Théâtre 1: La Princesse Maleine (1890) - L'Intruse (1890) - Les Aveugles (1891)
La Princesse Maleine.
DRAMATIS PERSONAE.
HJALMAR, roi d'une partie de la Hollande.
MARCELLUS, roi d'une autre partie de la Hollande.
Le prince HJALMAR, fils du roi HJALMAR.
Le petit ALLAN, fils de la reine Anne.
ANGUS, ami du prince HJALMAR.
STÉPHANO, VANOX, officiers de Marcellus.
Un chambellan.
Un médecin.
Un fou.
Trois pauvres.
Deux vieux paysans, un cuisinier.
Seigneurs, officiers, un vacher, un cul-de-jatte, pèlerins, paysans,
domestiques, mendiants, vagabonds, enfants, etc.
ANNE, reine du Jutland.
GODELIVE, femme du roi Marcellus.
La princesse MALEINE, fille de Marcellus et de Godelive.
La princesse UGLYANE, fille de la reine Anne.
La nourrice de Maleine.
Sept béguines.
Une vieille femme.
Dames d'honneur, servantes, paysannes, etc.
Un grand chien noir nommé Pluton.
Le premier acte à Harlingen; les autres au
château Ysselmonde et aux environs.
ACTE I
SCÈNE I
Les jardins du château.
[Entrent Stéphano et Vanox.]
Quelle heure est-il?
D'après la lune il doit être minuit.
Je crois qu'il va pleuvoir.
Oui; il y a de gros nuages vers l'Ouest.--On ne viendra pas nous relever avant la fin de la fête.
Et elle ne finira pas avant le petit jour.
Oh! oh! Vanox!
[Ici une comète apparaît au-dessus du château.]
Quoi?
Encore la comète de l'autre nuit!
Elle est énorme!
Elle a l'air de verser du sang sur le château!
[Ici une pluie d'étoile, semble tomber sur le château.]
Les étoiles tombent sur le château! Voyez! voyez! voyez!
Je n'ai jamais vu pareille pluie d'étoiles! On dirait que le ciel pleure sur ces fiançailles!
On dit que tout ceci présage de grands malheurs!
Oui; peut-être des guerres ou des morts de rois. On a vu ces présages à la mort du vieux roi Marcellus.
On dit que ces étoiles à longue chevelure annoncent la mort des princesses.
On dit... on dit bien des choses...
La princesse Maleine aura peur de l'avenir!
A sa place, j'aurais peur de l'avenir sans l'avertissement des étoiles...
Oui; le vieux Hjalmar me semble assez étrange...
Le vieux Hjalmar? Ecoute$, je n'ose pas dire tout ce que je sais; mais un de mes oncles est chambellan de Hjalmar; eh bien, si j'avais une fille, je ne la donnerais pas au prince Hjalmar.
Je ne sais pas... le prince Hjalmar...
Oh! ce n'est pas à cause du prince Hjalmar, mais son père!...
On dit qu'il a la tête...
Depuis que cette étrange reine Anne est venue du Jutland, où ils l'ont détrônée, après avoir emprisonné leur vieux roi, son mari, depuis qu'elle est venue à Ysselmonde, on dit... on dit... enfin le vieux Hjalmar a plus de-soixante-dix ans, et je crois qu'il l'aime un peu trop pour son âge...
Oh! oh!
Voilà ce qu'on dit...--Et je n'ose pas dire tout ce que je sais.--Mais n'oublie pas ce que j'ai dit aujourd'hui.
Alors pauvre petite princesse!
Oh, je n'aime pas ces fiançailles!--Voilà qu'il pleut déjà!
Et peut-être un orage là-bas.--Mauvaise nuit! [Passe un valet avec une lanterne.] Où en est la fête?
Voyez les fenêtres.
Oh! elles ne s'éteignent pas.
Et elles ne s'éteindront pas cette nuit. Je n'ai jamais vu de fête pareille! Le vieux roi Hjalmar est absolument ivre, il a embrassé notre roi Marcellus, il...
Et les fiancés?
Oh! les fiancés ne boivent pas beaucoup. Allons, bonne nuit! je vais à la cuisine, on n'y boit pas de l'eau claire non plus, bonne nuit!
[Il sort.]
Le ciel devient noir, et la lune est étrangement rouge.
Voilà l'averse! et pendant que les autres boivent, nous allons...
[Ic les fenêtres du château, illuminées au fond du jardin, volent en éclats: cris, rumeurs, tumulte.]
Oh!
Qu'y a-t-il?
On brise les vitres.
Un incendie!
On se bat dans la salle!
[La princesse Maleine, échevelée et tout en pleurs, passe en courant, au fond du jardin.]
La princesse!
Où court-elle?
Elle pleure!
On se bat dans la salle!
Allons voir!...
[Cris, tumulte, les jardins se remplissent d'officiers, de domestiques, etc., les portes du château s'ouvrent violemment, et le roi Hjalmar parait sur le perron, entouré de courtisans et de pertuisaniers. Au-dessus du château, la comète. La pluie d'étoiles continue.]
Ignoble Marcellus! Vous avez fait aujourd'hui une chose monstrueuse! Allons, mes chevaux! mes chevaux! je m'en vais! je m'en vais! je m'en vais! Et je vous laisse votre Maleine, avec sa face verte et ses cils blancs! Et je vous laisse avec votre vieille Godelive! Mais attendez! Vous irez à genoux à travers vos marais! Et ce seront vos fiançailles que je viendrai célébrer, avec tous mes pertuisaniers et tous les corbeaux de Hollande à vos fêtes funèbres! Allons-nous-en! Au revoir! au revoir! Ah! ah! ah!
[Il sort avec ses courtisans.]
SCÈNE II
Un appartement du château.
[On découvre la reine Godelive, la princesse Maleine et la nourrice; elles chantent en filant leur quenouille.]
Les nonnes sont malades, Malades à leur tour; Les nonnes sont malades, Malades dans la tour...
... Voyons, ne pleure plus Maleine; essuie tes larmes et descends au jardin. Il est midi.
C'est ce que je lui dis depuis ce matin, Madame. A quoi cela sert-il de s'abimer les yeux? Elle ouvre sa fenêtre ce matin, elle regarde un chemin vers la forêt et se met à pleurer; alors je lui dis: est-ce que vous regardez déjà le chemin vers la tour, Maleine...
Ne parle pas de cela!
Si, si, il faut en parler; on en parlera tout à l'heure. Je lui demande donc: est-ce que vous regardez déjà le chemin vers la tour où l'on a enfermé, dans le temps, la pauvre duchesse Anne, parce qu'elle aimait un prince qu'elle ne pouvait aimer?...
Ne parle pas de cela!
Au contraire, il faut en parler, on en parlera tout à l'heure. Je lui demande donc...--Voici le roi!
[Entre Marcellus.]
Eh bien, Maleine?
Sire?
Aimais-tu le prince Hjalmar?
Oui, Sire.
Pauvre enfant!... mais l'aimes-tu encore?
Oui, Sire.
Tu l'aimes encore?
Oui.
Tu l'aimes encore après?...
Seigneur, ne l'effrayez pas!
Mais je ne l'effraye pas!--Voyons, je viens ici en véritable père, et je ne songe qu'à ton bonheur, Maleine. Examinons cela froidement. Tu sais ce qui est arrivé: le vieux roi Hjalmar m'outrage sans raison; ou plutôt, je soupçonne trop bien ses raisons!... Il outrage ignoblement ta mère, il t'insulte plus bassement encore, et s'il n'avait pas été mon hôte, s'il n'avait pas été là, sous la main de Dieu, il ne serait jamais sorti de mon château!--enfin, oublions aujourd'hui.--Mais, est-ce à nous que tu dois en vouloir?--est-ce à ta mère ou est-ce à moi? Voyons, réponds, Maleine?
Non, Sire.
Alors pourquoi pleurer? Quant au prince Hjalmar, il vaut mieux l'oublier; et puis, comment pourrais-tu l'aimer sérieusement? vous vous êtes à peine entrevus; et le coeoeur à ton âge est comme un coeur de cire; on en fait ce qu'on veut. Le nom de Hjalmar était encore écrit dans les nuages, un orage est venu et tout est effacé, et dès ce soir tu n'y songeras plus. Et puis, crois-tu que tu aurais été bien heureuse à la cour de Hjalmar? Je ne parle pas du prince, le prince est un enfant; mais son père, tu sais bien qu'on a peur d'en parler... Tu sais bien qu'il n'y a pas une cour plus sombre en Hollande; tu sais que son château a peut-être d'étranges secrets. Mais tu ne sais pas ce que l'on dit de cette reine étrangère, venue avec sa fille au palais d'Ysselmonde, et je ne te redirai pas ce qu'on en dit; car je ne veux pas verser de poison dans ton coeur.--Mais tu allais entrer, toute seule, dans une effrayante forêt d'intrigues et de soupçons!--Voyons, réponds, Maleine; n'avais-tu pas peur de tout cela? et n'était-ce pas un peu malgré toi que tu allais épouser le prince Hjalmar?
Non, Sire.
Soit, mais alors, réponds-moi franchement. Il ne faut pas que le vieux roi Hjalmar triomphe. Nous allons avoir une grande guerre à cause de toi. Je sais que les vaisseaux de Hjalmar entourent Ysselmonde et vont mettre à la voile avant la pleine lune; d'un autre côté, le duc de Bourgogne, qui t'aime depuis longtemps;--[se tournant vers la reine,] je ne sais si ta mère?...
Oui, Seigneur.
Eh bien?
Il faudrait l'y préparer, peu à peu...
Laissez-la parler!--Eh bien, Maleine?...
Sire?
Tu ne comprends pas?
Quoi, Sire?
Tu me promets d'oublier Hjalmar?
Sire...
Tu dis?--tu aimes encore Hjalmar?
Oui, Sire!
«Oui, Sire!» Ah! démons et tempêtes! Elle avoue cela cyniquement, et elle ose me crier cela sans pudeur! Elle a vu Hjalmar une seule fois, pendant une seule après-midi, et la voilà plus chaude que l'enfer!
Seigneur!...
Taisez-vous! «Oui, Sire!» Et elle n'a pas quinze ans! Ah, c'est à les tuer sur place! Voilà quinze ans que je ne vivais plus qu'en elle! Voilà quinze ans que je retenais mon souffle autour d'elle! Voilà quinze ans que nous n'osions plus respirer de peur, de troubler ses regards! Voilà quinze ans que j'ai fait de ma cour un couvent, et le jour où je viens regarder dans son coeur...
Seigneur!
Est-ce qu'elle ne peut pas aimer comme une autre? Allez-vous la mettre sous verre? Est-ce une raison pour crier ainsi à tue-tête après une enfant? Elle n'a rien fait de mal!
Ah! elle n'a rien fait de mal!--Et d'abord, taisez-vous; je ne vous parle pas, et c'est probablement à vos instigations d'entremetteuse...
Seigneur!
Entremetteuse! moi, une entremetteuse!
Me laisserez-vous parler enfin! Allez-vous-en! Allez-vous-en toutes deux! Oh! je sais bien que vous vous entendez, et que l'ère des intrigues est ouverte à présent, mais attendez!--Allez-vous-en! Ah! des larmes! [Sortent Godelive et la nourrice.] Voyons, Maleine, ferme d'abord les portes. Maintenant que nous sommes seuls, je veux oublier. On t'a donné de mauvais conseils, et je sais que les femmes entre elles font d'étranges projets; ce n'est pas que j'en veuille au prince Hjalmar; mais il faut être raisonnable. Me promets-tu d'être raisonnable?
Oui, Sire.
Ah! tu vois! alors tu ne songeras plus à ce mariage?
Oui.
Oui?--c'est-à-dire que tu vas oublier Hjalmar?
Non.
Tu ne renonces pas encore à Hjalmar?
Non.
Et si je vous y oblige, moi? et si je vous enferme? et si je vous sépare à jamais de votre Hjalmar à face de petite fille?--vous dites? [Elle pleure.] Ah! c'est ainsi!--Allez-vous-en; et nous verrons! Allez-vous-en!
[Ils sortent séparément.]
SCÈNE III
Une forêt.
[Entrent le prince Hjalmar et Angus.]
J'étais malade; et l'odeur de tous ces morts! et l'odeur de tous ces morts! et maintenant, c'est comme si cette nuit et cette forêt avaient versé un peu d'eau sur mes yeux...
Il ne reste plus que les arbres!
Avez-vous vu mourir le vieux roi Marcellus?
Non, mais j'ai vu autre chose; hier au soir, pendant votre absence, ils ont mis le feu au château, et la vieille reine Godelive courait à travers les flammes avec les domestiques. Ils se sont jetés dans les fossés et je crois que tous y ont péri.
Et la princesse Maleine?--Y était-elle?
Je ne l'ai pas vue.
Mais d'autres l'ont-ils vue?
Personne ne l'a vue, on ne sait où elle est.
Elle est morte?
On dit qu'elle est morte.
Mon père est terrible!
Vous l'aimiez déjà?
Qui?
La princesse Maleine.
Je ne l'ai vue qu'une seule fois... elle avait cependant une manière de baisser les yeux;--et de croiser les mains;--ainsi--et des cils blancs étranges!--Et son regard!... on était tout à coup comme dans un grand canal d'eau fraîche... Je ne m'en souviens pas très bien; mais je voudrais revoir cet étrange regard...
Quelle est cette tour sur cette butte?
On dirait un vieux moulin à vent; il n'a pas de fenêtres.
Il y a une inscription de ce côté.
Une inscription?
Oui,--en latin.
Pouvez-vous lire?
Oui, mais c'est très vieux.--Voyons:
Olim inclusa
Anna ducissa
Anno..., etc.,
Il y a trop de mousse sur tout le reste.
Asseyons-nous ici.
«Ducissa Anna», c'est le nom de la mère de votre fiancée.
D'Uglyane?--Oui.
Voilà un oui plus lent et plus froid que la neige!
Mon Dieu, le temps des oui de flamme est assez loin de moi...
Uglyane est jolie cependant.
J'en ai peur!
Oh!
Il y a une petite âme de cuisinière au fond de ses yeux verts.
Oh! oh! mais alors, pourquoi consentez-vous?
A quoi bon ne pas consentir? Je suis malade à en mourir une de ces vingt mille nuits que nous avons à vivre, et je veux le repos! le repos! le repos! Et puis, elle ou une autre, qui me dira «mon petit Hjalmar» au clair de lune en me pinçant le nez! Pouah!--Avez-vous remarqué les colères subites de mon père depuis que la reine Anne est arrivée à Ysselmonde?--Je ne sais ce qui se passe; mais il y a là quelque chose, et je commence à avoir d'étranges soupçons; j'ai peur de la reine!
Elle vous aime comme un fils cependant.
Comme un fils?--Je n'en sais rien, et j'ai d'étranges idées, elle est plus belle que sa fille, et voilà d'abord un grand mal. Elle travaille comme une taupe à je ne sais quoi; elle a excité mon pauvre vieux père contre Marcellus et elle a déchainé cette guerre;--il y a quelque chose là-dessous!
Il y a, qu'elle voudrait vous faire épouser Uglyane, ce n'est pas infernal.
Il y a encore autre chose.
Oh! je sais bien! Une fois mariés, elle vous envoie en Jutland vous battre sur les glaçons pour son petit trône d'usurpatrice, et délivrer peut-être son pauvre mari, qui doit être bien inquiet en l'attendant; car une reine aussi belle, errant seule par le monde, il faut bien qu'il arrive des histoires...
Il y a encore autre chose.
Quoi?
Vous le saurez un jour; allons-nous-en.
Vers la ville?
Vers la ville?--il n'y en a plus; il n'y a plus que des morts entre des murs écroulés!
[Ils sortent.]
SCÈNE IV
Une chambre voûtée dans une tour.
[On découvre la princesse Maleine et la nourrice.]
Voilà trois jours que je travaille à desceller les pierres de cette tour, et je n'ai plus d'ongles au bout de mes pauvres doigts. Vous pourrez vous vanter de m'avoir fait mourir. Mais voilà, il fallait désobéir! il fallait vous échapper du palais! il fallait rejoindre Hjalmar! Et nous voici dans cette tour; nous voici entre ciel et terre, au-dessus des arbres de la forêt! Ne vous avais-je pas avertie, ne vous l'avais-je pas dit? Je connaissais bien votre père!--Mais est-ce après la guerre qu'on nous délivrera?
Mon père l'a dit.
Mais cette guerre ne finira jamais! Depuis combien de jours sommes-nous dans cette tour? Depuis combien de jours n'ai-je plus vu de lune ni de soleil! Et partout où je mets les mains, je trouve des champignons et des chauves-souris; et j'ai vu, ce matin, que nous n'avions plus d'eau!
Ce matin?
Oui, ce matin, pourquoi riez-vous? Il n'y a pas de quoi rire? Si nous ne parvenons pas à écarter cette pierre aujourd'hui, il ne nous reste plus qu'à dire nos prières. Mon Dieu! mon Dieu! qu'ai-je donc fait pour être mise dans ce tombeau, au milieu des rats, des araignées et des champignons! Je ne me suis pas révoltée, moi! Je n'ai pas été insolente comme vous! Etait-ce$ si difficile de se soumettre en apparence, et de renoncer à ce saule pleureur de Hjalmar qui ne remuerait pas le petit doigt pour nous délivrer?
Nourrice!
Oui, nourrice! Je serai bientôt la nourrice des vers de terre à cause de vous. Et dire que sans vous, j'étais tranquillement dans la cuisine en ce moment, ou à me chauffer au soleil dans le jardin, en attendant la cloche du déjeuner! Mon Dieu! mon Dieu! qu'ai-je donc fait pour... Oh, Maleine! Maleine! Maleine!
Quoi?
La pierre!...
La...?
Oui,--elle a remué!
La pierre a remué?
Elle a remué! elle est détachée! il y a du soleil entre le mortier! Venez voir! Il y en a sur ma robe! II y en a sur mes mains! Il y en a sur votre visage! Il y en a sur les murs! Eteignez$ la lampe! il y en a partout! Je vais pousser la pierre!
Elle tient encore?
Oui!--mais ce n'est rien! c'est là, dans le coin; donnez-moi votre fuseau!--oh! elle ne veut pas tomber!...
Tu vois quelque chose par les fentes?
Oui! oui--non! je ne vois que le soleil!
Est-ce le soleil?
Oui! oui! c'est le soleil! Mais voyez donc! c'est de l'argent et des perles sur ma robe! Et c'est chaud comme du lait sur mes mains!
Mais laisse-moi donc voir aussi!
Voyez-vous quelque chose?
Je suis éblouie!
C'est étonnant que nous ne voyions pas d'arbres. Laissez-moi regarder.
Où est mon miroir?
Je vois mieux.
En vois-tu?
Non. Nous sommes sans doute au-dessus des arbres. Mais il y a du vent. Je vais essayer de pousser la pierre. Oh! [Elles reculent devant le jet de soleil qui s'irrue et restent un moment en silence au fond de la salle.] Je n'y vois plus!
Va voir! va voir! J'ai peur!
Fermez les yeux! Je crois que je deviens aveugle!
Je vais voir moi-même.
Eh bien?
Oh! c'est une fournaise! et j'ai des meules rouges dans les yeux!
Mais ne voyez-vous rien!
Pas encore; si! si! le ciel est tout bleu. Et la forêt! Oh! toute la forêt!
Laissez-moi voir!
Attends! Je commence à voir!
Voyez-vous la ville?
Non.
Et le château?
Non.
C'est qu'il est de l'autre côté.
Mais cependant... je vois la mer.
Vous voyez la mer?
Oui, oui, c'est la mer! Elle est verte!
Mais alors, vous devez voir la ville. Laissez-moi regarder.
Je vois le phare!
Vous voyez le phare?
Oui. Je crois que c'est le phare...
Mais alors, vous devez voir la ville.
Je ne vois pas la ville.
Vous ne voyez pas la ville?
Je ne vois pas la ville.
Vous ne voyez pas le beffroi?
Non.
C'est étonnant!
Je vois un navire sur la mer!
Il y a un navire sur la mer?
Avec des voiles blanches!...
Où est-il?
Oh! le vent de la mer agite mes cheveux!--Mais il n'y a plus de maisons le long des routes!
Quoi?--Ne parlez pas ainsi vers l'extérieur, je n'entends rien.
Il n'y a plus de maisons le long des routes!
Il n'y a plus de maisons le long des routes?
Il n'y a plus de clochers dans la campagne!
Il n'y a plus de clochers dans la campagne?
Il n'y a plus de moulins dans les prairies!
Plus de moulins dans les prairies?
Je ne reconnais plus rien!
Laissez-moi regarder.--Il n'y a plus un seul paysan dans les champs. Oh! le grand pont de pierre est démoli.--Mais qu'est-ce qu'ils ont fait aux ponts-levis?--Voilà une ferme qui a brûlé!--Et celle-là aussi!--Mais celle-là aussi!--Mais celle-là aussi!--Mais!... oh! Maleine! Maleine!
Quoi?
Tout a brûlé! tout a brûlé! tout a brulé!
Tout a...?
Tout a brulé, Maleine! tout a brûlé! Oh, je vois maintenant!... Il n'y a plus rien!
Ce n'est pas vrai, laisse-moi voir!
Aussi loin qu'on peut voir tout a brulé! Toute la ville n'est plus qu'un tas de briques noires. Je ne vois plus que les fossés pleins de pierres du château! Il n'y a plus un homme ni une bête dans les champs! Il n'y a plus que les corbeaux dans les prairies! Il ne reste plus que les arbres!
Mais alors!...
Ah!...
ACTE II
SCÈNE I
Une forêt
[Entrent la princesse Maleine et la nourrice.]
Oh, qu'il fait noir ici!
Il fait noir! il fait noir! une forêt est-elle éclairée comme une salle de fête?--J'en ai vu de plus noires que celle-ci; et où il y avait des loups et des sangliers. Je ne sais d'ailleurs s'il n'y en a pas ici; mais, grâce à Dieu, il passe au moins un peu de lune et d'étoiles entre les arbres.
Sais-tu le chemin, maintenant, nourrice?
Le chemin? Ma foi non; je ne sais pas le chemin. Je n'ai jamais su le chemin; croyez-vous que je sache tous les chemins? Vous avez voulu aller à Ysselmonde; moi, je vous ai suivie; et voilà où nous en sommes depuis douze heures que vous me promenez dans cette forêt, où nous allons mourir de faim, à moins que nous ne soyons dévorées par les ours et les sangliers; et tout cela pour aller à Ysselmonde où vous serez bien reçue par le prince Hjalmar quand il vous verra venir, la peau sur les os, pâle comme une fille de cire et pauvre comme une qui n'a rien du tout.
Des hommes!
N'ayez pas peur; mettez-vous derrière moi.
[Entrent trois pauvres.]
Bonsoir!
Bonsoir! où sommes-nous?
Dans la forêt.
Que faites-vous ici?
Nous sommes perdues.
Vous êtes seules?
Oui--non, nous sommes ici avec deux hommes.
Où sont-ils?
Ils cherchent le chemin.
Est-ce qu'ils sont loin?
Non, ils vont revenir.
Quelle est cette petite? c'est votre fille?
Oui, c'est ma fille.
Elle ne dit rien; est-ce qu'elle est muette?
Non, elle n'est pas du pays.
Votre fille n'est pas du pays?
Si, si, mais elle est malade.
Elle est maigre. Quel âge a-t-elle?
Elle a quinze ans.
Oh! oh! alors elle commence... où sont-ils ces deux hommes?
Ils doivent être aux environs.
Je n'entends rien.
C'est qu'ils ne font pas de bruit.
Voulez-vous venir avec nous?
Ne dites pas de mauvaises paroles dans la forêt.
Demande-leur le chemin d'Ysselmonde?
Quel est le chemin d'Ysselmonde?
D'Ysselmonde?
Oui.
Demande-leur ce qui est arrivé.
Qu'est-ce qui est arrivé?
Ce qui est arrivé?
Oui; il y a eu une guerre?
Oui; il y a eu une guerre.
Demande-leur s'il est vrai que le roi et la reine soient morts?
Est-ce que le roi et la reine sont morts?
Le roi et la reine?
Oui, le roi Marcellus et la reine Godelive.
Oui, je crois qu'ils sont morts.
Ils sont morts?
Oui, je crois qu'ils sont morts; tout le monde est mort de ce côté-là dans le pays.
Mais vous ne savez depuis quand?
Non.
Vous ne savez pas comment?
Non.
Les pauvres ne savent jamais rien.
Avez-vous vu le prince Hjalmar?
Oui.
Il va se marier.
Le prince Hjalmar va se marier?
Oui.
Avec qui?
Je ne sais pas.
Mais quand va-t-il se marier?
Je ne sais pas.
Où pourrons-nous coucher cette nuit?
Avec nous.
Allez chez l'ermite.
Quel ermite?
Là-bas, au carrefour des quatre Judas.
Au carrefour des quatre Judas?
Ne criez pas ce nom dans l'obscurité!
[Ils sortent tous.]
SCÈNE II
Une salle dans le château.
[On découvre le roi Hjalmar et la reine Anne enlacés.]
Mon glorieux vainqueur!
Anne!
[Il l'embrasse.]
Attention, votre fils!
[Entre le prince Hjalmar; il va à une fenêtre ouverte, sans les voir.]
Il pleut; un enterrement dans le cimetière: on a creusé deux fosses et le dies irae entre dans la maison. On ne voit que le cimetière par toutes les fenêtres; il vient manger les jardins du château; et voilà que les dernières tombes descendent jusqu'à l'étang. On ouvre le cercueil, je vais fermer la fenêtre.
Monseigneur!
Ha!--Je ne vous avais pas vus.
Nous venons d'arriver.
Ah!
A quoi songiez-vous, Seigneur?
A rien, Madame.
A rien? C'est pour la fin du mois, Seigneur...
Pour la fin du mois, Madame?
Vos belles noces...
Oui, Madame.
Mais, approchez-vous donc, Seigneur.
Oui, approche-toi, Hjalmar.
Pourquoi donc êtes-vous si froid? Avez-vous peur de moi? Vous êtes presque mon fils cependant; et je vous aime comme une mère;--et peut-être plus qu'une mère;--donnez-moi votre main.
Ma main, Madame?
Oui, votre main; et regardez-moi dans les yeux;--n'y voyez-vous pas que je vous aime?--Vous ne m'avez jamais embrassée jusqu'ici.
Vous embrasser, Madame?
Oui, m'embrasser; n'embrassiez-vous pas votre mère? Je voudrais vous embrasser tous les jours.--J'ai rêvé de vous cette nuit...
De moi, Madame?
Oui, de vous. Je vous dirai mon rêve un jour.--Votre main est toute froide, et vos joues sont brûlantes. Donnez-moi l'autre main.
L'autre main?
Oui. Elle est froide aussi et pâle comme une main de neige. Je voudrais réchauffer ces mains-là!--Etes-vous malade?
Oui, Madame.
Notre amour vous guérira.
[Ils sortent.]
SCÈNE III
Une rue du village.
[Entrent la princesse Maleine et la nourrice.]
Je ne me reconnais plus quand je me vois dans l'eau!
Fermez votre manteau; on voit les franges d'or de votre robe;--voici des paysans!
[Entrent deux vieux paysans.]
Voilà la fille!
Celle qui est arrivée aujourd'hui?
Oui; avec une vieille.
D'où vient-elle?
On ne sait pas.
Alors ça ne me dit rien de bon.
On en parle dans tout le village.
Elle n'est pas extraordinaire cependant.
Elle est maigre.
Où demeure-t-elle?
Au «Lion bleu».
Est-ce qu'elle a de l'argent?
On dit que oui.
Il faudrait voir.
Bonsoir!
Bonsoir!
Il fait beau ce soir.
Oui, il fait assez beau.
C'est grâce à la lune.
Oui.
Mais il a fait chaud pendant le jour.
Oh! oui, il a fait chaud pendant le jour.
Je m'en vais me baigner.
Vous baigner!
Oui, je vais me déshabiller ici.
Vous déshabiller devant nous?...
Oui.
Venez!
Vous n'avez jamais vu un homme tout nu?
[Entre, en courant, une vieille femme en pleurs, elle va crier à la porte de l'auberge du v-Lion bleu.]
Au secours! au secours! Mon Dieu! mon Dieu! ouvrez donc! Ils s'assassinent avec de grands couteaux!
Qu'y a-t-il?
Mon fils! mon pauvre fils! Ils s'assassinent avec de grands couteaux! avec de grands couteaux de cuisine!
Qu'y a-t-il?
Une bataille!
Nous venons voir!
Où sont-ils?
Derrière «l'Etoile d'or», il se bat avec le forgeron à cause de cette fille qui est venue au village aujourd'hui; ils saignent déjà tous les deux!
Ils saignent déjà tous les deux?
Il y a déjà du sang sur les murs!
Il y a déjà du sang sur les murs?
Allons voir! Où sont-ils?
Derrière «l'Etoile d'or», on peut les voir d'ici.
On peut les voir d'ici?--avec de grands couteaux de cuisine?--comme ils doivent saigner!--Attention, le prince! [Ils rentrent tous dans l'auberge du «Lion bleu» entraînant la vieille femme qui crie et se débat.-- Entrent le prince Hjalmar et Angus.]
Hjalmar!
Cachez-vous!
[Elles sortent.]
Avez-vous vu cette petite paysanne?
Entrevue... entrevue...
Elle est étrange.
Je ne l'aime pas.
Moi, je la trouve admirable; et je vais en parler à la princesse Uglyane. Il lui faut une suivante. Oh, comme vous êtes pâle!
Je suis pâle?
Extraordinairement pâle! Etes-vous$ malade?
Non; c'est cette journée d'automne si étrangement chaude; j'ai cru vivre tout le jour dans une salle pleine de fiévreux; et maintenant, cette nuit froide comme une cave! Je ne suis pas sorti du château aujourd'hui et cette humidité du soir m'a saisi dans l'avenue.
Prenez garde! Il y a beaucoup de malades au village.
Oui, ce sont les marais; et voilà que je suis au milieu de marais, moi aussi!
Quoi?
J'ai entrevu aujourd'hui les flammes de péchés auxquels je n'ose pas encore donner un nom!
Je ne comprends pas.
Je n'ai pas compris non plus certains mots de la reine Anne, mais j'ai peur de comprendre!
Mais qu'est-il arrivé?
Peu de chose; mais j'ai peur de ce que je verrai de l'autre côté de mes noces... Oh! oh! regardez donc, Angus!
[Ici l'on voit le roi et la reine Anne qui s'embrassent à une fenêtre du château.]
Attention! ne regardez pas, ils vont nous voir.
Non, nous sommes dans l'obscurité et leur chambre est éclairée. Mais voyez donc comme le ciel devient rouge au-dessus du château!
Il y aura une tempête demain.
Elle ne l'aime pas cependant...
Allons-nous-en!
Je n'ose plus regarder ce ciel-là; et Dieu sait quelles couleurs il a pris au-dessus de nous aujourd'hui! Vous ne savez pas ce que j'ai entrevu cette après-midi dans ce château que je crois vénéneux, et où les mains de la reine Anne m'ont mis en sueur plus que ce soleil de septembre sur les murs!
Mais qu'est-il donc arrivé?
N'en parlons plus!--où est-elle cette petite paysanne?
[Cris dans l'auberge du «Lion bleu».]
Qu'est-ce que c'est?
Je ne sais; il y a eu toute l'après-midi une étrange agitation dans le village. Allons-nous-en, vous comprendrez un jour ce que j'ai dit.
[Ils sortent.]
Il est parti!
Il est parti?--Maintenant nous pouvons voir!--Comme ils doivent saigner!
Ils sont peut-être morts!
[Ils sortent tous.]
SCÈNE IV
Un appartement du château.
[On découvre la reine Anne, la princesse Uglyane, la princesse Maleine, vêtue comme une suivante, et une suivante.]
Apportez un autre manteau.--Je crois que le vert vaudra mieux.
Je n'en veux pas;--un manteau de velours vert paon, sur une robe vert d'eau!
Je ne sais pas.
«Je ne sais pas! je ne sais pas!» Vous ne savez jamais quand il s'agit des autres!
Voyons, ne te fâche pas! J'ai cru bien faire en te disant cela; tu vas arriver toute rouge au rendez-vous.
Je vais arriver toute rouge au rendez-vous! Ah! c'est à se jeter par les fenêtres! Vous ne savez plus qu'imaginer pour me faire souffrir!
Uglyane! Uglyane! Voyons, voyons.--Apportez un autre manteau.
Celui-ci, Madame?
Oui?--oh! oui!
Oui;--tourne-toi;--oui, oui, cela vaut infiniment mieux.
Et mes cheveux?--ainsi?
Il faudrait les lisser un peu plus sur le front.
Où est mon miroir?
Où est son miroir? [A Maleine.] Vous ne faites rien, vous? Apportez son miroir!--Elle est ici depuis huit jours et elle ne saura jamais rien!-- Est-ce que vous venez de la lune?--Allons! arrivez donc! Où êtes-vous?
Ici, Madame.
Mais ne penchez pas ainsi ce miroir!--J'y vois tous les saules pleureurs du jardin, ils ont l'air de pleurer sur votre visage.
Oui, ainsi!--mais laisse-les s'étaler sur le dos.--Malheureusement il fera trop noir dans le bois...
Il fera noir?
Il ne te verra pas,--il y a de gros nuages sur la lune.
Mais pourquoi veut-il que je vienne au jardin? si c'était au mois de juillet, ou bien pendant le jour; mais le soir, en automne! il fait froid! il pleut! il y a du vent! Mettrai-je des bijoux?
Evidemment.--Mais nous allons...
[Elle lui parle à l'oreille.]
Oui.
Allez-vous-en, et ne revenez pas avant qu'on vous appelle.
[Sortent la princesse Maleine et la suivante.]
SCÈNE V
Un corridor du château.
[Entre la princesse Maleine.--Elle va frapper à une porte au bout du corridor.]
Qui est là?
Moi!
Oui, vous?
La princesse Ma... la nouvelle suivante.
Que venez-vous faire ici?
Je viens de la part...
N'entrez pas! eh bien?
Je viens de la part du prince Hjalmar...
Oui, oui, elle vient! elle vient! un moment! Il n'est pas encore huit heures,--laissez-nous!
Un officier m'a dit qu'il était absent.
Qui est absent?
Le prince Hjalmar.
Le prince Hjalmar est absent?
Il a quitté le château.
Où est-il allé?
Qu'est-ce qu'il y a?
Le prince a quitté le château!
Quoi?
Le prince a quitté le château!
Oui.
Ce n'est pas possible!
Où est-il allé?
Je ne sais pas. Je crois qu'il est allé vers la orêt; et il fait dire qu'il ne pourra pas venir au endez-vous.
Qui vous a dit cela?
Un officier.
Quel officier?
Je ne sais pas son nom.
Où est-il, cet officier?
Il est parti avec le prince.
Pourquoi n'est-il pas venu lui-même?
J'ai dit que vous vouliez être seules.
Qui vous avait chargée de dire cela? Mon Dieu! mon Dieu! qu'est-il donc arrivé? Allez-vous-en!
[La porte se referme. Maleine sort.]
SCÈNE VI
Un bois dans un parc.
Elle m'a dit de l'attendre auprès du jet d'eau. Je veux la voir enfin en présence du soir... Je veux voir si la nuit la fera réfléchir.--Est-ce qu'elle aurait un peu de silence dans le coeur?--Je n'ai jamais vu ce bois d'automne plus étrange que ce soir. Je n'ai jamais vu ce bois plus obscur que ce soir; à quelles clartés allons-nous donc nous voir? Je ne distingue pas mes mains!--Mais qu'est-ce que toutes ces lueurs autour de moi? Tous les hiboux du parc sont donc venus ici! Allez-vous-en! Allez-vous-en! au cimetière! auprès des morts! [Il leur jette de la terre.] Est-ce qu'on vous invite aux nuits de noces? Voilà que j'ai des mains de fossoyeur à présent.--Oh! je ne reviendrai pas souvent!--Attention! elle vient!--Est-ce que c'est le vent?--Oh! comme les feuilles tombent autour de moi!--Mais il y a là un arbre qui se dépouille absolument! Et comme les nuages s'agitent sur la lune!--Mais ce sont des feuilles de saule pleureur qui tombent ainsi sur mes mains!--Oh! je suis mal venu ici!--Je n'ai jamais vu ce bois plus étrange que ce soir!--Je n'ai jamais vu plus de présages que ce soir! Elle est là!
[Entre la princesse Maleine.]
Où êtes-vous, Seigneur?
Ici.
Où donc?--Je ne vois pas.
Ici, près du jet d'eau.--Nous nous entreverrons à la clarté de l'eau. Il fait étrange ici ce soir.
Oui;--j'ai peur!--ah! je vous ai trouvé!
Pourquoi tremblez-vous?
Je ne tremble pas.
Je ne vous vois pas.--Venez ici; il fait plus clair, et renversez un peu la tête vers le ciel.--Vous êtes étrange aussi ce soir!--On dirait que mes yeux se sont ouverts ce soir.--On dirait que mon coeur s'est entr'ouvert ce soir...--Mais je crois que vous êtes vraiment belle!--Mais vous êtes étrangement belle, Uglyane!--Il me semble que je ne vous ai jamais regardée jusqu'ici!--Mais je crois que vous êtes étrangement belle!--Il y a quelque chose autour de vous ce soir...--Allons ailleurs, à la lumière!--Venez!
Pas encore.
Uglyane! Uglyane!
[Il l'embrasse: ici le jet d'eau, agité par le vent, se penche et rient retomber sur eux.]
J'ai peur!
Allons plus loin...
Quelqu'un pleure ici....
Quelqu'un pleure ici?...
J'ai peur.
Mais n'entendez-vous pas que c'est le vent?
Mais qu'est-ce que tous ces yeux sur les arbres?
Où donc? Oh! ce sont les hiboux qui sont revenus! Je vais les chasser. [Il leur jette de la terre.] Allez-vous-en! allez-vous-en!
Il y en a un qui ne veut pas s'en aller!
Où est-il?
Sur le saule pleureur.
Allez-vous-en!
Il ne s'en va pas!
Allez-vous-en! Allez-vous-en!
[Il lui jette de la terre.]
Oh! vous avez jeté de la terre sur moi!
J'ai jeté de la terre sur vous?
Oui, elle est retombée sur moi!
Oh! ma pauvre Uglyane!
J'ai peur!
Vous avez peur auprès de moi?
Il y a là des flammes entre les arbres.
Ce n'est rien;--ce sont des éclairs, il a fait très chaud aujourd'hui.
J'ai peur! oh! qui est-ce qui remue la terre autour de nous?
Ce n'est rien; c'est une taupe, une pauvre petite taupe qui travaille.
J'ai peur!...
Mais nous sommes dans le parc...
Y a-t-il des murs autour du parc?
Mais oui; il y a des murs et des fossés autour du parc.
Et personne ne peut entrer?
Non;--mais il y a bien des choses inconnues qui entrent malgré tout.
Je saigne du nez.
Vous saignez du nez?
Oui, où est mon mouchoir?
Allons au bassin.
Oh, ma robe est déjà pleine de sang!
Uglyane! Uglyane! regardez-moi...
Oui.
[Un silence.]
A quoi songez-vous?
Je suis triste!
Vous êtes triste? à quoi songez-vous, Uglyane
Je songe à la princesse Maleine.
Vous dites?
Je songe à la princesse Maleine.
Vous connaissez la princesse Maleine?
Je suis la princesse Maleine.
Quoi?
Je suis la princesse Maleine.
Vous n'êtes pas Uglyane.
Je suis la princesse Maleine.
Vous êtes la princesse Maleine! Vous êtes la princesse Maleine! Mais elle est morte!
Je suis la princesse Maleine.
[Ici la lune passe entre les arbres et éclaire la princesse Maleine.]
Oh! Maleine!--Mais d'où venez-vous? et comment êtes-vous venue jusqu'ici? Mais comment êtes-vous venue jusqu'ici?
Je ne sais pas.
Mon Dieu! mon Dieu! mon Dieu! mon Dieu! d'où me suis-je évadé aujourd'hui! Et quelle pierre vous avez soulevée cette nuit! Mon Dieu! mon Dieu! de quel tombeau suis-je sorti ce soir!--Maleine! Maleine! qu'allons-nous faire?--Maleine!... Je crois que je suis dans le ciel jusqu'au coeur!...
Oh! moi aussi!
[Ici le jet d'eau sanglote étrangement et meurt.]
Oh!
Qu'est-ce qu'il y a? qu'est-ce qu'il y a maintenant?
Ne pleurez pas; n'ayez pas peur. C'est le jet d'eau qui sanglote...
Qu'est-ce qui arrive ici? Qu'est-ce qui va arriver? Je veux m'en aller! je veux m'en aller! je veux m'en aller!
Ne pleurez pas!
Je veux m'en aller!
Il est mort; allons ailleurs.
[Ils sortent.]
ACTE III
SCÈNE I
Un appartement du château.
[On découvre le roi.--Entre le prince Hjalmar.]
Mon père?
Hjalmar?
J'aurais à vous parler, mon père.
De quoi voulez-vous me parler?
Vous êtes malade, mon père?
Oui; je suis malade, et voyez comme je deviens vieux! Presque tous mes cheveux sont tombés; voyez comme mes mains tremblent; et je crois que j'ai toutes les flammes de l'enfer dans la tête!
Mon père! mon pauvre père! Il faudrait vous éloigner; aller ailleurs peut-être... je ne sais pas...
Je ne puis pas m'éloigner!--Pourquoi êtes-vous venu? J'attends quelqu'un.
J'avais à vous parler.
De quoi?
De la princesse Maleine.
De quoi?--Je n'entends presque plus.
De la princesse Maleine. La princesse Maleine est revenue.
La princesse Maleine est revenue?
Oui.
Mais elle est morte!
Elle est revenue.
Mais je l'ai vue morte!
Elle est revenue.
Où est-elle?
Ici.
Ici, dans le château?
Oui.
Montrez-la! Je veux la voir!
Pas encore.--Mon père, je ne puis plus épouser Uglyane.
Vous ne pouvez plus épouser Uglyane?
Je n'ai jamais aimé que la princesse Maleine.
Ce n'est pas possible, Hjalmar!... Hjalmar!... Mais elle va s'en aller!...
Qui?
Anne!
Il faudrait l'y préparer peu à peu.
Moi?--l'y préparer--Ecoutez... je crois qu'elle monte l'escalier. Mon Dieu!... mon Dieu! que va-t-il arriver?--Hjalmar, attendez!...
[Il sort.]
Mon père! mon pauvre père!--Elle le fera mourir avant la fin du mois!
[Rentre le roi.]
Ne l'avertissez pas encore aujourd'hui!
[Il sort.]
Mon Dieu! mon dieu!--Je crois que je l'entends dans l'oratoire.--Elle va venir ici.--Depuis quelques jours elle me suit comme mon ombre. [Entre la reine Anne.] Bonsoir, Madame.
Ah! c'est vous Hjalmar.--Je ne m'attendais pas...
J'avais à vous parler, Madame.
Vous n'aviez jamais rien à me dire... Sommes-nous seuls?
Oui, Madame.
Alors venez ici. Asseyez-vous ici.
Ce n'est qu'un mot, Madame.--Avez-vous entendu parler de la princesse Maleine?
De la princesse Maleine?
Oui, Madame.
Oui, Hjalmar;--mais elle est morte.
On dit qu'elle vit peut-être.
Mais c'est le roi lui-même qui l'a tuée.
On dit qu'elle vit peut-être.
Tant mieux pour elle.
Vous la verrez peut-être.
Ah! ah! ah! dans l'autre monde alors?
Ah!...
[Il sort.]
Où allez-vous, Seigneur? et pourquoi fuyez-vous?--Mais pourquoi fuyez-vous?
[Elle sort.]
SCÈNE II
Une salle d'apparat dans le château.
[On découvre le roi, la reine Anne, Hjalmar, Ufilyane, Angus, des dames d'honneur, des seigneurs, etc. - On danse. Musique.]
Venez, ici, Monseigneur; vous me semblez transfiguré ce soir.
Ma fiancée n'est-elle pas près de moi?
Laissez-moi mettre un peu la main sur votre coeur. Oh! il bat déjà des ailes comme s'il voulait voler vers je ne sais quel ciel!
C'est votre main qui le retient, Madame.
Je ne comprends pas... je ne comprends pas. Vous m'expliquerez cela plus tard. [Au roi.] Vous êtes triste, Seigneur; à quoi songez-vous?
Moi?--Je ne suis pas triste mais je deviens très vieux.
Voyons, ne dites pas cela un soir de fête! Admirez plutôt votre fils; n'est-il pas admirable ainsi en pourpoint de soie noire et violette? et n'ai-je pas choisi un bel époux pour ma fille?
Madame, je m'en vais retrouver Angus. Il jettera un peu d'eau sur le feu tandis que vous n'y versez que de l'huile.
Mais ne nous revenez pas tout transi de la pluie de ses sages paroles...
Elles tomberont en plein soleil!
Hjalmar! Hjalmar!
Oh! je sais ce que vous allez dire; mais il n'est pas question de ce que vous croyez.
Je ne vous reconnais plus;--mais que vous est-il donc arrivé hier soir?
Hier soir?--Oh, il est arrivé d'étranges chose hier soir!--Mais j'aime mieux ne pas en parler à présent. Allez une nuit dans le bois du parc, près du jet d'eau; et vous remarquerez que c'est à certains moments seulement, et lorsqu'on les regarde, que les choses se tiennent tranquilles comme des enfants sages et ne semblent pas étranges et bizarres; mais dès qu'on leur tourne le dos, elles vous font des grimaces et vous jouent de mauvais tours.
Je ne comprends pas.
Moi non plus; mais j'aime mieux être au milieu des hommes; fussent-ils tous contre moi.
Quoi?
Ne vous éloignez pas.
Pourquoi?
Je ne sais pas encore.
Avez-vous bientôt fini, Monseigneur? On n'abandonne pas ainsi sa fiancée!
J'accours, Madame.
Angus vient de me raconter une étrange aventure, Uglyane.
Vraiment.
Oui.--Il s'agit d'une jeune fille; une pauvre jeune fille qui a perdu tous les biens qu'elle avait...
Oh!
Et elle veut l'épouser malgré tout. Elle l'attend au jardin tous les soirs; elle le poursuit au clair de lune; il n'a plus un instant de repos.
Que va-t-il faire?
Il n'en sait rien. Je lui ai dit de faire lever les ponts-levis, et de mettre un homme d'armes à chaque porte, afin qu'elle ne puisse plus entrer; il ne veut pas.
Pourquoi?
Je n'en sais rien.--Oh! ma chère Uglyane!
Ne grelottez-vous pas en entrant dans les grottes de glace du mariage?
Nous en ferons des grottes de flammes!
Je ne vois pas du tout danser d'ici.
Mais vous êtes à trois pas des danseurs, Monseigneur.
Je croyais en être très loin.
Avez-vous remarqué comme votre père a l'air pâle et fatigué depuis quelque temps?
Oui, oui...
Il vieillit étrangement.
Je crois que la mort commence à frapper à ma porte!
[Il tressaillent tous.--Silence.--La musique cesse subitement et on entend frapper à une porte.]
On frappe à la petite porte!
Entrez!
[La porte s'entr'ouvre et on aperçoit, dans l'entrebâillement, la princesse Maleine en longs vêtements blancs de fiancée.]
Qui est-ce qui entre?
La princesse Maleine!
Qui?
La princesse Maleine!
Fermez la porte.
Fermez la porte!
Pourquoi fermer la porte?
[Le roi tombe.]
Au secours! le roi se trouve mal!
Allez chercher un verre d'eau!
Mon père!--Aidez-moi!...
Allez chercher un prêtre!
Ouvrez les fenêtres!
Ecartez-vous$! Ecartez-vous!$
Appelez un médecin! Portons-le sur son lit! Aidez-moi!
Il y a une étrange tempête au-dessus du château.
[Ils sortent tous.]
SCÈNE III
Devant le château.
[Entrent le roi et la reine Anne.]
Mais on pourrait peut-être éloigner la petite?
Et la revoir le lendemain?--ou bien faut-il attendre une mer de misères? Faut-il attendre que Hjalmar la rejoigne?--faut-il...
Mon Dieu! mon Dieu! que voulez-vous que je fasse?
Vous ferez ce que vous voudrez; vous avez à choisir entre cette fille et moi.
On ne sait jamais ce qu'il pense...
Je sais qu'il ne l'aime pas. Il l'a crue morte. Avez-vous vu couler une larme sur ses joues?
Elles ne coulent pas toujours sur les joues.
Il ne se serait pas jeté dans les bras d'Uglyane.
Attendez quelques jours.--Il pourrait en mourir...
Nous attendrons.--Il ne s'en apercevra pas.
Je n'ai pas d'autre enfant...
Mais c'est pourquoi il faut le rendre heureux.--Attention! il arrive avec sa mendiante de cire; il l'a promenée autour des marais, et l'air du soir l'a déjà rendue plus verte qu'une noyée de quatre semaines. [Entrent le prince Hjalmar et la princesse Maleine.] Bonsoir, Hjalmar!--Bonsoir, Maleine! vous avez fait une belle promenade?
Oui, Madame.
Il vaut mieux cependant ne pas sortir le soir. Il faut que Maleine soit prudente. Elle me semble un peu pâle déjà. L'air des marais est très pernicieux.
On me l'a dit, Madame.
Oh! c'est un véritable poison!
Nous n'étions pas sortis de toute la journée; et le clair de lune nous a entraînés; nous avons été voir les moulins à vent le long du canal.
Il faut être prudente au commencement; j'ai été malade moi aussi.
Tout le monde est malade en venant ici.
Il y a beaucoup de malades au village.
Et beaucoup de morts au cimetière!
Voyons! n'effrayez pas cette enfant!
[Entre le fou.]
Maleine, le fou!
Oh!
Vous ne l'aviez pas encore vu, Maleine? N'ayez pas peur, n'ayez pas peur; il ne fait pas de mal. Il erre ainsi tous les soirs.
Il va, toutes les nuits, creuser des fosses dans les vergers.
Pourquoi?
On ne sait pas.
Est-ce moi qu'il montre du doigt?
Oui, n'y fais pas attention.
Il fait le signe de la croix!
Oh! oh! oh!
J'ai peur!
Il a l'air épouvanté.
Oh! oh! oh!
Il s'en va.
[Sort le fou.]
A quand les noces, Maleine?
Avant la fin du mois, si mon père y consent.
Oui, oui...
Vous savez que je reste ici jusqu'à vos noces; et Uglyane aussi; oh! la pauvre Uglyane! Hjalmar, Hjalmar, l'avez-vous abandonnée!
Madame!...
Oh! n'ayez pas de remords, il vaut mieux vous le dire aujourd'hui; elle obéissait à son père plus qu'à son coeur; elle vous aimait cependant; mais que voulez-vous? elle a été élevée et elle a passé son enfance avec le prince Orsic son cousin et cela ne s'oublie pas; elle a pleuré toutes les larmes de son pauvre petit coeur en le quittant, et j'ai dû la traîner jusqu'ici.
Il y a quelque chose de noir qui arrive.
De qui parlez-vous?
Quoi?
Il y a quelque chose de noir qui arrive.
Où donc?
Là-bas; dans le brouillard, du côté du cimetière.
Ah! ce sont les sept béguines.
Sept béguines!
Oui; elles viennent filer pour vos noces.
[Entrent la nourrice et sept béguines.]
Bonsoir! Bonsoir, Maleine!
Bonsoir!
Bonsoir, mes soeurs!
Oh! qu'est-ce qu'elle porte?
Qui?
La troisième, la vieille.
C'est de la toile pour vous, Maleine.
[Sortent les sept béguines.--On entend sonner une cloche.]
On sonne les vêpres;--viens, Maleine.
J'ai froid!
Tu es pâle, rentrons!
Oh! comme il y a des corbeaux autour de nous!
[Croassements.]
Viens!
Mais qu'est-ce que toutes ces flammes sur les marais?
[Feux follets sur les marais.]
On dit que ce sont des âmes.
Ce sont des feux follets.--Viens.
Oh! il y en a un très long qui va au cimetière!
Viens; viens.
Je rentre aussi;--Anne, venez-vous?
Je vous suis.[Sortent le roi, Hjalmar et Maleine.] Maleine m'a l'air un peu malade. Il faudra la soigner.
Elle est un peu pâle, Madame. Mais elle n'est pas malade. Elle est plus forte que vous ne le croyez.
Je ne serais pas étonnée si elle tombait malade...
[Elle sort avec la nourrice.]
SCÈNE IV
Une chambre dans la maison du médecin.
[Entre le médecin.]
Elle m'a demandé du poison; il y a un mystère au-dessus du château et je crois que ses murs vont tomber sur nos têtes; et malheur aux petits qui sont dans la maison! Il y a déjà d'étranges rumeurs autour de nous; et il me semble que de l'autre côté de ce monde on commence à s'inquiéter un peu de l'adultère. En attendant, ils entrent dans la misère jusqu'aux lèvres; et le vieux roi va mourir dans le lit de la reine avant la fin du mois... Il blanchit étrangement depuis quelques semaines et son esprit commence à chanceler en même temps que son corps. Il ne faut pas que je me trouve au milieu des tempêtes qui vont venir, il serait temps de s'en aller, il serait temps de s'en aller, et je n'ai pas envie d'entrer aveuglément avec elle en cet enfer! Il faut que je lui donne quelque poison presque inoffensif, qui lui fasse illusion; et j'ouvrirai les yeux avant qu'on ne ferme un tombeau. En attendant, je m'en lave les mains... Je ne veux pas mourir en essayant de soutenir une tour qui s'écroule!
[Il sort.]
SCÈNE V
Une cour du château.
[Entre le roi.]
Mon Dieu! mon Dieu! Je voudrais être ailleurs! Je voudrais pouvoir dormir jusqu'à la fin du mois; et que je serais heureux de mourir! Elle me conduit comme un pauvre épagneul; elle va m'entraîner dans une forêt de crimes, et les flammes de l'enfer sont au bout de ma route! Mon Dieu, si je pouvais revenir sur mes pas! Mais n'y avait-il pas moyen d'éloigner la petite? J'ai pleuré ce matin en la voyant malade! Si elle pouvait quitter ce château vénéneux!... Je voudrais m'en aller n'importe où! n'importe où! Je voudrais voir les tours s'écrouler dans l'étang! Il me semble que tout ce que je mange est empoisonné; et je crois que le ciel est vénéneux ce soir!--Mais ce poison, mon Dieu, dans ce pauvre petit corps blanc!... Oh! oh! oh! [Entre la reine.] Ils arrivent?
Oui, ils viennent.
Je m'en vais.
Quoi?
Je m'en vais; je ne puis plus voir cela.
Qu'est-ce que c'est? vous allez rester. Asseyez-vous là. N'ayez pas l'air étrange!
J'ai l'air étrange?
Oui. Ils s'en apercevront. Ayez l'air plus heureux.
Oh! oh! heureux!
Voyons, taisez-vous; ils sont là.
Mon Dieu! mon Dieu! comme elle est pâle!
[Entrent le prince Hjalmar, Maleine et le petit Allan.]
Eh bien, Maleine, comment allez-vous?
Un peu mieux; un peu mieux.
Vous avez meilleure mine; asseyez-vous ici, Maleine. J'ai fait apporter des coussins; l'air est très pur ce soir.
Il y a des étoiles.
Je n'en vois pas.
Je croyais en voir là-bas.
Où sont vos idées?
Je ne sais pas.
Etes-vous bien ainsi, Maleine?
Oui, oui.
Etes-vous fatiguée?
Un peu, Madame.
Je vais mettre ce coussin sous votre coude.
Merci, Madame.
Elle est si résignée! Oh! ma pauvre Maleine!
Voyons, voyons; ce n'est rien. Il faut du courage; c'est l'air des marais. Uglyane est malade elle aussi.
Uglyane est malade?
Elle est malade comme Maleine; elle ne quitte plus sa chambre.
Maleine ferait mieux de quitter le château.
Quoi?
Je disais que Maleine ferait peut-être mieux d'aller ailleurs...
Je l'ai dit également.