Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2: mises en ordre, revues et annotées d'après les manuscrits de l'auteur
65.—L'INDISCRET.
12 Décembre 1847.
Protection à l'industrie nationale! Protection au travail national! Il faut avoir l'esprit bien de travers et le cœur bien pervers pour décrier une si belle et bonne chose.
—Oui, certes, si nous étions bien convaincus que la protection, telle que l'a décrétée la Chambre du double vote, a augmenté le bien-être de tous les Français, nous compris; si nous pensions que l'urne de la Chambre du double vote, plus merveilleuse que celle de Cana, a opéré le miracle de la multiplication des aliments, des vêtements, des moyens de travail, de locomotion et d'instruction,—en un mot, de tout ce qui compose la richesse du pays,—il y aurait à nous ineptie et perversité à réclamer le libre-échange.
Et pourquoi, en ce cas, ne voudrions-nous pas de la protection? Eh! Messieurs, démontrez-nous que les faveurs qu'elle accorde aux uns ne sont pas faites aux dépens des autres; prouvez-nous qu'elle fait du bien à tout le monde, au propriétaire, au fermier, au négociant, au manufacturier, à l'artisan, à l'ouvrier, au médecin, à l'avocat, au fonctionnaire, au prêtre, à l'écrivain, à l'artiste, prouvez-nous cela, et nous vous promettons de nous ranger autour de sa bannière; car, quoi que vous en disiez, nous ne sommes pas fous encore.
Et, en ce qui me concerne, pour vous montrer que ce n'est pas par caprice et par étourderie que je me suis engagé dans la lutte, je vous vais conter mon histoire.
Après avoir fait d'immenses lectures, profondément médité, recueilli de nombreuses observations, suivi de semaine en semaine les fluctuations du marché de mon village, entretenu avec de nombreux négociants une active correspondance, j'étais enfin parvenu à la connaissance de ce phénomène:
Quand la chose manque, le prix s'élève.
D'où j'avais cru pouvoir, sans trop de hardiesse, tirer cette conséquence:
Le prix s'élève quand et parce que la chose manque.
Fort de cette découverte, qui me vaudra au moins autant de célébrité que M. Proudhon en attend de sa fameuse formule: La propriété, c'est le vol, j'enfourchai, nouveau Don Quichotte, mon humble monture, et entrai en campagne.
Je me présentai d'abord chez un riche propriétaire et lui dis:
—Monsieur, faites-moi la grâce de me dire pourquoi vous tenez tant à la mesure que prit en 1822 la Chambre du double vote relativement aux céréales?
—Eh, morbleu! la chose est claire, parce qu'elle me fait mieux vendre mon blé.
—Vous pensez donc que, depuis 1822 jusqu'en 1847, le prix du blé a été, en moyenne, plus élevé en France, grâce à cette loi, qu'il ne l'eût été sans elle?
—Certes oui, je le pense, sans quoi je ne la soutiendrais pas.
Et si le prix du blé a été plus élevé, il faut qu'il n'y ait pas en autant de blé en France, sous cette loi que sans cette loi; car si elle n'eût pas affecté la quantité, elle n'aurait pas affecté le prix.
—Cela va sans dire.
Je tirai alors de ma poche un mémorandum où j'écrivis ces paroles:
«De l'aveu du propriétaire, depuis vingt-neuf ans que la loi existe, il y a eu, en définitive, MOINS DE BLÉ en France qu'il n'y en aurait eu sans la loi.»
De là je me rendis chez un éleveur de bœufs.
—Monsieur, seriez-vous assez bon pour me dire par quel motif vous tenez à la restriction qui a été mise à l'entrée des bœufs étrangers par la Chambre du double vote?
—C'est que, par ce moyen, je vends mes bœufs à un prix plus élevé.
—Mais si le prix des bœufs est plus élevé à cause de cette restriction, c'est un signe certain qu'il y a eu moins de bœufs vendus, tués et mangés dans le pays, depuis vingt-sept ans, qu'il n'y en aurait eu sans la restriction?
—Belle question! nous n'avons voté la restriction que pour cela.
J'écrivis sur mon mémorandum ces mots:
«De l'aveu de l'éleveur de bœufs, depuis vingt-sept ans que la restriction existe, il y a eu MOINS DE BŒUFS en France qu'il n'y en aurait eu sans la restriction.»
De là je courus chez un maître de forges.
—Monsieur, ayez l'extrême obligeance de me dire pourquoi vous défendez si vaillamment la protection que la Chambre du double vote a accordée au fer?
—Parce que, grâce à elle, je vends mon fer à plus haut prix.
—Mais alors, grâce à elle aussi, il y a moins de fer en France que si elle ne s'en était pas mêlée; car si la quantité de fer offerte était égale ou supérieure, comment le prix pourrait-il être plus élevé?
—Il coule de source que la quantité est moindre, puisque cette loi a eu précisément pour but de prévenir l'invasion.
Et j'écrivis sur mes tablettes:
«De l'aveu du maître de forges, depuis vingt-sept ans, la France a eu MOINS DE FER par la protection qu'elle n'en aurait eu par la liberté.»
Voici qui commence à s'éclaircir, me dis-je; et je courus chez un marchand de drap.
—Monsieur, me refuserez-vous un petit renseignement? Il y a vingt-sept ans que la Chambre du double vote, dont vous étiez, a voté l'exclusion absolue du drap étranger. Quel a pu être son motif et le vôtre?
—Ne comprenez-vous pas que c'est afin que je tire meilleur parti de mon drap et fasse plus vite fortune?
—Je m'en doute. Mais êtes-vous bien sûr d'avoir réussi? Est-il certain que le prix du drap ait été, pendant ce temps, plus élevé que si la loi eût été rejetée?
—Cela ne peut faire l'objet d'un doute. Sans la loi, la France eût été inondée de drap, et le prix se serait avili; ce qui eût été un malheur effroyable.
—Je ne cherche pas encore si c'eût été un malheur; mais, quoi qu'il en soit, vous convenez que le résultat de la loi a été de faire qu'il y ait eu moins de drap en France?
—Cela a été non-seulement le résultat de la loi, mais son but.
—Fort bien, dis-je; et j'écrivis sur mon calepin:
«De l'aveu du fabricant, depuis vingt-sept ans, il y a eu MOINS DE DRAP en France à cause de la prohibition.»
Il serait trop long et trop monotone d'entrer dans plus de détails sur ce curieux voyage d'exploration économique.
Qu'il me suffise de vous dire que je visitai successivement un pasteur marchand de laine, un colon marchand de sucre, un fabricant de sel, un potier, un actionnaire de mines de houille, un fabricant de machines, d'instruments aratoires et d'outils,—et partout j'obtins la même réponse.
Je rentrai chez moi pour revoir mes notes et les mettre en ordre. Je ne puis mieux faire que de les publier ici.
«Depuis vingt-sept ans, grâce aux lois imposées au pays par la Chambre du double vote, il y a eu en France:
- Moins de blé;
 - Moins de viande;
 - Moins de laine;
 - Moins de houille;
 - Moins de bougies;
 - Moins de fer;
 - Moins d'acier;
 - Moins de machines;
 - Moins de charrues;
 - Moins d'outils;
 - Moins de draps;
 - Moins de toiles;
 - Moins de fils;
 - Moins de calicot;
 - Moins de sel;
 - Moins de sucre;
 
Et moins de toutes les choses qui servent à nourrir, vêtir, loger, meubler, chauffer, éclairer et fortifier les hommes.»
Par le grand Dieu du ciel, m'écriai-je, puisqu'il en est ainsi, la France a été moins riche.
En mon âme et conscience, devant Dieu et devant les hommes, par la mémoire de mon père, de ma mère et de mes sœurs, par mon salut éternel, par tout ce qu'il y a de cher, de précieux, de sacré et de saint en ce monde et dans l'autre, j'ai cru que ma conclusion était juste.
Et si quelqu'un me prouve le contraire, non-seulement je renoncerai à raisonner sur ces matières, mais je renoncerai à raisonner sur quoi que ce soit; car en quel raisonnement pourrai-je avoir confiance, si je n'en puis avoir en celui-là?
19 Décembre 1847.
«Vous vous rappelez parfaitement, cher lecteur...
—Je ne me rappelle absolument rien.
—Quoi! huit jours ont suffi pour effacer de votre souvenir l'histoire de cette mémorable campagne!
—Pensez-vous qu'on y va rêver huit jours durant? C'est une prétention bien indiscrète.
—Je vais donc recommencer.
—Ce serait ajouter une indiscrétion à une indiscrétion.
—Vous m'embarrassez. Si vous voulez que la fin du récit soit intelligible, il faut bien ne pas perdre de vue le commencement.
—Résumez-vous.
—Soit. Je disais qu'à mon retour de ma première pérégrination économique mon calepin constatait ceci: «D'après la déposition de tous les industriels protégés, la France a eu, par l'effet des lois restrictives de la Chambre du double vote, moins de blé, de viande, de fer, de drap, de toile, d'outils, de sucre, et moins de toutes choses qu'elle n'en aurait eu sans ces lois.»
—Vous me remettez sur la voie. Ces industriels disaient même que tel avait été non-seulement le résultat, mais le but des lois de la Chambre du double vote. Elles aspiraient à renchérir les produits en les raréfiant.
—D'où je déduisis ce dilemme: Ou elles n'ont pas raréfié les produits, et alors elles ne les ont pas renchéris, et le but a été manqué; ou elles les ont renchéris, et en ce cas elles les ont raréfiés, et la France a été moins bien nourrie, vêtue, meublée, chauffée et sucrée.
Plein de foi dans ce raisonnement, j'entrepris une seconde campagne. Je me présentai chez le riche propriétaire et le priai de jeter les yeux sur mon calepin, ce qu'il fit un peu à contre-cœur.
Quand il eut fini sa lecture, Monsieur, lui dis-je, êtes-vous bien sûr que, relativement à vous, les excellentes intentions de la Chambre du double vote aient réussi?
—Comment auraient-elles manqué de réussir? répondit-il; ne savez-vous pas que mieux je vends ma récolte, plus je suis riche?
—C'est assez vraisemblable.
—Et ne comprenez-vous pas que moins il y a de blé dans le pays, mieux je vends ma récolte?
—C'est encore vraisemblable.
—Ergo.....
—C'est cet ergo qui me préoccupe, et voici d'où viennent mes doutes. Si la Chambre du double vote n'eût stipulé de protection que pour vous, vous vous seriez enrichi aux dépens d'autrui. Mais elle a voulu que d'autres s'enrichissent à vos dépens, comme le constate ce calepin. Êtes-vous bien sûr que la balance de ces gains illicites soit en votre faveur?
—Je me plais à le croire. La Chambre du double vote était peuplée de gros propriétaires, qui n'avaient pas la cataracte à l'endroit de leurs intérêts.
—En tout cas, vous conviendrez que, dans l'ensemble de ces mesures restrictives, tout n'est pas profit pour vous, et que votre part de gain illicite est fort ébréchée par le gain illicite de ceux qui vous vendent le fer, les charrues, le drap, le sucre, etc.
—Cela va sans dire.
—En outre, je vous prie de peser attentivement cette considération: Si la France a été moins riche, comme le constate mon calepin...
—Indiscret calepin!
—Si, dis-je, la France a été moins riche, elle a dû moins manger. Beaucoup d'hommes qui se seraient nourris de blé et de viande ont été réduits à vivre de pommes de terre et de châtaignes. N'est-il pas possible que ce décroissement de consommation et de demande ait affecté le prix du blé dans le sens de la baisse, pendant que vos lois cherchaient à l'affecter dans le sens de la hausse? Et cette circonstance venant s'ajouter au tribut que vous payez aux maîtres de forge, aux actionnaires de mines, aux fabricants de drap, etc., ne tourne-t-elle pas, en définitive, contre vous le résultat de l'opération?
—Monsieur, vous me faites subir un interrogatoire fort indiscret. Je jouis de la protection, cela me suffit; et vos subtilités et vos généralités ne m'en feront pas démordre.
L'oreille basse, j'enfourchai ma monture et me rendis chez le fabricant de drap.
—Monsieur, lui dis-je, que penseriez-vous de l'architecte qui, pour exhausser une colonne, prendrait à la base de quoi ajouter au sommet?
—Je demanderais pour lui une place à Bicêtre.
—Et que penseriez-vous d'un fabricant qui, pour accroître son débit, ruinerait sa clientèle?
—Je l'enverrais tenir compagnie à l'architecte.
—Permettez-moi donc de vous prier de jeter un regard sur ce calepin. Il renferme votre déposition et bien d'autres, d'où il résulte clairement que les lois restrictives émanées de la Chambre du double vote, dont vous étiez, ont fait la France moins riche qu'elle n'eût été sans ces lois. Ne vous est-il jamais tombé dans l'idée que si le monopole vous livre la consommation du pays, il ruine les consommateurs; et que, s'il vous assure le débouché national, il a aussi pour effet, premièrement, de vous interdire dans une forte proportion vos débouchés au dehors, et de restreindre considérablement vos débouchés au dedans par l'appauvrissement de votre chalandise?
—Il y a bien là une cause de diminution pour mes profits; mais le monopole du drap, à lui tout seul, n'a pu appauvrir ma clientèle au point que ma perte surpasse mon bénéfice.
—Je vous prie de considérer que votre clientèle est appauvrie, non-seulement par le monopole du drap, mais aussi, comme le constate ce calepin, par le monopole du blé, de la viande, du fer, de l'acier, du sucre, du coton, etc.
—Monsieur, votre insistance devient indiscrète. Je fais mes affaires, que ma clientèle fasse les siennes.
—C'est ce que je vais lui conseiller.
Et, pensant que le même accueil m'attendait chez tous les protégés, je me dispensai de poursuivre mes visites. Je serai plus heureux, me dis-je, auprès des non-protégés. Ils ne font pas la loi, mais ils font l'opinion, car ils sont incomparablement les plus nombreux. J'irai donc voir les négociants, banquiers, courtiers, assureurs, professeurs, prêtres, auteurs, imprimeurs, menuisiers, charpentiers, charrons, forgerons, maçons, tailleurs, coiffeurs, jardiniers, meuniers, modistes, avocats, avoués, et, en particulier, cette classe innombrable d'hommes qui n'ont rien au monde que leurs bras.
Justement le hasard me servit, et je tombai au milieu d'un groupe d'ouvriers.
—Mes amis, leur dis-je, voici un précieux calepin. Veuillez y jeter un coup d'œil. Vous le voyez, d'après la déposition des protégés eux-mêmes, la France est moins riche par l'effet des lois de la Chambre du double vote qu'elle ne le serait sans ces lois.
Un ouvrier. Est-il bien sûr que la perte retombe sur nous?
—Je ne sais, repris-je, c'est ce qu'il s'agit d'examiner; il est certain qu'il faut qu'elle retombe sur quelqu'un. Or, les protégés affirment qu'elle ne les frappe pas; donc, elle doit frapper les non-protégés.
Un autre ouvrier. Cette perte est-elle bien grande?
—Il me semble qu'elle doit être énorme pour vous; car les protégés, tout en avouant que l'effet de ces lois est de diminuer la masse des richesses, affirment que, quoique la masse soit plus petite, ils prennent une part plus grande; d'où il suit que la perte des non-protégés doit être double.
L'ouvrier. À combien l'estimez-vous?
—Je ne puis l'apprécier en chiffres, mais je puis me servir de chiffres pour faire comprendre ma pensée. Représentons par 1,000 la richesse qui existerait en France sans ces lois, et par 500 la part qui reviendrait aux protégés. Celle des non-protégés serait aussi de 500. Puisqu'il est reconnu que les lois restrictives ont diminué le total, nous pouvons le représenter par 800; et puisque les protégés affirment qu'ils sont plus riches qu'ils ne le seraient sans ces lois, ils retirent plus de 500. Admettons 600. Il ne vous reste que 200 au lieu de 500. Par où vous voyez que, pour gagner 1, ils vous font perdre 3.
L'ouvrier. Est-ce que ces chiffres sont exacts?
—Je ne les donne pas pour tels; je veux seulement vous faire comprendre que, si sur un tout plus petit, les protégés prennent une part plus grande, les non-protégés portent tout le poids non-seulement de la diminution totale, mais encore de l'excédant que les protégés s'attribuent.
L'ouvrier. S'il en est ainsi, ne doit-il pas arriver que la détresse des non-protégés rejaillisse sur les protégés?
—Je le crois. Je suis convaincu qu'à la longue la perte tend à se répartir sur tout le monde. J'ai essayé de le faire comprendre aux protégés, mais je n'ai pas réussi.
Un autre ouvrier. Quoique la protection ne nous soit pas accordée directement, on assure qu'elle nous arrive par ricochet.
—Alors il faut renverser tout notre raisonnement en partant toujours de ce point fixe et avoué, que la restriction amoindrit le total de la richesse nationale. Si, néanmoins, votre part est plus grande, celle des protégés est doublement ébréchée. En ce cas, pourquoi réclamez-vous le droit de suffrage? Assurément, vous devez laisser à des hommes si désintéressés le soin de faire les lois.
Un autre ouvrier. Êtes-vous démocrate?
—Je suis de la démocratie, si vous entendez par ce mot: À chacun la propriété de son travail, liberté pour tous, égalité pour tous, justice pour tous, et paix entre tous.
—Comment se fait-il que les meneurs du parti démocratique soient contre vous?
—Je n'en sais rien.
—Oh! ils vous habillent de la belle façon!
—Et que peuvent-ils dire?
—Ils disent que vous êtes des docteurs; ils disent en outre que vous avez raison en principe.
—Qu'entendent-ils par là?
—Ils entendent tout simplement que vous avez raison; que la restriction est injuste et dommageable; qu'elle diminue la richesse générale; que cette réduction frappe tout le monde, et particulièrement, comme vous dites, la classe ouvrière, et que c'est une des causes qui nous empêchent, nous et nos familles, de nous élever en bien-être, en instruction, en dignité et en indépendance. Ils ajoutent qu'il est bon que les choses soient ainsi; qu'il est fort heureux que nous souffrions et nous méprenions sur la cause de nos souffrances, et que le triomphe de vos doctrines, en soulageant nos misères et dissipant nos préjugés, éloignerait les chances de la grande guerre qu'ils attendent avec impatience[105].
—Ainsi ils se mettent du côté de l'iniquité, de l'erreur et de la souffrance, le tout pour arriver à la grande guerre?
—Ils font à ce sujet des raisonnements admirables.
—En ce cas, je ne suis ici qu'un indiscret, et je me retire.
66.—LE SUCRE ANTÉDILUVIEN.
13 Février 1818.
On croit que le sucre est d'invention moderne; c'est une erreur. L'art de le fabriquer a pu se perdre au déluge; mais il était connu avant ce cataclysme, ainsi que le prouve un curieux document historique, trouvé dans les grottes de Karnak, et dont on doit la traduction au savant polyglotte, l'illustre cardinal Mezzofante. Nous reproduisons cet intéressant écrit, qui confirme d'ailleurs cette sentence de Salomon: Il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
«En ce temps-là, entre le 42e et le 52e parallèle, il y avait une grande, riche, puissante, spirituelle et brave nation de plus de 36 millions d'habitants, qui tous aimaient le sucre. Le nom de ce peuple est perdu: nous l'appellerons Welche.
Comme leur climat n'admettait pas la culture du saccharum officinarum, les Welches furent d'abord fort embarrassés.
Cependant ils s'avisèrent d'un expédient fort étrange et qui n'avait qu'un tort, celui d'être essentiellement théorique, c'est-à-dire raisonnable.
Ne pouvant créer le sucre en nature, ils imaginèrent d'en créer la valeur.
C'est-à-dire qu'ils faisaient du vin, de la soie, du drap, de la toile et autres marchandises, qu'ils envoyaient dans l'autre hémisphère pour recevoir du sucre en échange.
Un nombre immense de négociants, armateurs, navires et marins étaient occupés à accomplir cette transaction.
D'abord, les Welches crurent bonnement avoir trouvé le moyen le plus simple, dans leur situation, de se sucrer. Comme ils pouvaient choisir, sur plus de la moitié du globe, le point où l'on donnait le plus de sucre contre le moins de vin ou de toile, ils se disaient: Vraiment, si nous faisions le sucre nous-mêmes, à travail égal, nous n'en obtiendrions pas la dixième partie!
C'était trop simple, en effet, pour des Welches, et cela ne pouvait durer.
Un grand homme d'État (amiral sans emploi) jeta un jour parmi eux cette terrible pensée: «Si jamais nous avons une guerre maritime, comment ferons-nous pour aller chercher du sucre?»
À cette réflexion judicieuse tous les esprits furent troublés, et voici de quoi l'on s'avisa.
On se mit en devoir d'accaparer, précisément dans cet autre hémisphère avec lequel on craignait de voir les communications interrompues, un imperceptible lopin de terre, disant: «Que cet atome soit à nous, et notre provision de sucre est assurée.»
Donc, en prévision d'une guerre possible, on fit une guerre réelle qui dura cent ans. Enfin, elle se termina par un traité qui mit les Welches en possession du lopin de terre convoité, lequel prit nom: Saccharique.
Ils s'imposèrent de nouvelles taxes pour payer les frais de la guerre; puis de nouvelles taxes encore pour organiser une puissante marine afin de conserver le lopin.
Cela fait, il fut question de tirer parti de la précieuse conquête.
Le petit recoin des antipodes était rebelle à la culture. Il avait besoin de protection. Il fut décidé que le commerce de la moitié du globe serait désormais interdit aux Welches, et que pas un d'entre eux ne pourrait sucer une boule de sucre qui ne vînt du lopin en question.
Ayant ainsi tout arrangé, taxes et restrictions, on se frotta les mains, disant: Ceci n'est pas de la théorie.
Cependant quelques Welches, traversant l'Océan, allèrent à Saccharique pour y cultiver la canne. Mais il se trouva qu'ils ne pouvaient supporter le travail sous ce climat énervant. On alla alors dans une autre partie du monde, puis, y ayant enlevé des hommes tout noirs, on les transporta sur l'îlot, et on les contraignit, à grands coups de bâton, à le cultiver.
Malgré cet expédient énergique, le petit îlot ne pouvait fournir le demi-quart du sucre qui était nécessaire à la nation Welche. Le prix s'en éleva, ainsi qu'il arrive toujours quand dix personnes recherchent une chose dont il n'y a que pour une. Les plus riches d'entre les Welches purent seuls se sucrer.
La cherté du sucre eut un autre effet. Elle excita les planteurs de Saccharique à aller enlever un plus grand nombre d'hommes noirs, afin de les assujettir, toujours à grands coups de bâton, à cultiver la canne jusque sur les sables et les rochers les plus arides. On vit alors ce qui ne s'était jamais vu, les habitants d'un pays ne rien faire directement pour pourvoir à leur subsistance et à leur vêtement, et ne travailler que pour l'exportation.
Et les Welches disaient: C'est merveilleux de voir comme le travail se développe sur notre îlot des antipodes.
Pourtant, dans la suite des temps, les plus pauvres d'entre eux se prirent à murmurer en ces termes:
«Qu'avons-nous fait? Voilà que le sucre n'est plus à notre portée. En outre, nous ne faisons plus le vin, la soie et la toile qui se répandaient dans tout un hémisphère. Notre commerce est réduit à ce qu'un petit rocher peut donner et recevoir. Notre marine marchande est aux abois, et les taxes nous accablent.»
Mais on leur répondait avec raison: N'est-ce pas une gloire pour vous d'avoir une possession aux antipodes? Quant au vin, buvez-le. Quant à la toile et au drap, on vous en fera faire en vous accordant des priviléges. Et pour ce qui est des taxes, il n'y a rien de perdu, puisque l'argent qui sort de vos poches entre dans les nôtres.
Quelquefois ces mêmes rêveurs demandaient: À quoi bon cette grande marine militaire? On leur répondait: À conserver la colonie.—Et s'ils insistaient, disant: À quoi bon la colonie? on leur répliquait sans hésiter: À conserver la marine militaire.
Ainsi les pauvres utopistes étaient battus sur tous les points.
Cette situation, déjà fort compliquée, s'embrouilla encore par un événement imprévu.
Les hommes d'État du pays des Welches, se fondant sur ce que l'avantage d'avoir une colonie entraînait de grandes dépenses, avaient jugé qu'en bonne justice, elles devaient retomber, du moins en partie, sur les mangeurs de sucre. En conséquence, ils l'avaient frappé d'un lourd impôt.
En sorte que le sucre, déjà fort cher, renchérit encore de tout le montant de la taxe.
Or, quoique le pays des Welches ne fût pas propre à la culture de la canne, comme il n'y a rien qu'on ne puisse faire moyennant une suffisante dose de travail et de capital, les chimistes, alléchés par les hauts prix, se mirent à chercher du sucre partout, dans la terre, dans l'eau, dans l'air, dans le lait, dans le raisin, dans la carotte, dans le maïs, dans la citrouille; et ils firent tant qu'ils finirent par en trouver un peu dans un modeste légume, dans une plante jugée jusque-là si insignifiante, qu'on lui avait donné ce nom doublement humiliant: Beta vulgaris.
On fit donc du sucre chez les Welches; et cette industrie, contrariée par la nature, mais secondée par l'intelligence de travailleurs libres et surtout par l'élévation factice des prix, fit de rapides progrès.
Bon Dieu! qui pourrait dire la confusion que cette découverte jeta dans la situation économique des Welches. Bientôt, elle compromit tout à la fois et la production si dispendieuse du sucre dans le petit îlot des antipodes, et ce qui restait de marine marchande occupée à faire le commerce de cet îlot, et la marine militaire elle-même, qui ne peut se recruter que dans la marine marchande.
En présence de cette perturbation inattendue, tous les Welches se mirent à chercher une issue raisonnable.
Les uns disaient: Revenons peu à peu à l'état de choses qui s'était établi naturellement, avant que d'absurdes systèmes ne nous eussent jetés dans ce désordre. Comme autrefois, faisons du sucre sous forme de vin, de soie, et de toile; ou plutôt laissons ceux qui veulent du sucre en créer la valeur sous la forme qui leur convient. Alors nous aurons du commerce avec un hémisphère tout entier; alors notre marine marchande se relèvera et notre marine militaire aussi, si besoin est. Le travail libre, essentiellement progressif, surmontera le travail esclave, essentiellement stationnaire. L'esclavage mourra de sa belle mort, sans qu'il soit nécessaire que les peuples fassent des uns aux autres une police pleine de dangers. Le travail et les capitaux prendront partout la direction la plus avantageuse. Sans doute, pendant la transition, il y aura quelques intérêts froissés. Nous leur viendrons en aide le plus possible. Mais quand on a fait depuis longtemps fausse route, il est puéril de refuser d'entrer dans la bonne voie parce qu'il faut se donner quelque peine.
Ceux qui parlaient ainsi furent traités de novateurs, d'idéologues, de métaphysiciens, de visionnaires, de traîtres, de perturbateurs du repos public.
Les hommes d'État disaient: «Il est indigne de nous de chercher à sortir d'une situation artificielle par un retour vers une situation naturelle. On n'est pas grand homme pour si peu. Le comble de l'art est de tout arranger sans rien déranger. Ne touchons pas à l'esclavage, ce serait dangereux; ni au sucre de betterave, ce serait injuste; n'admettons pas le commerce libre avec tout l'autre hémisphère, ce serait la mort de notre colonie; ne renonçons pas à la colonie, ce serait la mort de notre marine; et ne restons pas dans le statu quo, ce serait la mort de tous les intérêts.»
Ceux-ci acquirent un grand renom d'hommes modérés et pratiques. On disait d'eux: Voilà d'habiles administrateurs, qui savent tenir compte de toutes les difficultés.
Tant il y a que, pendant qu'on cherchait un changement qui ne changeât rien, les choses furent toujours en empirant, jusqu'à ce que survint la solution suprême, le déluge, qui a tranché, en les engloutissant, cette question et bien d'autres.»
67.—MONITA SECRETA.
20 Février 1848.
Un grand nombre d'électeurs protectionnistes catalans ont rédigé, pour leur député, une sorte de Cahier dont une copie nous a été communiquée. En voici quelques extraits assez curieux.
N'oubliez jamais que votre mission est de maintenir et étendre nos priviléges. Vous êtes Catalan d'abord et Espagnol ensuite.
Le ministre vous promettra faveur pour faveur. Il vous dira: Votez les lois qui me conviennent; j'étendrai ensuite vos monopoles. Ne vous laissez pas prendre à ce piége, et répondez: Étendez d'abord nos monopoles, et je voterai ensuite vos lois.
Ne vous asseyez ni à gauche, ni à droite, ni au centre. Quand on est inféodé au ministère, on n'obtient pas grand'-chose; et quand on lui fait de l'opposition systématique, on n'obtient rien. Prenez votre siége au centre gauche, ou au centre droit. Les positions intermédiaires sont les meilleures. L'expérience le prouve. Là, on se rend redoutable par les boules noires, et l'on se fait bien venir par les boules blanches.
Lisez à fond dans l'âme du ministre, et aussi dans celle du chef de parti qui aspire à le remplacer. Si l'un est restrictionniste par nécessité et l'autre par instinct, poussez à un changement de cabinet. Le nouvel occupant vous donnera deux garanties au lieu d'une.
Il n'est pas probable que le ministre vous demande jamais des sacrifices par amour de la justice, de la liberté, de l'égalité; mais il pourrait y être conduit par les nécessités du Trésor. Il se peut qu'il vous dise un jour: «Je n'y puis plus tenir. L'équilibre de mon budget est rompu. Il faut que je laisse entrer les produits français pour avoir une occasion de perception.»
Tenez-vous prêt pour cette éventualité, qui est la plus menaçante et même la seule menaçante en ce moment. Il faut avoir deux cordes à votre arc. Entendez-vous avec vos corestrictionnistes du centre, et menacez de faire passer un gros bataillon à gauche. Le ministre effrayé aura recours à un emprunt, et nous y gagnerons un an, peut-être deux; le peuple payera les intérêts.
Si pourtant le ministre insiste, ayez à lui proposer un nouvel impôt; par exemple, une taxe sur le vin. Dites que le vin est la matière imposable par excellence. Cela est vrai, puisque le vigneron est par excellence le contribuable débonnaire.
Surtout ne vous avisez pas, par un zèle mal entendu, de parer le coup en faisant allusion à la moindre réduction de dépenses. Vous vous aliéneriez tous les ministres présents et futurs, et de plus, tous les journalistes, ce qui est fort grave.
Vous pouvez bien parler d'économies en général, cela rend populaire. Tenez-vous-en au mot. Cela suffit aux électeurs.
Nous venons de parler des journalistes. Vous savez que la presse est le quatrième pouvoir de l'État, nous pourrions dire le premier. Vous ne sauriez employer avec elle une diplomatie trop profonde.
Si, par le plus grand des hasards, il se rencontre un journal disposé à vendre les questions, achetez la nôtre. C'est un moyen fort expéditif. Mais il serait encore mieux d'acheter le silence; c'est moins coûteux, et, à coup sûr, plus prudent. Quand on a contre soi la raison et la justice, le plus sûr est d'étouffer la discussion.
Quant aux théories que vous aurez à soutenir, voici la grande règle:
S'il y a deux manières de produire une chose, que l'une de ces manières soit dispendieuse et l'autre économique, frappez d'une taxe la manière économique au profit de la manière dispendieuse. Par exemple, si avec soixante journées de travail consacré à produire de la laine, les Espagnols peuvent faire venir de France dix varas de drap, et qu'il leur faille cent journées de travail pour obtenir ces dix varas de drap en les fabriquant eux-mêmes, favorisez le second mode aux dépens du premier. Vous ne pouvez vous figurer tous les avantages qu'il en résultera.
D'abord, tous les hommes qui emploient la manière dispendieuse vous seront reconnaissants et dévoués. Vous aurez en eux un fort appui.
Ensuite, le mode économique disparaissant peu à peu du pays et le mode dispendieux s'étendant sans cesse, vous verrez grossir le nombre de vos partisans et s'affaiblir celui de vos adversaires.
Enfin, comme un mode plus dispendieux implique plus de travail, vous aurez pour vous tous les ouvriers et tous les philanthropes. Il vous sera aisé, en effet, de montrer combien le travail serait affecté, si on laissait se relever le mode économique.
Tenez-vous-en à cette première apparence et ne souffrez pas qu'on aille au fond des choses, car qu'arriverait-il?
Il arriverait que certains esprits, trop enclins à l'investigation, découvriraient bientôt la supercherie. Ils s'apercevraient que si la production des dix varas de drap occupe cent journées, il y a soixante journées de moins consacrées à la production de la laine, contre laquelle on recevait autrefois dix varas de drap français.
Ne disputez pas sur cette première compensation; c'est trop clair, vous seriez battu; mais montrez toujours les autres quarante journées mises en activité par le mode dispendieux.
Alors on vous répondra: «Si nous nous en étions tenus au mode économique, le capital qui a été détourné vers la production directe du drap aurait été disponible dans le pays; il y aurait produit des choses utiles et aurait fait travailler ces quarante ouvriers que vous prétendez avoir tirés de l'oisiveté. Et quant aux produits de leur travail, ils auraient été achetés précisément par les consommateurs de drap, puisque, obtenant à meilleur marché le drap français, une somme de rémunération suffisante pour payer quarante ouvriers serait restée disponible aussi entre leurs mains.»
Ne vous engagez pas dans ces subtilités. Traitez de rêveurs, idéologues, utopistes et économistes ceux qui raisonnent de la sorte.
Ne perdez jamais ceci de vue. Dans ce moment, le public ne pousse pas l'investigation aussi loin. Le plus sûr moyen de lui faire ouvrir les yeux, ce serait de discuter. Vous avez pour vous l'apparence, tenez-vous-y et riez du reste.
Il se peut qu'un beau jour les ouvriers, ouvrant les yeux, disent:
«Puisque vous forcez la cherté des produits par l'opération de la loi, vous devriez bien aussi, pour être justes, forcer la cherté des salaires par l'opération de la loi.»
Laissez tomber l'argument aussi longtemps que possible. Quand vous ne pourrez plus vous taire, répondez: La cherté des produits nous encourage a en faire davantage; pour cela, il nous faut plus d'ouvriers. Cet accroissement de demande de main-d'œuvre hausse vos salaires, et c'est ainsi que nos priviléges s'étendent à vous par ricochet.
L'ouvrier vous répondra peut-être: «Cela serait vrai si l'excédant de production excité par la cherté se faisait au moyen de capitaux tombés de la lune. Mais si vous ne pouvez que les soutirer à d'autres industries, n'y ayant pas augmentation de capital, il ne peut y avoir augmentation de salaires. Nous en sommes pour payer plus cher les choses qui nous sont nécessaires, et votre ricochet est une déception.»
Donnez-vous alors beaucoup de mal pour expliquer et embrouiller le mécanisme du ricochet.
L'ouvrier pourra insister et vous dire:
«Puisque vous avez tant de confiance dans les ricochets, changeons de rôle. Ne protégez plus les produits, mais protégez les salaires. Fixez-les législativement à un taux élevé. Tous les prolétaires deviendront riches; ils achèteront beaucoup de vos produits, et vous vous enrichirez par ricochet[106].»
Nous faisons ainsi parler un ouvrier, pour vous montrer combien il est dangereux d'approfondir les questions. C'est ce que vous devez éviter avec soin. Heureusement, les ouvriers, travaillant matin et soir, n'ont guère le temps de réfléchir. Profitez-en; parlez à leurs passions; déclamez contre l'étranger, contre la concurrence, contre la liberté, contre le capital, afin de détourner leur attention du privilége.
Attaquez vertement, en toute occasion, les professeurs d'économie politique. S'il est un point sur lequel ils ne s'accordent pas, concluez qu'il faut repousser les choses sur lesquelles ils s'accordent.
Voici le syllogisme dont vous pourrez faire usage:
«Les économistes sont d'accord que les hommes doivent être égaux devant la loi;
«Mais ils ne sont pas d'accord sur la théorie de la rente;
«Donc ils ne sont pas d'accord sur tous les points;
«Donc il n'est pas certain qu'ils aient raison quand ils disent que les hommes doivent être égaux devant la loi;
«Donc il faut que les lois créent des priviléges pour nous aux dépens de nos concitoyens.»
Ce raisonnement fera un très-bon effet.
Il est un autre mode d'argumentation que vous pourrez employer avec beaucoup de succès.
Observez ce qui se passe sur la surface du globe, et s'il y survient un accident fâcheux quelconque, dites: Voilà ce que fait la liberté.
Si donc Madrid est incendié, et si, pour le reconstruire à moins de frais, on laisse entrer du bois et du fer étrangers, attribuez l'incendie, ou du moins tous les effets de l'incendie, à cette liberté.
Un peuple a labouré, fumé, hersé, semé et sarclé tout son territoire. Au moment de récolter, sa moisson est emportée par un fléau; ce peuple est placé dans l'alternative ou de mourir de faim, ou de faire venir des subsistances du dehors. S'il prend ce dernier parti, et il le prendra certainement, il y aura un grand dérangement dans ses affaires ordinaires; cela est infaillible: il éprouvera une crise industrielle et financière. Dissimulez avec soin que cela vaut mieux, après tout, que de mourir d'inanition, et dites: «Si ce peuple n'avait pas eu la liberté de faire venir des subsistances du dehors, il n'aurait pas subi une crise industrielle et financière.» (V. les nos 21 et 30.)
Nous pouvons vous assurer, par expérience, que ce raisonnement vous fera grand bonheur.
Quelquefois on invoquera les principes. Moquez-vous des principes, ridiculisez les principes, bafouez les principes. Cela fait très-bien auprès d'une nation sceptique.
Vous passerez pour un homme pratique, et vous inspirerez une grande confiance.
D'ailleurs vous induirez ainsi la législature à mettre, dans chaque cas particulier, toutes les vérités en question, ce qui nous fera gagner du temps. Songez où en serait l'astronomie, si ce théorème: Les trois angles d'un triangle sont égaux à deux angles droits, n'était pas admis, après démonstration, une fois pour toutes, et s'il fallait le prouver en toute rencontre? On n'en finirait pas.
De même, si vos adversaires prouvent que toute restriction entraîne deux pertes pour un profit, exigez qu'ils recommencent la démonstration dans chaque cas particulier, et dites hardiment qu'en économie politique il n'y a pas de vérité absolue[107].
Profitez de l'immense avantage d'avoir affaire à une nation qui pense que rien n'est vrai ni faux.
Conservez toujours votre position actuelle à l'égard de nos adversaires.
Que demandons-nous? des priviléges.
Que demandent-ils? la liberté.
Ils ne veulent pas usurper nos droits, ils se contentent de défendre les leurs.
Heureusement, dans leur ardeur impatiente, ils sont assez mauvais tacticiens pour chercher des preuves. Laissez-les faire. Ils s'imposent ainsi le rôle qui nous revient. Faites semblant de croire qu'ils proposent un système nouveau, étrange, compliqué, hasardeux, et que l'onus probandi leur incombe. Dites que vous, au contraire, ne mettez en avant ni théorie ni système. Vous serez affranchi de rien prouver. Tous les hommes modérés seront pour vous.
68.—PETITES AFFICHES DE JACQUES BONHOMME[108].
12 Mars 1848.
I
SOULAGEMENT IMMÉDIAT DU PEUPLE.
Peuple,
On te dit: «Tu n'as pas assez pour vivre; que l'État y ajoute ce qui manque.» Qui ne le voudrait, si c'était possible?
Mais, hélas! la caisse du percepteur n'est pas l'urne de Cana.
Quand Notre-Seigneur mettait un litre de vin dans cette urne, il en sortait deux; mais quand tu mets cent sous dans la caisse du buraliste, il n'en sort pas dix francs; il n'en sort pas même cent sous, car le buraliste en garde quelques-uns pour lui.
Comment donc ce procédé augmenterait-il ton travail ou ton salaire?
Ce qu'on te conseille se réduit a ceci: Tu donneras cinq francs à l'État contre rien, et l'État te donnera quatre francs contre ton travail. Marché de dupe.
Peuple, comment l'État pourra-t-il te faire vivre, puisque c'est toi qui fais vivre l'État?
Voici le mécanisme des ateliers de charité réduits en système[109]:
L'État te prend six pains, il en mange deux, et exige ton travail pour t'en rendre quatre. Si, maintenant, tu lui demandes huit pains, il ne peut faire autre chose que ceci: t'en prendre douze, en manger quatre, et te faire gagner le reste.
Peuple, sois plus avisé; fais comme les républicains d'Amérique: donne à l'État le strict nécessaire et garde le reste pour toi.
Demande la suppression des fonctions inutiles, la réduction des gros traitements, l'abolition des priviléges, monopoles et entraves, la simplification des rouages administratifs.
Au moyen de ces économies, exige la suppression de l'octroi, celle de l'impôt du sel, celle de la taxe sur les bestiaux et sur le blé.
Ainsi la vie sera à meilleur marché, et, étant à meilleur marché, chacun aura un petit reliquat sur son salaire actuel;—et au moyen de ce petit reliquat multiplié par trente-six millions d'habitants, chacun pourra aborder et payer une consommation nouvelle;—et chacun consommant un peu plus, nous nous procurerons tous un peu plus de travail les uns aux autres;—et puisque le travail sera plus demandé dans le pays, les salaires hausseront;—et alors, peuple, tu auras résolu le problème: gagner plus de sous et obtenir plus de choses pour chaque sou.
Ce n'est pas si brillant que la prétendue urne de Cana du Luxembourg, mais c'est sûr, solide, praticable, immédiat et juste.
II
FUNESTE REMÈDE.
Quand notre frère souffre, il faut le soulager.
Mais ce n'est pas la bonté de l'intention qui fait la bonté de la potion. On peut très-charitablement donner un remède qui tue.
Un pauvre ouvrier était malade; le docteur arrive, lui tâte le pouls, lui fait tirer la langue et lui dit: Brave homme, vous n'êtes pas assez nourri.—Je le crois, dit le moribond; j'avais pourtant un vieux médecin fort habile. Il me donnait les trois quarts d'un pain tous les soirs. Il est vrai qu'il m'avait pris le pain tout entier le matin, et en avait gardé le quart pour ses honoraires. Je l'ai chassé, voyant que ce régime ne me guérissait pas.—L'ami, mon confrère était un ignorant intéressé. Il ne voyait pas que votre sang est appauvri. Il faut réorganiser cela. Je vais vous introduire du sang nouveau dans le bras gauche; pour cela il faudra que je vous le tire du bras droit. Mais pourvu que vous ne teniez aucun compte ni du sang qui sortira du bras droit ni de celui qui se perdra dans l'opération vous trouverez ma recette admirable.
Voilà où nous en sommes. L'État dit au peuple: «Tu n'as pas assez de pain, je vais t'en donner. Mais comme je n'en fais pas, je commencerai par te le prendre, et, après avoir satisfait mon appétit, qui n'est pas petit, je te ferai gagner le reste.»
Ou bien: «Tu n'as pas assez de salaires, paye-moi plus d'impôts. J'en distribuerai une partie à mes agents, et avec le surplus, je te ferai travailler.»
Et si le peuple, n'ayant des yeux que pour le pain qu'on lui donne, perd de vue celui qu'on lui prend; si, voyant le petit salaire que la taxe lui procure, il ne voit pas le gros salaire qu'elle lui ôte, on peut prédire que sa maladie s'aggravera.
69.—CIRCULAIRES D'UN MINISTÈRE INTROUVABLE.
19 Mars 1848.
Le ministre de l'intérieur à MM. les commissaires du gouvernement, préfets, maires, etc.
Les élections approchent; vous désirez que je vous indique la ligne de conduite que vous avez à tenir; la voici: Comme citoyens, je n'ai rien à vous prescrire, si ce n'est de puiser vos inspirations dans votre conscience et dans l'amour du bien public. Comme fonctionnaires, respectez et faites respecter les libertés des citoyens.
Nous interrogeons le pays. Ce n'est pas pour lui arracher, par l'intimidation ou la ruse, une réponse mensongère. Si l'Assemblée nationale a des vues conformes aux nôtres, nous gouvernerons, grâce à cette union, avec une autorité immense. Si elle ne pense pas comme nous, il ne nous restera qu'à nous retirer et nous efforcer de la ramener à nous par une discussion loyale. L'expérience nous avertit de ce qu'il en coûte de vouloir gouverner avec des majorités factices.
Le ministre du commerce aux négociants de la République.
Citoyens,
Mes prédécesseurs ont fait ou ont eu l'air de faire de grands efforts pour vous procurer des affaires. Ils s'y sont pris de toutes façons, sans autres résultats que celui-ci: aggraver les charges de la nation et nous créer des obstacles. Tantôt ils forçaient les exportations par des primes; tantôt ils gênaient les importations par des entraves. Il leur est arrivé souvent de s'entendre avec leurs collègues de la marine et de la guerre pour s'emparer d'une petite île perdue dans l'Océan, et quand, après force emprunts et batailles, on avait réussi, on vous donnait, comme Français, le privilége exclusif de trafiquer avec la petite île, à la condition de ne plus trafiquer avec le reste du monde.
Tous ces tâtonnements ont conduit à reconnaître la vérité de cette règle, dans laquelle se confondent et votre intérêt propre, et l'intérêt national, et l'intérêt de l'humanité: acheter et vendre là où on peut le faire avec le plus d'avantage.
Or, comme c'est là ce que vous faites naturellement sans que je m'en mêle, je suis réduit à avouer, que mes fonctions sont plus qu'inutiles; je ne suis pas même la mouche du coche.
C'est pourquoi je vous donne avis que mon ministère est supprimé. La République supprime en même temps toutes les entraves dans lesquelles mes prédécesseurs vous ont enlacés, et tous les impôts qu'il faut bien faire payer au peuple pour mettre ces entraves en action. Je vous prie de me pardonner le tort que je vous ai fait; et pour me prouver que vous n'avez pas de rancune, j'espère que l'un d'entre vous voudra bien m'admettre comme commis dans ses bureaux, afin que j'apprenne le commerce, pour lequel mon court passage au ministère m'a donné du goût.
Le ministre de l'agriculture aux agriculteurs.
Citoyens,
Un heureux hasard m'a suggéré une pensée qui ne s'était jamais présentée à l'esprit de mes prédécesseurs; c'est que vous appartenez comme moi à l'espèce humaine. Vous avez une intelligence pour vous en servir, et, de plus, cette source véritable de tous progrès, le désir d'améliorer votre condition.
Partant de là, je me demande à quoi je puis vous servir. Vous enseignerai-je l'agriculture? Mais il est probable que vous la savez mieux que moi. Vous inspirerai-je le désir de substituer les bonnes pratiques aux mauvaises? Mais ce désir est en vous au moins autant qu'en moi. Votre intérêt le fait naître, et je ne vois pas comment mes circulaires pourraient parler à vos oreilles plus haut que votre propre intérêt.
Le prix des choses vous est connu. Vous avez donc une règle qui vous indique ce qu'il vaut mieux produire ou ne produire pas. Mon prédécesseur voulait vous procurer du travail manufacturier pour occuper vos jours de chômage. Vous pourriez, disait-il, vous livrer à ce travail avec avantage pour vous et pour le consommateur. Mais de deux choses l'une: ou cela est vrai, et alors qu'est-il besoin d'un ministère pour vous signaler un travail lucratif à votre portée? Vous le découvrirez bien vous-mêmes, si vous n'êtes pas d'une race inférieure frappée d'idiotisme; hypothèse sur laquelle est basé mon ministère et que je n'admets pas. Ou cela n'est pas vrai; en ce cas, combien ne serait-il pas dommageable que le ministre imposât un travail stérile à tous les agriculteurs de France, par mesure administrative!
Jusqu'ici, mes collaborateurs et moi nous sommes donné beaucoup de mouvement sans aucun résultat, si ce n'est de vous faire payer des taxes, car notez bien qu'à chacun de nos mouvements répond une taxe. Cette circulaire même n'est pas gratuite. Ce sera la dernière. Désormais, pour faire prospérer l'agriculture, comptez sur vos efforts et non sur ceux de mes bureaucrates; tournez vos yeux sur vos champs et non sur un hôtel de la rue de Grenelle.
Le ministre des cultes aux ministres de la religion.
Citoyens,
Cette lettre a pour objet de prendre congé de vous. La liberté des cultes est proclamée. Vous n'aurez affaire désormais, comme tous les citoyens, qu'au ministre de la justice. Je veux dire que si, ce que je suis loin de prévoir, vous usez de votre liberté de manière à blesser la liberté d'autrui, troubler l'ordre, ou choquer l'honnêteté, vous rencontrerez infailliblement la répression légale, à laquelle nul ne doit être soustrait. Hors de là, vous agirez comme vous l'entendrez, et cela étant, je ne vois pas en quoi je puis vous être utile. Moi et toute la vaste administration que je dirige, nous devenons un fardeau pour le public. Ce n'est pas assez dire; car à quoi pourrions-nous occuper notre temps sans porter atteinte à la liberté de conscience? Évidemment, tout fonctionnaire qui ne fait pas une chose utile, en fait une nuisible par cela seul qu'il agit. En nous retirant, nous remplissons donc deux conditions du programme républicain: économie, liberté.
70.—FUNESTES ILLUSIONS.
Journal des Économistes, mars 1848.
Les citoyens font vivre l'État.
  L'État ne peut faire vivre les citoyens.
Il m'est quelquefois arrivé de combattre le Privilége par la plaisanterie. C'était, ce me semble, bien excusable. Quand quelques-uns veulent vivre aux dépens de tous, il est bien permis d'infliger la piqûre du ridicule au petit nombre qui exploite et à la masse exploitée.
Aujourd'hui, je me trouve en face d'une autre illusion. Il ne s'agit plus de priviléges particuliers, il s'agit de transformer le privilége en droit commun. La nation tout entière a conçu l'idée étrange qu'elle pouvait accroître indéfiniment la substance de sa vie, en la livrant à l'État sous forme d'impôts, afin que l'État la lui rende en partie sous forme de travail, de profits et de salaires. On demande que l'État assure le bien-être à tous les citoyens; et une longue et triste procession, où tous les ordres de travailleurs sont représentés, depuis le roide banquier jusqu'à l'humble blanchisseuse, défile devant le grand organisateur pour solliciter une assistance pécuniaire.
Je me tairais s'il n'était question que de mesures provisoires, nécessitées et en quelque sorte justifiées par la commotion de la grande révolution que nous venons d'accomplir; mais ce qu'on réclame, ce ne sont pas des remèdes exceptionnels, c'est l'application d'un système. Oubliant que la bourse des citoyens alimente celle de l'État, on veut que la bourse de l'État alimente celle des citoyens.
Ah! ce n'est pas avec l'ironie et le sarcasme que je m'efforcerai de dissiper cette funeste illusion; car, à mes yeux du moins, elle jette un voile sombre sur l'avenir; et c'est là, je le crains bien, l'écueil de notre chère République.
D'ailleurs, comment avoir le courage de s'en prendre au peuple, s'il ignore ce qu'on lui a toujours défendu d'apprendre, s'il nourrit dans son cœur des espérances chimériques qu'on s'est appliqué à y faire naître?
Que faisaient naguère et que font encore les puissants du siècle, les grands propriétaires, les grands manufacturiers? Ils demandaient à la loi des suppléments de profits, au détriment de la masse. Est-il surprenant que la masse, aujourd'hui en position de faire la loi, lui demande aussi un supplément de salaires? Mais, hélas! il n'y a pas au-dessous d'elle une autre masse d'où cette source de subventions puisse jaillir. Le regard attaché sur le pouvoir, les industriels s'étaient transformés en solliciteurs. Faites-moi vendre mieux mon blé! faites-moi tirer un meilleur parti de ma viande! Élevez artificiellement le prix de mon fer, de mon drap, de ma houille! Tels étaient les cris qui assourdissaient la Chambre privilégiée. Est-il surprenant que le peuple victorieux se fasse solliciteur à son tour! Mais, hélas! si la loi peut, à la rigueur, faire des largesses à quelques privilégiés, aux dépens de la nation, comment concevoir qu'elle fasse des largesses à la nation tout entière?
Quel exemple donne en ce moment même la classe moyenne? On la voit obséder le gouvernement provisoire et se jeter sur le budget comme sur une proie. Est-il surprenant que le peuple manifeste aussi l'ambition bien humble de vivre au moins en travaillant?
Que disaient sans cesse les gouvernants? À la moindre lueur de prospérité, ils s'en attribuaient sans façon tout le mérite; ils ne parlaient pas des vertus populaires qui en sont la base, de l'activité, de l'ordre, de l'économie des travailleurs. Non, cette prospérité, d'ailleurs fort douteuse, ils s'en disaient les auteurs. Il n'y a pas encore deux mois que j'entendais le ministre du commerce dire: «Grâce à l'intervention active du gouvernement, grâce à la sagesse du roi, grâce au patronage des sciences, toutes les classes industrielles sont florissantes.» Faut-il s'étonner que le peuple ait fini par croire que le bien-être lui venait d'en haut comme une manne céleste, et qu'il tourne maintenant ses regards vers les régions du pouvoir? Quand on s'attribue le mérite de tout le bien qui arrive, on encourt la responsabilité de tout le mal qui survient.
Ceci me rappelle un curé de notre pays. Pendant les premières années de sa résidence, il ne tomba pas de grêle dans la commune; et il était parvenu à persuader aux bons villageois que ses prières avaient l'infaillible vertu de chasser les orages. Cela fut bien tant qu'il ne grêla pas; mais, à la première apparition du fléau, il fut chassé de la paroisse. On lui disait: C'est donc par mauvaise volonté que vous avez permis à la tempête de nous frapper?
La République s'est inaugurée par une semblable déception. Elle a jeté cette parole au peuple, si bien préparé d'ailleurs à la recevoir: «Je garantis le bien-être à tous les citoyens.» Et puisse cette parole ne pas attirer des tempêtes sur notre patrie!
Le peuple de Paris s'est acquis une gloire éternelle par son courage.
Il a excité l'admiration du monde entier par son amour pour l'ordre public, son respect pour tous les droits et toutes les propriétés.
Il lui reste à accomplir une tâche bien autrement difficile, il lui reste à repousser de ses lèvres la coupe empoisonnée qu'on lui présente. Je le dis avec conviction, tout l'avenir de la République repose aujourd'hui sur son bon sens. Il n'est plus question de la droiture de ses intentions, personne ne peut les méconnaître; il s'agit de la droiture de ses instincts. La glorieuse révolution qu'il a accomplie par son courage, qu'il a préservée par sa sagesse, n'a plus à courir qu'un danger: la déception; et contre ce danger, il n'y a qu'une planche de salut: la sagacité du peuple.
Oui, si des voix amies avertissent le peuple, si des mains courageuses lui ouvrent les yeux, quelque chose me dit que la République évitera le gouffre béant qui s'ouvre devant elle; et alors quel magnifique spectacle la France donnera au monde! Un peuple triomphant de ses ennemis et de ses faux amis, un peuple vainqueur des passions d'autrui et de ses propres illusions!
Je commence par dire que les institutions qui pesaient sur nous, il y a à peine quelques jours, n'ont pas été renversées, que la République, ou le gouvernement de tous par tous, n'a pas été fondé pour laisser le peuple (et par ce mot j'entends maintenant la classe des travailleurs, des salariés, ou ce qu'on appelait des prolétaires) dans la même condition où elle était avant.
C'est la volonté de tous, et c'est sa propre volonté, que sa condition change.
Mais deux moyens se présentent, et ces moyens ne sont pas seulement différents, ils sont, il faut bien le dire, diamétralement opposés.
L'école qu'on appelle économiste propose la destruction immédiate de tous les priviléges, de tous les monopoles, la suppression immédiate de toutes les fonctions inutiles, la réduction immédiate de tous les traitements exagérés, une diminution profonde des dépenses publiques, le remaniement de l'impôt, de manière à faire disparaître tous ceux qui pèsent sur les consommations du peuple, qui enchaînent ses mouvements et paralysent le travail. Elle demande, par exemple, que l'octroi, l'impôt sur le sel, les taxes sur l'entrée des subsistances et des instruments de travail, soient sur-le-champ abolis.
Elle demande que ce mot liberté, qui flotte avec toutes nos bannières, qui est inscrit sur tous nos édifices, soit enfin une vérité.
Elle demande qu'après avoir payé au gouvernement ce qui est indispensable pour maintenir la sécurité intérieure et extérieure, pour réprimer les fraudes, les délits et les crimes, et pour subvenir aux grands travaux d'utilité nationale, LE PEUPLE GARDE LE RESTE POUR LUI.
Elle assure que mieux le peuple pourvoira à la sûreté des personnes et des propriétés, plus rapidement se formeront les capitaux.
Qu'ils se formeront avec d'autant plus de rapidité, que le peuple saura mieux garder pour lui ses salaires, au lieu de les livrer, par l'impôt, à l'État.
Que la formation rapide des capitaux implique nécessairement la hausse rapide des salaires, et par conséquent l'élévation progressive des classes ouvrières en bien-être, en indépendance, en instruction et en dignité.
Ce système n'a pas l'avantage de promettre la réalisation instantanée, du bonheur universel; mais il nous parait simple, immédiatement praticable, conforme à la justice, fidèle à la liberté, et de nature à favoriser toutes les tendances humaines vers l'égalité et la fraternité. J'y reviendrai après avoir exposé et approfondi les vues d'une autre école, qui paraît en ce moment prévaloir dans les sympathies populaires.
Celle-ci veut aussi le bien du peuple; mais elle prétend le réaliser par voie directe. Sa prétention ne va à rien moins qu'à augmenter le bien-être des masses, c'est-à-dire accroître leurs consommations tout en diminuant leur travail; et, pour accomplir ce miracle, elle imagine de puiser des suppléments de salaires soit dans la caisse commune, soit dans les profits exagérés des entrepreneurs d'industrie.
C'est ce système dont je me propose de signaler les dangers.
Qu'on ne se méprenne pas à mes paroles. Je n'entends pas ici condamner l'association volontaire. Je crois sincèrement que l'association fera faire de grands progrès en tous sens à l'humanité. Des essais sont faits en ce moment, notamment par l'administration du chemin du Nord et celle du journal la Presse. Qui pourrait blâmer ces tentatives? Moi-même, avant d'avoir jamais entendu parler de l'école sociétaire, j'avais conçu un projet d'association agricole destiné à perfectionner le métayage. Des raisons de santé m'ont seules détourné de cette entreprise.
Mes doutes ont pour objet, ou, pour parler franchement, ma conviction énergique repousse de toutes ses forces cette tendance manifeste, que vous avez sans doute remarquée, qui vous entraîne aussi peut-être, à invoquer en toutes choses l'intervention de l'État, c'est-à-dire la réalisation de nos utopies, ou, si l'on veut, de nos systèmes, avec la contrainte légale pour principe, et l'argent du public pour moyen.
On a beau inscrire sur son drapeau Association volontaire, je dis que lorsqu'on appelle à son aide la loi et l'impôt, l'enseigne est aussi menteuse qu'elle puisse l'être, puisqu'il n'y a plus alors ni association ni volonté.
Je m'attacherai à démontrer que l'intervention exagérée de l'État ne peut accroître le bien-être des masses, et qu'elle tend au contraire à le diminuer;
Qu'elle efface le premier mot de notre devise républicaine, le mot liberté;
Que si elle est fausse en principe, elle est particulièrement dangereuse pour la France, et qu'elle menace d'engloutir, dans un grand et irréparable désastre, et les fortunes particulières, et la fortune publique, et le sort des classes ouvrières, et les institutions, et la République.
Je dis, d'abord, que les promesses de ce déplorable système sont illusoires.
Et, en vérité, cela me semble si clair, que j'aurais honte de me livrer à cet égard à une longue démonstration, si des faits éclatants ne me prouvaient que cette démonstration est nécessaire.
Car quel spectacle nous offre le pays?
À l'Hôtel-de-Ville la curée des places, au Luxembourg la curée des salaires. Là, ignominie; ici, cruelle déception.
Quant à la curée des places, il semble que le remède serait de supprimer toutes les fonctions inutiles, de réduire le traitement de celles qui excitent la convoitise; mais on laisse cette proie tout entière à l'avidité de la bourgeoisie, et elle s'y précipite avec fureur.
Aussi qu'arrive-t-il? Le peuple, de son côté, le peuple des travailleurs, témoin des douceurs d'une existence assurée sur les ressources du public, oubliant qu'il est lui-même ce public, oubliant que le budget est formé de sa chair et de son sang, demande, lui aussi, qu'on lui prépare une curée.
De longues députations se pressent au Luxembourg, et que demandent-elles? L'accroissement des salaires, c'est-à-dire, en définitive, une amélioration dans les moyens d'existence des travailleurs.
Mais ceux qui assistent personnellement à ces députations, n'agissent pas seulement pour leur propre compte. Ils entendent bien représenter toute la grande confraternité des travailleurs qui peuplent nos villes aussi bien que nos campagnes.
Le bien-être matériel ne consiste pas à gagner plus d'argent. Il consiste à être mieux nourri, vêtu, logé, chauffé, éclairé, instruit, etc., etc.
Ce qu'ils demandent donc, en allant au fond des choses, c'est qu'à dater de l'ère glorieuse de notre révolution, chaque Français appartenant aux classes laborieuses ait plus de pain, de vin, de viande, de linge, de meubles, de fer, de combustible, de livres, etc., etc.
Et, chose qui passe toute croyance, plusieurs veulent en même temps que le travail qui produit ces choses soit diminué. Quelques-uns même, heureusement en petit nombre, vont jusqu'à solliciter la destruction des machines.
Se peut-il concevoir une contradiction plus flagrante?
À moins que le miracle de l'urne de Cana ne se renouvelle dans la caisse du percepteur, comment veut-on que l'État y puise plus que le peuple n'y a mis? Croit-on que, pour chaque pièce de cent sous qui y entre, il soit possible d'en faire sortir dix francs? Hélas! c'est tout le contraire. La pièce de cent sous que le peuple y jette tout entière n'en sort que fort ébréchée, car il faut bien que le percepteur en garde une partie pour lui.
En outre, que signifie l'argent? Quand il serait vrai qu'on peut puiser dans le Trésor public un fonds de salaires autre que celui que le public lui-même y a mis, en serait-on plus avancé? Ce n'est pas d'argent qu'il s'agit, mais d'aliments, de vêtements, de logement, etc.
Or, l'organisateur qui siége au Luxembourg a-t-il la puissance de multiplier ces choses par des décrets? ou peut-il faire que, si la France produit 60 millions d'hectolitres de blé, chacun de nos 36 millions de concitoyens en reçoive 3 hectolitres, et de même pour le fer, le drap, le combustible?
Le recours au Trésor public, comme système général, est donc déplorablement faux. Il prépare au peuple une cruelle déception.
On dira sans doute: «Nul ne songe à de telles absurdités. Mais il est certain que les uns ont trop en France, et les autres pas assez. Ce à quoi l'on vise, c'est à un juste nivellement, à une plus équitable répartition.»
Examinons la question à ce point de vue.
Si l'on voulait dire qu'après avoir retranché tous les impôts qui peuvent l'être, il faut, autant que possible, faire peser ceux qui restent sur la classe qui peut le mieux les supporter, on ne ferait qu'exprimer nos vœux. Mais cela est trop simple pour des organisateurs; c'est bon pour des économistes.
Ce qu'on veut, c'est que tout Français soit bien pourvu de toutes choses. On a annoncé d'avance que l'État garantissait le bien-être à tout le monde; et la question est de savoir s'il y a moyen de presser assez la classe riche, en faveur de la classe pauvre, pour atteindre ce résultat.
Poser la question, c'est la résoudre; car, pour que tout le monde ait plus de pain, de vin, de viande, de drap, etc., il faut que le pays en produise davantage; et comment pourrait-on en prendre à une seule classe, même à la classe riche, plus que toutes les classes ensemble n'en produisent?
D'ailleurs, remarquez-le bien: il s'agit ici de l'impôt. Il s'élève déjà à un milliard et demi. Les tendances que je combats, loin de permettre aucun retranchement, conduisent à des aggravations inévitables.
Permettez-moi un calcul approximatif.
Il est fort difficile de poser le chiffre exact des deux classes; cependant on peut en approcher.
Sous le régime qui vient de tomber, il y avait 250 mille électeurs. À quatre individus par famille, cela répond à un million d'habitants, et chacun sait que l'électeur à 200 francs était bien près d'appartenir à la classe des propriétaires malaisés. Cependant, pour éviter toute contestation, attribuons à la classe riche, non-seulement ce million d'habitants, mais seize fois ce nombre. La concession est déjà raisonnable. Nous avons donc seize millions de riches et vingt millions sinon de pauvres, du moins de frères qui ont besoin d'être secourus. Si l'on suppose qu'un supplément bien modique de 25 cent. par jour est indispensable pour réaliser des vues philanthropiques plus bienveillantes qu'éclairées, c'est un impôt de cinq millions par jour ou près de deux milliards par an, nous pouvons même dire deux milliards avec les frais de perception.
Nous payons déjà un milliard et demi. J'admets qu'avec un système d'administration plus économique on réduise ce chiffre d'un tiers: il faudrait toujours prélever trois milliards. Or, je le demande, peut-on songer à prélever trois milliards sur les seize millions d'habitants les plus riches du pays?
Un tel impôt serait de la confiscation, et voyez les conséquences. Si, en fait, toute propriété était confisquée à mesure qu'elle se forme, qui est-ce qui se donnerait la peine de créer de la propriété? On ne travaille pas seulement pour vivre au jour le jour. Parmi les stimulants du travail, le plus puissant peut-être, c'est l'espoir d'acquérir quelque chose pour ses vieux jours, d'établir ses enfants, d'améliorer le sort de sa famille. Mais si vous arrangez votre système financier de telle sorte que toute propriété soit confisquée à mesure de sa formation, alors, nul n'étant intéressé ni au travail ni à l'épargne, le capital ne se formera pas; il décroîtra avec rapidité, si même il ne déserte pas subitement à l'étranger; et, alors, que deviendra le sort de cette classe même que vous aurez voulu soulager?
J'ajouterai ici une vérité qu'il faut bien que le peuple apprenne.
Quand dans un pays l'impôt est très modéré, il est possible de le répartir selon les règles de la justice et de le prélever à peu de frais. Supposez, par exemple, que le budget de la France ne s'élevât pas au delà de cinq à six cents millions. Je crois sincèrement qu'on pourrait, dans cette hypothèse, inaugurer l'impôt unique, assis sur la propriété réalisée (mobilière et immobilière).
Mais lorsque l'État soutire à la nation le quart, le tiers, la moitié de ses revenus, il est réduit à agir de ruse, à multiplier les sources de recettes, à inventer les taxes les plus bizarres, et en même temps les plus vexatoires. Il fait en sorte que la taxe se confonde avec le prix des choses, afin que le contribuable la paye sans s'en douter. De là les impôts de consommation, si funestes aux libres mouvements de l'industrie. Or quiconque s'est occupé de finances sait bien que ce genre d'impôt n'est productif qu'à la condition de frapper les objets de la consommation la plus générale. On a beau fonder des espérances sur les taxes somptuaires, je les appelle de tous mes vœux par des motifs d'équité, mais elles ne peuvent jamais apporter qu'un faible contingent à un gros budget. Le peuple se ferait donc complétement illusion s'il pensait qu'il est possible, même au gouvernement le plus populaire, d'aggraver les dépenses publiques, déjà si lourdes, et en même temps de les mettre exclusivement à la charge de la classe riche.
Ce qu'il faut remarquer, c'est que, dès l'instant qu'on a recours aux impôts de consommation (ce qui est la conséquence nécessaire d'un lourd budget), l'égalité des charges est rompue, parce que les objets frappés de taxes entrent beaucoup plus dans la consommation du pauvre que dans celle du riche, proportionnellement à leurs ressources respectives.
En outre, à moins d'entrer dans les inextricables difficultés des classifications, on met sur un objet donné, le vin, par exemple, un impôt uniforme, et l'injustice saute aux yeux. Le travailleur, qui achète un litre de vin de 50 c. le litre, grevé d'un impôt de 50 c., paye 100 pour 100. Le millionnaire, qui boit du vin de Lafitte de 10 francs la bouteille, paye 5 pour 100.
Sous tous les rapports, c'est donc la classe ouvrière qui est intéressée à ce que le budget soit réduit à des proportions qui permettent de simplifier et égaliser les impôts. Mais pour cela il ne faut pas qu'elle se laisse éblouir par tous ces projets philanthropiques, qui n'ont qu'un seul résultat certain: celui d'exagérer les charges nationales.
Si l'exagération de l'impôt est incompatible avec l'égalité contributive, et avec cette sécurité indispensable pour que le capital se forme et s'accroisse, elle n'est pas moins incompatible avec la liberté.
Je me rappelle avoir lu dans ma jeunesse une de ces sentences si familières à M. Guizot, alors simple professeur suppléant. Pour justifier les lourds budgets, qui semblent les corollaires obligés des monarchies constitutionnelles, il disait: La liberté est un bien si précieux qu'un peuple ne doit jamais la marchander. Dès ce jour, je me dis: M. Guizot peut avoir des facultés éminentes, mais ce serait assurément un pitoyable homme d'État.
En effet, la liberté est un bien très-précieux et qu'un peuple ne saurait payer trop cher. Mais la question est précisément de savoir si un peuple surtaxé peut être libre, s'il n'y a pas incompatibilité radicale entre la liberté et l'exagération de l'impôt.
Or, j'affirme que cette incompatibilité est radicale.
Remarquons, en effet, que la fonction publique n'agit pas sur les choses, mais sur les hommes; et elle agit sur eux avec autorité. Or l'action que certains hommes exercent sur d'autres hommes, avec l'appui de la loi et de la force publique, ne saurait jamais être neutre. Elle est essentiellement nuisible, si elle n'est pas essentiellement utile.
Le service de fonctionnaire public n'est pas de ceux dont on débat le prix, qu'on est maître d'accepter ou de refuser. Par sa nature, il est imposé. Quand un peuple ne peut faire mieux que de confier un service à la force publique, comme lorsqu'il s'agit de sécurité, d'indépendance nationale, de répression des délits et des crimes, il faut bien qu'il crée cette autorité et s'y soumette.
Mais s'il fait passer dans le service public ce qui aurait fort bien pu rester dans le domaine des services privés, il s'ôte la faculté de débattre le sacrifice qu'il veut faire en échange de ces services, il se prive du droit de les refuser; il diminue la sphère de sa liberté.
On ne peut multiplier les fonctionnaires sans multiplier les fonctions. Ce serait trop criant. Or, multiplier les fonctions, c'est multiplier les atteintes à la liberté.
Comment un monarque peut-il confisquer la liberté des cultes? En ayant un clergé à gages.
Comment peut-il confisquer la liberté de l'enseignement? En ayant une université à gages.
Que propose-t-on aujourd'hui? De faire le commerce et les transports par des fonctionnaires publics. Si ce plan se réalise, nous payerons plus d'impôts, et nous serons moins libres.
Vous voyez donc bien que, sous des apparences philanthropiques, le système qu'on préconise aujourd'hui est illusoire, injuste, qu'il détruit la sécurité, qu'il nuit à la formation des capitaux et, par là, à l'accroissement des salaires, enfin, qu'il porte atteinte à la liberté des citoyens.
Je pourrais lui adresser bien d'autres reproches. Il me serait facile de prouver qu'il est un obstacle insurmontable à tout progrès, parce qu'il paralyse le ressort même du progrès, la vigilance de l'intérêt privé.
Quels sont les modes d'activité humaine qui offrent le spectacle de la stagnation la plus complète? Ne sont-ce pas précisément ceux qui sont confiés aux services publics? Voyez l'enseignement. Il en est encore où il en était au moyen âge. Il n'est pas sorti de l'étude de deux langues mortes, étude si rationnelle autrefois, et si irrationnelle aujourd'hui. Non-seulement on enseigne les mêmes choses, mais on les enseigne par les mêmes méthodes. Quelle industrie, excepté celle-là, en est restée où elle en était il y a cinq siècles?
Je pourrais accuser aussi l'exagération de l'impôt et la multiplication des fonctions de développer cette ardeur effrénée pour les places qui, en elle-même et par ses conséquences, est la plus grande plaie des temps modernes. Mais l'espace me manque, et je confie ces considérations à la sagacité du lecteur.
Je ne puis m'empêcher, cependant, de considérer la question au point de vue de la situation particulière où la révolution de Février a placé la France.
Je n'hésite pas à le dire: si le bon sens du peuple, si le bon sens des ouvriers ne fait pas bonne et prompte justice des folles et chimériques espérances que, dans une soif désordonnée de popularité, on a jetées au milieu d'eux, ces espérances déçues seront la fatalité de la République.
Or elles seront déçues, parce qu'elles sont chimériques. Je l'ai prouvé. On a promis ce qu'il est matériellement impossible de tenir.
Quelle est notre situation? En mourant, la monarchie constitutionnelle nous laisse pour héritage une dette dont l'intérêt seul grève nos finances d'un fardeau annuel de trois cents millions, sans compter une somme égale de dette flottante.
Elle nous laisse l'Algérie, qui nous coûtera pendant longtemps cent millions par an.
Sans nous attaquer, sans même nous menacer, les rois absolus de l'Europe n'ont qu'à maintenir leurs forces militaires actuelles pour nous forcer à conserver les nôtres. De ce chef, c'est cinq à six cents millions à inscrire au budget de la guerre et de la marine.
Enfin, il reste tous les services publics, tous les frais de perception, tous les travaux d'utilité nationale.
Faites le compte, arrangez les chiffres comme vous voudrez, et vous verrez que le budget des dépenses est inévitablement énorme.
Il est à présumer que les sources ordinaires des recettes seront moins productives, dès la première année de la révolution. Supposez que le déficit qu'elles présenteront soit compensé par la suppression des sinécures et le retranchement des fonctions parasites.
Le résultat forcé n'en est pas moins qu'il est déjà bien difficile de donner actuellement satisfaction au contribuable.
Et c'est dans ce moment que l'on jette au milieu du peuple le vain espoir qu'il peut, lui aussi, puiser la vie dans ce même trésor, qu'il alimente de sa propre vie!
C'est dans ce moment, où l'industrie, le commerce, le capital et le travail auraient besoin de sécurité et de liberté pour élargir la source des impôts et des salaires, c'est dans ce moment que vous suspendez sur leur tête la menace d'une foule de combinaisons arbitraires, d'institutions mal digérées, mal conçues, de plans d'organisation éclos dans le cerveau de publicistes, pour la plupart étrangers à cette matière!
Mais qu'arrivera-t-il, au jour de la déception, et ce jour doit nécessairement arriver?
Qu'arrivera-t-il quand l'ouvrier s'apercevra que le travail fourni par l'État n'est pas un travail ajouté à celui du pays, mais soustrait par l'impôt sur un point pour être versé par la charité sur un autre, avec toute la diminution qu'implique la création d'administrations nouvelles?
Qu'arrivera-t-il quand vous serez réduit à venir dire au contribuable: Nous ne pouvons toucher ni à l'impôt du sel, ni à l'octroi, ni à la taxe sur les boissons, ni à aucune des inventions fiscales les plus impopulaires; bien loin de là, nous sommes forcés d'en imaginer de nouvelles?
Qu'arrivera-t-il quand la prétention d'accroître forcément la masse des salaires, abstraction faite d'un accroissement correspondant de capital (ce qui implique la contradiction la plus manifeste), aura désorganisé tous les ateliers, sous prétexte d'organisation, et forcé peut-être le capital à chercher ailleurs l'air vivifiant de la liberté?
Je ne veux pas m'appesantir sur les conséquences. Il me suffit d'avoir signalé le danger tel que je le vois.
Mais quoi! dira-t-on, après la grande révolution de Février, n'y avait-il donc rien à faire? n'y avait-il aucune satisfaction à donner au peuple? Fallait-il laisser les choses précisément au point où elles étaient avant? N'y avait-il aucune souffrance à soulager?
Telle n'est pas notre pensée.
Selon nous, l'accroissement des salaires ne dépend ni des intentions bienveillantes, ni des décrets philanthropiques. Il dépend, et il dépend uniquement de l'accroissement du capital. Quand dans un pays, comme aux États-Unis, le capital se forme rapidement, les salaires haussent et le peuple est heureux.
Or, pour que les capitaux se forment, il faut deux choses: sécurité et liberté; Il faut de plus qu'ils ne soient pas ravis à mesure par l'impôt.
C'est là, ce nous semble, qu'étaient la règle de conduite et les devoirs du gouvernement.
Les combinaisons nouvelles, les arrangements, les organisations, les associations devaient être abandonnés au bon sens, à l'expérience et à l'initiative des citoyens. Ce sont choses qui ne se font pas à coups de taxes et de décrets.
Pourvoir à la sécurité universelle en rassurant les fonctionnaires paisibles, et, par le choix éclairé des fonctionnaires nouveaux, fonder la vraie liberté par la destruction des priviléges et des monopoles, laisser librement entrer les subsistances et les objets les plus nécessaires au travail, se créer, sans frais, des ressources par l'abaissement des droits exagérés et l'abolition de la prohibition, simplifier tous les rouages administratifs, tailler en plein drap dans la bureaucratie, supprimer les fonctions parasites, réduire les gros traitements, négocier immédiatement avec les puissances étrangères la réduction des armées, abolir l'octroi et l'impôt sur le sel, et remanier profondément l'impôt des boissons, créer une taxe somptuaire, telle est, ce me semble, la mission d'un gouvernement populaire, telle est la mission de notre république.
Sous un tel régime d'ordre, de sécurité et de liberté, on verrait les capitaux se former et vivifier toutes les branches d'industrie, le commerce s'étendre, l'agriculture progresser, le travail recevoir une active impulsion, la main-d'œuvre recherchée et bien rétribuée, les salaires profiter de la concurrence des capitaux de plus en plus abondants, et toutes ces forces vives de la nation, actuellement absorbées par des administrations inutiles ou nuisibles, tourner à l'avantage physique, intellectuel et moral du peuple tout entier.
FIN DU DEUXIÈME VOLUME.
 TABLE DES MATIÈRES
DU DEUXIÈME VOLUME.
- Pages.
 - 01. Déclaration de principes. 1
 - 02. Le libre-échange. 4
 - 03. Bornes que s'impose l'Association. 7
 - 04. Les généralités. 12
 - 05. D'un plan de campagne proposé à l'Association. 15
 - 06. Réflexions sur l'année 1846. 22
 - 07. De l'influence du régime protecteur sur l'agriculture. 25
 - 08. Inanité de la protection de l'agriculture. 39
 - 09. L'échelle mobile. 44
 - 10. L'échelle mobile et ses effets en Angleterre. 48
 - 11. À quoi se réduit l'invasion. 58
 - 12. Subsistances. 63
 - 13. De la libre introduction du bétail étranger. 68
 - 14. Sur la défense d'exporter les céréales. 72
 - 15. Hausse des aliments, baisse des salaires. 77
 - 16. La Tribune et la Presse à propos du traité belge. 81
 - 17. Le parti démocratique et le libre-échange. 93
 - 18. Démocratie et libre-échange. 100
 - 19. Le National. 104
 - 20. Le monde renversé. 110
 - 21. Sur l'exportation du numéraire. 112
 - 22. Du Communisme. 116
 - 23. Réponse au journal l'Atelier. 124
 - 24. Réponse à divers. 131
 - 25. Lettre de M. Considérant et réponse. 134
 - 26. Réponse à la Presse. 141
 - 27. Organisation et liberté. 147
 - 28. Autre réponse à la Presse. 158
 - 29. L'empereur de Russie. 164
 - 30. La liberté a donné du pain aux Anglais. 168
 - 31. Influence du libre-échange sur les relations des peuples. 170
 - 32. L'Angleterre et le libre-échange. 177
 - 33. Curieux phénomène économique. 186
 - 34. Les armements en Angleterre. 194
 - 35. Encore les armements en Angleterre. 200
 - 36. Sur l'inscription maritime. 205
 - 37. La taxe unique en Angleterre. 209
 - 38. M. de Noailles à la chambre des pairs. 216
 - 39. Paresse et restriction. 219
 - 40. Deux modes d'égalisation de taxes. 222
 - 41. L'impôt du sel. 225
 - 42. Discours à Bordeaux. 229
 - 43. Second discours, à Paris. 238
 - 44. Troisième discours, à Paris. 246
 - 45. Quatrième discours, à Lyon. 260
 - 46. Cinquième discours, à Lyon. 273
 - 47. Sixième discours, à Marseille. 293
 - 48. Septième discours, à Paris. 311
 - 49. Huitième discours, à Paris. 328
 - 50. De la modération. 343
 - 51. Peuple et bourgeoisie. 348
 - 52. Économie politique des généraux. 355
 - 53. Recettes protectionnistes. 358
 - 54. Deux principes. 363
 - 55. La logique de M. Cunin-Gridaine. 370
 - 56. Les hommes spéciaux. 373
 - 57. Un profit contre deux pertes. 377
 - 58. Deux pertes contre un profit. 384
 - 59. La peur d'un mot. 392
 - 60. Midi à quatorze heures. 400
 - 61. Le petit manuel du consommateur. 409
 - 62. Remontrance. 415
 - 63. Le maire d'Énios. 418
 - 64. Association espagnole pour la défense du travail national. 429
 - 65. L'indiscret. 435
 - 66. Le sucre antédiluvien. 446
 - 67. Monita secreta. 452
 - 68. Petites affiches de Jacques Bonhomme. 459
 - 69. Circulaires d'un ministère introuvable. 462
 - 70. Funestes illusions. 466
 
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.
Corbeil.—Typogr. et stér. de Crété.
 ERRATA.
Les corrections ont été effectuées dans ce fichier
| Page | 2, | ligne | dernière, | au lieu de: les esprit, lisez: les esprits. | 
| — | 3, | — | 23, | au lieu de: forme du gouvernement, lisez: forme de gouvernement. | 
| — | 11, | — | 28, | au lieu de: ministres de finances, lisez: ministre des finances. | 
| — | 15, | — | 1, | au lieu de: qui ne le céderait pas, lisez: qui ne les céderait pas. | 
| — | 20, | — | 9, | au lieu de: Quant aux choix, lisez: Quant au choix. | 
| — | 36, | — | 29-30, | au lieu de: le France eût demandées, lisez: la France eût demandés. | 
| — | 37, | — | 5, | au lieu de: ils s'ensuit, lisez: il s'ensuit. | 
| — | 38, | — | 2, | au lieu de: nos fleuves contenues, lisez: nos fleuves contenus. | 
| — | 43, | — | 18, | au lieu de: leurs fermera, lisez: leur fermera. | 
| — | 46, | — | 33, | au lieu de: Si donc le gain, lisez: Si donc le grain. | 
| — | 49, | — | 12, | au lieu de: sont plus sensibles, lisez: sont le plus sensibles. | 
| — | 49, | — | 29, | au lieu de: Elle dispose, lisez: Elle disposa. | 
| — | 51, | — | 8, | au lieu de: qu'il ne peut en être ainsi, lisez: qu'il ne put en être ainsi. | 
| — | 63, | — | 2, | au lieu de: les circonstances las plus favorables, lisez: les circonstances les plus favorables. | 
| — | 72, | — | 23, | au lieu de: de s'opposer, lisez: à s'opposer. | 
Notes
1: En composant ce volume presque exclusivement d'articles extraits d'une feuille hebdomadaire, lesquels, dans la pensée de l'auteur, n'étaient pas destinés à être ainsi réunis, nous essayons de les classer dans l'ordre suivant: 1o Exposition du but de l'association libre-échangiste, de ses principes et de son plan d'opérations;—2o articles relatifs à la question des subsistances;—3o polémique contre les journaux, et appréciation de divers faits;—4o discours publics;—5o variétés et nouvelle série de sophismes économiques.
(Note de l'éditeur.)
2: L'année suivante, l'auteur commentait ainsi cette phrase:
«Est-il possible de penser de même sur la liberté commerciale et de différer en politique?»
Il nous suffirait de citer des noms d'hommes et de peuples pour prouver que cela est très-possible et très-fréquent.
Le problème politique, ce nous semble, est celui-ci:
«Quelles sont les formes de gouvernement qui garantissent le mieux et au moindre sacrifice possible à chaque citoyen sa sûreté, sa liberté et sa propriété?»
Certes, on peut ne pas être d'accord sur les formes gouvernementales qui constituent le mieux cette garantie, et être d'accord sur les choses mêmes qu'il s'agit de garantir.
Voilà pourquoi il y a des conservateurs et des hommes d'opposition parmi les libre-échangistes. Mais, par cela seul qu'ils sont libre-échangistes, ils s'accordent en ceci: que la liberté d'échanger est une des choses qu'il s'agit de garantir.
Ils ne pensent pas que les gouvernements, n'importe leurs formes, aient mission d'arracher ce droit aux uns pour satisfaire la cupidité des autres, mais de le maintenir à tous.
Ils sont encore d'accord sur cet autre point qu'en ce moment l'obstacle à la liberté commerciale n'est pas dans les formes du gouvernement, mais dans l'opinion.
Voilà pourquoi l'Association du libre-échange n'agite pas les questions purement politiques, quoique aucun de ses membres n'entende aliéner à cet égard l'indépendance de ses opinions, de ses votes et de ses actes.»
Extrait du Libre-échange, du 14 novembre 1847.
(Note de l'éditeur.)
3: M. Billault, récemment ministre de l'intérieur, a plusieurs fois émis comme avocat et comme représentant, des vues protectionnistes. (V. tome IV, pages 511 et suiv.)
(Note de l'éditeur.)
4: À cette époque, le journal la Presse n'était pas encore converti au principe de la liberté.
(Note de l'éditeur.)
5: V. ci-après, no 44, la fin du discours prononcé à la salle Taranne, le 3 juillet 1847.
(Note de l'éditeur.)
6: V. au tome IV, pages 327 et 342, les pamphlets l'État, la Loi; et dans les Harmonies, le chap. XVII.
(Note de l'éditeur.)
7: La lettre adressée au conseil des ministres, et signée de MM. A. Odier, A. Mimerel, J. Périer et L. Lebeuf, finissait par cette menace: «Ne faites jamais que vos ennemis soient armés par ceux qui veulent toujours contribuer avec vous à la prospérité du pays.»
Quant au placard, en voici quelques phrases:
«Ils (les libre-échangistes) semblent ne pas s'apercevoir que, par là, ils travaillent à ruiner leur pays et qu'ils appellent l'Anglais à régner en France.....
«Celui qui veut une semblable chose n'aime pas son pays, n'aime pas l'ouvrier.»
(Note de l'éditeur.)
8: V. tome III, pages 30 et suiv.
(Note de l'éditeur.)
9: C'est l'exemple qu'ont donné M. Nicolas Kœchlin, M. Bosson de Boulogne,—M. Dufrayer, M. Duchevelard, agriculteurs, ainsi que les armateurs de Bordeaux et de Marseille.
10: V. les chapitres Responsabilité, Solidarité, dans les Harmonies.
(Note de l'éditeur.)
11: Naturellement, la chambre de commerce avait repoussé de telles avances.
(Note de l'éditeur.)
12: Voir le chap. VI de Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, tome V, page 356.
(Note de l'éditeur.)
13: V. Harmonies, chap. XX.
(Note de l'éditeur.)
14: V. le chap. VII de Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, tome V, page 363.
(Note de l'éditeur.)
15: V. le chap. Échange, tome VI.
(Note de l'éditeur.)
16: V. au tome IV, le chap. XXI, page 105.
(Note de l'éditeur.)
17: Il n'est pas inutile de faire remarquer ici qu'en France les propriétaires, dès 1818, jetaient de hauts cris contre l'avilissement ruineux du prix du blé. La loi du 21 juillet 1821, faite sous leur influence, avait la prétention de fixer le taux de 20 à 24 francs. De quelque façon qu'on l'explique, toujours est-il qu'elle trompa cruellement les espérances des agriculteurs. Voici le cours officiel du blé pendant les quatre années qui ont suivi la loi:
| 1821 | 18 fr. 65 c. | 
| 1822 | 15 fr. 08 c. | 
| 1823 | 17 fr. 20 c. | 
| 1824 | 15 fr. 86 c. | 
| 1825 | 14 fr. 80 c. | 
18: On se rappelle que le Constitutionnel, après avoir énuméré toutes les raisons qui selon lui font un devoir au ministère de ne pas laisser entrer le blé étranger, terminait ainsi son article: «Cependant, si malheur arrive, nous serons vos plus terribles accusateurs!»
19: La circonstance indiquée par les mots soulignés fait le fond du débat entre le libre-échange et la restriction. (V. ci-après nos 56 et 57.)
20: Sur la souveraineté de l'opinion, voyez tome IV, pages 132 à 146.
(Note de l'éditeur.)
21: V. ci-après, no 46, le second discours prononcé à Lyon, et, au tome VI, le chap. XIV.
(Note de l'éditeur.)
22: V. tome III, pages 438 et suiv.
(Note de l'éditeur.)
23: L'auteur reconnut bientôt que quelques-unes des adhésions qu'il enregistre ici n'étaient ni solides ni complètes.
(Note de l'éditeur.)
24: V. les chap. XIV et XVIII du tome IV, pages 76 et 94.
(Note de l'éditeur.)
25: Voir notamment le no 3, page 7.
(Note de l'éditeur.)
26: V. sur la balance du commerce, tome IV, page 52, et tome V, page 402; puis le chap. Échange, tome VI.
(Note de l'éditeur.)
27: V. tome IV, page 275, le pamphlet Propriété et Loi, et tome VI, le chapitre Propriété, Communauté.
(Note de l'éditeur.)
28: V. Harmonies, chap. XX et XXI.
(Note de l'éditeur.)
29: V. tome VI, chap. IV.
(Note de l'éditeur.)
30: V. au tome VI, chap. VI, Moralité de la richesse.
(Note de l'éditeur.)
31: V. au tome IV, Justice et Fraternité, p. 298.
(Note de l'éditeur.)
32: V. au tome V, la note de la page 483.
(Note de l'éditeur.)
33: V. t. VI, chap. I.
(Note de l'éditeur.)
34: V. tome V, pages 336 et suiv.
(Note de l'éditeur.)
35: Sur la fonction du numéraire, voyez le pamphlet Maudit argent! tome V, page 64.
(Note de l'éditeur.)
36: V. le chap. XIX, des Harmonies.
(Note de l'éditeur.)
37: V. au tome IV, le chap. XVII de la seconde série des Sophismes, p. 265.
(Note de l'éditeur.)
38: V. au tome III, la note de la page 137.
(Note de l'éditeur.)
(Note de l'éditeur.)
40: V. au tome III, Deux Angleterres, pages 459 et suiv.
(Note de l'éditeur.)
41: V. au tome IV, le chap. Domination par le travail, page 265.
(Note de l'éditeur.)
42: Avec la surtaxe de 5 pour 100 votée cette année.
43: V. tome IV, le chap. Cherté, Bon marché, page 163.
(Note de l'éditeur.)
44: V. au tome III la relation d'un Meeting à Manchester, pages 463 à 492.
(Note de l'éditeur.)
45: V. au tome V, le discours sur l'impôt des boissons, p. 468 à 493.
(Note de l'éditeur.)
46: Cette pensée qui a plus d'une fois excité la juste indignation de Bastiat (V. la page 462 du tome III), est encore le thème favori de l'école protectionniste. Elle a été récemment reproduite, sous une forme pompeuse, par un écrivain de cette école, M. Ch. Gouraud, à la page 259 de son Essai sur la liberté du commerce des nations.
(Note de l'éditeur.)
47: V. au tome IV, page 342, le pamphlet La Loi; et les chap. XVII et XX des Harmonies.
(Note de l'éditeur.)
48: V. au tome IV, page 442, le pamphlet, Baccalauréat et socialisme.
(Note de l'éditeur.)
49: V. au tome IV, page 163, le chap. Cherté, Bon marché.
(Note de l'éditeur.)
(Note de l'éditeur.)
51: L'accroissement de consommation, par ricochet, est infaillible ici et ne nuit à personne. Il en est tout autrement de ces effets vantés par l'école protectionniste, à l'égard desquels l'auteur a dit: Quand MM. les protectionnistes le voudront, ils me trouveront prêt à examiner le sophisme des ricochets. V. au tome V, la note 2 de la page 13; et de plus, au tome IV, les pages 176 à 182.
(Note de l'éditeur.)
52: V. au tome V, page 407, le Budget républicain; et page 468, le Discours sur l'impôt des boissons.
(Note de l'éditeur.)
53: N'ayant pas le texte entier de ce discours, nous en reproduisons tout ce qu'en a conservé le Journal des Économistes, dans son numéro d'octobre 1846.
(Note de l'éditeur.)
54: V. au tome VI, le chap. IX.
(Note de l'éditeur.)
55: V. au tome V, les pages 398 et suiv.
(Note de l'éditeur.)
56: V. au tome VI, le chap. IV.
(Note de l'éditeur.)
57: V. tome IV, pages 538 et suiv.
(Note de l'éditeur.)
58: V. la dédicace du tome VI.
(Note de l'éditeur.)
59: V. au tome VI, le chap. Échange.
60: V. au tome IV, Baccalauréat et Socialisme, p. 442.
(Note de l'éditeur.)
61: V. les chap. XIV et XVIII de la première série des Sophismes, t. IV, p. 86 et 64.
(Note de l'éditeur.)
62: V. le chap. Domination par le travail, tome IV, p. 265.
(Note de l'éditeur.)
63: Voir la note finale due tome III, p. 518.
(Note de l'éditeur.)
64: V. le chap. 1er du tome VI.
(Note de l'éditeur.)
65: V. le chap. VI de la seconde série des Sophismes, t. IV, p. 173.
(Note de l'éditeur.)
66: V. ci-après les numéros 57 et 58.
(Note de l'éditeur.)
67: V. au tome IV, page 74, le chap. XII de la première série des Sophismes.
(Note de l'éditeur.)
68: V. au tome VI, le chap. des Salaires.
(Note de l'éditeur.)
69: V. le chap. de la Population, des Harmonies.
70: V. tome IV, page 74.
(Note de l'éditeur.)
71: V. au tome VI, le chap. V, et au tome IV, le chap. IV.
(Note de l'éditeur.)
72: V. tome IV, pages 36 à 45, et tome VI, le chap. Concurrence.
(Note de l'éditeur.)
73: V. l'appendice du tome III, et notamment les pages 459 et suiv.
(Note de l'éditeur.)
74: À la suite de cet appel, M. de Lamartine prit la parole et termina en ces termes un magnifique discours:
«Vous vous souviendrez alors, vous ou vos enfants, vous vous souviendrez avec reconnaissance de ce missionnaire de bien-être et de richesse, qui est venu vous apporter de si loin et avec un zèle entièrement désintéressé, la vérité gratuite, dont il est l'organe, et la parole de vie matérielle; et vous placerez le nom de M. Bastiat, ce nom qui grandira à mesure que sa vérité grandira elle-même, vous le placerez à côté de Cobden, de J. W. Fox et de leurs amis de la grande ligue européenne, parmi les noms des apôtres de cet évangile du travail émancipé, dont la doctrine est une semence sans ivraie, qui fait germer chez tous les peuples,—sans acception de langue, de patrie ou de nationalité,—la liberté, la justice et la paix!
(Note de l'éditeur.)
75: V. tome V. page 13, pages 80 à 83, et au même tome, page 336, le pamphlet Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas.
(Note de l'éditeur.)
76: Ce discours diffère de ceux qui précèdent en ce qu'il traite plus particulièrement de la propriété littéraire; mais il se rattache comme les autres au droit de propriété, qui n'a, quel qu'en soit l'objet, qu'une seule et même base. Avec la lettre dont nous le faisons suivre, ce discours représente tout ce que nous avons pu recueillir de l'auteur sur ce côté spécial du sujet.
(Note de l'éditeur.)
77: V. la même conclusion aux pages 140 et 141 du tome IV.
(Note de l'éditeur.)
(Note de l'éditeur.)
79: V. au tome V, pages 142 à 145, et tome VI, les chap. V et VIII.
(Note de l'éditeur.)
80: V. le chap. Salaires, des Harmonies.
(Note de l'éditeur.)
81: V. tome V, page 383, le chap. XI du pamphlet: Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, et au tome VI, la fin du chap. VI.
(Note de l'éditeur.)
82: V. au tome V, pag. 370, le chap. l'Algérie du pamphlet: Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas.
(Note de l'éditeur.)
83: V. tome IV, page 258.
(Note de l'éditeur.)
84: V. au tome IV, pages 15 et 251, le chap. II de la première série des Sophismes, et le chap. XV de la seconde série, puis au tome VI le chap. XI des Harmonies.
(Note de l'éditeur.)
85: Le dimanche est le jour de la semaine où paraissait le Libre-Échange.
(Note de l'éditeur.)
86: Les bureaux du Libre-Échange étaient rue de Choiseul, et ceux du Moniteur Industriel, rue Hauteville.
(Note de l'éditeur.)
87: L'auteur a signalé plus tard le danger d'une classification scientifique uniquement basée sur les phénomènes de la production. V. au tome VI les pages 346 et 347.
(Note de l'éditeur.)
88: Le nom que l'auteur ne cite pas est celui d'un membre éminent de la Ligue anglaise, le colonel Perronnet Thompson. V. tome III, pages 89, 218 et 282.
(Note de l'éditeur.)
89: V. au tome V, page 363, le chap. VII du pamphlet Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas.
(Note de l'éditeur.)
90: V. tome IV, page 442, le pamphlet Baccalauréat et Socialisme.
(Note de l'éditeur.)
91: Sur le Sophisme des ricochets, V. au présent volume, no 48, page 320; au tome IV, les pages 74, 160, 229; et au tome V, indépendamment des pages 80 à 83, les pages 336 et suivantes, contenant le pamphlet Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas.
(Note de l'éditeur.)
92: Sur la Concurrence, V. tome IV, page 45, et tome VI, le chap. X.
(Note de l'éditeur.)
93: V. tome IV, pages 121 à 123.
(Note de l'éditeur.)
94: V. le pamphlet Maudit argent, tome V, page 64.
95: V. les chap. I et IV du tome VI.
96: V. le chap. VI du pamphlet Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, tome V, page 356.
(Note de l'éditeur.)
97: V. la fin du no 43, pages 244 et 245, et le no 53, page 359.
(Note de l'éditeur.)
98: V. au tome V, page 368, le chap. VIII de Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas.
(Note de l'éditeur.)
99: V. ci-dessus, le no 39, page 219.
100: V. tome VI, chap. II.
(Note de l'éditeur.)
101: V. le chapitre VI du tome VI.
(Note de l'éditeur.)
102: V. tome IV, pages 36 à 45.
(Note de l'éditeur.)
103: V. tome V, pages 468 à 475.
(Note de l'éditeur.)
104: Soixante-dix ans après, M. de Saint-Cricq a reproduit textuellement ces paroles, afin de justifier l'avantage d'interrompre les communications.
105: V. ci-dessus les nos 17 à 28.
(Note de l'éditeur.)
106: V. le pamphlet Spoliation et Loi, pages 1 à 15 du tome V.
(Note de l'éditeur.)
107: V. ci-dessus les nos 57 et 58, pages 377 et 384, et V. au tome IV, pages 79, 86 et 94, les chap. XIII, XIV et XVIII de la première série des Sophismes.
(Note de l'éditeur.)
108: Parmi les nombreux journaux que fit éclore le 24 février 1848, et qui n'eurent qu'une existence éphémère, il faut compter le Jacques Bonhomme, à la rédaction duquel Bastiat donna son concours. Cette feuille, qui aspirait à éclairer le peuple, contenait un article final destiné à être affiché et mis ainsi gratuitement sous les yeux des passants.
(Note de l'éditeur.)
109: Jacques Bonhomme n'entend pas critiquer les mesures d'urgence.