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Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 8/8)

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Ce n'étoit pas contre de semblables édits que ce parlement faisoit des remontrances: il se hâta de montrer combien il approuvoit celui-ci, en rendant un arrêt pour faire exécuter une nouvelle loi de silence[239] que le ministère avoit publiée, en même temps qu'il rétablissoit les quatre articles, ce qui les mettoit sans contredit hors de toute discussion; et sans perdre un moment il fit payer au clergé séculier cette espèce de trève qu'il lui avoit accordée, alors que les jésuites occupoient tout son temps, en recommençant ses procédures sur les refus de sacrements, remettant en vigueur les poursuites, les décrets de prise de corps, les bannissements; ordonnant à des évêques, convoqués à Paris par les agents du clergé, d'en sortir dans trois jours, comme il auroit pu le faire à des malfaiteurs; bravant les arrêts du conseil qui essayoit vainement de modérer ses excès, et qui commençoit à s'en effrayer.

Cependant le torrent des mauvais livres alloit toujours croissant: il débordoit jusque dans les campagnes, attaquant à la fois tous les pouvoirs et toutes les vérités; les brochures de Voltaire, où s'exhaloit, sous les formes les plus cyniques, une fureur d'impiété poussée jusqu'à la rage, se succédoient avec une rapidité prodigieuse, et la police ne sembloit veiller sur lui que pour lui assurer l'impunité[240]. Sa considération, son influence s'augmentoient par l'effet même des poisons qu'il répandoit dans la société; ses protecteurs et ses admirateurs étoient partout[241]. À leur tête s'étoit placé ce même Frédéric, dont la cour n'avoit cessé d'être le refuge assuré de tous les écrivains impies que la France rejetoit de son sein, qu'il faut considérer lui-même comme le plus coupable et le plus dangereux de tous, parce qu'il étoit roi, qu'il avoit une grande renommée, et qu'ainsi les exemples et les leçons qu'il donnoit, venant de plus haut, avoient plus d'autorité. La coterie, plus détestable encore, du baron d'Holbach[242] s'étoit organisée, et le Système de la nature avoit paru, c'est-à-dire un livre où, plus conséquents que tous les libres-penseurs qui les avoient précédés, ceux-ci déclaroient ouvertement la guerre à Dieu, aux prêtres, aux rois, rejetant tout ordre et toute société, livre qui effraya l'autre clique des philosophes[243], et que Voltaire attaqua avec ces foibles armes qui sont à l'usage des déistes contre les athées, et qu'il est si facile à ceux-ci de briser entre leurs mains[244]. D'Holbach et son principal auxiliaire, Diderot, triomphèrent donc, et sans beaucoup d'efforts, de leurs consciencieux adversaires, et la nouvelle école de philosophie qu'ils avoient formée, plus positive et plus entreprenante, répandit encore plus de doctrines séditieuses et anarchiques, eut des succès plus décisifs, et un plus grand nombre de sectateurs. Épouvanté de ces ravages que faisoient en France les mauvais livres, Clément XIV en condamna plusieurs par des décrets; l'assemblée du clergé de 1770 renouvela ses avertissements et les accompagna de prédictions sinistres sur ce fléau, le plus grand de tous ceux dont la France étoit désolée; le parlement lui-même, inconséquent jusqu'à la fin, osa condamner de nouveau ces funestes productions, les accusant de saper à la fois le trône et l'autel[245].

C'étoit de sa part folie ou dérision. Il avoit depuis long-temps fait ses preuves contre l'autel: l'année suivante combla la mesure de ses outrages contre le trône. Des troubles s'étoient élevés en Bretagne, où l'administration inepte et arbitraire du duc d'Aiguillon, gouverneur de cette province, avoit fait naître une opposition séditieuse dans la noblesse et dans la magistrature: c'étoit une occasion offerte au parlement de Paris de sanctionner ce principe d'unité et d'indivisibilité de tous les parlements de France, qu'il avoit lui-même établi et qu'il lui importoit de maintenir. Il prit donc fait et cause pour le parlement de Rennes, fit, au sujet du duc d'Aiguillon, des remontrances, et prit à son égard des arrêts qui passoient tout ce qu'il avoit fait jusqu'alors de plus violent et de plus séditieux[246], secrètement soutenu et encouragé en cette circonstance par le duc de Choiseul, qui, jusqu'alors, s'étoit si heureusement servi de ses résistances pour intimider et gouverner son maître; poussa la témérité jusqu'à braver ouvertement le roi, qui, dans un lit de justice, avoit apporté lui-même à cette compagnie des ordres dont le ton plus ferme auroit dû cependant lui faire soupçonner que quelque chose d'extraordinaire se tramoit contre elle, si une si longue impunité ne l'eût plongée dans le dernier aveuglement[247]. Pour sévir contre une magistrature séditieuse qui, depuis tant d'années, le fatiguoit et l'irritoit, Louis XV n'avoit besoin que d'être dirigé et soutenu par une volonté plus ferme que la sienne: le chancelier Maupeou apporta cette volonté dans son conseil. Il arriva que le duc de Choiseul fut disgracié dans ce même temps, pour n'avoir pas su apprécier les justes bornes de sa faveur, et s'être fait un point d'honneur ridicule d'insulter la nouvelle maîtresse du roi[248], après avoir si long-temps rampé devant l'autre: alors il fut décidé qu'on auroit raison du parlement, ou qu'il seroit brisé. Il aima mieux rompre que plier, refusa d'obéir, cessa le service et résista aux lettres de jussion. Le chancelier, non moins opiniâtre et plus entreprenant, lui prouva que l'autorité royale, au milieu de toutes ses foiblesses, pouvoit être encore plus forte que lui: tous les membres du parlement furent exilés; la grand'chambre à qui, dans son exil, on avoit encore conservé son caractère et ses fonctions de cour de justice, persistant dans sa révolte, le dernier coup fut frappé, et, dans un lit de justice, tenu à Versailles avec une solennité extraordinaire, le roi cassa le parlement. Tout avoit été préparé par le chancelier pour qu'il fût, à l'instant même, remplacé par une autre cour de justice; et la rapidité d'exécution que l'on mit dans ces mesures bien concertées, en assura l'exécution.

Ce succès sembloit aussi grand qu'inespéré: on étoit ivre de joie à Versailles; on y portoit aux nues ce chancelier «qui, disoient hautement les courtisans, avoit retiré le sceptre du greffe du parlement, pour le remettre entre les mains du monarque.» Insensés qui s'arrêtoient à la superficie du mal, parce qu'ils étoient incapables d'en sonder la profondeur! Tandis qu'ils se réjouissoient ainsi de la victoire que venoit de remporter le ministérialisme, le ministre disgracié triomphoit dans sa retraite, où il s'étoit rendu avec un appareil insultant pour son maître, où bientôt se donnèrent rendez-vous tous les mécontents; et la révolte, si long-temps concentrée dans le parlement, éclata partout. On n'avoit point encore vu autant d'exaspération dans les esprits, de violence dans les murmures, de licence dans les discours et dans les écrits; il ne s'étoit point encore élevé tant de clameurs contre le pouvoir, il n'avoit point encore été en butte à tant d'injures et de sarcasmes. Il s'éleva, de la France entière, un cri en faveur des parlements: nobles et plébéiens, quoique leurs intérêts fussent si différents, sembloient animés de la même fureur; on se soumettoit en frémissant, et ainsi se manifestoit, de toutes parts, cette opposition anarchique que le parlement avoit créée et fomentée, et qui alloit être, avant peu, livrée à d'autres chefs dont il n'étoit, depuis près d'un demi-siècle, que l'aveugle instrument. Un écrivain, à qui cette époque de délire a fait un nom, l'abbé de Mably, publia, au milieu de l'effervescence nationale, un livre dans lequel il traçoit le plan d'une révolution, et ce plan est précisément celui qui, depuis, a été exécuté; mais le moment n'étoit pas encore venu. Telle étoit alors la puissance des libellistes, que, ne se sentant pas assez forte pour les atteindre et les punir, la cour, plus d'une fois, composa avec eux; et pour quelques-uns qu'elle avoit achetés, en fit naître mille autres qui espéroient se vendre, ou qui étoient sûrs de pouvoir la braver impunément[249]. On vit ce même Malesherbes, que nous ne nommons encore qu'à regret, et qui, sans doute, n'étoit pas un ennemi du trône, adresser à son souverain, sur l'exil du parlement, des remontrances que Voltaire lui-même jugea trop dures, et lui parler de la convocation des états-généraux, «comme d'une mesure réclamée par la justice et la nécessité;» tant étoit grand l'esprit de vertige dont tous, et même les plus fidèles, étoient alors possédés.

Cependant, ce même pouvoir qui s'étoit ranimé un moment pour abattre l'opposition parlementaire, quel profit tiroit-il de ce qu'il avoit fait? Il se rioit en quelque sorte de cette opposition plus terrible qui le débordoit de toutes parts, et la dédaignoit parce qu'elle se présentoit à lui, sans dessein arrêté et sans point de ralliement. Ce chancelier tant vanté, quelle suite donnoit-il à un grand dessein si vigoureusement exécuté? Il faisoit du cabinet d'une prostituée, le rendez-vous du travail avec le roi; et c'étoit là, qu'entouré des personnages ineptes et corrompus[250] qui formèrent le dernier ministère de ce déplorable règne, il travailloit avec eux à isoler encore davantage le pouvoir, à accroître, s'il étoit possible, ce mélange prodigieux d'impuissance et de despotisme dont il étoit composé. Comme si le parlement lui eût légué sa haine contre les Jésuites, ce ministère redoubloit alors d'instances auprès de Clément XIV, pour qu'il prononçât enfin la sentence fatale de leur suppression; et continuoit, sous l'influence du parti philosophique, d'exécuter le plan, conçu quelques années auparavant, d'une extinction graduelle des ordres religieux[251], qui formoient, avec le Saint-Siége, comme un dernier lien qu'il falloit briser, afin de n'avoir plus en France qu'un clergé séculier, tout entier sous le joug des libertés gallicanes. Un système fiscal, le plus machiavélique qu'on eût jusqu'alors imaginé, creusoit, dans les finances, de nouveaux abîmes où se préparoient, sinon les causes premières de la révolution, du moins celles qui devoient la faire éclater; enfin la politique extérieure de la France, subordonnée aux petites vues et aux petits intérêts de ses agents diplomatiques, achevoit de perdre ce qui lui restoit d'influence et de dignité; et le partage de la Pologne, le dernier des brigandages européens qu'ait produit ce système d'équilibre ou plutôt de massacres et de spoliations, que l'on nomme la paix de Westphalie, put se faire impunément sous ses yeux, sans qu'elle y mît le moindre obstacle, sans que ce funeste ministère eût même la pensée d'y intervenir. Tels étoient les hommes qui avoient renversé le parlement: telles furent leurs œuvres; telles étoient les idées qu'ils s'étoient faites du pouvoir. Ils avoient, comme tant d'autres, la prétention de s'y perpétuer: la mort subite et imprévue de Louis XV renversa leurs projets[252].

À cette mort se termineront nos récits: le tableau du règne de Louis XVI et de la révolution, époque la plus remarquable des annales du monde, depuis la venue de celui qui en a renouvelé la face, n'est point entré dans le plan que nous nous sommes tracé, et qu'autant qu'il est en nous, nous avons rempli, de montrer comment la monarchie françoise s'est formée, fortifiée, agrandie; et par quelles causes, d'abord presque insensibles, ensuite et par degrés plus actives, puis vers la fin, palpables pour ainsi dire, elle a commencé à décliner, pour se précipiter, après quatorze siècles d'existence, et tomber de cette chute épouvantable, dont il reste encore tant de victimes et tant de témoins. Sous un monarque jeune et sans expérience, doué de beaucoup de vertus, mais de ces vertus privées, qui, dans des circonstances difficiles, ne suffisent pas pour bien jouer le rôle de roi, la philosophie, pénétrant déjà de toutes parts le corps social, continua tranquillement son œuvre si avancée; et, chose aussi horrible qu'étrange, tandis qu'achevant de corrompre le pouvoir et de lui apprendre à ne chercher qu'en lui-même son droit et sa règle, elle l'affermissoit de jour en jour davantage dans les théories de son absurde et intolérable despotisme, ses doctrines, à la fois égoïstes et licencieuses, poussoient, en sens contraire, la multitude qu'elle avoit pervertie, et l'enivroient, de jour en jour davantage de révolte et d'anarchie. Au reste, la conspiration contre l'autorité spirituelle étoit devenue européenne: elle avoit à sa tête un empereur, que l'on peut compter au nombre des hommes les plus dépourvus de sens qui aient jamais porté le sceptre[253], et à un tel point qu'il sut rendre ridicule en lui un fanatisme anti-religieux qui, dans tout autre, n'eût été que révoltant. Tandis qu'il désoloit, comme à plaisir, l'Église, dans ses vastes états, par des innovations extravagantes et des usurpations sacriléges; sous son influence active et puissante, le conciliabule de Pistoie introduisoit les maximes gallicanes jusqu'aux portes de Rome; et le ministérialisme, non moins puissant à Naples qu'en Toscane, entroit, à son tour, dans les voies qu'il avoit ouvertes. Or, il est remarquable qu'en Allemagne comme en Italie, et de même qu'en France, c'étoient surtout les ordres monastiques dont on poursuivoit la destruction avec le plus d'acharnement, comme si l'on eût voulu faire du pape un roi sans armée, pour ensuite le renverser plus facilement de son trône. Cependant, tandis qu'elle portoit ainsi la sape jusques dans les fondements de la religion du Christ, l'incrédulité se faisoit à elle-même une religion dans l'illuminisme; et attirant ainsi à ses doctrines ce qu'il y avoit de plus corrompu, depuis les classes les plus élevées de la société jusqu'aux plus obscures, cachoit d'horribles projets sous d'exécrables mystères; et dans ses divers degrés d'initiation, traçoit à ses adeptes, suivant qu'ils les pouvoient supporter, leurs règles de conduite et leurs articles de foi. Enfin, les temps marqués, où les hommes devoient chercher à résoudre le problème de la société sans Dieu, étant arrivés, et Dieu s'étant retiré pour les laisser faire, le parlement de Paris (car la France avoit été marquée par la Providence, pour être le principal théâtre de ce prodigieux événement), honorablement rappelé de son exil, afin qu'il trouvât dans ce dernier triomphe son dernier châtiment, essaya vainement de se replacer à la tête d'une opposition qui ne le connoissoit plus, et, devenue trop forte, pendant son absence, pour consentir à rentrer dans le cercle de ses prétentions gothiques, et de ses traditions à la fois séditieuses et monarchiques. Ce fut, au contraire, cette opposition qui fit du parlement l'instrument aveugle de ses vastes desseins. Ce fut au moyen des mutineries nouvelles de ces gens de robe, si puissamment aidées du désordre des finances et de l'ineptie tracassière des ministres, qu'elle obtint les États-généraux, et avec eux le centre d'action dont elle avoit besoin. Alors, puissamment favorisée par le perfectionnement extraordinaire qu'avoit acquis, à Paris et dans les provinces, la partie matérielle de la société, la RÉVOLUTION commença.

QUARTIER
SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS.

Sous le règne de Louis XIII, ce quartier ne s'étendoit guère au-delà de la rue du Bac, et même la partie de cette rue, située devant l'église de Saint-Thomas-d'Aquin (l'ancien couvent des Jacobins réformés) n'avoit point encore été élevée. La cour de France, devenue, sous Louis XIV, plus nombreuse et plus brillante qu'elle n'avoit jamais été, sembla choisir de préférence le vaste terrain que lui offroit cette extrémité de Paris, pour y bâtir ces demeures magnifiques, qui en ont fait, en moins d'un siècle, la partie la plus considérable et la plus belle de cette capitale; et l'on ne cessa pas d'y construire de nouveaux édifices, de l'embellir de nouveaux monuments, sous Louis XV et sous Louis XVI, jusqu'au moment de la révolution[254].

L'HÔTEL DES MONNOIES.

La fabrication des monnoies, ainsi que l'emploi des matières d'or et d'argent, sont d'une telle importance, que, de tous temps, les souverains ont eu des officiers particuliers, chargés de veiller sur toutes les opérations qui pouvoient y avoir rapport. Les Romains avoient des triumvirs monétaires qui, sous Constantin, furent remplacés par un intendant des finances, ayant aussi l'intendance des monnoies, et la juridiction suprême sur tout ce qui tenoit à leur fabrication. Nous trouvons que nos rois de la première race suivirent, de tous points, cette forme d'administration, telle qu'elle étoit pratiquée dans les Gaules, lorsqu'ils les envahirent, avec cette différence seulement que, pour l'activité du service, ils remplacèrent l'intendant par plusieurs officiers, nommés d'abord généraux des monnoies, ensuite maîtres des monnoies, magistri monetæ. Sous ces grands officiers, étoient des maîtres particuliers qui dirigeoient les chambres des monnoies, établies dans les principales villes. Sous le règne de Charlemagne, on battoit monnoie dans plusieurs villes de son vaste empire[255]; et au temps de Charles-le-Chauve, la France seule comptoit déjà neuf hôtels des Monnoies, y compris celui du Palais.[256]

Le nombre des généraux ou maîtres des monnoies a beaucoup varié. Il n'y en eut d'abord que trois, et alors ils furent unis et incorporés aux maîtres des comptes et aux trésoriers des finances, qui n'étoient également que trois, dans chacune de ces deux juridictions; et ces neuf officiers furent placés dans le palais à Paris, au lieu qu'occupe encore aujourd'hui la chambre des comptes. Les généraux des monnoies avoient, dans cette enceinte, une chambre particulière, dans laquelle ils s'assembloient, pour ce qui concernoit le fait de leur juridiction.

Ces trois corps ayant été augmentés sous Charles V, cette circonstance amena leur séparation, qui fut faite vers 1358. Alors la chambre des monnoies fut placée au-dessus du bureau de la chambre des comptes; et ce tribunal y tint ses séances jusqu'en 1686, qu'il fut transféré au pavillon neuf du palais, du côté de la place Dauphine, où, depuis cette époque jusqu'à celle de la révolution, il a toujours été établi.

Les généraux des monnoies étoient alors au nombre de huit; ils furent ensuite successivement maintenus ainsi, ou diminués par les successeurs de Charles V jusqu'à François Ier, qui porta jusqu'à onze le nombre de ces officiers, un président et dix conseillers[257].

Au mois de janvier 1551, la chambre des monnoies fut érigée en cour et juridiction souveraine et supérieure, comme étoient les cours du parlement, pour juger par arrêt, et en dernier ressort, toutes matières tant civiles que criminelles, dont les généraux avoient auparavant connu ou dû connoître. Il y eut encore, à cette époque et depuis, plusieurs créations et suppressions dont le détail deviendroit fastidieux: il nous suffira de dire qu'en 1789, on comptoit, dans cette cour, un premier président, huit autres présidents, deux chevaliers d'honneur, trente-cinq conseillers, tous officiers de robe longue, deux avocats généraux, un procureur général et deux substituts, un greffier en chef, deux commis du greffe, un receveur des amendes et épices, un huissier en chef, et seize huissiers, etc., etc.

Cette cour, suivant sa création, avoit le droit de connoître, en toute souveraineté, du travail des monnoies, des fautes, malversations et abus commis par les maîtres-gardes, tailleurs, essayeurs, monnoyeurs, ajusteurs, changeurs etc., et autres faisant des monnoies, circonstances ou dépendances d'icelles, ou travaillant et employant les matières d'or, d'argent, en ce qui concernoit leurs charges, métiers, etc. Elle connoissoit également par prévention, et en concurrence avec les baillis, sénéchaux et autres juges, des faux monnoyeurs, rogneurs, altérateurs des monnoies, et généralement de tous ceux qui transgressoient les ordonnances sur le fait des monnoies, tant françoises qu'étrangères[258].

La cour des monnoies jouissoit des droits de committimus, de franc-salé, et autres droits attachés aux cours souveraines. Elle avait rang, dans les cérémonies publiques, immédiatement après la cour des aides; ses présidents portoient la robe de velours noir; celle des conseillers étoit seulement de satin.

Nous venons de dire que, sous les premières races, on battoit monnoie dans le palais de nos rois. Sous la troisième, on ne sait pas précisément, quand et dans quel endroit, fut construit le premier bâtiment affecté à cet usage. On a vu que saint Louis avoit établi les religieux de Sainte-Croix de la Bretonnerie dans une maison où l'on avoit frappé la monnoie[259]. Le nom de Vieille Monnoie, que porte une rue du quartier de Saint-Jacques de la Boucherie, semble annoncer qu'anciennement elle y avoit été placée. L'hôtel des Monnoies fut établi, pendant long-temps, dans la rue qui en porte encore le nom, et qui est située entre celle du Roule et la place des trois Maries; mais on ignore également dans quel temps il y fut transféré. Les anciens bâtimens, qui subsistoient encore vers la fin du siècle dernier, annonçoient le règne de saint Louis ou celui de Philippe-le-Hardi. Sous Henri II, le moulin de la monnoie étoit placé sur la rivière, presque vis-à-vis l'endroit où est aujourd'hui la rue de Harlai. On a aussi frappé des espèces dans la rue du Mouton, à l'hôtel de Nesle, et dans d'autres endroits. Louis XIII transporta la monnoie aux galeries du Louvre, dans les salles où depuis fut établie celle des médailles; et il y a grande apparence que l'intention de ce prince étoit de l'y fixer pour toujours, puisqu'il disposa du jardin de l'ancien hôtel en faveur d'un particulier[260]. Cependant la monnoie fut de nouveau transférée dans ce local, lequel avoit son entrée principale dans la rue qui porte son nom, et une autre très étroite dans la rue Thibautodé; elle y resta jusqu'à ce qu'on eût achevé le monument qui lui étoit destiné[261].

Ce fut le dépérissement sensible de ces vieilles constructions qui détermina M. de Laverdy, alors ministre des finances, à faire bâtir un nouvel hôtel des Monnoies. Il choisit, à cet effet, un emplacement d'un bel aspect, mais qui du reste n'étoit rien moins que favorable, dans sa disposition, à la construction d'un semblable monument, l'ancien hôtel de Conti. La première pierre de l'édifice fut posée en 1771, par M. l'abbé Terray, contrôleur général; et le monument s'éleva sous la direction de M. Antoine, habile architecte, dont le ministre avoit adopté les dessins.

Destiné à contenir une foule d'objets d'une nature différente, tels qu'une école et un cabinet de minéralogie, une grande administration, de vastes ateliers, une forte manipulation de métaux, une immense réunion d'ouvriers, cet hôtel présentoit à l'architecte de nombreuses difficultés; et il ne sembloit pas aisé de bien déterminer le genre de décoration propre à un semblable monument; car s'il ne devoit avoir ni l'aspect pompeux d'un arc de triomphe, ni l'élégance magnifique et recherchée d'un palais, destiné cependant à donner une grande idée de la richesse nationale, il ne pouvoit être traité dans le style sévère d'un simple monument d'utilité publique. L'architecte a résolu ce problème avec une habileté et un succès qui ne laissent rien à désirer.

Il sut profiter, avec beaucoup d'art, des deux faces que pouvoit offrir le monument, pour les accorder avec la nature des objets qu'il devoit renfermer, et combiner sa distribution intérieure avec l'effet extérieur de la décoration. Les ateliers furent rejetés sur la rue Guénégaud; les pièces d'apparat et l'entrée principale se développèrent sur le quai de Conti. Il décora cette dernière façade d'une ordonnance d'Architecture et de figures allégoriques, tandis qu'il adoptoit, pour les bâtiments secondaires, un style plus ferme, qui, pour être privé de la présence des ordres, n'en a pas moins le genre de beauté et le caractère qui lui sont propres. Il y joignit la précaution essentielle d'isoler des autres bâtiments celui où l'on frappe la monnoie, pour leur éviter l'ébranlement et la secousse des balanciers[262].

Cet édifice ne présente que deux faces d'un triangle, ayant chacune environ soixante toises. Il est divisé en trois grandes cours et plusieurs autres moins considérables, toutes entourées de bâtiments.

Le principal corps de logis, ayant face sur le quai, renferme un superbe vestibule, orné de vingt-quatre colonnes doriques, un bel escalier que décorent également seize colonnes ioniques, un immense et précieux cabinet de minéralogie, plusieurs cabinets de machines, des salles pour l'administration et de vastes logements.

Au fond de la grande cour, entourée de galeries, est la salle des balanciers; celle d'au-dessus est occupée par les ajusteurs. Elles ont chacune soixante-deux pieds de longueur sur trente-neuf de largeur; à côté est une chapelle dont on a fait depuis une pièce de travail. Le surplus des bâtiments se compose d'ateliers et autres dépendances.

La décoration de la façade principale présente un avant-corps de six colonnes ioniques, élevées sur un soubassement de cinq arcades, orné de refends; un grand entablement, avec consoles et modillons, couronne l'édifice dans toute sa longueur. L'avant-corps est surmonté d'un attique, au devant duquel sont six figures isolées. Ces figures exécutées par Pigale, Mouchy et Le Comte, représentent la Loi, la Prudence, la Force, le Commerce, l'Abondance et la Paix[263].

La seconde façade, sur la rue Guénégaud, offre un attique, sur un soubassement de même hauteur que celui de la première, et orné de bossages. Sur l'avant-corps, on a placé les figures des quatre éléments, exécutées par Caffieri et Dupré. L'extrémité du grand bâtiment forme pavillon à l'un des bouts de cette façade. On en a construit un pareil à l'autre bout, mais uniquement pour la régularité de la décoration.

La cour principale a cent dix pieds de profondeur sur quatre-vingt-douze de largeur; elle est entourée d'une galerie. La salle des balanciers s'annonce par un péristyle de quatre colonnes doriques; quatre colonnes toscanes en supportent la voûte intérieure: dans le fond est la statue de la Fortune, par Mouchy. Sur les arcades et portes carrées dont est alternativement percée la construction circulaire qui termine cette cour, sont placés les bustes de Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, et Louis XV[264].

Le cabinet de minéralogie, qui occupe le pavillon du milieu au premier étage, est décoré de vingt colonnes corinthiennes d'un grand module, qui soutiennent une tribune régnant au pourtour dans la hauteur du deuxième étage; il est orné de bas-reliefs et d'arabesques. Les corniches, les chambranles des portes et des croisées, sont enrichis d'ornements sculptés et dorés, mais distribués avec goût et sans confusion. Un lambris circulaire renferme des banquettes pour les personnes qui assistent au cours de minéralogie, et sert de fond aux armoires établies sur sa face extérieure, pour renfermer la collection des minéraux. Personne n'ignore que cette collection précieuse est la plus complète qui existe en Europe.

La pièce qui la contient et que nous venons de décrire est d'un style très noble; mais elle pèche peut-être par un excès de richesse. Ces dorures, cette variété de couleurs dont elle est parée, lui donnent plutôt l'air d'une salle de concert ou de bal, que d'un lieu destiné à l'étude. Telle qu'elle est cependant, il n'en est aucune du même genre qu'on puisse lui comparer.

Les cours de l'école royale des mines, indépendants des cours publics qui se tenoient trois fois la semaine, avoient lieu tous les jours dans cette salle. Le public pouvoit y assister; mais on n'étoit admis au nombre des élèves qu'après avoir subi des examens.[265]

LE COLLÉGE MAZARIN, DIT DES QUATRE-NATIONS.

On sait que le cardinal Mazarin, n'ayant pu exécuter lui-même le projet qu'il avoit formé d'établir un collége en faveur d'un certain nombre de jeunes gentilshommes ou principaux bourgeois des pays nouvellement conquis, ordonna, par son testament du 6 mars 1661, que, sous le bon plaisir du roi, il seroit fondé un collége, sous le nom et titre de Mazarin, pour soixante gentilshommes ou bourgeois de Pignerol et de son territoire, de l'État ecclésiastique, d'Alsace et pays d'Allemagne, de Flandre et de Roussillon[266]. Dans le même acte, ce ministre inséra les statuts qu'il avoit fait dresser pour ce collége et académie, et légua, pour assurer le succès de sa fondation, deux millions en argent, 45,000 liv. de rente sur l'hôtel de ville et sa bibliothèque, suppliant en outre S. M. de vouloir bien unir à tous ces dons, et à perpétuité, le revenu de l'abbaye de Saint-Michel en l'Herm, dont il étoit titulaire. Toutes ces dispositions furent exactement remplies par MM. de Lamoignon, Fouquet, Le Tellier, Zongo-Ondedei, évêque de Fréjus, et Colbert, ses exécuteurs testamentaires. Comme un établissement aussi magnifiquement conçu demandoit un très vaste terrain et de nombreux bâtiments, ils jettèrent d'abord les yeux sur le palais d'Orléans dit le Luxembourg; mais le prix considérable qu'il auroit coûté, et les changements dispendieux qu'il auroit fallu y faire, les forcèrent d'y renoncer; et ils se déterminèrent à acheter ce qui restoit encore de l'hôtel et du séjour de Nesle. Ils y joignirent quelques maisons voisines, et obtinrent, au mois de juin 1665, des lettres-patentes, enregistrées le 14 août, par lesquelles Sa Majesté confirmant cette fondation, vouloit qu'elle fût considérée comme fondation royale.

Le monument, commencé sur les dessins de Levau, premier architecte du roi, fut exécuté par deux autres architectes, Lambert et d'Orbay. On démolit à cet effet, en 1662, la tour de Nesle, reste des anciens hôtels dont nous venons de parler; et sur ce vaste emplacement, s'élevèrent assez rapidement, et les immenses constructions qui forment le corps de cet édifice, et cette façade, unique dans son genre à Paris, qui se compose d'un avant-corps, surmonté d'un dôme et de deux ailes en demi-cercle, que terminent deux gros pavillons; mélange singulier de parties incohérentes, de lignes ressautées, de pilastres alliés avec des colonnes et de toutes les combinaisons systématiques de l'ancienne architecture françoise, mais dont la masse présente cependant une décoration d'un effet imposant, et tel qu'on pouvait le désirer pour accompagner heureusement la façade latérale du Louvre, située en regard, sur la rive opposée de la Seine[267].

On a reproché aux deux pavillons du collége des Quatre-Nations d'intercepter le passage et même la vue du quai dans toute son étendue; et, depuis long-temps, l'opinion générale semble demander leur démolition. Le quai y gagneroit sans doute; mais il faudrait renoncer à l'heureux effet que produisent les masses combinées du dôme et de ces pavillons, disposition pittoresque et théâtrale que l'on trouve si rarement à Paris, où la plupart des monuments, ensevelis au milieu d'une foule de constructions étrangères, ne se présentent presque jamais, dans tout leur développement, et sous un point de vue agréable. Il est certain que, ces deux parties du bâtiment étant détruites, le dôme, isolé dans une trop vaste étendue, ne paroîtroit plus qu'un point maigre et de l'aspect le plus mesquin.

L'avant-corps, décoré de colonnes et de pilastres corinthiens et surmonté d'un fronton triangulaire, sert d'entrée à l'intérieur du dôme, autrefois la chapelle du collége, et dédiée sous le nom de Saint-Louis; cet intérieur a cela de singulier, qu'il est de forme elliptique, tandis que le dôme extérieur est circulaire, moyen ingénieux employé par l'architecte pour placer dans l'épaisseur des murs quatre escaliers à vis par lesquels on monte à quatre tribunes, et sur le comble de l'édifice. Autour de cette courbe ovale s'élevoient quatre grandes arcades séparées par des pilastres corinthiens, dont l'une servoit d'entrée et les trois autres de chapelles. La coupole, qui paroît un peu élevée pour son petit diamètre, offroit, dans toutes ses parties, un grand luxe de peinture et de sculpture; le dôme, décoré extérieurement de pilastres, est garni de bandes de plomb doré qui répondent symétriquement à ces pilastres, et se terminent au campanille placé sur son sommet[268].

CURIOSITÉS DE LA CHAPELLE.
TABLEAUX.

Sur le maître-autel, une Nativité; par Alexandre Véronèse.

SCULPTURES.

Au dessus de la corniche du maître-autel, un bas-relief représentant saint Louis qui reçoit la couronne d'épines des mains du patriarche de Jérusalem; par Bocciardi.

Dans les pendentifs de la coupole, les quatre évangélistes en bas-reliefs; par le même.

Dans les angles des arcs, huit figures de femmes offrant les emblèmes des huit Béatitudes; exécutées en bas-reliefs par Desjardins.

Entre les pilastres de l'ordre supérieur, les douze apôtres en médaillons; par le même.

Sur la balustrade qui règne extérieurement au dessus du portail, les quatre évangélistes et les pères des églises grecque et latine; par le même.

Dans le fronton, un cadran accompagné des deux figures allégoriques de la Science et de la Vigilance.

Le pavé et toutes les décorations de l'autel, exécutés en marbre, présentoient une grande magnificence.

SÉPULTURE.

Dans cette chapelle avoit été inhumé le cardinal Mazarin, fondateur du collége. Son mausolée, de la main de Coyzevox, étoit placé dans une chapelle à droite du sanctuaire[269].

Les bâtiments de ce collége sont immenses et se prolongent le long de la rue Mazarine, divisés en trois cours. Toutes ces constructions, celles de la première cour exceptées, n'ont absolument aucun mérite sous le rapport de l'architecture. Cette première cour présente, de chaque côté, un portique en arcades, orné de pilastres corinthiens; l'un mène à la bibliothèque qui occupe le pavillon de la gauche, et la plus grande partie de cette face latérale; l'autre sert d'entrée à la chapelle.

La seconde cour, l'une des plus vastes de Paris, n'a de bâtiments que de deux côtés seulement. Au rez de chaussée étoient les classes, et au premier étage les appartements, des maîtres et les dortoirs des boursiers. La troisième, qui est la plus petite, renfermoit les cuisines, les offices, etc.[270].

BIBLIOTHÈQUE.

Cette bibliothèque, l'une des plus belles et des plus nombreuses de Paris, se compose des débris de cette fameuse bibliothèque du cardinal Mazarin, dont le parlement ordonna en 1652 la confiscation et la vente. Elle avoit été formée par Gabriel Naudé, le plus habile bibliographe de son temps; ce fut encore lui que le cardinal chargea, après la fin des troubles, d'en créer une autre en rassemblant ce qu'il pourroit retrouver de l'ancienne, ce qu'il fit avec tant de succès, qu'elle fut rétablie presque en son entier. On y joignit ensuite la bibliothèque de M. Descordes, chanoine de Limoges; après sa mort, celle de Naudé lui-même; et successivement l'on y ajouta tous les bons livres, tant manuscrits qu'imprimés, que l'on put recueillir dans toutes les parties de l'Europe. À la mort du cardinal, elle contenoit vingt-sept mille volumes et un grand nombre de manuscrits, qui furent transportés alors dans la bibliothèque du roi. Vers le milieu du dernier siècle, le nombre des livres, presque doublé, s'élevoit à plus de quarante-cinq mille. À cette époque (en 1740) les dimensions de cette bibliothèque furent changées, surtout par l'élévation des plafonds, de manière à contenir vingt mille volumes de plus qu'elle n'en renfermoit. Elle a reçu, depuis la révolution, des accroissements considérables, par les nombreux dépôts de livres qui y ont été annexés.

C'est la bibliothèque de Paris la plus riche en livres de médecine et en matériaux pour l'histoire d'Allemagne. Elle est enrichie de globes de Coronelli, et de bustes en bronze et en marbre, dont quelques-uns sont antiques.

LES AUGUSTINS RÉFORMÉS, DITS LES PETITS-AUGUSTINS.

Nous avons fait connoître avec beaucoup de détails l'origine des Augustins, l'époque de leur établissement à Paris[271], la réforme opérée dans leur ordre, la fondation faite dans cette capitale, par la reine Marguerite de Valois, d'un couvent de ces Augustins réformés, et le caprice singulier qui la détermina à révoquer la donation qu'elle avoit stipulée en leur faveur et à leur substituer d'autres religieux du même ordre, tirés de la province de Bourges[272]. Quoique le procédé de cette princesse eût toutes les apparences de l'injustice, ce changement n'en fut pas moins approuvé par un bref de Paul V, du 14 août 1613, et confirmé par des lettres-patentes de la même année. L'évêque de Paris et l'abbé de Saint-Germain y donnèrent aussi leur consentement[273].

Deux ans après, la reine Marguerite mourut sans avoir pu exécuter les promesses qu'elle avoit faites; et les nouveaux habitants de ce monastère eussent tiré peu d'avantage de son bienfait, si quelques personnes pieuses ne fussent venues à leur secours, et par leurs libéralités n'eussent contribué à soutenir leur établissement naissant. La fondatrice y avoit fait bâtir une chapelle assez jolie, richement décorée[274], mais beaucoup trop petite: ces religieux se trouvèrent bientôt des ressources suffisantes pour faire construire une plus grande église, dont la reine Anne d'Autriche posa la première pierre le 15 mai 1617. Cet édifice, qui n'avoit rien de remarquable dans son architecture, fut achevé en 1619 et dédié sous l'invocation de saint Nicolas de Tolentin[275].

Nous avons dit que le terrain accordé aux Augustins par la fondatrice consistoit en une place qui avoit précédemment appartenu aux Frères de la Charité, et en six arpents du petit pré aux clercs que cette princesse avoit pris à cens et à rente de l'Université[276]. Ces pères avoient trouvé le moyen de tirer un parti avantageux de cette partie de leur territoire en le rétrocédant, par portions, à des particuliers, à la charge d'y bâtir, et de leur payer certaines redevances annuelles; c'est ainsi que se formèrent les rues Jacob et des Saints-Pères. Mais les maisons qui les composoient n'étoient pas encore entièrement bâties, que l'Université résolut de rentrer dans ses droits, et se pourvut à cet effet contre le contrat passé entre elle et la reine Marguerite. Le parlement fit droit à sa demande, et donna en 1622 un arrêt pour la faire rentrer dans cette propriété; ce qui priva les Augustins du fruit de leurs travaux et de la plus belle partie de leurs revenus.

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE.
TABLEAUX.

Dans le cloître, une suite de tableaux à fresque exécutés par des peintres médiocres et peu connus. Les deux principaux représentoient:

La reine Marguerite donnant à un moine Augustin le contrat de fondation qu'elle avoit passé en faveur de son couvent.

La conversion de saint Augustin: ce tableau, placé à l'entrée du cloître, étoit d'un peintre nommé de Dieu.

Le frère François Gourdes, religieux de ce couvent, avoit peint le paysage de tous les autres tableaux qui ornoient ce cloître; d'autres peintres les avoient achevés.

SCULPTURES.

Sur le maître-autel, décoré d'un ordre corinthien en menuiserie, un groupe en terre cuite très estimé, représentant un agonisant, accompagné de saint Nicolas de Tolentin, et soutenu par un ange qui lui montroit le ciel; par Biardeau.

Aux deux côtés du même autel, les statues de sainte Claire et de sainte Monique; par le même.

Sur le devant de l'autel, un grand bas-relief en métal doré, représentant le baptême de saint Augustin; par Gaillard.

SÉPULTURES.

Dans cette église avoient été inhumés:

Dans la chapelle de la reine Marguerite, le cœur de cette princesse; on y lisoit son épitaphe, composée par M. Servin, avocat-général au parlement de Paris.

François Porbus, peintre célèbre, mort en 1622.

René de l'Âge, seigneur de Puylaurent, sous-gouverneur de Gaston de France, etc.

Antoine de l'Âge, duc de Puylaurent, son fils, mort au château de Vincennes en 1635.

Renée de Kergounadech, femme du marquis de Rosmadec, morte en 1643. (Son tombeau, placé dans la nef du côté de l'évangile, étoit entouré d'une petite grille de fer.)

Le cœur de Sébastien de Rosmadec, marquis de Molac, etc., mort en 1699.

Nicolas Mignard, peintre, frère de Pierre Mignard, mort en 1668.

Jean Pontas, prêtre, sous-pénitencier de l'église de Paris, l'un des bienfaiteurs de ce couvent, mort en 1728.

Dans la chapelle Saint-Claude, à côté du grand autel, étoit la sépulture de la famille Le Boulanger, l'une des plus illustres de la magistrature.

Dans le cloître, on voyoit la tombe de Mathieu Isoré d'Airvaut, évêque de Tours, mort en 1716.

La bibliothèque de ces pères, riche de dix-huit à vingt-mille volumes, contenoit plusieurs livres rares et quelques manuscrits curieux; ils avoient, en médailles, une collection complète de tous les souverains pontifes.

La réforme qu'ils suivoient avoit été introduite en France par les pères Étienne Rabache et Roger Girard, le 30 août 1594. Elle prit le nom de Réforme de Bourges, parce que la maison de cette ville, de la province de Saint-Guillaume, l'avoit acceptée la première; et quoique le chapitre général, tenu en 1693, lui eût donné celui de province de Paris, elle étoit plus généralement connue sous le premier nom. Cette réforme, adoptée par trente-un couvents, consistoit particulièrement dans un détachement absolu de toute propriété, et dans la renonciation aux grades qu'on prenoit dans les Universités; ce qui n'a pas empêché cet ordre de produire un grand nombre de personnages recommandables par leurs talents et par leur érudition[277], parmi lesquels il faut distinguer le P. André Le Boulanger, prédicateur célèbre avant que les modèles de la prédication eussent paru; le P. Charles Moreau, qui a donné de Tertullien une édition estimée; les PP. Chesneau et Lubin, tous les deux grands théologiens, et le second habile géographe; le P. Ange Le Proust, instituteur de la congrégation des Filles de Saint-Thomas-de-Villeneuve, et bon prédicateur; les PP. Théophile Loir, Jacques Hommey, distingués par leur érudition; et surtout le P. Pierre de Bretagne, considéré, dans son ordre, comme un des génies les plus heureux qu'il ait produits. Son mérite l'ayant fait appeler à la cour de Bavière, il ne profita des faveurs dont il y fut comblé que pour le bien de son couvent, qui le comptoit, avec raison, au nombre de ses bienfaiteurs.

LES FRÈRES DE LA CHARITÉ.

Une maison de la ville de Grenade, louée, en 1540, par Jean de Dieu, pour y retirer et soigner les pauvres malades, devint le berceau d'une congrégation qui, dès son origine, s'est répandue dans une grande partie de l'Europe. Le charitable instituteur, que sa vertu sublime a fait mettre au nombre des saints, étoit pauvre et d'une naissance commune; mais la Providence, à laquelle il remit le succès de sa généreuse entreprise, ne l'abandonna point, et lui envoya de pieux associés qui se trouvèrent heureux de partager ses fonctions. Ainsi se forma une petite communauté, qui n'eut d'abord d'autre règle à suivre que l'exemple de son digne chef. Il mourut le 8 mars 1550; et sa congrégation ne fut approuvée par le saint siége et mise sous la règle de Saint Augustin qu'en 1572. Ayant bientôt formé des établissements en Italie, les Frères de la Charité se trouvèrent sous l'autorité immédiate du pape Sixte V, qui leur permit, en 1586, de dresser des constitutions, et de tenir un chapitre général. Leur ordre reçut en même temps le titre de congrégation de Jean de Dieu; et Paul V l'érigea en ordre religieux l'an 1609. Aux trois vœux ordinaires, ils ajoutèrent celui d'exercer l'hospitalité, en vertu d'un bref du même pape de l'année 1617.

Marie de Médicis n'amena point des Frères de la Charité en France, comme l'a prétendu le P. Hélyot; mais un an après son mariage, en 1601, elle en fit venir quelques-uns de Florence, et les établit, en 1602, au lieu qu'occupèrent depuis les Petits-Augustins. Ils obtinrent presque aussitôt des lettres-patentes du roi, le consentement de l'archevêque de Paris, etc.

Marguerite de Valois, ayant désiré avoir, pour sa fondation, le terrain qu'occupoient ces religieux, en traita avec eux en 1606, et les fit transférer dans une autre maison accompagnée d'un grand jardin, et située rue des Saints-Pères, près de la chapelle Saint-Pierre. Cette chapelle, dont nous allons bientôt parler, appartenoit alors à la paroisse Saint-Sulpice; et les Frères de la Charité, qui obtinrent alors la permission d'y célébrer l'office divin, n'en acquirent l'entière propriété qu'en 1659. Toutefois, à cette dernière époque, l'ancienne chapelle n'existoit plus depuis long-temps: dès 1613, elle avoit été démolie, et l'on avoit commencé aussitôt à en bâtir une plus grande sur le propre terrain de ces religieux. La reine Marguerite en posa la première pierre dans cette même année 1613; mais elle ne fut dédiée sous l'invocation de saint Jean-Baptiste qu'en 1621; et l'on y mit enfin la dernière main en 1733, en y faisant construire un portail d'assez bon goût, qui fut élevé sur les dessins de de Cotte, architecte. En 1738, ces religieux acquirent une portion de terrain aliénée peu de temps auparavant par l'abbaye Saint-Germain, et sur cet emplacement firent bâtir des salles plus vastes pour y recevoir un plus grand nombre de malades. M. Antoine, architecte de l'hôtel des monnoies, donna le dessin et dirigea la construction d'une de ces salles, disposa la cour sur un nouveau plan, et décora l'entrée de l'hospice d'un petit porche à colonnes sans bases, d'un très bon style[278].

CURIOSITÉS DE L'HOSPICE DE LA CHARITÉ.
TABLEAUX.

Dans la nef de l'église qui étoit propre et régulière, le martyre de saint Pierre et celui de saint Paul; par Cazes.

Saint Jean prêchant dans le désert; par Verdot.

La Résurrection du Lazare; par Galoche.

La Multiplication des pains; par Hallé.

Notre Seigneur guérissant les malades; par d'Ulin.

La belle-mère de saint Pierre guérie de la fièvre; par le même.

Dans le chœur, un Christ; par Benoît.

Dans la chapelle à droite, une Annonciation et une Visitation; par Verdot.

Dans la chapelle à gauche, l'apothéose de saint Jean de Dieu; par Jouvenet.

Sur les deux côtés, Abraham visité par les anges, et le Samaritain; par Restout.

Dans la chapelle de la grande salle, saint Louis pansant un malade; par Tételin.

Notre Seigneur chez le Pharisien, et les noces de Cana; par Restout.

Dans la salle Saint-Michel, la Charité; par Le Brun.

Dans les autres salles, plusieurs tableaux de La Hire, Le Brun, de Sève, etc.

SCULPTURES.

Dans une des chapelles de l'église, une statue en marbre de la Vierge; par Le Pautre.

SÉPULTURES.

Dans la même chapelle avoit été inhumé Claude Bernard, dit le pauvre prêtre, mort, en 1641, en odeur de sainteté. Sa statue, en terre cuite, étoit d'un sculpteur nommé Benoît.

Cet hospice, au moment de la révolution, pouvoit contenir environ deux cent trente malades, qui y étoient traités avec un soin, un zèle et une charité qu'on ne pouvoit trop admirer. Les religieux de la Charité possédoient une pharmacie, un jardin botanique et un cabinet d'histoire naturelle[279].

LES ENFANTS TEIGNEUX.

Presque tous nos historiens ont confondu cet établissement avec les Petites-Maisons, parce qu'effectivement la ville avoit destiné, dans ce dernier établissement, des salles pour recevoir les personnes affligées de la teigne. Dans la crainte que cette maladie ne se communiquât, on les plaça bientôt dans des bâtimens séparés; enfin, pour éloigner jusqu'à l'ombre du danger, on fit construire, rue de la Chaise, un nouvel hospice réservé uniquement pour les teigneux, avec une chapelle, qui fut bénite sous l'invocation de sainte Reine. Sauval donne à cet établissement la date de 1655: il faut qu'il soit antérieur à cette époque, puisqu'on le trouve sur le plan de Gomboust, publié en 1652[280].

L'ABBAYE ROYALE
DE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS.

Tous nos historiens[281] s'accordent à dire que cette abbaye, l'une des plus anciennes et des plus illustres de France, fut fondée par Childebert Ier, fils de Clovis; mais ils varient entre eux de 543 à 556, sur la date de cette fondation. Jaillot, sans prétendre que la première de ces deux époques, présentée par Adrien de Valois,[282] soit appuyée d'autorités incontestables, la considère cependant comme celle qui offre le plus de vraisemblance. Ce critique, même en regardant comme douteuse la tradition qui veut que Childebert, dans son expédition d'Espagne, ait obtenu des habitants de Saragosse, qu'il assiégeoit, la tunique de saint Vincent,[283] et n'ait fait bâtir la basilique dont nous parlons que pour l'y déposer, paroît persuadé cependant que ce fut effectivement, à son retour de cette contrée, qu'il éleva ce monument, soit par une dévotion particulière à l'égard de ce saint, soit qu'il voulût placer honorablement quelques unes de ses reliques qu'il auroit pu se procurer à Valence, lieu de son martyre. Alors la date de 543 doit paroître la véritable; et du reste le même historien explique d'une manière assez satisfaisante la charte de Childebert, dont les expressions ont déterminé dom Mabillon et plusieurs autres savants à reculer de douze à treize ans ce grand événement[284].

Cette église fut dédiée sous l'invocation de saint Vincent, de la sainte Croix etc., par saint Germain, alors évêque de Paris, le jour même de la mort de Childebert, le 23 décembre 558. C'étoit seulement le 6 du même mois, que ce prince avoit donné sa charte de fondation de la nouvelle abbaye, portant donation du fief d'Issi avec ses appartenances et dépendances, du droit de pêche sur la rivière, depuis les ponts de Paris jusqu'au ru de Sèvre, d'un chemin de dix-huit pieds de large des deux côtés de la rivière, et d'une chapelle de Saint-Andéol, qu'on suppose avoir été remplacée depuis par l'église Saint-André-des-Arcs[285].

On sait que les monastères anciens les plus célèbres renfermoient ordinairement, dans leur enceinte ou dans leurs dépendances, plusieurs églises séparées, quelquefois même assez éloignées les unes des autres, et dont les plus petites n'avoient que le simple titre d'oratoire. Saint Germain, qui avoit eu tant de part à la fondation de l'abbaye de Saint-Vincent, fonda une chapelle de ce genre, au midi de l'église, sous l'invocation de saint Symphorien; c'est là qu'il fut enterré, ainsi que son père Éleuthère et sa mère Eusébie. Vers le même temps, on construisit au nord, sous le nom de Saint-Pierre, l'oratoire dont nous avons déjà parlé, à l'article de Saint-Sulpice, ainsi que la chapelle Saint-Martin des Orges. Quant au monastère lui-même, il fut occupé d'abord par des religieux soumis à la règle de saint Basile, que le saint évêque fit venir d'Autun, et qu'il mit sous la conduite de Droctové, généralement regardé comme leur premier abbé[286]; et telle fut l'affection qu'il porta à cette abbaye, sinon créée, du moins organisée par ses soins, qu'après l'avoir comblée de biens, il voulut encore se démettre, en sa faveur, des droits de son siége, et lui accorder l'exemption de la juridiction épiscopale, dans toute l'étendue du territoire d'Issi, que Childebert venoit de lui donner. Il est vrai que les chartes qui établissent cette exemption ont été vivement attaquées, dans le dix-septième siècle, par des savants du premier ordre; mais il est certain aussi qu'une possession non contestée de onze cents ans formoit un titre de prescription assez respectable; et que, malgré le droit commun et les décrets des conciles qui soumettoient les moines à l'autorité des évêques, il y a des exemples si éclatants d'exemptions de ce genre, et de priviléges particuliers accordés à certains monastères, que la règle générale ne peut être nullement alléguée ici, comme une preuve vraiment péremptoire. Jaillot entre à ce sujet dans une longue discussion, dont le résultat est de prouver, par une foule d'actes solennels, cette dépendance immédiate du saint siége, toujours revendiquée avec succès par l'abbaye Saint-Germain, et qui confirme jusqu'à la dernière évidence, l'authenticité des chartes sur lesquelles elle étoit fondée[287].

Le saint évêque de Paris mourut, et bientôt la dévotion des peuples excitée par les miracles qui s'opéroient, dit-on, sur son tombeau, s'empressa de joindre son nom à celui du patron de cette abbaye. Dans une infinité d'actes des 7e et 8e siècles, elle est indistinctement appelée la basilique de Saint-Germain, de Saint-Vincent; de Saint-Vincent et de Saint-Germain. Cependant les fidèles accouroient de toutes parts dans la chapelle Saint-Symphorien, où reposoit le corps du bienheureux, et le concours en devint si prodigieux, que le roi Chilpéric forma le projet de faire bâtir une basilique nouvelle, uniquement pour recevoir les restes de ce saint évêque. Nous avons parlé, à l'article de Saint-Germain-l'Auxerrois, de ce projet qui resta sans exécution; et ce fut seulement en 754, que ces restes précieux furent transférés de la chapelle Saint-Symphorien dans la grande église, cérémonie qui se fit en présence de Pépin et de ses deux fils, Charles et Carloman. On plaça la tombe qui les contenoit dans le rond-point du sanctuaire.

Cette abbaye éprouva, à diverses reprises, toute la rage des Normands. Ils la pillèrent en 845 et 858, et y mirent le feu en 861. Elle fut réparée, huit ans après, par les soins de l'abbé Gozlin; mais, au rapport de Dubreul, ces barbares, revenus en 885 dans les environs de Paris, la détruisirent presque de fond en comble, et tellement, que, soit qu'on craignît de nouvelles incursions, soit que d'aussi grands malheurs eussent réduit ses religieux à l'indigence, l'église et le monastère ne furent entièrement rebâtis qu'en 990. Piganiol place cette construction en 1014; mais il ne fait pas attention que l'abbé Morard, qui en fut l'auteur ainsi qu'il le reconnoît lui-même[288], mourut le 1er avril de cette année, et qu'alors l'église étoit entièrement finie. Elle fut dédiée en 1163 par le pape Alexandre III; et ce souverain pontife déclara lui-même publiquement que cette église n'étoit soumise à aucun archevêque ou évêque, mais au Saint-Siége seulement[289]; ce qu'il confirma quelques jours après, dans le concile qu'il tint à Tours.

Le relâchement s'étant introduit parmi les religieux de l'abbaye Saint-Germain, Guillaume Briconnet, évêque de Lodève, qui en étoit abbé au commencement du 16e siècle, résolut de rétablir l'ancienne discipline, et pour y parvenir, appela dans ce monastère environ trente religieux de celui de Chézal-Benoît. Cette réforme se soutint un siècle entier; mais commençant à décliner vers 1618, on fit venir, pour une réforme nouvelle, des religieux de la congrégation de Saint-Maur. Avec eux entrèrent, dans cette maison, la régularité, la piété, la pénitence, l'étude des saintes lettres; et alors commença cette suite d'esprits distingués et de savants illustres, qui ont donné un si grand éclat à cette célèbre abbaye.

Si l'on en croit les anciennes traditions, la première basilique, bâtie par Childebert, étonnoit par sa magnificence. Les colonnes qui en soutenoient la voûte étoient de marbre, l'or éclatoit de toutes parts sur les murs et sur les lambris, l'extérieur même étoit tout couvert de cuivre doré[290]. Alors l'abbaye Saint-Germain, isolée dans la campagne, avoit toutes les apparences d'une citadelle; ses murailles étoient flanquées de tours et environnées de fossés; un canal large de treize à quatorze toises, qui commençoit à la rivière, et que l'on nommoit la petite Seine, couloit le long du terrain où est présentement la rue des Petits-Augustins, tomboit dans ces fossés, et séparoit le grand pré aux Clercs du petit. Celui-ci étoit le plus proche de la ville. Lorsque l'abbé Morard entreprit de rétablir cette église déjà plusieurs fois dévastée, il n'en conserva qu'une grosse tour sous laquelle il fit construire le portail que l'on voit encore aujourd'hui. Tous les piliers de la nef et de ses collatéraux sont de son temps, ainsi que les quatre piliers qui supportent les petites tours placées des deux côtés du chœur. La tour principale est donc le seul débris des constructions faites par Childebert, et encore faut-il en excepter son couronnement, dont les piliers, entièrement semblables à ceux de la nef, doivent être également attribués à l'abbé Morard. Cependant l'abbé Lebeuf pense que certaines arcades par lesquelles on alloit de la tour septentrionale à la chapelle de la vierge, pourroient être aussi du temps de la fondation de l'abbaye. Les parties extérieures des petites tours lui sembloient être seulement de la fin du onzième siècle.

Après l'abbé Morard, il se fit encore beaucoup de travaux dans l'église; et l'on a remarqué que, dans ces constructions nouvelles, on ne suivit pas exactement l'alignement de l'ancien édifice. L'abbé Eudes éleva un nouveau cloître en 1227. Simon, son successeur, fit construire, en 1239, le réfectoire et les murs de l'abbaye; Hugues d'Issi, qui le remplaça, fit bâtir la chapelle de la vierge dont nous venons de parler; et l'abbé Gérard ordonna, en 1273, la construction du chapitre et du dortoir qui étoit au-dessus.

Cette chapelle de la vierge, située au nord de l'église, en étoit séparée par le petit cloître et par la sacristie, bâtie sous le règne de saint Louis, par le célèbre architecte Pierre de Montereau. Elle étoit admirée comme un des chefs-d'œuvre gothiques les plus élégants qu'il y eût à Paris. Il en étoit ainsi du réfectoire, séparé seulement de ce monument par le dortoir, construit sur le même plan et sans doute par le même artiste. Les anciennes cryptes de l'abbaye étoient, suivant dom Bouillart, à la place où fut depuis élevée la chapelle bâtie par Montereau.

Les dernières réparations faites à l'église, avant la révolution, remontent à l'année 1653. On éleva alors une voûte à la place d'un vieux lambris qui en couvroit les murs, et les deux côtés furent ouverts pour y pratiquer des ailes. Tel qu'il est cependant, ce bâtiment n'offre rien de très remarquable. Construit en forme de croix, il présente une dimension de deux cent soixante-cinq pieds de longueur, sur soixante-cinq de large et cinquante-neuf de hauteur[291]. La croisée est éclairée à ses deux extrémités par deux grands vitraux qui en occupent toute la largeur; le chœur, placé dans le rond-point, est entouré de huit chapelles, et le grand autel est isolé entre le chœur et la nef.

Cette basilique n'en méritoit pas moins d'être visitée pour quelques précieux restes d'antiquités qu'elle conservoit. Il est assez probable que nos premiers rois chrétiens l'avoient choisie pour le lieu de leur sépulture. Nous apprenons, par Grégoire de Tours que Childebert et Chilpéric y furent inhumés; les historiens, qui écrivoient après lui, témoignent que plusieurs autres y furent ensevelis; et c'est une ancienne tradition qu'on y déposoit les corps de toutes les personnes royales qui, étant mortes de mort violente, n'avoient rien ordonné touchant leurs sépultures. Toutefois, on ne comptoit dans cette église que six tombeaux de ces princes de la seconde race, et encore l'authenticité de plusieurs étoit-elle contestée.

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS.
TABLEAUX.

Sur les deux piliers du chœur, près du maître-autel, la translation de saint Germain et le martyre de saint Vincent; par Hallé.

Sur la menuiserie qui entouroit le chœur, neuf tableaux par Cazes: 1o saint Vincent et l'évêque Valère jugés devant Dacien; 2o saint Vincent et Valère traînés en prison; 3o saint Vincent prêchant devant l'évêque Valère; 4o le saint ordonné diacre par le même évêque; 5o une descente de croix; 6o le sacre de saint Germain; 7o saint Germain présentant au roi Childebert le plan de l'abbaye; 8o le roi Clotaire malade, guéri miraculeusement par saint Germain; 9o la mort de saint Germain.

Dans la nef:

Saint Pierre guérissant le boiteux; par le même.

Ananie et Saphire; par Le Clerc.

Le Baptême de l'Eunuque; par Bertin.

Ananie imposant les mains à saint Paul; par Restout.

Saint Pierre ressuscitant Tabithe; par Cazes.

Saint Pierre délivré de sa prison; par Vanloo aîné.

La conversion de Serge-Paul et l'aveuglement de Barjésu; par Le Moine.

Saint Paul et saint Barnabé refusant les sacrifices de la ville de Lystre; par Christophe.

Les portes de la prison s'ouvrant miraculeusement devant saint Paul; dans la même ville; par Hallé.

Saint Paul mordu d'une vipère dans l'île de Malte; par Verdot.

Dans la chapelle Saint-Symphorien: Hérode-Agrippa frappé de Dieu; par Pierre.

Saint Pierre guérissant les malades avec son ombre; par le même.

Saint Étienne devant les docteurs; par Natoire.

La conversion de saint Paul; par Jeaurat.

À l'autel, le martyre de saint Symphorien; par Hallé.

Dans la sacristie neuve, les esquisses terminées de tous les tableaux de la nef; une copie de la Transfiguration de Raphaël, et l'ancien tableau dont nous avons déjà parlé[292], représentant l'abbé Guillaume et sa famille, en adoration auprès d'un Christ mort.

Dans le réfectoire: une Nativité, par Van-Mol; et une copie des Pélerins d'Emmaüs, de Paul Véronèse, dont l'original est à Versailles.

Dans la bibliothèque, le meurtre d'Abel; par Le Brun.

Dans l'apothicairerie, Apollon et Esculape; par Cazes.

SCULPTURES.

Sur le maître-autel, décoré de six colonnes de marbre cipolin, avec baldaquin, palmes, feuilles d'acanthe, etc., un ange tenant le suspensoir du Saint Sacrement, et deux autres à genoux sur des enroulements, supportant la châsse de saint Germain, suspendue au milieu de cette décoration; le tout exécuté, sur les dessins d'Oppenord, par les frères Slodtz.

La châsse de saint Germain, en vermeil, exécutée en 1408 par les soins et les libéralités de l'abbé Guillaume III. Ce monument d'orfévrerie, d'un travail très délicat, et couvert de pierres précieuses, avoit la forme d'une église entourée d'arcades en ogives, et offrant douze niches où étoient placés les douze apôtres. Le portail étoit orné d'un groupe représentant la Sainte Trinité, l'abbé Guillaume, le roi Eudes[293], saint Germain, saint Vincent et saint Étienne, ces deux derniers en habit de diacre.

Un devant d'autel en cuivre doré, autre don du même abbé, et offrant, sous sept arcades très précieusement terminées, d'abord et au milieu, un Christ accompagné d'un groupe, dans lequel on reconnoissoit la figure du donataire; ensuite, et de chaque côté, les figures de divers saints apôtres et archanges. (Toutes ces figures étoient en vermeil.)

Sur l'autel, une belle croix, exécutée sur les dessins du frère Bourlet, religieux de cette maison.

Dans la chapelle Saint-Maur, au retable de l'autel, un bas-relief en pierre de Tonnerre, représentant l'apothéose du saint; par Pigale.

Dans la chapelle de Sainte-Marguerite, la statue de cette sainte; par le frère Bourlet.

Dans le vestibule de la chapelle de la Vierge, un Christ en plâtre; par le même.

Dans la bibliothèque, un bas-relief en marbre à la gloire du comte de Caylus; par Bouchardon; et plusieurs bustes en bronze, parmi lesquels on remarquoit ceux du janséniste Arnauld et de Boileau; par Girardon.

Dans le vestibule de l'église, des deux côtés de la porte, huit statues gothiques représentant des rois, des reines et un évêque[294].

Dans la sacristie, un grand nombre de reliques précieuses, de croix, de vases sacrés, d'ornements, où éclatoient l'or, les diamants, les pierreries, et qui n'étoient pas moins remarquables par l'excellence du travail que par la richesse de la matière.

SÉPULTURES.

Dans cette église avoient été inhumés:

Dans le chœur, Childebert, roi de France, et fondateur de cette abbaye, mort en 551, et Ultrogothe sa femme. La pierre qui couvroit sa tombe le présentoit couché, tenant son sceptre d'une main, et de l'autre, le modèle de l'église de Saint-Germain[295].

Dans le sanctuaire, du côté de l'évangile, Chilpéric Ier, roi de France, assassiné en 584, et Frédégonde sa femme, morte en 597[296]; Childéric II, assassiné en 673.

Du côté de l'épître, Clotaire II, mort en 628, et Berthrude, sa première femme, morte en 620, Bilihilde, femme de Childéric II, et son fils Dagobert, assassinés en 673[297].

Clovis et Mérovée, fils de Chilpéric Ier, morts en 577 et 581, tous les deux victimes des fureurs de Frédégonde.

Catherine de Bourbon, fille de Henri de Bourbon, prince de Condé, et de Marie de Clèves, morte en 1595.

Marie de Bourbon-Conti, fille de François de Bourbon-Conti et de Louise de Lorraine, morte en 1610, douze jours après sa naissance.

François de Bourbon-Conti son père, mort en 1614.

Le cœur de Henri de Bourbon, duc de Verneuil, fils naturel de Henri IV, et abbé de Saint-Germain, mort en 1682.

Louis-César de Bourbon, comte de Vexin, fils naturel et légitimé de Louis XIV, mort en 1683.

Dans la chapelle Saint-Christophe, consacrée à l'illustre famille des Douglas, princes d'Écosse, Guillaume Douglas, comte d'Auguise, mort en 1611[298].

Jacques Douglas, son petit-fils, mort en 1645[299].

Robert Douglas, capitaine aux gardes, mort en 1662.

La comtesse de Dumbarton, femme de Georges Douglas, morte en 1691.

Georges Douglas, comte de Dumbarton, général des armées de S. M. britannique en Écosse, mort en 1692.

Guillaume-Mathias Douglas, mort en 1715.

Dans la chapelle de Saint-Casimir, le cœur de Jean Casimir, roi de Pologne, mort en 1672, abbé de Saint-Germain[300]. (Son corps avoit été transporté en Pologne.)

Dominique du Gabré, évêque de Lodève, mort en 1558.

Jean Grollier, trésorier de Milan et de France, mort en 1565.

Pierre Danez, évêque de Lavaur, envoyé de François Ier au concile de Trente, mort en 1577.

Eusèbe Renaudot, de l'Académie françoise et de celle des Inscriptions et belles-lettres, mort en 1720.

Dans la chapelle Sainte-Marguerite, Charles de Castellan, abbé commandataire de Saint-Evre-de-Toul et de la Sauve-Majeure, mort en 1677.

François de Castellan, seigneur de Blénot-le-Ménil, mort en 1683.

Le cœur d'Olivier de Castellan, lieutenant-général des armées du roi, tué au siége de Tarragone en 1644.

Celui de Louis de Castellan, brigadier d'infanterie, blessé à mort au siége de Candie en 1669[301].

Ferdinand Égon, landgrave de Furstenberg, mort en 1696.

François de La Marck, colonel du régiment de cavalerie de Furstenberg, mort en 1697.

François Henri, prince de La Tour-et-Taxis, chanoine de Cologne, mort en 1700.

Guillaume Égon, cardinal de Furstenberg, etc., abbé de Saint-Germain, mort en 1704.

N....., comtesse de La Marck, morte en 1704, peu de temps après sa naissance.

César, cardinal d'Estrées, abbé de Saint-Germain, mort en 1714.

Dans la chapelle de la Vierge, Pierre de Montereau, architecte célèbre du treizième siècle, mort en 1266[302]. (Agnès, sa femme, étoit inhumée dans le même tombeau.)

Le P. Jean Mabillon, savant illustre, mort en 1707, etc.

Les historiens de Paris parlent encore de plusieurs tombeaux découverts dans les fouilles faites, à différentes époques, dans cette église, et dont quelques uns contenoient des squelettes enveloppés dans des étoffes précieuses, des restes de bottines, de baudriers et d'autres attributs, qui indiquoient des personnes du rang le plus illustre, et la plupart inhumées sous la seconde race.

Les bâtiments de ce monastère éprouvèrent successivement des changements et des augmentations considérables jusque dans le dix-huitième siècle. Vers 1585, le cardinal de Bourbon commença la construction du palais abbatial qui existe encore aujourd'hui, et les religieux relevèrent les murailles qui entouroient les fossés, du côté des rues Saint-Benoît et du Colombier. En 1684, ils firent élever le bâtiment qui régnoit le long du parvis, en face de leur jardin, et dans lequel étoient établis les bureaux de leurs officiers. Depuis 1699 jusqu'en 1715, on ouvrit plusieurs rues dans l'enclos abbatial, où se logèrent aussitôt un grand nombre d'artisans, dans l'intention de jouir du droit de franchise qui y étoit attaché. En 1715, on bâtit une nouvelle sacristie auprès de l'ancienne; enfin dans ce même siècle on reconstruisit, sous la direction du père de Creil, une partie du cloître et deux grands corps de logis qui renfermoient un vestibule et de grandes salles basses. Tous ces bâtiments, de vastes cours, plusieurs jardins, et une foule d'autres dépendances, étoient renfermés dans un espace circonscrit par les rues du Colombier, Saint-Benoît, Sainte-Marguerite, et de l'Échaudé.

BIBLIOTHÈQUE.

La bibliothèque de ce monastère, la plus belle et la plus nombreuse de Paris, après celle du roi, avoit été commencée par le père Dubreul; et dès-lors composée d'excellents livres, depuis sans cesse augmentée par les bibliothécaires qui lui succédèrent, elle reçut ses accroissements les plus considérables, d'abord en 1685, que Noël Vallant, médecin de mademoiselle de Guise, lui donna tous ses livres par testament. En 1700, Michel Antoine Baudran, prieur de Rouvres et de Neumarché, l'enrichit encore de sa bibliothèque. Elle eut en 1718 celle de l'abbé Jean d'Estrées; en 1720 les livres de l'abbé Renaudot; en 1732 la bibliothèque des manuscrits du chancelier Séguier; en 1744 et en 1762 les livres et manuscrits du cardinal de Gèvres, archevêque de Bourges, et de M. de Harlay, conseiller d'état. Cette précieuse collection contenoit environ cent mille volumes imprimés, parmi lesquels on comptoit un grand nombre d'éditions rares et anciennes; quinze à vingt mille manuscrits dans toutes les langues, dont plusieurs très précieux et très rares, surtout un psautier latin en lettres onciales, et deux ou trois bibles de la plus haute antiquité. On y voyoit le manuscrit des Pensées de Pascal, sur de petits papiers écrits de sa main et réunis dans un volume in-folio.

CABINET D'ANTIQUITÉS ET D'HISTOIRE NATURELLE.

Ce cabinet, formé vers la fin du dix-septième siècle contenoit une assez grande quantité d'antiquités égyptiennes, grecques, romaines, gauloises, chinoises, indiennes, des vases étrusques, des médailles, des pierres gravées, etc., et quelques objets d'histoire naturelle.

L'abbaye de Saint-Germain possédoit en outre un immense chartier, dans lequel étoient réunis un nombre considérable de titres et pièces très précieuses concernant l'abbaye elle-même, le faubourg Saint-Germain, la ville de Paris, et qui ont fort aidé à en débrouiller les antiquités.

BAILLIAGE DE L'ABBAYE.

Les abbés de Saint-Germain-des-Prés avoient autrefois toute juridiction, tant spirituelle que temporelle, sur le faubourg Saint-Germain. Ce n'est qu'en 1668 que M. de Péréfixe prétendit soumettre ce faubourg à la juridiction de l'ordinaire, comme tout le reste de la ville de Paris. Cette prétention, devenue la matière d'un procès, fut terminée par une transaction, dans laquelle il fut convenu que les droits de l'abbé seroient restreints à l'enclos de son monastère, mais sous la condition que le prieur de l'abbaye seroit vicaire général né et perpétuel de l'archevêque.

Les audiences de ce bailliage se tenoient en conséquence dans l'enclos. Le bailli portoit le titre de juge civil, criminel et de police, et remplissoit toutes ces attributions. Les appels se relevoient au châtelet.

PRISON DE L'ABBAYE.

Cette prison, située rue Sainte-Marguerite au fond du petit marché, étoit particulièrement affectée aux Gardes Françoises et autres militaires. Il y avoit une chapelle desservie par un prêtre de Saint-Sulpice[303].

LE SÉMINAIRE
DES MISSIONS ÉTRANGÈRES.

Le désir de voir la lumière de l'Évangile pénétrer dans les contrées encore plongées dans les ténèbres des fausses religions donna naissance à cet établissement. Ce fut M. Bernard de Sainte Thérèse, évêque de Babylone, qui en conçut le dessein; et en formant une société de Missionnaires qu'il destinoit à parcourir les pays étrangers, son intention étoit surtout qu'ils fissent de la Perse le théâtre de leurs travaux apostoliques. Il y consacra tous ses biens, ainsi que le prouve le contrat de donation passé le 16 mars 1663. Une des conditions portées dans cet acte fut que la maison qu'on alloit bâtir seroit appelée le Séminaire des Missions Étrangères, et qu'on en dédieroit la chapelle sous l'invocation de la sainte Famille. Les bâtiments furent élevés immédiatement après, sur un terrain appartenant à cet évêque, et situé au coin des rues du Bac et de la Fresnaie, dite depuis de Babylone. Des lettres-patentes du mois de juillet de la même année 1663 confirmèrent cette fondation; l'abbé de Saint-Germain ayant donné son consentement le 10 octobre suivant, les sieurs Poitevin et Gasil, au profit desquels la donation avoit été faite, y entrèrent le 27 du même mois. Une salle de cette maison leur servit d'abord de chapelle, et continua d'en servir jusqu'en 1683, époque à laquelle on en bâtit une plus régulière, dont la première pierre fut posée, au nom du roi, par M. François de Harlai, archevêque de Paris. Cette chapelle, qui est double, n'a rien de remarquable dans son architecture.

CURIOSITÉS.
TABLEAUX.

Dans la chapelle basse, sur l'autel principal, une Adoration des Mages; par Mauperrin.

Sur les deux autels à droite et à gauche, la Vierge et saint François-Regis; par le même.

Dans la chapelle haute, sur le maître-autel, l'Adoration des Mages; par Carle Vanloo.

Dans la chapelle à droite, la Sainte Famille; par Restout.

Dans la chapelle à gauche, une Vierge; par d'André-Bardon.

SÉPULTURES.

Dans cette église avoient été déposés:

Le cœur de Bernard de Sainte-Thérèse, archevêque de Babylone, fondateur de cette maison.

Le cœur de Louis Le Voyer d'Argenson, doyen et chanoine de Saint-Germain, l'un de ses bienfaiteurs.

Le cœur de Louise de La Tour d'Auvergne, dite mademoiselle de Bouillon, morte en 1683.

La maison de ce séminaire, qui fut entièrement rebâtie en 1736, étoit accompagnée d'un assez grand enclos. Elle possédoit une bibliothèque d'environ vingt-cinq mille volumes, où l'on comptoit plusieurs manuscrits intéressants, et une collection précieuse de livres chinois.

Quoique l'objet principal des directeurs de ce séminaire fût de former, suivant le vœu du fondateur, des ecclésiastiques propres à suivre la carrière des missions, et à travailler à la conversion des infidèles, cependant ils se rendoient encore utiles, à Paris même, dans les fonctions du saint ministère. Aux sermons publics ils joignoient des instructions particulières, faisoient le cathéchisme aux enfants, rassembloient des artisans et des ouvriers auxquels ils apprenoient leurs devoirs, et à sanctifier les dimanches et fêtes; enfin ne négligeoient aucune œuvre de religion et de charité[304].

LES CONVALESCENTS.

Le projet de cet établissement, destiné à donner un asile aux pauvres convalescents qui sortent des hôpitaux, et qui, faute des secours nécessaires pour achever de revenir à la santé, sont exposés à des rechutes dangereuses et souvent mortelles, fut conçu par plusieurs personnes pieuses et charitables, dès 1628, ainsi que le prouvent les lettres-patentes de Louis XIII données cette même année; mais il ne fut exécuté qu'en 1650 par madame Angélique Faure, veuve de M. Claude de Bullion, surintendant des finances. Voulant suivre le précepte de l'évangile, elle essaya de cacher son bienfait en se servant du nom et du ministère d'un ancien chanoine de Reims, nommé André Gervaise. Celui-ci acheta à cet effet, de M. Le Camus, évêque de Bellay, une maison située rue du Bac, la fit disposer convenablement pour recevoir huit convalescents, et obtint, le 6 août 1650, la permission d'y faire bâtir une chapelle. Cette maison fut donnée, en 1652, aux religieux de la Charité: ils y furent introduits, le 15 août de cette année, par le premier grand-vicaire de Saint-Germain, qui bénit la chapelle sous le nom de Notre-Dame des Convalescents.

L'exemple de madame de Bullion eut quelques imitateurs; et, vers les derniers temps, on comptoit dans cette maison vingt-un lits pour les convalescents, qui pouvoient y rester huit jours[305].

LE MONASTÈRE ROYAL DE L'IMMACULÉE CONCEPTION.

Cet ordre, fondé à Tolède en 1484 par Béatrix de Silva, fut mis, en 1501, sous la direction des Frères Mineurs par Alexandre VI, qui donna à ses religieuses la règle de Sainte-Claire: ce fut alors qu'elles prirent le nom de Récolettes, sous lequel elles ont été introduites en France. Quelques-unes d'entre elles, établies à Verdun, obtinrent, en 1627, par la protection de madame la présidente de Lamoignon, le consentement de l'abbé de Saint-Germain pour former un établissement sur son territoire; consentement que confirmèrent des lettres-patentes données en 1635. Sans entrer ici dans les discussions assez futiles qui se sont élevées entre nos historiens sur la date de leur établissement, il nous suffira de dire, d'après les autorités qui nous ont semblé les plus sûres[306], que ces Récolettes de Verdun, n'ayant pas jugé à propos de profiter de la permission qu'elles venoient d'obtenir, cédèrent, en 1634, à celles de Saint-Nicolas de Tulle, tous leurs droits et priviléges. En conséquence de cette cession, celles-ci achetèrent, rue du Bac, une maison où elles se logèrent en 1637.

Ces religieuses étoient sous la direction des Récollets. La distance qui séparoit les deux maisons rendant ce devoir extrêmement pénible à remplir pour ces religieux, ils obtinrent, en 1658, la permission de faire bâtir près de ce couvent un hospice pour quelques-uns d'entre eux. On le construisit, du côté de la rue de la Planche; mais depuis il fut entièrement abandonné.

La vie exemplaire des Récolettes avoit engagé la reine Marie-Thérèse d'Autriche à jeter les yeux sur elles, pour remplir le dessein qu'elle avoit formé d'établir un couvent de l'ordre de la Conception de Notre-Dame. Ces religieuses y ayant donné leur consentement avec joie, cette princesse obtint pour elles, en 1663, une bulle d'Alexandre VII, qui leur permettoit «de prendre l'habit, l'institut, la règle et la dénomination de religieuses de l'Immaculée Conception de la B. V. Marie, en demeurant toujours sous la direction des Récollets de la province Saint-Denis.» Les lettres-patentes qui confirmèrent cette bulle, en 1664, déclarèrent ce monastère de fondation royale; et les libéralités de Louis XIV procurèrent les moyens d'en rebâtir l'église. En 1693 la première pierre en fut posée par M. de Ligny et mesdemoiselles de Furstenberg, ses petites-filles. Elle fut achevée et bénite à la fin de l'année suivante[307].

CURIOSITÉS.

Sur le maître-autel, l'Immaculée Conception; par La Fosse.

LES FILLES SAINTE-MARIE, OU DE LA VISITATION.

Nous avons déjà parlé de l'origine de ces religieuses, de leur établissement à Paris, et des circonstances qui leur procurèrent en peu de temps trois couvents dans cette capitale[308]. Celui-ci, qui fut établi le dernier, devoit sa fondation à madame Geneviève Derval-Pourtel, qui consacra à cette bonne œuvre un don que lui avoit fait, par testament, M. d'Eufréville-Cizei son mari, pour la fondation et dotation d'un monastère de tel ordre qu'il lui plairoit de choisir. En vertu de ce testament, approuvé par deux arrêts du parlement de Rouen en 1656 et 1657, madame d'Eufréville passa un contrat de fondation avec les religieuses de la Visitation du faubourg Saint-Jacques, ajoutant aux libéralités de son mari une somme de 40,000 livres. Les sœurs qui devoient former la nouvelle maison s'établirent d'abord, en 1660, rue Montorgueil; mais ne s'y trouvant pas logées commodément, elles achetèrent, rue du Bac, une maison dont elles prirent possession en 1673. On y construisit aussitôt les lieux réguliers et une chapelle, dont la première pierre fut posée par une pauvre femme, sans autre cérémonie.

Cette chapelle fut reconstruite dans le siècle dernier, sur les dessins et sous la conduite de M. Hélin, architecte. C'est un assez joli petit bâtiment, décoré d'un porche d'ordre ionique, avec fronton. La reine en avoit posé la première pierre en 1775[309].

CURIOSITÉS.

Sur le maître-autel, la Visitation; par Philippe de Champagne.

En face de la porte d'entrée, Notre Seigneur au jardin des Olives; par Hallé.

Dans les chapelles, des statues de saints et saintes; par Bridau.

LES JACOBINS RÉFORMÉS.

En parlant du couvent qu'avoient ces religieux dans la rue Saint-Honoré, nous avons fait mention de la réforme que le P. Sébastien Michaëlis avoit introduite dans leur ordre. Afin d'en assurer le succès, le P. Nicolas Rodolphi, général de l'ordre, résolut d'établir en France un noviciat général pour ceux qui voudroient embrasser cette réforme. Il y fut autorisé par un bref d'Urbain VIII, donné en 1629, par des lettres-patentes de Louis XIII, et trouva en même temps, dans le cardinal de Richelieu, un protecteur puissant, qui, par ses bienfaits, mérita d'être considéré comme le fondateur du nouvel établissement. Dès 1631, quatre religieux, tirés de la maison de la rue Saint-Honoré, avoient été placés dans celle-ci, située rue Saint-Dominique, et qui n'étoit alors qu'un bâtiment très simple, avec un jardin et un clos contenant sept arpents et demi. Ils y firent construire aussitôt une petite chapelle, qui fut bénite en 1632. Mais le nombre des sujets qui se présentoient pour subir les épreuves et obtenir leur admission dans l'ordre, augmentant chaque jour, il fallut penser à bâtir des lieux plus réguliers. Ils commencèrent par l'église, qui fut élevée sur les dessins de l'architecte Pierre Bullet. La première pierre en fut posée, en 1682, par M. Hyacinthe Serroni, archevêque d'Albi, et par madame Anne-Montbazon, duchesse de Luynes. Elle fut achevée l'année suivante.

Ce bâtiment, d'une médiocre grandeur, et décoré intérieurement d'un ordre de pilastres corinthiens, offre tous les caractères de l'architecture employée à cette époque dans les édifices sacrés, et du reste n'a rien de remarquable. Le portail, rebâti quelques années avant la révolution par le frère Claude, religieux de cette maison, se compose de deux ordres élevés l'un sur l'autre, dans la forme pyramidale adoptée pour le plus grand nombre des églises de Paris; mais ces deux ordres, dont l'ensemble a quelque apparence, sont d'une proportion, et surtout d'une maigreur qui peut choquer l'œil le moins exercé[310].

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE.
TABLEAUX.

Dans les panneaux du chœur, dont la boiserie étoit exécutée avec soin, et très estimée, neuf tableaux, dont les sujets étoient tirés de la vie de Jésus-Christ; par le frère Jean André, religieux de cette maison.

Dans le plafond de ce chœur, la Transfiguration de Notre Seigneur; par Le Moine.

Au milieu du rond-point de l'église, la Résurrection de Jésus-Christ; par le frère André.

Dans l'attique, à l'entrée du chœur, saint Thomas-d'Aquin en extase; par le même.

En regard, le pape Pie V à genoux devant un crucifix, adressant ses vœux au ciel pour l'heureux succès de la bataille de Lépante; par le même.

Dans la chapelle du Rosaire, à gauche du maître-autel, la sainte Vierge donnant un rosaire à saint Dominique; par un peintre inconnu.

Dans la chapelle Sainte-Hyacinthe, sur l'autel, l'image de ce saint traversant un grand fleuve pour dérober les choses saintes aux Tartares qui pilloient la ville de Kiovie; sans nom d'auteur.

Dans la chapelle en regard de celle du Rosaire, la sainte Vierge donnant à un religieux de l'ordre le portrait de saint Dominique; la Visitation; la Présentation au Temple: ces trois tableaux étoient de frère André.

Dans la chapelle Saint-Barthélemi, le martyre de ce saint; par le même.

Dans la sacristie, les Pélerins d'Emmaüs, la Naissance de Jésus-Christ, saint Louis recevant les reliques de la Sainte-Chapelle, etc.; par le même.

Dans le réfectoire, le repas chez Simon le lépreux; par le même. Des portraits en médaillons représentant plusieurs religieux de cet ordre martyrisés à la Chine.

Dans une salle du premier étage, où se faisoient les offices nocturnes, cinq tableaux, par le même. Un Christ, par Girault.

Dans la salle des récréations, huit portraits par Rigaud, représentant le duc de Bourgogne, le duc de Vendôme, le comte de Toulouse, le duc de Bouillon, le comte d'Évreux, le maréchal de Villars, etc.

Dans une autre salle, tous les dessins et esquisses des tableaux du frère André, et le portrait du frère Romain, architecte célèbre.

Dans le parloir des étrangers, les portraits en pied de plusieurs papes de l'ordre de saint Dominique, de quelques généraux de l'ordre, du cardinal de Richelieu, etc.

SCULPTURES.

Le maître-autel, construit à la romaine, étoit orné de huit colonnes de marbre, offroit une gloire en bronze doré; accompagnée de chérubins. On y voyoit aussi la résurrection de Jésus-Christ, exécutée par Martin, sur les dessins de Le Brun.

Dans une salle à la suite de la bibliothèque, des bustes de divers personnages.

SÉPULTURES.

Dans cette église avoient été inhumés:

Le P. Vincent Baron, religieux de cet ordre, fameux théologien, mort en 1674.

Le frère François Romain, ingénieur et architecte, mort en 1735.

Dans la chapelle du Rosaire:

Philippe de Montault, duc de Navailles et maréchal de France, mort en 1684.

Suzanne de Parabère, sa femme, morte en 1700[311]. (Cette même chapelle contenoit la sépulture d'un grand nombre d'autres membres de cette famille.)

Charles de Lorraine, duc d'Elbeuf, troisième du nom, mort en 1692.

Suzanne d'Elbeuf, duchesse douairière de Mantoue, morte en 1710.

Françoise Berteau de Freuville, femme du marquis de Coetenfao, morte en 1715.

Louis Le Gay, l'un des bienfaiteurs de cette maison, mort en 1732.

Maximilien de Bellefourrière, marquis de Soyecourt, mort en 1649.

Hyacinthe Serroni, archevêque d'Albi, mort en 1687.

Jacques de Fieux, évêque et comte de Toul, mort en 1687.

Henriette de Conflans, marquise d'Armentières, morte en 1712.

René de Bec-Crespin, Grimaldi, marquis de Vardes, mort en 1688.

Marie de Bellevenave, veuve du marquis de Clérembaut, dame d'honneur de Madame, morte en 1724.

Marguerite de Laigue, veuve du marquis de Laigue, morte en 1700[312].

Ferdinand, comte de Relingue, lieutenant-général des armées du roi, mort en 1704.

François-Amable de Monestay, marquis de Chazeron, lieutenant des gardes-du-corps et des armées du roi, gouverneur de Brest, mort en 1719.

L'abbé Arthus Poussin, docteur en théologie, l'un des bienfaiteurs de cette maison, mort en 1735.

Barthélemi Mascarini, maître des requêtes, l'un des bienfaiteurs de cette maison, mort en 1698.

Charles Gigault, seigneur de Merlus, mort en 1644.

La bibliothèque de ces pères, composée de plus de vingt-quatre mille volumes, étoit ornée de deux globes de Coronelli. Ils avoient partagé leur terrain: le cloître et le jardin en occupoient une partie; l'autre étoit couverte de maisons qu'ils louoient à des particuliers[313].

Parmi les religieux qui ont illustré cette maison, on distingue le P. Vincent Baron, docteur conventuel de l'Université de Toulouse, et considéré comme l'un des premiers théologiens du dix-septième siècle; le frère Jean André, peintre habile, et dont les tableaux faisoient le principal ornement de l'église et du monastère; le frère François Romain ingénieur et architecte très estimé. On lui doit le plan du pont de Maëstricht et une partie de sa construction. Louis XIV, qui l'avoit chargé de la conduite du Pont-Royal, fut si content de ses travaux, qu'il lui confia l'inspection des ouvrages des ponts et chaussées, et la réparation des bâtiments dépendants de son domaine.

LES THÉATINS.

Ces religieux étoient des clercs réguliers institués en Italie dans l'année 1524, par saint Gaëtan de Thiéne, Jean-Pierre Caraffe, archevêque de Théate, aujourd'hui Chieti, au royaume de Naples, Paul Consiglieri et Boniface de Colle. Leur institut, approuvé d'abord par Clément VII, sous le simple titre de clercs réguliers, prit celui de Théatins, lorsque l'archevêque de Théate, qui s'étoit démis de son siége pour entrer dans cette nouvelle congrégation, eut été élu pape en 1555, sous le nom de Paul IV. Le cardinal Mazarin, qui connoissoit cet ordre, ayant formé le dessein de lui faire avoir un établissement à Paris, acheta en 1642, sur le quai Malaquais, une maison qu'il fit arranger convenablement, et appela en France quatre religieux Théatins. Ils y vinrent en 1644; mais leur établissement légal n'eut lieu que quatre années après. Ce fut seulement en 1648 que, sur leur requête présentée à Henri de Bourbon, abbé de Saint-Germain, ils obtinrent toutes les permissions nécessaires. Le 7 août de la même année, le prieur de l'abbaye bénit leur chapelle, et le roi plaça lui-même la croix sur le portail de la maison, qui, d'après ses ordres, fut nommée Sainte-Anne la royale. Des lettres-patentes confirmèrent, en 1653, tout ce qui avoit été fait[314].

Le cardinal de Mazarin laissa aux Théatins une somme de 300,000 liv. pour bâtir une église, à la place de leur chapelle qui étoit beaucoup trop petite. Ils en confièrent l'exécution à un de leurs religieux nommé Camille Guarini, qu'ils firent venir exprès d'Italie, et qui passoit pour un grand architecte. Non seulement il fit un édifice du plus mauvais goût, mais il le construisit dans de si vastes proportions qu'il fallut en suspendre l'exécution. Cette église avoit été commencée en 1662, et le prince de Conti en avoit posé la première pierre au nom du roi: ce ne fut qu'en 1714 qu'il fut possible d'en reprendre les travaux, au moyen d'une loterie que Sa Majesté voulut bien accorder; et de toute l'ancienne, on ne conserva que la croisée. Elle fut bénite en 1720.

Le portail, sur le quai, fut érigé en 1747 par les libéralités du dauphin, père de Louis XVI, et à la sollicitation de M. Boyer, évêque de Mirepoix, qui avoit été religieux dans cette maison. Les dessins en furent donnés par M. Desmaisons, architecte; et tout médiocre qu'il est, ce portail passoit alors pour un morceau distingué, en le comparant à ce que produisoit le goût bizarre de cette époque[315].

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE.
TABLEAUX.

Derrière l'autel, le Paralytique à la piscine; copie du tableau de Restout, qui se voyoit à Saint-Martin-des-Champs.

Dans la chapelle Sainte-Anne, la Visitation; sans nom d'auteur.

Dans la chapelle située vis-à-vis, saint Gaëtan; également sans nom d'auteur.

Dans le réfectoire, une Cène attribuée au Titien.

SÉPULTURES.

Dans cette église avoient été inhumés:

Le cœur du cardinal Mazarin.

Pompée Varesi, nonce du pape, mort en 1678.

Delorme, médecin célèbre, mort en 1678.

Edme Boursault, auteur comique, mort en 1701.

Louis d'Aubusson, duc de la Feuillade, mort en 1725.

Frédéric-Jules de La Tour-d'Auvergne, connu sous le nom de chevalier de Bouillon et du prince d'Auvergne, mort en 1733.

Dans la chapelle de la Vierge on voyoit le mausolée du marquis du Terrail, maréchal des camps et armées du roi, exécuté par Broche jeune[316].

La bibliothèque de ces pères étoit composée d'environ douze mille volumes.

Cette maison, la seule qu'il y eût en France de cet ordre, a produit plusieurs sujets d'un vrai mérite, et s'est toujours soutenue avec honneur, quoique la règle de son institut défendît, à la fois, à ses membres d'avoir aucune propriété, et de demander l'aumône. Ils se contentoient seulement de recevoir ce qu'on leur donnoit.

Parmi les personnages célèbres qui sont sortis des Théatins, il faut distinguer le P. Alexis du Buc, controversiste fameux; le P. Quinquet, et le P. Boursault, fils de l'auteur comique du même nom, tous les deux habiles prédicateurs; surtout le P. François Boyer, devenu successivement évêque de Mirepoix, membre des trois académies, aumônier de la dauphine, etc., etc. Ses talents pour la prédication, ses vertus religieuses, et les invectives des philosophes modernes, dont il ne cessa pas un seul instant de signaler les doctrines dangereuses, sont des titres sans doute suffisants pour rendre sa mémoire respectable à tous les gens de bien.

LE PONT ROYAL.

Jusqu'en 1632, on ne communiquoit, du faubourg Saint-Germain, au Louvre et aux Tuileries que par un bac établi en cet endroit. À cette époque, un particulier nommé Barbier fit construire un pont de bois que l'on nomma successivement le pont Barbier, le pont Sainte-Anne en l'honneur de la reine d'Autriche, le pont des Tuileries, parce qu'il y conduisoit, enfin plus communément le pont Rouge, de la couleur dont il étoit barbouillé. Ce pont, qui étoit aligné avec la rue de Beaune, ainsi que le prouve l'inspection de tous les plans, fut brisé plusieurs fois par l'effort des glaces et par la rapidité de l'eau, enfin emporté tout-à-fait le 20 février 1684. Alors Louis XIV ordonna qu'il seroit rebâti en pierre et à ses dépens; les fondements en furent jetés le 25 octobre 1685, sous la conduite des sieurs Mansart et Gabriel, auxquels succéda bientôt le frère François Romain, dont les talents supérieurs étoient reconnus dans ce genre de construction, et qui en effet surmonta avec beaucoup de hardiesse et de bonheur toutes les difficultés que lui présentoient, en cet endroit, la profondeur de l'eau et la rapidité du courant. Ce pont, dont la dépense ne monte qu'à 720,000 fr., fut, dès-lors, appelé Pont-Royal.

Il a soixante-douze toises de long sur huit toises quatre pieds de large, y compris l'épaisseur des parapets; on y compte quatre piles et deux culées, formant cinq arches dont la construction a plus de solidité que d'élégance.

CHAPELLE DE LA VIERGE.

Cette chapelle, qui existoit dans le dix-septième siècle, avoit été élevée sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui la rue Sainte-Marie, pour servir de succursale à la paroisse Saint-Sulpice. Elle est indiquée en 1652 sur le plan de Gomboust; on ignore quand elle fut démolie, mais il est prouvé par d'autres plans qu'elle n'existoit plus en 1674.

LES CHANOINESSES DU SAINT-SÉPULCRE.

Ces chanoinesses étoient vulgairement appelées les religieuses de Belle-chasse. Leur ordre, institué en Palestine vers la fin du onzième siècle, ne fut connu en Europe que long-temps après, ce qui vient de ce que les rois de Jérusalem ne l'avoient d'abord formé que pour des hommes destinés à la garde du Saint-Sépulcre; les femmes n'y furent admises par la suite que parce qu'elles devinrent nécessaires pour remplir un grand nombre de fonctions et de détails qui semblent appartenir particulièrement à leur sexe. Quelques-unes de ces religieuses établies à Viset, dans le pays de Liége, en furent appelées en 1622 par la comtesse de Challigni[317], qui les fixa à Charleville[318]. En 1632, la baronne de Planci en fit venir cinq à Paris. Leur établissement dans cette ville éprouva d'abord quelques difficultés, parce que l'on ne vouloit point y agréer de nouvelles institutions religieuses, à moins qu'elles ne fussent suffisamment dotées. Enfin, en 1635, la mère Renée de Livenne de Verville acheta d'un particulier nommé Barbier une maison située au lieu dit Belle-chasse; et l'année suivante, la duchesse de Croy les gratifia de 2000 liv. de rente. On acheva, dans cette même année, de bâtir leur monastère, où elles entrèrent le 20 octobre. Des lettres-patentes, données en 1637, confirmèrent cet établissement, qu'elles qualifient «Chanoinesses régulières de l'ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, sous la règle de Saint-Augustin.» Ces religieuses ont augmenté depuis leurs jardins, leurs bâtiments, et fait reconstruire leur chapelle, qui fut bénite en 1673[319].

LES PETITES CORDELIÈRES.

Nous avons déjà parlé de l'établissement de ces religieuses au faubourg Saint-Marcel[320]. Leur nombre s'étant fort augmenté, elles obtinrent, en 1632, des lettres-patentes qui leur permettoient «de fonder et instituer dans la ville un petit couvent de leur ordre, par forme de secour à leur monastère du faubourg[321]». Sur le consentement que l'archevêque donna la même année à ces lettres, elles s'établirent, sous le titre de religieuses de Sainte-Claire de la Nativité, dans une maison située rue des Francs-Bourgeois et Payenne, qui leur avoit été donnée par M. Pierre Poncher, auditeur à la chambre des comptes. En 1687, ayant acquis, à titre d'échange, l'hôtel de Beauvais, rue de Grenelle, elles obtinrent de Louis XIV la permission d'y transférer leur communauté, et y demeurèrent jusqu'en 1749, que ce monastère fut supprimé par un décret.

L'ABBAYE DE NOTRE-DAME-DE-PENTEMONT.

Deux pieuses personnes, Catherine Florin et Jeanne-Marie Chésar de Martel, s'étoient associées dans l'intention de former une communauté qui se destineroit à l'instruction des jeunes filles. Ce nouvel institut, créé à Lyon en 1625, fut approuvé en 1631 par une bulle du pape Urbain VIII. Dès 1627, des affaires ayant appelé à Paris la dame de Martel, l'utilité déjà reconnue de son établissement la fit accueillir de la reine Anne d'Autriche, et de plusieurs personnes de la plus haute qualité; et, soutenue par d'aussi puissantes protections, elle forma aussitôt le projet d'avoir une seconde maison dans cette capitale. Ce ne fut toutefois qu'en 1643 qu'on lui accorda les lettres-patentes qui lui permettoient de s'y établir. Elle plaça son petit troupeau dans une grande maison accompagnée de jardins, dont la propriété appartenoit à l'hôpital général, et qui étoit située rue de Grenelle, au lieu dit l'Orangerie. La chapelle en fut bénite par le prieur de Saint-Germain, qui, en 1644, introduisit ces filles dans ce monastère, sous le titre d'Augustines du Verbe Incarné et du Saint-Sacrement. Cependant, comme cette communauté n'avoit pas de revenus suffisants pour assurer sa subsistance, les lettres-patentes de 1643 n'avoient point été enregistrées. Les filles du Verbe Incarné sollicitèrent et obtinrent en 1667 des lettres de surannation, au moyen desquelles elles espérèrent en 1670 se soustraire à la suppression qui fut faite alors de plusieurs hospices et maisons; mais ce fut moins en raison de ce titre qu'elles échappèrent alors à cette mesure générale, que parce que l'archevêque de Paris jugea leur maison propre à recevoir une partie des religieuses qui sortoient des couvents supprimés. Leurs lettres furent donc enregistrées, mais sous la condition de ne point recevoir de novices, jusqu'à ce qu'il en eût été autrement ordonné. Cette faveur qu'on leur accordoit étoit en effet bien illusoire; car, dès l'année suivante, une ordonnance du prieur de l'abbaye, confirmée par des lettres-patentes et par arrêt du parlement, les supprima et appliqua tous leurs biens à l'hôpital général[322].

Ce fut cet événement qui procura aux religieuses de Pentemont l'occasion de s'établir à Paris. Cette abbaye avoit été fondée, en 1217, par Philippe de Dreux, évêque de Beauvais, pour des Bénédictines: cinq ans après, elles embrassèrent la règle de Cîteaux. On pense que c'est de la situation de leur monastère, bâti près de Beauvais sur le penchant de la montagne de Saint-Symphorien, que le nom de Pentemont leur a été donné. Cette situation étoit extrêmement désagréable, et les débordements de la rivière d'Avalon avoient plusieurs fois dégradé leurs bâtiments; enfin, en 1646, les ravages qu'y causa l'inondation furent tels, que ces religieuses se virent forcées de se retirer dans les faubourgs de Beauvais. S'y trouvant trop à l'étroit, et jugeant leur maison désormais inhabitable, elles obtinrent en 1672 des lettres-patentes qui leur permirent de s'établir à Paris; et, sur le consentement de leurs supérieurs, de l'archevêque et du prieur de Saint-Germain, elles achetèrent, à titre d'échange, des administrateurs de l'Hôpital général, le couvent dont nous venons de parler.

L'église de ce couvent fut rebâtie dans le siècle dernier sur les dessins et sous la conduite de M. Coutant, architecte du roi. Depuis, M. Fransque, son élève, et comme lui architecte du roi, acheva plusieurs détails de ce monument, que son maître avoit laissés imparfaits. La première pierre en avoit été posée, en 1755, par le dauphin père de Louis XVI.

C'est une assez jolie coupole, supportée par quatre pendentifs. Le maître-autel, placé en face de la porte d'entrée, étoit adossé à la grille du chœur; et l'église, du reste, n'offroit rien de remarquable que la fraîcheur de son exécution et l'extrême propreté des ornements dont elle étoit décorée. Le portail sur la rue est orné de deux colonnes ioniques que surmonte un fronton circulaire dont la forme pesante s'accorde mal avec la délicatesse de l'ordre[323].

LES CARMÉLITES.

Ces religieuses, établies d'abord à Notre-Dame-des-Champs, désirant avoir dans l'intérieur de Paris une maison qui, dans les cas extraordinaires, pût leur servir de refuge et de retraite, obtinrent en 1656 des lettres-patentes qui leur permirent d'établir, rue du Bouloi, un monastère dépendant de celui de la rue Saint-Jacques, toutefois avec défense d'y recevoir des novices, des professes ou d'autres religieuses que celles qui seroient envoyées de cette première maison. Ces défenses subsistèrent jusqu'en 1663 que la reine Marie-Thérèse d'Autriche voulut, en l'honneur de sa patronne et en action de grâces de la naissance du dauphin, fonder un nouveau couvent de Carmélites. Elle obtint en conséquence du roi de nouvelles lettres-patentes datées de cette même année, qui, détruisant les premières, déclarèrent l'indépendance de la maison de la rue du Bouloi, et permirent d'y recevoir des novices, des donations, des gratifications, etc. La reine fondatrice et la reine Anne d'Autriche posèrent la première pierre de l'église, le 20 janvier 1664; mais le peu d'étendue et l'incommodité du lieu qu'elles habitoient firent désirer à ces religieuses d'être transportées dans le faubourg Saint-Germain. Elles en obtinrent la permission en 1687, suivant l'historien de l'abbaye; en 1689, si l'on en croit Piganiol et de La Barre[324].

Le terrain qu'elles y occupoient, dans la rue de Grenelle, étoit vaste; les religieuses y étoient bien logées; mais leur église étoit petite et peu commode.

LES FILLES DE SAINTE-VALÈRE.

C'étoit une communauté de filles pénitentes que le succès de plusieurs autres établissements du même genre engagea quelques personnes pieuses à former. Le P. Daure, Dominicain de la maison du noviciat, y eut la plus grande part. Le 30 avril 1704, on acheta un terrain qui contenoit neuf cent trente toises de superficie; on y éleva les bâtiments nécessaires, avec une chapelle, et les filles pénitentes y furent admises en 1706. Cet établissement fut confirmé en 1717 par des lettres-patentes[325].

LES FILLES DE SAINT-JOSEPH OU DE LA PROVIDENCE.

Cette communauté de filles séculières devoit son origine à Marie Delpech, connue sous le nom de mademoiselle de Létan. Élevée à Bordeaux dans une maison d'orphelines, elle en devint la bienfaitrice, et lui procura des statuts, dressés en 1638 par Henri d'Escoubleau de Sourdis, archevêque de cette ville. L'utilité de cet établissement fit naître à quelques personnes pieuses le projet d'en former un semblable à Paris. Mademoiselle de Létan y fut appelée en 1639, et se logea d'abord, rue du Vieux Colombier. Le nombre toujours croissant de ses élèves la détermina, peu de temps après, à prendre à loyer, près du noviciat des Jésuites, une maison qui devint bientôt trop petite pour quatre-vingts orphelines, dont elle dirigeoit déjà les travaux. Elle acheta donc, en 1640, rue Saint-Dominique, la maison que cette communauté a occupée jusque dans les derniers temps, et l'agrandit, la même année, par l'acquisition de sept quartiers de terre contigus. Le roi permit cet établissement par lettres-patentes; et M. Henri de Gondi donna à ces filles des statuts, qu'elles ne cessèrent point d'observer avec la plus grande exactitude.

L'objet de cette institution étoit d'instruire des orphelines et de leur apprendre toutes les petites industries convenables à leur sexe, jusqu'à ce qu'elles fussent en âge d'être mariées, d'entrer en religion, ou de se mettre en service[326].

LE PALAIS BOURBON.

Ce palais, situé dans la rue de l'Université, à peu de distance de l'hôtel des Invalides, doit sa première construction à Louise-Françoise, duchesse de Bourbon. C'est en 1722 qu'il commença à s'élever sur les dessins de Girardini, architecte italien; continué par l'Assurance, élève de Jules-Hardouin Mansart, il fut successivement augmenté par Gabriel Barreau, Charpentier, Belisart, etc. On avoit, dans ces augmentations diverses, réuni aux constructions primitives, l'hôtel de Lassai, de manière à n'en former qu'un seul ensemble de bâtiments, dans lesquels les princes de la maison de Condé avoient rassemblé tout ce que la distribution intérieure a de plus recherché, tout ce que le luxe d'ameublement pouvoit offrir de plus élégant. La position de ce palais sur les bords de la Seine, en face des Tuileries et des Champs-Élysées, en faisoit une maison de plaisance autant qu'un palais, et du côté de la rivière, le caractère de l'édifice annonçoit moins un palais qu'une maison de plaisance.

Son aspect, sur cette face, se composoit de deux pavillons en longueur, symétriques par la dimension seulement, et formés chacun d'un simple rez-de-chaussée. Cette composition pouvoit déjà sembler assez mesquine; mais lorsque Louis XVI eut fait bâtir en avant de ces deux pavillons le pont auquel on donna son nom, l'obligation absolue où l'on se trouva de relever le terrain de ce côté fut cause que la façade entière se trouva masquée dans son soubassement et parut de loin comme enterrée. La petitesse de l'ordonnance n'en devint que plus choquante, et l'on peut présumer que, sans la révolution, le prince qui en étoit propriétaire eût senti la nécessité de faire disparoître de semblables incohérences[327].

L'entrée de ce palais sur la rue est une des plus magnifiques qui existent à Paris. Elle consiste en une grande porte accompagnée de chaque côté d'une colonnade d'ordre corinthien. Ce vestibule donne bien l'idée d'un grand et riche palais[328]. La première partie de la cour n'y répond que par son étendue[329]; et les bâtiments dont elle est formée n'ont aucun caractère. Mais la seconde cour offre un assez bel ensemble de portiques et de masses bien distribués. L'avant-corps du fond étoit couronné par un groupe de la main de Coustou jeune, représentant le Soleil sur son char, entouré des Saisons, que figuroient quatre Génies tenant les rênes des chevaux. À droite et à gauche, deux vastes péristyles en colonnes isolées servoient d'entrée aux appartements. Sur les avant-corps de ces ailes s'élevoient les statues des Muses, exécutées par Pajou[330].

L'ancien hôtel de Lassai formoit le petit palais Bourbon, et avoit subi, dans sa jonction avec le grand palais, des changements et des augmentations considérables. Dix cours principales composoient le commun des deux palais réunis, et les écuries pouvoient contenir plus de deux cent cinquante chevaux.

Le jardin du palais, auquel avoit été également réuni celui de l'hôtel de Lassai, étoit terminé par une terrasse de cent cinquante-une toises de long, qui régnoit le long de la Seine, et d'où la vue s'étendoit sur la plus belle partie de Paris et sur toutes les routes et promenades qui, de ce côté, y aboutissent.

Les petits appartements, avec leur jardin particulier, étoient situés à l'extrémité de cette terrasse, du côté des Invalides.

L'HÔTEL ROYAL DES INVALIDES.

Dès long-temps, la sollicitude de nos rois s'étoit étendue sur les vieux soldats qui, après avoir consumé leurs plus belles années au service de l'État, se trouvoient, par l'âge et par les infirmités, dans l'impossibilité de pourvoir à leurs besoins, et souvent réduits à mendier leur pain. Henri IV avoit projeté de former un établissement en leur faveur; et, sous son règne, on en plaça un certain nombre, rue de l'Oursine, dans la maison de la Charité chrétienne. Animé du même esprit, et voulant exécuter avec plus de grandeur le plan conçu par son père, Louis XIII y destina le château de Bicêtre, qui tomboit alors en ruine: en 1634 on y fit, par son ordre, des réparations considérables; on y ajouta de nouveaux bâtiments, et cette maison fut appelée la commanderie de Saint-Louis. La mort de ce prince, et les troubles qui la suivirent, arrêtèrent ce dessein, et Louis XIV disposa de cette maison en 1656 en faveur de l'Hôpital général[331]. Ce fut alors qu'il conçut l'idée d'une fondation encore plus vaste et plus magnifique; ainsi que nous l'avons déjà dit, il y eut, dans le plan de ce monument et dans son exécution, plus d'ostentation que de véritable utilité[332]. Les premiers fondements en furent jetés en 1671, au plus fort de la guerre; et cependant, dès 1674, il étoit déjà très avancé et en état de recevoir des soldats. Alors le monarque donna son édit de fondation, dans lequel cette maison fut qualifiée d'hôtel royal des Invalides. L'église, commencée presque en même temps, ne fut achevée que trente ans après, et dédiée en 1706 par M. le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, sous le titre et l'invocation de Saint-Louis. Deux architectes unirent leurs talents dans cet immense travail: Libéral Bruant construisit tous les bâtiments d'habitation et la première église; Jules-Hardouin Mansart éleva la seconde église ou le dôme.

Le vaste emplacement de l'hôtel des Invalides a dix-huit mille sept cent quarante-quatre toises de surface. Il est divisé sur la longueur, qui est de cent trente toises, et sur une profondeur de soixante-dix toises, en cinq parties principales: celle du milieu offre une grande cour de trente-deux toises de largeur sur cinquante-deux de profondeur; de chaque côté sont deux autres cours, chacune de quinze toises sur vingt-deux et demi, toutes entourées de grands corps de bâtiments, et au delà desquelles sont de vastes terrains servant de promenoirs. Le surplus de la profondeur de l'enceinte est occupé, au milieu, par les églises, qui sont isolées, et, de chaque côté, par des cours et jardins entourés de bâtiments, au-delà desquels sont encore de vastes terrains clos de murs.

Le premier corps de bâtiment, du côté de la rivière, est précédé d'une avant-cour fermée d'une grille et entourée de fossés. La grande face de ce bâtiment a cent deux toises de longueur et présente trois avant-corps: celui du milieu est décoré de pilastres ioniques, qui reçoivent un grand arc dans lequel étoit autrefois un bas-relief représentant la statue équestre de Louis XIV, accompagnée de la Justice et de la Prudence, par Coustou le jeune. La statue a été détruite[333]: on a laissé subsister les deux autres figures.

Cette façade présente trois étages de croisées au-dessus du rez-de-chaussée, dont les ouvertures sont en arcades; des deux côtés de la porte sont les statues de Mars et de Minerve, exécutées par le même sculpteur[334].

La première cour, dite, avant la révolution, cour royale, est entourée, tant au rez-de-chaussée qu'au premier étage, de portiques ouverts en arcades, et formant des avant-corps au milieu de chacune des quatre faces et dans les angles. L'avant-corps du fond, qui conduit à l'église, est décoré de deux ordres de colonnes ioniques et composites, l'un sur l'autre, et couronnés d'un fronton. Toutes les autres faces des bâtiments, sur les cours et sur les jardins, sont régulièrement percées d'un grand nombre de croisées, sans autre décoration que l'entablement. Il y a, dans tout ce plan et dans son exécution, autant de grandeur que de simplicité[335].

L'intérieur du grand corps de bâtiment, du côté de la rivière, est divisé de la manière suivante. Le pavillon du milieu offre, au rez-de-chaussée, un vestibule; au premier, une bibliothèque servant aussi de chambre de conseil; l'aile gauche est occupée par le gouverneur et l'état-major; la droite par les médecins et chirurgiens en chef; le surplus sert de logement aux soldats et officiers, ainsi qu'aux divers usages de la maison. Les réfectoires sont ornés de peintures à fresque par Martin, et de six tableaux de Parrocel, représentant des traits pris dans les diverses campagnes de Louis XIV.

La première église, destinée aux personnes de la maison, se compose d'une grande nef et de deux bas-côtés. Elle a un porche d'entrée, un sanctuaire et deux sacristies ou chapelles par lesquelles on communique à la seconde église: la nef est décorée d'un grand ordre de pilastres avec entablement corinthien: les bas-côtés sont du même ordre, mais beaucoup plus petits: les deux églises ont un autel commun.

Cette seconde église, dite le dôme, doit être considérée du côté du midi, si l'on veut jouir de tout l'effet qu'elle peut produire. Le portail de ce dôme a trente toises de largeur sur seize de hauteur; il est élevé sur un perron de plusieurs marches, et décoré des ordres dorique et corinthien, enrichis l'un et l'autre de tous les ornements qu'ils peuvent admettre. Un troisième ordre de quarante colonnes corinthiennes règne au pourtour du tambour de cette vaste construction, et supporte un attique qui reçoit la coupole. Cette dernière partie est elle-même surmontée d'une lanterne au dessus de laquelle s'élève une aiguille, terminée par une croix[336].

Ce morceau d'architecture jouit en France d'une grande réputation; et l'on ne peut disconvenir que sa forme svelte et élégante ne se dessine agréablement à une très grande distance, et même lorsqu'on s'en rapproche assez pour jouir à la fois du dôme et du portail. Mais quel que soit alors l'effet imposant de l'ensemble, l'amateur éclairé reconnoît aussitôt que ce portail est d'une trop petite masse, et trop subdivisé dans ses parties pour servir d'empattement à une décoration d'une hauteur si colossale. C'est alors qu'il faut plus que jamais déplorer ce malheureux esprit de système qui égara, dans le dix-septième siècle, tant d'artistes doués des plus heureuses dispositions, leur fit dédaigner la route ouverte par les anciens, et préférer, à l'imitation de ces modèles uniques du grand et du beau, les productions froides et bizarres de leur imagination désordonnée. Ils prétendoient créer un goût françois, une architecture françoise, et gâtèrent ainsi à grands frais tout ce qu'ils firent, et même ce qu'ils avoient d'abord le plus heureusement conçu, par la manie de vouloir innover et perfectionner.

L'intérieur présente également un mélange de beautés et de défauts. C'est là surtout que Louis XIV prétendit déployer toute sa magnificence: il y employa les plus habiles artistes, voulut qu'on n'épargnât ni les soins ni la dépense; et en effet, la blancheur de la pierre, la profusion et le fini précieux des ornements de sculpture, les peintures du dôme, la richesse des marbres qui forment le pavement, le superbe baldaquin de l'autel, modèle de celui qui devoit être exécuté en bronze doré d'or moulu, frappent d'admiration tous les étrangers[337].

La disposition du plan est ingénieuse; et l'effet des quatre chapelles que l'on aperçoit du centre de la rotonde a quelque chose de séduisant. On est également frappé de l'effet magique et extraordinaire que produit l'autel placé dans le sanctuaire élevé que l'on a pratiqué entre le dôme et l'église. Toutefois la réunion des deux édifices par cette ouverture commune établie à l'extrémité de l'église et à la circonférence du dôme auroit plus de grandeur, si elle étoit un peu moins resserrée.

Lorsqu'on arrive du côté de l'église, on est fâché que le sol du dôme soit aussi renfoncé, et l'on ne peut se dissimuler que cette construction, placée au centre, auroit encore plus de majesté. Si l'on entre au contraire par le dôme, on est étonné qu'il ne soit pas précédé d'une nef, ou du moins d'un très grand vestibule: de quelque côté qu'on se place, on ne peut jouir de l'ensemble; ce sont toujours deux monuments contigus qu'il faut considérer l'un après l'autre, ce qui laisse quelque chose à désirer. «On ne peut excuser cette disposition extraordinaire, dit un habile architecte[338], qu'en considérant l'église comme appartenant à la maison et formant la chapelle destinée aux vieux militaires qui l'habitent, et le dôme comme une chapelle royale où Louis XIV se plaisoit à joindre les actions de grâces qu'il rendoit au Dieu des armées, à celles de ses compagnons d'armes. Dès lors, on est moins surpris de trouver de ce côté un portail et des avenues superbes, puisque toute la pompe royale devoit se déployer avant d'entrer dans ce dôme, dont la porte ne s'ouvroit que pour le monarque.»

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