandises par eau.

Ces pierres, toutes couvertes de bas-reliefs, présentent d'abord plusieurs divinités du paganisme indiquées par leurs noms: IOVIS (Jupiter), VOLCANVS (Vulcain), CASTOR (Castor); une autre figure placée à côté de celle-ci, et dont l'inscription a été effacée, est évidemment POLLVX. On a cru y reconnoître encore Vénus et Mercure; puis viennent ensuite deux divinités gauloises indiquées par ces deux mots: ESVS et CERNVNNOS, que l'on croit être le dieu de la guerre et celui qui présidoit aux forêts, le Mars et le Pan des Grecs et des Romains.

On y voit encore un taureau surmonté de trois grues avec cette inscription: TARVOS TRIGARANVS (taureau à trois grues), animal mystique qui étoit pour les Gaulois un objet de vénération; puis des soldats armés de piques et de boucliers, un prêtre gaulois et plusieurs autres figures qui ont exercé la sagacité des antiquaires, et sur lesquelles on n'a pu présenter jusqu'à présent que des conjectures d'un assez médiocre intérêt.

CIPPE ANTIQUE.

Ce Cippe quadrangulaire fut découvert en 1784, et à une assez grande profondeur, dans une fouille que l'on fit en face de la rue de la Barillerie, pour établir les fondations d'une partie des bâtiments du Palais de Justice: il a cinq pieds dix pouces de hauteur, ne porte aucune inscription, et présente, sur ses quatre faces, des figures de trois pieds et demi de hauteur, parmi lesquelles on reconnoît facilement Mercure qui s'y montre accompagné de tous ses attributs. Une autre figure armée de l'arc et du carquois semble être une image d'Apollon; mais elle tient d'une main un poisson, et de l'autre s'appuie sur un gouvernail, ce qui pourroit aussi indiquer une divinité qui présidoit à la navigation; la troisième figure est celle d'une femme, et cette femme porte un caducée, attribut qui ne nous paroît pas pouvoir être facilement expliqué; enfin une quatrième figure a des ailes au dos, tient un globe à la main, et est coiffée du pétase ailé, symbole spécialement consacré au fils de Maïa. On s'est encore épuisé en conjectures sur ce monument, beaucoup plus qu'il ne méritoit; et nous nous garderons bien d'ennuyer nos lecteurs de cette obscure et stérile érudition.

Au reste toutes ces sculptures, tant sur le cippe que sur l'autel, sont du travail le plus barbare[681].

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