Œuvres complètes de lord Byron, Tome 05: comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore
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La brise de la mer Égée
Exhalait dans les airs ses regrets superflus:
Son murmure est sinistre, et sa voix affligée
Appelle son fils qui n'est plus.
Il n'est plus le mortel dont l'étonnant génie
Soumettait l'univers à ses chants solennels;
L'immuable destin qui dominait sa vie
A soumis sa grande ame aux décrets éternels.
Et cependant son front rayonnait de jeunesse!
Et cependant la gloire environnait ses pas!
Sa bienfaisante main prodiguait sa richesse
Aux enfans de Léonidas!...
Et le destin dans sa vitesse
Le livre à la faux du trépas!
Ainsi le torrent des montagnes
Roule avec majesté ses flots dans les déserts.
Comme un géant vainqueur il franchit les campagnes
Et veut conquérir l'univers.
Le monde devant lui n'a pas assez d'espace!
Mais qu'est-il devenu?... Sur le sable poudreux
On suit encore sa trace,
Comme on suit dans le ciel un rayon vaporeux:
Il a passé... l'ombre s'efface!...
Ainsi tu mesurais la terre, enfant des cieux!
Tu jetais loin de toi des torrens de lumière;
Et, dans ton vol audacieux,
Pareil au maître du tonnerre,
Tu dévorais l'espace et t'égalais aux Dieux.
Porté sur l'aile du génie,
Tu parcourais, vainqueur, les âges et les tems,
Et sur les scènes de la vie
Tu jetais par mépris des regards insultans!
Du haut de ces hauteurs sublimes,
Où ton astre brillant prodiguait ses clartés,
Tu descendais dans les abîmes
Du doute et de l'obscurité.
Des peuples disparus pesant la froide cendre,
Ta voix forte évoquait leurs ombres des tombeaux;
Dans leur grandeur passée on te voyait descendre
Pour en tirer de noirs lambeaux.
Le sort des nations réveillait dans ton ame
De profondes douleurs et de grands souvenirs
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Ainsi que le roi des forêts,
C'était dans le trépas que tu trouvais ta joie:
Comme lui, sans frémir, tu contemplais ta proie
Qu'environnaient de noirs cyprès...
D'un demi-dieu débris toi-même,
Quelque chose restait de ton premier destin.
Ainsi l'aigle tombé de sa hauteur suprême,
Montre encore un regard divin.
Dans tes vastes pensers tu dominais le monde,
Tu marchais à pas de géant:
Les mortels admiraient ta course vagabonde.
Tu n'étais pas un dieu, mais ton ame féconde
Tenait dans sa chute profonde
De l'immortel et du néant!
Comment s'est éteint cette flamme
Qui, semblable à ces feux, fiers enfans de la nuit,
Embrasait, consumait ton ame?
Comme une ombre sans nom l'être s'évanouit;
Mais de sa fragile poussière,
L'homme, l'essence de l'esprit,
Brisant de ses liens l'enveloppe grossière,
Monte vers l'éternel en rayons de lumière:
Tout change sous les cieux, tout, et rien ne périt.
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Gloire à toi, noble fils de l'altière Albion!
Tes chants ont ranimé les cendres d'Aristide;
Les Grecs ont ressenti cette ardeur intrépide
Qui les fit vaincre à Marathon.
Par toi de ses tombeaux ce peuple entier se lève;
Il rappelle sa gloire et veut briser ses fers;
Toi-même avec transports tu saisissais le glaive
Que tu réveillais dans tes vers.
Victime du destin qui pesait sur sa vie,
Il meurt en combattant pour un peuple opprimé.
Son cœur lui rappelait son ingrate patrie,
L'objet qu'il avait tant aimé.
Son ame, avec douleur, vers sa fille chérie,
Comme un rayon du soir porte un dernier adieu.
Il pleura... mais ses pleurs disaient toute sa vie;
Ses pleurs lui révélaient un dieu.
On dit que sa grande ombre échappée à la terre,
Passant sur le tombeau du fier Léonidas,
De ses trois cents héros réveilla la poussière
Dans le sein même du trépas.
Leurs mânes, ranimés par son souffle rapide,
Ont applaudi soudain comme au jour solennel,
Et le glaive près d'eux qui dormait intrépide,
A tressailli pâle et cruel...
Adieu, fils d'Albion, fils de la Grèce entière:
Ta patrie adoptive a consacré tes droits;
Elle implorait les rois, le front dans la poussière,
Et tu fus plus grand que les rois.
Leur suprême grandeur, par la terreur frappée,
Plaignait, sans nul secours, leur triste abaissement;
Près de ton luth divin s'agitait ton épée,
Sans couronne et sans ornement...
Que le ciel ait pour lui de propices étoiles;
Soufflez plus doucement, vents qui gonflez les voiles;
Guidez les nautonniers aux rives d'Albion;
Emportez sa dépouille à sa noble patrie.
Peut-être à son aspect la bassesse et l'envie
Retiendront dans leur sein leur venimeux poison,
Tandis qu'avec orgueil une autre nation
Décore de son nom l'autel de la patrie!...
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15 juillet 1824.
Il a aussi publié depuis une traduction en vers français de
Childe-Harold, le plus beau poème de Byron, en un volume
in-18. Paris, 1829.
(N. du Tr.)
FIN DES POÉSIES INÉDITES.
POÉSIES ATTRIBUÉES
A LORD BYRON.
I.
AU LIS DE FRANCE.
Avant que de disperser tes feuilles au vent, faux emblème d'innocence, arrête un instant,--et donne, à mesure que tu te flétris, pour l'avantage du genre humain, la leçon qui ressort de ta chute.
Tu étais beau comme le rayon du matin, et riche comme l'orgueil des mines précieuses: tous tes charmes sont maintenant fanés; et haï et méprisé, les malédictions de la liberté retombent sur toi.
Tu étais rayonnant au milieu des sourires du monde, ton ombre protégeait de sa puissance; mais maintenant ta fleur brillante est ridée et flétrie,--tu n'es plus l'ornement de ta patrie régénérée loc50.
Note loc50: (retour) Ces accusations prophétiques de Lord Byron semblent être écrites d'hier, tant elles ont un caractère frappant de spécialité. (N. du Tr.)
Car la corruption s'est repue sur tes feuilles, et la bigotterie a rongé ta tige; maintenant ceux qui te craignaient se rient de tes malheurs, et ceux qui t'adoraient te condamnent à l'exil.
La vallée qui t'a donné naissance pleurera sur l'espérance de son sol; les légions qui ont combattu pour ta beauté et ta valeur se hâteront de partager tes dépouilles.
Devenue symbolique, ta fleur sera un sujet de moquerie et un jouet parmi les hommes; dans les cités, dans les montagnes et dans les plaines, ce sera le proverbe des esclaves, le mépris des hommes libres.
Oh! c'était le souffle pestilentiel de la tyrannie qui dispersa tes tiges sur la terre, qui jeta une tache de sang sur le voile blanc et virginal, et te perça de plus d'une blessure!
Alors le vent emporta ta feuille desséchée, il flétrit ta tige mourante, ta fleur épanouie résigna les promesses de son avenir, et elle est tombée emportée par l'orage.
Car nulle vigueur patriotique ne la soutenait; il ne s'est trouvé aucun bras pour protéger la faible fleur; la destruction suivait son terrible héraut--le désespoir, et flétrit toute sa beauté dans une heure!
Cependant il y eut des hommes qui prétendirent la plaindre; il y eut des hommes qui prétendirent la sauver: purs niais empiriques qui arrivèrent pleins de déception--pour se réjouir et s'enivrer sur sa tombe.
O toi! terre des lis! en vain tu t'efforces de relever sa tête pâle! le bouton fané ne refleurira plus de nouveau,--la violette brillera à sa place!
Comme tu disperses tes feuilles au vent--faux emblème de l'innocence, arrête un instant,--et donne, à mesure que tu te flétris, pour l'avantage du genre humain, cette leçon qui ressort de ta chute!
II.
L'ADIEU.
A UNE DAME.
Quand l'homme, chassé des bosquets d'Éden, s'arrêta quelques instans sur le seuil de la porte, chaque pas lui rappelait des heures évanouies, et lui faisait maudire son avenir.
Mais errant à travers de lointains climats, il apprit à porter le poids de son chagrin; il ne fit plus que donner un soupir aux souvenirs du tems passé, et trouva du soulagement au milieu de scènes plus agitées.
Ainsi, madame, doit-il en être de moi; je ne dois plus revoir tes charmes: car quand je m'arrête près de toi, je soupire pour tout ce que j'ai connu autrefois.
En te fuyant, je serai sûrement sage; car j'échapperai aux piéges de la tentation: je ne puis pas voir mon paradis sans désirer d'y entrer.
III.
A LADY CAROLINE LAMB.
Et tu dis que je n'ai pas de sentiment, que je ne ressens rien pendant que tu es éloignée de moi? Tu ne sais donc pas avec quelles délices je me suis abandonné à un rêve non interrompu de toi? Mais l'amour ne doit jamais nous ressembler, et j'apprendrai à t'estimer moins. Comme tu as fui, ainsi permets-moi de fuir, et change le cœur que tu ne peux rendre heureux.
On te dira, Clara! que j'ai paru, tout récemment, courtiser les charmes d'une autre; que je n'ai pas soupiré, que je n'ai pas eu d'humeur, comme si tu avais déjà été bannie de mon cœur. Clara! cette lutte--pour défaire ce que tu as fait si bien pour moi,--ce masque porté devant la foule niaise,--cette trahison--était une fidélité pour toi!
Je n'ai pas dormi depuis que tu es partie; mais j'ai cherché dans plusieurs tout ce qu'une seule (ah! ai-je besoin de la nommer?) pouvait m'accorder. C'est un devoir que je dois au tien--à toi--à l'homme--à Dieu, de modérer, d'éteindre ce feu coupable, avant que le chemin du crime soit parcouru.
Mais puisque mon sein n'est pas si pur, puisque le vautour déchire encore mon cœur, que j'endure cette agonie, et non toi--oh! la plus chérie des femmes! Par pitié, Clara! séparons-nous; et je chercherai à éviter, je ne sais comment, le dard menaçant:--le vice ne doit pas prendre pour but un objet tel que toi.
Mais tu dois m'aider dans cette tâche, et exercer ainsi noblement ton pouvoir. Alors dédaigne-moi,--c'est tout ce que je demande--avant que le tems ne mûrisse une heure plus coupable; avant que la coupe de la colère ne verse des remords redoublés sur ma tête; avant que des feux inextinguibles ne dévorent mon cœur, dont les espérances sont mortes depuis long-tems.
Ne t'abuse pas plus long-tems, ainsi que moi; n'abuse pas des cœurs meilleurs que le mien; ah! ne peux-tu pas, ne veux-tu pas fuir des malheurs comme le nôtre,--une honte comme la tienne? S'il y a une colère divine, une torture au-delà de ce souffle de vie passagère, renonce--même maintenant, à toute espérance future; de telles pensées sont un crime,--un tel crime est la mort.
IV.
STANCES.
J'ai appris ton sort sans verser une larme; ta perte m'a à peine arraché un soupir, et cependant tu me fus extrêmement chère.--Je ne sais pas ce qui a desséché mes yeux, les larmes refusent de couler; mais chacune d'elles que mes paupières empêchent de s'échapper, retombe horrible sur mon cœur..
Oui,--profondes et pesantes, une à une, elles s'y pressent et le torturent, comme les eaux renfermées dans le rocher l'usent en tombant et s'y durcissent. Elles ne peuvent se pétrifier plus durement que les sentimens qui retombent et restent sur mon cœur, lesquels, froidement fixés, regardent le passé sans jamais se fondre à un soleil nouveau.
V.
A MARIE.
Ne te souviens pas de moi, ni de ces heures bien-aimées, de ces heures évanouies, où toute mon ame était à toi,--heures qui ne peuvent jamais être oubliées, avant que le tems n'énerve nos puissances vitales, et que toi et moi ayons cessé d'être.
Puis-je oublier, peux-tu oublier toi-même ce tems où, jouant avec tes cheveux dorés, ton cœur, avec vivacité, répondait à mes jeux? Oh! par mon ame! je te vois encore, avec des yeux si languissans,--un sein si beau, et des lèvres, quoique silencieuses, qui murmuraient l'amour.
Lorsqu'ainsi tu te penchais sur mon cœur, ces yeux laissaient échapper un éclat si doux, que, quoiqu'à moitié réprobateur, il inspirait le désir; et alors nous nous serrions plus près, et encore plus près,--et nos lèvres frémissantes s'efforçaient de se rencontrer comme pour expirer dans leurs baisers.
Et alors ces yeux pensifs voulaient se fermer, et leurs deux paupières se rapprochaient en voilant leurs orbites d'azur,--tandis que leurs longs et humides regards semblaient fuir sur ta joue brillante d'amour.
FIN DES POÉSIES ATTRIBUÉES A LORD BYRON.