Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 8/8)
1: Par cette raison toute simple que, même quand ils traitent de leurs intérêts privés, les rois stipulent presque toujours pour des intérêts publics, sur lesquels, dans un tel cas, leurs affections domestiques peuvent facilement les égarer. S'il est vrai que, de leur vivant, ils appartiennent à l'État, même dans leurs rapports de famille, il en résulte que les destinées de l'État ne peuvent être légitimement compromises par leurs dernières volontés, c'est-à-dire par eux, après leur mort.
2: «Louis XIV y établissoit un conseil de régence, composé de M. le duc d'Orléans qui en étoit le chef, de M. le duc de Bourbon qui y devoit assister quand il auroit vingt-quatre ans accomplis, du duc du Maine, du comte de Toulouse, du chancelier, des maréchaux de Villeroi, de Villars, de Tallard, d'Harcourt, des quatre secrétaires d'État et du contrôleur général. Dans ce conseil, tout devoit se régler à la pluralité des voix; l'avis du chef ne devoit prévaloir que quand le nombre des suffrages seroit égal. La personne du jeune roi étoit mise sous la tutelle et garde du conseil de régence, et le duc du Maine chargé de veiller à son éducation et à sa conservation, avec une entière autorité sur les officiers de la garde de sa majesté. Le duc du Maine venant à manquer, le comte de Toulouse devoit prendre sa place. Le maréchal de Villeroi étoit nommé gouverneur sous l'autorité du duc du Maine.» (Avrigny, t. 5, p. 320.)
3: Tout ce que le duc d'Orléans demanda dans cette séance mémorable lui fut accordé avec tant de facilité, que, dans le transport de sa joie, il se laissa entraîner aux promesses les plus exagérées. Un homme habile, dévoué à ses intérêts, qui observoit froidement dans la foule, et qui connoissoit l'esprit parlementaire, lui fit parvenir un billet où étoient ces mots: «Vous êtes perdu si vous ne rompez la séance.» Il le crut, et continua l'assemblée à l'après-midi. Il avoit tout obtenu avant même que le testament fût ouvert.
4: Ils acquirent assez de force pour qu'il se vît réduit à s'en défendre devant le roi comme d'une accusation formelle. Louis XIV, qui le connoissoit bien, l'appeloit un fanfaron de vices.
5: «Son mariage leur avoit déplu, parce qu'ils désiroient que leur roi prît une femme de leur nation; de son côté, Élisabeth Farnèse ne leur pardonnoit pas qu'ils en eussent souhaité une autre. Cette aversion réciproque s'augmentoit encore par les préférences pour les places et les emplois, que la reine, dans la méfiance qu'elle avoit des Espagnols, faisoit accorder, tant qu'elle pouvoit, aux Italiens et aux Flamands.» (Anquetil.)
6: Les enfants qu'elle avoit du roi ne pouvant prétendre au trône parce qu'il avoit des fils de sa première femme, la princesse de Savoie, elle avoit formé le dessein de leur procurer d'autres établissements, ainsi que nous le verrons ci-après.
7: Il trompa la princesse des Ursins, qui cherchoit pour le roi d'Espagne une femme douce, timide, sans expérience, qu'elle pût gouverner en même temps que son royal époux, et lui persuada que la princesse de Parme étoit telle qu'elle pouvoit le souhaiter. Ce fut sur le portrait qu'il en fit que le mariage fut conclu.
8: «On n'auroit pu certainement blâmer le duc d'Orléans de prendre d'avance ses précautions pour cet objet (la succession au trône); et c'est ce que reconnoissoit le maréchal de Villars parlant à lui-même dans le conseil. «Nous sommes très persuadés, lui disoit-il, que vous désirez la vie du roi, comme nous la désirons tous tant que nous sommes; mais il n'y a personne qui puisse s'étonner que vous portiez vos vues plus loin. Comment les mesures qu'il est libre à tout particulier de prendre dans sa famille pour ne pas laisser échapper une succession qui le regarde, pourroient-elles être blâmées dans un prince auquel la couronne de France doit naturellement tomber?» Villars concluoit qu'il falloit se contenter de savoir bien certainement quelles étoient les vues de l'Espagne dans ses armements, et quand on se seroit assuré qu'ils ne menaçoient pas la France, lui souhaiter un bon succès, et ne pas s'en mêler. (Mém. de Villars, Anquetil.)
9: «Venant un jour au Palais-Royal, raconte encore Villars, je trouvai que le prince avoit été renfermé trois heures avec mylord Stairs et Stanhope. Quand ils sortirent de la longue audience qu'il leur avoit donnée, je lui dis: Monseigneur, j'ai été employé en diverses cours, j'ai vu la conduite des souverains; je prendrai la liberté de vous dire que vous êtes l'unique qui veuille s'exposer à traiter seul avec deux ministres du même maître. Il me répondit: «Ce sont mes amis particuliers.» Selon les apparences, répliquai-je, ils sont encore plus amis de leur maître, et deux hommes bien préparés à vous parler d'affaires, peuvent vous mener plus loin que vous ne voudriez. (Mém. de Villars, Anquetil.)
10: Ce guet à pens avoit été établi à Nonancourt, bourg situé à dix-neuf lieues de Paris, où le prétendant devoit passer pour se rendre en Bretagne, et de là s'embarquer pour l'Écosse. Ce fut la maîtresse des postes qui, sur de simples pressentiments, déjoua le complot et sauva ce prince d'une mort certaine.
11: Ce traité est connu sous le nom de la quadruple alliance. «Il avoit pour prétexte, selon saint Simon, 1o de réparer les troubles apportés, soit à la paix conclue à Bade en 1714, soit à la neutralité de l'Italie, par le traité d'Utrecht en 1713; 2o de faire une paix solide, et soutenue par les principales puissances de l'Europe. Entre autres clauses, on y régloit la succession de divers États souverains d'Italie, de manière qu'après la mort de leurs possesseurs actuels, les mutations qui s'y pourroient faire ne troublassent point le repos de l'Europe. Le but réel de ce traité entre Georges Ier et le régent étoit de se garantir mutuellement, à l'un la possession d'un trône usurpé, à l'autre la succession à un trône qu'il croyoit, contre toute vraisemblance, pouvoir, en cas d'événement, lui être disputée.»
12: Villars l'entendoit bien mieux que le duc d'Orléans. «Eh bien, lui disoit-il, si l'Espagne veut s'agrandir, aidez-la au lieu de la contrarier. Plus vous contribuerez à son agrandissement, moins elle sera tentée de vous troubler dans vos prétentions à la couronne; et si Philippe V avoit cette tentation, il verroit toute l'Europe s'élever contre un prince que vous auriez rendu trop formidable en étendant sa puissance.» (Mém. de Villars.)
13: La liste en étoit longue. Le roi rendoit justiciables de cette cour «les officiers de nos finances, disoit l'arrêté, les comptables, traitants, sous-traitants et gens d'affaires, leurs clercs, commis et préposés, et autres qui ont vaqué et travaillé, tant en la levée, perception et régie de nos droits et deniers de nos recettes, qu'autres levées et recouvrements ordinaires et extraordinaires, traités, sous-traités, entreprises et marchés par étapes, fournitures de vivres aux troupes, hôpitaux, munitions de guerre et de bouche aux villes, garnisons et armées de terre et de mer, circonstances et dépendances, ou en l'emploi et distribution desdits deniers, soit pour les dépenses de la guerre, de nos maisons royales, et autres charges de notre État. Ensemble contre tous ceux qui ont exercé l'usure à l'occasion et au détriment de nos finances, tant sur les papiers que sur les espèces.»
14: Les fonctions de cette chambre, composée de présidents et conseillers au parlement, d'officiers de la chambre des comptes, de la cour des aides, et de maîtres des requêtes, étoient «de procéder à l'instruction et jugement des procès civils et criminels mus et à mouvoir par le procureur général de la chambre, pour raison de péculat, concussions, exactions et malversations en fait de finances.» On emprisonnoit une foule de gens accusés ou simplement soupçonnés; plusieurs furent gardés dans leurs maisons. Il y eut défense de donner des chevaux de poste à ceux qui voudroient se sauver, et de favoriser en aucune manière leur évasion. Il y en eut de condamnés au pilori, aux galères, à de grosses amendes, et un seul à la mort dans une province éloignée. (Anquetil.)
15: Les taxes imposées sur environ quatre cents personnes produisirent plus de cent quatre-vingts millions, dont quatre-vingts à peu près furent employés à retirer des billets d'État et à rembourser le capital des rentes. (Anquetil.)
16: La duchesse de Berry.
17: Voyez 1re partie de ce volume, p. 196 et seqq.
18: Lorsque l'administration de l'État se centralisoit de jour en jour davantage, et alloit détruisant sans cesse devant elle toute action et tout privilége politique dans les diverses classes de la société, les anciens priviléges concernant l'impôt, priviléges qu'avoient autrefois justifiés certaines charges publiques exercées par les premiers ordres de l'État, certains droits honorifiques qui leur avoient été concédés, et même d'anciennes transactions avec quelques provinces, loin d'avoir été détruits, étoient défendus avec plus d'opiniâtreté que jamais par leurs possesseurs qui mettoient un certain point d'honneur à ne s'en point dessaisir. Dans d'autres temps, ces priviléges avoient eu l'avantage d'arrêter plus d'une fois l'ambition et le despotisme des souverains; ce n'étoit que violemment qu'ils parvenoient quelquefois à vaincre cet obstacle qui se rétablissoit en quelque sorte de lui-même.—Ils étoient devenus odieux et intolérables, maintenant que les peuples écrasés par les prodigalités excessives de Louis XIV, et ne trouvant plus, dans ces premiers ordres de l'État, de protection et de garantie contre les excès du pouvoir absolu, demandoient que du moins ils partageassent avec eux le fardeau de la dette publique. Il étoit d'ailleurs nécessaire de soutenir, sur ce point, la concurrence de l'Angleterre qui venoit d'établir chez elle le seul système d'impôt que le matérialisme social, auquel tout tendoit dès lors en Europe, pût désormais admettre et supporter.
19: Il s'agissoit d'une refonte d'espèces dont on ne se croyoit point obligé de lui faire connoître ni le titre ni les motifs. Louis XIV, qui avoit employé trop souvent cette ressource ruineuse et frauduleuse, avoit fini par y renoncer, les variations continuelles dans ce taux des monnoies ayant été une des plus grandes calamités de son règne. La perspective d'un bénéfice assez considérable y fit revenir, et ce bénéfice, qui étoit d'un cinquième par louis d'or, rendit en effet soixante-douze millions; mais la plupart des espèces, et il étoit facile de le prévoir, au lieu d'être échangées, passoient à l'étranger qui les fabriquoit au nouveau titre; et ainsi s'appauvrissoit et se discréditoit la France.
20: «Les billets d'État perdoient jusqu'à soixante-dix-huit et demi, pendant que les actions de la banque gagnoient quinze pour cent; on recevoit les premiers au trésor royal sur le pied de leur perte, et on les payoit en actions sur le pied du gain de celles-ci. Ainsi l'État les retiroit à peu de frais et s'enrichissoit en se libérant, et les particuliers se ruinoient en se dépouillant de plus des deux tiers de leur bien.» (Anquetil, Mém. sur la Rég.)
21: Saint Simon jette de grands cris sur les projets d'Albéroni: «Ils n'avoient, dit-il, d'autre fondement que sa folie, ni d'autres ressources que les seules forces de l'Espagne contre celles de la France, de l'empereur et de la Hollande.» C'étoit n'y rien entendre, et imputer à ce ministre la folie des autres. Il ne pouvoit prévoir le parti que prendroit le régent de s'allier aux Anglois et à l'empereur contre le roi d'Espagne, parce qu'il est des absurdités qui semblent impossibles, et que, par conséquent, on ne peut raisonnablement faire entrer dans le calcul des chances contraires au succès d'une entreprise.
22: L'Espagne promettoit de soutenir d'une armée la révolte du Languedoc, sur laquelle on comptoit, et celle de la Bretagne qui déjà étoit commencée. La guerre civile allumée, le parlement déféroit la régence au roi d'Espagne, et annuloit l'acte de renonciation de ce monarque à la couronne de France. Le duc du Maine devoit exercer en son nom l'autorité de régent. Ce plan eût eu plus de chances de succès, plutôt, lorsque le duc du Maine étoit surintendant de l'éducation du roi, et pouvoit disposer jusqu'à un certain point de la personne de ce jeune prince, ou plus tard, lorsque la chute du système de Law porta la haine du peuple contre le régent jusqu'au dernier degré d'exaspération.
23: Il y a deux versions sur la découverte des papiers de la conspiration que le prince de Cellamare, ambassadeur d'Espagne à Paris, envoyoit à Albéroni; mais le résultat en est le même. Un abbé, Porto-Carero, qui en étoit porteur, fut arrêté à Poitiers; on visita sa voiture, et ces papiers y furent saisis dans un double fond où ils étoient cachés.
24: On y retraçoit avec énergie les promesses publiques que le régent avoit faites de gouverner suivant les lois et par l'établissement des conseils de régence, promesses qu'il avoit indignement violées; et l'on ajoutoit: «Le public n'a ressenti aucun fruit, ni de l'augmentation des monnoies, ni de la taxe des gens d'affaires. On exige cependant les mêmes tributs que le feu roi a exigés pendant le fort de ses plus longues guerres; mais dans le temps que le roi tiroit d'une main, il répandoit de l'autre, et cette circulation faisoit subsister les grands et les peuples. Aujourd'hui les étrangers qui savent flatter la passion dominante, consument tout le patrimoine des enfants.» On ajoutoit: «Il semble que le premier soin du duc d'Orléans ait été de se faire honneur de l'irréligion; cette irréligion l'a plongé dans des excès de licence dont les siècles les plus corrompus n'ont point eu d'exemple, ce qui, en lui attirant le mépris et l'indignation des peuples, nous fait craindre à tout moment, pour le royaume, les châtiments les plus terribles de la vengeance divine.» (Mém. sur la Régence, t. 2, p. 170-184.)
25: Madame de Staël nous apprend dans ses Mémoires, qu'à l'exception du duc et de la duchesse du Maine, toutes les personnes arrêtées pour cette affaire furent traitées avec beaucoup de douceur. Lui-même, au bout de quelque temps, ne parut pas moins pressé que ses prisonniers d'en finir avec eux et de les mettre en liberté.
26: Albéroni lui avoit promis une flotte considérable et quarante mille hommes de troupes de débarquement; déconcerté sans doute par tant de fâcheux événements qui dérangeoient tous ses calculs, il ne put réaliser les promesses qu'il lui avoit faites, et néanmoins le prétendant eut tort peut-être de ne pas s'aventurer même avec le peu qu'on lui offroit. Ses véritables auxiliaires étoient dans le pays même; il ne s'agissoit que d'y aborder et d'y pouvoir tenir en abordant.
27: On vouloit soumettre cette province à des impôts qu'elle ne se croyoit pas obligée de payer; et, depuis 1717, sa noblesse combattoit, dans les États provinciaux, cette prétention du gouvernement. Irrités du mépris qu'on faisoit de leurs justes représentations, un grand nombre de gentilshommes bretons avoient écouté les propositions d'Albéroni, et n'attendoient que l'apparition d'une flotte espagnole pour exciter un soulèvement; ce projet ayant manqué avec tous les autres, le régent crut devoir faire un exemple de sévérité dans une province où les esprits étoient plus remuants que partout ailleurs. Une chambre de justice fut établie à Nantes, à l'effet de faire le procès aux gentilshommes qui avoient trempé dans la conspiration d'Albéroni, et quatre d'entre eux eurent la tête tranchée.
28: Mademoiselle de Montpensier. L'infante n'avoit alors que quatre ans; le roi en avoit déjà treize. Elle fut envoyée en France pour y être élevée, et attendre, au milieu des événements politiques, l'âge où ce mariage pourroit donner des héritiers au trône.
29: «L'Angleterre, dit saint Simon, dont la politique ne vouloit souffrir de marine à aucune puissance de l'Europe, avoit obtenu, par la toute-puissance de l'abbé Dubois, qu'il ne se formât aucun vaisseau en France, et qu'on y laissât tomber en ruine le peu qui y restoit. Le secours que cette puissance avoit donné à Naples et à la Sicile, avoit eu pour objet la ruine de la flotte espagnole par la leur qui étoit très supérieure, plus que son attachement aux intérêts de l'empereur. La France avoit non seulement souffert que la flotte angloise, non contente de secourir la Sicile, détruisît encore la flotte espagnole; mais nous nous étions laissé séduire au point de porter les armes dans le Guipuscoa, moins pour y faire les faciles conquêtes que la France y fit, et qu'elle ne pouvoit se proposer de conserver, que pour anéantir la marine d'Espagne, donner un champ libre à celle d'Angleterre, lui assurer l'empire de toutes les mers, et lui faciliter l'empire des Indes, en y détruisant celui d'Espagne.» (Mém., liv. V.)
30: Rouillé du Coudray. Il étoit déjà parvenu à éteindre quatre cent millions de dettes exigibles.
31: Il avoit fallu réduire de beaucoup les pensions; et cette opération, faite avec une rigueur nécessaire, avoit consterné ce peuple d'avides courtisans dont le régent étoit environné, et qui l'obsédoit de plaintes auxquelles il n'avoit pas la force de résister. Il n'osoit pas en même temps proroger l'impôt du dixième dont le terme fatal approchoit, et qui devoit cesser alors sans retour, suivant la parole royale que Louis XIV en avoit donnée. Cet impôt étoit odieux aux grands qui avoient la foiblesse d'en être humiliés; et qui sacrifioient ainsi le repos et la sûreté de l'État à la plus ridicule des vanités, celle d'avoir le privilége de n'en pas partager les charges.
32: Aux mensonges payés de plusieurs voyageurs qui attestoient l'existence de ces mines trouvées près du fleuve du Mississipi, on joignit la manœuvre frauduleuse de faire conduire publiquement à la Monnoie des lingots que l'on assuroit avoir été tirés de ces mines merveilleuses.
33: «Il seroit difficile de dépeindre l'espèce de frénésie qui s'empara des esprits à la vue des fortunes aussi énormes que rapides qui se firent alors. Tel qui avoit commencé avec un billet d'État, à force de trocs contre de l'argent, des actions, et d'autres billets, se trouvoit des millions au bout de quelques semaines. Il n'y avoit plus, dans Paris, ni commerce, ni société. L'artisan dans sa boutique, le marchand dans son comptoir, le magistrat et l'homme de lettres dans leurs cabinets, ne s'occupoient que du prix des actions. La nouvelle du jour étoit leur gain ou leur perte. On s'interrogeoit là dessus avant de se saluer; il n'y avoit point d'autre conversation dans les cercles, et le jeu des actions remplaçoit tous les autres.» (Anquetil.)
«Il suffisoit d'approcher de cette heureuse rue (la rue Quincampoix) pour faire fortune. Un bossu, dont la bosse alloit en pente douce comme un pupitre, en la louant à ceux qui avoient quelques signatures à faire, gagna en peu de temps plus de cinquante mille livres.» (Mém. de la Régence.)
34: Élevé, en 1717, à cette haute dignité, d'Aguesseau y porta un mélange singulier d'affections parlementaires et de principes monarchiques qui rendirent sa marche lente, indécise dans toutes les opérations de son ministère, et d'excellent magistrat qu'il étoit, en firent, selon Saint-Simon, un chancelier à faire regretter les d'Aligre et les Boucherat. Le fameux président Molé nous a déjà offert un exemple de cette fausse position d'un membre du parlement devenu ministre, mais non pas à ce degré de foiblesse presque ridicule où tomba d'Aguesseau. Placé par ses préventions et ses tendresses presque inconcevables pour la magistrature, et par les devoirs de sa place entre le pouvoir et l'opposition, sans cesse occupé d'interpréter, de concilier, de composer, de subtiliser, dans presque toutes les affaires, «cet homme, ajoute le même écrivain, de tant de droiture, de talents et de réputation, est parvenu à rendre sa droiture équivoque, ses talents pires qu'inutiles, à perdre sa réputation, et à devenir le jouet de la fortune.»
35: «Il fut enjoint à tous les actionnaires de venir à des bureaux établis à cet effet, prouver qu'ils avoient eu telle terre, telle rente, telle maison ou tel autre bien-fond, dont les billets ou actions qu'ils présentoient étoient le fruit. Alors on timbroit ces papiers, ce qui s'appeloit viser, et tous ceux qui ne purent subir cette épreuve tombèrent.... D'abord, il étoit extrêmement désagréable de se trouver forcé de déclarer qu'on avoit vendu le bien de ses pères; ensuite ceux qui s'étoient vus contraints de recevoir des billets, les uns pour des marchandises, d'autres pour des meubles, ne pouvant prouver qu'ils venoient de propriétés foncières, restoient avec des papiers sans valeur. À l'égard même des agioteurs de profession, c'étoit une injustice de les priver, par une formalité, du prix de leur industrie, etc. (Anquetil.)
»Jamais gouvernement plus capricieux, dit Duclos, jamais despotisme plus frénétique ne se virent sous un régent moins ferme. Le plus inconcevable des prodiges pour ceux qui ont été témoins de ce temps là et qui le regardent aujourd'hui comme un rêve, c'est qu'il n'en soit pas résulté une révolution subite, que le régent et Law n'aient pas péri tragiquement. Ils étoient en horreur; mais on se bornoit à des murmures. Un désespoir sombre et timide, une consternation stupide avoient saisi tous les esprits; les cœurs étoient trop avilis pour être capables de crimes courageux. (Mémoires secrets.)
36: Les hommes les plus puissants de la cour se montrèrent, en ce genre, les plus méfiants et les plus habiles; et personne ne sut mieux qu'eux faire des bénéfices énormes et les mettre en sûreté. Le duc de Bourbon, arrière petit-fils du grand Condé, est cité comme l'un des plus heureux parmi ces nobles spéculateurs. On les appeloit seigneurs mississipiens, et loin de rougir de ce sobriquet, ils étoient les premiers à en plaisanter.
37: L'acte de son mariage existoit dans un village du Limousin. L'intendant de cette province, gagné par Dubois, s'introduisit, chez le curé de ce village par une véritable ruse de comédie, l'enivra, et enleva furtivement de ses registres cette pièce si importante pour l'abbé prétendu. Cet intendant se nommoit Breteuil, et ce bel exploit fut le commencement de sa fortune et de celle de sa famille.
38: «Muni d'un bref du pape pour recevoir tous les ordres à la fois, il se rendit de grand matin, avec l'évêque de Nantes, dans une paroisse de village du vicariat de Pontoise, et y reçut tous les ordres jusqu'à la prêtrise inclusivement, à une basse messe; puis il en repartit aussitôt, et fit assez de diligence pour être de retour à Paris à l'heure du conseil.
«On se récria en le voyant entrer. Le prince de Conti lui fit un compliment ironique sur la célérité de son expédition en fait d'ordres sacrés. Dubois l'écouta sans se démonter, et répondit froidement que, si le prince étoit mieux instruit de l'histoire de l'Église, il ne seroit pas si surpris des ordinations précipitées, et cita là dessus celle de saint Ambroise. Chacun applaudit à l'érudition et au parallèle. L'abbé ne s'en émut pas, laissa continuer la plaisanterie tant qu'on voulut; et quand on en fut las, il parla d'affaires.» (Duclos, Mémoires secrets.)
39: «Il jouit si bien de toute l'autorité, disoit Saint-Simon au régent lui-même, qu'il n'y a qui que ce soit, françois ou ministre étranger, qui ose se jouer à aller directement à votre altesse royale, bien convaincu qu'affaires, justice ou grâce, tout dépend tellement de lui, qu'on se regarde comme absolument battu, si on le trouve contraire, et on n'ose aller plus haut; mais si on le trouve favorable, le plus souvent on s'en tient à son consentement, sans que votre altesse royale en entende parler, si ce n'est pour la forme, et seulement quand le cardinal l'ordonne, ce qu'il fait quelquefois dans des cas de refus, et dans l'espérance de faire prendre le change, et de se décharger de l'odieux sur vous.»
40: Il le lui avoit persuadé du moins. «Dubois, dit encore Saint-Simon, séduisit son maître avec ces prestiges d'Angleterre qui firent tant de mal à l'État, et dont les suites en causent encore de si fâcheux. Il le força, et tout de suite il le lia à cet intérêt personnel, en cas de mort du roi, de deux usurpateurs intéressés à se soutenir l'un l'autre; et le régent s'y laissa entraîner par le babil de Canillac, les profonds proposito de Noailles, et par les insolences et les grands airs de Stairs qui lui imposoient, et cela sans aucun désir de la couronne..... De là ce lien devenu nécessaire entre Dubois et lui.»
«Quand celui-ci fut parvenu à aller la première fois en Hollande, ce qui ne fut pas sans peine, ceci le conduisit à Hanovre, puis à Londres, et à devenir seul maître de la négociation, partie l'arrachant à la foiblesse de son maître, partie en l'infatuant qu'il ne s'y pouvoit servir de nul autre, parce que nul autre ne pouvoit être comme lui dépositaire du vrai nom qui faisoit le fondement de la négociation, qui étoit, en cas de mort du roi, le soutien réciproque des deux usurpateurs, trop dangereux pour M. le duc d'Orléans à confier à qui que ce soit qu'à lui.» (Mémoires, liv. V.)
41: Ses Opuscules, publiés après sa mort, font foi qu'il y reconnut, plus tard, quelques inconvénients.
42: Le rappel du parlement fut le signal de l'exil de Law, qui, toujours réfugié dans le palais du régent, exerçoit encore de l'influence dans ses conseils, et avoit concerté avec Dubois le plan de la destruction de cette compagnie. Quoiqu'il eût fait des bénéfices énormes, tant par une émission frauduleuse de ses billets de banque, que par le jeu de l'agiotage dont il tenoit la balance entre ses mains, il n'avoit pas su se ménager une ressource assurée pour la mauvaise fortune; et après avoir parcouru l'Italie et l'Allemagne, il se fixa à Venise, où il mourut dans un état voisin de l'indigence.
43: Duclos raconte, dans ses Mémoires secrets, que le pape étant mort, au moment où Dubois intriguoit à Rome pour avoir le chapeau, l'abbé de Tencin, qui étoit, dit-il, son principal agent dans cette intrigue, offrit au cardinal de Conti de lui procurer la tiare par la faction de France et des autres partisans bien payés, si lui Conti vouloit s'engager par écrit à donner, après son exaltation, le chapeau à Dubois; que, le marché fait et signé, Tencin intrigua efficacement, et Conti fut élu pape; qu'alors Tencin l'ayant sommé de sa parole, ce pontife, naturellement vertueux, qui s'étoit laissé arracher cet écrit, dans une vapeur d'ambition, refusa d'accomplir ce marché simoniaque, et de prostituer le cardinalat à un sujet aussi indigne; que la lutte dura long-temps entre le pape et l'abbé; que celui-ci l'ayant enfin menacé de rendre public son billet, le pontife effrayé céda, et nomma Dubois cardinal pour anéantir ce fatal billet; que la nomination faite, Tencin, qui ne l'avoit point encore rendu, demanda le chapeau pour lui-même, et y mit, pour s'en dessaisir, cette dernière condition; que le pape en tomba malade, et finit par en mourir de honte et de douleur.
Tous les genres d'invraisemblances et d'absurdités sont accumulés dans ce conte ramassé, on ne sait où, par Duclos, qui, sous le rapport des doctrines religieuses, étoit au niveau de Dubois, et dont les mœurs ne valoient guère mieux. Mais fût-il vraisemblable que l'abbé de Tencin, dont les philosophes et les Jansénistes ont dit beaucoup de mal, ce qui est un grand préjugé en sa faveur, pût, à son gré, faire un pape avec de l'argent; et qu'un cardinal, vertueux ou non, fût assez stupide pour signer, en entrant au conclave, un pareil billet entre les mains d'un agent subalterne, on n'en sera pas moins fondé à demander à celui qui raconte un tel fait: quelle preuve en donnez-vous? sur quels témoignages l'appuyez-vous? avez-vous vu, de vos propres yeux, ce billet que Tencin n'a pas rendu? avez-vous du moins des moyens suffisants pour en constater l'existence? Rien de tout cela. Le fait est raconté sans preuves, sans autorités, sans témoignages; et comme si le narrateur eût pris à tâche d'en démontrer lui-même l'absurdité et l'invraisemblance, il ajoute naïvement, relativement à l'élection d'Innocent XIII, que probablement il eût été nommé pape, sans aucune manœuvre, pour sa naissance et par la considération dont il jouissoit; et sur la promotion de Dubois, qu'elle étoit fondée «sur la sollicitation de la France, sur la recommandation de l'empereur, redouté à Rome et que le roi d'Angleterre avoit fait agir vivement, enfin sur le crédit et le ministère de Dubois, qui pouvoient être utiles à la cour de Rome.»
Qu'un écrivain qui écrit des Mémoires, et surtout des Mémoires secrets, y jette malignement et sans réflexion de semblables sottises, c'est ce qui se peut, jusqu'à un certain point, concevoir; mais qu'un autre écrivain, qui a la prétention d'écrire l'histoire, s'en empare comme d'une vérité historique, c'est ce que l'on conçoit plus difficilement; et c'est cependant ce qui est arrivé, dans ces derniers temps, de ce conte ridicule, digne pendant de la conversation de M. Amelot avec le pape Clément XI[43-A].
43-A: Voyez la 1re partie de ce volume, p. 181.
44: C'étoit la prétention du chancelier et des ducs de ne pas céder, dans le conseil, le rang aux cardinaux; et par suite de cette prétention, Dubois, depuis qu'il étoit cardinal, s'étoit abstenu d'y paroître: il vouloit y rentrer, mais d'une manière convenable à sa nouvelle dignité; et prévoyant ce qui en alloit arriver, craignant encore que son manque de considération personnelle ne le fît échouer dans une telle entreprise, il eut l'adresse de persuader au cardinal de Rohan de demander d'y être d'abord admis, lui montrant en perspective, pour lui-même, la place de premier ministre. Celui-ci donna dans le piége, obtint facilement du régent d'entrer au conseil, et Dubois s'y glissa à sa suite. Dès que le chancelier et les ducs virent paroître les cardinaux, ils se retirèrent, et les maréchaux suivirent leur exemple. Dubois partit de là pour faire croire au régent que c'étoit une cabale formée contre lui, puisque les maréchaux, qui n'avoient jusque-là rien disputé aux cardinaux, prenoient parti dans cette affaire. Les maréchaux d'Uxelles, de Tallard et de Bezons se retirèrent dans leurs terres, et il y eut défense de leur payer leurs pensions. D'Aguesseau quitta une seconde fois les sceaux qui furent donnés à d'Armenonville. Enfin le duc de Noailles, plus redouté de Dubois parce que le régent l'aimoit plus que les autres, fut exilé à cent cinquante lieues, et se vit, en raison de cette amitié même, le plus maltraité de tous.
45: Dans une entrevue dont le but étoit d'opérer entre eux une réconciliation, Villeroi s'étoit emporté contre Dubois jusqu'aux derniers outrages. Ce n'étoit point assez pour lui ôter les hautes fonctions dont il avoit été revêtu: il fut décidé qu'on feroit en sorte qu'il manquât au régent lui-même, et l'on parvint sans beaucoup de peine, et par l'effet de son extrême fatuité, à lui faire commettre cette énorme sottise; puis, lorsqu'il vint en demander excuse, on l'enleva, on le jeta dans une chaise de poste qui partit aussitôt, environnée de mousquetaires, et le porta, en peu d'heures, à son château de Villeroi, d'où il eut ordre de ne pas sortir.
46: Il est très remarquable que le duc d'Orléans s'étoit informé très curieusement auprès de Chirac, médecin de Dubois, de ce qu'il pensoit à ce sujet; que celui-ci l'assura que le cardinal n'avoit pas plus de six mois à vivre, et que le régent répéta, dans son intimité, la sentence prononcée par le médecin; d'où il faut conclure qu'il avoit un plan tout près à être mis à exécution, après ce terme fatal et si rapproché.
47: Il mourut des suites d'un abcès dans la vessie, après une opération faite pour empêcher la gangrène d'attaquer cet organe, et ne cessa de jurer et de blasphémer jusqu'à ce qu'il eût perdu la parole et le jugement.
48: Cette pension étoit de neuf cent mille livres, et la totalité de ses revenus se montoit à près de deux millions.
49: «Quand il fut devenu le véritable maître, dit Saint-Simon, toute son application à ce que son maître ne lui échappât pas, s'épuisa à épier les moments de ce prince, ce qu'il faisoit, qui il voyoit, le temps qu'il donnoit à chacun, son humeur, son visage, ses propos, et l'issue de chaque audience ou de chaque partie de plaisir, qui en étoit, quels propos, et par qui tenus, et à combiner toutes ces choses; surtout à effrayer, à effaroucher pour empêcher d'aller au prince, et à rompre toutes mesures à qui en avoit la témérité, sans en avoir obtenu son congé et son aveu..... Cette application et quelque écorce indispensable d'ordres à donner, ravissoient son temps; en sorte qu'il étoit devenu inabordable, hors quelques audiences publiques ou autres, aux ministres étrangers.» (Mém., liv. V.)
50: Le jour où l'opération fut faite à Dubois, l'air extrêmement chaud tourna à l'orage. Aux premiers coups de tonnerre, le prince ne put s'empêcher de dire: «Voilà un temps qui, j'espère, fera partir mon drôle.» Or ce drôle étoit un homme à qui il avoit livré la France entière comme une proie, avec plein pouvoir de l'opprimer au dedans, et de la trahir au dehors. Un tel mot suffit pour peindre celui à qui il est échappé; il confirme d'ailleurs ce que nous avons dit de ses véritables desseins, lorsqu'il avoit comme abdiqué le pouvoir en faveur de ce misérable.
51: La duchesse de Phalaris.
52: Ce fut pour n'avoir pas bien compris cette position nouvelle des choses, et pour avoir essayé de régner à d'autres conditions que celles qui leur avoient fait obtenir le trône, que les premiers princes de la branche d'Hanovre furent sur le point d'en être précipités. Ils ne s'y raffermirent que lorsqu'ils marchèrent d'accord avec cette aristocratie redoutable, soit en lui cédant quand elle se montra impérieuse, soit en s'y créant, dans les deux chambres[52-A] qui la représentoient, un parti prépondérant, pour l'amener à faire ce qu'ils vouloient: ce qui étoit reconnoître d'une autre manière la supériorité de son pouvoir.
52-A: La chambre des communes n'est en effet qu'une branche de ce pouvoir aristocratique, le seul qui domine véritablement au milieu de l'opposition factice et des pouvoirs fictifs dont il est environné.
53: Ainsi s'explique pourquoi les catholiques, quelque nombreux qu'ils puissent être en Angleterre, y sont, pour ainsi dire, jetés hors de la société politique; c'est qu'en raison du spiritualisme de leur religion, ils y seroient en contradiction perpétuelle avec ses principes et ses maximes, et deviendroient en quelque sorte un instrument de désordre pour les machinistes qui en entretiennent et en font mouvoir les ressorts. Quand ces ressorts se détraqueront, il est probable que l'Angleterre redeviendra catholique.
54: Cette femme qui n'étoit pas moins impie que Dubois, et qui n'avoit pas moins de cynisme dans son impiété, se mit dans la tête de signaler les commencements du ministère de son inepte amant par quelque chose de grand; et pour remplir un tel projet, elle ne trouva rien de mieux que de lui faire imiter Louis XIV dans une persécution nouvelle contre les protestants, qui en effet avoit remué depuis la mort de ce roi, mais que ces persécutions plus violentes encore, exercées par de semblables persécuteurs, rendirent intéressants même aux yeux de ceux qui leur étoient le plus opposés.
55: Mademoiselle de Vermandois.
56: Stanislas Leczinsky. Placé sur le trône de Pologne par Charles XII, il s'étoit vu enveloppé dans le désastre de son protecteur, après la bataille de Pultawa, et avoit erré quelque temps en Allemagne avant de venir se réfugier en France.
57: Le seul reproche que l'on puisse lui faire, dans cette partie de son administration, est d'avoir voulu opérer une réduction nouvelle sur les rentes qui étoient elles-mêmes un débris misérable du système, débris qui attestoit la ruine de la plupart de ceux qui en étoient porteurs. C'étoit là une nouvelle atteinte portée à la foi publique, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, une banqueroute dans une banqueroute. Des cris s'élevèrent de toutes parts contre cette mesure inique; elle fut sur le point de perdre dans l'opinion de la France le ministre à qui tout commençoit à se rallier. Pour rétablir son crédit ébranlé, il n'eut d'autre parti à prendre que de revenir sur ses pas, en modifiant, dans ses plus graves conséquences, cette mesure vraiment indigne de sa probité financière; et le secrétaire d'État, qui la lui avoit conseillé, fut sacrifié[57-A].
57-A: Lepelletier-Desforts.
58: Il fut signé à Hanovre, le 3 septembre 1727. La Hollande y accéda, et aussi le roi de Prusse; mais celui-ci ne tarda point à s'en détacher.
59: Le récit qu'en fait Saint-Simon est curieux, plaisant même, et mérite d'être rapporté. «Voyant, dit-il, que le cardinal s'abandonnoit aux Anglois avec une dépendance qui sautoit aux yeux de tout le monde, je résolus enfin de lui en parler. Je lui dis donc un jour ce que j'en pensois là dessus, les inconvénients solides dans lesquels il se laissoit entraîner, et beaucoup de choses sur les affaires qui seroient ici déplacées. Sur les affaires, il entra en matière; mais sur la confiance en Walpole, en son frère et aux Anglois dominants, il se mit à sourire: «Vous ne savez pas tout, me répondit-il; savez-vous qu'Horace me montre toutes ses dépêches, et que je lui dicte les siennes, qu'il n'écrit que ce que je veux? Voilà un intrinsèque qu'on ignore et que je veux bien vous confier: Horace est mon ami intime; il a toute confiance en moi, mais je dis aveugle. C'est un très habile homme; il me rend compte de tout; il n'est qu'un avec Robert qui est un des plus habiles hommes de l'Europe et qui gouverne tout en Angleterre; nous nous concertons ensemble, et nous laissons dire.» Je demeurai stupéfait, moins encore de la chose que de l'air de complaisance, de repos et de conjouissance en lui-même avec lequel il me le disoit. Je ne laissai pas d'insister, et de lui demander qui l'assuroit qu'Horace ne reçût et n'écrivît pas doubles dépêches, et ne le trompât ainsi bien aisément. Autre sourire d'applaudissement en lui: «Je le connois bien, me dit-il; c'est un des plus honnêtes hommes, un des plus francs et des plus incapables de tromper qu'il y ait peut-être au monde.» Et de là à battre la campagne en exemples et en faits dont Horace l'amusoit.
»Le dénouement fut qu'après s'être servi de la France contre l'Espagne et contre elle-même, pour leur commerce et pour leur grandeur, et l'avoir amusée jusqu'au moment de la déclaration de cette courte guerre de 1733, les Walpole, ses confidents, ses chers amis, qui n'agissoient que par ses ordres et ses mouvements, se moquèrent de lui en plein parlement, l'y traitèrent avec cruauté, et, de point en point, manifestèrent toute la duperie et l'enchaînement de lourdises où, à leur profit et à notre grand dommage, ils avoient fait tomber, six ans durant, notre premier ministre, qui en conçut une rage difficile à exprimer, mais qui ne le corrigea pas[59-A]. (Mém., liv. V.)
59-A: Ne semble-t-il pas, en lisant ce récit, qu'on entende raconter un événement de nos jours? Les Canning n'ont-ils pas religieusement conservé les traditions des Walpole; et, dans des circonstances presque semblables, n'ont-ils pas su s'en servir avec la même dextérité? N'ont-ils pas trouvé, pour la confiance intrépide en soi-même, les vues courtes, la finasserie niaise, une dupe, de tous points, comparable au cardinal de Fleuri; toutefois avec cette très grande différence, que si celui-ci s'étoit lourdement trompé sur cette politique angloise, qui, du reste, n'étoit pas alors à découvert comme elle l'est aujourd'hui, il avoit du moins relevé le crédit public et restauré les finances de l'État?
60: Ils obtinrent par ce traité de pouvoir envoyer tous les ans un vaisseau à Porto-Bello. On verra bientôt ce qui résulta de cette concession qui parut d'abord être de peu d'importance.
61: «Dès l'année 1713, il avoit voulu assurer, dans sa maison, la succession à tous ses États héréditaires. Il n'avoit point alors d'enfants; mais il pouvoit en avoir, et fit rédiger, dans son conseil, une loi par laquelle ses enfants mâles, et, à leur défaut, ses filles, les uns et les autres par ordre de primogéniture, posséderoient ses terres, États et principautés, le tout en entier, sans division ni partage. Cette succession indivisible devoit, au défaut de la branche Caroline, issue de lui, passer dans la branche Joséphine, issue de son frère Joseph, et au défaut de ces deux branches, aux deux sœurs de Sa Majesté. Depuis ce plan de succession, Charles avoit eu un fils, mort l'année même de sa naissance, et trois filles auxquelles il vouloit assurer le droit à sa succession indivisible par ordre de primogéniture. Il commença par s'assurer de la renonciation de ses deux nièces, princesses électorales, l'une de Saxe, l'autre de Bavière, et publia ensuite la loi de succession, sous le titre de Pragmatique sanction.»
62: Les prétentions du cardinal de Fleuri étoient loin de se porter aussi haut. Il s'étoit contenté de demander le Barrois. Ce fut le garde des sceaux Chauvelin, lequel avoit en même temps le portefeuille des affaires étrangères, qui conçut cette pensée hardie, et qui conquit en quelque sorte cette province à la France, par l'adresse et la fermeté qu'il mit à conduire les négociations.
63: Ce même Chauvelin qui venoit de rendre un si grand service à la France, et qui probablement étoit un homme fort supérieur au cardinal, fut bientôt disgracié et exilé pour avoir voulu tenter de renverser un ministre qu'il jugeoit au dessous de sa réputation et de sa place. Le roi, auprès de qui il avoit fait quelques tentatives à cet effet, le livra à l'instant même à son précepteur dont la vengeance fut prompte et sévère. C'est alors que les sceaux furent rendus à d'Aguesseau, qui continua de jouer un bien triste rôle dans les affaires publiques depuis qu'il s'étoit si gauchement placé entre la cour et le parlement.
64: Mesdames de Mailly et de Vintimille. Elles étoient de la famille de Nesle, et avoient trois autres sœurs, la duchesse de Lauraguais, la marquise de Flavacour, et la marquise de Tournelle.
65: La marquise de Vintimille.
66: La marquise de Tournelle.
67: Nous avons dit que, par le dernier traité, ils avoient obtenu de pouvoir envoyer tous les ans un vaisseau à Porto-Bello. «Ce vaisseau, qui d'abord ne devoit être que de cinq cents tonneaux, fut, en 1717, de huit cent cinquante par convention, mais en effet de mille par abus; ce qui faisoit deux millions pesant de marchandises. Ces mille tonneaux étoient encore le moindre objet de commerce de la compagnie angloise; une patache, qui suivoit toujours le vaisseau sous prétexte de lui porter des vivres, alloit et venoit continuellement; elle se chargeoit, dans les colonies angloises, des effets qu'elle apportoit à ce vaisseau, lequel, ne désemplissant jamais par cette manœuvre, tenoit lieu d'une flotte entière. Souvent même d'autres navires venoient remplir ce vaisseau de permission, et leurs barques alloient encore sur les côtes de l'Amérique porter des marchandises dont les peuples avoient besoin, mais qui faisoient tort au gouvernement espagnol, et même à toutes les nations qui se croient intéressées au commerce qui se fait des ports d'Espagne au golfe du Mexique.» (Voltaire, Précis du Siècle de Louis XV, ch. VIII.)
69: Voltaire, Précis du Siècle de Louis XV, ch. V.
70: Voltaire, Précis du Siècle de Louis XV, ch. V.
71: Les deux frères n'étoient encore connus, l'un et l'autre, que par quelques persécutions qu'ils avoient éprouvées sous le ministère du duc de Bourbon, par suite de leurs liaisons avec Leblanc, secrétaire d'État de la guerre, accusé de dilapidations, et poursuivi plutôt par la haine que lui portoit la marquise de Prie, que pour ce crime, dont il n'existoit pas d'ailleurs de preuves suffisantes. Le comte et le chevalier de Belle-Isle, accusés, dans cette affaire, de manœuvres frauduleuses, et soupçonnés d'entretenir une correspondance secrète avec Leblanc que l'on avoit fait mettre à la Bastille, furent arrêtés à leur tour, et renfermés dans la même prison.
72: En entrant dans la Bohême, on s'étoit emparé de deux postes importants, Tabor et Budweiss; et le marquis de Ségur avoit été laissé en Autriche avec un corps de quinze mille hommes, que l'on croyoit suffisant pour garder les conquêtes qu'on y avoit faites. Il arriva que des corps autrichiens, chassés de la Silésie, attaquèrent ces deux postes, et s'en emparèrent. Ainsi la communication se trouva, dès le commencement, interrompue entre le corps de Ségur et l'armée de Bohême; d'un autre côté, le grand duc, qu'une trève avec le roi de Prusse avoit laissé libre de ses mouvements, s'avançoit en toute hâte, à travers la Moravie, au secours de la ville assiégée.
73: «Elle étoit sortie de Vienne, et elle s'étoit jetée entre les bras des Hongrois, si sévèrement traités par son père et par ses aïeux. Ayant assemblé les quatre ordres de l'État à Presbourg, elle y parut tenant entre ses bras son fils aîné presque encore au berceau; et leur parlant en latin, langue dans laquelle elle s'exprimoit bien, elle leur dit à peu près ces propres paroles: «Abandonnée de mes amis, persécutée par mes ennemis, attaquée par mes plus proches parens, je n'ai de ressource que dans votre fidélité, dans votre courage et dans ma constance; je mets en vos mains la fille et le fils de vos rois, qui attendent de vous leur salut.» Tous les palatins, attendris et animés, tirèrent leurs sabres en s'écriant: Moriamur pro rege nostro Mariâ Theresiâ. (Voltaire, Précis du Siècle de Louis XV, ch. VI.)
74: Ce fut de ces milices populaires, formées tout à coup par ce mouvement exalté de patriotisme, que sortirent ces troupes irrégulières, Pandours, Croates, Talpaches, qui, conduites par des partisans, et étrangères, ainsi que leurs chefs, à toutes les lois de la guerre, exercèrent, partout où elles passèrent, les plus affreux ravages, et devinrent la terreur de l'Allemagne et même de la France. Mentzel étoit le chef suprême de ces bandes féroces, et se rendit lui-même fameux par sa férocité.
75: «Bien des gens savent, disoit-il, combien j'ai été opposé aux résolutions que nous avons prises, et que j'ai été en quelque façon forcé d'y consentir. Votre Excellence est trop instruite sur ce qui se passe, pour ne pas deviner celui qui mit tout en œuvre pour déterminer le roi à entrer dans une ligue qui étoit si contraire à mon goût et à mes principes.» «L'impératrice ayant fait imprimer sa lettre, il en écrivit une seconde, dans laquelle il se plaignoit au général autrichien de ce qu'on avoit publié sa première lettre, et lui disoit qu'il ne lui écriroit plus ce qu'il pensoit. Cette seconde lettre lui fit encore plus de tort que la première; il les fit désavouer toutes deux dans quelques papiers publics, et ce désaveu, qui ne trompa personne, mit le comble à ces fausses démarches, que les esprits les moins critiques excusèrent dans un homme de quatre-vingt-sept ans, fatigué de mauvais succès.» (Voltaire, Précis du Siècle de Louis XV, ch. VII.)
76: Le 16 décembre 1742, Chevert fut laissé dans la ville avec une garnison.
77: Dans une marche de dix jours, quatre mille François périrent de faim et de misère; le reste arriva à Égra dans l'état le plus déplorable.
78: La justesse de son coup d'œil militaire lui ayant fait juger que les François ne tarderoient pas à être renfermés dans Prague, il avoit pris sur-le-champ ce parti à la fois prudent et audacieux de s'emparer d'Égra, pour leur assurer un point d'appui dans leur retraite.
79: Le 29 janvier 1743.
80: Voyez 1re partie de ce volume, p. 125.
81: Orry, dont la probité étoit suspecte, mais qui entendoit les finances, conserva ce département qu'il avoit été sur le point de perdre sous le ministère du cardinal. Le comte d'Argenson remplaça le marquis de Breteuil au ministère de la guerre; il y montra des vues et de l'activité. Maurepas resta à la marine pour en achever la destruction; le chancelier d'Aguesseau ne fut point dérangé de sa place: il étoit considéré comme le personnage le plus nul de tout le ministère, et ce n'étoit malheureusement pas sans raison.
82: Les épigrammes et les chansons étoient alors la seule manière dont le peuple se vengeoit des fautes de ceux qui gouvernoient si étrangement la France. On se tranquillisoit sur cette gaieté du bon peuple françois; on en tiroit cette conséquence, que puisqu'il rioit et chantoit, c'est qu'il prenoit son mal en patience et qu'il étoit facile à gouverner. Mazarin avoit pensé de même, et la guerre de la Fronde avoit pu le désabuser. Il a fallu la révolution pour apprendre au ministérialisme du XVIIIe siècle de quoi est capable une nation qui se moque de ceux qui la gouvernent, et qui les chansonne.
83: Une escadre de vingt-six vaisseaux de ligne, sous le commandement du comte de Roquefeuil, entra dans la Manche; les côtes se couvrirent de troupes qui sembloient prêtes à s'embarquer; le maréchal de Saxe devoit, disoit-on, les commander, et le prince Édouard étoit parti de Rome pour joindre l'armée françoise.
84: Son père, disoit-on, avoit été boucher et se nommoit Poisson; sa mère, célèbre dans sa jeunesse par sa beauté et par sa galanterie, l'avoit mariée à un sous-fermier nommé Le Normand d'Étioles; et dès lors, spéculant sur les charmes et sur tous les moyens de séduction que possédoit sa fille, elle avoit décidé qu'une beauté si parfaite ne violeroit la foi conjugale que pour triompher du roi de France, et lui avoit inspiré de tourner toutes ses pensées vers cette illustre conquête. La fille se montra docile aux inspirations de sa mère, et, à force de manœuvres de comédie, finit par attirer dans ses lacs le monarque voluptueux. Nous allons voir bientôt paroître, sur le triste théâtre des affaires publiques, cette femme si fatale à la France.
85: La mort de Philippe V, dont la nouvelle parvint à l'armée espagnole pendant cette retraite, contribua beaucoup à accroître ce découragement. L'influence de la reine cessa à l'instant même de la mort de son mari; et le nouveau roi, Ferdinand VI, n'étoit pas disposé à sacrifier ses armées et ses trésors, afin de conquérir des principautés à ses frères utérins. Toutefois ce n'étoit pas une raison pour abandonner de fidèles alliés.
86: Les violences des Autrichiens y furent portées à de tels excès, qu'elles soulevèrent contre eux une population entière désespérée. On les attaqua dans la ville même; on les poussa de rue en rue; les femmes, partageant cette fureur patriotique, les accablèrent, du haut des toits, de débris arrachés à leurs propres maisons; ils finirent par être chassés de la ville, après avoir perdu quatre mille des leurs dans cette action meurtrière. La France envoya depuis aux Génois, sous la conduite du duc de Boufflers, un corps de troupes au moyen duquel ils purent se maintenir.
87: Alors l'armée espagnole, réduite à moins de neuf mille hommes, se sépara des débris de l'armée françoise où l'on comptoit à peine onze mille soldats manquant de tout, et, traversant le Dauphiné, alla se cantonner dans le duché de Savoie, dont le roi d'Espagne étoit encore maître.
88: Il avoit été fait prisonnier le 20 décembre 1743, en prenant des relais à la porte d'Elbingerode, petit bourg enclavé dans le territoire de Hanovre, et conduit en Angleterre, où il resta jusqu'au 17 août de l'année suivante.
89: Le comte de Lowendalh étoit danois d'origine, et avoit servi d'abord en Russie. La prise de Berg-op-Zoom lui valut le bâton de maréchal de France.
90: «L'impératrice Élisabeth Petrowna, fille du czar Pierre, fit marcher cinquante mille hommes en Livonie, et promit d'équiper cinquante galères. Cet armement devoit se porter partout où voudrait le roi d'Angleterre, moyennant cent mille livres sterling seulement.» (Voyez Précis du Siècle de Louis XIV, ch. XXVI.)
91: Louisbourg est une place qui pouvoit se défendre, et rendre tous les efforts inutiles, si on avoit eu assez de munitions.» (Voyez Précis du Siècle de Louis XIV, ch. XXVIII.)
92: Le roi de Prusse garda la Silésie qu'il avoit conquise, et le roi de Sardaigne conserva une partie du Milanois qui avoit été le prix de son alliance avec la reine de Hongrie.
93: Il convient cependant de donner une juste idée des persécutions cruelles exercées par ce monarque contre ces honnêtes sectaires, qui, comme tout le monde sait, étoient des agneaux pour la douceur, point persécuteurs; au contraire, pleins de charité à l'égard de ceux qui avoient le malheur de ne pas être de leur avis. Il est à propos de dévoiler les horreurs que l'on exerça contre eux, et dont le père Letellier, cet atroce et farouche jésuite, fut l'instigateur; il faut enfin déchirer les voiles et montrer à tous les yeux ces victimes nombreuses qu'un historien moderne (M. Lacr......) nous représente, en style pathétique et en phrases plus ou moins harmonieuses, entassées dans les cachots de la Bastille et de Vincennes, et lorsqu'elles furent enfin délivrées sous la régence, «défilant lentement au milieu de leurs parents et de leurs amis:» spectacle, ajoute cet historien, bien propre à aigrir les esprits contre la mémoire de Louis XIV. Or les écrits du temps les plus favorables à la cause du jansénisme nous apprennent que, jusqu'au mois d'octobre 1715, il avoit été mis DEUX personnes à Vincennes et QUATRE à la Bastille, six en tout; et ces écrits les nomment[93-A]. Telle est la liste effrayante de ces victimes qui défilèrent lentement et processionnellement en sortant de ces cachots où elles avoient été entassées. Voilà comme certaines gens écrivent l'histoire au XIXe siècle. En ce genre, nous sommes forcés d'avouer que nous ne connoissons rien de plus curieux que l'histoire ou plutôt les histoires de M. Lacr....., que tant de braves gens lisent pour leur instruction, et dont il faut espérer toutefois que quelque jour justice sera faite.
93-A: Voyez les Mémoires pour servir à l'Histoire ecclésiastique du 18e siècle, t. I, p. 111, 2e édition.
94: Le 25 mai 1715.
95: Les Hexaples et le Témoignage de la Vérité[95-A]. «On y lisoit ces énormes maximes, que les peuples ne doivent point écouter leurs pasteurs; que les disciples ne doivent point être enseignés par leurs maîtres; que les fidèles n'ont pas la seule docilité pour partage. On y enseignoit au contraire que les peuples ont un droit acquis de s'élever contre tout ce qui blesse leurs préventions et d'en décider par leurs clameurs. On citoit à ce tribunal de l'esprit particulier les conciles généraux eux-mêmes, pour s'assurer de l'authenticité de leurs canons; et on faisoit du soulèvement du peuple la souveraine règle vivante et infaillible de notre foi. Telle étoit la monstrueuse doctrine du livre du Témoignage de la Vérité.»
«Le livre des Hexaples n'étoit pas moins impie. Le but principal de son auteur étoit d'opposer la doctrine de l'Écriture et des Pères à celle de la Constitution, d'y mêler des remarques propres à étouffer dans le cœur des fidèles les sentiments de soumission et de respect qui sont dus au Saint-Siége, de justifier les Réflexions morales aux dépens de tous ceux qui les avoient si formellement proscrites, et d'invectiver contre les auteurs d'une morale opposée à la sienne.» (Lafiteau, Histoire de la Bulle Unigenitus, t. I, p. 320, in-12.)
95-A: L'auteur des Hexaples se nommoit Fouillou; celui du Témoignage étoit un oratorien nommé La Borde.
96: Ils étoient au nombre de douze, y compris leur chef, le cardinal de Noailles.
97: Outre que la convocation n'en étoit pas aisée dans les circonstances où l'on se trouvoit, le pape ne voyoit pas la nécessité d'une semblable assemblée pour sanctionner une loi, qu'à l'exception de quelques réfractaires, tous les évêques du monde chrétien avoient reçue avec le respect qui lui étoit dû. Qui pouvoit assurer d'ailleurs qu'après que le concile auroit été convoqué, les Quesnélistes n'imiteroient pas les Calvinistes dans la conduite que ceux-ci avoient tenue à l'égard du concile de Trente? (Lafiteau, Histoire de la Bulle Unigenitus, t. I, p. 355, in-12.)
98: Ce qui se passe à ce sujet suffira pour faire apprécier quelles étoient, sous les apparences du respect hypocrite et de l'esprit de conciliation, les véritables dispositions de la cour de France à l'égard du Saint-Siége. En 1716, plusieurs ecclésiastiques, dont la doctrine et les liaisons étoient suspectes, avoient été nommés à des évêchés: le pape refusa des bulles; le régent demanda la stricte exécution du concordat, et il s'ensuivit entre les deux cours une altercation qui dura jusqu'en 1718. Alors perdant patience, le duc d'Orléans assembla un conseil de régence où des commissaires furent nommés, à l'effet d'examiner les motifs de ce refus que faisoit le pape, d'aviser aux moyens de le faire cesser, et s'il y persistoit, à ceux que l'on pourroit mettre en usage pour gouverner l'Église de France et pourvoir au sacre des évêques. Le duc de Saint-Simon, l'un des plus chauds opposants, étoit au nombre de ces commissaires, parmi lesquels on ne voyoit ni un évêque ni un magistrat. Les théologiens qu'il consulta étoient tous, comme lui, des opposants furieux; on y comptoit entre autres un chanoine excommunié par son évêque, et un docteur de Sorbonne qui revint exprès de Hollande où il s'étoit retiré auprès de Quesnel, pour lui donner son avis. Il sortit de ce conciliabule un Mémoire où l'on présentoit les moyens de se passer du pape et de secouer entièrement le joug de la cour de Rome. Il ne s'agissoit pas moins, suivant l'avis de Saint-Simon, que de faire appeler tous les parlements et toutes les universités. Enfin les avis qui s'ouvrirent sur cette question furent si violents, que le duc d'Orléans en fut effrayé; il en vit le danger, et trouva assez de force pour résister aux sollicitations de ceux qui vouloient l'entraîner dans le schisme. Toutefois on y touchoit pour ainsi dire à chaque instant; et l'on ne peut savoir ce qui seroit arrivé en cette circonstance, si l'on n'eût appris, quelques jours après, que le pape, satisfait des explications qui lui avoient été données, avoit accordé les bulles. (Voyez les Mém. pour servir à l'Hist. ecclés. du 18e siècle, année 1718.)
99: Lafiteau, tom. I, pag. 390. Ce passage remarquable suffit pour démontrer que cette affaire, si légèrement traitée par tant d'esprits superficiels, touchoit le fond même de la religion, et que la question de l'acceptation de la bulle Unigenitus étoit en même temps celle de savoir si la France continueroit ou cesseroit d'être catholique; la suite le fera bien voir.
100: L'un d'eux se nommoit l'abbé Chevalier; l'autre étoit ce même P. La Borde, auteur du livre du Témoignage. Ils finirent par se faire chasser de Rome.
101: C'est qu'au fond la doctrine de Jansénius étoit absolument la même que celle de ces hérésiarques. Au moyen d'une interprétation absurde de Saint-Augustin, l'évêque d'Ypres enseignoit, dans son livre, que le plaisir est le seul mobile de nos actions; que lorsque le plaisir vient de la grâce, il nous porte à la vertu; que quand c'est la cupidité qui le fait naître, il nous entraîne vers le vice; et que, depuis la chute du premier homme, notre volonté est nécessairement déterminée à suivre celui de ces deux mouvements qui se trouve actuellement le plus fort dans notre cœur. Ainsi le fond de son système est que l'homme, comme fils d'Adam et entaché du péché originel, est soumis à la nécessité invincible de faire le bien ou le mal: le bien, quand c'est la grâce qui prédomine; le mal, lorsque c'est la cupidité. Calvin n'enseigne rien de plus monstrueux dans ce qu'il établit sur la prédestination, sur la grâce, sur le libre arbitre. «Un ecclésiastique anglois, dit l'illustre comte de Maistre, a donné une superbe définition du calvinisme: c'est, dit-il, un système de religion qui offre à notre croyance des hommes esclaves de la nécessité, une doctrine inintelligible, une foi absurde, un Dieu impitoyable.» On ne pouvoit peindre le jansénisme en termes plus énergique et plus vrais. Le même écrivain remarque que le système de l'athée Hobbes, qui soutenoit également que tout est nécessaire, offre, en tous points, une identité parfaite avec ceux de Calvin et de Jansénius.
«Comment donc, ajoute-t-il avec sa merveilleuse sagacité, une telle secte a-t-elle pu se créer tant de partisans et même de partisans fanatiques? Comment a-t-elle pu faire tant de bruit dans le monde? fatiguer l'État autant que l'Église? Plusieurs causes réunies ont produit ce phénomène; la principale est celle que j'ai touchée. Le cœur humain est naturellement RÉVOLTÉ. Levez l'étendard contre l'autorité, jamais vous ne manquerez de recrues. Non serviam (Jérémie, II, 20); c'est le crime éternel de notre malheureuse nature. «Le système de Jansénius, a dit Voltaire, n'est ni philosophique, ni consolant; mais le plaisir d'être d'un parti, etc.» (Siècle de Louis XIV.) Il ne faut pas en douter, tout le mystère est là. Le plaisir de l'orgueil est de braver l'autorité, son bonheur est de s'en emparer, ses délices sont de l'humilier. Le jansénisme présentoit cette triple tentation à ses adeptes. (De l'Église gallicane, liv. I, ch. IV, p. 32.)
102: L'abbé Dorsanne, secrétaire du cardinal de Noailles, l'avoue lui-même naïvement: «Les opposants, dit-il, ne cherchoient qu'à allonger pour donner au second ordre le temps de se déclarer.» (Journal de Dorsanne, année 1717.)
103: Lafiteau, t. I, p. 445.
104: Lafiteau, t. I, p. 446.
105: Ce fait est avoué par un de leurs principaux historiens. (Anecdotes, t. 3, p. 248 et suiv.) Ils empruntèrent à cet effet au delà de quatre cent mille livres; on donnoit cinq cents livres à chaque candidat qui, dans des thèses publiques, soutenoit quelques-unes des erreurs condamnées par la bulle; les curés recevoient davantage; et l'on payoit encore de plus fortes sommes aux chanoines qui avoient assez de crédit pour gagner leurs chapitres, aux religieuses assez puissantes pour entraîner leurs communautés. Cette manœuvre dura deux ans, et ne fut découverte que par les plaintes des créanciers qui demandoient à être payés, et qui n'obtinrent jamais le remboursement de leurs avances. Cependant, malgré l'emploi de moyens si honteux, soutenus des plus odieuses calomnies et de tous les genres de séduction, le parti des appelants ne compta jamais, dans sa plus grande prospérité, que seize évêques, trois universités, deux à trois mille ecclésiastiques, et un petit nombre de laïques sans autorité.
106: Contre ce petit nombre d'opposants que nous venons de signaler, se présentoient en France plus de cent évêques, toutes les universités, trois seulement exceptées, et plus de cent mille ecclésiastiques qui demeuroient attachés au corps épiscopal; hors de France, tous les évêques de la chrétienté.
107: Quelques magistrats trouvèrent mauvais que le régent eût insinué dans sa lettre que des parlements avoient attenté aux droits de l'épiscopat. (Lafiteau, t. 2, p. 42.)
108: Le 17 octobre 1717.
109: Cette bulle qui commence par ces mots, Pastoralis officii, fut publiée à Rome, le 28 août 1718. Adressée à tous les fidèles, elle leur ordonnoit de rompre toute communication avec les opposants, déclaroit ceux-ci séparés de la charité de la sainte Église romaine, les privoit de la communion ecclésiastique avec l'Église et son chef, leur obéissance seule pouvant les rétablir dans l'unité du siége apostolique.
110: Ce plan avoit été tracé par Dupin, docteur de Sorbonne, à qui ses violences et ses erreurs ont acquis, dans ces querelles, une si malheureuse célébrité. Une correspondance qu'il avoit avec l'archevêque de Cantorbery éveilla les soupçons; on saisit ses papiers, et les fils de cette trame presque incroyable furent ainsi dévoilés. «Il y étoit dit que les principes de notre foi peuvent s'accorder avec les principes de la religion anglicane; que sans altérer l'intégrité du dogme, on peut abolir la confession auriculaire, et ne plus parler de transsubstantiation dans le sacrement de l'Eucharistie, anéantir les vœux de religion, permettre le mariage des prêtres, retrancher le jeûne et l'abstinence du carême, se passer du pape, et n'avoir plus ni commerce avec lui, ni égard pour ses décisions.» (Lafiteau, t. 2, p. 126.)
111: La faculté appelante de Caen ayant établi très positivement dans son appel que l'opinion de l'infaillibilité du pape étoit erronée, la faculté de Paris approuva cette opinion et la confirma par un décret. On n'étoit point encore allé jusque-là en France. (Mém. pour servir à l'Hist. ecclés. du 18e siècle, année 1719.)
112: Entre autres, une lettre circulaire adressée à ses curés, dans laquelle il les conjuroit de ne s'alarmer, ni sur les explications qu'il venoit d'adopter, ni sur l'acceptation qu'il avoit promise: «Par mes explications, disoit-il, j'ai mis la vérité à couvert; et si j'accepte, c'est avec une bonne relation. (Lafiteau, t. 2, p. 163.)
113: Lafiteau, p. 166.
114: Lafiteau, p. 168.
115: Il convient de remarquer que les deux puissances étoient toujours conjointement attaquées, chaque fois que le pouvoir temporel cessoit de se montrer tolérant à l'égard des sectaires: nous en verrons bientôt un exemple plus frappant.
116: Lafiteau, p. 181 à 189.
117: Il en exila quelques-uns, en destitua d'autres, et apprit ainsi à tous qu'il vouloit être obéi: il avoit lui-même appris à bien connoître l'esprit de ces sectaires, au milieu de ces longues querelles; et les ayant bien accueillis d'abord, il avoit fini par ne plus pouvoir les supporter. Il disoit, dans les derniers temps de sa vie, «que si le ciel l'eût fait roi, il n'auroit jamais souffert, parmi ses sujets, des gens qui, dans une révolte, pussent prétexter avec les jansénistes que la grâce leur avoit manqué.» Lafiteau, p. 192.
118: La Sorbonne donnoit déjà quelques signes de retour vers la soumission à l'autorité: les facultés de théologie de Reims, de Poitiers et de Nantes s'étoient désistées de leur appel, et l'évêque de Saint-Malo, qui s'étoit fait appelant en 1717, venoit d'accepter la bulle purement et simplement.
119: Lafiteau, t. 2, p.
120: «Il ordonnoit publiquement tous les apostats que lui envoyoient les jansénistes de Hollande, et les admettoit aux ordres sacrés, tantôt sans démissoires, tantôt sur le seul témoignage d'un évêque intrus dans les pays protestants.» (Lafiteau, t. 2, p. 198.)
121: Dans sa fureur janséniste, ce vieillard fanatique y défendoit à ses diocésains d'écouter le successeur que la Providence lui donneroit, s'il s'avisoit jamais de leur parler en faveur de la constitution Unigenitus. (Lafiteau, t. 2, p. 198.) Il est remarquable que ce même évêque de Senez avoit accepté la bulle Vineam Domini.
122: Ce prélat, dont la doctrine étoit pure et le savoir très étendu, a été peint des plus noires couleurs par les libellistes et les gazetiers du parti, parce qu'il fut un de ses plus redoutables antagonistes. Ces calomnies odieuses et dégoûtantes, que démentent toutes les circonstances de sa vie, ont été recueillies comme des vérités authentiques par les faiseurs de Mémoires secrets, et même, de nos jours, par des historiens sans critique, que l'on trouve toujours disposés à croire le mal que l'on peut dire d'un homme d'église, et dans tous les degrés de la hiérarchie.
123: Lafiteau, t. 2, p. 217.
124: Ibid., p. 218.
125: Cette même année 1728 vit la rétractation des évêques d'Agen, de Condom, d'Acqs, de Blois, d'Agde, d'Angoulême et de Rodez. Les évêques de Metz, de Mâcon, de Tréguier, de Pamiers et de Castres, bien que leurs opinions fussent suspectes, gardoient le silence. Le parti ne comptoit donc plus à sa tête que trois à quatre évêques, ceux de Montpellier, d'Auxerre, de Troyes, et l'évêque suspens de Senez. Voilà ce qu'ils opposoient au pape suivi de tout le corps épiscopal. (Mémoires pour servir à l'Histoire ecclésiastique du 18e siècle, année 1728.)
126: On lui fit cette épitaphe burlesque, qui peint assez bien ses continuelles variations:
Ci-gît Louis Cahin-Caha,
Qui dévotement appela,
De oui, de non, s'entortilla;
Puis dit ceci, puis dit cela,
Perdit la tête et s'en alla.
Toutefois le dernier vers manque de justesse; il eût été plus vrai de dire que le cardinal avoit retrouvé sa tête avant de s'en aller.
127: Voyez la première partie de ce volume, p. 26.
128: Parmi les plus fougueux jansénistes qui dirigeoient alors le parlement, se distinguoit un certain abbé Pucelle, conseiller-clerc, et l'un des vétérans de la secte. C'étoit autour de lui que se rassembloient les jeunes magistrats, ou autrement la cohue des enquêtes; et, soutenu de cette jeunesse turbulente, il dominoit le plus souvent dans les délibérations de ce genre. Dans celle qui suivit ce lit de justice, il proposa une protestation qui se composoit de quatre articles, différents sans doute pour la forme; mais pour le fond visiblement imités des quatre articles de la déclaration de 1682, dont ils mettoient à découvert les dernières conséquences[128-A]. Ce rapprochement est remarquable: ainsi les principes de cette déclaration fameuse étoient reproduits par le parlement dans une occasion où il se montroit hostile contre le clergé, et reproduits avec l'intention de donner plus de force à ses hostilités.
128-A: Voici le texte littéral de cette protestation:
1o La puissance temporelle, établie directement par Dieu, est indépendante de toute autre; et nul pouvoir ne peut donner la moindre atteinte à son autorité.
2o Il n'appartient pas aux ministres de l'Église de fixer les termes que Dieu a placés entre les deux puissances; les canons de l'Église ne deviennent lois de l'État qu'autant qu'ils sont revêtus de l'autorité du souverain.
3o À la juridiction temporelle seule appartient la juridiction extérieure qui a le droit de contraindre les sujets du roi.
4o Les ministres de l'Église sont comptables au roi et à la cour, sous son autorité, de tout ce qui peut blesser les lois de l'État.
129: Ces appels étoient un des effets les plus déplorables de la lutte non interrompue qui, depuis plusieurs siècles, s'étoit engagée en France entre les deux puissances, et dans laquelle n'avoit cessé de triompher le pouvoir temporel avec toutes les injustices et toutes les brutalités que peut produire la force mise à la place du droit. Dans l'établissement de ces appels, on avoit d'abord procédé avec une apparence d'équité et même d'utilité: «On ne se servoit de ce moyen, est-il dit dans les procès-verbaux de l'assemblée du clergé de 1655, que pour arrêter les violences de fait, les usurpations et entreprises des juges d'Église sur la juridiction du roi et sur son temporel; peu à peu les parlements les ont étendus à toutes sortes de cas; et encore que les injustices prétendues avoir été commises par les juges de l'Église pussent être réparées par leur juge ecclésiastique supérieur, par la voie ordinaire de l'appel simple, néanmoins les parlements en attirent la connoissance à leur tribunal par la voie extraordinaire de l'appel comme d'abus, et par ce moyen énervent toute la juridiction ecclésiastique, et empêchent qu'elle ne puisse procéder à la discipline, correction des mœurs et réglement de la police de l'Église.» (In-folio, p. 301, § XVI.)
On lit encore dans le même recueil que, «le 24 janvier 1656, l'évêque de Lodève rendant compte, en présence du cardinal de Mazarin qui présidoit l'assemblée, des principaux points contenus au cahier des plaintes du clergé, dit que le second (point) étoit des empêchements que reçoivent les évêques dans leur juridiction, lesquels procédoient de ce que les juges royaux étendoient la leur au delà de l'ancienne coutume, lois et ordonnances du royaume, et rendoient l'ecclésiastique tout-à-fait inutile et sans pouvoir; que si l'on remontoit jusqu'aux sources et l'on considéroit l'usage continuel que les évêques avoient observé depuis treize à quatorze cents ans, l'on verroit qu'ils ont exercé paisiblement leur juridiction suivant le droit, les canons et les coutumes anciennes, sans y avoir été troublés par la juridiction séculière; mais que, depuis François Ier, les désordres des guerres civiles avoient donné occasion aux juges laïques de tout entreprendre sur les ecclésiastiques; qu'ils en ont toujours porté leurs plaintes aux rois et obtenu de leur justice le rétablissement de la juridiction ecclésiastique en certains points, qui ont demeuré néanmoins sans exécution par la résistance des juges séculiers, et par les modifications que les parlements ont apportées aux registres des ordonnances et déclarations des rois.» (P. 300, § XVI.)
130: Lafiteau, t. 2, p. 252.
131: Lafiteau, t. 2, p. 259-260. C'étoit la première fois que ces idées républicaines étoient si clairement énoncées; et l'on ne peut trop remarquer qu'elles venoient d'un parti qui affectoit un zèle ardent pour la cause des rois, et prétendoit n'avoir entamé cette guerre et ne la soutenir, que pour défendre leur autorité contre les usurpations des papes, qu'ils appeloient une puissance étrangère.
132: Les mandements furent condamnés au feu et brûlés en même temps que les Nouvelles ecclésiastiques, cette gazette clandestine des jansénistes dont nous avons déjà parlé. On ne dit point ce qu'il advint par la suite des mandements; mais la gazette n'en continua pas moins de paroître très régulièrement, et fut lue avec la même avidité.
133: On eut égard à cette partie de la demande; et l'affaire ayant été évoquée au conseil du roi, il fut permis à l'archevêque de publier son mandement. Les avocats signataires de la consultation en furent choqués et fermèrent leur cabinet. La plupart de leurs confrères imitèrent cet exemple; on cria que l'honneur du corps étoit outragé; ceux qui refusèrent d'entrer dans la ligue furent honnis, et le public prit parti dans cette querelle. Dix des plus ardents furent exilés; mais cet acte de sévérité effraya la cour elle-même qui l'avoit tenté. Lorsqu'elle vit que les autres n'en étoient point intimidés, elle négocia avec eux; ils voulurent bien rentrer au Palais, et les dix exilés furent rappelés. On apprit ainsi ce qu'une résistance persévérante pouvoit obtenir de la foiblesse du pouvoir et de la position fausse où il s'étoit placé.
134: En 1727.
135: Lafiteau, t. 2, p. 280.
136: Ibid., p. 278. Ces inconcevables folies, et beaucoup d'autres semblables, furent sérieusement débitées dans trois ouvrages qui parurent alors, sous le titre commun de Vie de M. Pâris, diacre.
137: Du nom de Molina, jésuite espagnol, auteur d'un système sur la grâce et le libre arbitre, système qui a trouvé des adversaires très passionnés, mais que le Saint-Siége n'a pas condamné, et qui s'est toujours enseigné comme opinion libre dans les écoles.
138: Il fut fermé le 27 janvier 1732.
139: On feroit un livre entier des folies, des turpitudes, des abominations de tout genre qui se passoient dans ces assemblées, composées d'imbécilles, de fripons, de libertins hypocrites, de femmes perdues, où les séances, commencées par des miracles, des prophéties, surtout par des tortures bizarres (coups de poing, coups d'épée, crucifiements, etc.), exercées particulièrement sur ces malheureuses par ceux qui les avoient ou payées ou séduites, dégénéroient souvent en orgies infâmes et dégoûtantes. Réunis d'abord sous la même bannière, les convulsionnaires se partagèrent bientôt en une multitude de sectes, désignées par le nom de leurs chefs, divisées par leurs doctrines, et retraçant, dans leurs rêveries, ce que les anciennes hérésies les plus décriées ont jamais offert de plus absurde, de plus impie, de plus fanatique. Abandonnés par les appelants qui n'avoient pas renoncé à tout bon sens et à toute pudeur, ils trouvèrent long-temps encore des partisans et des protecteurs, et jusque dans le parlement; mais ce que beaucoup de personnes ignorent, c'est que la secte des convulsionnaires n'étoit pas encore entièrement éteinte au commencement du dix-neuvième siècle. En 1787, deux ans avant la révolution, il parut une relation imprimée d'un crucifiement, qu'un curé de Fareins, nommé Bonjour, avoit fait subir à une jeune fille, devant la porte même de son église. Il fut arrêté et renfermé. On le vit reparoître en 1792, accompagné d'un enfant miraculeux, dont la mission divine devoit commencer en 1813; et il trouva, même encore à cette époque, quelques partisans. Leurs rassemblements mystérieux se prolongèrent jusqu'en 1806, où ils excitèrent l'attention de la police. Bonjour fut arrêté ainsi que l'enfant; et depuis cette époque la trace de ces sectaires insensés s'est entièrement perdue. (Voyez les Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique du dix-huitième siècle, année 1761.)
140: Lafiteau, t. 2, p. 287.
141: Les actes de cette compagnie furent dès lors poussés à cet excès de démence de supprimer une lettre pastorale de l'archevêque de Cambray, par la raison qu'il y donnoit au roi le titre de Très-Chrétien, soutenant que, de la part d'un sujet de Sa Majesté, c'étoit lui manquer de respect que de ne pas lui donner simplement le nom de Roi. Cet arrêt, qui semble incroyable, est du 13 juin 1734 (Lafiteau, t. 2, p. 299). Cependant, jusqu'à un certain point, cette compagnie raisonnoit conséquemment; car sous les rois païens, quels qu'ils fussent, la religion du pays, quelle qu'elle pût être, étoit constamment honorée, protégée, et au besoin vengée de quiconque osoit l'insulter dans ses dogmes ou dans ses ministres.
142: Lafiteau, t. 2, p. 314.
143: Ce même Lafiteau, évêque de Sisteron, à qui nous devons la meilleure relation qui existe de ces querelles causées par la bulle Unigenitus, relation à laquelle on ne peut faire d'autre reproche que de montrer trop d'indulgence pour le régent, son ministre et le cardinal de Fleuri.
144: L'Assemblée générale du clergé se tenoit à Paris tous les cinq ans. L'objet de ses délibérations, le plus intéressant pour la cour, étoit d'y voter le don gratuit qu'elle avoit coutume d'offrir au roi: alors on l'écoutoit volontiers. Elle devenoit le plus souvent importune, lorsqu'elle s'occupoit des maux de l'Église, et qu'elle demandoit au pouvoir les moyens d'y porter remède. Comme, dans ces moyens qu'elle proposoit pour y parvenir, il s'agissoit, avant tout, de lui rendre une liberté suffisante, et d'autoriser, à ce sujet, ses synodes et ses conciles provinciaux, on conçoit que les profonds politiques qui gouvernoient alors la France devoient y trouver un grand danger[144-A]. Nous allons voir tout à l'heure un contrôleur-général des finances essayer de résoudre le problème d'avoir l'argent de l'Église, et de se passer de ses assemblées et de ses remontrances.
144-A: Loin de permettre ces réunions extraordinaires du clergé, le régent n'avoit pas jugé à propos de convoquer son assemblée ordinaire et quinquennalle de 1720; celle de 1725 avoit eu à se plaindre du mépris qu'on avoit fait de ses remontrances, et des procédés violents du duc de Bourbon à son égard. (Voyez les Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique du dix-huitième siècle, A, 1725.)
145: Le Parc aux Cerfs: c'étoit un enclos pratiqué sur l'emplacement où s'élève aujourd'hui le quartier Saint-Louis, à Versailles. On y avoit bâti plusieurs maisons élégantes dans lesquelles étoient conduites les malheureuses destinées à ses embrassemens passagers, et recrutées par la violence ou par les séductions des nombreux agents de ses débauches, dans tous les rangs de la société. La plume se refuse à retracer les horreurs qui se passoient dans ce repaire royal. Si l'on en croit des traditions qui semblent certaines, puisqu'elles se composent des témoignages d'un grand nombre de personnes attachées à la cour, ce n'étoient pas seulement des femmes arrachées à leurs maris, des filles achetées à leurs mères, qui venoient s'y perdre: l'enfance même y fournissoit des victimes; et, introduite dès l'âge de neuf à dix ans dans cet asile infâme, la jeune vierge y attendoit qu'elle fût nubile pour être profanée, et y recevoit une éducation conforme à ses futures destinées. Après quelques semaines, quelques jours, quelquefois même après un seul jour, elles en sortoient, quelques unes entièrement abandonnées et réduites à se livrer à la prostitution publique; d'autres dotées et mariées, quand elles pouvoient l'être, à des hommes que l'on abusoit pour les leur faire épouser, ou qui s'avilissoient eux-mêmes volontairement en contractant de semblables alliances. On ajoute que celles qui avoient eu des enfants du roi conservoient un traitement fort considérable. Ce fut vers 1753 que commença cet établissement de prostitution. Il coûta des sommes immenses qu'il seroit difficile d'évaluer, mais qui peuvent être portées, sans exagération, à plus de cent millions.
146: Le Mondain et l'Épître à Uranie.
147: La marquise Du Châtelet.
148: L'Esprit des Lois est un de ces livres produits par les doctrines philosophiques du dix-huitième siècle, dont beaucoup de gens, qui font profession de haïr ces doctrines, sont encore engoués au dix-neuvième; et parmi ceux qui pérorent dans nos tribunes publiques, avec toutes les prétentions de l'orateur et du profond politique, il en est un grand nombre qui ne parle jamais de Montesquieu qu'en l'appelant notre grand publiciste: c'est son sobriquet. Cependant ils seroient fort embarrassés s'il leur falloit expliquer quel est le plan et l'idée première de cet écrivain, d'où il part, et où il veut aller; si on les invitoit à montrer, dans son livre, nous ne dirons pas la véritable théorie, mais une théorie quelconque de la société, qu'il ne conçoit pas même complétement dans son existence matérielle, seul rapport cependant sous lequel il l'ait constamment envisagée. En attendant que quelqu'un de ces honnêtes enthousiastes nous ait clairement déduit ce que notre grand publiciste a voulu démontrer, et ce qu'il a prétendu conclure, nous ne craindrons pas, nous, d'avancer qu'il est difficile de présenter, dans un style plus piquant, plus nerveux, plus original, un plus grand nombre de paradoxes absurdes et de fausses définitions; de rassembler, avec moins de critique et de véritable savoir, plus d'idées superficielles, de notions hasardées et souvent contradictoires; enfin de faire un ouvrage de politique plus attrayant pour la forme, pour le fond plus mauvais et plus dangereux. Nous ajouterons que tout ce qu'il y a de remarquable dans ce livre, et qui s'y présente avec quelque apparence de profondeur, appartient à Machiavel, peu connu en France à l'époque où écrivoit Montesquieu, et qu'il pille continuellement avec la mauvaise foi littéraire de ne pas faire, une seule fois, l'aveu de ses larcins.
Lorsque ce livre parut, une femme très spirituelle (nous croyons que c'est madame Du Deffant) dit que «c'étoit de l'esprit sur les lois.» Les habiles d'alors se moquèrent d'elle; cependant elle seule l'avait bien défini.
Quant à Buffon, il est jugé depuis long-temps comme savant et comme naturaliste; comme écrivain il voit, de jour en jour, diminuer le nombre des admirateurs de l'ennuyeuse et périodique magnificence de son style.
149: Il n'y avoit plus alors qu'un seul évêque appelant, M. de Caylus.
150: Il n'y eut jamais d'avidité comparable à celle de cette femme à qui il falloit, avant toutes choses, un contrôleur-général qui fût de son choix, et qui, lui devant tout, ne pût rien lui refuser. Elle avoit aussi tellement asservi Louis XV, que, d'économe qu'il étoit naturellement, elle le jeta, à son égard, dans des excès presque incroyables de prodigalité. Ce fut pour elle que se multiplièrent sans mesure les acquits du comptant, espèce de billets qui, pour être payés, n'avoient besoin que de la signature du roi, sans qu'il fût nécessaire de mentionner le genre de service auquel ils étoient affectés. On pouvoit aller loin avec de semblables opérations financières. Aussi la marquise de Pompadour fut-elle gorgée de richesses; et sans parler des dépenses extravagantes qu'elle faisoit faire journellement pour désennuyer son royal amant, on peut estimer que, pour son propre compte, elle recevoit, chaque année, près de 1,500,000 francs.
151: M. Lac......., déjà cité.
152: Il est à propos de faire remarquer que, depuis des siècles, tous les biens tombés en main-morte n'avoient été acquis que pour créer ou soutenir des hôpitaux et hôtels-dieu, des séminaires, des écoles de charités et autres établissements de ce genre, qui probablement, pour être utiles à l'Église, n'étoient pas inutiles à l'État, et que les biens à l'usage du clergé ne s'en étoient pas accrus d'une obole, pendant ce long espace de temps. (Voyez les Mém. pour servir à l'hist. ecclés. de dix-huitième siècle, année 1750.)
Le chancelier d'Aguesseau aida, dit-on, le contrôleur-général dans la création et la rédaction de cette loi; et ce fut par cet acte tout parlementaire qu'il termina sa pitoyable carrière ministérielle. Il donna, l'année suivante, sa démission, étant alors âgé de quatre-vingt-deux ans.
153: Convoqué six fois depuis dix ans, le clergé avoit donné, dans cet intervalle, soixante millions. (Ibid.)
154: «Le curé ne doit point recevoir à la communion pascale ceux qui se seront confessés à d'autres qu'à lui, s'ils n'ont remis entre ses mains une attestation qui fasse foi comme ils se sont confessés à un prêtre approuvé de nous, écrite et signée précisément en la forme qui est ci-dessous (nous supprimons cette formule), pour le moins trois jours avant celui auquel ils veulent communier, afin que le curé, y faisant difficulté, puisse s'éclaircir de la vérité de cette attestation, et si le confesseur qui l'a délivrée est approuvé, etc.» (Instruction de saint Charles-Borromée aux confesseurs, etc., imprimée par ordre de l'Assemblée générale du Clergé de France. Années 1655, 1656 et 1657.—Édit. de 1736.—Paris.)
155: Voyez les Mém. pour servir à l'Hist. ecclés. du dix-huitième siècle, année 1751.
156: Voyez les Mém. pour servir à l'Hist. ecclés. du dix-huitième siècle, année 1752.
157: Cet arrêt fut rendu le 19 avril 1752.
158: Voyez les Mém. pour servir à l'hist. ecclés. du dix-huitième siècle, année 1753.
159: On supprima un écrit qu'il avoit publié à l'occasion d'une feuille de la Gazette janséniste, où il avoit été calomnié; et on ne toucha point au libelle calomniateur. (Mém. pour servir à l'Hist. ecclés. du dix-huitième siècle, année 1754.)
160: Le temporel de ces deux évêques fut saisi; et l'on vendit deux fois les meubles de l'évêque de Nantes. (Mém., ibid., année 1754.)
161: Pour avoir refusé les sacrements à un chanoine nommé Cougnion, appelant furieux, et qui, exhorté à l'article de la mort à revenir de ses erreurs, avoit qualifié la bulle d'œuvre du diable, le chapitre d'Orléans venoit d'être condamné à douze mille livres d'amende; plusieurs de ses chanoines avoient été bannis à perpétuité, et c'étoit à cette occasion que l'évêque de cette ville avoit été dénoncé et exilé. Le parlement fit plus: il ordonna que le chapitre fonderoit un service et feroit les frais d'un monument élevé en l'honneur de Cougnion, lequel seroit placé dans une des églises d'Orléans; et cet arrêt reçut son exécution. (Mém. pour servir à l'Hist. ecclés. du dix-huitième siècle, année 1755.)
162: À leur tête étoit le cardinal de La Rochefoucauld, devenu ministre de la feuille des bénéfices depuis la mort de M. Boyer. Dix-sept évêques et vingt-deux députés du second ordre signèrent après lui les dix articles qui composoient cette déclaration équivoque; l'autre, composée seulement de huit articles, fut signée par seize évêques et dix députés. Neuf évêques, qui n'étoient pas de l'assemblée, adhérèrent aux huit articles. (Voyez les procès-verbaux des assemblées du clergé de France, t. 8, première partie, in-folio, p. 555.)
163: Tel étoit l'état d'oppression auquel étoit alors réduit le clergé de France, que la Sorbonne, ayant formé le dessein d'adhérer au mandement de son archevêque, M. de Beaumont crut devoir lui-même engager ses docteurs à s'abstenir d'une démarche publique qu'il ne jugeoit pas absolument nécessaire, et dont l'effet eût été d'attirer sur eux la vengeance et les persécutions de ces juges passionnés. (Mém. pour servir à l'Hist. ecclés. du dix-huitième siècle, année 1756.)
164: Le parlement de Paris devoit être le chef de cette association, sous le titre de première classe, ou de parlement métropolitain. C'étoit un premier pas pour constituer les cours de justice en assemblées représentatives et permanentes de la nation. On voit que les meneurs de ces corps visoient au grand, et possédoient à un très haut degré l'instinct des révolutions modernes.
165: C'étoit non seulement se mettre en opposition avec les décisions doctrinales du Saint-Siége, mais encore avec ses propres arrêts; car celui qu'il avoit rendu, le 19 avril 1752, disoit positivement le contraire. (Voyez p. 244.)
166: Pièces originales et procédures du procès fait à Damiens, t. 2, p. 25.
167: Pièces originales et procédures du procès fait à Damiens, t. I, p. 151.
168: Lettre de Damiens au roi.
169: Pièces originales, etc., t. 2, p. 36.
170: Ibid., t. 2, p. 137.
171: Pièces originales et procédures du procès fait à Damiens, t. 3, p. 168.
172: Ibid., t. 3, p. 310, 311.
173: Ibid.
174: Cependant, malgré ces aveux et ces déclarations qui les accabloient, les parlementaires essayèrent de faire considérer Damiens comme un émissaire des jésuites, soutenant, avec leur audace et leur logique accoutumées, qu'il n'avoit pu prendre qu'à leur service de ces leçons de régicide, qu'ils donnoient publiquement, comme tout le monde sait, jusque dans leurs cuisines et dans les loges de leurs portiers; ils rappelèrent que c'étoient les jésuites qui avoient endoctriné Jean Châtel[174-A] et Ravaillac, ce que le parlement avoit déjà démontré, comme Pascal et Arnaud démontroient qu'ils étoient des professeurs de débauche, des voleurs, des empoisonneurs, des simoniaques, des sacriléges, etc. Les arguments avec lesquels on rétorqua contre eux cette accusation étoient d'une autre force; et cette terreur que le parlement inspira, dès ce moment, à Louis XV, et dont nous allons parler, ne fut pas le moins décisif.
174-A: Sur l'attentat de Jean Châtel, voyez le tome 1 de cet ouvrage, première partie, p. 228.
175: Les affaires ecclésiastiques furent alors confiées à M. de Jarente, évêque d'Orléans, qui, dans cette fin du dix-huitième siècle, a acquis une si honteuse célébrité. Sous son administration, la faculté de théologie, que le parlement tenoit, depuis plusieurs années, sous son joug tyrannique, fut en butte aux plus indignes traitements, et privée de plusieurs de ses membres les plus éclairés et les plus courageux.
176: Un officier, nommé Jumonville, avoit été envoyé vers eux en négociateur, à l'occasion de quelques différents que la construction d'un fort sur le territoire françois avoit élevés entre les gouverneurs des établissements limitrophes. Ils le reçurent en cette qualité, et, tandis qu'il exposoit le sujet de sa mission, se jetèrent sur lui, le massacrèrent, et, avec lui, huit soldats de son escorte; les autres furent faits prisonniers.
177: Cette complaisance, il l'avoit poussée jusqu'à violer, à l'égard du prince Édouard, les droits du malheur et de l'hospitalité, en lui signifiant, sur la demande ou plutôt sur l'injonction du cabinet de Londres, de quitter sans délai le territoire françois. Le prince refusa, décidé, disoit-il, à ne céder qu'à la force. On l'employa contre lui: il fut enlevé comme il entroit à l'Opéra, jeté dans une chaise de poste et conduit à Vincennes. Trois jours après, il sortit de France. (Ceci étoit arrivé en 1748.)
178: Le maréchal de Mirepoix.
179: Alors l'Europe chrétienne, dit Voltaire, se trouva partagée entre deux grands partis qui se ménageoient l'un l'autre, et qui soutenoient chacun de leur côté cette balance: les États de l'impératrice, reine de Hongrie, et une partie de l'Allemagne, la Russie, l'Angleterre, la Hollande, la Sardaigne, composoient une de ces grandes factions; l'autre étoit formée par la France, l'Espagne, les Deux-Siciles, la Prusse, la Suède. Toutes les puissances restèrent armées; et on espéra un repos durable, par la crainte même que les deux moitiés de l'Europe sembloient inspirer l'une à l'autre. (Précis du Siècle de Louis XV, ch. XXX.)
180: Duclos, Mém. secrets, t. 2, p. 299.
181: «On a prétendu, dit Duclos, que l'attaque du fort Saint-Philippe, à Mahon, étoit une entreprise folle. Il est vrai qu'on ne s'y fût peut-être pas engagé, si on l'eût connu exactement: on s'étoit déterminé sur un plan fourni par l'Espagne; mais on ignoroit l'état de la place depuis que les Anglois la possédoient, et il n'y eut que l'intrépidité du soldat françois qui suppléa à tout.» (Duclos, Mém. secrets, t. 2, p. 310.)
182: Voyez p. 107, 108 et 151 de cette deuxième partie.
183: Comme homme de guerre, Frédéric est, sans contredit, un des plus grands génies qui aient paru dans le monde. Avant lui, il y avoit eu, parmi les modernes, des hommes supérieurs dans plusieurs parties de l'art militaire; mais on peut dire que la tactique y étoit encore à son enfance, ou plutôt que ses principes, servilement calqués sur ceux des anciens, étoient en contradiction avec les moyens si différents d'attaque et de défense que l'on a depuis inventés, et que l'on employoit sans en connoître la véritable application. Ce fut en substituant l'ordre mince à l'ordre profond, que cet homme extraordinaire renversa d'un seul coup toutes les vieilles routines, et qu'il opéra principalement ces prodiges qui frappèrent son siècle d'étonnement et d'admiration, et lui ont valu une si grande place dans la postérité. Buonaparte, qui avoit aussi le génie militaire, et qui se trouvoit, de même que le roi de Prusse, dans une position indépendante, a fait en ce genre de grandes choses, pour avoir su imiter en plusieurs points un si habile maître, avec cette différence qu'il n'a rang qu'à une distance considérable de son modèle, non seulement par cette qualité d'imitateur, mais encore parce qu'il a opéré avec des moyens immenses, tandis que Frédéric luttoit contre l'Europe entière avec les foibles ressources de son petit État. Il est hors de doute que là où le héros prussien s'est sauvé, Buonaparte auroit mille fois péri.
184: La reine de Pologne montra plus de caractère que son mari; elle ne voulut jamais sortir de Dresde, et y mourut bientôt, succombant à ses chagrins et aux duretés qu'elle eut à essuyer de la part du vainqueur.
185: Dans le premier effroi que lui avoit causé la blessure que lui avoit faite Damiens, Louis XV avoit senti renaître, comme dans sa maladie de Metz, ses remords et ses sentiments religieux, et avoit ordonné qu'on renvoyât madame de Pompadour. Machault, non moins alarmé, mais par un motif bien différent, s'étoit, à l'instant même, tourné contre sa protectrice plus bassement encore qu'il ne l'avoit adulée, et avoit voulu lui-même lui signifier l'ordre de se retirer. On pense bien qu'elle ne pouvoit lui pardonner. Quant à d'Argenson, il montra aussitôt pour le dauphin un empressement que Louis XV ne lui pardonna pas davantage.
186: Peu s'en fallut que ce prince impie n'effrayât le monde d'un crime inoui dans la chrétienté, et qu'il n'y donnât le premier exemple du suicide d'un roi. On en trouve la preuve dans l'épître en vers qu'il adressa alors à Voltaire, et qui fut remise à celui-ci par le marquis d'Argens.
187: Ayant reconnu, à la disposition du corps de troupes commandé par le prince de Lorraine, que ces troupes seroient tournées s'il parvenoit à s'emparer d'un tertre qui couvroit leur aile gauche, il fit pour y parvenir des manœuvres si adroites et si compliquées, que les deux généraux ennemis se persuadèrent qu'il battoit en retraite, et n'y mirent aucune opposition. Dès qu'il se fut emparé du tertre, et qu'il y eut fait jouer de l'artillerie, la bataille fut gagnée.
188: Il venoit d'être nommé cardinal. Nous le verrons bientôt, ministre du roi, à Rome, y jouer un rôle tout aussi peu honorable que lorsqu'il étoit à Versailles à la suite de madame de Pompadour.
189: Ce plan d'invasion avoit été imaginé par le maréchal de Belle-Isle, alors ministre de la guerre. Deux corps d'armée avoient été rassemblés, l'un à Dunkerque, sous les ordres de Chevert, l'autre en Bretagne, commandé par le duc d'Aiguillon. Les deux escadres de Brest et de Toulon devoient se réunir et protéger le débarquement de ces troupes, sur plusieurs points de l'Irlande et de l'Angleterre.
190: Trois vaisseaux se sauvèrent dans le port de Lisbonne, deux furent pris et deux autres brûlés.
191: «Le maréchal de Conflans perd notre flotte, dit Duclos, celle des Anglois étant tout au plus égale à la nôtre; il brûle un vaisseau qui étoit une citadelle flottante; il ose s'en vanter comme d'un exploit. Quel est son châtiment? de n'être point présenté au roi, et d'aller journellement en public affronter les mépris qu'on ose lui marquer. Il se plaint des officiers qui servoient sous lui; ceux-ci récriminent, et tout se borne là. Les mesures sont partout aussi mal prises que mal exécutées. Les vaisseaux de transport sont séparés de la flotte, parce que le petit orgueil du duc d'Aiguillon ne lui permet pas d'être subordonné dans Brest. Voilà ce qui l'engage à mettre les vaisseaux de transport à Quiberon, pour y commander seul, au hasard de tous les périls de la jonction.» (Mém. secrets, t. 2, p. 391.)
192: Tous ces désastres de notre marine arrivèrent en 1758 et 1759. «Ce fut encore la présomption du duc d'Aiguillon, ajoute Duclos, qui fit perdre Belle-Isle. Les États de Bretagne, voyant l'importance de cette place, l'avertissent, un an d'avance, de pourvoir à sa sûreté, et offrent les approvisionnements nécessaires. Il répond, avec une vanité puérile et une ironie amère, à une députation qu'il doit respecter, qu'il est obligé aux États de vouloir bien lui apprendre son métier. Il en avoit pourtant besoin, puisqu'il a laissé prendre Belle-Isle, faute des précautions offertes.» (Mém. secrets, t. 2, p. 391.)
193: Il est vrai de dire cependant que cette alliance, devenue fameuse sous le nom de pacte de famille, est le seul acte qui honore le ministère de Choiseul. Telle étoit l'excellence de ce traité que, pendant près de quinze ans, il a contenu l'Angleterre, même après tant de victoires; et que, si la révolution françoise ne fût venue au secours de notre ennemie, il lui eût tôt ou tard arraché cet empire des mers, qui naturellement ne doit pas lui appartenir. Le plus bel éloge qu'on en puisse faire, c'est que le cabinet de Londres n'a pas de plus grande crainte que celle de le voir rétablir; et que cette crainte a été publiquement manifestée par ses ministres à l'occasion de la dernière guerre d'Espagne.
194: Le roi de France cédoit au roi d'Angleterre ses prétentions sur l'Acadie, le Canada, l'île du cap Breton et toutes les îles du golfe et du fleuve Saint-Laurent, l'île de la Grenade et des Grenadins, Saint-Vincent, la Dominique, Tabago, la rivière de Sénégal et les comptoirs qui en dépendoient; l'île de Minorque et le fort Saint-Philippe étoient rendus à cette même puissance; la ville et le port de Dunkerque devoient être mis dans l'état fixé par le dernier traité d'Aix-la-Chapelle. La France restituoit toutes les places et pays qu'elle occupoit en Allemagne, etc.
196: Le protestantisme.
197: «Les jésuites, disoit Calvin, sont nos plus grands ennemis; il faut les tuer; et si l'entreprise est trop difficile, les chasser du moins, et les accabler sous le poids des mensonges et des calomnies.» Ceci semblera sans doute incroyable, même dans la bouche de Calvin; il est donc à propos de citer le texte original: «Jesuitæ vero, qui se maxime nobis opponunt, aut Necandi, aut, si hoc commode fieri non potest, ejiciendi aut certe Mendaciis et Calumniis opprimendi sunt.» (Calvin apud Becan., t. I; Opusc., 17, Aphor., 15, de Modo propagandi Calvinismum.)
198: Les jésuites étoient pour le cardinal de Noailles un objet de méfiance continuelle. Il les voyoit partout, les accusoit de tout, et les dénonçoit en même temps au pape et au roi. (Voyez les Mém. pour servir à l'Histoire ecclésiastique du dix-huitième siècle, année 1710.)
199: Voyez sur l'institut des jésuites, le tome 2 de cet ouvrage, deuxième partie, page 1187.
200: «Les dépêches secrètes du comte de Merles, alors ambassadeur de France à Lisbonne, ne dévoilent que trop la main ministérielle qui a dirigé ce prétendu assassinat: il en résulte que c'étoit l'ouvrage bien combiné de Pombal; que la blessure du roi n'étoit qu'une contusion égratignée, et que cette égratignure ne venoit pas de l'explosion du coup de carabine qui avoit été tiré contre sa voiture, et dont on n'avoit voulu faire qu'un épouvantail.» (Mém. de l'abbé Georgel, t. I, p. 47.)
201: Les familles d'Aveyro et de Tavora. Le roi avoit une intrigue galante avec la jeune marquise de Tavora; ce fut en revenant d'un rendez-vous qu'elle lui avoit donné, que ce prétendu assassinat fut commis. Il fut facile à Pombal de diriger les soupçons de ce prince coupable et passionné contre les parents de la femme qu'il avoit séduite.
202: Le père Malagrida étoit un missionnaire dont l'influence sur le peuple de Lisbonne étoit prodigieuse, et la vie d'une sainteté qui en faisoit un objet de vénération pour toutes les classes de la société. Pombal le haïssoit et avoit juré sa perte, à cause de cette influence qu'il redoutoit. (Sur cette œuvre d'iniquité et les horreurs de ce procès, voyez un ouvrage italien intitulé: Il Buon Raziocinio dimostrato in due Scritti, o siano siaggi Critier-Apologetici sul famoso processo e tragico fine del fu P. Gabriele Malagrida, etc., in Lugano, 1784.)
203: La reine de Portugal le fit mettre en jugement après la mort de Joseph Ier; une enquête juridique et solennelle mit à nu tous les crimes de cet homme; et dans le décret qui le condamnoit à passer le reste de ses jours dans une forteresse, cette princesse déclare, «que consultant plus sa clémence que sa justice, elle fait grâce au coupable du supplice qu'il a mérité, mais seulement en faveur de son âge et de ses infirmités.» (Mém. de Pombal, préf., in-12, p. lx.)
204: «On les entassa au fond de cale des vaisseaux qui les ramenoient du Brésil et des Indes en Europe, souffrant la faim, la soif et la nudité, pour, à leur arrivée en Portugal, les uns être jetés sur les côtes d'Italie, dans les États du pape, comme une vermine pestiférée, et les autres, sans avoir jamais été personnellement accusés et jugés, aller pourrir dans des cachots que l'on avoit infectés à dessein; et le marquis de Pombal, pour assouvir sa vengeance, alloit repaître ses yeux et son odorat de cette infection.» (Mém. de l'abbé Georgel, t. I, p. 51.)
205: Ce religieux étoit le P. de Sacy. Madame de Pompadour, malgré toute sa puissance, sentoit que sa position étoit fausse et son existence précaire à la cour: elle voulut être dame du palais de la reine, pour s'y établir d'une manière inébranlable; et ce fut pour y parvenir qu'elle arrangea cette scène d'hypocrisie. Si le P. de Sacy, après lui avoir donné son avis sur le parti qu'elle avoit à prendre, se fût retiré, il est probable que cet événement n'auroit pas eu de suite fâcheuse: elle se seroit contentée d'appeler un autre ecclésiastique. Mais troublé des objections qu'elle lui présenta, et peut-être du dépit qu'elle laissa éclater, lorsqu'il lui eut fait connoître les conditions de sa réconciliation avec l'Église: «Je vais, lui dit-il, retourner à Paris pour consulter nos Pères, et je reviendrai le plus tôt possible vous rapporter leur décision.» Cette décision fut prompte, et les jésuites ne balancèrent pas un moment sur l'application d'un principe dont il n'étoit pas possible de s'écarter sans prévarication. Mais les plus habiles aperçurent, dès lors, l'abîme que leur creusoit la bonhomie du P. de Sacy. En le chargeant de leur réponse, quelles qu'en pussent être les suites, ils lui firent sentir combien il avoit été imprudent d'en appeler au conseil de ses frères sur un point qu'il devoit décider lui-même avec une fermeté évangélique, et sans aucune considération humaine. (Mém. de l'abbé Georgel, t. I, p. 65.)
206: Mém. de l'abbé Georgel, t. I, p. 71.
207: Le même qui, depuis, vota la mort de Louis XVI dans la convention nationale, et fut assassiné, peu de jours après, par un garde-du-corps, nommé Pâris. C'étoient de pareils hommes qui, entre autres crimes dont ils accusoient les jésuites, leur reprochoient de professer la doctrine du régicide.
208: «Les parlements, disoit d'Alembert, croient servir la religion; mais ils servent la raison, sans s'en douter. Ce sont des exécuteurs de la haute justice pour la philosophie dont ils prennent les ordres sans le savoir.» (Lettre à Voltaire, du 4 mai 1762.) «C'est proprement la philosophie qui a détruit les Jésuites, dit-il ailleurs, le jansénisme n'en a été que le solliciteur.» (Voyez sa brochure intitulée: De la Destruction des Jésuites.)
209: Le duc de Choiseul.
210: Le 17 avril 1761.
211: À certaines époques, déjà fort éloignées, où l'on agitoit, dans les écoles, beaucoup plus de questions de morale et de théologie qu'on ne l'a fait depuis, et particulièrement la question si importante des rapports de suprématie et de dépendance qui existent entre les deux puissances, il en sortoit une foule d'opinions plus ou moins hasardées, parmi lesquelles il y en avoit même d'exagérées et de dangereuses. (Celle du régicide, considéré comme justifiable dans certains cas, étoit de ce nombre.) L'Église, attentive à toutes ces controverses, s'en emparoit, les examinoit avec soin, condamnoit ce qui étoit condamnable, fixoit les limites du vrai, dans toutes ces questions; et, sous peine d'anathème, il falloit se soumettre à ses décisions. Il n'étoit pas un seul ordre religieux, pas une seule faculté de théologie, qui n'offrît, et en plus grand nombre que chez les Jésuites, de ces doctrines erronées, que le Saint-Siége avoit réprouvées: on le prouvoit jusqu'à la démonstration. On défioit, en même temps, leurs adversaires de citer un seul Jésuite qui eût enseigné, avec l'autorisation de ses supérieurs, une proposition condamnée par l'Église, c'est-à-dire après que l'Église l'avoit condamnée: il étoit donc d'une absurdité révoltante de s'en prendre, sur ce point, aux seuls jésuites, de faire un crime à la société de n'avoir pas été douée du privilége unique et surnaturel d'être composée de membres incapables de se tromper.
212: Le 12 juillet suivant.
213: M. de Fitz-James, évêque de Soissons, et janséniste fanatique. Toutefois, dans la lettre qu'il écrivit contre eux, la force de la vérité lui arracha ce témoignage: «Que les mœurs des Jésuites étoient pures, et qu'il leur rendoit volontiers la justice de reconnoître qu'il n'y avoit peut-être point d'ordre dans l'Église dont les religieux fussent plus réguliers et plus austères dans leurs mœurs.» (Voyez les Mém. pour servir à l'Histoire ecclésiastique du dix-huitième siècle, année 1761.)
214: L'abbé Georgel raconte qu'il se trouvoit chez le prince Louis de Rohan, à un dîner auquel avoit été invité M. de La Chalotais, et où se trouvoient réunis, entre autres convives, Buffon, Duclos, d'Alembert et Marmontel. «Quelqu'un, dit-il, voulant faire sa cour à l'auteur présumé du compte rendu à la mode, fit tomber la conversation sur les jésuites. M. de La Chalotais, qui savoit sa diatribe par cœur, en fit fort bien les honneurs..... J'avois fait, pour le prince, quelque temps auparavant, un petit travail qui démontroit à quel point l'ouvrage du magistrat breton avoit tronqué, altéré et falsifié l'Institut. Interpellé par lui et provoqué par M. de La Chalotais lui-même, je me trouvai tout à coup entré en lice avec ce redoutable athlète. Le combat, commencé avec sang-froid et sans fiel, se prolongea avec chaleur d'une manière très pressante..... L'issue n'en fut pas heureuse pour le compte rendu. L'Institut, édition de Prague, et le compte rendu, furent apportés et confrontés: les altérations étoient palpables. L'extrême embarras du procureur général fut remarqué de tous les assistants: il sortit, pour ne point entendre sans doute les réflexions que cette vérification faisoit naître. Le triomphe de l'Institut fut complet; on parut persuadé que M. de La Chalotais n'étoit point l'auteur de son compte rendu.» (Mém., t. I, p. 80.)
215: On a conservé les noms de ces artisans de mensonges: c'étoient un conseiller nommé Roussel de Latour, un abbé Goujet, et un sieur Minard. (Mém. pour servir à l'Histoire ecclésiastique du dix-huitième siècle, année 1762.)
216: «Ce qui est révoltant à l'excès, dit un contemporain dont l'écrit, encore manuscrit et rempli des détails les plus curieux sur cette grande affaire, est entre nos mains, c'est d'avoir falsifié la doctrine de ces Pères, pour la rendre odieuse; d'avoir altéré, tronqué, mutilé les textes de leurs auteurs, de manière à leur faire dire précisément le contraire de ce qu'ils disoient, soit pour leur faire combattre la doctrine pure et sainte établie et défendue dans ces textes, soit pour leur faire soutenir et appuyer la doctrine erronée, combattue et réfutée dans ces textes mêmes, calomnies horribles, impostures inimaginables, qu'il faut avoir vues et vérifiées pour les croire, et qui donnent l'idée la plus étrange, non seulement des accusateurs, mais de juges assez dégradés, assez corrompus pour avoir prononcé, d'après de pareils témoins.» C'étoit justement ce livre des Assertions qui excitoit à ce point l'indignation de cet écrivain. Les infâmes qui avoient fabriqué ce tissu de mensonges et d'horreurs furent confondus dans un écrit intitulé: Réponse aux Extraits des Assertions; mais les calomniateurs étoient les plus forts: ils brûloient, et ne répondoient pas.
217: Il ne se peut rien imaginer de plus odieux et de plus dérisoire, que de voir cette assemblée de gens de robe, qui supprimoit les brefs du pape, exiloit les évêques, emprisonnoit et bannissoit les prêtres, prendre hypocritement fait et cause pour la puissance spirituelle, à l'égard d'un ordre religieux que le pape déclaroit utile à l'Église, et soutenoit contre les arrêts de ces factieux par de nouveaux brefs qu'ils supprimoient encore; en faveur duquel le corps épiscopal entier élevoit des réclamations qu'ils flétrissoient de condamnations infamantes; et qu'il n'étoit permis à aucun membre du clergé de défendre, sous peine de châtiment.
218: «Ce qui fait douter, dit encore un contemporain, que tous les parlements fussent dans le secret, c'est la diversité des suffrages. À Rouen, 20 contre 13; à Rennes, 32 contre 29; à Toulouse, 41 contre 39; à Aix, 24 contre 22; à Bordeaux, 23 contre 18; à Perpignan, 5 contre 4. De sorte qu'en faisant le résumé des opinions, 5 à Rouen, 3 à Rennes, 2 à Toulouse, 2 à Aix, 5 à Bordeaux, 1 à Perpignan; le nombre se réduit à dix-huit. Il se trouve que ce sont dix-huit particuliers qui, malgré l'édit du roi, l'intervention du pape, le suffrage des évêques, le vœu de la nation, détruisent les Jésuites, condamnent un institut religieux, annulent des vœux solennels, disposent de l'enseignement public, et jugent l'affaire du monde la plus importante, qui est le moins de leur compétence, et qui intéresse le plus directement l'autorité de l'Église et le gouvernement du roi.» (Mes Doutes sur l'Affaire présente des Jésuites, brochure de 49 pages, 1762.)
219: Les parlements de Douai, de Besançon et d'Alsace. Le conseil provincial de l'Artois se déclara aussi pour les Jésuites; mais il ne put soutenir ses arrêts, qui furent cassés par le parlement de Paris. En Lorraine, ils demeurèrent tranquilles sous la protection du roi Stanislas, et n'en furent expulsés qu'après sa mort.
220: Il n'est pas besoin de dire que les autres parlements suivirent leur exemple. Il y en eut même qui firent brûler ces brefs par la main du bourreau. (Mém. pour servir à l'Histoire ecclésiastique du dix-huitième siècle, année 1764.)
221: Cependant tous ne furent pas exilés. À Brest, on condamna un Jésuite à être pendu pour quelques indiscrétions. Semblable arrêt fut rendu à Paris contre un ecclésiastique nommé Ringuet, accusé de s'être émancipé sur les parlements, dans la chaleur de la conversation: il fut pendu le 30 décembre 1762. Depuis, le tribunal révolutionnaire n'a guère mieux fait. (Voyez les Mém. pour servir à l'Histoire ecclésiastique du dix-huitième siècle, année 1762.) Voltaire et d'Alembert s'égaient sur l'exécution de ce prêtre, dans leur correspondance infernale. La lettre de d'Alembert est du 12 janvier 1763, et la réponse de son patron, du 18 du même mois.
223: «Il n'a pas échappé au soupçon, bien ou mal fondé, d'avoir contribué à hâter le trépas de cette maîtresse dont le pouvoir étoit si absolu, et que Louis XV oublia si facilement après l'avoir perdue. (Mém. de l'abbé Georgel, t. I, p. 96.)
224: Il racontoit une prétendue conversation qu'il disoit avoir eue, pendant son ambassade à Rome, avec le P. Ricci, général des Jésuites, dans laquelle il s'étoit convaincu que le chef de cet ordre, au moyen du vœu secret qui lioit toutes les volontés de ses religieux à la sienne, étoit instruit de tout ce qui se passoit, et dans les cabinets des princes et dans l'intérieur des familles; ajoutant que, dès lors, il avoit jugé qu'une société semblable étoit dangereuse dans un État. Cette conversation semble fort invraisemblable; mais vraie ou fausse, elle ne fut point le véritable motif de l'acharnement qu'il mit à la destruction des Jésuites. L'abbé Georgel raconte, et son récit est confirmé par d'autres écrits du temps[224-A], qu'instruite, et dans le plus grand détail, par le dauphin lui-même, des manœuvres secrètes et détestables employées pour lui nuire, par ce ministre et par madame de Pompadour, la société avoit fait faire, par le plus habile de ses écrivains (le P. Neuville), un Mémoire contre lui, et que ce Mémoire avoit été présenté au roi. Cet incident suscita un orage que la favorite et son protégé eurent beaucoup de peine à apaiser; enfin ils parvinrent à persuader à leur dupe qu'on les avoit calomniés, et le Mémoire fut jeté au feu. «Mais, dès ce jour, ajoute cet écrivain, ces âmes vindicatives conjurèrent la perte du dauphin et l'anéantissement de ses protégés. Effectivement, à dater de cette époque, ce prince, calomnié sans cesse près de son père, perdit sa confiance; et une maladie lente, dont il connut la cause, le conduisit au tombeau. Les gens de l'art y découvrirent les traces d'un poison lent et infaillible.» Il ajoute avoir entendu dire à l'empereur Joseph II, dans une conversation familière chez la princesse d'Esterhasy, qu'à l'occasion de cette mort, de fortes présomptions s'élevoient contre le duc de Choiseul. (Mém., t. I, p. 102.)
224-A: Particulièrement dans une brochure intitulée: «Destruction des Jésuites en France, anecdote politique et intéressante, trouvée dans les papiers d'un homme bien instruit des intrigues du temps.» Londres, chez Jos. Booker, no 56, new Bond Street.
225: Vers ce temps-là (en 1768), le roi de France s'empara d'Avignon et du Comtat, pour venger ce même duc de Parme d'un bref d'excommunication que le pape, poussé à bout par les entreprises audacieuses et sacriléges de ce prince sur les droits de l'Église, s'étoit vu forcé de lancer contre lui. Il ne semble pas cependant que ce fût pour se liguer contre le père commun des fidèles, que les Bourbons eussent signé le Pacte de Famille.
226: Voyez les Mém. de l'abbé Georgel, t. I, p. 123.
227: Cette mort, ardemment désirée par ceux qui soupiroient après la ruine des Jésuites, ne parut pas naturelle. Les dernières paroles de Clément XIII prouvent qu'il en jugeoit ainsi lui-même. »Je pardonne ma mort, dit-il à ceux qui ne m'ont jamais pardonné mon attachement pour un ordre, que j'ai toujours regardé comme un des plus forts boulevarts de l'Église.» (Mém. de l'abbé Georgel, t. I, p. 132.)
228: Sur ce marché conclu par le cardinal Ganganelli avec les ministres des trois couronnes, l'abbé Georgel donne des détails curieux, circonstanciés, mais qui n'ont pas un caractère suffisant d'authenticité. Cependant il paroît certain que pour arracher un consentement qu'il s'efforçoit encore de refuser, l'ambassadeur d'Espagne à Rome, Florida Blanca, le menaça de faire imprimer certaines lettres et certaines promesses; et que sur cette menace, il ne résista plus.
Telles étoient toutefois les angoisses auxquelles il étoit livré, qu'il n'osa exécuter cette destruction de la société de Jésus par une bulle solennelle. Il pensa qu'un simple bref le compromettroit moins; et ne pouvant même prendre sur lui de faire la rédaction de ce bref, ce fut un général d'ordre, celui des Piaristes, qu'il en chargea. Il fallut encore de nouveaux cris et de nouvelles menaces de la part des ambassadeurs-philosophes dont il étoit sans cesse obsédé, pour le déterminer à y mettre sa signature. Enfin il le signa[229-A]; mais ce qui est remarquable, c'est que ce bref ne fut ni publié ni affiché dans les endroits destinés, à Rome, à la publication des lois, ni au Champ de Flore ni aux portes de Saint-Pierre; il ne fut pas non plus enregistré à la chancellerie, publication et enregistrement nécessaires cependant, même aux bulles, pour leur donner force de loi. Il sembloit que ce pape infortuné cherchât ainsi à invalider, autant qu'il étoit en lui, l'acte injuste et honteux que la peur lui avoit arraché.
229: Nous avons recueilli une lettre curieuse et très rare, que Clément XIV écrivit à Louis XV, en 1769; elle peut donner matière à bien des réflexions.
«Je m'attends que les ambassadeurs de la maison de Bourbon vont faire les plus vives instances..... Il est donc à propos que je prévienne Votre Majesté sur ces objets, et que je lui déclare mes sentiments. 1o J'ai envoyé au duc de Parme les dispenses de mariage qu'il m'a demandées. Je suspends, à son égard, tous les effets du bref dont il se plaint[229-B] et des bulles qui y sont relatives, et je lui donne cordialement ma bénédiction apostolique.
»2o Pour ce qui regarde les Jésuites, je ne puis ni blâmer ni anéantir un institut loué par dix-neuf de mes prédécesseurs, et le puis d'autant moins qu'il a été confirmé par le saint concile de Trente, et que, selon vos maximes françoises, le concile général est au dessus du pape. Si l'on veut, j'assemblerai un concile général, où tout sera discuté avec justice et équité, à charge et à décharge, dans lequel les Jésuites seront entendus pour se défendre; car je dois aux Jésuites, comme à tout ordre religieux, justice et protection. D'ailleurs, la Pologne, le roi de Sardaigne et le roi de Prusse même, m'ont écrit en leur faveur; ainsi je ne puis, par leur destruction, contenter quelques princes qu'au mécontentement des autres.
»3o Je ne suis point propriétaire, mais administrateur des domaines du Saint-Siége. Je ne puis céder ni vendre le comtat d'Avignon, ni le duché de Bénévent; tout ce que je ferois à cet égard seroit nul, et mes successeurs pourroient réclamer comme d'abus.
»Au reste, je céderai à la force, et ne repousserai pas par la force, quand je le pourrois: je ne veux pas répandre une goutte de sang pour des intérêts. Vous êtes, Sire, fils aîné de l'Église; je connois la droiture de votre cœur. Je travaillerai volontiers, seul à seul, avec Votre Majesté, tous les intérêts que nous avons à démêler. Je prie, tous les jours, pour votre prospérité, et je vous donne cordialement ma bénédiction apostolique.»
Cette lettre a été publiée dans un bulletin du 1er novembre 1769.
229-A: Le 21 juillet 1773.
229-B: Le bref d'excommunication publié contre lui par Clément XIII, et dont nous venons de parler.
230: Voyez les Mém. de l'abbé Georgel, t. I, p. 158.
231: Cette rétractation est datée du 29 juin 1774, jour de la fête de Saint-Pierre. Elle est écrite en latin, et se trouve rapportée en entier dans une histoire des Jésuites, écrite en allemand par Pierre-Philippe Wolff, imprimée à Zurick, en 1791; troisième partie, page 296 et suivantes. (Voyez les Mémoires de l'abbé Georgel, t. I, p. 159.)
Voilà un pape qui se rétracte: que devient donc l'infaillibilité du Saint-Siége, s'écrieront peut-être quelques esprits superficiels? Cette infaillibilité est dans la foi et non dans un fait personnel, à l'occasion duquel un pape, en sa qualité d'homme, peut se tromper et faillir tout comme un autre homme, et même autant que le plus foible des hommes. En détruisant les Jésuites, Clément XIV a-t-il sacrifié la doctrine du concile de Trente et la foi de tous les conciles, soutenues et défendues par cette société? a-t-il approuvé celles des Jansénistes et des Quesnélistes leurs ennemis? Pour s'être fait le complice de leurs passions et de leur animosité, s'est-il fait en même temps le docteur de leur hérésie et de leurs impiétés? Toute la question de l'infaillibilité est là dedans.
232: Marie-Thérèse ne se prêta qu'avec la plus grande répugnance à l'exécution du bref de destruction des Jésuites; et pour l'y déterminer, il fallut que Clément XIV lui fit un cas de conscience de sa résistance au chef visible de l'Église. «L'Allemagne, la Pologne, le Piémont, Venise, Gênes, la Suisse, y procédèrent avec des ménagements, qui annonçoient l'estime et la considération qu'on y conservoit pour cette société. Dans tous ces États, les individus supprimés reçurent des pensions alimentaires; les évêques continuèrent de les employer dans le ministère; et plusieurs Jésuites, sous l'habit de prêtres séculiers, furent réservés pour l'enseignement et l'éducation de la jeunesse.» (Mém. de l'abbé Georgel, t. I, p. 156.)
233: Le roi de Prusse et l'impératrice de Russie. Frédéric leur laissa leurs maisons et leurs biens en Silésie; Catherine II, malgré toutes les sollicitations des souverains de la maison de Bourbon, s'obstina à les conserver dans la Russie Blanche, où ils avoient des établissements.
234: Ce fut alors que toutes ses missives à ses disciples et à ses frères, se terminèrent par cette formule, qu'aucune expression ne sauroit qualifier, dans aucune langue: écrasons l'infâme.
235: M. de Malesherbes; c'étoit un des protecteurs et des admirateurs les plus déclarés de J.-J. Rousseau. Il a depuis expié, par un acte sublime de dévouement, les graves erreurs de sa carrière administrative; et sa mort demande grâce pour sa vie.
236: Cette bulle, donnée en 1765, fut le dernier effort de ce vénérable et courageux pontife en faveur de la compagnie de Jésus. Ses sollicitations auprès de Louis XV n'ayant pu arrêter la catastrophe qu'il redoutoit, il pensa qu'un acte aussi solennel qu'une bulle du Saint-Siége feroit peut-être plus d'effet: celle-ci confirma de nouveau l'Institut, dont elle louoit la sainteté et l'utilité. Clément XIII ne la publia toutefois qu'après avoir écrit à tous les évêques pour leur demander leur avis. On assure que presque tous, dans leurs réponses, se prononcèrent pour la conservation de l'ordre. (Mém. pour servir à l'Histoire ecclésiastique du dix-huitième siècle, année 1765.)
237: Voyez la première partie de ce volume, p. 131.
238: Certes, l'Église de France, que nous voyons, pendant tout le cours de ce malheureux siècle, presque uniquement occupée de défendre les droits de la puissance spirituelle, sans cesse attaqués et si souvent envahis par l'autre puissance, étoit loin de désirer le rétablissement de cette déclaration fatale, à peu près tombée dans l'oubli depuis près d'un demi-siècle, et dont l'effet devoit être de légitimer tant de violences et d'usurpations. On peut même dire que ces combats qu'elle n'avoit cessé de soutenir contre les parlements, et ces représentations solennelles qu'elle avoit tant de fois adressées au souverain, étoient comme une continuelle protestation contre ce que l'on appeloit si dérisoirement les libertés gallicanes.
239: On a sans doute remarqué ces lois de silence qui se renouvellent si souvent, et qui semblent être la dernière ressource du pouvoir, au milieu de ces déplorables débats. Le despotisme n'en sait pas davantage: c'est aux intelligences qu'il en veut, parce qu'il n'y a que le mouvement des intelligences qui le contrarie dans sa marche stupide et orgueilleuse. Dans l'Orient, où tant de causes arrêtent le développement de la raison humaine, il peut régner paisiblement sur des populations abruties et stationnaires dans leur abrutissement: sa folie est de vouloir s'établir au milieu des nations chrétiennes, et même lorsqu'elles abusent le plus de la lumière du christianisme. C'est la région des intelligences: là il est donné au pouvoir, lorsqu'il est intelligent lui-même, de les diriger: les arrêter en une entreprise au dessus de ses forces; et c'est pour n'avoir pas compris cette grande vérité, pour ne pas la comprendre encore, que tout pouvoir chancelle ou périt au sein de la chrétienté.
240: Toutes ses lettres étoient ouvertes par un sieur Marin, censeur et secrétaire général de la librairie. Il s'en effraya d'abord, et se rassura bientôt, n'ayant point tardé à acquérir la conviction qu'on n'avoit aucun projet hostile contre lui.
241: Tant qu'elle vécut, Madame de Pompadour le protégea, et, après elle, le duc de Choiseul. Il étoit recherché, on pourroit même dire courtisé, par beaucoup de grands seigneurs; et l'on sait quel étoit le concours de personnages de toutes conditions, qui alloient visiter, dans sa retraite, le seigneur de Ferney.
242: Diderot, Helvétius, Turgot, Naigeon, Grimm, Saint-Lambert, Thomas, Saurin, etc., en étoient les principaux membres; elle comptoit encore un grand nombre d'affiliés étrangers, et entre autres, Hume, Gagliani, le marquis de Caraccioli, le comte de Creutz, le baron de Gleichen, Galli, etc.; Rousseau, d'Alembert et Buffon y avoient été attirés d'abord, et ne tardèrent point à s'en retirer.
243: Celle-ci se partageoit encore en plusieurs coteries qui, toutes, avoient certaines nuances d'opinions. Les plus célèbres étoient celle de mademoiselle Lespinasse, dans laquelle dominoit d'Alembert; celle de madame Necker, où se réunissoit surtout le troupeau philosophique, à la suite de Voltaire; et la société de Mme Doublet. On étoit plutôt parlementaire et janséniste, dans celle-ci, que philosophe; mais, dit Grimm, on n'y étoit pas chrétien, ce qui étoit la première condition de toutes les réunions de ce genre.
244: Lorsqu'on a secoué le joug salutaire de la révélation, s'arrêter dans le déisme est une absurdité: c'est ce que n'a jamais fait un esprit doué d'une véritable vigueur. Il va droit aux dernières conséquences de l'incrédulité, qui sont l'athéisme et le scepticisme, où il trouve une sorte de repos dans la mort de son intelligence; ou bien il rétrograde jusqu'à la foi, qui en est la vie et la véritable paix. Voltaire, Rousseau, et leurs disciples, qui se débattoient dans ce milieu des opinions philosophiques, étoient, sans contredit, les plus foibles de tous ces insensés raisonneurs.
245: Ce double projet des philosophes fut mis à découvert dans un réquisitoire de l'avocat-général Séguier.
246: Voltaire lui-même en fut choqué au dernier point. «Il m'a toujours paru absurde, dit-il dans une lettre à M. de Florian (25 février 1771), de vouloir inculper un pair du royaume, quand le roi, dans son conseil, a déclaré que ce pair n'a rien fait que par ses ordres et a très bien servi. C'est, au fond, vouloir faire le procès au roi lui-même; c'est, de plus, se déclarer juge et partie: c'est manquer, ce me semble, à tous les devoirs.»
247: Ce lit de justice fut tenu le 7 septembre 1770. Le roi y défendoit au parlement de se servir des termes d'unité, d'indivisibilité et de classes, d'envoyer, aux tribunaux des provinces, d'autres mémoires que ceux qui auroient été spécifiés par les ordonnances, de cesser le service, sinon dans les cas prévus par les mêmes ordonnances, de donner des démissions en corps, et de rendre des arrêts pour retarder l'enregistrement.
248: C'étoit sans doute le dernier degré d'avilissement où pouvoit tomber Louis XV, que d'être joué par les agents de ses débauches, au point de recevoir pour favorite, et comme une conquête qui n'étoit pas à dédaigner même pour un roi, une malheureuse créature, tirée des plus infâmes repaires de la prostitution; mais il n'en est pas moins curieux de voir son premier ministre, faire le délicat avec la comtesse Du Barry, ayant été si long-temps le valet de la marquise de Pompadour: l'une valoit au moins l'autre; et même s'il falloit désigner la moins méprisable des deux, la prostituée auroit notre voix.
249: C'est alors que parurent les Nouvelles à la main, libelles qui circuloient aussi librement que les feuilles périodiques autorisées, et où l'on déversoit la haine et le mépris sur le roi, sur les ministres, sur la nouvelle magistrature. Il y eut même des placards régicides affichés dans les places publiques de Paris.
250: Le duc d'Aiguillon, l'abbé Terray, etc.
251: Cette conspiration contre les ordres monastiques avoit pris naissance, en 1766, au sein d'une commission d'évêques et de magistrats, créée, au contraire, pour les revivifier, en ramenant un grand nombre d'entre eux, du relâchement où ils étoient tombés à la pureté de la règle primitive. L'archevêque de Toulouse, Brienne, qui joua depuis un rôle si honteux et si funeste dans le ministère de Louis XVI, étoit membre de cette commission; et ce fut lui qui fit prévaloir, dans cette commission, le système d'extinction graduelle.
252: Louis XV mourut le 10 mai 1774, dans de grands sentiments de piété et de repentir.
253: Joseph II.
254: Voyez pl. 189 et 190.
255: Car. Calv. Cap., tit. 36, c. 12.
256: Cap. Lud. Pii., an. 23, c. 18.
257: Jusqu'au règne de ce prince, on trouve encore des seigneurs qui avoient le droit de battre monnoie: ce fut lui qui acheva de l'abolir entièrement. Ses prédécesseurs, depuis Philippe-le-Bel, n'avoient pas cessé de le restreindre; mais lors même que ce droit étoit dans toute sa vigueur, le roi connoissoit seul, par ses officiers, des contestations qu'il faisoit naître; et les officiers, que les seigneurs nommoient pour leurs monnoies, devoient être agréés par le souverain, et reçus par les généraux.
258: On gardoit, dans cette cour, tous les poids originaux de France, sur lesquels ceux de toutes les villes du royaume devoient être étalonnés. Elle commettoit, tous les ans, un commissaire, chargé de faire marquer, en sa présence, tous les poids publics, au poinçon du roi.
259: Voyez t. 2, 2e partie, p. 985.
260: Jaillot, Quartier du Louvre, p. 50.
261: Alors l'ancien édifice fut démoli, et sur son emplacement, on perça les deux rues Neuve-Boucher et Étienne.
262: On a reproché à M. Antoine, et beaucoup de gens lui reprochent encore, d'avoir aligné le bâtiment principal avec l'un des pavillons du collége des Quatre-Nations, trop avancé sur le quai, et dont on annonce toujours la prochaine démolition; mais si l'on considère avec attention la forme et le peu d'étendue du terrain qu'occupe l'hôtel des Monnoies, on reconnoîtra qu'il offre une espèce de triangle très irrégulier; que pour donner à cet endroit du quai une largeur telle qu'on l'eût désirée, il eût fallu rentrer parallèlement ce bâtiment d'une grande partie de son épaisseur (car en ne le rentrant que du côté des Quatre-Nations, l'angle que forme le quai avec la rue Guénégaud devenoit encore plus aigu, et eût été insupportable dans la distribution comme dans l'élévation); enfin que l'un et l'autre eussent fait perdre une quantité considérable d'un terrain précieux sur cette face, et qu'il n'en seroit pas resté assez pour les besoins du monument. (Legrand.)
263: Voyez pl. 191.
264: Voyez pl. 192.
265: L'hôtel des Monnoies n'a point changé de destination.
266: C'est ce qui a fait donner, à cette fondation, le nom de collége des Quatre-Nations.
267: Voyez pl. 193.
268: Voyez pl. 194.
269: Le cardinal, revêtu des marques de sa dignité, est représenté à genoux sur un coussin, une main sur son cœur, l'autre étendue; derrière lui, un génie soutient un faisceau d'armes. Au dessus, deux figures qui accompagnent ses armoiries offrent chacune une double allégorie: d'un côté, la Charité et la Foi; de l'autre, la Religion et la Vigilance. Sur la base du monument sont assises trois figures en bronze, qui, par leurs attributs divers, indiquent la France et la Fidélité, l'Abondance et la Paix, la Prudence et l'art de gouverner. Ce monument, dont l'ensemble n'est pas à la vérité sans magnificence, mais que toutes les descriptions présentent comme un chef-d'œuvre, nous semble d'un style maigre, dépourvu de vérité d'imitation dans les figures, de noblesse et d'élégance dans les draperies. La statue seule du cardinal est traitée avec plus de soin; la tête peut même passer pour belle. (Déposé, pendant la révolution, aux Petits-Augustins.)
270: Le collége des Quatre-Nations, connu aujourd'hui sous le nom de Palais des Sciences et des Arts, est consacré aux travaux et aux séances des quatre Académies, réunies sous celui d'Institut.
271: Voyez t. 3, 2e part., p. 600.
272: Voyez t. 2, 1re part., p. 217.
273: Malingre, Antiquités de Paris, p. 369 et suiv.
274: Ce petit monument fit alors une très grande sensation à Paris: c'étoit la première voûte en forme de coupole qu'on y eût élevée, et l'on se porta en foule pour voir un genre de construction dont on ne se faisoit pas même une idée.
275: Voyez pl. 221.
276: Voyez t. 2, 1re part., p. 218.
277: L'église, la maison et le jardin des Petits-Augustins, qui ont subi de grands changements dans leur intérieur, servoient, pendant la révolution, de dépôt à tous les tombeaux qu'on avoit enlevés des églises, et généralement à tous les monuments de la sculpture françoise qu'on avoit pu soustraire au vandalisme révolutionnaire.
278: Voy. pl. 211. Cet architecte, recommandable principalement par le soin qu'il apportoit à l'exécution de ses ouvrages, voulut faire dans ce portail un essai de l'ordre dorique grec, et donner une légère idée de ces propylées célèbres, qu'alors les professeurs d'architecture commençoient à faire connoître dans les leçons académiques. Toutefois, en risquant une semblable nouveauté, M. Antoine crut qu'il étoit prudent de la modifier un peu, pour s'accommoder au goût françois, peut-être aussi pour y apporter quelque perfectionnement; mais l'événement prouva qu'on ne touche point impunément aux chefs-d'œuvre de l'antiquité. En altérant les proportions générales et particulières de cet ordre, il lui ôta son nerf, son originalité. Cette représentation des propylées parut assez fidèle à ceux qui ne les connoissoient que superficiellement, et par les dessins qui en furent donnés dans le temps; mais ceux qui avoient étudié l'ouvrage alors très peu connu de Stuart, regrettèrent qu'on eût ainsi tronqué les proportions de l'original, en élevant le fronton, en retranchant sur l'architrave, en négligeant plusieurs détails dans les profils: les chapiteaux, trop saillants, n'ont point le caractère de l'antique; les triglyphes sont trop longs; en un mot, ce seroit prendre une très fausse idée de la sévérité, de la grâce et de l'harmonie de l'ordre des propylées, que de le juger sur ce petit monument.
Du reste, la disposition est la même à peu près pour les marches, dont une partie servant de base aux colonnes, forme en dehors un petit soubassement; et l'autre se trouve en arrière sous le porche, dans une demi-teinte favorable à l'effet de l'ensemble. (Legrand.)
279: Au pied d'une butte qui s'élevoit auprès de la rue Saint-Guillaume, étoit, en 1534, le cimetière des lépreux. Il subsistoit encore à la fin du siècle dernier, et servoit de sépulture à ceux qui mouroient à la Charité.
280: L'hôpital de la Charité n'a point changé de destination; les Enfants teigneux sont maintenant réunis aux Petites-Maisons.
281: Mabillon, Ann. Bened., t. I, liv. V, ch. 42.—Bouillart, Hist. de l'abbaye Saint-Germain, p. 4 et 297.—Gall. Chr., t. 7, p. 416.
282: Deff. de Basil., part. I, ch. 4.
283: Quartier Saint-Germain-des-Prés, p. 21. Plusieurs de nos historiens prétendent en effet que loin d'avoir rien obtenu des habitants de Saragosse, son armée fut battue devant cette ville, et forcée de se retirer.
284: Quartier Saint-Germain-des-Prés, p. 22.
285: Hist. de l'abbaye Saint-Germain, preuves, p. 1; Du Breul, p. 296.
286: Vita S. Droct., lib. 2.
287: Quartier Saint-Germain-des-Prés, p. 24 et seq.
288: L'épitaphe qu'on lisoit sur sa tombe portoit que l'église Saint-Germain avoit été brûlée trois fois par les Barbares; qu'il l'avoit fait rebâtir de fond en comble; qu'il avoit fait élever une tour dans laquelle il avoit mis des cloches, etc.
289: Hist. de l'abbaye Saint-Germain, preuves, p. 40, 55e pièce.
290: Elle en avoit reçu la dénomination populaire de Saint-Germain-le-Doré.
291: La plupart des chapiteaux des colonnes ou piliers, qui séparent la nef des bas-côtés, offrent une particularité dont nous ne croyons pas qu'il y ait d'exemple dans aucune autre église de Paris. Ils sont couverts de figures en bas-relief, représentant des oiseaux, des sphinx, des griffons, des apôtres, des saints, etc. Ces sculptures, qui toutes sont du gothique le plus grossier, pourroient bien dater du temps de la construction primitive.
292: Voyez t. I, 2e part., p. 768. On conserve ce tableau au Musée des Petits-Augustins; il est remarquable non seulement pour les antiquités curieuses dont il retrace seul l'image, mais encore pour le mérite de la peinture, qui réunit un bon coloris à une vérité d'imitation, à une délicatesse de pinceau, vraiment étonnantes dans un siècle où l'art étoit encore à sa première enfance.
293: C'étoit à ce prince que l'on devoit l'ancienne châsse, dont l'or fut employé dans la construction de la nouvelle. Celle-ci avoit environ deux pieds dix pouces de longueur, et contenoit vingt-six marcs deux onces d'or, et deux cent cinquante marcs d'argent.
294: Ces statues, détruites pendant les jours révolutionnaires, ont fait naître de grands débats parmi les antiquaires. D. Ruinart, qui les regarde comme aussi anciennes que l'église, prétend qu'elles représentoient saint Remi, Clovis, la reine Clotilde, Clodomir et Thierri leurs fils, Childebert, Ultrogothe et Clotaire II. L'abbé Lebeuf, qui ne peut nier que les deux figures les plus éloignées de la porte ne fussent effectivement celles de Clodomir et de Clotaire II, parce qu'elles portoient leurs noms gravés sur des inscriptions, soutient que les autres statues offroient, suivant un usage assez commun, des rois et des reines de l'ancienne loi; et que Jésus-Christ, placé au milieu de la porte sur un trumeau qui n'existe plus, étoit le symbole de la nouvelle. D'autres y voyoient la famille de Charlemagne, saint Germain à la place de saint Remi, et rapprochoient ainsi de plusieurs siècles l'antiquité de ce monument. De toutes ces opinions, la première nous semble encore celle qui présente le plus de probabilités.
295: Cette pierre avoit été déposée au Musée des Petits-Augustins. L'antiquité n'en est point équivoque.
296: La pierre qui couvroit la tombe de cette reine offre une mosaïque formée d'un nombre considérable de petits émaux liés ensemble par un mastic, et incrustés dans une pierre de liais, où ils représentent une figure, dont le visage est indiqué par un simple contour, sans aucun trait intérieur; il en est ainsi des pieds et des mains. Elle est couronnée de trois fleurs-de-lis, revêtue d'une longue robe, et porte à la main un sceptre terminé également par des fleurs-de-lis. Ce monument curieux, et qui date certainement du temps de Frédégonde, étoit déposé aux Petits-Augustins.
297: Les tombes de Clotaire II, de Berthrude, de Childéric II, se voyoient dans le même Musée; mais elles sont modernes, et furent exécutées, dans le siècle dernier, d'après les débris d'anciens monuments.
298: Il est représenté couché, revêtu de ses armes, la tête appuyée sur son coude: c'est de la sculpture la plus barbare. (Déposé aux Petits-Augustins.)
299: Il est, comme son père, à moitié couché sur des coussins, et couvert de son armure, avec cette différence qu'il tient un livre de la main droite. Sculpture moins mauvaise que la précédente, mais qui ne s'élève pas au dessus de la médiocrité. (Déposé dans le même Musée.)
300: Il est représenté en marbre blanc, sur un tombeau de marbre noir, soutenant d'une main une chape sur ses épaules, étendant l'autre pour offrir son sceptre et sa couronne à saint Casimir, dont l'image étoit sur l'autel; devant et derrière lui sont groupées ses armes; aux angles, des captifs enchaînés à des trophées désignoient ses victoires sur les Turcs, les Tartares et les Moscovites. Ce monument, exécuté par Gaspard de Marsi, et comblé d'éloges par tous les historiens de Paris, est une production de la dernière médiocrité.
Au milieu de la base, un bas-relief en plomb, ouvrage d'un frère convers de cette maison, nommé Jean Thibaut, représente une des batailles de Casimir. Il est encore plus mauvais que le mausolée. (Le tout avoit été déposé aux Petits-Augustins.)
301: Leur monument, que l'on prétend être de la main de Girardon, se compose d'un tombeau de marbre blanc, au dessus duquel s'élève une colonne surmontée d'une urne antique. Deux statues, de grandeur naturelle, placées de chaque côté, et représentant la Piété et la Fidélité, soutiennent les portraits d'Olivier et de Louis Castellan; sculpture peu remarquable sous tous les rapports. (Déposé dans le même Musée.)
On voit encore dans le jardin de ce Musée une tombe de six pieds de longueur, dont le couvercle, fait en dos d'âne, est orné d'écailles de poisson, de palmettes et d'un cep s'échappant d'un vase. Il fut trouvé en 1704, dans une fouille faite à six ou sept pieds de profondeur, près du maître-autel de l'église Saint-Germain, et découvert de nouveau au commencement de la révolution. Ce tombeau renfermoit un personnage inconnu, mais couvert de vêtements qui annonçoient une haute dignité.
302: La pierre qui couvroit son tombeau, gravée en creux, le représentoit, une règle et un compas à la main. (Ce monument a été détruit dans les démolitions faites sur le terrain de l'abbaye.)
303: Les bâtiments de l'abbaye Saint-Germain ont été en partie détruits, et l'on a percé plusieurs rues sur l'emplacement qu'ils occupoient. Le palais abbatial est habité par des particuliers. Sur l'emplacement de la chapelle de la Vierge, on a bâti des maisons; l'église, dépouillée de presque tous ses ornements, a été rendue au culte. (Voyez l'article Monuments nouveaux.)
304: L'église a été rendue au culte; les bâtiments, long-temps habités par des particuliers, sont maintenant occupés par des prêtres de la mission.
305: C'est maintenant une fabrique d'ouvrages en cuivre.
306: Jaillot, Quartier Saint-Germain, p. 11.
307: L'église est changée en magasin; les bâtiments sont habités par des particuliers.
308: Voyez t. 2, 2e part., p. 1249.
309: Voyez pl. 211. Ce couvent est maintenant habité par des particuliers.
310: Voyez pl. 210.
311: On avoit élevé à ces deux époux un tombeau qui a été détruit.
312: Le tombeau de cette dame, exécuté sur les dessins d'Oppenord, n'avoit point été déposé aux Petits-Augustins.
313: L'église des Jacobins réformés a été rendue au culte, et est devenue une des paroisses de Paris sous le titre de Saint-Thomas-d'Aquin; les bâtiments du couvent sont habités par des particuliers.
314: Histoire de Paris, t. 4, p. 160 et suiv.
315: Voyez pl. 210. Les bâtiments des Théatins sont occupés par des particuliers; l'église a été convertie, d'abord en une salle de spectacle, depuis, en habitations particulières.
316: Ce monument n'avoit point été déposé au Musée des Petits-Augustins.
317: Histoire des Ordres religieux, t. 2, p. 124.
318: Histoire de Lorraine, t. 3, p. 775.
319: Une partie des bâtiments de cette communauté a été détruite, l'autre est changée en habitations particulières. On a aussi percé une rue nouvelle sur le terrain qu'elle occupoit.
320: Voyez t. 3, 1re part., p. 530.
321: Histoire de Paris, t. I, p. 465, et t. 5, p. 89.
322: Les filles du Verbe incarné furent alors transférées à la place du Puits-de-l'Ermite, dans la maison dite de la Crèche. (Voyez t. 3, 1re part., p. 501.)
323: Voyez pl. 211. Les bâtiments de l'abbaye ont été changés en caserne; on a fait de l'église un dépôt d'effets militaires.
324: Ce couvent a été changé en une caserne de cavalerie.
325: Les bâtiments de cette communauté sont maintenant habités par des particuliers.
326: Les bureaux de la guerre sont placés dans cette maison.
327: Voyez pl. 198. Cette façade a éprouvé plusieurs changements: on avoit d'abord élevé un attique sur l'ordonnance, ce qui exhaussa un peu la masse sans la rendre beaucoup meilleure. Depuis on l'a changée en un péristyle composé de douze colonnes corinthiennes, avec fronton. On doit cette construction à M. Poyet. (Voyez Monuments nouveaux.)
328: Voyez pl. 197.
329: Cette cour a deux cent quatre-vingts pieds de long sur cent soixante-deux de large; et ses bâtiments se lient par une corniche continue à celle de l'ancien palais, qui formoit alors une cour d'honneur de cent quarante-un pieds de profondeur sur quatre vingt-seize dans l'autre dimension.
330: Voyez pl. 199. Au fond de cette seconde cour, s'élève et se détache maintenant, sur le nu du mur, un portique orné de colonnes corinthiennes qui annoncent l'entrée du monument. Cette décoration est de M. Gisors, architecte.
331: Vers ce temps-là, M. et madame Berthelot avoient fait bâtir, rue de la Lune, une maison assez spacieuse, qu'ils consacrèrent à recevoir cinquante soldats estropiés. (Voyez t. 2, 1re part., p. 526.) Il y avoit aussi dans la rue de Sèvre un hôpital destiné au même usage, mais seulement pour un très petit nombre d'individus.
332: Voyez 1re part. de ce volume, p. 80.
333: Elle a été rétablie.
334: Voyez pl. 200.
335: Voyez pl. 201.
336: Voyez pl. 202.
337: Voyez pl. 203.
338: Feu M. Legrand.
339: Ces deux statues avoient été déposées, pendant la révolution, dans le jardin du Musée des Petits-Augustins.
340: On avoit transporté dans les combles immenses de cet hôtel tous les plans déposés d'abord dans la grande galerie du Louvre, que l'on destinoit, dès avant la révolution, à former un Muséum.
341: Ces oblats, fort anciens dans l'église, étoient des moines-lais que le roi plaçoit dans chaque abbaye de sa nomination, pour y être nourris et entretenus. Cette faveur tomboit ordinairement sur des soldats estropiés.
342: Lorsque le roi entroit aux Invalides, la garde ordinaire cessoit ses fonctions, pour être relevée sur-le-champ par une compagnie de ces vieux soldats. Cela fut ainsi décidé, dès les premiers temps que Louis XIV alla visiter cet établissement. Les Invalides qui se pressoient autour de lui, se voyant repoussés un peu brusquement par la garde, parurent sensibles à cette espèce d'affront: le roi s'en aperçut, et avec cette bonté qui lui étoit naturelle, il déclara qu'il vouloit qu'on traitât plus doucement ses anciens serviteurs et qu'il étoit en sûreté au milieu d'eux. Ils composèrent dès ce moment sa garde, et cet usage s'est perpétué sous ses successeurs. (L'hôtel des Invalides n'a point changé de destination.)
343: Ce terrain étoit anciennement une garenne appartenant à l'abbaye de Saint-Germain. De là est venu par corruption le nom de Grenelle, comme nous le dirons en son lieu.
344: Voyez pl. 205.
345: Voyez pl. 204.
346: Ces colléges ou écoles royales militaires étoient au nombre de dix: Sorèse, Brienne, Tiron, Rebais, Beaumont, Pont-le-Voy, Vendôme, Effiat, Pont-à-Mousson, Tournon. Il y avoit, en outre, au collége de La Flèche, un pensionnat dépendant de l'école de Paris, où les élèves étoient placés depuis huit ans jusqu'à quatorze.
347: Cet établissement est aujourd'hui une caserne d'infanterie.
348: Le Champ-de-Mars n'a point changé de destination; il sert aux exercices militaires de toutes les troupes stationnées à Paris.
349: Ce château, dont on avoit fait une poudrière au commencement de la révolution, sauta avec un grand fracas et d'horribles accidents, dans l'année 1793.
350: C'est ce séjour que le commissaire Delamare a pris pour l'hôtel de Nesle, qu'il place, par erreur, hors de la ville.
351: Chamb. des comptes, mémorial L, fo 172, et K, fo 140.
352: Quartier Saint-Germain-des-Prés, p. 68.
353: Voyez pl. 206 et 207.
354: Sauval, t. 2, p. 250.
355: Ibid., p. 157.
356: Quartier Saint-Germain, p. 79.
358: T. 2, p. 67 et 120.
359: Cet hôtel vient d'être démoli; et sur l'emplacement très vaste qu'occupoient les bâtiments, il vient d'être percé une rue nouvelle, dont les constructions ne sont pas encore entièrement achevées.
360: Voyez pl. 208.
361: Voyez pl. 211. L'administration de la Légion-d'Honneur est établie dans cet hôtel.
362: Cet hôtel a été bâti sur les ruines de celui de la reine Marguerite.
363: Sur l'emplacement de cet hôtel on a construit un marché qui se nomme le marché Boulainvilliers.
364: T. 8, additions, p. 339.
365: Quartier Saint-Germain, p. 82.
366: Les premières constructions de cette église, restées imparfaites, ont été depuis entièrement démolies. (Voyez l'article Monuments nouveaux.)
367: Jaillot pense que cette île a pu servir de rendez-vous pour terminer par le duel des querelles particulières, et qu'elle a pu en tirer son nom; mais il observe qu'alors il faudroit écrire Ma-Querelle. Il auroit mieux fait, selon nous, de renoncer à chercher cette étymologie, que d'en présenter une aussi bisarre, et qu'il ne soutient d'aucune preuve.
368: L'état de la Seine étoit autrefois bien différent de ce qu'il est aujourd'hui, et nous pensons qu'une courte description de ce que les traditions nous en font connoître se trouvera bien placée ici et s'y fera lire avec intérêt. Cette rivière, dont les bords n'étoient point resserrés, comme aujourd'hui, par des quais, étendoit alors ses eaux sur une plus grande surface, et formoit un assez grand nombre d'îles ou atterrissements, emportés depuis par la violence des débordements, ou détruits lorsqu'on rétrécit le lit du fleuve, pour la facilité de la navigation. Indépendamment des îles dont nous avons parlé, et qui s'étendoient depuis l'Arsenal jusqu'à la pointe occidentale de la Cité, il s'en présentoit d'abord deux autres qui se prolongeoient parallèlement depuis les Augustins jusqu'à la tour de Nesle; on y blanchissoit des toiles: et la Seine couvroit tout le terrain jusqu'à l'endroit où depuis l'on a bâti la chapelle du collége Mazarin. Vis-à-vis, et du côté du Louvre, il y avoit encore quelques petites îles, mais peu considérables, et qui paroissent ne point avoir eu de dénomination particulière. Plus bas étoit l'île aux Treilles[368-A]. Vis-à-vis l'emplacement du palais Bourbon, au delà duquel elle se prolongeoit, cette île étoit séparée, par un petit bras d'eau, d'un autre atterrissement, qu'on appeloit, en 1250, l'île de Seine, et qui fut depuis l'île aux Vaches, dont nous venons de parler; celle-ci étoit située vis-à-vis de Chaillot. Le long de ces deux îles s'en étendoit une troisième, longue et étroite, appelée l'île de Hiérusalem. Toutes ces îles étoient, partie en pâtures, et partie en saussaies et oseraies. Elles étoient louées ou acensées à divers particuliers, qui, pour marquer les limites de leurs possessions, les entouroient de petits fossés ou rigoles, souvent remplis d'eau, lesquels formoient autant d'îles particulières, qu'on désignoit par les noms de leurs possesseurs ou autres: de là les îles à Prunier, de la Garenne, de Long-Champ, Merdeuse, de la Pierre, de Bucy, du Passeur et Pasteur-aux-Vaches, etc. Elles étoient mentionnées et décrites dans un registre de Saint-Germain-des-Prés, qui en contenoit la recette depuis 1489 jusqu'à 1521.
De l'autre côté, et au dessous des Tuileries, étoit l'île ou les mottes de la Saumonnière; toutes ces îles existoient encore au milieu du quinzième siècle. Vers ce temps-là, la rivière cessa de séparer l'île des Vaches de celle des Treilles; mais on continua de les distinguer, et long-temps après, on disoit encore l'île Maquerelle dite des Treilles, ou l'île des Treilles dite Maquerelle. Insensiblement plusieurs parties de ce terrain furent abandonnées par les propriétaires qui n'en retiroient presque rien; les canaux ou fossés se comblèrent, et ce lieu devint une espèce de promenade publique. On s'y promenoit à pied, et en voiture au commencement du dix-septième siècle; les soldats y faisoient l'exercice; ce qui détermina les propriétaires à le mettre en jardinage. Les deux îles ainsi confondues contenoient vingt arpents et demi, qui, en 1645, furent vendus 60,000 liv. à M. de Guénégaud, secrétaire d'État.
À l'égard de l'île de Bucy, elle étoit située plus bas, vis-à-vis d'Issy et du port de Javel. Dans un acte de 1529, cité par Jaillot, elle est désignée sous le nom d'île de Bucy ou le Pressouer-aux-Vaches, nom qu'on a peut-être corrompu ou altéré en disant le Passeur ou le Pasteur-aux-Vaches, qui ne se trouve point dans les actes originaux.
368-A: Il y a grande apparence que cette île avoit pris son nom des vignes qu'on y avoit anciennement plantées.
369: Nous citerons la traduction de cette inscription, non qu'elle soit élégante, ni même fort exacte, mais parce qu'elle est de Pierre Corneille:
C'est trop gémir, nymphes de Seine,
Sous le poids des bateaux qui cachent votre lit,
Et qui ne vous laissoient entrevoir qu'avec peine
Ce chef-d'œuvre étonnant dont Paris s'embellit,
Dont la France s'enorgueillit;
Par une route aisée aussi bien qu'imprévue,
Plus haut que le rivage un roi vous fait monter,
Qu'avez-vous plus à souhaiter?
Nymphes, ouvrez les yeux, tout le Louvre est en vue.
370: Voyez pl. 209.
371: Maintenant barrière de la Cunette.
372: Maintenant barrière de Grenelle.
373: Cette barrière est aujourd'hui fermée.
374: On a établi à cet endroit, en dehors du rempart, un puisard qui reçoit toutes les eaux des environs.
375: Les anciens boulevards n'ont que deux mille quatre cents toises de longueur.
376: Les barrières de Paris sont effectivement au nombre d'environ soixante; mais il n'y en avoit que vingt-quatre principales, conduisant aux principales grandes routes, où l'on payât et acquittât les droits de toutes les denrées qui entroient dans la ville, pour la consommation de ses habitants. Ces barrières étoient celles de Saint-Victor, Saint-Marcel, l'Oursine, Saint-Jacques, Saint-Michel, des Carmes, Saint-Germain, la Conférence, Chaillot, du Roule, la Ville-Lévêque, Montmartre, Sainte-Anne, Saint-Denis, Saint-Martin, la Croix-Faubin, Picpus, Rambouillet. Les autres étoient des traverses et des communications. Cependant les monuments élevés par Le Doux sont au nombre de quarante-trois.
Il y avoit aussi deux entrées par eau, l'une à la Rapée, l'autre vis-à-vis les Invalides.
377: Ce soubassement a quinze toises de largeur sur chaque face: la rotonde a douze toises de diamètre.
378: Les trois planches que nous joignons ici, offrent des vues exactes des quarante-trois monuments composés et exécutés par Le Doux; mais l'espace dans lequel le graveur étoit renfermé ne lui ayant pas permis de développer ceux qui se composent d'un double pavillon, nous avons eu soin, pour les faire reconnoître, de les marquer d'un *. (Voyez p. 212, 213, 214.)
379: Archiv. de Saint-Germain, 2e inv., fo 92, vo.
380: Reg. de la ville, fo 147.
381: T. I, p. 115.
382: Fo 139.
383: Dans cette rue, est un cul-de-sac situé en face de la rue Plumet, et qui porte le nom de cette dernière rue.
384: Depuis les changements faits dans tout ce terrain, la rue Childebert communique d'un bout à la rue Sainte-Marthe, de l'autre à la petite rue Sainte-Marguerite.
385: Quartier Saint-Germain-des-Prés, p. 36.
386: T. I, p. 127.
387: 2e invent., fo 48.
388: Arch. de Saint-Germain.
389: Id., 2e invent, fo 82.
390: Arch. de Saint-Germain.
391: T. 1, p. 149, et t. 3, p. 126.
392: T. 8, p. 86. Jaillot, quartier Saint-Germain, p. 57.
393: Arch. de Saint-Germain.
394: Sauv., t. I, p. 163; Pigan., t. 8, p. 293.
395: On l'achève en ce moment, et le projet paroît être de prolonger ce quai, jusque vis-à-vis l'École militaire.
396: Entre cette rue et l'esplanade des Invalides, est une rue nouvelle appelée rue de Nicolet, qui donne sur le bord de l'eau.
397: Entre cette rue et celle de la Boucherie est un cul-de-sac nommé de l'Étoile. En face de la même rue on en a ouvert une autre qui se nomme rue de la Pompe, et qui aboutit également à la rivière.
398: Une nouvelle rue, percée à peu de distance de celle-ci, se nomme rue du Vert-Buisson. Il y a encore dans ce quartier deux rues nommées grande et petite rue Chevert, et plusieurs autres rues jusqu'à présent sans nom.
399: On a seulement abattu les deux petites tours carrées qui s'élevoient des deux côtés de l'église, vers la croisée, parce que la voûte en étoit trop surchargée.
400: Le Panthéon.
401: Des lettres-patentes du 6 septembre 1772, enregistrées au parlement de Paris le 23 août 1774, avoient ordonné l'ouverture de cette rue, par suite de cessions de terrain faites à cet effet. Elle fut donc ouverte, et l'on y construisit quelques habitations; mais, long-temps encore, elle ne forma qu'un cul-de-sac, dont l'entrée étoit dans la rue Saint-Dominique: à son autre extrémité, le propriétaire l'avoit fait fermer par des barricades en planches.
Ce ne fut qu'en 1822, et sur la requête de M. Pilian de Laforest, qui venoit d'acquérir une maison dans cette rue, qu'un arrêt du préfet de la Seine ordonna qu'elle seroit achevée. Depuis son ouverture, autorisée en 1772, jusqu'à son entier achèvement en 1824, elle n'étoit indiquée, sur les plans de Paris, que sous le nom de rue projetée.
Ce fut à cette époque qu'elle reçut celui d'Amélie, l'un des prénoms de la fille de ce même M. Pilian de Laforest, à qui l'on en doit l'ouverture. On se plut à accorder cet honneur à la mémoire de cette jeune personne, morte en 1823, à la fleur de son âge, et dont la vie si courte avoit été un modèle de toutes les vertus chrétiennes.
402: Les marais situés à l'extrémité de ce quartier sont traversés par plusieurs ruelles sans nom, où sont éparses quelques petites habitations. L'une donne sur la place Dupleix, une autre dans l'avenue de Suffren, deux dans l'avenue de Lowendal, une autre sur la place de Fontenoy, deux dans l'avenue de Saxe.